Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 18 - Témoignages du 6 décembre 2006 - Séance de l'après-midi
OTTAWA, le mercredi 6 décembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit ce jour à 17 heures pour étudier le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi électorale du Canada.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, cette séance du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles est ouverte. Il s'agit de notre première séance au sujet du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi électorale du Canada, dont l'objectif est assez simple : instaurer un régime d'élections à date fixe au palier fédéral. Le projet de loi dispose que, sous réserve d'une dissolution antérieure du Parlement, des élections générales doivent se tenir le troisième lundi d'octobre de la quatrième année civile suivant le jour des dernières élections générales, ce qui signifie que les premières élections générales après l'entrée en vigueur du projet de loi se tiendraient le lundi 19 octobre 2009.
Pour entreprendre notre étude de ce projet de loi, nous avons le plaisir d'accueillir l'honorable Robert Douglas Nicholson, leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre de la réforme démocratique. M. Nicholson représente la circonscription de Niagara Falls en Ontario. Il est accompagné de Dan McDougall, directeur des opérations, Législation et planification parlementaire, et de Douglas Wolfe, conseiller principal en politiques, Législation et planification parlementaire, tous les deux du Bureau du Conseil privé, et de Warren J. Newman, avocat général, Section du droit constitutionnel et administratif, du ministère de la Justice.
Monsieur le ministre, nous vous remercions beaucoup d'avoir accepté de venir devant notre comité à si court préavis.
Vous avez la parole.
L'honorable Robert Nicholson, C.P., député, leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre de la réforme démocratique : Je suis très heureux d'être avec vous pour commencer cette étude du projet de loi C-16 prévoyant des élections à date fixe.
L'établissement de dates fixes pour les élections générales était un engagement électoral du gouvernement. Je suis heureux de souligner que le projet de loi C-16 a été adopté par les députés sans modification et avec l'appui de tous les partis après un débat exhaustif en Chambre et un examen attentif au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
Pour commencer, je voudrais décrire le processus actuel de déclenchement des élections générales et souligner certaines des difficultés qui en découlent. Je présenterai ensuite certains des éléments du projet de loi et les raisons pour lesquelles j'estime qu'il sera bénéfique et j'expliquerai pourquoi le gouvernement a choisi de formuler le projet tel qu'il vous est soumis et pourquoi la méthode que nous avons retenue était nécessaire et sera efficace. Finalement, je serai à votre disposition pour répondre à vos questions.
Comme vous le savez, dans le régime actuel, le premier ministre dont le gouvernement n'a pas perdu la confiance de la Chambre des communes a la prérogative de choisir le moment qu'il juge le plus adéquat pour déclencher des élections afin de renouveler le mandat de son gouvernement. Dans ce cas, il demande la dissolution de la Chambre des communes au gouverneur général et celui-ci proclame la date des élections s'il est d'accord. Autrement dit, le premier ministre peut choisir la date des élections générales pas nécessairement en fonction de l'intérêt supérieur du pays mais en fonction de l'intérêt de son parti. Le projet de loi C-16 permettra de résoudre ce problème tout en offrant, à mon avis, plusieurs autres avantages.
Comme l'indiquait le programme électoral du gouvernement, ce projet de loi s'inspire de divers régimes provinciaux d'élections à date fixe. Il est similaire aux régimes établis en Colombie-Britannique, en Ontario et à Terre-Neuve-et- Labrador. La Colombie-Britannique a tenu ses premières élections à date fixe le 17 mai 2005 et l'Ontario et Terre- Neuve-et-Labrador feront bientôt de même, respectivement les 4 et 9 octobre 2007.
Durant les audiences du comité de la Chambre, le directeur général adjoint des élections de la Colombie-Britannique est venu expliquer combien la loi provinciale est efficace, en ajoutant que les contribuables de la province ont réalisé d'importantes économies lors des dernières élections.
Le projet de loi du gouvernement dispose que les prochaines élections générales se tiendront le lundi 19 octobre 2009. Évidemment, cette date ne vaut que si le gouvernement conserve jusqu'alors la confiance de la Chambre. Le projet de loi ne touche en rien le pouvoir du gouverneur général de déclencher des élections plus tôt si le gouvernement perd la confiance de la Chambre.
Par exemple, si le gouvernement était défait demain, les élections générales se tiendraient selon la pratique habituelle. Toutefois, les élections suivantes se tiendraient alors le troisième lundi d'octobre de la quatrième année civile suivant ces élections. Tel est le système qui s'établirait avec ce projet de loi. Les élections générales se tiendraient le troisième lundi d'octobre de la quatrième année civile suivant les dernières élections générales.
Nous avons choisi le troisième lundi d'octobre parce que c'est la date la plus susceptible de maximiser le taux de participation et la moins susceptible d'entrer en conflit avec un congé culturel ou religieux ou avec des élections à un autre palier. Cela m'amène d'ailleurs à attirer votre attention sur une autre caractéristique du projet de loi : une autre date est prévue en cas de conflit avec un congé religieux ou culturel important ou avec une élection à un autre palier.
Dans le système actuel, la date des élections générales est choisie par le gouvernement et il se pourrait qu'elle entre en conflit avec un congé culturel ou religieux important.
Avec l'établissement d'une date fixe, il se pourrait aussi que cette date entre en conflit avec un congé culturel ou religieux important.
Dans la loi ontarienne sur les élections à date fixe, le directeur général des élections peut recommander au lieutenant- gouverneur en conseil de fixer une autre date pouvant aller jusqu'à sept jours après la date fixe en cas de conflit et avec un congé culturel ou religieux important.
Notre projet de loi, qui comprend une variante de la loi ontarienne, accorde au directeur général des élections le pouvoir de recommander au gouverneur en conseil une autre date de scrutin si la date fixe ne convient pas. Cette autre date serait le mardi ou le lundi suivant la date fixe prévue. Cette disposition correspondrait à la pratique actuelle consistant à tenir le scrutin un lundi ou un mardi.
En ce qui concerne les avantages du projet de loi, ils sont nombreux. Si les élections se tiennent à date fixe, chacun connaîtra la date à l'avance, ce qui sera plus équitable. Tous les partis politiques seront placés sur un pied d'égalité puisque le parti de gouvernement n'aura plus l'avantage de déterminer quand se tiendront les prochaines élections en étant seul à le savoir, parfois plusieurs mois à l'avance.
En outre, cette mesure rendra le processus plus transparent puisque la décision concernant la tenue des prochaines élections ne sera plus prise en secret. La date des élections générales sera connue de tout le monde.
Les élections à date fixe permettront également d'améliorer la gouvernance. Par exemple, elles permettront de mieux planifier l'activité parlementaire. Les comités parlementaires seront à même de dresser leur programme de travail bien à l'avance, ce qui rendra le travail des comités et du Parlement plus efficace.
Une autre raison d'adopter des élections à date fixe est que cela rehaussera le taux de participation électorale puisque les élections se tiendront en octobre, sauf si le gouvernement perd la confiance de la Chambre. Le climat est généralement favorable dans la plupart des régions du pays et il y a moins de gens qui se trouvent en transition. Par exemple, la plupart des étudiants ne sont alors plus en transition entre le domicile familial et l'université, ce qui leur permettra de voter. Les personnes âgées seront également plus susceptibles d'aller voter alors qu'elles pourraient en être dissuadées en hiver.
Honorables sénateurs, j'aimerais dire quelques mots d'une question soulevée par le sénateur Joyal le mardi 21 novembre lors du débat sur le projet de loi C-16. À cette occasion, le sénateur Joyal a dit qu'il faudrait modifier l'article 50 de la Constitution et l'article 4 de la Charte canadienne des droits et libertés si le projet de loi était adopté. En effet, a-t-il dit, « les modifications [...] réduiraient la durée maximale d'une législature à quatre ans [alors que] l'article 50 de la Constitution et l'article 4 de la Charte canadienne des droits et libertés disent tous deux que le mandat maximal de la Chambre des communes est de cinq ans ».
Je tiens à assurer les honorables sénateurs que le projet de loi C-16 ne porte aucunement atteinte à l'article 50 de la Constitution ou à l'article 4 de la Charte canadienne des droits et libertés. En effet, ces deux articles contiennent des dispositions dont la portée, le but et l'effet sont similaires en ce qui concerne la Chambre des communes. L'article 50 dispose que la durée d'une législature ne peut pas être supérieure à cinq ans mais il préserve explicitement le pouvoir du gouverneur général de dissoudre les Chambres plus tôt. Quant à l'article 4, il prévoit une durée maximum de cinq ans pour les législatures de la Chambre des communes et des assemblées provinciales. Donc, ces deux dispositions signifient que, sauf en cas d'urgence, le mandat de la Chambre des communes ne peut pas durer plus de cinq ans. Leur objectif évident est de garantir que des élections se tiennent au moins une fois tous les cinq ans.
L'objectif de ces dispositions et le maximum constitutionnel sont respectés dans le projet de loi C-16. Aucune de ses dispositions ne porte atteinte ou ne contrevient à la limite de cinq ans. Bien au contraire, le projet de loi respecte la limite constitutionnelle en prévoyant des élections au moins une fois tous les quatre ans.
Rien dans la Constitution n'oblige la Chambre des communes à siéger au moins cinq ans. Comme l'affirme le constitutionnaliste Peter Hogg dans son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, la période de cinq ans est un mandat maximum, pas un mandat fixe.
De fait, l'article 50 dispose clairement que le gouverneur général conserve le pouvoir de dissoudre la Chambre à n'importe quel moment pendant son mandat maximum de cinq ans. La Constitution n'exige pas qu'une législature dure pendant la totalité des cinq ans et elle n'en crée aucunement l'attente.
Le projet de loi C-16, en vertu duquel les élections se tiendront tous les quatre ans, ne contrevient à aucune exigence ni attente constitutionnelle d'un mandat plus long. Il préserve explicitement les pouvoirs du gouverneur général. Il indique clairement qu'aucune de ses dispositions n'a le moindre effet sur ces pouvoirs, notamment celui de dissoudre le Parlement à sa convenance.
