Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 12 - Témoignages du 19 octobre 2006
OTTAWA, le jeudi 19 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, se réunit aujourd'hui à 9 h pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, la séance que nous entamons est notre 27e dans le cadre de notre examen du projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation. Le projet de loi est mieux connu sous le nom de loi fédérale sur la responsabilité.
Comme le savent les sénateurs, les témoins et les membres du public ici présents ou qui nous regardent à la télévision, ce projet de loi est un élément central du programme du nouveau gouvernement et l'une des plus importantes mesures législatives dont le Parlement ait été saisi au cours des dernières années. Le comité accorde à ce projet de loi l'examen approfondi, minutieux et détaillé qu'il mérite. Nous avons déjà consacré plus de 90 heures de réunions au projet de loi et entendu plus de 140 témoins. Ceux-ci ont traité de sujets allant de la responsabilité à l'éthique et aux conflits d'intérêts, en passant par le privilège parlementaire, le financement politique, le bureau du budget parlementaire, l'accès à l'information, la protection de la vie privée, la dénonciation, les pouvoirs de vérification, l'approvisionnement et le lobbying.
Nous allons, dans le cadre de la présente séance, nous concentrer sur la question du directeur des poursuites pénales. J'ai le très grand honneur d'accueillir ici pour ouvrir le bal le très honorable Antonio Lamer. M. Lamer compte parmi les meilleurs juristes du Canada, et il n'a de ce fait guère besoin de présentations. Il a connu une brillante carrière juridique, au cours de laquelle il s'est entre autres vu nommer à la Cour supérieur de la province de Québec en 1969 et à la Cour d'appel du Québec en 1978. En 1980, il a été nommé à la Cour suprême du Canada, où il est devenu juge en chef du Canada le 1er juillet 1990. Il a poursuivi sa distinguée carrière au service du public en étant nommé commissaire au Centre de la sécurité des télécommunications en 2003, poste qu'il a occupé jusqu'à plus tôt cette année. Il travaille aujourd'hui au sein du cabinet d'avocats Stikeman Elliott et est membre du Barreau du Québec.
[Français]
Le comité tient à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole et ensuite nous passerons à une période de questions et de discussions qui, j'en suis certain, sera très utile pour les membres du comité.
[Traduction]
Nous sommes ravis que vous soyez ici et envisageons avec plaisir de vous entendre.
[Français]
Le très honorable Antonio Lamer, ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, à titre personnel : Honorables sénateurs, je commencerai ma présentation en français. Le mot «présentation» est un bien grand mot, pour si peu.
En effet, ayant témoigné une quinzaine de fois devant le Parlement, et en ayant entendu d'autres témoigner une cinquantaine de fois, vous trouverez sûrement ma présentation quelque peu hors de l'ordinaire. Je m'explique.
[Traduction]
En effet, la semaine dernière j'étais à Montréal pour Stikeman Elliott, et ce jusqu'à samedi après-midi. J'appelais chaque jour, en fin de journée, pour savoir ce qui s'était passé, pour voir si la grange n'avait pas brûlé, pour me faire dire tard dans l'après-midi de jeudi que les honorables membres du comité ici présent souhaitaient m'entendre au sujet du projet de loi C-2. C'est tout ce que je savais.
Lorsque je suis retourné au bureau lundi, après avoir été absent pendant toute une semaine, j'avais sur mon bureau tout un tas de choses à trier, et ce n'est que tard lundi soir que j'ai commencé à compiler toute la documentation. Grâce à l'aide de M. Lafrenière, j'ai reçu toute une pile de renseignements, et j'avais épluché toute cette brique qu'est ce projet de loi avant d'apprendre que vous souhaitiez m'entendre sur un chapitre bien particulier, et que vous venez à l'instant de mentionner. Il me faut dire que j'ai apprécié cette erreur, car cela m'a donné l'occasion de lire le projet de loi. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il s'agit d'un projet de loi extrêmement important et qui concerne des questions très fondamentales pour notre pays.
Comme je le disais, ce n'est que mardi, en lisant la documentation qui m'avait été envoyée, que je me suis rendu compte que je devais me concentrer sur la question du directeur des poursuites pénales, et c'est ainsi que j'ai dû mettre les bouchées doubles. Encore une fois, grâce à M. Lafrenière, j'ai pu réunir différentes choses au sujet des DPP. J'ai lu des articles de Janice Tibbetts, ainsi que l'article de Greg Weston. J'ai lu le rapport de M. Raaflaub, son livre. Je n'ai pas eu le temps de lire le tout, mais j'ai lu les conclusions du juge Kaufman, qui a écrit abondamment sur la question d'un DPP pour la Nouvelle-Écosse. Voilà, en gros, ce que j'ai lu. J'ai également fait quelques appels téléphoniques à des personnes dont je pensais qu'elles en sauraient plus là-dessus que moi. C'est ainsi que je me suis entretenu avec le professeur Ratushny, qui m'a indiqué d'autres lectures utiles. Cela fait une semaine que je lis des choses au sujet des DPP.
[Français]
Vous avez devant vous un témoin qui a l'habitude de traiter un sujet de façon exhaustive avant d'émettre une opinion.
Et avant d'émettre une opinion, je dois admettre que les circonstances ont fait que je n'ai pas eu le temps de me conformer aux règles de ce comité qui consistent à préparer un mémoire de 10 à 15 pages et de le remettre au moins deux semaines au préalable.
Je dois dire que pour ne pas perdre de temps, j'ai rédigé cette présentation en attendant mon repas dans un restaurant. Mais je suis quand même prêt à recevoir vos questions, si tant est que vous désirez encore m'en poser.
[Traduction]
Monsieur le président, je suis maintenant à votre disposition et à celle des honorables sénateurs membres du comité, et j'espère pouvoir vous être de quelque utilité, en dépit de la situation dans laquelle je me suis trouvé placé.
Le président : Merci beaucoup de ces mots d'introduction. Y a-t-il quelque chose de général que vous aimeriez dire au sujet des articles du projet de loi C-2 qui traitent du DPP, ou au sujet du processus de nomination ou d'autres choses qui auraient retenu votre attention lors de votre lecture de cette partie du projet de loi, ou bien préféreriez-vous que l'on passe tout de suite aux questions?
M. Lamer : J'ai certainement des idées au sujet des DPP — de la question d'en avoir ou de ne pas en avoir —, mais je pense que le mieux serait que je réponde à vos questions, car c'est vous qui êtes préoccupés par les DPP. De cette façon, je serai guidé par ce qui vous intéresse. Je pourrais vous entretenir pendant deux heures des différents aspects qui interviennent relativement aux DPP.
Je pourrais vous dire que nous vivons sans DPP depuis la Confédération. La Colombie-Britannique n'a pas de DPP, mais est dotée d'un arrangement très semblable à une structure de DPP. La Nouvelle-Écosse a un directeur des poursuites pénales, mais la province a eu des difficultés avec lui ou elle, et c'est ce qui a amené l'étude Kaufman. Je suis au courant du DPP de Terre-Neuve. J'ai fait des commentaires que je qualifierais de négatifs dans mon rapport lorsque je faisais enquête sur trois affaires de meurtre — et j'ai perdu un ami. Je pourrais donc dire quantité de choses, mais je ne sais pas ce qui vous intéresse exactement. Si vous me posez des questions, je pourrai vous fournir des éléments plus pertinents et qui vous seront plus utiles que si je ne fais qu'épiloguer sur les DPP.
Le sénateur Baker : Le juge en chef Lamer est à Terre-Neuve depuis trois ans, par intermittence, et nous l'avons souvent vu au journal télévisé du soir lorsqu'on nous a montré des clips des séances de la journée. Il y en a un qui est très présent dans mon esprit, monsieur le juge en chef, où l'on vous voit dire à un avocat « Nous devrions passer à autre chose maintenant parce que cela dure depuis trop longtemps ». L'avocat avait réagi en disant « Mais, Votre Honneur, cela ne fait que deux heures », ce à quoi vous avez répondu « Maître, deux heures avec vous, c'est trop long ».
Je suis heureux de vous faire savoir que ce juriste s'est depuis lancé dans la politique. Il se présente comme candidat du Parti conservateur dans une élection partielle dans la province. Comme vous le savez, c'est un brillant jeune homme.
M. Lamer : Je devine qu'il sera limité à des périodes de questions de deux minutes.
Le sénateur Baker : Monsieur le juge en chef, oui, vous avez raison, nous avons eu un directeur des poursuites pénales à Terre-Neuve. Avec le dépôt de votre rapport, le directeur des poursuites pénales a démissionné afin de permettre un examen complet de son bureau, conformément à votre recommandation. Cet examen est en train d'être réalisé par un ancien juge de la Cour d'appel. Il devra faire un certain nombre de recommandations.
Moi aussi je fais beaucoup de lecture ces jours-ci — j'essaie de lire votre rapport. Le voici. Il doit faire environ 1 000 pages, ou 350 dans la version abrégée.
M. Lamer : Je vais vous en donner une copie reliée.
Le sénateur Baker : Merveilleux. L'ouvrage en version reliée n'est pas encore disponible ici. Le gouvernement de Terre-Neuve n'a mis en circulation votre rapport que le 21 juin de cette année, il y a moins de quatre mois. Lors de la parution de votre rapport, tout le monde a été très reconnaissant et très favorable à vos recommandations, surtout le gouvernement de la province, qui l'a dit dans un communiqué de presse.
J'aimerais vous faire lecture d'un paragraphe tiré de ce communiqué.
Le lancement d'un examen indépendant du bureau du directeur des poursuites est l'une des recommandations... que le gouvernement mettra en œuvre immédiatement. Le commissaire Lamer recommande que soit ordonné un examen indépendant pour s'assurer que des mesures ont été ou seront prises en vue d'éliminer la « culture de la Couronne » ayant contribué à la condamnation injustifiée de Gregory Parsons et étant également ressortie dans la poursuite de Randy Druken.
Vous avez recommandé qu'un guide remanié des politiques de la Couronne soit fourni au bureau du directeur des poursuites pénales et à ceux qui poursuivent en leur qualité de procureur de la Couronne. Vous avez recommandé certaines lignes directrices. Vous avez par exemple recommandé le retrait d'une accusation lorsque le procureur de la Couronne estime qu'il n'y avait au départ pas eu de motifs raisonnables et probables justifiant l'accusation initiale. Vous avez également dit que là où le procureur de la Couronne détermine que les preuves sont si manifestement peu fiables qu'il serait dangereux de condamner, il faudrait bien sûr demander l'acquittement ou ne déposer aucune preuve.
Quelle serait la situation, monsieur le juge en chef, si le procureur de la Couronne ou le directeur des poursuites pénales faisaient partie du processus décisionnel ou avaient compétence exclusive quant à la décision de poursuivre? S'ils décidaient alors de poursuivre, il n'y aurait pas ce second regard pour déterminer s'il y avait des motifs raisonnables et probables justifiant une accusation, car ce serait alors eux qui détermineraient si une accusation devrait ou non être portée.
Je pense que c'est là la question essentielle ici. Lorsque vous avez lu le projet de loi, vous avez relevé le fait que le directeur des poursuites pénales déciderait du lancement ou non d'une poursuite. Si le directeur décide d'engager une poursuite, il demandera au commissaire de faire déposer une dénonciation par écrit et sous serment devant un juge de paix. Si le directeur des poursuites pénales décide d'engager une poursuite, il demandera que le commissaire porte l'accusation. Plus loin dans le projet de loi, on nous dit qu'aucune poursuite dans le cas d'une infraction aux termes de la loi ne pourra être engagée par une personne autre que le directeur des poursuites pénales.
Ma question pour vous est très simple : étant donné les recommandations que vous avez faites à Terre-Neuve, quelle serait votre opinion quant à un bureau appelé bureau du directeur des poursuites pénales qui mènerait toutes les poursuites en vertu de toutes les lois fédérales, exception faite du Code criminel, pour lesquelles il peut engager des poursuites et, dans certains cas, comme ce qui est prévu dans le projet de loi, décider en fait si une accusation sera ou non portée?
M. Lamer : Cela varie d'une province à l'autre, mais je vais m'en tenir au contexte fédéral. À l'heure actuelle, d'après ce que je comprends, il existe, au niveau fédéral, une politique exhaustive pour les poursuites par la Couronne, ce qui n'était pas le cas à Terre-Neuve il y a 15 ans. Il ne faut pas oublier que ce que j'ai dit est le résultat de ce que j'avais entendu au sujet de situations remontant 13 ou 15 ans en arrière. Il y avait eu trois affaires de meurtre, pas le même jour. Cela doit être vu dans le contexte du fait qu'il n'y avait pas de police — la police doit être satisfaite et avoir une croyance raisonnable que la personne qu'elle va accuser est coupable.
À Terre-Neuve, contrairement à ce qui se passe dans les autres provinces, la police ne s'adresse pas au procureur de la Couronne. Elle le peut, mais elle n'y est pas tenue. Il est rare qu'elle se soit adressée au procureur de la Couronne. La police avait une certaine indépendance — et je pense que c'est toujours le cas. Une fois l'accusation portée, la Couronne détermine s'il y a une attente raisonnable de condamnation. Si le procureur de la Couronne estime qu'il n'y a pas une attente raisonnable qu'il y aura une condamnation ou, ai-je ajouté, s'il y a condamnation, que Dieu nous vienne ne aide, ce serait dangereux. C'est là que surviennent les erreurs judiciaires et que des innocents sont jugés coupables — lorsqu'il s'agit d'un verdict imprudent. Dans pareille situation, vous retirez l'accusation au cas où un jury déclare l'accusé coupable.
Si je me souviens bien, il n'y avait à l'époque aucune politique policière d'après le témoignage du sergent-chef Peddle. Il y a eu un très court rapport établissant la politique de la Couronne devant amener la recommandation que le directeur des poursuites pénales, le DPP, établisse un comité composé du barreau, etc. Je ne vais pas traiter ici de ce rapport; vous êtes saisis du projet de loi C-2, et cela suffit. La police avait élaboré une politique avant que je ne dépose mon rapport. Dès le départ, j'avais dit espérer que mon rapport soit déjà obsolète à son dépôt. Je voulais qu'ils écoutent et qu'ils commencent à corriger le problème de 15 années auparavant et qui avait envoyé au moins une personne innocente au pénitencier, au lieu d'attendre mon rapport.
La Couronne n'a rien fait. La Couronne n'a pas bougé. Je ne sais pas si elle est en train de bouger, car je n'ai pas fait de suivi. J'imagine qu'il se fait quelque chose et qu'il y aura une politique de la Couronne. Au niveau fédéral, le DPP agira conformément à une politique de la Couronne qu'il ou elle aura élaborée, non pas seul, mais, on l'espère, avec l'Association du Barreau canadien, différents barreaux, la police et les avocats de la Couronne — peut-être en consultation avec le Manitoba, qui a en place une merveilleuse politique de la Couronne qui fonctionne très bien. Si les sénateurs s'en souviennent, Bruce MacFarlane avait témoigné au sujet de cette question. Il me faut dire que son témoignage avait été le plus impressionnant que j'avais entendu dans mes trois années en tant que commissaire.
Le sénateur Baker : M. MacFarlane va comparaître ici aujourd'hui.
M. Lamer : Vous aurez un témoin formidable, qui sera bien mieux préparé que moi.
Le directeur des poursuites pénales peut toujours voir sa décision renversée par le sous-ministre adjoint de la Justice, si j'ai bien compris, mais seulement dans des cas exceptionnels. Il y a eu un débat sur l'intérêt public et l'intérêt général, ce sur quoi j'ai lu certaines choses. Il conviendrait de décider si ce pourrait être une question d'intérêt public, ce qui, je comprends bien, inclurait évidemment l'intérêt général. S'il y a un intérêt public ou s'il s'agit d'une question de politique fondamentale, alors le procureur général peut intervenir par le biais du sous-procureur général et prendre l'affaire en mains, toujours si mon interprétation du projet de loi est la bonne. En conséquence, bien que le sous- ministre de la Justice fonctionne à distance par rapport aux politiciens — le ministre de la Justice et procureur général — ce n'est pas une abdication de la part du gouvernement que de lui accorder toute sa liberté. Il y a toujours cette possibilité.
Remontons un petit peu dans l'histoire. Je pense que cela doit faire 53 ans que je travaille dans ce domaine, mais je me souviens de deux cas bien particuliers. Permettez-moi de dire, en guise de préface, que je ne citerai aucun nom pertinent car les intéressés sont âgés ou morts, et je ne voudrais blesser personne ni porter atteinte au souvenir que gardent de ces personnes leurs enfants et petits-enfants. Je peux me tromper, mais je ne me souviens que de deux cas où il y a eu une perception, et je dis bien « perception », d'ingérence dans une poursuite par le maître politique, bien que je ne sois pas en train de dire si cette perception était fondée.
Les choses se passent bien dans le système judiciaire au niveau fédéral, le SMA jouissant, sur un plan constitutionnel, d'une relation à distance par rapport au ministre, bien qu'il soit un employé du ministre de la Justice, avant que le ministre s'ingère dans la poursuite lorsque le SMA interviendrait en tant que DPP, conformément à la loi, en attendant que l'on en désigne un. Il n'y a pas de vrai problème, car je n'ai pas récemment vu la nécessité d'un DPP. Cependant, ce n'est pas une mauvaise idée d'avoir un deuxième poste qui fonctionne à distance par rapport au bras politique de la justice. C'est un petit peu comme l'assurance-incendie : ce n'est pas parce que vous n'avez jamais eu d'incendie que vous n'avez pas d'assurance-incendie.
Le DPP serait une assurance supplémentaire quant à l'indépendance du système des poursuites au niveau fédéral.
Le sénateur Baker : Permettez-moi de vous demander alors, de façon plus précise, si le bureau du DPP devrait intervenir directement dans la décision de porter une accusation?
M. Lamer : Moi, je dis exceptionnellement; Kaufman dit très rarement. Je vais utiliser le terme « exceptionnellement », mais les exceptions pourraient être nombreuses. Tout dépend de l'ambiance, de ce qui se passe et du genre de gouvernement que vous avez.
Permettez que je vous situe un petit peu le contexte. Lorsque Don Christie était SMA, affaires pénales, il a été succédé par Landry. Je connaissais Landry lorsqu'il était chef du bureau des procureurs fédéraux à Montréal, qui était à l'époque la capitale du crime au Canada. Je veux parler du Montréal de l'époque des boîtes de nuit.
Le juge Landry — aujourd'hui retraité, je pense —, lorsqu'il était chef de ce bureau, ne se faisait presque jamais rien dire par Don Christie, qui allait ensuite devenir juge en chef adjoint à la Cour de l'impôt. C'était très rare que le SMA prenne le téléphone; je le sais, car je déjeunais souvent avec Landry et nous discutions de ces choses. C'était à lui que s'adressaient les avocats adjoints avant d'inscrire une suspension d'audience, de retirer une accusation ou de faire quelque chose qui sortait de l'ordinaire.
C'est la même chose avec le DPP. Landry n'allait s'entretenir avec Don Christie que lorsqu'il y avait quelque chose de très spécial. Il faut qu'il y ait des limites, et celles-ci doivent être inscrites dans la politique.
Le sénateur Baker : Pensez-vous qu'il faille les inscrire dans la loi?
M. Lamer : Vous pouvez également inscrire cela dans la loi — moi, je parle politiques; vous, vous parlez lois. La politique devrait expliciter que vous ne devez pas tirer dans le noir. Attendez qu'il y ait vraiment quelque chose qui exige que vous interveniez. Et cela s'étend jusqu'à la prise en main de la poursuite par le procureur général ou le sous- procureur général.
Le sénateur Baker : Cet article du projet de loi qui traite de la Loi électorale du Canada, qui dit que c'est le directeur des poursuites pénales qui décidera dans tous les cas, dans toutes les situations d'infraction, si une accusation sera ou non portée, n'est donc peut-être pas selon vous la meilleure idée?
M. Lamer : Je tempérerais un petit peu cela en disant qu'il devrait déléguer — non pas abdiquer, mais déléguer. S'il ne peut pas faire confiance au procureur en chef de la Couronne, alors il devrait le renvoyer ou le muter à la planification des politiques, car à partir d'un certain moment, cet homme ou cette femme n'aura plus le temps de s'occuper de toutes les poursuites. Songez à toutes les poursuites pour affaires de drogue au Canada qu'il lui faudrait passer en revue — la décision de porter une accusation ne se résume pas à la simple lecture de l'accusation; il faut lire tout ce qui a amené la décision de porter une accusation, qui est une décision importante.
Parfois c'est facile; vous arrêtez la personne la main dans le sac et le tour est joué. Il ne vous est pas nécessaire d'étudier longuement l'affaire. D'autres accusations exigent des écoutes téléphoniques. Vous ne le savez peut-être pas, mais certaines écoutes téléphoniques exigent des affidavits de 5 000 pages. Je ne peux pas m'imaginer le DPP devant passer à travers les affidavits pour toutes ces affaires de drogue ou toutes ces demandes de branchement clandestin; je ne pense pas qu'il aurait le temps de tous les examiner.
Le sénateur Baker : Je voulais parler de l'article qui traite de la Loi électorale du Canada.
M. Lamer : Cela est différent. L'on enlève à la Loi électorale du Canada...
Le sénateur Baker : On enlève au commissaire le pouvoir de prendre une décision.
M. Lamer : C'est une décision du Parlement.
Le sénateur Baker : Et le Parlement est suprême.
