Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 23 - Témoignages du 21 mars 2007
OTTAWA, le mercredi 21 mars 2007
Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée de mandat des sénateurs).
L'honorable Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Aujourd'hui, nous commençons l'étude du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867, durée du mandat des sénateurs.
Le projet de loi S-4 renferme un article de fond qui modifie l'article 29 de la Loi constitutionnelle. Ce changement concerne la durée du mandat des sénateurs qui expire actuellement lorsque ceux-ci ont atteint l'âge de la retraite, c'est- à-dire 75 ans.
Le nouveau mandat serait d'une durée de huit ans. Dans l'ancien projet de loi, le renouvellement du mandat était interdit alors que dans le nouveau, les mandats pourraient être renouvelés. Les nominations seraient encore faites par le premier ministre, comme c'est le cas actuellement. Ce projet de loi a été présenté au Sénat le 30 mai 2006. Un comité spécial a été créé par le Sénat le 21 juin 2006, pour étudier l'objectif de ce projet de loi et d'autres questions touchant la réforme du Sénat.
Ce comité a entendu 26 témoins dont bon nombre de spécialistes reconnus en matière de réforme du Sénat. Parmi ces témoins se trouvait le premier ministre du Canada lui-même qui a comparu devant le comité le 7 septembre 2006, et qui a dit de ce projet de loi qu'il proposait une réforme du Sénat modeste mais constructive.
[Traduction]
Au moment d'amorcer son étude, le comité peut bénéficier d'importants avantages qui devraient nous permettre d'avancer rondement. Il a pris connaissance des témoignages d'experts devant le comité spécial, dont je vous ai fait remettre la transcription. Il profite également du rapport du comité spécial qui contient une excellente analyse et des renseignements sur les questions de réforme soulevées par ce projet de loi. Pour ceux que cela intéresse, le rapport figure sur le site web du Sénat. Pour y accéder, il suffit de cliquer sur le lien du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat.
Enfin, nous pouvons mettre à profit les débats approfondis qui ont eu lieu au Sénat tant sur ce projet de loi que sur le rapport du comité spécial.
Le projet de loi S-4 est devant le Sénat depuis 110 jours de séance possible, qui se sont échelonnés sur près de 11 mois. Beaucoup de travail fort utile a été accompli pendant ce temps. Notre comité a décidé de tirer parti de ce travail plutôt que de le recommencer.
Sauf dans quelques cas, nous examinerons les témoignages que les experts ont présentés devant le comité spécial au lieu de les convoquer de nouveau. À la lumière de ces témoignages et du travail déjà fait, nous avons limité la portée de notre examen à deux questions essentielles qui n'ont pas encore été tranchées. La première est celle de la constitutionnalité du projet de loi.
Le Parlement peut-il modifier la Constitution pour établir la durée de mandat des sénateurs sans la participation des provinces?
La deuxième question a trait au mandat de huit ans. Des mandats renouvelables de huit ans sont-ils la meilleure option pour le Sénat? Nous avons concentré nos efforts sur ces aspects du projet de loi et obtenu l'autorisation de prolonger notre examen afin d'entendre les témoins voulus, de manière à bien nous acquitter de notre tâche. Cela devrait nous permettre d'accorder à ce projet de loi important l'attention rigoureuse que le public exige.
Nous pourrons ainsi procéder efficacement et avancer rondement afin d'être en mesure d'examiner d'autres projets de loi importants émanant du gouvernement dont notre comité a déjà été saisi.
Je souhaite maintenant la bienvenue à notre premier groupe de témoins, du Bureau du Conseil privé. Nous accueillons aujourd'hui, du service Législation et planification parlementaire, Matthew King, secrétaire adjoint du Cabinet, M. Dan McDougall, directeur des opérations, et M. David Anderson, conseiller principal en politiques. Ils sont accompagnés de maître Warren J. Newman, avocat général à la Section du droit administratif et constitutionnel, au ministère de la Justice du Canada.
Soyez les bienvenus, messieurs.
[Français]
Matthew King, secrétaire adjoint du Cabinet, Législation et planification parlementaire, Bureau du Conseil privé : Monsieur le président, si vous permettez, j'aimerais passer en revue les différents éléments du projet de loi. Je présenterai la position du gouvernement sur deux aspects fondamentaux du projet de loi S-4, qui ont suscité un débat considérable devant le comité spécial et à l'étape de la deuxième lecture au Sénat, soit la constitutionnalité du projet de loi S-4 et la durée du mandat des sénateurs telle que proposée dans le projet de loi.
[Traduction]
Comme vous l'avez signalé, le projet de loi S-4 a été présenté au Sénat le 30 mai 2006 et modifie l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867, en vertu de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui confère au Parlement le droit de légiférer seul pour modifier la Constitution en ce qui concerne le pouvoir exécutif, le gouvernement du Canada, le Sénat ou la Chambre des communes.
Comme vous le savez, en vertu de l'article 29, les sénateurs peuvent siéger au Sénat jusqu'à l'âge de 75 ans. Le projet de loi S-4 modifie la Loi constitutionnelle de 1867 en remplaçant cet article par un nouvel article 29 qui limite la durée du mandat des sénateurs à huit ans.
Par le fait même, le projet de loi se trouve à supprimer l'exigence pour les sénateurs de prendre leur retraite à 75 ans. Il prévoit que tous les sénateurs actuels pourront continuer à siéger conformément aux dispositions existant au moment de leur nomination, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de 75 ans.
Le projet de loi ne modifie pas l'exigence pour les sénateurs d'avoir au moins 30 ans, prévue à l'article 23, ni les autres conditions de nomination énumérées à l'article 23, notamment en ce qui concerne la possession de biens.
La question de la constitutionnalité du projet de loi S-4 a dominé tous les débats qui ont entouré ce projet de loi jusqu'à maintenant. Le gouvernement estime que l'approche choisie — qui consiste à modifier l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867 en se fondant sur l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 —, est parfaitement valide sur le plan constitutionnel.
Le gouvernement estime que les éléments de la réforme du Sénat qui nécessitent l'application de la formule de modification générale — qu'on appelle la formule d'amendement 7/50 — sont clairement énoncés à l'article 42 de la loi de 1982 et qu'il s'agit, en vertu de l'alinéa 42b), des pouvoirs du Sénat et de la méthode de sélection des sénateurs et, en vertu de l'alinéa 42c), du nombre de sénateurs qui peuvent représenter une province de même que les conditions de résidence des sénateurs.
Comme la durée du mandat n'est pas un des éléments expressément prévus par l'article 42, le gouvernement estime que le Parlement a le pouvoir d'adopter le projet de loi S-4 en invoquant l'article 44.
C'est la position que le premier ministre a expliquée lors de sa comparution devant le comité spécial, le 7 septembre 2006. Je crois que c'est également la position de plusieurs éminents constitutionnalistes qui ont comparu devant le comité spécial qui a conclu dans son rapport que la constitutionnalité de l'approche du gouvernement repose sur des arguments convaincants. Par conséquent, le rapport a conclu qu'il serait inutile de renvoyer l'affaire à la Cour suprême du Canada.
Quant à la durée du mandat des sénateurs, permettez-moi d'expliquer pourquoi le gouvernement a opté pour une durée de huit ans.
Le gouvernement a opté pour une durée de huit ans parce qu'il estime qu'une telle période est assez longue pour permettre à un sénateur d'acquérir l'expérience nécessaire pour jouer son rôle sur les plans de l'examen législatif et de l'analyse des politiques, tout en permettant le renouvellement régulier des idées et des perspectives mises de l'avant par les sénateurs. Les mandats de huit ans avaient déjà été proposés. En 1984, par exemple, le rapport Molgat-Cosgrove a recommandé des mandats de neuf ans et, en 1981, la Canada West Foundation de même qu'en 1985, le comité de l'Alberta sur la formule des trois E ont recommandé que la durée du mandat des sénateurs soit équivalente à deux législatures.
Fait intéressant, tout en recommandant une réforme profonde du Sénat qui exigerait l'application de la règle 7/50 pour toute nouvelle modification, le rapport Molgat-Cosgrove a aussi recommandé l'adoption immédiate du mandat d'une durée de neuf ans, en tant que mesure unique, pour les sénateurs nommés plutôt qu'élus. C'est également ce que propose le projet de loi S-4.
Les auteurs du rapport estimaient que le Parlement pouvait le faire unilatéralement en vertu de l'article 44.
Sur le plan international, l'adoption d'un mandat d'une durée de huit ans placerait le Sénat du Canada au deuxième rang des chambres ayant des membres nommés pour une période limitée, sur le plan de la durée de leur mandat. Comme l'a signalé M. Peter McCormick lors des audiences du comité spécial, seule la France, où les mandats ont une durée de neuf ans, aura des mandats plus longs.
Il est également intéressant de noter que d'après les statistiques dressées par le Sénat français sur 51 secondes chambres dans le monde entier, la durée moyenne des mandats de ces institutions est de 5,4 ans.
Comme le premier ministre l'a signalé devant le comité spécial, le gouvernement a adopté une approche échelonnée pour opérer une réforme globale du Sénat. Cette approche comporte l'adoption de mesures pratiques et réalistes que le Parlement peut instaurer seul. Le gouvernement estime que ces étapes permettront de recueillir l'appui nécessaire auprès de la population, des provinces, des partenaires et d'autres intervenants à l'égard d'une réforme future plus complète.
Dans cette optique, le gouvernement a également déposé le projet de loi C-43 sur les consultations relatives aux nominations de sénateurs le 13 décembre 2006 à l'autre endroit. Le projet de loi C-43 n'a pas encore fait l'objet d'une deuxième lecture. Le gouvernement estime cependant qu'il n'est pas lié au projet de loi S-4. Bien au contraire, il a affirmé sans équivoque que ces deux projets de loi ne sont pas liés entre eux et que chacun d'eux doit être évalué individuellement.
Honorables sénateurs, je vous remercie de votre attention, mes collègues et moi-même serons heureux d'aider votre comité dans son examen de ce projet de loi.
Le président : Avez-vous examiné avec soin l'affaire relative à la Chambre haute qui a été renvoyée à la Cour suprême du Canada en 1980, avant l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982? Dans ce jugement, il est question des modifications qui pourraient toucher ce que les juges ont appelé les caractéristiques essentielles ou fondamentales du Sénat.
Dans vos délibérations, avez-vous examiné ces deux principes analysés par la Cour suprême? Pouvez-vous nous dire si le projet de loi S-4 touche les caractéristiques essentielles ou fondamentales du Sénat?
Warren J. Newman, avocat général, Section du droit administratif et constitutionnel, ministère de la Justice Canada : Sans faire mention d'avis juridiques internes, je vous dirai que nous avons examiné avec soin l'avis exprimé par la Cour suprême du Canada en décembre 1979 relativement à la Chambre haute. Nous avons formé l'opinion, partagée par plusieurs constitutionnalistes qui ont comparu devant le comité spécial, que les éléments essentiels du Sénat étaient codifiés dans la formule de modification; les caractéristiques essentielles ou fondamentales du Sénat qui sont protégées par la formule de modification complexe sont énoncées dans l'article 42. S'il est vrai que ce projet de loi modifie une disposition de la Constitution relative au Sénat, il n'excède pas la portée de l'article 44 parce que celui-ci affirme la compétence du Parlement d'adopter des lois modifiant la Constitution du Canada en ce qui concerne le Sénat, sous réserve de l'article 42. Bien entendu, nous avons tenu compte dans notre analyse de la formule de modification de l'opinion exprimée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire relative au Sénat, mais nous avons tout d'abord examiné la formule de modification pour voir comment il faut procéder depuis 1982 pour modifier la Constitution du Canada.
Le président : Y a-t-il d'autres personnes qui souhaitent répondre à la question sur les caractéristiques fondamentales? Sinon, je vais donner la parole au sénateur Milne.
Le sénateur Milne : J'ai du mal à croire que l'instauration d'un mandat renouvelable d'une durée de huit ans ne modifierait pas la nature fondamentale du Sénat.
Un premier ministre qui siégerait pendant deux mandats de suite aurait l'occasion de nommer tous les sénateurs, sans exception, avant la fin de son deuxième mandat. Tous les sénateurs seraient alors du même parti. Qu'adviendrait- il, dans ces conditions, du rôle indépendant du Sénat en tant qu'auteur d'un deuxième examen objectif des projets de loi? À mon avis, les sénateurs passeraient les quatre premières années de leur mandat de huit ans à remercier le premier ministre de les avoir nommés et les quatre années suivantes à le prier de reconduire leur mandat.
Je pense que la valeur du Sénat en tant qu'organisme indépendant disparaîtrait complètement si on instaurait ces mandats plus courts et qu'on éliminerait par le fait même la raison d'être du Sénat.
M. King : Comme je l'ai signalé, il s'agit pour le gouvernement de déclencher une profonde réforme du Sénat dans un proche avenir. Comme le projet de loi S-4 n'aura aucun effet sur les sénateurs déjà nommés, ce n'est pas avant 2037 que tous les sénateurs actuels auront atteint l'âge obligatoire de la retraite. Ce n'est qu'en 2014 ou 2015 que les deux tiers des sénateurs auront été remplacés, ce qui fait que la transition est déjà prévue dans le processus.
Vous avez également soulevé la question du caractère renouvelable de ces mandats et j'ai sans doute eu tort de ne pas l'aborder dans ma vue d'ensemble du projet de loi. Le projet de loi S-4 ne contient aucune précision à ce sujet, mais quand le premier ministre a comparu devant le comité spécial, on lui a demandé si le gouvernement pourrait faire preuve de souplesse à cet égard. Il a répondu très franchement à cette question affirmant qu'il envisageait pour l'avenir un Sénat élu, si bien qu'il était personnellement favorable à la possibilité de reconduire les mandats. Cette position est assez logique si on considère d'autres initiatives gouvernementales. Cependant, il a ajouté que si le comité optait pour des mandats non renouvelables, à cause de questions constitutionnelles ou autres, le gouvernement serait tout à fait disposé à les envisager.
Ce sont les deux côtés de la même médaille. Il y a la question de la transition — et il faudrait un certain nombre d'années avant qu'on obtienne ce résultat — mais également la question de la reconduction des mandats.
Le sénateur Milne : Vous n'avez pas vraiment répondu à mes questions. Peu importe si cela se produit dans un avenir prochain ou lointain, la possibilité que le Sénat ne soit constitué que par des personnes du même parti élimine complètement l'utilité d'avoir une institution chargée de jeter un deuxième regard sur les projets législatifs du gouvernement. Depuis que je siège à ce comité, il a acquis la réputation d'amender les projets de loi mis de l'avant par le gouvernement en y repérant des failles et en les corrigeant. En fait, quand notre comité a été saisi du premier projet de loi que j'ai parrainé au Sénat, le gouvernement lui-même souhaitait y apporter 36 amendements, outre ceux que nous avons nous-mêmes proposés en l'examinant.
Si on se retrouve dans l'avenir avec une chambre haute peuplée par des valets, et c'est ce qui se produirait, il serait très difficile de penser qu'elle aurait un second regard objectif sur les projets de loi.
Le sénateur Ringuette : Monsieur King, avez-vous fait des recherches et une analyse relativement à la Chambre des lords du Royaume-Uni? Je sais qu'on se penche sur cette question là-bas depuis 10 ans. Si vous avez procédé à une telle analyse, pourriez-vous nous faire parvenir un document sur le mandat des sénateurs dans ce pays étant donné que vous seriez responsables de la rédaction des projets de loi? Vous êtes-vous aussi penchés sur la dimension électorale de la Chambre des lords et des discussions à ce sujet des dernières années?
M. King : Assurément. Depuis mon accession à ce poste il y a quelques années, nous suivons de près la réforme de la Chambre des lords au Royaume-Uni. Nous n'avons cependant pas fait d'analyse systématique de la situation dans ce pays. De temps à autre, nous nous sommes inspirés de ce qui s'y est passé pour conseiller le Cabinet ou le premier ministre. Cependant, nous n'avons jamais fait d'analyse systématique de la situation au Royaume-Uni ni rédigé un véritable rapport à ce sujet. Nous suivons l'évolution du dossier de près. Certains de mes collègues qui sont ici aujourd'hui pourraient vous donner plus de précisions, mais nous n'avons pas rédigé de document ou de rapport résumant ce qui s'est passé au Royaume-Uni.
Le sénateur Ringuette : Vous avez bien dû préparer une note de service ou quelque chose.
N'avez-vous pas présenté du moins un compte rendu verbal sur une question d'une telle importance pour le Cabinet du premier ministre?
M. King : Au risque de vous décevoir, madame le sénateur, non.
Le sénateur Ringuette : Vous me décevez effectivement beaucoup parce que je trouve que ce projet de loi émanant du Cabinet du premier ministre manque un peu de sérieux. Toutes les commissions qui se sont penchées au cours des dix dernières années sur la réforme de la Chambre des lords au Royaume-Uni ont conclu qu'il serait souhaitable que la durée du mandat des lords soit de trois cycles électoraux, ce qui peut varier de 12 à 15 ans.
Comme votre service est responsable de la rédaction de ce projet de loi, avez-vous rédigé des notes, des documents ou des rapports sur les changements proposés à la Chambre des lords au cours des dix dernières années?
Si oui, pourriez-vous en remettre un exemplaire à notre comité?
M. King : Je ne voudrais pas vous décevoir, mais je ne voudrais pas non plus que vous pensiez que notre travail manque de sérieux. Je vais vous répondre plus clairement et je vais également prier mon collègue, Dan McDougall, dont l'équipe s'est occupée de beaucoup plus près de l'expérience du Royaume-Uni, de vous répondre également.
Nous avons suivi l'évolution de ce dossier. De temps à autre, mais quoique pas très souvent, nous avons conseillé le premier ministre sur différentes options qui pourraient être appliquées au Canada, en faisant référence dans certains cas à ce qui est survenu au Royaume-Uni. Il s'agit de conseils que nous avons transmis au premier ministre et je ne crois pas être autorisé à les divulguer à votre comité.
M. McDougall : Nous serons heureux de répondre à vos questions sur la situation au Royaume-Uni.
Le sénateur Ringuette : Je suis au courant de la situation au Royaume-Uni, mais je veux savoir si vous avez suivi l'évolution du dossier là-bas. Avez-vous transmis des notes ou des rapports à ce sujet au Cabinet du premier ministre? Vous avez dû le faire, car vous ne pouviez pas rédiger un projet de loi important susceptible de toucher une institution majeure du régime démocratique canadien sans avoir regardé ce qui se passe au Royaume-Uni.
Aux États-Unis, pour trois membres de la Chambre des représentants, il y a un sénateur. Les membres de la Chambre des représentants sont élus pour des mandats de deux ans et les sénateurs, pour des mandats de six ans. Vous avez dû faire une analyse avant de proposer un projet de loi.
M. McDougall : Comme nous l'avons indiqué, nous avons suivi ce qui s'est passé au Royaume-Uni et dans d'autres pays en ce qui concerne la structure de leurs Sénats. Et comme l'a signalé M. King, nous n'avons pas rédigé de document qui regrouperait toutes les analyses partielles que nous avons faites et que nous pourrions remettre à votre comité.
Le sénateur Ringuette : Dites-vous que vous avez longuement étudié la question, mais que vous n'avez pas préparé de rapport écrit?
M. McDougall : Nous n'avons pas de rapport écrit en particulier.
Le sénateur Ringuette : Avez-vous un rapport sur la question que vous avez analysée avant de rédiger ce projet de loi?
M. King : Je serai heureux de vous transmettre toute l'information que nous avons sur la situation au Royaume-Uni. Évidemment, nous ne pourrions pas vous remettre des documents protégés au sujet des conseils que nous aurions donnés au premier ministre. Cependant, je vais regarder attentivement dans nos dossiers et si nous avons une analyse de ce genre, je me ferai un plaisir de vous l'envoyer à vous ou au comité directement.
Nous avons examiné ces questions en passant et avons lu attentivement les dossiers, mais je ne peux vous dire que cela a influé de façon importante sur les conseils que le Bureau du Conseil privé a donnés au gouvernement.
Le sénateur Ringuette : Il y a également l'analyse des répercussions du fait que les mandats puissent être reconduits. C'est là aussi un des grands sujets de ce projet de loi. Habituellement, nous examinons les projets de loi après la Chambre des communes, mais, en l'occurrence, nous sommes les premiers à le faire. Je vous demanderais de nous transmettre votre analyse des répercussions de la reconduction des mandats, d'après les dispositions de ce projet de loi.
Je veux avoir ces renseignements pour comprendre les principes et les fondements sur lesquels s'appuie le projet de loi S-4. Je siégeais au comité qui a étudié la Loi sur la responsabilité. M. McDougall a également comparu devant ce comité. D'après ce projet de loi, les directeurs de scrutin fédéraux étaient nommés pour 10 ans. Et pourtant, vous proposez un mandat de huit ans pour les sénateurs. Qu'en est-il de la continuité? Votre service a rédigé ces deux projets de loi. Sur quoi vous êtes-vous appuyés pour dire que les directeurs de scrutin devraient être nommés pour 10 ans et les sénateurs, pour huit ans?
Le sénateur Cools : C'est une idée qui leur est passée par la tête.
M. King : Dans mon exposé, j'ai tâché d'expliquer les raisons pour lesquelles, à mon avis, le gouvernement a opté pour un mandat d'une durée de huit ans. Quand il a comparu devant le comité spécial, le premier ministre a expliqué qu'il faut un équilibre entre une période suffisante pour permettre aux sénateurs de jouer leur rôle et la possibilité de renouveler le Sénat, pour y favoriser un afflux de nouvelles idées, et c'est une option que le gouvernement a retenue.
Dans la mesure où j'en suis capable, je pourrais expliquer les dispositions du projet de loi, mais je pense qu'il n'appartient pas à un fonctionnaire d'expliquer pourquoi on a opté pour une durée particulière.
Le sénateur Cools : Merci, messieurs, d'être des nôtres. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt vos déclarations et j'en ai conclu que l'idée d'un mandat de huit ans a été proposée sans raison sérieuse. Le principal exemple qu'on peut citer, c'est les États-Unis où la Chambre des représentants est élue tous les deux ans et le Sénat, tous les six ans. Je crois comprendre qu'il y a un rapport étroit entre la durée des mandats des membres des Chambres haute et basse et le rapport minimum utilisé aux États-Unis, qui est de 3 pour 1. C'est cela qui explique, entre autres, pourquoi les Britanniques ont opté pour des mandats de 15 ans. Lorsqu'on détermine les rapports entre la Chambre haute et la Chambre basse, on ne peut choisir le premier chiffre qui nous passe par la tête. Il y a des usages bien consacrés qui déterminent le bon rapport numérique relativement à la durée des mandats.
En réponse à la question du sénateur Ringuette, vous avez déclaré avoir fait beaucoup de recherches, et pourtant la durée de huit ans ne repose sur rien de tangible ou de sérieux que vous pourriez nous indiquer.
M. King : Il semble qu'on préfère un rapport de 3 pour 1 aux États-Unis.
Le sénateur Cools : Ah, bon. Enfin.
M. King : C'est le rapport privilégié aux États-Unis. J'ai lu une partie de l'analyse contenue dans le rapport Wakeham et les livres blancs subséquents qui ont traité de la durée appropriée des mandats. On n'a pas donné un chiffre aussi clair que 15. Dans les documents, on donne des chiffres variant entre 12 et 17. La durée des mandats doit tenir compte de l'histoire, des objectifs ou des aspirations d'un pays à un moment donné.
Comme je l'ai dit dans mon exposé, si le gouvernement a opté sans véritable raison pour une durée de huit ans, on pourrait tout aussi bien dire que le rapport Molgat-Cosgrove en a fait autant en optant pour des durées de neuf ans et que la Canada West Foundation de même que le Comité albertain sur le Sénat triple E ont fait de même en optant pour deux mandats.
Le sénateur Cools : Ce n'est pas d'eux que je parle, je parle seulement du gouvernement.
M. King : C'est le même principe. Je pense qu'il serait approprié que le gouvernement revoie les différentes réformes proposées au cours des dernières décennies et qu'il s'intéresse à certaines durées préconisées par le passé.
Le sénateur Cools : À mon avis, nous devrions examiner les situations et les lois qui ont mené à l'adoption des dispositions de la Loi sur l'Amérique du Nord britannique. Quand elle a été adoptée, des idées très claires ont été exprimées à propos du rapport entre la durée des mandats des membres des deux Chambres. Je trouve intéressant qu'on parle beaucoup du Sénat, mais vous devriez faire plus de recherches et expliquer aux gens qui ont proposé ces mesures que dès qu'on réduit radicalement la durée du mandat des membres de la Chambre haute, il faut réduire la durée du mandat des membres de la Chambre basse.
Ce n'est pas aussi arbitraire que cela pourrait paraître à première vue, car je suis sûre que les membres du Congrès américain doivent être fatigués de se faire élire à tous les deux ans; les députés de la Chambre des communes devraient comprendre que, tôt ou tard, parce que ces changements seront instaurés, ils se répercuteront sur ceux qui ont proposé ces changements. Et un jour, il faudra également réduire la durée du mandat des députés parce qu'il serait absurde qu'ils aient un mandat de quatre ans et nous, de huit ans.
M. McDougall : Comme l'a dit le sénateur Cools, il y a généralement un rapport entre les deux Chambres. Si l'on examine la situation qui existe dans différents pays du monde, on peut en conclure qu'il n'y a pas de modèle unique et qu'il existe une grande diversité de systèmes.
Comme l'a signalé mon collègue dans son exposé, la durée moyenne de ces mandats est légèrement supérieure à cinq ans. Pour les mandats d'une durée fixe, la plus longue durée est de neuf ans, au Sénat français. Dans la plupart des cas, la durée des mandats est beaucoup plus courte.
Le sénateur Milne : Est-ce que cela inclut les sénateurs élus?
M. McDougall : Ils sont élus indirectement. Je faisais référence aux sénateurs nommés pour une durée fixe mais pas à vie, comme c'est le cas au Royaume-Uni.