Les pouvoirs du gouverneur général restent tels qu'ils sont prévus dans la Constitution : dissoudre le Parlement à n'importe quel moment pendant la limite constitutionnelle de cinq ans. Toutefois, en prévoyant que les élections se tiendront tous les quatre ans en octobre, il établit l'attente législative que les autorités politiques et administratives se comporteront en conséquence — agiront en respectant les règles et conventions d'un gouvernement parlementaire et responsable.
Le but du projet de loi est de faire en sorte que, dans toute la mesure du possible dans le cadre de notre régime constitutionnel, la date des élections soit connue à l'avance de façon à rehausser l'équité, la transparence, la prévisibilité, l'efficience et la planification.
En résumé, le projet de loi C-16 est conforme à l'objectif et aux dispositions de l'article 50 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l'article 4 de la Charte. Il ne concerne en rien la durée maximum d'une législature. Il ne va pas à l'encontre de ce maximum.
En prévoyant que, sous réserve des pouvoirs du gouverneur général, les élections se tiendront à intervalles de quatre ans à l'intérieur de cette période maximale, le projet de loi crée une attente raisonnable d'élections à date régulière et certaine. Cela respecte les dispositions de la Constitution tout en rehaussant la qualité de notre démocratie parlementaire. Nous sommes déterminés à apporter ce changement modeste mais important pour améliorer nos institutions et pratiques démocratiques.
En conclusion, j'ajoute que la troisième semaine d'octobre est la semaine de la citoyenneté au Canada, durant laquelle nous célébrons ce que signifie le fait d'être citoyen du Canada. Il est donc particulièrement approprié de tenir les élections le troisième lundi d'octobre puisque celles-ci sont l'expression la plus haute et la plus fondamentale de notre citoyenneté.
Des élections à date fixe garantiront plus d'équité et de transparence, permettront de mieux planifier les travaux parlementaires et rehausserons le taux de participation aux élections. Ipsos-Reid a publié les résultats d'un sondage indiquant que 78 p. 100 des Canadiens appuient le projet du gouvernement de tenir des élections à date fixe.
En outre, je souligne à nouveau que la Chambre des communes a adopté ce projet de loi — un engagement électoral du gouvernement — sans un seul amendement et avec l'appui de tous les partis. J'espère que les sénateurs réagiront aussi de manière favorable à ce projet important en lui accordant leur appui.
Le président : Merci de cet aperçu.
J'ai une question très simple à vous poser. Au Canada, nous célébrons l'Action de grâces en octobre. Pouvez-vous me dire quelle est la date fixe du congé de l'Action de grâces et si ce projet de loi entrera en conflit avec cette célébration?
M. Nicholson : Je ne le pense pas. L'un des avantages de la date que nous avons choisie est que l'Action de grâces, comme vous le savez, est célébrée le deuxième lundi d'octobre alors que nos élections se tiendraient le troisième lundi. Dans la mesure où il y aura un vote par anticipation la semaine précédente, il me semble que les personnes qui pourraient ne pas pouvoir voter le troisième lundi d'octobre pourront le faire la semaine précédente. En outre, comme l'Action de grâces est généralement une période durant laquelle les familles se réunissent, cela rehaussera d'autant la participation électorale. Pour ces raisons, je crois que le troisième lundi est une bonne date.
Le sénateur Milne : Bienvenue devant le comité, monsieur le ministre. Je m'excuse d'avoir fait tarder le début de la séance en arrivant en retard.
Vous avez dit qu'en cas de conflit avec un congé religieux ou culturel important, le directeur général des élections pourra recommander de tenir le scrutin un autre jour pendant les sept jours suivant la date fixe prévue. Je crains que cette période de sept jours ne soit pas suffisante car il y a au Canada des fêtes et célébrations religieuses dont la date change chaque année. Je songe en particulier au ramadan, qui est célébré à des dates différentes chaque année.
M. Nicholson : Nous avons tenté de trouver un équilibre raisonnable. Évidemment, quelle que soit la date choisie, on ne pourra jamais exclure complètement la possibilité de conflit avec un groupe, une religion ou un festival culturel. Nous ne pourrons jamais le garantir.
Cela dit, quand j'en ai discuté avec mes collaborateurs du ministère, la première chose que je leur ai demandée a été de choisir la date le moins susceptible d'entrer en conflit avec une fête religieuse ou culturelle tout en préservant notre souci de trouver une date convenable dans une société séculière, eu égard aux périodes de transition des étudiants, à nos caractéristiques climatiques et à certains des congés établis. Nous avons prévu une certaine souplesse dans la mesure où, s'il y a un problème avec le lundi choisi, le directeur général des élections pourra recommander de reporter le scrutin au mardi. S'il y a un problème avec la semaine au complet, il pourra recommander de passer au lundi suivant. Certes, nous aurions pu lui donner la latitude de reporter le scrutin d'un mois ou de deux mois mais, comme nous voulions faciliter la planification pour la nation et comme nous savons que l'Action de grâces se tient la semaine précédente, nous avons pensé que le troisième lundi serait convenable, avec une certaine marge. Cela correspond également à la législation provinciale.
Le sénateur Milne : Comme vous le savez, monsieur le ministre, d'aucuns disent que ce projet de loi enfreint le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui dispose que les provinces du Canada, qui étaient trois colonies à l'époque, dont la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, ont décidé de s'unir « avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ». Comme il existe au Royaume-Uni une convention de confiance parlementaire, c'est aussi un aspect fondamental de notre Constitution et cela me préoccupe un peu.
M. Nicholson : Il y a beaucoup de choses dans le préambule. On y dit notamment que cette union aura pour effet de développer la prospérité des provinces et de favoriser les intérêts de l'empire britannique. J'en suis conscient et je ne pense pas que notre projet s'écarte des principes fondamentaux de la démocratie parlementaire britannique ou porte atteinte de quelque manière que ce soit à l'esprit de la Constitution. Je ne vois pas, sénateur, comment on pourrait tirer cette conclusion. Il est parfaitement acceptable que nous puissions fixer les dates de nos élections. M. Newman a peut- être quelque chose à ajouter.
Warren J. Newman, avocat-conseil, Section du droit constitutionnel et administratif, ministère de la Justice Canada : Le préambule, qui mentionne une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni, reflète les principes de gouvernement parlementaire et responsable. Bien que le préambule n'ait pas force de loi, on peut l'utiliser pour interpréter les dispositions de la Constitution. Je pense que le ministre a raison de dire qu'il n'y a dans ce projet de loi rien qui porte atteinte au principe de gouvernement parlementaire. Pour ce qui est de votre remarque concernant la règle de la confiance, elle reste totalement intacte car elle est explicitement préservée, dans la mesure où une loi peut préserver une convention constitutionnelle, qui est une règle non écrite. Elle est préservée dans la première disposition, le paragraphe 56.1(1), qui dispose que : « Le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du gouverneur général, notamment celui de dissoudre le Parlement lorsqu'il le juge opportun ». Si le gouvernement n'a plus la confiance de la Chambre, les partis d'opposition auront toujours le loisir de déposer une motion de censure, ce qui est envisagé dans le projet de loi.
Le sénateur Milne : Si tel est le cas, comment se fait-il que la Commission Lortie, quand elle s'est penchée sur cette question en 1992, a dit que le type de système envisagé par le projet de loi C-16 ne fonctionnerait pas car le gouvernement aurait toujours le loisir d'orchestrer sa propre défaite? Elle pensait qu'il y aurait plusieurs problèmes importants avec un système d'élections à date fixe. Comment cette préoccupation est-elle prise en compte dans le projet de loi?
M. Nicholson : Je ne sais pas vraiment. Si un gouvernement voulait orchestrer sa propre défaite, ce serait quand même une décision de la Chambre. Autrement dit, il s'agirait d'un cas où le gouvernement, pour une raison quelconque, aurait perdu la confiance de la Chambre. Il faudrait qu'il y ait une motion de censure des partis d'opposition. Je n'envisage pas cela.
Le sénateur Milne : Certes, mais vous et moi savons que ça peut être orchestré.
M. Nicholson : Je suppose que n'importe quel gouvernement, lorsqu'il dépose un projet de loi dans l'espoir qu'il sera adopté par la Chambre des communes, le fait en croyant que c'est dans l'intérêt du pays, et cela restera certainement le principe fondamental. Si les partis d'opposition décidaient de renverser le gouvernement, la convention de confiance parlementaire préservée par ce projet de loi entrerait en jeu et, je le répète, cela nous ramènerait au pouvoir du gouverneur général.
Le sénateur Milne : Je laisse la parole à quelqu'un d'autre.
Le sénateur Cowan : Bienvenue, monsieur le ministre. Quand ce projet de loi a été déposé au Sénat, j'ai exprimé mon appui tout en signalant quelques préoccupations que je veux maintenant porter à votre attention en vous demandant votre avis.
Premièrement, je voudrais rester sur le sujet soulevé par ma collègue le sénateur Milne, c'est-à-dire cette possibilité qu'un gouvernement orchestre sa défaite pour déclencher les élections. Si je comprends bien, le comité spécial mixte qui s'était penché sur la question en 1972 avait dit qu'il faudrait essayer de définir la notion de « manque de confiance » dans tout projet de loi concernant des élections à date fixe. Avez-vous envisagé de le faire dans ce projet de loi? Sinon, pourquoi? Avant de vous laisser répondre, je pourrais peut-être mentionner tout de suite mes autres préoccupations.
Je n'ai aucun mal à conclure que le projet serait un facteur de prévisibilité, de transparence et d'ouverture dans une situation de gouvernement majoritaire mais, pour le moment, nous semblons être entrés dans une ère de gouvernements minoritaires.
M. Nicholson : J'espère que ça ne durera pas, sénateur.
Le sénateur Cowan : Moi aussi, mais peut-être pour des raisons différentes. Il est plus facile pour moi de voir comment le projet de loi pourrait fonctionner sur le plan de cette prévisibilité et de promouvoir la prévisibilité dans un contexte de majorité plutôt que de minorité. Vous êtes probablement d'accord avec moi.
