Aller au contenu
 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 21 - Témoignages du 8 février 2007


OTTAWA, le jeudi 8 février 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 50, pour examiner le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi électorale du Canada, qui lui a été renvoyé.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Le comité poursuit son étude du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi électorale du Canada.

C'est notre quatrième séance sur ce sujet dont l'objectif est assez clair. Le projet de loi modifie la Loi électorale du Canada pour que les élections fédérales aient lieu à date fixe au Canada. Il prévoit que, sauf s'il y a dissolution du Parlement plus tôt, des élections générales auront lieu le troisième lundi d'octobre de la quatrième année civile qui suit le jour du scrutin des dernières élections générales, les premières élections générales suivant l'entrée en vigueur du projet de loi devant avoir lieu le lundi 19 octobre 2009.

Honorables sénateurs, notre premier témoin n'a guère besoin de présentation. En effet, Peter Hogg est un constitutionnaliste de renom au Canada. Il est actuellement chercheur invité au cabinet d'avocats Blake, Cassels et Graydon. Il a été doyen de la Osgoode Hall Law School de l'Université York de 1998 à 2003, où il a enseigné à partir de 1970. Bien connu pour son ouvrage Constitution Law of Canada, M. Hogg est cité par la Cour suprême du Canada deux fois plus que n'importe quel autre auteur.

Peter Hogg, chercheur invité, Blake, Cassels et Graydon, s.r.l., à titre personnel : Je suis heureux d'être ici. Je serai très bref. Vous avez reçu mon mémoire que j'ai envoyé au greffier hier et qui a été traduit, je crois. Je vais commencer mon exposé à la rubrique « Pouvoir de promulguer le projet de loi C-16 » qui se trouve à la page 2.

La Loi électorale du Canada a été adoptée en vertu du pouvoir du Parlement fédéral de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement, aux termes, comme vous le savez tous, du préambule de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Je m'intéresse d'abord au pouvoir en vertu duquel le Parlement a adopté la Loi électorale du Canada. Je vous dirai que je crois que c'est ce même pouvoir qui permet d'adopter le projet de loi C-16, c'est-à-dire le pouvoir de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement selon le préambule de l'article 91 de la Loi constitutionnelle.

Par ailleurs, l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 confère au Parlement le pouvoir de modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.

À mon avis, cette disposition n'est pas utile ici parce qu'elle s'applique seulement pour « modifier les dispositions de la Constitution du Canada ». Évidemment, la majeure partie de la Loi électorale du Canada ne modifie pas la Constitution du Canada et c'est pourquoi, à mon avis, cette loi relève du pouvoir de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement.

Je sais qu'il y a de la controverse à ce sujet, mais je soutiens que le projet de loi C-16 ne modifie pas non plus la Constitution du Canada. Cependant, si c'est le cas, l'article 44 pourrait le justifier.

Passons maintenant à l'article 50 de la Loi constitutionnelle de 1867. Vous connaissez probablement tous mieux que moi cette disposition, mais permettez-moi de vous la lire pour vous rafraîchir la mémoire. L'article 50 dit :

La durée de la Chambre des communes ne sera que de cinq ans, à compter du jour du rapport des brefs d'élections à moins qu'elle ne soit plus tôt dissoute par le gouverneur général.

Comme vous le savez aussi, il y a une disposition de la Charte des droits et libertés, le paragraphe 4(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui lui ressemble beaucoup. Ce paragraphe dit :

Le mandat maximal de la Chambre des communes et des assemblées législatives est de cinq ans à compter de la date fixée pour le retour des brefs relatifs aux élections générales correspondantes.

Le projet de loi C-16 est-il incompatible d'une façon quelconque avec l'article 50 ou le paragraphe 4(1) de la Loi constitutionnelle? Pour moi, il n'est incompatible avec aucune de ces deux dispositions.

Ces dispositions visent à empêcher que la Chambre des communes ne siège trop longtemps. Elles sont conçues pour garantir que le gouvernement se soumet à des élections générales après un mandat d'une durée raisonnable, et non pas pour empêcher des mandats plus courts. La période de cinq ans est la durée maximale du mandat, pas sa durée fixe.

À mon avis, une règle générale ayant pour effet de limiter la durée du mandat de la Chambre des communes à moins de cinq ans ne contreviendrait ni à l'article 50 ni au paragraphe 4(1) de la Loi constitutionnelle. C'est très clair pour moi dans le cas du paragraphe 4(1) de la loi, qui dit simplement que le mandat maximal de la Chambre des communes « est de cinq ans à compter de la date fixée pour le retour des brefs relatifs aux élections générales correspondantes ». Il est évident qu'il est question simplement de la durée maximale du mandat de la Chambre des communes, non pas de la possibilité que le mandat soit plus court.

Par ailleurs, ce n'est pas aussi clair dans le cas de l'article 50 de la Loi constitutionnelle. Cependant, j'estime que c'est la meilleure interprétation qu'on puisse en faire. Il ne vise pas à garantir la possibilité d'une cinquième année complète de mandat. À quoi cela servirait-il?

Mais même si l'article 50 garantissait implicitement la possibilité d'une cinquième année complète de mandat, il ne compromettrait toujours pas la validité du projet de loi C-16 étant donné, je le répète, que l'article 50 peut être modifié par le Parlement en vertu de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Il ne me semble pas essentiel que le projet de loi C-16 n'aille pas à l'encontre de l'article 50 de la loi pour en établir la validité. Je ne crois pas qu'il aille à l'encontre de l'article 50 de la loi mais, même si c'était le cas, il reste valide en raison du pouvoir qui peut être exercé aux termes de l'article 44 de la loi.

Passons maintenant à un autre problème que pourrait soulever le projet de loi C-16, concernant la fonction de gouverneur général. Encore ici, vous savez que l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982 exige le consentement unanime des provinces, du Sénat et de la Chambre des communes pour toute modification de la Constitution du Canada portant sur la charge de la Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur d'une province.

Cela ne veut pas dire que toutes les lois qui ont un impact sur les pouvoirs du gouverneur général doivent nécessairement respecter la formule du consentement unanime parce que cette formule ne s'applique qu'aux modifications de la Constitution du Canada.

À mon avis, le projet de loi C-16 n'a aucun impact sur la fonction de gouverneur général puisque le premier paragraphe du projet de loi stipule que le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du gouverneur général, notamment celui de dissoudre le Parlement lorsqu'il le juge opportun. Le projet de loi semble donc indiquer bien clairement qu'il n'est pas question de modifier les pouvoirs du gouverneur général même si la règle des élections à date fixe s'applique.

Naturellement, la convention veut que le gouverneur général procède à la dissolution du Parlement, non pas de sa propre initiative, mais sur l'avis du premier ministre. Sans le préciser en toutes lettres, le projet de loi C-16 semble présumer que le premier ministre lui recommanderait de le faire de façon à ce que des élections aient lieu tous les quatre ans.

J'ai examiné deux situations dont le comité a déjà discuté. Premièrement, en temps normal, c'est seulement quand il est minoritaire que le gouvernement peut perdre la confiance de la Chambre. Dans ce cas, les règles habituelles vont s'appliquer, c'est-à-dire que le premier ministre va recommander au gouverneur général de dissoudre la Chambre des communes ou encore de nommer au poste de premier ministre le chef d'un autre parti siégeant à la Chambre. Il ne faut pas se faire d'illusion, il recommande toujours la dissolution du Parlement et, normalement, le gouverneur général va suivre sa recommandation. Le projet de loi ne change rien à cela et je pense qu'il ne sera pratiquement pas applicable quand le gouvernement sera minoritaire parce qu'un gouvernement minoritaire ne reste pas au pouvoir durant quatre ans de toute façon.

Passons maintenant au problème le plus intéressant. Supposons que le premier ministre, tout en étant à la tête d'un gouvernement majoritaire à la Chambre des communes, venait à recommander au gouverneur général de dissoudre le Parlement avant la fin de son mandat de quatre ans. J'ai beaucoup réfléchi à la question et j'ai lu avec grand intérêt les remarques des sénateurs et des témoins là-dessus. J'en suis venu à la conclusion que le gouverneur général aurait le pouvoir de dissoudre le Parlement avant la fin des quatre années malgré l'existence du projet de loi puisque celui-ci précise bien qu'il ne porte pas atteinte aux pouvoirs du gouverneur général.

Il est fort peu probable que le premier ministre le lui conseillerait étant donné que son parti risquerait d'en subir les conséquences aux élections qui suivraient. Les gens vont s'attendre à ce que la législature dure quatre ans après l'adoption du projet de loi.

Comme le comité l'a fait observer lors de réunions précédentes, il faut reconnaître que peut survenir une question de politique à laquelle le gouvernement au pouvoir tient beaucoup — comme le libre-échange ou la TPS même si ce dossier s'est réglé autrement. Si le Sénat fait de l'obstruction dans ce cas et que le gouvernement estime qu'une consultation populaire est la seule façon de sortir de l'impasse, le plan d'action le plus sûr consisterait probablement à attendre quand même la fin de la période de quatre ans. Si le premier ministre n'était pas de cet avis et décidait de recommander la dissolution du Parlement, je dirais que le projet de loi C-16 n'exclut pas cette possibilité car il maintient expressément le pouvoir qu'a le gouverneur général de dissoudre le Parlement avant la fin de la période de quatre ans.

La possibilité et, pour un gouvernement minoritaire, la probabilité que la Chambre des communes soit dissoute avant la fin de son mandat de quatre ans ont amené certains sénateurs membres du comité, comme je l'ai constaté en lisant la transcription de vos délibérations, à dire que le projet de loi C-16 prévoit des élections à date fixe flexible. Je dirais que la description est très bonne. Il faut faire preuve d'une certaine souplesse pour prévoir des élections à date fixe dans un système de gouvernement responsable.

Voilà, monsieur le président, ce qui met fin à mon exposé.

Le président : Merci. Pour ce qui est des élections à date fixe flexible, vous savez probablement que l'Ontario a annoncé le 7 février que la date des prochaines élections provinciales serait le 10 octobre et non pas le 4 octobre, pour ne pas coïncider avec une fête juive. Ce qui prouve que les provinces peuvent faire preuve de souplesse à cet égard. Avez-vous un commentaire à faire avant que je ne cède la parole au sénateur Milne?