Au Royaume-Uni, la durée du mandat continue à faire l'objet de débats et le dossier évolue encore. Comme on l'a indiqué, la Commission Wakeham, qui a produit l'une des études les plus complètes à ce sujet, n'a pas donné de conclusion catégorique. Elle n'a même pas formulé de recommandation, préférant proposer un éventail de modèles qui supposent des mandats de différentes durées. La Commission a recommandé un système mixte où certains sénateurs seraient nommés, et d'autres seraient élus. Elle a proposé trois options différentes pour les sénateurs élus. La durée du mandat serait fonction du modèle retenu.
Par exemple, si le modèle retenu était lié aux élections au Parlement européen, il serait fondé sur une période de cinq ans et ils auraient recommandé trois mandats. Ils ont également envisagé d'autres modèles. Dans un cas, le modèle serait lié à deux cycles électoraux, ce qui aurait donné des mandats aussi courts que six ans et aussi longs que dix ans, selon les circonstances, c'est-à-dire selon les élections auxquelles la formule serait rattachée. En dernière instance, ils ont rejeté ce modèle et opté pour la formule de trois cycles électoraux.
Il faut se rappeler que leur démarche était fondamentalement différente de celle du gouvernement actuel. On envisageait une solution globale, qui changerait toutes les variables d'un coup. Qu'il s'agisse de l'expérience de cette commission royale et d'autres livres blancs qui ont été proposés — y compris celui du leader à la Chambre, M. Straw, qui a récemment fait l'objet d'un vote —, ils ont obtenu le même niveau de succès que les précédentes tentatives de réforme ici au Canada. Là-bas, la solution du tout ou rien n'a donné lieu à aucune réforme, sauf pour une mesure qui a pu être adoptée, relativement à l'élimination de la plupart des pairs héréditaires. Après, tout a bloqué.
Le sénateur Bryden : Monsieur Newman, représentez-vous le ministère de la Justice?
M. Newman : Oui.
Le sénateur Bryden : Vous avez déclaré, comme pour l'autre étude, que de l'avis du ministère de la Justice, ce projet de loi est constitutionnel. Pensez-vous que le ministre de la Justice émettrait un certificat quant à la constitutionnalité de ce projet de loi gouvernemental, du point de vue de la Charte?
M. Newman : Je n'ai pas à dire que cela est conforme à la Charte, puisque la Charte n'est pas en cause. C'est l'autre partie de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, qui ne se rapporte pas à la Charte, qui est en cause. Si vous me demandez : le ministre de la Justice peut-il émettre un certificat quant à la constitutionnalité de ce projet de loi, en rapport avec la procédure de modification de la Constitution, en rapport avec ce qui peut être fait en vertu de l'article 44 pour l'article 42? Sans hésitation, je dirais que c'est ce que recommanderait le ministre de la Justice.
Au début des audiences du comité spécial, on m'a demandé si le projet de loi était conforme à l'article 44 de la procédure de modification. J'ai dit qu'à mon avis, c'était tout à fait le cas, et cela avant même d'entendre quelques autres constitutionnalistes et experts confirmer ce point de vue au comité. Je suis donc toujours du même avis, au nom du ministère de la Justice.
Le sénateur Bryden : Lorsque ce projet de loi a été rédigé et déposé au Sénat, le ministre de la Justice était le ministre Toews. Il a comparu devant le comité au sujet du projet de loi C-2. Il a alors fait une déclaration intéressante sur la façon dont le nouveau gouvernement perçoit le genre de certificat dont vous venez de parler.
Dans son introduction, il a dit :
Nous ne devons pas éviter les questions controversées sous prétexte que quelqu'un va soulever des arguments d'ordre constitutionnel. Je n'ai pas encore rencontré un avocat qui n'est pas prêt à en soulever sur chaque aspect des projets de loi que nous proposons. On ne doit pas se dire que la constitutionnalité d'une mesure pourrait être contestée, parce que ce sera toujours le cas.
Nous
— c'est-à-dire le ministère de la Justice —
examinons la question de la constitutionnalité. Nous examinons également la politique que nous faisons valoir. Nous demandons ensuite au ministère visé et aux avocats du gouvernement de rassembler les preuves nécessaires pour défendre la mesure.
Est-ce ainsi que vous décidez de la constitutionnalité d'une chose? Selon la politique en vigueur, vous rassemblez l'équipe, comme si vous mandatiez votre avocat, en disant : « Voilà notre objectif »?
Je répète :
Nous demandons ensuite au ministère visé et aux avocats du gouvernement de rassembler les preuves nécessaires pour défendre la mesure.
Est-ce ce que vous avez fait?
M. Newman : Vous me demandez de passer du général au particulier, au sujet d'une déclaration faite par le ministre de la Justice dans un autre contexte. Je vous dis qu'en tant que conseiller juridique, on m'a demandé de me pencher sur ces questions. Je l'ai fait avec sérieux et j'ai donné mon avis juridique au gouvernement. J'ai pris en compte tous les aspects de la question. J'ai fait de mon mieux compte tenu de ma compétence en tant que constitutionnaliste qui a 25 ans d'expérience. J'en suis venu à la conclusion que ce projet de loi était une mesure tout à fait défendable qui pouvait être adoptée conformément à l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982. Je n'ai pas changé d'avis.
Si vous permettez que je fasse des suppositions au sujet de la déclaration du ministre de la Justice, je crois qu'il disait quelque chose de parfaitement acceptable, c'est-à-dire qu'actuellement pour qu'un certificat de conformité à la Charte soit émis, il faut s'assurer, quand un projet de loi est déposé, que son élaboration a tenu compte de la politique en cause, des choix d'intérêt public offerts au gouvernement, des données sociologiques et des faits qui seront nécessaires pour quiconque veut invoquer l'article 1 de la Charte, qui parle des limites raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique et enfin, des données pertinentes. Autrement dit, si une mesure législative doit être défendue dans 20 ou 30 ans, le dossier sera suffisamment étoffé pour que les avocats puissent la défendre. Je ne vois rien de louche dans une telle déclaration, ni d'incidence quelle qu'elle soit sur le projet de loi. Je vous l'ai dit avec tout le respect que je vous dois. J'ai lu votre déclaration à la deuxième lecture du projet de loi et j'ai été très impressionné.
Le sénateur Bryden : Merci beaucoup. La flatterie vous ouvrira toutes les portes.
Vous avez été cité. Dans votre déclaration au comité spécial, vous avez déclaré, au sujet du renvoi relatif à la Chambre haute :
Il a du poids et il est important. Je pense que dans le contexte actuel de notre formule de modification de la Constitution, il est clair qu'en vertu de l'article 42, examiné conjointement avec l'article 44, toute modification des caractéristiques essentielles fondamentales du Sénat — qui sont exposées à l'article 42, du moins en grande partie — nécessiterait une modification de la Constitution complexe, c'est-à-dire une modification exigeant la participation des assemblées législatives provinciales.
Quels autres éléments essentiels ne sont pas donnés ici? Quels sont les éléments manquants?
M. Newman : Voici ma réponse, en gros. Il serait raisonnable de dire que la seule façon d'analyser la procédure de modification, c'est de dire que ce qui n'est pas dans l'article 42 doit être dans l'article 44 et inversement. Ce n'est pas ma position. C'est essentiellement la courte réponse que je donnerai à toute question relative à la réforme du Sénat.
Du renvoi sur la Chambre haute, je retiens que la cour se souciait de la raison d'être de l'institution, de la raison d'être de la procédure de modification en cause, soit l'ancien paragraphe 91(1) et du fait que, dans certaines circonstances, une modification peut être conforme à l'article 44, et qu'une anomalie à l'article 42 permettrait qu'il y ait tout de même une incidence sur l'article 44.
Je vais donner un exemple. C'est sans doute farfelu, mais si quelqu'un proposait de réduire le mandat des sénateurs à un an, je ne pense pas que cela serait jugé constitutionnel et conforme à l'article 44. La cour dirait qu'on sape les pouvoirs et la raison d'être du Sénat, qu'on la paralyse. Je pense que cela ne fonctionnerait pas.
Je ne peux pas dire simplement que tout est possible en vertu de l'article 44 si cela ne fait pas partie nommément de l'article 42. Sauf votre respect, je crois qu'il faut analyser les choses ainsi : La question est-elle essentiellement une modification au Sénat en vertu de l'article 44, qui pourrait avoir une incidence non voulue sur un autre article?
Le sénateur Bryden : Si c'était à l'article 42, est-ce que ce serait compris? Cela ferait-il partie des pouvoirs du Sénat? Si c'est un pouvoir du Sénat, est-ce le genre de choses qu'on essaie de régler indirectement, en vertu de l'article 44?
M. Newman : Oui. Il ne m'incombe pas de trouver des scénarios qui rendraient l'article 44 inapplicable. À mon avis, dans ce cas-ci, l'article 44 s'applique à la modification. J'essayais simplement d'illustrer que ce qu'a dit la Cour suprême dans le renvoi sur la Chambre haute n'était pas complètement étranger au sujet, même à notre époque. Le renvoi sur le Sénat, je l'ai dit, a alimenté notre analyse sur ce qui était convenable et viable.
Quand, dans le renvoi sur le Sénat, la cour a dit qu'une réduction du mandat nuirait à la fonction de second examen objectif fourni par le Sénat comme sir John A. Macdonald l'avait voulu, il faut tenir compte du fait que c'est pour après 1982 ou non. C'est donc un élément d'analyse.
Il reste que nous devons respecter les procédures de modification écrites depuis 1982. C'est à mes yeux une modification à l'article 44 dans la mesure où il s'agit fondamentalement dans cet amendement de changer le mandat du Sénat, et non ses pouvoirs, le mode de sélection des sénateurs, le nombre de sièges par province ou les exigences relatives à la résidence du sénateur.
Le sénateur Bryden : Il me semble que ce n'est pas le cas.
Parlons d'un autre avis qui nous a été donné.
Le professeur David Smith, dans son chapitre du livre Protéger la démocratie canadienne, a discuté des principes qui doivent s'appliquer à toute proposition de réforme du Sénat. Cela découle vraiment du renvoi sur la Chambre haute. Il a écrit :
Tous les projets de réforme doivent respecter les caractéristiques fondamentales du Sénat : l'indépendance, la continuité, la perspective à long terme, les expériences de vie professionnelle et la représentation des provinces et des minorités. Un long mandat, exempt des pressions liées aux cycles électoraux fréquents, dote le Sénat de membres d'expérience aux antécédents professionnels divers qui peuvent procurer une certaine continuité et une perspective à long terme à l'institution.
On peut raisonnablement en déduire que si la modification nuit à la capacité du Sénat et des sénateurs d'être dotés de ces caractéristiques fondamentales, il faut une négociation avec les provinces. Je ne vais pas le citer à nouveau, mais il fait valoir essentiellement que le Parlement de Westminster a reconnu que les trois provinces sont venues ici conclure un accord. Elles nous demandent maintenant de le reconnaître. Je vais lire encore une chose, sur ce qui a créé le Sénat.
Il parle du Sénat comme ayant été l'objet de négociation avec les pouvoirs et l'indépendance, et tout le reste. La Cour suprême a déclaré :
C'est ce Sénat, créé par l'Acte, auquel un rôle législatif a été conféré par l'article 91. Nous sommes d'avis que le Parlement du Canada ne peut en modifier unilatéralement le caractère fondamental et le par. 91(1) ne l'y autorise pas.
Le mandat, qui dure actuellement jusqu'à 75 ans, serait de huit ans et renouvelable, ou d'une autre durée. Assurément, cela aurait un effet marqué sur l'indépendance, la continuité et certainement la longévité et la mémoire institutionnelle. Avec un mandat de huit ans, l'institution sera très différente par rapport à la situation actuelle, où le sénateur devient rapidement plus indépendant que ne l'avait voulu habituellement celui qui l'avait nommé.
M. Newman : J'ai beaucoup apprécié la lecture de votre discours en deuxième lecture ainsi que les citations du professeur Smith et du renvoi sur le Sénat. On y traite dans certains cas de politique gouvernementale et des choix afférents. Comme l'a dit mon collègue du Bureau du Conseil privé, M. King, le premier ministre a manifesté l'intention de faire preuve de souplesse, prêt à envisager un mandat de neuf ans ou toute proposition raisonnable du comité. Ce sont certainement des facteurs dont vous voudrez tenir compte, comme l'a fait le comité spécial.
Au bout du compte, nous appliquons la procédure de modification de 1982. Nous le faisons pour ce projet de loi de manière à respecter la portée de l'article 44. Si huit ans sont insuffisants, si vous préférez neuf ans ou toute autre durée, c'est à vous d'y réfléchir. Je ne pense pas que nous soyons vraiment en désaccord sur la démarche applicable au rôle du Sénat dans le respect de la procédure de modification.
Le sénateur Bryden : Mais oui, nous le sommes.
Le président : Sénateur Bryden, nous devons passer au suivant, vous avez déjà eu 15 minutes et trois sénateurs n'ont pas encore pu poser de questions.
Le sénateur Joyal : J'aimerais d'abord parler de l'allocution de M. King. Le rapport Molgat-Cosgrove que vous citez comme référence sur la légalité du mandat de neuf ans se lit comme suit, à la page 38 :
Attribuer une durée fixe au mandat nécessitera une modification à la Constitution. Il est presque certain cependant qu'un mandat de neuf ans ne nécessiterait pas le recours à la procédure générale de modification, [...]
On dit plus loin qu'une telle modification pourrait donc être effectuée par le Parlement.
Il y a un conditionnel. Je veux que ce soit clair. Sans vouloir couper les cheveux en quatre, quand j'entends un avocat dire « nécessiterait » ce n'est pas « nécessitera ». Le doute subsiste. Voilà pourquoi je tiens à donner une citation précise du rapport. J'ai lu tout le rapport et à mon avis, on n'y discute aucunement de la portée de l'article 44. Je l'ai lu deux fois, en français et en anglais, et je n'ai pas trouvé d'arguments sur la portée de l'article 44. C'est probablement la raison pour laquelle le rédacteur du rapport s'est servi du conditionnel. Je ne pense pas qu'on puisse citer le rapport Molgat-Cosgrove comme étant la bible en matière de constitutionnalité du mandat de neuf ans. C'est la première chose que je voulais vous dire à ce sujet.
Deuxièmement, monsieur McDougall, Wakeham avait rejeté le mandat de huit ans, vous le savez. Wakeham a déclaré : « Après avoir réfléchi à cette possibilité, nous avons conclu que des mandats de cette durée — de huit ans — seraient trop courts pour la création du genre de seconde chambre que nous envisageons. »
Que je sache, il y a peu de documents gouvernementaux. Le dernier livre blanc parlait de 15 ans et Wakeham, de 12 à 15 ans. À l'intention de notre auditoire, rappelons que Wakeham présidait la Commission royale sur la réforme de la Chambre des lords instituée en 1999 et dont le rapport a été publié en 2000. La majorité des rapports que j'ai lus proposaient une durée allant de 12 à 15 ans. C'est la fourchette dont nous parlons.
La proposition gouvernementale de huit ans pour une chambre nommée n'est pas très généreuse. En fait, la référence la plus élevée va de 12 à 15 ans. Je veux m'assurer qu'on comprenne bien les textes britanniques. Depuis 2000, plus de 12 ont été publiés.
Je pose ma question à M. Newman. J'ai bien aimé ma lecture du texte que vous avez écrit en 2003 sous l'égide des professeurs Hogg et Monahan.
M. Newman : Merci.
Le sénateur Joyal : Le titre de votre essai est : Defining the Constitution of Canada Since 1982 : The Scope of the Legislative Powers of Constitutional Amendment under Sections 44 and 45 of the Constitution Act, 1982.
Revenons à l'article 44. Dans les attendus du projet de loi, on affirme que c'est en vertu de cet article de la Constitution que le projet de loi est déposé. Je croyais qu'il y avait une compréhension naturelle des conseils que vous avez prodigués à votre ministre, d'après votre texte. Nous ne pouvons pas savoir ce que vous avez dit à votre ministre, il va de soi que c'est confidentiel. Si vous avez dit au ministre qu'il y a un doute, c'est à lui ensuite de décider s'il va de l'avant ou non avec le projet de loi. Vous pouvez aussi lui recommander de ne pas aller de l'avant, parce que les tribunaux vont abroger la mesure législative après son adoption. Je sais que vous ne pouvez pas nous dire ce qui s'est passé.
J'aimerais toutefois comprendre ce que vous avez déclaré au sujet de l'article 44. Si je ne m'abuse, surtout à la page 467 — je suis désolé, je cite sans vous remettre le document.
M. Newman : Mais je vous en prie.
Le sénateur Joyal : Vous dites que l'interprétation de l'article 44 est fondée sur le paragraphe 91(1) qui l'a précédé, qui a été aboli par le rapatriement de 1981 et remplacé par l'article 44. Dans l'interprétation de l'article 44, vous êtes d'avis qu'il faut recourir à l'interprétation donnée par la Cour suprême du Canada du paragraphe 91(1) dans le renvoi sur la Chambre haute.
M. Newman : C'est juste. On comprend que je ne parlais pas dans ce texte de réforme du Sénat mais, oui, je disais bien que le renvoi sur le Sénat était pertinent quant à la portée des pouvoirs législatifs du Parlement lorsqu'il s'agit de modifier la Constitution.
Le sénateur Joyal : Exactement. Vous avez aussi déclaré que cinq modifications officielles faites en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, depuis 1949, ont été, pour reprendre les termes de la cour, des questions « de régie interne ».
Vous avez mis entre guillemets les termes « de régie interne » parce que vous citiez le renvoi de la Cour suprême du Canada.
Autrement dit, d'après la cour, la nouvelle mouture qu'est l'article 44 représente un pouvoir de régie interne.
Le sénateur Cools : C'est vrai, c'est toujours le cas.
Le sénateur Joyal : C'est du moins ce que je déduis des cinq modifications formelles apportées en vertu du paragraphe 91(1) et sur l'emploi de l'article 44, depuis 1982. L'article 44 a été invoqué depuis 1982.
M. Newman : En effet.
Le sénateur Joyal : On s'en est servi pour toutes les questions de régie interne, c'est-à-dire des changements qui ne portaient pas sur la nature et le fonctionnement de l'institution. Vais-je trop loin dans l'interprétation de vos propos?
M. Newman : Non, pas du tout, sénateur.
Le sénateurJoyal : Autrement dit, l'article 44 porte sur les questions de régie interne, vous l'avez dit, vous vous êtes même étendu là-dessus, et vous avez cité un long article du professeur Monahan qui critiquait le renvoi, dans la publication du Barreau de 1981.
M. Newman : Le professeur Hogg.
Le sénateur Joyal : Oui, le professeur Hogg.
Vous disiez que le professeur Hogg se plaignait de ce que le renvoi sur le Sénat était une victoire pour ceux qui veulent maintenir le Sénat dans l'état, et qu'au Canada, il faut être fort pour croire en la réforme de la Constitution.
Ensuite, vous avez dit : « En rétrospective, il avait raison en partie ».
M. Newman : En partie.
Le sénateur Joyal : « Le Sénat reste comme il est, mais la plus grande réforme constitutionnelle de l'histoire récente du Canada était sur le point d'être entreprise » et bien entendu, nous faisons référence à ce qui s'est passé ensuite.
Si je comprends bien vos propos, vous êtes comme le professeur Hogg en désaccord avec l'interprétation donnée du renvoi sur le Sénat.
M. Newman : Merci pour l'analyse de mon article, sénateur. Mais vous vous trompez. Je respecte la décision de la Cour suprême du Canada. Je crois qu'il s'agit d'une décision unanime de neuf juges. Elle dit ce qu'elle dit. Je me suis certainement inspiré de ce que le professeur Hogg et d'autres ont dit de la portée du pouvoir législatif de modifier la Constitution avant 1982. Je ne pense pas que cela nous avance beaucoup.
Il faut être prudent en employant une expression comme « de régie interne ». Le Sénat est une chambre, comme la Chambre des communes. La régie interne au Sénat et à la Chambre des communes peut avoir des sens différents, selon ceux qui s'en servent, et une modification de régie interne peut être la modification du mandat des sénateurs. Pour certains, c'est un changement fondamental, pour d'autres, c'est moins que cela.
J'ajouterai simplement au panthéon des érudits cités aujourd'hui, outre le professeur Hogg et le professeur Monahan, le professeur Beaudoin, ancien sénateur, et le professeur Stephen Scott, de l'Université McGill.
[Français]
L'ancien constitutionaliste et aujourd'hui ministre des Affaires intergouvernementales du Québec, M. Benoît Pelletier, était d'avis que cette modification n'exigeait pas la participation ou l'approbation des provinces et que c'était une modification qui était tout à fait à l'intérieur de la portée de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982.
[Traduction]
C'est ce que pense le professeur Hogg : je ne dirai pas si c'est de moi. En termes simples, la meilleure interprétation de ce qui est arrivé en 1982, c'est qu'on est allé au-delà de la décision du renvoi sur la Chambre haute, et que la procédure de modification de 1982 dit maintenant explicitement quels changements peuvent être apportés au Sénat par le Parlement et de manière unilatérale. C'est ce qui est énoncé à l'article 42. D'autres changements au Sénat peuvent se faire en vertu de l'article 44.
Pour moi, le renvoi sur le Sénat n'est pas chose du passé et il n'est pas nécessaire de personnaliser ces idées. Elles sont faites au nom du ministère de la Justice du Canada. Nous avons beaucoup de respect pour le rôle du Sénat et l'avons pris en compte dans l'élaboration du projet de loi. Nous sommes d'avis qu'il s'agit d'une modification conforme à l'article 44.
Le sénateur Joyal : Vous citez M. Pelletier, mais je peux en faire autant. Dans son ouvrage de 1996, la modification de la Loi constitutionnelle du Canada, publiée chez Carswell, M. Pelletier dit ceci :
[Français]
Nous sommes d'avis que le pouvoir constituant conféré au Parlement par l'article 44 de la Loi de 1982 possède essentiellement la même portée restreinte que celle qui avait été reconnue par la Cour suprême du Canada au dit paragraphe 91.1. Ainsi, en vertu de l'article 44 en question, le Parlement canadien ne pourra modifier unilatéralement que les aspects secondaires du fonctionnement des institutions centrales.
[Traduction]
Je répète : que les aspects secondaires du fonctionnement des institutions centrales. C'est ce que disait M. Pelletier en 1996.
[Français]
M. Newman : Et lorsqu'il a été confronté avec un projet de loi 10 ans plus tard, qui faisait ce que le projet de loi S-4 fait, il s'est prononcé au nom du gouvernement du Québec. Le gouvernement du Québec était d'accord que cette disposition modificatrice était du ressort du Parlement fédéral.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Je pense que ce qui est écrit dans un manuel sur la Constitution est fiable.
M. Newman : Bien.
Le sénateur Joyal : C'est ce que je dis. Je ne veux pas juger des autres déclarations.
[Français]
Je cite M. Beaudoin, à la page 269, la Constitution du Canada, troisième édition de 2004. :
La jurisprudence sur la portée des paragraphes 91.1 et 92.1 de la Loi constitutionnelle de 1867, maintenant abrogée, demeure pertinente et ce dans la mesure où ils sont reconduits par les nouveaux articles 44 et 45 de la Loi constitutionnelle de 1982, aussi est-il important d'en faire état.
M. Newman : Je suis tout à fait d'accord.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Autrement dit, ce qu'ils ont écrit était destiné à des salles de classe. Leur manuel est essentiellement ce qu'ils pensent de la portée de l'article 44. Je ne dis pas qu'on ne peut jamais changer d'avis. Si tout le monde peut changer d'avis, moi aussi. Mais d'après ces écrits, ces érudits donnent une interprétation étroite de l'article 44 : des questions de régie interne et les aspects secondaires du fonctionnement des institutions centrales. Si vous changez le mandat au point de changer la nature de l'institution, vous l'éviscérez en lui enlevant notamment sa capacité de donner une opinion indépendante. Ce projet de loi ne vaut rien parce que le mandat de huit ans aurait donné à six premiers ministres le pouvoir de nommer 100 p. 100 des sénateurs. Quel peut être le point de vue indépendant dans un régime fondé sur le choc des points de vue dans une discussion comme celle que nous avons aujourd'hui? Voici la réponse : huit ans, ce n'est pas une modification secondaire quant à la nature de l'institution.
Le président : Monsieur Newman, je vous demande de répondre.
M. Newman : En général, sénateur Joyal, je suis d'accord avec tout ce que vous avez lu, y compris les observations faites par le professeur Beaudoin dans son ouvrage. Je ne vois pas d'incohérence.
Il reste que devant le comité spécial, l'ancien sénateur Beaudoin, que je crois désintéressé et qui est toujours un constitutionnaliste qui pratique à l'Université d'Ottawa, a déclaré, et je paraphrase, que le projet de loi S-4 était certainement constitutionnel et reflète ce qui a été fait en 1965 pour réduire la durée du mandat des sénateurs. En 1980, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'on ne pouvait pas changer les caractéristiques fondamentales, mais nous avons maintenant une procédure de modification et le mandat des sénateurs n'est pas l'une des quatre questions énoncées à l'article 42, entre autres.
J'ai étudié le projet de loi à la lumière de toutes les circonstances concrètes et je dois dire que le consensus à son sujet, comme l'ont dit la majorité des constitutionnalistes qui ont comparu devant le Comité spécial du Sénat sur la réforme du Sénat, c'est que le gouvernement peut agir ainsi en vertu de l'article 44.
Le président : Sénateur Joyal, nous allons passer à votre prochain argument, mais je dois dire, honorables sénateurs, qu'il nous reste environ deux minutes. Nous avons commencé tard parce que les sénateurs ont mis du temps à venir de la Colline. Avec votre permission, je prolongerai cette séance de 20 minutes. Il y a encore quatre sénateurs qui n'ont pas posé de questions.
Le sénateur Joyal : J'ai déjà pris beaucoup de temps. Je comprends les contraintes de temps. S'il reste du temps pour que je vous pose des questions, je vous en serais reconnaissant.
Quand vous êtes venu témoigner le 7 septembre devant le comité législatif, le sénateur Austin vous a posé la question suivante, que je vous pose à mon tour :
Deuxièmement, en ce qui concerne la possibilité qu'une réduction de la durée du mandat empêche le Sénat de remplir ses fonctions, comment pouvez-vous décider qu'un mandat d'une durée de huit ans est constitutionnel? Est-ce qu'un mandat d'une durée d'un an serait constitutionnel? Sinon, pourquoi avoir choisi huit ans? Vous savez dans quel sens va l'argument.