M. Nicholson : Oui.
Le sénateur Cowan : Voici ma deuxième remarque. Avec des élections à date fixe, ne serons-nous pas condamnés à être constamment sur le pied de guerre électoral? C'est ce que constatent nos amis américains, du moins à la Chambre des représentants, où j'ai l'impression qu'on est continuellement en campagne pour se faire réélire ou pour recueillir de l'argent afin de se faire réélire.
Troisièmement, avez-vous des données concrètes indiquant que l'un des avantages de ce système sera une hausse du taux de participation et une augmentation des candidatures des groupes minoritaires? Si je ne me trompe, il n'y a pas eu plus de candidates en Colombie-Britannique après l'entrée en vigueur d'élections à date fixe. C'est un objectif que partagent tous les partis mais, jusqu'à présent, aucun n'a trouvé la bonne formule. Votre proposition sera peut-être utile à cet égard mais je n'ai encore rien vu qui permette de tirer cette conclusion. Je voudrais connaître votre position sur ces trois points.
M. Nicholson : Si vous me le permettez, sénateur, je vais y répondre dans l'ordre inverse. Vous demandez quelles sont les chances d'accroissement de la participation électorale et d'augmentation des candidatures de certains groupes, notamment minoritaires.
Le régime actuel, dans lequel une législature pourrait durer jusqu'à cinq ans, a un effet dissuasif sur certaines personnes. Bien des gens ont d'autres facteurs à prendre en considération, concernant leur vie familiale et leur emploi, ce qui peut leur causer des difficultés avec des élections à date variable. Il y a bien des années, dans la circonscription de St. Catharines, un homme s'était présenté pour être candidat et avait obtenu l'investiture de son parti mais l'élection de 1974 a donné un gouvernement qui a duré cinq ans. La législature a duré cinq ans. Cet homme a renoncé en 1978. Il m'a dit : « Je dois continuer ma vie. Je ne peux pas mettre ma vie en suspens indéfiniment. » De ce fait, il a refusé d'être candidat pour mon parti de l'époque.
Si quelqu'un veut entrer dans la vie publique, notre projet rendra la chose un peu plus prévisible et il me semble que ce sera positif à longue échéance.
Pour ce qui est de la hausse du taux de participation, il est intéressant de constater que, malgré toutes les prévisions contraires, c'est en janvier de cette année que nous avons connu l'un des taux de participation les plus élevés de ces dernières années. C'était pour des raisons particulières mais, globalement, pour les gens qui prévoient un voyage et pour les étudiants, notre projet sera avantageux.
En ce qui concerne votre deuxième question, elle portait sur le pied de guerre électoral permanent. Je ne pense pas que ce soit ce qui s'est passé en Colombie-Britannique. Vous avez parlé du système américain mais il faut dire que ce sont les primaires qui prolongent les campagnes aux États-Unis. Je dois dire qu'il y a certains avantages. Par exemple, comme le directeur général des éditions doit organiser les bureaux de scrutin, cela lui est très difficile quand il doit continuellement essayer de deviner à quelle date nous irons voter.
Tout le monde saura à quoi s'en tenir. Ces dernières années, il y a eu deux élections au bout de trois ans et demi. Moi-même, j'ai fait partie d'un gouvernement qui a duré quelques semaines de moins seulement que la période complète de cinq ans, en 1993. Dans ce cas, nous avions été sur le pied de guerre électoral pendant près de deux ans et cette question ne m'inquiète donc pas particulièrement.
Finalement, votre première question portait sur la convention de la confiance. Si nous tentions de la définir précisément, nous serions exposés à son interprétation par les tribunaux. Je n'ai aucun problème avec le fait que les tribunaux interprètent les lois mais il me semble que la convention de la confiance parlementaire est en soi quelque chose qu'il serait très difficile de définir précisément. Je crois que personne ne souhaite se retrouver à ce sujet dans un débat risquant d'être porté devant les tribunaux pour savoir si la convention s'applique ou non dans telle ou telle circonstance. Nous avons réfléchi au problème et avons conclu qu'il est préférable de s'en tenir au système actuel à ce sujet.
Le sénateur Cowan : Je comprends que vous n'ayez pas voulu la définir et j'accepte tous les arguments que vous présentez au sujet du caractère prévisible qu'offre votre projet de loi, mais dans un contexte de gouvernement majoritaire. Comme vous, je parle aux gens et je sais qu'il y a eu dans ma propre province des gens qui ont retiré leur candidature parce qu'ils ne pouvaient plus attendre et ne voulaient pas continuer de mettre leur vie en suspens. Toutefois, dans le contexte politique actuel, je ne vois pas comment votre projet pourra les rasséréner.
M. Nicholson : Vous avez raison, dans une situation de gouvernement minoritaire, tous les partis politiques et candidats sont constamment sur le pied de guerre électoral. Comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, si nous sommes défaits la semaine prochaine au sujet du projet de loi de mise en œuvre de notre budget, tout le monde sait qu'il s'agira là d'une question de confiance et que nous pourrions donc encore une fois, comme l'an dernier, nous retrouver en campagne électorale à Noël. Il n'y a rien que nous puissions faire à ce sujet, ni rien que nous devions faire. Comme l'a dit plus tôt le sénateur, nous avons une Constitution qui repose sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni, et celui-là en est un. Le gouvernement se doit d'avoir la confiance de la Chambre.
Le sénateur Zimmer : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre, à vous et à vos collaborateurs. Mes questions porteront sur le vote de confiance et l'interprétation d'un vote négatif. Si je comprends bien, il est prévu dans le projet de loi qu'une élection pourrait se tenir avant la fin d'une période de quatre ans si le gouvernement n'avait plus l'appui d'une majorité à la Chambre des communes. Cette situation ne pourrait-elle être déterminée que par un vote de confiance ou a-t-on prévu dans le projet de loi un autre moyen d'interpréter la perte de confiance?
M. Nicholson : Cela pourrait se faire de plusieurs manières, sénateur. Durant ce que nous appelons les journées de l'opposition, il se pourrait qu'une motion soit présentée pour dire explicitement que le gouvernement a perdu la confiance de la Chambre. En outre, dans l'exemple que j'ai mentionné du projet de loi de mise en œuvre du budget, que nous avons l'intention de soumettre au vote vendredi de cette semaine, il se pourrait que ce projet de loi soit rejeté par la Chambre, ce qui serait l'indication claire que le gouvernement a perdu sa confiance et qu'une élection doit être déclenchée.
Le sénateur Zimmer : Passons à une autre question d'interprétation ou de définition. Certains adversaires des élections à date fixe affirment qu'il y a foncièrement une contradiction entre la stabilité et la responsabilité gouvernementales. Qu'en pensez-vous?
M. Nicholson : Des élections à date fixe assureraient une certaine stabilité et une prévisibilité avec un gouvernement majoritaire. Selon le sénateur Cowan, cela ne serait pas le cas dans une situation minoritaire. Sur le plan de la responsabilité, le projet constitue une amélioration dans la mesure où il offre aux Canadiens la prévisibilité et la certitude des prochaines élections. À mon avis, c'est le pouvoir énorme que détient le premier ministre en ayant la possibilité de recommander à n'importe quel moment au gouverneur général de déclencher des élections qu'il convient de circonscrire. Notre proposition rend la chose plus démocratique au sens où les autres pourront planifier et participer à la vie publique. J'estime que c'est une amélioration par rapport au système actuel et je suis sûr que c'est pour cette raison que la Colombie-Britannique, l'Ontario et Terre-Neuve ont adopté des élections à date fixe.
Le sénateur Zimmer : Au sujet du vote de confiance, étant donné que ce projet de loi n'aurait aucun effet sur les pouvoirs du gouverneur général, dont celui de dissoudre le Parlement à sa convenance, se pourrait-il, en vertu de ce projet de loi, qu'une élection soit déclenchée avant la fin de la période de quatre ans même si le gouvernement n'était pas battu sur un vote de confiance?
M. Nicholson : Tout premier ministre qui tenterait d'agir ainsi le ferait à son péril. Après avoir dit aux Canadiens quelle serait la date, c'est-à-dire, dans le cas présent, le troisième lundi, et après l'avoir inscrit dans un texte de loi, le premier ministre qui déclencherait des élections sans raison et sans avoir perdu la confiance de la Chambre serait dans une situation constitutionnelle très difficile qui justifierait une profonde réflexion de la part du gouverneur général. En outre, même si cette difficulté était surmontée, je suis sûr que la population canadienne aurait son mot à dire. Nous parlons ici d'une limitation réelle des pouvoirs du premier ministre, et d'une bonne limitation.
Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, j'ai deux questions à vous poser. La première concerne l'interprétation de l'article 50 de la Constitution. Vous y avez fait allusion dans vos remarques liminaires. Je crois comprendre que le projet de loi C-16 modifie l'article 50 en fixant une limite légale de quatre ans au lieu de cinq à la durée d'une législature. Ai-je tort ou raison?
M. Nicholson : Sénateur, me demandez-vous si le projet de loi limite à quatre ans la durée d'une législature?
Le sénateur Joyal : L'article 50 dispose que :
La durée de la Chambre des Communes ne sera que de cinq ans à compter du jour du rapport des brefs d'élection [...]
M. Nicholson : Nous savons que cela a rarement été le cas depuis 1867. Il s'agit là d'un maximum et la plupart des élections ont été déclenchés avant la fin de la période de cinq ans.
Le sénateur Joyal : J'entends bien. La pratique énoncée par l'article 50 est essentiellement de cinq ans. Comme vous le dites, certaines législatures ont duré deux ans, d'autres trois, d'autres quatre et demi, d'autres trois et demi, et cetera. Toutefois, l'effet essentiel du projet de loi C-16 sera qu'aucune législature ne durera plus de quatre ans.
M. Nicholson : En effet.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, son effet sera de modifier l'article 50.
M. Nicholson : Je n'en suis pas sûr, sénateur. Il me semble que le sens de l'article 50 de la Constitution est qu'aucune législature ne peut durer plus de cinq ans. Je crois qu'un autre Parlement, à l'avenir, pourrait modifier la loi pour fixer une limite de trois ans ou de quatre ans et demi, voire une limite fixe de cinq ans. Le sens de l'article 50 est qu'il fixe une limite maximale à la durée d'une législature, limite qui ne peut pas être dépassée sauf dans des circonstances exceptionnelles comme un risque de guerre. Cette exception existe. Donc, cet article établit un maximum mais un Parlement futur pourrait fort bien décider de fixer une limite de quatre ans et demi ou de trois ans, comme cela se fait parfois au palier municipal. Quant à nous, nous la fixons à quatre ans et cela respecte le maximum de cinq ans énoncé à l'article 50.