M. Hogg : J'avais remarqué le pouvoir conféré par le paragraphe 56.2(1) du projet de loi, sans doute sur le modèle de l'Ontario. En effet, s'il est d'avis que le jour prévu pour les élections ne convient pas à cette fin parce qu'il coïncide avec un jour revêtant une importance culturelle ou religieuse, le directeur général des élections peut choisir un autre jour et le recommander au gouverneur en conseil comme jour du scrutin.

Cela ne soulève aucun problème sur le plan légal puisque vous savez que, si le Parlement peut exercer un pouvoir, il peut aussi le déléguer à des mandataires ou au Cabinet. Permettre au directeur général des élections de choisir le jour des élections est tout à fait valide sur le plan constitutionnel, et il est intéressant de constater que l'Ontario vient de faire la même chose.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Milne : Merci, monsieur le président. Pour poursuivre sur le même sujet que le sénateur Oliver, je remarque que la souplesse du projet de loi est très limitée. Les élections doivent avoir lieu le lendemain du 19 octobre ou le lundi de la semaine suivante. Comme je l'ai déjà demandé à un autre témoin, laisse-t-on assez de souplesse au directeur général des élections quand on sait que, dans notre pays, certaines fêtes religieuses changent tous les ans?

M. Hogg : Je crois qu'il est toujours possible que la date coïncide avec des jours revêtant une importance culturelle ou religieuse. Quand j'étais doyen de la faculté de droit, j'ai eu plus d'une fois des ennuis parce que des activités tombaient le même jour que d'obscures fêtes religieuses. Même les principales organisations religieuses que nous pourrions consulter par souci de diligence raisonnable ne sont pas toujours au courant de certaines fêtes moins connues.

Comme le directeur général des élections a un choix limité, il se peut que la date des élections coïncide avec une fête religieuse ou culturelle.

Le sénateur Milne : Je pense aux fêtes des religions hindouiste et musulmane liées au ramadan dont les dates dépendent du calendrier lunaire et pas de celui dont nous nous servons habituellement pour fixer la date de Noël chaque année.

Vous dites que le gouverneur général aurait le pouvoir de dissoudre le Parlement et qu'il est peu probable que le premier ministre lui en ferait la recommandation si son parti risquait d'en payer le prix au moment des élections qui vont suivre. C'est plutôt une observation parce que cette loi n'entrera en vigueur que si elle est promulguée, mais des parties de certaines lois adoptées récemment n'ont pas encore été promulguées. C'est ce qui m'inquiète à propos du projet de loi C-2 et ce pourrait être le cas pour ce projet de loi.

M. Hogg : Si le projet de loi doit entrer en vigueur par promulgation, il devra évidemment être promulgué pour avoir force de loi.

Le sénateur Bryden : Les médias ont signalé que le directeur général des élections avait demandé l'opinion de 278 organisations culturelles et religieuses avant de recommander une nouvelle date pour la tenue des élections. Je trouve qu'il faut consulter beaucoup de monde avant de choisir une date d'élection.

Le président : Ne pensez-vous pas qu'il vaut mieux consulter les gens avant?

Le sénateur Bryden : Oui, mais on ne parle pas seulement des fêtes religieuses des Juifs et des Musulmans, mais aussi de 278 organisations religieuses et culturelles. Je ne savais pas qu'il y en avait autant en Ontario. J'ai cité ce chiffre simplement pour dire que c'est tout un travail que de déplacer la date fixée.

Le sénateur Milne : Il se peut bien qu'un futur gouvernement majoritaire qui décide de déclencher des élections avant la fin de son mandat soit considéré comme s'il avait eu recours à la clause dérogatoire de notre Charte des droits.

M. Hogg : Oui. Je crois qu'il s'attirerait beaucoup de critiques. En fin de compte, c'est peut-être principalement la façon dont les mandats de quatre ans seront protégés, par les répercussions politiques que pourrait entraîner le fait de ne pas les respecter.

Le sénateur Fraser : Est-ce qu'il y a des critères d'ordre légal sur la façon d'interpréter le mot « importance », pour déterminer quelle importance culturelle ou religieuse doit avoir cette journée et pour combien de gens?

M. Hogg : Non, je crois qu'il n'y a pas de texte de référence qui pourrait être utile à ce sujet. Pour un tribunal, le paragraphe 56.2(1) du projet de loi devrait permettre au directeur général des élections de décider si l'importance culturelle ou religieuse de ce jour est suffisante pour justifier un changement de date.

Pour résumer, c'est au directeur général des élections de décider.

Le sénateur Fraser : Si vous avez lu les témoignages, vous vous rappelez peut-être que le directeur général des élections n'était pas tout à fait heureux de la chose.

M. Hogg : Après avoir entendu le sénateur Bryden expliquer tous les pièges auxquels il s'expose, je n'en suis pas surpris.

Le sénateur Di Nino : Le sénateur Fraser a posé une question sur le pouvoir du directeur général des élections en Ontario et à l'échelle fédérale, mais le pouvoir final de décision appartient au gouverneur en conseil, selon le projet de loi. En effet, la responsabilité d'approuver le changement de date revient toujours, je pense, au gouverneur en conseil. La décision est soumise à une autre analyse et pourrait avoir beaucoup d'importance, n'est-ce pas?

M. Hogg : Oui, c'est tout à fait juste. La fin du paragraphe 56.2(1) du projet de loi dit bien que : « Le directeur général des élections peut choisir un autre jour[...] qu'il recommande au gouverneur en conseil de fixer comme jour du scrutin ». Le paragraphe 56.2(2) stipule que le directeur général des élections publie, sans délai, le jour recommandé dans la Gazette du Canada, ce qui suppose que le gouverneur en conseil ne va probablement pas contester le choix du directeur général des élections. Ensuite, le paragraphe 56.2(3) précise que, s'il accepte la recommandation, le gouverneur en conseil prend un décret y donnant effet et que le décret est publié sans délai dans la Gazette du Canada.

Il y a deux processus décisionnels mais, si le gouverneur en conseil acceptait la décision du directeur général des élections sur la question de savoir si la journée revêt suffisamment d'importance pour justifier un changement de date, je crois qu'aucun tribunal ne songerait même à revoir cette décision.

Le sénateur Bryden : C'est exactement ce que je voulais demander.

Le sénateur Joyal : J'essaie de comprendre comment fonctionne l'article 56.2 du projet de loi. D'après ce que vous nous avez expliqué, le gouverneur général a le pouvoir de dissoudre le Parlement, mais essentiellement sur l'avis du premier ministre. Vous concluez que le projet de loi ne modifie en rien le pouvoir du gouverneur général d'agir sur l'avis du premier ministre.

M. Hogg : Oui. Je ne crois pas que ce soit dit clairement de cette façon, mais c'est ainsi que je le comprends.

Le sénateur Joyal : Si la date des élections coïncide avec une fête religieuse ou culturelle, la décision est prise par le gouverneur en conseil et pas par le premier ministre. Dans ce cas précis, le projet de loi retire ce pouvoir au premier ministre pour le donner au Cabinet.

M. Hogg : Votre remarque est intéressante. Vous avez évidemment raison. Si une fête ayant une importance culturelle ou religieuse entraînait le changement de date des élections, c'est le gouverneur en conseil qui prendrait finalement la décision, sur la recommandation du directeur général des élections. C'est ensuite le premier ministre qui présenterait le message au gouverneur général en vue du déclenchement des élections.

C'est un peu étrange que le projet de loi ne confie pas la décision directement au premier ministre.

Le sénateur Joyal : C'est le fondement de votre exposé. J'aurai d'autres commentaires à formuler là-dessus, mais je ne veux pas changer le sujet pour l'instant.

Le sénateur Bryden : Monsieur Hogg, vous avez aussi fait remarquer que ce ne serait pas au premier ministre de recommander la dissolution d'un gouvernement majoritaire sur une question, mais que ce serait au gouverneur général de le faire. Vous avez déclaré que, si un gouvernement majoritaire décidait de consulter la population sur un dossier, la recommandation ne viendrait pas du premier ministre ou du gouverneur en conseil.

Qui conseillerait le gouverneur général alors?

M. Hogg : Ce n'est pas ce que je voulais dire. Il se ferait conseiller par le premier ministre même dans cette situation.

Le sénateur Bryden : J'ai dû mal comprendre. Merci.

Le sénateur Andreychuk : Si je vous comprends bien, les règles vont s'appliquer, sauf que nous avons une nouvelle étape à prendre en considération. Tout ce qui est prévu par la convention ou la loi va continuer de s'appliquer. Autrement dit, le premier ministre présente son avis au gouverneur général. Vous présumez donc que toutes les autres étapes restent les mêmes.

M. Hogg : En me fondant sur le premier paragraphe du projet de loi, je dis que rien ne porte atteinte aux pouvoirs du gouverneur général. Je pense que la décision revient au premier ministre parce que nous savons tous que le gouverneur général ne va pas agir sans l'avis du premier ministre, sauf dans des circonstances vraiment exceptionnelles.

Le sénateur Andreychuk : Je veux revenir sur la question du changement de date. La tâche d'analyser et de recommander le changement de la date prévue peut être difficile pour le directeur général des élections. S'il y a une catastrophe naturelle ou qu'un autre problème s'annonce, les élections pourraient être reportées. M. Kingsley nous a parlé des inondations survenues au Manitoba et il me semble, après réflexion, que ce n'est pas tant l'inondation comme telle qui importe que le fait qu'elle empêche les gens d'exercer leurs droits démocratiques, ce qui est fondamental dans notre Constitution. Le même raisonnement ne s'appliquerait-il pas aux considérations culturelles et religieuses? Il faudrait savoir si l'activité culturelle ou religieuse à laquelle je dois participer un jour en particulier m'empêche d'exercer mon droit de vote. Par exemple, le ramadan dure un certain nombre de jours et ceux qui l'observent, même s'ils doivent s'abstenir de manger à certaines heures et de s'adonner à d'autres activités, je ne sais trop, mènent leur vie normalement.

Pour changer la date, ne faudrait-il pas plutôt déterminer que la fête culturelle ou religieuse qui coïncide avec le jour des élections empêche d'une certaine façon ceux qui la célèbrent de participer aux élections? C'est un jugement de valeur. La décision pourrait toujours être difficile à prendre et ferait l'objet de discussions, mais on tiendrait compte de ces droits, non?

M. Hogg : C'est tout à fait juste, madame le sénateur. Pour revenir à ce que j'ai dit plus tôt, je pense que le projet de loi donne au directeur général des élections le pouvoir de décider de l'importance culturelle ou religieuse d'une journée donnée.