Et votre réponse :
En ce qui concerne votre deuxième question, à savoir que la Cour suprême avait signalé, et je prends pratiquement cela comme un spectre, qu'une réduction compromettrait ou pourrait compromettre à un moment ou l'autre l'efficacité du Sénat à titre de chambre de second examen modéré et réfléchi, je n'invoquerai pas le secret professionnel. Je pense pouvoir signaler d'emblée que si l'on présentait un projet de loi visant à réduire la durée du mandat des sénateurs à un an, il ne serait pas jugé valable. Une telle initiative aurait forcément une incidence négative sur la nature du Sénat.
Je suis tout à fait d'accord avec vous.
M. Newman : D'accord.
Le sénateur Joyal : Je conviens tout à fait avec vous que l'article 44 ne donne pas au Parlement du Canada le pouvoir de modifier quoi que ce soit qui compromettrait ou pourrait compromettre l'efficacité du Sénat en tant que chambre de second examen modéré et indépendant.
Je conviens avec vous que l'article 44 permet au Parlement d'apporter des modifications de régie interne ou de réforme latérale, selon l'expression du professeur Pelletier. Nous pourrions sans difficulté abaisser l'âge de la retraite de 75 à 70 ans. L'ennui, c'est que vous prenez une institution dont le mandat des membres s'étend potentiellement de 30 à 75 ans, que vous ramenez la limite à 70 ans et qu'aucun mandat n'est renouvelable. Ce faisant, vous modifiez totalement la nature de l'institution. Je ne comprends pas comment vous pouvez à la fois souscrire au principe établi par la Cour suprême dans le renvoi sur le Sénat et penser qu'un mandat de huit ans, compte tenu des normes que nous avons définies, est quand même acceptable.
M. Newman : Je sais que l'on ne cesse d'invoquer cet argument, mais il n'en demeure pas moins que depuis 1965, le Parlement n'a pas modifié le mandat du Sénat, le seul et unique changement étant que le mandat est passé de la perpétuité à 75 ans révolus. Je crois savoir que le temps de service moyen d'un sénateur est de 9,25 ans. Vous avez rappelé plus tôt que le Comité mixte parlementaire Molgat-Cosgrove, qui s'est penché sur la réforme du Sénat, avait tout simplement suggéré qu'il serait constitutionnel — et c'était au conditionnel — de fixer le mandat à neuf ans. Le comité, bien entendu, pouvait compter sur les conseils de constitutionnalistes également. Le rapport ne reflète peut-être pas tous les témoignages entendus. Dans son rapport, le comité dit bien « serait » dans ce contexte, ce qui signifie « si nous choisissions cette voie, ce serait constitutionnel. ». Autrement dit, cela n'a pas encore été adopté mais si ce l'était, ça irait.
Le conditionnel est relatif au contexte.
Sénateur, je ne pense pas pouvoir ajouter quoi que ce soit sauf qu'assurément, je comprends votre inquiétude. Votre comité a un ordre de renvoi qui lui permet d'étudier la longueur du mandat. Je pense que nous sommes d'accord sur une chose. Si nous acceptons en principe que l'article 44 puisse être invoqué pour limiter le mandat des sénateurs à 70 ans d'âge plutôt que 75 ans, je proposerais modestement de faire passer cette limite de 75 à 74 ans. Une fois cela concédé, je pense que c'est une question de degré. Le mandat actuel de sénateur est de 45 ans, et nous pourrons discuter de cet aspect en temps utile.
Le sénateur Cools : Un mandat de 45 ans, cela n'existe pas. Le gouvernement ne cesse d'invoquer cet argument et le public intériorise cela. Le mandat est à perpétuité jusqu'à l'atteinte de l'âge de 75 ans. Le mandat n'est pas de 45 ans. Dire cela, c'est induire en erreur et cela n'est pas à votre honneur, monsieur Newman, que de perpétuer cette erreur.
Le sénateur Fraser : Rien ne change. Je vais poser de nouveau une question que j'ai posée au comité spécial et à laquelle on n'a pas répondu. Vous avez eu tout le temps nécessaire pour y réfléchir, au cours des six ou huit derniers mois. Nous reconnaissons tous qu'un mandat d'un an ne pourrait pas être fixé sans obtenir auparavant l'accord des provinces car cela modifierait la nature fondamentale du Sénat. Nous sommes d'accord, n'est-ce pas?
M. Newman : Oui, nous reconnaissons qu'il s'agirait d'une modification au titre de l'article 42, je pense.
Le sénateur Fraser : Toutefois, vous et d'autres, y compris le premier ministre, avez soutenu devant nous qu'un mandat de huit ans était conforme à l'article 44. Dites-moi sur quelle logique on se fonde pour que le mandat fixé bascule d'un article à l'autre? Quel calcul fait-on pour déterminer que la limite fixée fait intervenir l'article 42?
M. Newman : Je pense que tout dépend du contexte. Il faut commencer par la formule de modification. Le mandat des sénateurs n'y est pas expressément mentionné. Pour que les choses soient claires, on aurait pu inclure cela à l'article 42 si les rédacteurs constitutionnels de 1982 l'avaient souhaité. Ils ne l'ont pas fait, ce qui nous laisse supposer de façon raisonnable que certaines modifications au mandat sont acceptables en vertu de l'article 44 mais pas nécessairement toutes les modifications. Comme la Cour suprême l'a déclaré : une réduction trop extrême de la durée du mandat pourrait porter atteinte à l'indépendance, à la fonction de second examen objectif confié au Sénat. On peut donc se poser la question.
Comment aborder cette question? Il faut donc voir les choses dans leur contexte. On se tourne vers d'autres chambres hautes. Comment fonctionnent-elles? Quelle est la durée du mandat de leurs membres? Quelle est la durée maximale? Y a-t-il une différence entre une chambre haute nommée et une chambre haute élue? À partir de là, on a des chiffres. Comme le sénateur Cools l'a fait remarquer fort à propos, il faut également voir les rapports entre la Chambre haute et la Chambre basse. Comparons donc : il s'agirait d'un mandat de huit ans au regard d'un mandat de quatre ans en moyenne à la Chambre des communes, exception faite des situations de gouvernement minoritaire. La moyenne en situation de gouvernement majoritaire est de quatre ans. Ainsi, ce serait le double. Cela peut peut-être ne pas paraître suffisant à vos yeux, mais du point de vue des orientations stratégiques, vous êtes en mesure de...
[Français]
... bonifier la législation avec la durée du mandat appropriée, opportune.
[Traduction]
Le sénateur Fraser : Dès le départ, il m'a semblé qu'étant donné son libellé, ce projet de loi s'adapterait fort bien à un Sénat élu. De fait, le leader du gouvernement au Sénat a dit au cours des premiers jours de débat qu'il avait été conçu en tenant compte du souhait du gouvernement de faire du Sénat une chambre d'élus. Comme nous le savons, la Chambre des communes est saisie actuellement d'un projet de loi qui, même si ses dispositions ne le précisent pas explicitement, aboutirait ni plus ni moins à cela. Je prétends que ce sera l'aboutissement.
Ce projet de loi toutefois a, chez plusieurs, soulevé des soucis constitutionnels, ce qui compromet ses chances d'être édicté.
Je suis quand même perplexe : comment peut-on conjuguer dans un seul projet de loi ce qui convient à une chambre nommée. C'est ce qu'on tente de faire et à moins que cette chambre ne soit désormais élue, ce qui ne sera pas le cas à mon avis avant longtemps, on aura tenté de conjuguer ce qui convient à une chambre nommée et ce qui convient à une chambre élue. Si la chambre est élue, un mandat de huit ans renouvelable est logique. Si la chambre est nommée, la Commission Wakeham, que l'on a évoquée, a conclu que cela ne convenait pas. Le gouvernement britannique s'est rendu à ces arguments. Je pense qu'une durée de mandat aussi courte détruirait la nature fondamentale du genre de chambre haute dont nous avons hérité de la Grande-Bretagne.
Au cours des six derniers mois ou depuis que nous nous sommes rencontrés, avez-vous essayé de voir s'il y avait une façon de concilier ces éléments, ces objectifs qui sont en conflit?
M. King : Nous nous sommes rencontrés au début du mois de septembre, depuis nous nous sommes attelés à terminer l'élaboration de l'orientation stratégique. Il y a eu les préparatifs pour l'autre projet de loi, le C-43 déposé aux Communes. Le premier ministre, quand il a comparu devant le comité ce même jour, a dit assez clairement, à mon avis, que c'était là l'étape suivante dans le processus.
Je ne dirai pas que nous avons reculé et contrairement à vous, nous ne pensons pas que nous devrons nous pencher de nouveau sur le sujet du projet loi S-4 parce que le C-43 ne serait pas adopté rapidement. Nous poursuivons notre travail sur les deux projets de loi confiants qu'à un moment donné, ils s'appliqueront tous deux conjointement.
Toutefois, comme je l'ai dit au départ, le gouvernement est fermement convaincu que le projet de loi S-4 est bien fondé en soi.
Le sénateur Fraser : Il est juste de dire que c'est la position du gouvernement.
Une dernière question : Il s'agit du fait que ce projet de loi aboutirait également à l'abolition de la limite d'âge. À première vue, je me suis dit qu'on aurait là la version canadienne du Sénat américain, où, comme vous le savez, siègent un grand nombre de personnes âgées.
Il y a quelques années, lors d'une réunion, on m'a présenté le plus jeune sénateur d'un État. Il avait 79 ans. Le sénateur plus vieux du même État avait beaucoup plus de 90 ans et il a continué d'exercer ses fonctions plusieurs années après. Il y a 42 ans, nous avons décidé qu'une telle situation ne nous convenait pas, mais voilà que nous pavons la voie pour qu'elle se reproduise.
C'est alors que je me suis demandé s'il n'y avait pas d'autres motifs que des motifs purement politiques pour supprimer la limite d'âge. Je ne vous demande pas de vous prononcer sur la décision politique, mais je me demande s'il y a une raison sur le plan juridique qui expliquerait que, puisque la question est ouverte de nouveau, on devrait songer à abolir la limite d'âge.
Par exemple, est-ce qu'on n'a pas craint qu'il soit possible d'invoquer la Charte? Monsieur Newman, tout à l'heure, vous avez dit que les dispositions de la Charte n'étaient pas en cause, mais qu'il y avait des motifs juridiques de songer à abolir l'âge limite.
M. Newman : La Charte pourrait intervenir si je me reporte à l'autre exemple exposé par le sénateur Joyal. Il s'agirait d'un éventuel projet de loi qui exigerait que les sénateurs quittent leur siège au Sénat après l'âge de 70 ans ou, comme certains l'ont dit, 65 ans.
Pour l'instant, la pression est plutôt à l'inverse. Quand on constate que les lois comportent des distinctions injustes en raison de l'âge, on s'y oppose à moins qu'il y ait de bonnes raisons sur le plan opérationnel. On constate que la retraite obligatoire perd du terrain.
Depuis 1965, nous fumons moins, nous absorbons nos acides gras oméga-3 et nous vivons plus longtemps, fonctionnant mieux. Peut-on alors dire que l'âge limite de 75 ans fixée arbitrairement est aussi à propos qu'elle l'était?
Dans le contexte d'un Sénat élu ou de l'application d'une autre forme de consultation populaire, si l'autre projet de loi était adopté, ce genre de considération interviendrait.
On peut envisager la candidature de quelqu'un comme Ted McWhinney. J'ai un collègue qui est encore très actif, qui est juge en Ontario, et ancien chef d'un tribunal administratif. Il a 84 ans et il est candidat à l'équivalent du poste de bâtonnier du Barreau. Pourquoi faudrait-il fixer un âge arbitrairement? Je ne pense pas qu'on l'ait fait pour un motif juridique.
Il est vrai que selon une certaine théorie, à laquelle je souscris jusqu'à un certain point, une modification constitutionnelle des pouvoirs législatifs devrait faire intervenir la Charte. Toutefois, cette modification en l'occurrence, si jamais elle est adoptée, pourrait être inscrite dans la Charte, n'est-ce pas?
Toute disposition de la Constitution, en tant que loi suprême, échappe aux dispositions de la Charte. Voilà pourquoi on ne pourrait absolument pas contester la limite de 30 ans et celle de 75 ans d'âge qui existent actuellement. Je ne pense pas que ce soit là la raison majeure d'envisager de supprimer la limite d'âge.
Le sénateur Andreychuk : La limite d'âge de 75 ans est discriminatoire et je pense que nous avons évolué énormément depuis 1965. Je trouve personnellement qu'il est offensant de qualifier les gens de plus de 75 ans d'incompétents. À l'époque, c'était essentiellement ce que nous affirmions, à savoir que les gens de plus de 75 ans n'avaient pas la capacité d'apporter la même contribution que ceux qui n'avaient pas atteint cet âge. Je pense que nous avons depuis longtemps dissipé ce mythe. Mais je n'en dirai pas davantage.
On a dit que si les sénateurs avaient des mandats d'un an, cela porterait atteinte à leur indépendance. Il leur faudrait quémander des conseils auprès des autres sénateurs pour comprendre le fonctionnement du Sénat et le rôle de ce dernier dans notre régime politique serait compromis, car l'expérience et l'indépendance y sont importantes.
La seule chose qui m'inquiète est le fait qu'aujourd'hui il y a bien des postes vacants au Sénat. Un premier ministre pourrait nommer une personne de 74 ans à chacun de postes et la situation changerait du tout au tout. Toutefois, les choses seraient nuancées s'il y avait un renouvellement total plutôt que la nomination de 10, 20 ou 30 sénateurs.
Je comprends qu'on s'accorde à croire qu'un mandat d'un an pourrait menacer l'indépendance et le rôle du Sénat. Je ne sais pas à combien il faudrait fixer le nombre d'années, huit, neuf ou dix ans. Il s'est trouvé des premiers ministres qui ont fait des nominations parce qu'ils voulaient influencer le résultat d'un vote.
Je ne vais pas la nommer, mais j'ai connu un sénateur à qui on avait demandé comment elle voterait sur un projet de loi en particulier. Elle a répondu : « Je viens d'être nommée et j'ai très peu de temps ».
À mon avis, il faut se demander s'il est opportun de faire en sorte que chaque sénateur siège pendant huit ans. Cela va-t-il changer la Chambre? Actuellement, le premier ministre a le loisir de nommer quelqu'un qui a 40, 50 ou 74 ans. Il peut nommer un groupe de sénateurs ou il peut attendre et les nommer plus tard. Je pense que cela s'est vu par le passé pour des raisons qui étaient justifiées ou, pourrait-on dire, pour des motifs politiques. Cela ne m'inquiète pas.
Supposons que le mandat soit de huit ans désormais. Cela ferait-il une telle différence par rapport à ce qui est constitutionnellement possible actuellement, un mandat long ou un mandat court? Le fait que tous les sénateurs désormais serviront pendant huit ans va-t-il changer les choses de façon spectaculaire et porter atteinte au fonctionnement du Sénat sur le plan constitutionnel? M'avez-vous compris?
M. Newman : Je vous remercie de votre question parce que vous remettez tout le sujet dans son contexte. Les scénarios alarmants prétendent qu'en vertu des dispositions de cette loi, si on n'y ajoute rien, à court terme, un premier ministre pourra s'assurer que le Sénat est unipartite.
Selon les conventions constitutionnelles, la fonction de premier ministre s'exerce avec un certain degré de respect pour la culture politique du pays. Des scénarios extrémistes comme ceux que l'on évoque à l'occasion jettent de l'huile sur le feu.
Il y a eu une époque où un premier ministre avait l'habitude de nommer des sénateurs d'un certain âge afin que la durée de leur mandat soit inférieure à huit ans à cause de la limite des 75 ans. Cette limite est injuste, comme on l'a dit, parce qu'elle est discriminatoire. On pourrait en dire autant de la limite minimale de 30 ans.
On pourrait peut-être poser la question : Si on n'apporte pas cette modification modeste à la durée du mandat, vaut- il mieux pour le pays d'accepter une situation telle que le premier ministre, en raison d'une convention constitutionnelle, puisse exercer un pouvoir sans borne et conseiller au gouverneur général d'accepter des choix fondés sur des critères arbitraires ou capricieux dans certains cas?
Inversement, devrait-on s'acheminer vers un système un peu plus transparent selon lequel les attentes seraient telles qu'un premier ministre exercerait son jugement avec mesure lors des nominations à la Chambre haute? On dit souvent que la Chambre haute n'est que le résultat des choix du premier ministre. Il est vrai que c'est un choix d'orientation que de limiter la durée du mandat mais cela pourrait offrir des avantages également pour ce qui est de la légitimité et du fonctionnement du Sénat.
Le sénateur Andreychuk : Il se peut que vous ne vouliez pas répondre à la question que je vais poser maintenant. Non seulement au Canada mais dans d'autres pays aussi, les ambassadeurs sont désormais en poste quatre ans plutôt que deux. On a coutume de dire que la première année est consacrée à l'installation, la seconde à accomplir les tâches comme telles, la troisième à la mission suivante. La question de l'efficacité se pose. Il y a également la question de savoir si l'intéressé représente son pays. Nous ne voulons pas que l'intéressé succombe à une acclimatation de sorte que passer de deux à quatre ans semble être raisonnable. On a constaté que pour diverses raisons, cette durée convenait. Pour des raisons de politique et non pas juridiques, un mandat de huit ans, en l'absence d'une situation de gouvernement minoritaire, équivaudrait à deux mandats de l'autre côté. Est-ce que cela est fondé sur des bases solides ou pourrait-on dire qu'un mandat de 12 ans serait préférable?
M. King : Le mandat de huit ans est en partie fondé sur un ratio de 2 à 1 — deux législatures à la Chambre des communes. Si le projet de loi C-16, dont le Sénat est saisi actuellement, est adopté, les chances seraient faciles à prévoir. Sénateur, cela fait partie de l'équation. Nous nous sommes penchés sérieusement sur les autres études faites au fil des ans. Le rapport Molgat-Cosgrove recommandait un mandat de neuf ans et d'autres études, huit ans. Le gouvernement est d'avis que cela peut se comparer, comme vous l'avez fait, aux missions confiées à nos ambassadeurs. Huit ans permettraient à un sénateur d'apprendre les rouages, de se situer dans ses fonctions, et de remplir le rôle nécessaire sur le plan de la mémoire institutionnelle, entre autres.
Le gouvernement, le premier ministre en particulier, a signalé qu'il envisagerait d'autres limites s'inscrivant dans une série de principes qu'il a énoncés à ce moment-là. Cela fait partie d'un contexte. Pour moi, cela représente un tournant dans l'évolution de nos délibérations sur le sujet.
Le sénateur Cools : Un mandat de huit ans, que vous dites fondé sur des considérations juridiques, me semble être une conclusion que l'on veut justifier. J'ai du mal à reconnaître le système constitutionnel ou juridique sur lequel vous avez l'intention de fonder votre choix. Je trouve que vos arguments sont peu convaincants à cet égard mais j'admire votre ténacité, d'une certaine façon.
Monsieur le président, ces questions sont lourdes de conséquence et nos témoins devraient peut-être comparaître devant le comité de nouveau. Je voudrais soulever des questions concernant le traitement différent que l'on réserve aux juges et aux sénateurs. En 1867, au départ, la position des sénateurs était supérieure et jusqu'à 1960, elle est demeurée telle. La modification de 1960 qui a touché les juges n'a pas été qualifiée comme un changement de mandat mais plutôt comme une retraite obligatoire. Ce changement a pris la forme d'une adresse en Grande-Bretagne.
Quelques années plus tard, le paragraphe 91(1) d'un projet de loi déposé au Parlement du Canada a apporté la même modification en ce qui concerne les sénateurs. J'ai lu abondamment sur le sujet et j'ai une bonne compréhension des pressions politiques et juridiques qui s'exerçaient. J'y reviendrai.
Je vous ai parlé du libellé du projet de loi. Quels sont ceux d'entre vous qui avez rédigé le projet de loi? Êtes-vous qualifiés et compétents pour répondre à des questions sur le libellé?
M. King : Ce sont les rédacteurs qui ont rédigé le projet de loi.
Le sénateur Cools : J'aimerais vous poser quelques questions. En gros, vous nous dites que le projet de loi S-4 est un amendement, en vertu de l'article 44 — qui, à mon avis, ne s'applique pas, mais peu importe — aux paragraphes (1) et (2) de l'article 29. À mon avis, vous ne faites pas qu'amender ces articles, vous les supprimez complètement.
Le paragraphe (1) de l'article 29 de la Loi sur l'Amérique du Nord britannique stipule ce qui suit :
Sous réserve du paragraphe (2), un sénateur occupe sa place au Sénat sa vie durant, sauf les dispositions de la présente loi.
Voici ma première question : Pourquoi voulez-vous abroger ou abolir les dispositions de cette loi qui assujettissent les dispositions sur le Sénat, soit l'article 29, à toute la Loi sur l'Amérique du Nord britannique? C'est un changement très important. En d'autres mots, actuellement, les paragraphes (1) et (2) de l'article 29 relèvent de toutes les autres dispositions de la Loi sur l'ANB. Dans le projet de loi S-4, on propose que l'article 29 relève uniquement des articles 30 et 31. C'est un changement très important que personne ne semble avoir relevé. J'aimerais que vous me répondiez.
Ma deuxième question est assez compliquée, alors prenez votre temps. Le paragraphe (1) de l'article 29 se lit comme suit :
Sous réserve du paragraphe (2), un sénateur occupe sa place au Sénat sa vie durant, sauf les dispositions de la présente loi.
Le paragraphe (2) de l'article 29 de la Loi sur l'ANB se lit comme suit :
Un sénateur qui est nommé au Sénat après l'entrée en vigueur du présent paragraphe occupe sa place au Sénat, sous réserve de la présente loi, jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de soixante-quinze ans.
Dans les articles du projet de loi S-4 qui nous intéressent, on a supprimé les mots « hold his place ». Une nouvelle créature constitutionnelle mystérieuse est apparue, « a place in the Senate. »
Je vous lis le paragraphe (1) de l'article 29 du projet S-4 :
Le mandat des sénateurs est de huit ans, sous réserve des articles 30 et 31.
Je vous lis le paragraphe (2) de l'article 29 :
Malgré le paragraphe (1), mais sous réserve des articles 30 et 31, le mandat du sénateur exerçant ses fonctions à l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 2006 (durée du mandat des sénateurs) expire lorsque celui-ci atteint l'âge de 75 ans.
Honorables sénateurs, l'expression « a place in the Senate » de la version anglaise est fausse. Il s'agit plutôt de « senators' places ». Dans le projet de loi S-4, on change complètement le libellé d'origine — un libellé qui a été soigneusement choisi lors de la rédaction de la Loi sur l'ANB en Angleterre. Les rédacteurs, qui étaient des lords, ont soigneusement étudié chaque mot.
J'aimerais savoir pourquoi on a changé le texte et pourquoi « his place » est devenu « a place » dans la version anglaise. J'aimerais savoir également pourquoi les articles proposés dans ce projet de loi ont été dissociés de la Loi sur l'ANB. Je crois que c'est toujours la même chose. On se prépare pour une autre fois — plus tard, ailleurs — et j'attends une bonne explication, messieurs. Vous n'aviez pas remarqué cet élément, n'est-ce pas?
M. King : Je vais demander à mon collègue, M. Newman, de me prêter main-forte.
Je peux répondre à la deuxième question en premier. Je crois comprendre — et je vais devoir vérifier — que « his place » est devenu « a place » simplement pour moderniser le libellé de la loi.
M. Newman : On a éliminé la discrimination de genre.
M. King : Vous observerez ce phénomène dans d'autres projets de loi également.
Le sénateur Cools : J'espère que vous comprenez que ce que vous dites est absolument sans fondement en droit. Pour éviter la discrimination de genre, vous auriez pu dire « his or her place », mais « a place in the Senate », ça n'existe pas. Il y a la place du sénateur au Sénat, mais pas « une » place au Sénat.
Si vous examinez la Loi sur l'ANB, on parle toujours de « a senator's place », dans la version anglaise, et si ce n'est pas le cas, il y a une certaine cohérence. Par exemple, en marge de l'article 29, on peut lire « tenure of place », mais l'expression « a place in the Senate » n'existe pas sur le plan constitutionnel, dans la Loi sur l'ANB. Je ne comprends pas comment il peut subitement apparaître dans ce projet de loi. J'aimerais une bonne explication, que je n'ai pas encore obtenue.
Vous auriez pu facilement résoudre le problème de la discrimination de genre, mais vous ne l'avez pas fait. Vous avez créé un nouveau concept constitutionnel : « a place in the Senate ».
M. Newman : Je résisterai à la tentation de faire un parallèle avec « a happy place ».
Lorsque l'on rédige des projets de loi, nous travaillons avec les rédacteurs législatifs des versions anglaise et française. Nous avons un programme en anglais et un en français et ils disposent de leurs propres conventions internes également. Lorsqu'ils peuvent moderniser les textes, ils le font tant que, à leur avis et à notre avis, ils ne changent pas le fond du texte.
Depuis la décision Edwards, qui a reconnu que les femmes étaient des personnes pouvant être nommées au Sénat, c'est délicat de continuer à parler de « his place », par exemple, ou de laisser d'autres discriminations de genre. Par conséquent, je pense que l'on a tout simplement choisi de changer « his place » pour « a place », plutôt que de dire « his or her place ». Nous pouvons consulter les rédacteurs à ce sujet. Si cela vous pose un problème et s'il y a une façon de le résoudre, nous pourrions tout à fait y jeter un coup d'œil.
Le sénateur Cools : Je vous remercie de votre ouverture d'esprit, sachez-le.
Le président : Qu'en est-il de la première question?
M. Newman : Au sujet de la première question, à savoir pourquoi on parle des articles 30 et 31 plutôt que de toutes les dispositions de la loi...
Le sénateur Cools : Non pas « plutôt que toutes les dispositions de la loi », mais « en plus des autres dispositions de la loi ».