Le sénateur Joyal : Je comprends.
Dan McDougall, directeur des opérations, Législation et planification parlementaire, Bureau du Conseil privé : Dans un sens, cette question est reliée à une question précédente concernant la responsabilité gouvernementale. Comme l'a dit le ministre dans ses remarques liminaires, le projet de loi crée l'attente raisonnable que le premier ministre se comportera d'une certaine manière. Comme on l'a dit, le premier ministre devra rendre des comptes à la population s'il choisit d'orchestrer sa propre défaite ou d'aller à l'encontre de la volonté exprimée par le Parlement d'avoir des élections à date fixe. Cela nous ramène donc à la question fondamentale de la responsabilité gouvernementale plutôt qu'à une question d'ordre constitutionnel reliée à l'application de l'article 50.
Le sénateur Joyal : C'est la prérogative du premier ministre et c'est la deuxième question que je souhaite aborder quand j'en aurai fini avec l'article 50. Le résultat net du projet de loi C-16 sera de limiter la durée d'une législature à quatre ans alors qu'il est prévu dans la Constitution qu'une législature peut durer jusqu'à cinq ans. Voilà la vraie limite. Le projet de loi élimine les 12 mois supplémentaires que l'on pourrait avoir après quatre ans. Tel est le résultat net du projet de loi en ce qui concerne l'article 50 : il en modifie le sens.
Mr. Newman : Respectueusement, je ne partage pas votre opinion, sénateur. Je comprends parfaitement votre interprétation de l'article 50, qui dispose que chaque législature durera cinq ans mais, si le gouvernement avait voulu modifier l'article 50, il aurait eu la possibilité de le faire au moyen de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Parlement du Canada peut modifier la Constitution du Canada en ce qui concerne le Sénat et la Chambre des communes dans des domaines comme celui-ci, à condition de ne pas proposer de fixer la limite à six ans et de rester dans le cadre du maximum constitutionnel.
Telle n'est pas son intention. Il n'est dit nulle part dans le projet de loi C-16 que chaque législature doit durer quatre ans. Autrement dit, le gouvernement n'a pas tenté de modifier l'article 50 car il n'a pas jugé nécessaire de revenir sur la Loi constitutionnelle de 1867 pour atteindre l'objectif visé par le projet de loi. En fait, celui-ci ne porte aucunement sur la durée d'une législature. Tout ce qu'il fait, comme l'a dit le ministre, c'est qu'il crée l'attente que les acteurs politiques et les agents administratifs se comporteront conformément à une règle voulant que des élections se tiennent tous les quatre ans, ce qui correspond à l'évidence à la convention constitutionnelle.
C'est tout ce qu'on peut faire avec l'article 50 sans le modifier et le gouvernement n'en propose aucune modification. À mes yeux, le sens de l'article 50, si on l'examine dans la plénitude de son contexte, est très similaire à celui de l'article 4 de la Loi constitutionnelle de 1982, que vous avez également invoqué, c'est-à-dire que le but de l'article 50 et de l'article 4 est de veiller à ce que la législature ne dure pas plus de cinq ans. Voilà l'objectif visé. C'est une protection contre de longues législatures. Cet objectif est respecté par un projet de loi disant qu'il y aura des élections tous les quatre ans. Quand on lit l'article 50 dans sa totalité — « La durée de la Chambre des Communes ne sera que de cinq ans, à compter du jour du rapport des brefs d'élection, à moins qu'elle ne soit plus tôt dissoute par le gouverneur- général » — c'est ce que dit l'article 50. J'affirme que c'est également la manière dont cet article était interprété dans l'ancien paragraphe 91(1) que vous connaissez très bien. C'était l'ancien pouvoir de modifier la Constitution que le Parlement du Royaume-Uni avait donné au Parlement du Canada en 1949, selon lequel le Parlement détenait le pouvoir de modifier la Constitution de temps à autre sauf en ce qui concerne la règle qu'aucune législature ne durerait plus de cinq ans. C'est ainsi que l'article 50 était interprété.
Je pense que c'est de cette manière qu'il faut interpréter ce projet de loi, en tenant compte de la présomption de constitutionnalité. Le gouvernement n'avait pas l'intention de modifier l'article 50. Le projet de loi ne propose aucunement de modifier l'article 50 et il est certainement possible de l'interpréter comme étant conforme à l'article 50. C'est l'approche que défend le gouvernement.
Le sénateur Joyal : Je suis heureux de vous entendre citer l'interprétation judiciaire du renvoi du Sénat sur l'interprétation du paragraphe 91(1) car c'est essentiellement l'un des arguments clés que nous devons étudier au sujet du projet de loi S-4 en ce qui concerne l'interprétation de la portée de l'article 44 de la Constitution, comme vous le savez.
Mr. Newman : Oui.
Le sénateur Joyal : Nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir lors d'une autre séance.
Le résultat net du projet de loi C-16 est essentiellement de limiter législativement la durée d'une législature à quatre ans, alors qu'il est prévu dans la Constitution que ça pourrait être cinq ans. Il n'y a aucun doute là-dessus. On ne peut pas nier l'évidence quant à l'effet de ce projet de loi. Il limitera à partir de maintenant la possibilité pour le Parlement de survivre au-delà de quatre ans. À l'heure actuelle, il peut survivre quatre ans et deux mois, quatre ans et trois mois, ou quatre ans et neuf ou même 11 mois. Le résultat net du projet de loi est en fin de compte de supprimer la cinquième année de vie possible d'une législature.
Le président : Sénateur Joyal, vous avez posé ces questions au ministre et à l'avocat. Tous deux vous ont répondu. Je suppose que vous n'acceptez aucune des réponses qu'il vous ont données sur votre interprétation voulant que ce projet de loi, en fixant une limite de quatre ans, ne respecte pas la pleine limite de cinq ans actuellement autorisée par la Constitution. Vous n'acceptez pas ça.
Le sénateur Joyal : Non, je n'accepte pas ça. Je pense que le texte même de l'article 50 permet 12 mois supplémentaires qui ne seront plus possibles avec les modifications du projet de loi C-16. Voilà mon argument. Ce projet réduit de 12 mois la durée possible d'une législature. Tel est son effet concret.
Nous pouvons convenir que nous ne sommes pas d'accord sur votre interprétation de l'article 50 et j'affirme que, si le gouvernement veut changer cela, il pourrait le faire par le truchement de l'article 44 de la Constitution en ce qui concerne cette disposition précise de celle-ci, car il porte uniquement sur la Chambre des communes et n'affecte en rien les institutions du Parlement ou les caractéristiques essentielles du Parlement.
Cela dit, j'aimerais maintenant aborder l'autre question, la prérogative du pouvoir exécutif. Comme l'a dit fort justement le ministre, le résultat net de ce projet de loi est d'abolir la prérogative du premier ministre de demander la dissolution du Parlement n'importe quand avant la fin de la période de quatre ans, et non pas après quatre ans car il en sera maintenant empêché par le projet de loi. Autrement dit, il s'agit de limiter la prérogative du premier ministre de demander la dissolution au gouverneur général après trois ans et demi ou trois ans et neuf mois. Avec ce projet de loi, le gouverneur général serait placé dans une situation très difficile s'il recevait la visite d'un premier ministre lui demandant de dissoudre le Parlement après trois ans et neuf mois.
Autrement dit, pour que le premier ministre puisse aller demander la dissolution au gouverneur général, il faudrait qu'il y ait eu un vote de censure officiel au Parlement, si j'ai bien compris. Ai-je tort ou raison?
M. Nicholson : Je ne voulais pas donner l'impression qu'il ne pourrait y avoir qu'une période de quatre ans. En fait, si le Parlement était dissous parce qu'il s'agit d'un gouvernement minoritaire, cela laisserait quatre ans et six ou huit mois mais moins de cinq ans. Vous dites que la seule manière serait une motion de censure. Je pense avoir expliqué que, par exemple, si le gouvernement perdait la confiance de la Chambre des communes parce qu'il était battu sur le projet de loi de mise en œuvre du budget, cela ne serait pas une résolution de la Chambre des communes. Toutefois, conformément à la convention sur la confiance parlementaire, le premier ministre serait parfaitement dans son droit de demander au gouverneur général de dissoudre le Parlement.
Le sénateur Joyal : En ce qui concerne n'importe quelle autre question, si le gouvernement [...]
M. Nicholson : S'il y avait aucune raison, vous auriez raison. J'ai dit que si le premier ministre demandait la dissolution au gouverneur général au bout de trois ans et neuf mois, le gouverneur général serait placé dans une situation très difficile sur le plan constitutionnel. Si le premier ministre parvenait à surmonter cet obstacle, c'est la population canadienne qui serait appelée à porter un jugement car cela irait manifestement à l'encontre du projet de loi dont vous êtes saisis.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, si vous prétendez que la prérogative du gouverneur général n'est aucunement affectée par ce projet de loi, le gouverneur général pourrait renvoyer le premier ministre en lui disant de revenir avec un vote clair sur une motion de censure de la Chambre des communes?
M. Nicholson : Je ne saurais présumer de la décision du gouverneur général mais j'imagine que celui-ci, quel qu'il soit, tiendrait à s'assurer que le premier ministre a perdu la confiance de la Chambre. Que ce soit au moyen d'une résolution ou d'une défaite sur un projet de loi important, comme dans l'exemple que j'ai donné, le gouverneur général aurait parfaitement le droit de poser cette question.
Le sénateur Joyal : Je ne parle pas d'un projet de loi à caractère financier. Dans ce cas, en effet, il existe une convention qui est essentielle pour le principe de gouvernement responsable.
Comme l'a laissé entendre le sénateur Milne, elle est ancrée dans le préambule de la Constitution. C'est le principe fondamental d'un gouvernement responsable, et c'est aussi le caractère fondamental d'un Parlement de type Westminster, par opposition à un régime présidentiel. Nous le savons tous.