Concernant le changement de date pour les élections en Ontario, je remarque que la date prévue coïncidait avec une fête juive moins connue, mais qui aurait empêché les juifs orthodoxes d'aller voter. La décision respecte le critère dont vous avez parlé, à savoir que certaines personnes ne pourraient pas voter ce jour-là.

J'imagine qu'une fête culturelle n'empêcherait personne d'aller voter, mais il se pourrait que bien des gens soient partis en vacances. Encore là, ce serait au directeur général des élections de se demander si la situation va empêcher les gens d'aller voter.

Le sénateur Andreychuk : Nous avons parlé avec M. Kingsley de la décision prise au moment des inondations au Manitoba; il avait finalement pris la bonne décision parce que la situation n'a pas empêché les gens d'aller voter. Il s'est demandé si les bureaux de scrutin étaient accessibles ou devaient être déplacés. Il a analysé la situation. Le directeur général des élections devrait faire la même chose dans le cas des congés, c'est-à-dire tenir compte de tous les congés — qu'il est parfois difficile de déterminer comme l'a dit le sénateur Bryden — et prendre une décision, ce qui peut être compliqué dans certains cas. Cependant, il doit prendre une décision et faire une recommandation. C'est prévu dans l'ancienne loi pour certaines raisons et ce le sera avec cette modification pour d'autres raisons. Il serait raisonnable de penser que le même processus va s'appliquer.

M. Hogg : J'en conviens. Si plus de provinces et de territoires tiennent des élections à date fixe et confèrent les mêmes pouvoirs à leur directeur général des élections, ces mandataires pourront s'échanger une foule de renseignements. Ils pourront ainsi plus facilement répertorier les différentes organisations religieuses et culturelles et déterminer les critères appropriés, mais j'estime que les choses vont se passer essentiellement comme vous le dites.

Le président : Je crois que c'est le sénateur Milne qui a demandé, à notre dernière séance, que des attachés de recherche de la Bibliothèque du Parlement examinent cette question pour nous et rédigent une note d'information sur les jours qui revêtent une importance culturelle ou religieuse. Ce document nous sera distribué dans les deux langues officielles d'ici une semaine.

Disons que le projet de loi est adopté, qu'il reçoit la sanction royale et est promulgué et qu'il y a des élections en 2007, au printemps ou à l'automne. Selon le paragraphe 56.1(2) du projet de loi, les prochaines élections doivent se tenir le 19 octobre 2009.

Les élections auraient donc lieu deux ans à deux ans et demi et non pas quatre ans après les dernières élections. Est- ce ainsi que vous interprétez le texte de loi?

M. Hogg : Je suis désolé, sénateur. Pourriez-vous répéter votre scénario pour que je comprenne bien?

Le président : Disons que le projet de loi dont nous sommes saisis est adopté, qu'il reçoit la sanction royale et est promulgué. Puis, il y a des élections générales au printemps ou à l'automne 2007. En vertu du paragraphe 56.1(2) du projet de loi, les prochaines élections doivent avoir lieu le 19 octobre 2009.

Les élections n'auraient donc pas lieu après quatre ans, mais après deux ans ou deux ans et demi?

M. Hogg : Oui, c'est ainsi que je le comprends.

En fait, étrangement, le projet de loi fixe la date des prochaines élections seulement trois ans et tant de mois, et non quatre ans, après les dernières élections. Je ne crois pas faire erreur. La formule aurait dû faire tomber les élections le troisième lundi du mois d'octobre 2010, mais le projet de loi les fixe en 2009.

Dans le cas que vous citez en exemple, on repartirait à zéro et les élections auraient lieu le troisième lundi du mois d'octobre 2011.

Si le gouvernement était minoritaire, elles seraient presque assurément déclenchées plus tôt.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir au cadre constitutionnel du projet de loi C-16. Vous avez dit bien clairement que l'article 56.1 du projet de loi, tel qu'il est libellé, maintient intact le pouvoir du gouverneur général d'agir sur la recommandation du premier ministre.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Joyal : C'est ce que vous avez dit.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Joyal : J'aimerais examiner avec vous cette question à partir de l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour modifier d'une façon quelconque les pouvoirs du gouverneur général, il faudrait le consentement unanime comme le prévoit justement l'article 41 de la loi. Je suis d'accord avec vous là-dessus.

Le projet de loi veut essentiellement encadrer le rôle ou la capacité du premier ministre de conseiller le gouverneur général sur la date des élections. Il stipule, au paragraphe 56.1(2), que les élections doivent avoir lieu le troisième lundi d'octobre. Autrement dit, il limite la capacité du premier ministre de recommander au gouverneur général la date à laquelle des élections peuvent avoir lieu.

M. Hogg : Je ne suis pas sûr d'appuyer votre dernière proposition, monsieur le sénateur, parce que le paragraphe 56.1(2) du projet de loi commence par les mots : « Sous réserve du paragraphe (1), les élections générales ont lieu », et cetera. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je ne suis pas sûr qu'il limite la capacité du premier ministre de choisir une autre date d'élection.

Le sénateur Joyal : C'est pourquoi vous avez conclu qu'il y a de la souplesse.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Joyal : La souplesse est assurée par les mots « (s)ous réserve du paragraphe (1) » au début du paragraphe 56.1(2).

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Joyal : Par conséquent, si le cadre constitutionnel est respecté et si un premier ministre ne se rend pas chez le gouverneur général à la fin de la quatrième année du mandat de son gouvernement, aux termes de l'article 50 de la Loi constitutionnelle, selon lequel une législature peut durer cinq ans, le gouverneur général ne déclencherait pas d'élections.

M. Hogg : Je crois devoir vous dire que cela semble très paradoxal, mais il est présumé que le premier ministre va respecter les délais prévus dans le projet de loi. Il n'est pas facile pour moi de contester ce à quoi vous voulez en venir.

Le sénateur Di Nino : C'est une vraie réponse de politicien.

Le sénateur Joyal : Cela pourrait faire l'objet d'un colloque.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Joyal : D'après mon interprétation de l'article 50 de la Loi constitutionnelle, le pouvoir du gouverneur général de procéder à la dissolution du Parlement doit être exercé dans un délai de cinq ans.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Joyal : C'est seulement l'article 4 de la Charte dont vous avez parlé, sur les droits démocratiques, et plus particulièrement le paragraphe 4(2) qui permet que le mandat du Parlement soit prolongé au-delà de cinq ans « en cas de guerre, d'invasion ou d'insurrection, réelles ou appréhendées ». Dans ce cas, si cette prolongation ne fait pas l'objet d'une opposition exprimée par les voix de plus du tiers des députés de la Chambre des communes, le pouvoir du gouverneur général n'est pas exercé dans un délai de cinq ans.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Joyal : Alors, si le gouverneur général ne reçoit pas la recommandation du premier ministre après quatre ans, il ne serait pas en mesure d'exiger que des élections aient lieu le troisième lundi d'octobre de l'année prévue par le projet de loi comme le sénateur Oliver l'a dit.

M. Hogg : Je crois que c'est exact. Normalement, ce n'est que dans des circonstances très limitées que le gouverneur général peut exiger la dissolution du Parlement sans l'avis du premier ministre ou à l'encontre de son avis. Ce n'est sûrement pas une de ces circonstances. Je ne crois pas que ce serait conforme aux conventions qui limitent les pouvoirs du gouverneur général que celui-ci décide de procéder à la dissolution du Parlement parce que le premier ministre aurait dû respecter cette loi.

Le sénateur Joyal : C'est pourquoi j'insiste là-dessus afin de vérifier si le projet de loi respecte l'article 50 de la Loi constitutionnelle qui limite dans le temps le pouvoir du gouverneur général de dissoudre le Parlement. Connaissez-vous l'ouvrage The Royal Power of Dissolution of Parliament in the British Commonwealth, du professeur Forsey?

M. Hogg : Certainement, et j'en suis un grand admirateur.

Le sénateur Joyal : En 1974, M. Forsey a publié, dans Freedom and Order, dont l'introduction est bien sûr signée par Donald Creighton, un article intitulé Fixed Dates for Election? Le professeur Forsey ne conclut nulle part que le pouvoir du gouverneur général de dissoudre le Parlement peut être contesté parce que ce serait écarter l'avis du premier ministre, sauf dans le cas où un gouvernement minoritaire n'est pas en mesure de garder le pouvoir pour une période raisonnable. Dans ce cas, si le premier ministre recommande la dissolution, le gouverneur général a le pouvoir d'inviter le chef d'un autre parti à former le gouvernement.

Autrement dit, la dissolution n'est pas automatique quand la population s'est déjà exprimée sur le genre de Parlement qu'elle veut avoir. Je n'ai pas pu trouver dans les écrits du professeur Forsey d'autres circonstances où le gouverneur général peut agir de son propre chef et déclencher des élections en fonction d'une loi s'il n'a pas été conseillé de le faire par le premier ministre.

M. Hogg : Non, il y a longtemps que j'ai lu cet article de M. Forsey qui m'avait beaucoup appris.

Ce que vous voulez dire, et je crois que c'est assez clair, c'est que le gouverneur général n'ordonnera pas la dissolution du Parlement sauf s'il y a une crise, comme vous l'avez dit, c'est-à-dire si le premier ministre, qui le conseillerait normalement, avait perdu la confiance de la Chambre des communes, et qu'il pourrait avoir à faire des choix inacceptables pour le premier ministre. Outre cela, le gouverneur général devra attendre l'avis du premier ministre.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, le gouverneur général a le pouvoir de dissoudre le Parlement aux cinq ans selon l'article 50 de la Loi constitutionnelle. Le gouverneur général agit sur l'avis du premier ministre, qui doit s'adresser au gouverneur général pour faire dissoudre le Parlement, soit moins de quatre ans après les dernières élections, en fonction des circonstances politiques X, ou plus de quatre ans après, en fonction des circonstances politiques Y. C'est l'un ou l'autre. Il ne peut pas y avoir deux situations en vertu desquelles le premier ministre pourrait décider de ne pas respecter l'article 56.2 du projet de loi pour ce qui est de demander la dissolution du Parlement.

M. Hogg : Sénateur Joyal, je n'en vois pas pour l'instant à moins que j'aie un éclair de génie tard ce soir. Vous me démontrez que le projet de loi offre encore plus de souplesse que je n'étais prêt à le reconnaître à propos des élections à date fixe, mais je crois que ce que vous dites est juste.

Le président : Le sénateur Andreychuk a une question complémentaire à poser.

