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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 24 - Témoignages du 28 mars 2007 - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le mercredi 28 mars 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s'est réuni aujourd'hui à 16 h 14 pour examiner le projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs).

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd'hui notre examen du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs).

Le projet de loi S-4 s'assortit d'une disposition de fond qui modifierait l'article 29 de la Loi constitutionnelle. Cette modification mènerait au remplacement du mandat actuel des sénateurs, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de 75 ans, par un nouveau mandat de huit ans. Le renouvellement n'est pas exclu, de sorte que le mandat peut être renouvelé. Les sénateurs continueraient d'être nommés par le premier ministre, comme c'est le cas à l'heure actuelle.

Ce projet de loi a été présenté au Sénat le 30 mai 2006. Un comité spécial, créé par le Sénat le 21 juin 2006, a été chargé d'examiner la teneur de ce projet de loi ainsi que d'autres enjeux touchant la réforme du Sénat. Ce comité a entendu 26 témoins, dont un grand nombre d'experts reconnus des questions liées à la réforme du Sénat. Le comité a également entendu le témoignage du premier ministre du Canada lui-même, le 7 septembre 2006; il a décrit ce projet de loi comme une « proposition de réforme modeste, mais positive » pour le Sénat.

D'entrée de jeu, notre comité jouit de plusieurs avantages importants qui vont nous aider à procéder rapidement. Nous avons eu la possibilité de passer en revue les témoignages d'experts fournis au comité spécial, car les transcriptions de ces témoignages ont été distribuées à tous les honorables sénateurs, à ma demande. En outre, le rapport du comité spécial jette d'excellentes bases de discussion et d'analyse concernant les enjeux de réforme soulevés par ce projet de loi.

Le Sénat est saisi de ce projet de loi depuis 115 jours de séance possible, sur une période de presque 11 mois. Or, beaucoup de travail utile a été effectué au cours de cette période. Notre comité a décidé de tirer profit de ce travail au lieu de le reproduire, de sorte que, à l'exception de quelques personnes, nous allons nous appuyer sur les témoignages d'experts devant le comité spécial au lieu de les inviter à répéter l'exercice devant nous.

À la lumière de ces témoignages et d'autres travaux effectués, nous avons limité la portée de notre enquête à deux questions essentielles toujours non résolues. La première concerne la constitutionnalité du projet de loi : le Parlement peut-il modifier la Constitution pour modifier le mandat des sénateurs sans consulter les provinces? La deuxième concerne le mandat de huit ans : est-ce que le mandat renouvelable de huit ans est la meilleure formule pour le Sénat?

Aujourd'hui, honorables sénateurs, nous avons le plaisir d'accueillir comme témoins quatre Canadiens distingués. Nous allons écouter les quatre exposés et passer ensuite aux questions.

Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Mme Jennifer Smith est présidente du département de sciences politiques à l'Université Dalhousie. Mme Smith a siégé à deux commissions de délimitation des circonscriptions électorales, aux échelons fédéral et provincial, et a travaillé sur des questions constitutionnelles dans le cadre des négociations constitutionnelles du lac Meech et de Charlottetown. Dans ses cours, Mme Smith s'intéresse aux rouages du gouvernement et de la politique au Canada et aux États-Unis. Ses écrits portent sur la procédure électorale, les questions constitutionnelles et le fédéralisme.

Mme Alexandra Dobrowolsky est présidente du département de sciences politiques de l'Université Saint Mary's. Ses cours portent sur la politique canadienne, la politique comparative et les femmes et la politique. En outre, l'Association canadienne des sciences politiques lui a décerné en 2006 le prix Jill Vickers pour son article « Social Exclusion and Changes to Citizenship : Women and Children, Minorities and Migrants in Britain. »

M. Alan Cairns, professeur émérite, est considéré par ses contemporains comme l'un des chercheurs canadiens les plus influents dans le domaine des sciences sociales. Il a beaucoup écrit sur un large éventail de sujets touchant la politique canadienne, du système électoral jusqu'au fédéralisme, en passant par les enjeux liés à la Constitution et à la Charte et les questions touchant la citoyenneté autochtone. Il a publié en 1971 « The Judicial Committee and Its Critics », article sur le militantisme judiciaire au Canada qui a fait époque sur la scène politique canadienne. On mentionne souvent que cet article figure parmi les documents universitaires les plus cités en ce qui concerne la politique canadienne. M. Cairns a témoigné à de nombreuses reprises devant les comités parlementaires, et nous sommes ravis de le compter parmi nous.

