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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 21 - Témoignages du 14 février 2007


OTTAWA, le mercredi 14 février 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 16, Loi modifiant la Loi électorale du Canada, se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est ouverte.

Le sénateur Joyal : Le premier avis de convocation que j'ai reçu indiquait que M. Desserud allait témoigner, et j'ai reçu un exemplaire du mémoire que celui-ci a préparé en vue de notre étude et du débat sur le projet de loi. J'ai ensuite reçu un autre avis, qui indiquait que M. Desserud n'allait pas témoigner aujourd'hui. Cela signifie-t-il que le mémoire ne fera pas officiellement partie de nos dossiers, ou sera-t-il versé au compte rendu et imprimé?

La vice-présidente : Si le comité en convient, nous le ferons verser au compte rendu. Je pense que le vol en partance d'Halifax que M. Desserud devait prendre a été annulé.

Le sénateur Joyal : C'est la raison pour laquelle j'ai soulevé la question. Puisqu'il s'est donné la peine de préparer un mémoire, je pense que c'est la chose à faire. J'ai lu son mémoire, et je pense qu'il s'agit d'une très bonne contribution à notre débat et d'une excellente réflexion.

La vice-présidente : Nous convenons que le mémoire sera déposé devant le comité.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi électorale du Canada. Il s'agit de notre cinquième séance d'étude du projet de loi. L'objectif du projet de loi est simple. Il s'agit de modifier la Loi électorale du Canada pour que les élections fédérales aient lieu à date fixe au Canada. Le texte prévoit que, sauf dissolution anticipée du Parlement, une élection générale doit avoir lieu le troisième lundi d'octobre de la quatrième année civile qui suit le jour du scrutin de la dernière élection générale, la première élection générale suivant l'entrée en vigueur du texte devant avoir le lieu le lundi 19 octobre 2009.

Nous recevons aujourd'hui un groupe de témoins distingués. Patrick Monahan est membre de la Osgoode Hall Law School depuis 1982, et il a été nommé doyen en juillet 2003. En plus de sa carrière universitaire, il a travaillé en cabinet privé pour la Couronne, et c'est un auteur.

David Smith est professeur émérite à l'Université de la Saskatchewan, et il est membre senior de l'Institut de politiques d'intérêt public de la Saskatchewan, à l'Université de Regina. Il a aussi écrit plusieurs livres et il est membre du corps enseignant de l'Université de la Saskatchewan depuis 1964.

John Hollins a été nommé directeur général des élections de l'Ontario en janvier 2001, et il est officier de l'Assemblée législative de l'Ontario. D'après ce que je sais, il était auparavant directeur des services électoraux de la Ville de Toronto. C'est là qu'il a commencé sa carrière en 1972, auprès du bureau des élections de la Ville de Toronto. Je dois dire que c'est la première élection à Toronto où mon père ne s'est pas présenté. Mon père était le maire Bill Dennison.

Bienvenue à tous dans la capitale enneigée.

David Smith, membre supérieur, Institut de politiques d'intérêt public de la Saskatchewan, Université de Regina, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à vous faire part de mes observations sur le projet de loi C-16, qui concerne des élections à date fixe. La proposition d'organiser des élections à date fixe plutôt que de laisser la date à la discrétion du premier ministre, sur approbation de la gouverneure générale, a pour principal objet le retrait d'un privilège, qui découle, à l'heure actuelle, de la prérogative que seul le premier ministre peut faire valoir. Pour dire les choses simplement, comme c'est toujours le cas, l'objet de la proposition est de rendre les règles du jeu équitables. En d'autres termes, le parti au pouvoir ne devrait pas être en position de tirer avantage de la date de l'élection générale.

La proposition est motivée par un souci d'équité politique qui ne se limite pas au choix du moment des élections. C'est la même valeur qui est sous-jacente aux modifications apportées aux lois régissant le financement des campagnes et les dépenses électorales. Le rapport de 1991 de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis ou Commission Lortie a constitué la première expression institutionnalisée de cette valeur. On a formé cette commission lorsque Brian Mulroney était premier ministre, mais ce serait un erreur de considérer les valeurs dont témoignent son rapport et ses études de recherche ou la proposition que constitue le projet de loi C-16 comme étant les seules valeurs du Parti progressiste-conservateur ou du Parti conservateur. Des lois prévoient déjà des élections à date fixe en Colombie-Britannique et en Ontario, et, dans chacun des cas, elles ont été l'initiative de gouvernements libéraux.

L'équité, qu'on considère comme étant l'égalité de traitement, est largement envisagée comme une condition essentielle à la démocratie électorale. Néanmoins, en ce qui concerne le choix de la date d'une élection, l'équité peut être une notion subjective.

Il convient de faire une autre observation préliminaire. Pour les Canadiens, une partie de l'intérêt que présentent des élections à date fixe vient du fait qu'ils ont vu cette façon de faire au sein du régime politique des États-Unis. Le monde entier sait à quelle date aura lieu la prochaine élection dans ce pays, et la suivante et l'autre encore : le premier mardi suivant le premier lundi de novembre. C'est à ce moment que toutes les élections ont lieu — au sein de l'administration fédérale, des États et des municipalités. La simultanéité des élections est un élément fondamental de l'expression de la volonté du peuple, le pouvoir constituant de la constitution des États-Unis.

Le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi électorale du Canada, n'a pas d'objectif du genre. Premièrement, il ne vise que les élections générales fédérales, qui, d'après le texte, devraient se tenir le troisième lundi d'octobre de la quatrième année civile suivant le jour du scrutin de la dernière élection générale. Deuxièmement, puisque le Canada est une monarchie constitutionnelle, ce qui fait que la dissolution du Parlement demeure une prérogative royale exercée par le représentant de la Reine, et en raison de la convention constitutionnelle selon laquelle le gouvernement doit conserver la confiance de la Chambre des communes, à défaut de quoi celui-ci peut habituellement demander la dissolution du Parlement et la consultation du peuple, il faut prévoir la possibilité de choisir une autre date que la date fixe pour l'élection. Ainsi, contrairement à ce que laisse croire le titre du projet de loi, les dates ne sont fixes que selon l'acception la plus libérale de ce mot.

L'idée de tenir des élections à date fixe ne correspond ni à la pratique ni à la théorie du régime parlementaire. Cela ne signifie pas qu'on ne peut en faire la proposition en régime parlementaire, mais les demandes que cette idée sert à soutenir sont exagérées. Si la convention qui porte que le gouvernement qui perd la confiance de la Chambre des communes peut demander la dissolution du Parlement continue d'exister au sein du régime parlementaire canadien même après l'adoption d'élections à date fixe, alors ce terme perd beaucoup de sa signification. Considérez, par exemple, ce dont fait état le Globe and Mail depuis deux semaines : premièrement, le premier ministre a dit n'avoir « aucun intérêt à organiser la défaite de son propre gouvernement et à déclencher une élection au cours de la session parlementaire du printemps », et, deuxièmement, « des gens du Parti conservateur disent que des messages subtils émanant du bureau du premier ministre laissent croire que le gouvernement veut organiser son propre renversement en mai pour paver la voie à un scrutin en juin ».

Je cite ces articles de journaux non pas pour ce qu'ils disent au sujet de la possibilité d'une élection au printemps prochain, mais parce qu'ils sont construits à partir de l'hypothèse simple selon laquelle les gouvernements peuvent choisir le moment d'une élection en forçant la tenue de votes de confiance. Rien ne permet de présumer que l'adoption d'élections à date fixe modifierait cette hypothèse. Dans la mesure où il est possible de manœuvrer pour modifier la date d'une élection à date fixe, cette innovation et son objectif — l'équité — sont pervertis. La probabilité que cela se produise dans un avenir prévisible est grande, compte tenu du caractère partisan de la politique canadienne, qui rend la formation d'un gouvernement majoritaire difficile, et du point de vue des Canadiens selon lequel un gouvernement minoritaire est une anomalie qu'il faut corriger.

À l'incertitude liée à la question de savoir si un gouvernement peut par calcul organiser sa propre défaite, il faut ajouter le calcul des partis de l'opposition à la Chambre des communes, qui consiste à déterminer s'ils souhaitent précipiter la chute du gouvernement. Dans un cas comme dans l'autre, la possibilité qu'on tienne une élection à une date autre que celle prévue par le projet de loi C-16 est manifeste.

Voilà la considération d'ordre pratique que sous-tend la proposition d'élections à date fixe. Il y a aussi une considération théorique. Dans un régime parlementaire fondé sur le modèle de Westminster, la Chambre basse du Parlement est élue; le gouvernement, dont l'écrasante majorité des membres sont nommés à partir de celle-ci, ne l'est pas. C'est la raison pour laquelle le gouvernement continue d'exister lorsque le Parlement est dissous. L'objectif d'une élection générale est de sonder l'opinion publique et d'harmoniser l'assemblée législative avec celle-ci. Néanmoins, la proposition de tenir des élections à date fixe semble aller à l'encontre du but recherché. Si l'on met de côté la question de la confiance, des élections à date fixe restreignent le contact entre le peuple et les politiciens. À une époque où tant de critiques publiques sont formulées au sujet du manque de responsabilisation et de réceptivité du gouvernement, l'idée de limiter l'expression de l'opinion publique par l'intermédiaire des élections est surprenante. Compte tenu de la situation actuelle, on pourrait s'attendre à une proposition assez différente : par exemple, il pourrait s'agir de limiter le mandat du Parlement, peut-être à trois ans, de façon à favoriser la consultation plus fréquente du peuple.

Des élections à date fixe n'offrent pas à la population l'occasion d'exprimer son opinion d'une voix plus forte dans l'arène politique. En fait, la motivation partisane et la possibilité d'organiser la chute du gouvernement à partir de la Chambre des communes font porter encore davantage qu'à l'heure actuelle l'attention sur les chefs de parti que sur les électeurs.

Je me permets de faire une digression pour dire qu'il y a un parallèle à faire entre les congrès d'investiture — qui ont été introduits il y a 80 ans dans le cadre d'une réforme institutionnelle visant à contribuer à la démocratisation de la politique canadienne — et leur influence sur le choix du moment des élections, d'une part, et les élections à date fixe et leur effet éventuel sur le choix du moment des courses au leadership, de l'autre. Dans chacun des deux cas, un événement ne devrait pas être un facteur déterminant la tournure que prendra l'autre.

Mon dernier commentaire a trait, encore une fois, à la valeur d'équité qui est réputée découler de l'introduction d'élections à date fixe. Ce qui justifie la tenue d'élections à date fixe, c'est le respect du mandat conféré par le peuple au moment d'une élection générale. Si l'on juge que le fait que le premier ministre est seul à pouvoir conseiller à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement a pour effet de compromettre le mandat du gouvernement et de favoriser le parti au pouvoir au moment d'une élection, et qu'on juge donc que cela est injuste, pourquoi ne juge-t-on pas que de provoquer la chute d'un gouvernement minoritaire est une manœuvre également pernicieuse? Pourquoi le jugement de la population serait-il moins bon lorsqu'elle élit un gouvernement minoritaire que lorsqu'elle élit un gouvernement majoritaire?

Je sais que les questions que j'ai abordées dépassent les préoccupations immédiates dont on s'occupe normalement dans le contexte de l'introduction d'élections à date fixe. Néanmoins, ces questions vont droit au but, c'est-à-dire qu'elles portent sur notre Constitution, puisqu'elles ont trait aux prérogatives de la Couronne, à la durée de la législature et au principe du gouvernement responsable.

Patrick Monahan, doyen, Osgoode Hall Law School, Université York, à titre personnel : Merci. Je n'ai pas apporté de mémoire, et je m'en excuse, mais je vais faire des observations sur deux choses : sur la constitutionnalité et la conséquence juridique du projet de loi d'abord, et, ensuite, sur la politique sous-jacente au projet de loi, qu'on prétend être une politique d'équité, ce dont M. Smith a déjà parlé.

