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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 1 - Témoignages du 5 octobre 2006


OTTAWA, le jeudi 5 octobre 2006

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, se réunit ce jour à 9 h 5 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, ceci est notre 25e séance consacrée au projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation. Le projet de loi est plus couramment connu sous le nom de Loi fédérale sur la responsabilité.

Comme le savent les sénateurs, nos témoins et les membres du public — tant ceux présents dans la salle que ceux qui nous regardent à la télévision à travers le Canada —, ce projet de loi constitue l'un des pivots du programme du nouveau gouvernement. C'est l'un des textes de loi les plus importants à être déposés au Parlement ces dernières années. Le comité procède à l'examen approfondi, attentif et détaillé que ce projet de loi mérite. Au long de nos 75 heures de séance jusqu'à présent, nous avons entendu plus de 130 témoins. Nous avons discuté de sujets allant de la responsabilisation, de l'éthique et des conflits d'intérêts jusqu'au privilège parlementaire, au financement politique, à la Direction parlementaire du budget, à l'accès à l'information, à la protection de la vie privée, en passant par la dénonciation, les pouvoirs de vérification et les acquisitions.

Cette semaine, nous nous concentrons sur la question du lobbying. Lors de la réunion d'hier, nous avons recueilli quelques observations très avisées qui vont certainement nous aider dans nos délibérations d'aujourd'hui.

Pour ouvrir cette séance, j'ai le plaisir d'accueillir M. Leo Duguay, président, et Mme Lisa Stilborn, vice-présidente, de l'Institut des relations gouvernementales du Canada. L'Institut est une association professionnelle nationale représentant un large éventail de lobbyistes, tant consultants que mandataires d'associations et de sociétés privées. Ils sont rejoints par M. Joe Jordan, conseiller principal au Groupe Capital Hill, une société privée de relations gouvernementales ayant des bureaux à Ottawa, à Toronto et à Montréal. Nous avons également à la table M. Michael Murphy, vice-président exécutif, Politiques, de la Chambre de Commerce du Canada. La chambre a pour mission de promouvoir un environnement économique dynamique, compétitif et profitable dans l'intérêt non seulement des entreprises mais aussi de tous les Canadiens. Bienvenue à tous.

[Français]

Le comité tient à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole. Nous passerons ensuite à une période de questions et de discussion qui sera, je le sais, très utile pour les membres du comité.

[Traduction]

Nous sommes impatients d'entendre vos exposés.

Joe Jordan, conseiller principal, Groupe Capital Hill : Merci de votre invitation à comparaître aujourd'hui pour discuter de divers aspects du projet de loi C-2. En guise d'introduction, sachez que je suis ancien député. J'ai servi comme secrétaire parlementaire du premier ministre et du président du Conseil du Trésor. J'ai été directeur des affaires parlementaires dans le cabinet d'un ministre. Je suis membre du Conseil privé de la reine et actuellement consultant principal au sein du Groupe Capital Hill, une société de relations gouvernementales sous propriété canadienne. Pour reprendre la terminologie du projet de loi que nous étudions aujourd'hui, j'ai été au cours des quatre dernières années un titulaire de charge publique, un titulaire de charge publique déclarant, un titulaire de charge publique de haut rang et un lobbyiste enregistré. Outre le fait que, apparemment, j'ai du mal à conserver un emploi, je pense pouvoir m'appuyer sur certaines de ces expériences pendant que nous discuterons des divers aspects de ce projet de loi, ce que je ferai avec grand plaisir.

À titre personnel, je tiens à indiquer clairement que je souscris pleinement aux objectifs du projet de loi. J'ai vécu de première main le cynisme qui s'enracine lorsque le public cesse de porter le gouvernement en estime. Si les mesures contenues dans ce texte peuvent remédier à cette perception, tout le système en bénéficiera, tout comme les Canadiens au service desquels le système est placé.

Cela dit, le projet de loi est d'une portée et d'une envergure sans précédents. Il contient cinq parties, et je crois savoir qu'il y avait cinq équipes de rédaction différentes. Il compte 234 pages et 300 articles. Il crée un nouveau mandataire du Parlement — le directeur parlementaire du budget — et un directeur des poursuites pénales et contient plus de 100 modifications à 30 autres lois. Il serait extraordinaire qu'une entreprise de cette ampleur, avec des échéances si courtes, puisse anticiper l'impact potentiel de chaque conséquence fortuite. Dans ce contexte, je me réjouis de la possibilité de discuter du projet de loi afin de voir comment nous pourrions l'améliorer afin qu'il remplisse véritablement les objectifs généraux énoncés dans son titre.

Dans l'intérêt du temps, je consacrerai quelques minutes aux modifications proposées à la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, de façon à préparer le terrain à une discussion fructueuse. Bien que le projet de loi C-2 contienne huit éléments qui se répercutent directement sur le cadre réglementaire actuel du lobbying, je me limiterai à deux enjeux seulement.

Le premier est davantage d'ordre structurel. Les modifications du projet de loi C-2 transformeront le mécanisme de surveillance des lobbyistes, en en faisant une activité de réglementation plutôt que de contrôle.

Le président : Monsieur Jordan, vous lisez un texte. Auriez-vous un document que nous pourrions distribuer aux honorables sénateurs?

M. Jordan : Il n'est que dans une langue et je ne pense donc pas qu'il puisse être distribué. Cependant, je peux en remettre copie au greffier.

Le président : Si vous allez proposer des amendements, il serait bon d'en avoir le texte.

M. Jordan : Ce n'est pas si technique.

Étant donné que l'une des raisons avancées pour ce changement est un fort taux de non-observation de l'obligation d'enregistrement, autrement dit le fait des gens se livrent à des activités de lobbying sans s'enregistrer, je pense qu'il serait utile que l'activité soit définie soit dans le projet de loi C-2 soit, de préférence, dans la nouvelle Loi sur le lobbying. Dans la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, l'article 5 dresse une liste d'activités exigeant l'enregistrement, mais on réduirait l'ambiguïté en donnant une définition dans la loi. J'aimerais que le « lobbying » soit défini peu ou prou comme le fait de « communiquer avec des décideurs gouvernementaux pour obtenir certains résultats ». Je n'ai pas inventé cela, c'est la définition de l'Internal Revenue Service aux États-Unis. Il me semble que si nous allons consacrer du temps, de l'énergie et des ressources à un cadre réglementaire de mise en application, il serait utile de définir clairement quelles activités sont visées. Peut-être pourrons-nous revenir là-dessus au cours de la discussion.

Je fais valoir cela car je suis d'accord avec la prémisse. Un certain nombre de personnes ayant des activités de lobbying ne se considèrent pas comme tenues de s'enregistrer. Si l'on porte la barre plus haut, je pense que cet aspect deviendra plus problématique. À première vue, on peut penser avoir fait ce qu'il faut pour améliorer la situation, mais en réalité c'est peut-être l'inverse qui se produira, à mon avis.

Un autre avantage d'une définition claire du lobbying est qu'elle nous indique aussi ce que le lobbying n'est pas. Les conseils en communication et la réalisation de sondages n'en sont pas. Si vous regardez les exemples cités pour justifier ces changements, vous verrez qu'ils concernent des cabinets qui fournissaient des conseils en communication au gouvernement un jour et se présentaient le lendemain avec des clients payants pour intervenir auprès du gouvernement au sujet de la capacité en relations gouvernementales.

Ce projet de loi ne fait rien pour remédier à cette état de chose. À tout le moins, les cabinets qui sont payés pour fournir des services experts au gouvernement ne devraient pas être autorisés à accepter des paiements de sociétés privées pour faire du lobbying. Vous aurez beau dresser les pare-feu que vous voudrez, à moins d'une interdiction complète, vous serez comme un chien courant après sa queue.

La deuxième question dont j'aimerais traiter, et je suis sûr que mes collègues en parleront aussi, est le resserrement de la réglementation relative à la divulgation des activités. C'est beaucoup plus une notion abstraite car les détails seront prescrits par le nouveau commissaire au lobbying. Ce que nous savons, c'est que la loi actuelle exige que toute information recueillie soit communiquée au public, habituellement par affichage sur un site Internet. Si le comité admet la notion qu'il existe des renseignements sensibles d'intérêt commercial, alors il existe une relation directe entre le niveau de détail requis par les nouvelles contraintes déclaratoires et le risque d'une communication par inadvertance de cette information. Je me ferais un plaisir de revenir sur ce thème lors de la discussion.

En conclusion, il s'agit là clairement de trouver un équilibre entre des intérêts contradictoires. Le public a le droit de savoir et les sociétés ont le droit de communiquer avec les décideurs sans télégraphier leurs plans stratégiques et leurs intentions.

Je ne doute pas que le bon équilibre puisse être trouvé. Je ne crois pas que l'intention de ce projet de loi soit d'afficher des transcriptions de toutes les réunions sur un site Internet ouvert au public, mais en l'absence de règlements précis, nous ne pouvons perdre de vue cette possibilité.

L'analyse du projet de loi C-2 doit prendre en compte le contexte politique dans lequel il a été élaboré. Je reconnais que le projet de loi est politiquement habile et je l'admire pour cela. Mais pour bien servir les Canadiens — et c'est clairement là qu'intervient la lourde tâche du Sénat — il doit aussi être une politique rationnelle. Je souhaite bonne chance aux sénateurs dans ce rôle et me tiens à votre disposition pour une discussion plus détaillée de cet aspect.

Michael N. Murphy, vice-président exécutif, Politiques, Chambre de Commerce du Canada : Honorables sénateurs, c'est un grand plaisir pour moi de comparaître ce matin devant le comité pour vous faire part des vues de la Chambre de Commerce du Canada. Je ne prendrai pas beaucoup de temps pour vous parler de la représentativité de la Chambre sur le plan géographique et sur le plan de la taille ou du type des entreprises adhérentes. Sachez simplement que nous couvrons toute la gamme d'un bout à l'autre du pays.

De nombreux membres nous ont fait part de leur avis concernant ce projet de loi et une diversité de gens d'affaires ont exprimé des préoccupations. J'aimerais vous donner une idée de ces dernières.

Je commence par dire que nos membres considèrent que la prémisse fondamentale du projet de loi, à savoir une meilleure reddition de comptes, transparence et surveillance des opérations gouvernementales, est bonne. De fait, nous pouvons dire que les milieux d'affaires souscrivent de façon générale à nombre des mesures proposées. Les réformes touchant le financement des partis politiques, le rôle du commissaire à l'éthique, les sondages d'opinion et campagnes publicitaires du gouvernement, la protection des dénonciateurs et le renforcement des pouvoirs du vérificateur général sont et seront bien accueillies par un grand nombre de nos membres. En bref, la Chambre approuve les objectifs du projet de loi sur le plan d'une meilleure reddition de comptes gouvernementale.

Cependant, cela dit, nous avons quelques inquiétudes concernant la manière dont cette responsabilisation accrue sera mise en œuvre et l'effet de certaines propositions sur la relation entre le gouvernement fédéral et mes mandants, soit les milieux d'affaires.

Je commencerai par la question de la confidentialité, notre plus gros sujet d'inquiétude. Avec la portée accrue de la Loi sur l'accès à l'information, et plus particulièrement la création du commissaire au lobbying, nos membres craignent que l'information de nature confidentielle qu'ils fournissent à l'administration ne soit plus tard communiquée au public sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information.

Par exemple, le projet de loi C-2 prévoit que lorsque nos membres rencontrent certains responsables gouvernementaux, ils devront déclarer l'objet de la réunion, comme vous le savez. Parfois, lorsque des sociétés planifient des fusions, des acquisitions, des expansions, de nouvelles installations ou d'autres changements dans leur activité, elles souhaitent consulter les autorités pour s'assurer que leurs plans seront approuvés par l'administration, le cas échéant, ou déterminer quelles conditions sont à remplir pour obtenir l'agrément officiel. Nombre de ces discussions peuvent également mettre en jeu des décisions fiscales ou réglementaires. Ces sociétés pourraient hésiter à entreprendre ces discussions si elles savent que leurs concurrents risquent d'apprendre leurs plans d'affaires au moyen d'une demande d'accès à l'information.

La Chambre de Commerce du Canada espère que toute information de nature confidentielle fournie de bonne foi à l'administration restera confidentielle et ne sera pas communiquée au public. Ce genre d'information confidentielle devrait faire l'objet d'une dérogation à l'obligation de déclaration, qui serait similaire aux règles de divulgation prévues à l'article 20 de la Loi sur l'accès à l'information, par exemple.

L'article 20 de la Loi sur l'accès à l'information dresse la liste de plusieurs types de renseignements ne pouvant pas être rendus publics, entre autres : secrets industriels de tiers; renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers; renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité; et renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.

Le président : Monsieur Murphy, pourrais-je vous demander de ralentir un peu. Vos propos sont traduits. C'est juste pour faciliter les choses aux interprètes. Je ne vais pas vous interrompre, essayez seulement de ralentir.

M. Murphy : Je suppose que je suis plus habitué à la Chambre, monsieur le président.

À notre avis, il y aurait lieu de modifier le projet de loi C-2 de façon à mieux protéger la confidentialité des renseignements commerciaux.

Nous avons remarqué que l'on a ajouté Exportation et Développement Canada, EDC, à la liste des institutions qui sont exemptées de la divulgation de certains renseignements. À cet égard, nous appuyons le libellé actuel du projet de loi. La protection des renseignements sur les clients tiers, dans le cas de l'EDC, est essentielle et illustre l'importance de bien protéger les entreprises canadiennes qui communiquent avec le gouvernement fédéral. C'est ce que je veux faire ressortir en évoquant aujourd'hui EDC : c'est un exemple de l'amélioration qu'il faudrait apporter ici.

Si l'on néglige de les protéger adéquatement, il y a tout lieu de craindre un « refroidissement » des communications entre les entreprises et les titulaires de charge publique de haut rang, communications à la fois recherchées et utiles. Ces communications doivent faire partie intégrante du dialogue sur les politiques dans notre pays. Tout cela pourrait donc nuire à l'élaboration de bonnes politiques publiques au Canada. Même si tel n'est pas l'effet recherché, le projet de loi risque fort, nous le craignons, de refroidir le dialogue entre secteur public et secteur privé.

Un dernier point sur la protection des renseignements confidentiels ou commerciaux de nature exclusive : l'impact sur la compétitivité du Canada. Nous savons déjà que des entreprises étrangères font des demandes d'accès à l'information pour obtenir de précieux renseignements sur des entreprises canadiennes concurrentes. Le projet de loi C- 2 viendrait exacerber ce problème en leur ouvrant une autre porte d'accès qui leur donnerait un avantage concurrentiel. Si nos concurrents ne donnent pas cette possibilité sur leur propre territoire, pourquoi devrions-nous le faire chez nous?

Je vais parler brièvement de la Commission des nominations publiques. Je ferai une remarque avant de passer au sujet qui occupe le comité aujourd'hui.

Nous avons approuvé la création d'une Commission des nominations publiques mais avons profondément déploré la façon dont on a traité plus tôt cette année M. Gwyn Morgan, qui avait été nommé par le gouvernement pour présider cette nouvelle commission, suite à sa comparution devant le Comité permanent des opérations gouvernementales de la Chambre des communes. Outre le fait que le pays perd les talents exceptionnels de cet homme, nous nous inquiétons du message ainsi adressé aux Canadiens qui offrent de servir nos institutions publiques. Le refroidissement potentiel causé par la décision d'une poignée de députés pourrait nuire à notre capacité d'attirer des dirigeants de haut calibre provenant d'horizons divers.

Le projet de loi C-2 interdirait également aux ministres, à leur personnel et aux hauts fonctionnaires de faire du lobbying auprès du gouvernement du Canada pendant une période de cinq ans après la cessation de leurs fonctions. La Chambre de Commerce du Canada craint que cette interdiction ne limite le nombre de personnes qualifiées prêtes à entreprendre une carrière dans la fonction publique. En effet, si une personne se voir empêchée de travailler dans le domaine des relations publiques (ce pour quoi les anciens fonctionnaires sont souvent les mieux qualifiés), elle hésitera à accepter un emploi dans la fonction publique. Cela signifie que le bassin de titulaires potentiels d'une charge publique sera réduit et que les plus qualifiés pour ces postes hésiteront à les postuler. Nous préconisons de réduire la période d'exclusion à deux ans, ce qui nous paraît plus raisonnable. Nous pourrons en reparler plus tard.

En ce qui concerne l'alourdissement des formalités administratives que le projet de loi pourrait occasionner, la Chambre de Commerce du Canada remarque qu'en vertu des nouvelles dispositions, les personnes qui rencontrent ou ont des contacts avec des hauts fonctionnaires devront déclarer leurs communications avec ceux-ci dans un court délai, en précisant leur type et leur objet. Cette formalité administrative supplémentaire qui oblige à tenir le compte des réunions avec des représentants du gouvernement, risque d'imposer un fardeau à maintes petites entreprises. La majorité de nos 170 000 membres sont des petites entreprises, certaines très petites, comme vous pouvez l'imaginer vu la taille de notre économie et la grande place que les petites entreprises y occupent. Nous craignons que cela érige une barrière dans ce domaine. Nous ne perdons pas de vue le risque d'accroître le fardeau de ces entreprises et nous espérons que l'on en tiendra compte dans le texte de la loi et, ensuite, dans les règlements d'application.

La CCC espère que les renseignements exigés dans ces déclarations seront maintenus au minimum et que les procédures s'y rapportant seront rationalisées, conviviales et qu'elles ne créeront pas une barrière pour ceux qui souhaitent communiquer avec des hauts fonctionnaires. Il faudra trouver le juste équilibre entre le système de freins et de contrepoids que cherche à établir la législation proposée et la probabilité d'alourdir les formalités administratives en tant que fin en soi.

Je vous remercie, monsieur le président et honorables sénateurs, de l'invitation à comparaître aujourd'hui pour traiter de cette question importante. Nous vous remercions de votre attention et nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci de cet exposé. Comme vous le savez, j'ai posé un certain nombre de questions à divers témoins, leur demandant si les obligations déclaratoires risqueraient de compromettre des renseignements commerciaux sensibles. J'ai été ravi d'entendre le point de vue de la Chambre de Commerce du Canada à ce sujet aujourd'hui.

Monsieur Duguay, veuillez faire votre exposé.