M. Hogg : J'espère qu'elle est plus facile.

Le sénateur Andreychuk : J'espère qu'elle porte sur le même sujet, mais vu différemment. Le gouverneur général exerce son pouvoir à la suite d'une perte de confiance. Autrement dit, le Parlement doit avoir perdu confiance pour amener le premier ministre à recommander sa dissolution.

Or, il se pourrait bien que, si le projet de loi, qui prévoit des élections aux quatre ans; est adopté, le premier ministre perde la confiance du Parlement parce qu'il ne demande pas sa dissolution.

M. Hogg : Oui. Le mandat de quatre ans prévu dans la loi aura diverses conséquences politiques. C'est une question très pertinente. Nous en arrivons à la conclusion que, pour être utiles, les mandats de quatre ans doivent être efficaces sur le plan politique.

Le sénateur Bryden : Pour vous, le projet de loi C-16 est conforme à l'article 50 de la Loi constitutionnelle.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Bryden : Vous avez cependant ajouté que, même si c'est le cas, nous pouvons modifier l'article 50 en vertu de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982.

M. Hogg : Oui, c'est ce que j'ai dit.

Le sénateur Bryden : Quand le directeur général des élections de la Colombie-Britannique est venu témoigner, on lui a demandé, comme le sénateur Joyal vient de le faire, ce qui se passe quand il y a des élections avant ou après la période de quatre ans.

Le sénateur Stratton : C'est à vos risques et périls.

Le sénateur Bryden : Nous sommes tous exposés à des risques ici. De toute façon, j'ai demandé ce qui se passait dans ce cas. Jusqu'à ce que les choses changent du moins, le mandat de la Chambre des communes peut être de cinq ans comme le prévoit la Constitution.

Il a dit exactement la même chose, à savoir que le lieutenant-gouverneur d'une province s'en remettrait à l'article 50 de la Constitution, parce qu'il y a une seule constitution. Il a expliqué qu'avant l'adoption de la loi sur les élections à date fixe, tous les gouvernements de la province s'étaient donné des mandats de cinq ans parce qu'ils en avaient le droit.

J'en parle parce que vous avez dit que nous pouvions invoquer l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982. Je ne sais pas si c'est possible si c'est aussi une question d'ordre constitutionnel pour toutes les provinces, puisqu'elles sont d'avis que le mandat de leur assemblée législative, avant d'être écourté par une loi, est d'une durée de cinq ans selon ce qui est prévu par la Constitution.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Bryden : Le Parlement du Canada ne peut pas, de sa propre initiative, changer cela sans l'accord des provinces. Actuellement, la plupart des provinces estiment que c'est le mandat que la Constitution leur accorde.

M. Hogg : J'ai dit que le Parlement pouvait modifier l'article 50 de la loi, mais je n'ai pas vérifié si cet article s'applique directement aux provinces en vertu de l'article 90 de la loi, et je ne suis pas en mesure de vous répondre là- dessus.

Je ne crois pas que l'article 50 s'applique directement aux provinces. C'est l'article 4 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui s'applique à elles. Ce que vous avez dit à propos de l'article 50 est vrai dans ce cas. L'article 4 de la loi s'applique directement aux provinces et le Parlement ne peut pas le modifier sans suivre la procédure de modification de la Constitution parce que cet article fait partie de la Charte des droits.

Le sénateur Bryden : Pouvons-nous alors le faire en vertu de l'article 44 de la loi?

M. Hogg : Non, mais l'article 4 établit seulement un mandat maximal de cinq ans. Remarquez que le Parlement ne peut quand même pas, comme vous le dites, modifier l'article 4 de la loi qui s'applique aux provinces autant qu'à lui.

Le sénateur Bryden : Oui. Si les provinces ne sont pas visées par l'article 50 de la loi mais qu'elles le sont par l'article 4, la modification de l'article 50 toucherait-elle alors seulement le Parlement du Canada?

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Bryden : L'article 4 de la Loi constitutionnelle s'appliquerait toujours à toutes les provinces.

M. Hogg : Oui, ainsi qu'au Parlement du Canada.

Le sénateur Bryden : Qu'avons-nous accompli alors?

M. Hogg : Je vais répéter ce que j'ai dit au sujet de ces deux dispositions. L'article 4 de la loi fixe simplement la durée maximale du mandat et nous ne pouvons pas modifier cela.

L'article 50 de la loi prévoit lui aussi la durée maximale du mandat. Si on considérait que cet article donne accès à une cinquième année complète de mandat, nous pourrions le modifier. Le sénateur Joyal m'a convaincu qu'un mandat de cinq ans était toujours possible compte tenu de la disposition du projet de loi qui ne porte pas atteinte aux pouvoirs du gouverneur général.

Le sénateur Bryden : C'est exact.

M. Hogg : C'est une réponse alambiquée, mais votre question était compliquée.

[Français]

Le sénateur Rivest : L'ensemble des Canadiens ont compris que l'intention du gouvernement est d'avoir des élections à date fixe afin d'éviter les jeux politiques ou l'avantage indu accordé au premier ministre de décider de cette date. Par conséquent, le gouvernement a présenté ce projet de loi.

Aux États-Unis, les élections se font à date fixe. Il en va de même en France. Ce sont là des régimes présidentiels.

La disposition constitutionnelle fixe le terme à cinq ans, et la disposition législative maintenant fixe le terme à quatre ans. Sauf ces exceptions, le premier ministre peut, sans contraintes, décider, dans les quatre ans, de la date des élections. Toutefois, il doit se soumettre à la prééminence de la règle du vote et de la confiance de la Chambre.

En termes pratiques et concrets, compte tenu des pouvoirs et prérogatives du gouverneur général en matière de dissolution, entre autres, la réalité juridique, constitutionnelle et politique de ce projet de loi ne sera finalement que très peu changée, puisque les élections auront lieu le jour où un gouvernement, fut-il majoritaire ou minoritaire, aura perdu la confiance de la Chambre. Telle est la règle constitutionnelle dominante.

Il est donc quelque peu illusoire de laisser croire à l'ensemble de la population canadienne que cette initiative fera en sorte que dorénavant nous aurons, à tous les quatre ans, des élections à date fixe. La règle constitutionnelle pratique demeure la confiance de la Chambre. Cette notion de confiance de la Chambre est d'ailleurs très diffuse. On a toujours su qu'elle s'exprimait vis-à-vis le discours du trône, le budget et quelques mesures législatives.

Parfois, on dit qu'un projet de loi engage la survie du gouvernement. Le premier ministre a la discrétion de s'exprimer en ces termes.

Ai-je raison de dire que, de façon pratique, ce projet de loi ne changera pas grand-chose sur la détermination de la date des élections?

[Traduction]

M. Hogg : Sénateur Rivest, excusez-moi de vous répondre en anglais, mais mon français est déplorable. Oui, vous avez raison, particulièrement après ce qu'a dit le sénateur Joyal à savoir que, malgré le projet de loi, nous allons continuer d'avoir des élections quand elles seront recommandées par le premier ministre. En cas de gouvernement minoritaire, personne ne va même tenir compte du projet de loi parce qu'aucun politicien ne va permettre au Parlement de siéger pendant quatre ans. Même si le gouvernement est majoritaire, il se peut que les élections n'aient pas lieu après quatre ans. Cependant, comme des sénateurs l'ont fait remarquer, le premier ministre d'un gouvernement majoritaire risque de se sentir obligé de respecter le projet de loi pour ne pas en payer le prix politique. Dans le fond, ce que vous dites est tout à fait juste.

Le sénateur Di Nino : Il a souvent été question aujourd'hui du fait que la souplesse qu'offre le paragraphe 56(2) proposé constitue davantage un aspect négatif du projet de loi. Quant à moi, j'estime que c'est un aspect très positif, puisque le paragraphe autorise le gouverneur en conseil à modifier la date lorsqu'il est opportun de le faire. Je ne veux pas qu'il soit consigné au compte rendu que c'est un aspect négatif du projet de loi. J'ignore si vous souhaitez formuler un commentaire, mais je voulais le dire officiellement.

M. Hogg : Je suis d'accord avec vous, sénateur Di Nino. Nous sommes tous fiers de notre régime de gouvernement responsable. Je le préfère à celui en vigueur aux États-Unis, où le président demeure en fonction quelle que soit la situation au Congrès. J'estime que le problème avec lequel nous sommes aux prises porte sur la façon d'intégrer le système d'élections à date fixe à notre régime de gouvernement responsable qui fonctionne bien, et c'est le sens des questions du sénateur Joyal. C'est notre objectif, et il n'y a rien de mal à ce dilemme. Je suis d'accord.

Le sénateur Di Nino : Merci. L'autre observation découle de la question du sénateur Rivest. La question de confiance doit être considérée comme l'un des principes de base du gouvernement responsable. Nous ne voudrions pas empêcher le Parlement d'accorder sa confiance au gouvernement. Encore une fois, nos échanges semblent faire ressortir qu'il s'agit là d'un aspect négatif. J'estime que c'est probablement l'un des principes fondamentaux du gouvernement responsable. Qu'en pensez-vous?

M. Hogg : Je crois que c'est un principe fondamental du gouvernement responsable. Je ne vois pas comment nous pourrions en faire fi, car c'est un principe indissociable du gouvernement responsable.

Le sénateur Di Nino : J'en suis conscient.

Le sénateur Rivest : Il y a le concept de gouvernement responsable en France.

Le sénateur Di Nino : C'est un régime de gouvernement différent.

M. Hogg : C'est tout à fait exact, sénateur Rivest. Cependant, nous employons l'expression « gouvernement responsable » au sens strict.

Le sénateur Di Nino : Monsieur, le projet de loi ne précise ni ne définit la convention sur la confiance. On a fait valoir que le faire entraînerait ou pourrait entraîner une interprétation judiciaire. D'après nous, la confiance relève du domaine de la politique. C'est une question d'ordre politique, et cette convention, de plus, évoluerait au fil du temps.

Pourriez-vous nous faire part de votre opinion et nous dire si le projet de loi doit définir la confiance et, le cas échéant, quelles en seraient les conséquences.

M. Hogg : Je ne crois pas qu'il faille la définir, ni que cela soit une bonne idée, car il serait difficile de le faire.

Nous avons fonctionné longtemps sans que la confiance ne soit définie dans une mesure législative et, le présent projet de loi ne visant pas essentiellement à modifier la règle relative à la confiance, je ne crois pas qu'il y ait lieu d'essayer d'apporter davantage de précisions.

