Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 13 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 23 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, se réunit aujourd'hui à 10 h 7 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, il s'agit d'un projet de loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation. Il est désigné plus communément sous le nom de Loi fédérale sur la responsabilité.
Comme le savent les sénateurs, nos témoins, les membres du public qui sont dans cette salle et tous les Canadiens et Canadiennes qui suivent nos délibérations à la télévision, ce projet de loi correspond à un pilier central du programme du nouveau gouvernement et c'est un des projets de loi les plus importants qui aient été présentés au Parlement au cours des dernières années. Le comité fait du projet de loi l'examen approfondi, attentif et minutieux qu'il mérite.
Au cours des quelque 90 heures de séance consacrées jusqu'à présent à l'examen de ce projet de loi, nous avons entendu plus de 140 témoins. Ils ont traité de sujets aussi variés que la responsabilité, l'éthique et les conflits d'intérêts, le privilège parlementaire, le financement politique, le bureau du budget parlementaire, l'accès à l'information, la protection des renseignements personnels, la dénonciation, les pouvoirs de vérification, les approvisionnements et le lobbying. Au cours de la présente séance, nous examinerons surtout la question des nominations publiques.
Nous accueillons aujourd'hui M. David Zussman, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public à l'Université d'Ottawa. Il a eu une carrière très diversifiée dans la fonction publique, dans le secteur privé et dans les milieux universitaires; c'est une autorité renommée en matière de gestion dans le secteur public, d'administration publique et de politique gouvernementale.
Mme Nancy Averill a pris sa retraite dernièrement. Elle était directrice de la recherche et de la méthodologie au Forum des politiques publiques, où sa recherche portait notamment sur le recrutement dans le secteur public, les nominations politiques et le leadership dans la fonction publique. Elle a été conseillère externe pour les deux derniers sondages auprès des fonctionnaires et elle a fait pour le Conseil du Trésor plusieurs études spéciales sur la sensibilisation et l'engagement dans les sociétés d'État.
[Français]
Le comité tient à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole et ensuite, nous passerons à une période de questions et de discussion qui sera, j'en suis sûr, très utile pour les membres du comité.
[Traduction]
David R. Zussman, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public, à titre personnel : Il s'agit d'un projet de loi extrêmement complexe, mais on m'a demandé de limiter aujourd'hui mes commentaires à deux aspects spécifiques de ce projet de loi, l'un concernant la Commission des nominations publiques et l'autre les nominations à statut prioritaire.
Ce projet de loi couvre un large éventail de domaines et d'éléments représentant une somme considérable de changements. Il y a quelques semaines, j'ai exprimé des inquiétudes au sujet de ce que je considérais comme des conséquences involontaires de ce projet de loi très volumineux, dues en grande partie aux exigences en matière de présentation de rapports et au fait qu'il contient de nombreux éléments pour lesquels le Parlement n'utilise pas l'information dont il dispose déjà. À cette occasion, j'ai également signalé que le gouvernement fédéral avait entrepris une telle quantité de nouvelles tâches au cours des quatre ou cinq dernières années qu'il était impératif que ce projet de loi soit raccordé avec les pratiques en vigueur et qu'il ne crée pas un chevauchement ou une redondance avec de nombreuses activités en cours. J'ai pu constater d'après des témoignages ultérieurs que plusieurs témoins ont exprimé des préoccupations semblables.
En ce qui concerne les deux volets du projet de loi sur lesquels vous m'avez demandé de faire des commentaires, je me réjouis d'en faire car j'estime que d'excellentes initiatives sont envisagées dans ce projet de loi.
J'aimerais faire tout d'abord des observations sur la Commission des nominations publiques. J'estime que cette initiative se démarque très fort des pratiques antérieures et qu'elle codifie les nombreux efforts déployés au cours des dernières années dans le but d'améliorer les nominations publiques dans la fonction publique fédérale. Il s'agit en fait d'améliorer la qualité des nominations fondées sur le mérite, en tenant compte du fait qu'au cours du mandat de quatre ans d'un gouvernement fédéral, on fera près de 3 000 nominations en suivant les processus décrits dans ce projet de loi.
Pour rétablir la confiance dans les institutions publiques, ce qui, d'après le premier ministre, est un des objectifs principaux de ce projet de loi, la mise en place d'un processus transparent que les Canadiens estiment accessible sera d'une importance cruciale. Le projet de loi s'y applique en élaborant des processus invitant les personnes qualifiées à postuler.
J'aimerais faire un bref historique des nominations publiques et faire quelques commentaires sur la réforme entourant ce type de projet de loi, entamée vers le milieu des années 90, alors que Penny Collenette était la principale responsable des nominations au Cabinet du premier ministre. Elle a entrepris la première codification des nominations gouvernementales en publiant chaque année un recueil de tous les emplois à temps plein et à temps partiel proposés par le gouvernement fédéral, contenant une description relativement détaillée de chaque emploi et invitant les Canadiens à postuler.
Cette initiative fut suivie des efforts de Marcel Masse qui était alors président du Conseil du Trésor. Il a entrepris un examen des organismes, des conseils et des commissions qui a entraîné la suppression de 500 postes de la liste des nominations par décret parce qu'ils n'étaient plus jugés utiles ni appropriés. Cette initiative a suscité la mise en place d'une mini-industrie par des personnes soucieuses d'adopter une approche plus efficace et axée davantage sur le mérite en matière de nominations. J'estime que le volet de ce projet de loi concernant les nominations donne suite en partie à la réforme ainsi entreprise.
Plusieurs gouvernements provinciaux ont déjà mis en œuvre des systèmes de nomination. Le gouvernement du Royaume-Uni a établi un système public très inclusif. Nous avons donc à notre disposition quelques excellents modèles.
Il n'y a que deux ou trois domaines où une petite mise au point pourrait être nécessaire. Il faut tenir compte du fait que dans le système des nominations publiques, trois éléments décrivent la situation. Le premier est le processus de nomination comme tel. Le deuxième est l'élaboration ou la production d'une liste de personnes admissibles dans laquelle le gouvernement peut faire son choix. Le troisième l'établissement d'un certain type de fonction d'évaluation de vérification garantissant que les processus soient suivis tels que décrits.
Vous savez déjà que le gouvernement a créé un secrétariat des nominations publiques qui est actuellement un petit service du Cabinet du premier ministre et que ce secrétariat est en train de mettre sur pied une nouvelle approche. Par contre, je ne sais pas très bien à quel mécanisme on aura recours pour mettre en place cette Commission des nominations publiques.
Dans le projet de loi actuel, l'intention du gouvernement est d'établir cette commission par le biais de la Loi sur les traitements, en apportant des modifications à la Loi sur la gestion des finances publiques. C'est très bien en ce sens que l'on n'a aucun doute au sujet de la légalité de cette façon de procéder. Cependant, compte tenu de l'importance cruciale de ce projet de loi pour ce qui est de signaler aux Canadiens et Canadiennes que nous avons un nouveau système qui sera plus accessible que les précédents et auquel un plus grand nombre de citoyens seront invités à participer, vous pourriez envisager la mise en place d'une loi spécifique qui pourrait instituer la commission comme telle dans l'immédiat, plutôt que d'avoir recours à la Loi sur les traitements pour le faire à une date ultérieure.
Cette dernière façon de procéder pourrait faciliter l'établissement de cette commission à brève échéance mais j'estime qu'à long terme, une loi distincte serait plus durable et serait un signe manifeste d'appui à ce type de changement. Le facteur principal est le fait que l'on veuille instaurer la plus grande confiance possible dans le nouveau type d'approche.
Je voudrais maintenant faire des commentaires sur le deuxième sujet que l'on m'a demandé de traiter, à savoir le statut prioritaire. Comme vous le savez, les dispositions actuelles de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique permettent aux membres du personnel exonéré des cabinets de ministres qui sont en poste depuis plus de trois ans d'avoir accès en priorité à des emplois permanents dans la fonction publique. Je pense que vous envisagez actuellement d'apporter une modification au projet de loi qui permettra à certaines personnes non pas de postuler à titre prioritaire, mais de postuler des emplois internes dans la fonction publique fédérale en se trouvant sur un pied d'égalité avec tout autre postulant interne. Je pense que vous avez trouvé l'endroit parfait pour régler cette question très importante.
J'aimerais en deux ou trois minutes vous donner un aperçu du nombre de personnes qui ont tiré parti de cette initiative. Nous pourrons ensuite faire des commentaires d'ordre plus général sur les avantages et les inconvénients de cette façon de procéder.
La Commission de la fonction publique a fait, l'année dernière, une étude qui a été publiée. Pour vous donner les dernières informations à ce sujet, je signale que chaque membre du personnel exonéré occupant un poste de haut rang, dans chaque ministère — à supposer qu'il y en ait 25, il s'agit donc des postes de 25 ministères —, qui reste en poste pendant plus de trois ans, a accès au statut prioritaire pour la recherche d'un emploi à plein temps. Sur une période de 11 ans, soit de 1993 à 2004, 243 personnes de ces divers ministères ont tiré parti de la possibilité d'occuper un poste permanent dans la fonction publique. Autrement dit, un peu moins d'un tiers des personnes admissibles ont profité de cette possibilité.
Je voudrais vous signaler un fait important et qui a souvent été mal interprété par les médias. Sur les 243 personnes qui ont obtenu un emploi permanent, neuf ont obtenu un poste de direction dans la fonction publique fédérale. Neuf personnes sur 243 sont devenues des cadres supérieurs et toutes les autres ont obtenu des emplois à des niveaux inférieurs.
Un fait intéressant est qu'environ la moitié de ces personnes ont obtenu un emploi dans le ministère pour lequel elles avaient travaillé alors que les autres ont trouvé des emplois dans d'autres services. Sur les 243 personnes concernées, 11 sont retournées travailler dans des cabinets de ministres et par conséquent, un retour ne s'est produit que dans 11 cas seulement.
J'aimerais situer dans le contexte le nombre exact de personnes qui ont tiré parti du statut prioritaire en comparaison du nombre d'autres personnes qui avaient accès à la priorité. De 2001 à 2006, environ 5 100 personnes avaient le statut prioritaire pour la recherche d'un emploi. Sur ces personnes, 220 environ étaient des membres du personnel exonéré de cabinets de ministres. Par conséquent, en fait, la notion de statut prioritaire n'est pas une notion qui s'applique exclusivement au personnel des cabinets ministériels, mais aussi à toute une série d'autres catégories d'employés.
Les trois cas les plus courants de recours au statut de bénéficiaire d'une priorité se présentent de la façon suivante. Dans le cas du transfert d'un conjoint dans des emplois à la fonction publique, l'autre conjoint a droit au statut prioritaire. Ce statut a été accordé à environ 1 500 personnes en raison du déplacement de leur conjoint; environ 1 600 personnes ont été bénéficiaires de ce statut lorsque leur poste a été déclaré excédentaire et environ 1 000 personnes l'ont obtenu à leur retour d'un congé sans solde. Vous pouvez donc constater que sur ce nombre très considérable de personnes, environ 220 employés de cabinets de ministres seulement étaient admissibles au statut prioritaire.
La question du statut prioritaire est une question importante. D'après mon expérience, elle a rendu d'excellents services au gouvernement du Canada en attirant à la fonction publique des personnes dont la plupart étaient disposées à abandonner le sectarisme politique pour une nomination neutre fondée sur le mérite, dans la fonction publique. De nombreux individus ont fait la transition d'un emploi pour un parti vers un emploi permanent dans la fonction publique, dans le cadre duquel elles ont travaillé pour des gouvernements conservateurs et pour des gouvernements libéraux.
Nancy Averill, à titre personnel : Je félicite le comité d'avoir invité des citoyens ordinaires tels que moi à témoigner. J'ai rédigé la plus grande partie de cet exposé à la bibliothèque de Minnedosa, au Manitoba, au cours de la fin de semaine dernière.
J'aimerais remercier mes coauteurs et corecherchistes, Nicole Murphy et Susan Snider, deux jeunes femmes douées d'un très grand talent et beaucoup plus jeunes que moi, qui étaient mes collègues au Forum des politiques publiques et, bien entendu, remercier également M. Zussman, qui était alors notre président, pour son appui et ses conseils. Le projet de loi C-2, qui est le projet de loi fédéral sur la responsabilité, est un des projets de loi les plus ambitieux prévus au programme. Je félicite le comité pour cet examen exhaustif. J'ai cru comprendre qu'aujourd'hui, le comité examinera les articles du projet de loi concernant les nominations politiques et le statut prioritaire. On m'a demandé de faire en sorte que mes commentaires préliminaires soient brefs; je propose par conséquent de donner mon opinion au sujet des liens entre le projet de loi et les tendances des récentes décennies à entreprendre une réforme et une mise à jour des processus de nomination par décret, d'expliquer les recommandations que nous avons faites dans l'étude de recherche que nous avons menée en 2004 et de vous donner d'humbles conseils en ce qui concerne ce que le comité pourrait inclure dans son examen et dans ses recommandations.
J'exposerai en tout premier lieu mes opinions sur les liens entre le projet de loi et les tendances des récentes décennies. L'article 227 du projet de loi modifie la Loi sur les traitements pour permettre l'établissement d'une Commission des nominations publiques qui serait chargée de mettre en place, et d'en faire rapport au Parlement, des lignes directrices régissant les processus de sélection en ce qui concerne les nominations par décret dans les organismes, les conseils, les commissions et les sociétés d'État. Je pense que le Comité législatif de la Chambre des communes sur le projet de loi C-2 a modifié l'article 227 afin d'y inclure des dispositions précises en ce qui concerne le mandat de la commission des nominations proposée. Je n'exposerai pas ces dispositions comme telles maintenant, car je présume que nous les examinerons au cours de la période des questions et des discussions.
Je ferai quelques brefs commentaires sur les tendances des récentes décennies en ce qui concerne les initiatives de réforme des nominations par décret. Depuis le mandat du gouvernement du premier ministre Mulroney, de nombreuses initiatives ont été prises dans le but de rendre les nominations par décret plus transparentes et plus objectives. En 1985, le comité McGrath a examiné le processus de nomination en ce qui concerne les sous-ministres, les dirigeants de sociétés d'État, les dirigeants d'organismes de réglementation et les hauts fonctionnaires du Parlement. Le comité McGrath a établi quatre principes qui lui ont servi de guide dans ses recommandations sur le rôle du Parlement en ce qui concerne les nominations gouvernementales. Le premier est que le principal objectif de la procédure de mise en candidature est de trouver les personnes les plus compétentes possible. Le deuxième, c'est qu'il est important que le public ne considère pas les nominations comme une simple question de favoritisme politique. Le troisième est qu'il existe de bonnes raisons de soustraire certaines nominations à tout examen politique. Le quatrième principe est que certaines nominations justifient un examen du Parlement, à des degrés différents. En outre, et c'est ce qui est le plus important, le comité McGrath a recommandé que toutes les nominations soient déposées à la Chambre des communes, donnant ainsi au Parlement le pouvoir de les examiner. Le Parlement n'a malheureusement exercé ce pouvoir qu'à de rares occasions. C'est le gouvernement de la première ministre Kim Campbell qui instaura la pratique consistant à annoncer les postes vacants, pour la plupart des nominations par décret à des postes à plein temps d'une durée déterminée, dans la Gazette du Canada.
En 1994, un chercheur invité, M. Gérard Veilleux, du Centre canadien de gestion, appelé maintenant École de la fonction publique du Canada, a examiné le processus de nomination en ce qui concerne les directeurs des sociétés d'État. Il a découvert que la plupart des nominations étaient liées à une affiliation politique sans toutefois faire de recommandations à ce sujet. Sa recommandation était principalement axée sur l'acquisition de compétences, et l'établissement de profils d'emploi pour faire la concordance entre les candidats et les compétences requises. Il a également suggéré d'assurer l'orientation et la formation des personnes nommées et de faire des examens du rendement des conseils d'administration des organismes publics afin de les obliger à rendre davantage de comptes au public.
Dans son premier Livre rouge intitulé Pour la création d'emplois, pour la relance économique, le Parti libéral du Canada s'engageait à examiner le processus et à garantir la compétence et l'équité dans le choix des candidats. Dans le cadre de l'examen global des programmes de cette administration, celle-ci a pris un engagement encore plus vigoureux en ce qui concerne la nomination de femmes, de membres des minorités visibles, d'Autochtones et de personnes handicapées, outre de supprimer environ 500 nominations par décret.
En l'an 2000, le vérificateur général du Canada a présenté un rapport sur la gouvernance des sociétés d'État et a fait des recommandations concernant la nécessité d'accorder davantage d'importance aux compétences des personnes nommées, à leur orientation et à leur formation et, enfin, au cadre législatif des organisations et de s'appliquer à renforcer le rôle des conseils et commissions dans l'édification du processus de sélection.
En résumé, au cours des 20 dernières années, l'examen du processus de nomination par décret a mis l'accent sur une meilleure gestion axée sur les aspects suivants : une approche transparente fondée sur le mérite en matière de nominations, l'orientation des personnes nouvellement nommées, un rôle pour le conseil dans la conception du processus de sélection et une évaluation du rendement du conseil. La Commission des nominations proposée est conforme à la tendance vers des nominations transparentes fondées sur le mérite, mais la question de l'orientation et de la formation des personnes nommées et celle de l'évaluation du rendement des conseils d'administration sont passées sous silence.
Je ferai quelques commentaires sur l'étude que nous avons faite en 2004. Le Forum des politiques publiques souhaite faire la promotion de l'excellence dans la gestion qui a été le fondement de notre étude sur les nominations par décret intitulée Pratiques exemplaires et recommandations de réforme. La prémisse principale de notre étude est que la présence de personnes compétentes au conseil d'administration d'organismes publics établit le fondement de l'excellence en gestion. Parallèlement, un processus de nomination global doit s'inscrire dans le cadre d'un système global de gestion de la formation et de l'évaluation. Dans notre étude, nous avons tenu compte du fait que des organismes du secteur public, y compris en ce qui concerne les provinces, le secteur bénévole et le secteur privé, avaient élaboré des pratiques exemplaires en matière de nominations pour leur conseil d'administration, à la suite des pressions exercées par leurs actionnaires, par leurs membres et par leurs fondateurs. Dans notre étude, nous nous sommes inspirés sans vergogne de leurs expériences.
Nous avons relevé les pratiques exemplaires suivantes dans le cadre des processus de nomination de ces secteurs : premièrement, les nominations doivent tenir compte de la diversité de la population canadienne sur les plans de l'âge, de la couleur, de la culture, du sexe et de la géographie. Des études ont déterminé que la diversité au sein des conseils d'administration était un synonyme d'innovation et d'efficacité. Je cite les travaux de Brown and Brown du Conference Board du Canada concernant l'importance de nommer des femmes aux conseils d'administration et les travaux de M. Richard Florida sur ses liens avec la diversité, la créativité et l'innovation. Ensuite, le processus de nomination devrait être indépendant. Nous avons découvert de nombreux exemples très pertinents indiquant que les comités du conseil d'administration s'acquittent de la responsabilité d'établir des profils de compétence et, dans certains cas, d'établir une liste de candidats possibles, pour leur conseil et pour le ministre.
Troisièmement, l'identification des compétences appropriées est une première étape essentielle. De nombreux organismes ont créé pour leur conseil des profils qui sont une copie conforme du type de compétences — en matière juridique, en matière de ressources humaines ou en matière de connaissance du sujet — qui sont nécessaires pour que l'organisme puisse accomplir sa tâche. Quatrièmement, les conseils d'administration actuels doivent être engagés dans le processus de sélection. Actuellement, cela se fait généralement en faisant des recommandations au ministre. Cinquièmement, les nominations efficaces incluent une orientation, une formation et une évaluation du rendement des conseils et de leurs membres.
Ayant identifié ces pratiques exemplaires, nous avons fait les recommandations suivantes. Premièrement, établir un organisme central pour qu'il joue le rôle de coordonnateur indépendant des nominations. Deuxièmement, faire participer les conseils d'administration actuels à l'identification des compétences. Troisièmement, promouvoir la diversité dans les nominations par décret. Quatrièmement, promouvoir la formation et l'éducation permanente. Cinquièmement, évaluer le rendement des employés et des conseils d'administration. Sixièmement, fournir une supervision parlementaire. Septièmement, attribuer aux organismes, conseils, commissions et sociétés d'État la responsabilité de donner de l'information sur leurs processus de nomination. Nous suggérons que les rapports annuels de ces organismes seraient le cadre approprié pour présenter cette information.
J'aimerais faire des observations sur mon évaluation des dispositions du projet de loi C-2 en ce qui concerne le processus de nomination par décret, et en particulier en ce qui concerne la Commission des nominations. Une autre prémisse essentielle de l'étude que nous avons faite en 2004 est que les organismes, conseils et commissions accomplissent une mission importante pour le gouvernement. Les nominations à ces organismes représentent une des fonctions exécutives fondamentales. Les gouvernements devraient avoir le droit de nommer des personnes qui adhèrent aux valeurs du parti au pouvoir et appuient son programme. Cependant, il est essentiel que les gouvernements tiennent compte du fait que l'approche fondée sur les critères d'adhésion à un parti politique et d'affiliation politique perd de son efficacité dans la recherche de candidats. Dans tous les partis, le nombre d'adhérents diminuent et les nouvelles lois sur le financement des partis politiques interdisent l'achat d'un profil politique. Les valeurs des candidats peuvent être établies grâce à leur participation communautaire dans le cadre de leur vie professionnelle ou de leurs services bénévoles.
Premièrement, en ce qui concerne la promotion des pratiques exemplaires, nous avons relevé dans le milieu des organismes, des conseils, commissions et sociétés d'État de nombreuses pratiques semblables en matière de nomination des membres du conseil. Cependant, les ressources dont ils disposent pour la conception et la mise en œuvre de leurs processus de nomination sont très différentes. Certains disposent de ressources suffisantes mais d'autres pas. Je pense qu'une des tâches essentielles de la commission sera de s'assurer qu'ils pourront promouvoir ces pratiques exemplaires de façon à ce que cet outil soit à la disposition de tous les organismes, conseils, commissions et sociétés d'État.
Deuxièmement, en ce qui concerne la transparence et l'éducation du public, nous avons remarqué que le processus des nominations par décret était un des processus gouvernementaux les moins connus alors que nous avons compté près de 2 400 postes à plein temps et à temps partiel dont les titulaires ont été nommés par décret.
Pour aider les citoyens à mieux connaître leur gouvernement, les rapports publics de la commission ne devraient pas se limiter à la présentation d'un rapport annuel au Parlement; il conviendrait peut-être qu'elle affiche en permanence sur son site Web le nom, le mandat et la biographie des personnes nommées. En outre, le rapport au Parlement devrait inclure une liste de toutes les nominations faites au cours de l'année concernée.
Troisièmement, en ce qui concerne l'orientation et la formation des personnes nommées par décret, la découverte et la nomination de la personne appropriée n'est que l'assise d'un conseil efficace. C'est la première étape. L'orientation et le perfectionnement professionnel permanent sont tout aussi importants. Je cite l'exemple du British Columbia Board Resourcing and Development Office qui inclut ce perfectionnement professionnel permanent des employés en ce qui concerne les questions de gouvernance du conseil.
Je recommande que le mandat de la Commission des nominations inclue l'orientation et le perfectionnement professionnel car la capacité des conseils et commissions à le faire par leurs propres moyens varie considérablement d'un à l'autre.
En ce qui concerne le rôle du Parlement, comme je l'ai mentionné dans mes observations antérieures, le Parlement a toujours eu le pouvoir d'examiner les nominations par décret. Le Règlement de la Chambre des communes renferme des dispositions concernant les comités permanents de la Chambre des communes, qui regroupent des membres de tous les partis politiques représentés à la Chambre, afin de leur donner le pouvoir d'examiner toutes les nominations autres que les nominations à la magistrature. Ce pouvoir n'a été exercé qu'à de rares occasions et il serait probablement plus efficace pour le Parlement d'examiner le rapport de la Commission des nominations sur le processus global et sur l'ensemble des nominations, tel que proposé dans le projet de loi.
Enfin, je recommande que le comité sénatorial examine l'exemple de l'Office for the Commissioner for Public Appointments du Royaume-Uni. Ce bureau a été créé en 1995 et on lui a confié un mandat très analogue en apparence au mandat proposé dans le projet de loi. J'estime qu'en 11 ans d'activité, ce bureau a maintenant acquis une expérience suffisante pour que l'on puisse déterminer si, en l'occurrence, le processus est efficace et ce que l'on pourrait faire pour améliorer la législation canadienne.
Le président : Je vous remercie pour ces deux exposés très intéressants. Je pense que les rédacteurs du projet de loi C- 2 étaient au courant des travaux de la Baronne de Finchley (Angleterre) en ce qui concerne la Commission des nominations.
La question que je voudrais poser s'adresse à vous, monsieur Zussman. Vous avez mentionné que deux lois distinctes étaient essentielles. Avez-vous examiné le cas du Royaume-Uni? Est-ce que ce système est fondé sur un mécanisme analogue à celui de la Loi sur les traitements ou a-t-on adopté à cette fin une loi distincte, comme vous le recommandez?
M. Zussman : Je pense qu'il s'agit d'une loi distincte. Elle a une valeur symbolique. De toute évidence, d'un point de vue juridique, on peut exploiter un système de toutes sortes de façons différentes.
Le président : J'ai été tout particulièrement impressionné par votre insistance sur la diversité et sur les organismes, conseils et commissions, car c'est extrêmement important au Canada et dans d'autres pays.
Le sénateur Milne : Quand je lis ce court passage du projet de loi, j'ai l'impression que c'est une très bonne idée. Cependant, je n'approuve pas le libellé du paragraphe 1.1(1) de l'article 227 proposé, à la page 175 du projet de loi, à savoir « Le gouverneur en conseil peut constituer la Commission des nominations publiques [...] ».
Ne pensez-vous pas que ça devrait être obligatoire? La décision de suivre ou non les instructions peut-elle être laissée à la discrétion des futurs premiers ministres?
M. Zussman : J'ai moi-même été déconcerté par cette formulation. Je la trouve plutôt inhabituelle. Je pense que le gouvernement a l'intention de créer une commission. Il a déjà créé un secrétariat chargé de seconder la commission. Je ne sais pas si c'est dû uniquement à la façon de rédiger ou si cette disposition laisse entrevoir des options générales que je n'arrive pas à envisager.
Comme l'a mentionné Mme Averill, de nombreux pays empruntent cette direction. Nous examinons la question de l'approbation des nominations publiques depuis une vingtaine d'années. Il est donc fort probable que le gouvernement suive cette suggestion.
Le sénateur Milne : Le terme devrait être « shall » pour que les futurs premiers ministres ne puissent pas revenir en arrière en ce qui concerne toute la question de la reddition de comptes.
M. Zussman : Pour être parfaitement honnête, après la création de ce système, il sera probablement très compliqué de décider de ne pas procéder de cette façon.
Le sénateur Milne : Oui, ce serait très difficile. Le paragraphe 227(2) du projet de loi dit ceci :
Avant de recommander au gouverneur en conseil la nomination d'un membre de la commission, le premier ministre consulte les chefs de tous les partis reconnus à la Chambre des communes.
Pensez-vous que ce soit la bonne approche? Le projet de loi ne mentionne que la Chambre des communes; il devrait inclure également le Sénat. C'est actuellement la prérogative du premier ministre et il est membre de la Chambre des communes.
M. Zussman : C'est une bonne question. J'ignore quelle serait la bonne réponse à cette question car je ne connais aucun autre cas ou aucune autre loi où la consultation du Sénat est obligatoire ou exigée par la loi. Je remarque également que dans le projet de loi, les nominations ne sont pas toutes assujetties au même niveau de consultations.
C'est le type d'initiative que pourrait entreprendre la Commission des nominations publiques afin de régulariser le degré de consultation des chefs des divers partis reconnus à la Chambre ou au Sénat.
Il est manifeste que l'on ne peut pas prévoir le même degré de consultation pour absolument toutes les nominations et ce ne serait d'ailleurs pas souhaitable. Actuellement, le projet de loi passe cette question sous silence. Une des premières initiatives que pourrait prendre la commission serait peut-être de classifier les types de nominations pour lesquelles une consultation accrue des parlementaires sera faite, selon leur complexité et leur importance.
Le sénateur Milne : Si je comprends bien, au printemps, le premier ministre a proposé un candidat dont la candidature a été examinée par le Comité des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires.
M. Zussman : C'est exact. Je pense que la candidature de cette personne a été retirée à la suite de ce vote. C'était la décision du premier ministre. C'est lui qui avait mis au point ce processus. Il n'était pas exigé par une politique ou par un règlement quelconque.
Le sénateur Cowan : Il y a peut-être malentendu. Je pense que les commentaires du sénateur Milne concernaient la nomination des membres de la commission et la question de savoir si cela devrait nécessiter la consultation des chefs des partis au Sénat et à la Chambre des communes. Je ne pense pas que sa question concernait les nominations par décret.
M. Zussman : La loi renferme des dispositions qui obligent le gouvernement à consulter officiellement les chefs des partis.
Le sénateur Cowan : Cette règle s'applique-t-elle aux commissaires?
M. Zussman : Oui. Par exemple, en ce qui concerne la nomination du vérificateur général, le gouvernement doit obtenir l'appui des divers partis. Merci pour cette clarification, mais cela a une portée plus large également.
Le sénateur Milne : Le but est d'évaluer et d'approuver les processus de sélection proposés par les ministres. Il ne s'agit pas d'absolument toutes les nominations par décret. C'est le processus.
M. Zussman : Oui.
Le sénateur Milne : Madame Averill, estimez-vous que la procédure adéquate devrait être de s'assurer que ces postes sont occupés par les personnes les plus compétentes et les plus brillantes, ayant à la fois de l'expérience et des connaissances dans le domaine en question?
Je présume que le Bureau du Conseil privé ne se contentera pas d'annoncer un poste vacant sur son site Web et qu'un processus quelconque approprié sera en place.
Mme Averill : On suit déjà actuellement certains processus excellents dans le cadre desquels, lorsqu'un poste devient vacant au sein d'un conseil d'administration, le conseil institue un comité ou décide en séance plénière d'élaborer un profil des compétences que doit posséder le candidat proposé. Le conseil plénier indique dans son examen que le sujet, Postes Canada ou la Monnaie, par exemple, accuse des faiblesses dans des domaines comme les compétences juridiques, les compétences en ressources humaines, les compétences financières ou les compétences générales ou encore l'expérience. Ces compétences sont alors intégrées au profil d'emploi.
Le sénateur Milne : Il s'agit des conseils et commissions.
Mme Averill : C'est exact. Le conseil transmet alors ce profil au cabinet du ministre en y annexant parfois une liste des candidats éventuels, étant donné qu'il connaît les candidats dans un domaine précis.
Je pense que la Commission des nominations veillerait à ce que ces processus soient normalisés, à ce qu'ils incluent l'évaluation des compétences, à ce que les candidats soient examinés de manière uniforme en fonction de leurs compétences et à ce que le choix se porte sur la personne la mieux qualifiée pour le poste en question.
Le sénateur Milne : J'ai lu le rapport intéressant que vous avez présenté au Forum des politiques publiques et j'ai l'impression que chaque groupe a actuellement des critères spécifiques et une méthode qui lui est propre pour combler les vacances.
Mme Averill : C'est exact.
Le sénateur Milne : Cela varie beaucoup d'un organisme à l'autre.
Mme Averill : C'est exact, mais les principes sont les mêmes en ce qui concerne un processus indiquant une série de compétences précises; ce profil des compétences et le processus comme tel sont ouverts et transparents.
Un des rôles de la Commission des nominations consisterait à maintenir une liste permanente des profils. Je pense que la commission ontarienne a un répertoire de candidats proposés pour divers postes, contenant de l'information biographique. Les noms de ces candidats sont ensuite ajoutés à la liste.
Le sénateur Milne : L'alinéa 1.1(2)e) proposé dit ceci :
« faire rapport publiquement sur l'observation [...] un rapport annuel au premier ministre pour communication au président de chaque chambre du Parlement [...] ».
Il semblerait que l'on demandera au Sénat d'examiner le rapport sur la conformité, même s'il n'intervient pas du tout dans la nomination de cette personne. C'est un peu étrange. Le Sénat n'a pas donné le plus petit conseil en ce qui concerne la nomination au sein de cet organisme; c'est intéressant.
Je reviens à l'alinéa proposé 1.1(2)a) qui dit ceci : « superviser, surveiller et contrôler les processus de sélection [...] ». Cette disposition est apparemment inspirée du modèle britannique. Avez-vous bien dit qu'elle était en vigueur depuis 1995?
Mme Averill : C'est exact.
Le sénateur Milne : A-t-on eu des problèmes en Grande-Bretagne depuis cette date?
Mme Averill : Je ne suis pas au courant des progrès que les Britanniques ont réalisés à cet égard.
M. Zussman : Je pense que ça fonctionne bien. De toute évidence, certains éléments doivent être ajustés, mais cette commission intervient maintenant dans pratiquement toutes les nominations au Royaume-Uni. La portée des nominations varie considérablement.
Le sénateur Milne : Je ne sais pas si les honorables sénateurs en sont conscients, mais ce projet de loi permet de nommer à nouveau le commissaire aux nominations publiques pour un ou plusieurs mandats de cinq ans. Le public veut que ces commissaires soient indépendants. Leur rémunération est alors fixée par le Cabinet et les perspectives de renouvellement du mandat sont liées au Cabinet. Dans ces circonstances, comment peut-on établir des mesures qui garantiraient leur indépendance? Auriez-vous des suggestions à faire?
