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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 23 - Témoignages du 22 mars 2007


OTTAWA, le jeudi 22 mars 2007

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 45, pour étudier le projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée de mandat des sénateurs).

L'honorable Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Aujourd'hui est le deuxième jour de notre étude du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs).

Le projet de loi S-4 renferme un article de fond qui modifie l'article 29 de la Loi constitutionnelle. Ce changement concerne la durée du mandat des sénateurs, qui expire actuellement lorsque ceux-ci ont atteint l'âge de la retraite, soit 75 ans.

Le nouveau mandat serait d'une durée de huit ans. Le renouvellement du mandat n'étant pas interdit, les mandats pourraient donc être renouvelés. Les nominations seraient encore faites par le premier ministre, comme c'est le cas actuellement.

[Traduction]

Honorables sénateurs, le comité a commencé ses travaux sur le sujet hier, et nous les avons entamés avec plusieurs avantages notables qui devraient nous aider à procéder de façon expéditive. Nous avons pu examiner les témoignages d'experts devant le comité spécial, les transcriptions des réunions de ce comité ayant été distribuées à ma demande. Nous pouvons tirer parti du rapport du comité spécial, qui offre une excellente analyse du contexte dans lequel s'inscrivent les questions relatives à la réforme que soulève le projet de loi à l'étude. Pour les gens intéressés, le rapport est accessible dans le site Web du Sénat, où il y a un lien vers le Comité spécial sur la réforme du Sénat. Enfin, nous profitons du fait qu'un important débat a eu lieu au Sénat à la fois sur le projet de loi et sur le rapport du comité spécial.

Le projet de loi est maintenant devant le Sénat depuis 111 jours de séance potentiels, répartis sur près de 11 mois. On a accompli beaucoup de travail utile jusqu'à maintenant. Le comité a décidé de tirer parti de ce travail plutôt que de le refaire, ce qui fait que, à l'exception de quelques personnes, nous allons nous en remettre aux témoignages livrés par des experts qui ont comparu devant le comité spécial plutôt que d'entendre ces témoins de nouveau.

Nous nous sommes fondés sur ces témoignages et sur d'autres travaux pour ramener notre champ d'enquête à deux questions essentielles qui sont toujours en suspens. La première concerne la constitutionnalité du projet de loi lui- même. Le Parlement peut-il, sans la participation des provinces du Canada, modifier la Constitution au chapitre du mandat des sénateurs? La deuxième question est la suivante : le mandat renouvelable d'une durée de huit ans qu'on propose dans le cadre du projet de loi constitue-t-il la meilleure option qui s'offre au Sénat?

Nous avons donné une orientation précise à notre étude du projet de loi, et on nous a accordé un délai prolongé pour nous permettre d'entendre les témoignages et de bien faire notre travail. Cela devrait nous permettre de nous pencher sur cet important projet de loi avec toute la rigueur que la population exige de nous. Nous allons aussi être en mesure de procéder à cette étude de façon efficace et de progresser rapidement, de façon à pouvoir nous occuper d'autres projets de loi importants du gouvernement qui sont déjà devant le comité.

Honorables sénateurs, nous avons le plaisir de recevoir ce matin M. John McEvoy, de l'Université du Nouveau- Brunswick. M. McEvoy est professeur de droit constitutionnel, de droit des Autochtones et de droit international privé. Ses spécialités sont l'arbitrage des conflits de travail et les questions liées aux droits de la personne. Il a plaidé dans des affaires constitutionnelles à la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick et à la Cour d'appel de l'Île-du-Prince- Édouard, ainsi que dans des affaires portées devant la Cour suprême du Canada. En 1991, on l'a invité à témoigner devant le Comité mixte spécial sur le processus de modification de la Constitution du Canada, le Comité Beaudoin- Edwards.

Notre autre témoin est M. Don Desserud. M. Desserud est professeur de sciences politiques à l'Université du Nouveau-Brunswick à Saint John, et il est actuellement en congé sabbatique de l'Université Acadia, dans la belle ville de Wolfville, en Nouvelle-Écosse. Sa plus récente publication s'intitule La convention de confiance dans le système parlementaire canadien, que le Groupe canadien d'études des parlements a publié dans sa série intitulée Perspectives parlementaires. Son projet actuel a pour titre « Peace, Order and Effective Government », et il y examine les principes constitutionnels régissant le choix d'un premier ministre en situation de gouvernement minoritaire.

Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue à notre audience de ce matin. Après vos brefs exposés, je vais lancer la période de questions. Soyez assurés que les honorables sénateurs vont avoir de nombreuses questions à vous poser.

John McEvoy, professeur, Université du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : Merci beaucoup. Je vous remercie de m'avoir invité à vous faire part de mes idées au sujet du projet de loi S-4.

Le texte du projet de loi S-4 commence par six paragraphes de préambule. Ces paragraphes justifient le projet de loi en invoquant les valeurs d'une démocratie moderne et renvoient à la formule d'application de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, c'est-à-dire la modification de la Constitution par le seul Parlement. Le quatrième paragraphe de préambule vise à lever tout doute en précisant que, en 1965, le Parlement a modifié l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour réduire la durée du mandat des sénateurs, jusque-là nommés à vie, en fixant à 75 ans l'âge limite de leur maintien en fonction. Vient ensuite le développement du texte, qui fait l'objet de la séance d'aujourd'hui.

Comme le président l'a indiqué, la principale question de droit dont doit s'occuper le comité est de savoir si l'article 44 constitue vraiment le mode de révision constitutionnel approprié. Ce travail suppose l'examen du mode de révision de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982.

Dans les textes bien connus, Philip Bobbitt, chercheur américain spécialiste des affaires constitutionnelles, décrit six méthodes ou modes de réflexion propres à ce domaine. Je vais m'arrêter un instant, parce que j'ai fourni des documents. Je ne sais pas si les membres du comité ont devant eux le document dont je parle, mais il y a là une citation et je passerai rapidement là-dessus.

Le président : Nous ne distribuons pas les documents qui ne sont pas rédigés dans les deux langues officielles, mais peut-être que certains sénateurs ont pu consulter la version anglaise. Veuillez poursuivre.

M. McEvoy : Plutôt que de lire la citation, je vais plutôt dire qu'il y a six méthodes ou modes de réflexion en matière constitutionnelle, qui sont les suivants : historique, textuel, structural, doctrinal, éthique et de prudence. Je me propose de n'en parler que brièvement.

Si l'on fait une lecture textuelle de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, il faut privilégier la procédure de modification de l'article 44 par le seul Parlement dans le cadre du projet de loi S-4. Des questions de fond ayant trait au Sénat sont abordées à l'alinéa 42(1)b) — « les pouvoirs du Sénat et le mode de sélection des sénateurs » —, ainsi qu'à l'article 44 — « au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes ». Lorsqu'il est question du Sénat ailleurs dans la partie V, le texte parle du rôle du Sénat qui consiste à autoriser l'adoption d'une résolution concernant la modification de la Constitution. L'analyse textuelle ou littérale permet donc de constater l'existence, à l'article 44, d'un lien entre le pouvoir général de modification de la Constitution et le Sénat, ainsi que d'une exception précise, à l'alinéa 42(1)b), qui rend obligatoire le recours à la procédure normale de modification lorsqu'il s'agit de modifier les pouvoirs du Sénat et la méthode de sélection des sénateurs. En d'autres termes, le principe logique énoncé à la partie V est que toute révision constitutionnelle ayant trait au Sénat doit se faire dans le cadre du mode de révision prévu à l'article 44, c'est-à-dire que les modifications sont apportées par le seul Parlement, sauf dans le cas de la modification des pouvoirs du Sénat et du mode de sélection des sénateurs, qui doit se faire dans le cadre de la procédure normale de modification. Il est clair que le projet de loi S-4 n'a trait à aucune des exceptions concernant la compétence exclusive qu'a le Parlement pour modifier les dispositions de la Constitution et que l'analyse textuelle fait pencher la balance en faveur de l'adoption de ce projet de loi par le seul Parlement.

Comme l'indique le projet de loi lui-même, on peut soutenir que le résultat de l'analyse textuelle est validé par le fait que, en 1965, le Parlement a modifié seul la durée du mandat des sénateurs.

Il est aussi possible d'aborder la question en formulant une réflexion historique : l'intention du législateur. Les rédacteurs de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 connaissaient, de toute évidence, non seulement l'histoire de la révision constitutionnelle au Canada, mais aussi les arrêts récents et pertinents de la Cour suprême, en particulier le Renvoi sur la compétence du Parlement relativement à la Chambre haute et le Renvoi relatif au rapatriement de la Constitution canadienne. Dans cette dernière affaire, la Cour suprême a affirmé que, même si aucune loi ne prescrit l'obtention du consentement des provinces, une convention constitutionnelle exige un « degré appréciable » de consentement provincial en ce qui concerne les modifications touchant les intérêts des provinces. Dans le Renvoi relatif à la Chambre haute, la Cour suprême a affirmé que la compétence législative fédérale, définie alors par le paragraphe 91(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 — ajouté en 1949 — relativement à la « modification de la Constitution du Canada » n'incluait pas la possibilité de procéder à des modifications touchant l'abolition du Sénat.

Le Procureur général du Canada a défendu devant la Cour suprême une analyse littérale ou textuelle pour l'interprétation du paragraphe 91(1); c'est-à-dire que, selon cette analyse, l'expression « modification de la Constitution du Canada » est à prendre au pied de la lettre, sous réserve seulement des cinq exceptions énumérées dans la disposition.

La Cour suprême a rejeté cette façon saugrenue d'interpréter la Constitution. Le tribunal a déclaré que la modification de 1965 et l'augmentation, en 1975, de la taille du Sénat étaient des « questions administratives relatives au gouvernement fédéral » n'exigeant pas l'obtention du consentement des provinces. Cependant, les modifications visant à abolir le Sénat entraient en contradiction avec l'idée de Parlement — qui, d'après l'article 17, est composé de la Reine, du Sénat et de la Chambre des communes — et avec l'idée de la compétence législative fédérale conférée exclusivement au Parlement, ainsi définie. Le tribunal a aussi cité le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, selon lequel les colonies seraient unies « avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume- Uni », c'est-à-dire avec une Chambre des lords qui n'est pas élue. Textuellement, le tribunal reconnaît que l'interprétation libérale faite par le Procureur général du paragraphe 91(1) ne respectait pas la compétence législative exclusive des provinces, prévue au paragraphe 92(1), au chapitre de la modification de la Constitution provinciale « nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte ».

La Cour suprême s'est aussi penchée sur les éléments historiques ayant trait à la fonction du Sénat dans le cadre du processus législatif fédéral qui tient à la défense des intérêts sectoriels et régionaux, compte tenu, surtout, du fait que l'union n'aurait pas été possible sans l'entente selon laquelle le Sénat permet une représentation régionale équitable pour l'Ontario, le Québec et les deux provinces maritimes qui faisaient partie de l'union au début. Le tribunal a tiré la conclusion suivante :

À notre avis, le pouvoir de modification prévu au paragraphe 91(1) a pour objet la constitution du gouvernement fédéral sur des questions qui intéressent ce gouvernement seulement.

Même si cela ne répond pas précisément à la question de référence concernant le pouvoir du Parlement de modifier seul la durée du mandat des sénateurs, la Cour suprême a déclaré :

À un moment donné, la réduction du mandat pourrait entraver le fonctionnement du Sénat et l'empêcher de faire ce que Sir John A. Macdonald décrivait comme « une deuxième chambre d'examen objectif sur les lois ».

L'imposition de la retraite obligatoire à 75 ans n'a pas modifié la nature fondamentale du Sénat. Le sens de ce fait historique tient au fait que l'intention déclarée, à l'époque où on étudiait le texte qui allait devenir la Loi constitutionnelle de 1982 — ou du moins, l'intention exprimée devant le Comité mixte spécial de la Constitution de 1981, coprésidé par le sénateur Joyal — était de maintenir le statu quo. Au cours des débats du comité mixte spécial, l'honorable Jake Epp a proposé, le 4 février 1981, une motion de modification de l'article 48 du projet de loi constitutionnelle de 1982, pour que l'article 44 actuel se lise comme suit : « relatives au pouvoir exécutif fédéral ou à la Chambre des communes ». L'amendement qu'il proposait aurait eu pour effet de supprimer la mention du Sénat de ce qui est devenu l'article 44. M. Epp a expliqué le but qu'il poursuivait de la manière suivante :

L'amendement rendrait impossible pour la seule Chambre, ou dans le cadre d'une simple initiative fédérale, de modifier le rôle ou les pouvoirs du Sénat.

M. Epp a retiré son amendement après que le ministre de la Justice, l'honorable Jean Chrétien, a décrit l'amendement comme étant superflu, vu que le gouvernement avait déjà modifié sa position en ce qui concerne le Sénat en retirant une proposition de modification du rôle du Sénat sur le plan législatif. M. Chrétien a dit :

Nous ne pouvons adopter cet amendement, puisqu'il y a des problèmes internes que nous devons résoudre à la Chambre des communes et au Sénat.

Si nous devions adopter l'amendement, s'il devait y avoir modification du quorum du Sénat, par exemple, nous devrions consulter les provinces.

Je pense donc, maintenant que nous avons laissé tomber l'article 44 — j'aimerais dire que cet amendement est absolument superflu et qu'il pourrait rendre notre fonctionnement extrêmement difficile. Je pense que nous, les gens d'Ottawa, devrions être en mesure de fonctionner à Ottawa.

Je n'ai aucun commentaire là-dessus.

Le 3 février 1981, jour précédant celui où a eu lieu cet échange, M. Chrétien avait parlé de la prochaine ronde de consultations avec les provinces au sujet de la réforme du Sénat. Il a dit :

J'ai dit que le changement que nous proposons est très partiel, et je pense qu'on va de nouveau soulever la question de la réforme de la Chambre haute au cours de la prochaine ronde de consultations avec les provinces et que toute réforme raisonnable sera acceptable aux yeux des sénateurs, j'en suis convaincu[...]

Nous allons revenir sur ce problème au cours des prochains débats constitutionnels avec les provinces.

Nous y avons consacré beaucoup de temps l'été dernier, et le Sénat l'a reconnu, et si nous envisageons la vieille réforme du Sénat, pas en partie, mais tout d'un coup, nous pourrions obtenir de bons résultats. C'est le pari que je fais.

La teneur de ces observations est que l'article 44 n'avait pas pour objectif de modifier le statu quo du paragraphe 91(1) de l'ancien texte.

Il faut signaler que le syntagme « au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes » de l'article 44 a eu une longue durée de vie. Il figure à l'article 6 du texte proposé en 1965 par l'honorable Guy Favreau — « au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat et à la Chambre des communes » — sous réserve de diverses exceptions, dont aucune ne touche le mandat des sénateurs, et en 1971, dans la Charte de Victoria — « au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat et à la Chambre des communes » — même si les amendements touchant les pouvoirs du Sénat, le critère de résidence applicable aux sénateurs et le nombre de sénateurs par province faisaient l'objet de la procédure normale de modification proposée.

Le projet de loi C-60, proposition de modification de la Constitution du Canada formulée en 1978, aurait, bien entendu, transformé le Sénat en Chambre de la Fédération et modifié à la fois le processus de sélection et la durée du mandat des sénateurs. On a présenté le projet de loi C-60 en disant que son adoption n'exigeait que l'adoption de résolutions par les deux chambres du Parlement et son édiction par le Parlement du Royaume-Uni. C'est cette affirmation du pouvoir du Parlement de modifier la Constitution sans le consentement des provinces qui a mené, après que le Comité mixte spécial sur la Constitution de 1978 a exprimé ses inquiétudes, au renvoi à la Cour suprême qui a donné lieu à la décision Renvoi relatif à la Chambre haute et à l'avis de la Cour suprême de décembre 1979.

Après cette décision, le même syntagme — « au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat et à la Chambre des communes » — se retrouve dans le « Rapport du sous-comité de fonctionnaires sur le rapatriement et le mode de révision » du 28 août 1980, ainsi que dans le « Rapport au premier ministre du Comité permanent des ministres sur la Constitution : rapatriement et mode de révision ». La résolution proposée à la Chambre des communes en octobre 1980 au sujet de la Constitution du Canada comportait le syntagme « au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes », à l'article 48.

La question fondamentale est de savoir si, en 1981, l'intention était de dépasser les limites exprimées par la Cour suprême dans son Renvoi relatif à la Chambre haute, ou s'il faut interpréter le syntagme en question comme respectant cet avis. Encore une fois, la teneur des débats du comité font pencher la balance en faveur de la deuxième interprétation.