Voici ce que j'essaie de comprendre. Un premier ministre déclenchant une élection à cause d'une défaite non pas sur un projet de loi à caractère financier mais sur une autre question devrait demander à la Chambre un vote de confiance et il faudrait qu'il le perde pour pouvoir demander la dissolution au gouverneur général.
M. Nicholson : Il faudrait voir quelles sont toutes les circonstances. Je le répète, nous ne voulons toucher en rien à la convention sur la confiance. Nous l'avons dit très clairement.
Cette convention a évolué au cours des siècles. Si vous me demandez dans quelles circonstances le gouvernement perd la confiance de la Chambre, je vous réponds que cette convention n'est définie nulle part dans notre Constitution. Disons que c'est une chose qu'on sait quand on la voit. On la comprend quand elle est invoquée. Il n'y aura rien de changé à ce chapitre.
Le sénateur Di Nino : Je pense que le moment est bien choisi pour que l'opposition pose des questions sur ce thème.
Trois autres provinces ont adopté des lois dont ce projet s'inspire. Toutes l'ont fait pour la même raison : circonscrire le pouvoir du premier ministre d'agir dans son seul intérêt ou celui de son parti. Après ce processus, à ma connaissance, personne n'a contesté la légitimité, constitutionnelle ou autre, de leur décision. Je crois qu'il n'y a eu aucune contestation.
Savez-vous s'il y a eu des contestations et, dans l'affirmative, quel en a été le résultat?
M. Nicholson : Je n'ai connaissance d'aucune contestation des trois lois provinciales, pour des motifs constitutionnels ou autres. Je crois comprendre que ces lois ont été rédigées aussi attentivement que la nôtre et pourraient résister à n'importe quelle contestation d'ordre constitutionnel.
Le président : Puis-je demander à M. Newman de répondre à la même question?
M. Newman : Je n'ai connaissance d'aucune contestation et je crois sincèrement qu'aucune réserve n'est été exprimée quant à la constitutionnalité, à la légalité ou à la légitimité de ces lois provinciales.
Le sénateur Bryden : Merci de votre présence, monsieur le ministre.
Notre Parlement est différent des assemblées législatives provinciales. Dans les provinces, il n'y a qu'une seule Chambre alors qu'il y en a deux au palier fédéral. Les provinces n'ont qu'un seul organisme législatif alors que nous en avons deux. Il m'est plus facile de comprendre pourquoi un gouvernement provincial doit démissionner s'il n'a plus la confiance de son assemblée législative. Au palier fédéral, par contre, le Sénat, même s'il n'a pas à accorder sa confiance au gouvernement, peut avoir une incidence sur l'action gouvernementale. Par exemple, si un gouvernement fédéral élu depuis deux ans voyait l'occasion de proposer le libre-échange, par exemple — c'est l'exemple qui me vient en tête —, et qu'il faisait face à un Sénat récalcitrant — ce qui fut le cas à cette occasion —, le Sénat, même s'il n'a pas à exprimer sa confiance envers le gouvernement, détient tous les pouvoirs que détient la Chambre des communes, y compris celui de modifier ou de retarder un projet de loi, voire d'y opposer son veto. Dans le cas du débat sur le libre-échange, la solution choisie par le gouvernement fut de déclencher des élections pour demander à la population de régler le différend et il obtint gain de cause. Avec ce mandat, il put mettre en œuvre son projet de libre-échange.
Voici ma question : face à la même situation, comment le gouvernement pourrait-il dissoudre les Chambres et déclencher des élections après l'adoption de ce projet de loi?
M. Nicholson : C'est une question très intéressante. J'étais ici lors du débat sur le libre-échange. Je ne sais évidemment pas quelle fut la teneur des discussions entre le premier ministre et le gouverneur général mais je soupçonne que le premier ministre expliqua qu'il lui était nécessaire de s'adresser à la population pour obtenir un mandat car il estimait être incapable de conserver la confiance du Parlement. Je suppose qu'il incluait le Sénat dans ce contexte. Je n'en suis pas sûr.
Le sénateur Bryden : Toutefois, malgré toute leur puissance, les premiers ministres ne peuvent pas outrepasser leur pouvoir constitutionnel. La même situation s'est produite lors du débat sur la TPS et le gouvernement a trouvé une autre solution.
M. Nicholson : Je me souviens de ce cas. Je pense que nous avons alors nommé huit nouveaux sénateurs.
Le sénateur Bryden : En effet, c'était assez extraordinaire. Cela m'indique que chaque situation est différente et qu'il peut arriver que le gouvernement n'estime pas avoir besoin de demander un nouveau mandat au peuple pour réaliser une chose peut-être très controversée et difficile mais qu'il sait être la bonne.
Il ne s'agissait pas d'une question de confiance car le gouvernement avait probablement l'appui de la majorité. Si le gouvernement est majoritaire, il ne peut pas dire qu'il a perdu la confiance du Parlement car le Sénat n'est pas une Chambre habilitée à accorder ou à refuser cette confiance mais plutôt à mettre des bâtons dans les roues de temps en temps. Je ne pense donc pas que le gouvernement ou le premier ministre ait la latitude ou la possibilité de faire ça, de régler ça comme ça.
Le revers de cette médaille est qu'un gouvernement au pouvoir depuis deux ans, par exemple, pourrait se comporter de manière tellement inepte que des clameurs s'élèveraient dans la population pour lui reprocher d'être inefficace sans que cela l'empêche d'aller au bout de son mandat puisqu'il aurait la majorité. Comme nous le savons, puisque nous ne sommes pas des enfants de chœur en la matière, il y a des méthodes pour mettre les députés au pas, notamment ceux de son propre parti. Donc, à moins d'une révolte populaire amenant les gens à descendre dans la rue, comment peut-on se débarrasser d'un tel gouvernement? Il n'y a aucun moyen constitutionnel. Tant que le gouvernement peut garder la confiance de la Chambre, le premier ministre peut garder le pouvoir.
Voyons ce qui se passe aux États-Unis où certaines personnes seraient actuellement très heureuses de pouvoir se débarrasser de leur président. Jusqu'à présent, notre système a permis de faire face à ce genre de situation. Aux États- Unis aussi mais la procédure nécessaire pour chasser un président est très difficile, avec le mécanisme de destitution.
Ce projet de loi suscite chez moi certaines inquiétudes à cause de notre système bicaméral. Certes, je sais bien que certains de vos collègues vous diront peut-être que la solution la plus facile serait d'abolir le Sénat mais ça risque de ne pas être aussi facile qu'ils le pensent. Quoi qu'il en soit, ce que je viens de décrire correspond à la situation actuelle et cela risque de lier les mains d'un bon gouvernement ou de lier les mains d'un peuple désireux de forcer le gouvernement à obtenir un nouveau mandat avant de prendre une mesure controversée — d'adhérer à la guerre des étoiles, par exemple.
Le président : Ce sont là deux excellentes questions auxquelles nous aurons des réponses mais, avant de vous donner la parole, puis-je vous demander de répondre à celle-ci? Vous avez soulevé le cas d'un gouvernement de deux ans qui serait totalement inepte et incapable de faire quoi que ce soit et vous avez dit que le système actuel permettrait d'y faire quelque chose. S'il s'agissait d'un gouvernement majoritaire mais au demeurant totalement inepte, que pourrait-on faire pour s'en débarrasser? Quelle serait la solution dans le régime actuel?
Le sénateur Bryden : Vous avez raison.
Le président : J'aimerais demander au ministre de répondre, puis au représentant du Bureau du Conseil privé.
M. Nicholson : Sénateur, vous soulevez une question très intéressante du point de vue constitutionnel. Si je comprends bien, vous me demandez ce qui se passerait avec un gouvernement majoritaire ayant la confiance de la Chambre des communes mais confronté à un Sénat récalcitrant. Il me semble que la bonne question serait de demander pourquoi le Sénat, à l'encontre de tous les principes constitutionnels, voudrait s'opposer à la volonté du peuple et de la majorité de la Chambre des communes. Ce serait une question constitutionnelle intéressante en soi. La contrepartie serait de savoir ce qui se passerait si vous aviez un parti, comme dans votre exemple, ayant la majorité gouvernementale et occupant le pouvoir depuis deux ans. Il serait moins probable que quelque chose puisse arriver pour le faire tomber. À mon avis, la possibilité pour le peuple de se débarrasser de ce gouvernement arriverait sans doute plus tôt que vous ne le pensez. Un gouvernement extrêmement impopulaire ou incompétent attendrait probablement la fin de la période de cinq ans et nous avons généralement constaté que le peuple voit rarement d'un bon œil les gouvernements qui s'accrochent pendant cinq ans.
Si je reviens sur notre système de gouvernement, comme le disait le sénateur Milne, certains éléments n'existent dans aucun texte et relèvent plutôt de conventions. Vous avez raison, un Sénat qui refuserait d'adopter un projet de loi approuvé par la majorité de la Chambre des communes soulèverait un problème constitutionnel en soi. En contrepartie, si le gouvernement, selon l'avis de certaines personnes, ou peut-être d'une majorité de la population, se révélait incompétent avoir gouverné majoritairement pendant deux ans, il pourrait fort bien conserver le pouvoir tant qu'il n'y aurait pas un événement particulier, qu'il m'est au demeurant difficile de concevoir, justifiant l'intervention du gouverneur général. Mais ce pouvoir latent de la Couronne est toujours là. Je ne vois pas ce que ce projet de loi pourrait y changer mais, dans votre exemple, le peuple pourrait rendre un jugement sur ce gouvernement 12 mois plus tôt que maintenant.