[Français]

Leo Duguay, président, Institut de relations gouvernementales du Canada : Honorables sénateurs, merci de nous donner la chance de comparaître devant votre comité.

Je n'ai pas l'intention de reprendre la présentation déjà faite devant la Chambre des communes. Vous en avez déjà une copie.

Vous avez également copie d'une lettre en réponse aux questions qu'on nous a posées au comité de la Chambre des communes.

[Traduction]

Notre association se targue du fait d'avoir appuyé tous les changements à la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes depuis son adoption, et celui-ci ne fait pas exception. Nous souscrivons sans réserve au principe de la transparence et de la responsabilité. Ce sont là les attributs qui font du lobbying une profession légitime. La Chambre des communes et le Sénat l'ont réitéré de façon répétée en adoptant divers projets de loi, dont le préambule de la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes qui affirme que le lobbying auprès des titulaires d'une charge publique constitue une activité légitime.

Il est souhaitable que les titulaires de charge publique et le public lui-même sachent qui se livre à des activités de lobbying. Un système d'enregistrement des lobbyistes rémunérés ne devrait pas entraver l'accès libre et transparent au gouvernement. Ce sont là les principes sur la base desquels nous travaillons.

Je me hâte d'ajouter que les Canadiens en savent déjà beaucoup sur les lobbyistes : ils savent qui nous sommes, quels cabinets nous représentons, qui sont nos clients et quels politiques, programmes et lois nous cherchons à influencer. Tout cela est déjà couvert dans la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes. Nous rappelons souvent aux gens qu'un surcroît de renseignements sur nous n'équivaut pas nécessairement à une meilleure information. Les sénateurs ne devront pas perdre de vue le fait que l'on peut bien nous demander de fournir davantage d'information, mais que cela ne sera pas nécessairement dans l'intérêt public.

Je vais mettre en lumière deux ou trois éléments primordiaux de notre mémoire. La Chambre des communes a demandé à l'IRGC quel serait le coût de la déclaration des contacts. En réalité, la Chambre demandait probablement notre avis sur l'équilibre à trouver entre l'intérêt public et le fardeau réglementaire, car s'il devient trop difficile de se conformer au règlement, l'intérêt public ne sera pas forcément servi s'il y a un risque que les gens travaillent au noir. Différents pays à travers le monde n'ont pas adopté des règles comptables transparentes et c'est pourquoi une bonne partie de leur économie est souterraine. Je me hâte d'ajouter qu'une grande partie du travail de lobbying au Canada était souterrain dans ma jeunesse.

En ce qui concerne les communications commercialement sensibles, j'en dresse une courte liste à l'intention du comité : entretiens sur les règlements et politiques en rapport avec des fusions ou acquisitions; introduction de nouveaux produits, par exemple vaccins, médicaments ou dispositifs environnementaux; stratégies d'entreprise; affaires fiscales de personnes ou de sociétés; affaires de sécurité nationale; enfin, toute idée créative comportant un changement réglementaire ou légal émanant d'une société ou d'une association sans but lucratif. Ces six exemples représentent le genre de choses commercialement sensibles dont mes clients et moi avons discuté avec les pouvoirs publics au cours des 18 dernières années. Si de tels sujets étaient dévoilés prématurément, cela entraînerait des problèmes. Nous invitons le comité à chercher les moyens de prévenir la divulgation prématurée de ces sujets.

Rétrospectivement, nul d'entre nous n'aurait des difficultés à déclarer avoir fait une présentation il y a quatre mois sur un sujet donné, et le public a le droit de savoir que nous l'avons fait une fois que la date limite pour l'introduction de tel nouveau produit ou de telle règle fiscale est passée. Nous ne serions pas opposés à cette publicité rétrospective; mais les affaires commercialement sensibles sont souvent tributaires du temps, et cela peut donner aux sénateurs une marge de manœuvre pour régler ce problème. Nous préconisons donc que l'information visée par le paragraphe proposé ne soit divulguée qu'aux termes de l'article 20 de la Loi sur l'accès à l'information qui décrit les renseignements commercialement sensibles.

Nous ne disons pas que le Parlement devrait changer les lois. Nous n'avons pas d'objection fondamentale à ce que l'on demande aux lobbyistes une plus grande transparence ou reddition de comptes. Mais nous voulons que les sénateurs soient conscients du fait que nos clients ont des renseignements commercialement sensibles et que la communication prématurée de cette information pourrait causer des problèmes commerciaux considérables. M. Murphy a parlé de l'accès à l'information et de la crainte qu'une compagnie puisse mettre ainsi la main sur des renseignements qu'une autre hériterait à communiquer.

Le président : Merci. Monsieur Duguay, vous avez dit que peut-être le comité pourrait chercher des façons de prévenir une divulgation prématurée. Vous n'êtes pas le premier témoin à nous le suggérer. Comme vous le savez sans doute, M. Nelson a comparu hier et a indiqué que nous pourrions, à l'égard des renseignements sensibles, faire la même chose que le Québec : permettre de faire des présentations au commissaire à l'effet que les renseignements sensibles soient déclarés, mais non versés au registre public. Avez-vous connaissance de cette idée? J'aimerais entendre la réaction de chaque témoin à cela.

M. Duguay : M. Nelson, les membres de notre conseil et moi-même avons discuté de cela à plusieurs reprises et ce serait parfaitement acceptable.

M. Jordan : C'est certainement l'une des options que j'ai envisagées. La difficulté est que cela exigerait un amendement au texte actuel du projet de loi qui impose au commissaire de divulguer toute l'information qu'il reçoit. Ce serait un remède structurel.

Ce serait semblable au code sur les conflits d'intérêts des députés et sénateurs. En tant que titulaires de charge publique, vous donnez toutes sortes de renseignements financiers sur votre portefeuille et celui de votre conjoint. Ces renseignements sont déclarés mais seul un résumé est rendu public. Il y a donc un précédent à une telle approche. J'imagine qu'il y aurait une résistance en ce sens que l'on demanderait si vous fournissez suffisamment de renseignements pour satisfaire le droit du public de savoir.

M. Murphy : C'est un point important et nous serions d'accord pour cela. À l'évidence, l'objectif doit être de ne pas compromettre les intérêts commerciaux des entreprises canadiennes. Ce serait une façon d'y parvenir. Le Québec a trouvé un moyen de le faire dans sa législation actuelle. Ce serait certainement acceptable à nos yeux.

Le sénateur Campbell : Monsieur Jordan, je crois que M. Beatty va comparaître devant le comité à une date ultérieure, mais d'aucuns ont estimé que le projet de loi pourrait amener des lobbyistes à « entrer dans la clandestinité ». Je ne sais pas si c'est vraisemblable ou non. Pour éviter cela, je me demande si le projet de loi ne devrait pas obliger les titulaires de charge publique de haut rang de déclarer, mensuellement, leurs contacts — c'est-à-dire les personnes avec lesquelles ils ont communiqué — afin que le commissaire au lobbying puisse disposer d'un moyen de vérification. Il me semble que l'on impose toujours tout le fardeau aux lobbyistes, et aucun à la personne qui fait l'objet du lobbying. Pensez-vous que ce serait raisonnable?

M. Jordan : Je pense pouvoir parler de ce problème. Je ne veux pas employer ici l'argument économique. Cette méthode comporterait un coût énorme, qui serait prélevé sur d'autres choses. À mon point de vue, cela réglerait certainement en grande partie le problème. Si vous recherchez les lobbyistes non enregistrés, pour pourriez certainement dépister ces contacts, absolument, et le commissaire pourrait comparer les listes. Ce pourrait être une façon plus simple de le faire. Vous avez aussi une catégorie de personnes qui se livrent légitimement à ces activités mais ne dépassent pas le seuil de 20 p. 100. C'est un autre aspect que vous pourriez examiner. Cependant, votre idée bouclerait certainement cette boucle.

Le sénateur Campbell : En fait, si la personne faisant l'objet du contact devait le déclarer, il incomberait alors au commissaire de déterminer si le seuil de 20 p. 100 est dépassé ou non et qui le dépasse. En fait, vous pourriez dépister tout le monde.

M. Jordan : Absolument. Ce serait une règle d'exception. On sanctionnerait ceux qui dépassent.

M. Duguay : Pourrais-je ajouter un mot, sénateur? Nous constatons déjà que la plupart des titulaires de charge publique nous demandent : « Pour le compte de qui nous appelez-vous? » Ils sont nombreux à nous demander notre numéro d'enregistrement et qui sont nos clients.

Je suis personnellement très heureux que, l'an dernier, nous ayons réussi à amener les journaux à utiliser le terme « lobbyiste non enregistré ». Nombre de ceux qui donnent mauvaise réputation à la profession ne sont pas des lobbyistes enregistrés. Les lobbyistes inscrits sont très désireux de se conformer à toutes les règles. Il existe dans le Code criminel des dispositions réprimant le trafic d'influence. Elles existent depuis longtemps. Un grand nombre des accusations portées contre les lobbyistes auraient dû faire l'objet de poursuites en justice.

Le sénateur Campbell : Je ne conteste pas ce que vous dites, mais je ne vois pas comment ce projet de loi va empêcher quelqu'un de glisser une enveloppe d'argent sous la table. Si vous voulez être filou, vous serez filou, et aucune loi ne va vous arrêter.

Monsieur Jordan, j'ai une autre question découlant de votre article « Puis-je aller voir un match de hockey? » Vous allez voir un match de hockey avec des sénateurs ou des hauts fonctionnaires — les Sénateurs étant l'équipe de hockey, non les parlementaires — et vous tombez sur quelqu'un et présentez cela comme une intervention fortuite d'un contribuable. Quiconque a jamais été politicien, comme vous dites, comprend cela. Ma question est soulevée dans cet article. Sur le plan de la divulgation, vous dites que cela dépend réellement de la définition que vous vous appliquez : êtes-vous titulaire de charge publique selon la définition de la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, ou un titulaire de charge publique de haut rang tel que défini par les modifications apportées par la Loi sur la responsabilité à la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, ou bien un titulaire de charge publique tel que défini par la Loi sur le Parlement du Canada, ou bien un titulaire de charge publique tel que défini par la Loi sur la responsabilité, ou un titulaire de charge publique tel que défini par la partie II du Code sur les conflits d'intérêts et l'après-mandat pour les titulaires de charge publique, ou bien un titulaire de charge publique déclarant tel que défini par la Loi sur la responsabilité?

Est-ce vrai? Existe-t-il tellement de textes différents contenant des définitions?

M. Jordan : Pour autant que je sache, c'est vrai. C'est ce que j'essayais de faire ressortir.

Le sénateur Campbell : Comment vous y retrouvez-vous? Il vous faudrait une liste longue comme le bras pour parvenir à une conclusion. Vous devenez une personne différente en vertu de chacune de ces différentes lois. Avez-vous une solution?

M. Jordan : Le problème tient en partie au fait qu'il existe des codes de conduite contenant des définitions mais qui n'ont pas force de loi. Il y a la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, que vous êtes en train de remanier, et le projet de loi de modification définit de nouvelles catégories de titulaires de charge publique. C'est dans la nature de l'évolution du processus. Il serait peut-être plus rationnel de procéder en sens inverse. C'est pourquoi j'ai préconisé qu'au moins une de ces lois définisse le lobbying. Vous pourriez passer beaucoup de temps à construire un mécanisme pour encadrer et sanctionner, mais sans une définition claire du lobbying, vous aurez construit votre édifice sur du sable.

M. Duguay a raison de dire que ceux d'entre nous qui sommes actuellement inscrits au registre feront exactement ce que vous nous dites de faire. Ce n'est pas dans notre intérêt de ne pas le faire. Ma crainte est que vous ne capturiez pas ainsi les plus gros contrevenants, comme mon exemple des cabinets qui se font payer pour aider le gouvernement à élaborer la stratégie de communication concernant des politiques futures et puis, sachant ce que sont ces politiques futures, font également du travail de relations gouvernementales et se font payer par des sociétés pour les aider à anticiper ce que le gouvernement pourrait faire.

J'invite le comité à se pencher sur les exemples connus que l'on cite pour justifier ces changements, et je peux pratiquement vous garantir que c'est cela que vous trouverez. Ce ne sont pas les sociétés de relations gouvernementales qui causent le problème ici, mais des sociétés qui se livrent à diverses activités. Je suggère, et je parle là en mon nom personnel et non en celui de l'association, de ne pas autoriser les compagnies à se faire payer pour aider le gouvernement puis à se faire payer par des entreprises pour anticiper ce que le gouvernement va faire. Si vous disposez d'un temps limité et que vous voulez améliorer la situation, vous pourriez peut-être vous pencher sur ce problème. Ce ne sera pas aussi politiquement payant que de faire claquer le fouet, mais en fin de compte vous rendrez peut-être un meilleur service aux Canadiens.

Le sénateur Zimmer : Bienvenue, et merci à vous tous de vos exposés. J'aimerais saluer deux vieux amis. Monsieur Jordan, il est bon de vous revoir et, vous, monsieur Duguay, un collègue manitobain de longue date. Je n'exprime pas en le disant un conflit d'intérêts, mais je suis ravi de voir mes vieux amis. Je ne suis partie à aucune de leurs activités de lobbying.

Monsieur Jordan, vous avez fait état de l'interdiction de cinq ans. Qu'en pensez-vous? M. Murphy a dit qu'elle devrait probablement être de deux ans. Je serais intéressé d'avoir votre opinion sur une interdiction de cinq ans. Est-ce trop long ou trop court?

M. Jordan : Je ne me prononce pas sur la politique qui sous-tend cela. Mais je penche plutôt pour la position de la Chambre de Commerce du Canadas. Cinq années, c'est long.

Lorsque j'ai quitté mon poste de membre exonéré d'un cabinet de ministre, soit un poste de titulaire de charge publique de haut rang, il m'était interdit pendant un an de faire du lobbying sur des dossiers et auprès de personnes avec lesquelles j'avais traité en ma capacité de directeur des affaires parlementaires. J'ai dû m'asseoir avec le commissaire à l'éthique à trois reprises pour passer en revue tout ce que j'avais fait. Ensuite, j'ai reçu une lettre disant que pendant les 12 prochains mois je ne pouvais communiquer avec ces personnes, groupes ou ministères.

Porter ce délai à deux ans et rendre l'interdiction totale est peut-être une bonne chose, mais pas nécessairement; il faut y réfléchir. Si le risque d'abus est si grave qu'une interdiction totale de cinq ans est nécessaire pour quiconque occupe un tel poste, et pose même un risque si grave qu'il faut rendre l'interdiction rétroactive, alors englobons-y les députés et les sénateurs. Vous me dites qu'un jeune employé de 20 ans qui tient l'agenda d'un ministre accumule plus de capital politique qu'un député d'arrière-banc? Les députés devraient organiser une manifestation de protestation car eux aussi savent des choses. Si le risque est si grave, sénateur Zimmer, alors englobez-y les parlementaires. Cela n'a pas de sens de s'en prendre aux membres des cabinets uniquement, alors que, selon mon expérience, ils passent une grande partie de leur temps à se bagarrer avec la bureaucratie parce qu'ils défendent les intérêts de leur ministre contre ceux du ministère. Ce n'est pas toujours une situation de copinage.

Le public peut penser que l'interdiction de cinq ans a l'air judicieuse et serait une bonne chose — comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, c'est « de la bonne politique » — mais si vous pensez véritablement que c'est si grave, alors élargissez l'interdiction de cinq ans et englobez-y les députés et les sénateurs. Personnellement, je trouve que cinq ans, c'est trop long.

Le président : Hier, l'un des témoins a employé l'expression « capital de réseautage », considérant le carnet d'adresses comme un capital. Pensez-vous que cela s'applique à tous ceux qui travaillent dans un cabinet de ministre? Ont-ils tous un « capital de réseautage »?

M. Jordan : Oui, absolument, tout comme les députés et les sénateurs ont un capital de réseautage. C'est dans la nature des choses.

M. Duguay : Tout comme les anciens joueurs de hockey.

Le sénateur Zimmer : Un autre résultat d'une si longue interdiction pourrait être que l'échange de cadres entre le secteur public et le secteur privé cesserait.

Lisa Stilborne, vice-présidente, Institut des relations gouvernementales du Canada : Les titulaires de charge publique prêtent le serment de garder confidentiel ce qu'ils ont pu apprendre dans l'exercice de leurs fonctions. De quoi a-t-on peur? Je suis d'accord avec ce que M. Duguay, M. Jordan et M. Murphy ont dit. Pourquoi cette disposition a-t-elle été introduite? Quel est l'objectif? Elle peut avoir des conséquences imprévues. Il existe un capital de réseautage dans les entreprises ou dans tout autre secteur, y compris ceux du sport et du spectacle. La crainte est-elle que l'information du jour soit encore d'actualité pendant cinq ans et divulguée d'une façon ou d'une autre? Les titulaires de charge publique prêtent un serment qui les lie lorsqu'ils quittent le gouvernement. L'éventail des titulaires de charge publique qui devraient être astreints à une période de refroidissement est beaucoup plus large.

Vous êtes nombreux autour de la table à savoir que quantité de personnes auraient voulu aider le nouveau gouvernement pendant la courte période de transition. Ces gens auraient contribué au processus d'élaboration des politiques en vue d'apprendre et d'accumuler de l'expérience. Ils ont probablement résisté à cet attrait à cause de l'interdiction de cinq ans. Je fais remarquer que l'interdiction a été élargie pour couvrir ceux qui participaient à l'équipe de transition, ce qui est déjà contestable en soi, mais d'appliquer cela de manière rétroactive est hautement contestable. Le comité voudra peut-être réfléchir également à cet aspect.

M. Duguay : Bien que j'aie nourri pendant la plus grande partie de ma vie la présomption que ceux d'entre nous qui avons été titulaires de charge publique savions beaucoup de choses, dans mes moments de grande lucidité je dois admettre que nous ne savions pas grand-chose.

Le sénateur Zimmer : Monsieur Murphy, vous faites valoir à juste titre que cela pourrait limiter le nombre de gens qualifiés désireux de faire carrière et de contribuer leurs connaissances au gouvernement.