M. Lamer : Voilà.
Le sénateur Baker : Que pensez-vous de ce qui semble être un changement proposé à la loi au Canada en matière d'accusation, en vertu de trois des quatre lois que nous avons ici, pour une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité qui, en vertu du Code criminel, est assujettie à une limite temporelle de six mois? Au fil des ans, cela a été changé dans certaines lois — par exemple la Loi sur l'environnement, la Loi sur les pêches — la limite, dans certains cas, ayant été portée à un an et demi ou deux ans après que le ministre ait eu pris connaissance de l'infraction. Vous avez déjà statué sur de telles affaires.
Le projet de loi porte à dix ans le délai pour porter accusation. On peut en effet y lire qu'aucune procédure ne peut être engagée au titre de la loi « plus de dix ans après la date de la prétendue perpétration ».
M. Lamer : Quelle perpétration?
Le sénateur Baker : Ce serait inclus dans les trois lois que nous avons ici — la loi sur la responsabilité ici proposée, la Loi électorale du Canada et la Loi sur l'accès à l'information.
J'aimerais savoir si vous avez quelque opinion en la matière. Des raisons ont été données au comité, bien sûr...
M. Lamer : Parle-t-on ici d'infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité?
Le sénateur Baker : Oui, ce sont des infractions hybrides qui sont sujettes à des conséquences pénales. Il peut y avoir poursuite par procédure sommaire ou poursuite d'acte criminel.
M. Lamer : S'il y a poursuite par procédure sommaire, c'est six mois.
Le sénateur Baker : Non, c'est dix ans en vertu du projet de loi. Il y a prolongation du délai. Cela existait déjà. Permettez-moi de vous lire l'article en entier. Il y a prolongation de plusieurs années pour porter le délai maximal à dix ans.
Aucune procédure ne peut être engagée au titre de la présente loi plus de cinq ans après la date où le commissaire a eu connaissance des éléments constitutifs de l'infraction et, en tout état de cause, plus de dix ans après la date de la prétendue perpétration.
Ce même libellé se trouve transplanté dans les autres lois.
J'aimerais connaître votre avis là-dessus si, comme vous l'avez laissé entendre, le procureur représentant le DPP décide d'engager une poursuite par procédure sommaire, auquel cas il disposerait de dix ans pour porter l'accusation. Je sais que vous n'avez pas eu le temps d'étudier cela, mais vous avez déjà tranché dans des affaires du genre.
M. Lamer : Je n'ai pas eu le temps de fouiller les différents aspects. Cela me semble être une approche très peu habituelle en droit pénal.
Je sais que pour diverses raisons le délai maximal pour poursuivre dans de nombreux textes de loi a été porté de six mois à un an ou deux ans, et dans un cas, dans certaines lois administratives, je pense, le délai est passé à cinq et à sept ans.
Le président : Sénateur Baker, l'on vient de me remettre le texte. Pourriez-vous me dire à quelle page cela se trouve?
Le sénateur Baker : C'est à la page 32, tout en bas, sous « Prescription », article 65. Ce texte, sauf certains mots, se trouve également transplanté dans d'autres lois.
Comme vous le disiez, vous avez au fil des ans vu certaines lois renfermant cette disposition étendant cela au droit administratif.
M. Lamer : Il y a eu plusieurs raisons à cela.
Le sénateur Baker : Que penseriez-vous d'une disposition visant une infraction hybride, le directeur des poursuites pénales devant choisir de poursuivre par procédure sommaire ou de poursuivre en justice avec, dans un cas comme dans l'autre, des conséquences pénales et l'affaire portant un titre du genre « Sa Majesté la Reine c. Pierre Untel »? Je devine que vous n'aimeriez pas beaucoup cela.
M. Lamer : J'aimerais avoir le droit de poser des questions là-dessus au ministère de la Justice.
Le sénateur Baker : Message reçu.
M. Lamer : Peut-être qu'il a de bonnes raisons, mais je n'en vois aucune.
Le sénateur Baker : Monsieur le juge en chef, permettez que je vous pose encore une question, car le président, en tant qu'ancien professeur de droit, est sur le point de me couper la parole, fidèle à ses habitudes de professeur.
J'aimerais vous poser une question au sujet des rôles du procureur général et du directeur des poursuites pénales. Le procureur général peut reprendre une poursuite au directeur des poursuites pénales, et un tel retrait serait public; cela paraîtrait dans la Gazette du Canada.
M. Lamer : Cela serait publié dans la Gazette du Canada, et devrait être motivé.
Le sénateur Baker : Permettez que je porte à votre attention quelque chose qui pourrait donner lieu à un argument du genre Stinchcombe, que vous avez maintes fois repris dans vos décisions. Au bas de la page 108, à l'article 11, il est question du report de la publication d'une directive et de la limitation de ce report. En d'autres termes, il y a dans le projet de loi une disposition de secret; le procureur général peut envoyer une lettre ou exiger du directeur qu'il retire la poursuite à mi-procès, car le report est ainsi limité au paragraphe 11(2) :
Toutefois, elle ne peut être reportée au-delà du terme de la poursuite ou de celui de toute poursuite connexe.
En d'autres termes, il y a une poursuite en cours et le procureur général donne pour quelque raison une directive au directeur des poursuites pénales. Comme vous le dites, la raison donnée est : nous voulons vous retirer du dossier, peut- être pour des raisons liées à l'affaire faisant l'objet de la poursuite. Personne ne sait; ce n'est pas explicité. La disposition permet que cela demeure secret jusqu'à la fin de la poursuite.
M. Lamer : Oui, mais il s'agit d'un retrait. Il ne faudrait pas mal interpréter la décision Stinchcombe. La décision Stinchcombe est là pour divulguer les preuves retenues contre un accusé. C'est une bonne question à poser : la preuve ou les raisons de l'annulation d'une accusation portée contre quelqu'un relèveraient-elles de Stinchcombe?
Le sénateur Baker : Le croyez-vous?
M. Lamer : À brûle pourpoint, car nous avons l'habitude de réfléchir aux choses pendant un peu plus longtemps que 12 secondes, je dirais que non, le motif derrière Stinchcombe étant d'habiliter la défense à préparer son dossier. Si vous allez retirer l'affaire, les raisons pour lesquelles vous la retirez ne correspondent pas à vos raisons de préparer le dossier. Vous ne préparez pas le retrait. Avec le retrait, vous repartez tout simplement. Je pense, à première vue, qu'il n'y aurait peut-être pas en la matière de problème de type Stinchcombe, mais qui sait? L'on parle de neuf autres personnes qui pourraient estimer que oui, mais, pour ma part, je ne le pense pas.
Le sénateur Baker : Dans la version anglaise, les termes « initiate » et « institute » sont utilisés de façon interchangeable dans la partie du projet de loi traitant du directeur des poursuites pénales. L'on y emploie de façon interchangeable les expressions « institute proceedings » et « initiate proceedings ».
M. Lamer : Qu'y a-t-il dans la version française?
Le sénateur Baker : Nous pourrions donner deux exemples. Allons à la page 105.
M. Lamer : Je vous suis.
Le sénateur Baker : On y lit, dans la version anglaise, « The director initiates ».
M. Lamer : En français, on dit « engage ».
Le sénateur Baker : Mes collègues m'appuieront pour dire que je dis la vérité ici, bien que j'aie de la difficulté à repérer le mot « institute ». Il figure trois fois dans le texte.
Le sénateur Day : Pendant que vous cherchez, je peux peut-être nous compliquer encore davantage les choses. Pendant que vous cherchez le mot « institute », si vous prenez le terme « initiates » en haut de la page 104, vous verrez qu'il est rendu en français par « engager ». Cela colle avec « initiate ». Le mot « initiate » est donc rendu ici par « engage » ou « engager ».
Le sénateur Baker : Le terme « institute » figure dans le texte concernant l'autorisation du directeur des poursuites pénales. Cela se trouve au bas de la page 112, à l'article 512.
M. Lamer : Dans la version anglaise, « May be instituted by a person... »
Le sénateur Baker : On y lit « instituted », et c'est le même mot.
M. Lamer : En français, cela est de nouveau rendu par « engagées ».
Le sénateur Baker : On peut lire « initiate a prosecution » et « institute a prosecution ». Selon vous, à quel moment la poursuite serait-elle engagée?
M. Lamer : Lorsque vous portez l'accusation.
Le sénateur Baker : Est-ce lorsque vous avez porté l'accusation ou déposé la plainte?
M. Lamer : Si vous parlez d'une poursuite qui est engagée, ce n'est pas une poursuite sans accusation. Il faut qu'il y ait une accusation pour que ce soit une poursuite. Si je peux me permettre d'utiliser une expression ancienne, ce n'est pas une clameur publique devant la police ou, je ne sais pas, la Couronne. Si vous parlez de « prosecution for an offence may be instituted », vous pouvez y réfléchir et tergiverser avant, mais si vous engagez la poursuite, alors cela veut dire que vous avez fait le premier pas, et ce premier pas est le dépôt d'accusations.
Le sénateur Baker : Vous ne voyez rien de mal à ce que ces deux termes soient employés de façon interchangeable?
M. Lamer : J'y vois quelque chose de mal. Le Parlement devrait éviter d'utiliser des termes différents lorsqu'il parle de la même chose.
Le sénateur Baker : Exactement. Dans tout ce processus, quelle est l'importance de ce que l'on appelle ce deuxième regard exigeant, que doivent porter sur une affaire le directeur des poursuites pénales et son personnel avant d'aller de l'avant avec une poursuite, une fois une accusation portée? Ce deuxième regard, dont vous dites qu'un procureur de la Couronne devrait le porter, est-il un élément important de notre système judiciaire canadien?
M. Lamer : Dieu merci, on ne pend plus les gens, après avoir entendu ce que j'ai entendu à Terre-Neuve et vu des affaires comme celles de Guy Paul Morin et de Parsons. Je pourrais vous citer toute une série de noms, et j'aurais bien aimé qu'il y ait eu, dans ces affaires-là, un troisième regard. En conséquence, je ne vois rien de mal à ce qu'il y ait un deuxième regard.
Avant de mouliner quelqu'un, de le faire passer par le collimateur du système de droit pénal, qui est très invasif et très dur, vous stigmatisez la personne. Vous stigmatisez même ceux qui se font acquitter. Vous les stigmatisez même lorsqu'on trouve le vrai coupable, comme dans l'affaire Parsons.
Dans Parsons, un matricide, on a condamné le fils pour le viol de sa mère et 52 coups de couteau qu'il lui aurait infligés, et il a passé des années au pénitencier. En 1995, on fait un examen plus détaillé d'échantillons d'ADN et il est exonéré. Deux années plus tard, on trouve d'autre ADN et une personne est accusée du crime et plaide coupable.
Je prenais des taxis matin et soir en partance et à destination du Mayfair Hotel, l'ancien Newfoundland Hotel, à St. John's. J'ai rencontré un ou deux chauffeurs de taxi qui, malgré le fait que M. Parsons ait été acquitté, ait été jugé innocent sur les faits et malgré le fait que quelqu'un ait plaidé coupable, ait signé une confession et déclaré que M. Parsons n'avait rien à voir avec le crime, m'ont avoué avoir le sentiment que M. Parsons avait eu quelque chose à voir avec ce meurtre. Voilà ce que pensaient deux chauffeurs de taxi, qui étaient tout à fait représentatifs de la population générale.
C'est pourquoi je dis que le système de droit pénal est un système extrêmement dur. Vous stigmatisez les gens et vous envahissez de façon extraordinaire leur vie privée. Vous leur demandez où ils étaient tel soir, avec qui, ce qu'ils faisaient, ce qu'ils ont mangé, ce qu'ils ont fait et ce qu'ils n'ont pas fait. Vous envahissez la vie privée de tous les témoins. Vous leur demandez parfois même leur âge. À l'heure actuelle, certains tribunaux ne demandent plus aux gens leur âge, à moins que ce ne soit pertinent dans l'affaire.
C'est pourquoi le deuxième regard sera fonction de la personne nommée et de son mode de fonctionnement. Vous pouvez avoir dix regards rapides, deux regards qui s'attardent et un bon long regard probant. L'important n'est pas le fait qu'il y ait un deuxième regard ou ceci ou cela. L'important est que l'on soit toujours prudent s'agissant de porter une accusation. Cela vaut pour tous les avocats, du plus jeune jusqu'en haut de la pyramide.
Le sénateur Baker : Cela signifie-t-il que la personne qui jette ce deuxième regard ne devrait pas être celle qui a jeté le premier?
M. Lamer : Vous constaterez dans mon rapport que je suggère qu'il y ait toujours au sein de l'escouade de police faisant enquête sur un crime grave quelqu'un qui se fasse l'avocat du diable. Et il faudrait toujours que quelqu'un joue ce même rôle au sein d'un cabinet d'avocats. Si un détective dit avoir reçu de l'information d'une personne, alors il faudrait que soit présent un autre agent pour voir si l'intéressé a été testé pour consommation de drogue. Dans une affaire dont je me suis occupé, tout le monde était drogué. À ma connaissance, les seuls qui ne l'étaient pas étaient les policiers. Il devrait toujours y avoir un opposant pour vérifier ceci ou cela. Il faudrait qu'il y ait toujours cet avocat du diable. C'est ainsi que l'on évitera les condamnations injustifiées.
Le sénateur Baker : Monsieur le juge en chef Lamer, dans ce projet de loi, le directeur des poursuites pénales et les procureurs travaillant pour lui peuvent engager des poursuites et devenir des agents pour le bureau du solliciteur général — on parle aujourd'hui de Protection civile. Ils peuvent accompagner la police pour signifier le mandat de perquisition de 500 pages dont vous avez parlé, pour aider la police et pour être au courant de tout le contenu de ce mandat de perquisition. Les mêmes personnes pourraient se voir charger de la poursuite de l'affaire.
M. Lamer : La politique devrait établir que les choses ne devraient pas se passer ainsi. Nous autres juges — je dis « nous », mais je ne suis plus juge depuis près de sept ans maintenant — les juges qui entendent l'enquête préliminaire n'instruisent pas l'affaire. Il n'y a aucune loi qui dit qu'ils ne le peuvent pas.
Lorsque j'étais jeune avocat au Québec, dans certains districts ruraux où il n'y avait qu'un juge, la même personne entendait l'enquête préliminaire, puis le procès. Ce n'était pas très efficace comme système.
À l'heure actuelle, il y a en place une politique visant à empêcher cela. Le Québec a une politique. Le genre de situation dont je viens de parler ne se présente plus, car il y a toujours au moins deux juges disponibles dans un même district rural. C'est là une question pour les responsables de l'élaboration des politiques.
[Français]
Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Lamer. Nous éprouvons toujours beaucoup d'humilité à vous écouter, connaissant votre grande expérience d'au-delà de 50 ans dans l'administration de la justice.
J'aimerais revenir sur l'article 11 du projet de loi, qui est à la page 108, celui dont nous avons parlé au tout début de la rencontre et pour lequel vous avez fait certains commentaires, en réponse au sénateur Baker.
C'est l'article qui dit que :
(1) Le procureur général ou le directeur peut, s'il juge que l'administration de la justice l'exige, ordonner que la publication des directives dans la Gazette du Canada conformément au paragraphe 10(1) soit reportée.
(2) Toutefois, elle ne peut être reportée au-delà du terme de la poursuite et de celui de toute poursuite connexe.
Je voudrais attirer votre attention sur le rapport que l'Association du Barreau canadien nous a fait au sujet de l'article 11. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'en prendre connaissance.
M. Lamer : Je n'ai pas eu le temps.
Le sénateur Joyal : Je pourrais demander au greffier de vous donner une copie du rapport au témoin.
Le Barreau canadien a évidemment soumis le projet de loi C-2 à une analyse rigoureuse et il nous a fait un certain nombre de recommandations.
J'attire votre attention au bas de la page 19 du mémoire et si vous permettez, je lirai en même temps que vous.
En vertu de la loi proposée, le procureur général aurait le pouvoir d'intervenir dans des cas particuliers ou de donner des conseils [...]
M. Lamer : Moi j'ai un texte en anglais.
Le sénateur Joyal : C'est le paragraphe qui suit la première recommandation. J'aimerais qu'on vous apporte un texte en français. L'avez-vous?
M. Lamer : Je ne sais pas si la pagination est la même en anglais qu'en français.
Le sénateur Joyal : Veuillez prendre ma copie et je prendrai le texte anglais. C'est au bas de la page 19. Maintenant que vous avez le texte français, je lirai en anglais si vous me permettez.
[Traduction]
En vertu de la loi proposée, le procureur général aurait le pouvoir d'intervenir dans des cas particuliers, ou de donner des conseils ou des directives sur des questions particulières dans des cas exceptionnels. Dans certaines circonstances, il peut être nécessaire de différer la présentation de l'avis officiel concernant une telle mesure. Pour accroître encore davantage la transparence dans la prise de décision sur les poursuites, nous suggérons que le procureur général fournisse immédiatement cet avis dans l'éventualité d'une telle intervention ou d'un tel conseil, accompagné des raisons pour lesquelles une déclaration plus détaillée ne peut être faite jusqu'à la conclusion de la poursuite en question.
[Français]
Il y a donc deux éléments : «to give notice» and «the reasons», ce que l'article 11 ne précise pas. Il ne précise pas que le procureur général doit donner les raisons pour lesquelles il donne l'avis d'intervention.
M. Lamer : Si je comprends bien, il doit donner l'avis.
Le sénateur Joyal : Il doit donner l'avis, mais il ne donne pas les raisons. Si vous lisez l'article 11, il n'est pas mentionné de façon précise pour quelles raisons il donne l'avis d'intervention.
[Traduction]
M. Lamer : L'article dit que toute directive du genre doit être donnée par écrit et publiée dans la Gazette du Canada, et que cela peut être reporté jusqu'au terme de la poursuite.
[Français]
Le sénateur Joyal : Absolument. Je vais lire la recommandation du Barreau en anglais. Je m'excuse, je vous ai remis ma copie française.
[Traduction]
M. Lamer : Cela doit être publié dans la Gazette du Canada.
Le sénateur Joyal : L'Association du Barreau canadien recommande que l'article 11 de la Loi sur le directeur des poursuites pénales soit modifié de manière à limiter uniquement aux circonstances exceptionnelles tout retard concernant la présentation de l'avis officiel relatif à une intervention ou à des directives précises du procureur général. Dans de telles circonstances, la présentation immédiate d'un avis officiel concernant l'existence de cette intervention ou de ces directives devrait être exigée, avec les raisons pour lesquelles un avis décrivant en détail la nature de la démarche effectuée ne peut être présenté avant la conclusion de la poursuite.
M. Lamer : À la conclusion de la poursuite.
Le sénateur Joyal : Oui.
M. Lamer : Cela est présenté à la conclusion de la poursuite. Il n'y a rien de mal à cela. Je suis en faveur de cela. Je sais pourquoi. C'est parce que vous ne voulez pas qu'il y ait nullité de procès.
Le sénateur Joyal : Bien sûr.
M. Lamer : Tout dépend de ce qu'il dit, de ce qu'est la directive et des raisons. Cela pourrait amener un procès nul ou une erreur judiciaire. Ce pourrait être terriblement injuste pour l'accusé.
Le sénateur Joyal : Absolument.
M. Lamer : Ce doit être dans l'intérêt de l'administration de la justice. Lorsque la directive finira par être publiée, si elle n'était pas dans l'intérêt de l'administration de la justice, alors il s'ensuivra des conséquences.
Le sénateur Joyal : C'est pourquoi le Barreau recommande que soient fournies les raisons de l'avis décrivant en détail la nature de la démarche effectuée. Je peux comprendre qu'il faille retarder la publication des raisons, comme vous l'avez dit, ce afin d'éviter un procès nul, mais à la fin de la poursuite, il vous faut savoir pourquoi les intérêts de l'administration de la justice étaient en cause. À l'issue de la poursuite, il vous faut connaître les raisons détaillées. Voilà ce que nous recommande l'ABC.
M. Lamer : Cela n'y figure-t-il pas?
Le sénateur Joyal : Selon l'ABC, le texte est trop vague pour qu'il serve l'objectif de la transparence. C'est ce que dit le Barreau dans son mémoire.
M. Lamer : Je ne suis pas opposé à ce que dit le Barreau. Cela rend les choses plus claires, mais c'est suffisamment clair pour moi. Si le Barreau estime que ce n'est pas suffisamment clair pour certains, eh bien, cela arrive souvent. Je comprends que le procureur général donne une directive, et cette directive, s'il estime qu'elle est dans l'intérêt de l'administration de la justice, et elle doit être dans l'intérêt de l'administration de la justice, ne peut pas simplement être une intervention fantaisiste dans le déroulement d'une affaire. Il lui faudra, à la conclusion de la poursuite, publier la directive dans la Gazette du Canada. Ce serait plus clair si l'on disait qu'il fallait qu'il y ait la directive y compris les raisons pour lesquelles ce serait dans l'intérêt de l'administration de la justice.
Le sénateur Joyal : Exactement. C'est ce que veut le Barreau.
M. Lamer : Il n'y a rien de mal à cela. Cela tirerait les choses au clair. Mais si je lisais cela, ce que je dirais c'est que cela y figure déjà implicitement. L'objet de la publication de la directive est d'expliquer pourquoi il s'est mêlé de l'affaire. Il s'est mêlé de l'affaire parce que, et il donne ses raisons, mais celles-ci doivent avoir un rapport avec l'intérêt de l'administration de la justice. C'est interrelié. Je n'ai rien à dire contre ce que le Barreau proposerait en guise d'éclaircissement. Plus les choses sont claires, et mieux c'est.