Vue ainsi, l'interprétation historique de l'article 44 permet de conclure que cet article s'applique à des amendements touchant le Sénat et l'intérêt du seul gouvernement fédéral — par exemple, ce que M. Chrétien a dit au sujet de la modification de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1867 au chapitre du quorum.

Peter Hogg, dans son célèbre texte Constitutional Law of Canada, interprète l'article 44 de manière semblable : « L'article 44 remplace le paragraphe 91(1) de la Loi constitutionnelle de 1867[...] En fin de compte, la portée de l'article 44 est semblable à celle de l'ancien paragraphe 91(1). » Si cette interprétation est juste, la question fondamentale devient alors le fait de savoir si la modification de la durée du mandat des sénateurs dans le cadre du projet de loi S-4 est une question relevant de l'intérêt du seul gouvernement fédéral.

Je veux maintenant aborder l'interprétation structurelle. L'analyse structurelle des modes de révision s'inspirerait de l'idée même de fédéralisme. Le rôle du Sénat est d'offrir un mécanisme d'expression des opinions régionales dans le cadre duquel les provinces sont le point d'analyse. En d'autres termes, le Sénat contrebalance la représentation de la population à la Chambre des communes, qui est clairement à l'avantage des grandes provinces, en permettant aux petites provinces d'exprimer leur voix en vertu du principe d'égalité régionale. Cependant, le Sénat est davantage qu'une voix régionale; c'est aussi une tribune estimée qui sert à l'examen de nombreuses questions sociales d'intérêt national et à l'établissement de rapports sur ces questions. Encore une fois, la question fondamentale est de savoir si la modification de la durée du mandat des sénateurs dans le cadre du projet de loi S-4 est un enjeu qui n'intéresse que le gouvernement fédéral.

L'analyse doctrinale ne s'applique pas vraiment à l'article 44, vu l'absence d'interprétation judiciaire de cet article. De même, l'analyse éthique n'est pas vraiment pertinente pour l'interprétation du mode de révision. Il n'y a aucune valeur fondamentale comme la dignité humaine et l'égalité en jeu.

Enfin, la démarche de prudence tient à une analyse coût-avantage. Elle est le reflet d'un jugement de valeur fondé sur les coûts pour l'État ou pour certaines personnes d'un résultat précis, par rapport aux avantages qu'il présente. Une personne en faveur de la réforme du Sénat peut envisager le recours à la démarche de prudence pour justifier une interprétation large de l'article 44, selon laquelle le Parlement seul peut modifier la Constitution à tous égards relatifs au Sénat, sauf pour ce qui est de ses pouvoirs et du mode de sélection des sénateurs. Par contre, une personne qui serait contre la réforme du Sénat pourrait juger que les coûts liés à une mesure fédérale unilatérale sont trop élevés, vu les répercussions négatives sur le fédéralisme coopératif, et elle pourrait donc conclure que la procédure normale de modification s'applique.

Je veux maintenant aborder la question qui demeure sans réponse : la modification de la durée du mandat des sénateurs dans le cadre du projet de loi S-4 est-elle un enjeu qui n'intéresse que le gouvernement fédéral? Tout en respectant les gens qui ont un point de vue différent, et surtout les gens du domaine des sciences politiques, je pense que le fait de limiter la durée du mandat des sénateurs à huit ans est fondamentalement différent de l'amendement de 1965 qui a instauré la retraite obligatoire à 75 ans. Que les sénateurs soient nommés à vie ou que leur mandat se termine à l'âge de 75 ans, la durée d'exercice de leurs fonctions au Sénat était claire. Cette façon de concevoir le mandat des sénateurs favoriserait un certain degré d'indépendance et une réflexion libre quant aux questions législatives d'intérêt national ou régional. Le mandat d'une durée limitée à huit ans appartient à une autre catégorie. La fin du mandat est plus immédiate. Les sénateurs vont-ils terminer leur mandat en prenant leur retraite? Je crois qu'ils ont droit à une pension de six ans. Est-ce que cela va aller mener à un autre poste au sein du gouvernement? À un poste dans le privé? Pourront-ils effectuer un autre mandat de huit ans?

La décision de modifier la durée du mandat des sénateurs pour la limiter à huit ans, de permettre ou non un deuxième mandat, est d'une importance telle qu'elle est davantage qu'un enjeu intéressant le seul Parlement fédéral. Il ne s'agit pas d'une modification interne du Sénat; il s'agit d'un changement de structure qui devrait exiger, dans une certaine mesure, le consentement des provinces. Les démarches historiques structurelles d'interprétation constitutionnelle appuient cette conclusion. C'est un changement qu'il faudrait envisager en même temps que la réforme du mode de sélection.

Je veux aussi souligner qu'on peut soutenir que le projet de loi S-4 modifie de façon inacceptable la charge de la gouverneure générale en changeant la nature de la charge qu'elle peut attribuer à des personnes qualifiées. Le cas échéant, le consentement unanime de l'article 41 s'applique au projet de loi S-4. On trouve, par analogie, un argument — faible, j'en suis conscient — à l'appui de cette thèse dans la décision Re the Initiative and Referendum Act, rendue par le Comité judiciaire du Conseil privé en 1919. Cet appel a rendu invalide une loi manitobaine qui prévoyait un moyen d'approbation ou de rejet par la population d'initiatives législatives par voie de référendum, dont le lieutenant- gouverneur aurait reconnu les résultats relativement à la sanction royale.

Après vous avoir fait part de ces points de vue, je veux maintenant attirer votre attention sur un élément défavorable, qu'on trouve aussi dans les procès-verbaux de 1981 du comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes. Il s'agit de la séance du 4 février 1981. M. Hawkes, membre du comité, a demandé à M. Chrétien :

Quelqu'un a-t-il porté à votre attention le fait qu'il est possible qu'une certaine autre partie du processus actuel de révision menace le mode de nomination en vigueur au Sénat?

Quelqu'un a-t-il porté à votre attention l'omission de l'élément en question qui menace en quelque sorte le mode de nomination actuelle? Cet élément ne figurait pas dans votre première ébauche, ni dans votre deuxième ébauche, mais nous le retrouvons ici aujourd'hui.

M. Chrétien a demandé à Roger Tassé, qui était alors sous-ministre de la Justice de répondre. Ce dernier a déclaré :

Je veux peut-être simplement expliquer qu'il s'agit d'un oubli. Lorsque nous nous sommes demandés, au cours de la révision du texte, comment le mode de sélection des sénateurs pourrait être touché ou modifié dans le cadre de la présente proposition, nous en sommes venus à la conclusion que, dans les faits, il était possible de faire cela en vertu de l'article 48, c'est-à-dire par le seul Parlement, par la Chambre des communes et le Sénat.

Nous pensions que ce n'était pas la bonne chose à faire, que, dans les faits, il faudrait protéger le mode de sélection des sénateurs en l'intégrant à l'article 50, qui exige que toute modification du mode de nomination des sénateurs soit effectuée conjointement par le Parlement et les provinces en vertu de l'article 41.

Ainsi, les faits historiques ne sont peut-être pas aussi clairs que je les ai décrits.

Avec le projet de loi S-4, le nouveau gouvernement fédéral franchit la première étape de la réforme du Sénat. La validité de cette étape, au chapitre de l'application par le seul Parlement, n'est pas suffisamment claire, à mon avis, pour qu'on puisse la franchir sans l'appui d'un tribunal faisant autorité. Tout comme le Comité mixte spécial sur la Constitution a fortement recommandé, en 1978, au gouvernement de renvoyer à la Cour suprême la question du pouvoir du Parlement de modifier seul la structure de la Chambre haute, j'invite le comité à demander au gouvernement, en vertu de l'article 53 de la Loi sur la Cour suprême, de soumettre au jugement de la Cour suprême « cette importante question de droit et de fait touchant l'interprétation des Lois constitutionnelles ».

Pour conclure, je tiens à exprimer ma gratitude au comité.

Le président : Merci beaucoup de cet exposé réfléchi.

Don Desserud, professeur, Université du Nouveau-Brunswick à Saint John, à titre personnel : Merci de m'avoir invité, et je m'excuse de n'avoir pas pu participer à la réunion du 14 février. Une tempête de neige m'a obligé à rester à Halifax. Je m'excuse aussi de ne pas avoir apporté de mémoire : je ne m'attendais pas à être invité une seconde fois.

Je veux soulever deux points simples. Premièrement, je crois que c'est l'article 42, et non l'article 44, qui s'applique à l'amendement en question. Deuxièmement, je pense que les amendements antérieurs, qui ont modifié la durée du mandat des sénateurs en imposant la retraite obligatoire à 75 ans, ne sont pas directement comparables à l'amendement en question, pour des raisons que je vais expliquer dans un instant.

La raison pour laquelle j'affirme que c'est l'article 42 qui s'applique à l'amendement est assez simple. L'article 42 précise que la procédure normale de modification — la règle de sept provinces et 50 p. 100 de la population — s'applique aux amendements touchant les pouvoirs et le mode de nomination des sénateurs. L'article ne parle pas d'amendements qui modifient radicalement les pouvoirs ou d'amendements qui augmentent ces pouvoirs; ils parlent d'amendements touchant ces pouvoirs.

Je signale aussi que le mot « pouvoirs » est au pluriel, et non au singulier, et il n'est donc pas question d'additionner toutes les modifications et de voir si, au bout du compte, le Sénat fonctionne toujours comme auparavant. L'article dit que si les amendements touchent les pouvoirs, c'est la procédure normale de modification qui s'applique. Je ne vois pas comment on pourrait envisager la modification de la durée du mandat des sénateurs pour créer des mandats fixes de huit ans comme autre chose qu'une modification des pouvoirs du Sénat.

Un sénateur — le sénateur Fraser, je crois — a fait une excellente comparaison pendant les débats en posant la question de savoir ce que nous penserions de la modification de la durée du mandat des juges de la Cour suprême pour créer des mandats d'une durée fixe; ne verrions-nous pas cela comme une modification du pouvoir de la Cour suprême? Je dirais que c'est le cas et que cette comparaison constitue un argument dont il faut tenir compte dans l'affaire qui nous occupe.

Je pourrais en dire davantage à ce sujet, mais je pense que les sénateurs ont déjà entendu ces arguments et les ont très bien défendus. J'ai suivi les débats, et les arguments avancés m'ont impressionné.

En ce qui a trait à la nomination, je trouve qu'il s'agit d'une question encore plus intéressante. Le projet de loi modifie à plusieurs égards le mode de nomination, mais je veux parler précisément de la partie qui concerne la renomination. L'amendement actuel supprime l'idée d'une retraite obligatoire à un certain âge et n'empêche pas la renomination d'un sénateur après un mandat de huit ans. Après le contexte dans lequel le sénateur Le Breton a présenté cet amendement, il me semble clair que l'un des objectifs est de faire en sorte que, un jour, le sénateur soit élu et que cette règle des mandats de huit ans s'applique. En attendant, il semble assez probable qu'un sénateur, à la fin de son mandat de huit ans, serait nommé de nouveau pour un autre mandat de huit ans.

À un moment donné, dans l'avenir, si le projet de loi est adopté, il y aura un sénateur — ou peut-être 100 sénateurs — qui arrivera au bout de son mandat de huit ans et qui sera prêt pour un nouveau mandat. Il n'y a rien dans notre Constitution au sujet de la renomination des sénateurs. Il s'agit d'une chose entièrement nouvelle dans la Constitution; ce n'est pas quelque chose qui s'y trouve déjà. Il y a dans la Constitution des dispositions concernant le fait de libérer de ses fonctions un sénateur qui connaît des problèmes de santé; il n'y a aucune disposition concernant le fait qu'il réintègre ses fonctions. La renomination est une chose nouvelle et différente. Je ne dis pas que ce soit une bonne ou une mauvaise chose, mais c'est quelque chose de nouveau, qui touche donc la manière de nommer les sénateurs. Voilà qui, d'après moi, fait que l'article 42 s'applique sans aucun doute.

Le deuxième point que je veux soulever concerne la comparaison entre les amendements antérieurs par lesquels on a fait en sorte que les sénateurs soient nommés non plus à vie, mais bien jusqu'à l'âge de 75 ans, ainsi que l'idée selon laquelle le projet de loi en question est semblable à ces amendements ou du même ordre que ceux-ci. J'ai entendu un témoin dire hier qu'il ne s'agit que d'une différence d'échelle. On propose maintenant un mandat plus court, mais le processus est le même qu'à l'époque.

Je ne suis pas d'accord. Comme l'a souligné mon collègue, on parle de deux choses différentes lorsqu'on parle du fait qu'un sénateur ait un mandat d'une durée de huit ans et du fait qu'un sénateur doive prendre sa retraite à un âge précis. Je vous renvoie à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (no 2), 1949 — amendement qui a donné lieu à l'ajout de l'article 91.1.

Je demanderais aux sénateurs de se rappeler ce qui se passait à l'époque. La Seconde Guerre mondiale était terminée. Le Canada en est ressorti comme étant l'un des principaux joueurs, comme étant un pays méritant son indépendance par rapport à son statut antérieur. En 1947, on a remis les lettres patentes au gouvernement du Canada, et le gouverneur général est maintenant nommé à la recommandation de notre premier ministre, en vertu de pouvoirs indépendants, dans une certaine mesure. Le gouverneur général ne doit plus retourner en Angleterre pour demander l'autorisation de faire certaines choses. Cela s'inscrit dans un processus qui a permis au Canada d'obtenir davantage d'indépendance.

Pendant que ces changements constitutionnels se produisaient, lorsque le débat portait sur la possibilité, pour le seul Parlement du Canada, de modifier la Constitution du Canada, l'autre question était de savoir non pas si le Parlement pouvait le faire sans les provinces, mais bien s'il pouvait le faire sans le gouvernement britannique. On se demandait à l'époque : « le Canada peut-il le faire, ou devons-nous encore demander l'autorisation du gouvernement britannique? » Non, le Canada peut le faire.

La question de la participation des provinces, comme nous le savons d'après l'histoire de la quête du rapatriement de la Constitution, a pris beaucoup de temps à régler — jusqu'à 1982. Dans l'intervalle, on a fait fi du problème, on l'a mis de côté ou on en a remis la résolution à plus tard, mais on ne l'a pas réglé. Il ne s'agit pas de dire, oui, à une époque, le Parlement du Canada pouvait modifier l'âge de la retraite des sénateurs de son propre chef, et il peut donc le faire aujourd'hui avec le consentement des provinces. À l'époque, la question était de savoir s'il pouvait le faire sans le consentement du gouvernement britannique. Oui, il pouvait le faire.

En 1982, nous avons ajouté une nouvelle mesure. Nous avons abrogé l'article 91.1 et ajouté un mode de révision. Il y avait quatre modes de révision.

Je dirais que l'article 44 n'est pas une simple répétition de l'article 91.1 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1949, mais que les articles 42 et 44 pris ensemble le sont. En d'autres termes, en 1982, le jeu a changé; par conséquent, les règles du jeu ont changé aussi. Nous ne sommes plus en mesure de faire, aujourd'hui, ce que nous pouvions faire dans les années 60. Aujourd'hui, la participation des provinces est obligatoire, tout comme, par conséquent, l'application de l'article 42. Cependant, ce qu'on a laissé entendre au sujet des pouvoirs de la gouverneure générale m'intéresse et je n'y avais pas pensé; cela pourrait rendre le problème encore plus complexe.

Le président : Assurément, rien dans la Constitution n'empêche le premier ministre de nommer un sénateur pour un nouveau mandat. Si une personne est au service du Sénat pendant cinq ou six ans, qu'elle décide de démissionner, puis change d'idée deux ans plus tard, et que le premier ministre est d'accord, rien dans la Constitution ne l'empêche de nommer de nouveau cette personne au Sénat, n'est-ce pas?

M. Desserud : J'y ai pensé, en fait, et les choses fonctionneraient de la façon suivante. Dès que le mandat de huit ans d'un sénateur se terminerait, il y aurait une période pendant laquelle cette personne ne serait plus sénateur et retournerait donc au point de départ, comme s'il faisait partie du bassin de candidats réguliers. Je suis d'accord avec vous pour dire que cela n'est pas impossible.

Ce que je dis, cependant, c'est qu'il y aura un moment au cours du mandat de ce sénateur où il faudra envisager la question de sa renomination. Il s'agit non pas d'une nomination ultérieure, mais d'une renomination; ainsi, c'est un processus continu. La solution pourrait être un jour de congé suivi d'un nouveau départ. À mon avis, ce serait fendre les cheveux en quatre, parce qu'on parle d'un processus de sélection des gens qui devraient être nommés au Sénat lorsqu'on parle de renomination, plutôt que de choisir des candidats au sein de la population en général. Je reconnais cependant la pertinence de votre idée : c'est une préoccupation.