M. Murphy : Nous intervenons pour le compte des entreprises sur le plan de la politique publique, ce qui nous amène à aborder en leur nom une grande diversité d'enjeux et de questions administratives. Ce qui importe, au sein de ce système, c'est que la capacité d'élaboration des politiques publiques soit aussi robuste que possible, afin que le travail soit bien fait et que le gouvernement puisse prendre les bonnes décisions qui s'imposent. Il faut un système qui encourage les meilleurs à travailler en son sein.

De temps à autre survient une mesure qui peut se répercuter en mal sur le travail qui est nécessaire, et il faut donc être attentif et se demander quels étaient les motifs au départ et s'il ne pourrait y avoir des conséquences imprévues pouvant nuire à quelque chose d'aussi important que la capacité de formulation de la politique publique fédérale dans ce pays.

Le sénateur Zimmer : Monsieur Duguay, dans le témoignage que vous avez donné il y a quatre mois, en mai, concernant le dépôt des déclarations, vous avez dit qu'au lieu de prescrire dans le projet de loi un délai précis de production, cela devrait être laissé à la discrétion du commissaire au lobbying, lequel tiendrait compte des sensibilités commerciales. Que répondez-vous à ceux qui disent que l'absence de délai pourrait entraîner un recours abusif aux exemptions commerciales?

M. Duguay : Si le nouveau commissaire était un mandataire du Parlement, alors je suppose que le Parlement aurait une certaine confiance en cette personne et lui demanderait ensuite d'expliquer ses décisions. Je reviens à ce que j'ai dit au début, à savoir que ces dérogations devraient être rendues publiques rétrospectivement, si bien qu'à la fin d'une année donnée, le mandataire du Parlement serait tenu de remettre aux députés et aux sénateurs une liste des cas examinés, indiquant qui a reçu la dérogation et pourquoi.

Le sénateur Zimmer : Merci de votre franchise.

Le sénateur Joyal : Monsieur Jordan et monsieur Duguay, j'aimerais poursuivre la discussion sur la durée de l'interdiction de cinq ans. Nous avons abordé cette question déjà hier avec nos témoins. Peut-être savez-vous ce qu'ils ont dit. Le principe fondamental est qu'une personne ayant travaillé au niveau gouvernemental, que ce soit à la Chambre des communes ou au Sénat ou dans un cabinet de ministre, ne devrait pas se trouver en situation d'utiliser son carnet d'adresses gouvernementales dans le même secteur d'activité.

Comme vous l'avez dit, monsieur Jordan, il est aberrant d'appliquer l'interdiction de cinq ans à l'adjoint d'un ministre alors qu'un sénateur ou un député, dont le réseau peut être beaucoup plus large, pourrait démissionner et immédiatement passer dans le secteur privé et mettre à profit ce réseau. Soit le principe est valide, soit il ne l'est pas. Comment peut-on équilibrer le système? Quelqu'un doit se faire l'arbitre et décider quelle limite imposer aux activités de la personne.

Il faudrait poser le principe, puis donner au commissaire le pouvoir d'arbitrer et fixer des limites raisonnables pour une durée raisonnable. Il faut une période de temps, des critères objectifs et le pouvoir du commissaire d'examiner et trancher chaque cas.

Personnellement, je suis en faveur d'inclure les députés et sénateurs. Les sénateurs sont visibles et les députés le sont encore plus. Il est difficile au public de faire confiance au gouvernement lorsque, par exemple, quelqu'un travaillant sur la santé se voit battu aux élections, démissionne ou ne se représente pas, puis réapparaît 30 jours après au nom d'une société ou d'un groupe actif dans le domaine de la santé; cela donne l'impression qu'il existe une porte tournante entre les secteurs public et privé. Et c'est davantage le cas lorsqu'il s'agit d'un député ou d'un sénateur que d'un employé anonyme d'un cabinet de ministre. Si nous adoptons pour principe la transparence, c'est là un cas qui mérite réflexion.

En revanche, il ne faut pas non plus être injuste. Un député qui vient d'être battu reçoit une indemnité de plusieurs mois de salaire. Un sénateur, s'il a siégé pendant une période minimale, touche une pension. Il y a une compensation pour quelqu'un qui se voit privé de chercher un travail honnête dans notre économie. Mais il se pose une question d'équilibre. Cinq années, c'est très long, surtout si, comme M. Murphy l'a dit, la personne ne fait pas de lobbying dans le même secteur. Si vous êtes sous-ministre de la Défense et que vous travaillez pour des fournisseurs d'armements, quelqu'un dira qu'une période d'attente est normale. Le commissaire de la fonction publique est de cet avis. Nous comprenons le principe des cinq années. Il s'agit d'établir une période de refroidissement et d'attendre le changement de la garde dans le ministère.

Si l'on veut être raisonnable, il faut des gradations dans le système. L'objectif est d'assurer la transparence tout en se montrant raisonnable.

Si l'on va avoir une interdiction de cinq ans, elle viserait les personnes qui sont actives dans le même milieu que celui dont elles étaient responsables au gouvernement. Il pourrait y avoir une autre période pour des gens qui ne sont pas actifs dans ce milieu, et dans le cas des députés et sénateurs, il y aurait une autorité d'arbitrage. Mais imposer une interdiction générale me paraît déraisonnable, sur la foi de mon expérience personnelle de parlementaire.

M. Duguay : Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit. Il faut trouver un équilibre.

J'ajouterais une autre considération. Je travaille dans ce secteur depuis 1991 et j'ai l'impression que l'idée que les gens se font des lobbyistes c'est que, chaque fois que nous ouvrons la bouche, c'est pour dire de mauvaises choses, exercer une mauvaise influence. J'affirme au contraire que souvent nous faisons de bonnes choses.

Nous travaillons pour des associations sans but lucratif et pour des sociétés qui éprouvent véritablement des problèmes que le gouvernement ignorait. Nous portons souvent à l'attention du gouvernement des idées excellentes et proposons des mesures réellement positives. Cela aussi devrait être pris en considération, au lieu du mythe que les lobbyistes ne font rien d'autres que d'arpenter les coulisses, de trouver leurs vieux amis, de les rencontrer à minuit dans un bar et de régler les problèmes de tous ces riches, en s'enrichissant eux-mêmes. Si c'était vrai, je serais dans les Caraïbes en train de dépenser tout l'agent que j'aurais gagné. Mais ce n'est pas ainsi que les choses se passent.

Pour en revenir à la période de refroidissement, nous convenons qu'il en faut une. Quant à sa durée, deux, trois ou cinq ans, tout ce que nous pouvons dire c'est que dans l'industrie, où ces choses sont prises au sérieux, il est inhabituel de voir une période de distanciation supérieure à deux ans.

Le sénateur Joyal : C'était ma deuxième question. Quelle durée faut-il adopter, par comparaison à ce qui existe au niveau provincial et à l'étranger?

M. Jordan : Je suis heureux que vous mettiez l'accent là-dessus. Ce dont il est question ici, c'est de priver quelqu'un du droit de gagner sa vie et je ne pense pas qu'il faille le faire à la légère.

Nous sommes passés du cadre actuel, soit une restriction d'un an pour les titulaires de charge publique ou le personnel exonéré, pendant laquelle ils ne peuvent se livrer à des activités de lobbying auprès de personnes avec qui ils étaient en contact dans l'exercice de leurs fonctions, et une interdiction de deux ans pour les ministres, à une interdiction totale de cinq ans.

Si vous vous interrogez sur les motifs qui nous amènent, en tant que lobbyistes enregistrés, à dire que c'est un délai trop long, je crois que nous jouissons d'une certaine crédibilité. Si vous voulez fermer la porte derrière moi et empêcher quiconque d'autre de venir me concurrencer, vous me ferez une énorme faveur. Mon capital politique croîtra énormément en valeur car personne d'autre ayant mon expérience politique ne viendra me concurrencer.

Si je voulais servir mes intérêts, je vous dirais oui, soyez plus restrictifs. Cependant, je crois que cinq années, c'est trop long. Vous pourriez imposer une interdiction totale de deux ans, mais sauter jusqu'à cinq ans est sans commune mesure.

Vous resserrez aussi simultanément la réglementation dans d'autres domaines. C'est un grand bouleversement. Il est parfois difficile de voir où cela va nous mener.

Je trouve l'interdiction de cinq ans excessive. Une interdiction totale de deux ans accomplirait ce que ce projet de loi cherche à faire.

Le sénateur Joyal : Nous sommes nombreux autour de cette table à avoir pris part aux débats antérieurs sur les conflits d'intérêts. Nous voulons éviter d'y revenir ici.

Laissez-moi vous donner un exemple : nous, sénateurs, sommes empêchés de siéger au conseil d'administration de sociétés sans but lucratif susceptibles de demander une assistance gouvernementale. Nous sommes nombreux à avoir vécu cette expérience. Nous participons tous à la vie de nos collectivités respectives, mais une fois que nous devenons sénateurs, nous ne pouvons plus siéger au conseil d'organismes sans but lucratif. Cependant, lorsque nous cessons d'être sénateurs ou députés, nous pouvons le faire et intervenir auprès du ministère dont nous pensons qu'il pourrait offrir un soutien. Il y a là une incohérence.

Il devrait exister une période d'interdiction pour les sénateurs et les députés si l'on veut être logique; sinon, aux yeux du public, nous resterons toujours dans une situation d'ombre et de confusion.

Notre approche doit être rationnelle et cohérente. Je pense qu'il nous faut fixer une période d'interdiction maximale pour les titulaires de charge publique, les ministres et peut-être quelques autres, qui n'auraient pas le droit de faire du lobbying dans le même domaine que celui pour lequel ils prenaient des décisions. Un deuxième palier empêcherait le lobbying pour une durée raisonnable, mais plus courte. Ensuite, il y aurait une période sujette à arbitrage. Autrement dit, il y aurait un arbitrage, une décision arbitrale, parce que cette personne n'aura pas occupé un poste autorisant la création d'un réseau ou donnant lieu à une perception. Si la démarche n'est pas rationnelle, on va obscurcir le système, passer à côté des objectifs recherchés mais priver néanmoins les gens de leurs droits.

Ma deuxième question porte sur la durée. Monsieur Murphy, vous avez estimé que deux ans, la période appliquée aux comptables, serait raisonnable. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ou précédents dans d'autres secteurs à l'appui d'une interdiction de deux ans?

M. Murphy : Je n'ai pas d'exemple précis qui puisse s'appliquer directement au choix par le gouvernement d'une durée de deux ans.

Nous avons des règles au Canada pour les hauts fonctionnaires et d'autres qui ne sont pas autorisés à faire du lobbying auprès de leur ministère pendant un an. M. Jordan a indiqué ce qui se passe dans le cas des ex-députés.

Il existe toutes sortes de règles. Il y a les pratiques du secteur privé, comme M. Duguay l'a mentionné, et les vérificateurs comptables qui sont soumis à une période d'attente avant de pouvoir retourner dans certains domaines du monde de l'entreprise. Il y a de nombreux exemples de cette sorte, qui vont dans toutes les directions. Il n'y a pas de chiffre magique.

Nous avons retenu deux ans parce que — je parle franchement — elle est beaucoup plus courte que cinq ans. Vous avez utilisé une excellente expression : « une période de refroidissement ». À notre avis, cinq ans, c'est davantage une glaciation qu'un refroidissement. Quel que soit le terme applicable, c'est nettement excessif.

Les motifs qui ont amené à choisir cinq ans sont également un gros sujet de préoccupation. C'est comme si le système actuel était si profondément vicié qu'il faut aller jusqu'à l'extrême d'une période quinquennale et je crois que, lorsque ce chiffre a été choisi, l'on n'a pas suffisamment réfléchi aux répercussions.

Le sénateur Joyal : Pouvez-vous nous citer des précédents américains d'une interdiction aussi longue?

M. Murphy : Je n'en connais pas, mais cela ne signifie pas qu'il n'en existe pas. Simplement, je n'ai pas fait ces recherches. Je suis sûr qu'on pourrait le vérifier.

M. Duguay : Je ne peut pas vous donner de renseignements précis, mais je peux vous dire que l'ancien commissaire, M. Wilson, a fait un travail considérable sur ce sujet. Vous l'avez reçu comme témoin et vous pourriez lui demander.

D'après ce que notre association a observé, le Canada a probablement dix années d'avance sur tout autre pays du monde sur le plan de l'enregistrement des lobbyistes. L'Europe envisage maintenant une loi qui serait exactement le pendant de celle que nous avions au tout début, en 1997. En matière de contrôle des activités de lobbying, le Canada est le chef de file mondial.

Le sénateur Joyal : Monsieur Jordan, avez-vous des renseignements supplémentaires sur ce sujet?

M. Jordan : Non, mais en ce qui concerne votre idée des divers paliers, de la flexibilité et de la recherche d'un équilibre qui ne serait pas exactement le même dans tous les cas, je fais valoir que nous voyons une succession de gouvernements minoritaires. Vous pourriez vous retrouver dans une situation où quelqu'un est élu député un jour et perd son siège un mois plus tard. Cette personne subira alors une interdiction de cinq ans. Il faut un mécanisme d'arbitrage. Je pense que vous avez bien expliqué cela. Si l'on craint des abus, le commissaire pourrait comparaître à huis clos devant les comités du Sénat et de la Chambre des communes et passer en revue les dérogations pour donner aux gens l'assurance qu'il n'y a pas là d'abus de pouvoir. Il y a des façons de s'y prendre, mais initialement il faut une discussion sur l'objectif poursuivi. Si l'on n'englobe pas les députés et les sénateurs, l'argumentation s'effondre, et je pense qu'il faut considérer cela.

Le sénateur Andreychuk : Nous pouvons discuter de l'opportunité d'une période de deux ans ou cinq ans, mais le gouvernement a usé de son jugement pour décider où tirer le trait. Nous pouvons lui dire notre sentiment et lui dire que c'est juste ou non. Je n'ai absolument aucune objection à englober les députés et sénateurs dans cette catégorie. C'est rationnel. Il peut exister d'autres façons de le faire dans d'autres textes de loi. Cela ne doit pas nécessairement être spécifié ici, on pourrait peut-être le faire au moyen des codes de conduite, et cetera.

Nous parlons ici du droit de quelqu'un qui est entré dans un système de gagner sa vie. Je dois dire franchement que les membres du public avec qui je parle admettent certes que ceux qui occupent des postes dans et autour du système politique possèdent des aptitudes, mais ils ont aussi leurs « entrées », comme on dit. Ceux que l'on choisit pour travailler dans un cabinet ont un penchant politique ou idéologique.

Il est bien connu que les adjoints exécutifs et autres attachés auprès d'un ministre ou d'un parlementaire sont le conduit entre le ministre et la fonction publique. J'ai travaillé dans la fonction publique fédérale et je suis parlementaire. Les gens me disent : « Nous pouvons élire ou choisir de ne pas élire un ministre; un fonctionnaire est assujetti à la Commission de la fonction publique, et cetera. Cependant, toutes les éminences grises qui exercent des pouvoirs entre les deux — nous ne savons pas comment ils sont arrivés là ». Les gens sont fâchés lorsqu'ils voient les mêmes faire du lobbying après leur départ de la Colline. N'est-ce pas là l'un des problèmes que nous cherchons à régler? Je peux vous dire, plus ou moins facétieusement, que la série Yes, Minister est suivie d'un bout à l'autre du pays, « religieusement », comme quelqu'un me l'a dit. C'est peut-être une perception plutôt qu'une réalité, mais elle imprègne tout le pays.

M. Jordan : Je ne préconisais pas de le faire ailleurs que dans ce projet de loi. Le personnel exonéré des ministres et les titulaires de charge publique de haut rang seront visés par ce projet de loi, de par la définition donnée, et ils auront cette interdiction quinquennale. Pourquoi les députés et les sénateurs ne seraient-ils pas englobés aussi? C'est la question que je pose. Je conviens avec vous que la décision de restreindre des droits par une loi est prise lorsque les risques d'abus dépassent un certain seuil de gravité. Si le problème est si sérieux qu'il faut user d'un instrument aussi percutant, j'ai du mal à comprendre la logique de l'exclusion des députés et sénateurs. On peut discuter des détails, soit une durée de deux ou cinq ans, mais si vous revenez à la motivation initiale, au principe lui-même, je ne comprends pas la logique. J'ai placé en opposition l'opportunité politicienne et l'opportunité politique. Vous pouvez bien placer une affiche dans la vitrine disant « Nous allons régler ce problème » et cela sera très bien reçu par l'électorat, vu l'ambiance actuelle, mais à plus long terme, si vous cherchez réellement à résoudre un problème, soit vous élargissez le champ à tous ceux qui peuvent potentiellement constituer des réseaux et du capital politique, ou bien vous revoyez la lourdeur de l'instrument pour peut-être trouver un point d'équilibre ou déterminer des critères pour établir un point d'équilibre.

Le sénateur Andreychuk : J'apprécie ce que vous dites sur l'inclusion. Je ne vois aucune raison pour laquelle nous ne le serions pas.

M. Duguay : Il y a des cas simples et des cas compliqués. Est-ce que le sous-ministre adjoint responsable de l'homologation des médicaments, après son départ à la retraite lundi, devrait se mettre au service d'une compagnie pharmaceutique? Est-ce que l'officier responsable des achats d'hélicoptères devrait, moins de trois mois après, aider une société concurrente à faire le travail? Voilà les cas simples.

L'équilibre que nous recherchons veut que, dans les cas où il y a implication directe, l'interdiction devrait être plus longue, et nous vous laissons le soin de répondre à la question de savoir si elle devrait être de deux ans ou cinq ans. Nous admettons le principe que si votre valeur commerciale est élevée, vous ne devriez pas faire du lobbying lundi prochain. Beaucoup de gens ont une valeur commerciale plutôt limitée parce qu'ils travaillaient dans des domaines généraux où ils n'accédaient pas à des connaissances spécifiques ayant une valeur au sens commercial. Vous devrez exercer quelque discernement quant à ce qui est approprié. Connaissant la rapidité avec laquelle les choses tournent dans l'administration publique, je suis sûr que la plupart des renseignements sont périmés après deux ans.

Le sénateur Andreychuk : Vous parlez de ce que vous savez et de l'utilisation que vous en faites. Ce qui me soucie, c'est qui vous connaissez et ces amitiés durent très, très longtemps. La question n'est pas de travailler dans l'agriculture avec le ministre, c'est de connaître les gens et d'avoir accès à la Colline.