Le sénateur Joyal : C'est précisément ce pour quoi le Barreau a suggéré cela. Dans son mémoire, il dit « pour accroître encore davantage la transparence dans la prise de décision sur les poursuites ».
M. Lamer : Je n'y vois rien de mal. Cela éclaircit davantage les choses, mais cela est déjà selon moi implicite dans l'article 11. Le procureur général doit dire pourquoi il a jugé que l'administration de la justice l'exigeait.
Le sénateur Joyal : L'avis pourrait simplement dire « Dans l'intérêt de l'administration de la justice, j'ai décidé que... » Cela s'inscrit sous le titre ou l'étiquette générale d'intérêt de l'administration de la justice, mais en ce qui concerne l'affaire qui nous occupe, nous ne savons pas en quoi l'intérêt de l'administration de la justice serait servi par une telle décision.
M. Lamer : Si j'étais l'avocat de la défense, je lui enverrais une assignation à comparaître et lui demanderais de m'expliquer quels sont les intérêts de l'administration de la justice.
Le sénateur Joyal : Oui, reconnaissant que vous engagez là encore une autre procédure, et ainsi de suite. Il serait plus clair que cela figure dans la loi.
M. Lamer : Je conviens que la proposition du Barreau n'est pas une mauvaise proposition.
Comme je l'ai déjà dit, je n'y vois rien de mal. Je n'entreprendrais pas le rédacteur sur cela.
Le sénateur Andreychuk : Vous dites que vous n'entreprendriez pas le rédacteur du fait que cela soit implicite. Je constate que le Barreau indique qu'il voudrait que ce pouvoir ne soit utilisé que dans des circonstances exceptionnelles. Un procureur général n'interviendrait que s'il estimait que cela était dans l'intérêt de l'administration de la justice. Comment pourrait-on limiter cela à des circonstances exceptionnelles?
M. Lamer : Une intervention par le procureur général est en soi une circonstance exceptionnelle, et il faudrait qu'une telle circonstance exceptionnelle serve l'intérêt de l'administration de la justice. L'intérêt de l'administration de la justice est que la poursuite suive son cours, que le procureur traite de l'affaire et qu'il n'y ait pas ingérence du fait de directives données au procureur. Voilà quelle est la règle générale, à moins d'une situation exceptionnelle.
Je pourrais imaginer un scénario dans lequel un témoin est un informateur en matière de sécurité et vous avez quatre personnes pour prouver le point A. Vous n'avez pas besoin d'une cinquième personne pour établir la même chose. Mettez en parallèle le fait que le témoin se fasse contre-interroger et qu'il ressorte qu'il est un des informateurs. Dans ce scénario, nous disons que vous n'avez pas besoin de ce témoin pour prouver les faits en cause. Vous avez quatre témoins d'identification et ils sont tous solides. Il serait le cinquième.
Le sénateur Andreychuk : Le Barreau dit que ce pouvoir ne devrait être exercé que dans des circonstances exceptionnelles. Ce que moi je dis, ayant pendant de nombreuses années fait du travail de poursuite et du travail de défense, c'est que les procureurs généraux ou directeurs des poursuites pénales n'interviendraient dans l'intérêt de l'administration de la justice que lorsqu'ils jugeraient cela nécessaire, et il s'agirait, par définition, de circonstances exceptionnelles. Ils n'interviendraient pas tout le temps. Nous avons une histoire de protection de l'administration de la justice, mais cela ne doit pas être fait au petit bonheur la chance.
M. Lamer : Nous faisons cela au niveau fédéral depuis la Confédération. Je ne parle pas ici de ce qui s'est passé à un moment donné dans certaines provinces.
Le sénateur Andreychuk : C'est peut-être ce pour quoi le Bureau réagit. Pour dire « circonstances exceptionnelles ».
M. Lamer : La Cour fédérale a, de façon générale, une culture saine. À mon avis, m'appuyant sur mon expérience, la Cour fédérale a une culture qui est saine. Je ne me souviens pas du détail, mais j'ai lu la politique de la Couronne, et elle est exhaustive et me paraît tout à fait adéquate. Il y a place à l'amélioration, mais il y a place à l'amélioration partout, et cela inclut le projet de loi C-2.
Le sénateur Joyal : Dans l'exemple que vous avez donné, le procureur général intervenant pour protéger un « informateur », ce n'est pas une question d'administration de la justice à proprement parler.
M. Lamer : Ô que si. La Loi sur la preuve prévoit qu'un policier n'est pas tenu de révéler l'identité de ses informateurs. On lui reconnaît un privilège.
Le sénateur Baker : C'est pour cette raison qu'on noircit les sources dans les mandats.
M. Lamer : Il s'agit d'une règle de longue date, ce privilège de la police, qui existe depuis que j'ai fait mes études de droit. C'était en 1953.
Le sénateur Joyal : Cela signifie cependant que la police devrait établir la preuve sur la base d'autres motifs, de motifs solides et raisonnables.
M. Lamer : Je vous ai donné un exemple. Les exemples ne sont jamais parfaits. L'heure tourne, et je donnais simplement un exemple de situation dans laquelle il s'agirait à mon sens d'une intervention justifiable auprès de l'avocat. Si vous n'avez pas besoin de lui pour obtenir une condamnation, alors, bon sang, ne l'appelez pas.
Le sénateur Milne : Votre Honneur, vous avez dit que les choses se sont bien passées au niveau fédéral. Le SM est respecté et agit à distance par rapport au ministre. Il y a un instant, en réponse à une question du sénateur Andreychuk, vous avez déclaré que la Cour fédérale a une culture saine. Or, lorsque je regarde le mécanisme de nomination du DPP, je commence à avoir certains doutes quant à cette procédure de nomination.
Le procureur général est bien sûr très politique et il dresse une liste de dix personnes. Cette liste comprend un représentant de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, qui est clairement neutre. La liste comprend un représentant de chacun des partis reconnus à la Chambre des communes. Alors, pour commencer, qu'en est-il du Sénat? Deuxièmement, il y a bien sûr là une personne qui est très politique. La liste comprend le sous-ministre de la Justice, qui est nommé par décret en conseil et qui peut ou non être plus étroitement lié au procureur général. La liste comprend le sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Il s'agit ici encore d'une nomination par décret en conseil et il y a cette perception qu'il pourrait s'exercer ici une certaine influence politique. La liste comprend une personne choisie par le procureur général, et le sous-ministre de la Justice représente déjà en quelque sorte le procureur général au sein du comité, alors le procureur général y est donc en fait deux fois représenté. Le comité de sélection ne peut alors examiner que les dix candidats dont les noms lui sont fournis; il ne peut pas envisager d'autres candidats.
M. Lamer : Il doit ramener la liste à trois.
Le sénateur Milne : Il y a une possibilité très réelle d'influence politique. Pensez-vous que cela puisse amener une américanisation du régime canadien? Pourrions-nous nous retrouver ainsi avec un Kenneth Starr canadien?
M. Lamer : Qu'il y ait une certaine américanisation n'est pas forcément une mauvaise chose, bien que je ne sois pas un grand amateur du système judiciaire américain.
Le sénateur Milne : Voulons-nous avoir cette superposition sur le système canadien?
M. Lamer : C'est un système de sélection qui pourrait être différent. Il y a tant de façons de dépouiller un chat. Prenez comme exemple la nomination des juges. Aujourd'hui, les avocats doivent présenter une demande. Ils sont convoqués devant un comité composé d'un juge de la Cour d'appel, d'un membre de marque du Barreau et d'un profane, et j'appelle parfois cela de la mise en scène, car il s'agit en règle générale d'une personne qui ne connaît pas l'avocat ni le système et qui doit demander « Est-il un bon avocat? » Quoi qu'il en soit, cette personne est membre du public. Ensemble, ils rédigent une liste parmi laquelle choisit le ministre, bien qu'il n'y soit pas tenu. Je sais qu'un ou deux procureurs généraux, ministres de la Justice, ont dit qu'ils ne iraient pas au-delà de la liste, bien que pouvant le faire. Je pense que c'était M. Hnatyshyn, lorsqu'il était ministre de la Justice. Un autre a fait la même chose.
Il s'agit d'un système dans lequel, si vous établissez comme postulat que le ministre va faire une nomination politique, alors, si j'ai bien compris, s'il n'est pas satisfait, il faut que le comité donne son accord. Si le comité n'est pas satisfait, il doit choisir parmi les deux autres. Le système ne dit mot quant à ce qui se passe s'ils ne sont pas satisfaits...
Le sénateur Milne : Le processus recommence de nouveau à zéro si le comité n'est pas satisfait.
M. Lamer : Oui. Comme je l'ai dit, il y a plusieurs façons de trancher du pain. C'est un système qui est une amélioration par rapport à d'autres modes de nomination. Il fait intervenir les partis de l'opposition, ce qui est original — eh bien, pas si original que cela, car je sais que le commissaire aux droits de la personne, le commissaire à l'accès à l'information, le vérificateur général, le commissaire aux langues officielles, le commissaire à la protection de la vie privée, le directeur général des élections...
Le sénateur Milne : Ce sont là des mandataires du Parlement. Ils viennent au Parlement pour se faire interroger et sont nommés par le Parlement et non par décret en conseil.
M. Lamer : Je sais.
Le sénateur Milne : Peut-être que cette personne devrait alors être mandataire du Parlement.
M. Lamer : Le Parlement est un organe législatif, qui a une fonction législative. Il n'y a dans ce que vous proposez rien de fondamentalement mauvais. Comme je le disais, vous tranchez le pain d'une autre façon. Ici, il y a un processus qui fait intervenir différemment le Parlement, sans que l'affaire doive être renvoyée au Parlement, du fait de la participation des partis de l'opposition. S'il se passe des manœuvres louches, les partis de l'opposition sont au courant.
Le sénateur Milne : Pensez-vous que le Sénat devrait être au courant aussi?
M. Lamer : Je pense que vous devriez être au courant de tout. À l'autre endroit, j'aurais peut-être un avis différent.
Le sénateur Milne : D'après ce que je vois, l'application de la Loi électorale du Canada par le DPP pose problème. J'ai lu un assez long article de Peter Aucoin, selon lequel, en vertu de l'actuelle Loi électorale, des poursuites ne pourraient avoir lieu qu'avec le consentement du commissaire aux élections.
Élections Canada se fait inviter par différents pays partout dans le monde pour leur expliquer comment mener leurs élections. Élections Canada est hautement respecté. Le système a bien fonctionné. Le commissaire d'Élections Canada travaille indépendamment en tant qu'agent d'exécution de la loi, surtout en ce qui concerne l'engagement de poursuites et la conclusion d'ententes de conformité.
Pensez-vous que le commissaire jouisse d'indépendance en tant qu'agent d'exécution, ou que ce sera le cas en vertu du projet de loi? Pensez-vous que le projet de loi entrave l'indépendance du commissaire?
M. Lamer : Il semblerait que oui. Je pense qu'il perd sa prérogative exclusive.
Le sénateur Milne : Et qui a bien fonctionné.
M. Lamer : Oui; je ne sais pas vraiment pourquoi cette disposition a été inscrite dans le projet de loi. Il y a peut-être de très bonnes raisons à cela.
Comme je vous l'ai dit au tout début, je n'ai pas eu le temps de réfléchir à tous les éléments du projet de loi. Je n'ai pas eu le temps de téléphoner à un ou deux anciens directeurs généraux des élections qui sont des amis à moi. L'un d'eux était autrefois greffier du Sénat, puis il est devenu directeur général des élections, mais je pense qu'il n'est plus de ce monde.
Le sénateur Milne : Il serait difficile de le joindre au téléphone.
M. Lamer : Quoi qu'il en soit, je connais le directeur général des élections et je n'ai pas eu le temps de l'appeler pour savoir ce qu'il pense de ceci et pour quelle raison cela figure dans le projet de loi. Je n'ai eu le temps d'appeler personne au ministère de la Justice pour qu'on m'explique le pourquoi de cette ingérence dans l'exclusivité de la poursuite. La réponse la moins risquée pour moi est de dire que je n'ai pas eu le temps de me renseigner auprès de ces gens, puis d'évaluer leurs réponses.
Le sénateur Milne : Je vais être gentille; je ne vais pas vous demander de nous donner un avis à brûle pourpoint dans les 12 secondes.
M. Lamer : Je ne sais vraiment pas. Il ne serait pas sage de ma part d'essayer de vous donner une explication. Je n'en ai en vérité pas.
Le sénateur Mitchell : Je serai aussi bref que possible. Je sais que nous avons déjà pris beaucoup de temps au juge en chef.
Au début de mon examen de cette initiative particulière du projet de loi, mon impression était que ce ne serait peut- être pas nécessaire — que cela ajoutait une autre couche de bureaucratie ou de procédure qui n'était tout simplement pas nécessaire. Il y a dans ce projet de loi plusieurs éléments qui me soucient énormément. Cependant, vous avez fait une déclaration tout à l'heure qui a commencé à me convaincre du contraire. Vous avez déclaré qu'en dépit du fait que notre système ait exceptionnellement bien fonctionné en l'absence de ce genre d'agent, ce n'est jamais une mauvaise chose d'avoir du renfort. J'ai été plutôt séduit par vos propos.
Pourriez-vous être plus précis? D'après vous, que ferait ce DPP qui n'est pas déjà fait, à part servir simplement de renfort? Il se peut fort bien que ce rôle de renfort soit plus que suffisant, mais avez-vous quelque chose de plus précis en tête?
M. Lamer : Vos collaborateurs et les miens, le corps judiciaire et les gens qui œuvrent d'une façon ou d'une autre au gouvernement, comprennent qu'un sous-ministre adjoint, qui est distinct du sous-ministre, jouit de l'inamovibilité. Ce n'est pas le cas de sous-ministre. Celui-ci est nommé à titre amovible. La différence est énorme, et c'est ainsi que le SMA responsable de questions pénales jouit de la protection de ce que l'on va appeler son « syndicat ». S'il estimait subir de l'ingérence indue, il la dénoncerait.
Nous parlons entre nous; nous savons ces choses, mais il y a chez le public beaucoup de cynisme en la matière. Les gens disent qu'un tel est devenu sous-ministre adjoint et qu'il est proche du ministre. Ils disent qu'il a été nommé par le ministre, peut-être, qu'il était autre chose et qu'il a été promu sous-ministre adjoint et qu'il voudra plaire au prince. Voilà pourquoi je dis que c'est une question de perception.
Le sénateur Mitchell : Ce que vous dites là est très probant. Pourrait-on en déduire que, du fait du scepticisme des gens quant à l'indépendance d'un sous-ministre adjoint qui, compte tenu de votre argument, que j'accepte,...
M. Lamer : C'est une perception.
Le sénateur Mitchell : ... est placé dans la situation du DPP qui ne jouit pas de cette protection syndicale...
M. Lamer : Il a la protection d'un juge. Il faudra une procédure de destitution pour le renvoyer. C'est mieux qu'un syndicat.
Le président : Honorables sénateurs, j'aimerais faire une proposition au comité. Pour être juste envers le très honorable ancien juge en chef Lamer, qui avait accepté de témoigner pendant une heure et demie, cette heure et demie est maintenant écoulée. Il reste encore plusieurs sénateurs qui souhaitent poser des questions.
Nous avons consulté les membres du comité directeur et ceux-ci ont convenu que, si vous êtes d'accord, vous pourriez peut-être demeurer des nôtres et vous joindre au témoin suivant, M. MacFarlane. Suite à son exposé, les sénateurs n'ayant pas eu l'occasion de vous interroger pourraient peut-être alors vous poser des questions.
Je tiens à être juste envers vous. Vous êtes ici depuis une heure et demie. Vous serait-il possible de rester plus longtemps? Nous en serions très honorés si vous pouviez rester.
M. Lamer : Oui, je vais pouvoir rester.
Le président : Nous allons reprendre très vite avec M. MacFarlane et le très honorable ancien juge en chef.
Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant maître Bruce MacFarlane, c.r., qui est présentement détaché du ministre de la Justice du Manitoba auprès de la faculté de droit de l'Université du Manitoba, où il donne des cours sur les condamnations injustifiées et mène du travail de recherche et de rédaction au sujet de différents aspects du droit pénal, et sert de personne-ressource auprès des étudiants et des membres du corps professoral. De 1993 à 2005, il a été sous-procureur général de la Province du Manitoba. Son expérience nous sera très utile dans le cadre de nos délibérations. Bienvenue, monsieur MacFarlane, et merci beaucoup d'avoir accepté de vous joindre à nous aux côtés de l'ancien juge en chef.
Bruce A. MacFarlane, c.r., affiliation professionnelle, Faculté de droit, Université du Manitoba, à titre personnel : Je suis reconnaissant de l'invitation qui m'a été faite de comparaître ici ce matin. J'ai une déclaration liminaire qui explique mes idées. Je sais que certaines questions ont déjà été soulevées dans le cadre des audiences du comité et j'aimerais réagir à certaines d'entre elles. J'ai également une recommandation en vue d'un ajout au projet de loi, que le comité voudrait peut-être envisager.
Dans le cadre de mon ancien rôle en tant que sous-procureur général adjoint au niveau fédéral, j'avais été invité à assister à une réunion inaugurale de DPP — directeurs des poursuites publiques — de partout dans le Commonwealth. C'était une première. En règle générale, au niveau international, l'accent est mis sur la réforme du droit et sur la façon dont les différents pays changent leurs lois, mais le DPP de l'Australie avait recommandé que nous nous réunissions pour discuter de la façon de mener les poursuites, du fait que nous ayons tous un système judiciaire pénal de type anglo-saxon, et j'avais trouvé l'idée excellente. Une organisation appelée HOPAC, c'est-à-dire Heads of Prosecution Agencies of the Commonwealth, a été créée en 1991. J'en ai été membre fondateur. Il s'agit, en gros, d'un conseil des DPP de tout le Commonwealth. Cet organe se réunit tous les deux ans, et j'ai assisté à toutes les réunions. J'en fais état ici afin que vous sachiez que j'ai eu l'occasion de discuter de systèmes de DPP, de leur indépendance et de leurs relations avec les procureurs généraux avec presque tous les directeurs des poursuites pénales du Commonwealth, y compris tous les DPP de l'Australie, de l'Angleterre et des États-Unis, bien que ce dernier pays n'ait pas un système de DPP, ainsi qu'avec leurs équivalents en Irlande, en Écosse, à Hong Kong, à Singapour et dans d'autres pays également. J'ai participé à toutes ces discussions.
J'aimerais aborder la question d'un régime de DPP dans son contexte plus large, dans le contexte des développements survenus à l'échelle du Commonwealth, car ce n'est pas simplement un dossier canadien, bien que nous discutions ici de ce qu'amènera le projet de loi C-2. Il y a à cela une toile de fond, surtout lorsqu'il est question d'interférence potentielle par rapport à cette indépendance.
Comme le sait le comité, c'est au XIXe siècle qu'on a pour la première fois nommé en Angleterre un directeur des poursuites pénales, alors le système remonte assez loin en arrière. Par la suite, il y a eu plusieurs controverses en Australie. Je pense qu'il serait juste de dire que plusieurs scandales ont été mis à jour en Australie pendant les années 80. C'est ainsi que plusieurs systèmes de DPP ont été instaurés par voie de lois pour veiller à ce qu'il n'y ait plus interférence. Vous noterez que plusieurs des systèmes de DPP en Australie ont été instaurés la même année, soit en 1991, et il semble qu'une loi type ait vu le jour en même temps, car les lois de plusieurs États d'Australie ont un libellé très semblable.
Au Canada, les questions entourant l'affaire Donald Marshall et le rapport qui en a résulté ont contribué à l'élaboration d'un régime de DPP en Nouvelle-Écosse. Par la suite, le Manitoba a adopté un régime qui ressemble en partie au modèle de la Colombie-Britannique, mais qui n'est pas inscrit dans une loi. Le modèle britanno-colombien est un régime de transparence statutaire. Le Manitoba a élaboré un cadre stratégique qui a donné le même résultat que celui obtenu en Colombie-Britannique, mais en l'absence de l'avantage d'une loi. Le Québec a, depuis, lui aussi adopté une loi.
Ce à quoi je veux en venir ici est que nous avons été témoins d'une réflexion progressive en la matière. Il y a eu une évolution. Nous avons vu plusieurs pays aborder la question de façon différente. J'estime qu'il s'agit là de facteurs importants dont le comité devrait tenir compte. La plupart des approches tournent néanmoins autour de la même proposition, soit qu'il est essentiel de séparer la fonction poursuite des considérations politiques partisanes. Je pense que tout le monde s'entend là-dessus. C'est le moyen d'y parvenir qui devient l'objectif et le défi. Différents gouvernements ont abordé la chose de différentes manières.
Avec l'élaboration de plusieurs régimes de DPP en Australie, et la création d'un conseil de DPP tôt en 1991, j'ai constaté que dans les années 90 il semblait y avoir un sentiment selon lequel la seule façon d'assurer l'indépendance était d'instaurer dans la loi un régime de DPP. J'estimais pour ma part que ce n'était pas forcément le cas. J'ai prononcé des discours et écrit des articles, et certains de mes écrits ont été publiés. Mon principal argument était, pour reprendre une expression que j'emploie souvent, que de très nombreux chemins mènent à l'indépendance. Qu'un modèle donné puisse fonctionner, et ce, dans quelle mesure, dans un pays donné dépend beaucoup de son histoire, de sa culture, des controverses qui sont survenues et du contexte général qui prévaut.