M. Zussman : Pas particulièrement; je voudrais seulement signaler que nous le faisons tout le temps, car nous avons des nominations pour lesquelles l'indépendance est cruciale, notamment en ce qui concerne le vérificateur général, les membres de la Commission de la fonction publique et les juges. Tout s'est bien passé au Canada. Vous avez le droit de poser la question, mais notre bilan est exemplaire en la matière au Canada. Nous sommes parvenus à maintenir l'indépendance tout en permettant aux gouvernements de faire les nominations.
Mme Averill : Je suggère d'enchâsser leur indépendance dans la loi. Nous avons vécu d'excellentes expériences avec de hauts fonctionnaires du Parlement indépendants.
Le sénateur Milne : Il n'est nulle part question dans ce projet de loi d'un mécanisme de règlement des plaintes. Avez- vous des suggestions à faire en ce qui concerne l'établissement d'un tel mécanisme dans les cas où une personne estimerait avoir été lésée?
Mme Averill : Parce qu'elle n'a pas été nommée?
Le sénateur Milne : Oui.
Mme Averill : Si le processus est transparent et ouvert, la commission pourra toujours expliquer pourquoi on a estimé qu'un candidat avait des compétences supérieures à celles de l'autre, comme dans toute autre dotation de poste par voie de concours.
Le sénateur Milne : Monsieur Zussman, vous avez fait quelques commentaires au sujet des statuts prioritaires. Je n'étais pas au courant, mais vous avez laissé entendre que les conjoints bénéficiaient de ce statut. S'agit-il des conjoints de diplomates, de personnes en service à l'étranger?
M. Zussman : La Loi sur l'emploi dans la fonction publique a prévu une catégorie d'employés bénéficiant d'un statut prioritaire. Ils ont en quelque sorte un accès prioritaire aux postes disponibles. Une catégorie d'employés prioritaire est celle dans laquelle se trouve un fonctionnaire fédéral qui doit déménager avec un conjoint. On accorde par conséquent un statut prioritaire à ces personnes en ce qui concerne la recherche d'un emploi dans le nouveau lieu. On ne leur garantit pas un emploi, mais si un emploi pour lequel ils sont qualifiés se libère, ils y ont accès en priorité.
Le sénateur Milne : Combien de temps dure ce statut prioritaire?
M. Zussman : C'est une question pertinente.
Le sénateur Milne : Combien de temps durerait-il aux termes de ce projet de loi? Sa durée est-elle modifiée par ce projet de loi?
M. Zussman : Non. Ce projet de loi ne modifie pas la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Je tentais de situer le statut de l'emploi en ce qui concerne le personnel exonéré des cabinets des ministres, dans le contexte général des priorités. Ça ne représente pas un volet considérable du système du statut prioritaire, mais cette question intéresse le gouvernement dans une certaine mesure, dans le contexte du projet de loi C-2.
Le sénateur Zimmer : J'ai trois questions à vous poser, madame Averill.
Dans le document concernant la réforme des nominations par décret que vous avez présenté au comité, vous avez recommandé l'instauration d'un organisme central qui jouera le rôle de coordonnateur indépendant des nominations. Si on établissait un organisme central de ce type, envisagez-vous que la Commission des nominations publiques proposée pourrait être chargée de surveiller ses activités et de présenter des rapports sur ses travaux?
Mme Averill : Cet organisme central doit faire partie intégrante du mandat de la Commission des nominations publiques en ce sens que d'une part, elle établirait des processus et veillerait à ce qu'un code de pratique soit en place mais d'autre part, qu'elle serait analogue au modèle de la Colombie-Britannique, où une liste de noms est établie. Tous les processus y sont examinés par la commission et celle-ci joue le rôle de bureau central.
Le sénateur Zimmer : Vous avez mentionné ce matin que les conseils ont la possibilité de faire des recommandations au ministre concerné et je pense que vous avez mentionné qu'ils instituent un comité. Je pense que tous les conseils ont établi des comités permanents des nominations qui sont prêts à suivre ce processus de façon régulière. Je pense qu'ils ont déjà mis en place des comités permanents; ils n'en instituent pas seulement lorsque le besoin s'en fait sentir. Est-ce sur une base permanente?
Mme Averill : Cela dépend de la taille de l'organisme. Les grandes sociétés d'État peuvent s'offrir le luxe de le faire. Elles ont une liste permanente. Les organismes, conseils et commissions qui sont de plus petite taille n'en ont pas. De temps en temps, selon les besoins, ils instituent un comité ou alors ils examinent les nominations.
Le sénateur Zimmer : Connaissez-vous des analyses concernant des nominations recommandées au ministre par le conseil? Existe-t-il des analyses indiquant le pourcentage de nominations pertinentes faites directement par le conseil?
Mme Averill : Je n'ai pas cette information.
Le sénateur Joyal : Si je comprends bien le mandat de la Commission des nominations publiques, celle-ci ne se chargera pas de la nomination des sous-ministres ou des sous-ministres adjoints, alors que c'était une des recommandations principales du juge Gomery.
M. Zussman : C'est exact.
Le sénateur Joyal : L'alinéa 1.1(1)a) proposé concerne les nominations pour les conseils, commissions, sociétés d'État et autres organismes et pas toutes les nominations liées à la gestion des ministères, c'est-à-dire que le champ de compétence de la Commission des nominations publiques serait applicable au noyau de l'administration gouvernementale.
M. Zussman : Je pense que les sous-ministres continueraient d'être nommés par le premier ministre, selon la méthode utilisée depuis des années.
Le sénateur Joyal : Il s'agit essentiellement en l'occurrence des conseils, commissions, sociétés d'État et autres organismes.
M. Zussman : Oui.
Le sénateur Joyal : Je m'efforce de comprendre ce projet de loi par rapport à la loi britannique. Est-ce que la loi britannique prévoit les mêmes mandats?
M. Zussman : C'est une bonne question. Le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande expérimentent de nouvelles façons de nommer les sous-ministres ou les secrétaires permanents, comme ils les appellent. La plupart de ces pays ont adopté un modèle de nature contractuelle avec un mandat fixe, des critères de rendement et des primes de rendement. Nous n'avons pas adopté ce type de modèle au Canada.
Nous nous sentons très à l'aise avec le système actuel, à savoir un système traditionnel. En d'autres termes, il n'est pas établi dans une loi. Selon la tradition, les premiers ministres nomment leurs sous-ministres car ils veulent s'entourer d'une équipe de gestion avec laquelle ils se sentent à l'aise.
Comme vous le savez, notre collectivité des sous-ministres est composée presque exclusivement de personnes provenant de la fonction publique. Presque tous les sous-ministres que nous avons au Canada depuis 50 ans sont des fonctionnaires de carrière qui ont gravi les échelons.
Le sénateur Joyal : Oui, bien que le juge Gomery ait recommandé un processus de nomination différent. Comme vous le savez, c'est une des principales recommandations de son rapport.
En écoutant les nouvelles hier soir, j'ai appris que le juge Gomery ferait des commentaires sur la liste de ses recommandations qui ont été mises en œuvre ou qui ne l'ont pas été. À la lecture des dispositions du projet de loi concernant la Commission des nominations publiques, il est manifeste que l'application de cette recommandation, qui est une des principales de son rapport, n'est pas prévue dans le projet de loi C-2.
M. Zussman : Je ne vois pas quel est le lien entre la nomination des sous-ministres et le programme des commandites examiné dans le rapport du juge Gomery. Je ne pense pas que ce soit à ce niveau-là que les problèmes se soient posés dans le contexte de ce programme. On peut examiner diverses méthodes de nomination des sous-ministres, mais cette question n'est pas au cœur ni même à la périphérie des préoccupations de la Commission d'enquête Gomery.
Le sénateur Joyal : Un des premiers commentaires qu'a faits le professeur Ned Franks concernait le jeu des chaises musicales joué par les sous-ministres qui n'occupent généralement pas le même portefeuille pour une période de plus d'un an et demi. Ils changent constamment de portefeuille, ce qui est une façon de modifier la capacité redditionnelle du sous-ministre. Si un problème survient dans un ministère, on a tendance à remplacer le sous-ministre, ce qui permet au nouveau sous-ministre de dire que ce n'était pas lui le responsable, que cela s'est passé à un autre moment et que le processus actuel est différent. C'est une façon de tempérer le principe de la responsabilité. C'est la personne qui dirige le ministère qui devrait répondre si un événement inapproprié survient. C'est cette personne qui devrait témoigner devant le Parlement pour répondre de ses actes. Le juge Gomery a fait de longs commentaires à ce sujet. Le professeur Franks a présenté des chiffres qui corroborent les commentaires du juge Gomery. Il existe peut-être un lien entre les travaux que le professeur Franks a faits pour la commission et ses chiffres.
M. Zussman : Il a fait un travail considérable pour la commission et il est de haute qualité. Je suis entièrement d'accord sur le fait que nos sous-ministres changent plus souvent de poste que leurs homologues dans la plupart des autres pays. C'est une question qui pourrait être réglée avec ou sans l'intervention de la commission. C'est en quelque sorte le premier ministre en poste qui décide de déplacer les sous-ministres. Le premier ministre peut tout simplement décider de maintenir ses sous-ministres pendant une plus longue période dans le même portefeuille pour de bons motifs liés à la gestion et pour une meilleure reddition de comptes, à savoir la deuxième pierre angulaire de ce projet de loi, c'est-à-dire pour accroître la confiance dans les institutions publiques.
Une simple décision de gestion de la part du premier ministre pourrait régler la question sans nécessiter l'intervention de la commission dans ce processus de nomination. Je pense que le professeur Franks a eu parfaitement raison de faire cette recommandation.
Ce n'est pas uniquement pour des questions de reddition de comptes que le déplacement fréquent de personnes d'un ministère à un autre pose certains problèmes. D'un point de vue de gestion, lorsqu'il s'agit d'un organisme dont l'effectif s'élève à plusieurs milliers d'employés, il lui faut un certain temps pour atteindre sa vitesse de croisière et connaître les complexités du portefeuille. Je suis certain que plusieurs sous-ministres seraient d'accord avec vous; ils aimeraient rester en poste un peu plus longtemps pour accomplir la tâche qu'ils s'étaient fixée.
Le sénateur Joyal : En d'autres termes, nous n'avons pas réglé la question du statut du sous-ministre, bien que dans certains autres pays dotés d'un système de gouvernement parallèle au nôtre, on s'interroge sur les possibilités de stabiliser davantage le système et de lui donner ce type de neutralité, ce qui, dans l'opinion publique, est un des facteurs clés de transparence et de confiance.
M. Zussman : Nous nous en sommes assez bien tirés au Canada en ce qui concerne cette neutralité; c'est toutefois une question importante que vous soulevez. Nous pourrions donc nous interroger sur l'opportunité d'instaurer des mandats d'une durée déterminée pour nos sous-ministres, système en vertu duquel ceux-ci seraient nommés pour un mandat de cinq ou sept ans. Le principe du déplacement d'un ministère à l'autre serait alors considérablement restreint ou bien alors, il serait appliqué par le biais de moyens exceptionnels.
Plusieurs pays ont exploré ce processus qui priverait le premier ministre en poste d'une certaine marge de manœuvre. En cas de changement de gouvernement, le nouveau gouvernement ne pourrait plus affecter certaines personnes à des postes différents. Cependant, cela réglerait le problème que vous soulevez, à savoir que la reddition de comptes serait davantage garantie car les sous-ministres seraient toujours en place après qu'une certaine période de temps se soit écoulée. C'est un compromis que le comité pourrait examiner.
La seule remarque que je voudrais faire, c'est qu'il n'est pas absolument nécessaire que cela relève spécifiquement de la Commission des nominations publiques; le premier ministre pourrait s'en charger.
Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir à la Commission des nominations publiques. Je tente d'établir un parallèle entre cette commission et la Commission de la fonction publique. Un des principaux objectifs de la Commission de la fonction publique est le principe du mérite et la neutralité.
Les fonctionnaires sont au service de l'État et pas au service d'un gouvernement qui est partial. Ce principe s'est avéré efficace au Canada au fil des ans. Nous avons édifié une fonction publique relativement compétente et neutre.
La commission en question a un mandat d'une durée de cinq ans, apparemment établi en fonction de la durée d'un gouvernement. Par ailleurs, aux alinéas 1.1(1)a) à 1.1(1)g), le projet de loi s'applique à établir un processus neutre en ce qui concerne le recrutement, les nominations, les pratiques exemplaires et le renforcement de la confiance. Cependant, la commission a la responsabilité de maintenir cette confiance et la transparence, et de mettre en application le principe du mérite énoncé à l'alinéa a), à savoir « et à ce que la sélection des candidats soit fondée sur le mérite ». Je pense que cette disposition est l'élément principal de ce processus. Cette commission a apparemment la même durée de vie qu'un gouvernement de quelque allégeance politique que ce soit.
J'estime qu'il est contradictoire d'établir une commission modelée sur la durée de vie d'un gouvernement alors que cette commission a la responsabilité de mettre en œuvre un processus neutre et indépendant.
Aucun des hauts fonctionnaires du Parlement n'a un mandat d'une durée de moins de sept ans et certains ont même un mandat d'une durée de dix ans.
M. Zussman : C'est exact.
Le sénateur Joyal : Le vérificateur général a un mandat de sept ans et le Directeur général des élections est en poste jusqu'à l'âge de 65 ans. Le mandat des membres de la Commission de la fonction publique du Canada est d'une durée de sept ans.
Il est apparemment contradictoire d'établir une commission fondée sur la confiance, la publicité, la divulgation, l'accès, la formation, la présentation de rapports annuels, et cetera, qui soit composée de personnes nommées par le gouvernement.
Le projet de loi stipule que le premier ministre « consulte » les partis de l'opposition. Il ne dit pas « tentera d'obtenir l'accord ». Un ex-premier ministre disait : « Bonjour. C'est moi. À 14 heures, je nommerai telle ou telle personne. Merci beaucoup. Vous êtes consultés ».
Je ne le nommerai pas, mais je suis certain que vous savez de qui il s'agit.
Pour maintenir la confiance que cet exercice est censé créer, il faudrait des nominations pour une durée de sept ans faites avec l'accord du parti de l'opposition, car cet accord apporte l'équilibre dans le système. Nous avons nommé le conseiller sénatorial en éthique avec l'accord de l'opposition. L'opposition est la gardienne de la neutralité. Dans un régime démocratique, l'opposition assure l'équilibre de la neutralité.
Quel que soit le parti au pouvoir, il importe que le processus de nomination soit aussi transparent que possible dans le contexte des règles de neutralité que nous voulons mettre en place.
M. Zussman : Votre question comporte trois volets. Je pense qu'en dépit de l'exemple que vous venez de citer, le terme « consultation » implique un certain degré d'accord. Lorsque je lis cette disposition, j'ai l'impression que le terme « consultation » implique une vraie conversation.
La durée du mandat est une question importante. Je ne considérais pas nécessairement qu'elle était liée à la durée du mandat d'un gouvernement, mais un grand nombre de hauts fonctionnaires du Parlement sont nommés pour une période de sept ou de dix ans et, par conséquent, c'est une question à laquelle vous aimeriez peut-être réfléchir.
Ce n'est pas de trouver des personnes capables d'occuper ce poste tout en restant indépendantes qui me préoccupe. De nombreux Canadiens et Canadiennes pourraient faire preuve d'une grande compétence dans cette capacité.
En ce qui concerne la fonction publique, je suis sûr que lorsque les rédacteurs de ce projet de loi ont réfléchi à la façon dont ce pourrait être organisé, ils ont probablement envisagé la possibilité de confier cette responsabilité à la Commission de la fonction publique. Les rédacteurs du projet de loi ont donc probablement décidé qu'étant donné que le principe des nominations fondées sur le mérite est le même, une organisation distincte serait plus appropriée pour ces types de nominations. La Commission de la fonction publique se préoccupe des personnes qui sont sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Il s'agit essentiellement de fonctionnaires. Le groupe dont il est question ici est un groupe différent de personnes qui travaillent pour les organismes, les conseils et les commissions d'institutions publiques ou sous contrôle public.
Je pense que le gouvernement a décidé qu'il serait préférable que ce type de nominations relève d'un autre organisme. Les deux possibilités existent.
Mme Averill : Le sénateur Joyal a très bien démontré pourquoi la commission devrait être nommée pour une période de sept ans plutôt que pour une période de cinq ans.
Dans le contexte de la consultation requise, serait-il utile d'établir des paramètres en ce qui la concerne? Sur quels aspects de la nomination devrait porter la consultation? Est-ce qu'il faudrait prendre en considération des critères comme le mérite et les compétences de la personne nommée plutôt que son affiliation politique. Il pourrait être utile d'établir des paramètres pour la consultation pour s'assurer que le processus de la consultation des chefs des autres partis soit objectif.
Le sénateur Joyal : Cette question importante exige une deuxième réflexion. Lorsque j'étais secrétaire d'État, je participais au choix du président de la Commission de la fonction publique. Nous faisions tout ce qu'il fallait pour trouver une personne qui serait au-dessus de tout soupçon car la crédibilité de cette personne représentait la crédibilité du système tout entier. Une personne au-dessus de tout reproche confère ce statut au système tout entier. Si vous choisissez une personne qui peut être perçue comme étant partiale, vous n'atteindrez pas votre objectif.
M. Zussman : Lorsque j'étais secrétaire adjoint à l'appareil gouvernemental, j'ai appris que tous ces organismes ont des partisans pour lesquels ce symbolisme revêt une importance extrême. Un Bureau du Conseil privé très occupé a des centaines de nominations à faire et chaque nomination est absolument cruciale pour l'estime que nous porterons à l'institution. Chaque nomination a la même importance.
Le sénateur Joyal : Je voudrais faire une observation sur la traduction en français, en m'adressant au sénateur Nolin.
[Français]
Sénateur Nolin, vous constaterez que chaque fois que l'on parle de « code de pratique » dans la version anglaise — et la première mention est au petit paragraphe c) —, dans la version française, on traduit par « code pratique ». Il me semble qu'en français, on ne dit jamais cela, on dit plutôt « code de pratique ».
Le sénateur Nolin : Un « code de pratique ».
Le sénateur Joyal : L'expression « code pratique » est répétée au moins quatre fois dans ce texte; je pense qu'on devrait dire un « code de pratique ». Nous savons très bien, vous et moi, ce qu'est un code de pratique versus un code pratique. Un code pratique, c'est un code utile, mais un code de pratique, c'est un manuel qui contient la manière de faire.
Le sénateur Nolin : Un code de procédure.
Le sénateur Joyal : Un code de procédure. Pour plus de clarté, il me semble qu'on devrait faire cette correction.
[Traduction]
C'est une question de détail, monsieur le président, mais j'estime qu'il est important que nous examinions le français aussi bien que l'anglais.
Le sénateur Ringuette : J'ai trois questions à poser. Monsieur Zussman et madame Averill, vous avez tous deux fait des commentaires au sujet du code et avez mentionné que Penny Collenette avait entamé l'édification d'un code et de normes. Comment pourrait-on s'assurer que le code élaboré par cette commission-ci inclurait le respect de la diversité canadienne, le respect des régions, le respect des sexes, de la langue, de l'âge et de la compétence? En tant que femme francophone, j'estime qu'on n'accorde pas assez d'attention à d'autres femmes francophones compétentes venant d'autres grandes villes. Comment pourrait-on s'assurer de trouver cette inclusivité dans le code?
M. Zussman : Je pense que Mme Averill a abordé la question dans son exposé en mentionnant qu'il fallait que les compétences et les exigences soient spécifiées de façon explicite lorsque ces postes vacants sont annoncés. Le type de personne recherchée est alors clair pour le public et pour les décideurs.
Ensuite, il y a la fonction d'examen; les rapports qui seront examinés par le Parlement seront ensuite présentés annuellement. Il est clair dès lors que le Parlement peut demander à la commission de rendre des comptes sur le respect des critères qu'elle s'est fixés.
C'est un territoire nouveau pour le Canada : jusqu'à présent, les gouvernements font des nominations, mais celles-ci ne sont pas examinées. Ce projet de loi autorise ce type d'examen. Sur une période de temps raisonnable, on peut revenir en arrière et examiner le bilan du gouvernement dans certains domaines. Le Parlement pourra alors faire des commentaires.
Le sénateur Ringuette : D'après ce que j'ai constaté, lorsque des ministères annoncent ces postes, les annonces ne paraissent que dans le principal quotidien national. Par conséquent, le message n'est pas diffusé dans de nombreuses régions où peuvent se trouver des personnes compétentes répondant au critère de la diversité canadienne.
M. Zussman : La solution passe par Internet; il s'agit d'inciter les Canadiens et Canadiennes à se rendre à l'endroit approprié du site Web du gouvernement du Canada pour savoir quels sont les emplois disponibles. Nous n'avons pas à nous préoccuper des frais de publicité; nous n'avons pas à nous préoccuper outre mesure de la diffusion des avis car ils sont accessibles en ligne à toute personne que cela est susceptible d'intéresser, où qu'elle se trouve dans le monde.
Le sénateur Ringuette : Ma deuxième question concerne la formation. Je pense qu'il est nécessaire d'établir un certain équilibre en la matière car, la plupart du temps, ces personnes sont nommées pour un mandat de cinq ans. De nombreux postes sont des postes temporaires ou à temps partiel. Il faut établir un équilibre entre le degré de formation que nous assurerons et les bénéfices ou le rendement de l'investissement. Qu'est-ce qui créerait un équilibre, selon vous?
Mme Averill : Madame Le sénateur, vous avez mentionné de façon très pertinente qu'un grand nombre de ces postes sont des postes à temps partiel. Le nombre de nominations dans les organismes, conseils et commissions s'élève à environ 2 400. Environ 1 900 de ces nominations sont des postes à temps partiel de directeur. En ce qui concerne la formation, et je pense que cela établirait un certain équilibre, il s'agit de formation dans les relations de l'organisme, du conseil ou de la société d'État avec le gouvernement. Quelles sont par exemple les responsabilités et le mandat de l'organisme? Quelles sont ses relations avec le gouvernement? Comment les décisions sont-elles prises? En quoi sont- elles conformes à la supervision du gouvernement et à la formation de base en matière de gouvernance ainsi qu'au mandat de l'organisation? De nombreuses organisations dont j'ai interviewé les représentants ont indiqué que leurs directeurs, bien qu'il s'agisse de personnes très compétentes dans leurs activités courantes, avaient vraiment besoin d'une formation de base dans ces domaines.
Le sénateur Ringuette : Je reconnais qu'il s'agirait d'une formation de base qui aurait pour objet de permettre aux intéressés d'accomplir leurs fonctions de façon indépendante et en toute connaissance de cause.
Ma dernière question concerne le mandat. À la page 176, il y est mentionné que le premier ministre consulte les chefs avant de procéder à une nomination. Ensuite, à la page 177, le nouveau paragraphe 1.1(3) proposé de la Loi sur les traitements dit ceci :
Les membres de la commission sont nommés à titre inamovible pour un mandat de cinq ans renouvelable [...]
Il n'est toutefois fait aucune mention du processus de renouvellement du mandat en ce qui concerne le processus de consultation du Parlement. J'aimerais que vous fassiez des commentaires à ce sujet. Je ne fais pas de commentaires sur la durée, car ce projet de loi contient de nombreuses dispositions contradictoires.
M. Zussman : En toute franchise, je ne l'avais pas remarqué. Il est parfaitement légitime de poser une question au sujet du processus de renouvellement du mandat et on pourrait demander un processus de renouvellement du mandat semblable au processus auquel on a initialement recours pour choisir la personne. Cette petite question mérite assurément d'être examinée.
Mme Averill : Lorsque nous avons fait notre recherche, nous avons remarqué que l'on avait rarement prévu un processus d'évaluation efficace du rendement d'un conseil, d'une commission ou d'une personne. Il serait utile qu'un volet du processus de reconduction du mandat prévoie un examen du rendement au cours du mandat précédent, en fonction de l'atteinte des objectifs du projet de loi.
Le sénateur Ringuette : C'est une excellente idée.
Le sénateur Cowan : Je trouve, moi aussi, que c'est une bonne idée. Le projet de loi évoque les nominations des membres de la commission et leurs responsabilités dans le contexte des codes de pratique. Je pense que la difficulté en l'occurrence est que les réelles possibilités d'amélioration résident dans l'élaboration de ces codes et dans l'insistance sur la nécessité pour les sociétés d'État de faire faire régulièrement par le conseil d'administration un examen du rendement des conseils existants et une autoévaluation ou un autre type d'évaluation du rendement des conseils.
Une des clés est de s'assurer que lorsqu'un poste est vacant, les conseils suivent un processus très public et très structuré d'évaluation de leurs besoins, de l'ensemble des compétences des membres du conseil déjà en place et de l'ensemble des compétences requises, d'après le conseil, pour relever les défis en constante évolution dans toute organisation dynamique. Il faudrait offrir l'occasion, voire imposer l'obligation de solliciter ces opinions ou il faudrait, du moins, que le gouvernement les prenne en considération en procédant à ces nominations.
D'après mon expérience personnelle, qui est quelque peu restreinte dans ce domaine, les opinions des sociétés d'État et de divers organismes, conseils et commissions n'ont pas été sollicitées et on a procédé à la nomination de membres dont certains sont très compétents et d'autres moins. Même dans le cas de nominations de personnes compétentes, certaines de ces nominations ne répondent pas aux besoins comme tels du conseil.
Je n'insinue pas que les conseils devraient avoir la capacité de s'autoperpétuer, car cela pose parfois des difficultés. Nous avons tendance à renouveler le mandat des personnes qui sont déjà en place. La continuité est une bonne chose, mais il n'est pas nécessairement recommandable que la même personne reste en poste à perpétuité.
Un besoin réel dont il faut tenir compte est l'obligation de la part des conseils et des commissions d'évaluer rigoureusement leurs exigences et l'ensemble de leurs compétences; un autre est l'obligation pour le gouvernement de consulter ces conseils de façon raisonnable lorsqu'il s'agit de combler les postes vacants, sans enlever pour autant au gouvernement le pouvoir de faire le choix final. J'aimerais que vous fassiez des commentaires là-dessus.
M. Zussman : À mon avis, la plupart des sociétés d'État sont extrêmement bien gérées. Elles ont une très bonne structure de gouvernance et font presque tout ce que vous avez décrit il y a quelques minutes. Ce qui manque, et je pense que vous avez mis le doigt sur la plaie, c'est que les gouvernements ne se sentent pas particulièrement obligés dans certains cas de répondre aux besoins du conseil.
Un petit exemple qui a été mentionné à maintes et maintes reprises est le fait que la plupart des conseils d'administration des sociétés d'État ont désespérément besoin de personnes qui ont des antécédents dans le domaine financier, qui sont capable de lire des états financiers comme le feraient des experts. Pourtant, lorsque le processus de nomination est terminé, ils se retrouvent généralement avec des personnes très compétentes mais qui ne possèdent pas les compétences spécifiques requises.
Ces personnes ont toutes du mérite. Elles ne sont toutefois pas en concordance avec le profil des besoins du conseil au moment précis de la nomination. Dans ce projet de loi, je présume qu'une partie du mandat de la commission consisterait à s'assurer que l'on accorde davantage d'attention à ces exigences qu'on ne le fait actuellement.
Mme Averill : Je suis d'accord. La question importante en l'occurrence est que les sociétés d'État, les organismes et conseils accomplissent des tâches très spécialisées pour le gouvernement et que chaque conseil a besoin de types de compétences très particulières.
Par exemple, il est impératif que les membres du conseil d'administration d'Exportation et développement Canada aient une connaissance approfondie de l'industrie et de l'activité commerciale internationale, en plus de répondre à plusieurs autres critères. Il est important que cette commission des nominations ait des relations étroites avec les divers organismes pour lesquels elle élaborera un code.
Le sénateur Day : J'aimerais d'abord examiner le processus de nomination en ce qui concerne diverses catégories de personnes qui travaillent pour le gouvernement. Nous avons la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. À la page 92, le projet de loi C-2 indique ceci :
Le gouverneur en conseil peut nommer les titulaires des postes ci-après et fixer leur traitement :
a) sous-ministre, sous-ministre délégué ou poste de niveau équivalent;
b) administrateur général, administrateur général délégué ou poste de niveau équivalent;
c) conseiller spécial d'un ministre, d'un sous-ministre ou d'un administrateur général.
Tout un nouveau groupe de conseillers spécialisés est sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et c'est un domaine qui pose des problèmes, à mon sens.
La Commission de la fonction publique du Canada a élaboré au fil des années un très bon ensemble de règles pour s'assurer que le principe du mérite s'applique aux personnes qui travaillent pour le gouvernement. Nous avons eu des discussions à ce sujet il y a quelques années, lorsque notre comité a examiné le projet de loi sur la réorganisation de la fonction publique. Il était extrêmement important que le principe du mérite prévale. Maintenant, il est question de créer cette nouvelle Commission des nominations publiques qui représenterait un troisième groupe. On n'a pris aucune décision de tenter d'utiliser une partie du processus efficace qui a été établi en même temps que la Commission de la fonction publique. La décision stratégique est de créer une autre Commission des nominations publiques.
Vous avez raison. Nous voici au Sénat. Le gouvernement a pris une décision stratégique à ce sujet et, par conséquent, la meilleure chose à faire pour l'instant est d'examiner cette proposition et de tenter d'atteindre, en y apportant des amendements et en suggérant certains changements, les objectifs que nous aimerions atteindre, que nous estimons importants et que le public souhaite.
C'est pourquoi vous entendez toutes ces questions qui ont pour but de savoir s'il s'agit de jeter de la poudre aux yeux lorsque le projet de loi indique que le ministre peut faire telle ou telle chose ou ne pas en faire d'autres. Nous voulons que le libellé du projet de loi soit plus affirmatif. Il faut alors décider qu'il en sera ainsi.
On se demande quel sera le processus de nomination en ce qui concerne les personnes qui dirigeront cette commission des nominations. Ne serait-il pas utile de procéder à un second examen objectif en ce qui concerne ces commissaires, en faisant participer le Sénat au processus, comme dans plusieurs autres dispositions de ce projet de loi?
Une autre possibilité, qui a été mise en œuvre dans plusieurs autres domaines relativement à des nominations par décret dans des commissions, c'est qu'après que le premier ministre ait fait son choix, la nomination doive être approuvée par une résolution des deux chambres.
Que pensez-vous de certaines de ces mesures supplémentaires? Vous avez fait des commentaires en ce qui concerne la consultation préalable du Sénat. Pour atteindre l'objectif de la confiance du public dans ce processus, serait-il néfaste qu'avant que chaque commissaire ne soit nommé définitivement et après que le premier ministre ait fait son choix, la question soit renvoyée aux deux chambres du Parlement pour que celles-ci adoptent une résolution confirmant leur approbation?
M. Zussman : Je n'arrive pas à imaginer que cela puisse être néfaste. Je me creuse la cervelle pour trouver des précédents. Je ne sais pas s'il existe d'autres cas où c'est une pratique normale.
Le sénateur Day : Vous pouvez me croire sur parole. On la retrouve à plusieurs endroits dans ce projet de loi.
M. Zussman : Dans le projet de loi comme tel! Comme vous le savez, ce projet de loi crée huit nouveaux organismes.
Le sénateur Day : Rien que huit?
M. Zussman : Huit nouvelles commissions ou commissaires ou organismes d'un type ou d'un autre. Chacun comporte ses propres difficultés, car il y a chevauchement avec un territoire déjà couvert par d'autres organismes.
En ce qui concerne votre commentaire sur la Commission de la fonction publique du Canada, comme l'a mentionné le sénateur Joyal, elle occupe effectivement un territoire très semblable. Il n'est pas impossible du tout d'imaginer que deux organisations différentes coexistent, car elles concernent en fait deux groupes de personnes différents qui ne se chevauchent pratiquement pas. Dès lors, la présence d'un deuxième organisme ne me dérange pas.
J'aimerais revenir à un commentaire important que vous avez fait et que j'avais déjà fait, concernant une question qui a vraisemblablement été réglée dans des amendements. Il s'agit de la possibilité que le gouvernement nomme des conseillers spéciaux pour les sous-ministres. Je pense que c'était une erreur de rédaction car les versions française et anglaise étaient différentes dans la première version du projet de loi. Je pense — quoi que je n'en aie pas de garantie — que le gouvernement n'envisagera pas de faire de la nomination des conseillers spéciaux pour les sous-ministres une prérogative du premier ministre.
Je pense personnellement que cette prérogative poserait des problèmes. Comme vous le savez, les conseillers spéciaux dans les ministères ne sont généralement pas nommés par le gouvernement. Cela ne s'est jamais produit. Ce serait une nouveauté audacieuse qui poserait le problème de la politisation de la fonction publique.
Je pense que M. Baird examinera la question. Par ailleurs, étant donné que les deux versions sont différentes, je ne pense pas que le gouvernement ait l'intention d'aller dans cette direction.
Le président : M. Baird sera ici cet après-midi.
Le sénateur Day : On ne nous a pas encore parlé d'amendements.
Le sénateur Cowan : Vous l'avez peut-être devancé.