J'ai examiné la transcription de certaines audiences du comité, et je sais qu'on a soulevé des questions au sujet de la constitutionnalité du projet de loi, et qu'on s'est demandé si l'adoption de ce projet de loi supposerait un amendement de la Constitution du Canada, plus précisément de l'article 50 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de l'article 4 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Certains sénateurs ont posé la question de savoir si le projet de loi C-16 exigerait la modification de l'une ou l'autre de ces dispositions de la Constitution, ainsi que de savoir, le cas échéant, si le Parlement a le pouvoir d'effectuer cette modification dans le cadre du projet de loi C-16. À mon avis, le projet de loi ne modifie pas les dispositions ni de la Loi constitutionnelle de 1867 ni de la Loi constitutionnelle de 1982.

Pour parler d'abord de la Loi constitutionnelle de 1982, l'article 4 limite essentiellement la durée de la législature à cinq ans et ne prévoit pas de durée minimale pour la session parlementaire. Ainsi, à mon avis, le paragraphe 56.1(2) du projet de loi, qui a pour objet la tenue d'élections tous les quatre ans, ne viole pas l'article 4 de la Charte ni ne déroge à celui-ci.

Parallèlement, j'ai lu l'article 50 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui porte sur le mandat de la Chambre des communes, et il prévoit de la même manière un mandat d'une durée maximale de cinq ans. Je sais que le libellé de l'article 50 n'est pas identique à celui de l'article 4 de la Charte canadienne des droits et libertés, l'article 4 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cependant, c'est le but de l'article 50. Il s'agit en fait d'une disposition limitant le mandat de la Chambre des communes à cinq ans. C'est aussi le cas de l'ancien paragraphe 91(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, abrogée en 1982, qui conférait au Parlement le pouvoir de modifier la Constitution du Canada, sous réserve d'exceptions. L'une des exceptions prévues concernait la durée maximale de cinq ans du mandat de la Chambre des communes.

Le paragraphe 91(1) rendait impossible la modification de la durée du mandat de la Chambre des communes, et il renvoyait à l'article 50 de la Loi constitutionnelle de 1867, et donc, dans les faits, il faisait de la limitation du mandat de la Chambre des communes à cinq ans l'objectif principal de l'article 50. Pour cette raison, je n'interprète pas le paragraphe 56.1(2) du projet de loi comme dérogeant à l'article 50 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Ainsi, je ne pense pas que le projet de loi exige la modification de la Constitution du Canada. Je crois que le Parlement peut exercer correctement son pouvoir pour adopter des lois liées au maintien de la paix et de l'ordre et à la saine gestion publique au Canada, liées à des questions que ne prévoit pas l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. La question a clairement trait au choix du moment des élections fédérales. Il est clair que le pouvoir que lui confère la loi permet au Parlement d'adopter un projet de loi du genre de celui qui nous occupe aujourd'hui.

La conséquence du projet de loi n'est pas dérogatoire au pouvoir de la gouverneure générale. Comme M. Smith l'a fait remarquer, si le premier ministre devait conseiller à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement avant la quatrième année de son mandat, ou encore avant le troisième lundi d'octobre de la quatrième année suivant la dernière élection, en vertu des principes du gouvernement responsable, la gouverneure générale suivrait le conseil du premier ministre, et une élection aurait lieu. Le paragraphe 56(2) du projet de loi a pour effet de lancer un compte à rebours de quatre ans; ce compte à rebours serait remis à zéro, et nous nous trouverions à vivre une nouvelle période de quatre ans, sous réserve, évidemment que la gouverneure générale ait auparavant dissous le Parlement, suivant le conseil du premier ministre, en vertu de l'article 56(1) du projet de loi.

Je suis en faveur de la politique sous-jacente au projet de loi. Je suis ici à titre d'avocat de droit constitutionnel, mais je suis en faveur de la politique sous-jacente au projet de loi pour les raisons citées par M. Smith. Le projet de loi favorise l'équité du mécanisme électoral, en faisant en sorte que le gouvernement et les partis d'opposition connaîtront à l'avance le moment des élections.

M. Smith a soulevé la question de l'intention du gouvernement d'organiser sa propre défaite. Un gouvernement ne peut faire cela de façon unilatérale. Cela exige la participation des députés de l'opposition. Si ceux-ci souhaitent faire tomber le gouvernement et on déclenche des élections, il ne peut y avoir de plainte au sujet du fait que le processus est équitable ou non, parce que c'est non pas le gouvernement, mais bien les partis d'opposition qui sont à l'origine de la tenue de l'élection. L'euphémisme que constitue le fait de dire qu'un gouvernement organise sa défaite veut simplement dire que le gouvernement a été défait pour une question de confiance à la Chambre des communes. Je ne vois pas cela comme une difficulté. Il me semble que cela reflète simplement le fait que nous devons intégrer la politique qui concerne la tenue d'élections à date fixe aux institutions du régime parlementaire, ce que le projet de loi vise à faire.

Voilà le témoignage que je voulais livrer au comité.

John Hollins, directeur général des élections, Élections Ontario : Merci de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. Je sais que le fait que je sois un praticien et que j'aie survécu à une première expérience dans le domaine dont je m'occupe est probablement la raison pour laquelle vous m'avez invité à témoigner aujourd'hui.

Le projet de loi C-16 est très semblable à la loi qui régit le domaine à l'heure actuelle en Ontario. Cette loi a d'abord fait l'objet d'une promesse électorale au cours de la dernière campagne, en 2003. Le gouvernement a ensuite procédé à la modification de la loi. J'ai ensuite eu la responsabilité d'appliquer cette loi, puisqu'elle touche mes fonctions.

C'était important pour nous de comprendre exactement ce que la loi exigeait de moi. J'aimerais décrire les buts que nous avons voulu atteindre, le processus que nous avons suivi et le rapport présenté au lieutenant-gouverneur en conseil il y a huit jours. À la suite de notre rapport, le lieutenant-gouverneur en conseil a pris un décret mercredi dernier afin que l'élection ait lieu le 10 octobre.

Le plus important pour nous, c'était d'examiner le projet de loi en fonction de la manière dont nous l'interprétions. Le paragraphe 9.1(6) du projet de loi se lit comme suit :

S'il est d'avis qu'un jeudi qui serait autrement le jour du scrutin ne convient pas à cette fin en raison de son importance culturelle ou religieuse, le directeur général des élections choisit un autre jour conformément au paragraphe (7) et le recommande comme jour du scrutin au lieutenant-gouverneur en conseil, lequel peut prendre un décret en ce sens.

Le paragraphe 9.1(7) se lit comme suit :

Le jour de rechange correspond à l'un des sept jours qui suivent le jeudi qui serait autrement le jour du scrutin.

C'était l'objectif, ou, comme nous avons appelé cela plus tard, la marge de manœuvre dont nous disposions.

Le paragraphe 9.1(8) se lit comme suit :

Dans le cas d'une élection générale visée au paragraphe 9(2), le décret prévu au paragraphe (6) ne doit pas être pris après le 1er août de l'année pendant laquelle doit être tenue l'élection générale.

Nous avons été surpris des répercussions que cela a eues sur l'ensemble du processus.

Je vais revenir sur les trois mots que j'ai trouvés très importants : « culturelle », « religieuse » et « importance ». C'est important pour nous de comprendre ces mots, alors nous avons essayé de les définir.

En ce qui concerne la culture, vu l'absence de définition dans la Loi électorale, dans les autres lois provinciales ou dans les sites ministériels, nous avons utilisé la définition de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, l'UNESCO. La culture englobe la littérature et les arts, ainsi que le mode de vie, le système de valeurs, les traditions et les croyances. Pour définir ce qu'est un groupe culturel, nous nous en sommes remis principalement à la dernière partie de cette définition, et nous avons envisagé l'origine ethnique et le pays d'origine.

La Loi électorale ne définit pas le terme « religion ». La Loi sur les biens-fonds des organisations religieuses de la province définit « organisation religieuse » comme suit : une association de personnes qui, entre autres, est organisée pour la promotion de la religion et pour la pratique du culte, de services et de rites religieux, et est établie de façon permanente, à la fois du point de vue de la continuité de son existence et sur le plan de ses croyances, pratiques et rituels religieux. Ce terme s'entend notamment de toute association de personnes qui est une œuvre de bienfaisance au sens de la loi de l'Ontario et qui est organisée pour la promotion et pour la pratique du culte, des services et des rites de la foi bouddhique, chrétienne, hindouiste, islamique, judaïque, baha'ie, indienne Longhouse, sikhe, unitarienne ou zoroastrienne, ainsi que toute subdivision ou secte de celle-ci.

Selon la définition habituelle, une religion est un système unifié de croyances et de pratiques liées à des choses sacrées — c'est-à-dire mises de côté et interdites — qui unit toutes les personnes qui y adhèrent en une seule communauté morale qu'on appelle une église.

Comme la Loi électorale ne comporte pas de définition de cette expression, nous avons interprété le mot « importance » comme signifiant qu'un électeur ne peut se rendre à un bureau de vote le jour de l'élection en raison d'une prescription culturelle ou religieuse, et, par extension, il ne peut participer au processus électoral tel qu'il existe à l'heure actuelle. Cela comprend le fait d'être candidat à l'élection ou de travailler comme fonctionnaire électoral, privilège dont le reste de la collectivité jouit.

En ce qui concerne le processus, Élections Ontario a effectué des sondages auprès d'organisations représentant des intérêts culturels ou religieux dans l'ensemble de l'Ontario du 24 octobre au 15 décembre 2006. Nous avons aussi examiné le courrier que des gens nous ont fait parvenir à titre personnel, et nous avons affiché un message dans notre site web pour encourager les gens à participer au sondage. Nous avons fait parvenir notre formulaire de sondage à 278 organisations. Nous avons joint 56 communautés culturelles au sein de 10 grandes communautés religieuses. Il a été nécessaire de créer une banque de données des organisations de manière à représenter la diversité culturelle et religieuse de l'Ontario, et nous avons consulté tout un éventail de personnes-ressources faisant autorité dans le domaine. C'était principalement des gens de Statistique Canada et de Citoyenneté et Immigration Canada.

Pour la création de la banque de données, nous avons utilisé des paramètres qui, à notre avis, permettaient de donner à celle-ci une portée suffisamment grande, mais pas trop grande, pour que ce travail ne dépasse pas le mandat du Bureau du directeur général des élections. Nous avons consulté tout un éventail de personnes-ressources faisant autorité dans le domaine. Le regroupement entre communautés culturelles et religieuses a offert une certitude supplémentaire quant au fait de joindre tous les groupes visés.

Nous avons reçu toutes sortes de réponses. Nous avons reçu 89 réponses d'un large éventail d'organisations. Bon nombre de ces réponses étaient celles de communautés chrétiennes, musulmanes et juives, et cela est attribuable au fait que ces communautés observent certaines fêtes religieuses importantes au cours de la période en question. Nous avons aussi examiné le courrier que nous ont envoyé des gens à titre personnel.

Nous avons envoyé un sondage par la poste et nous avons affiché le questionnaire sur notre site web. Nous avons demandé aux gens de répondre à deux questions. La première était la suivante : au cours de la période du 4 au 11 octobre 2007, y a-t-il des jours d'importance culturelle ou religieuse particulière pour votre organisation et la communauté qu'elle sert? On a demandé aux gens de répondre par oui ou non, et, s'ils répondaient oui, de préciser. La deuxième question était la suivante : la Loi électorale prévoit un minimum de 11 heures consécutives pour le vote. Normalement, cette période va de 9 h à 20 h le jour du vote. Est-ce que les journées en question ont une importance telle que les membres de votre communauté ne pourront pas se rendre au bureau de vote au cours de cette période? Encore une fois, nous avons demandé aux gens de répondre par oui ou par non, et, s'ils répondaient oui, de préciser.

C'est lorsque nous avons rédigé le rapport que les choses sont devenues intéressantes. J'ai toujours pensé que les Ontariens voteraient un jeudi; si le quatre n'était pas une bonne journée, alors ce serait le 11. Un administrateur a tendance à avoir d'avance une idée de ce qui va marcher ou qui pourrait marcher, et, bien entendu, il faut battre en retraite; on se surprend à chercher une solution facile sur le plan administratif, et les choses ne fonctionnent tout simplement pas de cette manière. Il faut faire table rase et trouver la vraie solution. Il fallait que je communique par écrit avec les gens pour qui la date posait problème.