À l'heure actuelle, il existe en gros trois modèles de base pour un régime de DPP ou d'intervention indépendante, expression qui exprime peut-être mieux de quoi il s'agit. Le premier est le régime de DPP classique, établi dans la loi, que l'on retrouve en Australie, en Nouvelle-Écosse, au Québec et qui est proposé au niveau fédéral au Canada et en Angleterre. Je vais appeler ce modèle le régime de DPP classique établi dans la loi.
Vient ensuite un régime fixé dans la loi et qui vise la transparence, et le meilleur exemple de ce genre de régime nous est livré par la province de la Colombie-Britannique.
Le troisième modèle est le modèle de cadre stratégique, qui n'a pas l'avantage d'être inscrit dans la loi, mais qui est plutôt un cadre stratégique annoncé ayant pour objet de veiller à la transparence, à la manière du modèle britanno- colombien.
Voilà donc quels sont les trois modèles : le régime DPP classique, le modèle de la Colombie-Britannique et le modèle axé sur une politique, et que j'appellerais le modèle manitobain. Chacun des trois modèles est un choix raisonnable. Sa viabilité dans un contexte donné dépendra de la façon dont il a été élaboré et du détail. Cependant, il s'agit dans tous les cas de solutions raisonnables, et c'est à l'Assemblée législative ou au Parlement, selon le cas, de décider lequel parmi ces possibilités serait viable.
Ce sont toutes des politiques raisonnables, car elles visent le même objectif : laisser à l'écart des poursuites toute considération politique partisane.
Chacun des modèles présente ses avantages et ses inconvénients. Ceux-ci concernent parfois des coûts et parfois la rapidité. Par exemple, le modèle du cadre stratégique manitobain peut être élaboré tout d'un coup et très rapidement, sans qu'il faille adopter de loi, et atteint le même résultat que ce que la Colombie-Britannique a obtenu par le biais d'une loi. Mais une loi ne fonctionnera peut-être pas partout. Il n'est pas forcément préférable d'avoir une loi par opposition à un simple cadre stratégique.
Si un gouvernement donné choisit de se doter d'un régime de DPP fixé dans la loi, alors il lui faudra assurer sept éléments clés.
Le premier concerne la relation entre le directeur des poursuites pénales et le procureur général. Il est à mon sens nécessaire de veiller à ce que toutes les directives soient fournies par écrit, soient publiées et soient à la disposition du public.
Le président : Qu'est-ce qui doit être publié? Entendez-vous par là toute directive et interaction entre le DPP et le procureur général, ou bien cela pourrait-il être prévu au départ et tout simplement maintenu? Êtes-vous en train de dire que dans chaque cas, sans exception, des directives seraient rédigées et publiées?
M. MacFarlane : Pour être plus précis, je veux parler de directives relativement à certains cas particuliers.
Le président : Je comprends.
M. MacFarlane : S'il y a également des directives de nature plus générale relatives à la politique en matière de poursuites, je dirais que la même règle devrait s'appliquer à celles-là aussi. L'important ce sont les aller-retour entre le DPP et le procureur général, relativement à certaines affaires ou à la politique en matière de poursuites.
Le deuxième élément clé concerne le processus de sélection. Je suis d'avis qu'il serait préférable d'avoir un processus pas très différent de celui prévu dans le projet de loi C-2, par opposition à une simple nomination par gouverneur en conseil ou, comme c'est le cas en Australie, par le gouverneur. Il me semble qu'un mécanisme permettant la participation d'intéressés serait préférable.
Le troisième élément clé concerne le mandat du DPP, et mon examen des modèles statutaires existants a fait ressortir que la durée de mandat la plus courante est sept ans. Cela me paraît un chiffre raisonnable. Cela permet au directeur de veiller à ce que le système fonctionne bien. Le mandat n'est pas si court que le directeur disparaît tout simplement après un bref séjour.
Il est cependant important que le directeur ne reste pas en poste trop longtemps. Je ne pense pas qu'il soit jamais approprié qu'un titulaire de charge publique reste en place trop longtemps. Ce commentaire ne vise personne autour de cette table.
Je vous soumets qu'un mandat de sept ans serait approprié. Cela a été éprouvé au niveau international. En Australie, surtout, il semble que l'on tende vers des mandats de sept ans renouvelables. Je pense que ce serait une mauvaise chose, en principe. J'exhorterais le comité de ne pas adopter cette approche. Ce serait mauvais pour la raison que voici : au fur et à mesure que vous approchez de votre cinquième ou sixième année, vous aurez peut-être tendance, inconsciemment, à chercher à gagner la faveur du gouvernement. Il importe de tracer une ligne très claire et que vous sachiez que vous ne serez plus là au bout de sept ans.
Le quatrième élément clé est la question de la révocation d'un directeur, et il existe en la matière plusieurs modèles. Le modèle le plus courant en Australie est qu'il y ait une action exécutive pour cause d'inconduite, de faillite ou d'autres fautes bien précises énoncées dans la loi. Le concept du renvoi motivé dans la loi est bien compris au Canada. Je recommanderais qu'il faille motiver le renvoi ou le renvoi potentiel. Je constate que dans le projet de loi C-2 cela doit être appuyé par une résolution de la Chambre des communes. Il me semble que c'est là une mesure de protection supplémentaire appropriée, pour éviter toute perception d'ingérence politique dans des affaires individuelles. Je vous soumets que la disposition de révocation contenue dans le projet de loi C-2 est sans doute la meilleure qui existe en ce moment dans tout le Commonwealth.
Le cinquième élément clé est le rapport annuel. La tendance très nettement majoritaire à l'échelle internationale est que le directeur prépare un rapport annuel pour le procureur général, qui dépose alors celui-ci devant le Parlement. Il s'agit là d'un mécanisme approprié. Cela permet au directeur des poursuites pénales d'avoir accès au Parlement par l'intermédiaire de la personne à laquelle rend normalement compte la fonction poursuite, c'est-à-dire le procureur général. Je ne dis pas que le directeur devrait pouvoir faire rapport directement au Parlement. Il me semble que l'approche traditionnelle est ici appropriée, sans oublier le fait que le procureur général ne pourrait aucunement modifier ce rapport. Cela demeurerait le rapport du directeur. C'est là le cheminement approprié pour le rapport annuel.
Quant à la question du pouvoir du directeur des poursuites pénales, je constate, à la lecture des procès-verbaux des réunions tenues par le comité, qu'il y a eu une discussion abondante au sujet de l'emploi des termes « initiate », « conduct » et autres, en anglais. J'aimerais réagir à cela. Au départ, lorsque j'ai vu que le projet de loi C-2 prévoit que le DPP engagerait, en anglais « initiate », des poursuites, j'ai été interloqué, car cela était différent de l'approche canadienne traditionnelle. Cela m'a au départ troublé.
J'ai commencé à fouiller dans certaines des dispositions de base du Code criminel, et notamment l'article 2, et il me semble que la définition du procureur général donnée à l'article 2 renferme la réponse. Il n'y a aucun changement à la loi.
L'article 2 de la Loi sur le directeur des poursuites pénales telle que proposée établit que « poursuite » signifie toute poursuite pénale qui relève de la compétence du procureur général, et c'est donc le procureur général qui assure le lien entre les deux textes de loi.
L'article 2 du Code criminel établit que c'est le « procureur général » qui engage les poursuites à la demande du gouvernement du Canada quant aux contraventions à une loi fédérale autre que le Code criminel. Les mots clés sont « poursuites engagées à la demande du gouvernement du Canada ». Le projet de loi C-2, au paragraphe 3(3) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales, proposait que le DPP, sous l'autorité et pour le compte du procureur général, engage et mène les poursuites pour le compte de l'État.
La question, en gros, est de savoir s'il y a une différence pratique ou autre entre l'expression « des poursuites engagées à la demande du gouvernement du Canada », qui figure dans le Code, et « engager et mener les poursuites pour le compte de l'État ». Il ne semble pas, à mes yeux, y avoir de différence. C'est pourquoi je vous soumets que le projet de loi C-2 ne modifie pas la loi et que la pratique ne changerait pas.
J'aimerais faire une recommandation au comité en matière d'amendements et d'ajouts possibles au projet de loi C-2. L'un des éléments d'un régime de DPP est l'interface entre le DPP et le procureur général, et c'est là que les choses deviennent sensibles et délicates. Toute directive ou autre donnée par le procureur général en aval, si je peux m'exprimer ainsi, doit se présenter sous forme écrite et être publiée. Il importe également qu'il y ait davantage de communications informelles et d'échanges d'information de telle sorte que ces deux intervenants puissent s'acquitter efficacement de leurs responsabilités respectives.
Certaines des dispositions du projet de loi C-2 font état de consultation. Je propose une forme de consultation plus large et plus formelle, comme ce qui se retrouve dans la quasi-totalité des textes de loi en matière de DPP en vigueur en Australie. La plupart des États et le Commonwealth de l'Australie renferment essentiellement la même disposition, avec seulement quelques légères différences terminologiques. Je vais vous en lire un modèle. Il s'agit de la Western Australian Director of Public Prosecutions Act, de 1991. J'ai choisi cette loi-ci parce qu'elle est celle qui renferme le libellé le plus simple et qui me plaît le plus. L'article 26, sous le titre « consultation », dit ceci :
(1) Le directeur, si la demande lui en est faite par le procureur général, consulte le procureur général relativement aux questions liées à l'exécution des fonctions du directeur.
(2) Le procureur général, si la demande lui en est faire par le directeur, consulte le directeur relativement aux questions liées à l'exécution des fonctions du directeur.
C'est ainsi qu'et le DPP et le procureur général peuvent exiger de consulter l'autre au sujet des fonctions du directeur des poursuites pénales. Cette disposition, reprise textuellement ou avec légères différences, se retrouve dans les textes de loi que voici : le Southern Australia statute, article 8;l'Australia Capital Territory, article 19; New South Wales, article 25; le Northern Territory, article 27; et la Commonwealth Legislation, article 7.
Ce genre de consultation est nécessaire à plusieurs niveaux. Elle veille à ce que le procureur général ait une certaine connaissance de ce qui se passe, et s'il lui faut des renseignements, il y a en place un mécanisme en vue de la fourniture de tels renseignements. Elle offre également au procureur général le moyen de vérifier si des directives de quelque ordre sont nécessaires. Souvent, si vous parlez à l'autre, vous découvrirez des choses qui vous feront vous rendre compte que votre impression initiale était fausse et qu'il n'y a plus lieu de donner de directives, maintenant que vous avez en mains tous les renseignements. Je recommanderais une consultation statutaire du genre que je viens de décrire.
Le président : Cela n'inclut pas l'échange d'autres genres d'informations entre le procureur général et le DPP, n'est- ce pas?
M. MacFarlane : Non. Cela offre aux deux la possibilité formelle de dire « Il me faut vous consulter; il me faut faire cela très bientôt, et j'ai le droit de vous demander de me consulter ». Cela assure la base statutaire de la consultation et fait en sorte que ni l'un ni l'autre ne puisse repousser l'autre et refuser de consulter.
Le président : Dans le cadre de cette consultation plus large, recommanderiez-vous également que davantage de renseignements soient échangés entre le procureur général et le DPP?
M. MacFarlane : Non. Ma recommandation se limite à la considération de la fonction du directeur des poursuites pénales.
Le président : Merci.
M. MacFarlane : Les mots clés dans ce modèle particulier sont « relativement à l'exécution des fonctions du directeur ».
Le président : J'aimerais vous interroger là-dessus, car le procureur général et le DPP devront, lorsqu'il y a lieu, continuer d'échanger des renseignements. À votre avis, ces renseignements devraient être fournis par écrit et être rendus publics. Y a-t-il d'autres paramètres?
M. MacFarlane : Non, veuillez m'excuser, si c'est là l'impression que je vous ai donnée, là n'était pas mon intention. Je veux parler de directives émanant du procureur général par opposition à l'échange de renseignements. Il y a une importante distinction entre les deux. Si le procureur général donne une directive relative à une affaire particulière ou à la politique que souhaite voir appliquer le procureur général en la matière, alors cette directive doit être donnée par écrit et publiée.
Le président : Merci de cet éclaircissement.
M. MacFarlane : L'approche suivie dans le projet de loi C-2, qui correspond à l'approche adoptée partout en Australie, est viable et raisonnable. Je ne propose aucun changement en la matière.
En conclusion, les trois modèles de base sont tous des choix de politique raisonnables et l'un quelconque d'entre nous pourrait présenter des arguments pour ou contre n'importe lequel des trois. Premièrement, le modèle le mieux ajusté sera fonction de l'histoire, des controverses survenues et de son insertion dans un tout. Deuxièmement, le gouvernement, le Parlement et les assemblées législatives sont très bien placés pour évaluer les options qui cadreraient le mieux dans leurs sphères de compétence respectives.
Le président : Merci de cet exposé instructif.
Le sénateur Baker : Bienvenue au comité, monsieur MacFarlane. Je constate que vous êtes assis à côté de l'ancien juge en chef Lamer, devant lequel vous avez maintes fois plaidé, remontant jusqu'en 1988 avec les affaires R. c. Lafrance et R. c. DeSousa. Je suis certain que vous vous en souvenez.
M. MacFarlane : Oui.
Le sénateur Baker : L'ancien juge en chef, même lorsque vous n'étiez pas présent, a parlé de vous et de vos publications relativement à l'affaire R. c. M. Même lorsque vous n'êtes pas à ses côtés, le juge en chef vante vos louanges, comme il l'a fait ici ce matin. Il vous a convoqué comme témoin à Terre-Neuve, et vous avez témoigné. Il a beaucoup fait état de vous dans son rapport, à commencer à la page 134, où il décrit le rôle de la Couronne. Il fait état de votre article ainsi que de votre comparution devant lui et du témoignage que vous avez donné.
Dans ce contexte, lorsque vous avez, pour la première fois, vu employer le mot « initiate », dans la version anglaise, relativement au travail de poursuite du DPP proposé, vous avez été surpris, mais vous avez poussé plus loin vos vérifications et constaté que l'article 2 du Code criminel autorise le procureur général du Canada à « engager des poursuites », « commence proceedings » en anglais. Vous en avez conclu que le mot « commence » a le même sens que le mot « initiate ». Avez-vous entrepris ce qu'aurait fait l'ancien juge en chef Lamer — un examen — pour en arriver à une opinion quant au sens de « commence » par opposition à « initiate »? Pour Monsieur ou Madame Tout-le-Monde, le verbe « initiate » signifie « participer activement au lancement de quelque chose ». Engager une poursuite signifie simplement la mener une fois l'accusation portée. Il me semble que, d'après la septième édition du dictionnaire Oxford, le terme « initiate » aurait un autre sens.
M. MacFarlane : Avec en arrière-plan ce que vous venez à l'instant de décrire, il est certain que lorsque j'ai vu le mot « initiate », j'ai marqué un temps d'arrêt. Il me semblait que cela tranchait sur la pratique passée.
Lorsque j'ai regardé l'article 2, j'ai réalisé que la même notion d'engager ou intenter y est enterrée. Cependant, presque personne ne lit l'article 2 du Code. Les honorables membres de votre comité le font certainement, mais le juriste moyen et la personne ordinaire ne lisent généralement pas l'article 2. Cependant, une fois que l'on prend celui-ci en compte, il apparaît que le projet de loi C-2 et la loi actuelle sont identiques. Je n'ai pas discerné de différences notables entre les deux. Cela m'a certainement rassuré.
Toutefois, cela dit, vu que l'article 2 est enfoui dans le Code criminel et que la notion d'engager est bien en évidence au projet d'article 3 de la Loi sur le DPP proposée, il faudra rappeler à tout le monde l'existence de l'article 2 et y préciser qu'il n'y a pas de changement en droit. Dans le premier cas la notion est enterrée et dans le deuxième elle est en évidence.
Le sénateur Baker : Dites-vous au comité que vous avez fait ce que vous soupçonnez que le juge en chef aurait fait dans son interprétation d'un texte de loi, c'est-à-dire que vous avez examiné le sens ordinaire du mot et son sens dans le contexte du Code criminel et que vous êtes parvenu à la conclusion que le ministère public peut engager une poursuite sous le régime du Code criminel?
M. MacFarlane : Les dispositions du Code visent les procédures intentées à la demande du gouvernement du Canada.
Le sénateur Baker : Vous avez lu les articles du projet de loi relatifs au DPP et je suis sûr que vous avez lu les dispositions dont il a été question bien des fois ici et sur lesquelles le juge en chef vient de prononcer un jugement il y a quelques instants, soit celles de la Loi électorale qui stipulent que le DPP est la personne qui décide si des accusations seront portées ou non. À vos yeux, cela est-t-il similaire ou comparable à la décision d'intenter une poursuite en vertu de l'article 2 du Code criminel?
M. MacFarlane : Pourriez-vous m'indiquer de quelle disposition vous parlez?
Le sénateur Baker : J'attire votre attention sur la page 112 du projet de loi, vers le milieu de la page, le projet de paragraphe 511(1) de la Loi électorale du Canada, qui dispose :
S'il a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la présente loi a été commise, le commissaire renvoie l'affaire au directeur des poursuites pénales qui décide s'il y a lieu d'engager des poursuites visant à la sanctionner.
L'infraction visée pourrait être de nature hybride, c'est-à-dire faire l'objet d'une poursuite par mise en accusation ou par procédure sommaire, les deux comportant des conséquences pénales en cas de condamnation. Le projet de paragraphe 511(2) poursuit :
S'il y a lieu d'engager des poursuites, le directeur des poursuites pénales demande au commissaire de faire déposer une dénonciation par écrit et sous serment [...]
Autrement dit, c'est le directeur des poursuites pénales et son bureau et ses procureurs qui, en droit, assument la responsabilité. Le commissaire aux élections ne peut plus le faire. À l'heure actuelle, c'est le commissaire qui porte l'accusation. Cependant, sous le régime de la nouvelle loi, cela devient la responsabilité du directeur des poursuites pénales.
À partir de quel moment les poursuites sont-elles intentées? Pour moi, une poursuite est intentée lorsque l'affaire va devant un tribunal. Elle va ensuite au bureau du directeur des poursuites pénales. Que pensez-vous de cela?
Plus bas sur la page, le projet de paragraphe 512(1) stipule :
L'autorisation écrite du directeur des poursuites pénales doit être préalablement obtenue avant que soient engagées les poursuites [...]
M. MacFarlane : Je formulerai plusieurs observations. En ce qui concerne le paragraphe 511(1), il y a là un parallèle clair. L'affaire n'est pas portée devant le DPP à moins que le commissaire n'ait des motifs raisonnables. Il existe donc une étape initiale à franchir. En substance, le commissaire tient en main un verrou. Si le commissaire a des motifs raisonnables, alors, et seulement alors, s'adresse-t-il au directeur pour qu'il examine la preuve d'une manière quasi judiciaire. On attend du directeur des poursuites pénales qu'il joue un rôle quasi judiciaire.
Le paragraphe 512(1) dit :
L'autorisation écrite du directeur des poursuites pénales doit être préalablement obtenue [...]
Il existe actuellement plusieurs parallèles en droit pénal exigeant que le procureur général ou le procureur général adjoint donnent leur consentement écrit à l'ouverture d'une poursuite. Ce n'est pas nouveau.
Le sénateur Baker : Oui, mais ces cas sont clairement définis dans les lois. Il ne s'agit pas de n'importe quelle poursuite. Ces lois fédérales ont une raison d'être.
M. MacFarlane : Cela définit une catégorie ou une classe d'infraction. En ce sens, cela ne vise pas une infraction précise, mais une catégorie ou un groupe.
Le sénateur Baker : Oui. Le mot « engager » est clairement défini, en l'occurrence, aux termes de l'une de ces lois. L'argumentation que vous avez défendue devant le juge en chef concernant le rôle du ministère public mettait l'accent sur la présence d'une culture ou attitude particulière à tous les stades d'une poursuite. Le juge en chef a utilisé le mot « culture » comme synonyme d'« attitude », comme on le voit dans son rapport.
Cependant, le juge en chef disait qu'il faut un deuxième examen serré, ainsi qu'il le préconisait déjà dans certains de ses jugements. Dans ses recommandations sur le DPP de Terre-Neuve, il a prôné que le procureur prenne une décision de non-lieu immédiatement si des motifs raisonnables et probants n'existent pas. Il a estimé ensuite qu'un acquittement résulterait de la non-production de preuve si le ministère public juge trop dangereux de poursuivre. Ce deuxième examen vital existe dans ce cas-ci.
Mais comment peut-on avoir un deuxième examen si le premier examen est celui qui a donné lieu à la mise en accusation en présence de motifs raisonnables et que le commissaire n'a alors d'autre choix que de porter l'accusation?
M. Lamer : J'aimerais répondre, sans empêcher les sénateurs d'écouter la réponse de cet homme sage.
Je pense qu'il faut considérer le contexte. La pratique que j'ai rencontrée à Terre-Neuve est que la police ne consulte pas le ministère public avant de porter l'accusation. Elle ne le fait que si elle a besoin d'un conseil...
Le sénateur Baker : D'un conseil précis.