M. Zussman : Je ne voudrais pas annoncer des nouvelles avant le ministre. Cependant, j'ai soulevé la question à plusieurs occasions différentes devant divers rédacteurs.
Le sénateur Day : Connaissez-vous d'autres amendements dont nous devrions être au courant?
M. Zussman : Non.
Le sénateur Day : Nous aimerions beaucoup savoir si le gouvernement compte présenter d'autres amendements.
M. Zussman : Je devrais en outre signaler que la présidente de la Commission de la fonction publique a abordé la question dans le rapport annuel qui a été publié.
Le sénateur Day : Elle l'a soulevée ici également. Je ne me souviens pas qu'elle nous ait dit qu'elle avait été informée d'un amendement.
M. Zussman : Je viens de l'apprendre. Je n'en avais pas été informé non plus. J'attends M. Baird. On m'a dit que l'on envisageait sérieusement cet amendement, quoique je n'en sois pas sûr.
Le sénateur Day : Vous n'êtes au courant d'aucun autre amendement.
Mme Averill : Compte tenu de votre suggestion concernant une résolution d'approbation et un examen par le Sénat, je dirais que j'appuierais toute initiative qui ferait un contrepoids supplémentaire. Cependant, je me demande en quoi pourrait consister le rôle spécial du Sénat. Je propose que le Sénat assume le rôle consistant à s'assurer que les principes de la diversité et de la représentation régionale soient respectés, rôle qui est son point fort traditionnel. J'approuverais certainement ce rôle.
Le sénateur Day : C'est un excellent commentaire, car vous avez raison, c'est un des rôles traditionnels du Sénat.
Le plan prévoit que chaque ministre disposera d'un ensemble de règles qui lui seront propres et que cette commission examinerait les règles pour s'assurer que certaines normes soient en place, contrairement à ce que prévoit le processus central de nomination pour tous les organismes, conseils et commissions.
Il y aura de nombreux ensembles de règles, qui seront différents selon le ministère concerné. Vous acceptez ce projet. D'après l'article 227, à la page 176, ce que le ministre a prévu n'a pas d'importance car sa décision peut l'emporter. L'alinéa 1.1(1)b) proposé dit ceci :
[...] une attention particulière étant portée à toute nomination ministérielle qui ne donne pas suite à la recommandation du jury de sélection;
Cela laisse prévoir que les nombreux ensembles de règles n'ont pas vraiment d'importance car le ministre pourra faire ce qu'il veut. La commission proposée se contentera d'examiner ces questions.
M. Zussman : Cependant, elle aura la responsabilité de présenter des rapports publics. Je ne pense pas qu'un ministre aimerait que l'on sache qu'il va à l'encontre des bons conseils de la commission. La commission conseillera probablement un ministre au sujet du processus et le ministre réagira peut-être en proposant un processus différent, ce qui donnera lieu à des discussions. Au moins, chacun de ces processus sera rendu public. Il appartiendra ensuite à toute une série de personnes, y compris au Parlement, de décider si le processus proposé est équitable.
Il ne faut pas oublier que rien de tout cela n'est public. Nous ne savons pas comment sont faites les nominations dans aucun conseil, commission ou organisme. Ce serait un énorme progrès qui protégerait également les ministres des risques qu'on leur impose un processus qu'ils ne jugent pas efficace.
Le sénateur Day : Sauf votre respect, de nombreux systèmes différents sont actuellement en place. En ce qui concerne par exemple le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), on peut avoir accès à son site Web pour savoir comment on procède.
M. Zussman : Ce n'est pas une obligation.
Le sénateur Day : Cela se fait.
M. Zussman : Vous avez parfaitement raison, car de nombreux organismes le font.
Le sénateur Day : Nous pensons que la commission proposée examinera tous les différents systèmes pour s'assurer que certains principes fondamentaux ont été respectés. En dépit de cela, la décision du ministre pourra prévaloir. C'est ce qu'indique cette disposition.
Mme Averill : C'est exact, mais le paragraphe 1.1(4) dit que dans son rapport au Parlement, la commission aura le pouvoir de signaler tout incident de non-observation. Si un ministre doit déroger à une pratique normale pour quelque motif que ce soit, je présume qu'il s'assurerait que ces raisons, le caractère très particulier de l'organisme concerné, par exemple, soient bien spécifiées. Cette disposition indique également que la commission conserve la responsabilité de déposer ses rapports au Parlement; ses rapports seront donc publics.
Le sénateur Day : Vous examinez le paragraphe proposé à la page 177 concernant un rapport sur le ministre qui n'observerait pas le code de conduite de la commission et non sur le ministre qui omettrait de suivre la recommandation du système établi par le ministre. Ce sont deux éthiques différentes. Nous ne connaissons pas le contenu du code de conduite puisqu'il n'a pas encore été élaboré.
Mme Averill : Je suis d'accord, honorable sénateur.
M. Zussman : On espère que la commission proposée mettra de l'avant des pratiques exemplaires. Je présume qu'une des premières choses que voudra faire la commission, ce sera de communiquer à tous les organismes, conseils et commissions toutes les informations qu'elle possède sur les pratiques exemplaires. Le commentaire de Mme Averill au sujet de la formation est d'une importance cruciale. J'espère que l'École de la fonction publique du Canada se chargera de cette responsabilité et qu'elle offrira des pratiques de formation normalisées pour toutes les personnes nommées par le gouvernement au pouvoir, afin qu'elles soient bien informées sur ces questions importantes de gouvernance. Les nombreux organismes, conseils et commissions se posent tous les mêmes questions : Quel est mon rôle? Quel est le comportement approprié? Comment s'y prendre pour faire ceci? Il ne nous faudrait pas beaucoup de temps pour mettre au point une séance de formation intéressante pour les mettre au diapason.
Le sénateur Day : L'alinéa 1.1(1)f) proposé dit ceci : « sensibiliser le public à la question et former les fonctionnaires chargés de mener les processus de nomination et de renouvellement de mandat relevant du code de pratique ». Ce serait bien d'y inclure « nommés », et vous auriez ce que vous voulez.
M. Zussman : Oui.
Le sénateur Day : J'en prendrai note.
M. Zussman : Ce comité participe à une œuvre novatrice en examinant le projet de loi C-2. C'est une initiative spécifique au Canada mais, comme l'a mentionné Mme Averill et comme je l'ai moi-même signalé, d'autres pays ont fait des expériences dans ce domaine.
Le sénateur Day : Vous parlez d'œuvres novatrices en ce qui concerne la Commission des nominations publiques proposée.
M. Zussman : Oui, et du secrétariat qui la secondera; c'est entièrement nouveau.
Le sénateur Day : Madame Averill, je pensais vous avoir entendue dire qu'en vertu des nouvelles règles concernant le financement politique, l'achat d'un profil public était interdit. J'aimerais beaucoup savoir ce que vous entendiez par là.
Mme Averill : Autrefois, le favoritisme politique impliquait toujours un lien quelconque avec l'affiliation à un parti. Le nombre de Canadiens affiliés à un parti politique, quel qu'il soit, diminue, si bien que la réserve de candidats potentiels diminue. À une certaine époque, une personne pouvait acquérir un profil politique en faisant des dons importants à des partis politiques. Si j'interprète bien le projet de loi, ce ne sera plus possible. On ne pourra plus acheter son profil ou, en raison de la diminution du nombre de membres des partis, chercher ailleurs pour combler les postes des personnes qui appuient les valeurs du gouvernement au pouvoir.
Le sénateur Day : J'apprécie votre commentaire.
Le sénateur Zimmer : À ce propos, je signale que la conception fausse qui est répandue est que, si une personne appartient à un parti politique, c'est qu'elle est dénuée de compétences. Quand on rédige un projet de loi, c'est bien beau de mentionner qu'une personne impliquée dans le processus politique ne devrait pas être nommée. Cependant, il ne faut pas oublier que de nombreuses personnes affiliées à un parti ont de vastes compétences comparables à celles d'autres personnes. J'estime que lorsqu'on mentionne l'un, on devrait mentionner l'autre. Je le dis à titre de clarification.
M. Zussman : En explicitant des critères connus de tous les Canadiens et en indiquant pourquoi et comment on procède pour les nominations, on n'exclut pas pour autant des personnes qui ont participé à des activités sectaires car d'autres critères qui justifieraient clairement les motifs de leur nomination seraient établis.
Le sénateur Zimmer : Dans certains cas, les compétences que ces personnes acquièrent ailleurs enrichissent leur bagage personnel de compétences et en fait des candidats admissibles à une nomination.
M. Zussman : Je suis d'accord, sénateur.
Le sénateur Milne : Je voudrais poser une question dans la foulée des commentaires du sénateur Day. Dans quels locaux cette commission des nominations proposée serait-elle installée pour donner l'apparence de sa neutralité? D'après vos commentaires, monsieur Zussman, j'ai cru comprendre qu'un secrétariat a été établi au Cabinet du premier ministre.
M. Zussman : Actuellement, il s'agit d'un service du Cabinet du premier ministre, et ce sera quelque chose d'analogue au Bureau du Conseil privé.
Le sénateur Milne : Est-ce que ce secrétariat devrait relever du Cabinet du premier ministre ou du Bureau du Conseil privé? Que suggéreriez-vous?
M. Zussman : C'est une bonne question.
Le sénateur Milne : Cela n'a aucun rapport avec le projet de loi, mais c'est l'apparence de la neutralité qui me préoccupe.
M. Zussman : J'ai posé la question à plusieurs personnes. Nous pourrions examiner plusieurs options existantes : le Cabinet du premier ministre; le Bureau du Conseil privé où nous avons déjà un secrétariat principal; un service distinct du premier ministre, qui a été créé par le premier ministre Harper; Gestion des ressources humaines de la fonction publique Canada; ou la Commission de la fonction publique.
Le sénateur Milne : Il existe trois options.
M. Zussman : Ce sont toutes des options possibles. Je ne veux pas prendre position à ce sujet, car je ne sais pas très bien quelle serait la meilleure réponse. Il existe de nombreuses options possibles.
Vous avez parfaitement raison de vous demander quelle option offrirait une solution aux Canadiens et permettrait à la commission de donner une apparence d'indépendance en faisant des nominations fondées sur le mérite, et d'attirer des candidats de premier plan. Si l'on applique ces critères, aucune option n'est très supérieure aux autres.
Le président : Madame Averill et monsieur Zussman, cette discussion fut très intéressante et très instructive pour le comité.
J'ai le plaisir d'accueillir les représentants de l'Association du Barreau canadien (ABC). L'ABC est un organisme bénévole professionnel qui a été créé en 1896 et qui représente actuellement quelque 35 000 avocats, avocates, juges, notaires, professeurs, professeures, étudiants et étudiantes en droit de tout le Canada.
Le mandat de l'Association du Barreau canadien consiste à améliorer le droit, améliorer l'administration de la justice, améliorer et promouvoir l'accès à la justice, promouvoir l'égalité des sexes au sein de la profession juridique et du système judiciaire, améliorer et promouvoir les connaissances, les aptitudes, les normes éthiques et le bien-être des membres de la profession juridique, représenter la profession juridique sur un plan international et national et promouvoir les intérêts de ses membres.
Les représentants de l'Association du Barreau Canadien que nous accueillons aujourd'hui sont Bernard Amyot, vice-président, et Tamra Thomson, directrice, législation et réforme du droit. Je constate que Kerri Froc est ici également.
[Français]
Le comité tient à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole et ensuite, nous passerons à une période de questions et de discussion qui sera, j'en suis sûr, très utile pour les membres du comité.
[Traduction]
Soyez les bienvenus. Nous attendons depuis longtemps votre exposé. Comme vous le savez probablement, si vous avez examiné les transcriptions, le document de l'ABC a été évoqué par de nombreux témoins. Nous sommes chanceux et heureux de vous accueillir en personne.
Allez-y.
Bernard Amyot, vice-président, Association du Barreau canadien : Je ferai un bref exposé après lequel je répondrai volontiers à vos questions.
Le président : Vous avez la parole.
[Français]
M. Amyot : Honorables sénateurs, l'Association du Barreau canadien vous remercie de l'occasion que vous lui offrez de commenter la Loi fédérale sur l'imputabilité. L'Association représente plus de 36 000 juristes de toutes les régions du pays. Comme vous le savez sans doute, l'amélioration des lois et de l'administration de la justice fait partie de notre mandat.
Le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui, fruit de l'expertise de plusieurs sections de l'Association du Barreau canadien, s'inscrit dans la poursuite de cet objectif fondamental. Au départ, l'ABC estime que le projet de loi sur l'imputabilité constitue une initiative louable. Il est incontestablement dans l'intérêt public de rendre le gouvernement plus responsable et plus transparent et de réduire le risque d'influences indues sur la prise de décisions gouvernementales.
Nous appuyons l'intention et une partie appréciable du contenu du projet de loi C-2. Ceci étant dit, nous craignons que certaines dispositions du projet de loi puissent avoir un effet contraire à l'objectif visé. Nous prévoyons notamment que la Loi sur le lobbying nuira au secret professionnel entre avocat et client. Nous prévoyons que les modifications à la Loi sur l'accès à l'information réduiront l'imputabilité plutôt que de l'augmenter.
Nous estimons aussi que la Loi sur la protection de fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles rendra encore plus difficile la dénonciation d'actes répréhensibles dans la fonction publique. Et finalement, nous ne voyons aucun motif impérieux qui justifie la création du Bureau du directeur des poursuites pénales.
Avec votre permission, monsieur le président, j'aborderai brièvement chacune de ces questions.
[Traduction]
La nouvelle Loi sur le lobbying proposée oblige les lobbyistes à présenter un rapport mensuel contenant des détails importants sur toutes leurs communications avec de hauts fonctionnaires. La fréquence accrue et le niveau de détail accru des rapports pourraient poser un grave problème aux avocats qui s'adressent au gouvernement pour le compte de leurs clients. Le moment où ont eu lieu leurs discussions avec le gouvernement et les détails concernant ces discussions deviendraient publics, ce qui entre clairement en conflit avec le devoir de l'avocat de maintenir la confidentialité en ce qui concerne leurs clients. Les membres du public ont le droit d'être confiants que les consultations avec leur avocat ne seront pas rendues publiques. La nouvelle loi augmenterait considérablement les risques que les avocats soient en fait forcés de trahir la confiance de leurs clients.
Nous recommandons que la nouvelle Loi sur le lobbying proposée ne s'applique pas à toute communication adressée à un titulaire de charge publique au nom de toute personne ou de tout organisme, lorsque la confidentialité est exigée par la loi. Nous accepterions sans difficulté que les avocats soient obligés de signaler au commissaire qu'ils établissent des communications confidentielles, dans le but de garantir un recours raisonnable à l'exemption.
L'Association du Barreau canadien est également préoccupée par les modifications proposées à la Loi sur l'accès à l'information. Ces modifications limiteraient paradoxalement l'imputabilité et la transparence du gouvernement.
Le projet de loi C-2 ajouterait pas moins de 10 nouvelles exceptions à la Loi sur l'accès à l'information, notamment des exceptions générales en ce qui concerne l'information obtenue ou créée par le vérificateur général, le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire au lobbying et d'autres personnes.
Certaines de ces exceptions ne sont assujetties à aucune période d'application. Ces modifications saperaient directement l'objectif du gouvernement consistant à accroître l'imputabilité et la transparence du gouvernement. Nous recommandons l'inclusion d'une clause de primauté de l'intérêt public sur ces exceptions à la Loi sur l'accès à l'information, semblable à ce qui se fait déjà dans de nombreuses provinces canadiennes.
L'Association du Barreau canadien recommande en outre que, même si l'on inclut une clause de primauté de l'intérêt public, toutes les exceptions soient assujetties à une période d'application limitée et que leur champ d'application soit restreint le plus possible.
[Français]
Troisièmement, l'Association du Barreau canadien estime que la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, visant à codifier les protections disponibles aux fonctionnaires divulgateurs, aura en réalité pour effet de réduire cette protection. La loi protégerait les fonctionnaires qui dénoncent un acte répréhensible quand ils sont obligés de le faire, alors que la common law existante accorde déjà cette protection aux fonctionnaires qui peuvent dénoncer sans y être obligés. Le projet de loi a donc pour effet de diminuer la protection actuellement disponible en vertu de la common law.
Nous recommandons que le projet de loi soit amendé pour protéger tous les fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, ceux qui y sont tenus comme ceux qui ont le choix de le faire. Finalement, en ce qui a trait au projet de créer le Bureau du directeur des poursuites pénales, nous y voyons une solution à la recherche d'un problème.
Selon nous, aucun motif impérieux ne justifie la création de ce nouveau bureau. Le service fédéral des poursuites a déjà des lignes directrices et des procédures publiques pleinement accessibles pour assurer l'indépendance des poursuites. De plus, les barreaux provinciaux ont démontré dans le passé qu'ils peuvent corriger et prévenir les rares instances d'inconduite de procureurs.
Advenant la création d'une direction des poursuites pénales, nous recommandons que le gouvernement prenne les mesures pour s'assurer qu'elle ne fasse pas obstacle à la consultation en matière de droit criminel lorsque l'expérience pratique et le point de vue du service des poursuites seraient particulièrement utiles.
Permettez-moi de conclure, monsieur le président, en soulignant qu'un large éventail d'expertises juridiques a contribué à la rédaction du mémoire qui vous est présenté aujourd'hui. Nous commentons d'autres dispositions du projet de loi dans le mémoire lui-même.
Nous espérons que vous prendrez sérieusement en considération les modifications proposées par l'Association du Barreau canadien au projet de loi. Chacune de ces modifications poursuit l'objectif louable et nécessaire de transparence et de responsabilité accrues au gouvernement. Il nous fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup. Dans votre mémoire écrit officiel, il est question de plusieurs autres sujets de discussion et celui-ci contient d'autres recommandations. Je sais que les honorables sénateurs l'ont lu intégralement. Certaines questions porteront peut-être sur des sujets que vous n'avez pas abordés, comme la question du directeur des poursuites pénales.
Le sénateur Baker : J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Amyot et le féliciter pour son imminente ascension à la présidence de l'Association du Barreau canadien. D'après sa jurisprudence, nous constatons qu'il y a exactement 20 ans qu'il a défendu sa première cause officielle devant la Cour d'appel fédérale, occasion à laquelle il s'est associé au fameux John B. Claxton, dont j'ai reçu à mon bureau l'ouvrage de 700 pages publié dernièrement sur la Loi régissant les fiducies au Québec, ouvrage qui est rédigé en anglais.
M. Amyot : Il est très bien écrit, mais je ne peux pas accepter de compliments pour cet ouvrage. Il est intégralement le fruit du dur labeur de M. Claxton.
Le sénateur Baker : Vous avez 20 années de métier et de nombreux arrêts publiés. Vous êtes indéniablement un avocat plaidant très occupé. Votre domaine du droit n'est pas le droit criminel et n'aurait aucun lien avec les agissements du directeur des poursuites pénales si ce projet de loi est adopté.
J'ai une question d'ordre général à vous poser. Vous avez mentionné que le directeur des poursuites pénales pourrait représenter une solution. Je me demande si vous ne pourriez pas donner des informations plus précises à ce sujet. En d'autres termes, nous présumons que vous voulez dire qu'il n'est pas vraiment nécessaire d'instaurer le Bureau du directeur des poursuites pénales. Est-ce exact?
M. Amyot : Je reculerai d'un pas.
Nous approuvons sans réserve le principe de l'indépendance en matière de poursuite à l'égard de toute ingérence politique. Nous estimons depuis longtemps que c'est un principe fondamental de notre système de justice. Par ailleurs, le système actuel, qui passe par le sous-ministre délégué et le service des poursuites et est complètement indépendant du reste du ministère de la Justice, est déjà très efficace et assure l'indépendance en matière de poursuite.
Il a publié des lignes directrices publiques et y adhère de façon satisfaisante. Nous estimons qu'il n'est pas du tout nécessaire de modifier un système déjà efficace. Ce n'est pas que nous nous opposions au principe; au contraire, nous sommes très en faveur du principe de la nécessité de l'indépendance des procureurs.
Le sénateur Baker : Comme vous l'avez souligné dans une recommandation, vous vous opposez particulièrement à la question de l'avis du procureur général au Directeur des poursuites pénales et au fait qu'il faudrait donner un avis précis de la nature de la mesure prise et des raisons pour lesquelles il ne peut pas être donné avant la fin de la poursuite.
Étant donné votre expérience dans le domaine du contentieux civil et de votre tout récent jugement dans l'affaire Hydro-Québec, dans lequel vous avez fait des commentaires sur la divulgation et la possibilité de découvrir la preuve, est-ce une question à laquelle vous accordez de l'importance? Faudrait-il une divulgation totale de la nature de ce type de communications entre le procureur général et le Directeur des poursuites pénales? La communication ne devrait-elle pas être entourée d'un voile de secret ou sa divulgation retardée jusqu'à la fin de la poursuite, donnant toutefois des informations précises lorsqu'elle serait divulguée? Pourriez-vous faire des commentaires plus précis à ce sujet?
M. Amyot : Je pense que sous le régime actuel, si le sous-ministre délégué a décidé d'intervenir, il n'y a aucune exigence officielle. En fait, il paraît que cela ne se fait jamais dans la pratique. Cependant, dans le projet de loi proposé, étant donné qu'il officialise l'écart entre les deux, si le Directeur des poursuites pénales faisait une intervention de ce type, la présentation de l'avis pourrait être retardée.
Vous avez parlé de divulgation complète, mais je ne pense pas que ce soit ce que nous préconisons. Nous ne préconisons pas la divulgation complète; nous préconisons de présenter immédiatement un avis d'intervention, même si l'on fournit à la première occasion les motifs pour lesquels on ne peut donner de précisions supplémentaires, susceptibles de compromettre l'issue d'un procès.
Nous estimons qu'il faut présenter immédiatement un avis concernant une telle intervention car un retard dans la présentation de l'avis pourrait aider la partie poursuivante à justifier rétroactivement la façon dont elle a traité l'affaire, alors qu'un avis présenté immédiatement cristalliserait le moment et les événements sur lesquels repose la poursuite.
Cette façon de procéder accroît la transparence du processus sans compromettre l'issue du procès.
Le sénateur Baker : C'est très précis. Dans ce cas, j'aimerais poser une question concernant le délai de prescription, question que vous n'abordez pas dans votre mémoire. Je ne sais pas si vous voudrez faire des commentaires à ce sujet. Aux termes de la loi, si un commissaire a connaissance d'une infraction, dans cinq cas différents, il dispose d'un délai extrêmement long pour porter une accusation. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit en l'occurrence des agissements de politiciens et de titulaires de charge publique de haut niveau.
J'aimerais vous demander ce que vous considérez comme un délai réaliste après qu'une personne ait pris connaissance de l'incident qui donne lieu aux poursuites. Quel serait à votre avis un délai réaliste pour porter des accusations? Il ne s'agit pas uniquement d'une question de droit pénal, mais aussi de droit civil, à savoir votre domaine, avec dommages et intérêts, et ainsi de suite. Selon votre point de vue professionnel, et pas seulement en qualité de prochain président de l'Association du Barreau canadien, quel serait un délai réaliste?
Le président : Il parlera probablement d'abord de la Loi sur les prescriptions.
[Français]
M. Amyot : Plusieurs personnes, de toutes les sections de droit dans l'association, ont contribué à l'élaboration de notre mémoire, et des bénévoles ont étudié le projet de loi. Cette question n'a pas été soulevée. Alors je ne voudrais surtout pas lui donner une importance que nos gens n'ont pas voulu lui accorder.
Si vous me demandez mon opinion personnelle, la prescription, dans ma province natale, est de trois ans en affaires civiles. Je ne peux rien dire de plus.
Nos gens n'ont rien vu qui méritait d'être porté à votre attention. Je ne veux donc pas ajouter à leurs propos.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Si je vous ai bien compris, vous avez dit que le délai de prescription que vous préconisiez était de trois ans.
[Français]
M. Amyot : La prescription est de trois ans dans la province de Québec. Toutefois, je ne peux me prononcer pour les autres provinces.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Il n'est certainement pas de cinq ou de dix ans; c'est là que je voulais en venir. Toutes mes félicitations pour votre incroyable activité devant la Cour supérieure du Québec dont on entend parler quotidiennement. Nous tentons de nous tenir au courant. L'arrêt dans l'affaire CIBC a été publié dernièrement; c'est un document de 150 pages.
M. Amyot : Nous n'avons pas besoin de lire celui-là.
Le sénateur Baker : Nous n'essaierons pas. Il s'agit de deux de ses jugements.
Le sénateur Zimmer : Merci pour votre exposé, monsieur Amyot. J'ai deux questions à vous poser. L'une concerne les restrictions proposées sur l'emploi et les activités professionnelles de titulaires de charge publique principaux pendant et après la durée de leur mandat. Elles seront probablement considérées comme constitutionnelles par les tribunaux. Par conséquent, pourriez-vous citer des cas qui auraient tendance à le confirmer?
[Français]
M. Amyot : Je ne suis pas certain de saisir votre question.
[Traduction]
Pourriez-vous répéter votre question, s'il vous plaît?
Le sénateur Zimmer : Dans le mémoire, il est mentionné que les restrictions proposées sur l'emploi et les activités professionnelles des titulaires de charge publique principaux pendant et après leur mandat seront probablement considérées comme constitutionnelles. Je voulais savoir si vous connaissiez des cas qui auraient tendance à confirmer que ces restrictions seraient bien constitutionnelles.
M. Amyot : Je crains que non.
Le sénateur Zimmer : À propos de vos recommandations concernant l'insertion d'une clause de primauté de l'intérêt public sur les exceptions dans la Loi sur l'accès à l'information, quelles sont vos préoccupations précises en ce qui concerne ces exceptions? Pouvez-vous mentionner une situation dans laquelle ce type de clause de primauté serait applicable?
[Français]
M. Amyot : Dans notre mémoire, nous avons donné des exemples spécifiques, À partir de la page 13, on expose toute une série de nouvelles exceptions à la Loi sur l'accès à l'information. Je me limiterai à cela.
[Traduction]
Le sénateur Zimmer : Pourrais-je faire référence au rapport et partir de là?
M. Amyot : Oui, mais votre question est en deux volets. Dans le deuxième volet, vous avez demandé quand la clause de primauté de l'intérêt public interviendrait.
Le sénateur Zimmer : Pourriez-vous me faire part de vos préoccupations précises au sujet des exceptions au projet de loi? Dans quels cas pensez-vous qu'elles seraient applicables? Je cherche un cas où ce serait applicable.
Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Les diverses exceptions ajoutées au projet de loi permettraient en fait de ne pas rendre l'information publique. Dans des situations liées à l'une ou l'autre de ces dix exceptions, il serait peut-être dans l'intérêt public de rendre cette information publique. Nous estimons que dans ces cas-là — et la définition de l'intérêt public peut être très générale —, la marche à suivre serait que l'institution ou le commissaire à l'accès soit en mesure de rendre une décision à l'effet qu'il est dans l'intérêt public de rendre l'information publique plutôt que de la soustraire à l'accès public.
M. Amyot : Nous avons mentionné la législation provinciale dans laquelle c'est prévu.
Le sénateur Zimmer : Oui. Merci.
Le sénateur Milne : Nous avons entendu les commentaires du commissaire à l'information et de la commissaire à la protection de la vie privée sur les modifications proposées à ce projet de loi. Un point sur lequel les deux commissaires désapprouvent le projet de loi, c'est l'interprétation du droit d'accès public, c'est-à-dire du bien commun, en quelque sorte. Ils étaient plus particulièrement préoccupés par les incidences qu'aurait le projet de loi sur l'arrêt de la cour dans l'affaire Lavigne c. Canada. Avez-vous des opinions à ce sujet?
Madame Thomson, je pense que vous avez déjà fait des commentaires à ce sujet.
Mme Thomson : Notre approche générale en matière d'accès est que, sauf lorsqu'on a de bons motifs de soustraire l'information à l'accès public, il faut rendre le plus d'informations possible accessibles au public.
En ce qui concerne l'incidence sur l'arrêt Lavigne, c'est une question que notre association n'a pas examinée comme telle.
Le sénateur Joyal : Je vous souhaite la bienvenue.
Je voudrais en revenir à vos recommandations concernant vos modifications à la Loi sur le lobbying, et plus particulièrement aux commentaires qui se trouvent vers le milieu de la page 5 de votre mémoire. Je lirai les quatre dernières lignes de ce paragraphe qui dit ceci : « La législation serait vulnérable à la contestation judiciaire et créerait à tout le moins une possibilité de conflit entre la loi fédérale régissant les lobbyistes et les règles de confidentialité de la profession juridique qui sont sanctionnées par la loi provinciale ou territoriale ».
Vous soulevez une question importante, à savoir essentiellement celle de la protection par la Charte du secret professionnel de l'avocat, sanctionné par les tribunaux dans de nombreux jugements antérieurs que vous mentionnés à la page 3.
Pourriez-vous expliquer de façon plus précise le contexte dans lequel un avocat qui fait du lobbying ne pourrait pas faire de rapport tel que mentionné à l'article 69 du projet de loi? La personne se trouverait alors dans l'impossibilité de se conformer à la loi mais invoquerait une protection de la Charte pour refuser de s'y conformer.
Vous concluez que la législation proposée serait vulnérable à la contestation judiciaire. En d'autres termes, l'obligation dans laquelle vous vous trouveriez en vertu du projet de loi de présenter des rapports vous placerait en conflit avec les règles de confidentialité qui régissent la profession d'avocat. Dans quel contexte prévoyez-vous que cette possibilité puisse devenir une réalité?
[Français]
M. Amyot : Dans chaque province, il y a des codes de déontologie des barreaux locaux. Les lois en vigueur dans chaque province protègent le secret professionnel de l'avocat. C'est dans ce sens qu'on dit que la loi, si elle encourageait un avocat à violer le secret professionnel, cela ferait en sorte que ce serait sujet à une contestation judiciaire.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Quel type d'informations exigées par l'article proposé vous mettrait en conflit avec la protection que les lois provinciales accordent aux avocats?
Mme Thomson : Nous pourrions peut-être prendre un peu de recul et dire que cela ne s'applique pas à toutes les conversations qu'un avocat a avec un titulaire de charge publique au nom d'un client. S'il s'agit de lobbying, ces dispositions devraient alors être applicables aux avocats également. Nous ne cherchons pas à obtenir une dispense générale pour les avocats.
Cependant, dans certaines circonstances, un avocat communique avec le gouvernement au nom d'un client au sujet d'une affaire assujettie au secret professionnel de l'avocat. Il peut s'agir de l'application d'une affaire particulière en ce qui concerne la recherche d'un règlement dans une affaire dont est saisie l'Agence du revenu du Canada ou d'une question de conformité à la Loi sur la concurrence, ou à toute une série d'autres actes réglementaires. Ce sont là des cas où un avocat peut être appelé à parler au nom d'un client, pour essayer d'obtenir un règlement.
Dans ces cas-là, le fait de déclarer que vous communiquerez avec le titulaire d'une charge publique de haut rang au nom de votre client pourrait aller à l'encontre du secret professionnel de l'avocat.
[Français]
M. Amyot : Concernant le principe fondamental de la confidentialité, tout le monde est d'accord qu'il faut permettre à toute personne de faire valoir ses droits de façon éclairée.
Pour faire valoir ses droits de façon éclairée, il faut avoir la confiance absolue que ce qu'on dit à son avocat va rester avec l'avocat, afin qu'il nous donne une opinion éclairée sur l'exercice de nos droits.
On ne dit pas que les avocats, dans tous les exercices de lobby qu'ils font, dévoilent de l'information confidentielle. Mais lorsqu'ils le font, ils devraient être exemptés de la loi ou un rapport devrait être fait à savoir qu'une telle conversation a eu lieu, mais sans donner de détails qui feraient en sorte d'enfreindre au principe du secret professionnel.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Je reconnais le mérite du principe du secret professionnel de l'avocat. Il consiste à permettre une défense entière du client. Cependant, j'essaie de savoir où il faut que ça s'arrête dans des cas où, selon l'alinéa 69(3)a) — en haut de la page 70 du projet de loi —, l'information que l'on doit divulguer est prévue.
Cet alinéa dit ceci :
[...] toute communication visée à l'alinéa (1)a) qui est de type réglementaire et a eu lieu avec le titulaire d'une charge publique de haut rang au cours du mois [...]
Suit l'énumération détaillée des types de renseignements que l'on doit divulguer. C'est assez facile en ce qui concerne le nom du titulaire d'une charge publique de haut rang qui a fait l'objet de la communication. C'est également évident en ce qui concerne la date de la communication. Cependant, la suite dit ceci :
[...] les renseignements, réglementaires et autres, utiles à la détermination de l'objet de la communication [...]
Il s'agit du titre du dossier ou de l'objet de la communication. Le dernier point est tout autre renseignement prévu par règlement.
En d'autres termes, si l'on veut maintenir le secret professionnel de l'avocat et que l'on veut répondre à l'objectif de la divulgation, il serait peut-être préférable d'engager un avocat et d'expliquer l'affaire en lui disant qu'il s'agit de renseignements confidentiels qui ne peuvent pas être divulgués, puis de faire du lobbying. La ligne de démarcation est très ténue quand on invoque le secret professionnel de l'avocat.
[Français]
M. Amyot : Ce n'est pas suffisant de dire que c'est privilégié pour que cela le soit. Dire que l'on va engager un avocat juste pour utiliser le privilège, ce n'est pas ce que l'on dit.