Il incombe au premier ministre de déterminer si la Chambre accorde sa confiance ou s'il doit se rendre chez la gouverneure générale en cas de perte de confiance. S'il conclut à tort qu'il n'a pas perdu la confiance de la Chambre, la gouverneure générale pourrait alors, situation fort peu susceptible de se produire, démettre le premier ministre et dissoudre le Parlement ou dissoudre le Parlement sans démettre le premier ministre. La gouverneure générale disposerait de certaines options.

Actuellement, la question de confiance est tranchée par le premier ministre dans un premier temps, puis par la gouverneure générale lorsque le premier ministre semble agir d'une façon irresponsable ou de mauvaise foi. Je ne crois pas que nous voulions modifier cela et définir la confiance dans une mesure législative.

Le sénateur Di Nino : Le Parlement peut également se prononcer sur une motion de confiance. Cette prérogative n'appartient pas qu'au premier ministre ou à la gouverneure générale. J'affirme que c'est un principe fondamental de notre gouvernement responsable. Le Parlement est autorisé à soulever la question de confiance et à l'examiner en Chambre.

M. Hogg : Bien sûr, c'est à la Chambre des communes de déterminer si le gouvernement a perdu sa confiance. Celle- ci adopte une résolution le déclarant expressément. C'est d'ailleurs ainsi qu'ont été déclenchées les dernières élections générales. On ne saurait être plus clair. Ni le premier ministre ni la gouverneure générale ne le contesteront.

Il est possible d'imaginer que la Chambre des communes pourrait adopter une résolution qui laisserait planer un doute sur la perte de confiance effective. Le cas échéant, il appartiendrait au premier ministre de trancher, décision que la gouverneure générale pourrait peut-être infirmer.

Le sénateur Joyal : Je tiens à signaler que, lorsque le premier ministre conseille à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement, cette dernière le fait et déclenche des élections. Si la date du scrutin doit être reportée aux termes du paragraphe 56.2(1) du projet de loi, parce qu'elle coïncide avec un jour revêtant une importance culturelle ou religieuse ou encore avec la tenue d'une élection provinciale ou municipale, ou aux termes du paragraphe 59(1) de la Loi électorale du Canada en raison d'une inondation, d'un incendie ou d'une autre catastrophe, comme le sénateur Andreychuk l'a signalé, je serais tenté de proposer un référendum. Un référendum perturberait autant le processus électoral qu'une élection provinciale ou municipale. Par définition, le référendum a une portée provinciale.

La décision de modifier la date du scrutin n'appartiendrait plus alors au premier ministre. Elle incomberait au gouverneur en conseil aux termes de l'article 59 de la Loi électorale du Canada et du paragraphe 56.2(3) du projet de loi C-16.

Autrement dit, nous avons cette espèce de distinction en ce qui concerne l'autorité en matière de conseils.

M. Hogg : Je ne connais pas très bien les dispositions de la Loi électorale du Canada, auxquelles le sénateur Andreychuk et vous avez fait allusion.

Le paragraphe 56.2(5) du projet de loi C-16 établit qu'il pourrait y avoir une date limite régissant la décision de modifier la date du scrutin. En ce qui concerne l'Ontario, nous disposons encore de bien des mois, et rien ne prête donc à confusion.

Cependant, il pourrait y avoir un changement à la fin de juillet, selon le projet de loi. D'après le libellé, si le premier ministre a déjà informé la gouverneure générale, il semblerait donc au moins que la décision n'appartient plus au premier ministre mais qu'elle incombe au gouverneur en conseil. Comme je l'ai indiqué, le premier ministre se rendrait à Rideau Hall pour faire part de la décision à la gouverneure générale.

Le sénateur Joyal : J'essaie d'établir la distinction entre la prérogative du premier ministre et celle du gouverneur en conseil. Vous n'êtes pas sans savoir que l'exercice d'une prérogative peut être assorti de modalités distinctes, et nous n'ignorons pas qu'il en découle un contexte politique différent.

L'autre question que je souhaiterais vous poser est peut-être un peu naïve. Selon le paragraphe 56.1(2) du projet de loi, les élections générales ont lieu le troisième lundi d'octobre. D'après vous, si le premier ministre estime que la Chambre est saisie d'une motion de confiance selon laquelle la survie du gouvernement est en cause ou si le Parlement a été prorogé conformément à ce que le sénateur Bryden a signalé, est-ce que contrevenir à ce paragraphe entraînerait une sanction? Prenons l'exemple du Sénat qui refuserait d'adopter un projet de loi parce qu'il estimerait que le gouvernement n'a pas le mandat de mettre en œuvre cette transformation importante.

Y a-t-il une sanction dans le projet de loi?

M. Hogg : Je ne crois pas qu'il y en ait une. Pour répondre à votre question, je vous dirai que le début du paragraphe 56.1(2) du projet de loi — « Sous réserve du paragraphe (1) » — et la nécessité de protéger intégralement la prérogative de la gouverneure générale font en sorte que des élections peuvent se tenir avant la fin de la période de quatre ans et même après celle-ci, sous réserve de la limite inéluctable de cinq ans.

Comme je l'ai indiqué, le projet de loi sera efficace si les considérations et les pressions d'ordre politique le permettent, ce qui sera, je pense, le cas lorsque nous reviendrons à un gouvernement majoritaire. Il n'aura aucune efficacité lorsque nous aurons des gouvernements minoritaires. Même si le paragraphe 56.1(2) établit que des élections auront lieu, je ne crois pas que cette question pourrait être tranchée par un tribunal ou être assortie d'une sanction.

Le sénateur Joyal : En fin de compte, lorsque le gouvernement a perdu la confiance de la Chambre, le premier ministre demande habituellement la dissolution du Parlement.

Le premier ministre pourrait également conclure que le Parlement est prorogé. Soit que le gouvernement est incapable de faire adopter son programme législatif par le Parlement, soit que le gouvernement — en termes plus généraux — est d'avis qu'il serait préférable d'obtenir l'approbation de l'électorat avant de pouvoir faire adopter un projet de loi important. Le premier ministre disposerait donc de trois scénarios ou options lui permettant de demander la dissolution avant la fin de la période de quatre ans ou après celle-ci, en fonction du contexte politique du moment.

M. Hogg : Je crois que c'est bel et bien le cas. Dans le premier scénario, il y a manifestement une perte de confiance. Le second est très similaire au premier, en ce sens que le gouvernement est convaincu qu'il ne pourra faire adopter son programme législatif.

Et, dans le troisième scénario, la crainte de s'attaquer à une mesure législative importante pourrait être associée à une perte de confiance. La situation pourrait cependant être différente, étant donné que la majorité pourrait être en faveur de la plupart des projets de loi, mais que cette majorité ne serait pas garantie à l'égard de la mesure à venir.

Le sénateur Baker : Il y a trois semaines, la Cour suprême du Canada a rendu une décision, dans laquelle elle vous a cité généreusement. Vous savez de quelle affaire je veux parler. Vous aviez déclaré que certaines mesures étaient inconstitutionnelles. Vous étiez d'avis qu'une province devrait rembourser à certains particuliers le montant d'une taxe indirecte qu'elle a perçue alors qu'elle n'avait pas le droit de la leur imposer. La Cour suprême du Canada a tranché la question dans un jugement qui est conforme à votre opinion sur la question.

Je viens d'apprendre que deux provinces, en l'occurrence la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, ont pris des mesures rétroactives afin d'imposer une taxe directe à la place de la taxe indirecte, qui était, selon vous, inconstitutionnelle. Qu'en pensez-vous?

À mon avis, ce n'est pas une question incongrue, parce que vous connaissez à fond le sujet. Est-ce une surprise pour vous?

M. Hogg : Il ne fait aucun doute que, si une taxe a été jugée inconstitutionnelle parce qu'elle était indirecte, il serait constitutionnel de conserver les montants ainsi perçus en imposant une taxe directe avec effet rétroactif. Cette situation s'est déjà produite. Le contribuable malchanceux n'obtient pas toujours nécessairement le remboursement.

Le sénateur Baker : C'est une décision judicieuse.

Le président : Monsieur Hogg, comme je l'ai dit en introduction, les membres de notre comité vous connaissent bien et vous êtes réputé dans l'ensemble du Canada pour votre sagesse et vos conseils judicieux. Vous venez d'en faire la preuve encore une fois aujourd'hui. Nous vous remercions infiniment de votre présence.

À la fin de votre déclaration préliminaire, vous avez indiqué que des dates de scrutin fixes et flexibles constituaient une bonne description et qu'il fallait de la souplesse pour réussir à greffer des dates d'élection fixes à un système de gouvernement responsable. Voilà une bonne façon de mettre un terme à cette partie de notre séance. Nous vous remercions infiniment de tous les conseils que vous nous avez donnés et de l'aide que vous nous avez apportée dans notre examen de ce projet de loi important.

M. Hogg : C'est moi qui vous remercie infiniment de ces échanges courtois et très enthousiasmants.

Le président : Nous sommes heureux d'accueillir maintenant M. Chernushenko, chef adjoint principal du Parti Vert du Canada. Nous nous réjouissons que vous ayez pu comparaître dans un si bref délai.

David Chernushenko, chef adjoint principal, Parti Vert du Canada : Je vous remercie infiniment. C'est avec plaisir que je me retrouve parmi vous. Le Parti Vert du Canada est heureux d'avoir été invité, même si ce fut au pied levé. Nous voulons profiter de toutes les occasions qui s'offrent à nous.

[Français]

Je parle également français. Je suis donc à l'aise pour répondre à vos questions en français.

[Traduction]

Malheureusement, je n'ai pas pu obtenir la traduction de mon document, mais je crois comprendre que vous la recevrez ultérieurement.

Je vous remercie d'avoir invité le Parti Vert du Canada à présenter son point de vue sur le projet de loi C-16. Permettez-moi de le résumer en quelques minutes.

Je tiens d'abord à préciser, comme je l'ai dit au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, que nous ne sommes pas opposés au projet de loi. Nous ne sommes pas convaincus cependant qu'il existe un avantage particulier à adopter une date fixe pour la tenue des élections. Les avantages et les désavantages possibles sont nombreux, mais aucun des avantages prévus ne suffit à nos yeux pour faire de cet amendement une priorité, hormis la possibilité de réaliser des économies, ce qui est une bonne chose.