M. Lamer : ... par exemple pour déterminer si l'accusation sera celle de fraude ou de vol avec escroquerie, par opposition à la fraude. L'accusation doit-elle être de meurtre au premier ou au second degré? La police peut consulter le ministère public, mais n'y est pas tenue. Elle le faisait rarement.
Nous avons passé tous deux du temps à Terre-Neuve. Il y a là une mentalité telle que l'on devient bons amis très rapidement.
Le sénateur Baker : C'est juste.
M. Lamer : Le second regard dont je parlais dans le rapport s'inscrivait dans le contexte d'une accusation portée par un membre de la Force constabulaire royale de Terre-Neuve il y a 15 ans, dont les agents n'avaient alors que très peu de formation. La plupart étaient des pêcheurs qui avaient perdu leur travail lorsque le gouvernement fédéral a fermé la pêche à la morue. Ils suivaient quelques semaines de formation et ensuite on allait les chercher dans leur voiture de patrouille pour faire enquête sur des crimes majeurs. Dans ce témoignage, l'enquêteur en chef a commencé par dire qu'il frémissait en pensant à la manière dont il abordé ce meurtre, pour lequel on lui a demandé de diriger l'enquête. Il était l'enquêteur en chef, mais il n'avait jamais enquêté sur rien. On l'avait dépêché à cette bagarre du vendredi soir. C'est dans ce contexte que je parlais d'un second regard.
Cependant, étant donné que l'on voit se multiplier les erreurs judiciaires, et étant donné que le critère pour intenter une poursuite était la probabilité d'une condamnation — y compris d'une condamnation injustifiée, j'ai estimé qu'il fallait un deuxième regard avant de poursuivre, pour la raison que je viens d'énoncer.
Le sénateur Baker : Je comprends cela, monsieur le juge. Je ne faisais pas que citer votre rapport, vous aviez déjà formulé cette opinion.
M. Lamer : Oh, oui.
Le sénateur Baker : De façon générale, dans de nombreux jugements, d'autres membres de...
M. Lamer : Je suis cohérent.
Le sénateur Baker : Oui, vous l'êtes certainement. Nous pouvons rappeler tous les jugements dans lesquels vous avez été cohérent et d'autres juges l'ont été aussi.
Ce que le juge en chef a préconisé dans le rapport de Terre-Neuve, si je résume, c'est qu'il faudrait donner instruction à tous les procureurs de procéder à un second examen serré lorsqu'ils prennent en charge une poursuite avant de décider de continuer à la mener.
J'en reviens donc à ma question. Si vous êtes un employé du DPP, comment pouvez-vous avoir un bon second regard sur l'opportunité de poursuivre, alors que c'est vous qui avez pris la décision de poursuivre en premier lieu? Je comprends ce que vous voulez dire, monsieur MacFarlane, lorsque vous dites que le commissaire doit au départ avoir des motifs raisonnables.
M. MacFarlane : Oui.
Le sénateur Baker : Mais le DPP, lorsqu'il décide d'introduire une poursuite — et il est le seul à pouvoir le faire — doit aussi avoir des motifs raisonnables de penser qu'une infraction a été commise, ne pensez-vous pas? Ainsi, si l'on pousse la logique jusqu'à son terme, lorsqu'il prend en charge la poursuite, il est censé jeter un deuxième regard sur une affaire sur laquelle il a déjà tiré une conclusion en premier lieu.
C'est ma seule interrogation. Je ne sais pas si vous souhaitez faire un commentaire là-dessus. Sinon, je vais passer à autre chose.
M. MacFarlane : Je pense que la réponse réside dans la pratique répandue partout au Canada, et de longue date. Je vais limiter mon propos à mon expérience dans la sphère fédérale et au Manitoba. De nombreux regards sont portés, à différentes étapes. Je parle des poursuites en général, par opposition à celles touchant les infractions à la Loi électorale plus particulièrement.
La police, si elle a des motifs raisonnables, dépose une dénonciation. Parfois, elle demande l'avis du ministère public, parfois non. Cela dépend de la complexité de l'affaire. S'il s'agit d'une affaire de conspiration pouvant durer plusieurs mois, invariablement elle va consulter le ministère public avant de porter l'accusation pour s'assurer que le dossier est solide, mais elle n'y est pas tenue.
Une fois l'accusation portée, la responsabilité de la poursuite passe au ministère public. À ce stade, ce dernier est censé évaluer les preuves et pourrait bien être d'un avis différent de celui de la police. Cela arrive de temps à autre et c'est toujours un peu mal vu parce que le public ne comprend plus ce qui se passe : la police porte une accusation et le ministère public la retire à la première comparution.
Cependant, une évaluation est censée être faite tôt dans la procédure pour voir s'il existe une perspective raisonnable de condamnation. C'est là le critère fédéral; certaines provinces ont pour critère la probabilité raisonnable d'une condamnation et en Colombie-Britannique c'est une probabilité substantielle de condamnation. Si ces critères sont remplis, l'affaire se poursuit.
Cependant, à de nombreuses étapes ultérieures, il y a un deuxième, troisième ou quatrième regard. Par exemple, il y aura une évaluation au moment de l'enquête sur le cautionnement. Il y aura une évaluation au moment de l'enquête préliminaire, s'il va y en avoir une, puis, lorsque le procureur plaidant prend en main le dossier, il y aura une autre évaluation encore.
À toutes les étapes de la procédure, on s'attend à ce que le ministère public continue de vérifier qu'il y a des preuves suffisantes pour poursuivre. Ce critère est appliqué à de nombreuses étapes.
Au Manitoba, nous voyons beaucoup de cas où la procédure est arrêtée avant le procès parce qu'on se rend compte, tardivement, que le dossier ne tient pas debout. Ainsi, l'accusation est retirée avant même le début du procès. On attend clairement de tous les procureurs du ministère public à travers le Canada qu'ils effectuent cette évaluation continue de la validité du dossier.
En ce qui concerne l'acquittement, je formule cette observation car le commissaire Lamer dans son rapport parle de l'acquittement. Un vif débat se déroule en ce moment même au Canada sur la question de savoir quand un acquittement devrait être prononcé sur la base d'une absence de preuve et quand un arrêt de la poursuite doit être décidé.
Je ne veux pas détourner le comité du sujet. Je voulais simplement signaler cela, car ce point est actuellement en délibéré devant le commissaire LeSage, l'ancien juge en chef de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, dans l'enquête publique Driskell. Il fournira un avis au Canada et au Manitoba sur cette interrelation entre non-lieu et acquittement.
Le sénateur Baker : Je lui recommande de lire le rapport du juge en chef Lamer car il indique qu'il est possible, même après un verdict dirigé, d'arrêter la poursuite à ce stade.
M. MacFarlane : Pour terminer là-dessus, et afin que les choses soient claires, il y a eu une discussion dans un panel de sept personnes sur la suspension de poursuite lors de l'enquête Driskell et les recommandations du juge en chef Lamer y ont été directement examinées.
Le sénateur Baker : Monsieur MacFarlane, que pensez-vous du délai de dix ans prévu ans ce projet de loi? Le juge en chef Lamer a fait part de son opinion. Je ne crois pas qu'il ait donné de réponse catégorique, mais en juger par l'expression de son visage, nous pouvions voir ce qu'il en pense.
Le délai de dix ans est le plus long que je connaisse. Je suis parlementaire depuis 30 ans et je ne connais aucune autre loi du Parlement qui laisse dix années pour porter une accusation sommaire ayant des conséquences pénales, quelles que soient les circonstances. Que pensez-vous de cela?
M. MacFarlane : Pourriez-vous là encore m'indiquer la disposition précise du projet de loi? J'ai connaissance du témoignage antérieur mais je n'ai pas eu l'occasion d'examiner la disposition.
Le sénateur Baker : Il y en a plusieurs exemples ici, mais je vais vous indiquer la première occurrence dans ce projet de loi. C'est au bas de la page 32. Le libellé exact du projet d'article 65 est transposé, repris dans autre article ultérieur, avec seulement quelques mots différents.
M. MacFarlane : Merci.
Le sénateur Baker : Monsieur le président, c'est comme si vous bousculiez quelqu'un en descendant de l'autobus et dix ans après on vient vous dire que vous avez commis des voies de fait alors que vous n'avez plus aucun souvenir de l'incident. Ou encore, si cela est adopté, il pourrait remonter à mes élections de 1999 et 1998 et porter une accusation contre moi. Je ne me souviens pas de ce qui s'est passé lors de ces élections il y a dix ans.
Le président : Vous savez que vous avez gagné, c'est tout.
Le sénateur Baker : C'est dans ce contexte que je vous demande — du point de vue d'une infraction punissable par voie sommaire.
M. MacFarlane : Admettons que l'article 65 s'applique à une procédure sommaire. J'accepte votre prémisse à ce sujet. Cela m'apparaît comme inhabituel.
Le sénateur Baker : C'est la réponse que le juge en chef a donné.
M. MacFarlane : Je n'ai encore jamais vu de période de prescription aussi longue pour une condamnation sommaire et cela me frappe donc comme inhabituel. Je ne sais pas quel raisonnement sous-tend cela et il me serait utile de le connaître. Je n'ai pas été consulté. À première vue, cela paraît inhabituel.
Le sénateur Baker : Quel que soit le raisonnement politique, cela ne changerait pas votre opinion de prime abord sur cette disposition. Ne convenez-vous pas que, quel que soit le raisonnement politique, ouvrir une procédure sommaire après dix ans semble défier la logique?
M. MacFarlane : Je préfère dire qu'à première vue cela semble inhabituel, mais pour en dire plus, il faudrait que je connaisse le raisonnement initial.
Le sénateur Baker : Une autre question encore. Le juge en chef n'a rien trouvé à redire à la prochaine disposition que je vais vous citer. Je ne devrais pas dire que je ne suis pas convaincu, car je n'ai jamais été en désaccord avec le juge en chef. Cependant, je trouve étrange qu'une communication entre le procureur général et le directeur des poursuites pénales puisse avoir lieu concernant une affaire donnée sans être divulguée au cours de la procédure. Nous ne savons donc pas en quoi consiste cette communication. Nous ne pouvons que chercher à deviner, comme le juge en chef l'a dit, en quoi consiste la directive.
Il se peut que vous ayez un informateur dont le nom ne doit pas être divulgué. Nous savons tous que lorsque la liberté et l'innocence sont en jeu, nul n'est protégé dans ces conditions. Le juge en chef a utilisé cela comme un exemple qui lui est venu, et je le comprends. Cependant, je ne comprends toujours pas comment ou pourrait cacher à la défense des communications portant directement sur une poursuite jusqu'au terme de la poursuite, une fois tous les recours en appel épuisés.
Pourriez-vous traiter de cette question, soit la non-communication de directives jusqu'au terme d'une poursuite?
Le président : C'est à la page 108.
Le sénateur Day : Est-ce là l'article sur lequel l'Association du Barreau canadien a formulé une opinion?
Le sénateur Baker : Monsieur le président, comme vous le savez, ce qui est en jeu ce n'est pas seulement la publication d'une directive en rapport avec une poursuite, mais d'une directive pouvant déterminer le résultat d'une poursuite. L'obligation de divulgation ne concerne pas seulement ce qui peut influencer une affaire, mais tout ce qui est en rapport avec une affaire, que le ministère public l'utilise ou non.
M. MacFarlane : Je regarde les projets de paragraphe 11(1) et (2) de la page 108. Les circonstances dans lesquelles cette disposition peut être déclenchée sont relativement larges. Autrement dit, il pourrait s'agir d'une décision de suspendre une procédure ou pouvant déterminer de quelque autre façon le déroulement de la poursuite, et c'est donc très ouvert sur ce plan.
Ma réaction initiale est que les circonstances qui pourraient préoccuper le directeur ou le procureur général pourraient également couvrir toute une série de circonstances, dont l'une pourrait être l'existence d'un informateur de la police ou d'une menace planant sur une personne. Toute une série de circonstances pourraient amener le directeur ou le procureur général à dire : « Nous ne pouvons rendre cela public pour le moment, nous ne voulons pas mettre en péril la vie de quelqu'un, et il faut donc reporter la publication ».
Cependant, il y a un butoir. Ce n'est pas très différent de la mise sous scellé d'un mandat de perquisition, ce qui est actuellement permis en droit pénal.
Le sénateur Baker : Si vous regardez la jugement R. c. Garofoli, vous voyez que l'on ne peut cacher l'information contenue dans un mandat scellé; le mandat est ouvert. Le juge vérifie que les parties censurées représentent bien une information confidentielle, mais le mandat doit être communiqué. C'est donc un mauvais exemple.
M. MacFarlane : Je parlais de mandat de perquisition par opposition aux demandes et autorisations d'écoute téléphonique.
Le sénateur Baker : Les enveloppes scellées.
M. MacFarlane : À l'occasion, des renseignements confidentiels sont donnés à un juge pour obtenir un mandat de perquisition et il est nécessaire de garder cette information sous scellé pendant quelque temps. Cela peut se produire dans toute une série de circonstances, qui souvent mettent en jeu un informateur de la police ou la vie ou la sécurité d'une personne. Même alors, le juge dira : « Il faut une date limite, le scellé ne peut être indéfini », et à un certain stade les médias y auront accès.
C'est une analogie. Ce n'est peut-être pas une analogie parfaite, mais le même principe s'applique ici, à savoir qu'il peut exister des circonstances où l'information ne peut être rendue publique à cause des répercussions qu'elle pourrait avoir sur quelqu'un, des répercussions éventuellement sérieuses. Cependant, il faut un plafonnement et cet article en établit un.
Le sénateur Baker : L'enveloppe scellée, sous le régime de l'article dont vous parlez, est descellée au procès et une version expurgée en est donnée à la défense, comme le veut le droit, et la validité peut en être contestée. La défense peut demander communication de la partie expurgée et le juge décide s'il s'agit ou non de renseignements confidentiels. Si l'innocence est en jeu, il existe même le droit de contre-interroger un informateur. Je vois mal comment on pourrait refuser ce genre d'information à la défense si elle pourrait effectivement influencer le procès en cours?
M. MacFarlane : Sauf votre respect, le scénario dont vous parlez concerne les demandes d'écoute téléphonique, non les mandats de perquisition. Je songeais plutôt au cas d'un mandat de perquisition, qui me paraît un exemple plus approprié, où un agent de la paix demande un mandat de perquisition à un juge. On est là au premier stade d'une enquête. Il n'y a pas d'accusation.
Le sénateur Baker : Mais ici il y a un procès en cours. C'est là où je vois un problème. Vous m'avez donné l'exemple d'un mandat de perquisition où il y a arrangement avant le procès, mais mon exemple concerne un procès en cours.
M. MacFarlane : Il y a peut-être là une raison encore meilleure de ne pas rendre publique l'information à ce stade, car elle pourrait affecter le déroulement du procès.
Le sénateur Baker : Quel précédent existe-t-il pour refuser l'information sous enveloppe scellée en cours de procès?
M. Lamer : Je pense avoir répondu à cela. J'ai parlé du secret de la police et du secret de l'informateur, qui est l'exemple classique. La seule détermination intervenant à ce stade, qui est le fait de l'un des avocats ou parfois du juge, est pour savoir si l'informateur est fiable et s'il a déjà donné dans le passé des renseignements qui se sont avérés fondés et vrais. C'est alors que le privilège est déclenché. Je ne fais là que répéter ce que j'ai déjà dit.
Le sénateur Ringuette : Monsieur MacFarlane, vous avez parlé de tradition, de culture, de milieu ambiant et M. Lamer a parlé de ses 53 années de magistrature et il ne se souvient que de deux cas où il y a eu apparence d'ingérence politique. J'ai entendu ensuite que le Code criminel, à l'article 2, permet au procureur général de porter des accusations au nom de l'État.
Le sénateur Baker : D'engager une procédure.
Le sénateur Ringuette : Oui, d'engager une procédure, et parallèlement, dans le projet de loi C-2, on propose que le DPP puisse aussi engager une poursuite.
N'étant pas juriste et ne connaissant pas les différentes procédures à votre disposition, je trouve qu'il y a là un double emploi : ce n'est pas vraiment un deuxième regard, mais plutôt un double emploi. Le procureur général, au nom de l'État, peut engager aux termes du Code criminel et le DPP peut en faire autant sous le régime du projet de loi C-2.
Je me ferai l'avocate du diable. Dans quelle mesure le projet de loi C-2 établit-il un système judiciaire plus responsable et transparent, plutôt qu'un système plus complexe et déroutant, vu la double autorité du DPP et du procureur général? Est-ce finalement à cause de l'histoire, de la culture et de l'environnement dans lequel se déroule la poursuite au Canada? Est-il nécessaire d'avoir ce double emploi dans notre procédure judiciaire?
M. MacFarlane : Lorsque vous parlez de double emploi, entendez-vous l'existence du bureau du DPP et sa raison d'être? Est-ce là votre question?
Le sénateur Ringuette : Oui. J'ai écouté attentivement ce qui a été dit ce matin. J'ai entendu que le projet de loi C-2 ne modifie pas le Code criminel. Le procureur général engage une procédure et, dans le projet de loi C-2, le DPP engage une procédure. Aux yeux du profane, cela paraît être un double emploi; ce n'est pas un second regard mais une duplication de l'autorité. Vous avez dit qu'il faudra une politique pour déterminer les relations et le rôle respectif de ces deux entités.
M. MacFarlane : À mon sens, au quotidien, cas par cas, le régime du projet de loi C-2 l'emportera sur le rôle du procureur général, sauf que celui-ci pourra intervenir dans des cas individuels et je ne m'attends pas à ce que cela arrive très souvent.
C'est un transfert de responsabilité vers une autorité indépendante. C'est cela que l'on vise ici. Le procureur général, à toutes fins pratiques, reste à l'arrière-plan avec la faculté d'intervenir, mais s'il va le faire, ce devra être de manière très publique. Fondamentalement, le DPP assume la responsabilité d'intenter et de mener les poursuites pénales. Il n'y a pas ce double emploi dont vous parlez.
Le sénateur Ringuette : Mais j'ai cru comprendre que l'article 2 du Code criminel reste inchangé et donc que l'on ne retranche rien aux pouvoirs du procureur général.
M. MacFarlane : Les dispositions spécifiques du projet de loi C-2 évincent le procureur général, sur le plan pratique que je viens de décrire. La responsabilité appartient alors du DPP, sous réserve du pouvoir résiduel du procureur général, avec tous les garde-fous dont ce pouvoir résiduel est assorti.
Le sénateur Milne : Monsieur MacFarlane, vous êtes l'un des fondateurs de HOPAC, cette association des DPP du Commonwealth.
M. MacFarlane : Exact.
Le sénateur Milne : Vous avez étudié les systèmes dans tous ces pays du Commonwealth. Pouvez-vous me dire si dans l'un ou l'autre des pays du Commonwealth que vous avez examinés, le DPP a compétence pour l'application du droit électoral?
M. MacFarlane : Je dois dire que je ne me suis pas penché spécifiquement là-dessus. Je sais que le DPP en Angleterre et au Pays de Galles possède une longue liste de responsabilités à l'égard de lois autres que le Code criminel. C'est une liste de probablement 15 ou 20 lois. Je sais, par exemple, que la Loi sur l'extradition figure sur cette liste mais je ne me souviens plus si la Loi électorale fait partie de ces lois en Australie. Je n'en ai parlé avec aucun d'eux.
Le sénateur Milne : Je pose la question car notre système électoral fonctionne très bien, à mon avis. Élections Canada a une bonne réputation et puis, tout d'un coup, le commissaire ne peut plus porter les accusations. Elles doivent être introduites par le DPP, ce qui, à mes yeux et ceux du public, pourrait potentiellement autoriser une certaine ingérence politique dans le système.
M. MacFarlane : Mon impression initiale est que c'est tout le contraire que l'on vise, à savoir que l'on confie l'autorité en matière de poursuite à quelqu'un qui est isolé de la politique partisane. Je vois les choses d'un œil très différent.
Si vous entourez la charge du DPP des garde-fous voulus et si vous avez nommé la bonne personne à ce poste, alors le DPP est isolé des pressions ou considérations politiques. En ce sens, ma perception est exactement l'inverse de la vôtre.
Le sénateur Milne : Je trouve que le commissaire est déjà pas mal isolé du processus politique.
M. Lamer : Ma première réponse était que je ne sais pas. Je n'ai pas pu contacter aujourd'hui les gens qui auraient pu m'en parler et m'expliquer de quoi il retourne. J'y ai réfléchi en écoutant M. MacFarlane. L'agent électoral, le commissaire, dirige un service d'enquête. Je cherche une explication. Vous avez donc un enquêteur qui ensuite poursuit. Cela me rappelle l'époque où la GRC portait l'accusation puis menait la poursuite.
Le sénateur Milne : On dirait Terre-Neuve.
M. Lamer : Il y a peut-être là un indice, mais je ne puis affirmer que c'est l'explication. Si je devais donner une réponse rapide, je dirais qu'il y a le désir de séparer la fonction enquête et la fonction poursuite.
Le sénateur Milne : Je crois savoir que sous le régime de la Loi électorale, l'enquête est menée par le directeur général des élections et que le commissaire mène la poursuite. N'est-ce pas exact?
Le sénateur Nolin : Le commissaire a l'initiative de toutes les enquêtes.
M. Lamer : Si l'enquêteur mène la poursuite, alors il est évident que l'enquêteur aimerait un deuxième, troisième, quatrième et cinquième regards. Lors du déroulement de la poursuite, il peut s'avérer que le témoin qui était si merveilleux pendant l'entretien de police se transforme en une personne très différente pendant l'interrogatoire ou le contre-interrogatoire, et alors votre dossier s'écroule. Je pense que c'est pour cette raison que l'on souhaite séparer le volet enquête du volet poursuite. Je le crois, mais je ne suis pas sûr.