Lorsque l'avocat fait un travail de lobby, qui n'implique pas de dévoiler l'information confidentielle, on dit qu'il doit se conformer à la loi comme tous les autres et faire les rapports comme tous les autres. Vous savez que le nom du client peut être aussi confidentiel, le fait que quelqu'un nous ait consultés. Lorsque l'on touche à l'aspect confidentiel, c'est à ce moment que le privilège entre en jeu et seulement à ce moment. Il peut y avoir des mécanismes de protection avec ce qui est suggéré, de donner avis qu'on a eu de telles conversations, mais de dire que c'est confidentiel, si le commissaire veut revoir cette affirmation, il pourra le faire, il y a des mécanismes de protection. Mais il faut énoncer le principe, il faut dire haut et fort qu'on va préserver cet aspect important de nos chartes des droits qui est le secret professionnel de l'avocat.
Je suis d'accord avec vous qu'il ne suffit pas d'engager un avocat pour que tout le reste devienne privilégié. Ce n'est pas notre propos non plus.
Le sénateur Joyal : Je comprends que ce n'est pas votre objectif, sauf que l'usage pratique peut produire un résultat comparable. Je me demande quels seraient les garde-fous ou les paramètres qu'il faudrait définir de manière à ce qu'il n'y ait pas une sorte de porte ouverte à l'usage du privilège de la relation avocat-client pour éviter de rendre publiques les démarches qui sont essentiellement du lobbying.
M. Amyot : Ce que je suggérais, c'était le rôle du commissaire, lorsque les avis vont être donnés, de décider si tous considèrent que quelque chose n'est pas raisonnable ou il a des soupçons de faire enquête à cet égard.
Le sénateur Joyal : Mais vous demandez quand même un amendement très précis, c'est à la page 5 de votre mémoire.
[Traduction]
Vous recommandez que l'alinéa suivant soit ajouté au paragraphe 4(2) de la Loi sur le lobbying :
La présente Loi ne s'applique pas en ce qui concerne toute communication verbale ou écrite adressée à un titulaire de charge publique par une personne au nom de toute personne ou de tout organisme lorsque la confidentialité est exigée par la loi.
Vous réclamez des amendements précis pour protéger le principe du secret professionnel de l'avocat.
[Français]
M. Amyot : Les tribunaux pourront, comme on le dit au paragraphe suivant, régler les problèmes s'il y en a. Ce sera à la personne qui invoque le secret, j'imagine.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Sauf si vous êtes accusé de ne pas vous être conformé à l'obligation de divulguer cette information prévue dans cette disposition. Si vous étiez accusé d'avoir enfreint la loi, dans le cadre de votre défense, vous allégueriez qu'il s'agissait d'information qui devait rester confidentielle en vertu de la loi. Vous invoqueriez cet argument davantage pour votre défense que pour obtenir une décision.
[Français]
Le sénateur Nolin : On s'entend que ce n'est pas le fardeau de la preuve, c'est seulement une allégation. Mon client a demandé la confidentialité, après c'est le commissaire qui aura le fardeau de prouver que ce n'est pas vrai. Vous voyez le dilemme qu'on peut avoir? Il s'agit de tracer une ligne dans le respect des privilèges et des droits de tout le monde, mais comment la trace-t-on, cette ligne?
M. Amyot : Tout d'abord, le commissaire fera un premier travail de sélection et ensuite, comme on est dans une société démocratique, il y a la primauté du droit. S'il y a un désaccord complet sur une question, on la soumettra aux tribunaux. C'est pour cela que les tribunaux existent.
Le sénateur Joyal : Et malgré le fait que le privilège client-avocat est protégé par la Charte, comme vous le démontrez très bien dans votre mémoire, vous demandez malgré tout que la loi soit amendée pour reconnaître l'existence de cette relation, eu égard au lobbying?
M. Amyot : Tout à fait.
Le sénateur Joyal : Nous avons reçu le professeur Mendes de l'Université d'Ottawa qui nous a fait des remarques extrêmement particulières sur un aspect de la Charte qui pourrait être invoqué dans la partie du projet de loi qui traite du financement des partis politiques.
Est-ce que vous avez eu l'occasion de prendre connaissance des conclusions que le professeur Mendes a portées à notre attention la semaine dernière?
M. Amyot : Je crains que non. Je regarde parfois CPAC, la nuit, mais pas régulièrement. J'ai dû le manquer ce soir- là.
Le sénateur Joyal : Je poursuis avec le deuxième point, celui de la Loi sur l'accès à l'information. Vous demandez qu'il y ait deux qualificatifs, un sur le temps et un sur la notion d'intérêt public, qui viennent tempérer les dix exemptions que vous énumérez aux pages 11, 12 et 13 de votre mémoire.
Pour quelle raison croyez-vous que la notion de temps devrait être reconnue formellement lorsque l'on refuse l'accès à l'information, par exemple de matériel d'enquête ou d'étude préparatoire à des vérifications comptables et le reste?
M. Amyot : La recommandation que l'on fait d'imposer des limites de temps, c'est parce que nous sommes d'accord avec le principe général que l'accès doit être plus grand que moins grand. Étant donné que l'on ajoute des exceptions, ce qui a l'effet contraire de réduire l'accès dans les dispositions que vous avez ici, nous disons qu'il faut les tempérer par l'intérêt public et aussi par des limites de temps pour atténuer l'effet nuisible des exceptions et assurer un meilleur degré de transparence.
Le sénateur Joyal : Lorsque nous avons entendu la vérificatrice générale et que nous avons soulevé l'argument que les études qui sont faites en vue de préparer la vérification des ouvrages...
[Traduction]
Ce qu'on appelle l'ébauche de vérification.
[Français]
Elle a mentionné qu'elle préférait que ce soit complètement exempté comme le projet de loi le stipule, parce que, dit- elle, le fait de les rendre publics pourrait empêcher les personnes qui sont impliquées dans l'étude de rendre accessible toute l'information, puisqu'elle garderait en tête qu'un jour cette information deviendrait publique.
Si les gens sont protégés par une exemption qui est perpétuelle — car c'est de cela dont on parle, la perpétuité, comme autrefois on parlait d'une peine perpétuelle —, on facilite la mise à la disposition de l'information plutôt que de la garder confidentielle sur une base de temps limitée. Que répondez-vous à cet argument?
M. Amyot : Je trouve drôle que la vérificatrice générale vous dise qu'il faille être plutôt moins transparent que plus. Cela m'étonne qu'elle vous ait donné une leçon de transparence à l'inverse de ce que requiert son travail, mais je n'étais pas là lorsqu'elle a prononcé ces paroles. Le fait d'avoir une limite dans le temps est un garde-fou pour éviter les abus. Si elle veut l'obscurité totale, c'est sa décision, mais cela ne va pas dans le sens d'une grande transparence.
Le sénateur Joyal : Quelle serait d'après vous la limite de temps raisonnable à considérer? Au milieu de la page 13, vous ne proposez pas de chiffres précis, de nombre d'années précises.
M. Amyot : Non, c'est vrai que nous ne le faisons pas. Il doit y avoir une raison. Il me semble que c'est quelque chose de raisonnable pour faire en sorte que la vérificatrice générale, dans l'exemple que vous donnez, puisse faire son travail sans avoir de crainte, mais qu'en même temps elle sache qu'un jour cela va devenir public et qu'elle devra répondre elle aussi.
Le sénateur Joyal : Mais est-ce qu'une limite de temps de 20 ans, qui est la protection de la durée des documents du Cabinet, vous apparaît raisonnable ou outrancière?
M. Amyot : Cela m'apparaît raisonnable, mais c'est long plutôt que court.
Le sénateur Joyal : Comme le sénateur Milne l'a mentionné, il y a déjà eu des décisions des plus hauts tribunaux du pays sur la notion d'intérêt public. Dans le contexte de la proposition que vous nous faites, comment, d'après vous, se définit l'intérêt public?
M. Amyot : Je n'ai pas à faire de leçon aux sénateurs sur l'intérêt public. Je pense que c'est le bien commun.
Le sénateur Joyal : N'est-ce pas plutôt le droit des personnes d'avoir accès à une information qui les concerne, comme contribuables et comme citoyens du pays?
M. Amyot : Tout à fait, vous avez raison.
Le sénateur Joyal : Donc, la notion de bien public est reliée au droit des personnes d'avoir accès à l'information gouvernementale.
M. Amyot : Et à la transparence pour tous les autres.
Le sénateur Joyal : Et pour pouvoir porter un jugement éclairé sur les choix qu'ils font des gouvernements et des jugements qu'ils portent sur l'action gouvernementale. Cela fait partie du droit démocratique des citoyens, d'une certaine façon.
M. Amyot : Je ne suis pas sûr de comprendre où vous voulez en venir. Est-ce qu'il s'agit d'une question?
Le sénateur Joyal : Je vous pose la question; j'imagine, comme vous êtes avocat, que vous pouvez avoir dans votre pratique eu l'occasion de déterminer ce qu'on entend par intérêt public.
M. Amyot : Oui, mais vous le savez sûrement mieux que moi, le bien commun, c'est l'intérêt, justement, au-dessus, des intérêts individuels. C'est l'intérêt de la collectivité, et le respect des droits de chacun des individus passe par là également.
Le sénateur Joyal : Donc, dans votre esprit, les dix exemples que vous donnez d'exclusion d'accessibilité à l'information, sont des exemptions qui devraient être levées pour des fins d'intérêt public?
M. Amyot : Exactement.
Le sénateur Joyal : À l'intérieur d'une période de temps raisonnable, comme vous le dites.
M. Amyot : Oui, c'est ce que je crois avoir dit.
Le sénateur Joyal : Peut-on alors poursuivre avec des questions reliées au « whistle blowing » à la dénonciation, que vous avez mentionnée? Vous avez dit que la common law protégeait, d'une certaine façon, ceux qui sont tenus de dénoncer, mais que ce serait préférable d'élargir, de revoir la loi pour inclure également ceux qui ont le choix de dénoncer. Pourriez-vous revenir sur les explications qui sont à la base de votre conclusion sur cette question?
M. Amyot : Oui, volontiers.
C'est basé sur l'affaire Haydon, notamment, citée dans notre mémoire.
Le sénateur Joyal : À la page 10 de la version anglaise.
M. Amyot : C'est la citation de l'affaire Haydon, à la page 10 du mémoire en anglais. Dans le paragraphe 83, on dit, entre autres, que « l'obligation de loyauté en common law n'impose pas le silence sans réserve ».
Ce que l'on dit c'est qu'il ne doit pas être exigé par la loi de faire une dénonciation. Cela peut se faire en vertu de la common law, qui tempère l'obligation de loyauté et cela peut se faire volontairement sans que la loi l'exige. Je pense que c'est plutôt une question de libellé.
Le sénateur Joyal : Du texte de la loi?
M. Amyot : Oui.
Le sénateur Joyal : Donc, vous demandez à ce que l'article 2 de la loi soit amendé pour ajouter à la définition de « protected disclosure » :
[Traduction]
Cela veut dire :
[...] une divulgation qui est faite de bonne foi et qui est faite par un fonctionnaire
d) lorsque la loi l'y oblige.
[Français]
En somme, ce que vous demandez c'est qu'on codifie la protection que la common law reconnaît à une personne qui exerce une charge publique.
M. Amyot : Exactement, afin d'élargir la protection des fonctionnaires.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Passons à la question du directeur des poursuites pénales.
[Français]
L'article 11 auquel vous référez est au bas de la page. Vous nous recommandez qu'on amende cette section pour limiter le délai de notification et vous nous demandez également de faire en sorte que la notification comprenne...
[Traduction]
...les raisons pour lesquelles un avis décrivant en détail la nature de la démarche effectuée ne peut être présenté avant la conclusion de la poursuite.
[Français]
Vous nous demandez donc deux choses : vous demandez qu'on amende pour que la notification soit faite non seulement dans les meilleurs délais, mais vous suggérez...
[Traduction]
...la présentation immédiate d'un avis. Dans de telles circonstances, vous recommandez la présentation immédiate d'un avis.
[Français]
Donc c'est immédiat. Et ensuite vous demandez « together with reasons », soit d'ajouter les raisons. Lorsque l'honorable Antonio Lamer a comparu la semaine dernière, nous lui avons posé cette question sur la base de votre mémoire. Avez-vous suivi ce témoignage?
M. Amyot : J'ai eu le plaisir de le lire. Je ne l'ai pas vu en direct.
Le sénateur Joyal : Donc vous avez donc dormi cette nuit-là, tant mieux. Alors, si vous l'avez lu, vous connaissez la réponse que maître Lamer a donnée à la question et à la lecture de votre recommandation, puisqu'on la lui a montrée. Comment qualifiez-vous la réponse que maître Lamer a donnée à votre recommandation?
M. Amyot : Corrigez-moi si je me trompe, mais si je me souviens bien, le juge en chef Lamer a dit que la recommandation du Barreau canadien « n'était pas mauvaise ». Il n'a pas dit que c'était bon, mais venant de lui, c'est un beau compliment, j'imagine.
Le sénateur Joyal : Alors vous êtes toujours d'opinion que votre recommandation est pertinente, c'est-à-dire qu'on devrait l'inclure dans les projets d'amendement que nous pourrions considérer eu égard au projet de loi?
M. Amyot : Tout à fait.
Le sénateur Joyal : Comment répondez-vous à son argument disant que la notification avec des détails pourrait avoir un impact négatif sur le déroulement d'un procès?
M. Amyot : Je pense que ce qu'il a dit, et vous me corrigerez à nouveau si je me trompe, c'est que la proposition du Barreau canadien « [...] ne faisait pas en sorte de donner des détails qui pourraient nuire au déroulement d'un procès. »
C'était de donner des raisons pour lesquelles je devrai vous expliquer plus tard, après que la cause sera terminée. Ce n'est pas la même chose.
Le sénateur Joyal : Évidemment.
M. Amyot : Je pense qu'il était d'accord avec notre recommandation et qu'il ne voyait pas un péril de la façon dont on l'a libellé, c'est-à-dire qu'on ne révèle pas, au moment de l'avis, l'information qui pourrait causer la nullité du procès.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous indiquer à l'article 11, quels seraient les mots que vous suggéreriez que nous ajoutions en termes d'amendements? J'essaie d'avoir un avis juridique gratuit.
M. Amyot : Vous savez ce que cela vaut un avis juridique gratuit?
Le sénateur Joyal : Absolument!
[Traduction]
Un repas tout à fait gratuit, ça n'existe pas.
[Français]
M. Amyot : Effectivement, je n'ai pas mangé d'ailleurs. J'ai vu qu'il y avait des sandwichs.
Le sénateur Joyal : Il en reste quelques-uns!
M. Amyot : Vous me demandez de faire du «drafting» devant vous.
Le sénateur Joyal : À quelle partie de l'article vous suggéreriez que nous rattachions votre amendement? L'article 11 contient au moins deux paragraphes et vous suggérez qu'il soit amendé. J'imagine que si vous l'avez suggéré, c'est que vous avez une idée en tête.
M. Amyot : Je n'ai pas de texte à vous suggérer. Je suis désolé.
Le sénateur Joyal : Est-ce qu'on peut poursuivre avec la recommandation que vous faites au bas de la page 17 de votre mémoire? Je vais la lire parce qu'elle est, à mon avis, très importante.
[Traduction]
« L'Association du Barreau canadien recommande que le processus relatif aux demandes et à l'affectation budgétaires soit transparent, et que des dispositions législatives soient prises concernant l'affectation de ressources additionnelles pour les poursuites extraordinaires ».
[Français]
Si vous avez lu les débats de ce comité, vous savez que nous avons entendu M. MacFarlane, un de vos collègues. Il a terminé son témoignage en faisant référence à la manière dont le directeur des poursuites pénales pourrait faire l'objet de pressions de la part du Conseil du Trésor et éventuellement, le principe d'indépendance s'en trouverait remis en cause. Sur quoi fondez-vous votre recommandation pour nous demander que le processus budgétaire soit transparent et qu'il y ait des dispositions précises qui donneraient droit à des frais extraordinaires engagés par certaines poursuites? Sur quel élément de pratique ou d'expérience antérieure vous fondez-vous pour faire cette recommandation?
M. Amyot : Notre recommandation est que cela soit inscrit dans la loi pour que l'indépendance du directeur soit absolument protégée et que cela ne soit pas seulement au bon vouloir du Conseil du Trésor. Cette protection serait dans la loi de sorte que lorsqu'un événement extraordinaire qui requiert des ressources additionnelles survient, qu'on ne dise pas que le budget est dépassé parce que cela affecterait directement son indépendance. C'est au nom de la transparence qu'il faut prévoir à l'avance que, si une situation extraordinaire comme celle-là survient, il faudra avoir les ressources pour y faire face afin d'éviter qu'un directeur ne puisse pas faire son travail à cause du manque de ressources.
Le sénateur Joyal : Vous faites référence à la loi correspondante de la Nouvelle-Écosse?
M. Amyot : Ce que je dis c'est qu'on pourrait affamer le directeur et ce serait une interférence politique en disant qu'il existe et qu'il est indépendant, mais qu'on lui coupe les fonds. Notre recommandation serait pour éviter qu'il y ait une interférence politique dans le travail du directeur.
Le sénateur Joyal : Pour justifier votre conclusion, vous faites référence à la loi de la Nouvelle-Écosse qui a institué le directeur des poursuites publiques? Cela existe déjà statutairement dans cette province.
M. Amyot : C'est exact.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Je vois que Mme Thomson approuve de la tête. Avez-vous davantage d'information au sujet de cet article de la Public Prosecutions Act de la Nouvelle-Écosse, madame Thomson?
Mme Thomson : Nous avons choisi la Public Prosecutions Act de la Nouvelle-Écosse comme modèle pour cette recommandation.
Le sénateur Joyal : Est-ce que cette recommandation tient compte de l'exercice budgétaire et des cas exceptionnels de poursuites, ou tient-elle compte seulement des cas exceptionnels de poursuites?
Mme Thomson : Je pense qu'elle tient compte des deux.
[Français]
Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir à votre présentation d'ouverture. En tant que membre du Barreau, qui est quand même une des premières institutions concernées par les poursuites pénales, vous soutenez la conclusion que cette initiative n'est pas nécessaire. Sur la base de quelle analyse particulière vous fondez-vous pour conclure qu'en pratique cette section du projet de loi pourrait tout simplement être omise du projet de loi C-2?
M. Amyot : Ce sont les experts de nos sections bénévoles qui pratiquent dans ce domaine quotidiennement. Il y a des membres de notre association tant du côté de la défense que de celui de la poursuite. Notre section sur la justice criminelle inclut des gens des deux horizons. Ils sont arrivés à la conclusion qu'il n'y a aucun problème que l'indépendance du sous-ministre adjoint, qui est responsable des poursuites, est respectée en tout temps. Ils n'ont jamais vu d'interférence de ce côté. Ils ont des lignes directrices publiques auxquelles ils adhèrent.
Si je peux ajouter ceci, le juge Lamer, dans son témoignage, a dit que c'est une saine culture au niveau fédéral et qu'il avait pleinement confiance dans la façon dont c'est fait au moment où on se parle. Je pense que ce sont les mots qu'il a utilisés.
Le sénateur Joyal : Même qu'il se souvenait de deux cas qui avaient pu créer cette impression, mais qui par la suite ont été réglés, c'est-à-dire que des ajustements ont fait que personne n'a dû faire une enquête après pour déterminer s'il y avait eu une influence politique dans les conclusions du procès. Il ne nous a pas donné les deux cas, mais cela semblait être des cas relativement lointains dans son esprit.
M. Amyot : Nos praticiens, dans la vraie vie de tous les jours, des deux côtés de la clôture, nous confirment les propos du juge Lamer.
Le sénateur Joyal : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Milne : J'ai une question à poser pour clarification. Dans le résumé de vos recommandations, j'ai retrouvé la recommandation no 1 qui concerne l'article 68 et la recommandation no 2 qui concerne l'article 69. La recommandation suivante concerne l'article 15, que je n'arrive pas à trouver dans le projet de loi. Ce projet de loi contient cinq parties et environ 300 articles, mais beaucoup d'articles 15. Vous pourriez peut-être énumérer les articles sur lesquels portent vos recommandations.
M. Amyot : Je vois l'article 15 à la page 9 du projet de loi.
Le sénateur Milne : À la page 9, je vois l'article 15 et l'alinéa 15d). J'aimerais savoir où trouver la définition de « divulgation protégée » de l'article 2 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles.
M. Amyot : Avez-vous une question à poser?
Le sénateur Milne : Oui. Je voudrais savoir à quelle page du projet de loi je peux trouver cela.
M. Amyot : Quoi, l'article 15?
Le sénateur Milne : La définition de « divulgation protégée » de l'article 2 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles.
M. Amyot : Il faudra que vous fassiez preuve de patience, sénateur, pendant que j'essaie de la trouver.
Le sénateur Milne : C'est la difficulté que j'ai également. Je n'arrive pas à la trouver.
M. Amyot : Je ne l'ai pas encore mémorisée.
Mme Thomson : Il s'agit de l'article 194 du projet de loi qui modifie l'article 2 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles. C'est à la page 137.
Le sénateur Milne : C'est précisément ce dont j'ai besoin. Pouvez-vous me dire quel article et à quelle page?
Mme Thomson : Oui. C'est à la page 108. Il s'agit de l'article 11 de la Loi sur le Directeur des poursuites pénales proposée, c'est-à-dire l'article 121 du projet de loi.
Le sénateur Milne : Vous comprenez pourquoi nous ne nous y retrouvons pas. M. Amyot ne s'y retrouve pas non plus.
Mme Thomson : Nous avons fait en sorte que ce soit aussi clair que possible, mais cela pourrait toujours être plus clair.
Le sénateur Milne : Ceci m'amène au fait que certaines des recommandations concernent peut-être des dispositions de ces lois qui ne sont pas modifiées par ce projet de loi ou concernent-elles uniquement des dispositions qui le sont?
Mme Thomson : Elles concernent toutes des articles du projet de loi.
Le sénateur Milne : Mon dernier commentaire concerne les incidences de l'initiative du Directeur des poursuites pénales pour la Section du droit de la concurrence du ministère de la Justice. Je ne demande pas des conclusions, mais je serais curieuse de savoir quel type d'incidences cette initiative pourrait avoir.
M. Amyot : Nous avons une Section spécialisée du droit de la concurrence qui est très active à l'Association du Barreau canadien — je ne connais pas l'appellation anglaise, mais en français, elle s'appelle « section spécialisée du droit de la concurrence » qui est une section distincte examinant les questions de concurrence. Nos membres nous ont dit qu'il y avait dans ce service des employés ayant des compétences très spécialisées qu'il fallait maintenir et encourager. Ils craignaient que si ce service était intégré au Bureau du Directeur des poursuites pénales, on puisse perdre ces compétences très importantes.
Mme Thomson : Cela pourrait être applicable à toutes les sections du Service fédéral des poursuites qui répondent aux besoins spécifiques des divers organismes de réglementation — des compétences spécifiques interviennent dans les poursuites et dans toutes les affaires juridiques dans ce domaine. Ce serait également applicable à toutes les affaires au civil et au criminel qu'examinent ces experts juridiques.
Le sénateur Milne : Nous craignons que ces compétences soient diluées par la création d'un autre organisme.
Mme Thomson : Nous espérons que la mise en œuvre de ce projet de loi n'aura pas cette conséquence; nous pensons qu'elle peut être mise en œuvre de telle sorte que ces compétences soient maintenues. Nous voulions seulement porter ce problème à votre attention.
M. Amyot : C'est donc un avertissement.
Le sénateur Day : Avez-vous eu l'occasion d'examiner la période de restriction de cinq ans en ce qui concerne les titulaires de charge publique de haut rang prévue dans la Loi sur le lobbying proposée?
M. Amyot : Non. Nous n'examinons pas cette question dans notre mémoire. Cependant, nous avons établi une règle en ce qui concerne les titulaires d'une charge politique qui veulent être nommés au Barreau; je pense que la règle actuelle est une période d'attente de deux ans. Notre recommandation est deux ans.
Le président : Cela veut-il dire qu'un avocat qui voudrait plaider ne pourrait pas être titulaire d'un poste dans un parti politique? Est-ce là ce que vous voulez dire?
M. Amyot : Je pense qu'une charge publique concerne la fonction publique.
Le président : Vous avez mentionné que vous aviez établi une règle; s'agit-il du Barreau canadien?
M. Amyot : Notre recommandation est une période de deux ans.
Mme Thomson : Notre recommandation au gouvernement est qu'une période d'attente de deux ans avant une nomination dans la magistrature soit prévue dans le cas d'un membre du cabinet, d'un député, d'un sénateur ou d'un membre du personnel politique.
Le sénateur Milne : Estimez-vous que deux ans est une période d'une durée raisonnable?
Mme Thomson : Oui.
Le sénateur Day : Je présume que cela convient également dans le cas de la Loi sur les conflits d'intérêts, car c'est deux ans; il y a ensuite cette autre loi dans le même projet de loi C-2 — une autre loi dénommée Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, qui deviendra la Loi sur le lobbying — et la période d'attente est de cinq ans. Ce fut dur pour nous d'essayer de faire la part des choses et de trouver une raison stratégique pour justifier ces deux délais. J'apprécie le commentaire que vous avez fait en ce qui concerne la période de deux ans, car c'est un autre exemple qui démontre qu'un délai de deux ans est raisonnable. On pourrait penser qu'une période d'attente de cinq ans équivaut à une interdiction à vie.
M. Amyot : Je présume que ce n'est pas une question.
Le sénateur Day : Une personne qui doit faire autre chose pendant cinq ans après avoir quitté un poste de sous- ministre a très peu de chances de trouver que ses contacts ou que ses compétences sont toujours pertinents. Ce n'est qu'une affirmation gratuite, et c'est pourquoi je signale qu'un délai de cinq ans signifie en fait que nous ne voulons jamais voir des titulaires de charge publique de haut rang exercer la profession de lobbyiste.
M. Amyot : Le sénateur Joyal veut des avis juridiques gratuits et vous faites des affirmations gratuites. Je suis pourtant le seul qui ne soit pas rémunéré ici.
Le sénateur Day : Et vous n'avez encore rien eu à manger.
Je voudrais que vous fassiez des commentaires sur ce qui suit, après avoir lu quelques passages de votre mémoire. J'ai l'impression que vous estimez que nous agissons trop à la hâte en ce qui concerne le projet de loi C-2 et qu'il est examiné un peu trop rapidement.
À la page IV du sommaire exécutif, vous indiquez que : « L'ABC recommande que cette partie du projet de loi soit étudiée de façon plus approfondie avant d'être promulguée ». Il s'agit en l'occurrence des parties de la Loi sur le lobbying proposée; dans la section concernant le Directeur des poursuites pénales, l'Association du Barreau canadien recommande que le gouvernement étudie ces aspects de façon plus approfondie. Puis, à la page VI, au dernier paragraphe, il est mentionné ceci : « En raison de la rapidité avec laquelle le projet de loi C-2 avance dans le processus législatif, l'ABC n'a pas eu l'occasion d'étudier à fond les répercussions de l'initiative du Directeur des poursuites pénales concernant la Section spécialisée du droit de la concurrence au ministère de la Justice Canada. L'ABC recommande que le gouvernement examine cette question de façon plus approfondie et que les groupes intéressés aient de nouveau l'occasion de soumettre leurs commentaires sur ces répercussions ». Ce ne sont que trois des passages où il est question d'examen plus approfondi. Vous parlez également de « la rapidité avec laquelle le projet de loi C-2 avance dans le processus législatif [...] ».
Nous sommes d'accord sur ce point, mais bien des personnes ne le sont pas. On entend dire tous les jours que cela s'éternise et que l'examen de ce projet de loi n'avance pas assez vite. Je me réjouis d'avance des commentaires que vous voudriez faire au sujet de ces deux extraits de votre mémoire.
M. Amyot : Non, je pense que ces passages sont suffisamment explicites. Ce mémoire a été préparé pour la Chambre au mois de juin, si j'ai bonne mémoire.
Le président : C'était donc avant que le Sénat n'entame ses longues audiences.
M. Amyot : Nous n'avons pas été convoqués pour témoigner devant la Chambre. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de témoigner ici.
Le sénateur Day : La Chambre des communes ne vous a pas invités?
M. Amyot : Je pense qu'elle ne l'a pas fait. Elle a reçu notre mémoire, celui que vous avez entre les mains.
Le président : Je pense que l'Association du Barreau canadien a été invitée, mais que c'était une question de calendrier.
M. Amyot : Dans ce cas, c'est bien.
Le sénateur Day : Avez-vous témoigné?
M. Amyot : Non, et c'est la raison de mon commentaire.
Le président : Vous n'avez toutefois pas été exclus expressément.
Le sénateur Day : Ce résumé exécutif et votre mémoire ont été préparés en juin et c'est la date indiquée. Quels commentaires avez-vous faits, le cas échéant, au sujet de ces amendements au projet de loi C-2, depuis cette date?
M. Amyot : Je n'ai pas pris connaissance des amendements.
Mme Thomson : Les amendements qui ont été apportés à la Chambre ne tiennent compte d'aucune des recommandations du mémoire écrit que nous avons présenté au comité de la Chambre; nous n'avons pas fait de commentaires sur les amendements.
Le sénateur Day : D'après notre président, en raison d'une erreur de programmation, vous n'avez pas pu faire un exposé verbal devant la Chambre. Est-ce la première occasion que vous avez de faire des commentaires sur les points qui préoccupent l'Association du Barreau canadien, à l'exception de ceux que vous avez faits dans votre mémoire écrit daté du mois de juin?
Mme Thomson : Notre calendrier était très serré. Nous avons été invités à comparaître à très court préavis et nous n'avons pas pu nous libérer pour la Chambre. La Chambre a reçu notre mémoire écrit et je ne peux que présumer qu'il a été lu.
Le sénateur Day : Aucune des recommandations qu'il contient n'a été retenue. C'est forcément important pour l'Association du Barreau canadien. Si c'est important pour le processus, est-ce la première occasion que vous avez de comparaître pour discuter des questions qui vous intéressent?
Mme Thomson : Pour ce qui est de faire des exposés verbaux, oui, mais la Chambre avait reçu notre mémoire écrit.
Le sénateur Day : Est-ce le même mémoire que nous avons reçu?
Mme Thomson : Oui.
Le sénateur Day : Vous avez signalé que l'on n'a tenu compte d'aucune de vos recommandations.
Mme Thomson : C'est exact.
[Français]
Le sénateur Nolin : En juin dernier, vous sembliez manifester une certaine frustration quant au délai dont vous disposiez pour consulter vos membres et tenter d'explorer des alternatives. Depuis la rédaction de votre dernier mémoire, avez-vous exploré des tangentes?
M. Amyot : Non, et la raison est simple. C'est que la recommandation vise à s'assurer que cette expertise est transmise et préservée. Le projet de loi est le même qu'il était et nous n'avons pas de soumissions additionnelles à faire à ce sujet.
Il n'y a pas de frustration, je voudrais que ce soit très clair. Nous sommes tous bénévoles et nous rédigeons des mémoires sur une panoplie de sujets. On le fait du mieux qu'on peut et dans le délai qui nous est imparti. Les bénévoles viennent de partout au pays et ce n'est pas facile de rassembler tous ces gens et faire les choses rapidement.
Je tiens à préciser que je n'exprimais aucune frustration. Je crois plutôt que votre comité fait bien son travail et que nous sommes reconnaissants de l'opportunité qui nous a été donnée de comparaître devant le comité.
[Traduction]
Le président : Monsieur Amyot et madame Thomson, au nom du comité, je vous remercie pour votre participation.
Comme vous l'avez probablement compris, plusieurs personnes assises autour de cette table sont ou ont été membres de l'Association du Barreau canadien et ne sont par conséquent pas obligées de déclarer un quelconque conflit d'intérêts. C'est la preuve que beaucoup de personnes appuient le travail que fait et que continue de faire l'Association du Barreau canadien pour le Parlement. Il est toujours utile que des représentants de l'ABC témoignent devant des comités parlementaires et ce le fut à nouveau aujourd'hui. Merci beaucoup.
Nous accueillons maintenant l'honorable Eugene Whelan, qu'il n'est pas vraiment nécessaire de présenter. Il est agriculteur et a été sénateur. Avant cela, M. Whelan a été député à la Chambre des communes entre 1962 et 1984 et il a été ministre de l'Agriculture de 1972 à 1979.
Monsieur Whelan, soyez le bienvenu sur la Colline parlementaire. Je sais que les honorables sénateurs sont avides d'entendre les commentaires que vous avez à faire au sujet de ce projet de loi important, le projet de loi C-2.
Vous avez maintenant la parole. Après quelques commentaires liminaires, vous pouvez être assuré que les honorables sénateurs auront des questions à vous poser.
L'honorable Eugene F. Whelan, C.P., à titre personnel : Avant tout, je tiens à vous remercier de me faire l'honneur de me permettre de témoigner devant ce comité qui accomplit une tâche très importante dans le but de préserver ce qui a été édifié par nos aïeux — une des meilleures institutions au monde. J'estime que nous n'avons rien à envier à quelque autre pays que ce soit.
Je voudrais apporter une petite rectification à la présentation. J'ai eu un court congé sabbatique de 1979 à 1980, puis j'ai été membre du Cabinet de 1980 à 1984, ce dont je parlerai tout à l'heure.