Si l'objectif du projet de loi C-16 est de revigorer la démocratie au Canada en rendant les élections plus justes, en augmentant la participation électorale, en favorisant la reddition de comptes ou en y parvenant par un autre moyen, ces visées demeurent hypothétiques et ne se concrétiseront pas forcément. Le gouvernement doit avoir la confiance d'une majorité de députés de la Chambre des communes, dans la tradition parlementaire canadienne. Par conséquent, nous ne voyons pas comment une date électorale fixe pourrait être souhaitable ou même possible. Vous avez entendu les conclusions du témoin précédent, qui est un spécialiste beaucoup plus chevronné dans le domaine des affaires constitutionnelles.

À première vue, on est porté à croire qu'une date fixe simplifierait la vie d'un parti politique en ce qui a trait aux élections et rendrait ses préparatifs plus prévisibles. Cependant, comme un gouvernement peut tomber à n'importe quel moment, il nous faudrait tout de même rester en état d'alerte presque constamment, particulièrement lorsque le gouvernement est minoritaire. J'irais même jusqu'à prédire que nous aurons des gouvernements minoritaires dans un avenir prévisible. Il y aura un statu quo.

Certes, le Parti Vert du Canada croit que le système électoral a besoin d'être amélioré à bien des égards, mais l'adoption d'une date fixe n'est pas notre priorité absolue. Nous estimons plutôt qu'il aurait mieux valu consacrer le temps et l'énergie requis par ce projet de loi à la recherche d'une forme de représentation plus proportionnelle, ce que, de concert avec d'autres, nous prônons avec vigueur.

Nous souhaitons une participation plus forte des électeurs; un engagement accru des citoyens dans les processus démocratiques; plus de transparence et de reddition de comptes de la part du gouvernement; une participation plus grande des jeunes, des nouveaux Canadiens et des Canadiens marginalisés; moins de cynisme à l'égard de la politique en général. Ce sont tous, à notre avis, des objectifs nécessaires et louables vers lesquels le gouvernement doit tendre. Mais nous ne voyons pas comment une date d'élection fixe y contribuerait.

En résumé, nous ne sommes pas contre une date d'élection fixe, mais le projet de loi C-16 ne constitue pas, à nos yeux, une réforme électorale importante dont la Canada a besoin. S'il est adopté, le projet de loi C-16 ne devrait constituer qu'un premier pas vers des changements plus profonds, par exemple l'adoption d'une forme de représentation proportionnelle, grâce à laquelle le vote d'un plus grand nombre d'électeurs canadiens comptera vraiment et davantage de voix seront entendues au Parlement.

Le sénateur Milne : Monsieur Chernushenko, vous avez dit que vous vous opposiez au projet de loi parce que vous devez encore rester en état d'alerte constamment au cas où le Parlement tomberait à la suite d'un vote de confiance.

Le sénateur Andreychuk : Quant à moi, j'ai compris qu'ils étaient en faveur du projet de loi. Êtes-vous pour ou contre le projet de loi?

M. Chernushenko : Je suppose que c'est une question d'interprétation. Nous ne sommes pas contre le projet de loi. Nous n'essaierions pas — et nous ne sommes pas en mesure de le faire — d'empêcher l'adoption du projet de loi, mais c'est une question de priorités. Il est vrai que nous n'estimons pas que la mesure législative modifierait d'aucune façon notre nécessité d'être en état d'alerte.

Le sénateur Milne : Changeriez-vous d'avis si le projet de loi restreignait les pouvoirs du premier ministre de déclencher des élections avant l'expiration du délai prévu?

M. Chernushenko : Je suppose que oui. Cependant, à moins que nous nous retrouvions dans une situation où il est presque impossible que des élections soient déclenchées à dates fixes, tout parti politique ferait preuve de prudence en étant constamment prêt à réagir.

Le sénateur Milne : Après avoir entendu l'impressionnant témoignage de l'expert précédent sur toute cette question, je trouve vos observations intéressantes, monsieur Chernushenko, car elles dégagent un point de vue légèrement différent. Je vous remercie de comparaître aujourd'hui, mais je n'ai pas d'autres questions.

Le sénateur Di Nino : Je tiens à souligner que je ne crois pas que vous ayez dit être opposé au projet de loi. Vous avez affirmé plutôt que vous ne vous y opposiez pas et vous avez dit ce que vous pensiez.

Le gouvernement a présenté le projet de loi entre autres à cause de la façon dont les gouvernements ont manipulé la date de scrutin, comme l'ont signalé les témoins. Ce fut souvent le cas dans l'histoire parlementaire canadienne. La capacité de manipuler la date de scrutin au profit du parti au pouvoir a toujours fait l'objet de critiques, à mon avis, injustifiées et intraitables. Selon vous, ce n'est pas une source de préoccupations.

M. Chernushenko : J'estime que la manipulation de la date de scrutin est une source de préoccupations, mais je mettrais les choses dans leur contexte historique. Étant donné que les tentatives de manipulation par les gouvernements ont eu aussi souvent un effet boomerang qu'un effet bénéfique, on ne peut pas affirmer que cela a été plus à l'avantage d'un parti.

Cependant, c'est là l'aspect du projet de loi que nous appuyons le plus. J'estime que cette mesure législative serait judicieuse si nous pouvions créer une situation où le premier ministre ne pourrait pas manipuler le projet de loi ou si nous pouvions à tout le moins établir une tradition à cet égard. La situation s'améliorerait si nous pouvions établir une tradition par laquelle le gouvernement aurait beaucoup moins de latitude pour déterminer à sa guise la date de scrutin ou si un tel comportement était beaucoup moins accepté.

Le sénateur Di Nino : Je voudrais aborder votre question à propos des statistiques historiques. On pourrait faire valoir que le gouvernement de l'époque a manipulé la date de scrutin lors des élections de 1997 et de 2000 et qu'il en a tiré profit puisqu'il a été réélu chaque fois. Je ne vois pas comment vous pouvez dire que cela a eu un effet boomerang — je pense que c'est le terme que vous avez utilisé. Cependant, il y a eu également un contrecoup pour le parti au pouvoir. Qu'en pensez-vous?

M. Chernushenko : Je conviens que, à ces deux occasions, c'est certes ce qui est survenu. Sans vouloir me contredire, je vous ferai valoir que nous voudrions que cette pratique soit restreinte.

Le sénateur Di Nino : Je voudrais aborder la question de la participation électorale. Le seul exemple que nous ayons jusqu'à présent est celui de la Colombie-Britannique; il y aura le cas de l'Ontario en octobre. Le témoin que nous avons entendu, le directeur général des élections de la Colombie-Britannique, nous a fait part de statistiques — en fait, ce fut principalement son adjoint, qui a comparu devant le comité de la Chambre — indiquant une amélioration de la participation électorale. Selon les chiffres qu'ils nous ont donnés, cette amélioration touchait principalement les jeunes, ce qui est important. Je crois qu'attirer les jeunes électeurs et les encourager à voter constituent probablement l'enjeu auquel sont confrontés tous les partis politiques.

Il me semblerait que les seuls exemples que nous possédons et les seuls témoignages que nous avons entendus traduisent un regain de la participation électorale, principalement chez les jeunes. Tout d'abord, estimez-vous que c'est une amélioration?

M. Chernushenko : C'est effectivement une amélioration. C'est certes valable, si la tenue de scrutin à date fixe nous permet de commencer à faire progresser les choses. Nous vous avons fait valoir qu'il s'agit peut-être d'une modification modeste dans la bonne direction. Cependant, considérons qu'il s'agit là de la première d'une des nombreuses réformes possibles de notre système électoral pour favoriser davantage la participation des Canadiens afin que ceux-ci estiment que leurs votes compteront, ainsi que pour chasser le concept de vote stratégique et le cynisme des gens pour qui tout cela n'en vaut pas la peine puisque leurs votes ne vaudront rien. Devrions-nous étudier la situation des pays qui ont peut-être mis en œuvre le mode de scrutin à date fixe tout en adoptant d'autres réformes ou des systèmes différents qui facilitent une participation électorale de beaucoup supérieure? Je répondrais par l'affirmative, si les mesures envisagées nous étaient utiles. Faisons-le, mais que ce ne soit que la première d'une série de réformes.

Le sénateur Di Nino : J'abonde dans votre sens à cet égard.

Le sénateur Andreychuk : Je veux simplement être certaine d'avoir bien compris. Vous semblez échafauder des hypothèses sur ce qu'il pourrait en découler. Des membres de votre parti ou d'autres Canadiens ne vous ont-ils jamais dit qu'ils appuyaient cette idée ou ne vous en ont-ils jamais parlé, ou encore se peut-il que cette question soit occultée au sein du Parti Vert?

M. Chernushenko : À tout le moins, elle n'a jamais été occultée, mais je ne me souviens pas d'une personne en particulier qui m'ait dit que nous devrions avoir des scrutins à date fixe, que c'est une priorité absolue. Cependant, de très nombreuses personnes, y compris des électeurs qui votent pour d'autres partis, me signalent, entre autres critiques, qu'il est absurde que notre système électoral n'accorde pas les sièges à un parti en fonction des voix qu'il a obtenues. Je ne peux pas donner un seul exemple où quelqu'un a indiqué à notre parti que la tenue des élections à date fixe était une priorité.

Le sénateur Di Nino : La participation électorale est une question qui m'intéresse. L'un des facteurs dont on a tenu compte dans le choix du moment de l'année, la troisième semaine d'octobre, c'est que cette semaine est celle de la citoyenneté au Canada. À la suite des témoignages entendus, nous savons également que cette semaine est celle où les étudiants — particulièrement ceux des universités — seraient probablement tous disponibles. Ceux-ci pourraient alors, espérons-le, participer davantage au processus démocratique le jour du scrutin. Je me demande si vous y avez songé.

M. Chernushenko : Étant donné le nombre très restreint d'électeurs chez les étudiants des écoles secondaires et puisque ces étudiants demeurent encore chez leurs parents, à l'exception de ceux qui fréquentent un pensionnat, l'objectif visant à favoriser la participation des étudiants universitaires et collégiaux m'apparaît très valable. Il serait très important de favoriser l'inscription sur les listes électorales de ces derniers et de quiconque vit à l'extérieur de la ville de ses parents ainsi que d'amener ces personnes à voter. C'est pourquoi j'appuie de tout cœur le moment de l'année proposé, qui semble le plus susceptible de permettre d'atteindre cet objectif. Nous nous sommes heurtés à un problème lors des deux dernières élections, particulièrement en 2004 : le jour du scrutin était après le départ des étudiants des campus. Il est donc judicieux d'accorder suffisamment de temps aux étudiants qui n'habitent plus chez leurs parents pour qu'ils s'inscrivent sur la liste électorale de leur nouveau lieu de résidence. Prenons l'exemple d'un étudiant fréquentant l'Université Carleton, ici à Ottawa. Celui-ci aurait alors le temps de s'inscrire sur la liste électorale à Ottawa ou de prendre les dispositions nécessaires afin notamment de pouvoir voter par anticipation lorsqu'il retournera dans sa famille pour le congé de l'Action de grâces. Il aurait également le temps de prendre les dispositions pour voter par correspondance ou pour utiliser tout autre mode mis en œuvre. Ce sont tous des options valables.