Le sénateur Milne : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur MacFarlane, ou bien vous inclinez-vous devant le juge en chef?
M. MacFarlane : Je m'incline toujours devant le juge en chef. En sus de m'incliner, il se trouve que je suis d'accord avec lui.
M. Lamer : Je ne suis plus juge en chef, savez-vous.
Le président : Nous continuons à vous considérer comme juge en chef.
M. Lamer : Cela ne fait pas de moi un juge en chef. Je suis membre du Barreau du Québec.
Le sénateur Day : J'aimerais tout d'abord un éclaircissement : je regarde la page 109 du projet de loi C-2. Monsieur MacFarlane, vous avez parlé des interventions du procureur général. Au projet d'article 14, le procureur général reçoit le pouvoir d'intervenir s'il se pose une question d'intérêt public. Cependant, à l'article 15 et à l'article 3, le procureur général a aussi le pouvoir de prendre en charge et de conduire une poursuite. Différentes modalités de notification, etc. sont prévues.
Vous avez mentionné toutes les contraintes appropriées de notification en cas d'intervention, mais la seule notification d'intervention que je vois à l'article 14, c'est l'avis donné au directeur de l'intervention du Bureau du procureur général. Pensez-vous qu'il faudrait une meilleure notification du public quant aux raisons de l'intervention du procureur général? Est-ce là ce que vous donniez à entendre?
M. Lamer : Je ne pense pas que nous parlons du même genre d'intervention. Nous parlons d'une procédure d'intervention où il devient un intervenant. Il faut demander au juge l'autorisation d'intervenir.
Le sénateur Day : Je ne peux que m'en tenir au libellé du texte de loi. La loi parle « d'intervenir » et le mot employé par M. MacFarlane était « intervenir ». J'aimerais que l'on me précise ce qu'il voulait dire.
M. Lamer : C'est une intervention dans une procédure. À la Cour suprême, vous voyez 10 ou 12 intervenants, des groupements d'intérêt. Je crois que c'est de cela qu'il est question ici.
Le sénateur Day : L'article 14 proposé dit : « [...] intervenir en première instance ou en appel ». Ce n'est clairement pas la même chose que prendre en charge la poursuite. Pensez-vous, monsieur MacFarlane, qu'il faudrait d'autres avis publics, comme vous l'avez suggéré dans votre témoignage antérieur, dans le cas de l'article 14?
M. MacFarlane : Lorsque je lis l'article 10 du projet de loi C-2, je vois les mots « toute directive », ce qui semble recouvrir les deux scénarios que vous esquissez.
Le sénateur Day : Vous pensez qu'un avis est une directive.
M. MacFarlane : Non, nous parlions d'intervention et de prise en charge.
Le sénateur Day : Oui, à l'article 14, le procureur général peut intervenir, après en avoir avisé le directeur. Pensez- vous que l'avis d'intervention constitue une directive?
M. MacFarlane : J'interpréterais cela comme une directive, oui.
Le sénateur Day : Alors il faudrait plutôt employer l'expression « donner une directive ».
M. MacFarlane : Le procureur général donne au directeur une directive indiquant soit qu'il intervient soit qu'il prend en charge. Dans chaque scénario, c'est une directive.
Le sénateur Day : Vous et moi sommes en désaccord sur cette interprétation et c'est pourquoi nous sommes ici. S'il est possible d'interpréter cela de plusieurs façons, nous avons la possibilité de rectifier ici afin qu'il n'y ait pas de possibilité d'interprétation erronée et d'éviter que les tribunaux soient amenés à décider de la définition des mots.
J'ai entendu ce que vous avez dit lorsque vous avez indiqué que la création par une loi d'un régime de directeur des poursuites pénales représente une décision de principe. C'était à la fin de vos remarques liminaires, et je suis d'accord avec vous.
Notre rôle ici consiste à considérer la décision de principe exprimée dans le projet de loi C-2 et de chercher à en comprendre la raison. Si nous trouvons que c'est une bonne raison, alors veillons à ce que cette modification du régime soit raisonnable et n'entraîne pas des conséquences imprévues que nous ne désirons pas particulièrement.
Parlons d'abord du fait que vous ne vouliez pas entrer dans les considérations de principe. Nous sommes plusieurs à chercher la raison de ce changement. Vous avez été sous-ministre adjoint et aussi directeur des poursuites publiques pendant votre emploi au ministère de la Justice. Est-ce exact?
M. MacFarlane : Oui, j'étais sous-procureur général adjoint et je ne me souviens pas si c'était une nomination par décret ou non, et lorsque j'ai été sous-procureur général pendant 12 ans, c'était à titre révocable.
Le sénateur Day : Est-ce que dans ce rôle vous vous considériez comme un directeur des poursuites pénales?
M. MacFarlane : Dans mon premier rôle, celui de sous-procureur général adjoint, oui, j'étais responsable de toutes les poursuites fédérales. Dans mon rôle de sous-procureur général, j'étais en théorie le responsable et le titulaire de la charge publique mentionné dans le Code criminel en plusieurs endroits, mais dans la pratique je laissais le service de poursuite prendre les décisions au quotidien. En théorie, j'étais le responsable.
Le sénateur Day : C'était un régime fondé sur une politique plutôt que sur une loi.
M. MacFarlane : C'est exact.
Le sénateur Day : Le projet de loi C-2 propose d'établir un régime légal. Je me demande si quelque chose cloche avec le système antérieur pour que l'on veuille introduire un nouveau régime légal. Quelles sont les raisons qui nous amènent à passer à un régime légal plutôt que de conserver celui qui a fonctionné plutôt bien pendant de nombreuses années?
M. MacFarlane : Je ne puis vous dire quels événements ou enjeux spécifiques ont amené le projet de loi C-2. Je peux dire que j'ai toujours jugé préférable d'instaurer un régime de DPP en période de calme plutôt qu'à la suite d'une controverse ou d'une crise. La plupart des juridictions ont mis en place leur régime dans le sillage d'une crise et ont dû agir vite. L'approche canadienne est de prendre cette initiative non parce qu'il existe une crise, si je comprends bien, mais parce que le gouvernement estime que c'est la chose à faire. Il y a l'étude en comité et tout le temps voulu pour la consultation.
M. MacFarlane : C'est sans doute la bonne façon de le faire, afin d'avoir un régime bien réfléchi en place, bien que je ne sache pas s'il existe une autre motivation.
Le sénateur Day : Vous n'avez connaissance d'aucun facteur autre qu'une décision gouvernementale qui ait motivé cela?
M. MacFarlane : J'ai l'impression que le gouvernement a décidé que c'était la bonne chose à faire, quand il avait le temps plutôt que de le faire précipitamment en situation de crise.
Le sénateur Day : Merci de cette réponse. Nous non plus n'avons connaissance d'aucun facteur autre qu'une décision gouvernementale. Il aurait été bon de savoir qu'il y avait une explication plus profonde.
Nous devons nous pencher sur la question de l'indépendance du DPP proposé et nous assurer qu'il n'y aura pas d'ingérence politique partisane dans ce rôle. Vous et l'ancien juge en chef Lamer avez indiqué tous deux que c'est là un élément fondamental de tout régime pouvant être mis en place. Vous avez décrit trois régimes différents. Au cours de votre illustre carrière, monsieur MacFarlane avez-vous jamais été gêné dans l'exercice de vos fonctions de directeur des poursuites parce que vous n'aviez pas l'indépendance requise pour faire le travail comme il se devait ou parce qu'il y avait des ingérences politiques partisanes?
M. MacFarlane : Je dois faire attention de ne rien divulguer qui puisse être couvert par le secret professionnel ou tout autre impératif de confidentialité. Je peux répondre à votre question ainsi : dans un régime qui n'est pas établi par une loi avec des règles claires, il plane toujours sur la tête des procureurs la crainte de conséquences néfastes s'ils prennent une décision impopulaire; c'est une crainte sous-jacente, tacite. Il est arrivé que des procureurs de la Couronne me demandent si je risquais d'être congédié ou du moins de voir ma carrière bloquée si je continuais à prendre des décisions impopulaires, bien que légales. J'ai dû leur assurer que non, que nous avons des procureurs généraux intègres et que cela n'arriverait pas. Mais il y a toujours le souci sous-jacent que si une décision impopulaire est prise, cela entraîne des conséquences défavorables.
Sans donner trop de détails, je suis ravi de pouvoir vous dire qu'au cours de toutes les années où j'ai été sous- procureur général adjoint ou sous-procureur général, je n'ai jamais été confronté à une ingérence politique. Cependant, j'ai connu des situations potentielles qui m'inquiétaient grandement et qui ont été prévenues avant de se produire.
Le sénateur Day : Avez-vous jamais préconisé un régime légal?
M. MacFarlane : J'ai préconisé l'un des trois modèles.
Le sénateur Day : Nous avons l'un de ces trois régimes en place.
M. MacFarlane : Les trois régimes dont je parle sont une démarche légale, une démarche fondée sur la politique et une démarche de type Colombie-Britannique. Il importe de bien comprendre les rôles et responsabilités et le fait que l'on ne peut mélanger les considérations politiques partisanes et les poursuites. Je suis en faveur de la mise en place d'un modèle, mais la nature du modèle variera selon la juridiction.
Le sénateur Day : Le modèle fédéral actuellement en place n'est pas fondé sur une politique, à moins que je vous ai mal compris.
M. MacFarlane : Cela fait quelque temps que je ne suis plus au gouvernement fédéral, mais il me semble que le régime fédéral actuel ne correspond à aucun des trois modèles que j'ai mentionnés.
Le sénateur Day : Je vous ai mal compris.
M. MacFarlane : Le régime fédéral est ce que j'appelle un régime canadien traditionnel classique, c'est-à-dire ne comportant ni une loi établissant le DPP, ni un modèle de type Colombie-Britannique ni des principes directeurs. Dans le régime manitobain, le procureur général est réduit à rédiger et publier des directives, mais c'est le résultat d'une politique. Cela fait quelque temps que je ne suis plus à Justice Canada, mais je n'ai connaissance d'aucune politique à cet effet.
Le sénateur Day : J'apprécie cet éclaircissement car je serais resté sur une impression différente.
M. MacFarlane : Le professeur Edwards, qui est le grand expert du rôle du procureur général dans le Commonwealth, et depuis décédé, a fait remarquer que le système canadien traditionnel semble fonctionner raisonnablement bien à cause de l'intégrité des titulaires de la charge de procureur général. C'est ce qu'il soulignait à cet égard — l'intégrité des titulaires du portefeuille. On peut débattre de la question de savoir combien de temps cela peut durer et si c'est un bon fondement pour un régime.
Le sénateur Day : Avez-vous été consulté par le ministère de la Justice ou par le procureur général actuel concernant le régime légal que l'on est en train de mettre sur pied?
M. MacFarlane : Non, je n'ai pas été consulté.
Le sénateur Day : Vous l'avez analysé et indiqué au comité vos sept points. Le compte-rendu indiquera quels sont ces points mais j'en ai manqué un dans mes notes. Le projet de loi C-2 contient tout ce qui devrait, selon vous, figurer dans un régime légal, hormis la disposition touchant la consultation que vous recommandez.
M. MacFarlane : Ce sont les sept éléments cruciaux qui sont couverts dans le projet de loi C-2 et, hormis pour deux d'entre eux, le projet de loi est bien en avance sur toutes les autres juridictions ayant un système de DPP. C'est un projet de loi très impressionnant.
Le sénateur Day : Si on laisse de côté la raison d'être de la décision de principe d'avoir un régime légal, celui que vous voyez esquissé ici est plutôt bon.
M. MacFarlane : Oui, c'est un bon régime, mais j'y ajouterais une disposition de consultation additionnelle. À part cela, c'est un choix raisonnable et un système très réfléchi. Il reprend ce qu'il y a de meilleur dans les autres juridictions.
Le sénateur Day : Ce sera utile au comité lors de ses délibérations. Votre proposition inspirée du modèle de DPP de l'État de Western Australia figurera également au compte rendu. Je suppose qu'elle interviendrait à l'article 13, page 109, qui prévoit ceci :
Le directeur informe le procureur général en temps utile de toute poursuite ou de toute intervention qu'il se propose de faire soulevant d'importantes questions d'intérêt général.
Le directeur a un lien direct important avec le procureur général par rapport à ce genre de question. Vous dites qu'il devrait y avoir davantage de communication routinière et que nous pourrions probablement ajouter quelque chose ici pour réparer ce qui vous paraît être une faiblesse dans le projet de loi actuel.
M. MacFarlane : Je n'ai pas d'opinion sur l'endroit où cela pourrait être inséré. Je signalais simplement que la consultation est importante et qu'elle devrait être spécifiée dans le projet de loi C-2.
Le sénateur Day : Merci.
M. Lamer : J'aimerais répondre à la préoccupation du sénateur Baker.
J'ai examiné la version française des articles 13 et 14 et les notes marginales correspondantes. À la page 109, l'article 13 dispose : « Le directeur informe le procureur général en temps utile de toute poursuite ou de toute intervention [...] », ce qui n'est pas la même chose que « toute directive » à l'article 10.
La note marginale dit en anglais « duty to inform » et en français « communication au procureur général [...] » en ce qui concerne la notification du procureur général par le DPP de son intention d'intervenir.
L'article 14 dit :
Lorsqu'une poursuite soulève, à son avis, des questions d'intérêt public, le procureur général peut intervenir, après en avoir avisé le directeur, en première instance ou en appel.
Il l'avise qu'il va intervenir. Il n'intervient pas en lui donnant une directive.
La note marginale de l'article 14 dit « Intervention du procureur général ». La note marginale de l'article 13 dit « Communication au procureur général », ce qui m'indique que les articles 13 et 14 parlent d'une intervention judiciaire, car l'article 13 spécifie « en première instance ou en appel ». Cela n'a pas de raison d'être. S'il donne une directive alors qu'il est en appel ou en première instance, cette directive doit être publiée. Il doit ici plutôt présenter une requête au tribunal, soit la cour de première instance, soit la Cour d'appel. L'information sera contenue dans ce que l'on appelle une « requête à fin d'intervention avec affidavit ».
Sauf tout mon respect, il me semble clair qu'il s'agit ici d'une intervention judiciaire.
Il me semble clair, lorsque je regarde les notes marginales et la structure de l'article, que l'on parle ici d'une intervention judiciaire. Je peux me tromper; peut-être serait-ce plus clair si l'on disait :
Le directeur informe le procureur général en temps utile de toute poursuite ou de toute intervention judiciaire [...]
Une poursuite est toujours une affaire judiciaire, les deux vont de pair. S'il était question ici d'une directive, je ne vois pas pourquoi l'on parlerait de poursuite ou d'intervention. Cela me paraît clair lorsque je regarde la version française.
Il existe une règle de droit que M. MacFarlane connaît bien. S'il y a ambiguïté entre les deux textes officiels d'une loi, la version la plus claire l'emporte. Je pourrais argumenter sur la base du texte anglais seulement, mais ma position est renforcée par le texte français.
Vous pourriez peut-être demander confirmation à quiconque vous demanderez de venir témoigner à ce sujet. Si je me trompe et qu'il ne s'agit pas d'une intervention judiciaire, alors c'est de la très mauvaise rédaction.
Le président : Merci de porter cela à notre attention. Le seul fait que vous en ayez parlé fera que les autorités prendront note.
M. Lamer : Elles m'écoutent en ce moment même.
Le président : C'est juste. Le « grand frère ».
Le sénateur Day : Je tiens à remercier le juge en chef de sa dernière intervention. Il nous a dit avoir eu l'occasion d'étudier, bien que très peu de temps, l'ensemble du projet de loi, ne sachant pas sur quoi nous voulions nous concentrer.
Monsieur le juge en chef, si dans les jours qui viennent vous voulez porter à notre attention d'autres aspects que ceux abordés aujourd'hui qui vous paraissent problématiques, nous vous serions reconnaissant de nous en faire part par écrit.
Ma question pour M. MacFarlane concerne la méthode de nomination. J'ai toujours pensé que nous avons une fonction publique remarquable. Je crois que le principe du mérite est respecté et pratiqué et que nous avons ainsi des procureurs généraux adjoints et des sous-procureurs généraux très compétents et qu'ils font un excellent travail pour nous.
Je m'inquiète lorsque je vois une méthode de nomination qui néglige le mécanisme de nomination indépendant, fondé sur le mérite, où les gens arrivent aux échelons supérieurs en possédant l'expérience. Or, ici, le procureur général choisit dix noms tirés de n'importe où, confie la liste à un comité qu'il a créé et lui dit : « Regardez uniquement ces dix noms, retenez-en trois et je choisirai parmi ces trois-là ».
Il me semble que l'on s'écarte là du principe du mérite et ouvre la porte à une ingérence politique partisane dans la sélection du titulaire de cette charge très importante, celle de directeur des poursuites pénales.
Ne vaudrait-il pas mieux ne pas donner au procureur général le droit de choisir les dix premiers noms, et de laisser plutôt un comité choisir les meilleurs et soumettre ces noms? Ne vaudrait-il pas mieux, comme dans le cas de la nomination des juges, inviter des candidatures à ce poste et permettre au comité de choisir trois noms dans ce groupe, afin que le procureur général choisisse parmi ces trois-là, plutôt que de laisser le procureur général déterminer le bassin?
M. MacFarlane : Je suppose qu'il y a différentes façons de s'y prendre. Dans les autres pays, le système consiste principalement en une décision de l'exécutif qui désigne une personne.
Le sénateur Day : Oui, c'est ce que vous avez dit.
M. MacFarlane : Je considère cette méthode-ci comme une amélioration considérable. Peut-on l'améliorer encore davantage? On peut en débattre. Il me semble qu'il serait difficile de piper les dés, pour ainsi dire, lorsqu'on est obligé, par nécessité, de proposer dix noms de différentes origines géographiques. À mon avis, le principe du mérite sera appliqué au stade initial. Les dix noms seront ramenés à trois par un comité très ouvert. Je préfère cette approche à celle d'autres pays.
Le sénateur Day : Je comprends tout à fait. Cependant, nous concevons notre propre système. Nous n'avons pas à choisir un système d'un autre pays, nous voulons établir le meilleur système. Je ne prétends pas que cela se fera ni qu'un procureur général utilisera un tel stratagème, mais si vous voulez garantir le poste à la personne de votre choix, vous choisirez neuf incompétents et un bon postulant et le comité retiendra ce nom-là. C'est une possibilité et non une probabilité, mais c'est l'apparence qui compte.
M. MacFarlane : C'est peut-être dû à mon expérience dans l'administration au fil des ans, mais je fais davantage confiance au processus que vous. Tant au niveau de la perception qu'à celui de la réalité, j'ai davantage confiance.
Le sénateur Joyal : Si j'ai bien suivi votre explication en réponse à la question du sénateur Day, nous nous situons en dehors des trois régimes modèles. Nous avons un système combinant le Manitoba et la Colombie-Britannique, si j'ai bien compris — un mélange de principes directeurs et de contraintes légales.
M. MacFarlane : Non. Le régime fédéral, à mon sens, se situe complètement en dehors des trois modèles. Il représente ce que j'appelle la démarche canadienne traditionnelle, soit une structure administrative avec un sous- ministre au sommet, un sous-ministre et des procureurs de la Couronne en dessous, si bien que la relation hiérarchique monte jusqu'au procureur général, qui se trouve au sommet de la pyramide. C'est la structure traditionnelle. C'est elle qu'utilise toujours le gouvernement fédéral, selon moi.
Le sénateur Joyal : Nous abandonnons ce système qui, comme le juge en chef Lamer l'a mentionné, n'a vu sa crédibilité mise en doute que très peu de fois — de fait, M. Lamer ne se souvient que de deux cas. Comme vous l'avez dit, contrairement à l'Australie, nous n'avons pas une histoire de scandales ou d'erreurs judiciaires qui auraient suscité l'indignation du public.
Le raisonnement qui préside à ce changement de système ne repose pas sur les vices d'un système que vous avez qualifié de système à structure administrative. Je déduis de votre exposé que le projet de loi nous doterait d'un modèle légal similaire à celui de la Nouvelle-Écosse, du Québec et de l'Australie. Le projet de loi s'est inspiré du premier modèle, n'est-ce pas?
M. MacFarlane : Si ce texte est adopté, il nous fera passer de l'approche traditionnelle, soit une ligne hiérarchique droite jusqu'au procureur général, à un DPP établi par une loi — mais selon une démarche proprement canadienne, car il y a là de nombreux éléments qui sont nouveaux et louables.
Le sénateur Joyal : Vous avez dit que vous pourriez nous indiquer les avantages et inconvénients de chaque modèle. Ma question est de savoir quels sont les inconvénients de ce modèle-ci, bien qu'il soit conçu au Canada? Je me souviens, pour avoir lu vos écrits, que vous avez critiqué dans le passé le modèle néo-écossais. En quoi ce projet de loi ne reproduit-il pas les faiblesses du modèle néo-écossais?
M. MacFarlane : Mes commentaires dans mes écrits relatifs à la Nouvelle-Écosse intéressaient les controverses dans des affaires précises. Je ne me prononçais pas sur la structure elle-même, mais j'intervenais plutôt dans la polémique entourant des affaires particulières et la manière dont elles ont été traitées.