L'article 29 actuel inclut les deux, « sous réserve du paragraphe » et « sauf les dispositions de la présente loi ». En d'autres mots, le paragraphe d'origine conserve l'intégrité de toute la Loi sur l'ANB et l'intégrité de tous les articles qui constituent la Loi sur l'ANB, ce qui veut dire que l'un fait référence à l'autre.
Le projet de loi S-4 s'éloigne de ce système et c'est très grave. Cela veut dire que cet article est maintenant séparé de l'article 18, voire de l'article 17. C'est un genre de schizophrénie; c'est extrêmement grave et je ne lâcherai pas le morceau.
M. Newman : Je vais répondre à votre premier argument et encore une fois, s'il le faut, nous pouvons examiner cette question de plus près. De votre point de vue, ma réponse vous semblera sans doute plus controversée, mais je vous demanderais de m'écouter. Je serai bref.
Le sénateur Cools : Très bien.
Le président : Il faudra être bref parce que vous avez écoulé votre temps et le sénateur Hays n'a pas encore posé sa question.
M. Newman : Je serai bref; j'essaie juste de répondre au sénateur. Je comprends que notre temps est limité.
Lorsque le paragraphe (1) de l'article 29 a été modifié en 1965, il y avait des sénateurs qui pouvaient encore occuper leur place leur vie durant. Aujourd'hui, il n'y a plus de sénateurs qui peuvent occuper leur place à vie, puisque tous les sénateurs actuels ont été nommés en vertu du paragraphe (2) de l'article 29. En d'autres mots, tous les sénateurs doivent partir lorsqu'ils atteignent l'âge de 75 ans, ou céder leur place, si vous voulez.
Puisque les sénateurs ne siègent plus leur vie durant — et c'était l'effet inexorable de l'amendement de 1965 : aucun sénateur ne peut être nommé à vie —, les rédacteurs ont tout simplement abrogé toute cette disposition. Plutôt que de dire « sous réserve du paragraphe (2), un sénateur occupe sa place au Sénat sa vie durant, sauf les dispositions de la présente loi », on a éliminé cette disposition, car elle n'a plus lieu d'être, étant donné que les sénateurs n'occupent plus leur place au Sénat leur vie durant.
Au sujet de votre préoccupation précise sur l'élimination des mots « sauf les dispositions de la présente loi », il s'agissait simplement de rendre le libellé plus moderne; si le mandat d'un sénateur continu — disons pendant huit ans —, c'est l'article 30 qui s'applique et si un sénateur démissionne, c'est l'article 31.
Le siège d'un sénateur deviendra vacant dans chacun des cas suivants :
Ces cas sont énumérés à l'article 31. C'est pourquoi les rédacteurs ont suggéré de mettre à la place les articles 30 et 31.
Encore une fois, nous pouvons étudier cette question avec les rédacteurs et leur recommander, notamment, que l'on continue d'utiliser éventuellement l'expression « sauf les dispositions de la présente loi ».
Le président : Si vous étudiez cette question, pouvez-vous expliquer au greffier du comité par écrit ce qui a été décidé pour que nous puissions tenir l'honorable sénateur informée des événements?
M. Newman : Certainement, nous pouvons faire cela.
Le sénateur Cools : Pour conclure, j'aimerais proposer une motion pour inviter ces messieurs à revenir. Il y a sans doute beaucoup d'autres questions à étudier et je serais prête à le faire. Est-ce que nos témoins peuvent revenir au comité?
Le président : Le comité directeur a étudié une liste éventuelle de témoins et regardé nos horaires, etc. J'ai bien entendu votre suggestion, mais nous avons déjà une liste de témoins et des séances prévues.
Le sénateur Cools : Je peux proposer une motion pour que cette possibilité soit réellement envisagée. J'ai beaucoup de questions à poser. Je ne sais pas ce qu'il en est pour les autres sénateurs, mais cela fait plusieurs mois que je pose des questions et je n'ai pas encore obtenu de réponse.
Le président : Le comité directeur pourra étudier votre proposition. Nous avons entendu votre suggestion et nous allons en tenir compte lorsque nous étudierons la liste des témoins.
Le sénateur Hays : Ayant siégé au comité spécial, j'ai toujours estimé que la question à laquelle nous nous attardons aujourd'hui devait être étudiée à la fin du processus que l'on applique lorsqu'on étudie un nouveau projet de loi. Personnellement, je suis d'accord avec ceux qui estiment que ce n'est pas une bonne idée d'appliquer un mandat renouvelable de huit ans à une institution législative nommée. En fait, j'ai déjà dit que j'estimais qu'il vaudrait mieux instaurer des mandats de 12 ou 15 ans. Ce serait, à mon sens, beaucoup plus approprié qu'un mandat renouvelable de huit ans.
Quoi qu'il en soit, nous avons mis la question dans son contexte constitutionnel. Pour revenir aux documents que le sénateur Joyal a cités, et compte tenu des opinions si brillamment exprimées par le sénateur Bryden, nous disposons de l'avis de la Cour Laskin dans le Renvoi relatif à la Chambre haute. Au sujet de votre document — c'est un excellent document que j'ai lu, mais pas récemment — je souhaite confirmer une chose. Lorsque vous faites référence à des amendements d'ordre administratif, parlez-vous d'un amendement au paragraphe 91(1) ou d'un amendement à l'article 44?
M. Newman : Moi non plus je n'ai pas lu mon document récemment, mais je crois me souvenir que la Cour suprême du Canada a accepté la caractérisation, qui venait sans doute d'un livre blanc du gouvernement de l'époque, selon laquelle certains amendements constitutionnels étaient de nature administrative et ne portaient pas sur...
Le sénateur Hays : Est-ce que c'est tiré du Renvoi relatif à la Chambre haute?
M. Newman : Oui, en effet.
Le sénateur Hays : Depuis les amendements de 1982, les tribunaux n'ont pas eu à se pencher sur l'article 44. Par exemple, l'affaire Campbell sur la Loi sur la représentation, en 1985, qui est allée jusqu'en Cour suprême et a engendré des changements importants, n'a jamais été considérée comme d'ordre administratif. Je ne m'en souviens pas.
M. Newman : Je ne me souviens pas que le juge en chef McEachern ait utilisé ce mot à la Cour suprême de la Colombie-Britannique ou même à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. L'autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême.
Quoi qu'il en soit, l'amendement à l'article 44, c'est-à-dire la Loi constitutionnelle de 1985, la Loi sur la représentation, a été maintenu par le conseil.
Le sénateur Hays : Oui, et c'est un amendement d'envergure.
M. Newman : Oui, en effet.
Le sénateur Hays : Je pense que c'est le seul des deux amendements à la Constitution qui aient été adoptés, au titre de l'article 44, l'autre amendement étant celui qui concerne le Nunavut.
M. Newman : Oui, on a ajouté un sénateur du Nunavut.
Le sénateur Hays : C'était un autre amendement important, puisque l'on divisait les Territoires du Nord-Ouest.
Nous connaissons la position qu'a choisie la Cour Laskin sur le Renvoi en 1979. À votre avis, quelle serait la position de la Cour McLachlin compte tenu du fait qu'elle n'a pas autorisé l'affaire Campbell à aller jusqu'en Cour suprême? Évidemment, la création du Nunavut n'a jamais été contestée.
M. Newman : En tant que conseiller juridique, j'irais un peu trop loin si je me permettais d'essayer de prévoir la position d'une cour. J'ai déjà dit que le ministère de la Justice et le gouvernement du Canada estimaient qu'il s'agissait d'un amendement à l'article 44. Que l'on considère que c'est un changement d'ordre administratif ou pas, ou que c'est la terminologie appropriée de nos jours, c'était une expression utile que les tribunaux ont employée pour caractériser cinq de ces amendements avant 1982. De façon générale, la plupart des experts en droit constitutionnel sont d'avis que l'article 44 avait la même portée que l'ancien paragraphe 91(1), conformément à l'interprétation de la Cour suprême dans son renvoi sur le Sénat. Je pense que c'était un des éléments soulevés par le sénateur Joyal.
En ce qui concerne l'utilisation du terme « administratif », à savoir si elle est appropriée de nos jours pour ce type d'amendements, c'est une bonne question. Par curiosité, je vais étudier de nouveau l'affaire Campbell pour vérifier si cette expression a réellement été utilisée par la Cour.
Le sénateur Milne : Est-ce que vous proposez que l'on passe plus de temps avec ces messieurs et que les autres témoins fassent partie d'un second panel, que nous entendrons après la pause?
Le président : C'est exact. Après le deuxième tour de questions, nous suspendrons la séance pour 30 minutes, puis nous entendrons les deuxième et troisième groupes de témoins dans un seul panel.
Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Milne : Messieurs, ma question porte sur l'intervention du sénateur Fraser : par ce projet de loi, on propose d'éliminer la référence à l'âge du maintien en fonction des sénateurs. J'imagine qu'un des témoins que nous entendrons après la pause nous dira que si ce projet de loi est adopté, il sera possible de nommer des sénateurs de plus de 80 ans. Moi-même je vieillis et je me rends compte, malheureusement, que les maladies nous poussent souvent à nous absenter, lorsqu'on vieillit. En quoi cela permet-il d'apporter un nouveau souffle, du sang neuf et des nouvelles idées au Sénat?
Le sénateur Joyal : Le projet de loi parle de moderniser et d'apporter du sang neuf.
Le sénateur Milne : Précisément.
M. King : Vous parlez d'une situation qui pourrait se produire lorsque le projet de loi S-4 aura reçu la sanction royale et que le Sénat fonctionnera toujours comme une assemblée nommée. Je crois que cela fera partie des décisions qu'un premier ministre devra prendre avant de faire sa recommandation au gouverneur général, qui procédera aux nominations.
Je suis convaincu par l'argument soulevé par mon collègue, M. Newman, qui a tout à l'heure donné un ou deux exemples de Canadiens de cet âge-là qui sont très disposés à prendre un engagement comme celui-ci et qui sont capables de le faire.
Je ne suis pas un expert en démographie ni en mathématiques, mais il me semble que ces cas seraient plutôt l'exception que la règle. Cependant, le premier ministre aura la possibilité de nommer des personnes de cet âge-là. Apporter du sang neuf et des nouvelles idées au Sénat, cela ne doit pas forcément passer par des nominations de jeunes sénateurs, à mon avis.
Le sénateur Milne : C'est un point de vue intéressant.
Le sénateur Bryden : Le problème, c'est que les premiers ministres, pour de très bonnes raisons, du moins à leur avis, décident parfois de punir le Sénat lorsqu'il n'est pas assez productif.
Le sénateur Cools : C'est ce qui se produit actuellement.
Le sénateur Bryden : Cela s'est déjà traduit par des nominations pendant quelque temps de personnes qui ne nous étaient pas très utiles. Je ne sais pas pourquoi on ne procède pas à des nominations actuellement, mais je suis sûr que parfois, les collègues d'en face considèrent cela comme une punition. Le premier ministre actuel refuse de nommer des sénateurs, à l'exception d'un seul. Cela complique la vie à nos collègues d'en face et ça rend aussi notre travail plus difficile.
Il ne serait pas impossible que le premier ministre décide de nommer dix octogénaires, et il aurait le droit de le faire. Cela est impossible dans notre présent système, car les sénateurs sont tenus de prendre leur retraite à 75 ans. C'est une des raisons pour lesquelles je m'inquiète à l'idée de faire des changements. Une fois que les changements auront été apportés, il sera difficile de faire quoi que ce soit en raison de la Charte des droits et libertés.
Nous ne voulons pas nous faire de beaux lendemains. Cela ne touchera pas notre mandat du tout. Nous jouissons de droits acquis. Nous voulons simplement défendre l'institution du Sénat et son rôle dans notre Parlement démocratique.
M. King : En ce qui concerne la possibilité d'un châtiment quelconque, je suis peut-être naïf, mais je crois que, dans le présent système, le gouverneur général procède à la nomination en fonction de la recommandation du premier ministre et que le premier ministre a donc une certaine part de responsabilité à assumer.
Si quelqu'un pouvait prouver que le processus de nomination avait été manipulé au détriment de cette institution nationale fondamentale que tout le pays respecte, je ne crois pas que le coupable resterait impuni. Cela aurait des répercussions. Mes collègues et moi avons remarqué ces dernières années, sans vouloir prêter des intentions, que certains premiers ministres ont nommé des Canadiens qui ne sont restés au Sénat que quatre ou cinq ans.
Des voix : Ou même à peine six mois.
M. King : Il est difficile pour moi de dire si cela est bien, mal ou une forme de châtiment. Toutefois, je crois qu'il faut que la personne qui est, en dernière analyse, responsable de faire ces recommandations, de choisir les éventuels sénateurs, assume une part de responsabilité. Les conséquences seraient faciles à voir et ne pourraient être camouflées.
Le sénateur Cools : J'aimerais poser une question complémentaire. Le mot « châtiment » est très fort. Souvent, il ne reflète pas la réalité. La Loi constitutionnelle dit bien que le gouverneur général nomme les sénateurs, et non pas « peut » nommer les sénateurs. Du point de vue constitutionnel, rien ne justifie le fait pour le premier ministre actuel de ne pas recommander au gouverneur général la nomination de certaines personnes au Sénat.
Sans aller jusqu'à parler de châtiment, il n'incombe pas à une seule personne au sein du gouvernement de déterminer le bon fonctionnement d'une institution. J'étais d'accord pour que le premier ministre formule des recommandations quant à certaines nominations parce que le devoir premier du premier ministre est de s'assurer du bon fonctionnement des deux chambres du Parlement. Si on s'engage sur cette voie, on risque d'avoir des problèmes.
Le peu d'enthousiasme pour les recommandations relativement aux nominations au Sénat n'est pas conforme à la Constitution. La Constitution est claire : les nominations doivent être faites.
M. King : J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le témoignage qu'ont présenté les professeurs Hogg et Monahan à ce sujet devant le comité spécial.
Le sénateur Cools : Oui, moi aussi.
M. King : J'ai trouvé leurs arguments convaincants à deux égards.
Le sénateur Cools : J'ai trouvé leurs arguments peu convaincants.
Le président : Chers collègues, nous accusons déjà une heure de retard. Le sénateur Milne a une question à poser. Avez-vous terminé vos questions?
M. King : Je n'en dirai pas plus. Si vous n'avez pas encore lu attentivement le témoignage de ces deux professeurs à ce sujet, je vous recommande de le faire, cela vaut la peine.
Le sénateur Joyal : Le sénateur Hays a déclaré que l'ajout d'un siège au Sénat pour le Nunavut n'était pas à son avis une question administrative. Or, en 1975, le paragraphe 91(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, la disposition que la Cour avait jugée de nature administrative, a été modifié afin que le nombre de sénateurs passe de 102 à 104 pour qu'il y ait des sénateurs représentant le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. L'ajout d'un petit nombre de sièges au Sénat n'avait alors pas été jugé une question de fond par la cour. Il s'agit essentiellement de modifications de la représentation à la Chambre des communes.
Pour déterminer la portée du paragraphe 91(1), la cour s'est fondée sur l'incidence que ces changements auraient sur le fonctionnement de l'institution.
Le président : Et elle a dit qu'il s'agissait de régie interne?
Le sénateur Joyal : En effet. Quand M. Newman a employé ce terme, il reprenait simplement les termes employés par la Cour suprême du Canada. Je l'indique aux fins du compte rendu.
Le sénateur Hays : Mais ça peut aller bien au-delà de la régie interne comme dans le cas de la Loi sur la représentation de 1985.
Le sénateur Joyal : Ma question porte sur l'interprétation de l'article 44. Quand nous tentons de définir la portée de l'article 44, ne sommes-nous pas liés par le préambule de la Constitution selon lequel le Sénat est créé par la Constitution? Il doit refléter le principe des institutions qui ont servi de modèle pour la Loi constitutionnelle de 1867. Quand la Cour suprême du Canada a interprété l'article 91 et l'incidence des changements apportés au Sénat, je crois, si j'ai bien compris, qu'elle renvoie au préambule et au principe voulant que notre Constitution soit semblable en principe à celle du Royaume-Uni.
Si nous voulons définir la portée de l'article 44, nous ne pouvons aller jusqu'à donner au premier ministre un pouvoir additionnel sur l'une des deux chambres du Parlement en faisant de ces mandats des mandats renouvelables. Le premier ministre ou tout chef du parti, selon l'actuelle Loi électorale, doit approuver la candidature d'une personne au nom de son parti, comme vous le savez. C'est un outil qu'on emploie pour s'assurer la loyauté des députés. J'ai été député et je sais comment cela fonctionne. Toutefois, si j'étais ici pour huit ans et que je me prononçais contre la position et les projets de loi de mon gouvernement alors que mon mandat est sur le point d'être renouvelé, je serais très prudent dans ma façon d'exprimer mon opinion indépendante sur un projet de loi.
J'estime que l'un des principaux défauts du projet de loi est le mandat renouvelable compte tenu de la façon dont notre système politique fonctionne en pratique. Le Parlement est constitué de partis politiques et, comme vous le savez, il fonctionne selon des intérêts particuliers. En faisant fi de l'aspect pratique du fonctionnement des partis politiques, vous créez un système qui pourrait modifier fondamentalement les freins et contrepoids qui doivent exister entre les deux chambres et qui sont protégés dans le préambule de la Constitution.
Vous ne vous êtes pas prononcés sur le préambule du projet de loi, mais il me semble que c'est aussi une question constitutionnelle sérieuse.
M. King : J'estime que les témoignages qu'a entendus le comité spécial — et qui, je crois, se sont reflétés dans le rapport final du comité spécial — ont été francs et complets sur cette question du mandat renouvelable. Le rapport final du comité spécial a très bien décrit la situation, à savoir que cela a été une question litigieuse pendant toutes les audiences. C'est manifestement une question d'importance non seulement pour les sénateurs, mais aussi pour les experts et autres commentateurs qui ont comparu devant le comité.
Cependant, le premier ministre a été clair dans son témoignage devant le comité. Il a dit préférer un mandat renouvelable parce qu'il envisage, pour l'avenir, un Sénat élu. Un mandat renouvelable est donc logique. Il a ajouté que si le comité préférait une autre solution — à savoir faire de ces mandats de huit ans des mandats non renouvelables, le gouvernement envisagerait certainement un amendement de cette nature.
Sauf tout le respect que je vous dois, sénateur, il incombe maintenant à votre comité de décider si une mention explicite de la non-renouvelabilité apaiserait les préoccupations du comité concernant l'indépendance et tout autre aspect connexe.
Le président : Je cède la parole au sénateur Cools pour la dernière question avant que nous fassions une pause.
Le sénateur Cools : Je voulais justement aborder l'article 44. Je voulais étudier plus en profondeur la décision des juges mais je n'ai pas suffisamment de temps et c'est très complexe. J'ai aussi examiné beaucoup de décisions sur les juges.
Vous avez affirmé que l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 permet aux chambres du Parlement, au Parlement du Canada, d'apporter ces changements.
Le sénateur Joyal et d'autres sénateurs ont été très éloquents à ce sujet; ils ont fait valoir que l'article 44 permet des changements au Sénat et à la Chambre des communes, mais pas des changements au Parlement du Canada. Autrement dit, cet article pourrait être invoqué pour ajouter un siège au Sénat, comme on l'a fait pour accueillir les sénateurs du Nord il y a quelques années.
Vous avez dit que, selon vous, cela peut aller plus loin et que cet article pourrait servir à créer un mandat de huit ans, mais vous avez nuancé vos propos en soulignant qu'on ne pourrait créer un mandat d'un an. Pour ma part, j'estime que si on peut invoquer cet article pour créer un mandat de huit ans, on pourrait aussi s'en servir pour créer un mandat de sept ans, six ans ou un an.
Étant donné que les propositions contenues dans le projet de loi S-4 modifient de façon radicale les pouvoirs de Sa Majesté en matière de nomination, le Conseil privé en a-t-il discuté avec Sa Majesté? C'est le Conseil privé de Sa Majesté.
M. Newman : Le Conseil privé de Sa Majesté du Canada est constitué des ministres du Conseil privé qui forment le Cabinet. Bien sûr, c'est le gouverneur général qui jouit du pouvoir de nomination. Le gouverneur général procède à ces nominations au nom de la Reine. Ce pouvoir a été conféré au gouverneur général. C'est à peu près tout ce que je peux vous dire du point de vue constitutionnel.
Pour ce qui est de l'article 44, il dispose que le Parlement a compétence exclusive pour adopter des lois modifiant la Constitution du Canada relativement au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes. Or, ce projet de loi n'est pas un amendement relatif au Parlement. Ce n'est pas un amendement relatif au pouvoir exécutif ou au gouvernement. C'est un amendement relatif au Sénat.
Le sénateur Cools : Oui, c'est ce que vous avez déclaré, mais vous n'en avez pas fait la preuve. Les amendements que vous proposez modifient de façon fondamentale le Parlement du Canada ainsi que la prérogative royale de Sa Majesté. Vous dites que ce pouvoir appartient au gouverneur général. Oui, nous le savons, mais la Loi constitutionnelle de 1867 confère tout le pouvoir exécutif à Sa Majesté. Ce n'est pas une disposition d'ornementation. C'était l'état du droit.
J'estime aussi que les changements proposés dans le projet de loi S-4 modifient radicalement le genre de nominations que Sa Majesté pourra faire relativement au Sénat du Canada. C'est un changement profond qui touche les pouvoirs de Sa Majesté. J'aurais cru que, avant d'entreprendre une telle initiative, vous auriez eu des discussions avec Sa Majesté ou son représentant. N'oubliez pas que certaines des questions touchant le Sénat touchent aussi directement Sa Majesté, par exemple, les sénateurs divisionnaires. Ces huit nominations doivent encore être approuvées par Sa Majesté. J'aurais cru que vous auriez sollicité son avis.
Le président : Monsieur King, avez-vous sollicité son avis?
M. King : Non.
Le sénateur Cools : Il est intéressant de constater que nous en sommes au point où le rôle de Sa Majesté est tout à fait négligé. On se demande où le Canada en est rendu.
Le président : Au nom du comité, merci beaucoup d'être venus aujourd'hui. Je suis désolé de notre retard, mais le Sénat ne s'est ajourné qu'à 16 heures aujourd'hui. Je vous remercie de nous avoir attendus, d'être restés si tard et d'avoir répondu si directement et si franchement à des questions difficiles. Vous avez apporté une contribution utile aux travaux de notre comité et le témoignage du Bureau du Conseil privé et du ministère de la Justice constitue une excellente façon pour notre comité de voir comment ce projet de loi peut être interprété et appliqué.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos autres témoins, soit Andrew Heard, professeur associé de sciences politiques à l'Université Simon Fraser. Ce n'est pas la première fois que M. Heard comparaît devant notre comité et c'est avec impatience que nous attendons son témoignage.
Nous accueillons aussi Roger Gibbins, le président et chef de la direction de la Canada West Foundation, qui saura sûrement nous donner son point de vue sur ce projet de loi.
Enfin, nous entendrons Joseph Magnet, professeur de droit à l'Université d'Ottawa. M. Magnet a écrit de nombreux articles sur diverses questions de droit constitutionnel et nous avons bien hâte d'entendre son point de vue.
Chacun d'entre vous pourra présenter un exposé. Puis, il y aura une période de questions.
Andrew Heard, professeur agrégé, Département de science politique, Université Simon Fraser, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à vous adresser la parole sur ce projet de loi.
J'aborderai la mesure législative de deux ou trois points de vue. Tout d'abord, j'aborderai les enjeux constitutionnels. Mes vues ont changé quelque peu depuis septembre et je suis moins convaincu qu'alors que l'article 44 règle toutes les questions soulevées par l'article 91 et le Renvoi relatif à la Chambre haute. Après avoir lu les témoignages des professeurs Hogg et Monahan et y avoir réfléchi, j'ai encore plus d'inquiétudes qu'auparavant.
Je partirai de la prémisse selon laquelle nous voulons déterminer en quoi ce projet de loi changerait le Sénat. Changera-t-il des caractéristiques fondamentales du Sénat?
Dans un autre ordre d'idées, convient-il de modifier le projet de loi S-4 pour améliorer son application pratique ou pour en atténuer les faiblesses constitutionnelles?
J'aborderai plus particulièrement les questions suivantes : la suppression de la retraite obligatoire à 75 ans pour les nouveaux sénateurs ayant un mandat d'une durée limitée; les conséquences de la nomination de sénateurs à mandat d'une durée limitée sur le fonctionnement du Sénat compte tenu du système informel d'ancienneté; les incidences du projet de loi sur l'indépendance du Sénat en ce qui concerne les votes de chaque sénateur, et les difficultés que peuvent occasionner des mandats renouvelables.
Je serai heureux de vous donner plus de détails sur mes préoccupations concernant le processus constitutionnel pendant la période de questions. Pour l'heure, je continuerai de croire que nous devons nous pencher sur la question des caractéristiques fondamentales, telle qu'elle a été soulevée par la Cour suprême dans sa décision sur le pouvoir du Parlement de modifier ou d'abolir le Sénat.
Je veux toucher d'abord quelques mots sur l'âge de la retraite. Le projet de loi S-4 supprimerait la retraite obligatoire à 75 ans pour les nouveaux sénateurs. Cela m'inquiète car cela annulerait les effets d'un amendement très utile adopté en 1965.
Le Sénat est malheureusement souvent dépeint comme une maison pour retraités bien rémunérée, et le fait qu'on y trouvait des octogénaires et des nonagénaires n'a pas aidé. Je m'empresse de souligner que je ne m'inquiète pas de l'âge de ceux et celles qu'on nomme au Sénat, mais il faut tenir compte des caractéristiques de la population en général et faire en sorte qu'elles se reflètent au Sénat.
J'ai étudié les nominations qui ont été faites depuis 1965, année à laquelle on a imposé la retraite à 75 ans. Depuis cette année-là, on a nommé 275 sénateurs dont 92 sont encore au Sénat et 102 sont décédés à 76 ans en moyenne.