Les réponses affirmatives et les précisions n'étaient que le début. Une fois que nous les avons obtenues, il fallait que nous parlions au téléphone avec les gens qui en étaient à l'origine, pour comprendre exactement ce qu'ils voulaient dire et pour essayer de comprendre et mesurer l'importance de leurs réponses. Nous avons ensuite fait un pas de plus. Les réponses affirmatives nous donnaient une opinion à considérer. C'est une chose que nous respections, mais nous avons pensé qu'il était important d'obtenir d'autres avis au sein des communautés d'intérêt concernées, de façon à vérifier ce qu'on nous avait dit ou d'obtenir un deuxième avis. Par conséquent, nous avons communiqué avec des universitaires de différents domaines, et nous leur avons dit : « Voici ce qu'on nous dit. Voici comment nous devons remodeler le calendrier. Quelle réponse donneriez-vous aux gens concernés? »

Les choses sont devenues très intéressantes. Tout à coup, je me suis retrouvé à penser autrement qu'en fonction de telle ou telle date. Je ne savais plus de quelle date il s'agirait. Le problème était devenu de trouver ce qui allait le mieux accommoder tout le monde. J'ai été assez surpris. La dernière date que je pensais choisir est celle que j'ai fini par choisir, et c'est l'ensemble des renseignements que le personnel a recueillis qui m'a poussé à faire ce choix.

Nous avons formulé une recommandation à l'intention du lieutenant-gouverneur en conseil, et, mercredi dernier, il a adopté un décret et adopté cette date comme date de la prochaine élection dans notre province.

Je suis sûr que vous aimeriez que je fasse un commentaire au sujet des élections à date fixe. Je n'ai jamais organisé d'élections à date fixe à l'échelle provinciale. J'en ai organisé d'innombrables à l'échelle municipale.

Comment cela s'appliquera-t-il à l'Ontario? À l'échelle provinciale, je pense que c'est différent. Je pense qu'on a d'abord tendance à penser que cela va coûter moins cher, que ce sera plus facile et que la participation sera plus grande. Cependant, je ne crois pas que toutes ces choses soient vraies. Je crois que cela offre des occasions, et que, si on les saisit, le processus va s'en trouver amélioré. Il est possible de faciliter l'exercice du droit de vote; la liste électorale sera plus complète; il y aura davantage de bureaux de scrutin, puisqu'il y aura davantage de temps pour effectuer une meilleure planification; et les choses vont mieux se passer le jour du scrutin.

Est-ce que davantage de gens vont voter? Je ne crois pas que plus ou moins de gens vont se présenter au bureau de vote parce que l'élection est à date fixe. Je dis cela parce que les municipalités ontariennes n'ont constaté aucune amélioration après avoir adopté des élections à date fixe. Les États-Unis, où les élections se tiennent à date fixe, ont probablement l'un des taux de participation les plus faibles de la planète. Je ne sais pas si la tenue d'élections à date fixe est une solution au problème du taux de participation. Je pense qu'il existe des solutions à ce problème, mais je ne pense pas que cela en soit une.

Voilà ce que je voulais dire. Je serai heureux de répondre aux questions.

La vice-présidente : Je présume que lorsque vous avez cité des documents tout à l'heure, il s'agissait du rapport que vous avez présenté au lieutenant-gouverneur en conseil.

M. Hollins : J'ai lu des extraits du rapport et des notes d'information que j'ai utilisées parce que j'ai rencontré les gens de la presse la semaine dernière.

La vice-présidente : Pourrions-nous obtenir un exemplaire de ce rapport? S'agit-il d'un rapport public?

M. Hollins : Il faudrait que je vérifie auprès du gouvernement, puisque je rends des comptes au lieutenant- gouverneur en conseil. Mon rapport est la propriété du lieutenant-gouverneur en conseil. Je pense qu'il faut que j'obtienne l'autorisation.

La vice-présidente : Si on vous permet de nous fournir un exemplaire, ce rapport pourrait nous être utile.

Je m'intéresse au travail énorme que vous avez effectué pour réaliser un sondage auprès de tous ces groupes différents. Comme membre de l'Église unitarienne, j'imagine que vous n'avez pas eu trop de problèmes avec cette Église en ce qui concerne la date de l'élection. Est-ce que vous allez avoir à faire le même genre de sondage avant chacune des élections à venir, vu que les dates d'importance religieuse changent?

M. Hollins : Je pense que je dois effectuer ce genre de travail et que je dois comprendre qu'il s'agit d'un travail qui m'occupe toute l'année, parce qu'il y a aussi des élections partielles. D'après le libellé de la loi, je pense que je ne ferais pas mon travail si je ne rédigeais pas de rapport, lorsqu'on me présente un bref électoral, peu importe que je trouve le choix de la date heureux ou non.

Je ne suis pas sûr que le gouvernement actuel est d'accord avec cela, et nous n'avons certainement pas encore débattu de cela d'aucune façon.

Le sénateur Bryden : Les deux provinces où les élections se tiennent à date fixe sont en régime monocaméral; elles n'ont qu'un seul organe législatif. On a parlé du fait de perdre la confiance de la Chambre des communes comme d'une raison pour le premier ministre de s'adresser à la gouverneure générale, ou encore, pour dire les choses de manière moins délicate, d'orchestrer sa défaite à la Chambre des communes. Je comprends cela, et cela va continuer.

La question soulevée est la suivante : le Parlement du Canada est bicaméral, et la Chambre des communes est la chambre habilitée à prendre un vote de confiance. Il est très clair que le Sénat du Canada n'est pas une chambre de ce type. Nous avons déjà rejeté des projets de loi présentés par le gouvernement, parfois plusieurs projets de loi d'affilée. Nous mettons parfois des bâtons dans les roues du gouvernement — le Sénat dont nous faisons partie ne ferait jamais cela, par contre — et nous bloquons l'adoption de programmes ou de projets de loi lorsque le gouvernement en place a toute la confiance d'un gouvernement majoritaire, ou, en réalité, dans une situation où le gouvernement a pratiquement une emprise totale sur la chambre habilitée à prendre un vote de confiance.

Des témoignages antérieurs devant le comité et les rapports antérieurs du comité indiquent que le Sénat du Canada a mis des bâtons dans les roues du gouvernement à au moins deux reprises, en disant : « Non, nous n'adopterons pas tel ou tel projet de loi. » C'est arrivé dans le cadre du débat sur le libre-échange, que le Sénat a refusé, et pendant lequel il a fait de l'obstruction et utilisé toutes sortes de trucs et de manœuvres parlementaires pour forcer le gouvernement à l'écouter. La position du Sénat était qu'il n'adopterait pas le projet de loi, parce que le gouvernement en place, même s'il avait encore la confiance de la chambre des élus, n'avait pas le mandat de présenter le projet de loi sur le libre- échange et, en réalité, avait été élu, au contraire, avec le mandat de ne pas présenter ce projet de loi. C'est arrivé aussi à l'occasion du débat sur la TPS, dans le cadre duquel le gouvernement en place à l'époque, qui détenait la majorité des sièges à la chambre habilitée à prendre un vote de confiance, pour obtenir ce qu'il voulait, a rouvert la Constitution et a exercé son droit ou sa capacité d'augmenter le Sénat en nommant huit sénateurs supplémentaires, soit suffisamment pour obtenir une majorité dans ce débat.

Est-ce que le fait d'avoir des élections à date fixe aurait de quelconques répercussions, au sein de notre régime bicaméral, en ce qui concerne les deux types de situations que j'ai essayé de décrire? Le cas échéant, quelles seraient- elles?

M. Smith : C'est une question très intéressante, et, dans une certaine mesure, je dirais que vous y avez répondu. L'une des répercussions du fait d'adopter une date fixe pour les élections est l'augmentation du pouvoir de négociation du Sénat, parce que les élections à date fixe compliquent la vie du gouvernement, peu importe quel parti est au pouvoir. Il faudrait connaître les faits entourant telle ou telle situation pour pouvoir se faire une idée de la manière dont le gouvernement réagirait, mais il s'agit assez clairement d'un cas où la chambre qui n'a pas besoin de demander l'approbation de la population s'en remet à la population elle-même. Cela renforcerait le pouvoir du Sénat.

M. Monahan : C'est une question très intéressante, monsieur le sénateur. Vous avez toujours des questions intéressantes à poser. Je vais répondre aux deux volets. En ce qui concerne le deuxième volet, le pouvoir de la gouverneure générale de nommer de nouveaux sénateurs en vertu de l'article 26 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne serait pas modifié par l'adoption du projet de loi, ce qui fait que le pouvoir de nommer de nouveaux sénateurs existerait toujours.

Dans la première situation que vous avez évoquée, je ne vois rien dans le projet de loi qui pourrait empêcher que la situation qui s'est produite en 1988 se produise à nouveau. Si le gouvernement présentait un projet de loi que le Sénat refusait d'adopter, mais que la Chambre des communes avait adopté, et que le premier ministre jugeait qu'il s'agissait d'un des principaux éléments du programme du gouvernement, je ne vois rien dans le projet de loi C-16 qui empêche le premier ministre de conseiller à la gouverneure générale de dissoudre la Chambre.

Le sénateur Bryden : La personne qui conseillerait la gouverneure générale à ce sujet serait le premier ministre?

M. Monahan : Exactement.

Le sénateur Bryden : Nous avons tendance à envisager des situations où on déclenche des élections parce que la Chambre est dissoute en raison de l'absence de confiance ou du manque de confiance envers la Chambre des élus, mais il y a des situations, comme j'en ai connu à l'échelle provinciale, où il y a non pas perte de confiance, mais bien une occasion qui se présente au cours de la deuxième année d'un mandat de quatre ans, à date fixe. Pour une raison quelconque, que ce soit pour obtenir davantage de pouvoir de négociation ou pour essayer de renforcer sa position, le gouvernement en place souhaite se voir confier un mandat par la population avant de régler une question. C'est cette initiative qui pousse le gouvernement à demander à la population de lui confier un mandat. Il lui reste encore deux ans avant la date fixée. Il pourrait continuer de gouverner. Il n'est pas question ici de confiance, mais, aux fins de négociation, à des fins quelconques, le gouvernement en place décide qu'il lui est nécessaire d'obtenir un mandat avant de continuer à gouverner. À l'heure actuelle, ce qui se produirait, ou encore, ce que j'ai déjà vu se produire, c'est que le premier ministre et son Cabinet affirment publiquement qu'ils ont besoin d'un mandat. Ils en parlent à la gouverneure générale dans ce cas — dans le cas auquel je songe, c'était un lieutenant-gouverneur — et lui demandent de dissoudre le Parlement ou de déclencher une élection.

Est-ce que le fait que la date de l'élection soit fixée et qu'elle doive avoir lieu deux ans après le moment où le gouvernement doit régler telle ou telle question, ou un an et demi pour prendre l'exemple d'une situation encore plus serrée dans le temps, a un effet quelconque sur la capacité du gouvernement de s'acquitter de la tâche pour laquelle on l'a élu, c'est-à-dire gouverner la province ou le pays?

M. Monahan : Je ne pense pas que cela a un effet quelconque. Si vous me permettez d'expliquer la réponse que j'ai donnée il y a quelques instants, les premiers mots du paragraphe 56.1(2) du projet de loi, qui sont d'une importance capitale, sont « Sous réserve du paragraphe (1) », et le paragraphe (1) indique que l'article n'a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du gouverneur général de dissoudre le Parlement. Ainsi, à tout moment avant la date en question, la gouverneure générale peut dissoudre le Parlement sur avis du premier ministre.

Sur le plan juridique, rien n'empêche le premier ministre de conseiller à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement. Cependant, les paragraphes 56.1(1) et (2) prévoient la tenue d'une élection le troisième lundi d'octobre de la quatrième année suivant la dernière élection. Selon ce scénario, il appartiendra au premier ministre d'expliquer que des circonstances extraordinaires ou inhabituelles font que le gouvernement a besoin d'un mandat pour s'occuper d'une question urgente d'intérêt national ou qu'un projet de loi important a été rejeté par le Sénat.