Le sénateur Milne : Ma question s'adresse à vous deux, puisque vous êtes tous deux du même côté.

Monsieur le président, lorsque j'ai proposé que nous invitions ces témoins, je ne connaissais pas du tout leur position, alors ce n'était pas un choix délibéré de ma part.

Voyez-vous le projet de loi comme la première étape d'un processus qui aboutira à un Sénat élu?

M. Desserud : Je pense que c'est l'objectif, ce qui soulève une question intéressante. La réforme du Sénat est un enjeu important. Elle soulève de nombreuses questions complexes. Si nous devons réformer le Sénat, en faisant l'hypothèse que cela est nécessaire, nous parlons de questions de portée générale au sujet de ce que veulent dire pour nous les mots démocratie, responsable, partisan, etc.

J'étudie la théorie constitutionnelle du XVIIIe siècle beaucoup plus que la théorie moderne, pour être tout à fait franc. La grande passion des rédacteurs de la Constitution américaine et la grande préoccupation des critiques du régime de Walpole concernaient le factionnalisme et la politique partisane. Ces gens ont essayé d'orchestrer et d'organiser leur constitution de façon à prévenir ces phénomènes. Ils ont connu un échec lamentable, mais c'était leur intention. Nous entretenons toujours cette idée selon laquelle le Sénat à un rôle à jouer, peut-être pas un rôle non partisan, mais partisan d'une manière différente du rôle de la Chambre des communes ou qui ne s'inscrit pas dans la politique des partis. Ce sont des questions importantes. Si nous devons discuter de ces questions, alors un débat public est nécessaire, un bon débat. À mon avis, ce n'est pas une bonne idée de procéder à des changements progressifs pour lancer le processus et, à la longue, en rendre le débat moins passionné.

Oui, je crois qu'il s'agit d'une première étape, mais si c'est le cas, ce n'est pas la bonne voie à suivre.

Le sénateur Milne : Si l'on réforme le Sénat, croyez-vous qu'on devrait le faire à l'aide d'un ensemble complet de dispositions, qui formerait alors assurément l'article 42?

M. Desserud : Certainement, et probablement davantage encore. Il faut qu'il y ait, au Canada, un débat concerté au sujet de ce que nous voulons pour la Chambre haute. Nous n'avons rien eu de la sorte depuis la proposition des trois e. Il n'y a pas eu, à l'échelle nationale, de dialogue ou de débat profond au sujet de ce que nous voulons voir accompli par le Parlement en général et par la Chambre haute en particulier.

M. McEvoy : C'est vraiment une question de sciences politiques. Je préférerais ne rien dire d'autre que les paroles de M. Chrétien que j'ai citées devant le comité.

Le sénateur Milne : C'est certainement de la politique. Monsieur Desserud, vous avez dit que la renomination est un concept nouveau par rapport à notre style de gouvernement et à notre Constitution. Est-ce que la perspective de renomination pourrait avoir un effet sur l'indépendance du Sénat?

M. Desserud : Oui, certainement. C'est le cas parce qu'il y aura une période pendant laquelle la personne dont le mandat tire à sa fin sera préoccupée par son rendement et par le fait d'obtenir un nouveau mandat ou non. Je ne sais pas qui sera premier ministre dans de nombreuses années, pas plus que le sénateur qui est nommé pour un mandat d'une durée de huit ans, mais quelqu'un occupera ce poste, et cette personne devra réfléchir à cela. Ainsi, l'indépendance dont jouissent, à mon avis, les sénateurs à l'heure actuelle, et qui leur permet de dire « Eh bien, vous ne pouvez rien faire en ce qui concerne mon poste; par conséquent, je peux prendre des décisions de façon indépendante », sera minée. Je soupçonne que le fait d'élire les sénateurs aura le même effet d'une manière différente, ce qui est un autre argument, mais oui, cela aurait un effet sur l'indépendance du Sénat.

Le sénateur Milne : Que pensez-vous de l'idée de ne plus avoir d'âge de retraite obligatoire?

M. Desserud : J'ai entendu parler de cela dans le cadre des discussions qui ont eu lieu, et c'est une question intéressante. Je ne suis pas tout à fait convaincu que les raisons pour lesquelles cet âge de retraite obligatoire existe sont valables aujourd'hui, comme on l'a déjà expliqué au comité hier. Nous vivons plus longtemps, et ce genre de mesure constitue une discrimination fondée sur l'âge. Il y a aussi la question de savoir si nous voulons adopter le modèle américain, qui permet aux sénateurs de demeurer en fonction très longtemps. Je suis professeur d'université, et je dois prendre ma retraite à l'âge de 65 ans.

Le sénateur Hays : Il y a beaucoup de choses dont nous pourrions parler, mais nous disposons de peu de temps. Je vais vous poser mes questions à tous deux et écouter vos observations.

D'après ce que je me rappelle, il n'y a pas eu beaucoup de renvois à la Cour suprême au sujet du Sénat. Il y a eu le renvoi de 1979, publié en 1980, mais je n'ai connaissance d'aucun autre renvoi portant directement sur le Sénat depuis 140 ans. Nous allons discuter ici de la question de renvoi à la Cour suprême avant de prendre quelque mesure que ce soit. À mon avis, ce ne serait pas une bonne idée de s'adresser au tribunal en disant aux juges « Que pensez-vous d'un mandat renouvelable d'une durée de huit ans? » pour revenir étudier cette idée en comité, avant de retourner voir les juges pour leur demander ce qu'ils pensent d'un mandat de 12 ou 15 ans. Vous avez peut-être des observations à ce sujet, même si ce n'est pas vraiment une question que je vous pose. M. Magnet ne ferait aucun commentaire à ce sujet. Il ne formulerait des observations qu'au sujet de ce qu'il a soigneusement étudié. Il a refusé de nous faire part de son point de vue là-dessus, et vous pouvez faire de même.

À votre avis, le Sénat a-t-il un droit de veto en vertu de l'article 44? Il dispose des pleins pouvoirs dont il a toujours disposé. Si vous procédez de la manière proposée, le Sénat n'a pas droit de veto. Il dispose de six mois pour étudier une question, et le fait qu'il formule une opinion définitive ou non n'a pas d'importance; la question va être réglée sans lui. On s'en tiendra à ce que la seule Chambre des communes dira, plutôt que d'attendre six mois que le Sénat se décide. Le Sénat a un rôle de protection des intérêts du Parlement et des provinces à jouer, parce que nous représentons les régions. Vous n'en avez pas parlé, mais cela me semble pertinent. J'aimerais savoir si vous êtes d'accord ou si vous pensez que cela n'a rien à voir avec la question qui nous occupe.

Les principaux rôles du Sénat sont ceux d'un organe de révision, d'un organe d'enquête et d'un organe de représentation régionale. Si l'on dit que le projet de loi touche les intérêts des provinces, alors il n'entre vraiment que dans la dernière catégorie, celle de la représentation régionale. Vous avez dit de l'amendement qu'il s'agit d'une chose qui est d'intérêt dans le contexte de la représentation régionale, alors que mon instinct m'indique clairement qu'il a trait aux rôles de révision, et vous pourrez peut-être me faire part de vos arguments. Vous venez de faire vôtres les arguments du sénateur Fraser en y faisant référence. Ce qu'elle a dit est vrai, mais je ne sais pas comment cela touche le rôle de représentation régionale. Cela touche le Sénat dans son rôle d'organe de révision et d'organe d'enquête, ainsi que sa mémoire institutionnelle, mais l'un de nos points faibles a toujours été la représentation régionale. Si nous faisions face à la situation dans laquelle le Parlement tentait d'adopter seul le projet de loi C-43, nous serions très attentifs si un premier ministre nous disait « Attendez un instant. Vous représentez votre province. Le projet de loi semble concerner directement l'article 42. Allez-vous nous permettre d'adopter ce projet de loi? » Je peux nous imaginer dans cette situation.

Ce sont des choses qui me trottent dans la tête. Vous en avez abordé certaines, mais elles me concernent directement. Je pourrais continuer, mais je ne vais pas le faire, puisque le temps est limité. J'aimerais que vous me fassiez part de vos observations.

M. McEvoy : En ce qui concerne le renvoi à la Cour suprême, évidemment, celle-ci trancherait la question constitutionnelle de savoir si on a atteint le point où un mandat d'une durée fixe de 8 ou de 12 ans toucherait la structure du Sénat ou son rôle. En réalité, la question que le comité doit se poser aujourd'hui est la suivante : le Parlement peut-il modifier seul le mandat des sénateurs pour qu'il dure huit ans. Il s'agit d'une question juridique que la Cour suprême peut trancher. Elle peut le faire en vertu de la Loi sur la Cour suprême, au chapitre du pouvoir de renvoyer, et le fait de déterminer, dans le détail, si le mandat doit durer 8, 12 ou 16 ans et ainsi de suite est une question différente, qui appartient au domaine de la structuration ou de la conception constitutionnelles. Je présume que la Cour suprême serait disposée à suivre la directive du gouverneur en conseil et à trancher une question constitutionnelle portant sur des éléments juridiques.

En ce qui concerne l'article 44 et le rôle du Sénat, prendre des mesures touchant le veto suspensif du Sénat aurait des répercussions sur la partie V elle-même. La modification de la partie V exige l'unanimité. La réaction, en ce qui concerne ce point précis, serait que le rôle du Sénat et l'importance de son rôle suspensif relativement à la législation sont protégés par le mode de révision lui-même et par le volet unanimité de ce mode de révision.

Le dernier élément est celui qui concerne la représentation régionale. La représentation régionale, le rôle d'enquête et le rôle de révision sont les trois parties symbiotiques du rôle du Sénat. Le représentant régional doit défendre les points de vue de la région qu'il représente non seulement dans un rôle, mais dans tous ses rôles. La voix du Sénat est très importante, et je ne suis pas d'accord avec l'hypothèse selon laquelle on devrait diviser le rôle du Sénat en ces trois rôles distincts. Il s'agit de rôles symbiotiques.

M. Desserud : En ce qui concerne votre question sur l'article 42, j'y ai réfléchi. Mon instinct de professeur de sciences politiques a fait surface et, je me suis demandé quelle serait la stratégie politique d'un gouvernement qui présenterait le projet de loi dans le cadre de l'article 44, sachant que c'est le cas.

Une chose qui m'a impressionné, lorsque j'ai lu les transcriptions des débats auxquels prennent part les sénateurs et que j'ai regardé les audiences, c'est que—vous ne vous livrez pas, d'après ce que j'ai pu voir, à des attaques partisanes, vous n'accusez pas l'autre parti de poursuivre un programme politique. À tout le moins, je n'ai rien vu de tel jusqu'à maintenant. Je suis réticent à aborder ce sujet, mais la question m'est venue à l'esprit.

Je vais être direct. Ne s'agit-il pas en réalité d'une apparence de réforme, plutôt que d'une vraie réforme, puisqu'on sait très bien que le Sénat ne va pas avoir le dernier mot? Le gouvernement est libéré de toute responsabilité. Il l'a fait et il a réussi. C'est une bonne plate-forme électorale. Si je suis trop cynique, je m'en excuse, mais c'est ce qui se produit quand on vit au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Hays : Vous semblez très bien comprendre la question, et vous avez faire preuve de politesse et de diplomatie dans votre manière de l'aborder.

C'est peut-être vous, monsieur McEvoy, qui avez dit que le projet de loi pourrait donner lieu à la modification de l'article 41. Pour que ce soit le cas, il faut considérer que le projet de loi modifie le rôle de la gouverneure générale en ce qui concerne la nomination des sénateurs. À l'heure actuelle, la Constitution prévoit que la gouverneure générale nomme des sénateurs au besoin, ce qui fait que mon collègue se demande pourquoi elle ne le fait pas. Eh bien, elle ne le fait pas parce qu'il y a une convention constitutionnelle tacite qui a fait l'objet de quelques décrets antérieurs, selon laquelle il s'agit d'une prérogative du premier ministre. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous pensez que le projet de loi peut donner lieu à une modification de l'article 41 si, de fait, la gouverneure générale s'occupe encore du processus de nomination, comme c'est le cas depuis 1867?

M. McEvoy : Encore une fois, le projet de loi est inspiré du Manitoba Initiative and Referendum Act. Grâce à ce processus, l'assemblée législative du Manitoba voulait écouter la voix du peuple, alors elle a présenté un projet de loi. Elle a permis aux gens de proposer des initiatives qui étaient ensuite approuvées ou non par la population. Le lieutenant-gouverneur accordait alors la sanction royale pour les initiatives approuvées.

Le Comité judiciaire du Conseil privé et la Cour d'appel du Manitoba ont déterminé que la charge de lieutenant- gouverneur était touchée, parce qu'on attendait du lieutenant-gouverneur qu'il se plie à la décision prise par l'électorat dans le cadre d'un référendum populaire. Le lieutenant-gouverneur accorde la sanction royale de façon autonome, mais il y a une convention constitutionnelle selon laquelle le lieutenant-gouverneur, tout comme le gouverneur général, respecte la volonté démocratique du Parlement et accorde la sanction royale en conséquence. Il y aurait une crise constitutionnelle si le lieutenant-gouverneur disait : « Non, je ne vais pas accorder la sanction royale ».

Le sénateur Hays : Ça s'est produit en Alberta.

M. McEvoy : Ça s'est produit ailleurs aussi.

Le sénateur Hays : Le lieutenant-gouverneur a le pouvoir de faire cela.

M. McEvoy : Oui, il l'a, mais cela déclenche une crise constitutionnelle, parce que c'est contraire à la convention. À l'heure actuelle, il se peut que la charge de gouverneur général soit touchée, parce qu'elle consiste à nommer des personnes à des postes précis, dont les caractéristiques sont précises, ce qu'on est en train de modifier. On va remplacer la retraite obligatoire à 75 ans par un mandat d'une durée de huit ans. Ce petit élément va avoir des répercussions sur la charge de gouverneur général.

Le sénateur Joyal : Monsieur McEvoy, à la page 3 de votre mémoire, vous parlez de l'interprétation textuelle de l'article 44, mais n'est-il pas vrai que le préambule de la Constitution, qui prévoit une Constitution semblable, en principe, à celle du Royaume-Uni, s'appliquerait même à une lecture textuelle de l'article 44? La Cour suprême, dans son Renvoi concernant le Sénat, a clairement mentionné les éléments essentiels de la Chambre des lords au chapitre de sa nature, de son rôle et de sa fonction. Il me semble que même l'interprétation textuelle peut faire l'objet d'une interprétation limitée par le principe même du préambule.

M. McEvoy : Ça dépend. Comme toujours, vous êtes très précis, sénateur Joyal, en allant plus loin que le simple texte. Je n'avais recours au contexte textuel qu'en relation avec la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Bien entendu, vous faites référence au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. On peut très bien envisager la Loi constitutionnelle de 1982 comme un document complet, modelé évidemment par la Loi constitutionnelle de 1867. Si l'on envisage uniquement la partie V, puisqu'elle est indépendante et différente du reste de la Loi constitutionnelle de 1982, on obtient un diagramme de Venn du Sénat, avec des cercles plus petits représentant le mode de sélection et les pouvoirs du Sénat. C'est de cela dont je parlais.

Le sénateur Joyal : La deuxième approche est l'approche historique dont vous avez parlé de façon assez convaincante. J'ai entendu les réponses qu'a données l'honorable Jake Epp, qui a été un membre très actif du comité, pour les progressistes conservateurs, et je vous signale que d'autres acteurs de l'époque ont exprimé leurs points de vue. Vous avez cité M. Roger Tassé, qui était alors ministre de la Justice, mais il y avait aussi M. Barry Strayer, qui est maintenant juge plus ou moins à la retraite de la Cour fédérale. Il a publié un livre intitulé The Canadian Constitution and the Courts. À la page 329 de la troisième édition, il a écrit :

La Cour suprême a cependant interprété le pouvoir du Parlement de modifier la structure du Sénat comme étant limité à ce que le tribunal a appelé des questions « d'ordre administratif », à l'exclusion de modifications qui toucheraient les « caractéristiques fondamentales » du Sénat.

Barry Strayer, l'un des principaux architectes qui ont ébauché le texte à l'époque, tire la même conclusion que vous avez formulée en ce qui concerne la déclaration faite par M. Chrétien.

Je peux vous dire que, avant que l'ancien sénateur Harry Hays et moi n'ouvrions chaque séance à 9 h 30, nous organisions une réunion à 8 heures pour passer en revue, avec le ministre de la Justice et son associé, les différents points de discussion de la matinée. Nous voulions savoir exactement où nous allions. Il ne fait aucun doute que les réponses données par les acteurs pendant les débats étaient le résultat de ces discussions internes, qui n'ont pas été consignées dans des procès-verbaux. Cela découle de ce qui est rendu public.