Le sénateur Di Nino : Je compatis avec votre position, bien qu'il me semble que c'est bien plus complexe que de seulement parler de modifier la représentation proportionnelle. Nous en connaissons les pièges.

Le sénateur Joyal : Peut-être voudrez-vous lire le témoignage que nous avons reçu du directeur général des élections de la Colombie-Britannique, qui dit qu'une date fixe d'élection a été instaurée au moins une fois. Nous aurons l'expérience de l'Ontario plus tard, cette année. Cependant, je ne crois pas que la conclusion du témoignage est aussi claire ou concluante que l'a dit le sénateur Di Nino au sujet de la participation des jeunes au scrutin.

Il y a bien des facteurs qui entrent en jeu dans la participation des jeunes au scrutin. Il ne fait pas de doute que le choix de la date des élections est important, parce que si des étudiants sont à l'école, à l'université ou au collège quand les élections ont lieu, c'est plus facile pour eux d'aller voter où ils sont à ce moment-là. À l'école ou à l'université, ils peuvent débattre et échanger des points de vue; cela fait partie de la vie démocratique.

Je ne veux pas trop insister là-dessus, mais je pense que ce n'est pas aussi clair que l'a dit le sénateur Di Nino aujourd'hui. Nous en avons discuté, si vous vous souvenez bien, sénateur Di Nino, et il y a bien des nuances qui peuvent s'appliquer à ces conclusions.

Cependant, là n'est pas l'objet premier de mon propos. Vous dites qu'il y a d'autres aspects du système électoral qui sont beaucoup plus importants pour vous.

Puis-je demander la position du Parti Vert de votre contestation du projet de loi C-24, et si vous avez décidé de contester le projet de loi C-2 sur la base des limites fixées aux petits partis pour accéder au financement public, que ce soit au plan de la participation au scrutin ou au nombre de votes que vous avez pu recueillir suite à un scrutin national? Où en êtes-vous dans vos procédures juridiques?

M. Chernushenko : Avec le changement de direction et le nouveau conseil fédéral depuis la fin août, nous sommes en train de passer en revue les dossiers juridiques auxquels nous avons été mêlés pour voir si nous voulons continuer d'y participer — si c'est encore pertinent.

Dans le cas du financement des élections, nous avons reçu des fonds lors des deux dernières élections. Avec la décision récente qui a un effet rétroactif, nous pourrions recevoir des fonds pour l'élection antérieure — avant que la loi soit adoptée et que nous soyons même près de la limite de 2 p. 100 du nombre des votes. Nous ne comptons certainement pas la remettre en question; nous en sommes actuellement les bénéficiaires, alors ce ne serait pas à notre avantage de changer quoi que ce soit. Je ne pense pas non plus que nous voudrions nous tenir aux côtés des grands partis traditionnels et dire « et maintenant que nous avons l'argent, assurons-nous que les petits partis n'en aient pas ». Cela irait à l'encontre de nos convictions; nous laisserons les autres en débattre.

Le sénateur Joyal : Revenons donc à la teneur du présent projet de loi. À votre avis, en ce qui concerne le Parti Vert, l'incidence du projet de loi est neutre sur les avantages qu'en tirerait selon vous votre parti, peu importe s'il est adopté. Est-ce bien cela?

M. Chernushenko : Je dirais que l'avantage est légèrement plus que neutre. Nous pouvons voir qu'il nous permettrait de mieux planifier. Plus souvent qu'autrement, les élections tomberaient à cette date fixe. Cependant, ne pensons pas que c'est aussi tranché que cela, car nous savons que des élections se dérouleront tous les quatre ans à cette date. En fait, il est facile de débattre des avantages et des inconvénients de cette solution.

Il y a des avantages à notre système actuel, quand un gouvernement doit maintenir la confiance, ou peut chuter s'il n'y arrive pas, auquel cas nous nous retrouvons en période électorale. Je n'y vois absolument pas une situation négative. Cela fait partie de notre tradition, et un gouvernement doit garder cela à l'esprit quand il essaie d'adopter des lois — tous ces éléments, nous en avons tenu compte.

Le sénateur Joyal : Vous ne seriez pas vexé, dans la situation actuelle — et d'après la perspective que vous avez de votre avenir, à court ou à long terme — que nous maintenions le système actuel, qu'il n'y ait pas de changement à la manière dont nous avons fonctionné jusqu'à maintenant?

M. Chernushenko : C'est assez juste. Nous n'avons pas vraiment milité en faveur d'une date fixe des élections parce que nous n'y avons pas vu quelque chose qui nous avantagerait grandement, ou un point de principe qui nous inciterait à le faire. Comme je l'ai dit dans mes commentaires et comme je l'ai répété, nous estimons avoir d'autres sujets sur lesquels dépenser notre énergie — et où, selon nous, le Parlement devrait dépenser son énergie — pour traiter de questions de faible participation des électeurs, de cynisme accru et de désengagement dans le système, par exemple.

Le sénateur Joyal : Le système électoral — le système de scrutin — est plus important pour vous que tout autre élément du système électoral au Canada.

M. Chernushenko : C'est actuellement notre priorité. C'est à l'avant-plan de notre plate-forme — l'idée de la réforme électorale et d'une forme quelconque de représentation proportionnelle. Nous reconnaissons que le sujet a été soulevé; il y a des avantages et des inconvénients, et il existe différents systèmes. Je sais que nous ne sommes pas ici pour en débattre aujourd'hui; c'est un tout autre sujet.

Ce que nous disons, c'est que nous aimerions passer à cet autre sujet peu après celui-ci. D'aucune façon nous nous dirions : « Eh bien, voilà, nous avons des dates fixes pour les élections; nous avons réglé le déficit démocratique et les électeurs vont maintenant participer en masse ». Je suppose que personne ici ne pense que cela va se faire automatiquement. Voyons-y une première étape dans le bon sens, et allons de l'avant avec d'autres réformes.

Le sénateur Joyal : À votre avis, quels sont les principaux facteurs déterminants qui amèneraient les électeurs à voter en plus grand nombre à la lumière des expériences que nous avons eues dans les 50 dernières années d'histoire électorale?

M. Chernushenko : Il y aurait bien des possibilités pour faire participer un plus grand nombre d'électeurs. C'est le défi de tout parti politique — d'aller vers les gens, de faire entendre ses messages, d'offrir une plate-forme convaincante, une vision convaincante. Ce n'est rien que peuvent régler des lois. C'est un défi qui se pose à chaque parti, qu'il soit pertinent et attrayant.

Il y a bien un facteur qui peut être réglé au moyen d'une forme quelconque de réforme formalisée, et c'est pourquoi c'est une priorité pour nous. La raison qui fait que la représentation proportionnelle avait tellement d'importance est ce que j'entends encore et encore des gens — l'idée que « mon vote, littéralement, ne comptera pas. Si je suis libéral, dans la plupart des circonscriptions de l'Alberta, mon vote ne comptera pas. Si je suis vert dans une circonscription du Canada actuellement, mon vote ne compte pas ». Vous pouvez passer toute la liste. Chaque parti a ses régions du pays où un électeur sait que son vote ne comptera pas.

Quand un certain nombre des sièges est attribué en fonction du nombre de votes obtenus, tout de suite, chaque électeur du pays estime que son vote comptera. Son vote à lui seul pourrait octroyer un siège au parti qui lui tient à cœur. Cela réduit le cynisme qui accompagne le vote stratégique, qui dit « je ne peux pas vraiment voter pour le parti qui me plaît, alors je voterai contre le parti que je n'aime pas ». Je pense que c'est le défi le plus fondamental qui se pose à nous, et que nous devons relever.

Nous le voyons dans d'autres pays, que j'ai particulièrement examinés. La participation des électeurs est beaucoup plus grande dans les systèmes qui sont très différents du nôtre.

Le sénateur Di Nino : Quel que soit l'aspect du débat que vous favorisez, le désavantage du changement au financement électoral, c'est que chaque vote qu'obtient un parti signifie — actuellement, avec l'indexation à l'inflation — 1,79 $ pour le parti.

Le sénateur Joyal : Cela ne s'applique qu'à partir d'un certain seuil.

Le sénateur Di Nino : Oui, en supposant que vous atteignez un seuil, ce que votre parti a fait et a des chances de continuer à faire. Vous avez parlé des libéraux et des conservateurs — les libéraux en Alberta et les conservateurs en certains endroits en Ontario. Je vous dirais que l'un des grands avantages qu'il y a à inciter les gens à aller voter pour votre parti, c'est que vous pouvez enrichir les coffres de votre parti pour pourvoir lutter aux prochaines élections. Je pense que c'est un très gros avantage.

M. Chernushenko : Cela a été un avantage pour nous; cela ne fait aucun doute. Je dirais que c'est un pas dans le sens de la réforme électorale d'une certaine façon, une version financière de cette réforme; et, bien que cela nous apporte de l'argent, ce n'est toujours pas une voix pour le parti au Parlement.

Le sénateur Joyal : Le sénateur Di Nino a soulevé un point très valable — et c'est pourquoi je suis contre l'idée du seuil en tant que tel. Dans le système proportionnel, chaque vote compte et fait en sorte qu'un certain nombre de sièges sont redistribués. Je pense, selon le même principe, que chaque vote compte en ce qui concerne l'argent qui y est normalement rattaché — soit 1,79 $.

Le sénateur Di Nino : Peut-être ne nous sommes-nous pas en désaccord sur ce point, mais nous devrons avoir ce débat une autre fois.

Le sénateur Joyal : Bien sûr. C'est pourquoi c'est important pour moi; je peux me tromper, mais c'est la raison. Les partis pourraient ne pas atteindre le seuil ou le nombre de votes dans toutes les circonscriptions. Ils pourraient l'atteindre dans certaines circonscriptions, mais être juste au dessous du seuil au niveau national et n'être court que d'une centaine de votes ou deux. Dans le contexte de la vie démocratique du pays, par conséquent, chaque parti qui reçoit un vote — où que ce soit — en ce qui concerne le financement public, sur la même base, chaque vote devrait compter. L'idée de rendre le financement public accessible aux petits partis est la norme à préserver.