La statistique qui m'intéresse le plus c'est que depuis 1965, ceux qu'on a nommés à la Chambre haute sont morts à un taux alarmant, si j'ose dire. Près de 23 p. 100 des sénateurs sont morts avant la fin de leur mandat. Ce taux de mortalité est préoccupant, mais le nombre de décès même l'est encore plus. Manifestement, les sénateurs travaillent trop, leurs tâches sont trop exigeantes. Il faut donc se demander de façon plus générale comment le Sénat peut faire face à cette réalité, soit le fait qu'il est composé de personnes qui sont à un âge avancé. Ce n'est pas seulement le fait que le taux de mortalité des sénateurs est plus élevé que celui des députés. Pendant la même période, seulement 3 p. 100 des députés sont morts, en comparaison avec 23 p. 100 des sénateurs. C'est aussi le fait que cela a une incidence sur le travail du Sénat, car nombreux sont les sénateurs qui sont malades, qui doivent prendre des congés prolongés ou ne peuvent travailler à temps plein comme ils voudraient le faire. Supprimer la retraite obligatoire pourrait aggraver les problèmes que connaît déjà le Sénat en raison de l'âge avancé des sénateurs. Rien ne justifie que l'on abolisse la retraite obligatoire et l'abolition de la retraite obligatoire pourrait avoir des conséquences néfastes.
J'aborderai maintenant brièvement la question de savoir quelle incidence aurait sur le Sénat la nomination de sénateurs dont le mandat serait bref. Je me suis penché sur l'importance de l'ancienneté au sein du Sénat. À la page quatre de mon mémoire, vous trouverez au tableau 1 des preuves claires de ce que vous savez déjà, soit que les sénateurs nouvellement arrivés ne se retrouvent qu'après quelques années de service au sein des postes de direction. Parmi ceux qui ont moins de quatre ans de service, 83 p. 100 n'ont jamais occupé un poste de direction. J'entends par poste de direction un poste assorti d'un supplément de rémunération. Ce pourcentage augmente graduellement avec le nombre d'années de service. Il y a une différence marquée entre les sénateurs qui commencent leur carrière et ceux qui sont à la fin. Je crains que la présence de sénateurs pour des mandats de courte durée n'influe sur le travail du Sénat en raison du système existant d'ancienneté. Il faudrait attendre encore une quinzaine d'années avant que les sénateurs nommés pour un mandat de huit ans ne soient en majorité au Sénat, mais ils pourraient être encore en minorité dans les postes de direction si cette tendance persiste. Je crains que des mandats de huit ans pour les nouveaux sénateurs ne les laissent en marge du travail du Sénat pendant un certain temps et ne rendent leur intégration plus difficile.
Manifestement, ce système d'ancienneté n'existe pas seulement parce que tout vient à point à qui sait attendre, mais bien parce qu'il faut des connaissances et une expérience institutionnelle avant de pouvoir occuper de façon compétente un poste de direction. Encore une fois, je crains qu'un mandat de huit ans ne soit pas assez long pour que les nouveaux sénateurs acquièrent l'expérience nécessaire et soient bien intégrés au Sénat.
Il faut aussi se demander si ce projet de loi changera fondamentalement le fonctionnement du Sénat. Aux fins de discussion, je donnerai l'exemple de l'indépendance relative des sénateurs par rapport à la direction de leur parti. On a l'impression, à tout le moins, qu'avec le temps, les sénateurs en viennent à disposer d'une plus grande liberté et d'une plus grande marge de manœuvre dans leurs choix que les députés. Il y a eu peu d'études statistiques ou empiriques à ce sujet, alors j'ai fait moi-même un petit examen de la période allant de 2001 à 2005. C'est à la page cinq de mon mémoire. J'ai examiné 125 scrutins officiels auxquels ont participé 122 sénateurs, ce qui représente plus de 7 700 voix. Ce n'est qu'une fraction de toutes les mises aux voix, car, bien sûr, comme vous le savez, bien des mises aux voix se font oralement, et ces scrutins par appel nominal ne nous indiquent pas qui a fait dissidence. J'ai pris note des mises aux voix où des sénateurs se sont officiellement abstenus ou ont voté pour ou contre un projet de loi afin de déterminer dans combien de cas ils ont voté contre la position de leur caucus ou se sont abstenus. J'en ai conclu que les sénateurs sont très indépendants, certainement plus que les députés.
À la page sept, le tableau 2 indique que le taux de dissidence des sénateurs, soit le nombre de fois où les sénateurs ont voté contre la position de leur caucus. J'ai tenté de déterminer si les sénateurs dont le mandat est de huit ans seraient moins enclins à s'écarter de la ligne du parti que les sénateurs dont le mandat est plus long. Autrement dit, acquiert-on de l'indépendance quand on sait qu'on est au Sénat pour une longue période? J'ai été étonné de constater que la différence entre les sénateurs dont le mandat est de courte durée et ceux dont le mandat est plus long est moindre que celle à laquelle je m'attendais. Il y a, en fait, un petit groupe de sénateurs qui sont à la Chambre haute depuis longtemps qui votent fréquemment contre la position de leur parti, mais il y a aussi un nombre considérable de sénateurs qui y sont depuis peu qui font de même. Quand on ajoute à cela le taux d'abstention, on constate que le taux de dissidence entre les sénateurs qui sont au Sénat depuis longtemps et ceux qui y sont depuis peu est semblable.
À cet égard, j'ai été quelque peu soulagé de constater que la philosophie de la Chambre haute est transmise des sénateurs chevronnés aux nouveaux sénateurs. Je crois donc que le changement envisagé n'influera pas beaucoup sur l'indépendance des sénateurs, car il semble évident que les sénateurs qui sont à ce poste depuis peu votent de façon relativement indépendante, tout comme leurs collègues sénateurs depuis longtemps.
J'ai néanmoins une préoccupation concernant la mandat renouvelable. La possibilité que le premier ministre détermine quel sénateur pourrait voir son mandat renouvelé soulève de sérieuses questions quant à la façon dont voteront les sénateurs qui souhaitent voir leur mandat renouvelé. À cet égard, j'estime que la possibilité de renouveler le mandat pourrait nuire à l'indépendance des sénateurs lors des mises aux voix.
En conclusion, je vous recommande d'apporter les amendements suivants au projet de loi S-4. Je propose de conserver l'âge de retraite obligatoire à 75 ans pour tous les sénateurs. La durée du mandat devrait être de 12 ans plutôt que de huit. Cela donnera aux sénateurs le temps de s'intégrer plus pleinement et cela facilitera une intégration graduelle des nouveaux sénateurs. Je recommande aussi fortement de ne pas prévoir des mandats renouvelables.
Roger Gibbins, président et chef de la direction, Fondation Canada West : Merci de m'avoir invité. D'emblée, je tiens à ce que vous sachiez que je ne suis pas un juriste. J'ai une formation en sciences politiques. Toutefois, je participe au débat sur la réforme du Sénat depuis presque trente ans, et j'ai parfois l'impression que ma carrière a en fait duré plus longtemps.
Pour ne pas prendre trop de temps, je vous résume mon mémoire. Je n'entrerai pas dans les détails de ce qui motive la réforme du Sénat. Je m'excuse aussi tout de suite, je ne mâcherai pas mes mots. Je vous avoue que je suis parfois à bout de patience. Le pays fait du surplace dans ce dossier, il me semble, et parfois j'aimerais bien qu'on avance un peu avant ma mort ou celle de mes enfants. Honnêtement, je suis souvent très pessimiste à ce sujet.
Sur cette note réjouissante, permettez-moi d'aborder le projet de loi S-4. Je traiterai d'abord de la constitutionnalité de la mesure législative. Je ne suis pas expert de ce domaine, et je serai donc bref. M. Newman, dans le témoignage qu'il a présenté plus tôt aujourd'hui, m'a convaincu du droit constitutionnel qu'a le Parlement d'agir en la matière. Il y aura des objections constitutionnelles, mais elles se fonderont davantage sur des arguments politiques que juridiques. On tentera peut-être même de persuader les provinces de faire obstacle à tout progrès au chapitre de la réforme constitutionnelle. C'est compréhensible mais tout aussi regrettable.
Deuxièmement, ce qui est important dans le projet de loi S-4, c'est qu'il montre qu'une réforme progressive du Sénat est possible. Depuis des années, on dit aux Canadiens que la réforme du Sénat, si souhaitable qu'elle puisse être, doit être abordée de façon globale et non graduelle, qu'une réforme globale nécessite une réforme de la Constitution, que la réforme de la Constitution est impossible et que, par conséquent, la réforme du Sénat l'est tout autant. C'est un argument circulaire.
Bref, le mieux est l'ennemi du bien. On nous dit qu'il faut écarter toute réforme graduelle, si modeste soit-elle, par crainte que cela ne nous entraîne sur le terrain glissant de la réforme de la Constitution.
Cette argumentation a permis aux opposants de la réforme du Sénat de se présenter comme des partisans de cette réforme qui arrivent à contrecœur à la conclusion que toute action est impossible. C'est aussi une argumentation qui va à l'encontre de l'expérience américaine et même de notre propre expérience, puisque nous avons imposé un âge de retraite obligatoire aux sénateurs.
Je suis convaincu que les changements modestes apportés aujourd'hui nous donneront de meilleures chances de mobiliser la volonté politique voulue pour nous attaquer ultérieurement à des changements plus sérieux. Si nous commençons à remettre en cause, à compromettre le statu quo, nous mettrons en place la dynamique politique qui nous permettra de faire avancer le processus.
Force est de reconnaître que le projet de loi S-4 n'est qu'un modeste début. Il ne crée pas un Sénat élu, bien qu'à mon sens, ce soit ce qu'il envisage. Il ne modifie pas la répartition régionale des sièges, pas plus qu'il ne règle les relations complexes entre le Sénat et la Chambre des communes. Néanmoins, c'est un point de départ important qui devrait bénéficier de la faveur populaire et qui ne devrait pas susciter l'opposition des gouvernements provinciaux.
Quelques mots sur le mandat de huit ans : je trouve que cette proposition est appropriée. Elle est à peu près conforme au cycle de direction que l'on trouve couramment dans les sociétés privées, les organismes à but non lucratif et le monde universitaire; elle devrait être compatible avec les cheminements de carrière des personnalités nouvellement nommées au Sénat, auxquelles elle permet de gagner leur vitesse de croisière sans toutefois leur donner le temps de se laisser aller par la suite. Je ne peux que supposer que ce mandat de huit ans va revigorer le Sénat à l'avantage de tous les Canadiens.
J'ai signalé cet après-midi qu'on pouvait parfaitement concevoir qu'à la Chambre haute, le mandat soit trois fois plus long qu'à la Chambre basse. J'ai fait un rapide calcul pour la période commençant en 1965, aux premières élections auxquelles j'ai participé comme électeur. La durée moyenne du mandat à la Chambre des communes est de 3,1 ans. Cette durée multipliée par trois donne un mandat de neuf ans et trois mois pour les sénateurs.
Cependant, je ne saurais trop insister sur mon indifférence quant au choix entre des durées de huit, neuf ou dix ans. On peut parfaitement tirer au sort. La question ne nous semble pas particulièrement importante. Peut-être l'a-t-on déjà tranchée. Je ne pense pas que les Canadiens prennent les rues d'assaut pour exiger dix ans plutôt que huit, ni qu'ils dressent des barricades pour obtenir neuf ans plutôt que sept.
Si le projet de loi S-4 réussit à amorcer la réforme du Sénat, quelles en seront les étapes ultérieures? Ici, on se heurte à un problème de taille, car à mon avis, il n'existe aucun modèle acceptable de ce que devrait être le Sénat réformé. On a proposé des modèles de toutes sortes, et le modèle dominant du Sénat Triple-E est à la fois incomplet et désuet avant même d'avoir servi. Nous avons trop consacré nos énergies intellectuelles à empêcher la réforme du Sénat, au détriment d'une réflexion sur les caractéristiques fondamentales d'un Sénat réformé.
Par exemple, s'il est admis que le Sénat réformé devra être élu, nous n'avons pas travaillé sur les modalités de l'élection. Nous n'avons pas trouvé de formule de représentation régionale qui tienne bien compte de la complexité de la division régionale du Canada et des caractéristiques de la population, qui varient considérablement d'une province à l'autre. Nous n'avons pas prévu l'intégration des territoires dans un Sénat réformé ni les modalités d'une représentation non territoriale qui permettrait au Sénat de refléter l'évolution démographique du pays ainsi que la répartition géographique de sa population. En résumé, on ne sait pas où on s'en va.
Certains diront qu'il serait plus prudent de cesser toute action, y compris sur le projet de loi S-4, tant que notre destination ne sera pas connue. Pourtant, l'expérience montre que les Canadiens ne commenceront pas à aborder ces importantes questions tant que le train de la réforme du Sénat n'aura pas quitté la gare. Si nous ne profitons pas de l'élan créé par le projet de loi S-4, il ne se passera rien. Il faut stimuler la pensée créative, et c'est ce que fait le projet de loi S-4.
Et voilà qui m'amène à la conclusion et à l'élément crucial de mon argumentation, à savoir le rôle que devrait jouer le Sénat du Canada dans le débat sur sa réforme enclenché par le projet de loi S-4. En résumé, deux possibilités s'offrent à nous.
Premièrement, le Sénat pourrait diriger le débat en faisant état de sa grande expérience et de l'énergie créative de ses membres. J'affirme même qu'il ne saurait y avoir de meilleur thème dans le débat sur la réforme que le Sénat proprement dit. Les sénateurs devraient être à l'avant-garde des changements qui surviendront aussi sûrement au Canada qu'ils vont survenir à la Chambre des lords britannique.
Deuxièmement, le Sénat peut également continuer à livrer une bataille d'arrière-garde contre la réforme. S'il adopte cette stratégie défensive et finalement futile, le débat sur sa réforme va se dérouler en dehors de son enceinte et les sénateurs vont y assister, au lieu d'y participer activement en faisant preuve de créativité.
Vous avez donc le choix. L'action du Sénat sur le projet de loi S-4 va envoyer aux Canadiens un signal important quant à vos intentions. Je vous remercie de m'avoir permis de m'exprimer et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Gibbins. Nous allons maintenant écouter l'exposé de M. Magnet.
Joseph Magnet, professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité. C'est toujours un plaisir et un privilège de comparaître devant vous pour essayer de vous venir en aide.
On m'a demandé de me prononcer sur la validité constitutionnelle du projet de loi S-4, en précisant en particulier si l'article 44 de la Loi constitutionnelle permet une mesure législative fédérale qui modifierait l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour abolir la limite d'âge des sénateurs fixée à 75 ans et pour leur imposer un mandat d'une durée de huit ans.
Au moment de donner l'avis que vous avez sollicité, je me suis demandé comment un tribunal aborderait cette question s'il en était saisi. Je pense qu'il envisagerait deux questionnements essentiels.
Tout d'abord, il appliquerait la méthode éprouvée de l'analyse constitutionnelle mentionnée dans de très nombreux arrêts de la Cour suprême du Canada. Il se demanderait quels sont l'objet, la substantifique moelle et les effets juridiques et pratiques de cet amendement.
Pour répondre à cette question, le tribunal examinerait les « travaux préparatoires » du projet de loi S-4, c'est-à-dire les délibérations politiques et juridiques sur le mandat des sénateurs. Il étudierait également le contexte plus vaste dans lequel ces délibérations se déroulent pour essayer de deviner l'objet de ce projet de loi.
Deuxièmement, le tribunal examinerait les pouvoirs conférés au Parlement pour en déterminer l'étendue. Il se demanderait si l'article 44 outrepasse les confins de l'ancien paragraphe 91(1) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, si l'article 44 confère de nouveaux pouvoirs au Parlement ou s'il reprend essentiellement la teneur du paragraphe 91(1), quitte à apporter des précisions sur les quatre thèmes mentionnés aux alinéas 42b) et c), à savoir essentiellement les pouvoirs du Sénat, les modalités de détermination du nombre des sénateurs, la répartition entre les provinces et les exigences de résidence.
Permettez-moi maintenant de tenter de répondre à la question de la validité constitutionnelle en me servant des mêmes méthodes qu'un tribunal, puisque ce sont sans doute ces méthodes qui seront ultimement invoquées pour trancher la question.
Pour ce qui est tout d'abord de l'objet du projet de loi S-4, cette mesure est un peu floue quant à sa finalité et à ses effets juridiques et pratiques. Dans une certaine mesure, ces attendus donnent une certaine idée de son objet. Ils font référence au principe démocratique. Ils tentent par ailleurs de fournir quelques indications — que je trouve personnellement bien utiles — du fait que le projet de loi S-4 reste dans les limites autorisées de l'ancien paragraphe 91(1). Autrement dit, les attendus indiquent qu'il s'agit de préserver les caractéristiques essentielles du Sénat en tant que lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive. Les attendus l'indiquent de façon spécifique. C'est une affirmation intéressante et utile, mais elle n'est pas prépondérante. Un tribunal en prendrait connaissance et pourrait décider qu'il est de son devoir de se renseigner sur le contexte qui a donné naissance à une conception aussi novatrice et disparate de la réforme du Sénat. Le tribunal trouverait un grand intérêt au deuxième attendu, qui affirme que le gouvernement du Canada explore des façons de permettre au Sénat de mieux répondre aux besoins des régions du Canada; c'est ce qu'on trouve dans le texte du projet de loi S-4. Les sénateurs savent mieux que moi qu'il s'agit là, avec la représentation régionale, de la difficulté essentielle de la réforme du Sénat. C'est le nœud du problème. Actuellement, les grandes provinces prédominent; les plus petites provinces, en particulier celles de l'Ouest, veulent être représentées davantage, tandis que les Maritimes sont peut-être surreprésentées. Toute réforme va faire des gagnants et des perdants. C'est pourquoi la réforme du Sénat a toujours constitué un véritable nœud gordien.
Évidemment, le projet de loi S-4 ne règle pas la question de la représentation régionale ni les revendications des provinces de l'Ouest, du moins pas directement. S'il le faisait, il irait bien au-delà des confins de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 et tomberait directement sous le coup de l'alinéa 42c).
Un tribunal saisi du problème chercherait à savoir si cette réforme parcellaire est entreprise parce que son objet ultime est de modifier la représentation régionale. Autrement dit, s'agit-il de la première étape de la remise en question des sujets énoncés à l'alinéa 42c)? Voilà la question essentielle. Pour y répondre, un tribunal s'arrêterait au deuxième attendu, qui semble indiquer que le projet de loi S-4 s'inscrit dans un projet plus vaste. D'après le libellé du deuxième attendu, le projet de loi vise à répondre aux besoins des régions du Canada.
Le tribunal s'intéresserait aussi à l'historique des revendications des provinces de l'Ouest, dont mon éminent collègue M. Gibbins s'est fait l'ardent défenseur. Ces provinces revendiquent une meilleure représentation. Le champion de la revendication des provinces de l'Ouest a été le précurseur de la coalition actuellement au pouvoir, à savoir le Parti réformiste.
Le tribunal ne manquerait pas de faire référence à l'éloquente intervention du premier ministre Harper devant le comité le 7 décembre 2006. M. Harper a affirmé que le gouvernement ne peut atteindre ses objectifs plus généraux d'imputabilité et de légitimité démocratique sans une certaine forme de processus électorale. Voici ce qu'il a déclaré à ce sujet :
Pour honorer l'engagement qu'il a pris de rendre le Sénat plus efficace et démocratique, le gouvernement présentera, de préférence cet automne, un projet de loi sur les élections sénatoriales.
Il affirme ainsi que le projet de loi S-4 fait partie d'un ensemble à venir. Tout cela devrait amener le tribunal à considérer le projet de loi S-4 comme un élément d'une démarche globale ayant pour objet et substantifique moelle de modifier progressivement la représentation régionale — tout d'abord en modifiant la durée du mandat; deuxièmement en imposant le processus électoral; et enfin, comme l'a dit le premier ministre Harper, en essayant de provoquer, probablement par le biais d'une modification constitutionnelle, un changement dans la représentation des provinces.
Il y a un autre élément important. Tous les sénateurs ici présents savent que le Sénat dispose d'un veto suspensif absolu sur le processus législatif fédéral. Ce veto est reconnu en droit constitutionnel. Certains, y compris peut-être parmi vous, considèrent que les subtilités politiques sont telles que le Sénat, qui dispose de ce pouvoir absolu, ne peut pas véritablement s'en servir et que les conventions constitutionnelles s'opposent au plein exercice d'un pouvoir dont le Sénat dispose officiellement en droit constitutionnel. On avance à cela plusieurs raisons, notamment le manque de légitimité démocratique et la convention constitutionnelle qui fait obstacle au plein exercice des pouvoirs du Sénat. Évidemment, une fois élu, le Sénat aura toujours son veto suspensif absolu en droit constitutionnel et il est probable que les conventions constitutionnelles évolueront de façon à légitimiser un exercice partiel, sinon total, des pouvoirs du Sénat.
Il est possible que dans ce contexte, le tribunal considère que dans le projet de loi S-4, l'intention du législateur est de modifier les caractéristiques fondamentales et essentielles du Sénat afin d'assurer une représentation régionale dans le processus législatif fédéral. C'est là le libellé du mandat de la Chambre haute, et le changement ne peut pas s'opérer dans le cadre de l'article 44. J'expliquerai tout à l'heure pourquoi.
Nous sommes ici au niveau de la convention constitutionnelle, mais c'est à ce niveau que les pouvoirs constitutionnels formels s'engrènent avec les pouvoirs politiques opérationnels. Un changement peut être lourd de conséquences. Le tribunal pourrait craindre que ce changement n'aille à l'encontre de l'objet qu'il attribue au projet de loi S-4 et qui est la pierre de touche de sa validité constitutionnelle.
Mon dernier argument concerne la portée de l'article 44 et l'étendue des pouvoirs qu'il confère. Certains pourraient prétendre que si tels sont bien les changements envisagés et l'objet du projet de loi, ils sont conformes à l'article 44. Dans le Renvoi concernant la Chambre haute, la Cour suprême du Canada a indiqué que certaines formes de modification de la durée du mandat, y compris la modification de 1965 prévoyant la retraite obligatoire, n'ont pas modifié le caractère fondamental du Sénat et sont donc constitutionnellement valides. La Cour suprême a laissé entendre par implication que d'autres formes de modification de la durée du mandat altéreraient le caractère fondamental de l'institution, et elle a donc refusé de répondre à la question qui lui était posée sur la durée du mandat, en déclarant : « Non, il faut tout d'abord voir le libellé exact des changements proposés. » La Cour a fait remarquer que toute réduction supplémentaire par rapport à la retraite obligatoire en remplacement du mandat à vie risque de faire obstacle au fonctionnement du Sénat en tant que lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive.
Les sénateurs ont entendu plusieurs témoignages sur l'article 44. Le professeur Peter Hogg est venu s'exprimer devant le comité. Il a déclaré :
Il me semble que la meilleure façon d'interpréter ce qui s'est produit en 1982 est de dire que le processus l'a emporté sur le Renvoi relatif à la Chambre haute. En d'autres mots, le processus de modification de 1982 précise maintenant explicitement les domaines où le Parlement du Canada ne peut pas apporter des changements unilatéralement au Sénat, soit les quatre questions prévues à l'article 42 dont j'ai parlé précédemment. Les autres aspects du Sénat peuvent être modifiés en vertu de l'article 44.
M. Hogg est un éminent constitutionnaliste de grande réputation, et un bon ami à moi. Son opinion mérite toujours le plus grand respect. J'ai pris soigneusement connaissance de celle qu'il a émise à ce sujet et sauf le respect qui lui est dû, je suis en désaccord avec lui. L'objet même du projet de loi de rapatriement était de laisser les choses en l'état, sauf à rapatrier la Constitution en y ajoutant la Charte des droits et libertés ainsi qu'un mode de révision de la Constitution. Le rapatriement évitait spécifiquement d'étendre les pouvoirs du Parlement. L'article 31 de la Loi constitutionnelle de 1982 indique expressément l'intention du législateur : « La présente charte n'élargit pas les compétences législatives de quelque organisme ou autorité que ce soit ». Cette intention s'applique par hypothèse à l'article 44 qui, bien que ne figurant pas dans la charte, comporte des notes marginales indiquant clairement l'absence de tout changement.
Il en découle que la portée de l'article 44 n'est pas plus vaste que celle de l'ancien paragraphe 91(1). À mon avis, l'article 44 ne saurait justifier une mesure législative qui modifierait les caractéristiques fondamentales ou essentielles du Sénat. Contrairement à certaines opinions formulées à l'intention des sénateurs, je considère que pour un tribunal qui verrait dans le projet de loi S-4 une première étape en direction d'une modification de ces caractéristiques fondamentales, ce projet de loi ne serait pas nécessairement conforme à l'article 44, qui ne confère au Parlement aucun pouvoir supplémentaire pour modifier les caractéristiques essentielles du Sénat, sauf sur les quatre sujets énoncés aux alinéas 42b) et c).
En conclusion, j'estime que le projet de loi S-4 risque de ne pas survivre à un contrôle quant à sa constitutionnalité. Je n'affirme pas qu'il n'y survivrait pas. Je dis simplement qu'il risque de ne pas y survivre, et je ne peux pas apporter davantage de précisions.
J'espère que ces commentaires seront utiles aux membres du comité. Ils s'accompagnent de mes remerciements pour l'invitation et le privilège qu'on me fait en me permettant de tenter de me rendre utile.
Le président : Merci pour cet exposé très stimulant.
Le sénateur Milne : Je vais commencer en m'adressant à vous, monsieur Heard, car vous et moi sommes d'accord sur l'essentiel de l'objet de ce projet de loi.
S'il est adopté en limitant à huit ans la durée du mandat et que l'on commence à nommer au Sénat des parlementaires qui auront un mandat de huit ans, vos tableaux nous indiquent que la plupart d'entre eux devront quitter le Sénat avant d'avoir atteint des postes de direction. Est-ce bien exact?
M. Heard : Oui, du moins pendant les premières années.
Le sénateur Milne : C'est exact. C'est un changement progressif. Si certains s'attendent à des changements immédiats et miraculeux au Sénat, ils n'en verront pas. Ce n'est pas ce qui va se produire.
Pensez-vous qu'un mandat de 12 ans permettrait aux sénateurs d'accéder plus rapidement à des postes de direction?