Le sénateur Bryden : Je voudrais faire une remarque sur le débat du libre-échange. Si je comprends bien, le gouvernement de l'époque à l'effet campagne sans défendre le libre-échange, et même en s'y opposant, mais, deux ans plus tard, il estima que la situation avait changé et qu'une occasion se présentait et il décida de négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis. Le Sénat réagit comme il était censé le faire en disant essentiellement : « Ce n'est pas la volonté du peuple. Vous vous êtes adressés au peuple il y a deux ans et il vous a dit non. Il vous a donné le pouvoir mais pas avec ce mandat-là. »
M. Nicholson : Au sujet du libre-échange, comme je faisais partie de ce gouvernement, il me semble que nous étions au pouvoir depuis quatre ans. On pouvait donc légitimement dire que c'était raisonnable et certains nous ont d'ailleurs dit qu'il y avait une convention constitutionnelle — cela n'a rien à voir avec le maximum de cinq ans — exigeant que nous retournions devant le peuple au bout de quatre ans. Si je me souviens bien, l'élection de 1988 a été déclenchée à quatre ans moins deux semaines ou quelques jours et le gouvernement a effectivement obtenu un autre mandat.
Le sénateur Bryden : En effet, lors des fameuses élections sur le libre-échange.
M. Nicholson : C'est bien ça.
Le président : Sénateur Bryden, votre question était tellement bonne que j'aimerais vraiment avoir la réponse du Bureau du Conseil privé.
Mr. McDougall : Notre objectif, en rédigeant ce projet de loi, a été de respecter les conventions de gouvernement responsable et les paramètres de la Constitution. Comme on l'a dit, il y aura toujours des situations « difficiles » qui surgiront, dans lesquelles on sera obligé d'interpréter les conventions et la manière dont elles ont été appliquées au cours des années — et de déterminer ce que sont ces conventions au moment considéré. Ces problèmes ne disparaîtront pas avec l'adoption de ce projet de loi. Il est inévitable que certaines situations exigent une interprétation et un certain discernement quant à la bonne application de la convention.
Le président : Sa question allait plus loin, cependant. Ce projet de loi entraîne-t-il ou non l'élimination de quelque chose qui est essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie? C'est comme ça que je l'ai interprétée et je pense que c'est une bonne question.
M. Nicholson : Certes, c'est une très bonne question et nous ne pensons pas que ce soit l'effet du projet de loi. En fait, c'est exactement le contraire que nous essayons de faire. Nous ne parlons pas ici d'une situation où le gouvernement demanderait au peuple un nouveau mandat clair sur une question claire comme dans l'exemple du libre- échange. Il s'agit plutôt de la situation dans laquelle le gouvernement, pour des raisons d'avantage politique et parce que les sondages d'opinion ou d'autres facteurs l'amènent à penser qu'il pourra obtenir un nouveau mandat, décide de dissoudre les Chambres à sa guise alors qu'il n'a aucune raison valable de le faire. C'est pour faire face à cette situation plutôt que pour régler des questions accessoires reliées à un gouvernement essayant d'orchestrer sa défaite.
Le sénateur Bryden : Parfois, quand on lance son filet pour attraper un certain poisson, on en remonte d'autres qu'on ne voulait pas vraiment. Je crois que c'est ce qui risque d'arriver ici.
Le président : C'est ce qu'on appelle une prise accessoire.
Douglas Wolfe, conseiller principal en politiques, Législation et planification parlementaire, Bureau du Conseil privé : Il est très rare que des élections soient déclenchées pour obtenir une décision sur une question aussi claire que le libre- échange. Ce n'est arrivé que dans ce cas, de mémoire d'homme.
En règle générale, comme le disait mon collègue, les élections sont déclenchées en fonction des intérêts du parti politique au pouvoir. Certes, nous ne savons pas toujours ce que le premier ministre peut avoir en tête quand il demande la dissolution mais la situation évoquée par l'honorable sénateur est extrêmement rare, si l'on en juge par l'histoire récente.
Le sénateur Stratton : Si le gouvernement était au pouvoir depuis deux ans et que surgissait un problème comme la TPS ou le libre-échange, ne pensez-vous pas que le premier ministre demanderait au gouverneur général de dissoudre les Chambres et de déclencher des élections? Ne serait-ce pas la solution légitime dans ce cas?
M. Nicholson : Certes, ce serait une possibilité. Si le Sénat refusait d'accéder à la volonté de la Chambre élue, il y aurait une crise constitutionnelle qui justifierait peut-être une réunion entre le gouverneur général et le premier ministre.
Le sénateur Ringuette : Monsieur le ministre, vous avez dit que ce projet de loi devrait limiter le pouvoir du premier ministre. En vous écoutant, je me suis mise à penser aux 10 derniers mois de politique fédérale. Vous avez dit qu'une défaite du gouvernement sur une motion ou une résolution pourrait aussi déclencher une élection anticipée.
Cela me fait penser aux motions dont la Chambre a été saisie. Il y a eu une motion sur l'Afghanistan, une motion sur l'accord du bois d'œuvre et une motion sur Kyoto. Je me souviens que le premier ministre avait dit publiquement qu'il était prêt à déclencher des élections sur au moins deux de ces motions. Il ne s'agissait pas ici de projets de loi à caractère financier mais de motions.
Donc, je conclus, tout en espérant que vous pourrez me prouver que je me trompe, que ce projet de loi n'est que de la poudre aux yeux car il ne limite pas le pouvoir du premier ministre de décider ce qu'est à ses yeux une motion de confiance. Cela continuera de dépendre de son pouvoir de persuasion du gouverneur général et, par conséquent, ce projet de loi n'est que de la frime.
En outre, il veut donner à la population canadienne et aux partis d'opposition l'impression que le premier ministre n'a aucune intention de déclencher des élections précoces mais telle n'est pas la réalité.
Si ce projet de loi était modifié pour limiter le pouvoir du premier ministre de persuader le gouverneur général qu'un vote contre l'envoi de soldats en Afghanistan pendant neuf années de plus ou un vote en faveur de Kyoto est un vote de censure du gouvernement, ce serait raisonnable mais, si je me penche sur les 10 derniers mois de l'action du gouvernement actuel, je conclus que ce projet de loi est de la poudre aux yeux.
M. Nicholson : Sénateur, un projet de loi comme celui-ci constitue une action permettant de juger le gouvernement ou le premier ministre. Dans votre exemple théorique, le premier ministre se serait engagé à envoyer des soldats canadiens pendant neuf ans. Un premier ministre qui engagerait le pays de cette manière sur un théâtre de guerre soulèverait un débat intéressant. À mon avis, le premier ministre perdrait la confiance de la Chambre des communes s'il y avait un désaccord fondamental entre lui-même et de la Chambre sur une telle décision.
Vous pourriez dire que ce n'est pas une question de confiance mais, je le répète, la convention à ce sujet est préservée en ce qui concerne le gouverneur général. L'objectif n'est pas de l'abandonner. Dans son exemple, le sénateur Joyal envisageait un premier ministre demandant la dissolution au gouverneur général après trois ans et neuf mois de pouvoir. Ce premier ministre aurait du mal à convaincre le gouverneur général qu'il a perdu la confiance de la Chambre ou que la population devrait se rendre aux urnes dans les trois ou six mois suivants. Je pense que c'est un pas dans la bonne voie, sénateur.
Le sénateur Ringuette : Vous venez de renforcer votre commentaire précédent voulant qu'une élection puisse être déclenchée à n'importe quel moment tant que le premier ministre peut convaincre le gouverneur général. C'est ce que vous venez de dire et je reste donc sur ma position. À moins que ce projet de loi ne soit modifié pour limiter le pouvoir du premier ministre, c'est de la frime.
M. Nicholson : Si la volonté du Parlement, de la Chambre des communes et du Sénat, était de laisser complètement intacte la prérogative du premier ministre, c'est une décision que le Parlement pourrait prendre. Or, je vous ai dit que la Chambre des communes a accepté ce projet à l'unanimité comme étant un pas en avant, un projet de loi positif et important, et je vous invite à l'étudier attentivement et à poser des questions mais à l'adopter tel qu'il l'a été par la Chambre des communes.
Dans votre exemple, si le premier ministre demandait la dissolution du Parlement au gouverneur général au bout de trois ans et demi, sans aucune raison valable aux yeux du public, je crois que le gouverneur général pourrait légitimement refuser d'accéder à sa demande, en vertu de ce projet de loi. Toutefois, rien ne peut empêcher un premier ministre qui y voit un avantage électoral de demander au gouverneur général de dissoudre les Chambres et de déclencher des élections, même s'il n'y a à ce moment-là aucune question en jeu qui puisse être considérée comme un vote de confiance. Toutefois, avec ce projet de loi, le premier ministre sera confronté à une restriction dans cette situation.
Dans votre exemple, si le premier ministre décidait d'engager des soldats pendant neuf ans sur un théâtre de guerre, je pense qu'il pourrait fort légitimement défendre la thèse qu'il a perdu la confiance de la Chambre si celle-ci n'approuvait pas son projet. Je ne pense pas que la confiance soit strictement limitée aux projets de loi à caractère financier.
Le sénateur Ringuette : Si j'en crois mon expérience politique, provinciale et fédérale, et ma connaissance d'une bonne partie des acteurs de tous les côtés de la scène politique, je pense que n'importe quelle question peut être considérée comme une question de confiance si le premier ministre la déclare telle.
Vous ne m'avez pas convaincue.
M. Nicholson : Je ne peux répondre au nom des gens que vous connaissez ou en fonction de votre expérience mais, selon ma propre expérience et mon opinion, je pense que ceci va marcher. C'est un progrès.
M. Wolfe : Si vous me permettez d'ajouter un mot, ce projet de loi a été rédigé en tenant compte des lois provinciales de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et de Terre-Neuve-et-Labrador. En Colombie Britannique, la loi avait créé l'attente ferme que les élections se tiendraient le 17 mai 2005. Cette attente était fermement gravée dans l'esprit des citoyens de la province et il eût été très difficile au premier ministre de la province de s'en écarter. Il aurait certainement dû payer un prix politique s'il n'avait pas respecté cette date.
M. McDougall : Si vous me permettez à moi aussi d'ajouter un mot, ceci correspond également à une tendance des démocraties parlementaires contemporaines. Il n'y a pas que le Canada qui envisage une telle mesure. De plus en plus de pays songent à établir des dates fixes pour leurs élections. Par exemple, même au sein du Royaume-Uni, les Parlements de l'Écosse et du Pays-de-Galles ont également établi des dates fixes.