Monsieur Duguay, j'ai aimé ce que vous avez dit au sujet des lobbyistes enregistrés et de leur activité, par opposition à toutes les autres activités, et la nécessité de le faire comprendre au public. Cela fait de nombreuses années, voire des décennies, que nous débattons au Canada de l'accès que peut avoir un citoyen à un parlementaire pour faire connaître ses opinions. Il est très difficile de participer à la démocratie lorsqu'on est assis à Regina, en Saskatchewan, dans un emploi ordinaire et avec une vie normale. Il est difficile d'influencer les hommes politiques sur la Colline. Si votre député siège sur l'arrière banc dans l'opposition, cela vous éloigne encore davantage, particulièrement lorsqu'on considère toutes les strates d'intervenants actuels et de groupes échantillons, et cetera.

Je crois que les citoyens se sentent déconnectés et ils en voient d'autres qui, eux, sont connectés. Cela fait partie de cette culture que nous avons créée sur la Colline parlementaire, à laquelle il faut remédier et à laquelle, avec le projet de loi C-2, à mon avis, on commence à remédier.

M. Duguay : Je pense qu'il faut parler un peu plus de cette affaire des relations que l'on peut avoir. Franchement, je vis à Ottawa depuis longtemps et, comme ma mère le dit, « Il a le nez fourré partout ». J'ai été dans toutes sortes d'endroits et je connais énormément de monde.

Ce que j'ai à dire est simple. Je compte beaucoup d'amis à Ottawa, certains que je connais du terrain de golf, d'autres de la patinoire de hockey, d'autres de l'époque où j'étais au Parlement. Je vais vous dire ce qui se passe si j'essaie jamais de les appeler avec une idée stupide. Certains d'entre eux se sont montrés polis lorsque je leur ai fait part d'une idée stupide; ils n'ont sûrement pas été polis la deuxième fois, si même ils m'ont rappelé une deuxième fois.

Connaître du monde est un grand avantage dans la vie, dans tous les domaines. Les gens ne sont pas ouverts à des idées stupides, mais ils sont ouverts à une société, du genre que je représente, qui a un problème, particulièrement si la personne a également un problème dans ce domaine et que nous apportons une solution. C'est là où cette activité marche réellement bien, lorsque des lobbyistes ou des entreprises créatifs apportent au gouvernement des solutions à des problèmes réels. C'est là où le système marche. Je soupçonne que si tout ce que nous apportons au gouvernement et à nos amis, ce sont des idées stupides, notre carrière ne sera pas bien longue.

Le sénateur Andreychuk : Ce que j'essaie de mettre en lumière, c'est que vous pouvez apporter une idée au gouvernement parce que vous avez l'occasion d'apporter une idée au gouvernement, alors que beaucoup d'autres citoyens que nous sommes censés servir n'ont pas l'occasion de faire valoir leurs bonnes ou mauvaises idées.

M. Duguay : Je ne pense pas qu'aucun de nous ait à s'excuser du fait que nous avons roulé notre bosse et fait des choses et fait des connaissances. Si je puis inverser un peu la perspective, je pense qu'il incombe aux titulaires de charge publique de veiller à rencontrer les gens qu'ils devraient rencontrer.

Tout au long de cette discussion, nous semblons nous inquiéter du fait que certains titulaires de charge publique ne veuillent rencontrer personne. Ils aiment rester assis dans leur bureau avec deux ou trois conseillers de confiance et faire ce qu'ils veulent. On va leur donner une excuse de plus pour dire aux gens : « Nous ne pouvons vous recevoir parce que la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes dit que nous ne pouvons pas parler de ces choses ».

Je comprends votre point de vue, sénateur. J'aimerais aussi davantage d'ouverture. Cependant, cela ne dépend pas seulement de moi, mais aussi de vous. Je suis les audiences du Sénat avec beaucoup d'intérêt. Vous avez entendu un nombre substantiel de témoins sur cette question. Votre chargé de recherche pourra probablement vous donner la même liste que la mienne, mais j'ai une liste de groupes qui ont comparu devant vous et qui ont dit exactement la même chose que moi, dont la Société canadienne des directeurs d'association, le Conseil canadien des chefs d'entreprise, l'Association médicale canadienne, l'Association du Barreau canadien, Genome Canada et l'Edmonton Journal.

Le président : Nous connaissons bien cette liste.

M. Duguay : Je suis lobbyiste. Mon rôle dans la vie n'est pas de promouvoir l'intérêt public. C'est votre rôle à vous. Nous vous laissons ce soin. Cependant, beaucoup d'autres personnes font valoir les mêmes arguments, qui me paraissent très bons, disant qu'elles ne sont pas opposées à la transparence ou à la responsabilisation, mais qu'il arrive un moment où ces deux objectifs entravent la formulation de bonnes politiques publiques. C'est là le genre de personnes, sénateur, dont vous parlez, qui devraient pouvoir vous rencontrer. Je ne suis pas le seul qui devrait pouvoir vous rencontrer.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez commencé par dire, je crois, que vous êtes en faveur d'une bonne loi, que vous souscrivez à cette loi, mais que vous avez quelques réserves à son égard.

M. Duguay : C'est juste.

Le sénateur Zimmer : L'importance des relations a été évoquée. C'est vrai, si le statu quo demeure. Monsieur Jordan et monsieur Duguay, vous avez tous deux vécu des élections qui ont bouleversé le statu quo. Les points de contact changent radicalement et les réactions à vos prises de contact changent radicalement après un changement de gouvernement. De fait, vous traversez presque automatiquement une période de refroidissement de deux à cinq ans, sans rien faire pour cela. Lorsque le gouvernement change, votre vie change aussi. Qu'en pensez-vous?

M. Duguay : Premièrement, si tous ceux qui avaient dit qu'ils voteraient pour moi l'avaient réellement fait, je serais toujours député.

Deuxièmement, je suis lobbyiste à Ottawa depuis 1991, et j'ai vu se succéder depuis trois ou quatre gouvernements. Les gens tournent sans cesse. Je pense que ceux qui travaillent dans notre industrie depuis longtemps, appartenant à des cabinets concurrents, sont des gens pas mal compétents, sinon ils ne feraient pas long feu ici.

Pour ce qui est de faire appel à ses amis pour résoudre un problème, vos amis ne durent pas éternellement. Soit vous avez de très bons amis dans des postes très importants, soit vous être très doué pour vous faire de nouveaux amis. C'est l'un des deux. Je soupçonne que pour la majorité des lobbyistes, il ne suffit pas seulement d'avoir des amis, car nul n'a assez d'amis.

M. Jordan : Quelqu'un a dit que les points de contact changent. Pour revenir un peu en arrière, nous nous concentrons sur un bout de cette transaction, soit l'interaction des lobbyistes avec le gouvernement et la manière dont cela fonctionne.

J'enseigne également les relations gouvernementales à ce que l'on peut considérer l'une des meilleures écoles de commerce au Canada, la Rotman School of Management à Toronto, et je peux vous dire que dans un monde globalisé, l'interaction des entreprises avec le gouvernement est cruciale. C'est un facteur crucial du fonctionnement de notre économie. Historiquement, les entreprises canadiennes n'ont pas eu le même niveau d'interaction. Elles consacraient beaucoup de temps et d'argent à gérer les relations avec les fournisseurs et les clients, mais cela a probablement son origine dans la nature plutôt socialiste du gouvernement canadien, qui intervient beaucoup plus dans la société. Cependant, la mondialisation change cela.

Si vous pensez que les relations gouvernementales ou le lobbying, en tant qu'activité, vont aller décroissant, je peux vous garantir que vous vous trompez. Cette activité va s'amplifier. Vous mettez en place un ensemble de règles qui serviront dorénavant à encadrer une activité en expansion. Il est vital que les entreprises canadiennes soient compétitives à l'échelle mondiale, mais il est aussi vital que le gouvernement canadien soit compétitif à l'échelle mondiale. L'équation comporte deux termes. Cela n'arrivera pas si le gouvernement prend ses décisions dans un vide. Cela n'arrivera pas si les décideurs ne veulent voir personne parce que cela signifie qu'ils vont devoir remplir des formulaires. Je ne veux pas minimiser cette contrainte. Vous mettez en place un cadre réglementaire qui va changer cette dynamique. Il ne s'agit pas de le faire à la légère.

Pour ce qui est de la transaction, oui, nous traitons avec le gouvernement. Cependant, au bout du compte, ce qui met la nourriture sur notre table, c'est que nous traitons avec des sociétés soumises à une concurrence mondiale. Si nous ne leur apportons pas de la valeur, elles ne vont pas nous payer. Si tout ce que nous faisons, c'est exploiter nos copains dans les vestiaires, nous n'allons pas durer longtemps dans cette profession.

Il y a une dimension darwinienne à cette industrie. Quelqu'un pourra peut-être exploiter son carnet d'adresses pendant six à huit mois, peut-être deux à cinq ans, mais je peux vous dire que, comme profession, il ne s'agit pas d'un réseau de vieux copains en ce sens que vous n'allez pas convaincre des sociétés de vous payer, lorsque les marges bénéficiaires sont minces et qu'elles sont en concurrence à l'échelle mondiale, si vous ne leur apportez pas une certaine valeur. Cette profession fait sa propre police dans une certaine mesure.

Le président : Monsieur Murphy, souhaiteriez-vous faire un commentaire à ce sujet?

M. Murphy : Pour nous, une association d'entreprises à large base, le savoir est la clé, en ce sens que nous devons pouvoir apporter une contribution à la teneur du débat politique. C'est là où nous apportons une valeur à nos membres. Nous sommes une organisation mue par ses membres. C'est ce que nos membres attendent de nous. C'est ce qu'ils me disent chaque jour et j'en parle régulièrement à notre personnel. Les intérêts que nous représentons sont des intérêts importants pour le dialogue national. Le travail de fond que nous faisons pour leur compte détermine non seulement notre interaction avec nos membres mais représente également une contribution à la formulation de bonnes politiques publiques au Canada, ce qui importe beaucoup aux milieux d'affaires.

Le sénateur Ringuette : C'est très intéressant. Vous avez mis le doigt sur deux situations qui semblent perdurer et que le projet de loi C-2 néglige. L'une est le cas des lobbyistes, des « communicateurs experts », qui un jour s'occupent des communications pour le gouvernement et qui, le lendemain, font du lobbying politique auprès des mêmes personnes. Vous nous avez dit aussi qu'il existe une pléthore de lobbyistes qui ne sont pas enregistrés comme tels.

Comment peut-on rectifier ces deux situations dans ce projet de loi?

M. Jordan : Je ne suis pas avocat et je ne m'excuse pas de ne pas l'être.

Il faut envisager une interdiction. Comme je l'ai dit, le registraire a rédigé un document d'interprétation en 2001, je crois, sur la question du cloisonnage, la notion que l'on peut par règlement interdire aux membres d'une même firme de parler entre eux. Si vous pouvez faire cela, vous n'aurez pas besoin d'un instrument aussi brutal dans d'autres domaines que celui que crée ce projet de loi. Dans l'intérêt de la cohérence, si vous voulez rectifier cela, interdisez aux cabinets de faire les deux. Si vous vendez vos services au gouvernement, vous ne devriez pas en même temps vendre vos services à l'industrie. À mes yeux, c'est le bon sens même.

En ce qui concerne les lobbyistes non déclarés, ces gens regardent les définitions actuellement contenues dans la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes et trouvent des raisons pour dire que ce n'est pas ce qu'ils font. C'est pourquoi j'ai préconisé comme définition : « les communications avec les décideurs gouvernementaux pour obtenir des résultats ». Devinez quoi? Cela couvre tout ceux qui communiquent avec le gouvernement. Ensuite, je supprimerais le seuil de 20 p. 100.

Si je suis avocat et fait toutes sortes de tâches juridiques, mais que 19 p. 100 de ce que je fais consiste en relations gouvernementales pour le compte de mes clients, je n'ai pas besoin de m'enregistrer. Je ne suis pas couvert. Je peux faire mes affaires sans me préoccuper le moins du monde de ce nouvel ensemble de règles.

Le président : Duff Conacher a dit la même chose ici.

M. Jordan : Duff et moi ne sommes pas d'accord sur grand-chose mais cela découle de la même logique. Poursuivez vos objectifs avec cohérence. Est-ce que ce sera un petit fardeau pour certains? Oui. Cependant, vous n'aurez plus la situation où quelqu'un se livre à des activités qu'il faut clairement réglementer mais s'estime non couvert. Croyez-moi, c'est le cas à l'heure actuelle.

Le sénateur Ringuette : Vous dites que le seuil de 20 p. 100, qui est arbitraire, devrait être supprimé?

M. Jordan : Oui.

M. Duguay : Nous n'avons pas parlé de cela, mais c'est un élément important du système. La Loi sur l'enregistrement des lobbyistes exige que le commissaire recueille des données, et cette personne est tellement occupée à recueillir des renseignements qu'elle n'a pas le temps de faire grand-chose d'autre. Vous savez sans doute que le délai qui s'écoule entre le moment où nous déclarons un nouveau client et le moment où cela est affiché sur le site est relativement long. Les nouvelles exigences vont exiger la mise en place de tout un nouveau système pour ce genre d'activité.

Notre association a signalé pendant très longtemps des cas au commissaire. Justice Canada a fait savoir au ministère qu'il serait presque aussi difficile d'intenter des poursuites en vertu de l'ancienne loi, qui définissait le lobbying comme la « tentative d'influencer », qu'en vertu du Code criminel, et c'est pourquoi on a modifié la définition pour dire « communiquer aux fins de », ce qui semble mieux. Aujourd'hui, le commissaire fait savoir qu'il fait actuellement enquête sur quatre ou cinq cas. Il vous l'a peut-être dit.

Le président : Il a dit dix.

M. Duguay : Il a peut-être dit quatre ou cinq cas sérieux.

Le président : Il fera rapport sur quatre cas au cours des prochaines semaines.

M. Duguay : Cela remonte à 1997. Notre problème, c'est que les fraudeurs s'en tirent. Il faut sanctionner ceux qui fraudent afin que tous les autres puissent faire leur travail. Cela a été jusqu'à présent une difficulté sérieuse et il existe le risque qu'un surcroît d'information ne soit pas synonyme d'une meilleure information.

Le sénateur Ringuette : Je conviens que le système s'enlise et devient inefficient à cause d'un excès d'information inutile.

M. Duguay : Quelqu'un a-t-il demandé au commissaire combien coûterait une nouvelle structure pour faire ce travail?

Le président : Oui. Il a dit qu'il touchera 3,5 millions de dollars pour son administration actuelle et qu'un supplément est prévu. Il a effectué à l'interne quelques calculs de coût des effectifs supplémentaires dont il aura besoin.

M. Duguay : Voulez-vous parier que cela ne suffira pas?

M. Jordan : Pour ce qui est du facteur temps, il est facile de parler d'un point de vue théorique, mais je vais vous donner un exemple précis des problèmes pouvant se poser. Le secteur minier canadien a été marqué ces derniers temps par une forte activité de fusions et d'acquisitions. Certaines de ces dernières sont susceptibles de déclencher des réactions réglementaires et Industrie Canada doit les examiner à la lumière de la Loi sur Investissement Canada.

Les sociétés doivent effectuer un certain nombre de démarches très vite si elles veulent jouer dans le bac à sable. S'il faut trois mois pour enregistrer un nouveau client — et les hauts fonctionnaires de haut rang ne rencontreront pas un lobbyiste si son client n'est pas déclaré — vous avez un problème structurel, car l'affaire pourra être conclue avant que vous puissiez intervenir et faire le nécessaire.

Le président : Est-ce qu'il faut compter effectivement trois mois? Est-ce un chiffre réaliste?

M. Duguay : C'est parfois le cas.

M. Jordan : C'est parfois plus long et parfois plus court, mais trois mois représentent la moyenne.

Il existe aujourd'hui de 4 700 à 5 000 lobbyistes enregistrés qui déclarent aujourd'hui leurs clients deux fois par an. Nous avons rencontré un représentant du commissariat qui nous a dit que le mécanisme allait devenir plus robuste. Ils vérifient les déclarations. Nous avions coutume de simplement changer le nom en haut de la feuille et de déclarer cinq personnes. Le commissariat fait son travail, ou s'y efforce, mais il manque de ressources.

Si vous allez maintenant exiger la déclaration des appels téléphoniques et réunions, cela fera de 300 000 à 400 000 déclarations par mois. Le gouvernement tient un registre. Songez à l'expérience passée. Je suis d'accord avec M. Duguay. Prenez le budget actuel de ce service et si vous ne leur demandez que de traiter la paperasse, multipliez par 30. Si vous voulez en plus que le personnel analyse les déclarations et mène des enquêtes en cas de problème, multipliez par 50. Je ne dis pas que les décisions de transparence doivent être tributaires du coût, je vous dis simplement de préparer votre chéquier car cela va coûter cher.

M. Duguay : Il ne suffit pas simplement d'embaucher du personnel supplémentaire. Ces employés doivent être formés. Vous devriez voir certaines questions que l'on m'a posées après mon dernier lot d'enregistrements. Ces employés n'ont pas eu le temps de suivre une formation. Ils ne savent pas la différence entre une division d'une compagnie et une filiale. Ils vérifient les sites Internet des compagnies et nous reviennent avec des questions. Certaines des questions étaient très robustes lorsque nous n'avions pas fait ce que nous devions dans l'enregistrement initial. Certaines autres questions ont été...

Le président : Moins que robustes?

M. Duguay : Toutes aussi robustes, mais manquaient d'autre chose.

Le sénateur Ringuette : Merci beaucoup. Cela m'éclaire sur toute la situation de l'enregistrement et du non- enregistrement.

Vous avez parlé de la protection des renseignements commercialement sensibles. J'aimerais que vous nous en disiez plus. Comment peut-on améliorer ce projet de loi afin de mieux les protéger?

Je conviens que nous vivons dans une économie mondialisée et qu'il s'agit de faire en sorte que nos sociétés canadiennes soient avantagées, dans la mesure du possible. Il ne s'agit en tout cas pas de les priver de leur compétitivité en communiquant des renseignements sensibles à leurs concurrents.

Comment pouvons-nous veiller dans le projet de loi C-2 à ne pas les priver d'un avantage concurrentiel ou à ne pas les pénaliser par des retards?