En d'autres termes, la conséquence pratique du projet de loi est que la situation qui a existé jusqu'à maintenant n'est plus acceptable. Il n'est plus acceptable que le premier ministre puisse tout simplement dire, à peu près n'importe quand, mais, dans les faits, deux ou trois ans après une élection : « Nous allons maintenant tenir une élection, parce que je pense que je pense que je peux gagner. » Le projet de loi prévoit que l'élection se tiendra au cours de la quatrième année suivant la dernière élection.

Cependant, sur le plan juridique, rien n'empêcherait le premier ministre de demander la dissolution de la Chambre des communes en conseillant à la gouverneure générale de le faire et en affirmant que des circonstances extraordinaires rendent la tenue d'une élection nécessaire, et la gouverneure générale agirait sur avis du premier ministre, conformément aux principes du gouvernement responsable. C'est ainsi en raison de la règle qui veut que la gouverneure générale doit exercer son pouvoir de dissolution de la Chambre avant la tenue d'élections.

Le sénateur Bryden : Fixer une date est donc l'équivalent de formuler le souhait que le premier ministre ne s'adresse pas à la gouverneure générale pour faire dissoudre la Chambre. Si le premier ministre le faisait maintenant, il devrait faire face aux conséquences politiques de son geste après n'avoir été en poste que pendant un an et demi seulement.

Lorsque vous dites que le projet de loi « prévoit » que l'élection se tiendra à intervalles de quatre ans, le mot « prévoit » est très fort. Il se peut très bien que la nécessité politique pousse une administration donnée à s'adresser à la gouverneure générale plus tôt ou plus tard qu'à la date prévue.

M. Smith : Si l'argument à l'appui d'élections à date fixe fait partie de l'argument qu'on entend au sujet de la réforme démocratique, ces scénarios, qu'ils soient constitutionnels ou non, iraient à l'encontre de cet objectif. Si un gouvernement devait chercher à déclencher une élection avant la date fixée, je présume que l'opposition affirmerait qu'il trahit cet objectif, et qu'il n'a fait que jouer la comédie.

Carolyn Tuohy, qui est politicologue à l'Université de Toronto, a écrit un livre au sujet de l'ambiguïté institutionnelle dans la politique canadienne, et il semblerait que l'objectif soit d'avoir une date fixe et souple à la fois, de façon à permettre les deux options. Aux États-Unis, la date est fixe. Les Américains l'ont fixée, parce qu'ils savaient que l'élection tombait près de la Toussaint, et ils ne voulaient pas qu'elle ait lieu un jour de fête religieuse, et, en outre, la séparation de l'Église et de l'État ayant déjà été réalisée à l'époque, ils n'ont pas eu à passer par tout cela en 1845, lorsqu'ils ont fixé la date de l'élection.

En ce qui concerne le bicaméralisme, je suis plutôt d'accord avec ce que M. Monahan a dit. La politique n'a pas pour objet la prise de décisions dans l'instant; c'est une affaire de calculs et de stratégies à long terme. C'est en cela que l'influence du Sénat augmenterait, parce que le Sénat peut faire des difficultés ou se traîner les pieds, et le projet de loi lui offre des munitions supplémentaires pour le faire, pour le meilleur et pour le pire. Ce n'est pas qu'il le fera; c'est que la possibilité existe. Il me semble que cela ajoute une corde à notre arc, si c'est la bonne métaphore.

Le sénateur Joyal : Monsieur Smith, au début de votre exposé d'aujourd'hui, vous avez dit qu'on présume qu'un gouvernement minoritaire est toujours sur le point de déclencher les élections. Le premier ministre fait valoir pleinement sa prérogative de dissolution du Parlement; c'est-à-dire que le gouvernement peut organiser sa propre chute sans que personne ne l'accuse de ne pas respecter l'esprit ou la lettre d'une loi du Parlement. Bien entendu, si le gouvernement détient la majorité des sièges après une élection, on présume qu'il ne fera valoir sa prérogative de dissolution du Parlement qu'à la fin de son mandat de quatre ans. Autrement dit, il y a deux prérogatives de dissolution du Parlement. L'une est celle que peut faire valoir un gouvernement minoritaire, et elle est complète et sans contrainte. L'autre est celle que peut quand même faire valoir un gouvernement majoritaire, mais elle est plus contraignante : le gouvernement organise sa propre chute ou fait dépendre sa survie d'un vote au Parlement; le gouvernement pense faire face à une question qu'il n'a pas pour mandat de trancher, puisqu'il n'a pas consulté la population à ce sujet ou puisque l'électorat ne lui a pas confié le mandat de régler cette question précise; ou encore, d'après le scénario décrit par le sénateur Bryden, le gouvernement pense que la chambre haute bloque son programme et qu'il a besoin d'un mandat de la population pour sortir de l'impasse.

N'y a-t-il pas un truc dans le projet de loi, du fait que nous maintenons la prérogative, comme l'indique le paragraphe 56.1(1), mais en la qualifiant différemment en fonction du fait que le gouvernement est minoritaire ou majoritaire?

M. Smith : Peut-être. Nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve en ce qui a trait aux élections, dans le contexte partisan de la politique canadienne, mais nous avons des raisons de croire que les choses ne vont pas changer tant que ça. Si c'est le cas, l'attitude traditionnelle des Canadiens en ce qui concerne le gouvernement minoritaire devra changer. On peut présumer que la Constitution ne peut permettre une série continue de dissolutions du Parlement. Il faut que le Parlement continue d'une manière ou d'une autre. Le sénateur Forsey avait l'habitude de soutenir que les élections servent à créer le Parlement, et que les gouvernements doivent composer avec le Parlement que le peuple leur a donné. Ils ne peuvent retourner en élection pour obtenir les résultats qu'ils souhaitent obtenir.

Dans un sens, c'est vrai qu'il y a deux études en ce qui concerne le pouvoir de dissoudre le Parlement, le moment d'utiliser ce pouvoir et dans quel contexte il faut le faire, attitudes qui dépendent du fait que le gouvernement est majoritaire ou minoritaire. Encore une fois, on parle toujours de la Couronne dans ce genre de débat, et il faut examiner cela de plus près. On dit, comme des témoins l'ont dit la semaine dernière, que la Couronne, représentée par la gouverneure générale, n'est plus en position de rejeter l'avis du premier ministre du Canada. On ne pourra peut-être pas dire ça indéfiniment. Il sera peut-être nécessaire de définir de nouvelles règles concernant le moment où on permettra la dissolution du Parlement.

Le sénateur Joyal : Est-ce que ce ne sont pas les principes du droit des conséquences non intentionnelles qui s'appliquent lorsqu'on « joue » avec la prérogative de dissolution du Parlement au sein d'une monarchie constitutionnelle?

M. Smith : À mon avis, comme vous le savez pour avoir lu ce que j'ai écrit, la plupart des gens ne perçoivent pas cela comme une chose particulièrement importante. Pour comprendre à quel point cela est important, ils n'ont qu'à lire au sujet de certains événements de l'histoire du Canada ou à penser à un scénario dans lequel cela devient important parce que la décision d'accorder ou non la dissolution du Parlement peut déterminer les événements subséquents. C'est un pouvoir énorme, et je ne vois pas pourquoi on présume que la dissolution du Parlement est accordée inconditionnellement. Il s'agit d'un élément central de la Constitution qu'il faut examiner avec soin, et cet élément ressort d'une nouvelle manière à l'heure actuelle, dans le contexte de l'adoption d'élections à date fixe.

Le sénateur Joyal : Ce que je pense, c'est que cela va placer la gouverneure générale dans la situation où le premier ministre va demander la dissolution du Parlement avant ou après l'échéance de quatre ans, parce que l'article 50 fait toujours partie de la Constitution. Le projet de loi C-16 ne modifie pas cet article, ce qui fait que, en théorie, le mandat du Parlement peut durer jusqu'à cinq ans. Au cours des 40 dernières années, nous avons connu des situations où le mandat du Parlement a duré plus de quatre ans.

La gouverneure générale devra prendre une décision en fonction de l'avis du premier ministre et du libellé du projet de loi C-16. En d'autres termes, le projet de loi s'ajoute aux facteurs que la gouverneure générale devra prendre en compte lorsqu'il lui faut prendre une décision. Supposons, par exemple, que le premier ministre ne s'adresse pas à la gouverneure générale avant le troisième lundi d'octobre, le jour où l'élection doit avoir lieu. La quatrième année, la gouverneure générale va-t-elle téléphoner au premier ministre pour lui dire : « Venez me demander de dissoudre le Parlement, parce que, aux termes du projet de loi C-16, la date d'échéance est dépassée. »

M. Smith : Je ne peux répondre à cette question. Je pense que tout le monde aura remarqué cela aussi, et que l'opposition va soulever la question, mais cela va devenir un problème important qui touchera aussi la gouverneure générale, oui.

M. Monahan : Il me semble que le présent débat porte davantage sur la théorie que la pratique. Examinons la situation qui a cours en Ontario. Permettez-moi d'abord de dire, monsieur le sénateur, que je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous dites que la conséquence pratique du projet de loi sera très différente selon que le gouvernement est minoritaire ou majoritaire. Si le gouvernement est minoritaire, nous allons continuer de devoir envisager la possibilité d'une élection avant le quatrième jeudi d'octobre de la quatrième année suivant une élection, peu importe le libellé du paragraphe (2) du projet de loi.

Si le gouvernement est majoritaire, cependant, le résultat sera que, mis à part dans des circonstances extraordinaires ou inhabituelles, l'élection aura lieu au cours de la quatrième année suivant la dernière élection. Songez au fait que, en Ontario, à l'heure actuelle, par exemple, on a fixé la date de l'élection au 10 octobre. C'était le 4 octobre auparavant, et maintenant, à la suite du rapport que lui a présenté M. Hollins, le lieutenant-gouverneur a décidé que l'élection aurait lieu le 10 octobre. C'est la date de l'élection. M. McGuinty va conseiller au lieutenant-gouverneur de dissoudre l'assemblée législative, parce que refuser de le faire serait vu comme un manquement à une obligation, celle de tenir une élection ce jour-là. Tout le monde compte là-dessus. La population s'attend à cette élection. Les médias aussi. On ne peut imaginer, vu la façon dont la politique fonctionne en pratique, que le premier ministre ne conseillerait pas la gouverneure générale de dissoudre le Parlement, mis à part dans des circonstances extraordinaires, que nous n'avons pas besoin d'évoquer ici — mais l'idée que le premier ministre n'avise pas la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et que celle-ci attende à côté du téléphone en se demandant pourquoi il ne le fait pas ne correspond pas à la réalité du fonctionnement du gouvernement. Si des circonstances extraordinaires empêchaient la tenue d'une élection pour de raisons échappant au gouvernement, et qu'il était largement reconnu qu'il ne convenait pas d'organiser une élection dans ces circonstances, il serait possible d'imaginer un scénario de rechange, mais ce ne serait pas le scénario selon lequel la gouverneure générale exercerait son pouvoir, pas plus que le lieutenant-gouverneur. Cette question n'est pas liée aux conséquences réelles qu'aura l'adoption du projet de loi C-16.

Le sénateur Fraser : Je voulais poser une question sur ce point précis. Le projet de loi ne prévoit pas le jour précis où le premier ministre doit conseiller à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement. Je comprends pourquoi. On ne rédige pas dans une loi qu'un premier ministre doit donner un conseil. Cependant, le projet de loi prévoit bel et bien la tenue d'une élection, et, si on l'adopte, il deviendra une loi du pays.

Contrairement à vous, monsieur Monahan, je peux aisément imaginer les circonstances dans lesquelles le premier ministre en place pourrait penser qu'il est non seulement dans son intérêt partisan, mais aussi dans l'intérêt supérieur du pays de tenir une élection à tel ou tel moment.