Il me déplairait de conclure mon commentaire sur les inconvénients car je trouve que, tout bien pesé, le projet de loi C-2 est excellent. Il n'y a vraiment que deux inconvénients qui me viennent à l'esprit, et ils concernent moins le projet de loi C-2 que les modèles en général.
Le premier inconvénient est que, comme nous montre l'expérience australienne, lorsqu'il existe une structure de DPP, cette dernière devient à l'occasion un paratonnerre pour le mécontentement du public. Il devient le centre de l'attention, le catalyseur de la critique et finit par attirer la foudre. La solution à cela est qu'il faut un DPP ayant le cuir épais.
Le second inconvénient que je vois, toujours au vu de l'expérience australienne, est que cela nourrit l'idée que le processus est pour l'éternité hermétiquement scellé contre l'ingérence politique. Comme l'a dit un ancien DPP australien, si le gouvernement voulait démanteler ou s'immiscer, il existe des moyens pour cela. Le système de DPP, en tant que modèle, n'est pas un système hermétiquement scellé, totalement à l'abri de l'ingérence. Si le gouvernement veut s'immiscer, il trouvera toujours des moyens, mais le système prévient l'ingérence autant que possible
Je dois dire aussi que la mentalité et la tradition au Canada et en Australie sont très différentes. On a pu dire que l'expérience en Australie, du point de vue des attaques contre le système judiciaire et contre le DPP, est analogue à un sport sanglant. Nous n'avons pas cette expérience et cette culture au Canada.
Le sénateur Joyal : Pas encore.
M. MacFarlane : J'ai formulé cette observation dans mon article. C'est un DPP qui m'a raconté cela — je ne révélerai pas son nom — et cela montre que même dans un régime de DPP il peut y avoir des tentatives de percer l'armure. Dans un État australien, le directeur des poursuites pénales rencontrait le Conseil du Trésor et la conversation s'est déroulée à peu près ainsi : Le Conseil du Trésor : « L'un de vos programmes coûte cher et n'est pas apprécié du public. Nous aimerions que vous réduisiez les dépenses »; réponse du DPP « Non, je ne vais pas faire cela, ce n'est pas dans l'intérêt du public et je vais maintenir ce programme »; réponse du Conseil du Trésor : « Bien, la loi vous donne ce rôle et cette responsabilité et je ne peux rien vous imposer ». Cependant, le Conseil du Trésor lui demande ensuite : « Quel est votre budget pour ce programme? » Le DPP répond que c'est 15 millions de dollars, et le Conseil du Trésor ampute son budget de 15 millions de dollars.
[Français]
Le sénateur Nolin : Monsieur Lamer, les propos du témoin MacFarlane vous rappelle-t-ils une certaine décision en matière d'indépendance judiciaire?
M. Lamer : Oui.
Le sénateur Nolin : En ce qui concerne le traitement du directeur à l'effet qu'on ne puisse réduire le montant fixé de ses émoluments, cela vous apparaît-il suffisant lorsqu'on traite de la question de l'indépendance financière du directeur?
M. Lamer : Je dois dire que je comprends que si on réduit pour punir, si on dit qu'on ne peut pas réduire, pourquoi l'exposer à des représailles? C'est une chose. Mais si on peut l'augmenter, on peut le réduire. Souvenez-vous du gel des salaires à partir du gouverneur général jusqu'au dernier des fonctionnaires. Plusieurs juges m'en parlaient et je leur disais : « Oui, mais écoutez, on va faire notre part comme les autres. » C'est une façon de nous réduire, en ce sens que l'inflation était extraordinaire à l'époque. Si à un moment donné c'est outre frontière — je ne connais pas l'avenir financier du Canada — mais supposons qui faille réduire les budgets fédéraux en commençant par le gouverneur général jusqu'au dernier des fonctionnaires de la Commission de la Capitale nationale, je ne vois pas pourquoi il serait traité différemment du directeur général des élections ou du commissaire aux langues officielles. Évidemment, ils peuvent eux aussi faire l'objet de pressions ou de représailles. Ce n'est pas enchâssé dans la Charte, ni dans l'autre partie de la Constitution. Ce serait suffisant alors de simplement dire :
[Traduction]
Le projet de loi C-2 est amendé de manière à abroger l'article qui le protège contre la réduction de son salaire.
[Français]
Le sénateur Nolin : À moins que la Cour suprême ne soit invitée à se prononcer sur l'indépendance du poste.
M. Lamer : Si c'est fait à titre de représailles, c'est certain, mais si c'est fait à titre de mesure fiscale... je vais m'arrêter là.
Le sénateur Nolin : J'ai compris votre opinion.
[Traduction]
Le président : Au nom du comité, j'aimerais vous dire que votre témoignage à tous deux nous a beaucoup renseignés et éclairés. Nous avons été très impressionnés par la manière dont vous nous avez aidés dans nos délibérations sur un projet de loi volumineux et difficile. Les conseils que vous nous avez donnés nous ont enrichis et nous apprécions la sagesse dont vous avez fait preuve dans toutes vos réponses.
Nous poursuivons sur la question du directeur des poursuites pénales. Nous recevons maintenant M. Lomer, trésorier de la Criminal Lawyers' Association of Ontario. Cette dernière se veut le porte-parole des avocats pénalistes et d'autres préoccupés par la qualité de la justice pénale. Elle confère régulièrement avec tous les paliers de gouvernement et la magistrature sur les questions relatives à la législation et à l'administration de la justice pénale dans ce pays.
M. Lomer est diplômé de l'Osgoode Hall Law School et pratique le droit depuis 1981. Il fait actuellement parti du cabinet Lomer, Frost, où il effectue principalement du travail de défense. Soyez le bienvenu. Veuillez nous faire votre exposé.
Michael Lomer, trésorier, Criminal Lawyers' Association of Ontario : Je suis honoré d'être ici. Je porte un grand intérêt à ce sujet depuis la faculté de droit et mon étude du droit constitutionnel au cours de la première année. Tous ceux d'entre vous qui sont avocats se souviendront des attendus de jugement ampoulés sur les affaires de séparation des pouvoirs du XIXe et du début du XXe siècle et de l'aridité de ces textes. Ce que j'appréciais, et c'était comme une bouffée d'air frais dans le domaine constitutionnel, étaient les écrits du juge en chef Dixon, même les textes de ses jugements dissidents.
La cause Hauser de 1979 était intéressante car elle a transformé ce que l'on considérait comme la séparation standard des pouvoirs en droit pénal, à savoir que le gouvernement fédéral promulguait la politique et la procédure et que, localement, les provinces assuraient toutes les poursuites. Je trouvais que c'était une façon brillante que les pères de la Confédération ont trouvé pour créer un modèle pancanadien de droit pénal, contrairement à ce que l'on voit chez nos voisins immédiats, où coexistent 51 juridictions de droit pénal, avec des peines différentes, etc. La répression de la criminalité était essentiellement une affaire locale. C'était une justice de proximité, étant rendue localement. Je trouvais ce système excellent. Ensuite, juste au début de mon stage au Bureau des avocats de la Couronne du ministère du Procureur général de l'Ontario, est arrivé le jugement Hauser et, contrairement à ce que nous pensions tous, à savoir que la poursuite était l'apanage des procureurs généraux provinciaux, nous avons découvert que c'était uniquement avec la tolérance du procureur général fédéral, qui n'avait pipé mot à ce sujet au cours du siècle dernier.
C'est dans ce contexte que je me présente ici pour dire que, voilà, nous avions une idée brillante, à savoir que les poursuites seraient du ressort provincial et la politique du ressort fédéral. Au lieu de cela, en raison d'anomalies historiques — en l'occurrence probablement le trafic de drogue et ce genre de choses — la situation a changé. Quelqu'un devait poursuivre les trafiquants de drogue, mais cela n'était pas réellement couvert dans le Code criminel car le trafic de drogue et la toxicomanie étaient inconnus au XIXe siècle.
Le gouvernement fédéral est intervenu et a commencé à assurer les poursuites dans ce domaine, et nous avions donc et le régulateur et le procureur réunis dans le même bureau. Je n'ai jamais aimé cette idée. Cela a toujours été une situation inconfortable. Lorsque le procureur en chef est assis à côté du régulateur en chef, vous avez presque toujours un système biaisé parce qu'il y a toujours un pouce sur la balance. Le régulateur, à son insu et en toute intégrité, se laisse influencer par le procureur assis dans le bureau voisin. Selon cette perspective, j'ai accueilli l'avènement du DPP comme un retour en arrière des plus positifs.
L'abandon d'un service de poursuite fédéral administratif, ce que nous avons actuellement, et la création d'un organe légal, dont je soupçonne qu'il deviendra dans les années futures non seulement un organe statutaire distinct mais aussi une administration physiquement séparée, créera un bras de l'État séparé et indépendant et je pense que c'est un retour au modèle que je trouvais si séduisant lorsque j'étais en faculté de droit — le modèle où la politique est décidée d'un côté et la fonction de poursuite est remplie d'un autre côté, à bonne distance du premier.
Je siège également depuis trois ans, comme délégué de l'Ontario, à la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada. La Criminal Lawyers' Association of Ontario a insisté il y a des années pour avoir un siège dans la délégation ontarienne, ce qui est parfaitement normal. La Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada est intéressante car nous voyons là la genèse de nombre des idées qui se retrouvent ensuite dans le droit criminel. Leur gestation s'opère dans cette conférence. Elles sont débattues par nombre de juristes d'expérience, principalement des procureurs mais aussi des avocats de la défense. Après le débat, qui est suivi par les responsables fédéraux de la politique et qui voit leur participation — de fait, le gouvernement fédéral est l'hôte — nous voyons parfois en sortir des initiatives législatives.
J'ai suivi d'assez près le processus législatif et je dois dire que, dans l'ensemble, je considère le projet de loi comme une bonne première étape car il établit clairement, sur une base légale, un organe indépendant. Ce n'est pas un affront de le dire. Je prends à cœur la remarque de M. MacFarlane tout à l'heure : nous dépendons de l'intégrité de nos ministres de la Justice et, dans l'ensemble, nous avons eu de la chance. Cependant, ce n'est pas sur cette base que nous devrions fonctionner. Nous devons avoir une base structurée, objective et indépendante. Voilà l'une des justifications du projet de loi que je vois.
L'autre justification se rapporte à ce dont parlait le juge en chef Lamer concernant l'interprétation du projet d'article 14, page 109 :
Lorsqu'une poursuite soulève, à son avis, des questions d'intérêt public, le procureur général peut intervenir, après en avoir avisé le directeur, en première instance ou en appel.
Je considère moi aussi qu'il est question là d'une intervention judiciaire, car cela renvoie à l'autre rôle du procureur général, la formulation de la politique. La politique ne dérive pas seulement de la législation, mais aussi de l'interprétation judiciaire des dispositions.
Par exemple, s'il y avait une contestation en cour d'appel provinciale d'une poursuite provinciale, par exemple une contestation portant sur les dispositions relatives au cautionnement, le procureur général fédéral pourrait intervenir à titre de responsable de la politique, et non de représentant du directeur des poursuites pénales, pour expliquer le fondement politique de ces dispositions et les raisons pour lesquelles il en appuie ou non l'application. C'est un rôle distinct de celui de directeur des poursuites pénales, qui est effectivement celui de poursuivant. Il voudra certainement appuyer la position de la poursuite, mais il pourra être d'un avis différent s'il se place dans la perspective de la politique au sens global ou transcanadien.
J'ai remarqué deux autres dispositions en parcourant le projet de loi. L'une est litigieuse et intéresse la prise en charge de la poursuite. Je soupçonne que je reviendrai là-dessus en réponse à vos questions. Il s'agit de l'article 15.
L'autre présente un problème dont vous devrez parler avec vos rédacteurs ou le gouvernement, puisque c'est lui qui introduit le projet de loi. L'article 3 proposé décrit les rôles et attributions du directeur. La version que j'ai copiée du site Internet stipule :
(b) mener, pour le compte de l'État, relativement aux poursuites, les recours et autres procédures dans lesquels l'État a qualité d'intimé.
L'État n'est pas toujours l'intimé dans un appel. Parfois, il perd en première instance et veut interjeter appel.
Le sénateur Day : Le libellé est maintenant celui-ci :
(a) engager et mener les poursuites pour le compte de l'État, sauf celles qui sont prises en charge par le procureur général [...]
M. Lomer : Je dois vous dire que votre site Internet est un peu plus lent que vous. Avons-nous cela? C'est un texte sensiblement différent de celui affiché sur le site Internet, je dois le dire.
Le sénateur Day : C'est le site Internet du ministère de la Justice, n'est-ce pas?
Le président : Il y a plusieurs sites Internet. Il y a le site Internet qui donne le projet de loi déposé à la Chambre des communes, et cette dernière l'a ensuite amendé.
M. Lomer : Désolé, je suis peut-être dans l'erreur car il semble que le texte ait été modifié.
Le sénateur Joyal : De nombreux changements ont été apportés à cet article.
M. Lomer : Effectivement.
Le président : Je peux peut-être vous épargner du temps car les chargés de recherche parlementaires nous ont dit que le problème que vous mentionnez a été réglé à la Chambre des communes.
M. Lomer : Je dois avoir la première version de la Chambre des communes.
Le président : Quel est le deuxième problème sur lequel vous vouliez attirer notre attention?
M. Lomer : Il s'agit du projet d'article 15. Je soupçonne que le jour où le procureur général annoncera au Cabinet qu'il veut invoquer cette disposition sera le jour où il fera les grands titres de tous les journaux du Canada, si vous songez aux circonstances dans lesquelles un personnage politique voudra se substituer à un procureur général indépendant et distinct, en quelque sorte, soit le directeur des poursuites pénales.
Si cela arrive un jour, il s'agira d'une affaire politique. J'essayais d'imaginer, en chemin pour me rendre ici, dans quelle condition cela pourrait arriver et seules des situations parfaitement horrifiantes me venaient à l'esprit. Bien que cette disposition existe, je conseillerais à tout procureur général de ne jamais, jamais, l'invoquer car les retombées en seraient radioactives, à mon avis.
Le président : Avez-vous largement consulté d'autres avocats pénalistes et d'autres associations ontariennes en prévision de votre comparution aujourd'hui? Avez-vous recueilli auprès d'eux des avis sur les articles relatifs au DPP?
M. Lomer : Vu les contraintes de temps, mes consultations se sont limitées au comité de la législation de l'exécutif de la Criminal Lawyers' Association of Ontario, l'organe directeur. Il appuie ma position.
Nous avons de longue date pour position que la politique doit être séparée de la poursuite. Cette position a été exprimée dans des lettres adressées par Alan Gold, le président de la Criminal Lawyers' Association of Ontario, au sous-ministre adjoint d'alors, Richard Mosley, qui est maintenant juge. Nous considérons que le gouvernement fédéral ne devrait pas intervenir dans les poursuites dans la mesure où c'est lui qui fixe la politique. Il vaut mieux que la politique soit appliquée par quelqu'un se situant au-dessus de la mêlée, en quelque sorte. Ce projet de loi fait un pas dans cette direction, ce qui est une bonne chose.
Le sénateur Baker : Monsieur Lomer, vous avez entendu certains de nos échanges avec les témoins précédents sur la question de la divulgation des directives données par le procureur général au directeur des poursuites pénales. Le projet de loi dit « toute directive » sans que nous sachions quelle serait la substance de ces directives ni la raison pour lesquelles elles seraient émises. Le projet de loi est très détaillé concernant d'autres aspects, mais il ne définit pas en quoi consisteraient toutes ces directives. Le juge en chef a dit : « voilà mon opinion », mais sans aller plus loin car il n'a pas examiné la question.
Êtes-vous préoccupé par le fait que « toute directive » pourrait être donnée par le procureur général au directeur des poursuites pénales relativement à une poursuite pendant que celle-ci est en cours et le fait que cette information pourrait être cachée à la défense jusqu'au terme de la poursuite ou de toute poursuite connexe?
Nous vous posons cette question, monsieur Lomer — et cela traduit l'importance que nous attachons à votre comparution devant ce comité — car il nous arrive de lire la jurisprudence de temps à autre, pendant nos heures de loisir. Nous avons noté que vous avez beaucoup écrit au fil des ans. Vous avez comparu devant la Cour suprême du Canada et les cours d'appel. Vous avez fait un excellent travail de représentation des citoyens au mieux de vos capacités, en leur offrant la meilleure défense possible. Du moins, c'est mon avis, ayant examiné les requêtes que vous avez présentées concernant la Charte.
Une cause que vous avez défendue — je crois que vous l'avez perdue, mais peu importe — est la cause R. c. Trotta devant la Cour d'appel de l'Ontario, en 2004. Il y était question de divulgation. Le jugement final de la Cour d'appel a statué que le nouveau régime de divulgation de la Cour d'appel de l'Ontario doit être restreint à l'information qui est non seulement apparue seulement après le procès en première instance mais qui a effectivement pris naissance seulement après le procès.
La Cour d'appel écrit :
[...] Un accusé condamné n'est plus présumé innocent. De fait, l'inverse est présumé. La condamnation demeure, à moins que l'appelant ne puisse convaincre la Cour d'appel de la casser. Une personne condamnée a également épuisé son droit à défense pleine et entière. Il est inapproprié en seconde instance de parler soit de présomption d'innocence soit de droit à une défense pleine et entière. Il est également inapproprié de décrire les limites de l'obligation de communication de la Couronne en appel en faisant référence à la présomption d'innocence ou au droit d'un accusé à une défense pleine et entière.
Dans le projet de loi, les renseignements relatifs à une poursuite ne seront communiqués qu'au terme de celle-ci, ce qui, selon le jugement de la Cour d'appel de l'Ontario que je viens de vous lire dans une affaire que vous avez plaidée —
M. Lomer : Et perdue.
Le sénateur Baker : Oui, mais c'était bien essayé. Ce jugement demeure et il dit que vous n'avez pas de droit d'appel. Il serait très difficile, selon la Cour d'appel, d'invoquer Stinchcombe ou tout autre argument une fois que la condamnation a eu lieu.
Est-ce là votre interprétation? Êtes-vous préoccupé par cet article du projet de loi?
M. Lomer : Premièrement, nous avons reçu autorisation d'interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada, principalement à cause du passage que vous venez de citer. Si je conviens avec le juge Doherty de la Cour d'appel que la présomption d'innocence ne s'applique plus après une condamnation, le droit à défense pleine et entière persiste jusqu'aux requêtes en vertu de l'article 696 au ministre de la Justice. C'est en partie sur cette base que nous en appelons à la Cour suprême.
Je suis préoccupé qu'une information qui pourrait influencer un verdict soit refusée à la défense jusqu'au terme de la poursuite alors que, selon la Cour d'appel de l'Ontario, un critère différent sera applicable à la personne condamnée.
Je sais pourquoi le juge Doherty a opiné comme il l'a fait, car les tribunaux aussi ont un intérêt à un règlement final et ce à cause d'organisations comme AIDWC, l'Association in Defence of the Wrongly Convicted qui, des années plus tard, reviennent pour dire que tel et tel élément de preuve a été découvert. D'ailleurs, une affaire de ce genre est en instance de jugement à la Cour d'appel, l'affaire Truscott.
Autant le juge Doherty aimerait un principe de finalité, qui d'ailleurs existe en droit, la réalité est que, aussi longtemps que l'on parle d'enfermer des gens à vie, et ce genre de choses, et que des erreurs judiciaires peuvent se produire, il faudra faire preuve d'une certaine souplesse à cet égard. C'est l'un des arguments que nous allons présenter.
La disposition de l'article que vous venez de lire gênera la défense mais je ne pense pas qu'elle sera déterminante, si l'argumentation de cette dernière est fondée.
Le sénateur Baker : Quand plaidez-vous cette cause?
M. Lomer : Nous venons de demander un report. Je ne peux pas vous expliquer les raisons. Des questions de fond sont apparues.
Le sénateur Baker : Même si le jugement de la Cour d'appel est infirmé, le problème demeure, n'est-ce pas?
M. Lomer : Oui.
Le sénateur Baker : Alors qu'une information pourrait influencer un procès si elle est divulguée en première instance, son utilité n'est plus la même après le fait. Des éléments de preuve dérivés qui pourraient être obtenus suite à cette divulgation ne seront plus disponibles. Convenez-vous que nous avons lieu de nous préoccuper de cela? Je sais que vous êtes en faveur d'un directeur des poursuites pénales, mais j'aimerais que vous répondiez à cette question précise, si vous êtes d'accord avec moi ou non.
M. Lomer : Le moment où ces directives seront publiées à titre de texte réglementaire est un sujet de préoccupation. Vous avez tout à fait raison. On ne peut exiger que toutes soient divulguées immédiatement car il peut y avoir des raisons d'État valides, comme dans une affaire de terrorisme ou quelque chose de cette nature.
Cependant il serait bon d'avoir une disposition établissant une présomption de divulgation en l'absence de certaines catégories claires de motifs de ne pas divulguer, et l'un de ces motifs ne devrait pas être que le verdict dans un procès pourrait être influencé.
Le sénateur Baker : Vous avez entendu les discussions que nous avons eues à ce sujet avec le juge en chef et l'autre témoin qui vous a précédé. Vous avez entendu l'échange où nous parlions de l'éventualité que le nom d'un informateur reste caché. Vous avez entendu aussi l'échange concernant l'obligation de l'État de communiquer le contenu d'enveloppes scellées, car lorsque l'innocence est en jeu, il y a des exceptions à chaque règle, comme la Cour suprême l'a statué. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Lomer : Oui.