M. James Ross Hurley a énoncé ce qui est rendu public. Vous connaissez certainement son nom. Il s'agit de l'ancien spécialiste de la Constitution du Conseil privé. En 1996, il a publié un livre intitulé Amending Canada's Constitution. À la page 82, commence le chapitre intitulé « The Retirement Age of Senators ». M. Hurley était aussi l'un des acteurs. Il a écrit :

Le Parlement pourrait probablement constitutionnellement ramener l'âge de la retraite à 70 ans par l'intermédiaire d'une loi fédérale. Cependant, il est possible que les tribunaux concluent qu'une tentative de diminution importante de l'âge de la retraite, pour la rendre obligatoire, disons, à 55 ans, constitue une modification du caractère essentiel du Sénat et dépasse le pouvoir unilatéral du Parlement.

En d'autres termes, les réflexions de deux des autres acteurs de l'époque vont dans le même sens que les citations que vous avez vous-même portées à notre attention ce matin, en ramenant à notre souvenir les débats matinaux pendant lesquels nous discutions de l'article 44.

M. McEvoy : Je suis heureux de vous avoir rappelé des souvenirs, et il ne fait aucun doute qu'il serait très utile à la Cour suprême que vous fassiez un affidavit au sujet de vos discussions.

Cependant, l'un des problèmes du droit constitutionnel canadien est de déterminer qui sont les rédacteurs. Évidemment, M. Strayer en est un — c'est une personne très importante relativement aux témoignages devant le comité. M. Tassé en est un, tout comme M. Chrétien, qui a parlé au nom du gouvernement. Les rédacteurs sont-ils, dans les faits, les premiers ministres, dans le cadre de leurs discussions ultérieures? Quelle était leur idée de la chose?

En vérité, les rédacteurs ont une idée fictive qui englobe beaucoup de monde, mais la Cour suprême se penchera sur les tendances générales. Comment voyait-on les choses à l'époque? Considérait-on que l'amendement relatif au Sénat et visant les dispositions de l'article 44 avait pour objectif de refléter le contenu du Renvoi relatif à la Chambre haute ou non? À mon avis, il n'y a pas de réponse claire, parce que je constate que M. Chrétien et M. Tassé ont dit des choses contradictoires; mais j'apprécie beaucoup que vous ayez parlé d'autres acteurs importants qui disaient exactement ce que M. Chrétien a dit.

Le sénateur Joyal : Monsieur Desserud, votre argument est très subtil. L'article 42 se lit comme suit, et j'insiste sur les mots employés : « Toute modification de la Constitution du Canada portant sur[...] les pouvoirs du Sénat et le mode de sélection des sénateurs ». Il s'agit donc d'un amendement lié à autre chose.

Si je peux citer M. Hurley encore une fois, dans le même chapitre que tout à l'heure, il dit :

Une tentative de remplacement de l'âge obligatoire de la retraite par un mandat d'une durée fixe de, disons, dix ans, pourrait constituer une modification du mode de sélection des sénateurs.

Je me suis aussi débattu avec cette idée. J'ai pensé qu'il s'agissait d'un argument lorsque je préparais mes notes afin de comprendre le projet de loi. Que pouvez-vous dire de plus au sujet de l'idée que, à un moment donné, modifier le mandat touche le mode de sélection?

M. Desserud : La modification n'a pas besoin d'être spectaculaire, draconienne ou catastrophique; il faut seulement qu'il y ait un effet. En réalité, le mot « modifiant » ne figure même pas à l'article 42, comme vous l'avez souligné. Les mots utilisés sont « portant sur »; il faut qu'il y ait un quelconque lien.

Par conséquent, la modification pourrait reprendre le principe et en faire une structure différente qui aurait les mêmes effets, et il s'agira toujours d'une modification portant sur le mode de sélection. Je ne crois pas qu'il faille démontrer qu'un mandat de huit ans rend un sénateur moins bon ou meilleur que le système actuel pour dire que cela modifie les activités ou les capacités d'un sénateur au Sénat. Les critères de sélection des sénateurs, qu'ils aient ou non un effet sur la fonction ou l'efficacité du Sénat, ne sont pas aussi importants que le fait qu'il y ait un lien entre la modification en question et cette procédure. Je crois que c'est tout ce que nous devons considérer aux termes de l'article 42. Cet article indique que nous ne savons pas toujours quelles sont les conséquences de telle ou telle mesure; nous ne savons pas quel sera l'effet des mandats de huit ans.

Le sénateur Andreychuk : J'aime assez la question du sénateur Hays : qu'en est-il de l'essence?

Je rapproche ce que le sénateur Joyal a dit des commentaires du sénateur Hays, et je suis confrontée au fait qu'il n'y a pas un modèle unique de sénateur. D'après mes souvenirs, le renvoi précédent disait que si tous les sénateurs étaient nommés pour un mandat d'un an, le Sénat serait modifié de façon spectaculaire.

Assurément, le fait de passer de mandats à vie à des mandats qui se terminent à l'âge de 75 ans a été un changement spectaculaire pour le Sénat. Nous nous sommes retrouvés avec des gens âgés de 30 à 75 ans. En mettant de côté l'idée que le mandat de huit ans est peut-être un peu trop court, et sans choisir un chiffre, mais en envisageant tout simplement le mandat d'une durée déterminée — un mandat d'une durée déterminée raisonnable qui permet à une personne de fonctionner et de s'acquitter de ses tâches — je ne comprends pas comment cela modifie le caractère fondamental du Sénat.

En réalité, à l'heure actuelle, les premiers ministres peuvent recommander la nomination de gens âgés de 74 ans et demi. On peut aussi imaginer que les dix prochaines nominations seront celles de gens de 30 ans. Cela constituerait un changement beaucoup plus spectaculaire pour le Sénat que l'adoption de mandats de huit, 12 ou 15 ans. Je laisse de côté la question du renouvellement et de la renomination, parce que je pense qu'il s'agit d'une question à part, et je pose la question suivante : si nous étions tous ici pour 15 ans, est-ce que cela constituerait un changement important pour le Sénat? Il me semble raisonnable de dire que non, que des changements plus fondamentaux peuvent découler de la nomination exclusive de jeunes de 30 ans ou de la nomination de gens de 74 ans, ce que le premier ministre a le droit de faire à l'heure actuelle.

Ainsi, le projet de loi, qui porte bel et bien sur la durée du mandat, s'inscrit dans le cadre de ce qui se produit à l'heure actuelle. Le projet de loi ne fait que mettre un peu d'ordre dans cela — il rend les choses plus raisonnables et plus équitables qu'à l'heure actuelle — mais il ne modifie pas vraiment ce que nous faisons ni la manière dont nous allons fonctionner.

J'essaie de comprendre le projet de loi du point de vue du bon sens, et non du point de vue juridique. Ensuite seulement, je le remettrais dans le contexte juridique.

M. McEvoy : Il y a deux points à considérer pour ce qui est de la question de l'essence. Avec tout le respect que je dois à ceux qui ont un point de vue différent, il me semble que le fait de prendre en considération uniquement les effets réels ou imaginés de la chose sur une charge en particulier est un carcan qui assujettit toute réforme constitutionnelle à la règle de l'unanimité ou à la formule générale de modification. Ça ne saurait être là l'intention; c'est pourquoi il y a une différence.

L'approche essentialiste du fédéralisme nous dit que le projet de loi doit être en lien avec un sujet particulier visé par la Constitution — suivant les catégories de sujets établis aux articles 91 et 92 —, et les effets sont sans importance. Il faut qu'il soit vraiment question de l'essence du texte. J'imagine qu'un tribunal adopterait la même approche.

Cependant, je ne suis pas d'accord pour dire qu'une personne nommée à l'âge de 74,5 ans abordera ses responsabilités de la même façon qu'une personne qui est nommée à l'âge de 50 ans. La personne qui a 50 ans peut voir qu'elle y sera pendant 25 ans. Elle peut dire : « Je m'engage ici; je vais assumer mes responsabilités, comme le font tous les sénateurs, en ce qui concerne la révision des lois. J'ai des buts en ce qui concerne les affaires sociales. »

La personne qui a 74 ou 72 ans se dira probablement : « Je n'ai peut-être pas le temps de faire ces efforts. Mon mandat est court; je dois faire ce que je peux. » Elle n'aura pas le même degré d'engagement et, aussi, elle n'obtiendra pas de pension. Elle n'aura pas ce droit. Il faudra que ce soit quelqu'un qui est prêt à bouleverser sa vie, à venir à Ottawa pour servir les Canadiens de manière responsable. Ce n'est pas du même ordre; ce n'est pas la même chose.

Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas là que je voulais en venir. Je dis que, aujourd'hui, ce que vous décriviez pourrait se produire. La personne de 74 ans peut arriver en sachant qu'elle y sera pendant un an, quelqu'un d'autre peut arriver à l'âge de 50 ans. C'est le champ des âges possibles dans le cas du Sénat; néanmoins, nous obéissons tous aux mêmes règles. J'accorde au sénateur de 74 ans qui vient d'être nommé autant de valeur qu'à celui de 50 ans qui vient d'être nommé, et je respecte le droit du premier ministre de nommer ces gens.

Je sais que cela peut avoir des effets internes, mais je crois qu'on les prend en considération et que cela s'inscrit dans notre culture. Je suis en train de dire que tout cela se fait et que toutes ces personnes abordent leur travail différemment. Nous sommes toujours en train de dire à quel point nous sommes uniques. Vous ne faites pas votre travail de la même façon que moi, et nous essayons de ne pas commenter nos différences.

Ce projet de loi, en fixant un mandat, demeure dans ce champ du possible; il n'y ajoute ni n'y supprime rien. Il s'y inscrit simplement. Il y a de la valeur au sens où il permet au Sénat entier de continuer à exercer les trois rôles essentiels qui lui reviennent.

M. McEvoy : Il y a une différence entre l'usage et la théorie. Certes, le premier ministre peut nommer une personne qui a 74 ans et demi au Sénat, autant qu'il le veut; ce pourrait être la convention constitutionnelle... et cela viendrait éclairer la façon dont la Constitution est interprétée. Par contre, la Constitution elle-même, en droit, et l'interprétation qui en est faite, voilà qui est différent. Modifier le mandat de huit ans est très différent et porte à conséquence pour les provinces, en ce qui concerne le fonctionnement du Sénat.

Le sénateur Andreychuk : Pour ce qui est des régions, en quoi le mandat de huit ans aurait-il sur la province un effet différent du mandat actuel? Le nouveau sénateur est assermenté et s'engage à respecter les règles et la procédure.

M. Desserud : Ils pourraient faire un meilleur travail, et un meilleur, ça suppose un effet sur la relation. C'est ce que je voulais dire.

Le sénateur Andreychuk : Dites-vous que ce serait mieux pour nous?

M. Desserud : Oui, ce pourrait être le cas.

La description que vous faites du mélange unique qu'il y a au Sénat m'intrigue. Voilà une question intéressante; de même, c'est peut-être un trait fondamental du Sénat : son mélange unique. Peut-être que ce mélange unique est bon pour le Sénat et peut-être que le mélange unique n'est pas si bon pour le Sénat, mais c'est un trait caractéristique du Sénat qui serait probablement appelé à évoluer avec l'adoption de cette modification. L'ensemble serait probablement moins hétéroclite qu'il l'est en ce moment.

Il y a des questions intéressantes à se poser sur la mesure dans laquelle ce changement sera positif ou négatif. Ma question porte sur la manière d'apporter ce changement, si jamais nous décidons de l'apporter, et sur le genre de discussion que nous allons avoir à ce sujet.

Je voulais dire que, à mon avis, pour faire cela, il faut invoquer non pas l'article 44, mais plutôt l'article 42, qui fait intervenir les personnes qui, selon la Constitution, ont leur mot à dire dans cette histoire, c'est-à-dire sept des dix provinces.

Le sénateur Andreychuk : Je sais que nous n'avons pas le temps de poser une autre question, mais c'est pour la forme : qu'est-ce qui relèverait alors de l'article 44?

Le président : Nos témoins à Londres sont prêts. Avant de vous remercier, je voudrais poser une question à M. McEvoy, si vous le permettez.

Votre mémoire énonce six approches d'interprétation, et c'était excellent. L'approche textuelle favorise la constitutionnalité du projet de loi S-4, tandis que les autres, par exemple l'approche historique, ne le font pas.

Ma question est d'ordre juridique. Comment procéderait le tribunal pour pondérer les deux approches? Laquelle favoriserait-il? Quels principes juridiques s'appliquent?

M. McEvoy : La Cour suprême a répondu à cette question et, à mon avis, a donné à ce sujet de bonnes consignes dans le Renvoi relatif à la Chambre haute. Elle a employé une approche structurelle et une analyse historique.

Le président : Merci. Madame, monsieur, vous avez été excellents. Je regrette que nous n'ayons pas plus de temps pour vous écouter : plusieurs sénateurs n'ont pu vous poser une seule question. Votre témoignage a été stimulant, informatif et très utile. Pour cela, merci beaucoup.

Je tiens maintenant à souhaiter chaleureusement la bienvenue à nos invités outre-mer. Bienvenue à l'audience du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Notre comité a pu profiter des travaux réalisés par le Comité sénatorial spécial de la réforme du Sénat, d'un débat nourri à la Chambre haute elle-même et, maintenant, des projets mis en œuvre au Parlement britannique. Je me joins aux membres du comité pour souhaiter la bienvenue à nos invités spéciaux du Royaume-Uni, dont les perspectives sur les changements historiques qui sont proposés sauront, espérons-le, éclairer nos lanternes.

Je voudrais signaler à nos amis à Londres que les personnes présentes aujourd'hui sont le sénateur Hays, le sénateur Carstairs, le sénateur Milne, qui est vice-présidente du comité, le sénateur Bryden, le sénateur Joyal, le sénateur Rivest, le sénateur Andreychuk, le sénateur Di Nino et le sénateur Fraser.

Deuxième groupe de témoins ce matin : je suis heureux de souhaiter la bienvenue à Mme Meg Russell, qui est à la tête du Constitution Unit de l'University College London. Mme Russell est l'auteure d'un livre et de diverses communications sur le bicaméralisme dans différents pays, et notamment au Canada dans le cas du Sénat; ses travaux viennent éclairer la réforme de la Chambre des lords. Mme Russell a également été conseillère auprès de la Commission royale sur la réforme de la Chambre des lords, en 1999, et elle a travaillé pour Robin Cook à l'époque où celui-ci était leader parlementaire à la Chambre des communes et responsable de la politique relative à la réforme de la Chambre des lords et des communes.

Nous accueillons aussi aujourd'hui M. Gerard Horgan, qui est actuellement professeur invité à l'International Study Centre de la Queen's University, au Royaume-Uni. Ses domaines de prédilection sont la politique canadienne et la politique comparée avec une spécialité en fédéralisme comparé, la dévolution des pouvoirs britannique et le régime parlementaire.

Meg Russell, chercheure supérieure attachée, au University College London, à titre personnel : Merci. Je suis très flattée d'être invitée à témoigner devant le comité et j'espère que mes propos vous seront utiles.

Pour commencer, j'avais l'intention de parler brièvement de trois choses. J'entendais parler un peu de moi-même, mais il semblerait que vous me connaissez déjà assez bien. Ensuite, j'allais toucher un mot au sujet de l'état d'avancement du débat sur la réforme en Grande-Bretagne, puis un mot sur la façon dont la Chambre des lords a déjà été changée par la réforme réalisée en 1999, ce qui, je crois, viendra éclairer les délibérations au Canada.

Quant à moi-même, je n'ai pas grand-chose à ajouter, sauf une correction. Je ne suis pas à la tête du Constitution Unit. Le directeur est le professeur Robert Hazell; je ne voudrais pas lui ravir cette gloire.

Depuis que j'ai cessé de travailler pour Robin Cook en 2003, j'étudie la Chambre des lords telle qu'elle se présente actuellement, et j'aurais quelques mots à dire à ce sujet. Je vais commencer par parler un peu du point où nous sommes rendus en Grande-Bretagne en ce qui concerne le débat sur la réforme. Je ne sais pas jusqu'à quel point vous êtes au courant de la situation. Je serai très brève.