Par exemple, sans aucun doute, si des partis différents dominent la Chambre des communes et le Sénat, et que le gouvernement renvoie au Sénat un projet de loi que le Sénat n'aime pas, mais qu'il ne souhaite pas vraiment rejeter, alors, puisque les sénateurs savent qu'une élection à date fixe s'en vient, il peut être très tentant pour le Sénat de se contenter de ne rien faire. Il peut être également tentant pour le premier ministre, s'il souhaite vraiment voir le projet de loi adopté, de dire : « Il y a des raisons qui me pressent de ne pas conseiller à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement. » Je pense que cela est tout à fait possible en politique pratique, et je me demande donc quelle serait la portée du projet de loi dans de telles circonstances.

M. Monahan : Je dois vous dire, madame le sénateur, que, en dehors des circonstances extraordinaires dans lesquelles il serait évident pour tout le monde qu'il est impossible de tenir une élection, il y aura élection. N'importe quel premier ministre qui dirait que, pour préserver l'unité du pays ou en vertu des politiques publiques, etc., il croit superflu de tenir une élection à tel ou tel moment ferait rire de lui, et dans les 24 heures, il aurait changé d'idée, parce que le projet de loi aura pour conséquence, comme ça été le cas en Ontario, que les gens s'attendront à ce qu'une élection ait lieu à une date précise.

En réalité, je reçois régulièrement des courriels des différents partis politiques au sujet du fait qu'il reste six ou huit mois avant l'élection, ou encore tant d'heures et de jours, et tous les partis organisent leurs activités à partir de cette échéance.

Nous devons comprendre que, après que le projet de loi aura été en place depuis un certain nombre d'années, cela deviendra la façon de faire acceptée, comme c'est le cas à l'heure actuelle à l'échelle municipale. Nous sommes là, en 2007, à réfléchir au fait qu'un premier ministre peut ne pas souhaiter la tenue d'une élection. Cela va très rapidement devenir la coutume et la façon de faire acceptée. Le projet de loi aura l'effet prévu : s'il y a un gouvernement majoritaire, les élections se tiendront tous les quatre ans; si c'est un gouvernement minoritaire, l'élection aura lieu au cours de la quatrième année suivant la dernière élection si le gouvernement n'est pas défait avant, mais il est très probable qu'il le soit, puisque c'est un gouvernement minoritaire.

Le scénario selon lequel le Sénat retarderait l'adoption d'un projet de loi du gouvernement n'aurait pas pour effet que le gouvernement ne déclencherait pas d'élections. Ce serait le contraire. Le gouvernement dirait : « Nous devons tenir une élection. Nous allons le faire. » Le fait de ne pas tenir d'élections ne règle pas le problème que cause le Sénat en refusant d'adopter des projets de loi proposés par le gouvernement.

Le sénateur Joyal : Monsieur Monahan, l'article 50 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne garantirait-il pas la tenue d'une élection dans un délai de cinq ans si on le modifiait pour qu'il se lise comme suit : « La durée de la Chambre des communes ne sera que de quatre ans, à compter du jour du rapport des brefs d'élection, à moins qu'elle ne soit plutôt dissoute par le gouverneur général »?

M. Monahan : Oui. On aurait une élection tous les quatre ans, par l'application de la loi. Par l'application de la loi, l'article 50 empêche la Chambre de siéger pendant plus de cinq ans.

Le sénateur Joyal : N'aurait-il pas été mieux de garantir la tenue d'élections au terme de quatre ans, par une modification de l'article 50?

M. Monahan : Je ne sais pas si cela aurait été mieux, sénateur. Il aurait fallu modifier l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, je crois. On aurait pu procéder de cette façon. Quant à savoir si cela aurait été mieux, je n'ai pas de point de vue sur le sujet. Il faut que j'y réfléchisse. Je ne suis pas sûr que cela aurait été mieux. À mon avis, comme ce projet de loi ne modifie pas la Constitution du Canada, il permet d'éviter les complications qui pourraient survenir si nous décidions de modifier l'article 50 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Le sénateur Joyal : Êtes-vous d'avis que réduire la prérogative du gouverneur général, pour qu'elle passe de cinq à quatre ans, relèverait de l'article 41?

M. Monahan : C'est une question qu'il faudrait voir dans ce contexte-là et, alors, la modification relèverait peut-être de l'article 41 plutôt que de l'article 44. Tout de même, c'est un débat que le législateur évite avec ce projet de loi. Si c'était l'article 41, il nous faudrait obtenir l'accord de toutes les provinces — là-dessus, je vous souhaite bonne chance. Ce projet de loi me semble être une façon plus directe d'en arriver à une politique d'équité.

Le sénateur Joyal : Monsieur Hollins, d'après ce qu'on nous a dit, l'article 56.2 proposé du projet de loi C-16 est modelé sur les dispositions ontariennes en la matière. Je crois que vous avez cité l'article 91 ou 92.

M. Hollins : Au fait, c'était l'article 9.1.

Le sénateur Joyal : Songez-vous à une élection municipale lorsque vous précisez le contexte ou la condition qui vous ferait proposer de reporter l'élection, suivant les modalités de l'article 56.1 qui est proposé dans le projet de loi? Le projet de loi se lit comme suit :

S'il est d'avis que le lundi qui serait normalement le jour du scrutin en application du paragraphe 56.1(2) ne convient pas à cette fin, notamment parce qu'il coïncide avec un jour revêtant une importance culturelle ou religieuse ou avec la tenue d'une élection provinciale ou municipale[...]

Cela ressemble à ce que vous avez présenté.

Précisons la chose : les élections municipales en Ontario sont des élections à date fixe. Cela vaut pour l'ensemble de la province.

M. Hollins : Oui, c'est ça.

Le sénateur Joyal : Cela ne s'applique pas, car la date prévue des élections municipales dans la loi à cet égard ne coïncide pas avec la date des élections provinciales qui a été adoptée. Il n'y a pas de conflit possible.

M. Hollins : Non, pas pour l'instant.

Le sénateur Joyal : Est-ce que cela comprend les référendums?

M. Hollins : Ce serait une question différente, qui tient à la volonté de s'adresser à la population. Si on souhaite tenir un référendum en tant qu'événement particulier, le gouvernement en prendra certainement note et pourrait choisir la date à laquelle il s'adressera à la population, et à ce moment-là, ça devient une considération.

Le sénateur Joyal : Ce serait une considération au sujet de laquelle vous devez conseiller le gouvernement.

Le sénateur Di Nino : Monsieur Hollins, le paragraphe 56.2(1) proposé, la partie du projet de loi à laquelle le sénateur Joyal fait allusion, dit « [...] ne convient pas à cette fin, notamment parce qu'il[...] ».

À votre avis, la formulation en question — « ne convient pas à cette fin » — donne-t-elle une marge de manœuvre suffisamment grande pour que l'on puisse tenir compte des référendums et autres situations imprévues pour lesquels vous auriez à recommander un changement?

M. Hollins : Je me méfie toujours quand on parle de ce qui peut convenir à une fin. Chaque fois que je reçois un projet de loi et que je constate que le législateur n'a pas défini le terme qu'il emploie, je me demande ce à quoi exactement il pensait. Dans le cas qui nous intéresse ici, qui déciderait? C'est une des questions dont nous discutons.

Je vais vous donner un exemple extrême. Quelqu'un affirme que, depuis un an, il est prévu qu'il y aura une récolte tel jour dans un quartier particulier. Nous savons que l'événement est important aux yeux de la collectivité. Quelle importance y accorder? C'est difficile. Ayant vécu cela, je serais enclin à ne pas essayer de définir les choses trop rigoureusement, à continuer à utiliser tous les moyens possibles pour communiquer avec le grand public, les électeurs eux-mêmes, à voir comment le dialogue se dessine, puis, à ce moment-là, je prendrais une décision. À ce moment-là, il faut se dire à soi-même : mes choix se limitent à sept jours. J'espère qu'il y en a un dans les sept qui va convenir.

Le sénateur Di Nino : Je comprends cela, mais dans la mesure où vous disposez d'une certaine marge de manœuvre pour évaluer la situation qui se présente, est-ce que ce n'est pas mieux que d'avoir des exceptions ou des exemptions précises?

M. Hollins : Si c'est précis, le poids de la décision repose sur les épaules de la personne qui a rédigé le projet de loi et en a fait une chose précise. Si ce n'est pas précis, il m'appartient alors à moi de déterminer ce qui est juste et ce qui convient, et les voix dissidentes diront que c'est à moi qu'il faut s'opposer. Il est clair que je dois être clair moi-même, quel que soit le texte que je reçois, ce qui est difficile.

Le sénateur Di Nino : Évidemment, ce n'est pas vous qui prenez la décision. Vous faites une recommandation à l'intention du lieutenant-gouverneur en conseil.

M. Hollins : Oui.

La vice-présidente : Vous avez une marge de manœuvre de sept jours. Ce projet de loi prévoit que ça peut se faire le lendemain ou le lundi suivant; c'est la seule marge de manœuvre qui y est prévue. C'est nettement moins grand. Est-ce que cela vous occasionnerait des problèmes?

M. Hollins : J'ai eu des problèmes avec sept jours à ma disposition. En tant que praticien, je dirais donc que j'opterais pour un nombre de jours qui serait plus grand, et non pas moins grand.

Le sénateur Di Nino : J'ai deux questions précises à poser à la fois au professeur Smith et au professeur Monahan, et je crois que l'un d'entre vous a déjà répondu. Je tiens simplement à confirmer que, les deux, vous êtes d'accord pour dire que le projet de loi, de fait, n'est pas contraire à l'article 4 ou à l'article 50. Si mon hypothèse est correcte, je prendrai volontiers le silence comme réponse, si vous voulez.

On a discuté quelque peu de la définition de la convention de confiance. Certains se soucient de ce que cela ouvre la porte aux interprétations judiciaires. Or, la convention de confiance est un acte politique qui peut évoluer au fil du temps. Croyez-vous que c'est nécessaire et, le cas échéant, quelles sont les questions qui en découleraient?

M. Smith : Qu'est-ce qui est nécessaire, sénateur?

Le sénateur Di Nino : Est-il nécessaire de définir la confiance?

M. Smith : Si je comprends la question, la confiance est en vérité une décision politique. Elle est totalement emmurée dans les considérations politiques. En fait, je ne sais pas comment on procéderait pour la définir davantage qu'à l'heure actuelle. Je crois qu'il y a évolution ou maturation. Il est malheureux que le professeur Desserud ne soit pas là, car plus que toute autre personne que je connaisse, il a écrit sur ce sujet. La plupart des conventions sont difficiles à définir, mais je crois que la convention de confiance est extrêmement difficile à définir. Je crois que notre réaction à un ensemble de conditions dépend de ce qu'il existe une convention à cet égard et de ce que serait la réaction appropriée.

M. Monahan : Je suis d'accord avec M. Smith. La confiance est très difficile à définir, et je crois que la tentative faite pour la définir supposerait, vraisemblablement, une modification éventuelle de l'article 41 ou une modification qui a trait à l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982. Essayer de définir la convention aurait peut-être pour effet de modifier les pouvoirs du gouverneur général. Je crois qu'il est difficile et inutile de le faire dans le contexte du projet de loi en question, car ce dernier dit simplement ne pas porter atteinte au pouvoir du gouverneur général.

Le sénateur Fraser : J'avais l'intention de poser d'autres questions sur la convention de confiance. Je vous remercie donc tous.

La première question s'adresse à M. Smith, mais les contributions d'autrui auront notre respect et notre reconnaissance. Supposons, comme M. Monahan l'a donné à entendre, que le grand public finit par voir la tenue d'élections tous les quatre ans comme étant la norme, comme le seul moment légitime de tenir une élection, en étant influencé par ce qu'il voit aux États-Unis et par diverses déclarations politiques... supposons que quiconque, à tout moment, puisse proposer que nous devrions peut-être nous adresser à la population avant cela. Nous le savons, chaque fois que les Canadiens sont appelés à déclarer s'ils souhaitent une élection tout de suite, c'est par une majorité énorme qu'ils répondent « non ». Si jamais, comme je soupçonne que ce serait le cas, la tenue d'élections tous les quatre ans hormis quelques exceptions rares finit par être considérée largement comme étant la seule façon légitime de procéder, quel en serait l'effet avec le temps sur la convention de confiance? Je ne crois pas que nous ayons à définir la convention pour nous demander si l'effet ne serait pas d'émousser ce qui représente, après tout, le cœur même du système de Westminster, et voilà les motifs pour lesquels un gouvernement, une fois défait, doit s'adresser à la population.