M. Duguay : Permettez-moi de vous donner un exemple simple. Je reçois parfois un appel de sociétés ou de personnes qui ne sont pas résidentes au Canada et qui se trouvent aux prises avec le fisc canadien. Nous disons qu'elles devraient prendre un avocat et un comptable. Il existe à l'Agence Revenu Canada des comités de l'équité et nous sommes mieux équipés pour traiter avec les comités de l'équité car nous avons davantage d'expérience. Il ne s'agit pas tant d'un litige fiscal et comptable que d'un problème plus général; comment pouvons-nous le régler? Cette information ne peut être rendue publique car de nature trop délicate pour les personnes concernées.

Notre suggestion est la suivante : l'article 20 de la Loi sur l'accès à l'information contient déjà des dispositions protégeant les renseignements commercialement sensibles. Peut-être devriez-vous reproduire ces dispositions dans ce projet de loi.

Une autre solution consisterait à dire qu'il n'existe pas de renseignements commercialement sensibles, mais que certains ne peuvent pas être communiqués dans l'immédiat, seulement a posteriori.

Le président : C'est la solution retenue au Québec. Tous les trois vous êtes déjà prononcés en faveur de cela.

M. Duguay : Vous voudrez peut-être voir ce qui se fait dans d'autres juridictions, car ce qui se fait ailleurs n'est pas toujours aussi simple qu'il peut sembler.

La loi du Québec contient des dispositions sur le coût du lobbying. Si vous regardez les revenus déclarés l'an dernier,. les lobbyistes au Québec ne sont pas très bien payés car le montant total déclaré est inférieur au budget du Bureau d'enregistrement des lobbyistes. C'est dû en partie à la manière dont les coûts sont définis. Ils ne couvrent pas l'élaboration d'une stratégie et pas les réunions, uniquement le lobbying proprement dit. Vous voudrez peut-être voir ce qui se fait au Québec, au Nouveau-Brunswick, aux États-Unis et en Europe.

Je ne suis certes pas expert, mais nous suivons dans une certaine mesure ce que font les autres. Je considère que le Canada est en avance et les lobbyistes canadiens sont fiers de ce que le Canada a fait. Si vous allez en faire plus, appliquez aux nouvelles mesures le test suivant : améliorent-elles la transparence, améliorent-elles la reddition de comptes, ou est-ce simplement un surcroît d'information sans intérêt particulier?

Le sénateur Ringuette : Pour ce qui est de la période de restriction, nous avons longuement parlé de ce qui est raisonnable et ne l'est pas. Nous avons parlé du cas d'un fonctionnaire qui devient lobbyiste.

Nous n'avons pas parlé — et le projet de loi est silencieux à cet égard — de la situation inverse. Je suis sûr qu'il existe de nombreux experts capables et intelligents dans le secteur du lobbying qui possèdent un accès et pourraient accepter une charge publique, faisant le trajet inverse. Que faut-il faire dans ce cas? Si une période de restriction est équitable pour les uns, ne faudrait-il pas imposer une période d'interdiction aux autres, afin de prévenir la stratégie d'un cabinet de lobbyistes consistant à placer l'un de ses experts en bonne place pour faciliter son lobbying sur un sujet particulier? Comment peut-on assurer l'équité des deux côtés de l'équation?

M. Jordan : Vous les coincez à l'autre bout. Les lobbyistes seront réticents à accepter des postes qui les feront passer dans la catégorie des titulaires de charge publique de haut rang s'ils doivent ensuite respecter une période d'interdiction à l'autre bout. Je ne puis imaginer une situation où il vaudrait leur peine de passer un an dans un cabinet de ministre s'ils devaient ensuite attendre cinq ans avant de retourner gagner leur vie.

Je ne suis pas sûr qu'il y ait là un aussi grand potentiel d'abus ou de perception d'abus que dans l'autre direction.

Il y aura aussi beaucoup plus de fonctionnaires devenant des titulaires de charge publique car il n'y a pas un grand bassin de talents dans la population générale pour doter les cabinets de ministres. Je ne sais pas si quelqu'un a réfléchi à cette situation, mais vous serez confrontés à cette pénurie.

L'autre chose à ne pas perdre de vue c'est que, si la seule mesure était l'interdiction de cinq ans, vous pourriez rentrer chez vous le soir et vous dire « J'ai fait quelque chose de valable ». Cependant, vous augmentez aussi les contraintes déclaratoires. Même si vous n'aviez pas l'interdiction quinquennale, vous pourriez très bien dépister quelqu'un qui n'est pas en règle parce que vous pouvez le suivre à la trace.

Il faut examiner toute cette situation globalement. Vous apportez beaucoup de changements simultanément, qui vont tous dans la même direction, mais il ne faut pas perdre de vue la perspective globale.

Le sénateur Day : L'idée de M. Duguay d'inviter des représentants d'autres juridictions est intéressante. Nous ne nous sommes pas concentrés là-dessus. Nous nous sommes limités à notre système et au volet fédéral. L'idée a retenu mon attention. Cependant, s'il est vrai, comme M. Jordan l'a dit, que nous avons dix années d'avance sur la plupart des autres juridictions, elles n'auront peut-être pas grand-chose à nous apprendre.

Je crois savoir que la mouture actuelle de la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes est toute récente. La loi a été récemment modifiée. Depuis ces changements, et vu qu'il y a un examen parlementaire automatique après cinq ans, pouvez-vous me rafraîchir la mémoire et me dire quels problèmes sont devenus apparents? Quels scandales de lobbying ont-ils éclaté au Canada qui rendraient nécessaire une refonte de cette législation qui a été remaniée tout récemment et comporte un examen obligatoire?

M. Jordan : L'un des exemples utilisés pour justifier cette mesure et ce passage de la surveillance à la réglementation concernait des sociétés qui avaient des contrats de communication avec les ministères. Les employés de ces sociétés participaient à des réunions du cabinet et ces mêmes sociétés se retournaient ensuite et vendaient leurs services au secteur privé, usant de renseignements auxquels tout le monde je crois, ne pouvait pas accéder.

Le président : Avez-vous des exemples concrets?

M. Jordan : Allez voir dans la presse. Voyez les exemples que le premier ministre cite lorsqu'il parle de la nécessité de ces mesures. Il semblent toujours mentionner une certaine société. Je pense que vous ne les coincerez pas avec ce projet de loi. Vous obligerez quantité de lobbyistes enregistrés à remplir toutes sortes de formalités et, comme nous le disons, nous sommes prêts à le faire. Nous ferons ce que vous nous direz de faire.

Selon notre expérience de la rue, les abus que l'on voit ne seront pas capturés par ce projet de loi. Je ne suis pas très informé, mais peut-être M. Duguay, en sa qualité de président de l'association, connaît-il des scandales récents dans le domaine des relations gouvernementales ou du lobbying. Je n'en ai pas connaissance.

M. Duguay : J'ai une discussion continuelle avec tous les grands journaux du Canada sur l'emploi du terme « lobbyiste ». Chaque fois qu'ils écrivent « lobbyiste », je leur envoie une note disant « pas lobbyiste, pas enregistré ». Ce qu'ils veulent dire c'est « lobbyiste non enregistré ». La perception du public est que les deux sont exactement identiques. Un projet de loi comme le C-2 répond à la perception du public voulant que le lobbying soit pernicieux, que des activités inappropriées ont cours et que le gouvernement cherche à résoudre ces problèmes. Nous voulons bien, comme M. Jordan l'a dit. Il ne m'appartient certes pas de dire aux législateurs comment rédiger les lois, mais il me semble qu'une bonne loi énonce les politiques, les principes et les thèmes, et laisse place ensuite au règlement d'application pour résoudre le problème.

L'un des reproches que nous faisions au texte de loi antérieur, dont la promulgation s'est fait attendre presque trois ans, était qu'il se présentait comme un règlement en ce sens qu'il prescrivait en détail comment les choses devaient être faites. Il vaudrait mieux laisser ce soin au commissaire au lobbying, qui pourrait introduire un peu d'équilibre dans le système avec une interdiction stricte de deux ans et d'autres règles s'appliquant spécifiquement aux ministères dont proviennent les intéressés.

Tout cela est dû presque entièrement à la perception du public et à la mauvaise réputation de ces gens non enregistrés. Dans le cas du scandale des commandites, pas une seule personne présentée comme lobbyiste n'était enregistrée, à ma connaissance.

Le sénateur Day : La Loi sur l'enregistrement des lobbyistes contient un préambule inhabituel disant qu'elle porte sur l'enregistrement des lobbyistes, en ajoutant que le lobbying est une bonne chose et qu'il a sa place dans une société transparente et démocratique.

Chacun d'entre vous a déclaré adhérer aux principes de ce projet de loi sur la transparence et la responsabilisation et être en faveur d'un mécanisme de reddition de comptes. Nous souscrivons également à ces principes. Nous cherchons à déterminer si cette partie du projet de loi C-2 contribue à ces objectifs louables. Voici la raison de ma question : Qu'est- ce qui motive un remaniement aussi vite après l'entrée en vigueur de la loi précédente? Il est intéressant que vous évoquiez les lobbyistes non enregistrés alors que le projet de loi traite de l'enregistrement des lobbyistes et dit que le lobbying est une bonne chose. Comme M. Jordan le souligne, il n'apprend pas au lecteur ce qu'est le lobbying car il n'y a pas de définition du lobbying dans le projet de loi.

Le comité voudra réfléchir à cela. Si la force motrice derrière cette partie du projet de loi C-2, la Loi sur la responsabilité, est la méfiance du public à l'égard des lobbyistes, cela signifie que des personnes et des organisations faisant du lobbying échappent à la loi et sont à l'origine de ce malaise du public. Nous devons chercher à enrayer cette perception et convaincre le public que les modifications contenues dans ce projet de loi vont réaliser l'objectif.

Peut-être le comité devrait-il retenir l'idée d'inscrire une définition du lobbying. M. Jordan a mentionné une définition américaine dont le comité pourrait s'inspirer. Cela pourrait aider à préciser l'intention et asseoir la confiance que le public recherche.

Le sénateur Zimmer : La proposition de M. Day, concernant une définition du lobbying, est judicieuse. Lorsque nous avons entendu le témoignage de dénonciateurs ici la semaine dernière, le sénateur Campbell a fait une bonne remarque. Il a dit qu'il fallait remplacer le mot « dénonciateur » par le mot « patriote de l'information ». Je fais valoir, avec une pointe d'humour mais en toute sincérité, que ce que vous mettez en question, c'est la connotation du terme et vous voudrez peut-être vous qualifier de « patriote du marketing » plutôt que de « lobbyiste » car ce dernier mot projette immédiatement une connotation négative. C'est la même chose pour le mot « dénonciateur ». Quelles sont vos réactions?

M. Jordan : Nous aimons l'expression « consultant en relations gouvernementales ». On considère pour acquis que tout le monde connaît la signification du terme. Cependant, vous établissez des règlements et un mécanisme de contrôle et personne n'a pris la peine, au départ, de dire exactement de quoi il s'agit.

Pour introduire un peu de clarté, si vous parlez avec un lobbyiste non enregistré, vous apprendrez qu'il estime ne rien faire de mal. Il ne s'agit pas d'une science occulte qui les placerait en marge de la loi. Ils sont d'avis que leur travail n'est pas une activité pouvant être enregistrée et ils feront valoir des arguments sophistiqués pour expliquer pourquoi. Ce n'est pas qu'ils font un pied de nez aux règles, ils pensent simplement que le travail qu'ils font n'est pas couvert par les définitions actuelles du lobbying.

M. Duguay : Il est difficile de dire s'il faut changer le nom. Je soupçonne que si vous changez le nom, pratiquement rien du reste ne changera. J'ai été député, et parfois je trouvais que le lobbying était une bonne chose et parfois qu'il en était une mauvaise.

L'autre problème soulevé par le registraire des lobbyistes à plusieurs reprises est de savoir quel libellé dans le texte de la loi autoriserait des poursuites. Ils n'ont pas retenu « tenter d'influencer » parce que Justice Canada estimait que cette expression était du même ordre que les dispositions du Code criminel et que l'infraction serait trop difficile à prouver. Ils ont plutôt retenu la même formule que celle utilisée pour d'autres professions, soit « communiquer dans le but de ».

Si vous voulez une nouvelle définition et que votre objectif est de poursuivre en justice, alors vous devez vous laisser guider par des juristes qui connaissent leur travail.

Le sénateur Day : Mon objectif est d'essayer d'asseoir la confiance du public envers le processus.

M. Duguay : Vous pourriez véritablement nous aider pour ce qui est des lobbyistes non enregistrés. Ce sont là les gens dont il est question, et non notre groupe de lobbyistes enregistrés. Nous sommes inscrits, nous respectons la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, nous avons un code de déontologie que nous rappelons régulièrement à nos membres et nous avons dénoncé des contrevenants au registraire.

Le sénateur Day : Faut-il modifier la définition ou demander au directeur de faire enquête sur ces gens et leur imposer de s'enregistrer?

M. Duguay : La Loi sur l'enregistrement des lobbyistes donne pas mal de pouvoirs au directeur. Il peut imposer des amendes pour défaut d'enregistrement et faire toutes sortes d'autres choses. Il suffit de lui donner les outils voulus. Je me hâte d'ajouter que, parmi ces outils, ne devrait pas figurer la collecte d'un surcroît de renseignements sur la bande qu'il connaît déjà très bien.

Le sénateur Day : Vous dites qu'il lui faudra passer au crible 300 000 à 400 000 déclarations. Ce chiffre s'applique à quelle période?

M. Jordan : Je postule dix rencontres ou appels par semaine par lobbyiste enregistré. Je connais des gens qui en font beaucoup plus que cela.

M. Duguay : Ils font parfois cela en une seule journée.

Le sénateur Day : Le directeur de l'enregistrement actuel dit qu'il a trois enquêteurs pour déterminer si une personne devrait être enregistrée. Il lui faudra en sus les effectifs pour traiter de 300 000 à 400 000 déclarations. Les titulaires de charge publique devront tenir des dossiers pour pouvoir confirmer ou infirmer chacune de ces déclarations au cas où le commissaire le lui demande.

M. Duguay : Les fonctionnaires ont des carnets et des adjoints pour faire le travail, tout comme nous. Nous savons habituellement qui nous avons rencontré et de quoi nous avons parlé, tout comme vous savez habituellement qui vous avez rencontré et de quoi vous avez parlé. L'information est disponible, à condition de la consigner invariablement, chaque jour, sans exception. Cela représente une grande masse d'information. Vous pourriez économiser du temps sur ce plan si le système identifie uniquement ceux qui ne sont pas enregistrés.

Le sénateur Day : C'est une remarque intéressante.

Pour changer de sujet et parler des honoraires conditionnels, il s'agit là d'honoraires conditionnels à la réussite. Actuellement, vous êtes tenus de les déclarer au directeur de l'enregistrement. Si vous travaillez pour un nouveau client et qu'il vous rémunère avec des honoraires conditionnels, vous l'indiquez dans votre déclaration.

Je me souviens de l'évolution de la question des honoraires conditionnels ou des honoraires en fonction des résultats dans la profession juridique. Ils étaient jadis totalement interdits. Au fil du temps, on a estimé que, du moment qu'il y avait transparence, que ce n'était pas caché, c'était acceptable. Cela semblait être la théorie jusqu'au projet de loi C-2. Maintenant, le projet de loi C-2 part dans l'autre direction et prohibe ces honoraires. Quelle est votre position à ce sujet? Avez-vous connaissance d'abus sur ce plan et admettez aujourd'hui qu'on les interdise?

M. Duguay : Nous n'en faisons pas une affaire car un sondage très rapide auprès de nos membres nous a montré qu'aucun d'eux ne les pratique, de toute façon. Il s'est produit une maturation suffisante pour que les gens s'attendent à être payés pour le service qu'ils fournissent et n'escomptent pas rafler la grosse mise à la fin du cycle. Ce n'est un gros enjeu pour aucun de nos membres à l'heure actuelle.

M. Jordan : Étant donné que la détermination de la réussite sur un dossier est plutôt arbitraire, la plupart des membres de la profession sont opposés à tout ce qui lierait la rémunération au franchissement de la ligne d'arrivée. L'argument en faveur de cette méthode, s'il en existe, concerne les sociétés sans but lucratif qui ne disposent pas de grandes ressources. C'est également l'argument qu'avancent les avocats. Je pense que la proportion que représentent les coûts des contacts avec l'administration, soit l'élément relations gouvernementales, compenserait. À mon avis, il vaut mieux interdire ces honoraires que d'autoriser des exceptions et de devoir faire des contrôles.

Le sénateur Day : Qu'en est-il d'une très petite entreprise naissante qui cherche une aide gouvernementale pour se développer?

M. Jordan : C'est pourquoi il est utile d'avoir ici la Chambre de Commerce du Canada. Nombre de ces entreprises utiliseront leur association comme véhicule initial des relations gouvernementales. Un grand nombre de ces associations organisent des séminaires pour leurs membres. Je ne suis pas certain que ce soit un enjeu suffisamment important. Si vous interdisez ces honoraires, c'est probablement une bonne chose.

M. Duguay : Si les entreprises sont si petites et que le travail à faire n'est pas trop complexe, nombre de nos membres le feront à titre gratuit de toute façon. Ce n'est pas une grosse affaire.

Le sénateur Day : Je vois que le temps file, à mon grand regret, mais nous n'y pouvons rien. La définition de titulaire de charge publique de haut rang figure à l'article 67, à la page 66 du projet de loi C-2, qui modifie le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes. Vous avez là toute la liste des personnes concernées, notamment celles qui occupent un poste au sens de l'article 2 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Lorsque vous vous reportez à cette dernière, ce terme met en jeu quantité d'autres, et vous devez donc sauter d'un endroit à l'autre pour savoir exactement quels sont les postes concernés. Ensuite, on ajoute :

c) toute autre personne qui occupe un poste désigné par règlement pris en vertu de l'alinéa 12c.1).

Ensuite, en sus de toutes les charges déjà définies, lorsqu'on se reporte à l'alinéa 12c.1) on voit que le premier ministre et son cabinet peuvent désigner comme charge publique de haut rang, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie, tout poste au sein de l'administration publique fédérale qu'il souhaite. Voyez-vous une objection à ce que le premier ministre en conseil puisse décider qui est assujetti à l'interdiction quinquennale et même désigner à cet effet un poste individuel?