Le Parti travailliste est arrivé au pouvoir en 1997 après s'être engagé notamment, dans son manifeste, à réformer la Chambre des lords, qui était dominée à l'époque par les pairs héréditaires ainsi que les pairs à vie. Une réforme apportée en 1999 a servi à éliminer la vaste majorité des pairs héréditaires, ce qui laisse une Chambre qui se constitue, pour une grande part, de pairs à vie. On a promis d'apporter une deuxième étape de réforme, après l'élimination des pairs héréditaires. Aujourd'hui, le gouvernement a produit quatre livres blancs et une commission royale s'est penchée sur la question. Deux comités mixtes parlementaires ont produit des rapports sur le sujet, tout comme un comité de la Chambre des communes. D'éminents parlementaires d'allégeances diverses ont produit des rapports, sans compter les travaux réalisés par toutes sortes de groupes à l'extérieur du Parlement. Malgré tout cela, rien n'a encore été fait.

Vous savez peut-être aussi que nous avons voté deux fois à la Chambre des communes et à la Chambre des lords sur un éventail d'options quant à la composition d'une chambre réformée. Indéniablement, avec toute cette activité, il s'avère très difficile de s'entendre sur la réforme au Royaume-Uni. Je suis heureuse de pouvoir traiter de certaines des raisons à cela et aussi des questions en litige.

Vous le savez probablement aussi, même si la Chambre des communes a rejeté en 2003 toutes les propositions qui lui étaient faites concernant les diverses compositions possibles de la Chambre des lords, il y a quelques semaines à peine, c'est par une assez grande majorité qu'elle s'est prononcée en faveur d'une chambre entièrement élue destinée à remplacer la Chambre des lords. Elle a également appuyé l'option d'une chambre qui serait élue à 80 p. 100 et nommée à 20 p. 100. Par la suite, la Chambre des lords elle-même a rejeté toutes les options concernant des membres élus et a proposé une chambre entièrement nommée.

À première vue, il semble que la réforme soit sur le point de se concrétiser en Grande-Bretagne, étant donné le résultat du vote tenu à la Chambre des communes, mais il y a une partie de la réalité qui est masquée, et je suis heureux de vous expliquer de quoi il s'agit. Personnellement, je suis encore d'avis que, vraisemblablement, il n'y aura pas d'autres changements à court et à moyen termes.

Je suis quand même de près les débats sur la réforme. Je m'intéresse aux perceptives des mesures visant à réformer davantage les institutions, mais, de plus en plus, je m'intéresse à la réforme qui a déjà eu cours à la Chambre en 1999 et à l'impact qu'elle a sur le comportement de la Chambre. En 1999, la grande majorité des pairs héréditaires de la Chambre des lords a été évincée et, depuis, la Chambre en question s'affirme nettement plus dans ses rapports avec le gouvernement. Au dernier compte, depuis 1999, le gouvernement a été défait par la Chambre des lords plus de 350 fois. Souvent, les défaites en question ont porté sur des dossiers très importants, le gouvernement s'étant rendu aux arguments de la Chambre à maintes reprises.

Nous avons sondé les membres de la Chambre des lords et, de fait, de la Chambre des communes. Nous avons constaté que, depuis la réforme de 1999, 80 p. 100 des pairs affirment que, selon eux, la Chambre a davantage de légitimité qu'auparavant. De même, les trois quarts des députés travaillistes de la Chambre des communes sont d'accord avec eux.

Les attitudes du public envers la Chambre des lords semblent aussi être en train de changer. Selon un sondage d'opinion publique que nous avons réalisé, deux personnes sur trois croient qu'il est justifié que la Chambre des lords bloque les mesures impopulaires proposées par le gouvernement. Il semble que la réforme de 1999 ait eu d'importants résultats.

Pourquoi la Chambre des lords se considère-t-elle comme ayant davantage de légitimité? Évidemment, l'évincement des pairs héréditaires, dont la présence était assimilée à un anachronisme, car ce sont des gens qui avaient hérité de leurs sièges au Parlement, explique en partie la situation, mais, fait encore plus important, l'évincement des pairs a eu pour effet de modifier l'équilibre des parties. Dans une très grande majorité, les pairs héréditaires étaient des conservateurs. Leur départ a donné une chambre qui, du point de vue politique, est nettement plus équilibrée qu'auparavant. Là où aucun parti n'a la majorité absolue, la balance du pouvoir repose entre les mains du parti du centre et des indépendants. Les lords peuvent donc faire valoir qu'ils représentent mieux la population. Du point de vue de l'équilibre entre les partis, ils sont justement plus représentatifs que les députés de la Chambre des communes, dans la mesure où on relie l'équilibre aux résultats de l'élection générale. Ils croient donc qu'il est légitime pour eux de contester certaines des limites qui, auparavant, par convention, régissaient la relation entre la Chambre des communes et la Chambre des lords.

L'évolution récente de la situation en Grande-Bretagne montre qu'il y a lieu de douter de l'hypothèse générale selon laquelle les chambres non élues sont faibles et impopulaires, alors que les chambres élues sont plus susceptibles d'être fortes et d'avoir l'appui du public. Il est possible de renforcer une chambre non élue sans tenir d'élections.

Compte tenu de l'évolution des choses au Royaume-Uni, je conclus que, plus que le fait de savoir si une chambre est élue ou nommée, il est important d'avoir un équilibre entre les partis pour la force et la légitimité dont la Chambre se sentira investie. Cela évoque peut-être quelque chose au Canada, où, de 1984 à 1990, le gouvernement n'avait pas de majorité au Sénat.

Quant au débat sur une future réforme au Royaume-Uni, il fait intervenir d'autres questions que celles des parlementaires élus par rapport aux parlementaires nommés. Cette question a fini par nous obnubiler, mais il existe d'autres facteurs importants comme la durée du mandat des parlementaires et le fait de savoir si les mandats en question devraient être renouvelables, élément central de votre étude à vous. Je serai heureux de traiter de ces aspects de la situation dans la mesure où ils se rapportent au débat qui a lieu au Royaume-Uni.

Gerard Horgan, professeur, International Study Centre, Herstmonceux Castle, à titre personnel : Je veux d'abord vous remercier de m'avoir invité à comparaître. J'espère que vous jugerez mes observations utiles. Je présume que vous m'avez invité pour que je puisse parler du mémoire que j'ai présenté au Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, qui s'est penché sur le projet de loi S-4, l'automne dernier. J'ai remis à la greffière de votre comité une version minimalement révisée du document en question. Cependant, il faudra le faire traduire, si bien que vous n'y aurez peut- être pas accès immédiatement; je vais donc résumer la teneur de ce mémoire dans ma déclaration préliminaire.

Il y a deux autres domaines que je souhaite aborder, les deux se rapportant aux faits qui se sont présentés depuis le moment où j'ai déposé mon mémoire, en septembre. Premièrement, je voudrais formuler quelques observations au sujet du dernier livre blanc sur la réforme de la Chambre des lords, ici au Royaume-Uni, qui n'a été publié qu'en février 2007. Deuxièmement, nous avons maintenant l'avantage de connaître la réflexion du gouvernement canadien sur les élections consultatives du Sénat, comme en fait foi le projet de loi C-43. Cette absence d'information ayant suscité de nombreux commentaires de la part des témoins et des membres du comité l'automne dernier, il me semble convenir maintenant d'utiliser l'avantage dont nous disposons et de réfléchir un peu aux liens entre la durée du mandat des sénateurs et la teneur du projet de loi C-43.

Essentiellement, dans mon mémoire, j'appuie le principe du projet de loi S-4 en tant que première étape d'une réforme progressive du Sénat. Tout de même, à partir de certaines données comparatives, je fais voir qu'il serait mieux avisé de fixer à l'équivalent de trois mandats parlementaires, soit près de 12 ans, plutôt que de deux, soit huit ans, comme le législateur l'a voulu dans le projet de loi S-4, la durée du mandat des sénateurs.

Je fais allusion aux deux pays auxquels le Canada est le plus souvent comparé, à tort ou à raison : le Royaume-Uni et les États-Unis. Dans le cas du Royaume-Uni, je traite principalement de la Commission royale de réforme de la Chambre des lords, ou commission Wakeham, qui a remis son rapport en 2000. Les aspirations de cette commission quant à la composition de la Chambre des lords concordent souvent avec les souhaits exprimés en rapport avec le Sénat canadien. Par exemple, la commission en question a fait valoir qu'un mandat de longue durée aurait les effets suivants : [Traduction] « Encourager les lords à faire preuve d'indépendance d'esprit et adopter une vision à long terme; dissuader les candidats politiquement ambitieux de solliciter un siège dans la seconde chambre; favoriser un style de débat qui est moins partisan; et laisser aux lords le temps d'absorber l'ethos particulier de la seconde chambre et d'assimiler la manière de s'y prendre pour contribuer avec le plus d'efficacité possible aux travaux. »

Étant donné ces aspirations et compte tenu des inconvénients possibles d'un mandat de longue durée, la commission a conclu que les lords devraient siéger l'équivalent de trois cycles électoraux, soit de 12 à 15 ans. En outre, la commission a dit avoir bien envisagé un mandat correspondant à deux cycles électoraux, mais a déterminé que [Traduction] « Ce serait un mandat d'une durée insuffisante pour créer le genre de seconde chambre que nous envisageons. »

Ensuite, en guise d'introduction à mes observations sur les États-Unis, j'ai parlé des deux modèles de représentation qui existent, soit celui du délégataire et celui du fiduciaire. J'ai fait remarquer que, aux États-Unis, le système de représentation se situe nettement plus proche, du point de vue culturel et institutionnel, du modèle du délégataire, et que l'adhésion à ce modèle est compatible avec des mandats législatifs relativement courts. Par contre, même en tenant à ce modèle de représentation, les pairs fondateurs des États-Unis ont jugé prudent d'établir une seconde chambre, animée par une réflexion plus approfondie et dont le mandat aurait une durée trois fois supérieure à celui des représentants à la chambre basse.

Le système de représentation qui est institutionnalisé au Royaume-Uni et au Canada se situe plus près du modèle du fiduciaire. La discipline de parti a nui à l'application de ce modèle de représentation aux Communes dans les deux pays en question, mais, dans chaque cas, c'est une influence à laquelle la chambre haute peut se soustraire en partie. Par conséquent, en termes politiques, il conviendrait tout à fait de faire valoir que le maintien d'un mandat de durée bien plus importante au Sénat, plutôt qu'aux Communes, concorde tout au moins avec l'idée de préserver une constitution qui ressemble en principe à celle du Royaume-Uni.

Le deuxième point que je voulais aborder, c'est le plus récent livre blanc sur la réforme de la Chambre des lords, publié le mois dernier. Un livre blanc précédent, publié en 2001, avait mis en doute le mandat fondé sur trois cycles électoraux. À l'inverse, le plus récent livre blanc fait voir que le gouvernement du Royaume-Uni a décidé d'appuyer le mandat fondé sur trois cycles électoraux. Il présente une série d'options quant au pourcentage de lords qui auraient à être élus : « Toutes les options présentées reposent sur l'idée selon laquelle les élections seront échelonnées, c'est-à-dire que le tiers des élus sera remplacé à une élection donnée, puis siégera pour un mandat équivalent à trois élections. Cela vise à préserver le principe de la continuité. »

De fait, l'option maintenant proposée par le gouvernement du Royaume-Uni s'énonce comme suit : les membres de la Chambre des lords, qu'ils soient élus ou nommés, devraient siéger pendant 15 ans, soit l'équivalent de trois cycles électoraux du Parlement européen, le tiers de l'ensemble étant remplacé tous les cinq ans. Le mandat de 15 ans ne serait pas renouvelable.

Le troisième point que je souhaitais aborder, brièvement, porte sur l'interaction possible entre le projet de loi C-43 et le projet de loi S-4. Si j'ai bien compris le libellé du projet de loi C-43, le nombre de sièges au Sénat à pourvoir durant une élection consultative donnée est indéterminé. Le législateur se contente de dire que le gouvernement au conseil précisera « le nombre de sièges de sénateur à l'égard desquels les électeurs sont consultés ». D'où la possibilité que les élections soient échelonnées au Canada aussi. Autrement dit, une des objections formulées contre l'idée d'un mandat de longue durée au Sénat, c'est que, au terme de deux cycles électoraux, il se sera peut-être écoulé trop de temps entre deux élections sénatoriales dans une province particulière. Tout de même, le projet de loi semble laisser ouverte la possibilité de ne choisir qu'une part de l'ensemble des sénateurs d'une province au moment d'une élection consultative donnée, pour que les électeurs puissent choisir certains des sénateurs attitrés de la province, par exemple, à chacune des élections générales sur la scène fédérale.

En résumé, la commission Wakeham a d'abord fait valoir le principe selon lequel il doit y avoir tout au moins un rapport de trois pour un entre les membres de la Chambre des lords et les députés à la Chambre des communes. Ensuite, même si la réflexion sur la réforme de la Chambre des lords est loin d'avoir atteint son terme, l'argument en faveur d'un mandat d'une longue durée à la chambre haute ou au Royaume-Uni s'est révélé suffisamment convaincant pour que le gouvernement appuie l'idée d'un mandat de 15 ans. Enfin, étant donné la possibilité de choisir seulement une partie du contingent sénatorial provincial à chacune des élections consultatives, c'est une des objections possibles à l'idée d'établir un mandat d'une longue durée qui disparaît.

Pour terminer, je dirais simplement ceci : j'espère que mon mémoire et mes observations permettront aux honorables sénateurs de voir qu'il existe des raisonnements valables en faveur de l'adoption d'un mandat de longue durée à la chambre haute. Par contre, et ce n'est pas pour vous flatter que je le dis, car j'estime que cela est vrai : vous, sénateurs, êtes les véritables spécialistes de la question. Si, en tant que chercheur, je voulais savoir combien de temps il faut un à nouveau sénateur pour saisir l'ethos de la chambre, je vous poserais la question à vous. Dans le cas du projet de loi dont il est question, il importe tout autant que vous creusiez votre propre expérience que d'écouter des gens comme moi.

Le président : Merci beaucoup de cet excellent exposé.

Le sénateur Milne : Madame Russell, je m'intéresse au fait que vous croyez, comme moi, que la réforme de la Chambre des lords ne se fera probablement pas très rapidement. Vous avez parlé des mandats et vous aimeriez dire quelque chose à ce sujet; je vais donc vous demander de nous donner votre avis sur la durée des mandats.

Mme Russell : Pour ce qui est des recommandations des divers groupes qui se sont prononcés sur la question au Royaume-Uni, je n'ai pas beaucoup à ajouter aux propos du professeur Horgan. Nous avons reçu plusieurs rapports en faveur de mandats d'une plus longue durée. Notre situation est assez différente de la vôtre. Vous avez déjà abandonné le mandat à vie et avez établi l'âge de la retraite à 75 ans. Nous ne sommes pas allés si loin. Pour nous, tout mandat qui n'est pas un mandat à vie représente une décision assez importante.

Pour ce qui est de l'ethos de la Chambre et de son indépendance et de ce que les gens apprécient à propos de la Chambre des lords, pour une grande part, les gens ont été nombreux à faire valoir qu'il importe d'avoir des mandats de plus longue durée. Comme le professeur Horgan l'a fait valoir, la commission royale a demandé 15 ans. De même, le gouvernement a recommandé récemment un mandat de 15 ans. D'autres groupes ont recommandé des mandats de 12 à 15 ans. Il est difficile pour nous de le dire. C'est que nous n'avons pas de mandat fixe à la Chambre des communes. Si vous liez les élections à la Chambre des lords aux élections à la Chambre des communes, le mandat n'est plus fixe; à ce moment-là, cela ressemblerait davantage à 12 ans en moyenne, mais l'idée de mandat de longue durée a fait l'objet d'appuis considérables.

Cela dit, je dirais que cet élément de l'ensemble n'a pas vraiment été étudié attentivement par le public ni par les députés. C'est que nous nous sommes plutôt enlisés dans la question de savoir combien seraient élus et combien seraient nommés. Si nous arrivons au point où un projet de loi est déposé, ce qui pourrait se faire d'ici un an à peu près, les gens vont commencer à penser aux aspects particuliers de la question que sont la durée du mandat, la taille des circonscriptions, le type de régime électoral etc., mais cela n'a pas encore été étudié attentivement.

Il importerait d'avoir de longs mandats pour maintenir les éléments voulus de l'ethos de la Chambre des lords qui sont respectés au Royaume-Uni. Certes, à l'époque où je travaillais pour le gouvernement, le livre blanc produit en 2001 laissait entrevoir la possibilité d'un mandat qui ne ferait que cinq ans ou peut-être dix. À ce moment-là, d'après ce que j'avais vu dans d'autres pays et à la Chambre des lords elle-même, j'ai vivement déconseillé le mandat court.

Le sénateur Milne : Je dis toujours que ma peine est de 75 ans ou que je suis détenue à vie, selon la première éventualité.