M. Richard Simeon est professeur de sciences politiques et de droit à l'Université de Toronto. M. Simeon a exercé plusieurs fonctions au sein de la fonction publique, y compris celle de coordonnateur de recherche sur les institutions fédérales à la Commission royale sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada, de vice- président de la Commission de réforme du droit de l'Ontario, et de conseiller auprès des administrations ontariennes en matières constitutionnelles et intergouvernementales. Ses recherches et ses écrits portent sur l'activité politique et sur les politiques publiques au Canada, en particulier le fédéralisme, la Constitution et les relations intergouvernementales. Ses travaux plus récents concernent des questions plus larges de gouvernance contemporaine au Canada et en comparaison avec d'autres pays. Il étudie actuellement le fédéralisme, la démocratie et le constitutionnalisme dans les sociétés divisées.

Soyez les bienvenus parmi nous. Nous avons hâte d'entendre vos exposés. J'aimerais commencer par Mme Jennifer Smith, qui doit nous quitter plus tôt.

Jennifer Smith, présidente, Département de science politique, Université Dalhousie : Je vous remercie de l'invitation à témoigner, et je m'excuse de devoir vous quitter à 17 h 15, car je dois prendre l'avion pour retourner à Halifax.

J'ai lu les transcriptions des séances que vous avez tenues, et elles m'ont beaucoup appris. Je n'étais même pas convaincue de la pertinence de mon témoignage aujourd'hui, car je me demandais bien ce que je pourrais ajouter à ce débat. La qualité du débat est impressionnante. Qu'à cela ne tienne, je me sens privilégiée d'être ici et de pouvoir participer à la démarche et y mettre du mien.

Je vous ai acheminé des copies des remarques que je vais formuler, et je vais essayer de les présenter le plus rapidement possible.

Tout d'abord, deux évidences : premièrement, le Sénat visait principalement à servir de Chambre haute dans un régime parlementaire inspiré du régime britannique; on s'attendait à ce qu'il serve de Chambre de second examen objectif, et c'est ce qu'il fait.

Deuxièmement, il y a une fonction à laquelle on a toujours fait allusion dans le cadre des débats entourant la Confédération, soit la fonction fédérale de représentation des intérêts régionaux et provinciaux. Le compromis intéressant dans le cadre duquel on a substitué la représentation régionale à la représentation égale des provinces affaiblit peut-être la fonction fédérale, mais il ne l'élimine pas.

Est-ce que le passage à un mandat renouvelable de huit ans pour les sénateurs, nommés par le premier ministre, étouffe la fonction de second examen objectif? J'estime que c'est le cas, car il réduit l'indépendance de la personne nommée. Pourquoi? Parce que la personne nommée voudra peut-être faire renouveler son mandat.

Dans son témoignage, le premier ministre a rejeté l'idée selon laquelle la renouvelabilité inhibe l'indépendance et a déclaré que la partisanerie est le principal facteur qui influe sur le comportement. Avec le respect que je lui dois, la partisanerie a ses degrés. L'épisode récent concernant les présidents des comités, du moins, d'après ce qu'en a dit la presse, ainsi que le gros bon sens, devraient réfuter son raisonnement.

Dans son témoignage, M. Newman a laissé entendre qu'il y a divers degrés d'indépendance. De fait, pour ce qui est des institutions politiques supérieures, ce n'est pas le cas. Dans ces institutions, l'indépendance des personnages politiques nommés tient uniquement à la durée du mandat, à la non-renouvelabilité, à la difficulté de destituer une personne et à la sécurité salariale. Qu'il y ait des représentants à mandat limité dont les fonctions sont décrites avec force détail dans les lois est sans importance.

Est-ce que le passage à un mandat renouvelable de huit ans, sur nomination par le premier ministre, étouffe la fonction de représentation fédérale? Oui, car l'indépendance de la personne nommée est compromise par la perspective d'un mandat renouvelable.

Puisque le mandat renouvelable de huit ans étouffe les fonctions de second examen objectif et de représentation fédérale, peut-on faire valoir qu'il dénature le Sénat envisagé à l'époque de la Confédération? Oui, pour les raisons déjà présentées.

Les changements proposés exigent-ils une modification constitutionnelle, en vertu de l'alinéa 42(1)b), des pouvoirs du Sénat et du mode de sélection des sénateurs? Eh bien, tout dépend si vous êtes d'avis que le fait de changer les fonctions du Sénat, de la façon que je vous ai décrite, correspond à changer ses pouvoirs. Si la renouvelabilité mine l'exercice des fonctions de second examen objectif et de représentation fédérale — et je crois que c'est le cas — alors, elle influe également sur le pouvoir d'exercer ces fonctions.