Je constate que nombre d'entre vous me connaissent et, dans ces circonstances, c'est difficile d'être un étranger important qui participe à un exposé de haut calibre. J'ai écouté pendant quelques minutes les représentants de l'Association du Barreau canadien et je me disais que je possédais un des diplômes de droit les plus prestigieux que l'on puisse avoir car l'Université de Windsor m'a décerné un diplôme de droit à titre honorifique et je m'attendais à ce que vous m'appeliez Dr Whelan.
J'ai de la difficulté à entendre. Quelques-uns d'entre vous se souviennent peut-être que lorsque j'étais au Sénat, j'avais un petit appareil auditif spécial, ce que je n'avais pas révélé au greffier du comité, M. Lafrenière. Il y avait des Lafrenière à Belle River (Ontario), c'est-à-dire dans mon ancienne circonscription. Je suis à moitié Français et à moitié Irlandais, mais je ne suis pas du tout Terre-Neuvien.
Lorsqu'on parle d'imputabilité, il faut également parler et tenir compte de la crédibilité. J'estime que les deux vont de pair.
Le gouvernement actuel met l'accent sur l'imputabilité comme si le gouvernement avait été une perte totale. Pourtant, j'estime que le jour même de l'assermentation de ses membres, le nouveau gouvernement a perdu les deux, car il a nommé au Cabinet une personne qui avait été élue au Parti libéral et il a nommé une personne non élue au Cabinet, puis au Sénat.
Peu de temps après, en grande pompe et à grand fracas, le gouvernement a agi comme s'il était en train de faire l'histoire et comme si le Parlement innovait en chargeant un comité parlementaire de tenir des audiences sur une nouvelle nomination à la Cour suprême du Canada. Cela sonnait aussi faux qu'un billet de trois dollars, monsieur le président. Qui était le président du comité parlementaire? Personne d'autre que le fraîchement nommé ministre de la Justice. C'était une imposture. Aucun ministre du Cabinet n'a jamais été président d'un comité parlementaire. Pourtant, la presse et tout le monde a joué le jeu comme si c'était un événement spectaculaire. Pour moi, c'était une imposture à l'égard de ce que nous appelons l'imputabilité.
L'imputabilité et la crédibilité s'étaient envolées. Dans mon dictionnaire, la définition succincte du terme imputabilité est la suivante : susceptible d'être appelé à rendre des comptes; responsable et appelé à expliquer les motifs. La définition de crédible est la suivante : croyable, fiable et digne de confiance.
Lorsqu'on emploie le terme « imputabilité », surtout à propos de titulaires de charge publique, je suis convaincu que la crédibilité est une bonne partenaire et va de pair avec ce qui est la principale raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui. À l'heure actuelle, la perception qu'il n'y a aucune imputabilité et par conséquent aucune crédibilité est largement répandue dans notre pays. Personne ne fait plus confiance à personne, et en particulier aux membres du gouvernement et aux politiciens élus. Nous sommes en bas de classement à ce chapitre. Pourquoi? Est-ce que les politiciens sont si mauvais que ça?
Examinons quelques faits. Pour cela, je ferai appel à l'expérience que j'ai acquise au cours de ma vie, ayant eu le privilège d'être élu pour remplir des fonctions publiques, pendant 39 ans, auxquels il faut ajouter les trois années que j'ai passées au Sénat. Cette expérience s'ajoute aux postes auxquels j'ai été élu dans certaines organisations agricoles, notamment à la Harrow Farmers Co-op, ma coopérative locale, à la United Co-operatives of Ontario, à la Co- operators Insurance Co., à la Fédération de l'agriculture de l'Ontario, une association de municipalités rurales, et dans d'autres organisations.
Dans ces organisations, nous avons manipulé annuellement une centaine de millions de dollars. Nous étions les principaux clients de la Canadian Imperial Bank of Commerce en Ontario au cours de cette période, avec laquelle nous faisons des affaires pour plus de 50 millions de dollars.
Au cours de ma vie publique, y compris les 22 années que j'ai passées au Parlement, à savoir 10 ans comme député de l'arrière-ban et près de 12 ans comme ministre du Cabinet, jamais une seule personne, élue ou non élue, ne m'a offert de l'argent pour quelque service que ce soit. Il ne faut pas oublier que j'ai eu des contacts avec des députés élus de tous les partis politiques et de toutes natures, de tout le Canada. En outre, vous vous en souvenez certainement, j'ai travaillé pendant des années avec les bureaucrates. Jamais un bureaucrate ne m'a fait une suggestion malhonnête. Personne dans le secteur privé ne m'a jamais mentionné avoir eu affaire à cette pratique des pots-de-vin.
Je me souviens du jour où j'ai reçu un appel téléphonique du premier ministre du Canada, Pierre Trudeau, pour me proposer de devenir ministre de l'Agriculture du Canada. Je me souviens de ses paroles comme si c'était hier. Je lui ai dit : « Êtes-vous sûr? » Il m'a répondu ceci : « Oui, et restez comme vous êtes et restez honnête, et je vous appuierai la plupart du temps », ce qu'il a fait. Il ne faut pas oublier qu'une nomination au poste de ministre de la Couronne est une nomination très publique.
Et même actuellement, je vous mets au défi de mettre la main sur les personnes qui ont donné aux citoyens la perception que nous sommes une bande de bandits et d'escrocs. Nommez-les. Je mets quiconque — des journalistes, des politiciens, des professeurs d'université — au défi de les nommer. C'est impossible, car aucun d'entre vous n'est en mesure de nommer un politicien élu que je connaisse qui soit coupable de cette accusation. J'estime que les politiciens sont comparables aux autres membres de notre société en matière d'honnêteté, qu'il s'agisse de gens d'affaires ou d'autres personnes.
Nous connaissons quelques politiciens en puissance qui voudraient rendre le Canada plus pur que jamais. Je leur accorde tous les pouvoirs. Le vieux politicien que je suis est là depuis un certain temps et a visité de nombreuses contrées du monde. S'il existe quelque part une meilleure vie et un pays mieux administré que le Canada, je veux que vous me le disiez, car je suis un citoyen ordinaire et je veux tout ce qu'il y a de mieux. S'il existe un meilleur pays, montrez-moi le chemin et j'irai là.
Je reconnais que nous pouvons apporter quelques améliorations, mais je vous signale que nous avons régressé en ce qui concerne les possibilités de rendre les ministères plus efficaces. Je m'appuierai sur l'exemple de mes longs états de service comme ministre de l'Agriculture, poste que j'ai occupé pendant près de 20 ans. Je n'ai pas suivi tout ce qu'ont dit les témoins qui se sont présentés devant ce comité, mais je parlerai de la tendance générale, surtout celle esquissée par quelques professeurs et d'autres témoins qui ont abordé la question de savoir qui devrait diriger un ministère, le ministre ou le sous-ministre. Permettez-moi de vous expliquer comment fonctionne un ministère efficace.
En 1972, lorsque je suis devenu ministre de l'Agriculture, toutes les personnes ayant quelque pouvoir dans ce ministère avaient une formation ou un diplôme en agriculture. Je pense au sous-ministre, aux sous-ministres adjoints et aux directeurs. Mon sous-ministre, M. Williams, qui était né dans les Cantons de l'Est, au Québec, n'a jamais travaillé dans un autre domaine que l'agriculture pendant toute sa vie active; il avait commencé à l'âge de 18 ans, alors qu'il a entrepris des études au Macdonald College à McGill, et même comme étudiant d'été. La seule période pendant laquelle M. Williams n'avait pas travaillé dans le domaine agricole, ce sont les quatre années qu'il a passées à l'étranger, comme militaire, pendant la Seconde Guerre mondiale; il en est d'ailleurs revenu avec le grade de major. Tous ses sous- ministres adjoints et directeurs avaient une formation en agriculture. La personne responsable de la santé des animaux était un vétérinaire de Swan River, au Manitoba — l'endroit même d'où vient mon chapeau vert. C'était le Dr Ken Wells, dont je me souviens très bien. Le scientifique principal était un médecin également originaire du Manitoba.
M. Williams avait travaillé dans plusieurs régions du Canada, notamment dans des fermes pilotes et dans de grandes fermes expérimentales, avant de venir travailler pour Agriculture Canada, à Ottawa. Il était bilingue. Il connaissait l'agriculture canadienne, d'un océan à l'autre. Il connaissait toutes les lois, provinciales, fédérales et internationales. Il ne vivait que pour l'agriculture. Il l'adorait et il adorait le Canada. Il a été sous-ministre pendant huit ans. Si vous vérifiez la biographie des sous-ministres, vous constaterez que certains des premiers sont restés en poste pendant 21 ans.
Les choses ont changé depuis cette époque. M. Williams ressemblait à un ordinateur ambulant. Lorsque nous nous rencontrions en comité du cabinet, il pouvait se mesurer à n'importe qui, y compris à Simon Reisman, le sous-ministre des Finances. Qu'il soit à Washington, à Rome ou à Paris, M. Williams était au courant des lois internationales. Il les comprenait.
Je me souviens du jour où il est venu me trouver pour me dire qu'il devait démissionner car on voulait le pousser à accepter un poste de sous-ministre dans un autre ministère. Il m'a dit ceci : « Je n'ai jamais travaillé dans un autre ministère et je ne veux pas commencer maintenant ». Je pense qu'il était alors âgé de 62 ans. Il est allé travailler en Alberta avec le père du sénateur Hays, Harry. C'était un agriculteur qui avait été député et ministre de l'Agriculture dans le gouvernement de M. Pearson; son entreprise faisait des travaux de génie et installait des systèmes d'irrigation. M. Williams est un des citoyens les plus éminents que j'aie jamais connus. Nous nous rencontrions au moins toutes les deux semaines et, parfois, une fois par semaine, avec mon sous-ministre et tous les sous-ministres adjoints et directeurs, pour discuter des décisions que nous allions prendre en ce qui concerne de nouveaux programmes, des questions gouvernementales, et cetera. Nous discutions de tout.
Si je voulais que quelque chose se fasse et que les bureaucrates n'arrivaient pas à me convaincre que c'était une erreur, mon sous-ministre disait ceci à toutes les personnes présentes : « Vous avez entendu ce que le ministre a dit. Eh bien, c'est ce que nous allons faire ». C'était tout. Il n'essayait jamais de me faire changer d'avis par la suite.
Lorsqu'il a pris sa retraite, je devais avoir un nouveau sous-ministre venant du Conseil privé, M. Denis Hudon, dont j'avais fait la connaissance aux réunions du Cabinet. J'ai dit au premier ministre Trudeau que je voulais Edmond Jarvis, du Manitoba, comme adjoint. M. Trudeau a initialement refusé, mais il a proposé à M. Jarvis la direction de la Commission canadienne du blé, à Winnipeg. Il voulait que j'aie un sous-ministre bilingue.
J'ai expliqué à M. Trudeau que je ne voulais pas de M. Hudon comme sous-ministre pour trois raisons. La première, c'était que son écriture était si petite que je n'arrivais pas à la lire. La deuxième était qu'il parlait sur un ton tellement bas que je ne pouvais pas l'entendre. La troisième, c'était qu'il ne savait pas faire la différence entre une truie et une vache.
Le premier ministre m'a signalé que c'était lui qui nommait les sous-ministres. Je lui ai dit ceci : « Oui, monsieur le premier ministre, mais c'est moi qui dois travailler avec eux ». Il m'a demandé de faire un essai avec Denis Hudon pendant un an et j'ai accepté. C'était l'année au cours de laquelle les producteurs laitiers ont manifesté sur la Colline. Les producteurs laitiers, de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique, estimaient que le prix mondial de la poudre de lait écrémé avait chuté et qu'ils avaient besoin de 26 millions de dollars pour survivre.
Ce sont les bureaucrates qui ont pris la décision et je n'étais pas parvenu à convaincre mes collègues du Cabinet de ce qui se passerait, surtout au Québec, d'où venaient 50 p. 100 des produits du lait de transformation et où l'on ne pouvait produire rien d'autre que du bon fourrage et du bon bétail. J'ai prédit ce qui se passerait.
Je suis allé trouver le premier ministre exactement un an plus tard et il m'a demandé qui je voulais. Il s'en souvenait. Je lui ai dit que je voulais Gaétan Lussier, le sous-ministre de l'Agriculture du Québec. Il m'a demandé pourquoi je le voulais et je lui ai répondu que c'était parce que je l'avais observé à des réunions fédérales-provinciales de ministres de l'Agriculture et qu'il était la personne la plus intelligente de l'assemblée. Le premier ministre m'a demandé s'il était fédéraliste. Je lui ai dit que oui. Il se demandait comment je le savais et je lui ai expliqué que M. Lussier parlait de tout, y compris de fédéralisme. Le premier ministre rencontra M. Lussier et il fut nommé.
C'était le plus jeune sous-ministre qui n'ait jamais été recruté par un ministère et qui l'ait jamais été depuis lors. Il a commis l'erreur d'aller au ministère de l'Immigration pour Flora MacDonald. Cela n'a pas duré très longtemps et il a démissionné. Il est ensuite allé travailler pour une entreprise alimentaire québécoise où il gagnait 400 000 $ par an. Il est toujours actif dans l'industrie alimentaire au Canada.
J'espère que vous avez compris, à la suite de ce long exposé sur les nominations publiques, que j'ai des idées bien arrêtées sur la façon dont les ministères devraient être dirigés, que j'estime que le ministre est le chef et qu'il n'est pas seulement un porte-parole pour un sous-ministre.
Je suis convaincu que les ministres devraient posséder les connaissances adéquates pour leur ministère. Il est manifeste que dans des cabinets précédents et dans le cabinet actuel, certains ministres n'ont pas les connaissances voulues pour le ministère dont ils ont la charge. Quelqu'un a dit que les sous-ministres devraient avoir un mandat de longue durée dans un ministère pour leur permettre d'apprendre. Apprendre aux dépens de qui? Font-ils leur apprentissage en dirigeant un des ministères les plus importants? Sont-ils au service de la population canadienne qu'ils sont censés servir? Certaines personnes pensent qu'il suffit d'une bonne éducation pour pouvoir diriger n'importe quel ministère. J'ai connu au ministère de l'Agriculture des sous-ministres dont les connaissances dans ce domaine étaient tellement limitées qu'ils ont pratiquement détruit ce que nous avions mis des années à construire, à savoir un ministère qui faisait l'envie des autres pays.
Des personnes de toutes les régions du monde venaient observer l'agriculture au Canada. Certaines personnes disaient qu'elles venaient pour me rencontrer, mais elles venaient en fait pour voir nos scientifiques et nos agriculteurs parce que nous produisons 75 p. 100 des aliments que nous consommons sur un territoire situé plus au nord que tout autre pays de l'hémisphère nord. C'était parce que les scientifiques d'Agriculture Canada avaient développé des cultures, du bétail et de la volaille capables de résister à nos hivers rigoureux. Ces gens voulaient également savoir pourquoi nos agriculteurs travaillaient tant.
Le ministère a eu deux sous-ministres qui n'y sont pas restés très longtemps, mais assez longtemps pour détruire certaines des choses que nous avions construites — Raymond Protti, qui travaille actuellement pour l'Association des banquiers canadiens, et Samy Watson, qui est à Washington, où il représente une des organisations bancaires. J'ignore s'ils pensaient qu'ils pouvaient faire gagner de l'argent aux banques, car ils avaient pratiquement détruit ce que nous avions construit. Arrivez-vous à imaginer un ministre ou un sous-ministre n'ayant aucune formation ni aucun antécédent en agriculture? Quelle catastrophe ce serait. Cela s'est pourtant produit il n'y a pas si longtemps.
Il est probablement plus important d'avoir des personnes qualifiées à la direction du ministère de l'Agriculture que dans tout autre ministère, car les produits alimentaires occupent la place la plus importante dans notre vie. Des produits alimentaires sains assurent la bonne santé de la population.
Puisqu'il est question de nominations publiques, parlons maintenant des postes dans les conseils, dans les sociétés d'État et dans les ambassades. Pourquoi ne nommerait-on pas une personne qui a été un député compétent, ou un ministre de la Couronne compétent, et qui a acquis une éducation qu'aucun établissement scolaire ne peut donner?
Je me souviens d'être allé trouver le premier ministre pour lui demander une augmentation de salaire pour mes adjoints. Il m'avait répondu ceci : « Eugene, ils reçoivent ici une éducation qu'aucun établissement scolaire ne peut leur donner. Ils auront de la valeur lorsqu'ils iront travailler dans le secteur privé ». Je ne suis pas parvenu à leur obtenir une augmentation. J'ai toutefois donné aux femmes un salaire égal à celui des hommes travaillant dans mon ministère, pour un travail égal. J'ai appris plus tard que j'étais le seul ministre qui le faisait. C'est peut-être parce que ma mère m'a élevé seule, avec mes huit frères et sœurs. Mon père est décédé lorsque j'étais âgé de 6 ans et ma mère nous a élevés avec les allocations familiales pour toute ressource. Je savais ce dont une femme était capable. Il y avait dans mon bureau un panneau portant l'inscription suivante : « Que fait une femme? Elle fait le travail de six hommes ». Je ne sais pas si c'est une femme qui l'avait placé là.
Certains pays ont pour politique de nommer un tiers des ex-membres du Cabinet à des postes d'ambassadeur. C'est une politique qui est en vigueur en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis. Au Canada, c'est presque considéré comme un crime de nommer quelqu'un qui a une aussi grande connaissance du pays pour le représenter à l'étranger.
Après que j'aie été éjecté de mon poste de ministre de l'Agriculture par le premier ministre Turner, j'ai été nommé ambassadeur du Canada à l'Organisation mondiale de l'alimentation à Rome. J'aurais été la personne la plus en vue là- bas. J'aurais été membre du Conseil mondial de l'alimentation au cours de la terrible famine qui a sévi en 1984. Cependant, je ne suis jamais allé à Rome car j'avais été licencié trois mois jour pour jour après ma nomination. Nous aurions peut-être pu sauver des vies avec quelqu'un qui avait de l'expérience dans le domaine, au sein de cette organisation. J'ai remarqué qu'aux Nations Unies, il y avait des personnes non qualifiées qui parlaient de transformation alimentaire, d'entreposage des aliments, et cetera, et qui n'avaient aucune connaissance dans ce domaine.
J'avais été éjecté par le nouveau gouvernement conservateur trois mois après que le premier ministre Turner m'ait éjecté lui-même. J'étais à l'époque président du Conseil mondial de l'alimentation. Pour pouvoir achever mon mandat de président, j'ai dû signer une entente dans laquelle je m'engageais à ne pas intenter de poursuites contre le gouvernement. Plusieurs ambassadeurs ont intenté des poursuites devant les tribunaux. Je savais qu'il était préférable pour moi que je termine mon mandat, car c'était pendant la terrible famine en Afrique.
Vous comprenez maintenant que non seulement les nominations publiques peuvent être injustes, mais le licenciement à la suite d'une nomination publique peut être également injuste et injustifié.
Je me souviens d'une rencontre que j'avais eue avec le premier ministre Trudeau au sujet du ministre de l'Agriculture. Il m'a dit qu'il avait été informé par les meilleurs experts en agriculture, qu'il avait lu d'innombrables documents et rapports, que l'agriculture au Canada était extrêmement complexe et qu'il était tout simplement impossible pour quelqu'un de l'extérieur de la comprendre. Il m'a dit qu'il se demandait comment je faisais, mais que je devais continuer à occuper ce poste.
Je n'ai jamais rien gagné au Cabinet pour l'agriculture, mais lorsque mon cousin, qui était directeur commercial des Tigers de Detroit, une équipe qui prétend être une organisation mondiale, m'a demandé comment ça allait, je lui ai dit que je remportais des victoires et que j'essuyais aussi des défaites. Il m'a répondu que si je frappais 50/50, je restais dans les ligues majeures.
Je suis désolé d'avoir parlé aussi longtemps, monsieur le président, mais j'ai essayé d'exprimer mes sentiments. Je viens de lire un article dans l'édition d'aujourd'hui du Hill Times au sujet de la réunion qui aura lieu en novembre, à laquelle participeront des universitaires et d'ex-premiers ministres provinciaux défaits. Il faudra que j'y aille pour conseiller au comité spécial de mettre l'imputabilité à l'épreuve.
Le président : Monsieur Whelan, merci beaucoup de nous avoir présenté un aperçu des plus passionnants. J'étais intéressé par les commentaires que vous avez formulés à l'égard de votre expérience de ministre de l'Agriculture. En particulier, je suis intrigué par ce député québécois que vous avez mentionné, Gaétan Lussier. Vous dites qu'il comptait parmi les plus jeunes députés à l'époque. Quel âge avait-il?
M. Whelan : Je crois qu'il avait 34 ans à l'époque; je ne lui ai pas demandé son âge. Je l'ai rencontré dans le cadre des réunions fédérales-provinciales, et nous avions affaire à des ministres provinciaux de quatre affiliations politiques différentes. Nous étions constructifs, et nous faisions des choses ensemble. Sa contribution était toujours très importante à l'occasion de ces rencontres avec les autres sous-ministres. Nous avons appris à nous connaître.
Le premier ministre m'avait offert trois portefeuilles différents, mais il ne m'a jamais proposé les finances. Il ne m'a jamais proposé la défense non plus. Si vous regardez mes antécédents, vous constaterez que j'étais colonel honoraire dans la milice pendant 12 ans, et que j'ai siégé au sein du Comité de la défense pendant neuf ans.
À mon avis, nous avions appris à travailler conformément à l'esprit de la Confédération, et M. Lussier comptait parmi les personnes qui ont joué un rôle clé à cet égard.
Je l'ai vu en janvier dernier, à l'occasion d'une réunion sur la science en agriculture qui avait lieu ici. Elle se tenait de l'autre côté de la rivière, mais des gens de partout au Canada y participaient. Il évolue maintenant dans l'industrie de l'alimentation. Il s'est rendu avec moi à diverses rencontres mondiales, et cetera. J'avais l'habitude d'amener avec moi un ou deux ministres provinciaux de l'Agriculture ou des représentants d'organismes agricoles lorsque nous faisions ce genre de chose.
Le sénateur Joyal : Soyez le bienvenu, monsieur Whelan. Votre témoignage m'a amené à tirer deux conclusions. La première, c'est qu'on a beau légiférer, prendre des règlements et consacrer des heures à tenir des audiences et à écouter des témoins, l'éthique, au bout du compte n'est pas quelque chose qu'on peut ériger en loi. L'éthique, c'est quelque chose qu'on intègre à ses valeurs en tant que personnalité publique.
Si une personne accède à la fonction publique ou est élue et devient député et membre du Cabinet, comme vous l'avez fait, pendant une longue période, on présume que cette personne est honnête ou un maître illusionniste.
Je préfère croire que vous étiez honnête. Nous pouvons mettre en place de nombreux règlements, nommer des surveillants et prévoir des contrôles, nous pouvons essayer de chercher la petite bête, mais tout le monde est humain et, tout le monde veut bien faire, du moins je l'espère. La majorité des femmes et des hommes qui se consacrent aux affaires publiques veulent bien faire. Le système devrait leur donner la chance de faire cela, d'être créatif et de prodiguer les meilleurs conseils possibles à leur ministre, ou de servir le public le mieux possible.
J'ai l'impression que nous avons tendance à nous concentrer sur les arbres et à ne pas tenir compte de la forêt. La première conclusion qu'on puisse tirer de votre témoignage, selon moi, c'est que, pour survivre dans l'arène politique, il faut être honnête et se consacrer à la promotion des valeurs qui nous tiennent à cœur. Cela me semble le premier message à tirer de votre témoignage.
M. Whelan : Il y a belle lurette que je ne suis plus ministre, mais je suis encore les choses de près. J'ai peine à croire que les choses aient changé si radicalement depuis l'époque où nous étions là. C'est pourquoi j'insiste sur le fait qu'on ne peut confier un ministère à une personne qui n'en connaît rien. Si j'ai eu recours à M. Williams si souvent, c'est que l'agriculture était son domaine de prédilection. Il ne s'est détaché de l'agriculture que pendant son service militaire à l'étranger, qui a duré quatre ans et demi.
Je me souviens quand nous sommes allés à Washington et que je lui avais dit que j'avais un peu peur. Il m'a dit de ne pas m'en faire. Nous allions rencontrer le secrétaire à l'Agriculture et ses représentants. Il n'arrêtait pas de me dire de ne pas m'en faire.
Nous sommes allés là, et j'étais accompagné de quatre représentants et de mon adjoint de direction. Quand nous sommes entrés dans la pièce pour rencontrer le secrétaire à l'Agriculture, c'était plein de gens. Il y avait là une quarantaine de personnes. Je savais pourquoi ils étaient venus. Ils étaient venus pour apprendre de M. Williams, et de son groupe. Il s'agissait de nouvelles personnes, et nous jouissions de la continuité que procurent les gens qui savent beaucoup de choses et dirigent le ministère. C'est ça que je dis dans mon exposé. Il connaissait le droit international. Il a été sous-ministre pendant huit ans. Quand on a établi Agriculture Canada, il y a eu des sous-ministres pendant 21 ans.
La première station de recherche agricole au Canada était située à La Pocatière. J'étais le premier ministre à se rendre là en 100 ans. On y menait des recherches sur le croisement de moutons, on tentait de les rendre plus productifs afin qu'on puisse avoir des agneaux deux fois par année. Le Québec offre un grand potentiel à cet égard, mais un sous- ministre qui n'y connaissait pas grand-chose a fermé cette station. On aurait dû la garder pour sa valeur historique, à titre d'élément du patrimoine. Il a fermé un établissement orné du drapeau canadien et situé au bout milieu d'une collectivité séparatiste, et on ne le lui a pas reproché. J'avancerais qu'il fallait peut-être qu'un sous-ministre ait des tendances séparatistes pour faire ce genre de chose.
Lorsque j'allais quelque part avec M. Williams, n'importe où, il connaissait toutes les lois. Les gens disaient que j'étais un bon ministre de l'Agriculture. J'étais si chanceux d'avoir de bons représentants. Cela me met en furie lorsque les gens les qualifient de « bêtes bureaucratiques » comme on l'a fait anonymement dans un éditorial qui a paru dans le journal de ma localité, le Windsor Star. Et nous nous demandons pourquoi les gens croient que notre gouvernement est mauvais, quand un journal responsable écrit ce genre de chose. J'ai du mal à comprendre cela.
Notre fille a été députée pendant dix ans. Ma femme et moi-même lui avons légué nos valeurs d'honnêteté. Je crois toujours que nous nous nuisons peut-être lorsque nous nommons des gens qui n'ont aucune connaissance.
Roméo LeBlanc, qui est devenu gouverneur général, s'était vu offrir un portefeuille à titre de ministre des Pêches, et il a demandé qu'on lui donne deux jours pour y réfléchir. Pouvez-vous imaginer un membre du Cabinet qui se fait offrir un mandat comme celui-là? Et il a répondu à Trudeau : « Je serai ministre des Pêches si vous me laissez faire ce que Whelan fait à titre de ministre de l'Agriculture. » C'est ce que Roméo a écrit sur le sujet. Je ne l'ai su que plus tard.
Le sénateur Joyal : Vous étiez membre du Comité de l'agriculture quand vous étiez sénateur. Vous souvenez-vous des longues audiences sur l'ESB au cours desquelles le Comité de l'agriculture entendait le témoignage de représentants ministériels au sujet de l'utilisation d'une hormone qui s'est révélée dangereuse? D'une certaine façon, le témoignage de fonctionnaires correspondait à une sorte de dénonciation, car ils avaient peur de montrer au grand jour l'information dans leur ministère. Pourriez-vous commenter cette question?
M. Whelan : Ma façon de diriger le ministère était plus terre à terre. Lorsqu'ils ont raconté ce qui leur était arrivé, comment on les avait mis en isolement, et cetera, je n'en croyais pas mes oreilles. Dans notre système, une personne pouvait faire part de ses doléances à cet égard au ministre. J'ai même appliqué cette politique en dehors d'Ottawa. J'étais le seul ministre à avoir un bureau dans l'Ouest, à Regina, en Saskatchewan, pendant dix ans. Les gens pouvaient même appeler de la Colombie-Britannique ou d'ailleurs. Je suis tout simplement sidéré d'apprendre qu'une telle chose puisse se produire dans la fonction publique.
Quand j'ai quitté Agriculture Canada, les gens qui travaillaient pour moi et qui adhéraient aux principes de Whelan ont été isolés. Ils avaient leur bureau et leurs chèques de paie, mais rien d'autre : ils ne faisaient strictement rien. Certains d'entre eux ont démissionné et sont allés ailleurs. C'est ça, être « ministre ».
Le sénateur Joyal : Votre expérience ne vous permet-elle pas de conclure que le système doit protéger le fonctionnaire qui prend un enjeu à cœur et est convaincu que l'information a été cachée ou mise de côté? Qu'il n'est pas dans l'intérêt public de tenir l'information secrète ou confidentielle, et qu'il est dans l'intérêt public qu'une personne se fasse entendre tout en étant protégée par le système?
M. Whelan : Oui, je crois fermement à cela. Au sein d'un système démocratique participatif, c'est impératif. Sous l'ancien système, nous tenions des rencontres avec le personnel d'appoint — parfois c'était une fois par semaine — à l'étage supérieur de l'édifice Sir John Carling, avec les directeurs, les SMA et les SM, au cours desquelles nous parlions de tout. Si quelque chose comme ça se passait et qu'on m'en faisait part, je soulevais la question. Je ne me souviens pas vraiment d'événements si graves, où des gens auraient tenté de cacher des choses en s'introduisant dans les bureaux et en volant des dossiers. Je ne peux pas croire qu'une telle chose se passait au Canada.
Le sénateur Joyal : Vous êtes en faveur de la prise de mesures législatives visant à établir un système qui protégerait une personne qui, pour le bien des Canadiens et du gouvernement du Canada, prendrait l'initiative de mettre au grand jour certains renseignements. Rien ne pourrait empêcher une personne de faire son devoir public en toute bonne conscience.
M. Whelan : Oui, je crois fermement à cela.
Le sénateur Joyal : Vous convenez du fait que c'est un élément du projet de loi que nous devrions envisager, et que nous devrions veiller à ce que cette mesure soit mise en œuvre avec grand soin?
M. Whelan : J'en conviens.
Le sénateur Milne : Monsieur Whelan, savez-vous que ce projet de loi interdit aux hauts fonctionnaires — c'est-à- dire les personnes nommées par décret du gouverneur en conseil — d'exercer les fonctions de lobbyiste pendant cinq ans lorsqu'ils quittent leur poste?
M. Whelan : Je ne savais pas qu'on proposait une formule si restrictive.
Le sénateur Milne : Le projet de loi prévoit une période de cinq ans après leur départ. Toutefois, le projet de loi n'impose pas la même exigence ou la même limite aux anciens députés ou aux anciens sénateurs. Est-ce équitable?
M. Whelan : J'ai de fermes convictions au sujet du savoir que les gens peuvent acquérir et, par conséquent, du service que de telles personnes peuvent rendre au Canada au lieu de prendre leur retraite pour pêcher ou pour voyager. J'ai exercé les fonctions de lobbyiste inscrit en vue d'exercer des pressions contre Monsanto concernant l'hormone SBTR qu'on injectait aux vaches, mais c'est la seule chose que j'ai faite. J'ai utilisé le savoir que j'avais acquis en travaillant au ministère de l'Agriculture et en travaillant en étroite collaboration avec nos chercheurs, qui sont des chefs de file mondiaux dans leur domaine. Nous offrons cela pour créer un monde meilleur.
Lorsque j'ai cessé d'être ministre, j'ai fondé une entreprise, je ne pouvais décrocher un contrat gouvernemental, et tout marché d'une valeur supérieure à 10 000 $ était annulé. Je pouvais obtenir un marché de 10 000 $, mais c'est tout. Nous avons survécu en décrochant des contrats dans le secteur privé.
Le sénateur Milne : Monsieur Whelan, à l'époque où vous étiez ministre de l'Agriculture, y a-t-il eu beaucoup de va- et-vient entre l'industrie agricole privée et le ministère? J'entends par là le mouvement de personnes entre l'industrie et le ministère — une sorte de processus d'enrichissement mutuel.
M. Whelan : Nous avons détaché des gens du secteur privé au ministère. Par exemple, nous avons amené à Agriculture Canada un homme qui avait travaillé avec les minoteries Robin Hood. Dans nos réunions, nous aimions lancer des défis, et un homme qui avait été chef cuisinier, et qui avait travaillé au sein de ministères provinciaux et fédéraux responsables du commerce, du tourisme et d'autres domaines, est venu me voir et m'a dit que son ministère avait besoin d'aide. Je lui ai dit que j'ignorais ce que le ministère de l'Agriculture pouvait bien faire pour lui. Ils voulaient faire concurrence sur le territoire canadien et dans l'arène internationale. L'homme est venu me voir trois jours plus tard pour me dire qu'on avait réglé le problème. Et je lui ai demandé : comment? C'était la belle époque où les gens pouvaient téléphoner directement au ministre. Tout cela a changé quand nous sommes partis. Aujourd'hui, il faut passer par sept intermédiaires avant d'en arriver au ministre. Je lui ai demandé comment on pouvait faire cela, et il m'a dit que nous pourrions leur donner de l'argent à condition qu'ils utilisent des aliments canadiens. Ils ont gagné le championnat du monde en 1984. Nous les avons financés pendant dix ans. Certains économistes disent que c'est une mauvaise décision. Ils nous ont bâti une bonne réputation pour la qualité de nos aliments et notre capacité d'être de bons chefs cuisiniers.