Monsieur Horgan, vous avez parlé de la possibilité de venir au Sénat canadien et de nous demander quelle devrait être la durée d'un mandat. Depuis que je suis ici, j'appuie toujours un mandat de 15 ans. Il a fallu cinq ans pour assimiler l'ethos de notre Sénat et en apprendre le fonctionnement; ensuite, il a fallu cinq ans pour commencer à vraiment contribuer aux travaux; ensuite, il a fallu cinq ans encore pour s'inscrire dans la mémoire collective du Sénat. Je suis d'accord avec l'idée d'un mandat de 15 ans qui a été proposé à la Chambre des communes par la Commission Wakeham et qui a été rejeté à la Chambre des lords.

M. Horgan : J'étais tout à fait sérieux. Les recherches semblent le montrer : les gens croient qu'il faut beaucoup de temps pour s'intégrer à une telle institution. C'est la raison pour laquelle j'ai soulevé le point. J'hésite à vous donner ma propre recommandation. Je voulais simplement faire voir qu'il existe d'autres institutions qui étudient la même question et nourrissent des préoccupations semblables.

Mme Russell : J'ajouterais peut-être que, du point de vue de l'expérience étrangère, deux choses pourraient être importantes ici — le mandat et le fait de savoir si la Chambre doit être renouvelée tout d'un coup ou par vagues. L'expérience outre-mer est très favorable au renouvellement par vagues; sur la scène internationale, le renouvellement d'un tiers ou de la moitié d'une chambre par élection est chose courante. C'est un élément important, car il permet de préserver une certaine continuité. La chambre n'est jamais entièrement dissoute. Elle ne se compose jamais d'une totalité de nouveaux qui n'ont pas, comme vous le dites, la mémoire institutionnelle. Il serait tout à fait déplorable de perdre cette mémoire institutionnelle à la Chambre des lords de la Grande-Bretagne. C'est une chose qui a été très appréciée.

Le sénateur Milne : Madame Russell, le législateur passe sous silence la question du renouvellement des mandats dans ce projet de loi. Nous nous préoccupons beaucoup ici de savoir si les mandats doivent être renouvelés et si l'indépendance des sénateurs serait touchée, savoir s'ils passeraient les quatre premières années d'un mandat de huit ans à remercier le premier ministre et les quatre suivantes à le prier de les nommer au Sénat à nouveau.

Mme Russell : Je m'inquiéterais moi aussi à ce sujet. Je ne m'inquiéterais pas seulement du fait de savoir s'ils souhaitent remercier le premier ministre; cela dépend du processus de nomination. Si vous optez pour des élections, c'est différent. Ils devront remercier quelqu'un, outre le premier ministre, le chef de leur parti, leurs commettants ou quelqu'un d'autre.

Ce qui est actuellement proposé au Royaume-Uni, c'est un mandat de 15 ans sans possibilité d'être réélu ou nommé à nouveau. La Commission Wakeham recommandait un mandat de 15 ans où il y avait possibilité d'être nommé à nouveau, mais pas d'être réélu. Le rapport reposait sur l'idée qu'il y a une commission de nominations indépendantes qui mettrait fin tout à fait au favoritisme entourant le choix fait par le premier ministre et servirait à instaurer un système inspirant davantage la confiance, où les décisions seraient prises en dehors de l'esprit partisan. Notre esprit a balancé pour ce qui est de la question de renouveler les mandats, et d'autres propositions ont prévu des mandats renouvelables; le mandat non renouvelable est une question controversée chez les députés.

Je ne sais pas s'il en a été question dans le débat au Canada, mais le rapport Wakeham, et le livre blanc du gouvernement actuel proposent tous les deux que quiconque quitte la Chambre haute n'ait pas le droit d'être élu à la Chambre des communes. Cela est considéré comme très important du point de vue du maintien de l'indépendance : nous ne voulons pas d'une situation où, comme cela se fait en Irlande, les gens se servent du Sénat pour s'exercer à la chose politique afin de devenir députés plus tard. C'est-à-dire qu'ils portent leur regard ailleurs. Nous ne voulons pas que cela se produise au Royaume-Uni. Selon les propositions qui ont été faites, les gens auraient à attendre de cinq à dix ans avant d'avoir le droit de se porter candidats dans le cas des Communes.

Le sénateur Milne : Je ne veux pas prendre trop de temps, monsieur le président. Je vais donc céder ma place au prochain.

Le président : Il s'agit d'une vidéoconférence. Nous disposons de moins de 40 minutes, et six sénateurs veulent poser des questions. Je demanderais aux sénateurs et aux témoins à la fois d'avoir cela à l'esprit.

Le sénateur Di Nino : Ma question supplémentaire porte sur l'observation que vous avez formulée au sujet des gens qui prennent le Sénat comme terrain d'essai afin d'être élus plus tard à la Chambre. Qu'en est-il de la situation inverse? Croyez-vous que les personnes ayant été élues à la Chambre des communes devraient pouvoir être plus tard candidats au Sénat?

Mme Russell : En Grande-Bretagne, il est extrêmement courant que les gens fassent la transition de la Chambre des communes à la Chambre des lords. Certains voient cela d'un œil critique, mais c'est tout de même une façon d'assurer qu'il y a un grand nombre de politiciens chevronnés et respectés dans notre Chambre haute. Comme vous le savez, nous avons pour tradition de nommer les anciens premiers ministres, les anciens chanceliers de l'Échiquier, les secrétaires aux affaires étrangères et ainsi de suite. Les gens ont d'autant plus de respect pour la Chambre des lords, malgré le fait que les membres ne soient pas élus.

Le sénateur Andreychuk : Mes questions vont peut-être plutôt à Mme Russell, mais, certes, les deux peuvent répondre si c'est possible.

Il me semble que le débat au Royaume-Uni tourne autour de l'idée d'hérédité, du pairage à vie et de l'idée de trouver une façon de se sortir de cette façon de faire. Cela a dû avoir l'effet d'un séisme, du moins si je me fie aux gens à qui j'ai parlé au Royaume-Uni. La vie y semblait nettement mieux; je crois donc comprendre que la réforme y est bloquée. On peut présenter un ensemble de réformes qui portent tellement à conséquence qu'il est difficile à digérer, à la fois pour le public et pour les institutions; sinon, on peut procéder progressivement, pour savoir quels sont les effets.

Le débat portait-il sur l'approche progressive ou est-ce que le gouvernement a essayé d'insérer ça dans un grand ensemble de réformes, mais qu'il n'y est pas parvenu, de sorte qu'il a fini par arrêter son choix sur ce qui lui paraissait comme étant potable?

Mme Russell : Nous avons tout de même une tradition de réforme progressive ici. Les pairages à vie ont été instaurés en 1958. Auparavant, c'était une chambre entièrement héréditaire, avec quelques exceptions, car nous y accueillons des évêques et autres personnages étranges. La Loi sur les pairages à vie a été adoptée, et la Chambre des lords a été dominée par les pairs à vie. La loi de 1999 a éliminé presque tous les pairs héréditaires. Aujourd'hui, c'est une chambre qui est presque entièrement constituée de membres nommés à vie.

Certaines préoccupations ont été soulevées en 1999, au moment où le gouvernement a dit qu'il instaurerait des réformes en deux étapes à commencer par l'élimination de l'aspect héréditaire, que le gouvernement travailliste éliminerait cela sans aller plus loin dans la réforme. Il souhaitait éliminer la majorité conservatrice. Les conservateurs ont critiqué les travaillistes sur ce point et essayé de les engager dans une réforme en deux étapes. Ils ont essayé de dire qu'il fallait adopter l'ensemble des réformes d'un seul coup et qu'il y avait risque d'atteindre la première étape sans que la deuxième se concrétise jamais. Il s'est trouvé qu'ils avaient raison, mais, en même temps, l'idée que la Chambre deviendrait plus malléable du fait de la réforme s'est révélée tout à fait erronée. En éliminant un grand nombre de membres de l'opposition, la Chambre a acquis la force et la confiance voulues pour s'opposer au gouvernement. D'une certaine façon, c'est le gouvernement qui souhaite faire bouger les choses, car le blocage de la Chambre des lords est pour lui une source de frustration. C'est une situation complexe.

M. Horgan : J'ajouterais aux propos concernant l'approche progressive. Vous avez parlé des savants qui se sont prononcés sur la question ou qui ont comparu devant le comité spécial. Dans un monde idéal, la vaste majorité d'entre eux préféreraient un ensemble de réformes qui soit complet, méthodique et systématique. Toutefois, nous savons tous que ce n'est pas possible. L'avantage que présente l'adoption progressive des réformes, telle que je la conçois, c'est qu'il s'agit d'introduire de l'instabilité dans le système. En ce moment, nous avons ce que la plupart tiendraient pour un système stable mais sous-optimal. L'introduction progressive des réformes aura peut-être pour effet d'introduire de l'instabilité et de faire avancer le processus.

Mme Russell : Je suis devenu un partisan de l'approche progressive. Vous dites que la réforme de 1999 a été importante. Je le dis moi aussi, mais la plupart des gens en Grande-Bretagne n'en ont pas encore pris conscience. Nous n'avons pas encore reconnu pleinement les conséquences de cette réforme. Il serait peut-être sage d'y aller à petits pas plutôt que de tenter une vaste réforme, pour essayer de voir les avantages que la réforme a produits jusqu'à maintenant et y aller progressivement à partir de là. C'est une façon de s'assurer de préserver la continuité, ce que les gens considèrent comme important.

Le sénateur Andreychuk : Madame Russell, vous avez parlé de l'équilibre des choses et vous avez expliqué la question de la légitimité. La légitimité réside-t-elle dans le regard du public ou dans la volonté des membres de l'appareil législatif?

Mme Russell : La légitimité est un concept qui est contesté. Il y a toute une documentation savante sur le sens de l'expression. Certains croient qu'il est possible d'en arriver à une mesure objective de la légitimité; d'autres estiment que ce qui importe, c'est la légitimité perçue, c'est-à-dire la légitimité que les gens prêtent à quelque chose. C'est un débat qui porte sur les régimes dictatoriaux, entre autres. Si les gens croient que c'est légitime, est-ce que ça peut être légitime si, d'après des mesures objectives, c'est contestable? Je crois que la perception de la légitimité est importante. C'est tout ce qu'on peut apprendre, de toute manière, en posant des questions dans le cadre de sondages. Je n'affirmerais pas nécessairement que la Chambre des lords est plus légitime que la Chambre des communes, mais les membres de la Chambre des lords croient bien que c'est le cas, les membres de la Chambre des communes croient qu'elle est plus légitime et les membres du public croient qu'elle est plus légitime. Elle est peut-être plus légitime, mais il est audacieux de l'affirmer.

Le sénateur Hays : Merci d'être prêts à nous aider. Ma question s'adresse surtout à Mme Russell, mais j'espère que M. Horgan la commentera. Je veux parler de la réforme progressive et du point de départ que cela peut avoir. On n'en a pas parlé, mais la réforme progressive de 1911 et de 1949 et la Loi sur Parlement semblent avoir pavé la voie à une Chambre des lords qui s'affirme davantage. Je ne sais pas si vous êtes d'accord, mais, comme vous le savez tous, le Sénat canadien a les mêmes pouvoirs qu'avait la Chambre des lords avant 1911. Il est difficile parfois de savoir comment utiliser ce pouvoir. S'il y avait un mécanisme prévu pour nous sortir de l'impasse, ce qui n'est peut-être pas votre cas, mais, tout au moins, cela pourrait encourager la Chambre à s'affirmer davantage. Croyez-vous que c'est le cas de la Chambre des lords?

Mme Russell : Vous avez tout à fait raison de dire que les lois de 1911 et de 1949 sont importantes aussi. Comme on m'a demandé de donner des réponses courtes, j'ai choisi de ne remonter qu'à 1958. Je ne suis pas un grand historien pour ce qui est de la première partie du XXe siècle, mais je crois que vous avez peut-être bien raison de dire qu'il y a là des éléments pervers. En éliminant le pouvoir officiel, on peut donner un pouvoir de facto. En éliminant l'opposition officielle, on peut donner une force de facto aux gens qui demeurent, même si l'opposition paraît moins forte.

En Grande-Bretagne, nous nous sommes concentrés sur des questions liées à la composition. Au départ, le gouvernement a essayé de ne pas toucher aux questions liées au pouvoir. À mon avis, là où on a de la difficulté à s'entendre sur la composition d'une chambre, si on commence à argumenter sur les pouvoirs aussi, la difficulté du travail des réformateurs s'en trouve multipliée.

Nous avons tenu des discussions, et il y a eu un comité mixte des deux Chambres qui s'est penché sur les conventions touchant la relation entre la Chambre des communes et la Chambre des lords, et qui a essayé de voir si la Chambre des lords repousse vraiment les limites de ce qui est jugé acceptable dans un régime bicaméral, en cherchant à exercer les pouvoirs dont elle est investie.

Le comité a déterminé que l'introduction d'élections aurait probablement pour effet de repousser encore les limites. Malgré cette recommandation, le gouvernement a voulu préserver les pouvoirs tels qu'ils existent actuellement à la Chambre des lords : il est d'avis que, si on tente d'adopter un ensemble de réformes qui touchent les pouvoirs aussi bien que la composition de la Chambre, il sera pratiquement impossible de s'entendre.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. Je digresse un peu.

Le sénateur Hays : Ça a été très utile. Avez-vous une observation là-dessus, monsieur Horgan?

M. Horgan : J'aimerais revenir à ce que j'ai dit à propos du projet de loi C-43 aussi. L'idée, c'est que nous ne pouvons prédire tout à fait quels en seront les effets, mais, encore une fois, si nous sommes d'avis qu'il faut faire évoluer les choses, nous devons être prêts, peut-être, à courir certains risques et voir ce qui se produit. Si cela crée des problèmes, de l'instabilité et un tollé public, sinon, des changements plus graves, peut-être que l'idée n'est pas si mauvaise.

Le sénateur Hays : La discussion ici n'a pas encore pleinement évolué, mais la plupart des gens semblent croire qu'une deuxième chambre élue ne devrait pas ressembler trop à la première, à la chambre basse, et qu'il faudrait suivre le modèle australien, soit un scrutin proportionnel comportant un vote unique transférable, qui exigerait des circonscriptions représentées par plus d'un parlementaire. Quel est l'état d'avancement de cette question au Royaume- Uni?

Mme Russell : La question fait assez bien l'objet d'une entente générale : si nous élisons des gens à une Chambre des lords réformée, il faudrait que ce soit en fonction d'un régime électoral proportionnel d'une forme quelconque qui repose sur de grandes circonscriptions, probablement les régions que nous utilisons à des fins électorales dans le cas du Parlement européen, qui, de fait, sont très grandes. Par exemple, l'Écosse et le Pays de Galles représentent chacun une région dans ce cas.

Cela alimente beaucoup la réflexion : si nous décidons d'avoir deux Chambres élues, il faut qu'elles ne soient pas trop semblables et, évidemment, comme vous, nous employons encore un régime majoritaire à la Chambre des communes, de sorte qu'un régime proportionnel semble le choix évident. Je crois que, de plus en plus, les gens voient l'intérêt d'une deuxième chambre où aucun parti ne peut remporter facilement la majorité, où il faut rassembler de plus vastes appuis, dans une situation où on ne risque pas d'avoir un parti au gouvernement, à la chambre basse, et un parti de l'opposition, qui soit majoritaire à la chambre haute, ce qui mènerait vraisemblablement à une sorte d'impasse.

Cependant, nous avons certaines préoccupations. Pour ce qui est de l'idée d'introduire des élections, il y a que les gens pourraient croire qu'une chambre élue selon le régime proportionnel serait plus légitime qu'une chambre élue selon le principe de la majorité, que la chambre haute serait considérée comme étant plus légitime que la Chambre des communes. À mes yeux, cela n'a pas à forcément être le cas, et je crois que l'exemple de l'Australie est très bon, de fait, mais c'est une préoccupation qui est souvent soulevée durant les débats sur la question au Royaume-Uni. C'est une chose qui ralentit le passage à une chambre haute élue.

Le sénateur Di Nino : J'ai deux questions rapides à poser à nos deux invités. En rapport particulièrement avec le mandat de 15 ans, on a fait valoir qu'un tel mandat pourrait bien interrompre la carrière d'une personne, de sorte qu'il serait difficile de repartir à neuf par la suite. Est-ce dire que des candidats compétents refuseraient d'être candidats s'il y avait un mandat de 15 ans?

M. Horgan : C'est une préoccupation légitime. Tout de même, je ne m'attendrais pas à ce que les gens tentent d'entrer au Sénat au début de leur carrière; il serait encore probable que les gens cherchent à y accéder plus tard. De même, à propos de ce que Mme Russell a dit plus tôt concernant le mouvement possible entre les Communes et le Sénat, peut-être y aurait-il des politiciens provinciaux chevronnés qui considéreraient le Sénat comme destination tardive dans leur carrière. Je n'y vois pas de grandes difficultés.