M. Smith : Pour l'ensemble de faits que vous évoquez, il me semble que cela pourrait donner, entre autres, que les partis d'opposition chercheraient encore à ce qu'il y ait des votes de confiance, mais la question n'aurait pas les conséquences qu'elle a, selon les perceptions, ce moment. Cela dépend tellement de la structure que prendra à ce moment-là le système des partis. Nous avons eu droit à une seule coalition à l'échelle nationale. La situation changerait énormément si aucun parti ne pouvait former le gouvernement ou s'il devenait plus difficile pour un seul parti de maintenir un gouvernement minoritaire. Ce sont là toutes les questions qui se posent.

Pour prendre les faits que vous énoncez, il me semble que cela pourrait donner un système ou une situation où le gouvernement serait forcé de retirer un projet de loi qu'il propose parce qu'il n'a pas l'appui de la Chambre. Pour l'ensemble de faits que vous avez décrit, il y aurait une restriction psychologique, ou publique, qui l'empêcherait de s'adresser à la population. C'est tout ce que j'arrive à dire à ce sujet pour l'instant, mais, évidemment, c'est une question centrale.

Le sénateur Fraser : Qui sait quelle sera la réponse? C'est pourquoi je voulais obtenir vos interprétations d'expert.

M. Monahan : Il est difficile d'évaluer l'impact de ce projet de loi. Je ne suis pas sûr qu'il soit possible de faire les prévisions que vous faites. Peut-être. Par contre, je ne vois rien dans le projet de loi qui provoquerait nécessairement ce résultat. Le gouvernement en place ne l'a pas dit aussi clairement, mais le gouvernement précédent, celui de M. Martin, a certainement fait savoir qu'il n'entendait pas traiter toutes les questions, sinon autant de questions, comme des questions de confiance qu'auparavant. C'était en vue de relâcher peut-être la discipline de parti et de permettre un plus grand nombre de votes libres et ainsi de suite, ce qui me paraît être une évolution souhaitable. Tout de même, cela fonctionne indépendamment de ce projet de loi. Avec les fluctuations d'usage, la convention de confiance continuera d'évoluer au fil du temps. Je ne vois rien dans le projet de loi C-16 qui devrait nous inquiéter en rapport avec la convention de confiance. Celle-ci continuera d'évoluer en fonction de divers facteurs se rapportant à des choses comme la discipline de parti et la volonté chez les parlementaires, et particulièrement ceux qui siègent à la Chambre des communes, de se donner un plus grand rayon d'action, et même les membres du parti au pouvoir, pour voter autrement que ce que souhaiterait peut-être le premier ministre.

Le sénateur Fraser : Je n'ai pas posé la question à M. Hollins parce que je présume que c'est en dehors de son domaine d'expertise.

M. Hollins : Effectivement, je préférerais ne pas m'avancer à ce sujet.

Le sénateur Andreychuk : Il a été question de gouvernements majoritaire et minoritaire. Ce n'est pas mon domaine d'expertise, mais, comme je suis originaire de la Saskatchewan, il me semble que, autour de la quatrième année, les gens s'attendaient à ce qu'une élection soit déclenchée. Si vous attendez plus longtemps, vous testez la patience de l'électorat. Les choses fonctionnaient de cette façon-là en Saskatchewan. Arrive la quatrième année, et les gens discutent beaucoup des raisons pour lesquelles il n'y a pas d'élections plutôt que de discuter du déclenchement des élections. Quand je suis arrivée à Ottawa, on voulait savoir si le gouvernement allait tomber sur la question de confiance et par la main de qui il le ferait. C'est le gouvernement lui-même qui en sera l'instigateur ou encore l'opposition? C'est la question que le grand public a soulevée. Si nous avions des élections à date fixe, nous pourrions faire cesser une partie de ces manœuvres stratégiques, non seulement chez le premier ministre lui-même, mais aussi dans l'opposition et, en particulier, au moment où il y a un gouvernement minoritaire. Le sort de ce projet de loi n'est-il pas lié à un gouvernement majoritaire ou minoritaire ou encore à la formation d'une coalition? Il est motivé par le manque d'appétit du grand public pour les jeux de cette nature. De fait, allons-nous faire cesser ces manœuvres ou changer la donne, voilà une question qui reste à voir, mais c'est une réaction qui repose sur la volonté pour la population d'avoir une plus grande certitude.

M. Smith : Je vois cela comme une réaction. C'est simplement que, comme on l'a dit cet après-midi, là où il y a un gouvernement minoritaire, il y aura la volonté ou le besoin de tenir des élections plus souvent qu'aux quatre ans. Cela n'a rien de répréhensible, sauf que, à ce moment-là, toute l'idée des élections à date fixe semble y perdre un peu. Cela ne sert qu'à créer plus de confusion chez les membres du grand public. Je ne vois pas très bien le gain que les gens peuvent en tirer, à moins que vous puissiez nous assurer que cet objectif sera atteint, mais il ne me paraît pas évident que vous pouvez le faire, étant donné la situation politique : vous n'avez pas d'emprise là-dessus.

La vice-présidente : Messieurs, merci beaucoup d'être venus comparaître devant notre comité, d'avoir fait le long trajet qui mène à ce lieu enneigé, enveloppé par la tempête. Je crois savoir que l'un ou deux d'entre vous avez un vol à prendre; nous allons donc vous laisser essayer de le prendre.

Nous accueillons maintenant les représentants de partis politiques officiellement inscrits au Canada. Anna Di Carlo est secrétaire du Renouveau démocratique du Parti marxiste-léniniste du Canada, et Jean-Serge Brisson est chef du Parti libertarien du Canada.

Anna Di Carlo, secrétaire du Renouveau démocratique, Parti marxiste-léniniste du Canada : Notre parti est en faveur de la tenue d'élections à date fixe. Nous l'avons toujours déclaré officiellement : les élections à date fixe constituent un élément d'un processus politique démocratique qui aiderait les Canadiens à exercer le droit qui leur revient d'élire des représentants et d'être élus eux-mêmes.

Lorsque le Parti conservateur a déposé le projet de loi C-16, il a déclaré avoir réalisé un sondage selon lequel les Canadiens tenaient à des élections à date fixe. Nous ne sommes pas d'accord avec cette tournure des choses : voilà qu'un sondage vient supplanter la délibération publique qui a lieu au Parlement et au sein de ses comités; néanmoins, c'est ce qu'a dit le gouvernement.

Tout de même, je crois que les Canadiens n'ont pas été appelés à dire, par ce sondage, s'ils souhaitaient qu'il y ait peut-être des élections à date fixe. L'argument principal qui est invoqué est le suivant : s'il n'y a pas de date fixe pour les élections au sens strict du terme, il y aura une attente. À nos yeux, cela crée l'illusion que, d'une manière ou d'une autre, cela changera la situation au Canada pour ce qui est de la prérogative royale exercée à l'avantage du parti politique au pouvoir.

Les Canadiens s'attendaient aussi à ce que les fiducies de revenu ne soient pas imposées. Ils s'attendaient à ce que la TPS soit supprimée il y a plusieurs années. Ils s'attendaient à bien des choses, et notamment à ce que les réformes politiques se fassent de manière intègre et qu'elles servent à améliorer la situation à laquelle ils font face.

Nous avons suivi de près les pirouettes intellectuelles qui ont abouti aux propos selon lesquels le système parlementaire peut avoir à la fois une convention de confiance qui demeure intacte et des élections à date fixe.

Les délibérations nous inquiètent à de nombreux égards. Celui que je viens de mentionner, c'est la notion selon laquelle une attente vaut une loi.

Autre source d'inquiétude : les élections à date fixe donneront lieu à une campagne électorale prolongée. Les représentants du Parti conservateur au Parlement, et d'autres observateurs encore, nous ont dit qu'il n'y avait pas lieu de s'en inquiéter, qu'il n'y aurait pas de prolongation des campagnes électorales. On nous a dit cela au moment même où les annonces publicitaires des Conservateurs pour la campagne électorale sont diffusées. Encore une fois, c'est manquer quelque peu de sérieux que de nous dire que des réformes sont en cours.

On prétend également que les élections à date fixe auront pour effet de rendre le système plus équitable. C'est là aussi un fieffé mensonge, à notre avis. Nous aimerions porter à l'attention du comité sénatorial l'hypocrisie et la duplicité dont nous sommes les témoins en tant que petit parti politique au Canada. Si le gouvernement s'intéresse à l'équité, pourquoi conteste-t-il la décision du tribunal ontarien à l'encontre des seuils de 2 et de 5 p. 100 touchant les subventions octroyées aux partis politiques? Nous faisons actuellement enquête pour déterminer comment il est possible que, même si la loi a été déclarée inconstitutionnelle, les subventions versées en janvier 2007 n'ont pas été remises à tous les partis politiques. C'est la constitution qui a tranché : les sommes devaient être remises à tous les partis politiques, mais, on ne sait comment, la loi a simplement été contournée.

Notre plus grande inquiétude concernant le projet de loi C-16, c'est que ce ne serait que l'une des nombreuses réformes que l'on présente sans égard à la façon dont le système est censé fonctionner théoriquement, aux raisons qui font qu'il ne fonctionne pas ni aux solutions qu'il nous faudrait adopter pour répondre aux besoins des citoyens aujourd'hui.

Ce dont les citoyens ont besoin aujourd'hui, ce n'est pas de se faire quelques illusions sur la limitation de la prérogative royale en raison d'une attente. Il faut de véritables mécanismes qui nous permettent de commencer à participer à la gouvernance, depuis le processus de sélection des candidats jusqu'au contrôle à exercer sur nos représentants élus, en passant par la participation à l'établissement du calendrier des élections et la délibération sur les questions auxquelles nous faisons face.

Enfin, nous nous soucions vraiment du fait que les modifications soient apportées de la façon la plus cavalière qui soit, au mépris, quant à nous, des limites constitutionnelles existantes. Au moment où le premier ministre Harper a commencé à parler de la plus récente série de réformes qu'il a mises en place, quand il a parlé en Colombie-Britannique, je crois, il a dit que son gouvernement serait très pragmatique, qu'il nous fallait des réformes, qu'on pourrait mettre en place en contournant la Constitution. « Contourner la Constitution », cela ne me paraît pas très judicieux. Le terme politique plus acceptable aurait été : « Ne pas rouvrir les négociations constitutionnelles ».

Nous croyons que cela ouvre la porte aux tentatives faites par les gouvernements de passer outre à la Constitution, ce qui n'est pas bon pour les citoyens. Souvent, toute l'affaire a été ramenée à une question d'interprétation. Souvent, le gouvernement nous a dit que les lois adoptées ont été soumises à un examen visant à déterminer leur conformité avec la Constitution, mais nous avons constaté que ce n'était pas le cas. Nombre de réformes différentes sont introduites à la pièce — la réforme du Sénat, l'adoption de critères d'identification des électeurs, les élections à date fixe, les modifications qui transforment les partis politiques du Canada en annexes subventionnées de l'État. Les réformes en question auront des effets profonds sur la restructuration des institutions politiques du Canada. Il ne faudrait pas qu'elles soient introduites de cette façon.

Si nous décidons d'avoir des élections à date fixe au Canada, il faut une délibération pleine et entière pour voir pourquoi cela est incompatible avec le système existant. Encore une fois, on nous dit que cela aura un effet sur la convention de confiance. En même temps, nous savons que les conventions évoluent de pair avec l'usage. À quel moment ont eu lieu les délibérations qui ont permis de déterminer que la convention de confiance, qui est considérée comme un élément capital du système de gouvernement responsable, ne sera pas transformée par une série de parlements qui tiennent des élections à date fixe? Je ne sais pas combien de députés ou de sénateurs ont prêté attention aux délibérations que nos gouvernements ont tenues au fil des ans, par exemple, sur les élections à date fixe. Nous avons décidé qu'il valait la peine de nous pencher sur l'étude de Forsey et d'Eglinton sur la question de confiance : en effet, nous avons trouvé cela singulier que, en 1984, l'idée de tenir des élections à date fixe a été rejetée après que les gens ont mûrement réfléchi au dossier et beaucoup délibéré sur la complexité du problème. Or, aujourd'hui, on nous dit qu'il n'y a pas de problème.