Cette question a fait l'objet de plusieurs études au palier international. Aujourd'hui, le Canada et le Parlement de Westminster représentent plus l'exception que la règle de ce point de vue. C'est une mesure qu'un nombre croissant de gouvernements envisagent pour améliorer le fonctionnement de leur système. Je soupçonne qu'il y a souvent eu le même genre de débat que nous voyons ici, avec une ligne recommandant un aspect plus présidentiel avec des dates absolument fixes, et il est clair qu'on ne pourrait pas changer le type de système immuable qui existe aux États-Unis.
L'expression qu'on utilise à ce sujet est « mandat fixe flexible ». De fait, ceci représente plus un mandat fixe flexible parce qu'il faut tenir compte de nos paramètres constitutionnels et de notre système de gouvernement responsable, ce qui semble être aussi la tendance dans les autres démocraties parlementaires envisageant ce type de système.
Le sénateur Ringuette : Exactement. En ce qui concerne la démocratie parlementaire, je crois au principe de responsabilité représentative du député. Sur une question de fond, si les députés votent contre une motion, ils expriment la volonté du peuple. Cela ne doit pas nécessairement entraîner la défaite du gouvernement. C'est dans cette voie qu'avance la démocratie.
Mon souci provient du fait que ce projet de loi ne répond pas à la nouvelle tendance réelle de la démocratie qui est que les députés doivent avoir le pouvoir de représenter le peuple à la Chambre des communes et le pouvoir de dire au gouvernement que la majorité de la population s'oppose à telle ou telle de ses politiques. C'est très différent d'un vote de censure sur un projet de loi à caractère financier.
Vous pouvez avoir un premier ministre disant que, très bien, vous n'acceptez pas ma politique et je vais donc déclencher des élections et justifier ma décision au gouverneur général. C'est tout ce que j'avais à dire.
Le président : Monsieur le ministre, je sais que vous êtes devant nous en qualité de leader du gouvernement en Chambre et qu'il y a en ce moment un débat d'importance aux Communes. Nous venons de terminer le premier tour et plusieurs sénateurs se sont inscrits pour le deuxième. Cela fait déjà 1 h 30 que nous débattons de cette question et j'aimerais savoir, avant de poursuivre, combien de temps vous pouvez encore nous accorder avant de retourner participer à votre débat. Avons-nous assez de temps pour un deuxième tour?
M. Nicholson : Absolument, sénateur. Faisons un deuxième tour.
Le sénateur Milne : Je reste très préoccupée par cette période rigide de sept jours : article 1er du projet de loi, paragraphe 56.2(4) de la Loi électorale du Canada. D'un point de vue pragmatique, je suis née pendant l'une des campagnes électorales de mon père. J'ai donc passé toute ma vie au milieu d'élections. Comme M. Wolfe et M. McDougall ont parlé des mandats fixes dans certaines provinces, que se passera-t-il si un nombre croissant d'entre elles adoptent des élections à date fixe et que des élections finissent donc par coïncider, ce qui sera inévitable? En Colombie- Britannique, on a choisi le 17 mai, ce qui ne pose pas de problème. En Ontario, on a choisi le 4 octobre. À Terre-Neuve, c'est le deuxième mardi d'octobre. Maintenant, pour le Canada, ce sera le troisième lundi d'octobre. Je sais que cela suscite de la confusion dans l'esprit des gens. Cela causera des difficultés à Élections Canada qui devra trouver des gens pour les bureaux de scrutin, devra contrôler la publicité électorale, ou autre. Cela causera également des difficultés aux candidats qui chercheront des bénévoles pour aller frapper aux portes.
Je suis très préoccupé par le caractère inflexible de cette période de sept jours prévue dans le projet de loi. Comment envisagez-vous de régler les problèmes concrets qui risquent de se poser?
M. Nicholson : Sénateur, je conviens avec vous qu'il peut toujours y avoir un risque de conflit quelque part. Je suppose que l'un des avantages d'avoir choisi le troisième lundi d'octobre une fois tous les quatre ans après les dernières élections générales, au palier fédéral — et je crois que d'autres provinces adopteront aussi des dates fixes — est qu'on sera moins susceptible de choisir cette date à un autre palier.
Le sénateur Milne : Ça dépendra du vote de confiance.
M. Nicholson : Je crois me souvenir que c'est en 2000 que des élections fédérales ont été déclenchées en plein milieu d'élections municipales en Ontario. Il y avait les élections en Ontario, il y avait les élections fédérales et il y avait une élection partielle dans la circonscription de Welland voisine de la mienne. Les trois paliers de gouvernement s'adressaient au peuple à Welland. Je peux vous dire que les gens de Welland ont fort bien survécu. Ils ont fait la différence et c'était surtout nous, au palier fédéral, qui avions un défi à relever en voyant 30 ou 40 candidats au palier municipal.
Certes, notre démocratie ne sera jamais parfaite mais instaurer des élections à date fixe rendra en fait la vie un peu plus facile aux bénévoles et à ceux qui sont chargés de la planification.
Si j'en crois mon expérience des dernières décennies, la situation était plus difficile quand personne ne savait à quelle date les élections seraient déclenchées et qu'elles l'étaient finalement de manière imprévue. Dans le cas que je viens de décrire, de l'an 2000, cela a été tout un défi pour l'électorat.
Le sénateur Milne : Dans certaines régions, il sera impossible de trouver des lieux de scrutin.
M. Nicholson : Je pense que le directeur général des élections vous confirmera quand il comparaîtra devant votre comité que ce projet va en réalité lui faciliter la vie lorsque viendra le moment de trouver des lieux de scrutin et de mettre l'appareil électoral en place car il n'aura plus à être continuellement sur le pied de guerre pendant deux ans pour devoir tout organiser en un clin d'œil. Je pense que c'est ça qui est difficile pour lui mais vous aurez l'occasion de le lui demander.
Le sénateur Milne : La plus grande difficulté sera de trouver des lieux de scrutin pour toutes ces élections différentes qui se tiendront en même temps.
Je sais que le directeur général des élections, quand il a comparu devant le comité de la Chambre des communes, avait recommandé d'allonger la période durant laquelle la publicité gouvernementale devrait être restreinte en la fixant à quatre semaines avant l'émission des brefs plutôt que la limiter à la période des brefs seulement. Vous êtes-vous penché sur cette possibilité? Je songe à tous les partis politiques différents des différentes provinces qui se feront concurrence pour diffuser leur message en même temps.
M. Nicholson : Ce projet de loi ne porte pas sur cette question mais je prends note de cette suggestion.
Le sénateur Milne : Je sais que les directeurs généraux des élections se sont réunis au Yukon en 2005 et qu'ils ont alors discuté des avantages et inconvénients d'élections à date fixe. Les avez-vous consultés? Je ne sais pas ce qu'ils ont conclu à cette occasion mais en avez-vous tenu compte avant de concevoir ce projet de loi?
M. Nicholson : Pas personnellement car je n'occupais pas ce poste à l'époque. Toutefois, mes collaborateurs du ministère m'ont dit qu'ils avaient tenu toutes les consultations possibles à ce sujet, et les recommandations concordaient avec la promesse que nous avions faite lors des dernières élections.
Le sénateur Milne : Autrement dit, non, vous n'en avez pas tenu compte.
M. Nicholson : Je n'ai pas participé à cette discussion et je n'étais pas à la conférence du Yukon. Je crois comprendre que les recommandations formulées à cette occasion et ailleurs ont été prises en compte lors de la rédaction de ce projet de loi.
Le sénateur Milne : Je crois comprendre que c'est le BCP qui a rédigé le projet de loi. En avez-vous tenu compte?
M. McDougall : Nous avons tenu compte de toutes les études et informations que nous avons pu obtenir à ce sujet. Pour ce qui est de consultation précise, nous avons consulté Élections Canada mais pas les agents électoraux des provinces. Toutefois, je crois que certains agents provinciaux ont comparu devant le Comité des affaires de la Chambre, de la Chambre des communes. Lors des études préliminaires et de la rédaction de l'ébauche du projet de loi, nous n'avons pas consulté les agents électoraux des provinces mais avons consulté les agents fédéraux.
Le sénateur Cowan : Le sénateur Bryden a posé une question très intéressante. La réponse aux situations hypothétiques qu'il a évoquées a été donnée par le sénateur Stratton : le premier ministre dira simplement qu'il y a une impasse et qu'il faut en sortir.
Que feriez-vous si, pendant les campagnes électorales, un parti prenait une certaine position sur une question telle que le contrôle des prix et des salaires, par exemple, se faisait élire puis changeait de position une fois au pouvoir? Il se peut que ce soit la même réponse.
Il me semble que la situation sera encore plus compliquée si l'on a un jour un Sénat élu. Voilà pourquoi nous attendons la suite des événements avec grand intérêt. Je ne sais pas si la question d'un Sénat élu relève de votre mandat mais le premier ministre a dit s'attendre cet automne à ce que ...
M. Nicholson : Dites-moi ce que vous en pensez avant que je ne réponde.
Le sénateur Cowan : Je serai ravi de vous donner mon opinion quand j'aurai vu le projet de loi; je ne réponds pas à des questions hypothétiques. Nous sommes la Chambre de deuxième, pas de première, réflexion.
La situation sera évidemment plus compliquée s'il y a un Sénat élu et que la Chambre des communes ne peut plus prétendre être la seule à représenter l'opinion du peuple. S'il y a deux Chambres élues, ce sera plus compliqué. L'autre partie est une variante du thème auquel faisait allusion le sénateur Bryden : dans notre système, le chef de parti est manifestement l'acteur central, si ce n'est le facteur le plus important dans le choix de l'électorat. Il est déjà arrivé qu'un parti se fasse élire et que le premier ministre, pour de très bonnes raisons, décide de se retirer et de se faire remplacer par quelqu'un d'autre, encore une fois pour de très bonnes raisons. Le nouveau premier ministre pourrait vouloir obtenir un nouveau mandat afin d'engager le parti ou le gouvernement dans une direction très différente parce que les circonstances ont changé de depuis les dernières élections. Il n'y aurait pas là de perte de confiance. Pensez-vous que la réponse du sénateur Stratton serait la bonne solution dans un tel cas? Serait-il légitime que le nouveau premier ministre, dans cette situation, déclenche de nouvelles élections pour obtenir un nouveau mandat?