Mme Russell : À penser aux gens qui sont prêts à siéger à la Chambre des communes — je peux parler uniquement de mon pays, mais votre pays est semblable —, un mandat qui fait quatre ou cinq ans, disons qu'ils courent des risques. Dans de nombreux cas, en fait, ils finissent par siéger pendant 15 ou 20 ans ou même plus, car il existe de nombreuses circonscriptions relativement sûres du point de vue des deux grands partis au pays.

La question est liée à celle d'un mandat renouvelable ou non renouvelable. Si on dit qu'un mandat comporte 15 ans au maximum, c'est davantage un obstacle que si on dit qu'il comporte 15 ans et peut-être 15 autres années par la suite. Par contre, il n'est pas long que l'addition de segments de 15 ans donne une somme impressionnante.

Le sénateur Di Nino : Au sujet d'une élection qui se tiendrait selon le régime de la représentation proportionnelle, on a parlé notamment du manque de démocratie touchant la préparation des listes par les partis, qui choisiraient les personnes désignées selon le régime proportionnel. D'abord, quel est l'usage dans les pays que vous avez étudiés? Ensuite, quel est votre avis général sur la question?

M. Horgan : Je vais commencer par parler de l'Australie. Les Australiens recourent à un régime à vote unique transférable, soit ce qui est proposé dans le projet de loi C-43. Le régime à vote unique transférable en particulier n'est pas un régime de représentation proportionnelle à liste, qui fait que l'électeur peut choisir de transférer son vote sur un seul bulletin. Les partis principaux choisissent encore les noms qui se trouvent sur le bulletin de vote, mais on n'a pas à choisir la liste entière fixée par un parti. C'est l'avantage particulier du régime à vote unique transférable : il permet aux gens d'opter peut-être pour un grand parti comme premier choix, puis d'inscrire des petits partis comme préférences subséquentes, par la suite.

Mme Russell : M. Horgan a tout à fait raison. Nous avons beaucoup débattu des différentes sortes de régimes à liste, et il existe une forte opposition à l'idée des listes fermées tel qu'on les appelle, c'est-à-dire les listes que les partis ordonnent, sans que l'électorat ait son mot à dire. Le plus récent livre blanc du gouvernement donne à entendre qu'il y aurait une option préférée quelconque chez l'électeur, peut-être simplement pour déranger un peu l'ordre établi par les partis dans ce qu'on qualifie généralement de listes semi ouvertes.

Oui, la recherche sur les régimes électoraux reprend souvent cette idée : les partis ont une grande emprise sur la sélection dans les régimes à liste, mais, de même, les partis one une grande emprise sur la sélection des candidats lorsque les partis proposent des nominations à la Chambre des lords; c'est donc une sorte de favoritisme qui viendra en chasser une autre. De fait, il s'agit ici d'essayer d'éliminer le favoritisme, mais il est difficile de voir en quoi les régimes à liste seraient pires que ce qui existe en ce moment.

Le sénateur Joyal : Madame Russell, je tiens à vous rappeler à quel point j'ai apprécié votre contribution au colloque du Constitution Unit de l'University College London, qui a été organisé en 2000 après la publication du rapport Wakeham, et votre intervention à l'époque, et surtout votre intérêt continu pour la publication, qui nous est très utile pour comprendre l'évolution des choses.

Ma première question porte sur le sujet qui vous intéresse par les temps qui courent, soit l'évaluation des changements survenus, surtout du fait de l'élimination du pairage héréditaire au profit du pairage à vie. Un des éléments clés où il y a eu amélioration du point de vue de la légitimité, selon votre propre évaluation, tient certes au fait qu'il existe maintenant une commission des nominations. Vous n'en avez pas parlé plus à fond durant votre exposé, mais il me semble que c'est un facteur clé.

Si on remplaçait le droit inné de siéger à la Chambre des lords par une nomination partisane, les gens envisageraient probablement les nouveaux pairs à vie avec cynisme, mais je crois que, puisqu'elle est investie de pouvoirs conférés par la loi et qu'elle applique des critères bien précis relativement aux nominations, la commission de nominations jouirait certainement d'une légitimité accrue dans le cadre de ses travaux. Pourriez-vous nous fournir une appréciation, dans un premier temps, de l'importance de la commission de nominations et, dans un deuxième temps, des critères et des mécanismes utilisés par cette commission et susceptibles d'accroître la légitimité d'une chambre dont les membres sont nommés?

Mme Russell : Tout d'abord, je vous remercie de vos remarques au sujet de mes travaux. Il est très réjouissant de voir que mes travaux trouvent un auditoire de marque au Canada. C'est exaltant.

En ce qui concerne la commission de nominations, vous avez raison. Une commission de nominations a été établie en 2000, à l'époque où la commission royale a déposé son rapport, juste après que les pairs héréditaires ont été évincés de la Chambre. La commission de nominations a deux fonctions. La première consiste à choisir les membres indépendants qui siègent dans la Chambre. Autrefois, c'est le premier ministre qui choisissait les membres indépendants.

Pour ceux d'entre vous qui ne connaissez pas bien la Chambre des lords, il s'agit d'une chambre très imposante, qui compte environ 700 membres, dont quelque 200 travaillistes, 200 conservateurs et approximativement 200 membres indépendants, ce qui la distingue de toutes les autres chambres parlementaires dans le monde. Vient ensuite une centaine de membres de partis mineurs, etc. Le premier ministre a renoncé à son droit de sélectionner les membres indépendants et a conféré ce droit à la commission. Le premier ministre continue de nommer des membres politiques, mais il doit les soumettre à l'approbation de la commission de nominations, qui déterminera si les personnes à qui l'on offre une pairie sont mêlées à des choses qui sont contraires aux convenances.

De fait, il y a, depuis longtemps, tout un débat sur l'achat de pairies, car on sait bien que certaines personnes recommandées pour l'obtention d'une paierie ont versé des dons importants aux partis, et la commission de nominations remet en question certaines de ces recommandations.

La prochaine étape évidente de la réforme au Royaume-Uni, et certaines personnes font appel à une telle mesure, consisterait à confier les nominations politiques à la commission de nominations, organe indépendant. La Commission Wakeham a fait valoir que toutes les nominations devraient être effectuées par une commission de nominations. Dans un récent livre blanc, le gouvernement a laissé entendre que les membres politiques, s'ils continuent de siéger dans la Chambre, devraient être choisis par la commission de nominations. Pour ce qui est des critères de sélection, la commission de nominations chercherait à établir, au chapitre de la représentation, un équilibre entre les sexes, un juste équilibre au chapitre de la composition ethnique, un équilibre entre les gens des diverses régions du pays, et elle s'intéresserait peut-être aussi un peu à l'expertise de chacun. Par exemple, avons-nous trop d'avocats, ou trop peu de gens qui viennent de régions rurales? La commission se pencherait sur ce genre de questions.

Mais c'est peine perdue, car la Chambre des communes a tenu un vote pour que tous les membres de la Chambre soient élus; je doute fort que ce vote mène à quelque chose, mais il est d'autant plus difficile de mettre de l'avant des changements pour renforcer le processus de nomination lorsque la Chambre des communes se prononce en faveur d'un processus électoral. Il serait tout naturel de passer à ce stade, et je crois que vous avez tout à fait raison de signaler qu'il est très important de s'intéresser non seulement à la nomination, mais bien au type de nomination, et au degré de confiance que cela va inspirer chez les gens.

Le sénateur Joyal : Comme vous dites, je crois que la commission de nominations est un pas important dans la bonne direction, d'après ce que je vois, car elle lève le voile sur les nominations et les montre au grand jour, de sorte que le grand public peut se prononcer. Bien sûr, cela permet aussi aux partis politiques de se prononcer. Je ne crois pas qu'on devrait les empêcher de proposer des candidats, mais il y a au moins des critères, et quelqu'un doit faire un jugement de valeur sur la composition d'ensemble de la Chambre. C'est un aspect important si on veut créer une Chambre capable de procéder à l'examen des lois, car, lorsqu'on fait cela, on n'adopte ni la même approche ni le même point de vue, comme l'a dit M. Horgan, que si on est un délégué chargé de représenter des gens qui nous donnent un mandat à court terme. Je crois que c'est engagé dans la bonne voie, mais croyez-vous que la Grande-Bretagne sera capable, au cours des années qui viennent, de renforcer le statut de la commission?

Mme Russell : Comme je l'ai dit, de récentes décisions rendent cela difficile. Vous avez raison d'affirmer que le processus misant sur la commission de nominations est plus ouvert que l'ancien processus. La commission de nominations a même diffusé des annonces — tout un coup d'éclat au Royaume-Uni, lorsque la première annonce a paru — à l'intention de personnes intéressées à siéger à la Chambre des lords, et la commission a examiné tous les CV. Cela ressemblait beaucoup plus à la méthode classique d'attribution de poste, mais la commission ne peut nommer que des personnes indépendantes, ce qui est, en quelque sorte, anormal. Si vous êtes membre d'un parti politique et que vous désirez siéger à la Chambre des lords, vous devez toujours passer par le processus de nomination politique, c'est- à-dire par le chef de votre parti.

La prochaine étape évidente consisterait à éliminer ce mécanisme partisan et à confier les nominations politiques, d'une manière ou d'une autre, à la commission. La Commission Wakeham a proposé que la commission de nominations soit investie de toutes les responsabilités liées à la sélection de candidats politiques. Les partis sont mécontents et disent : « Si quelqu'un va nous représenter, nous devrions au moins avoir un mot à dire. » On pourrait peut-être trouver un terrain d'entente. Dans le récent livre blanc, on laisse entendre que les partis pourraient soumettre de longues listes de noms à partir desquelles la commission pourrait choisir des candidats. Ce serait probablement une prochaine étape sensée.

Le sénateur Joyal : Monsieur Horgan, merci de nous avoir présenté des critères objectifs pour déterminer la durée du mandat. Mais n'y a-t-il pas un autre élément dont on devrait tenir compte au moment de déterminer la durée du mandat, c'est-à-dire la méthode de nomination? Je crois que la méthode de nomination influe directement sur la détermination de la durée du mandat d'une personne. Vous n'abordez pas cette question dans votre mémoire, mais auriez-vous l'obligeance de nous fournir des précisions sur cet aspect de la détermination de la durée convenable du mandat?

M. Horgan : Je ne suis pas entièrement convaincu que cela a une incidence. Comme l'a dit Mme Russell, dans le cas du Royaume-Uni, dans le dernier livre blanc, on précise que le mandat des personnes qui siègent dans la Chambre des lords sera de 15 ans, que ces personnes soient nommées ou élues. Je ne suis pas certain de bien voir quelle grande distinction on pourrait établir quant à la méthode de nomination. La grande question consiste plutôt à déterminer si ce mandat est renouvelable ou non.

Le sénateur Joyal : L'autre aspect concernerait la fonction de la Chambre. Je serais tenté de conclure qu'il y a un lien entre la fonction d'un organe et le mandat de ses membres, et qu'il importe donc, comme vous l'avez dit, d'en venir à un certain équilibre. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Horgan : Certainement. C'est à cela que je faisais allusion, dans mes observations préliminaires, lorsque j'ai dit que ce serait fantastique si nous pouvions faire cela de façon systématique. La voie tracée par la Commission Wakeham, qui met de l'avant un point de vue global fondé sur un examen de tous les enjeux, serait la meilleure. Cependant, si on s'attend à ce que, de façon générale, la fonction de cet organe en soit une d'examen des lois et, dans le contexte canadien, de représentation régionale, alors nous pouvons poursuivre de façon graduelle en posant en postulat que ce seront les fonctions de cet organe et en sachant que nous ne voulons pas perdre tout le bon travail du Sénat à cet égard. Au lieu de nous aventurer dans la voie que nous aimerions emprunter, nous pouvons nous montrer plus prudents, c'est-à-dire cerner les fonctions et toutes ces choses, et en venir à une décision sur la durée du mandat à la fin de ce processus.

Le sénateur Joyal : Mme Russell sera peut-être en mesure de répondre à cette question. Puisqu'il y a eu des nominations à vie à la Chambre des lords, avez-vous été en mesure de déterminer la durée moyenne de la participation d'un pair à vie dans la Chambre, histoire d'avoir une idée de la période moyenne au cours de laquelle un lord nommé à vie siégerait?

Mme Russell : C'est une très bonne question, mais je n'ai malheureusement pas ces chiffres sous la main. Il est certainement possible de les obtenir. Je suppose que votre greffière pourrait les obtenir directement auprès du bureau d'information de la Chambre des lords; sinon, je serai heureuse de vous aider avec cela.

L'âge moyen à la Chambre des lords est d'environ 68 ans. L'un des aspects particuliers de la Chambre des lords, c'est que non seulement nous n'avons pas imposé un âge de retraite, comme vous l'avez fait, mais un membre ne pourrait prendre sa retraite, même s'il le voulait. Ainsi, la Chambre des lords n'est pas aussi imposante qu'on pourrait le penser, car nombre de ses membres sont inactifs. Certains ne sont pas bien, et ne siègent pas.

De plus, le dernier livre blanc laisse entendre, plutôt modestement, que les gens devraient avoir la possibilité de prendre leur retraite s'ils le désirent. Je crois que c'est une autre petite mesure supplémentaire qui serait bien accueillie par les membres de la Chambre des lords et du grand public.

Le sénateur Fraser : Ma première question est destinée surtout à Mme Russell, mais, bien sûr, je serais intéressée à entendre les commentaires de M. Horgan.

Nous étions tous très intéressés par vos déclarations selon lesquelles, depuis 1999, la Chambre des lords s'affirme davantage et s'est employée plus activement à défaire diverses propositions gouvernementales. Je suppose que, par « défaire », on entend « amender », c'est-à-dire renvoyer les projets de loi à la Chambre des communes en vue d'un examen approfondi.

Mme Russell : Oui. Il est effectivement question, dans l'ensemble, d'amendements aux projets de loi du gouvernement, oui.

Le sénateur Fraser : Avez-vous déterminé à quel point ces défaites tiennent à des considérations partisanes? Nous avons entendu des témoignages intéressants selon lesquels les sénateurs canadiens ont tendance à voter de façon un peu plus indépendante que les membres de la Chambre des communes. Je sais que la discipline de parti n'est pas aussi rigoureuse à la Chambre des communes de Londres qu'elle ne l'est dans la nôtre, sauf à l'occasion des votes de confiance les plus importants. Ainsi, avez-vous fait des travaux pour déterminer si les membres du caucus des divers partis représentés dans la nouvelle Chambre des lords sont plus indépendants que leurs collègues de la Chambre des communes, ou que les membres de l'ancienne Chambre des lords, ou est-ce la présence d'indépendants qui fait toute la différence?

Mme Russell : Il est très difficile d'effectuer de telles comparaisons, et je vais vous expliquer pourquoi. Vous avez tout à fait raison d'affirmer que la discipline de parti — sa cohésion — est beaucoup plus rigoureuse dans la Chambre des communes canadienne que dans la nôtre. Notre Chambre des communes s'est révélée plutôt turbulente au cours des dernières années, et de nombreux députés d'arrière-ban du gouvernement ont exprimé leur dissidence.

Chose bizarre, en ce qui concerne la façon dont les gens votent, il n'y a pas plus de vote dissident à la Chambre des lords qu'à la Chambre des communes. Il y règne une cohésion à peu près équivalente. J'irais même jusqu'à dire que les membres de la Chambre des lords sont peut-être un peu plus solidaires. La grande différence tient, tout d'abord, à la présence de membres indépendants qui, à l'occasion, peuvent influer sur l'issue d'un vote, même s'ils ont beaucoup moins tendance à voter que les membres de parti, car ils ne jouissent pas du soutien d'un parti. On ne leur dit pas comment voter, et on ne leur fournit pas autant d'information leur permettant de prendre position.

Le facteur qui a vraiment une grande incidence dans la Chambre des lords est l'absentéisme. Pour la raison que je viens de donner au sénateur Joyal, il est très difficile de déterminer si une personne s'abstient de voter à dessein ou si elle est tout simplement absente. Certains sont trop âgés pour assister aux votes, puisque les membres de la Chambre des lords ne sont pas rémunérés, ont un emploi ou d'autres intérêts importants à l'extérieur de la Chambre, de sorte qu'ils ne peuvent pas toujours être présents.