Nos portes étaient toujours ouvertes aux représentants de l'industrie. Nous ne leur avons jamais refusé l'accès. S'ils voulaient nous rencontrer, même à 23 heures, nous le faisions parce que cela favorisait le bon fonctionnement de notre ministère. Conformément à notre constitution, nous travaillions en étroite collaboration avec les provinces, car c'était l'un des rares ministères dont la compétence était partagée avec les provinces.
Le sénateur Milne : Une compétence partagée.
M. Whelan : C'est exact. Je me souviens de l'une des premières rencontres fédérales-provinciales. Après la réunion, le ministre de l'Ontario, Bill Newman, m'a demandé : « Est-ce que toutes vos réunions sont comme ça? » Je lui ai dit : « Oui, c'est à peu près ça. » Il était épaté par tout ce que nous avions accompli par rapport au travail effectué à la Direction de la consommation. Nous étions de chauds partisans de la collaboration.
Le sénateur Milne : Croyez-vous que cette restriction de cinq ans va miner ce va-et-vient?
M. Whelan : Je crois que c'est trop restrictif. Que sont-ils censés faire s'ils connaissent tout le monde et si leur démarche est honnête? À moins que la société ait tellement changé, et je ne peux croire qu'il y ait eu tant de changements au Canada — une personne honnête ne devient pas tout à coup une personne malhonnête parce qu'elle exerce un autre métier ou une autre profession.
Le sénateur Milne : Nous connaissons tous deux assez bien Paul Couse, et il est d'une honnêteté irréprochable.
Le sénateur Day : Monsieur Whelan, merci d'être ici. Devrais-je vous appeler colonel? J'aimerais prendre le relais du sénateur Milne et vous poser d'autres questions au sujet de cette période de restriction de cinq ans au cours de laquelle un haut fonctionnaire ou un membre du Cabinet ne peut faire valoir le point de vue de son client auprès du gouvernement. Vous vous êtes prononcé sur cette question, mais il m'est venu à l'idée, au moment où vous avez parlé de Raymond Protti, de l'Association des banquiers canadiens, qu'il n'aurait probablement jamais eu l'occasion de faire ce travail si cette restriction de cinq ans avait été en vigueur. On pourrait dire la même chose de Samy Watson, lorsqu'il est parti pour Washington.
De nombreuses personnes ont tiré parti, comme vous l'avez décrit, de la meilleure éducation possible — c'est-à-dire le temps qu'ils ont passé au sein de la fonction publique ou du Cabinet — et ont utilisé cette information précieuse pour le bien du Canada. La restriction de cinq ans pourrait mettre fin à ce genre de chose.
M. Whelan : Je vois de nombreux députés solliciter le renouvellement de leur mandat à l'âge où j'ai pris ma retraite. Nombre d'entre eux jouissent d'un bon régime de pensions, mais ils ont des capacités qui peuvent être mises à contribution pour le bien du Canada, dans le domaine de l'éducation ou ailleurs.
Le sénateur Day : Je vous remercie de nous avoir fait part de vos expériences à l'époque où vous étiez membre du Cabinet, et de nous avoir parlé de votre relation avec le premier ministre au moment de nommer votre sous-ministre, et de l'importance que vous accordiez à cela dans le cadre de vos fonctions.
Des changements considérables sont mis de l'avant dans le projet de loi C-2, notamment la création de ce qu'on appelle un administrateur des comptes pour les sous-ministres. Si vous connaissez les modèles du Royaume-Uni, de l'Irlande ou de l'Australie, il ne faut pas les confondre avec celui dont il est question, car le modèle d'administrateur des comptes prévu dans le projet de loi C-2 vise à investir les sous-ministres de responsabilités redditionnelles directes avec les comités parlementaires, à l'égard de certaines questions.
Estimez-vous qu'une telle chose est réalisable, ou est-ce plutôt le ministre qui, au bout du compte, devrait être responsable?
M. Whelan : Je crois que c'est le ministre qui devrait être responsable. J'ai peine à imaginer un sous-ministre qui se présente devant un comité et qui dit : Mon ministre est une brebis galeuse, débarrassez-nous de lui. Il ne fait pas ce que je lui ai dit de faire.
Si j'étais actuellement ministre de la Défense nationale, je dirais au chef du ministère de la Défense nationale de se la fermer. Ce sont les politiciens qui dirigent le pays; c'est un pays démocratique. J'ai de vives réactions quand je le vois.
J'ai siégé au comité de la défense du Cabinet pendant neuf ans, alors j'ai eu affaire à tous les généraux et à tout le monde. Dans un pays démocratique, ce sont les ministres qui ont les responsabilités et le pouvoir, et les ministres devraient assumer ces responsabilités et exercer ce pouvoir.
Le sénateur Day : Toujours sur la question des sous-ministres, je crois savoir que d'autres modèles, comme celui du Royaume-Uni, prévoient que le ministre choisit son sous-ministre, comme vous l'avez fait sous M. Trudeau.
Dans le projet de loi C-2, on prévoit que le premier ministre nommera le sous-ministre. Estimez-vous que nous devrions continuer de procéder de cette façon? Avez-vous des idées quant aux personnes qui devraient nommer le sous- ministre?
M. Whelan : Tout d'abord, monsieur le président, même un ministre devrait posséder certaines connaissances à l'égard de son ministère. Que vous soyez ministre de l'Agriculture, des Finances ou de la Santé, vous devez connaître le domaine et avoir des antécédents dans ce domaine.
Le ministre devrait avoir une idée du genre de personne qu'il aura comme sous-ministre, car il devra travailler en étroite collaboration avec cette personne, en tout temps. S'il y a une urgence, ils doivent se parler. Si quelque chose tourne mal, le ministre doit être en mesure de communiquer avec son sous-ministre.
Le sous-ministre ne devrait pas être nommé par le premier ministre. On pourrait peut-être l'informer de ce que le ministre compte faire, mais je ne crois pas que le premier ministre devrait prendre une telle décision unilatéralement. Comme je l'ai déjà signalé, Denis Hudon était une bonne personne, mais il ne saurait distinguer une truie d'une brebis.
Le sénateur Day : Sans parler de son écriture en pattes de mouche.
M. Whelan : Il nous arrivait du Conseil privé. Trop de gens pensent que n'importe qui peut se charger du ministère de l'Agriculture. Mais lorsqu'on regarde en arrière, on constate que les sous-ministres conservaient leur poste assez longtemps. M. Williams était l'un des derniers à avoir duré très longtemps : il a été là pendant huit ans. Aux débuts du ministère, on pouvait exercer les fonctions de sous-ministre pendant 21 ans.
L'agriculture était le principal domaine d'activités au pays — la foresterie, l'agriculture et l'exploitation minière; l'agriculture tenait le haut du pavé. À cette époque, le ministre de l'Agriculture était également ministre de l'Immigration, car la plupart des gens qui venaient au Canada à ce moment-là évoluaient au sein de l'industrie agricole. Le ministre était responsable d'un portefeuille important.
Le sénateur Day : Monsieur Whelan, vous avez parlé de M. Williams et de votre merveilleuse relation de travail. Vous dites qu'il a exercé ses fonctions pendant huit ans, et que d'autres ont été sous-ministres pendant jusqu'à 21 ans.
Des témoins nous ont dit que l'un des problèmes liés au système actuel tient au fait que certains sous-ministres ne conservent leur poste que pendant un an et demi à trois ans. Ils changent de place si rapidement qu'ils n'arrivent jamais à connaître leur ministère.
Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Whelan : Comme je l'ai dit, un sous-ministre n'aurait jamais dû être nommé, car c'est l'année où les producteurs laitiers ont manifesté sur la colline. Il y avait 14 000 personnes — aucun ministre n'a jamais reçu un si grand nombre de personnes en même temps. J'ai déclaré que si j'avais été à la place des producteurs laitiers, j'aurais manifesté aussi.
Joseph-Charles Taché, qui a exercé les fonctions de sous-ministre pendant 21 ans, a établi la première station de recherche agricole à La Pocatière, laquelle était plus que centenaire. John Lowe a été sous-ministre pendant 17 ans, W. B. Scarth, pendant 17 ans, George O'Hollarhan, pendant 16 ans, Joseph Grisdale, pendant 14 ans, George Barton, pendant 17 ans, et ensuite, la durée des mandats s'est mise à dégringoler. M. Taggart a servi pendant huit ans, et M. Cliff Barrie, qui a pris les rênes de la Commission canadienne du lait quand nous l'avons créée, a exercé les fonctions de sous-ministre pendant six ans. M. Williams a ensuite été sous-ministre pendant huit ans, et M. Hudon l'a été pendant presque deux ans. Je me fie à ceci, mais je crois qu'on s'est fié uniquement aux dates, car je sais qu'il n'a été sous- ministre que pendant un an. Gaetan Lussier a servi pendant cinq ans, et Peter Connell, pendant quatre ans. J'ai eu du mal à travailler avec Peter Connell. Nous prenions une décision au ministère, et il revenait le lendemain pour contester. Je devais lui dire : « Sors d'ici. Nous avons pris une décision, et nous n'en discuterons plus. » Peter était têtu. J'ignore si c'est le Bureau du Conseil privé qui lui ordonnait de s'en prendre à « ce vieux ministre », ou ce qui pouvait bien se passer.
Le sénateur Day : Vos nombreuses années d'expérience de ce système montrent que les choses fonctionnaient bien lorsque le sous-ministre restait pendant un certain temps et établissait une bonne relation avec le ministre. Dans le contexte actuel, les sous-ministres ne restent pas très longtemps. Dans d'autres pays, le sous-ministre — il est question ici du modèle d'administrateur des comptes dont j'ai parlé plus tôt — signe un contrat. Dans une telle situation, le sous-ministre sait qu'il va occuper ce poste pendant sept ans, à moins qu'on le relève de ses fonctions pour une raison ou pour une autre. Ainsi, on favorise la continuité et l'acquisition d'expérience. Puisque la réalité actuelle ne correspond pas à ce qui a bien fonctionné pour vous, croyez-vous qu'une telle formule pourrait fonctionner? Les sous- ministres ne restent pas très longtemps au sein de ces ministères.
M. Whelan : J'avais beaucoup d'expérience en agriculture, ou plutôt devrais-je dire en administration de l'agriculture. Même dans ma collectivité locale, j'ai travaillé activement, dès l'âge de 18 ans, au sein du mouvement des coopératives d'épargne et de crédit, et par la suite de la Fédération de l'agriculture et du mouvement coopératif. En tant qu'agriculteurs, nous nous intéressions aux cultures industrielles, au blé, au maïs, aux pois et aux tomates. Nous avions du bétail, du blé, du soya et du maïs. Mon épouse, même si elle travaillait comme sténographe juridique, a également grandi au sein d'une famille d'agriculteurs. Elle calibrait les poivrons, les tomates et d'autres légumes avant qu'on les achemine au marché de Windsor. Tout comme M. Diefenbaker, je dirai, le plus humblement possible, que jamais un couple n'a été plus qualifié que mon épouse, Liz, et moi-même pour représenter l'agriculture canadienne. Il est peut-être difficile de recruter ce genre de personnes.
Je me souviens du jour où, à l'occasion d'une visite dans un collège, on m'a demandé quelle était la plus grande erreur jamais commise par le premier ministre Trudeau. J'ai répondu : « Qu'il ne m'ait pas nommé ministre de l'Agriculture plus tôt. » J'irais même plus loin dans le passé, avec M. Pearson. Aucun membre du caucus libéral n'avait autant d'expérience que moi dans le domaine de l'agriculture, et messieurs Pearson, Pickersgill et Davey — lequel a fini par devenir sénateur — n'arrivaient pas à se faire une idée. C'est à l'époque où Harry Hays avait été défait, et M. Pearson l'avait nommé sénateur. Ils n'arrivaient pas à se décider, alors ils ont nommé Joe Green ministre de l'Agriculture, lui qui n'aurait pas pu distinguer une truie d'une brebis. À l'époque, il était député dans le nord de la vallée. Il avait été mineur et avait servi au sein des forces aériennes. Finalement, il n'était pas trop mal comme ministre, car il consultait les gens. Je vais donner un exemple de ce qu'il faisait.
Il se rendait dans l'Ouest, une fois, et il m'a dit : « Je veux que tu viennes à mon bureau. » Je lui ai répondu : « Mais Joe, il est 21 heures. » J'étais dans l'édifice de l'Ouest. Il y avait quelque chose sur son bureau, tout recouvert de papier journal. Il m'a dit : « Mais si tu racontes ça à quelqu'un » — et vous êtes les premiers à qui je raconte cela — « je vais te tuer. » Il voulait dire politiquement, ou quelque chose comme ça. Bref, il a enlevé le papier journal pour révéler des paquets d'avoine, d'orge, de blé, de seigle et de graines oléagineuses, et ils n'étaient pas étiquetés. Il ne savait pas comment les distinguer. J'aurais pu lui jouer un tour, mais j'ai mis les étiquettes qui correspondaient. Il se rendait dans l'Ouest. On ne peut que s'imaginer ce qui se serait produit s'il avait présenté une poignée de blé en disant : « Quel orge fantastique », ou quelque chose comme ça.
Je ne suis pas devenu le secrétaire parlementaire de Harry Hays, car nous nous connaissions déjà avant d'être en politique, grâce à l'agriculture. Plus tard, j'ai dit à Harry : « Pourquoi ne suis-je pas devenu ton secrétaire parlementaire? » C'est Bruce Baird qui est devenu son secrétaire parlementaire. Il m'a dit : « Parce qu'ils ont dit que deux catholiques ne peuvent pas travailler ensemble. » J'ai dit : « Je ne savais pas que tu étais catholique. » Il a dit : « Je ne savais pas que tu l'étais non plus, et je ne suis pas allé à l'église depuis 28 ans. »
Par la suite, je me souviens d'avoir entendu M. Pickersgill dire à Doug Fisher : « Notre plus grande erreur a été de ne pas nommer M. Whelan ministre de l'Agriculture. » Ils ont choisi Joe Green parce qu'ils estimaient qu'il pouvait mieux se tenir que moi en Chambre. C'est l'une des choses tragiques qui se passaient en politique. Certaines décisions tiennent à des considérations géographiques, mais le premier ministre ne se préoccupait pas toujours de cela. Il a dirigé un bon gouvernement pendant presque 16 ans sans aucun scandale ni autre événement fâcheux. Je me rappelle ce qu'il m'a dit lorsque je suis devenu ministre pour la première fois. J'assistais à une rencontre concernant l'agriculture et à un souper à Leamington, en Ontario, lorsqu'il m'a dit au téléphone : « Reste comme tu es et reste honnête, et tu n'auras aucun problème avec moi », ce genre de chose. Je suis certain que le sénateur Joyal peut confirmer cela. Il avait un esprit solide, et une bonne mémoire aussi. Il était honnête à l'égard de l'agriculture. Et c'est sur ce point que j'insiste maintenant. L'agriculture est un domaine si complexe que, comme il le disait, il est tout simplement impossible pour le profane de tout saisir.
Le sénateur Day : Merci beaucoup, monsieur Whelan.
M. Whelan : Ce n'est pas une bonne idée de continuer d'affecter des gens du Conseil privé à des postes de sous- ministres de n'importe quel ministère. Il faudrait tenir des concours ouverts pour nommer des sous-ministres, au besoin, si on veut affecter quelqu'un à un autre poste.
Le sénateur Day : Je cède la parole à d'autres membres, par souci de respect de l'horaire, mais je tiens à dire que je me réjouis du fait que le comité ait l'occasion d'accueillir un politicien qui a réussi et qui est susceptible de nous apprendre de nombreuses leçons. Nous vous remercions vraiment de vos commentaires, monsieur Whelan.
Le sénateur Milne : Il s'agit non pas vraiment d'une question supplémentaire, mais bien d'un autre voyage dans le passé. Je me porte à la défense de Bruce Baird, qui était de Brampton, d'où je viens. Il s'est effectivement adonné à des activités agricoles, de façon parallèle, et il agissait également à titre de représentant agricole. Il a travaillé pour le ministère de l'Agriculture de l'Ontario pendant plusieurs années.
M. Whelan : Je suis tout à fait au courant de cela, et il n'était pas catholique non plus. C'était un franc-maçon.
Le sénateur Ringuette : Je vous remercie d'avoir témoigné et de vous être exprimé avec franchise et honnêteté. Avec le temps, nous avons augmenté le nombre de couches de bureaucratie. Nous avons multiplié la paperasserie. Nous avons accru le nombre d'études « exigées ». Nous avons créé des labyrinthes, et maintenant, nous sommes confrontés à une industrie du lobby qui est en croissance et qui doit être réglementée.
J'ai sous les yeux un communiqué de presse indiquant que, parmi les 45 000 personnes embauchées par le gouvernement l'an dernier, seulement 15 000 étaient des employés permanents. Cela rejoint ce que vous disiez. Nous devons adopter une vue d'ensemble et apprendre de nos expériences passées. Je ne suis pas convaincue du fait que nous tirons les bonnes leçons ou que cela corrige quelque chose qui doit être corrigé. Nous ne sommes peut-être même pas sur la bonne voie.
M. Whelan : Je vante nos réalisations et je dis « nous ». Si le ministère a de bons dirigeants, le personnel travaille encore plus fort. Tout le monde croyait que nous étions dépensiers au ministère de l'Agriculture. Notre budget correspondait à 1,4 p. 100 du budget fédéral. Nous avons créé 14 nouveaux programmes à l'époque, et nous avions ajouté cinq années-personnes, alors c'est seulement que les gens travaillaient plus dur. Je me souviens de l'une des jeunes femmes qui travaillait au service des communications. Je prononçais davantage de discours au Canada que l'ensemble des membres du Cabinet rassemblés. Cette jeune femme devait les rédiger. Je l'ai rencontrée un jour, et elle m'a dit : « Monsieur Whelan, je retourne à la maison à 16 heures. Je n'ai aucun avantage à travailler jusqu'à 11 heures lorsque vous avez besoin de documents le lendemain. » Je travaillais dur, et je savais que le ministère et moi-même le comprenions, et nous encouragions cela. À mon souvenir, on ne m'a jamais refusé un document.
Si j'avais besoin d'un rapport en vue d'une rencontre avec un ministre qui me rendait visite le lendemain matin, je l'avais. Nous avions ce genre de relation. Notre ministère jouait franc-jeu, et les gens croyaient que nous étions dépensiers parce que je n'arrêtais pas de vanter les nombreuses réalisations de mon ministère.
Je me souviens de Walter Baker, qui était chef de l'opposition officielle, en Chambre. J'ai prononcé un discours sur le super troupeau de vaches laitières que nous avions constitué. Un peu plus du tiers des vaches que nous avions dix ans plus tôt nous donnaient davantage de lait, et un lait d'une meilleure qualité. Nos laiteries avaient été modernisées, elles étaient propres, et elles étaient dotées d'un programme de fourrage fondé sur la génétique, sans hormone. J'ai déclaré que nous avions bâti le plus sensationnel troupeau de vaches laitières au monde, et Walter Baker a répondu : « Pas surprenant; ils avaient un taureau sensationnel. »
Nos réalisations faisaient l'envie du monde entier, mais tout cela tenait à la continuité et à la collaboration. Nous n'avions pas besoin de tous ces règlements.
Si on m'écrivait une lettre, je la remettais à mon personnel de soutien, lequel se chargeait à son tour de l'acheminer au ministère. À l'époque où nous étions là, la lettre revenait. Quand nous sommes partis, la lettre devait passer par le bureau du sous-ministre et par sept intermédiaires. Quelle perte de temps!
Au cours de ma dernière année, nous avons fait le décompte des lettres que les gens m'écrivaient et que je signais : plus de 18 600 lettres. Les gens savaient que la réponse venait non pas d'une machine, mais bien de moi, car, sous ma signature, j'ajoutais un post-scriptum les invitant à communiquer avec moi s'ils n'aimaient pas ma réponse. Cela ne s'est pas fait au moyen d'une sorte de technologie ou de mécanisme. Je crois que c'est bien beau, de tout surréglementer, mais il faut tout de même qu'il y ait aussi des règles à suivre. Il ne faut pas que ce soit de la foutaise.
Vous êtes du Nouveau-Brunswick?
Le sénateur Ringuette : Oui.
M. Whelan : De quelle région?
Le sénateur Ringuette : Edmundston?
M. Whelan : Madawaska?
Le sénateur Ringuette : Oui, la farine de sarrasin.
M. Whelan : Nous avons fait beaucoup de choses au Nouveau-Brunswick, en partageant les coûts. Il y a belle lurette que le gouvernement fédéral participe à divers projets aux quatre coins de notre merveilleux pays.
Le sénateur Ringuette : Pour terminer, je crois que nous avons cessé de recourir au gros bon sens; c'est une faculté que la population canadienne possède toujours, mais qui ne se manifeste peut-être pas dans son gouvernement.
M. Whelan : J'ignore si vous vous souvenez de C. D. Howe. Il était ministre pendant la guerre. De nombreuses personnes ne savent pas qu'il n'accordait aucune importance aux règles. Ils ne savent pas à quel point il faisait les choses rapidement. Par exemple, pendant la guerre, nous avons bâti des pistes d'atterrissage aux cent milles, partout au Canada, pour que les avions puissent apprendre comment atterrir. Ces pistes d'atterrissage faisaient deux milles de longueur. J'ai utilisé certaines de ces pistes, en tant que ministre, pour atterrir dans ce que nous appelions des régions isolées du Canada. Aujourd'hui, on dirait qu'il était fantasque, indiscipliné et dépensier. Ils faisaient des choses parce qu'on leur permettait de le faire de cette façon, et il arrivait à convaincre le Parlement d'aller de l'avant.
On ne m'a pas comparé à C. D. Howe lorsque j'étais ministre de l'Agriculture, mais nous avons fait beaucoup de choses. Nous avons respecté la procédure du ministère et celle qui régit les propositions au Cabinet. J'ai réussi à convaincre le Cabinet à un certain nombre de reprises, mais bien souvent, j'ai échoué. Toutefois, j'avais une assez bonne moyenne au bâton.
Le président : Honorable Eugene Whelan, quand vous avez franchi le pas de la porte avec votre stetson vert sur la tête, on vous a facilement reconnu. Après vous avoir écouté au cours des 45 dernières minutes, nous nous rappelons bien les années que vous avez passées à la Chambre des communes et au Sénat. Nous vous remercions d'être venu aujourd'hui et de nous avoir aidés dans le cadre de notre analyse et de notre étude du projet de loi C-2. Votre témoignage s'est révélé utile.
Honorables sénateurs, nous allons passer à notre prochain groupe de témoins. Lorsqu'ils auront terminé de témoigner, nous aurons entendu plus de 150 témoins pour presque 100 heures de réunions.
L'honorable John Baird est président du Conseil du Trésor. Il a témoigné devant nous le 27 juin, lorsque notre comité a amorcé son examen du projet de loi C-2. Je vous souhaite un bon retour parmi nous, monsieur le ministre.
Comme les sénateurs le savent bien, M. Baird a été élu à la Chambre des communes en 2006, dans la circonscription d'Ottawa Ouest-Nepean. Auparavant, il avait été député de l'assemblée législative de l'Ontario de 1995 à 2005. Au sein du gouvernement ontarien, M. Baird a exercé les fonctions de ministre des Services communautaires et sociaux et de leader parlementaire du gouvernement. Il a également joué le rôle d'adjoint parlementaire auprès d'un certain nombre de ministres, y compris les ministres responsables du Travail, du conseil de gestion et des Finances.
Au sein de l'opposition, il a exercé les fonctions de porte-parole en matière de finances, de culture et de santé, et d'adjoint du leader parlementaire. Il est accompagné aujourd'hui par des représentants du Conseil du Trésor, soit M. Joe Wild, Mme Catrina Tapley et M. Alister Smith. Soyez les bienvenus.
[Français]
Le comité tient à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole et ensuite, nous passerons à une période de questions et de discussion qui sera, j'en suis sûr, très utile pour les membres du comité.
[Traduction]
Le comité directeur a accepté que le réseau anglais de la SRC soit ici au cours des 30 premières secondes de la rencontre; ils ont fait ce qu'ils avaient à faire et ils sont partis.
Monsieur le ministre, allez-y.
L'honorable John Baird, C.P., député, président du Conseil du Trésor : Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis très heureux d'être ici comme dernier témoin à parler de votre comité de la Loi fédérale sur la responsabilité.
Dans l'esprit de l'Action de grâces qui a eu lieu tout récemment, laissez-moi dire que je suis reconnaissant du fait que nous en sommes enfin rendus à ce point, car cela a pris du temps. Tout le monde sait fort bien que j'étais frustré par le temps que votre comité a consacré à examiner le projet de loi. Je suis très impatient — et je crois que les Canadiens le sont aussi — de voir les dispositions de ce projet de loi mises en œuvre rapidement. Néanmoins, je n'ai aucun doute quant au fait que nous tendons tous vers le même objectif, c'est-à-dire de rendre le gouvernement plus efficace et plus responsable afin qu'il puisse satisfaire aux attentes des Canadiens, combler leurs besoins et se pencher sur leurs priorités.
J'aimerais faire deux choses dans le cadre de mes observations préliminaires. Premièrement, j'aimerais aborder certains enjeux qui, je le sais, intéressent particulièrement les membres du comité. Deuxièmement, je compte résumer brièvement pourquoi je crois, et pourquoi le gouvernement croit, que ce projet de loi est si important.
[Français]
Les membres de ce comité ont soulevé des questions au sujet de la loi. Par exemple, certains estiment que le rôle de commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique est un peu vague. Vous vous demandez peut-être comment cette personne peut à la fois conseiller le premier ministre et surveiller le premier ministre.
[Traduction]
Le nouveau commissaire jouera un rôle étendu, car il assurera la mise en œuvre de la nouvelle Loi sur les conflits d'intérêts et prodiguera des conseils et fournira des directives aux représentants des deux Chambres et au premier ministre concernant la loi. Le commissaire coordonnera l'application des codes de la Chambre des communes et du Sénat relatifs aux conflits d'intérêts. Toutefois, nous avons très soigneusement veillé à ce que chacun de ces rôles soit clairement distinct. Les conseils et rapports du commissaire à l'intention du premier ministre ne concerneront que les titulaires de charges publiques visés par la Loi sur les conflits d'intérêts. Il y a des postes à l'égard desquels le premier ministre est responsable de la nomination ou du renvoi. Le commissaire n'a pas pour mandat de rendre des comptes au premier ministre sur des questions concernant les sénateurs et le respect des règles du Sénat relatives aux conflits d'intérêts.
En vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts, le commissaire est, d'abord, un conseiller pour les titulaires de charges publiques, ensuite, un conseiller pour le premier ministre, et, éventuellement, un enquêteur soumis à des obligations de déclaration claire. Il n'y a aucun conflit entre ces diverses fonctions, car elles permettent de veiller à ce que les règles de fond énoncées dans la Loi sur les conflits d'intérêts soient respectées. Elles permettent d'assurer une transparence pleine et entière à l'égard de tout manquement, et de procurer au premier ministre toute l'information dont il a besoin pour décider ce qu'il va faire d'un titulaire de charges publiques en infraction. En plus d'assumer ces fonctions, le commissaire est investi de devoirs similaires en vertu des régimes fonctionnels établis par le Sénat et la Chambre. Ces devoirs et pouvoirs sont établis unilatéralement par chaque chambre, et le commissaire accomplira son devoir et exercera ses pouvoirs sous la « direction générale » de chaque Chambre.
Il n'y a aucun conflit entre l'administration de la Loi sur les conflits d'intérêts, d'une part, et l'administration des deux régimes parlementaires, d'autre part. En effet, ces régimes sont distincts et complémentaires, car c'est non pas le gouvernement, mais bien chaque Chambre qui établit ses propres règles et procédures. Ils sont complémentaires dans la mesure où le commissaire, en administrant les trois régimes, peut leur appliquer une perspective d'ensemble, fondée sur les pratiques exemplaires et les expériences des trois régimes. Cette approche est, aux yeux du gouvernement, la meilleure pour veiller à ce que les Canadiens aient pleinement confiance dans les titulaires de charges publiques et les parlementaires.
Notre gouvernement a travaillé en coopération pour assurer l'efficacité et la souplesse du projet de Loi fédérale sur la responsabilité. Un bon exemple de cela concerne la Commission canadienne du blé. Certains ont remis en question l'assujettissement tardif de cet organisme à la Loi sur l'accès à l'information. Cette mesure a été prise à la suite d'un amendement présenté par un membre d'un parti de l'opposition dans le cadre de l'examen du projet de loi par le comité de la Chambre. Le gouvernement était en faveur de ce changement et l'est encore.
[Français]
Le cas de la disposition qui autorise le premier ministre à nommer des conseillers spéciaux auprès des hauts fonctionnaires donne une autre preuve de notre engagement à forger un solide consensus à l'égard du projet de loi C-2.
Afin de donner suite aux préoccupations soulevées par la Commission de la fonction publique, le gouvernement a promptement accepté de modifier cette disposition dans le cadre de l'examen article par article du projet de loi par le Sénat. Cette mesure garantira l'impartialité des conseillers spéciaux et des sous-ministres et fera en sorte qu'ils seront nommés de la même façon que tous les autres fonctionnaires.
[Traduction]
Le gouvernement doit établir l'équilibre entre une foule d'intérêts, et les dispositions du projet de loi C-2 reflètent cette responsabilité. Puisqu'il s'agit d'un projet de loi omnibus, il porte sur de très nombreux enjeux. Même si, d'une certaine façon, il peut sembler plus facile d'accéder aux demandes de tout le monde, la réalité, c'est qu'il faut faire des choix difficiles lorsqu'on dirige. Or, c'est d'autant plus important lorsqu'il est question de la Loi sur l'accès à l'information. C'est particulièrement pertinent lorsqu'on se penche sur les préoccupations soulevées par l'ancien commissaire à l'information. Si nous avions donné suite à toutes ses préoccupations, cela aurait mené à des conséquences qui, à mon avis, n'auraient pas été acceptables pour votre comité ou pour les Canadiens de partout au pays.
Par exemple, personne ne veut que la Société Radio-Canada soit le seul organe d'information au pays dont les journalistes sont tenus de divulguer leurs sources d'information au Commissaire à l'information. Dans le même ordre d'idées, on ne devrait pas miner les efforts d'exportateurs canadiens qui dépendent des programmes d'Exportation et développement Canada pour faire concurrence sur la scène mondiale parce que leurs clients internationaux ont eu affaire à EDC, et que leur information était soumise aux lois régissant l'accès à l'information. Nous ne voudrions pas ruiner la carrière ou ternir la réputation de personnes faussement accusées de méfaits. C'est un aspect particulièrement important à mes yeux, car je crois que nous avons déployé tous les efforts possibles pour offrir une protection accrue aux fonctionnaires et dénonciateurs. Je crois que nous avons également pour responsabilité de protéger les personnes dont la réputation a peut-être été injustement entachée.
Ce qui m'amène à la question de la dénonciation. On trouve dans la fonction publique du Canada des professionnels très compétents et dévoués. Les fonctionnaires jouent un rôle crucial en soutenant le plan d'action du gouvernement et en aidant le gouvernement à exécuter des programmes de qualité et à dispenser des services importants aux citoyens.
Les Canadiens ont le droit de s'attendre à ce que les titulaires de charges publiques et les fonctionnaires fassent preuve de droiture et remplissent leurs obligations juridiques. Le secteur public doit donc favoriser la création d'un environnement où les employés peuvent honnêtement et ouvertement soulever des préoccupations, sans crainte ni menace de représailles.
Sous le régime de la nouvelle loi, les employés du secteur public jouiront d'un accès direct au commissaire à l'intégrité du secteur public pour dénoncer des actes répréhensibles commis en milieu de travail. Les fonctionnaires qui font cela seront protégés. Les personnes qui dénoncent des actes répréhensibles ou qui songent à le faire auront également accès à un conseiller juridique. Nous avons assuré la confidentialité de ce processus. Par exemple, l'identité des personnes qui signalent des actes répréhensibles, ainsi que la réputation de personnes faussement accusées, seront protégées.
Nous n'avons pas l'intention de créer un environnement de méfiance où les gens se sentent continuellement traqués. Le gouvernement est déterminé à promouvoir la création d'un environnement de travail où les employés se sentent à l'aise de soulever des préoccupations légitimes concernant des méfaits et des représailles possibles. À mon avis, il était grand temps qu'on adopte des mesures beaucoup plus musclées pour protéger les dénonciateurs.
Le dernier aspect spécifique que j'aimerais aborder brièvement concerne l'incidence du projet de loi C-2 sur la gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique fédérale. Dans un grand nombre de cas — par exemple, dans le cas du poste de Commissaire au lobbying —, on accroît le pouvoir et l'autonomie des titulaires de certaines fonctions actuelles dans la fonction publique en faisant d'eux des agents du Parlement. Cela exigera des changements minimaux à l'égard du financement. Pour ces bureaux, des dispositions provisoires prévoient que les employés actuels deviendront des employés du nouveau bureau, et qu'ils occuperont le même poste Lorsqu'une nouvelle fonction sera créée, comme celle de directeur parlementaire du budget à la Bibliothèque du Parlement, il faudrait recruter du personnel supplémentaire. Dans ces cas, on a effectué la planification du budget et affecté des fonds pour la nouvelle fonction.