À relire Forsey et Eglinton, on voit — et la vie le confirme — que les mécanismes du système de démocratie représentative et responsable que nous avons, qui visaient jadis à limiter l'exercice des prérogatives royales, par exemple la convention de confiance, conçue pour mettre fin à l'absolutisme, ont été transformés en leur antithèse. Désormais, ce ne sont plus que les mécanismes par lesquels les chefs et hauts dirigeants des partis politiques intimident les députés en vue de s'assurer de leur soumission, de sorte qu'il ne s'agit plus d'un système parlementaire qui comporte des mécanismes permettant de contraindre les pouvoirs de l'exécutif. Ce dont nous sommes les témoins, c'est une régression vers l'absolutisme.

Dans le contexte, le projet de loi C-16 se révélera utile. Il aidera à raffermir le contrôle exercé dans les hautes sphères sur les députés des partis politiques eux-mêmes. Le Sénat adopterait une position héroïque s'il s'opposait au projet de loi C-16.

C'est inattaquable. On nous dit : qui diable s'opposerait à des élections à date fixe? Bien entendu, nous savons que tout le monde aimerait disposer d'un système qui nous procure une certaine uniformité et qui empêche d'exercer le pouvoir à des fins bassement partisanes. Tout de même, le système ne peut intégrer des élections à date fixe sans perdre tout à fait sa cohérence.

Voilà nos observations sur la question. Nous espérons que le projet de loi C-16 sera examiné à la lumière de toutes les réformes qui sont en voie d'être instituées en ce moment.

Jean-Serge Brisson, chef, Parti libertarien du Canada : Ayant siégé à un conseil municipal, je crois comprendre que M. Hollins parlait d'élections municipales. Les élections municipales se déroulent à date fixe. Nous le savions déjà, au moment d'être élu, il faudrait faire campagne de nouveau. Nous pouvions planifier. Dans notre municipalité, nous avons réglementé en fonction du fait qu'il y avait une date fixe. Autant que je me souvienne, ça a toujours été comme ça, et il n'y a jamais eu de problèmes.

Je ne sais pas à quoi ça va ressembler à l'échelle de la province. Nous allons tenir une élection provinciale cette année, et nous essayons les élections à date fixe pour la première fois. Je ne travaille pas à l'administration du parti à l'échelle provinciale. À l'échelle fédérale, je peux vous dire que le Parti libertarien éprouve de la difficulté à convaincre des candidats à s'engager en vue d'une élection qui peut survenir à n'importe quel moment, qu'il s'agisse d'un gouvernement minoritaire ou majoritaire. Il y a déjà eu des gouvernements majoritaires qui ont déclenché des élections. M. Chrétien en a déclenché une au bout de trois ans et demi, alors que les gens prévoyaient que cela se ferait la quatrième année. Au moment des élections, nous avons été pris de court.

Nous essayons maintenant de planifier en fonction d'une élection qui peut survenir à n'importe quel moment. Le gouvernement minoritaire, si je comprends bien ce que le professeur a dit ici auparavant, sera une créature différente, mais si on a un gouvernement majoritaire, on sait que l'élection va être tenue à un certain moment, une certaine année. Les gens peuvent s'engager. Je parle des besoins de mon parti en particulier. Je ne sais pas ce qu'il en est des autres partis, mais, de notre point de vue, ce serait bon.

Cela dit, à première vue, je dois me dire d'accord avec Mme Di Carlo : si, pour adopter cette mesure, nous contournons les usages et ne respectons ni la Constitution ni les règles qu'elle comporte, ce n'est pas mieux. Sans entrer dans les détails de la chose, on a déjà enfreint l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique dans le cas des pouvoirs provinciaux, dans le cas des pouvoirs fédéraux. Cela, le grand public ne le sait pas. Seules les rares personnes qui sont des bêtes politiques le savent. Monsieur tout le monde ne s'en soucie probablement pas, car cela n'a pas d'incidence sur sa vie quotidienne. Chaque fois que vous empiétez sur la Constitution, vous la dénigrez. Une fois le méfait accompli, il est facile de récidiver et encore de récidiver.

J'ai lu le projet de loi, mais sans entrer dans le détail comme les autres partis. J'ai seulement eu l'occasion de me le procurer et d'en faire la lecture la semaine dernière. Comme je l'ai dit au début, mon parti serait favorable à la tenue d'élections fédérales à date fixe, mais je n'ai pas vu la façon dont cette pratique serait amenée. J'ai écouté Mme Di Carlo exprimer ses préoccupations à cet égard.

Essentiellement, la personne moyenne aimerait probablement qu'il y ait des élections à date fixe. À cela il y a bon nombre d'avantages et d'inconvénients. La personne moyenne saura que nous tenons des élections en octobre. Nous saurons que le gouvernement fédéral fera campagne en vue d'être réélu et qu'il commencera probablement à accorder plus d'attention à la chose.

Nous avons été appelés à prendre part à une discussion visant à éveiller l'intérêt de la population générale pour les élections. Je dirais que la stabilité — le fait de savoir comment et à quel moment les élections seront tenues — stimulera l'intérêt. Lorsqu'on n'est pas sûr du moment où l'élection sera déclenchée, on n'a pas le même intérêt pour la chose. Les gens apprécient cette stabilité, le fait de savoir que quelque chose va se dérouler à un certain moment car, à ce moment- là, ils peuvent se préparer.

Je n'ai pas pu fouiller la question, mais si cela pose un problème du point de vue constitutionnel, je crois qu'il faudrait étudier la question plus attentivement.

La vice-présidente : À ce moment-là, je tiens pour acquis que, tous les deux, vous croyez que le public et votre parti bénéficieraient de la tenue d'élections à date fixe, point à la ligne. Vous souhaitez des élections à date fixe et non pas le système prévu dans le projet de loi, qui a été décrit la semaine dernière et encore, plus tôt, comme prévoyant des élections à dates fixes flexibles.

Mme Di Carlo : Oui, nous serions en faveur de dates de scrutin fixes dignes de ce nom.

Le sénateur Joyal : J'essaie de comprendre l'objectif atteignable des « petits partis ». À mes yeux, aucun parti n'est petit; le parti a sa plate-forme et ses convictions. Je n'aime pas le qualificatif de « petit ». Je crois qu'il témoigne d'un certain mépris.

Je m'attendrais à ce que des partis comme les vôtres préfèrent des élections où la volonté du citoyen s'exprime en rapport avec des questions importantes, quelle que soit la date choisie, à l'idée de s'ancrer dans une sorte de béton électoral.

Si vous réussissez à faire élire des députés et que cela donne un gouvernement minoritaire, comme vous auriez certainement la balance du pouvoir entre les mains, vous pourriez travailler plus directement à façonner le consensus au Parlement. Partant, le contexte politique où vous êtes en mesure d'exercer vos activités serait préféré à une situation où vous êtes exclu du Parlement par les partis traditionnels pendant quatre ans.

Comme M. Brisson l'a mentionné, il y a des élections à date fixe à l'échelle municipale et aussi à l'échelle scolaire. Il y a deux élections à date fixe où le taux de participation est inférieur à 20 ou à 30 p. 100. Les élections à date fixe dont il est question sont prévues bien à l'avance, car le directeur général des élections à l'échelle municipale ou scolaire sait à quoi s'en tenir d'avance. Tout le contexte idéaliste d'un système d'élection à date fixe est là, mais, en réalité, le taux de participation est le plus bas qui soit. Je ne vois pas de lien direct entre les deux systèmes; cela dépend de la question à l'ordre du jour.

Le recrutement des candidats tient également à d'autres facteurs. Il tient à la mesure dans laquelle votre plate-forme concorde avec ce que l'opinion publique générale perçoit comme étant la question de l'heure. Par exemple, prenons le cas de l'environnement. Bien entendu, l'environnement est une question omniprésente sur la scène électorale de nos jours. Tout parti ayant une solide plate-forme environnementale sera jugé attrayant par un nombre relativement plus grand d'électeurs que le parti qui ne se soucie pas de la question de l'heure. Cela ne veut pas dire que ce n'est pas important; comme vous souhaitez que les électeurs vous choisissent vous, vous vous organisez pour qu'ils s'intéressent à ce que vous proposez.

J'ai de la difficulté à concilier ce que vous voyez comme l'intérêt supérieur du point de vue électoral et ce que représente, en fait, la réalité des élections tenues à date fixe, d'un certain point de vue. Nous avons entendu dire que, aux États-Unis, le taux de participation est minimal. Nous avons des élections municipales et scolaires. Il n'y a pas d'avantages immédiats à tirer d'un système plutôt que de l'autre, à mon avis.

Le seul avantage, c'est que le directeur général des élections connaît la date des élections et qu'il le sait six mois d'avance : il peut donc louer des locaux, réserver des téléphones, former son personnel et ainsi de suite. Cela, je le comprends.

Du point de vue de la participation en démocratie, parce que c'est de cela dont il s'agit toujours, je ne suis pas sûr que cela entraîne l'effet décrit. Si le système était supérieur au système d'élection à date amovible, nous pourrions en mesurer le véritable impact au moment des autres élections.

Lorsqu'il est venu comparaître, le directeur général des élections de la Colombie-Britannique n'a pas fait de lien entre les élections à date fixe et un taux de participation qui serait plus élevé. Il a pu disséquer le résultat.

J'ai de la difficulté à bien saisir votre position dans le contexte. J'ai peut-être raté l'essentiel de l'argument ou peut- être que le changement que vous préconisez s'inscrirait dans une réforme plus vaste qui comporterait des trucs comme le scrutin proportionnel. Notre collègue, le sénateur Stratton, par exemple, appuie en principe un scrutin en alternance où il y aurait un homme puis une femme puis un homme et ainsi de suite. Je peux comprendre qu'il y ait un régime électoral qui aboutit à une meilleure reconnaissance de la préférence des électeurs, mais j'éprouve de la difficulté à voir comme étant égaux le régime d'élection à date fixe et l'autre régime, celui que le sénateur Stratton appuie en principe. J'aimerais savoir ce que vous en pensez... à moins que j'aie mal saisi ce que vous nous avez dit.

Mme Di Carlo : C'est peut-être le cas. Nous appuyons la tenue d'élections à date fixe dans le cadre d'un processus politique qui serait très différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Par exemple, nous ne croyons pas que la sélection des candidats par les partis politiques auxquels moins de 2 p. 100 de la population participent représente une bonne voie. Nous croyons qu'il faudrait adopter un mécanisme par lequel tous les Canadiens, tous les électeurs, participeraient au processus de sélection des candidats.

Le sénateur Joyal : Même s'ils ne sont pas membres du parti?

Mme Di Carlo : Tout à fait. Les partis politiques n'y occuperaient pas une place particulière. Si un parti politique souhaite recommander un de ses candidats, il pourrait le faire, mais dans le contexte de démarches électorales officielles : il y aurait une façon pour les gens qui travaillent dans une usine de pouvoir choisir quelqu'un parmi leurs pairs. Ils pourraient dire : « Nous croyons que cette personne-là, que nous connaissons et dont nous voyons le travail tous les jours, devrait être candidat. » À l'université, des étudiants pourraient nommer un étudiant et ainsi de suite. Je ne veux pas entrer dans les détails de tout cela. Ce n'est pas le but de la discussion.

Nous ne voyons pas comment il serait possible de réparer ce système. C'est une proposition très sérieuse que nous présentons. Forsey et Eglinton ont souligné qu'il en est ressorti un élément nouveau qui est à la fois complexe et intéressant. Pour que les partis politiques se démocratisent, ils ont dû introduire l'élection des chefs au moment des congrès. Il n'était tout simplement pas acceptable de continuer d'avoir des chefs choisis par les hauts échelons du parti. De ce fait, le premier ministre n'était plus comptable au cabinet et au caucus de son parti. Il pouvait dire : « Non, je suis comptable à mon parti. » Dans les faits, cela a servi à diminuer le rôle, le statut et la dignité des députés à la Chambre des communes, qui, auparavant, choisissaient le chef. Nous avons déjà eu au Canada un système où les partis politiques ne jouaient pas le rôle qu'ils jouent aujourd'hui. On pouvait dire des députés de la Chambre qu'ils commandaient la situation.