Le sénateur Baker : Il peut y avoir des raisons de ne pas divulguer, mais il est difficile de trouver un exemple qui justifierait une non-divulgation générale à cause du risque d'influencer le procès.
M. Lomer : Dans tout ce domaine, on finit toujours par se heurter à la complexité. Il faut trouver un juste équilibre et souvent la loi peut indiquer quels facteurs peuvent être pris en considération pour cela et lesquels ne le peuvent pas. Nous avons vu cela, par exemple, dans le cas de la communication de documents de tierces parties dans les procès criminels, où l'on indique ce qui peut être englobé et ne le peut pas.
Le sénateur Baker : Passons à l'article traitant de la prolongation du délai à dix ans. Avez-vous entendu cet échange?
M. Lomer : Non, malheureusement pas.
Le sénateur Baker : Des dispositions de ce projet de loi et dans plusieurs autres lois portent à dix ans le délai de prescription pour la poursuite d'infractions punissables par procédure sommaire.
M. Lomer : Réellement?
Le sénateur Baker : Oui, réellement.
M. Lomer : Cela m'a échappé. Je dois vous le dire, cela ne figurait pas dans la version originale, sinon j'aurais eu quelque chose à dire à ce sujet. Je suis ici sous un faux semblant car j'ai lu la mauvaise loi.
Le sénateur Baker : Permettez-moi de situer le problème. Vous avez plaidé en invoquant Askov à différentes reprises, à plusieurs niveaux judiciaires. C'est pourquoi je vous pose la question. Vous avez invoqué le critère de façon répétée dans vos plaidoiries. Que pensez-vous, dans ces circonstances, de ces nouvelles dispositions et ne représentent-elles pas une violation de l'article 7, la justice fondamentale, et de l'arrêt Askov?
M. Lomer : Oui, et du paragraphe 11(b) de la Charte.
Le sénateur Baker : La présomption d'innocence?
M. Lomer : Non, le droit d'être jugé dans un délai raisonnable.
Le sénateur Baker : Nous avons l'article 7 et le paragraphe 11(b), et d'autre part une disposition qui donne dix ans pour poursuivre une infraction hybride, comportant des conséquences pénales, tant selon la procédure sommaire que selon la mise en accusation. Pensez-vous que cela viole l'article 7 et le paragraphe 11(b) de la Charte?
M. Lomer : Manifestement, on perd là de vue l'objet de la procédure sommaire. Les délits punissables par procédure sommaire, par définition, sont censés être jugés rapidement. C'était initialement un système de poids et contrepoids, mais cela change si vous créez des situations où l'on peut s'asseoir sur un délit pendant dix ans, sans avoir à traduire l'accusé devant un jury, sans avoir à l'emmener en Cour supérieure et sans lui donner de droits, tels qu'une enquête préliminaire, ce genre de choses.
S'il s'agissait d'un vol mineur, par exemple, mais qu'il s'est produit il y a sept mois, pourquoi va-t-on poursuivre dorénavant, alors que l'on ne peut pas actuellement; vous parlez d'établir dix ans comme limite.
Dans d'autres pays il existe des délais de prescription. Nous n'avons rien de cela dans ce pays. J'ai représenté un gars, sur le point de toucher sa pension de vieillesse, dans un tribunal pour délinquants juvéniles parce que les faits reprochés remontaient à tellement loin dans le temps, un attentat à la pudeur il y a une quarantaine d'années. Allez comprendre cela. Nous n'avons pas de délai de prescription.
Le sénateur Baker : Pas de délai pour porter une accusation.
Le président : Et vous n'aviez pas de témoin, j'en suis sûr.
M. Lomer : Nous en avions un, le plaignant.
Le sénateur Baker : Même s'il y a poursuite par voie de mise en accusation après dix ans, vous pouvez néanmoins invoquer Askov.
M. Lomer : Non, car Askov n'est déclenché que par la mise en accusation. Même en invoquant l'article 7, les tribunaux font preuve de circonspection — on pourrait même parler de mur de brique — pour ce qui est de la période avant l'accusation. En règle générale, vous devez prouver non seulement qu'il vous manque un témoin, mais aussi établir ce que ce témoin dirait.
Le sénateur Baker : Donc, votre argumentation est que si l'on utilise la procédure sommaire, cela devient une infraction hybride.
M. Lomer : Oui.
Le sénateur Baker : Votre opinion, c'est que les dix années sont contraires à la Charte. Invoqueriez-vous cet argument si vous deviez défendre ce client?
M. Lomer : Je l'invoquerai, mais est-ce contraire à la Charte? C'est réellement déformer tout notre processus pénal et contraire à tout ce que nous jugions approprié.
Le sénateur Baker : Vous diriez donc que c'est un abus de procédure.
M. Lomer : Sénateur Baker, vous ne cessez de placer des mots dans ma bouche. Je dirais que c'est une procédure abusive. Il s'agit de voir pourquoi on fait cela, et la seule raison que je vois c'est d'éviter les procès devant jury. La seule raison que vous pouvez avoir de repousser le délai de prescription pour les délits mineurs est que vous ne voulez pas de procès devant jury. Demandez-vous pourquoi le gouvernement légifère pour empêcher les citoyens de participer au système de justice pénale.
Le sénateur Baker : Permettez-moi de vous poser une dernière question, qui concerne le rôle du directeur des poursuites pénales. Vous considérez que c'est une bonne idée d'en avoir un. Cette loi permet au directeur des poursuites pénales de décider, sous le régime de la Loi électorale, si une accusation sera portée ou non. En vertu d'un article de la Loi électorale du Canada, c'est le directeur des poursuites publiques qui décide si une accusation sera portée ou non, puis une fois qu'elle est déposée par le commissaire, assure la poursuite. Voyez-vous là un problème?
M. Lomer : Je vois toujours un problème dès lors que l'enquêteur et le procureur sont intimement liés.
Le sénateur Baker : Permettez-moi de rectifier cela, car l'enquête est réellement effectuée par le commissaire. Je veux dire que le directeur des poursuites pénales —
Le sénateur Andreychuk : Je sais ce que vous voulez dire, mais j'aimerais tout entendre. Vous allez trop vite avec votre contre-interrogatoire.
M. Lomer : Je suis toujours inquiet lorsqu'il y a un lien entre l'enquête et la poursuite. Dans ma pratique quotidienne, je dépends de l'existence d'un procureur indépendant qui examine objectivement une affaire et détermine s'il y a ou non une perspective raisonnable de condamnation et agit en conséquence.
Si le procureur est aussi l'enquêteur, je n'ai pas cette indépendance. Selon ma lecture, le DPP ne porte pas l'accusation, il assure la poursuite ultérieure. Le DPP détermine s'il y a une perspective raisonnable de condamnation et ce genre de choses.
Le sénateur Baker : Oui.
M. Lomer : Je ne vois rien de mal à cela.
Le sénateur Baker : L'exemple que je viens de vous donner figure dans les modifications à la Loi électorale contenues dans ce projet de loi, qui confient au DPP la compétence exclusive de décider si des accusations seront portées ou non sous le régime de cette loi. À l'heure actuelle, c'est le commissaire aux élections fédérales qui décide d'intenter ou non une poursuite.
M. Lomer : J'hésite beaucoup à m'en remettre à ma version du projet de loi. La décision de porter une accusation appartient-elle au DPP ou bien au commissaire?
Le sénateur Baker : Non, c'est le DPP qui porte l'accusation.
Le sénateur Joyal : Le DPP décide d'inculper sur la base de l'information que lui fournit le commissaire.
M. Lomer : Si vous faites le parallèle avec le fonctionnement des enquêtes dans toutes les provinces exceptées la Colombie-Britannique, c'est la police — en l'occurrence l'enquêteur, c'est-à-dire le commissaire — qui prononce l'accusation, mais c'est le procureur qui décide de la porter devant un tribunal.
En Colombie-Britannique, il existe un mécanisme d'examen préliminaire tel que la police demande à la Couronne s'il y a lieu de prononcer l'accusation. Il lui faut donc l'aval de la poursuite pour aller plus loin. Je n'ai jamais objecté à un système où la police porte l'accusation et la Couronne assure la poursuite. Comme je l'ai dit, cela correspond à la manière dont le Code criminel est appliqué ici, au Canada.
Ce dont vous parlez est un peu différent. Cela ressemble davantage au modèle de la Colombie-Britannique et je n'ai jamais exercé en Colombie-Britannique. Franchement, je ne sais pas si le modèle de la Colombie-Britannique, où la Couronne doit donner son aval préalable à l'accusation, en quelque sorte, comme ce que prévoit le projet de loi selon vos dires, est plus avantageux.
Le sénateur Baker : Permettez-moi de vous lire simplement le paragraphe 512(1) proposé, page 112,
L'autorisation écrite du directeur des poursuites pénales doit être préalablement obtenue avant que soient engagées les poursuites pour infraction à la présente loi.
Plus haut, sur la même page, on voit que le directeur décide d'engager des poursuites :
S'il y a lieu d'engager des poursuites, le directeur des poursuites pénales demande au commissaire de faire déposer une dénonciation par écrit et sous serment [...]
C'est le directeur des poursuites pénales qui décide.
M. Lomer : La loi établit le directeur comme une autorité indépendante.
Le sénateur Baker : Oui.
M. Lomer : Je dois avouer que je ne vois pas de problème, à première vue. Cela reprend ce qui se pratique quotidiennement en Colombie-Britannique. Vous devriez peut-être parler au service des poursuites de cette province, par exemple.
Le sénateur Baker : Nous avons jeté un coup d'œil là-dessus. Trois provinces ont un mécanisme de consultation des procureurs de la Couronne préalablement à l'accusation, mais ceci va nettement plus loin.
M. Lomer : Oui, c'est vrai.
Le sénateur Baker : Pensez-vous que nous devrions peut-être revoir ce mécanisme voulant que le directeur des poursuites publiques soit celui qui décide de prononcer ou non l'accusation?
M. Lomer : J'ai toujours considéré que le professionnalisme de la police a aussi un rôle à jouer. J'entends par là qu'un officier de police va souvent, en Ontario, aller voir un procureur et lui dire : « Voici mon dossier. Que devrais-je faire? Devrais-je inculper, et si oui, sous quel chef d'accusation? » C'est une consultation officieuse. Mais cela laisse au policier la latitude de suivre ou non le conseil donné.
Vous dites que dans le projet de loi votre enquêteur, votre commissaire aux élections, n'a pas cette latitude. Vous voudrez peut-être envisager de la lui donner, tout comme nous donnons généralement ce pouvoir à la police.
Le sénateur Baker : Merci, monsieur Lomer. Continuez votre excellent travail.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à l'article 15, page 109, du projet de loi C-2, dont vous avez fait état dans votre exposé.
Le procureur général peut prendre en charge une poursuite s'il a, au préalable, consulté le directeur à ce sujet; le cas échéant, il l'avise de son intention et publie sans tarder l'avis dans la Gazette du Canada.
Le projet d'article ne fait état d'aucune raison ou circonstance dans lesquelles le procureur général pourrait ou voudrait prendre en charge la poursuite. Faudrait-il préciser davantage, afin d'éviter la politisation d'une décision, puisque nous voulons établir une structure aussi indépendante que possible? Si l'on va créer une dérogation à cette indépendance, ne faudrait-il pas spécifier les circonstances dans lesquelles le DPP peut être évincé de la procédure?
M. Lomer : Cela ne pourrait sûrement pas faire de mal, mais je me hasarderais à dire que tout le monde sera au courant lorsque le procureur général se substituera au DPP pour mener une poursuite. Je dis cela, car cela ne pourra arriver que par suite d'une décision politique.
Ma seule préoccupation ici est qu'il peut y avoir des raisons légitimes de ne pas rendre publique une telle décision. Vous me demandez de scruter une boule de cristal. Je pense que, dans les cas où le Bureau du procureur général déroge à la définition du projet d'article 2, soit principalement dans les cas de terrorisme et de crimes de guerre, il semble exercer une compétence parallèle à celle des procureurs généraux provinciaux, alors qu'en réalité il exerce la compétence suprême; il était simplement trop poli pour le spécifier à l'article 2. La jurisprudence est très claire et veut que le procureur général fédéral a le pouvoir de prendre en charge toute poursuite qui lui plaît sans demander l'autorisation du procureur général provincial. Simplement, cela ne se fait jamais.
Je serais réticent à dire qu'il doit publier dans tous les cas. Dans la vaste majorité des cas où la décision politique sera prise d'enlever le dossier au DPP, tout le monde le saura car, comme je l'ai dit, cela fera les grands titres des journaux. Soyez assuré que la presse voudra connaître les raisons — et spéculera sur les raisons — ce qui provoquera des questions à la Chambre. Cela aura un très gros retentissement.
Le fait d'exiger que les raisons soient données au moment où la décision est prise pourrait avoir des répercussions sur la poursuite elle-même. Pour cette raison, j'hésiterais à en faire une exigence fondamentale.
Le sénateur Joyal : Au sujet de la dernière remarque faite par M. MacFarlane — je ne sais pas si vous étiez dans la salle lorsqu'il a fait état d'un article qu'il a publié, où il attirait notre attention sur « l'indépendance budgétaire » du DPP. Comme vous le savez, il n'y a rien dans le projet de loi sur le financement de cette nouvelle charge publique. L'Association du Barreau canadien, dans son mémoire, recommande que le mécanisme de la demande et de l'attribution de crédits budgétaires soit transparent et qu'une disposition soit inscrite dans la loi prévoyant l'attribution de ressources supplémentaires pour les poursuites extraordinaires.
Dans d'autres endroits du projet de loi C-2, à propos d'autres titulaires de charge publique, un mécanisme budgétaire public est prévu. Le ministre doit recevoir la requête budgétaire et la transmettre au Conseil du Trésor. Nous savons ainsi qu'il y a transmission.
En l'occurrence, comme M. MacFarlane l'a fait remarquer, rien n'assure l'indépendance budgétaire du DPP. L'exemple australien qu'il a cité est très parlant.
M. Lomer : Oui, c'est un exemple plutôt inquiétant.
Le sénateur Joyal : « Je vous informe que vous n'avez plus de budget, merci, au revoir ». Nous avons vu quelques exemples de cela récemment, lorsque la Commission de réforme du droit du Canada s'est fait dire que son budget était supprimé, bien que la Commission reste légalement constituée. C'est une façon d'intervenir et, dans la pratique, d'imposer une décision politique.
Devrions-nous veiller à inscrire dans la loi un processus budgétaire afin de protéger l'institution et d'en garantir l'indépendance?
M. Lomer : Je m'inquièterais particulièrement dans la sphère provinciale, où les programmes d'aide aux victimes et témoins fournissent fréquemment une assistance lorsque l'accusation met en jeu de jeunes enfants, si un gouvernement décidait par principe que cela est superflu et inapproprié alors que le DPP le juge nécessaire car cela facilite la poursuite. À l'heure actuelle, le DPP ne s'occupe pas de poursuite mettant en jeu des enfants mais cela ne signifie pas que cela ne pourra jamais arriver et le débat sur le bien-fondé d'un tel programme pourrait bien tourner court s'il n'y a pas de transparence budgétaire.
Je suis d'accord avec l'exemple de M. MacFarlane, cela pourrait causer un grand refroidissement. C'est un peu comme une politique de famine — vous coupez les vivres à ce programme et il disparaît.
Le sénateur Joyal : En ce qui concerne le rapport annuel, l'article 16, page 109, du projet de loi dit que le DPP présente un rapport au procureur général, lequel fait déposer le rapport devant le Parlement. Ce rapport devrait faire mention des implications budgétaires du fonctionnement du Bureau du DPP. Ainsi, le Parlement serait informé chaque année de la situation budgétaire et financière du DPP. S'il y avait mention expresse du budget dans le rapport annuel, le Parlement pourrait soulever directement la question de l'indépendance du DPP sur le plan financier.
M. Lomer : Cela renforcerait certainement l'indépendance du poste. Si vous avez un rapport annuel du DPP sur les aspects budgétaires ainsi que sur les activités de poursuite, on pourrait analyser les deux en parallèle pour voir si certaines poursuites ne se font pas pour cause de contraintes budgétaires.
Le sénateur Joyal : Sinon, les chiffres seront enterrés dans le budget global du ministère de la Justice et nous savons combien le Parlement y prête peu attention. Nous pourrions envisager cela, étant donné la recommandation de l'Association du Barreau canadien à la page 17 de son mémoire et le témoignage donné par M. MacFarlane sur son expérience antérieure.
M. Lomer : Il ne fait aucun doute que le gouvernement veut établir un service des poursuites pénales transparent et objectif, ce qui est une bonne chose, à mon avis. Tout ce qui peut ajouter d'emblée à cette transparence est bon également. Comme le montre l'exemple de M. MacFarlane, un élément additionnel consisterait à éviter qu'une politique soit suivie relativement au budget du Bureau du DPP qui ne serait pas visible directement mais qui exercerait néanmoins un impact. Oui, je tends à être d'accord avec vous, sénateur.
Le sénateur Andreychuk : Je suis un peu déroutée par la réponse que vous avez donnée au sénateur Baker et au sénateur Joyal. Si le procureur général intervient pour prendre en charge une poursuite et que la publication peut être retardée dans l'intérêt de l'administration de la justice, vous avez dit, je crois, qu'il se pose une question d'équilibre en ce sens que l'on risque de nuire à l'accusé si la défense n'a pas connaissance de tous les faits etc. Est-ce que vous pesez ces faits pour déterminer « les exigences de l'administration de la justice »? Je ne pense pas que le procureur général pourrait s'abstenir de peser l'enjeu à la fois dans une perspective générale et dans la perspective spécifique de l'affaire concernée avant de former un jugement. À quoi songiez-vous lorsque vous parliez d'équilibre?
M. Lomer : Sénateur Andreychuk, nous parlons de la publication des motifs de la décision du procureur général d'intervenir et de prendre en charge une poursuite. À l'heure actuelle, le texte proposé ne dit pas que les motifs d'une telle décision doivent être publiés. J'ai dit qu'une solution possible du dilemme, soit absence de publication des raisons ou publication des raisons, le cas échéant, serait ce travail de pondération. Cela supposerait ajouter un autre paragraphe disant que les raisons seraient publiées en même temps que la décision lorsque cela ne compromet pas l'administration de la justice. On pourrait ajouter une liste des facteurs à prendre en compte dans la pondération.
Le sénateur Andreychuk : Oui, précisément. Comment pourrait-on publier après le fait sans divulguer l'information? J'imagine qu'on voudrait garder les faits confidentiels en raison de la nature délicate de l'information, pour des raisons de sécurité nationale ou autre.
M. Lomer : Je n'imagine pas que ces cas puissent mettre en jeu la sécurité nationale.
Le sénateur Andreychuk : C'était juste un exemple.
M. Lomer : Je comprends. Je vois comme application possible un cas où un membre du gouvernement ou du Cabinet est accusé d'un délit criminel et où le procureur général intervient à un moment où c'est clairement devenu une affaire politique. C'est pourquoi j'ai dit qu'il y aurait des retombées nucléaires si le procureur général invoquait jamais cet article. Les raisons d'une telle intervention ne seront sûrement jamais flatteuses, à moins d'être véritablement convaincantes. Dans ce cas, le procureur général aurait intérêt à les publier.
Le texte proposé n'oblige en aucun cas à donner les motifs. La seule chose que je puisse dire en faveur de l'absence de publication des raisons, c'est que la probabilité d'une intervention du procureur général est plutôt mince. Avec un service de poursuite indépendant sous l'autorité d'un DPP, quelle nécessité peut-il jamais exister qu'un procureur général intervienne et prenne en charge la poursuite d'une affaire? Je suis incapable d'imaginer cela. Les politiciens comprendront très bien l'avantage d'une organisation indépendante se chargeant d'une affaire délicate, au lieu qu'eux- mêmes s'en saisissent et mènent la poursuite.
En résumé, il est judicieux que les motifs soient publiés dans les conditions que j'ai décrites. En outre, il est peu probable que cette disposition soit jamais invoquée dans l'avenir rapproché ou éloigné.
Le sénateur Andreychuk : Les bureaux des procureurs à travers le Canada n'ont pas un budget distinct. À un moment donné, l'idée a été lancée d'avoir des budgets séparés pour les services de poursuite et les bureaux des procureurs généraux provinciaux. Cela donnerait aux premiers une certaine indépendance et leur permettrait de déterminer leur propre ligne de conduite. Je crois savoir qu'ils restent englobés dans le budget du procureur général provincial, tout comme les services d'aide juridique, dans bien des cas.
M. Lomer : C'est juste. Bien que je connaisse assez peu le sujet, en Ontario, les procureurs de la Couronne ont réussi à asseoir comme principe l'alignement de l'échelon supérieur de leur échelle salariale sur le salaire des magistrats de la Cour provinciale. Le salaire de ces magistrats est fixé par un organe indépendant, ce qui enclenche un effet en cascade sur les salaires des procureurs de rang supérieur. Je ne me penche pas souvent sur cet aspect, mais j'en entends parler par des collègues, dont certains bénéficient de ce système.
Le sénateur Day : Monsieur le président, merci de m'accorder la parole, mais vu l'heure, je vais m'abstenir.
Le président : Monsieur Lomer, je vous remercie de votre témoignage.
La séance est levée.