M. Jordan : On peut toujours imaginer des possibilités d'abus. Je ne connais pas la logique derrière cette disposition, mais si le premier ministre commence à désigner au hasard des gens dont il dit qu'il a reçu des avis pendant la transition, ce serait une façon intéressante pour lui de nuire à ses ennemis. Qui vérifie que ces personnes ont bien fait quelque chose? Nous attribuons toujours les meilleurs intentions, mais cela m'a paru un peu louche lorsque je l'ai vu.

Pour compléter ce que vous disiez, il faut aussi se reporter à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique pour savoir ce qu'est un titulaire de charge publique de haut rang, car là aussi il y a une définition. Jadis, c'était très simple. Les ministres avaient du personnel, et à côté ils avaient ce que l'on appelait le personnel exonéré. Généralement, ces collaborateurs étaient le conseiller politique principal, le directeur des affaires parlementaires, le directeur des communications et le chef de cabinet. L'intérêt d'être un employé exonéré, ce qui signifiait que vous étiez lié par le code post-mandat, était que vous aviez accès prioritaire à un poste dans la fonction publique lorsque le château de cartes s'écroulait. Vous avez aussi changé cela. Le projet de loi enlève cela. C'est tout un débat distinct. Cependant, on modifie ici l'équilibre simultanément dans toutes sortes de domaines différents. Je comprends mal pourquoi on ne pourrait pas revenir à une classification beaucoup plus simple des personnes couvertes par cela. C'est cette confusion qu'invoquent les personnes qui pensent ne pas être tenues de s'enregistrer — « Je ne parle pas à des titulaires de charge publique de haut rang, je parle à des titulaires de charge publique et à des titulaires de charge publique déclarants, mais d'après ce texte, l'obligation ne s'applique qu'à ceux de haut rang ».

Le sénateur Day : Les titulaires de charge publique déclarants sont définis dans une autre loi.

M. Jordan : C'est juste. La confusion sur ce plan ne facilite pas du tout les choses dans la rue. Dans l'article que j'ai rédigé et que le sénateur a cité comme exemple, j'écrivais que tout ce que l'on peut faire pour simplifier cela contribuerait largement à mettre en évidence qui se trouve du bon côté et qui se trouve du mauvais côté.

Le sénateur Day : Hier, nous avons débattu de la question de savoir ce qu'il convenait de faire par voie de règlement, par décret du gouverneur en conseil, c'est-à-dire du premier ministre, et ce qui devrait être fait par le commissaire, qui travaille dans ce domaine en permanence et voit où se situent les abus et les problèmes. C'est un débat important que nous, le comité, devons prendre en considération.

M. Duguay : Nous avons beaucoup moins mis l'accent sur la liste des contacts à déclarer que sur l'information commercialement sensible. Le fait d'allonger la liste des personnes que je dois déclarer ne m'aide pas beaucoup si je dois déclarer en plus des renseignements commercialement sensibles.

Le sénateur Day : J'ai bien compris votre position à ce sujet. C'est un point crucial, surtout lorsqu'on ne sait pas ce que vous allez devoir déclarer. Nous adoptons là une loi à l'aveuglette. Nous ne savons pas quel sera le régime, mais il pourrait avoir des répercussions très sérieuses pour vous et vos clients.

M. Duguay : Et pour la Chambre de commerce.

Le sénateur Day : Je parlais de vous au sens collectif.

Le sénateur Campbell : Nous focalisons sur les lobbyistes qui rencontrent des responsables du gouvernement.

Que se passe-t-il dans le cas du lobbyiste qui entre dans la fonction publique et se voit nommé à un poste directement lié — je ne vais pas nommer de noms, mais c'est arrivé. Ou bien que se passe-t-il lorsque vous partez. Vous êtes un dirigeant d'une société et vous entrez dans la fonction publique et êtes nommé à un ministère directement en rapport avec le poste que vous venez juste de quitter. N'y a-t-il pas là aussi une difficulté?

M. Jordan : C'est très possible. Le commissaire au lobbying a un registre des titulaires de charge publique, avec leurs antécédents et des biographies et ce genre de chose sera dépisté au moyen des déclarations d'activités ou des plaintes déposées.

Le sénateur Campbell : J'occupe un certain poste et je ne suis pas lobbyiste. Disons que je sois ministre. Où est-il écrit que je doive déclarer les personnes avec qui je communique? Vous devez me déclarer si vous communiquez avec moi, mais moi je ne dois déclarer à personne les noms des gens avec qui je communique. Je suis en faveur de ce projet de loi, mais je vois ériger ce mur qui va dans une seule direction. De l'autre côté du mur sont les gens avec lesquels vous communiquez, et il n'y a aucune obligation de leur part.

M. Duguay : Sénateur, vous n'allez pas résoudre chaque petit problème que peut poser ce projet de loi.

Le sénateur Campbell : Mais c'est notre rôle de sénateur, n'est-ce pas?

M. Duguay : J'ai été de votre côté de la barrière. J'ai été chef de cabinet et député. Des gens m'appelaient avec des idées stupides, et je ne pensais pas qu'il me fallait une loi pour leur dire que l'idée était stupide et que je ne voulais pas en parler.

Le sénateur Campbell : Nous ne parlons pas d'idées stupides. Nous parlons d'une loi qui s'attaque à une perception. Cette perception est que les lobbyistes sont malfaisants et que le lobbying, bien que loué ailleurs comme une activité noble et juste, est présenté par la presse de manière négative. Il ne devrait pas y avoir deux poids deux mesures. Si vous avez été lobbyiste ou cadre supérieur, je n'ai pas d'objection à ce que vous entriez dans la fonction publique. Mais j'ai une objection à ce que vous deveniez ministre responsable d'un domaine dans lequel vous faisiez auparavant du lobbying ou occupiez un poste de cadre supérieur. Ce qui vaut pour l'oie vaut pour le jar.

M. Murphy : Je comprends votre position mais je suis d'avis contraire. Il importe de réfléchir aux diverses contributions qui peuvent être apportées. J'ai dit tout à l'heure qu'il importait de placer les bonnes personnes dans les rôles de décideurs de la politique publique. Je pense que c'est l'une des défaillances du système. J'utilise le programme Échanges Canada comme exemple. L'idée de ce programme était d'importer un certain nombre de gens de talent du secteur privé dans le secteur public et inversement. Au fil des ans, le mouvement dans le sens fonction publique entreprise a bien marché. De nombreux représentants des entreprises ont accumulé de bonnes expériences dans le secteur publique. Mais cela a été beaucoup moins un succès dans l'autre direction.

Nous pensons que la solution consiste à encourager les gens à entrer dans l'administration publique et à apporter une contribution à n'importe quel niveau, ministériel ou autre. Nous avons besoin de gens de talent dans le secteur public et il ne faut surtout rien faire qui va décourager les gens d'entrer dans le système, par une loi ou autrement, comme le ferait justement, disions-nous, l'interdiction de cinq ans.

M. Jordan : Chaque système a ses avantages et ses inconvénients. Les Américains semblent faire alterner les gens rapidement entre des postes de responsabilité dans le secteur privé et le secteur public. Les pouvoirs publics et les entreprises doivent être beaucoup plus étroitement connectés aujourd'hui. Le gouvernement ne peut agir indépendamment de ce qui se passe dans les autres pays. La concurrence est devenue mondiale. Si vous admettez cela, on peut chercher les moyens à utiliser.

Les gens s'adressent au gouvernement, en tant que particuliers, sociétés ou par l'intermédiaire de lobbyistes, pour l'une de trois raisons. La première concerne la politique suivie. Ils n'aiment pas les règles et vous demandent d'en adopter de nouvelles ou disent que le gouvernement ne respecte pas les règles. La deuxième raison, c'est l'acquisition; ils veulent vendre quelque chose au gouvernement. Le gouvernement achète pour plus de 13 milliards de dollars par an de biens et de services. La troisième raison est qu'ils recherchent des subventions ou contributions.

Les risques d'abus ne se situent probablement pas au niveau des politiques. Si vous avez des gens qui entrent et sortent du service public et que vous souhaitez qu'ils contribuent, grâce à leur expérience du secteur privé, à formuler de meilleures politiques, je pense que vous pouvez dormir la nuit sans craindre qu'ils s'enfuient avec la caisse, car cela n'arrivera pas. Cependant, si un dirigeant d'entreprise prend un poste où il contrôlera soit les acquisitions soit les subventions et contributions octroyées à son secteur, un signal d'alarme s'allume. Du point de vue de la perception du public, il faut à tout le moins poser quelques gestes pour faire savoir au public que vous avez conscience du risque d'abus.

M. Duguay : Il m'a fallu quelques temps pour comprendre l'exemple donné par le sénateur Campbell, mais j'ai maintenant saisi. Lorsque vous êtes élu au Parlement, vous êtes élu par un groupe de citoyens d'une collectivité, et cette collectivité est responsable de votre comportement en tant que parlementaire, et le premier ministre est responsable du comportement du Cabinet. Ce principe est très différent de celui qui s'applique aux lobbyistes.

Jadis, le solliciteur général devait être juriste. Je ne sais pas si c'est toujours le cas. Il fallait des antécédents particuliers pour assumer ce portefeuille. Je ne pense pas que le fait d'être lobbyiste vous mette mieux ou moins à même d'occuper un siège au Cabinet. Ce n'est qu'un travail que vous faisiez précédemment.

Le principe suivant est qu'il incombe aux personnalités politiques — les parlementaires et les ministres — de se comporter correctement. J'ai déjà répondu à cette question par rapport à la personne à laquelle vous avez fait allusion. Sa profession antérieure ne se distingue en rien de n'importe quelle autre.

Le sénateur Campbell : Je ne faisais pas allusion à une personne en particulier. Trois noms viennent à l'esprit immédiatement, appartenant à différents partis.

M. Duguay : Certes. Je songe peut-être à l'une des trois que je connais également. Cela ne change rien à l'argumentation. Ce que les gens faisaient avant d'entrer dans la vie publique ne devrait ni leur ouvrir la porte du Cabinet ni la leur fermer.

Le sénateur Cowan : Souvent, la solution facile est d'avoir une interdiction, permanente ou temporaire. Dans bien des circonstances, et je songe là aux universités et à d'autres activités auxquelles nous prenons tous part, la divulgation est importante. Lorsque vous et moi avons une conversation, il est important pour moi de savoir qui vous êtes et ce qui vous motive, et la même chose vaut pour vous. Vous pouvez ainsi évaluer ce que je vous dis, et vous pouvez rejeter mon propos comme intéressé parce que je suis avocat, ou libéral ou tout ce que vous voudrez. C'est vous le juge.

Cependant, si j'ai une conversation avec vous et que vous ne possédez pas ces renseignements sur moi, vous pourriez mal interpréter ce que je dis et lui accorder plus ou moins de poids. Aussi, bien souvent, la solution facile est d'interdire d'occuper un certain poste, à tout jamais ou pendant une période donnée. Ce qu'il faut plutôt, c'est une meilleure divulgation de nos antécédents, de nos intérêts et des clients que nous représentons, et de s'en remettre ensuite à nos interlocuteurs pour qu'ils forment un jugement sur ce que nous disons en connaissance de cause.

La distinction établie par M. Jordan entre les catégories de formulation de politiques est judicieuse. Il s'agit d'obtenir les meilleurs avis possibles, d'où qu'ils viennent, dans les situations où quelqu'un passe d'un secteur à l'autre et va acheter des biens et des services, peut-être à quelqu'un qui les employait récemment.

M. Duguay : Le sénateur Andreychuk a évoqué les pauvres qui n'ont pas les moyens d'embaucher des lobbyistes et devraient être écoutés en public. Je suis soumis à une pression différente. Lorsque je représente un client comme lobbyiste professionnel, mon interlocuteur s'attend à une présentation professionnelle. Nous serions dans de beaux draps si notre présentation était mauvaise. C'est un examen différent.

Je conviens que l'examinateur est la personne qui écoute. Si la présentation est faite par l'une des plus grandes sociétés canadiennes, flanquée d'un cabinet de lobbying qui dispose des meilleures avocats et comptables, et que l'argumentation présentée n'est pas très bonne, je pense que l'interlocuteur réagira négativement. Si, en revanche, une petite association sans but lucratif d'une petite localité rurale fait une présentation, je pense que l'interlocuteur sera plus tolérant en l'absence d'un document PowerPoint.

Je suis pleinement d'accord. Vous jugez sans cesse les gens qui interviennent auprès de vous. S'ils ne vous disent pas qui ils sont, nous considérons cela comme une mauvaise chose. Ils devraient s'identifier, indiquer qui ils représentent et de quel sujet ils veulent parler.

Le sénateur Stratton : J'essaie de centrer un peu la discussion car nous sautons d'un sujet à l'autre ce matin. Nous cherchons à enclencher un processus, comme le sénateur Andreychuk l'a dit, débouchant sur un changement de mentalité. C'est ce que vise ce projet de loi. Je pense que tout le monde est d'accord là-dessus.

Un changement de mentalité met en jeu la perception du public. Nous nous défendons sans cesse sur ce point, à tort ou à raison, mais la plupart du temps à raison. Vous considérez le problème et vous vous demandez : « Comment faire cela tout en répondant aux besoins du commissaire au lobbying? » Prenons le cas des lobbyistes inscrits et le problème des renseignements qu'ils doivent fournir. Je conviens avec vous que ces derniers sont commercialement sensibles et ne devraient pas être assujettis à la Loi sur l'accès à l'information.

En substance, le projet de loi s'efforce d'établir une trace écrite. C'est le pivot de tout le reste, afin que s'il y a un dérapage quelque part, il y aura une trace permettant de déterminer ce qui a dérapé et pourquoi. C'est le principe fondamental de ce que nous faisons ici.

Cela étant admis, comment le comité, avec votre aide, peut-il accomplir cela? Voilà le deuxième principe.

Si c'est le cas, passons à la troisième étape : Comment décider qui devrait être couvert par les dispositions de cette loi et qui ne le devrait pas? Comme le sénateur Joyal l'a dit, il faudrait des définitions claires. Qui décide cela? En gros, c'est notre rôle. Comme vous, je ne pense pas qu'un chauffeur ou un préposé à l'archivage dans un cabinet ministériel devrait être couvert. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Pas plus que ne le devrait être un député qui n'a siégé que pendant une législature. Si un député effectue un mandat et n'est pas réélu, il doit bien pouvoir gagner sa vie. Il ne faut pas le perdre de vue. Un député qui ne siège que pendant un mandat n'a pas de réelle influence sur le fonctionnement du gouvernement, et ce député ne devrait donc pas être couvert. Bien entendu, cela vaut aussi pour les sénateurs.

Ensuite il faut considérer l'autre volet. Un haut fonctionnaire à la retraite ou quelqu'un qui a travaillé au ministère de la Défense avec le rang de colonel ou ce que vous voudrez, devrait être couvert. Il faut définir ces catégories. C'est là où nous devons nous débattre avec les définitions correspondant à cinq ans et deux ans.

J'ai parlé longtemps mais j'aimerais votre réaction rapide car nous allons manquer de temps.

M. Duguay : J'aime bien l'idée de changer la culture. J'ai suivi à la télévision plusieurs de vos séances ainsi que celles du comité de la Chambre. Si vous pouvez amener le public à comprendre qu'il y a des lobbyistes qui respectent les règles et se comportent correctement, et des parlementaires, des ministres, et des membres du personnel exonéré qui se comportent correctement, alors ceux d'entre nous qui faisons partie de ce groupe pourrons travailler tranquillement. Si vous pouvez mettre en évidence l'autre groupe, ceux qui ne s'inscrivent pas et qui utilisent leur réseau de copains pour faire des choses illicites, vous contribuerez à régler le problème.

Comme je l'ai dit, nous sommes en faveur de la transparence, de la responsabilisation et de toutes les mesures du projet de loi qui vont en ce sens. Nous vous demandons, selon notre perspective, de protéger l'information commercialement sensible. Nous ne demandons même pas qu'elle reste secrète, nous demandons simplement qu'elle ne soit communiquée que rétrospectivement.

Le sénateur Andreychuk : Nous avons bien compris.

M. Jordan : Notre discussion d'aujourd'hui est probablement un symptôme du problème. Ce projet de loi est énorme et j'ai mentionné deux éléments seulement. Tout le restant est bon. Comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, j'ai dû faire du porte à porte pour demander aux gens de voter pour moi alors qu'ils pensaient que j'avais volé leur argent. Ce n'est pas une situation agréable. La marée montante et la marée descendante touchent également tous les navires. Il faut — et ce n'est pas là le rôle de ce comité — consacrer du temps pour expliquer aux gens à quel point le gouvernement fonctionne bien. Nous avons dans notre pays un excellent système de gouvernement. Nous avons une fonction publique professionnelle. La nature des choses veut que l'attention se concentre de manière disproportionnée sur les points de friction. Ceux qui ne lisent que les grands titres et ne voient que les problèmes peuvent parfois tomber dans le piège consistant à croire qu'ils sont révélateurs de tout le système, alors que ce n'est clairement pas le cas. Il y a un capital politique à gagner en ayant ce genre de discussion.

Tout le monde a la responsabilité d'assurer un équilibre dans le discours public. Ce projet de loi est de la bonne politique. Je ne le conteste pas une seconde. Cependant, les gens comme nous doivent vivre avec au quotidien. Comme je l'ai dit, j'y souscris pleinement.

En ce qui concerne les renseignements commercialement sensibles, là où le train déraille c'est lorsque toute l'information est affichée sur un site Internet. L'information recueillie en vertu de la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes est publiquement accessible. Mettez en place un système recueillant tous les détails que vous voudrez. Si le commissaire les conserve, s'en sert aux fins d'enquête, les vérifie ou tout ce que vous voudrez, mais sans qu'ils soient accessibles par le biais de l'accès à l'information et protection des renseignements personnels, l'AIPRP, je ne vois aucun problème du tout.

Le président : Je veux donner l'occasion à M. Murphy de répondre également à la question.

M. Murphy : La question du changement culturel est importante. Elle n'est pas propre à ce projet de loi particulier, du point de vue de tout ce qui doit changer à l'intérieur de l'administration.