M. Heard : Je ne pense pas qu'un mandat de 12 ans leur permette d'accéder plus rapidement à des postes de direction, mais il leur permettrait d'y accéder dès la première vague de nouveaux sénateurs. À mon avis, c'est bien conforme à la réalité de la Chambre haute qui a besoin de temps, non seulement pour ses travaux, mais également pour traiter de ces questions. L'un des avantages d'un mandat plus long, c'est qu'il permet sur les banquettes du Sénat la présence de personnes qui ont 10 années d'expérience parlementaire, plutôt que quatre ou cinq années seulement.
Le sénateur Milne : C'est tout à fait conforme à mon expérience du Sénat. Il faut bien cinq ans pour découvrir ce qui se passe véritablement ici. Le Sénat comporte toute une culture. On y trouve une hiérarchie tacite, et l'on ne découvre le mode de fonctionnement de l'endroit et tout ce qui s'y passe qu'au bout d'un certain temps. C'est l'une des raisons pour lesquelles ce mandat de huit ans me semble très difficile à accepter.
Monsieur Gibbins, vous avez déclaré que votre point de vue sur la réforme du Sénat n'a pas changé depuis 30 ans et qu'il est bien connu. Vous avez dit que le projet de loi S-4 était un mécanisme transitoire qui devait être considéré comme tel. Êtes-vous toujours de cet avis? S'agit-il d'une première étape?
M. Gibbins : Oui, bien que je sois profondément perturbé par les commentaires de mon collègue, car il semble indiquer que si le projet de loi était envisagé dans cette optique par les tribunaux, ces derniers mettraient un terme au débat sur la réforme du Sénat.
Le sénateur Milne : Vous m'amenez à ma question suivante.
M. Gibbins : Et cela aurait de graves conséquences pour l'ensemble du pays. Je suis très perturbé par les propos de mon collègue.
Le sénateur Milne : L'un des problèmes que me pose cette conception étapiste, c'est que la dernière étape en matière de modification du mandat des sénateurs ou en matière de réforme du Sénat de façon plus générale, remonte à 1965. C'était il y a plus de 40 ans.
Si le projet de loi S-4 est adopté, et qu'il ne s'agisse que d'une première étape, nous risquons de nous retrouver coincés pendant longtemps. Comme l'a dit le sénateur Fraser au dernier groupe de témoins, je pense qu'il s'agit de la première étape d'une longue procédure. Il n'est pas censé déterminer notre sort pendant très longtemps. C'est un projet de loi à court terme. Et c'est bien là le problème.
J'en reviens constamment à ce mandat de huit ans qui figure dans le projet de loi. Un sénateur a indiqué au dernier groupe de témoins que dans les circonscriptions, les directeurs de scrutin ont un mandat de dix ans. Quelle logique permet de concevoir qu'un directeur de scrutin dans une circonscription ait un mandat plus long qu'un sénateur qui devra se charger de gouverner ce pays et de décider des lois qui vont régir le sort de tous les Canadiens?
M. Gibbins : Vous suscitez dans mon esprit une question extrêmement importante. Nous devons, ou du moins vous devez envisager ce qui se produira si le projet de loi S-4 est non pas la première étape, mais la dernière. Si l'on attend encore 40 ans — et aucun d'entre nous ne sera là pour le voir — pour qu'intervienne la deuxième étape, est-ce qu'on ne risque pas de porter préjudice au Sénat dans l'intervalle? Est-ce qu'on ne va pas nuire à son efficacité?
Je ne suis pas aussi convaincu que vous qu'un mandat de huit ans, éventuellement renouvelable — mon idée n'est pas encore faite — soit nécessairement préjudiciable au Sénat et nous mette dans une situation moins enviable que si c'était la seule mesure prise. Au regard de la loi, c'est bien la question qu'il faut se poser : s'agit-il de la première étape, et si c'est la dernière, où cela nous mène-t-il?
En ce qui concerne la comparaison entre les mandats des directeurs de scrutin et des sénateurs, je ne suis pas convaincu que cette comparaison s'impose. On pourrait se contenter de dire que ceux qui ont fixé la durée du mandat des directeurs de scrutin se sont trompés, même si leur intention était de garantir une certaine indépendance politique. C'est important. L'indépendance politique, à mon avis, n'est pas aussi indispensable au Sénat qu'elle peut l'être dans le cas des directeurs de scrutin. Le Sénat est une institution beaucoup plus partisane que ne le sont les directeurs de scrutin, du moins à mon avis.
Le sénateur Milne : Oui, en théorie.
Monsieur Magnet, j'ai trouvé intéressant que vous alliez chercher la substantifique moelle de ce projet de loi. Votre désaccord avec M. Hogg me semble encourageant. Vous pensez que l'avis des tribunaux serait bien celui qu'a évoqué M. Gibbins, à savoir qu'il s'agit d'une première étape dans une procédure visant à modifier la nature fondamentale du Sénat, et que le projet de loi serait donc jugé anticonstitutionnel.
M. Magnet : Je pense que c'est ce qui risque de se produire. Je me permets de signaler, en toute modestie, que dans son ouvrage, M. Hogg semble être en désaccord avec lui-même.
Le sénateur Bryden : C'est ce que j'allais vous citer.
M. Magnet : Voici ce qu'il dit dans son ouvrage, dans l'édition non reliée, à propos de l'alinéa 4.7b) :
L'article 44 remplace le paragraphe 91(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce paragraphe, qui est abrogé par la Loi constitutionnelle de 1982, donnait au Parlement fédéral le pouvoir de modifier la « Constitution du Canada », expression non définie à laquelle la Cour suprême du Canada a toutefois donné un sens très restreint. Il y avait d'importantes exceptions à la règle qui étaient exprimées au paragraphe 91(1) lui-même. En fin de compte, la portée de l'article 44 est semblable à celle de l'ancien paragraphe 91(1).
C'est l'opinion qu'il exprime dans son ouvrage, et qui est jugée digne de foi.
Le président : Et c'est aussi l'opinion que vous formulez ici ce soir.
M. Magnet : Et c'est aussi mon opinion.
M. Joyal : Monsieur Heard, il y a un autre élément important qui, à mon avis, mérite considération. J'ai trouvé vos statistiques très intéressantes. Nous devrions prêter attention à la perspective d'une autre carrière après un mandat de sénateur.
À mon avis, c'est là un élément très important dans la définition — et je vais revenir ensuite à M. Magnet — où on lit ceci :
Attendu que le Parlement entend préserver les caractéristiques essentielles du Sénat, lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive au sein de la démocratie parlementaire canadienne; [...]
L'une des caractéristiques essentielles du Sénat, c'est qu'en pratique, les sénateurs restant en fonction jusqu'à l'âge de 75 ans, il y a très peu de cas où l'on voit un sénateur renoncer à son siège pour se présenter à la Chambre des communes ou pour exercer une autre profession. L'âge de la retraite est fixé à 75 ans, mais des démissions surviennent parfois. Le sénateur Fortier a déjà annoncé qu'il n'était ici que de passage. Nous avons connu le cas du sénateur Boudreau il y a environ sept ans. C'est donc l'exception et non la règle.
Du côté de la Chambre des communes, la perspective de carrière fait partie intégrante du processus électoral. J'étais jeune lorsque j'y ai été élu, et je l'ai quittée à l'âge de 39 ans. Évidemment, j'ai fait une autre carrière.
Au Sénat, j'en suis plus ou moins à la fin de mes activités professionnelles. Dans une certaine mesure, cette situation a des conséquences sur la façon dont je me comporte en tant que sénateur. Je n'ai pas l'intention de me porter candidat à la Chambre des communes quand j'aurai 75 ans. Je pourrais le faire, mais ce serait sans doute l'exception dans l'histoire du Canada. On n'a jamais vu une situation pareille.
Pour moi, la perspective de carrière est un élément important de l'indépendance de l'institution. Le fait que je ne mise sur rien d'autre m'évite d'avoir à servir d'autres ambitions. Si on limite la durée du mandat, les partis politiques ne pourront résister à la tentation de nommer des sénateurs à un âge tel qu'au bout de huit ans, ils seront mûrs pour revenir à la Chambre des communes, et le Sénat deviendra une pépinière de futurs députés. Le système est fondé sur l'ambition. On aurait tort de le nier. La carrière politique est caractérisée par l'ambition, qui fait marcher tout le système.
À mon avis, c'est là un élément fondamental pour ce qui est de la durée du mandat. Pourtant, on en parle rarement. J'en ai rarement entendu parler, parce que d'après la présentation du projet de loi, il s'agit d'insuffler des idées nouvelles au Sénat, de moderniser l'institution et de provoquer une sorte de roulement. On a l'impression qu'il va y avoir un roulement, comme si le taux actuel de remplacement au Sénat n'était pas suffisamment rapide, comme si nous étions trop nombreux à rester trop longtemps au Sénat.
Comme le dirait M. Magnet, la substantifique moelle de ce projet de loi va créer un mouvement au sein de l'institution. Elle est trop stable actuellement. Je considère que dès qu'on entend créer un tel mouvement, on déclenche un modèle différent. On ne travaille plus à l'intérieur des paramètres de l'institution actuelle.
J'estime que si nous voulons fixer la durée du mandat, il faut prendre cet élément en sérieuse considération.
M. Heard : Vous avez parlé d'une question importante. Je sais qu'on en a discuté à la Chambre elle-même. Il s'agit de la façon dont le Sénat a été créé, dans quel but, et de ce qu'il fait actuellement.
À mon avis, le Sénat existe comme lieu de mûre réflexion, réflexion que permettent une certaine indépendance d'esprit et une mine d'expérience. Les postes de sénateurs sont considérés comme couronnant une carrière et c'est à juste titre, dans bien des cas. La valeur du Sénat tient au fait que les sénateurs y arrivent à la fin de leur carrière, après avoir fait toutes sortes de choses, dans divers domaines.
Je suis moins optimiste que M. Gibbins et je pense qu'un mandat de huit ans n'encouragerait pas davantage de gens à devenir sénateurs. Je pense que cela encouragerait des personnes plus âgées à devenir sénateur. Avec un mandat de huit ans, les candidats de 50 ans, ou dans la cinquantaine y réfléchiraient à deux fois. Cela mettrait fin à nombre de carrières. Que pouvez-vous faire à la fin de la soixantaine, quand c'est la fin de votre carrière?
Je suis pour un mandat plus long, en raison du rôle du Sénat comme bassin de personnes d'expérience qui peuvent procéder au deuxième examen de questions d'affaires publiques. Je crains que des mandats plus courts nuisent à cet objectif, en créant plus de roulement, en suscitant davantage de candidats ayant moins d'expérience et en encourageant des gens à y venir plus tard dans leur vie.
Le sénateur Joyal : Monsieur Gibbins, si je vous ai bien compris, les manœuvres politiques entourant ce projet de loi vous fatiguent. Ne serait-il pas plus sage pour le gouvernement de renvoyer la question à la Cour suprême, et après six ou huit mois, ou un an tout au plus, nous aurions une décision finale et nous pourrions passer à autre chose?
Si vous, monsieur Newman et les autres témoins que nous avons entendus cet après-midi en êtes si sûrs, et si le gouvernement est convaincu de la constitutionnalité du projet de loi, croyant satisfaire aux critères du renvoi à la Cour suprême si on se fonde sur la déclaration de M. Hogg, ne devrait-il pas alors s'adresser directement au tribunal et en finir, puisqu'il s'agit de processus législatif. Nous ne pouvons pas changer quelque chose de fondamental dans le processus législatif, pour découvrir un an plus tard que c'était inconstitutionnel, n'est-ce pas? Ce serait bien plus grave, du point de vue du résultat, que d'attendre huit ou dix mois une décision de la Cour suprême.
M. Gibbins : Je me remets à peine des déclarations de M. Magnet, parce qu'il a soulevé des doutes dan mon esprit au sujet de la constitutionnalité du projet de loi, doutes que je n'avais pas plus tôt aujourd'hui. Il a présenté des arguments convaincants : si la cour estime qu'il s'agit d'une première étape, elle rejettera la mesure. C'est du moins la conclusion que je vois.
Si ce message est bien compris et a du sens, et j'ai trouvé cela assez convaincant aujourd'hui, ce serait une bonne idée de renvoyer la question à la Cour suprême. Mais plus essentiel encore, c'est inviter la Cour suprême à mettre un terme au processus.
Je suis décontenancé. Je ne sais pas très bien quoi faire parce que j'ai toujours cru qu'une certaine réforme du Sénat était nécessaire pour renforcer les liens entre les Canadiens et leur Parlement national, et je crains les conséquences, si ce débat était ajourné sans qu'un autre gouvernement veuille y toucher avant une ou deux générations.
Je suis déchiré. Je dois dire que les questions soulevées ce soir en ont soulevé aussi d'importantes dans mon esprit quant à la constitutionnalité de ce que nous faisons et même si cela me chagrine, je trouve ces arguments assez convaincants.
Le sénateur Joyal : On peut aussi enterrer cette question et dire que nous présumons que c'est constitutionnel. Passons. Mais n'importe qui pourra contester la chose devant les tribunaux, dès demain. M. Magnet pourrait le faire, ou moi-même, qui m'intéresse à la question à titre de sénateur, et dire que cela a changé quelque chose de fondamental et que je crois fermement que c'est inconstitutionnel. Tôt au tard, s'il y a des doutes sérieux à propos de cette mesure législative, de la portée de l'article 44, ce dont on parle essentiellement, il y aura une contestation judiciaire.
Comme vous le dites, ne serait-il pas plus sage de concevoir une réforme qui réponde aux critères énoncés par la cour dans le renvoi sur le Sénat? Autrement dit, le Parlement peut changer le mandat des sénateurs, mais il doit le faire d'une manière qui réponde aux critères de la cour. On pourrait alors aller de l'avant sans que le processus soit pour toujours affaibli. À mon avis, c'est une solution à envisager sérieusement, au lieu de précipiter l'adoption de ce projet de loi et d'agir comme s'il était constitutionnel alors qu'en réalité, sous sa forme actuelle, il soulève quelques objections.
Aujourd'hui, les propos des témoins du Bureau du Conseil privé et du ministère de la Justice m'ont troublé. Ils nous ont dit : « Le gouvernement est ouvert. Si le mandat de huit ans ne vous plaît pas, vous pouvez le changer, si vous n'aimez pas que le mandat soit renouvelable, changez-le également. » Normalement, les fonctionnaires viennent nous dire : « Tout va bien, tout est vérifié. C'est constitutionnel. » S'il y a des doutes dans leur esprit, pourquoi ne pas nous présenter un projet de loi exempt de tout doute, sur le fond? Je suis toujours sceptique quand des fonctionnaires du ministère de la Justice me disent : « Si tel article du projet de loi ne vous plaît pas, modifiez-le. » Habituellement, ils défendent avec ardeur chaque mot, chaque virgule.
Le président : Ce ne sont pas les fonctionnaires qui ont dit ca, mais le premier ministre, lorsqu'il a lui-même comparu devant le comité spécial.
Le sénateur Joyal : Je le sais, mais ils nous invitaient à rouvrir le projet de loi. Je crois qu'il y a là un problème. Pour satisfaire votre préoccupation, n'est-ce pas la solution que l'on devrait envisager?
M. Gibbins : Je ne veux pas prêter des propos à mon collègue, mais il a soulevé une question qui pourrait écarter cette solution, de même que celle du projet de loi S-4. Si je comprends bien son argument, si un projet de loi est perçu comme étant une étape en vue d'un objectif plus vaste, il relève alors du processus de modification qui inclut les provinces.
D'après son argument, le Parlement, soit la Chambre des communes ou le Sénat, est incapable d'agir puisque toute démarche sera perçue comme une première étape vers un objectif. J'en déduis que les questions relatives à la réforme du Sénat sont exclues de l'examen parlementaire et ne peuvent être traitées que dans le cadre du processus de modification constitutionnel, et doivent par conséquent être adressées aux provinces, excluant le Sénat, de même que la Chambre des communes, à bien des égards. Je pense que c'est la logique invoquée, et cela me chagrine beaucoup. On ne peut plus faire marche arrière. Le gouvernement affirme qu'il s'agit d'une première étape. On ne revient plus là-dessus. On ne peut pas exclure cela du nouveau projet de loi. Je pense que nous nous sommes mis dans une situation très délicate.
Le sénateur Bryden : Quand le projet de loi a été déposé, le leader du gouvernement au Sénat a déclaré qu'il s'agissait d'une première étape importante en vue d'une réforme plus importante du Sénat. Je me suis rappelé une citation d'un autre sénateur, trouvée dans Protéger la démocratie canadienne. Le sénateur Michael Pitfield, qui a été six ans greffier du Conseil privé et sénateur pendant 20 ans, a déclaré :
En matière de réforme constitutionnelle, il faut garder à l'esprit que le premier pas n'est presque jamais le dernier. Au contraire, le premier déclenche un processus d'évolution en général très rapide au début et ralentissant peu à peu. Si l'on se concentre uniquement sur l'évolution et non sur les conséquences à plus long terme, on risque erreurs et chaos.
En plus d'écouter les témoignages que nous recevons, il nous faut réfléchir à la légitimité de cette première étape, en vertu de notre Constitution. D'autres premières étapes pourraient probablement être abordées, au lieu de celle-ci. Pourquoi accepter une première étape qui sera déclarée inconstitutionnelle ou va-t-on courir le risque?
Monsieur Gibbins, je sais que ce qui vous intéresse, c'est qu'il se passe quelque chose, n'importe quoi. Peu vous importe de quoi il s'agit, il faut commencer la réforme du Sénat. Vous avez dit que c'était un argument que vous aviez toujours hésité à présenter en public. Vous avez dit cela dans une entrevue avec Johns Geddes, pour le magazine Maclean's. Vous avez ajouté que la seule façon d'obtenir une réforme plus globale, c'était de déstabiliser la situation actuelle, pour que les Canadiens en viennent à se dire qu'il faut nettoyer ce gâchis.
Je ne sais pas s'il s'agit pour vous d'une déstabilisation ou d'une radicalisation. Peu m'importe, j'ai moi-même à l'occasion déranger bien des ordres établis. J'aimerais toutefois croire, dans ce cas-ci, que cette première étape ait une chance d'être acceptable. Dans d'autres situations, nous avons vu ce gouvernement juger qu'il était préférable de dire ou de faire quelque chose, même en courant à l'échec ou au rejet par les tribunaux, que de ne rien faire. Tout le monde savait que la Loi sur le contrôle des armes à feu ne serait pas adoptée à la Chambre, mais le projet de loi a été déposé. Tout en déclarant ne pas vouloir recourir à la disposition de dérogation, le gouvernement soutenait pouvoir modifier les règles sur le mariage homosexuel.
Je ne voudrais pas que nous nous lancions sur la même voie. Je préfère que nous prenions notre temps, sachant que nous sommes vraiment sur la bonne voie.
Les propos de M. Gibbins sont peut-être pessimistes, et peut-être êtes-vous étonné d'apprendre que M. Magnet n'arrivait pas du tout à la même conclusion que vous, mais il n'est pas le seul. Il y a des gens qui l'appuieraient — et je signale que je ne l'avais même pas rencontré — et il y en a d'autres, qui pensent autrement. Il y en a eu aujourd'hui et il y en aura demain.
Êtes-vous toujours d'avis qu'il est préférable de faire quelque chose, n'importe quoi, au sujet du Sénat, plutôt que rien du tout, même si ce n'est peut-être pas valide?
M. Gibbins : Je vais donner une courte réponse à une question difficile. Je suis vraiment déchiré, à ce sujet. Je voudrais que les Canadiens suivent cette première étape en ayant une idée des étapes à venir, une idée de l'objectif, une idée de ce que serait un Sénat réformé, à long terme.
C'est ce que je voudrais vraiment voir. Je maintiens que si nous ne pouvons entamer ce processus, si nous ne trouvons pas une première étape, nous ne ferons jamais rien. Ainsi, si le projet de loi S-4 n'est pas adopté, s'il est déclaré inconstitutionnel ou quoi que ce soit, l'organisme que je dirige ne réfléchirait plus à la réforme du Sénat parce que ce serait dès lors inutile.
Je suis déchiré. Je trouve irresponsable de dire que nous devons nous lancer dans cette entreprise, sans savoir quel en est l'objectif, mais je n'aime certainement pas non plus l'autre solution, qui est de ne rien faire. S'il y avait un mécanisme pour stimuler la réflexion sur ces étapes, si c'était possible et s'il y avait une volonté ferme d'agir, je pense qu'on aurait une issue. Mais je suis consterné, et déchiré.
Le sénateur Bryden : Je le comprends et je participerais volontiers à une discussion sur une autre façon de lancer le processus.
Dans votre mémoire, et ailleurs, vous avez dit que votre réflexion sur la réforme du Sénat avait évolué au fil des ans, de même que les raisons de sa nécessité. L'un de vos principaux arguments pour le maintien d'un Sénat renouvelé, sain et robuste, je crois, c'est que c'était le seul contrepoids aux pouvoirs du premier ministre et du reste de l'exécutif, n'est- ce pas?
M. Gibbins : C'est certainement un contrôle important, en effet.
Le sénateur Bryden : De plus grands experts que moi ont dit, comme je le crois, que le projet de loi S-4 affaiblit la position du Sénat, en renforçant les pouvoirs du premier ministre qui jongle avec l'idée d'un Sénat élu. Nous aurons peut-être un jour un Sénat élu, mais cela prendra beaucoup de temps, et il faudra procéder de manière ouverte, parce que les provinces n'accepteront pas que cela se fasse sournoisement. Il y a déjà un grand nombre de vacances au Sénat, par rapport à l'effectif total. Le Yukon n'est pas représenté dans notre chambre.
Si l'élection des sénateurs ne devient pas rapidement une réalité, ayant raté cet essai, le premier ministre voudra nommer des sénateurs pour des mandats renouvelables de huit ans, pour combler les vacances, comme il en a le devoir.
La Chambre des communes ne fait pas contrepoids au pouvoir exécutif, puisque l'avenir politique des députés dépend de la volonté du gouvernement, s'ils sont du parti ministériel, ou de leurs dirigeants, s'ils sont de l'opposition.
L'indépendance du Sénat est assurée par sa capacité de rejeter des projets de loi sans crainte, de manière désintéressée. Nous nous sommes servis de ce pouvoir, et recommencerons au besoin. Nous modifions certainement des projets de loi, et les renvoyons pour qu'ils soient améliorés. Si le Sénat perd ses pouvoirs parce que le premier ministre en poste a le même contrôle sur les sénateurs nommés pour des mandats de huit ans que sur les députés élus pour des mandats fixes, il n'y a plus de contrepoids et notre régime deviendra une dictature démocratique.
Je voudrais savoir si les témoins acceptent cette idée.
M. Magnet : Je suis ici pour vous donner mon avis sur la validité constitutionnelle et je ne pense pas pouvoir ajouter grand-chose à vos éloquents propos, sénateur Bryden.
M. Heard : Je pense que dans l'ensemble, les mandats renouvelables de huit ans constituent un problème. Surtout en raison de l'aspect renouvelable. Si la culture actuelle du Sénat est maintenue, les sénateurs nommés pour huit ans seraient tout aussi indépendants que les sénateurs actuels. D'après les comptes rendus de votes au Sénat, on voit que les sénateurs nommés pour huit ans et moins sont plutôt indépendants.
Je crains que cette indépendance ne soit compromise par un changement aux règles sur le renouvellement; les sénateurs voudraient paraître « renouvelables » aux yeux du premier ministre. Cela nuirait à leur indépendance.
Je pense qu'un court mandat de huit ans affaiblirait le travail du Sénat lorsqu'il s'agit d'étudier des questions d'intérêt national et de revoir des mesures législatives, sans toutefois nuire à l'indépendance des sénateurs.
Le sénateur Bryden : Il y a toute une différence entre une nomination pour huit ans et une nomination jusqu'à l'âge de 75 ans. Du jour où je suis nommé au Sénat jusqu'à mon 75e anniversaire, je suis tout à fait indépendant et sûr de mon poste. Les statistiques montreront, je crois, l'effet de cela. L'indépendance n'est pas acquise à la fin du mandat, à 75 ans, mais dès le premier jour. Quatre ou cinq ans seulement après mon arrivée au Sénat, j'ai voté contre le premier ministre qui m'avait nommé.
M. Gibbins : Je crois qu'il est parfaitement légitime, et probablement conseillé, que votre comité envisage le projet de loi S-4 comme la seule étape, et non la première étape. Il faudra ensuite vous demander, si c'est la seule étape, si elle affaiblit le Sénat, en tant qu'institution? Je pense que c'est une question légitime.
Le président : Un projet de loi a déjà été déposé à la Chambre des communes, sur une forme d'élection des sénateurs : ce n'est donc pas seulement la première étape.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur Magnet, j'ai trouvé votre témoignage troublant, mais pas de la même façon que M. Gibbins. Il semble que vous ayez examiné le préambule, puis le projet de loi, avant de réfléchir à un ensemble de lois à venir. J'essaie de m'écarter du point de vue strictement juridique. Il me semble qu'une loi est indépendante. D'après la Loi sur l'interprétation, il faut considérer le texte d'une loi et se demander s'il est constitutionnel. Si on ne peut pas le déterminer à cette étape, on peut ensuite chercher du côté du préambule et d'autres facteurs.
Nous dites-vous qu'à la lecture des articles du projet de loi, vous en êtes venu à la conclusion qu'il était ou non inconstitutionnel? Quel est le risque? Chaque loi comporte un risque, parce qu'elle peut faire l'objet d'une interprétation judiciaire. Si les juges ne peuvent arriver à une décision en étudiant seulement le texte de la loi, ils peuvent examiner le préambule ou le contexte, étudier les Débats du Sénat ou de la Chambre des communes, et tous autres facteurs susceptibles de faciliter leur interprétation de la loi.