[Français]
Honorables sénateurs, monsieur le président, je viens d'aborder certaines questions précises qui intéresseront les membres du comité. J'aimerais conclure ma brève intervention par quelques mots au sujet de l'importance globale de ce projet de loi.
Je suis fier de la Loi fédérale sur la responsabilité et des efforts qui y ont été consacrés.
[Traduction]
Dans la Chambre des communes, des députés ont soigneusement examiné et analysé des centaines de dispositions et d'amendements. Ils ont consacré plus de 90 heures au cours de six semaines, en plus de leurs fonctions habituelles, à veiller à ce que ce projet de loi permette au gouvernement de remplir son engagement à favoriser la responsabilisation et l'ouverture tout en établissant l'équilibre entre la surveillance et la souplesse. De fait, aucun député de la Chambre des communes ne s'est officiellement opposé au projet de loi.
L'adoption d'une nouvelle loi suppose une collaboration, c'est inévitable, et ce projet de loi montre que le désir d'assurer le bien commun transcende les lignes de parti, qu'il faut recourir à la participation de nombreuses personnes de tous les secteurs, et qu'il faut vraiment faire preuve de détermination.
Je remercie votre comité d'avoir consacré tant de temps et d'efforts à l'examen des nombreuses propositions liées au projet de loi C-2. C'est un projet de loi qui touche de nombreux domaines, de sorte que les membres du comité doivent devenir des experts de chaque domaine pour examiner et analyser chaque détail efficacement.
Nous avons travaillé avec tous les partis en vue d'améliorer ce projet de loi avant qu'il ne soit présenté à votre comité.
Je tiens à déclarer, dans un autre ordre d'idées, que le défunt député de Repentigny était un homme d'une grande droiture. Je ne partageais pas sa vision à l'égard du dossier de l'unité nationale, mais je me sens privilégié d'avoir pu travailler avec lui sur ces questions. Nous n'étions pas toujours d'accord, mais nos discussions étaient toujours franches et approfondies. Il était ce que le Parlement a de mieux à offrir.
Quand j'ai témoigné devant vous en juin, je vous ai rappelé ce que les Canadiens ont dit le 23 janvier : qu'ils veulent un gouvernement honnête et responsable auquel ils peuvent faire confiance. Ce message est encore plus important aujourd'hui.
Monsieur le président, j'étais très heureux de vous entendre déclarer publiquement que la mise en œuvre du projet de Loi fédérale sur la responsabilité « va montrer que le Canada s'est doté du meilleur instrument législatif de tous les pays démocratiques du monde en ce qui concerne la transparence et la responsabilisation ».
La Loi fédérale sur la responsabilité proposée prévoit une transparence et une responsabilité sans précédent, et procure donc de solides assises et un point de départ efficace pour gagner de nouveau la confiance du public.
Je serai heureux de répondre à vos questions aujourd'hui et de jouir de votre aide à l'avenir, lorsque nous tenterons d'atteindre un but commun — c'est-à-dire, faire en sorte que le gouvernement reflète ce que le Canada a de mieux à offrir.
Le sénateur Joyal : Soyez le bienvenu, monsieur le ministre. Concernant l'accès à l'information, les représentants du Conseil du Trésor ont probablement passé en revue avec vous les longs témoignages et exposés présentés par les gens du Commissariat à l'information. Ils ont présenté une liste d'exceptions que notre comité a étudiée en long et en large. Même les représentants de l'Association du Barreau canadien, qui ont témoigné ce matin, ont insisté sur une série d'exceptions qui, selon eux, devraient être assujetties à des limites fondées sur le facteur temps et sur le critère de l'intérêt public. En principe, ils ne s'opposent pas à ce qu'on bloque l'accès du public à une certaine quantité de renseignements pour une période limitée, en fonction du critère de l'intérêt général. Le Barreau s'est montré plutôt expansif à cet égard. De nombreux autres témoins ont également souscrit à une telle approche à l'égard des exceptions.
Le projet de loi vise non pas à nuire au fonctionnement du gouvernement, mais bien, comme vous l'avez dit, à protéger pour une certaine période l'information qui doit être protégée, à veiller à ce que les fonctionnaires puissent s'exprimer spontanément, et ainsi de suite, mais il y a le facteur temps. Si les discussions du Cabinet sont rendues publiques après 20 ans, pourquoi devons-nous accepter le principe selon lequel on interdirait pour toujours la divulgation de certains renseignements qui ne sont certainement pas aussi délicats que l'information issue du Cabinet?
Seriez-vous ouvert à l'établissement de critères fondés sur deux facteurs, soit une limite de temps raisonnable, 15 ou 20 ans, et l'intérêt général, pour déterminer ce qui doit être divulgué, et à quel moment?
M. Baird : Je conteste les propos de l'ancien Commissaire à l'information et de ses représentants, lesquels pourraient amener une personne raisonnable à conclure que nous limitons la divulgation de l'information qui était possible dans le passé, que nous compliquons les choses au lieu de les faciliter. Cette proposition ne va d'aucune façon limiter l'information qui sera accessible aujourd'hui, qui sera accessible le lendemain de l'adoption de ce projet de loi. Je vous donne quelques exemples.
Je suis un ministre qui met de l'avant un projet de loi et qui veut assujettir la Société Radio-Canada à la loi. Ce faisant, je crois qu'il est important de favoriser l'ouverture et la transparence — car il s'agit de fonds publics —, mais j'ai une responsabilité particulière pour ce qui est de protéger les pratiques équitables relatives à l'intégrité journalistique. Si un journaliste de la SRC a une source, cette source est confidentielle. Sa confidentialité n'est pas soumise à une limite de un an, de deux ans, de 10 ans ou de 20 ans; elle est confidentielle. Je n'ai aucune objection à ce que cette information soit confidentielle pendant plus de 20 ans, voire pour toujours, car aucun autre journaliste ne devrait avoir à entreprendre une telle chose. Je ne veux pas qu'un journaliste doive s'arrêter et expliquer en long et en large à sa source que le Commissaire à l'information a le droit de prendre connaissance de son identité et de ses renseignements, ou que ces renseignements pourraient être divulgués dans 20 ou 30 ans.
Un autre exemple concerne les fonctionnaires. Si le fonctionnaire A dit que le fonctionnaire B est un voleur et que l'enquête révèle que les accusations n'étaient pas fondées, je ne crois pas que ces allégations devraient être rendues publiques dans 20 ans. L'information ne devrait jamais être divulguée. Je n'ai rien contre cela.
Si vous avez des exemples spécifiques d'incidents dont on vous a fait part à l'occasion des audiences de votre comité, je suis ouvert à les entendre. Je n'ai aucun penchant idéologique ou intellectuel contre le principe énoncé dans votre question, mais il faudrait que vous me convainquiez, et je n'ai rien vu de convaincant jusqu'à maintenant.
Le sénateur Joyal : Nous ne nous préoccupons pas tant de la protection des sources journalistiques, par exemple, des rapports préliminaires de vérification. Jusqu'à maintenant, les rapports préliminaires de vérification ont toujours été accessibles. C'est grâce aux rapports préliminaires de vérification que les journalistes ont pu enquêter sur le scandale des commandites. Pourquoi voulez-vous bloquer l'accès aux rapports préliminaires de vérification, qui ont toujours été accessibles? Pourriez-vous nous décrire des situations ou des expériences antérieures qui montrent de façon irréfutable que les rapports préliminaires de vérification ne devraient pas toujours être divulgués? Cela jetterait un froid dans le système. Personne n'a été en mesure de proposer une analyse complète qui nous amènerait à conclure que nous devrions bloquer l'accès aux rapports préliminaires de vérification pour toujours. Le rapport préliminaire de vérification est essentiellement fondé sur l'analyse des statistiques et des documents liés à un marché, à une subvention ou à des dépenses de fonds publics. Nous comprenons qu'il y a des exceptions au principe de l'accès public, mais savons aussi qu'il y a une distinction à faire entre certains types d'information. L'établissement d'une interdiction générale va à l'encontre des principes d'ouverture et de transparence que nous voulons promouvoir dans le système.
M. Baird : Je n'ai rien contre la divulgation du contenu de rapports préliminaires de vérification. Je crois, par contre, qu'on devrait les protéger jusqu'à la tombée du rapport final. Les rapports préliminaires de vérification sont divulgués 15 ans plus tard ou, s'il n'y a pas de rapport final, deux ans plus tard. Je ne suis pas contre leur divulgation, si on revient à l'exemple de la limite de 20 ans dont vous avez parlé dans votre première question.
J'ai énormément de respect pour le Bureau du vérificateur général. J'en ai toujours eu. Ma belle-mère a travaillé au Bureau du vérificateur général pendant de nombreuses années. Lorsque j'étais adolescent, j'ai rencontré le vérificateur général du Canada. J'ai suivi de près le travail de ce bureau, et j'ai très bien collaboré avec le vérificateur général provincial avant et pendant ma présence au sein du Cabinet en Ontario.
J'ai beaucoup d'estime pour Sheila Fraser. Je crois qu'elle est probablement l'une des plus grandes protectrices du contribuable. Elle m'a convaincu de l'importance de protéger la fonction de vérification. Lorsqu'elle a témoigné devant le comité, elle a déclaré ce qui suit : « Sans vouloir offenser le Commissaire à l'information, John Reid, sa position reflète une incompréhension de la fonction de vérification. » Je crois que la fonction de vérification nous est utile. Je crois qu'il faut protéger la fonction de vérification et le travail qu'elle fait pour nous. À cet égard, j'accepte les sages conseils de la vérificatrice la plus haut placée au pays.
Le sénateur Joyal : Elle a aussi mentionné qu'elle n'a pas besoin du nouveau pouvoir d'enquêter sur les subventions consenties à des organismes ou à des sociétés sans but lucratif qui demanderaient une subvention du gouvernement. Je suis certain que vos représentants vous ont avisé du fait qu'elle n'a pas besoin de ces nouveaux pouvoirs, et qu'elle n'en veut pas. Elle avance que, pour ce qui est de l'application de saines pratiques de gestion, c'est le ministère qui est responsable. Elle n'a que faire de ces pouvoirs. Elle l'a répétée au moins deux ou trois fois lorsqu'elle a témoigné.
M. Baird : Je crois qu'elle serait préoccupée si on s'attendait à ce qu'elle suive à la trace chaque dollar dépensé lorsqu'elle effectue une vérification. Elle a clairement déclaré qu'il s'agit d'un pouvoir qu'elle pourrait exercer si elle estimait qu'il était approprié de le faire. Elle a déclaré qu'elle voit bien peu d'enjeux à l'égard desquels ce pouvoir pourrait s'appliquer. Elle aura une corde de plus à son arc. Si elle en a besoin, elle pourra y recourir.
Au bout du compte, c'est ce qu'elle conseille. Je préfère qu'elle soit habilitée à suivre toutes les dépenses si elle estime que cela est nécessaire. Elle a dit que ce ne serait pas nécessaire dans certains cas, car c'est la GRC qui fait ce travail. Dans l'exemple que vous avez mentionné, c'est-à-dire le scandale des commandites, on a fait appel à la GRC, de sorte qu'elle n'a pas eu à remonter la filière. Par contre, elle pourrait devoir exercer ce pouvoir à l'avenir.
Comme c'est le cas pour d'autres fonctions, en particulier les fonctions liées à la dénonciation, c'est un autre aspect qui reflète en tous points la nouvelle culture organisationnelle que nous voulons établir. Le simple fait qu'on sache que ce pouvoir existe, qu'elle peut remonter la filière, contribuera peut-être à changer les comportements. Au bout du compte, les gens sauront que les dénonciateurs peuvent être protégés. Si nous réussissons, j'espère que ce processus ne sera pas utilisé, ou qu'il ne sera utilisé que rarement, parce que les gens réfléchiront avant d'exercer des représailles. Je crois que cela favorise une évolution de la culture opérationnelle, ce qui répond à votre question. J'adhère à l'opinion de Mme Fraser sur ce point. Ces renseignements ne sont pas cachés pour toujours. Ils sont rendus publics à un moment donné.
Le sénateur Milne : Monsieur le ministre, je suis à peu près sûre de vous avoir entendu dire pendant votre témoignage que le gouvernement est en faveur du fait de soustraire la Commission du blé à ce projet de loi.
M. Baird : Nous avons accepté la modification de l'opposition, consistant à prévoir un meilleur accès à l'information.
Le sénateur Milne : Vous avez accepté la modification; en d'autres termes, vous ne vous opposeriez pas à ce qu'on soustraie la Commission du blé à la loi.
M. Baird : Je souhaite préciser les choses aux fins du compte rendu. Si j'ai donné cette impression, j'aimerais préciser que nous sommes tout à fait en faveur de la modification présentée et que nous croyons que davantage de responsabilité et de transparence est une bonne chose.
Le sénateur Milne : Le comité a écouté beaucoup de témoignages au sujet des problèmes que pose le projet de loi. L'intention du projet de loi est très bonne, et je suis d'accord avec vous sur ce point. J'appuie l'intention de ce projet de loi; cependant, je pense que le projet de loi a été ébauché si rapidement qu'il contient beaucoup d'erreurs et qu'il exige un certain nombre de modifications de forme. Le gouvernement procédera-t-il à ces modifications, ou est-ce que vous compterez sur nous pour le faire?
M. Baird : Qu'il soit ébauché de façon expéditive ou qu'on prenne beaucoup de temps pour le faire, je ne pense pas qu'un projet de loi de cette taille puisse ne pas contenir d'erreurs ou de choses dont vous aimeriez qu'elles soient plus claires ou plus exactes, ou encore, dans certains cas, d'erreurs dans la rédaction de l'ébauche ou dans la traduction. Si le comité a l'amabilité de nous donner le projet de loi comme il a été rédigé, nous l'acceptons. Nous n'exigeons aucune modification du projet de loi.
Le sénateur Milne : Aucune? Vous ne ferez rien pour corriger certaines des erreurs que nous avons découvertes?
M. Baird : Nous sommes prêts à recevoir le projet de loi dans son état actuel.
Le sénateur Milne : J'espère sincèrement que le ministère de la Justice est à ébaucher quelque chose.
M. Baird : M. Wild peut peut-être formuler un commentaire. Il a eu une promotion importante depuis la création du comité.
Joe Wild, avocat-conseil, Services juridiques, Portefeuille du Conseil du Trésor du Canada : Je veux profiter de l'occasion pour préciser que j'ai présenté mon exposé à titre d'avocat-conseil du ministère de la Justice. Je partage mon temps entre les deux postes d'ici à ce que le projet de loi soit prêt.
M. Baird : Il n'y aura pas de promotion avant que vous disiez qu'il y en a une.
M. Wild : Au sujet des modifications de forme, le gouvernement a travaillé à préparer des motions pour régler de multiples questions de forme, surtout des erreurs de rédaction qui se sont produites soit en raison de modifications apportées au cours du processus du comité à l'autre endroit, soit à l'étape du rapport, et en raison d'autres choses que nous n'avons tout simplement pas remarquées. Nous avons travaillé de concert avec le Bureau du légiste parlementaire pour nous assurer que nous disposons d'un ensemble approprié de modifications de forme. Nous avons travaillé dans un esprit de collaboration aux modifications de forme, de façon à nous assurer que nous en relevons le plus possible, et nous avons proposé ces modifications dans l'idée de tenter d'améliorer le projet de loi le plus possible.
M. Baird : Les modifications de forme ou apportées à la traduction sont assez fréquentes. Je crois que c'est le seizième ministère ou organisme pour lequel je travaille, et la fonction publique fédérale nous a fourni des gens d'un calibre que je n'ai jamais connu auparavant, dans tous les projets auxquels j'ai participé ou auxquels j'ai travaillé.
Le sénateur Milne : Nous avons reçu des témoins du ministère de la Justice à de nombreuses reprises au cours des 10 dernières années qui se sont écoulées depuis que je suis ici, et ils nous ont toujours donné d'excellents conseils.
Ce matin, nous avons reçu un représentant de l'Association du Barreau canadien, venu parler de la dénonciation. Le projet de loi prévoit la protection des dénonciateurs qui ont le devoir de divulguer des renseignements, mais l'ABC recommande qu'on étende cette protection aux dénonciateurs à qui il est permis de divulguer des renseignements. L'Association suggère qu'on protège le dénonciateur sans égard au fait qu'il soit tenu de divulguer des renseignements ou qu'il décide de le faire de lui-même, pour corriger une situation outrageante.
M. Baird : Selon moi, s'ils sont de bonne foi et qu'ils ont l'impression qu'un acte répréhensible a été commis, que ce soit d'ordre financier, criminel ou autre, ils devraient en parler et suivre le processus approprié. On n'a pas le droit de réserver la Tribune de la presse nationale chaque fois qu'on pense qu'une chose va de travers, mais s'ils suivent un processus équitable et qu'ils agissent de bonne foi, ils devraient être protégés.
M. Wild : Je ne connais pas le contenu de l'exposé de l'ABC de ce matin. Je n'ai pas eu l'occasion de suivre le témoignage ou d'étudier le mémoire.
Le sénateur Milne : Nous vous le donnerons.
M. Wild : Je ne suis pas tout à fait sûr de bien comprendre la position de l'Association.
Le sénateur Cowan : Les représentants de l'ABC ont présenté le même exposé à la Chambre des communes.
Le président : Il n'y a pas eu de témoignage en personne d'un représentant de l'ABC. C'est le même mémoire.
Le sénateur Milne : Ma prochaine question a à voir avec la dérogation à l'intérêt public. Pourquoi aucune preuve de préjudice ou dérogation à l'intérêt public n'est-elle prévue relativement à ces dix nouvelles exclusions de la Loi sur l'accès à l'information? Il y a dix exclusions tout à fait nouvelles, et aucune dérogation à l'intérêt public.
M. Baird : Lorsque les gens disent qu'il y a dix nouvelles exclusions auxquelles on n'a jamais eu recours auparavant, nous intégrons aussi 30 nouvelles organisations et nouveaux groupes, qui couvrent l'ensemble de ces exclusions.
Le sénateur Milne : La Commission canadienne du blé.
M. Baird : Je ne pense pas, par exemple, que Julie Van Dusen de CBC News devrait avoir à prouver qu'il n'y a pas d'intérêt national à découvrir une version canadienne de Deep Throat. Si un journaliste s'engage à garder une chose confidentielle, cette chose demeurera confidentielle.
Le sénateur Milne : Je ne parle pas des journalistes. Je suis tout à fait en faveur de l'idée qu'ils puissent protéger leurs sources. Je me préoccupe du fait qu'il n'y ait pas de dérogation à l'intérêt public, comme il y en a dans tant d'autres lois du Parlement, pour le cas où il est d'intérêt public que les renseignements soient divulgués.
M. Baird : Je reprends votre exemple de la CBC. Vous avez cité 10 exclusions, et c'est l'une de celles-ci. Tout le monde dit être d'accord avec moi. J'ai rencontré l'ancien commissaire, et, selon lui, son bureau a bien fonctionné pendant 25 ans. Le journaliste de CBC devrait être pleinement convaincu qu'il peut examiner les notes et les dossiers de ce bureau.
Je ne suis pas d'accord. Je n'admets pas cela. Je crois que cela devrait être blindé. Je ne crois pas qu'il devrait y avoir une dérogation à l'intérêt public. Lorsque la réputation de gestionnaires de la fonction publique est salie même s'il n'y a pas l'ombre d'une preuve contre eux, il n'y a pas de dérogation à l'intérêt public qui tienne. C'est là le fondement de ce que nous avançons.
Le sénateur Milne : Vous répondrez donc aux questions que je ne vous pose pas, malgré celles que je vous pose.
M. Baird : Donnez-moi un exemple, alors. Je vous en ai donné deux, alors donnez-moi-en un.
Le sénateur Milne : Je crois qu'il devrait y avoir preuve de préjudice dans la plupart de ces cas; par exemple, si une personne subit un préjudice parce qu'on a divulgué des renseignements personnels qui n'auraient pas du l'être. Cependant, si le cas porte sur la divulgation de renseignements personnels, mais qu'il s'agit de choses que le public devrait savoir, alors la loi devrait prévoir l'exigence d'une preuve de préjudice.
M. Baird : Des dix exemples que vous avez cités au début de votre question, lequel vous ferait dire qu'il devrait y avoir dérogation à l'intérêt public?
Le sénateur Milne : Je peux vous lire un extrait du mémoire de l'Association du Barreau canadien. D'après le mémoire, l'article 89 du projet de loi prévoit une exception objective obligatoire pour le commissaire au lobbying, sans limite de temps, pour tous les documents contenant des renseignements obtenus par le commissaire ou dont celui-ci est à l'origine, ou encore obtenus au nom du commissaire au cours d'une enquête menée par le commissaire au lobbying ou sous son autorité.
M. Baird : Quelqu'un pourrait déposer une plainte en ce qui concerne la Loi sur le lobbying, sans présenter aucun fait. Si cette plainte était déposée contre le sénateur X ou le ministre Y, mais que l'enquête révèle que le sénateur X ou le ministre Y ont pris leur retraite 10 ans auparavant, pourquoi rendre l'affaire publique?
Le sénateur Milne : Je suis d'accord avec vous, monsieur le ministre, mais qu'arrive-t-il si la plainte est bel et bien fondée sur des faits?
M. Baird : Je n'attends que d'être convaincu, sénateur. M. Wild vient de me rappeler que nous disposons de la dérogation générale à l'intérêt public. Un document de travail public d'un comité de la Chambre en parle. Nous avons hâte d'entendre de nouveau la Chambre là-dessus. Cela fait longtemps qu'on parle de cette question générale à Ottawa, mais elle n'a pas reçu l'appui du Parlement dans le passé, et on l'examine maintenant. Nous avons hâte d'entendre de nouveau le Parlement au sujet de cette dérogation générale à toutes les choses.
Le sénateur Milne : C'est le rapport du commissaire à l'information déposé devant le comité de la Chambre.
M. Baird : Son ébauche de projet de loi et le document de travail.
Le sénateur Zimmer : Je crois que votre retour au comité et votre exposé envoient le signal de la fin prochaine du projet de loi C-2.
Peut-être vous attendez-vous à ce que je pose des questions sur la sollicitation de fonds et les dons à une campagne électorale. Je voulais ajouter quelque chose à la question posée par le sénateur Milne, mais je vais pousser un peu plus loin. Comme elle l'a dit, M. Amyot, le président de l'Association du Barreau canadien, a indiqué clairement que l'Association est en faveur d'une protection supplémentaire pour les dénonciateurs qui ont été témoins d'actes répréhensibles commis en milieu de travail. Cependant, l'ABC a recommandé que les projets de loi étendent la protection non seulement aux fonctionnaires qui font des divulgations exigées par la loi, mais également ceux et celles qui font des divulgations permises par la loi. On codifierait ainsi la protection offerte aux dénonciateurs qui ont le droit de faire part de leurs préoccupations en vertu de la common law. Les mots clés sont « exigées » et « permises ». J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.
M. Baird : C'est une excellente question. J'ai étudié le droit pendant trois ans et j'ai fini avec une moyenne de 90 p. 100, mais j'étais en 11e, 12e et 13e année à l'époque. Par conséquent, je demanderais au spécialiste, M. Wild, de répondre.
M. Wild : D'après ce que je comprends, la modification proposée par l'Association du Barreau canadien permettrait à un fonctionnaire de divulguer des renseignements là où la loi le permet. L'idée derrière la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, la LPFDAR, et l'aspect précis de celle-ci qui est en question, est établie dans le cadre du projet de loi C-11. La question n'est pas soulevée par le projet de loi C-2. Je vais expliquer comment cela fonctionne. Toute divulgation est faite conformément aux principes de la common law. On travaille actuellement à trouver un équilibre dans le cadre de la LPFDAR en ce qui concerne la divulgation. Cette loi a pour objet la création d'un régime dans le cadre duquel les fonctionnaires peuvent passer de façon anonyme soit par la fonction publique soit par le commissaire à l'intégrité du secteur public, qui a le plein mandat et les pleins pouvoirs d'enquête. L'idée est de permettre au processus de se dérouler dans l'anonymat, de façon à protéger tant le fonctionnaire qui divulgue des renseignements que des personnes qui, d'après les allégations, ont commis les actes répréhensibles ou, peut-être, sont à l'origine des représailles.
Si l'équilibre entre cela et les restrictions concernant la divulgation, qui limitent les situations où il y a urgence, délit grave ou une certaine forme de danger ou de menace pour la sécurité publique, était modifié pour permettre tout ce qui est légal lorsque le fonctionnaire n'est assujetti à aucune exigence de confidentialité, les conditions seraient telles que le régime ne serait pas du tout utilisé. On divulguerait tout dès le départ et on formulerait des allégations contre quiconque. Encore une fois, l'intention du gouvernement est de tenter de trouver l'équilibre entre l'importance de s'assurer que les allégations sont fondées avant que l'identité de l'auteur présumé d'actes répréhensibles soit rendue publique. L'idée est de tenter d'instaurer un processus qui permet à un enquêteur indépendant, doté des pleins pouvoirs, soit le commissaire à l'intégrité du secteur public, de réaliser une enquête complète. C'est grâce à ces mécanismes que l'on tente de trouver le juste équilibre entre le besoin de procéder à une divulgation immédiate et celui de s'assurer que les faits sont exacts avant que l'affaire soit rendue publique.
Le projet de loi C-2 constitue une tentative d'atteindre cet équilibre. L'intervention de l'ABC fait pencher la balance en faveur d'une augmentation du risque d'allégations non fondées ou qui vont peut-être se révéler, au bout du compte, être des mensonges publiés et qui peuvent salir la réputation des personnes accusées.
M. Baird : Le régime actuel n'en reconnaît qu'un faible pourcentage. Je viens juste de lire le rapport que nous avons déposé au Parlement concernant l'année sous le régime précédent. La proportion des cas qui portent sur des actes répréhensibles réels est assez faible — moins de 10 p. 100, je crois. Il s'agit d'atteindre l'équilibre entre un milieu ouvert où les gens peuvent s'exprimer, tout en gardant en tête que tout ce qui se dit n'est pas vrai.
Le sénateur Zimmer : Monsieur Wild, vous avez dit « de fonctionnaire à fonctionnaire ». Est-ce que cela concerne aussi une personne formulant une allégation contre le ministère, et non contre un autre fonctionnaire seulement?
M. Wild : Oui.
M. Baird : J'aurais eu tendance à laisser tomber le projet de loi C-11, je dois l'avouer, parce que je me préoccupais du fait qu'il n'allait pas assez loin en ce qui concerne l'indépendance. Ça ne me dérange pas que figure au compte rendu le fait que le gouvernement ait décidé de le conserver et de lui donner de l'ampleur. C'est le conseil que nous avons reçu de la part de certains des représentants des syndicats de la fonction publique. Ça a été une sorte de compromis lorsque nous avons procédé aux consultations.
Le sénateur Zimmer : Je souhaitais obtenir cette rétroaction de votre part aujourd'hui.
Le sénateur Baker : Vous avez mentionné le fait que vous avez étudié le droit. Le président de notre comité est un ancien professeur de droit. Il dirige notre comité avec une main de fer.
L'Association du Barreau canadien a dit de votre proposition concernant la création du poste de DPP qu'il s'agissait d'une « solution à la recherche d'un problème ». L'ABC a consulté des avocats de la Couronne et de la défense de l'ensemble du Canada, et tous ont conclu que cela n'était pas du tout nécessaire. Qu'avez-vous à dire à l'Association du Barreau canadien et à tous les avocats qu'elle représente au Canada?
M. Baird : Je dirais que je suis humblement en désaccord avec leur point de vue.
Le sénateur Baker : Permettez-moi de passer à la deuxième question. Le citoyen canadien ordinaire qui examinerait ce projet de loi sur la responsabilité, les ministres du Cabinet en situation de conflit d'intérêts, les titulaires de charge publique, les gens de haut rang qui ne font pas les choses comme il faut. Le projet de loi C-2 a pour objectif de corriger ces choses, si, en fait, il y a quoi que ce soit qui se produit et qui concerne les articles sur le conflit d'intérêts ou tout autre article.
Le projet de loi établit un régime pour les infractions punissables par une déclaration de culpabilité, moins graves que les infractions punissables par voie de mise en accusation. Elles sont plutôt bas sur l'échelle, comparativement, au point où les accusations doivent être portées dans un délai de six mois, puisque les souvenirs s'effacent, et ainsi de suite. En vertu du projet de loi, si on juge qu'une personne enfreint la loi, la personne qui le découvre n'a pas à porter des accusations immédiatement, mais elle peut attendre cinq ans.
Le citoyen canadien ordinaire demandera pourquoi, lorsqu'il y a infraction punissable par une déclaration de culpabilité, un ministre du Cabinet peut enfreindre la loi ou être soupçonné d'avoir enfreint la loi et que le commissaire, la personne chargée d'enquêter, peut être au courant, mais que le commissaire, probablement nommé par les politiciens, n'a pas à porter d'accusations en vertu de cette loi avant cinq ans à partir du moment où le commissaire a pris connaissance du délit.
Très honnêtement, monsieur le ministre, j'ai examiné la jurisprudence de notre pays à la recherche de lois semblables, et je n'ai rien trouvé. Pouvez-vous expliquer pourquoi ce projet de loi permettrait à un ministre du Cabinet de s'en tirer pendant cinq ans?
Le poste de ministre du Cabinet est un poste temporaire — ici aujourd'hui, ailleurs demain. Vous ne pouvez être que d'accord avec le fait que si l'on détermine qu'un ministre a commis un acte répréhensible, qu'il se trouve en situation de conflit d'intérêts, il faut s'occuper de l'affaire immédiatement, et non attendre pendant cinq ans avant de le faire.
M. Baird : J'ai pensé pendant un instant que vous alliez parler du fait que le ministre a une épée de Damoclès au- dessus de la tête pendant cinq ans, mais vous avez dit autre chose. Je vais demander à M. Wild de répondre à cette question d'ordre juridique.
Le sénateur Baker : C'est ce que je pensais.
M. Baird : Lorsqu'on a la chance de pouvoir recourir aux meilleurs fonctionnaires, on serait fou de ne pas le faire.
Le sénateur Baker : Je peux vous dire une chose, l'avocat qui vous conseille est très bon.
M. Baird : J'ai de la chance. Nous l'aimons tellement que nous le faisons venir du ministère de la Justice.
M. Wild : Pour répondre à la question, le délai maximal de cinq ans a pour objectif de permettre qu'on constate l'existence d'une affaire et qu'on enquête. Il n'est pas obligatoire que le commissaire attende cinq ans avant de procéder à une enquête et de la conclure. L'idée est de prévoir suffisamment de souplesse pour permettre un délai avant qu'une affaire soit réellement éclaircie ou une période pour terminer l'enquête. Je ne tente pas de mettre le commissaire dans une position où il aurait à attendre cinq ans; il ne s'agit que d'accorder un délai de cinq ans.
Une petite nuance, pour être sûr que tout est clair : en ce qui concerne la Loi sur les conflits d'intérêts en tant que telle, nous parlons d'un mécanisme administratif de sanctions pécuniaires à l'égard de cette enquête, si vous cherchez une sanction. Les enquêtes du commissaire ne donnent pas lieu à des sanctions criminelles. L'affaire serait plutôt présentée au premier ministre, qui devrait déterminer, au bout du compte, ce qu'il faut faire d'un titulaire de charge publique ayant violé l'une des dispositions de fond de la loi.
M. Baird : L'ultime jury sera l'électorat.
Le sénateur Baker : Oui, et c'est compréhensible.
Lorsqu'un ministre du Cabinet viole la Loi sur les conflits d'intérêt, il s'ensuit un embarras public. Pourquoi permettrait-on au ministre du Cabinet de continuer, une fois que le commissaire a pris connaissance de l'affaire qui a donné lieu à la procédure?
Monsieur Wild, vous et moi savons que, dans le cadre d'autres lois fédérales — par exemple, celles qui portent sur les substances délétères qui sont déversées dans les rivières, la pollution, la Loi sur les pêches — on peut lire « deux ans à partir du moment où le ministre prend connaissance de la procédure ». On a interprété cela en droit — et j'ai certains exemples d'affaires ici — comme voulant dire « lorsque le ministère prend connaissance du fait qu'un délit a été commis ». Cela laisse le temps de réaliser des essais sur des échantillons d'eau à l'origine de la pollution d'une rivière, d'analyser les substances chimiques et ainsi de suite.
Vous suggérez ici qu'une personne puisse attendre cinq ans avant qu'un ministre du Cabinet soit accusé, comme vous dites, d'un délit mineur punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Cela n'a simplement pas de bon sens.
Permettez-moi de poser la question au ministre. Le ministre serait-il d'accord avec l'idée de traiter les ministres du Cabinet de la même manière que nous traitons les citoyens ordinaires du Canada, conformément à la loi, et qu'on fasse en sorte que la personne chargée de l'enquête lance une procédure dans un délai de deux ans, comme c'est le cas pour tout le monde?
M. Baird : Je crois que l'idée — si je ne me trompe pas, et M. Wild me corrigera si c'est le cas — est que d'avoir une prescription plus longue montrera que nous n'allons pas laisser les gens s'en tirer simplement parce que le temps joue contre nous.