Le changement culturel comporte ses propres défis, puisqu'il suppose que l'on s'accorde non seulement sur sa nécessité mais aussi sur ses modalités. C'est difficile à faire. Je vais vous donner un exemple. On nous a souvent dit au cours des discussions sur ce projet de loi, ces derniers mois, que certaines de nos objections pouvaient attendre jusqu'au stade du règlement d'application et que tout s'arrangerait alors. Ce serait là un exemple d'une absence de changement culturel qui nous inquiéterait beaucoup.

Vous avez l'occasion d'améliorer le projet de loi dans les domaines que nous avons indiqués. Vous devriez les examiner de près. Ce sont là des déficiences. Oui, allez-y et réfléchissez au principe du projet de loi, à savoir opérer un changement de culture majeur sur le plan de la transparence et de la reddition de comptes. Nous vous avons déjà dit que les milieux d'affaires n'ont aucune objection à cela. C'est simplement une question d'exécution.

Selon notre optique, il s'agit de saisir l'occasion qui se présente à vous. Vous pouvez faire du bon travail ici.

Le sénateur Ringuette : J'aimerais intervenir. Le groupe qui comparaît aujourd'hui nous recommande d'inviter des témoins qui puissent nous expliquer ce qui se fait dans d'autres juridictions. Ce serait opportun. Quelqu'un a mentionné que le Québec a une loi sur le lobbying. Vu la nature de votre activité de lobbying, je soupçonne qu'une partie se déroule à l'étranger, étant donné la mondialisation. Il serait approprié que nous examinons également ce qui se fait dans les pays étrangers.

Le sénateur Stratton : Proposez-vous que nous allions à Dubaï?

Le sénateur Ringuette : Non. Nous pouvons probablement faire venir quelques experts à Ottawa. Nous n'avons pas besoin d'aller à Dubaï pour nous renseigner sur la législation du Québec, son fonctionnement et les problèmes qui peuvent s'y poser.

Le président : Normalement, cela n'est pas l'affaire des témoins mais celle du comité directeur du comité.

Est-il exact que vous êtes tous les quatre des lobbyistes inscrits?

M. Murphy : Oui.

Mme Stilborne : Oui.

M. Duguay : Oui.

M. Jordan : Oui.

Le président : Vous travaillez dans ce domaine quotidiennement.

Il a été question à plusieurs reprises de l'âge de cette Loi sur l'enregistrement des lobbyistes et de la date de son dernier remaniement, et cetera. Nous, dans ce comité et dans les autres comités sénatoriaux, bénéficions de l'apport de la Bibliothèque du Parlement dont le personnel est composé d'experts de divers domaines, titulaires de doctorats, qui rédigent quantité de documents d'information pour nous.

J'aimerais prendre deux minutes du temps du comité, particulièrement pour la gouverne de ceux qui nous regardent à la télévision et n'ont pas de copie de la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, pour en faire l'historique et en situer le contexte.

La Loi sur l'enregistrement des lobbyistes a beaucoup évolué depuis 1989, en raison notamment d'une disposition qui prévoit un examen périodique par le Parlement de ses dispositions et de son application.

L'examen le plus récent a été effectué en 2001 par le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes. Dans son rapport, intitulé La transparence à l'ère de l'information : la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes au XXIe siècle, le comité a fait plusieurs recommandations en vue d'améliorer l'application de la loi.

Le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, donnait suite à certaines des principales recommandations du comité. Il visait plus précisément à améliorer les enquêtes et l'application de la loi, à simplifier et à harmoniser les exigences d'enregistrement des lobbyistes, à clarifier et à améliorer le libellé de la loi et à rendre exécutoires plusieurs modifications de forme.

Le projet de loi C-15 a reçu la sanction royale le 11 juin 2003, mais il n'est entré en vigueur que le 20 juin 2005, au même moment que le règlement modifiant le Règlement sur l'enregistrement des lobbyistes. Le délai était nécessaire pour mettre à jour le Règlement sur l'enregistrement des lobbyistes ainsi que le système de transmission électronique pour l'enregistrement en direct, dont vous avez déjà fait état.

Effectivement, le 20 juin 2005 a été lancé un nouveau système d'enregistrement des lobbyistes, plus convivial, afin que les Canadiens aient pleinement et facilement accès aux renseignements recueillis par le Bureau du directeur des lobbyistes. Il convient de signaler que le report de l'entrée en vigueur du projet de loi C-15 a entraîné le report jusqu'en 2010 du prochain examen quinquennal de la loi.

Ma question est celle-ci : en tant que lobbyistes inscrits, pensez-vous que ces renseignements décrivent fidèlement l'historique de cette loi depuis 1989?

Mme Stilborne : Oui.

Le président : Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, nous avons dépassé l'horaire de 25 minutes. J'ai délibérément accordé à tous les sénateurs tout le temps voulu pour qu'ils posent leurs questions et nous apprécions les réponses données.

Nous recevons ce matin Simon Rosenblum, membre du comité directeur de Campagne 2000 pour mettre fin à la pauvreté au Canada. Campagne 2000 est un mouvement d'éducation publique pancanadien se donnant pour mission de sensibiliser les Canadiens et d'appuyer la résolution visant à mettre fin à la pauvreté au Canada d'ici l'an 2000 adoptée par tous les partis de la Chambre des communes en 1989.

Soyez le bienvenu au comité. Après votre exposé, les sénateurs vous poseront des questions et nous pourrons avoir un échange animé. Vous avez la parole.

Simon Rosenblum, membre du comité directeur, Campagne 2000 : En regardant les allers et venues dans la salle derrière moi, je me souviens avoir comparu il y a de nombreuses années devant le Comité des affaires étrangères de la Chambre des communes, alors sous la présidence de Bill Graham. Le président du Congrès canadien du travail, Bob White, m'avait précédé. Dès que M. White s'est levé, la salle s'est vidée car tout le monde courait après lui. Je constate qu'encore une fois je parviens à vider une salle. Cette fois-ci, même les collègues qui devaient se joindre à moi dans ce panel m'ont déserté.

Mettant à profit le temps que vous m'avez si généreusement accordé, j'aimerais situer un peu le projet de loi dont vous êtes saisi dans le contexte de ce que j'appelle les petites ONG sans but lucratif.

J'ai passé toute ma vie, peu ou prou, à travailler pour les petites ONG sans but lucratif à un titre ou à un autre, notamment comme chef de cabinet du ministre des Finances de l'Ontario.

Lorsque je dis petites ONG sans but lucratif, j'entends des organisations réellement petites. Je songe là aux trois ONG auxquelles je consacre mes années de retraite, siégeant à leur comité directeur et comité d'orientation : des organisations dont le budget se situe entre 100 000 $ et 200 000 $ et ayant un personnel allant d'un employé à temps partiel jusqu'à trois employés.

Ce contexte est utile, je l'espère, en ce sens que vous pouvez imaginer que toute charge de travail additionnelle imposée à ces organisations, qui ont déjà du mal à faire face, représente un fardeau considérable. Je ne veux pas exagérer et prétendre que tout va s'effondrer si elles ont un peu plus de contraintes paperassières et de déclarations à fournir; néanmoins, je ne veux pas non plus minimiser les inconvénients. Il existe des points de rupture au-delà desquels les choses deviennent ingérables.

Je parlerai non seulement de Campagne 2000, mais aussi de Campaign Against Child Poverty et du Mouvement canadien pour une fédération mondiale. Toutes correspondent à la catégorie de taille que je viens de mentionner. Une seule, Campagne 2000, est actuellement inscrite au registre.

Il existe une vaste zone grise sur le plan de l'enregistrement ou absence d'enregistrement d'une ONG : tout dépend de la manière dont le seuil de 20 p. 100 du temps d'une personne est calculé. Il y a là une grande marge de manœuvre. Je fais valoir que plus le processus sera encombrant, et plus les ONG vont choisir de se défiler d'un côté de la zone grise, selon la rigueur des contrôles effectués.

Certes, les mécanismes de déclaration prévus ici ne sont pas un fardeau énorme. Certains pourront même les trivialiser et dire que les contraintes sont mineures. Cependant, lorsque l'ONG est déjà confrontée à une charge de travail ingérable, tenir des dossiers pour consigner chaque personne contactée et chaque réunion tenue — réunir tous ces documents dans un dossier et le transmettre une fois par mois ou par trimestre, selon le cas — ce n'est pas là un fardeau que l'on peut imposer à la légère à ces organisations.

Je ne veux pas donner à entendre que toutes les autres ONG ne font pas un travail terriblement important, mais j'attire votre attention sur la contribution à la politique publique des trois organisations dont je suis familier.

Dans la lutte contre la pauvreté des enfants, les gens ne se précipitent pas pour envoyer des chèques. Les pauvres n'ont pas les moyens de contribuer à des organisations comme Campaign Against Child Poverty ou Campagne 2000. Ces gens vivent sur la corde raide.

Pourtant, lorsqu'on songe à l'utilité de ces organisations comme premier défenseur de plus d'un million d'enfants vivant dans la pauvreté dans notre pays, et lorsqu'on contextualise cela — il y a toujours des difficultés de mesure, on peut discuter de savoir si c'est un enfant sur six ou sept et l'on peut comparer les méthodes statistiques — mais quel que soit le point de comparaison retenu, nous offrons un triste tableau comparé à d'autres économies de marché démocratiques telles que les pays de l'OCDE. En Europe occidentale, le taux de pauvreté juvénile est la moitié de celui du Canada; dans les pays scandinaves, c'est un tiers.

Le pays a désespérément besoin d'organisations comme les nôtres pour faire un travail d'organisation à la base, façonner l'opinion publique — ou l'influencer dans une certaine mesure, à tout le moins — établir un climat tel que le public comprenne mieux l'urgence du problème. De toute évidence, cela suppose un travail de lobbying, bien que pas nécessairement au sens où ce terme est généralement compris, mais en tout cas le maintien de relations avec des politiciens afin de leur fournir l'information la plus actuelle, la comparution devant des comités, et cetera.

Je signale l'autre organisation dans laquelle je joue un rôle important — le Mouvement canadien pour une fédération mondiale. Nous sommes dans une situation singulière. Il n'y a pas si longtemps, le Canada a été un acteur de premier plan dans la création de la Cour pénale internationale. Cette idée n'a pas surgi de nulle part. Elle venait du Mouvement pour une fédération mondiale — pas seulement la section canadienne mais aussi notre section internationale. Nous avions une envergure suffisante pour influencer la politique à cet égard et cela prouve que même une petite organisation peut jouer un rôle considérable. Le Canada a fait sienne cette notion d'une responsabilité de protéger les victimes d'agissements indignes, qu'il s'agisse de génocide, d'épuration ethnique ou d'autres crimes massifs contre l'humanité. Encore une fois, cette notion d'intervention humanitaire n'est pas venue de nulle part. Elle venait d'organisations non gouvernementales comme nous, qui ont mené campagne pour cela pendant longtemps.

Même de très petites organisations travaillant dans un petit créneau apportent une contribution majeure à la politique publique. Ces organisations sont hautement professionnelles : leurs connaissances et leurs capacités sont à la pointe de l'art. J'ai mentionné le Mouvement pour une fédération mondiale. Lorsque je songe aux anciens ministres qui viennent présider nos organisations — qu'il s'agisse de Flora MacDonald, de Warren Allmand récemment ou d'Allan Blakeney avant lui — il ne s'agit pas là d'esprits dérangés qui décident d'ouvrir un bureau.

J'espère que vous admettrez deux choses. Premièrement, il ne faut pas ériger fortuitement des barrières tel qu'il soit plus difficile à ces organisations de s'adresser au gouvernement, d'essayer de l'influencer, de veiller à ce que tout le monde travaille sur la base des mêmes chiffres. Deuxièmement, il s'agit de ne pas leur compliquer indûment la vie.

Nous comprenons tous la raison d'être de ce projet de loi. Dans l'ensemble, il s'adresse au secteur à but lucratif et aux transactions commerciales. À la Chambre des communes, d'aucuns ont préconisé de retrancher entièrement du projet de loi les organisations sans but lucratif. Ce sont des pommes et des oranges. On gagne peu à les mettre dans le même panier.

Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est absolument indispensable de les retrancher. Je conclus en vous appelant à user de votre influence et de vos pouvoirs pour nous faciliter la vie autant que possible.

Le sénateur Campbell : Ma première question est de savoir si vous êtes inscrit au registre?

M. Rosenblum : L'organisation principale que je représente, soit Campagne 2000, l'est. Les deux autres ne le sont pas.

Le sénateur Campbell : Vous-même, êtes-vous enregistré comme lobbyiste?

M. Rosenblum : Je ne suis pas au fait de tous les détails et je peux me tromper. Nul n'est inscrit comme lobbyiste. L'organisation est inscrite; si un nom est donné, je suppose que c'est celui du directeur général.

Le nombre des contacts avec le gouvernement n'est pas énorme. Cependant, à l'occasion, lorsque le gouvernement travaille sur certains projets de loi ou options budgétaires, tout se bouscule. À certaines périodes, l'organisation cherche à rencontrer autant de députés que possible. Lorsque c'est gérable et faisable à l'autre bout, l'organisation communique avec les sous-ministres et sous-ministres adjoints, selon le cas. C'est très variable.

Le sénateur Campbell : Connaissez-vous bien le projet de loi C-2?

M. Rosenblum : J'ai lu les articles qui nous concernent. Je traite ici uniquement des contraintes déclaratoires. La production de ces déclarations et la tenue des dossiers requis pour cela peut être un fardeau.

Une chose à éviter, comme conséquence non intentionnelle, c'est que les gens qui s'inscriraient autrement — ceux qui sont juste à la lisière de cette zone grise — décident de ne pas le faire parce que c'est devenu fastidieux. Je ne sais pas si cela serait dans l'intérêt public.

Le sénateur Campbell : Savez-vous que si moins de 20 p. 100 du temps d'une personne est consacré au lobbying, elle n'est pas obligée de déclarer?

M. Rosenblum : J'ai lu cela et j'ai essayé d'obtenir une interprétation de la règle. Nous avons reçu un appel à ce sujet il y a quelques jours; ma base de connaissances concernant cette disposition ne remonte qu'à trois jours.

Lorsqu'on parle de 20 p. 100 du temps d'une personne, supposons que vous ayez trois employés qui, chacun, consacrent 7 p. 100, et vous êtes rendu à 21 p. 100. Sur cette base, et pour cette intervention limitée auprès du gouvernement et en n'ayant rien à vendre de toute façon, tout est connu du public.

Nous n'avons rien à gagner à ajouter le fardeau de déclarations répétées à une charge de travail déjà pénible. Lorsque je dis « nous », j'entends le public.

Le sénateur Campbell : L'une des difficultés que nous connaissons est qu'il n'est pas de notoriété publique que l'inscription n'est pas nécessaire si une personne consacre moins de 20 p. 100 de son temps au lobbying. Dans ces conditions, ce n'est pas considéré comme une activité majeure de l'organisation.

Lorsque la proportion est supérieure à 20 p. 100, l'inscription est obligatoire. Je conviens avec vous qu'il ne faut pas ériger des obstacles, mais ce projet de loi a une raison d'être. Nous avons reçu hier le directeur des lobbyistes et l'éducation était l'un des aspects abordés. Il faut à tout le moins sensibiliser le public et les lobbyistes à leurs responsabilités respectives.

Il est clair qu'avec moins de 20 p. 100, votre organisation ne sera pas touchée. Une proportion supérieure à 20 p. 100 exigera probablement l'enregistrement et les déclarations. Vous défendez des idées nobles et je suis d'accord avec ce que vous faites : cependant, l'éducation est cruciale. À moins de 20 p. 100, vous n'êtes pas concerné, mais à plus de 20 p. 100, il faudra voir quels seront les effets.

M. Rosenblum : Vingt pour cent sonnent comme une tranche considérable de quelque chose, mais ce n'est pas 20 p. 100 du temps de l'organisation. Ce peut être un pourcentage infime du temps de l'organisation, mais vous pourriez avoir trois personnes à 7 p. 100, ce qui totalise 21 p. 100 pour l'organisation.

J'aimerais savoir ce que vous entendez pas éducation. Les gens ne connaîtront pas mieux ou pas moins Campagne 2000, par exemple, parce que nous serons enregistrés.

Le sénateur Campbell : L'éducation ne porte pas sur ce que les gens savent de Campagne 2000.

M. Rosenblum : Comment nous communiquons avec le gouvernement.

Le sénateur Campbell : L'éducation dont je parle consiste à faire en sorte que les organisations soient informées, par le biais du Bureau du commissaire au lobbying, des responsabilités et des règles. C'est de cette éducation dont je parle et c'est un travail que je crois nécessaire mais pour lequel les ressources n'existent pas.

Il ne s'agit pas de nous éduquer, nous, sur votre organisation. Je parle de l'accès à l'information afin que vous-même connaissiez vos responsabilités en tant que lobbyiste.

M. Rosenblum : Des personnalités qui ont détenu des portefeuilles ministériels dans ce pays...

Le sénateur Campbell : Warren Allmand ne sera pas couvert par cela.

M. Rosenblum : Nous ne sommes pas des innocents quant aux droits et responsabilités de nos organisations et à nos relations avec le gouvernement. Je pense que nous les menons de manière hautement professionnelle. Il n'y a pas une grande courbe d'apprentissage à faire sur ce plan. Je ne pense pas que tout d'un coup nous aurons mieux le sens de nos responsabilités envers le public et le Parlement canadien parce que nous aurons ces déclarations à fournir.

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais un éclaircissement. Vous avez dit avoir été contacté il y a six jours — par qui?

M. Rosenblum : Un sénateur a appelé Campagne 2000 pour demander si nous serions intéressés à témoigner devant le comité.

Le sénateur Andreychuk : Est-ce la première fois que vous réfléchissez à cela?

M. Rosenblum : Oui, c'est la première fois.

Le sénateur Andreychuk : Connaissez-vous la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes?

M. Rosenblum : Nous sommes des lobbyistes inscrits.

Le sénateur Andreychuk : Est-ce que Campagne 2000 est enregistrée sous le régime de la LEL ou celui de la Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance?

M. Rosenblum : Nous sommes enregistrés sous le régime de la LEL.

Le sénateur Andreychuk : Est-ce que Campagne 2000 est en règle avec la loi actuelle?

M. Rosenblum : C'est exact.

Le sénateur Andreychuk : Je suis un peu confuse. Êtes-vous opposé au système actuel ou bien vos propos concernent- ils uniquement les modifications contenues dans le projet de loi C-2?