Cependant, il y a, à la Chambre, une tradition selon laquelle le membre d'un parti devrait expliquer à son whip pourquoi il n'est pas d'accord avec la ligne de parti, et le whip va l'encourager à ne pas se présenter, au lieu de voter contre le parti. C'est ce que font la plupart des membres, alors le nombre de membres votants peut varier énormément d'un vote à un autre. Même si la Chambre compte plus de 700 membres, un vote important à la Chambre des lords n'attirera qu'environ 450 membres. Je crois qu'il y a une grande marge de manœuvre pour ce qui est de convaincre des membres du fait qu'ils ne devraient peut-être pas se présenter et voter conformément à la ligne de leur parti. Mais il est difficile, voire impossible, de mesurer l'étendue de ce phénomène.

Je suis désolée. C'est une réponse plutôt complexe, mais elle décrit une situation complexe.

Le sénateur Fraser : En effet, c'est une réponse appropriée et très intéressante. Monsieur Horgan, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Horgan : Non, si le temps dont vous disposez est limité. Je crois que Mme Russell a bien décrit la situation.

Le sénateur Fraser : Madame Russell, vous dites que le premier ministre conserve le pouvoir de nommer les membres de partis politiques. Toutefois, il y a en Grande-Bretagne un mécanisme — qui n'existe pas ici — prévoyant une sorte de nomination officielle de membres de l'opposition à la Chambre des lords. Pourriez-vous nous expliquer rapidement comment ce mécanisme fonctionne?

Mme Russell : Notre convention est souple. Certes, il serait considéré comme inacceptable, dans notre pays, qu'un premier ministre ne nomme que des membres de son parti. Par convention, des membres des autres partis sont nommés aussi. Le premier ministre ne choisit pas lui-même les représentants des autres partis; ce sont les dirigeants des autres partis qui lui soumettent des recommandations. Néanmoins, nous n'avons pas un ensemble de lignes directrices ou de conventions rigides en ce qui concerne la répartition des places entre les divers partis, et ce serait une autre étape qui s'imposerait.

Ce que proposent le livre blanc, ainsi que la Commission Wakeham et d'autres intervenants, c'est que la commission de nominations soit guidée par un ensemble de lignes directrices réglementaires permettant d'établir l'équilibre entre les partis, par rapport à leur représentation à l'occasion des dernières élections générales. À l'heure actuelle, le premier ministre a perdu certains de ses pouvoirs discrétionnaires, mais il continue de déterminer combien de nominations sont effectuées, le moment où elles sont effectuées et la représentation de chaque parti. Si des membres des partis de l'opposition sont nommés, ce n'est que par convention. Le premier ministre pourrait faire fi de cette convention, mais il le ferait à ses risques et périls, car une telle décision pourrait être très mal vue. Néanmoins, il ne s'agit que d'une convention.

Le sénateur Bryden : Nous avons parlé brièvement de l'utilisation d'une approche graduelle en ce qui concerne la réforme de la Chambre des lords, et c'est certainement l'approche adoptée à l'égard du Sénat. Nous sortons tout juste d'une période d'environ 20 ans au cours de laquelle la notion de « réforme constitutionnelle » était taboue sur la Colline. Après l'accord du lac Meech, après l'entente de Charlottetown, et avec l'arrivée du gouvernement conservateur, le premier indice d'un quelconque intérêt pour la réforme du Sénat, à part les déclarations formulées pendant la campagne électorale, était le projet de loi S-4. On a qualifié ce projet de loi de première étape. Quelques mois plus tard, on le présentait au Sénat.

Ensuite, le projet de loi C-43 a été présenté à la Chambre des communes, où l'on tentait vraiment d'en arriver à un Sénat élu, ou quelque chose du genre, par des moyens détournés, à défaut de le faire par les voies officielles. Je suppose que c'était la deuxième étape.

On a critiqué l'absence de cadre lié à cette approche. Que tente d'accomplir le gouvernement? Que tentons-nous d'accomplir? Quel est le but? Quelle est l'essence de l'approche que nous prenons? Je soulève cette question parce que j'ai remarqué que vous avez joué un rôle actif au sein de commissions, de commissions royales, de comités et de comités conjoints au cours des dix dernières années. Dans le dernier livre blanc, déposé en février, le gouvernement énonce sept principes qui doivent être respectés dans le cadre de toute réforme. Je n'ai pas besoin de les lire. Il s'agit, comme vous le savez, de la primauté de la Chambre des communes, et ainsi de suite. Ces principes se sont-ils révélés utiles, ou seront- ils utiles aux tentatives subséquentes de réforme de votre Chambre haute? Il y a des principes, des lignes directrices, pour nous aider à aller de l'avant — mais pas nécessairement où nous voulons aller — et nous avons une idée des choses que nous devrions ou que nous ne devrions pas faire, et des choses que nous ne devons pas perdre de vue.

Mme Russell : Certes, il me semble qu'il peut être utile d'établir des principes, mais, à votre place, je me garderais de conclure que le niveau d'activité au Royaume-Uni va nécessairement donner des résultats. Nous avons tenu de nombreuses consultations et publié plusieurs documents, et nous ne sommes pas plus près de la prochaine étape de la réforme qu'il y a huit ans.

D'une certaine façon, la discussion ou le débat est une bonne chose, et nous devrions veiller à ce que ce débat se déroule ouvertement. La plupart des documents gouvernementaux sont produits à titre consultatif, et la commission royale a pris connaissance d'un grand nombre de témoignages, et ainsi de suite. Toutefois, plus on en parle, plus la divergence d'opinion est claire. Il y a des points de vue fondamentalement opposés.

Au Royaume-Uni, le débat oppose les tenants du principe de la majorité et les pluralistes, ceux qui estiment que la Chambre des communes devrait pouvoir agir à sa guise et ceux qui favorisent l'établissement de freins et de contrepoids plus vigoureux. Ceux qui sont en faveur de freins et de contrepoids plus rigoureux ont eu tendance à favoriser une chambre dont les membres sont élus au moyen d'un processus de représentation proportionnel. Les tenants de l'approche britannique classique, fondée sur le principe de la majorité, ont tendance à vouloir une Chambre haute faible dont les membres sont nommés, voire même son abolition.

La plupart des travaillistes sont en faveur de la réforme, mais si on leur demande quelle forme cette réforme doit prendre, il y a des points de vue contradictoires. On n'obtient pas nécessairement le consensus qu'on recherche en tenant des discussions approfondies. Pour que l'on puisse établir un consensus, les principes doivent être énoncés de façon très large. C'est dans le détail que naît la dissension.

M. Horgan : Je ne veux pas donner l'impression d'appuyer tout ce que le gouvernement propose. Idéalement, oui, il serait préférable d'adopter ces principes d'emblée. Nous avons beaucoup parlé de la réforme du Sénat au fil des ans, mais, bien souvent, cela n'attire pas l'attention du public, car on ne croit pas vraiment que cela va mener à quelque chose. En nous aventurant dans cette nouvelle voie sans nécessairement connaître les conséquences, on va peut-être stimuler, pour le meilleur ou pour le pire, le débat public. À ce moment-là, nous pourrions peut-être adopter quelques principes, car le public prendrait part au débat. Nous avons mené, à l'échelon universitaire, un très grand nombre d'études qui n'ont pas leur place dans le débat public, car les gens ne croient pas qu'il va se passer quelque chose.

Le sénateur Bryden : Nous avons entendu un témoin, hier soir, dont la position était essentiellement fondée sur la nécessité de faire quelque chose jusqu'à ce qu'on déstabilise le système. Est-ce que cela reflète votre position?

M. Horgan : Oui, malheureusement. Je tiens à préciser que je suis un fervent défenseur du Sénat. Je crois même que le Sénat actuel fait de l'excellent travail, mais nous savons tous quelles sont les difficultés liées à la perception du public au Canada. Nous devons, d'une manière ou d'une autre, commencer à créer une certaine instabilité qui mènera à de vraies discussions sur les changements.

Mme Russell : Au Royaume-Uni, les vastes programmes de réforme ont toujours échoué. On a réussi à apporter de petits changements de temps à autre, mais seulement lorsqu'une position devient si intenable qu'on doit faire ne serait- ce que de petites concessions. On a débattu de la question des pairies à vie pendant au moins 50 ans, ou probablement 75 ans, avant de les créer en 1958. Le débat sur l'élimination des pairs héréditaires a traîné pendant tout le XXe siècle avant qu'on prenne des mesures en ce sens en 1999. La pression a dû s'accumuler avant qu'on puisse apporter même l'élément de réforme le plus modeste, avant que nous puissions nous entendre sur la nécessité de changer quelque chose. Comme vous le voyez, nous avons connu, au cours des dernières années, bien peu de succès avec les projets de réforme à grande échelle. L'approche graduelle semble raisonnable, mais il faut que tout le monde tienne vraiment à apporter des changements supplémentaires.

Le sénateur Bryden : J'aimerais revenir sur la question des freins et contrepoids. Dans notre pays, comme c'est probablement le cas dans d'autres, une part grandissante des pouvoirs est consentie au cabinet du premier ministre et ne fait pas l'objet de contrôle par la Chambre des communes. L'avenir des députés de la Chambre des communes tient à leur capacité de faire plaisir au premier ministre et au cabinet du premier ministre. Or, on a fait valoir que le Sénat, sous sa forme actuelle, avec un mandat qui se termine à l'âge de 75 ans, est le seul vrai mécanisme régulateur, dans la mesure où nous exerçons les pouvoirs qui nous sont consentis. Nous le faisons de temps à autre, et nous le ferons peut- être plus souvent. Nous jouissons des mêmes pouvoirs que la Chambre des communes en ce qui concerne la modification des lois, le rejet d'un projet de loi et le droit de veto en ce qui concerne l'adoption de lois.

Si on attribue au premier ministre le pouvoir de nommer des personnes pour un mandat de huit ans, il suffisait d'une série de gouvernements majoritaires pour que ce premier ministre comble tous les sièges du Sénat. Alors, où seraient les freins et contrepoids? Tentons-nous vraiment de créer de l'instabilité? Par contre, est-ce l'approche radicale à laquelle certaines personnes semblent vouloir attribuer de grandes vertus? Et si cela aggravait la situation, comme le croient manifestement certaines personnes?

M. Horgan : C'est pour cette raison que je me suis prononcé en faveur non pas d'un mandat de huit ans, mais bien d'un mandat d'une durée plus longue. Je suis de ceux qui craignent ce que vous venez de dire. Nous devons nous demander si nous allons prendre ce risque ou si nous acceptons de continuer d'en parler et de ne rien faire. Je suis disposé à prendre le risque, mais je suis très préoccupé par la possibilité que le mandat de huit ans ne mène exactement à ce que vous avez décrit.

Mme Russell : Je partage l'opinion de M. Horgan. Un mandat de huit ans me semble relativement court. Les enjeux liés à la renouvelabilité et à la possibilité d'une réforme graduelle ou en bloc sont absolument cruciaux. En toute franchise, je ne vois pas le jour où le Royaume-Uni accepterait une réforme attribuant au premier ministre le pouvoir d'éliminer un groupe de membres de la Chambre des lords et de les remplacer par un autre groupe de personnes. Par contre, si on prévoit que le mandat dure non pas huit ans, mais bien quinze ans, et que le renouvellement s'effectue de façon graduelle, c'est une tout autre chose.

Votre débat actuel ressemble un peu à nos discussions sur les élections et les nominations, où nous tentons d'établir des principes à l'égard des notions d'élection ou de nomination. J'en suis maintenant au point où je ne considère pas cette question comme essentielle. Les questions essentielles concernent la façon dont ces personnes sont élues ou nommées, la durée de leur mandat, les limites qui seront imposées, etc. Il est difficile de donner son accord de principe sans savoir ce qui va venir après.

Le président : Madame Russell, dans le cadre de vos observations préliminaires, vous avez déclaré qu'il est possible de renforcer les organes dont les membres sont nommés sans recourir à un processus électoral. Pourriez-vous nous expliquer brièvement de quelle façon vous envisageriez une telle chose?

Mme Russell : Tout d'abord, je tiens à préciser que cette remarque concernait des événements passés. Nous avons renforcé notre chambre dont les membres sont nommés en éliminant un pouvoir discrétionnaire du premier ministre. Tout d'abord, nous avons écarté les gens qui avaient hérité de leur siège. Ensuite, nous avons éliminé une partie du pouvoir discrétionnaire du premier ministre et créé une chambre où aucun parti n'est majoritaire. La Chambre est plus représentative des suffrages exprimés dans le cadre d'une élection générale qu'elle ne l'était auparavant. Pour ce qui est de l'avenir, je crois que nous pourrions renforcer davantage une chambre dont les membres sont nommés en dissipant tout doute quant à la façon dont les membres de partis politiques obtiennent leur siège; à cette fin, on pourrait attribuer un contrôle accru à la commission de nominations indépendante et en adoptant des dispositions législatives décrivant la part de sièges attribués à chaque parti, afin d'éviter que la position selon laquelle aucun parti ne doit être majoritaire soit annulée par le premier ministre. Nous avons déjà vu un tel renforcement, et on pourrait assister à un renforcement plus marqué dans l'avenir. Certains éléments d'une telle démarche pourraient s'appliquer au contexte canadien.

Le président : Merci beaucoup.

Notre temps est presque écoulé, et je laisse le sénateur Hays, qui était coprésident du comité spécial sur le projet de loi S-4, poser la dernière question.

Auparavant, je tiens à vous signaler que, la semaine prochaine, nous entendrons le témoignage par vidéoconférence de la baronne Deech, de lord Taylor et de lord Howe concernant la Chambre des lords. Je veux également vous signaler qu'il y a, selon le site web, 403 lords, en moyenne, qui siègent à la Chambre des lords chaque jour, que 185 membres actuels de la Chambre des lords sont d'anciens députés, qu'il y a 141 femmes à la Chambre des lords, et que l'âge moyen des membres est de 68 ans. J'ai également remarqué que la Chambre des lords siège habituellement jusqu'à 22 heures.

Mme Russell : Vous remarquerez que la participation chez les anciens députés est beaucoup plus marquée. Il y a la chambre telle qu'on l'a décrite sur papier, et il y a la chambre active. La proportion d'anciens députés parmi les membres actifs de la Chambre serait beaucoup plus élevée, car ces personnes sont rompues à l'activité parlementaire. Ils en reconnaissent l'importance, et la plupart d'entre eux demeurent plutôt actifs lorsqu'ils accèdent à la Chambre des lords.

Le sénateur Hays : J'aimerais revenir rapidement sur une question, et ensuite, en poser une dernière. Les lords ont participé activement au processus de réforme. Le Sénat du Canada a, à une autre époque, lui aussi participé à un processus. Je songe à mon prédécesseur, le président Gil Molgat, qui s'intéressait à la réforme. Il s'agit d'un autre Canadien de l'Ouest qui s'est consacré à la réforme.

Avez-vous d'autres commentaires sur la façon d'encourager le Sénat à aborder cette question, comme l'ont fait les lords? Et j'aimerais également des précisions : la Chambre des communes l'emporte-t-elle sur la Chambre des lords pour ce qui est de trancher le débat actuel opposant l'élection et la nomination de membres?

Mme Russell : Oui, la Chambre des communes peut l'emporter sur la Chambre des lords à l'égard de tout projet de loi présenté à la Chambre des communes, en vertu des lois parlementaires de 1911 et de 1949, mais il est extrêmement rare qu'on exerce ces pouvoirs. Si je me souviens bien, on ne les a exercés qu'à quatre reprises depuis 1949. En général, on règle les différends à l'amiable, par la négociation et l'entente sur une sorte de compromis.

Pour ce qui est de faire participer la Chambre des lords au débat, c'est difficile. La Chambre des lords joue un rôle plutôt actif dans le cadre du débat, mais elle court toujours le risque, lorsqu'elle défend le statu quo, de se faire accuser de défendre ses propres intérêts. Cette possibilité est bien réelle, mais on ne saurait nier que ce sont les personnes qui siègent à la Chambre et qui y travaillent qui la connaissent le mieux. De nombreuses personnes à l'extérieur de la Chambre des lords, y compris des gens de la Chambre des communes, ne comprennent pas vraiment tous les rouages de la Chambre des lords. Par conséquent, il est plutôt difficile, pour la Chambre des lords, de se défendre sans donner l'impression de défendre ses propres intérêts.

L'une des choses que nous avons faites consistait à établir quelques comités conjoints réunissant des membres de la Chambre des communes et de la Chambre des lords. La commission royale comptait également des membres des deux Chambres. Ainsi, on fait appel à l'expertise de chacun, et chacun prend connaissance du point de vue de l'autre. Cela favorise la compréhension.

Le président : Monsieur Horgan et madame Russell, je sais que tous les membres du comité m'appuient lorsque je vous dis que vos exposés étaient excellents et que votre témoignage nous sera des plus utiles. Merci beaucoup.

La séance est levée.


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