Ce n'est pas ce qui me fait peur. Chaque gouvernement annonce une politique générale, une stratégie nationale concernant la santé, les enfants ou les femmes. Le gouvernement annonce des séries de lois qui serviront à mettre en oeuvre cette politique générale. On pourra dire que le projet de loi S-4 est le premier d'une série de 12 lois, qui mèneront aux résultats visés ultimement par le gouvernement. Chaque gouvernement ne peut faire adopter tous ses projets de loi et il en résulte que les lois sont autonomes, surtout en droit criminel. Beaucoup de programmes gouvernementaux prévoyaient de faire A, B, C et D pour lutter contre les stupéfiants ou modifier la détermination de la peine, le fait que la première mesure soit adoptée mais pas les autres ne rend pas la première inopérante. Je ne comprends donc pas que vous estimiez que la réforme du Sénat, la réforme démocratique ou la réforme parlementaire puissent ultérieurement menacer la constitutionnalité et la validité du projet de loi S-4. Cela ne cadre pas avec ce que j'ai appris en droit. Ce n'est pas ainsi que les tribunaux ont interprété les lois et cette particularité me frappe. Qu'est-ce qu'il y a de si particulier dans cette mesure, par rapport à toutes les autres?
M. Magnet : Il y a deux ou trois arguments à faire valoir à ce sujet. Il faut regarder toutes les dispositions d'une loi, puis son préambule, puis son contexte pour l'interpréter correctement, dans le sens de l'interprétation des lois. Pour la caractérisation constitutionnelle, il ne convient toutefois pas de contester la validité constitutionnelle d'une loi. C'est une autre question. Pour contester la constitutionnalité d'une loi, il faut en évaluer le contexte constitutionnel pour en discerner l'objet et l'objectif, le fonds, et les effets juridiques et pratiques. C'est ce que disent tous les précédents constitutionnels. Les grands précédents constitutionnels ont montré la voie. C'est mon premier argument. Il ne s'agit pas ici d'interpréter une loi pénale.
Deuxièmement, divers sénateurs ont déjà soulevé cet argument. Le fait que ce soit la première étape, avant d'autres, n'est pas une proposition générale d'interprétation constitutionnelle. Autrement dit, c'est du projet de loi S-4 que vous êtes saisis. Quelle est la caractérisation du projet de loi S-4? J'ai défendu au moins 200 dossiers constitutionnels. Le constitutionnaliste dira d'abord : Quelle est la preuve, que prouverais-je en cour, quand je contesterai ceci? Je me suis posé cette question en vue de ma comparution ici aujourd'hui. Quelle est la preuve se rapportant au projet de loi S-4? Qu'est-ce qu'on en a dit? Ce n'est pas une proposition de nature générale. Bien entendu, il y a le compte rendu des comités. Le premier ministre est venu témoigner. Il s'agit d'un projet de loi dont est saisi le Parlement. Peut-on vraiment dire, à la lumière de la preuve présentée par un plaideur, qu'il ne s'agit pas d'une première étape? Je présume que c'est une question que vous devez vous poser. Si d'après les faits, ce n'est pas une première étape mais un projet de loi autonome, peu importe la suite, cela a certainement un effet sur la caractérisation constitutionnelle.
Je regarde le dossier mais je n'ai pas de mémoire sur le projet de loi S-4. Mon collègue a consacré beaucoup de temps à son exposé. Je suis simplement venu ici conseiller les sénateurs membres du comité. Je n'ai pas d'avis sur le bien fondé du projet de loi S-4 ni sur l'opportunité de l'adopter. Je dis simplement : Comment déterminerez-vous la question que vous m'avez posée? Je pense qu'un tribunal examinera les preuves.
Comme l'a si bien dit le sénateur Joyal, c'est déjà dans le compte rendu du comité. Les propos du premier ministre y figurent déjà. Monsieur Gibbins a des réserves parce que le premier ministre a dit que c'était une première étape. Il serait difficile de le contester devant un tribunal, comme question de caractérisation constitutionnelle.
Pour moi, c'est un risque. Je ne dis pas que le projet de loi est inconstitutionnel. Mon collègue s'est peut-être donné plus de mal qu'il ne fallait. Ce n'est pas ce que je dis. Je vous dis quelle est la méthode, comment cela fonctionne. J'espère vous aider en vous faisant voir qu'un tribunal saisi de cette cause conclurait qu'il y a un risque substantiel et concret que le projet de loi ne réponde pas au critère de la caractérisation constitutionnelle. Le critère doit être adapté : il faut qu'il s'agisse bien d'une question relevant de l'article 44. Pour l'étape suivante, je me suis exprimé. Pour moi, l'article 44 a une portée trop étroite pour y inclure cette question, comme certains l'ont dit.
J'espère vous avoir aidé, madame le sénateur.
Le sénateur Andreychuk : C'est utile, mais revenons au projet de loi déposé à la Chambre des communes. Il pourrait ne pas être adopté et ne jamais entrer en vigueur. Ce projet de loi-ci a bien du mérite, pour bien des raisons, à mon avis. Premièrement, il pourrait faire partie d'une réforme démocratique. Je ne présume pas qu'il y aura d'autres réformes démocratiques. Je regarde ce projet de loi en me demandant s'il a du mérite, par lui-même. C'est ainsi que je le vois. Vous me rassurez en disant qu'il n'est pas nécessairement inconstitutionnel parce qu'il y aurait d'autres réformes démocratiques. Vous dites que c'est peut-être l'un des risques, mais qu'il pourrait être jugé constitutionnel par lui- même, faute de savoir ce que fera ce Parlement ou le gouvernement. Nous savons quelles sont ses intentions, mais il reste à voir si elles sont réalisables.
M. Magnet : Le pivot de la validité constitutionnelle du projet de loi est son objet. C'en est la pièce maîtresse. En cherchant l'objet du projet de loi, il est difficile de ne pas aborder ces autres considérations puisque ses partisans y ont associé ces autres questions, qu'elles se concrétisent ou non. L'objet est au cœur même de la validité constitutionnelle. Si l'objet figure dans le projet de loi S-4, même si aucun de ces autres projets ne se concrétise, ou même s'ils sont proposés mais non adoptés, il reste que l'objet est dans le projet de loi S-4. C'est l'objet du projet de loi S-4 qui en détermine la validité constitutionnelle et c'est ce que les preuves doivent déterminer.
Le sénateur Andreychuk : Dites-vous que l'objet de la loi dépasse la régénération du Sénat?
M. Magnet : Je demande de quel fait dispose un avocat qui veut contester ou défendre le projet de loi S-4. De quelle preuve dispose-t-il? La preuve se trouve manifestement dans toutes ces audiences. Un avocat rassemblerait tout cela, pour présenter l'objet. Le premier ministre a dit que l'objet était au bout du compte de démanteler cette institution et en dernier ressort de modifier la représentation régionale. Un avocat d'avis contraire dira qu'il n'y a rien au sujet de la représentation régionale dans le projet de loi S-4 qui se concentre uniquement sur le mandat et que c'est sur cette question uniquement que doit porter le débat. Dans le cadre du débat, je dis qu'il y a vraiment un risque que le tribunal dise d'où vient ce débat, quel en est l'origine, d'où sont venus les précurseurs de la coalition au pouvoir. Le tribunal pourrait dire que c'est une question de représentation régionale. Il ne s'agit pas seulement de la durée du mandat, mais de représentation régionale, au bout du compte. Voilà quel est le risque. Un tribunal pourrait aussi en juger autrement. Certains juges fermeront les yeux. Ils diront que le projet de loi S-4 est acceptable. Voilà quel est le risque.
Le sénateur Andreychuk : Vous semblez supposer que la représentation régionale détruit d'une certaine façon le Sénat. Je ne suis pas du tout d'accord avec vous, mais ce sera l'objet d'un autre débat.
M. Magnet : Je n'ai pas d'opinion sur le bien-fondé de changer le Sénat. Je ne suis pas compétent en la matière. Mon ami, M. Gibbins, est beaucoup mieux placé que moi pour cela.
Le sénateur Andreychuk : Ma prochaine question s'adresse à M. Heard et aux autres.
Beaucoup ont fait valoir que le Sénat représente une mémoire collective précieuse. Je ne sous-estime pas la valeur de cette mémoire, mais je ne pense pas que ce soit la seule raison pour laquelle notre Sénat est différent de l'autre Chambre. Ce second examen objectif permet une mémoire collective. Nous avons beaucoup parlé de mémoire collective, mais nous avons aussi parlé du fait que le Sénat représente les Canadiens comme la Chambre n'a jamais pu le faire. Nous avons parlé d'enrichir le Sénat de femmes, de nouvelles idées et de nouveaux Canadiens, qui n'ont pas forcément une vaste expérience de notre système politique.
En fait, on a souvent parlé de notre caractère nouveau. Certains sénateurs ont quelque chose de rafraîchissant, parce qu'ils arrivent ici sans aucune expérience politique mais avec toutes leurs compétences. Nous regardons plutôt leurs points forts.. On ne catégorise pas la « richesse de leurs expériences ».
J'ai l'impression que dans ce débat, on a trop insisté sur la mémoire collective, au détriment de la capacité du Sénat à représenter les minorités, les femmes, à formuler de nouvelles idées. Cela m'amène à la question du mandat de huit ans.
Huit années peuvent engendrer beaucoup d'idées nouvelles, dans une société diverse. Nous avons beaucoup parlé du fait que les gens peuvent arriver ici et y rester jusqu'à leurs vieux jours. Les sénateurs peuvent aussi choisir de servir le public d'une autre façon et passer à autre chose.
Cela dit, j'aimerais parler de vos statistiques. Vous dites que lorsqu'une personne est nommée pour la première fois, elle ne semble pas prendre du galon ni en leadership, ni en ancienneté. Avez-vous tenu compte du fait que si vous savez que vous êtes nommé à 50 ans et que vous siégerez jusqu'à 75, vous avez du temps devant vous. Alors, pourquoi vous battre avec vos collègues, qui disent qu'ils étaient là avant vous? L'ancienneté ne fait-elle pas partie de tous les emplois? Il faut toujours céder la place à celui qui est arrivé avant vous, n'est-ce pas?
Avez-vous tenu compte de cela? Comme nous sommes ici pendant plus longtemps, nous n'avons pas le même appétit pour l'avancement. En d'autres mots, nous cédons la place, car nous savons que notre tour viendra.
M. Heard : Il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu. Je suis sûr que ce dont vous avez parlé en fait partie.
Cependant, si l'on regarde l'âge des sénateurs lorsqu'ils sont nommés, on s'aperçoit qu'il a augmenté depuis 10 ou 20 ans. Beaucoup de sénateurs, lorsqu'ils arrivent au Sénat, sont âgés entre 65 et 70 ans et ils ne peuvent pas dire qu'ils seront là pendant les 15 prochaines années. Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte.
Je ne pense pas que l'on puisse dire que les sénateurs acceptent d'être à l'arrière-plan parce qu'ils sont plus jeunes à leur nomination et que les sénateurs plus anciens sont plus avides de leadership. Cela dépend de la personnalité de chacun.
J'aimerais revenir à votre question sur la nouveauté, la fraîcheur, ainsi que sur la mémoire institutionnelle. Il y a plusieurs choses à dire.
La mémoire institutionnelle est distincte du bassin d'expériences. La mémoire institutionnelle, c'est la réflexion sur le fonctionnement du Sénat. Quelle est sa raison d'être? C'est important.
L'autre aspect, c'est l'expérience professionnelle et personnelle que chaque sénateur apporte au Sénat. Je ne fais pas de distinction entre le besoin de nommer des jeunes sénateurs et le besoin de nommer des femmes, des membres des Premières nations ou de tout autre groupe. Je pense que le Sénat, en tant qu'assemblée nommée, offre un degré de représentation remarquable. Cependant, je n'accepte pas l'argument selon lequel la fraîcheur et le renouveau passent forcément par la nomination de sénateurs jeunes, ce que je crois avoir décelé dans votre question.
Le sénateur Andreychuk : Non. J'essayais plutôt de réfuter la croyance selon laquelle les sénateurs ont tous cette grande expérience et apportent une contribution à cette institution parce qu'ils sont plus âgés et raisonnables. Ce que j'essayais de dire, c'est que vous avez peut-être beaucoup de choses à apporter au pays, même si vous venez d'une génération différente et que vous n'avez pas toute cette expérience.
M. Heard : C'est exact.
Le sénateur Andreychuk : Quand on étudie un projet de loi, plus précisément un projet de loi sur le système de justice juvénile, c'est difficile, à 60 ans de se souvenir de ses 18 ans. Cela pourrait être profitable d'avoir quelqu'un de 40 ans, qui est plus proche de la génération que l'on essaie d'aider.
M. Heard : Vous avez mis le doigt sur quelque chose d'important. La fraîcheur provient du contraste. Quelle serait l'approche, la culture et la capacité de cette institution, si tout le monde avait 40 ans? L'assemblée serait fort différente si les sénateurs étaient nommés à 30 ou 40 ans. À mon avis, ce n'est pas le genre d'assemblée qui doit jouer le rôle qu'on attend d'elle dans notre système.
On peut obtenir cette « fraîcheur » en nommant des sénateurs plus jeunes émanant de différents milieux, mais je ne crois pas qu'un Sénat composé uniquement de cette catégorie de la société soit forcément ce que l'on recherche.
Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas non plus forcément la chambre que l'on obtiendrait.
M. Heard : C'est exact.
Le sénateur Andreychuk : Selon vos statistiques, les sénateurs votent avec une certaine indépendance.
Avez-vous tenu compte des abstentions ou des absences, qui sont un facteur important également? Avez-vous également établi un lien entre la façon de voter d'un sénateur et le fait d'être dans la majorité au Sénat, ou le fait que le gouvernement soit majoritaire ou minoritaire?
En d'autres mots, je pense qu'il est plus facile de voter contre votre propre parti si l'incidence de ce vote est minime parce que votre parti est majoritaire. De la même façon, votre absence n'aura pas d'influence sur le rejet d'un projet de loi ou l'adoption d'un amendement.
Je me souviens que lorsque j'ai été nommé au Sénat, une voix pouvait tout changer dans un vote, ce qui est bien différent d'aujourd'hui, alors que nous sommes 22 en face d'une opposition très forte.
Je ne sais pas si vous avez tenu compte de la majorité et de la minorité au Sénat, et de la différence du nombre de sièges entre les deux.
M. Heard : L'indépendance du vote vis-à-vis de la position du caucus change selon les circonstances et la taille du parti.
Il est clair qu'entre 2001 et 2005, le caucus libéral a connu un taux de dissension beaucoup plus important que le caucus conservateur. Cela peut être attribué à plusieurs facteurs, le plus important étant la taille du caucus. C'est plus facile de se rebeller quand vos collègues sont nombreux pour assurer le fonctionnement du parti. Dans un caucus plus restreint, les votes ont plus d'importance.
La question de la culture de chaque caucus joue aussi un rôle dans ce phénomène. Par exemple, les libéraux peuvent avoir une culture d'indépendance, et ils peuvent avoir une relation différente vis-à-vis du caucus élu, par rapport aux conservateurs.
Dans le cadre de mon étude, j'ai aussi examiné la période de succession du leadership au Parti libéral. Certaines divisions du vote sont sans doute liées aux conflits internes du Parti libéral, à l'époque. Il y a toutes sortes de facteurs qui entrent en jeu.
Mon argument principal est que les sénateurs, pour quelque raison que ce soit, ont quand même tendance à être plus dissidents que les députés à la Chambre des communes.
Le sénateur Andreychuk : Nous siégeons à ce comité depuis longtemps et nous avons souvent dit que le gouvernement vient parfois — et le sénateur Joyal s'en souviendra — nous dire : c'est ça ou rien.
Je trouve agréable de pouvoir examiner ce projet de loi, et d'avoir la possibilité de fournir notre rétroaction au gouvernement. Je considère cet échange comme quelque chose de positif. Ça a l'air de vous inquiéter. Pas moi. C'est plutôt une occasion qui ne m'a pas été offerte très souvent.
Le sénateur Joyal : C'est un travail en cours.
Le sénateur Fraser : Le temps passe. Nous vous avons gardé plus longtemps et nous vous garderons encore un peu.
Cela dit, j'ai eu la possibilité, au comité spécial, de poser des questions à MM. Heard et Gibbins, et je ne vais pas le faire aujourd'hui, même si votre témoignage était au moins aussi intéressant que la première fois. Cependant, je n'ai pas eu la chance de m'adresser à vous, monsieur Magnet.
Je suis d'accord — et pas juste parce qu'on nous l'a dit — pour dire que la nature de ce projet de loi est visiblement une première étape vers un Sénat élu. À mon avis, le projet de loi n'a d'intérêt que dans le cadre d'un Sénat élu. Des mandats renouvelables de huit ans sont tout à fait logiques dans le système électoral. Je suis de ceux qui estiment que pour une assemblée nommée, de tels mandats sont discutables. Votre dernier raisonnement juridique m'a beaucoup intéressé. Il a confirmé ma réaction spontanée, qui n'est pas celle d'un avocat.
Par conséquent, comme l'a suggéré M. Gibbins, je pense qu'il faut chercher à déterminer si ce projet de loi est profitable au Sénat, même si aucun autre changement n'est adopté par la suite. Je crois que, quel que soit le changement que nous adoptons maintenant, nous allons devoir vivre avec pendant un bon moment — peut-être pas 40 ans, monsieur Gibbins, mais assez longtemps — parce qu'un Sénat élu n'arrivera pas sans des négociations très, très, très compliquées.
En 1965, en vertu du paragraphe (1) de l'article 91, le Parlement a pu changer la durée du mandat des sénateurs, donc il pourrait encore changer la durée du mandat des sénateurs élus. Alors, voici ma question : Que peut-on changer au projet de loi pour diminuer le risque dont vous avez parlé? J'ai demandé à beaucoup de témoins à quel moment les choses devenaient inacceptables sur le plan constitutionnel. Par exemple, si l'on amende le projet de loi pour qu'il prévoit un mandat de 15 ans non renouvelable, pensez-vous que l'on diminue le risque, aux yeux de la Cour suprême du Canada, ou est-ce que c'est encore un terrain miné? Vous voyez où je veux en venir?
M. Magnet : Oui, je vois. Je crois que la question constitutionnelle est sous-jacente et qu'on n'y changera rien. Un mandat de 15 ans posera quand même un problème constitutionnel. Si 15 ans plutôt que 8 permettaient réellement de changer la durée du mandat...
Le sénateur Fraser : Quarante-cinq ans.
M. Magnet : Jusqu'à l'âge de 75 ans pour adopter des mandats de 15 ans, cela diminuerait évidemment le risque. Il y aurait toujours des avocats en droit constitutionnel qui diraient : « Oh, non. Regardez cet échange entre le sénateur Fraser et le professeur Magnet. Regardez ce qu'ils essayent de faire. » Vous entendriez toujours ce genre de choses et bien évidemment, le contexte constitutionnel, dans une certaine mesure, est immuable.
Une façon intéressante de voir si cela fonctionne est de préciser ce qui fait peut-être déjà partie des intentions du gouvernement. Évidemment, je ne suis pas dans le secret des Dieux, mais peut-être que le gouvernement pense qu'après avoir déstabilisé le système avec des mandats de huit ans puis avec des élections, le terrain sera plus propice et les gens diront « Il faut vraiment s'occuper de cette question », ou « Il faut ouvrir la Constitution et régler cette question. » C'est peut-être le plan du gouvernement, à mon avis, et peut-être que cela fonctionnera.
Si c'était l'intention du gouvernement, s'il disait : « Nous avons l'intention de proposer un amendement constitutionnel un jour mais le projet de loi S-4 n'est pas constitutionnel. Nous faisons simplement ce que la Cour suprême du Canada nous a permis de faire, soit de jouer avec les mandats. Nous avons notre petite idée sur ce que l'on peut faire avec les élections. Nous le ferons également. Nous ne savons pas ce qui découlera de cet exercice. Cela créera sans doute une certaine énergie politique et si cette énergie ressemble à celle qu'on a connue dans le passé, alors que l'Ontario était prête à abandonner quelques sièges, alors nous essaierons de rouvrir la Constitution et de l'amender pour régler les griefs de l'Ouest. Nous savons qu'il y a quelques différends au Québec, mais ceux-ci ont été traités dans le passé et nous espérons que cela peut être répété. Nous nous engageons à rouvrir la Constitution. Pour l'instant, les mesures législatives du gouvernement sont des précurseurs qui peuvent être déstabilisants, mais ils n'impliquent pas de rouvrir la Constitution. À mon avis, ce programme pourrait échouer, car il est risqué. Il fournit des munitions aux avocats potentiels. Ça n'est pas la première étape vers un amendement constitutionnel. Cet amendement viendra. Alors, les avocats s'adresseront aux tribunaux, preuve à l'appui, ils choisiront le moment opportun pour un débat sur un amendement constitutionnel, et l'amendement sera adopté ou refusé tout seul. Ce sont des amendements déstabilisants et ils sont valables ou non parce que dans la situation actuelle, le pouvoir législatif fédéral, à notre avis, n'est pas sain.
C'est l'argument. Les tribunaux pourraient étudier un tel amendement et peut-être l'approuver. Il y a toujours le risque qu'ils le rejettent. Je ne dis pas qu'on nous cache quelque chose, mais si le gouvernement a l'intention de rouvrir la Constitution, est-ce que cela permet de limiter les risques? Peut-être. Cela donne certainement aux avocats plus de munitions pour contester un tel amendement. J'espère que mon intervention vous a été utile.
Le sénateur Fraser : Merci. Elle a été très utile.
Si quelqu'un était assez idiot pour me consulter dans ce débat, laissez-moi vous dire, aux fins du procès-verbal, comme je l'ai dit par le passé, que cela fait quelque temps que je suis pour les mandats à durée déterminée, mais il reste à savoir quelle devrait être la durée desdits mandats. Le problème que j'ai avec le reste du plan du gouvernement, c'est la nature du processus électoral. Je crois que le projet de loi, sous sa forme actuelle, ne permet aucun espoir, il ne sera pas facile de l'adopter sans trancher le nœud Gordien de la représentation régionale, comme nous l'avons récemment observé à la Chambre.
Le sénateur Hays : Monsieur Magnet, j'ai écouté attentivement votre intervention. Je n'ai peut-être pas compris tout votre argument, même si j'ai une formation d'avocat. Vous dites que les tribunaux pourraient, comme ils l'ont fait pour le renvoi, utiliser l'interprétation fondée sur l'objet visé lorsqu'ils devront se prononcer sur l'amendement, et que le projet de loi S-4 est beaucoup plus qu'un amendement à l'article 44. C'est aussi un amendement en vertu de l'article 42 et de l'alinéa 42c), mais vous parliez sans doute de l'alinéa 42(1)b). Il s'agit de la disposition de la Constitution selon laquelle il faut respecter l'article 38 pour proposer un amendement à la méthode de sélection des sénateurs. Ai-je bien compris votre argument? Le nombre de sénateurs auxquels ont droit les provinces pour les représenter figure à l'alinéa c).
M. Magnet : Je faisais référence aux alinéas b) et c), sénateur.
Le sénateur Hays : Très bien. À l'exception du préambule, le projet de loi S-4 va plus loin que les règlements établis pour son application, ce qui veut dire que c'est un amendement à l'article 42, qui exige de répondre au critère de l'article 38 avant tout.
J'ai plusieurs choses à dire. La preuve de mon argument est le projet de loi C-43 de la Chambre, qui consiste à créer un processus consultatif. Le mot « élection » n'apparaît pas dans le projet de loi. Il n'ira sans doute nulle part, mais on peut s'interroger sur sa constitutionnalité, dans la mesure où il vise à faire indirectement ce qui ne peut être fait directement.
Les tribunaux pourront en tenir compte. Le projet S-4 peut être une étape du programme du gouvernement du jour, mais il n'ira nulle part, car l'étape suivante échouera. Pensez-vous que les tribunaux iront aussi loin?
M. Magnet : Je suis tout à fait d'accord, sénateur, pour dire que le projet de loi C-43 et le projet de loi S-4 seront étudiés conjointement par un tribunal. Cette idée d'un appareil consultatif n'a rien de nouveau. Cela s'est déjà produit avec la situation en Alberta.
C'est assez intéressant. Après l'échec de Charlottetown, les amendements à la Constitution ont été effectués sur le plan administratif. En d'autres mots, il fallait une loi du Parlement pour que le fédéral puisse utiliser son veto. D'autres changements administratifs ont été adoptés pour contourner la Constitution. C'est aussi l'objectif du projet de loi C-43.
Je ne me prononce pas sur ce projet de loi, mais j'ai écouté avec grand intérêt vos observations. Je suis d'accord pour dire que le projet de loi C-43 ferait partie de cette discussion. Qu'essaie de faire le gouvernement actuel? Il essaie de dénouer l'impasse qui existe au Sénat, pour le changer en fin de compte et pour régler les différends. Quels sont les différends? Ils n'ont rien de secret, il s'agit de la représentation régionale.
Quand on voit les choses de cette façon, on comprend le risque. Je pense également que les deux projets de loi seraient étudiés ensemble. J'espère que j'ai répondu à votre question.
Le sénateur Hays : Oui, mais j'ai une deuxième question. Ce que vous avez dit m'aide à mieux comprendre une question dont nous avons parlé au comité spécial, qui consiste à savoir si un gouvernement peut exclure le Sénat du processus de réforme en incluant la durée des mandats etc., dans un amendement constitutionnel qui relève clairement de l'article 42.
D'après ce que je vous ai entendu dire, votre argument essentiellement, c'est que l'article 44 est en fait l'article 42 de toute façon s'il est étudié avec la question des élections, et que ce serait donc possible. C'est une autre façon dont cette réforme pourrait se faire.
À mon avis, la meilleure façon de procéder à cette réforme, c'est de convaincre mes collègues, qui n'écoutent pas, que le Sénat devrait participer au processus. Peut-être que c'est parce que je viens de la région que représente Roger Gibbins, mais chaque fois que j'entends l'opinion des Canadiens, je remarque qu'ils sont favorables à un Sénat différent de notre Sénat actuel. Nous devrions participer. Le sénateur Andreychuk l'a bien présenté. Nous pourrions proposer un ensemble de mesures qui pourraient être acceptées.