En tant que petit parti, l'importante réforme que devrait subir le système électoral, c'est la représentation proportionnelle. Est-ce que c'est ce que vous préconisez dans votre plateforme?

M. Chernushenko : Oui, c'est ce que nous préconisons. Dans une étude de tous les pays démocratiques du globe, actuellement, seuls le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni n'ont pas une répartition proportionnelle quelconque des sièges. Nous avons dit clairement que nous voulons préserver la représentation géographique de manière que seulement une portion de ces sièges seraient attribués. Nous avons soigneusement étudié l'expérience et les conclusions d'autres pays, et c'est pourquoi nous sommes si convaincus.

Le sénateur Joyal : Y a-t-il d'autres aspects du système électoral qui sont inclus dans votre plateforme, toujours dans le contexte de l'amélioration du système électoral du Canada?

M. Chernushenko : Du système électoral, non. J'ai souvent parlé de règles et de procédures au Parlement, tout comme notre parti; par exemple, le très solide whip et les difficultés pour les projets de loi d'initiative parlementaire à traverser le processus et à être étudiés. Il y a toute une gamme d'autres réformes moins grandes qui, selon nous, seraient bonnes. Cependant, c'est notre plus grande priorité.

Le sénateur Joyal : C'est-à-dire au Parlement. Je parle du système électoral — c'est-à-dire le financement, la limite sur la publicité, votre accessibilité aux « dirigeants nationaux » et le système électoral en tant que tel. Chaque fois qu'il y a des élections, il y a toujours une discussion sur lequel des petits partis sera accepté et lequel sera exclu dans les débats. C'est un élément permanent de la discussion et des débats. Sur ce plan, vous ne semblez pas avoir d'idée importante à exposer.

M. Chernushenko : Nous avons argumenté et présenté nos avis directement aux consortiums des télédiffuseurs qui prennent cette décision. Il n'y a pas d'organe public ou d'arbitre indépendant vers qui nous pouvons nous tourner. Bien des Canadiens ne le savent pas, mais c'est le consortium des télédiffuseurs qui décident entre eux, dans une pièce, qui est autorisé à participer au débat. Ce n'est que récemment qu'ils ont commencé à répondre à nos plaintes ou à nos arguments en disant « nous avons ces critères ». Nous avons l'impression qu'ils ont maintenant créé ces critères pour justifier pourquoi nous n'avons pas été admis dans le débat. Jamais auparavant il n'y a eu de liste de critères que doit satisfaire quelqu'un pour participer à un débat.

À moins que le vent tourne et qu'Élections Canada prenne soudainement les choses en mains et décide qui est autorisé à participer au débat électoral, il ne s'agit pas d'une réforme électorale comme telle. Nous devons faire valoir franchement cette idée auprès des télédiffuseurs. Voilà pourquoi cela ne s'inscrit pas dans notre programme électoral.

Le sénateur Bryden : J'ai grandi avec un régime politique en grande partie bipartite. Notre pays est fondé là-dessus. Même encore aujourd'hui, la majorité des provinces ont un système bipartite dans lequel les partis demeurent souvent au pouvoir pendant huit, 10 ou même 17 ans, dans certains cas. Si vous deviez examiner ce projet de loi dans un contexte où les gouvernements majoritaires durables sont la règle — contrairement aux gouvernements minoritaires qui se succèdent depuis quelques temps —, est-ce que la tenue d'élections à date fixe changerait quelque chose pour un parti de votre taille ou un parti qui tente de se tailler une place?

M. Chernushenko : Il y a des avantages et des inconvénients. Nous ne voyons pas vraiment d'avantages pour les gouvernements majoritaires, étant donné le nombre de pays qui sont bien gouvernés par des coalitions, qui en sont venus à l'accepter et ont appris à travailler avec ce genre de système, en sachant que les partis devront collaborer pour former des coalitions. Toutefois, le fait de tenir fréquemment des élections ralentit la mise en œuvre des projets et provoque beaucoup plus de revirements.

Le sénateur Bryden : Cela n'aide-t-il pas un nouveau parti à entrer en lice? Si le parti connaît bien son rival, il sait qu'il sera probablement encore là dans 10 ans. Il sait aussi qu'il peut devenir cet ennemi tous les quatre ans et, de ce fait, qu'il doit se préparer. Ne voyez-vous pas là un avantage?

M. Chernushenko : Manifestement, nous avons des façons différentes de voir le Parlement. Le Parti Vert du Canada ne considère pas les autres partis comme des ennemis ou des adversaires, mais plutôt comme des collaborateurs ou des partenaires potentiels. Prenez l'exemple de la Suède. J'ai récemment rencontré le ministre suédois de l'Environnement et il m'a expliqué le rôle que le Parti Vert a joué là-bas. Il m'a dit : « Lorsque nous savons que l'autre parti peut tout aussi bien être notre partenaire que notre adversaire l'an prochain, à bien des égards, cela change la nature du dialogue et du débat politique. » Nous trouvons que c'est une bonne façon de faire. Par conséquent, je ne crois pas nécessaire de perpétuer un système bipartite bien ancré. En fait, je regarde comment s'y prennent les États-Unis et je trouve que cela ressemble plus à une partie de hockey qu'à un système visant à élaborer des politiques et à bien gouverner.

Le sénateur Bryden : En Italie, après la Seconde Guerre mondiale, on changeait constamment de gouvernement. Il y avait tellement de partis que c'était comme lancer des dés. Chaque fois qu'on tenait un vote et que le gouvernement était renversé, on renvoyait les gens aux urnes. Je ne connais pas toute l'histoire, mais chose certaine, pendant plusieurs années, c'était très difficile de travailler avec le gouvernement italien. Nous avons d'ailleurs un expert juste ici.

Le sénateur Di Nino : Je ne suis pas expert; mais les Italiens disent souvent : « Nous n'avons pas attendu le gouvernement pour prospérer. »

Le sénateur Bryden : Certains d'entre nous ont grandi avec le système bipartite dans lequel il arrivait que le parti naturel du gouvernement ait la majorité pendant quatre ou huit ans; il pouvait donc accomplir quelque chose. Il serait très difficile pour les dinosaures que nous sommes de nous adapter à cette succession de gouvernements minoritaires qui implique une assemblée élargie.

M. Chernushenko : Je suis conscient que cela constituerait un changement, mais à mon avis, ce serait pour le mieux. Nous entendons souvent l'exemple des gouvernements italien et israélien où de petits partis réussissent à détenir la balance du pouvoir, mais ceux-ci sont beaucoup plus l'exception que la règle.

Le sénateur Milne : J'aimerais signaler au sénateur Bryden que cela fait près de 100 ans qu'il y a deux grands partis politiques représentés au Parlement ontarien.

Monsieur Chernushenko, lorsque vous avez comparu devant le comité de la Chambre, dans le cadre de l'étude de ce projet de loi, on vous a demandé de soumettre une analyse écrite exposant les facteurs les plus importants à considérer dans le choix d'une date pour les élections. L'avez-vous fait?

M. Chernushenko : Vous devrez me rafraîchir la mémoire.

Le président : Vous ne vous en souvenez pas?

M. Chernushenko : Non.

Le sénateur Milne : C'était il n'y a pas si longtemps. J'allais justement vous demander de m'énumérer les principales idées que vous avez fait valoir. Si vous retrouvez ce document, pourriez-vous le transmettre au comité?

M. Chernushenko : Absolument.

Le sénateur Milne : Très bien. La représentation proportionnelle, à mon avis, donne lieu à un système où les députés font les quatre volontés du chef de parti.

Les députés sont choisis à partir d'une liste. Ils doivent s'en tenir strictement à la ligne du parti. Par exemple, une de mes bonnes amies européennes a récemment osé se porter candidate à la direction de son parti et a perdu de peu. Elle a aussitôt été reléguée au bas de la liste et, par conséquent, n'a pas été réélue.

M. Chernushenko : Voulez-vous avoir mon avis? Je connais beaucoup d'autres situations semblables survenues au cours des dernières années, où la direction intervient dans le choix des candidats. Toutefois, je ne pense pas que ce soit là un argument suffisant pour s'opposer à la représentation proportionnelle.

Le sénateur Andreychuk : Sénateur Milne, cela pourrait être un bon exemple de comportement humain qui défie tous les systèmes.

Si nous faisons comme en Europe, dans bien des cas, nous nous retrouverons avec un système axé sur la confrontation qui nous obligera à former des coalitions entre l'opposition et le gouvernement. Parfois, cela a donné lieu à une extrême gauche et à une extrême droite. Il y en a des exemples présentement en Europe et dans quelques vieilles démocraties.

Inévitablement, on règle des problèmes et on en crée d'autres. C'est une discussion qu'on réserve pour un autre jour. Néanmoins, on va vers la représentation d'un plus grand nombre de voix au Parlement. Dans les sociétés modernes hétérogènes, il y a de la place pour plus de partis. Il se trouve que je suis en faveur du seuil de votes, parce que tout un chacun peut former un parti. Où fixer la limite? Notre seuil est peut-être trop élevé et il faut revoir cela. Tous les pays qui jouissent d'une représentation proportionnelle disposent encore d'un seuil, bien qu'il soit minimal.

M. Chernushenko : Je suis d'accord. Nous courons un grand risque, parce que nous pouvons nous retrouver sous le seuil, mais c'est un risque que nous sommes prêts à prendre.

Le président : Au nom du comité, j'aimerais vous remercier d'être venu aujourd'hui et d'avoir répondu à nos questions, non seulement sur le projet de loi C-16, mais sur l'ensemble du processus démocratique.

Honorables sénateurs, avant que nous levions la séance, le sénateur Joyal aimerait nous présenter un document.

Le sénateur Joyal : Le professeur William Christian, du département des sciences politiques de l'Université de Guelph, que j'ai contacté début janvier pour lui demander d'examiner le projet de loi C-16, m'a transmis ses commentaires dans une lettre datée du 31 janvier. Il n'était pas en mesure de venir témoigner aujourd'hui parce qu'il est très malade.

Il m'a autorisé à distribuer cette lettre et à la déposer. Si vous me le permettez, c'est ce que je vais faire.

Le président : Merci beaucoup. Honorables sénateurs, la séance est levée jusqu'à la semaine prochaine.

La séance est levée.


Haut de page