M. Nicholson : Mon avis personnel est que ce ne serait pas légitime. Une fois que l'engagement aurait été pris de tenir les élections une fois tous les quatre ans en octobre, si le premier ministre décidait de les tenir à un autre moment à sa convenance, le gouverneur général pourrait parfaitement lui opposer un refus. Quand vous parliez de la situation de sir John A. Macdonald, décédé l'été de 1891, je songeais qu'il avait été succédé par quatre premiers ministres conservateurs qui avaient tenté de laisser leur marque. La législature avait duré une période complète avant que sir Charles Tupper soit battu par sir Wilfrid Laurier. Je ne crois pas me tromper en disant que le premier ministre aurait plus de difficulté à défendre cette thèse devant le gouverneur général. Je n'ai aucun doute que celui-ci refuserait probablement d'accéder à une telle demande étant donné le projet de loi dont vous êtes saisis.
Le président : J'aimerais lire un extrait du rapport que la Bibliothèque du Parlement a préparé à notre intention au sujet de ce projet de loi, concernant la question que vient de poser le sénateur Cowan. C'est à la page 8 :
En décembre 2004, Terre-Neuve-et-Labrador a apporté à la House of Assembly Act des modifications prévoyant la tenue d'élections générales dans la province à date fixe. La première date à cet égard a été fixée au deuxième mardi d'octobre 2007; les élections subséquentes se dérouleront tous les quatre ans. Le projet de loi prévoyait également le déclenchement d'élections partielles dans un délai de 60 jours après qu'un siège devient vacant et leur tenue dans les 30 jours suivant la délivrance d'un bref. Il disposait en outre que lorsqu'un nouveau chef est assermenté comme premier ministre, des élections doivent avoir lieu dans un délai de 12 mois.
Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, votre remarque établit le contexte de la question que je veux vous poser. Le projet de loi C-16 crée le grand danger de placer le gouverneur général dans une position intenable en faisant de lui l'arbitre de sa mise en application et l'instance chargée de décider si un vote de censure est suffisant ou non. La situation dans laquelle se trouve le gouvernement par rapport au Parlement est peut-être similaire à celle décrite dans les exemples du sénateur Bryden ou du sénateur Stratton. On peut facilement imaginer de nombreuses situations dans lesquelles le gouverneur général deviendrait l'arbitre. Ce projet de loi revient à investir le gouverneur général de certains pouvoirs sans lui laisser la possibilité de se réfugier dans la neutralité politique de sa fonction.
Avez-vous analysé dans quel contexte le gouverneur général serait obligé d'agir en matière de dissolution?
M. Nicholson : Vous approuvez probablement ma remarque antérieure voulant que le projet de loi limitera les pouvoirs du premier ministre et vous pourriez peut-être discuter avec le sénateur Ringuette pour le confirmer. Je le répète, si vous me dites qu'il offre plus de latitude ou que le gouverneur général sera obligé de prendre cette décision, cela signifie que ce pouvoir résiduel appartient actuellement au gouverneur général et que celui-ci est toujours confronté à cette décision si un premier ministre agit de manière irresponsable ou à l'encontre de la législation. C'est une décision que le gouverneur général aurait à prendre.
Le sénateur Joyal : Le gouverneur général deviendrait alors le sujet d'une élection. Comme l'a dit ma collègue le sénateur Milne, il est déjà arrivé, dans l'histoire politique du Canada, que la décision doive être prise par le gouverneur général, qui n'est pas élu mais nommé, de refuser la dissolution du Parlement alors que le chef du parti majoritaire à la Chambre des communes avait la conviction qu'il avait perdu la confiance de la Chambre ou qu'il n'était plus en mesure de gouverner et qu'il souhaitait par conséquent obtenir un nouveau mandat de l'électorat.
M. Nicholson : Je ne pense pas que ce soit très différent de la situation dans laquelle se trouve le gouverneur général aujourd'hui. Comme exemple de gouvernement minoritaire, le sénateur a évoqué l'affaire King-Byng; je crois que le premier ministre de l'époque avait perdu la confiance de la Chambre très rapidement après les élections générales. À ce moment-là, lord Byng a décidé que le premier ministre devait être Arthur Meighen. En fin de compte, c'est le peuple canadien qui a rendu sa décision. Finalement, c'est lui l'arbitre ultime dans ce genre de situation.
Ce n'est pas très différent de ce qui est arrivé en Australie au milieu des années 1970 lorsqu'il y a eu un conflit entre le premier ministre et le gouverneur général. C'est finalement le peuple australien qui a rendu son jugement. Sénateur Joyal, si un premier ministre ayant un gouvernement majoritaire agissait de manière irresponsable et, sous prétexte d'essayer de gagner une autre majorité, demandait la dissolution du Parlement, je n'ai aucun doute, qu'il l'obtienne ou non, que ce serait en dernière analyse le peuple canadien qui déciderait s'il a agi de manière responsable.
M. McDougall : Je crois que la dernière gouverneure générale a abordé cette question dans ses mémoires en disant que c'était une question à laquelle elle s'était préparée dans le contexte des récents gouvernements minoritaires. Simplement pour renforcer cet argument, c'est une situation qui pourrait fort bien se produire actuellement; ce n'est pas une situation qui serait créée par ce projet de loi.
Le sénateur Joyal : En cas de gouvernement minoritaire, personne ne le contestera. Nous avons actuellement un gouvernement minoritaire et ce n'est pas cette situation qui sera changée. La situation qui sera changée par le projet de loi sera celle d'un gouvernement majoritaire.
À moins que je n'interprète le projet de loi de manière erronée, c'est lorsque le gouvernement sera majoritaire qu'il s'appliquera. Voilà fondamentalement le scénario que nous devons envisager et c'est pourquoi j'estime qu'il placera le gouverneur général dans une position difficile en en faisant l'arbitre de ce qui sera en réalité une situation politique. Est-ce que le premier ministre a perdu la confiance de la Chambre ou est-ce qu'il veut simplement user d'un prétexte et non pas d'un motif légitime pour demander la dissolution?
M. Nicholson : Dans votre exemple, sénateur, si le premier ministre a un gouvernement majoritaire et qu'il décide qu'il veut des élections au bout de deux ans ou de quatre ans, ce n'est pas le gouverneur général qui aura un problème, c'est le premier ministre.
Le sénateur Joyal : Nous avons déjà vu des gouvernements avoir des difficultés à mettre leur programme en application et décider de retourner devant l'électorat pour demander un mandat.
M. Nicholson : Ce sera plus difficile avec ce projet de loi.
Le sénateur Joyal : Je le pense puisqu'il dispose qu'une législature doit durer quatre ans.
M. Nicholson : Exactement. Avec un gouvernement majoritaire, c'est ce à quoi les gens peuvent s'attendre. Si le premier ministre, pour un prétexte quelconque, décidait de déclencher des élections au bout de deux ans, il n'y a pas que le gouverneur général qui pourrait trouver à y redire. Si celui-ci pouvait être persuadé qu'il faut tenir ces élections, c'est le peuple canadien qui serait l'arbitre ultime et c'est exactement comme cela que les choses doivent être.
Le sénateur Joyal : J'ai l'impression que vous placez le gouverneur général dans une position intenable en l'obligeant à porter un jugement sur une question d'ordre foncièrement politique.
M. Nicholson : En Ontario, en situation minoritaire après les élections de 1985, le Parti progressiste-conservateur de Frank Miller avait le plus grand nombre de députés et avait décidé de se présenter devant l'assemblée législative. Bien des gens ont dit alors que si M. Miller était allé voir le lieutenant-gouverneur, ce dernier aurait parfaitement été dans son droit, comme il le fit plus tard, de demander à M. Peterson et à M. Rae de voir s'ils pouvaient s'entendre pour former un gouvernement. Vous avez raison, si M. Miller avait agi de manière irresponsable — et personne ne disait à l'époque que c'était ce qu'il ferait — le lieutenant-gouverneur, avec ses pouvoirs résiduels, aurait été placé dans cette position. En fin de compte, dans ce cas, c'est le peuple de l'Ontario qui aurait eu à décider.
Vous avez tout à fait raison. Au XXIe siècle, dans notre régime, le gouverneur général pourrait être placé dans une position difficile par le premier ministre. Cela résulte du système que nous avons hérité puis adapté et nous n'y changeons rien. Le premier ministre pourrait agir ainsi mais je suis totalement convaincu que c'est finalement le peuple qui rendrait jugement à cet égard.
Le sénateur Joyal : Dans le contexte d'une crise avec le gouverneur général, voilà la différence. En effet, ce projet de loi ...
M. Nicholson : Je pense qu'il y aurait une crise et c'est pourquoi j'ai tracé ce parallèle. Si un premier ministre élu avec un gouvernement majoritaire décidait après l'adoption de ce projet de loi de déclencher des élections pour obtenir la majorité à la Chambre des communes, je pense que cela placerait le gouverneur général dans la situation de crise que vous venez d'évoquer.
Le sénateur Joyal : Je sais mais vous tentez de décrire une situation totalement irréelle. Un premier ministre voulant des élections les aura. Le premier ministre s'adressera certainement au peuple pour obtenir le mandat de réaliser son programme, de résoudre une impasse dans laquelle se trouve son gouvernement au Parlement, comme l'a mentionné le sénateur Bryden — parce qu'il estime que son gouvernement est paralysé à la Chambre, pour quelque raison que ce soit.
M. Nicholson : Nous en jugerons si le problème se pose un jour.
Le président : Vous venez d'avoir le dernier mot, monsieur le ministre. Au nom du comité, je tiens à vous remercier, ainsi que M. McDougall, M. Wolfe et M. Newman, d'être venu devant notre comité non pas dans le cadre d'une séance de routine mais pour nous faire profiter de vos connaissances en sciences politiques, en histoire canadienne et en droit constitutionnel et, finalement, de votre bon sens en répondant aux questions fascinantes des honorables sénateurs, notamment du sénateur Bryden. Merci d'être venu à si court préavis en laissant de côté pendant quelques instants vos autres responsabilités.
La séance est levée.