Le sénateur Baker : Ah, mais vous saviez qu'il avait commis le délit — dès le début de la procédure. C'est la loi.
M. Baird : On a porté la question à votre attention, et vous croyiez qu'il y avait une raison. Il arrive que le processus de découverte prenne davantage de temps. Je comprends l'argument, mais je pense que la motivation est tout à fait opposée, c'est-à-dire que nous ne voulons pas laisser quelqu'un s'en tirer parce que les accusations n'ont pas été portées assez rapidement, si l'on n'a pas été en mesure de faire la découverte et de recueillir tous les éléments de preuve, et ainsi de suite.
Le sénateur Baker : Le ministre du Cabinet n'est déjà plus là.
M. Baird : Il se peut qu'il soit encore là, ou qu'il n'y soit plus. Il y a eu une affaire, en Ontario, dans laquelle un député a déposé une plainte contre un ministre, et le ministre est demeuré en poste pendant qu'on procédait à l'enquête.
Le sénateur Baker : Êtes-vous d'accord ou non avec le fait que le même...
M. Baird : Je crois que nous sommes tenus responsables encore davantage. La loi de prescription est généralement plus longue pour les crimes plus graves. Les vols mineurs...
Le sénateur Baker : Il s'agit de délits mineurs, comme M. Wild l'a souligné.
M. Baird : Pour être clair, je pense que l'intention est...
Le sénateur Baker : L'intention est de ne pas embarrasser le ministre du Cabinet pendant qu'il est au pouvoir. C'est comme ça que je vois les choses.
M. Baird : Ce n'est pas ça. C'est exactement le contraire. L'intention est de vouloir accorder davantage de pouvoirs — de ne pas laisser le temps jouer contre nous et s'écouler.
M. Wild : Je ne minimisais certainement pas la gravité d'une violation de la Loi sur les conflits d'intérêts. Je ne faisais que souligner, en ce qui concerne les sanctions criminelles, qu'on doit être un peu prudent à ce sujet. Il ne s'agit pas d'affaires criminelles; ce sont des affaires qu'on règle d'une manière différente, par l'intermédiaire d'un mécanisme différent.
Le point qui concerne le délai consiste à s'assurer qu'on dispose d'une période suffisamment longue pour régler une chose qui peut ne pas être tirée au clair avant un moment ultérieur. Il ne s'agit que d'accorder une plus longue période pendant laquelle une chose peut être tirée au clair, de façon à permettre au commissaire d'avoir le pouvoir de procéder à une enquête. Toute l'idée de la loi de prescription est de permettre un délai suffisant.
Le sénateur Baker : Je sais qu'il faut que je termine, mais le professeur ne me laissera pas continuer.
La loi de prescription est incluse dans votre période de dix ans. Vous avez vraiment ratissé large. Je ne parle que du moment où le commissaire a pris connaissance du fait qu'un délit a été commis et qu'il dispose d'un certain délai avant que l'on demande au ministre du Cabinet de rendre des comptes. Cela ne fonctionne pas avec le citoyen canadien ordinaire. Ce n'est pas un point important.
M. Baird : Le commissaire ne serait pas au courant du fait qu'il ait pu y avoir un problème. On ne laissera rien tomber à ce sujet. Le commissaire ne travaille pas pour le gouvernement. Il travaille pour le Parlement. Cette personne devrait, en règle générale, jouir de la confiance du Parlement. Personne ne déposera sur son bureau une affaire en béton. Une inquiétude sera portée à son attention, et cela sera le point de départ d'une chaîne d'événements. Il arrive que les événements ne se produisent pas aussi rapidement que chacun de nous le souhaiterait.
Le sénateur Baker : Laissez-vous entendre qu'il existe toute une panoplie de faits concernant des conflits d'intérêts au sujet des ministres du Cabinet du présent gouvernement?
M. Baird : Mon expérience, en tout cas en Ontario, est que de nombreuses plaintes sont formulées. Au fil du temps, en Ontario, il y a peut-être eu quelques centaines de plaintes. On a trouvé une des membres de l'opposition coupable d'abuser des taux réduits dont elle profitait chez Purolator. Il n'y en a vraiment pas eu beaucoup. C'est comme pour les questions de privilège personnelles à la Chambre ou au Sénat. On en soulève beaucoup, mais on en accueille peu.
Le sénateur Baker : Merci beaucoup. Je souhaite faire remarquer à M. Wild qu'il y a cinq cas dans la loi proposée, comme nous l'avons mentionné. Certains sont des délits mixtes. Ils sont porteurs de conséquences au pénal. Vous en avez parlé dans une loi en particulier. Je comprends votre point de vue.
M. Wild : C'est à cela que vous m'avez renvoyé.
Le sénateur Baker : Exactement.
Monsieur le ministre, vous souhaitez toujours conserver ce long délai pour les ministres du Cabinet, et que les citoyens ordinaires du Canada soient traités différemment.
M. Baird : Nous ne souhaitons pas laisser le temps jouer contre nous au cours d'une enquête. Nous ne voulons pas que quelqu'un s'en tire parce que le délai de la loi de prescription est écoulé, sénateur.
Le sénateur Baker : Sérieusement, il n'y a pas de loi de prescription pour les actes criminels, s'il s'agit d'un délit grave, ce qui fait qu'on ne s'en tire jamais avec cela.
Le sénateur Day : Monsieur le président du Conseil du Trésor...
M. Baird : Finalement, quelqu'un me témoigne du respect. Merci.
Le sénateur Day : Nous apprécions votre présence ici aujourd'hui.
Permettez-moi de commencer en disant que l'objectif auquel vous avez fait référence dans votre déclaration concernant l'ouverture, la transparence et la responsabilité relatives aux activités du gouvernement jouit de notre appui à tous. Il n'y a personne ici qui n'appuie cette idée. De nombreux témoins ont amorcé leur propos de cette façon, en pensant que peut-être le fait de témoigner devant le comité indiquait qu'ils n'appuyaient pas cet objectif.
Notre rôle de sénateurs est d'examiner la loi proposée et de tenter de voir s'il existe des conséquences non intentionnelles, ainsi que la manière dont nous pouvons améliorer certaines des démarches présentées ici.
Vous avez beaucoup entendu parler de l'Association du Barreau canadien parce que le représentant de cette association a témoigné ici aujourd'hui, mais nous avons entendu, comme le président l'a souligné, des témoignages qui, bout à bout, ont duré près de 100 heures. Cela se compare de très près aux 90 heures que la Chambre des communes a consacrées à l'étude du projet de loi.
M. Baird : Cela s'ajoute aux heures de travail normales des députés, sénateur.
Le sénateur Day : Cela s'ajoute, monsieur, à nos heures de travail régulières. Vous devriez comprendre que les trois semaines que nous avons consacrées à cela, ce sont trois semaines pendant lesquelles vous étiez occupé ailleurs. Nous sommes revenus du congé et avons siégé alors que le Parlement n'avait pas recommencé à siéger.
M. Baird : C'était en septembre, sénateur?
Le sénateur Day : C'était en septembre et à la fin juin. Nous avons reconnu le fait qu'il s'agissait d'une importante initiative gouvernementale. Nous avons tous consacré du temps à tenter de faire avancer cette question.
Nous avons reçu des témoins jusqu'à aujourd'hui, et nous espérons pouvoir commencer une analyse article par article des dispositions du projet de loi demain. Cela impose une charge de travail importante au personnel de soutien, comme vous pouvez l'imaginer. Bon nombre d'entre nous ont travaillé à cette question la fin de semaine. Nous avons tenté d'envisager chacun des très, très nombreux points qui ont été soulevés au cours des audiences et de dire : « Il s'agit d'une décision politique de base du gouvernement, et nous ne devrions donc pas aller à l'encontre du mandat d'un gouvernement élu, mais nous pouvons donner un coup de main. Est-ce que nous donnons un meilleur coup de main en modifiant la loi ou en formulant une observation? »
M. Baird : Je suis le sénateur Day, et je suis ici pour donner un coup de main.
Le sénateur Day : Si nous décidons, et je pense que nous allons le faire, de formuler un nombre important d'observations, est-ce que vous et votre personnel y accorderez l'attention qu'elles méritent lorsque vous les recevrez?
M. Baird : Oui.
Le sénateur Day : Merci. C'est une chose importante pour savoir où nous allons.
Il y a des questions pour lesquelles nous pensons que nous devons apporter certaines modifications, et je peux vous dire que nous allons apporter certaines modifications. Cela dit, j'aimerais savoir si vous apporterez certaines modifications.
M. Baird : Comme je l'ai déjà dit, nous sommes prêts à recevoir le projet de loi tel quel. Nous ne voyons aucune modification obligatoire. Il est clair que nous pourrions présenter des modifications de forme.
Le sénateur Day : Pouvez-vous me dire dès maintenant combien de modifications de forme seront présentées?
M. Baird : Nous vous le ferons savoir dans les plus brefs délais, n'est-ce pas?
Le sénateur Day : Nous allons commencer un examen article par article du projet de loi demain.
Le sénateur Milne : Dans les plus brefs délais.
M. Baird : Nous sommes prêts. Nous avons bon nombre de ce que j'appellerais des modifications de forme qui ne touchent pas le fond de la loi. De nombreuses modifications ont été apportées par des comités composés de membres du gouvernement et de l'opposition. On a apporté des modifications importantes du côté de l'accès à l'information, sans apporter les modifications correspondantes du côté de la protection des renseignements personnels. Je crois que le sénateur Joyal a mentionné, la dernière fois que j'ai témoigné devant le comité, qu'on avait apporté des modifications à des endroits où l'on parlait du Parlement comme de la chambre basse, et non comme des deux chambres. Il y a des modifications de forme comme celle-là.
Le sénateur Day : Pouvez-vous quantifier ce que « bon nombre » représente?
M. Baird : Nous vous fournirons cette information sous peu.
Le sénateur Day : Nous aimerions connaître le nombre.
Je crois savoir que le conseiller juridique du Sénat a eu des discussions avec le ministère de la Justice, parce que nous disposons d'une période très courte pour préparer nos modifications. Plus vous prévoyez en faire, moins nous aurons à en faire nous-mêmes. Cela nous permettra de gagner beaucoup de temps. Croyez-moi — et j'espère que vous me croyez — nous avons hâte d'entamer l'analyse article par article du projet de loi.
M. Baird : Je pense qu'il y aura quelques dizaines de modifications de forme. J'ai déjà dit cela à des membres de tous partis. Soyez assurés de la disponibilité de M. Wild et d'autres personnes si vous souhaitez obtenir des conseils concernant la rédaction des modifications. Même s'il s'agit de modifications que je n'approuverai pas forcément, j'aimerais bien qu'elles soient rédigées avec soin.
Le sénateur Day : Notre conseiller juridique me dit que nous avons sollicité de l'aide pour...
Le président : Le ministre vient tout juste d'en faire la promesse.
Le sénateur Day : Cela explique le refus que nous avons essuyé à ce sujet.
M. Baird : On vous a dit non?
Le sénateur Day : On nous a dit non.
M. Baird : Je peux questionner M. Wild à ce sujet, mais ce n'est certainement pas la perception du gouvernement. J'ai eu une bonne discussion, justement aujourd'hui, avec le député de Vancouver Quadra, le critique de la Chambre sur la question. Si vous lui demandez, il vous répondra que nous avons certainement fait de notre mieux pour travailler avec tous les partis. S'ils souhaitaient rencontrer le personnel des politiques et des services juridiques en l'absence d'acteurs politiques, nous aurions été heureux qu'ils le fassent, parce que c'est du bon travail sur le plan législatif.
M. Wild : J'ai eu plusieurs rencontres et discussions avec les gens du bureau du légiste parlementaire au cours des quatre derniers jours. Le ministère de la Justice nous a fourni des examens de forme des modifications rédigées par le légiste du Sénat, et nous avons discuté avec les gens du ministère de tous les points précis qu'ils ont voulu soulever et pour lesquels ils voulaient connaître notre point de vue, quant à la forme, et à la façon de faire. Nous ne sommes pas allés jusqu'à rédiger nous-mêmes des modifications précises pour les sénateurs, ce qui, de notre point de vue, est la limite qu'il faut respecter.
Le sénateur Day : Le ministre vient de vous demander de modifier cette règle et d'aider à la rédaction de certaines de ces modifications. Pourriez-vous changer votre règle?
M. Wild : Le ministre est le ministre.
M. Baird : Si vous parlez à Stephen Owen à la Chambre, il vous dira que c'est ma politique.
Le sénateur Day : Serons-nous bientôt en mesure de voir les modifications que vous avez préparées, de façon à pouvoir les comparer avec ce que nous proposons?
M. Baird : Je vais vous montrer ce que j'ai si vous me montrez d'abord ce que vous avez.
Le sénateur Day : Nous aimerions que ce soit vous d'abord.
M. Baird : C'est vous qui avez demandé, sénateur. Vous me l'avez demandé d'abord, c'est donc à vous de me montrer ce que vous avez d'abord. Je l'ai demandé en premier. Vous appartenez à la Chambre haute, c'est donc à vous de commencer.
Le sénateur Day : Ne l'oubliez pas.
M. Baird : Vous d'abord.
Le sénateur Day : J'attends toujours la réponse.
M. Baird : On m'a dit jeudi que nous avions présenté les modifications de forme au légiste du Sénat, et qu'on s'était entendu avec lui pour qu'il les communique aux sénateurs.
Le sénateur Day : J'ai gardé contact avec le légiste pendant toute la fin de semaine, et d'après ce que je sais, elles ont été communiquées au légiste de façon confidentielle, et il ne peut nous les communiquer.
Le président : Il y en a un exemplaire sur chacun de nos bureaux, au moment où nous parlons.
M. Wild : C'est un malentendu.
M. Baird : Tenons-nous par la main et rendons grâce à Dieu.
Le sénateur Day : Nous souhaitons nous occuper de ce projet de loi demain. Nous avons de nombreuses modifications à apporter. Nous avons besoin de savoir si nous allons le faire nous-mêmes ou si vous allez vous en charger.
M. Baird : Vous avez notre entière collaboration, sénateur.
Le sénateur Day : J'essayais de souligner le fait que cette entière collaboration dont vous parlez ne se reflète pas, jusqu'à maintenant, dans l'attitude de votre personnel.
M. Baird : Il y a peut-être eu malentendu; en tout cas, c'est ce que M. Wild pense.
M. Wild : Nous avons fait parvenir le paquet au bureau du légiste du Sénat, et j'ai ensuite fait parvenir un message selon lequel le contenu pouvait être communiqué aux sénateurs le jour suivant. C'était vendredi.
M. Baird : C'est notre intention.
Le sénateur Day : Y a-t-il des modifications concernant les services juridiques offerts à un dénonciateur ayant collaboré avec le gouvernement et le commissaire? Le commissaire a la possibilité d'offrir des services juridiques jusqu'à concurrence d'une valeur de 1 500 $. Joanna Gualtieri, qui a témoigné devant notre comité, a travaillé à une poursuite pendant neuf ans sans aucune aide. N'est-il pas temps de reconnaître que le fait d'offrir de l'aide pour une valeur maximale de 1 500 $ est plutôt irréaliste?
M. Wild : Le but de l'aide de 1 500 $ est d'aider les gens qui envisagent de faire une dénonciation ou de présenter un dossier au CISP. C'est aussi pour permettre à quelqu'un de parler avec un avocat des responsabilités prévues par la loi, des répercussions du fait de s'engager dans cette voie, et d'obtenir des conseils généraux qui lui permettront de déterminer si c'est ce qu'il souhaite faire. C'est là le but de l'aide de 1 500 $. Cette aide n'a pas été conçue pour fournir une aide juridique continue pour l'ensemble du processus.
Encore une fois, l'équilibre repose sur l'idée que le CISP procède à une enquête indépendante, formule une recommandation au tribunal et se présente devant le tribunal pour aider à soutenir l'affirmation selon laquelle il y a eu représailles à son avis. C'est l'équilibre du mécanisme. On n'a jamais eu l'intention de faire en sorte que l'aide juridique permette de récupérer entièrement les fonds engagés pour payer les frais juridiques découlant d'une procédure.
M. Baird : Du point de vue des politiques, ce dont nous avons parlé dans notre document d'élections, c'était non pas de représentation juridique, mais bien de conseils juridiques. Il n'a jamais été question d'offrir une représentation juridique complète pour qu'un autre conseiller permette à quelqu'un d'autre de prendre une décision, de sorte qu'ils le savaient.
Le sénateur Day : Êtes-vous satisfait du libellé, à la page 159 du projet de loi C-2 :
Le commissaire peut mettre des services de consultation juridique à la disposition des personnes suivantes :
c) tout fonctionnaire qui a fait une divulgation en vertu de la présente.
Pensez-vous que le texte limite autant les choses que vous venez de le dire?
M. Wild : Le texte reflète l'intention du gouvernement, qui est exactement ce qui a été dit.
Le sénateur Day : Le commissaire peut offrir des services de consultation juridique à quiconque a fait une divulgation par la suite...
M. Wild : Le commissaire a ce pouvoir.
Le sénateur Day : Et l'accès aux services de conseils juridiques?
M. Wild : Oui.
Le sénateur Day : Jusqu'à concurrence d'une valeur de 1 500 $?
M. Wild : Oui.
M. Baird : Nous n'avons jamais présenté cela comme une représentation complète pour d'autres conseils.
Le sénateur Day : Devrions-nous alors modifier l'article?
M. Wild : Selon nous, l'article est plutôt clair. Nous ne souhaitions pas définir davantage la nature exacte des conseils. Le montant sert à signaler l'intention concernant les conseils juridiques qu'on envisage dans cet article. Si une personne envisage de faire une divulgation ou de lancer une procédure, le commissaire peut s'en occuper.
Le sénateur Day : Je cite l'alinéa 25.1(1)a) :
tout fonctionnaire qui envisage de divulguer un acte répréhensible...
Si vous voulez que cette politique corresponde à votre intention à cet égard, il faut arrêter là, en ne mettant pas à l'alinéa 25.1(1)c), toute divulgation effectuée à un moment donné en vertu de la loi.
J'ai dit ce que j'avais à dire, mais je veux que vous compreniez qu'il arrive parfois que, pour que vous atteigniez votre objectif stratégique, il faut que nous vous aidions un peu avec le libellé, parce que le texte en question n'atteint clairement pas votre objectif.
M. Wild : Je vous donne un exemple précis, c'est vrai, mais l'objectif, ici, c'est de fournir jusqu'à 1 500 $, ou, dans les cas extrêmes, jusqu'à 3 000 $ en conseils juridiques, en rapport avec l'une ou l'autre de ces questions précises.
Si un fonctionnaire a fait une divulgation, mais que, disons — après que le processus de divulgation est terminé, et pendant que le CISP rend une décision, la question à laquelle le fonctionnaire doit répondre est la suivante : est-ce que je devrais continuer et me faire représenter devant le tribunal ou laisser le CISP s'en occuper? Il y a 1 500 $ que le commissaire peut fournir pour payer des services de consultation juridique qui aideront le fonctionnaire à décider s'il souhaite ou non passer à l'étape suivante.
Ce n'est pas nécessairement que l'un ou l'autre de ces éléments soit inapproprié; c'est seulement que l'objectif, ce n'est pas de permettre une récupération complète des frais juridiques associés à la panoplie des éventuelles procédures juridiques qu'on peut lancer en vertu de la loi.
Le sénateur Day : J'ai dit ce que j'avais à dire en ce qui concerne l'interprétation de la loi. Je comprends le fondement de votre politique. Je ne m'y oppose pas. Ce à quoi je m'oppose, c'est que je ne pense pas que vous avez écrit un texte qui atteigne votre objectif.
M. Baird : Il y a un certain nombre d'affaires du domaine public dans lesquelles on a formulé des allégations de représailles en vertu du régime législatif et réglementaire précédent; pas tant le projet de loi C-11 que celui qui existait auparavant. Ces cas sont à l'examen. J'ai discuté avec des parlementaires et des membres de l'opposition au sujet d'éventuels examens accélérés de ces cas, et on présentera très bientôt quelque chose à ce sujet.
Le sénateur Day : Merci du renseignement.
Le sénateur Ringuette : Monsieur le ministre, en ce qui concerne les représailles, on a souvent laissé entendre que le fardeau de la preuve devrait appartenir à l'employeur et non à l'employé en ce qui concerne les représailles en cas de dénonciation. Quel est votre point de vue là-dessus?
M. Baird : La loi en parle.
Le sénateur Ringuette : Vous avez accès à tous les conseillers juridiques du gouvernement et à toutes les ressources financières et humaines. Le dénonciateur, qui est seul, qui n'a pas accès à une aide financière pour payer les frais juridiques et les autres types de frais, qui fait face à la perte probable de son emploi, porte en plus le fardeau de la preuve en ce qui concerne les représailles. Selon moi, ce n'est pas équilibré.
M. Wild : Pour expliquer le fonctionnement du mécanisme légal concernant les représailles, le CISP, le commissaire indépendant qui dispose de toutes les ressources nécessaires pour enquêter, y compris les pleins pouvoirs d'appeler les fonctionnaires à témoigner et ainsi de suite, est chargé de déterminer, à la fin de l'enquête, s'il y a suffisamment d'éléments probants, à son avis, ou de motifs raisonnables de croire qu'il y a eu représailles. Le commissaire porte ensuite l'affaire devant le tribunal.
Le CISP peut représenter une partie devant le tribunal vu que c'est son rapport, et il témoigne donc devant le tribunal du fait qu'il y a eu, à son avis, représailles. Le dénonciateur a donc une personne très puissante avec lui : le commissaire à l'intégrité du secteur public, le CISP, dont on propose la création.
M. Baird : L'intention du projet de loi est de faire du CISP un haut fonctionnaire du Parlement et, par conséquent, la personne chargée de porter les accusations. Ensuite, les accusations relèvent de l'organisme juridictionnel, qui, je l'espère, ne sera pas sollicité quotidiennement, sans quoi le gouvernement aura échoué à donner corps à l'intention du projet de loi.
Je ne m'oppose à rien de ce que vous avez dit. Lorsqu'il faut affronter le gouvernement, à n'importe quel niveau, ce n'est pas simple, et c'est pourquoi nous offrons à la personne ayant souffert d'un préjudice l'aide d'un nouveau haut fonctionnaire indépendant du Parlement. Le projet de loi C-2 va beaucoup plus loin que le projet de loi C-11.
Le sénateur Ringuette : Le texte du projet de loi et ce que vous avez dit indiquent que, lorsque le commissaire dont on propose de créer le poste reçoit une plainte, il n'y aura pas de mécanismes pour soutenir le dénonciateur qui, de son point de vue, fera peut-être face à des représailles en ce qui concerne son emploi. Pendant un certain temps, le préjudice qu'ils subiront au cours du processus sera négligé si l'on ne fait pas en sorte que le fardeau de la preuve incombe à l'employeur. Nous pourrions débattre de ce point pendant quelques jours, mais je crois fermement que si vous souhaitez mettre en place un système de dénonciation efficace, qui comporte des mécanismes de protection pour les dénonciateurs, il faut faire en sorte que le fardeau de la preuve incombe à l'employeur en ce qui concerne les représailles, c'est-à-dire le gouvernement, qui ne fait face à aucune limite liée aux finances ou à d'autres ressources.
M. Baird : Je ne dis pas que le projet de loi est parfait, mais il serait à mon avis juste de dire qu'il va plus loin, et peut- être pas mal plus loin, que le projet de loi C-11. Je suis content que nous ayons cette conversation, mais il ne faut pas perdre de vue le fait que la protection offerte aux dénonciateurs est immense : c'est le Mont Everest en matière de protection. Il n'y a pas d'autres pays du monde occidental qui offrent une protection semblable à celle qu'on offrira aux dénonciateurs dans le cadre de la loi proposée. Est-ce qu'elle est parfaite? Non. Allons-nous surveiller ce qui se passe une fois qu'elle entrera en vigueur? Oui. Nous sommes vraiment beaucoup plus avancés que nous ne l'étions auparavant, même si je ne dis pas que ce sera parfait. C'est encore difficile de s'en prendre à l'ordre établi, pour ainsi dire, mais nous serons des chefs de file dans le monde en ce qui concerne la protection des dénonciateurs.
L'objectif est non seulement la protection des dénonciateurs, mais aussi un changement d'ordre culturel. En ce qui concerne l'accès à l'information, il ne s'agit pas tant de l'information à laquelle on accède, mais le fait que les gens sauront qu'on peut leur demander des comptes lorsqu'ils y accèdent. Les gens qui travaillent au gouvernement ne dépensent pas l'argent de la même manière qu'ils le faisaient il y a 40 ou 50 ans. L'accès à l'information a relevé les normes pour tous les acteurs, qu'ils soient des acteurs politiques, bureaucratiques ou parlementaires.
Le président : Honorables sénateurs, le ministre a dépassé son temps de 17 minutes. Il a eu la gentillesse de rester et d'écouter de nombreuses questions.
Le sénateur Zimmer : En ce moment, la balance penche d'un côté. Est-ce que la loi proposée sera appliquée rétroactivement de façon à permettre le traitement des affaires en cours en vertu de celle-ci?
M. Baird : L'intention est de faire en sorte que ce ne soit pas le cas.
M. Wild : La loi est fondée sur le moment où la divulgation est faite auprès du commissaire.
M. Baird : Si vous souhaitez rendre son application rétroactive, je suis ouvert à vos suggestions.
Le sénateur Zimmer : Il n'y a que le domaine dont j'ai déjà parlé.
M. Baird : Je ne veux pas jouer les précieuses, mais je suis inquiet du nombre de cas très médiatisés pour lesquels il y a des allégations de dénonciation. Il y a des allégations. J'ai discuté avec certaines personnes de ce que nous pourrions faire quant à l'examen de ces cas. Ces cas sont à l'examen, et je ne serais pas contre l'application rétroactive du projet de loi. Comme pour tout le reste des choses de la vie, je pense qu'il y a une part de culpabilité et une part d'innocence. De manière générale, certaines allégations sont fondées, et il y en a une partie qui est susceptible de ne pas l'être. Ces allégations ne concernent pas notre gouvernement, et je serais donc prudent avant de dire que tout ce qu'on allègue est vrai. Nous allons bientôt présenter une politique concernant un processus d'examen accéléré de ces questions. C'est important.
Le sénateur Zimmer : Oui, le sénateur Ringuette a mentionné les souffrances terribles liées à quelques cas.
Le sénateur Day : J'ai devant moi un document de 16 pages rédigé par les services de recherche d'information parlementaire de la Bibliothèque du Parlement. Dans ce document figure la liste de 47 thèmes qui ont préoccupé les sénateurs. Nous pourrions consacrer la nuit et la journée de demain à passer en revue chacune de ces préoccupations avec vous et votre personnel. Je ne vous propose pas de le faire, mais je sais que vous avez eu des échos à ce sujet au cours de la centaine d'heures d'audience que nous avons tenues, et nous avons entendu aujourd'hui exprimer certaines idées au sujet des points qui ont été soulevés. Au cours des audiences, nous avons entendu certains membres du gouvernement exprimer la position de celui-ci. J'ai hâte de voir les modifications qui seront apportées.
M. Baird : J'ai hâte de voir les modifications que vous proposerez, sénateur.
Le sénateur Day : Vous allez les voir aussitôt que je vais les voir. J'ai passé la fin de semaine dernière ici, à travailler aux modifications que je vais proposer. Je passe habituellement la fin de semaine à la maison, au Nouveau-Brunswick, parce que les sénateurs doivent habiter la région qu'ils représentent. J'ai eu l'occasion de lire l'Ottawa Citizen pendant la fin de semaine. J'ai lu votre article, qui disait :
Les Canadiens devraient se préparer à voir le Sénat, dominé par les libéraux, imaginer de nouvelles manières d'enrayer le processus de responsabilisation. On doit s'attendre à être témoin de stratégies dilatoires, comme des dizaines de modifications sans pertinence.
Vous ne verrez aucune modification sans pertinence émaner de notre comité.
M. Baird : Je l'espère.
Le sénateur Day : Regardez chacune des personnes présentes dans les yeux; nous n'avons aucun intérêt à présenter des modifications qui ne soient pas pertinentes, je peux vous l'assurer. À l'heure actuelle, compte tenu du temps supplémentaire que les sénateurs ont passé à tenter de faire progresser le projet de loi, parce que nous savons à quel point vous avez hâte de le faire adopter, le fait que vous ayez écrit cet article deux ou trois jours avant que le comité entame son examen article par article du projet de loi ne nous aide pas.
M. Baird : Je pense encore ce que j'ai dit; vous pouvez parier là-dessus. Le pays a connu des débats importants au sujet de la responsabilité. Nous avons tenu des débats importants sur différentes autres choses pendant la campagne électorale. Il y a eu de nombreux débats à la Chambre des communes, et aucun député n'a voté contre le projet de loi. Je vous engage, sénateur, comme l'ensemble des sénateurs, à réfléchir soigneusement aux modifications que vous apporterez au projet de loi. Pour ma part, je vais m'engager à vous donner des nouvelles rapidement. Nous avons beaucoup de travail à faire au nom des Canadiens pour regagner la confiance du public. Aucun des scandales ne nous touche, vous ou moi, mais notre tâche commune consiste à mettre fin aux écarts de conduite qui ont eu lieu au sein du gouvernement pendant de nombreuses années. Il est temps d'arrêter de pointer du doigt et de pointer vers l'avenir. Je vais étudier toute modification réfléchie qui me sera présentée.
Le président : ... y compris toute observation?
M. Baird : Oui, les observations aussi. Je souhaite que les sénateurs s'engagent de la même façon, pour que nous puissions régler cette question rapidement et faire entrer la loi en vigueur. Nous ferons des heures supplémentaires, s'il le faut. Le débat s'est prolongé, et je veux le voir se terminer. Je veux voir le projet de loi avancer.
Notre gouvernement a été élu entre autres pour avoir fait de ce projet de loi une priorité. Le Parlement, la Chambre des communes se sont exprimés clairement par leurs actions et leurs paroles. Nous voulons que ce projet de loi soit adopté.
Si le Sénat souhaite apporter des modifications au projet de loi, nous sommes prêts à réfléchir à ces modifications; mais nous y réfléchirons rapidement et nous vous donnerons des nouvelles rapidement. Parallèlement, nous nous attendons au même engagement de votre part — pour que nous puissions adopter le projet de loi et qu'il reçoive la sanction royale, de façon à être mis en oeuvre.
C'est extrêmement important. Je pense que les Canadiens le savent. Si le Parlement n'accomplit rien d'autre que de régler comme il faut la question de la responsabilité, nous aurons accompli quelque chose d'important pour les Canadiens.
Le sénateur Day : Nous comprenons tout à fait l'urgence qui entoure l'adoption du projet de loi. Comme je vous l'ai déjà dit, nous nous sommes réunis en dehors de notre horaire normal de nombreuses fois pour faire avancer le dossier, de façon à ce que vous puissiez respecter votre programme. Cependant, tant que notre Constitution prévoit qu'une chambre procède à un second examen objectif, nous continuerons de faire le travail qu'on exige de nous; et ce travail consiste à examiner la loi en détail, et à la corriger et à y apporter des modifications là où nous pensons que nous pouvons le faire, compte tenu du mandat que nous avons. C'est ce que nous ferons.
M. Baird : Le processus parlementaire prévoit beaucoup de temps pour les débats. Il prévoit aussi beaucoup de temps pour la mise aux voix et pour faire figurer ces décisions au compte rendu. Cela fait partie du processus.
Vendredi soir, j'ai assisté au lancement d'un livre de sir Martin Gilbert, le biographe officiel de Churchill. Le titre du livre est The Will of the People : Churchill and Parliamentary Democracy. Si vous voulez mon avis, la volonté des gens, ce qu'ils veulent, c'est la responsabilité; ils veulent voir ces changements; et ils veulent que nous travaillions ensemble à régler ces problèmes.
Je pense que la volonté des gens a été exprimée dans les résultats de l'élection générale, et dans l'appui unanime dont a joui le projet de loi à la Chambre des communes.
Le sénateur Day : Tout au long du débat, j'ai eu l'impression que nous enseignions à certaines personnes à la Chambre des communes l'utilité réelle du bicaméralisme. C'est ce que nous faisons ici. Nous nous assurons qu'il y a le moins possible de conséquences imprévues et de répercussions négatives sur la société.
M. Baird : Le vote, monsieur, fait aussi partie du processus parlementaire — dans un sens comme dans l'autre.
Le sénateur Stratton : Pour le compte rendu, monsieur le ministre et monsieur le sénateur Day, parce qu'il n'aime pas que j'intervienne à la fin, nous avons tenu 122 jours d'audience. Nous avons entendu 154 témoins, comparativement à 66 à la Chambre des communes. Je crois que nous avons bien fait notre travail.
Le président : Monsieur le ministre, au nom du comité, je souhaite vous remercier, ainsi que votre personnel, d'être venus. Je sais que vous êtes resté 26 minutes de plus que prévu, et je vous remercie d'avoir eu l'amabilité de le faire. Votre témoignage a été profond, convaincant et intéressant. Vous nous avez ramené aux objectifs réels de la loi sur la responsabilité, et c'est ce qui compte le plus pour moi.
Nous allons reprendre les audiences demain à 14 h 30, le comité directeur ayant donné son accord : nous pourrons commencer l'examen article par article du projet de loi C-2.
La séance est levée.