Mon autre question porte sur le projet de loi S-4 lui-même, en supposant qu'il n'était pas touché par le projet de loi C-43. Comme Sigmund Freud le disait, parfois un cigare n'est qu'un cigare. Si S-4 n'était pas touché par ces autres éléments, à votre avis, s'agirait-il, oui ou non, d'un amendement à l'article 44, en supposant que le gouvernement n'était pas venu au comité présenter tous ces faits qui étayent votre argument?
M. Magnet : Je n'ai pas cherché à savoir si le changement de la durée du mandat jusqu'à l'âge de 75 ans à un mandat d'une durée fixe est une des préoccupations de la Cour suprême dans son renvoi sur la Chambre haute. La Cour suprême a dit : nous ne répondrons pas à la question des mandats avant de l'avoir sous les yeux. Un âge de retraite obligatoire pour remplacer le mandat à vie ne nous pose pas de problèmes. Ça va; mais on laisse entendre que certains autres changements pourraient nous poser un problème et nous ne répondrons à cette question que lorsque nous saurons exactement ce que vous voulez faire.
Si vous montrez le projet de loi S-4 à la Cour suprême et qu'il n'y avait pas de problème constitutionnel, ce qui, à mon avis, est impensable, parce qu'il existe toute une série de griefs, honnêtement, je ne sais pas ce qui se passerait. Il faudrait que je réfléchisse. En d'autres mots, je m'interrogerais sur ce que l'on cherche à faire. Cela a du sens. On aurait alors un Sénat américain dans une démocratie parlementaire. Pourquoi? Tant que j'étais convaincu que l'objectif de cette démarche n'était pas la représentation régionale, j'avais une étude intéressante. Je ne pense pas pouvoir vous donner une opinion éclairée pour l'instant.
Le sénateur Hays : Je ne vais pas poursuivre. À mon avis, le mandat de huit ans renouvelable n'est pas une bonne idée. Je dis publiquement comme beaucoup d'autres l'ont fait, qu'il vaudrait mieux instaurer un mandat plus long qui ne soit pas renouvelable. En fait, je crois que ce serait une bonne idée, mais ce ne serait pas le cas avec un mandat renouvelable de huit ans, pour les raisons qui ont déjà été exprimées.
M. Magnet : Je vous remercie de m'avoir fait part de votre pensée. Si vous me le permettez, j'ajouterais que je ne suis pas venu ici pour appuyer une réforme ou une autre. Je ne suis qu'un humble avocat en droit constitutionnel qui essaye de vous fournir des conseils en la matière.
Le sénateur Hays : J'essaye de comprendre du mieux que je peux comment, dans ce contexte fort intéressant, nous pouvons atteindre cet objectif important pour les Canadiens d'avoir le Sénat qu'ils désirent. Cela m'amène à ma prochaine question.
M. Gibbins a déclaré qu'on ne devrait pas s'engager dans un périple si nous ne savons pas où nous allons. C'est un bon argument. Par exemple, si le projet de loi S-4 est adopté, même s'il est amélioré, nous ne savons toujours pas où nous allons. Même si le projet de loi C-43 est adopté, et surtout s'il est adopté, alors, nous n'aurons pas réglé la question qui, pour beaucoup, est au cœur de la représentation régionale, c'est-à-dire la sous-représentation de certaines régions au Sénat.
J'aimerais avoir vos commentaires sur une approche progressive et j'aimerais savoir si, à votre avis, nous devrions connaître notre destination avant de nous embarquer dans ce périple et connaître les étapes à venir jusqu'à notre objectif ultime, plutôt que de fonctionner à l'aveuglette, à moins, comme le sénateur Bryden l'a dit, que nous ne préconisions une destruction créative. C'est un principe économique, je le sais.
Le président : Le chaos selon Pitfield.
M. Gibbins : J'adorerais pouvoir inspirer cette discussion nationale sur la destination éventuelle de notre voyage. Cependant, je crois qu'il nous faut un déclencheur. Ce sera peut-être le projet de loi de la Chambre, peut-être le S-4. Mais sans déclencheur, nous n'irons nulle part. C'est pourquoi j'ai toujours préconisé ce genre de destruction créative, quelle qu'elle soit, pour déstabiliser le statu quo et nous forcer ou nous préparer à nous poser des questions structurelles plus fondamentales.
Je préférerais que nous y arrivions d'une autre façon. D'après notre histoire constitutionnelle, ces changements n'auront lieu que s'ils sont imposés.
Le sénateur Hays : J'ai une dernière question pour M. Gibbins. Le gouvernement Blair avait une forte volonté politique de réformer la Chambre des lords, suite aux réformes de 1911 et 1949 qui portaient sur les pouvoirs des lords, tout comme les conventions qui ont été créées au Parlement de Westminster. Ces réformes ne portent pas sur un organe législatif qui a le pouvoir du Sénat canadien, puisqu'il est unique parmi les systèmes parlementaires inspirés de Westminster. Au Royaume-Uni, le déclencheur a été une commission royale présidée par lord Wakeham et citée abondamment par mes amis et par le sénateur Joyal. Il a dit qu'au cours de cette période, près de 16 livres blancs ont été rédigés pour mieux comprendre la question.
Pensez-vous que ce serait une bonne idée?
M. Gibbins : Les commissions royales qui ont réussi, et je crois que nous en avons connu quelques-unes, y compris la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, parmi d'autres, ont réussi parce que la classe politique avait le sentiment que la viabilité politique de notre pays était sérieusement en danger. Même la Commission royale sur les peuples autochtones répondait à un sentiment de crise, même s'il était moins fort. Au-delà de la commission royale, il faut un déclencheur. La commission royale est une solution, mais elle ne suffit pas.
J'imagine que le déclencheur le plus probable d'un examen approfondi d'une réforme du Sénat viendra d'une confrontation partisane entre un gouvernement majoritaire à la Chambre des communes et une autre majorité émanant d'un autre parti au Sénat sur une politique gouvernementale fondamentale. À mon avis, ce serait le genre de déclencheur démocratique qui déclencherait le mécanisme de la commission royale. Il faut passer par là. Si le gouvernement Harper, par exemple, disait aujourd'hui qu'il y aura une commission royale sur la réforme du Sénat, la plupart des Canadiens diraient : « Quel est le problème? Où est la crise? »
Je crois que nous n'en sommes pas encore là.
Le sénateur Hays : Monsieur Heard, j'ai une question très simple au sujet de l'âge limite. Vous avez exprimé votre préoccupation au sujet de l'élimination de la limite de 75 ans. Qu'en est-il du seuil de 30 ans pour devenir sénateur? À la Chambre des communes, il faut simplement avoir le droit de vote. Avez-vous un avis sur cette question?
M. Heard : Je ne suis ni pour ni contre, dans la mesure où les très jeunes députés sont plutôt l'exception. Il y a eu quelques députés de moins de 30 ans, mais très peu. Il serait inhabituel d'être nommé au Sénat avant 30 ans. Je ne pense pas que cela représente un obstacle à la participation au Sénat, ni un désavantage pour cette institution. Le fait d'exiger que les sénateurs aient 30 ans pour être nommés ne me pose pas de problème.
Le sénateur Hays : Mon temps est écoulé. Merci à tous. C'était fascinant.
Le président : J'ai une question pour M. Magnet. Vous avez parlé du pivot ou de l'objet du projet de loi. Les sénateurs Andreychuk et Hays vous ont déjà interrogé là-dessus.
J'ai été avocat plaidant pendant 36 ans et quand je regarde le projet de loi S-4, après ce que vous nous avez dit aujourd'hui, si je devais préparer un mémoire à présenter à la Cour suprême, je suivrais la formule que vous avez suggérée en considérant la substantive moelle. Je regarderais l'objet, le but, etc. puis je reviendrais au préambule et examinerais certains des points et sortirais certains des éléments du préambule relatif à ce que la Cour suprême a déjà déclaré dans des cas comme le renvoi à la Chambre haute. Comme vous le savez, dans ce renvoi, elle a utilisé des expressions comme caractéristiques essentielles. Est-ce que cet amendement va changer les caractéristiques essentielles du Sénat du Canada et ses éléments fondamentaux? Je regarderais le préambule et je verrais le premier attendu que. Il est question d'évolution. Je regarderais le no 6 et qu'est-ce que je trouve au no 6 : « Le Parlement du Canada entend préserver les caractéristiques essentielles du Sénat ».
Autrement dit, les légistes ont soigneusement utilisé les termes exacts de la Cour suprême afin que ce soit bien clair. Je crois que je dirais ainsi : c'est constitutionnel parce que c'est conforme aux normes et critères invoqués par la Cour suprême du Canada elle-même. Ce serait un de mes arguments.
Ma question est donc la suivante : qu'en penseriez-vous, constitutionnellement parlant, comme argument à présenter en cour?
M. Magnet : Les juges sont en général assez malins. Il est évident que la déclaration dans les attendus que qui reproduit exactement le libellé du renvoi à la Chambre haute inspirerait le respect, cela ne fait aucun doute. La cour ne considère pas ce que fait le Sénat ou la Chambre des communes avec suspicion. Mais bien avec respect et en toute déférence.
Dans l'affaire Morgentaler 1993, après que la Cour suprême ait invalidé les interdictions du Code criminel au sujet de l'avortement, la Nouvelle-Écosse s'est inquiétée. Le Dr Morgentaler a déclaré qu'il voulait ouvrir une clinique d'avortement autonome. La Nouvelle-Écosse a adopté une loi dans le but de préserver un système de santé de haute qualité à payeur unique pour tous les Néo-Écossais. Les hôpitaux, en vertu de l'article 92 de la Loi constitutionnelle, relèvent de la responsabilité exclusive des provinces. La Nouvelle-Écosse a déclaré qu'une liste de procédures désignées (chirurgie du genou, colonoscopie, médecine nucléaire et avortement) devaient toutes s'effectuer dans un hôpital afin de préserver ce système unique d'hôpitaux publics. C'était dans le texte même du projet de loi. La Cour suprême a déclaré que c'était intéressant mais que, considérant les archives, l'histoire constitutionnelle, le contexte et les déclarations des députés à la Chambre et dans les médias, ce qui les ennuyait en fait, c'était que Morgentaler vienne ouvrir une clinique autonome dans la province. Même s'ils disent que l'objet est de préserver les caractéristiques essentielles du Sénat et d'évoluer et de se conformer à toutes les autres choses constitutionnelles, la Cour suprême peut considérer autre chose. Non seulement peut-elle le faire mais elle se doit d'aller au-delà de l'histoire constitutionnelle pour déterminer ce qu'elle doit faire. C'est là l'objet du projet de loi.
Vous posez cette question intéressante dont on discute pas mal depuis un certain temps en matière constitutionnelle. Les légistes aiment bien présenter des projets de loi qui paraissent mieux qu'ils ne le sont et cela suscite certainement un certain respect. Un bon avocat de la défense comme vous-même s'y reporterait mais devrait également s'interroger sur les éléments de preuve et je crois que le risque demeurerait aussi.
Le sénateur Joyal : J'aurais une question à poser à M. Magnet. Vous avez répondu tout à l'heure au sénateur Oliver ainsi qu'à d'autres qu'il fallait considérer l'origine constitutionnelle de l'article 44. Vous avez déclaré qu'elle remplaçait le paragraphe 91(1) de la Constitution en vertu duquel avait été présenté l'amendement de 1965.
Lorsque fut rédigé l'article 44, j'étais coprésident du comité avec le sénateur Hays. J'ai présidé le débat sur cet article. Nous avions les trois décisions les plus récentes de la Cour suprême quant à la première proposition de rapatriement — le renvoi concernant le Sénat de 1980, le renvoi concernant le rapatriement et le renvoi concernant le droit de veto. La Cour suprême venait d'établir le contexte dans lequel le gouvernement fédéral et les provinces pouvaient décider de la voie à suivre pour le rapatriement.
Il était très clair pour tout le monde que si l'article 44 remplaçait le paragraphe 91(1) ce n'était pas pour donner au Parlement du Canada plus de pouvoirs qu'il n'en avait dans 91(1). Ce que la Cour suprême a déclaré dans le renvoi concernant le Sénat a été confirmé par les alinéas 42b) et c), qui portent sur la méthode de sélection des sénateurs, leurs pouvoirs et le nombre de sénateurs pour chaque province. La Cour suprême avait dit très clairement auparavant que le Sénat était la chambre fédérale et c'était le point essentiel du renvoi concernant le Sénat. Le Sénat est une chambre fédérale et il n'appartient pas au Parlement du Canada seul de le changer. Vous vous souvenez sans doute que le projet de loi C-60 qui faisait l'objet du renvoi concernant le Sénat, a tout changé au Sénat. Même le nom du Sénat.
Lorsque la Cour suprême a déclaré que le Sénat est une chambre fédérale, elle a déclaré que cette chambre comportait certaines caractéristiques essentielles. L'une d'entre elles était évidemment le caractère régional de cette chambre. Je cite cette décision :
... le mode de représentation régionale au Sénat était l'un des caractères essentiels de cet organisme lors de sa création. Sans lui, le caractère fondamental du Sénat en tant que partie du système fédéral canadien disparaît.
Ce qui est important, c'est qu'en l'absence d'un contexte factuel, il n'est pas possible de dire si un changement envisagé ainsi pourrait respecter ce caractère fondamental.
Lorsque nous examinons la constitutionalité du projet de loi S-4 en fonction de l'article 44 de la Constitution de 1982, il ne fait aucun doute que la Cour suprême considérerait l'histoire constitutionnelle de l'article 44 et le contexte factuel pour déterminer si les changements envisagés modifieraient le caractère fondamental du Sénat comme chambre fédérale qui assure un second examen objectif et indépendant au projet de loi.
C'est la clé de la question sur laquelle devrait se prononcer la cour. Quand vous dites que le projet de loi est distinct, même s'il dit être évalué ou compris comme tel, il sera évalué dans le contexte d'une chambre fédérale ayant un caractère spécial, à savoir une chambre régionale ayant intrinsèquement la capacité, comme l'a dit la Cour suprême, une chambre similaire en principe à celle de la Chambre des lords, au moment où fut créé le Sénat du Canada. Je cite le renvoi concernant la Chambre haute : « L'acte prévoit une constitution semblable, en principe, à celle du Royaume- Uni, où les membres de la Chambre des lords siègent à vie ».
La cour examinera ces paramètres et évaluera le projet de loi S-4 dans ce contexte — dans le contexte des paramètres précis qui ont déjà été définis.
M. Magnet : Sénateur, je dois vous remercier de m'avoir aidé à répondre à la question perceptive du sénateur Oliver. Je n'ai rien à ajouter à ce que vous venez de dire et je suis tout à fait d'accord avec vous. Je vous remercie également de m'avoir rappelé ce magnifique comité dont vous étiez coprésident et devant lequel j'ai eu le plaisir de comparaître à trois reprises. Ce fut une expérience merveilleuse, comme celle-ci d'ailleurs.
Je crois que vous et moi avons choisi intellectuellement la méthode constitutionnelle, et je crois que c'est ce que ferait une cour.
J'ajouterais peut-être une petite note à vos remarques en ce sens que vous examinez la signification de l'article 44. Celle-ci est intéressante. Ce que j'ai trouvé pour soutenir l'argument selon lequel l'article 44 reproduit le paragraphe 91(1), sauf pour les quatre questions mentionnées aux alinéas 42b) et c), sont les notes en marge du projet de résolution qui semblent bien préciser quelle était l'intention. Je conviens que cet article 44 n'a pas une portée plus large.
Autrement, je ne vois vraiment pas ce que je pourrais ajouter à vos propos éclairés.
Le sénateur Hays : J'aurais une question sur ce qu'a dit le sénateur Joyal à propos du préambule et du fait que la cour dans le renvoi concernant la Chambre haute ait répété qu'il s'agissait d'un corps législatif du type du Parlement de Westminster, soit la Chambre des lords. S'agirait-il de la Chambre des lords de 1867 ou la cour devrait-elle prendre en considération les changements apportés 140 ans plus tard à cette Chambre?
M. Magnet : Il y a un principe de croissance dans la Constitution et dans la structure institutionnelle. Le sénateur Joyal disait que la cour s'efforçait de préserver l'intégrité de l'unité juridique fédérale. Celle-ci doit être maintenue. Si le Royaume Uni veut abolir la Chambre des lords, il dispose de son propre mécanisme pour le faire et il n'est pas, comme le Canada, limité par sa Constitution. Je ne pense pas que cela aurait une influence.
Le défi de notre Constitution est de toujours préserver l'équilibre régional. C'est un grand défi lorsqu'il s'agit de gouverner ce pays parce que nous avons tant d'identités régionales, lesquelles sont fortes. Pour préserver une fédération, ces identités régionales doivent être respectées et la population doit avoir l'impression qu'elles sont respectées, et celles-ci ne s'appliquent pas simplement à la province du Québec. La nature régionale de l'unité juridique fédérale — l'équilibre dans notre fédération — est cruciale. La Cour suprême y a toujours été sensible et toute cour réfléchie y serait également sensible.
La durée du mandat peut changer d'un mandat à vie à une retraite obligatoire. Il peut changer d'autres façons mais cela n'a jamais encore été fait. Toutefois, si elle devait être changée pour modifier en quelque sorte l'équilibre régional de l'unité juridique fédérale, toutes les cours, à très juste titre, s'inquièteraient, comme l'a mentionné le sénateur Joyal, quant à son rôle face au gouvernement et quant au déficit démocratique. D'autre part, on s'inquiéterait de l'équilibre régional parce que c'est l'essence même de notre fédération et c'est ce qui préserve cette fédération et doit être préservé.
M. Heard : Certaines questions ont porté sur la relation entre l'article 44 et l'ancien paragraphe 91(1). J'aimerais faire quelques commentaires sur la raison pour laquelle j'ai changé d'avis à ce sujet. J'étais au début convaincu par l'argument présenté par MM. Hogg, Monahan et Coe, selon lequel l'article 44 devrait être considéré comme incluant une réaction à la décision de la cour dans le renvoi concernant le Sénat, et qu'il y avait là une tentative délibérée de dresser une liste des exceptions au pouvoir du Parlement en ce qui concerne les changements qu'il pouvait apporter au Sénat sur ces quatre points.
Je trouvais cela convaincant si l'on considérait simplement le Sénat, mais cela ne l'est plus si l'on considère les autres éléments de l'article 44. Le Parlement a le pouvoir de modifier la Constitution en ce qui touche la Chambre des communes et l'exécutif. Si nous repensons à l'ancien paragraphe 91(1), le Parlement ne pouvait pas prolonger une législature au-delà de cinq ans, sauf en cas d'insurrection, et cetera.
Ceci ne fait plus partie des exceptions au pouvoir du Parlement en ce qui concerne la Chambre des communes en vertu de l'article 44. Les seules exceptions en ce qui concerne la Chambre des communes sont le minimum de sénateurs et le principe de la représentation proportionnelle. Toutefois, si nous considérons la Charte des droits et libertés, l'article 3 stipule maintenant que :
Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales[...] »
Le paragraphe 4(1) :
Le mandat maximal de la Chambre des communes... est de cinq ans[...]
D'après l'article 50 de l'ancienne loi de 1867, le mandat maximal du Parlement était de cinq ans.
Littéralement, cela voudrait dire que les seules exceptions au pouvoir décrit à l'article 44 sont celles décrites aux articles 41 et 42 et donc le Parlement pourrait modifier toute disposition de la Constitution en ce qui concerne la Chambre des communes, y compris, peut-être le droit de vote et certainement le mandat maximal de cinq ans prévu dans la Charte ainsi que dans la loi de 1867.
La Charte ne prévoit rien de particulier en ce qui concerne la formule de modification. Elle n'est pas exclue et aucune disposition n'exige que la formule soit modifiée d'une façon ou d'une autre. Si on soutenait que l'article 44 ne renfermait que les exceptions prévues aux articles 41 et 42, eh bien, le Parlement pourrait abolir le mandat maximal de cinq ans.
Il pourrait, en théorie peut-être, abolir le droit de vote et le droit de se présenter comme candidat. La Cour suprême ne serait jamais d'accord et c'est précisément mon argument : la cour ne va pas interpréter plus largement les limites imposées dans cette interprétation littérale de l'article 44.
Le sénateur Andreychuk : On a parlé de la représentation régionale. Je reviens au libellé du projet de loi. En éliminant le droit de renouveler — si on prévoyait un mandat d'une durée de huit ans, de quinze ans ou peu importe — quel serait l'impact sur la représentation régionale?
Nous avons entendu des témoignages au sujet de la renouvelabilité et de ses conséquences, mais en disant simplement qu'on avait un mandat à vie, et ensuite en fixant à 75 ans l'âge limite, en maintenant en prévoyant que le mandat ne doit pas dépasser huit ou dix ans, quel sera l'impact sur la représentation régionale?
M. Magnet : Est-ce que votre question s'adresse à moi?
Le sénateur Andreychuk : Oui. Vous avez fait le lien entre la durée du mandat et la représentation régionale.
M. Magnet : Le sénateur Hays m'a posé cette question de façon différente et j'ai essayé d'y répondre. Il m'a demandé si l'on éliminait tout le contexte constitutionnel pour ensuite l'examiner tout seul, s'il survivrait. J'ai répondu que je n'avais pas réfléchi à cette possibilité. Vous ne m'avez pas demandé de vous conseiller à ce sujet. J'ai dit, par contre, qu'il serait difficile d'éliminer le contexte constitutionnel parce qu'il existe; c'est au compte rendu et votre comité se compose de gens réalistes et pragmatiques.
Vous me posez maintenant la question suivante : qu'arriverait-il si on éliminait le contexte constitutionnel, tout seul c'est un mandat d'une durée de dix ans...
Le sénateur Andreychuk : Non, mais il faut tenir compte du contexte constitutionnel. Tout ce que vous essayez de faire, encore une fois, c'est d'examiner la durée du mandat, un mandat limité. Nous avons fixé à 75 ans l'âge limite et maintenant nous allons limiter davantage la durée de ce mandat, c'est tout.
M. Magnet : Vous voulez dire qu'on retire le projet de loi C-43 et le gouvernement fait une déclaration disant qu'il n'a pas l'intention d'aller plus loin?
Le sénateur Andreychuk : Non, vous liez tout aux autres déclarations. Moi, je vous parle du contexte historique — les caractéristiques de nature constitutionnelle et historique.
M. Magnet : Permettez-moi de répondre. Étant donné que tout cela fait partie de la Constitution, qui a un impact sur sa caractérisation, je vous ai déjà fait part de mes observations, utiles ou non. Je vais essayer de répondre à votre question en faisant abstraction des autres aspects.
A elle seule, une limite imposée à la durée du mandat pourrait soulever certaines questions. Je dois par la force des choses vous faire une évaluation conservatrice, mais il faut comprendre qu'en fixant la limite d'âge à 75 ans ou en limitant la durée du mandat à dix ans, le Sénat n'est pas élu; les sénateurs sont nommés pour un mandat d'une durée de dix ans. Il y aura donc un roulement; la composition des gouvernements change; les gouvernements nomment les sénateurs; la composition du Sénat va donc changer par la suite. La cour va-t-elle tenir compte du fait que, au fur et à mesure que le processus de nomination se déroule au Sénat, il peut servir de contrepoids au gouvernement élu dans une région du pays parce que les nominations au Sénat sont puissantes dans les autres formations politiques? Au fur et à mesure que la composition change, est-ce que cela va avoir d'une manière ou d'une autre un impact sur l'équilibre que les rédacteurs voulaient donner à cette institution, et qui a fait partie de la tentative continuelle de la fédération pour assurer cet équilibre? Je crois que c'est plutôt cette question qu'il faut se poser.
Nous serions tous en train de lire les ouvrages de spécialistes comme M. Heard pour savoir ce qui s'est passé et comment tout s'est vraiment articulé. De bons avocats plaidants comme le sénateur Oliver feraient des consultations pour savoir quoi faire de tout cela. Voilà ce qu'il en serait et il faudrait envisager la question sous cet angle.
En toute modestie, j'avoue que je n'ai pas étudié la question de ce point de vue là. Cela mérite d'être fait. Bref, je vous dirai tout simplement que cela pourrait réussir l'examen constitutionnel. Mais, cela ne m'apparaît pas clair.
La Cour suprême du Canada se préoccupait manifestement de la durée des mandats. La Cour a dit « nous ne sommes pas prêts à répondre à cette question. Montrez-nous ce que vous avez l'intention de faire et puis nous vous fournirons une réponse. Nous ne voyons pas d'inconvénient à ce que le mandat d'un sénateur expire lorsqu'il atteint l'âge de 75 ans, mais nous ne répondrons pas à cette question-là. C'est une question difficile. »
Honnêtement, d'une certaine manière, c'est ce que je dis. J'y vois un inconvénient tant que je n'aurai pas constaté tous les effets et consulté toutes les brillantes études des professeurs et tant que je n'aurai pas vu les preuves dont on dispose.
Le président : Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, toute bonne chose a une fin.
Le sénateur Joyal : Je veux simplement dire que je n'ai pas parlé à M. Magnet avant son arrivée.
Le sénateur Andreychuk : Vous vous inquiétez, n'est-ce pas?
Le sénateur Joyal : Cela fait bien longtemps que je l'ai vu.
Le président : Au nom des membres du comité, j'aimerais vous remercier pour vos trois exposés fascinants. Vous nous avez stimulés et fait réfléchir. Je suis sûr que ce soir, aucun sénateur ne sortira d'ici avec une opinion bien tranchée, parce que vous nous avez présenté une foule d'arguments intéressants. C'est ce que font les bons témoins. Et nous vous en savons gré.
Honorables sénateurs voilà qui conclut notre réunion mais il nous reste quelques petites questions d'intendance à régler. Je voulais vous rappeler, honorables sénateurs, que notre comité se réunira demain matin de 10 h 45 à 13 heures dans cette salle pour entendre davantage de témoins sur le projet de loi S-4.
Honorables sénateurs, nous avons aussi notre budget à approuver. Vous verrez un état récapitulatif des dépenses. Le plus gros de notre budget sert à payer les salades, etc., lorsque nous avons de longues réunions. Qui veut proposer cette motion?
Le sénateur Joyal : J'en fais la proposition.
Le président : Le sénateur Joyal, appuyé par le sénateur Bryden, propose que le budget soit adopté. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter le budget?
Des voix : D'accord.
Le président : La séance est levée.