Il existe une abondance de documents qui montrent comment, de nos jours, les partis politiques au Canada peuvent très bien s'en tirer sans avoir de membres. L'État leur verse beaucoup d'argent. Il y a la publicité et les agences de marketing. Le Parti conservateur a maintenant ajouté un élément, qui m'a simplement scandalisée. Nous tenons au Canada des consultations publiques sur le processus politique, mais la démarche est mise entre les mains d'une entreprise du secteur privé. Cela dépasse l'entendement : le Parlement est bafoué, les comités de la Chambre sont bafoués, les discussions du Sénat sont bafouées, et nous allons verser un million de dollars à une cellule de réflexion pour qu'elle nous dise ce que pensent les Canadiens.

De tous les points de vue, le système ne fonctionne pas, et les Canadiens le savent. Le système des partis était censé donner un parti dans l'opposition et un parti au pouvoir, avec l'équilibre qui devait en découler. Si votre parti n'était pas porté au pouvoir, vous étiez représenté dans l'opposition. Cela ne fonctionne plus depuis 1993. Personne n'ose dire que ça ne fonctionne plus. C'est notre point de vue à nous. Nous croyons que le moment est venu au Canada de s'attaquer sérieusement à cette question. C'est une situation dangereuse. On affiche une attitude très désinvolte à l'égard du fait que le taux de participation est de plus en plus faible et que les jeunes au Canada n'ont pas d'intérêt pour la politique.

On ne saurait intégrer au système actuel la tenue d'élections à date fixe.

M. Brisson : La tenue d'élections à date fixe n'est qu'un aspect du régime électoral. Pour rendre des élections intéressantes ou pour inciter les gens à participer, les enjeux et les candidats doivent y être. Je peux vous dire que, dans ma municipalité à moi, le taux de participation a toujours avoisiné les 40 p. 100. À Ottawa, c'est toujours autour de 30 p. 100, mais, au cours des dernières élections, ça a été autour de 50 p. 100. Pourquoi? Ce sont les candidats qui expliquent l'écart.

Je comprends ce que vous dites et, oui, il y a une apathie généralisée, mais il est possible de travailler avec certains des éléments. Il y a entre autres la stabilité du scrutin lui-même. Voici le moment choisi, voici la date. Les candidats peuvent se préparer et dire : « Bon, je crois que je vais me présenter cette fois-ci. » Certains arriveront à la dernière minute, mais d'autres diront « J'ai l'intention de me présenter » et commenceront à créer les conditions nécessaires pour que les gens travaillent avec eux. Ils vont commencer à solliciter les gens dès le début. Dans ma municipalité, le taux de participation est toujours près de 50 p. 100, mais, dans la municipalité d'à côté, le gagnant est élu par acclamation. Peu importe la date des élections. Il y aura toujours des anomalies, mais, l'essentiel, c'est de stimuler l'intérêt des gens pour qu'ils participent à l'élection — un des éléments à cet égard, c'est la stabilité que procure une date fixe.

Je ne sais pas comment vous allez faire pour rendre cela conforme à la Constitution. J'espère qu'il y aura un bon travail de fait pour que le projet ne soit pas anticonstitutionnel, mais, en ce moment, j'interviens pour commenter cet aspect des choses.

On a beaucoup trop joué avec la loi électorale. Nous avons perdu des inscriptions parce qu'il y a eu toutes ces manœuvres. Nous avons perdu des candidats parce qu'on a joué avec les frais. Jouer constamment avec le processus électoral, c'est le déstabiliser. Il y a des gens qui souhaiteraient se lancer, que ce soit sur la scène fédérale, provinciale ou municipale. Sur la scène provinciale et municipale, on n'a pas tant joué avec les règles, mais, sur la scène fédérale, la transformation a été radicale. J'ai de la difficulté à intéresser les gens à un système qui n'est pas stable. Ils ne savent tout simplement pas à quoi s'en tenir d'une élection à l'autre. Les règles changent tout le temps. Nous parlons ici des dates, mais, d'abord et avant tout, à mon avis, la loi électorale devrait être considérée comme une chose stable qui ne change pas pendant un certain temps, pour que nous puissions commencer à intéresser les Canadiens au processus. La première question, c'est la date.

Le sénateur Joyal : Merci.

Le sénateur Fraser : Voilà qui est fascinant. Je vous remercie tous les deux d'être venus comparaître. Je veux revenir à l'histoire de la convention de confiance. Permettez-moi de faire remarquer que je suis venue au Sénat sans aucune expérience politique, mais que j'y suis depuis un peu plus de huit ans. Dans la pratique, bizarrement, la convention de confiance m'apparaît fonctionner un peu mieux que ce que les gens donnent à entendre, mais par l'entremise du caucus. Lorsque notre parti à nous était au pouvoir, j'ai vu des premiers ministres à la tête d'un gouvernement majoritaire et d'un gouvernement minoritaire avoir la main serrée sur leur caucus et modifier les politiques en tenant compte de ce que disait le caucus, même si les journaux n'en font pas état. Je gagerais une partie de ma rente de retraite que la même chose se produit au sein du parti qui est aujourd'hui au pouvoir. On ne le voit pas dans les textes politiques, mais c'est un élément qui fait partie de cette réalité complexe.

Monsieur Brisson, vous tenez votre expérience de la politique municipale, qui n'est pas de type Westminster, et vous croyez que cela a bien fonctionné. Madame Di Carlo, je ne sais pas bien si vous êtes d'avis que la convention de confiance est irréparable et qu'elle devrait être laissée de côté, ou encore que, idéalement, il faudrait la corriger. Quoi qu'il en soit, nous avons une constitution qui dit que la Constitution du Canada et le Parlement du Canada reflètent le système parlementaire britannique, qui est un système reposant sur le gouvernement responsable. La convention de confiance est au cœur même de cela. Comment concilier cela? Proposez-vous des conventions constitutionnelles en bonne et due forme ou dites-vous qu'il faut prendre ce projet de loi et essayer de faire au mieux avec ce que nous y retrouvons?

Mme Di Carlo : D'après ce que nous savons, c'est précisément cela le problème. Nous avons un système où la souveraineté n'appartient pas au peuple. Nous avons encore une constitution où la souveraineté revient à la Couronne. C'est là que le problème se situe, à notre avis. C'est le peuple qui devrait être souverain. Le temps est venu que cela se fasse.

Le sénateur Fraser : Nous avons devant les yeux un projet de loi sur lequel vous allez devoir vous prononcer, par un oui ou par un non? Allez-vous voter oui?

Mme Di Carlo : Je voterais non, et j'aimerais exposer à nouveau les raisons pour lesquelles je voterais non. Dans la période dans laquelle nous vivons, nous sommes les témoins d'une approche fragmentaire de réforme électorale et politique qui rend le système incohérent, qu'il s'agisse du financement des partis politiques et de l'effet d'avoir des partis politiques qui tirent 80 p. 100 de leur revenu de l'État plutôt que de leurs membres; qu'il s'agisse de ce projet de loi, qui sert à faire entrer une drôle de bête dans le système; qu'il s'agisse de réformes importantes touchant le Sénat qui nous paraissent être introduites de manière clandestine, et à propos desquelles on dit simplement : « Ne vous souciez pas de la Constitution. Nous l'avons étudiée. Tout est beau. Ceci ne porte pas atteinte à la Constitution. »

Le sénateur Fraser : Croyez-vous que cela devrait être le cas?

Mme Di Carlo : Je crois qu'il devrait y avoir des réformes constitutionnelles qui donnent du pouvoir aux Canadiens. De même, s'il faut avoir des réformes à l'intérieur d'un système donné, il ne s'agit pas de dire : c'est tout ou rien. Ce n'est pas là notre approche. Nous regardons chacune des réformes proposées et nous demandons si elle va améliorer le système et aider les Canadiens à participer aux affaires publiques. Dans bon nombre de cas, les réformes proposées seront utiles. Par contre, dans ce cas-ci, nous ne voyons pas comment cela pourrait être le cas, et le projet servira à alimenter le cynisme lorsque, d'ici deux ans, une élection sera déclenchée parce que le parti au pouvoir, quel qu'il soit, jugera qu'il est commode de le faire, et un cynisme accru n'est pas une si bonne idée.

Le sénateur Fraser : Vous avez peut-être raison sur ce point.

La question s'adresse à M. Brisson. Comme le sénateur Joyal, j'ai écouté les arguments donnés en faveur de la tenue d'élections à date fixe et j'ai été étonnée de constater que chacun des arguments qui semblait laisser poindre un peu d'espoir finissait par être descendu en flammes par les directeurs généraux des élections — ça ne coûte pas moins cher et ça ne stimule probablement pas la participation. On nous a dit que cela permet bel et bien d'améliorer la capacité qu'ont les administrateurs de régimes électoraux de communiquer avec les électeurs, ce qui peut être utile pour accroître la participation à la démocratie. Vous avez soulevé vous-même une question valable et intéressante : cela permet probablement aux partis d'attirer de meilleurs candidats, car ils peuvent planifier leur vie avec une plus grande certitude et, évidemment, il va sans dire qu'un bon candidat a déjà une vie bien remplie.

M. Brisson : C'est le plus souvent le cas.

Le sénateur Fraser : Les élections à date fixe comportent-elles d'autres avantages que vous n'auriez pas mentionnés, mais que vous seriez prêt à nous révéler?

M. Brisson : Le parti et les candidats peuvent planifier leurs finances.

Il y a les politiciens professionnels et il y a les amateurs. Je suis moi-même amateur, et je m'y adonne en dilettante parce que j'aime ça. J'ai toujours dit que si vous ne vous occupez pas de politique, la politique s'occupera bien de vous. Quand je dis ça à quelqu'un qui est apolitique, il est surpris. C'est ainsi que j'ai pu inciter certaines personnes à dire : « D'accord, qu'est-ce que je peux faire? » À un moment donné, quand je leur présente un truc qui n'est pas stable, je les perds. Je perds des éléments prometteurs. J'ai perdu le fil de ma pensée.

Le sénateur Fraser : Je vous demandais simplement s'il n'y avait pas d'autres avantages, selon votre expérience à vous. Fondamentalement, vous avez souligné que cela sert simplement à ceux qui participent au processus à mieux planifier. C'est le plus grand avantage.

M. Brisson : Comme je le disais, il y a les amateurs et les professionnels. De nos jours, la plupart des candidats aux élections ne proviennent pas des voies régulières. Ils se lancent en politique parce qu'ils souhaitent participer aux affaires publiques. Ils souhaitent prendre part au processus. Ils vont s'essayer une fois, peut-être deux. Certains s'accrocheront pour un bon moment, alors que d'autres diront que c'est trop compliqué, et la complexité des procédures fait que nous les perdons. La date n'en est qu'un élément. Comme Mme Di Carlo, je pourrais vous dresser une liste.

Le sénateur Fraser : Ce projet de loi ne traite que de dates.

M. Brisson : Oui, mais il faut envisager de se donner une loi électorale qui est stable, qui ne change pas d'une élection à l'autre, qui n'est pas trop compliquée et qui facilite la tâche des gens qui souhaitent participer aux affaires publiques. La date, c'est la première étape.

Bon, encore une fois, je ne suis pas là pour vous dire comment régler tout cela à la Chambre. Je n'ai pas abordé cette question. J'ai simplement exprimé mes préoccupations. Ce serait plus simple pour nous, mais pour ce qui est des aspects juridiques et constitutionnels... je n'ai pas abordé cette question. J'espère que vous allez respecter les règles nécessaires pour que ce soit constitutionnel.

La vice-présidente : Merci beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs, merci beaucoup d'avoir participé à cette audience. Je vous remercie les deux d'être venus témoigner par une soirée enneigée et misérable.

La séance est levée.


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