M. Rosenblum : Le projet de loi C-2.

Le sénateur Andreychuk : Pourquoi?

M. Rosenblum : J'ai dit que je ne souhaitais pas que mes objections soient montées en épingle. Les formalités déclaratoires peuvent être lourdes, en particulier pour les très petites ONG. C'est mon seul message pour le comité. Je demande si le jeu en vaut la chandelle, étant donné l'importante contribution sociale des petites ONG. Cette question doit être tranchée par les membres du comité. Je ne peux que répéter et ce n'est guère utile.

Le sénateur Andreychuk : Qu'est-ce qui vous amène à conclure que vous aurez à remplir des formalités différentes avec les modifications, comparées à la LEL actuelle?

M. Rosenblum : Selon le breffage que j'ai eu, il y aura davantage de déclarations avec les modifications.

Le sénateur Andreychuk : Qui vous a fait ce breffage?

M. Rosenblum : Un employé de Campagne 2000.

Le sénateur Andreychuk : Était-ce en prévision de votre comparution ici?

M. Rosenblum : C'est juste.

Le sénateur Andreychuk : Dans ses propos, le sénateur Campbell vous a dit que la loi actuelle ne prévoit aucune éducation pour informer le public des obligations. Le projet de loi devrait rectifier cela, à condition que les crédits suivent.

À mon avis, vous n'aurez probablement pas à vous inscrire car vous n'êtes pas ce type d'organisation. À moins d'être rémunéré, il vous faudrait consacrer beaucoup plus de temps au lobbying que vous ne le faites.

M. Rosenblum : Nous sommes enregistrés. Ce n'est pas moi qui ai pris cette décision et je n'ai pas participé à la discussion sur cette décision. La conclusion était que le seuil de 20 p. 100 était franchi.

Le sénateur Andreychuk : Vous êtes enregistré sous le régime de la LEL. Qu'est-ce que le projet de loi changerait pour vous?

M. Rosenblum : Je crois savoir que, jusqu'à présent, l'organisation n'a pas rempli les déclarations périodiques — peut-être à tort — sur les personnes rencontrées et le sujet des entretiens. C'est cela qui est nouveau, me dit-on.

Le sénateur Day : Seriez-vous surpris si je vous disais qu'il n'existe aucune définition de « lobbyiste » dans la LEL sous le régime de laquelle vous êtes enregistré?

M. Rosenblum : Peut-être.

Le sénateur Day : Les témoins précédents ont estimé que cela pourrait réduire la confusion s'il y avait une définition de « lobbyiste ». Cela permettrait, plus particulièrement aux petites ONG, de savoir si elles doivent fournir une déclaration.

L'article 7 de la LEL dit que « les fonctions visées [...] constituent une partie importante de celles d'un seul employé ou constitueraient une partie importante des fonctions d'un employé si elles étaient exercées par un seul employé »; c'est là où interviennent les 7 p. 100.

Si trois employés passent 7 p. 100 de leur temps à communiquer avec le gouvernement sous une forme ou sous une autre, alors cela équivaut à plus de 20 p. 100. Vous avez tout à fait raison là-dessus. La disposition s'applique à une organisation employant plusieurs personnes. Il n'est pas nécessaire que les trois soient employés, 17 peuvent être des bénévoles. C'est très ouvert.

M. Rosenblum : Campagne 2000 fait partie d'une organisation plus large appelée Family Social Services, de Toronto, et la FSA a demandé à l'époque un avis juridique. J'ai vu la lettre de l'avocat qui exprimait l'avis que nous devions nous inscrire. Nous avons fait ce que nous pensions être à la fois chose honorable et responsable, soit nous conformer à la lettre de la loi, et nous nous sommes donc enregistrés.

Le sénateur Day : Je vous en félicite, car c'est pour vous un fardeau. Je remarque que l'une des activités qui oblige les organismes sans but lucratif à s'enregistrer concerne l'octroi de subventions ou d'autres avantages financiers par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom.

Si une association de bénévoles sans but lucratif communique avec le gouvernement aux fins de l'octroi de subventions, contributions ou appuis financiers, l'organisation est tenue de produire une déclaration.

M. Rosenblum : Oui.

Le sénateur Day : Nous avons reçu ici deux des trois plus petits groupes. Je sais combien cette obligation d'inscription et les contraintes déclaratoires sont lourdes pour vous. Je crois savoir qu'auparavant vous déclariez tous les six mois environ, et c'était fait par la personne concernée.

Dans le projet de loi, c'est chaque mois. C'est une modification de l'article 7 de la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, à la page 72 du projet de loi C-2. Le projet de paragraphe 7(4) dit : « Le déclarant fournit, en la forme réglementaire » — il est probable que davantage de renseignements seront demandés — « dans les 15 jours suivant la fin du mois au cours de laquelle la déclaration a été fournie [...] et par la suite dans les 15 jours suivant la fin de chaque mois ». Vous devez produire une déclaration initiale et ensuite tous les mois, à moins de n'avoir eu aucun contact du tout avec personne.

Vous dites avoir eu un breffage par votre organisation, et c'est l'obligation déclaratoire qui les préoccupe. Est-ce exact?

M. Rosenblum : C'est ce que j'ai dit. J'ai lu les 10 pages de cette partie.

Le sénateur Day : Dans une petite organisation enregistrée qui compte au plus trois ou quatre employés, si l'un de ceux-là se trouvait être Warren Allmand ou quelque autre ancien titulaire de charge publique de haut rang ou un titulaire de charge publique fédérale, vous êtes tenu d'indiquer dans la déclaration le nom de cette personne et toutes les fonctions qui lui ont donné la qualité de titulaire de charge publique. Dans quelle mesure cela sera-t-il un fardeau pour une organisation comme la vôtre?

M. Rosenblum : Je vous répète encore une fois que pour le personnel consistant en un, deux ou trois employés de ces petites organisations — je ne veux pas faire une montagne d'une taupinière — la tenue des dossiers et la production des déclarations mensuelles alourdit ce qui est déjà un fardeau insupportable. Je n'ai pas besoin de vous dire que nul ne s'enrichit en travaillant pour ces organisations et ce personnel travaille des heures extrêmement longues. Le surcroît de paperasse signifie que d'autres choses seront négligées.

Pour ma part, mon penchant serait de rendre la vie aussi facile que possible à ces organisations qui, franchement, sont transparentes comme une vitre. On sait bien ce qu'elles défendent auprès du gouvernement et elles comparaissent sans cesse à des comités permanents. Elles ne disent rien qu'elles ne répètent pas devant les comités permanents et je ne pense pas que les nouvelles mesures ajoutent quoi que ce soit à l'ensemble des connaissances. C'est là mon humble opinion. Je ne vois que des inconvénients.

Le sénateur Day : Monsieur Rosenblum, vous représentez une organisation enregistrée, ainsi que deux autres ONG qui ne le sont pas. Nous espérions que deux autres viendraient, et je suis déçu qu'elles ne soient pas là, mais nous apprécions votre témoignage. Vous avez dit ne pas vouloir faire une montagne d'une taupinière. Votre présence ici aujourd'hui vous préoccupe-t-elle?

M. Rosenblum : Il y a une raison pour laquelle les autres organisations ne sont pas là, et c'est la charge de travail. C'est la manifestation, pure et simple, du fait qu'elles sont débordées au-delà de toute limite.

Il se trouve que je suis bénévole et c'est un peu différent. Du fait que c'est le genre de travail que je faisais dans ma vie active, il m'est facile de m'y préparer. D'autres organisations ne disposent peut-être pas d'une ressource comme celle-ci.

Nous avons pensé que cette intervention vaudrait la peine. Encore une fois, nous la faisons en sachant que notre monde ne s'écroulera pas si vous adoptez le texte tel quel, mais notre vie serait plus facile si vous ne le faisiez pas.

Le sénateur Day : Vous êtes ici aujourd'hui bénévolement.

M. Rosenblum : Oui.

Le sénateur Day : Craignez-vous que votre présence ici pour parler d'un projet de loi présenté par le gouvernement pourrait nuire à vos relations avec ce dernier?

M. Rosenblum : Absolument pas.

Le sénateur Day : Je suis heureux de l'entendre.

M. Rosenblum : Je ne pense pas qu'il y ait un refroidissement. Nous ne sommes peut-être pas tout à fait en phase avec le gouvernement actuel sur le plan politique, mais cela dit, rien n'a changé sur le plan de notre faculté de communiquer avec le gouvernement. Il n'y a pas de refroidissement ou pas de barrière par rapport à la situation antérieure.

Le sénateur Day : Êtes-vous préoccupé par l'interdiction quinquennale — nous avons appelé cela une « période de refroidissement » — qui pourrait empêcher, par exemple, des membres du cabinet de ministres de s'impliquer dans des ONG? Cela vous préoccupe-t-il?

M. Rosenblum : Ce n'est pas fréquent. Cependant, je suis un ancien chef de cabinet d'un ministre des Finances. J'ai alterné entre les ONG et l'administration publique. Il y a peut-être là un problème.

Le sénateur Day : Si les cinq années s'étaient appliquées à vous en ce sens que vous étiez défini comme haut fonctionnaire et étiez de ce fait empêché de faire don de votre temps dans une ONG pendant cinq ans, trouveriez-vous cela oppressant?

M. Rosenblum : Oui, absolument. Je ne pense pas que ce soit dans l'intérêt public. Il faut distinguer d'une façon ou d'une autre entre les intérêts commerciaux et les intérêts non commerciaux. Il y a là un monde de différence.

Le sénateur Joyal : Monsieur Rosenblum, ce matin a comparu un autre témoin, M. Jordan, au nom du Capital Hill Group. Il a mentionné qu'il existe trois types de lobbying : le lobbying pour des changements de politique, le lobbying pour des marchés, c'est-à-dire vendre des biens et services au gouvernement, et le lobbying pour obtenir des subventions ou une aide financière.

Dans laquelle des trois catégories de lobbying entrent vos activités?

M. Rosenblum : C'est à 99,5 p. 100 dans la première.

Le sénateur Joyal : Selon les témoins de ce matin, le lobbying d'ordre politique relève de l'intangible. Vous faites votre présentation et défendez votre point de vue. Cependant, beaucoup d'autres gens vont promouvoir des vues politiques ou une conception de la réalité et c'est là, à mon avis, où il est le moins difficile de conclure qu'il ne s'agit pas d'ajouter des faveurs. Si une organisation sans but lucratif réclame un changement de politique en faveur des enfants du Canada, ce ne sera pas l'organisation sans but lucratif qui en profitera.

Les bénéficiaires seront les enfants du Canada. Si la loi interdit le versement d'une commission, que vous réussissiez ou non, ce cas est réglé. Votre avantage est minimal car ce n'est pas vous qui bénéficierez de la décision. Si vous vendez des biens et services, bien entendu vous bénéficierez car il y aura un profit. C'est le but d'une transaction. Dans ce cas, vous bénéficiez directement. Nous avons besoin aujourd'hui d'être renseignés sur ce genre d'activité. Le public a le droit d'être renseigné sur ce genre d'activité.

Passons ensuite au troisième type, la subvention. Si le gouvernement donne de l'argent à votre organisation, le contribuable canadien a pleinement le droit de savoir où va son argent et pour quoi faire. Le gouvernement prend sa décision sur la base d'autres considérations, mais vous recevez un avantage tangible.

Dans le premier cas, il n'y a pas d'avantage tangible, à mon sens. Vous n'êtes pas le bénéficiaire direct, surtout si vous êtes un groupe militant pour une cause. C'est le genre de choses dont il faut tenir compte si l'on veut faire une place à part pour les sociétés sans but lucratif. Autant je suis en faveur de la divulgation dans le cas des marchés et des subventions, autant j'ai conscience que dans le cas des groupes militants et des interventions relatives à la politique, les avantages tangibles ne vont pas à ceux qui exercent l'influence; ils sont plutôt partagés par des milliers de personnes.

Je suis tenté de faire une distinction sur la base de ce que le sénateur Campbell a dit, à savoir que si le lobbying des sociétés sans but lucratif est de caractère militant, vous avez raison. Comme vous dites, la défense de la cause représente 99,5 p. 100 des activités de votre groupe. C'est une situation particulière et différente. Le but poursuivi est différent. Il n'y a pas d'argent directement en jeu. Il ne va pas directement au groupe lui-même. Il y a là une distinction à établir.

M. Rosenblum : Vous dites mieux que moi ce que j'essayais de dire, à savoir qu'il faut nous ranger dans la catégorie appropriée.

Vous parlez d'intérêt financier. Si, nous plaidions avec succès notre cause, nous n'aurions plus de raison d'être. Nous serions heureux de disparaître.

Le sénateur Joyal : Vous tournez le monde à l'envers.

Nous savons que, pour un grand nombre d'ONG qui défendent une cause, cette dernière occupe la majorité du temps de leurs bénévoles ou employés. C'est une situation différente si une société sans but lucratif essaie de vendre des biens ou services au gouvernement ou d'obtenir une subvention. Si une société sans but lucratif consacre plus de 20 p. 100 du temps d'un employé ou bénévole à demander au gouvernement un soutien financier ou des subventions, j'admets que le lobbying doit être divulgué. Nous savons qu'il y a alors un avantage direct pour le groupe.

S'agissant d'un groupe défendant une cause, je ne vois aucun avantage direct pour ses membres. L'avantage va à une catégorie de personnes, mais la plupart du temps en tout cas, il n'y a pas d'avantage direct pour la personne qui défend la cause. Il y a une distinction à établir entre les deux. Est-ce que cela couvre en grande partie ce que vous recherchez?

M. Rosenblum : Cela le couvre totalement. Dans la mesure où nous demandons une subvention ou deux pour nos projets, dans un cas le ministère des Ressources humaines et du Développement social et dans l'autre cas celui des Affaires étrangères et du Commerce international, je suis totalement d'accord avec vous. Toute la divulgation nécessaire doit être faite.

Si le comité et le Sénat dans son entier font ce que vous recommandez, sénateur Joyal, cette recommandation sera très bien accueillie par ma collectivité.

Le sénateur Andreychuk : Je veux m'attarder sur cette question de l'action revendicatrice. Je ne veux pas parler spécifiquement de votre organisation, ce serait déloyal. Je la connais mais pas suffisamment pour connaître chaque nuance. Je connais beaucoup d'organisations qui auraient du mal à dire « Nous défendons une cause aujourd'hui », mais si vous le faites suffisamment bien, c'est souvent vous la personne qui s'occupe de la mise en œuvre, et cela conduit à une subvention. Prenons la Cour pénale internationale, ou le Mouvement pour une fédération mondiale, auquel j'adhère soit dit en passant, qui a commencé par une action militante, mais cette action a conduit à quantité de travaux d'exécution, séminaires, facilitation de la Cour, supervision de la Cour, et à des fonds qui lui ont été alloués grâce à la crédibilité de l'organisation militante. Comment séparer l'action militante des subventions? Comment pouvons-nous dire aujourd'hui que vous défendez une cause mais que, en fait, demain vous allez demander une subvention? Il faut réfléchir à cela, ou alors vous serez empêchés de toucher des subventions, si je suis bien votre raisonnement.

M. Rosenblum : Je ne veux pas fendre les cheveux en quatre. Dans l'exemple que vous utilisez, ce n'est pas là la position du Mouvement canadien pour une fédération mondiale.

Le sénateur Andreychuk : Je suis bien d'accord. Je ne voulais pas utiliser d'exemple particulier.

Si je défends une cause et que je le fais avec de bons arguments, je suis engagée dans cette cause et je veux aller jusqu'au bout. Je commence par l'action revendicatrice mais je continue avec la mise en œuvre, ce qui ouvre la possibilité de subventions.

M. Rosenblum : Une situation comme celle-ci peut se produire à l'occasion. Je n'ai pas de réponse toute prête à vous donner. C'est une considération légitime. Selon mon expérience, cela n'arrive pas souvent. C'est arrivé dans le cas que vous citez, mais la différence est que nous parlons ici d'organisations canadiennes et des déclarations à fournir par des ONG canadiennes.

Le sénateur Andreychuk : Parlons donc des organisations canadiennes. J'ai travaillé sur la condition des enfants et avec beaucoup d'organisations de type service aux familles. Nous voulions faire accepter nos idées mais aussi nous occuper de l'exécution car la cause nous tenait très à cœur. C'est comme si ma main gauche était l'avocat et ma main droite l'exécutant. Grâce à Dieu, nous avons ce genre d'ONG qui commence le travail et le termine. C'est pourquoi j'ai du mal, selon l'optique gouvernementale, à voir comment vous pouvez être exempt jusqu'à ce que vous arriviez à un certain stade. Du point de vue de la militante, je me sentirais alors paralysée. J'aurai vendu une bonne idée mais maintenant je ne pourrai participer à la mise en œuvre parce que je n'ai pas fait une divulgation assez tôt.

M. Rosenblum : Il est vrai également que les militants pour la condition juvénile n'ont pas et n'ont jamais eu de prétentions; nous ne sommes pas dans le domaine de l'administration des services.

Le sénateur Andreychuk : Pas vous. C'est pourquoi je ne voulais pas vous prendre comme exemple.

M. Rosenblum : Nous sommes l'organisation de pointe en matière de pauvreté des enfants.

Sans aucun doute, vous pourriez trouver des organisations dans la situation que vous décrivez. Si j'étais à votre place, j'en tiendrais compte.

Le sénateur Joyal : À ce sujet, si un groupe qui milite pour un changement de politique réussit dans ses efforts et demande ensuite une subvention ou un soutien financier pour exécuter le programme ou réaliser l'objectif pour lequel il s'est battu, je suis totalement d'accord avec le sénateur Andreychuk. À ce moment-là, vous entrez dans la troisième catégorie, celle qui reçoit des fonds publics. Dans ce cas, vous devez déclarer. Je n'ai aucune objection à cela. Au contraire, je suis en faveur.

Lorsqu'un groupe de défense promeut une politique, je ne vois pas l'utilité d'imposer à cette organisation sans but lucratif de produire une déclaration chaque mois avec tous les détails précisés par le sénateur Day. Cependant, dès que l'objectif change, l'association doit s'enregistrer.

Le président : Au nom du comité, je tiens à vous remercier d'être venu et de nous avoir fait part de vos idées et de celles de votre organisation sur le projet de loi C-2.

La séance est levée.


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