S'il y a des doutes sur cette question, on peut évidemment inviter la Cour suprême du Canada à examiner le projet de loi et à trancher.

Concernant l'élection, il y a deux choses que je peux dire. Premièrement, le projet de loi ne contient aucune disposition portant sur cette question, de sorte qu'il est impossible d'examiner intelligemment le changement proposé à la lumière uniquement de l'intention proclamée du gouvernement actuel de tenir des élections, malgré l'opposition éventuelle des provinces à une telle démarche.

Deuxièmement, les parrains du projet de loi, y compris le premier ministre, font valoir qu'il est un important précurseur de la démocratisation du Sénat par l'élection de sénateurs. Ils avancent que la création de mandat renouvelable à durée limitée aura un effet d'entraînement et mènera forcément à un processus électoral. C'est bien possible, surtout si le premier ministre décide de nommer des personnes qui briguent les suffrages et obtiennent un siège au Sénat dans le cadre d'une élection.

Mais je n'arrive pas à me défaire de l'idée selon laquelle un premier ministre à qui l'on accorde l'occasion de nommer des sénateurs pour un mandat renouvelable de huit ans en viendra peut-être à percevoir cela comme l'occasion non seulement de récompenser ses partisans, mais aussi de tirer profit de la carotte de leur renouvelabilité.

Je vous pose donc la question suivante : en quoi un premier ministre serait-il encouragé à rallier les provinces, pour quelque raison que ce soit, à une proposition consistant à nommer uniquement des sénateurs qui ont été « élus »? En quoi serait-il encouragé à déployer tous les efforts nécessaires pour appliquer la formule de modification en vue d'obtenir une modification relative à l'élection des sénateurs? On pourrait faire valoir que ce projet de loi ne constitue pas un progrès vers l'élection. Il pourrait plutôt s'agir d'un recul.

Alexandra Dobrowolsky, présidente, Département de science politique, Université Saint Mary's : J'ai préparé une feuille qui résume mes principaux arguments en réponse aux trois questions que vous nous avez demandé d'examiner, alors je vais consacrer le temps qui m'est alloué aujourd'hui à fournir des précisions sur ces points.

Le projet de loi S-4 apporterait un changement en apparence marginal, mais, comme vous le savez, il s'inscrit dans une démarche plus ambitieuse visant à ouvrir la voie à une réforme constitutionnelle ayant pour but ultime la création d'un Sénat élu.

Il y a lieu de s'interroger sur la capacité du gouvernement d'amorcer cette démarche, même au stade initial, sans faire participer les provinces — sans parler de la consultation élargie auprès des peuples autochtones, des femmes et des minorités ethniques et raciales. Ce projet de loi est peut-être conforme à la procédure officielle de révision constitutionnelle et il pourrait avoir force exécutoire, mais je crois qu'il va à l'encontre des conventions constitutionnelles et des pratiques actuelles en matière de révision constitutionnelle. Autrement dit, même s'il est conforme aux normes juridiques, je ne crois pas que ce projet de loi soit légitime sur le plan politique.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'une modification comparable a été apportée en 1965 en vue de fixer l'âge de la retraite des sénateurs à 75 ans; cette modification a été apportée sans le consentement des provinces. Toutefois, le milieu des années 1960 n'a rien à voir avec la fin des années 2000, et les temps, ainsi que les mécanismes politiques appropriés sur le plan constitutionnel, ont changé. Dans l'intervalle, entre 1965 et 2006, divers faits nouveaux, des arrêts de la Cour suprême jusqu'à nos expériences constitutionnelles des années 1980 et 1990, rendent la démarche du gouvernement actuel d'autant plus contestée et contestable.

Le président : Excusez-moi un instant. Ce que vous dites en anglais est traduit, et vous allez trop vite. Je ne vais pas vous interrompre, mais je vous prie de parler moins vite.

Mme Dobrowolsky : Le renvoi de 1981 relatif au rapatriement de la Constitution ainsi que le renvoi de 1980 relatif à la Chambre haute, d'application plus directe, décrient tous deux l'action unilatérale. Le deuxième s'assortit même d'un appel à la protection des droits des minorités.

Même si, en l'espèce, le tribunal faisait allusion aux provinces, nous pouvons également, vu le contexte actuel, tenir compte de l'incidence générale sur les minorités, des peuples autochtones et des minorités ethniques et raciales jusqu'aux majorités traitées comme des minorités, par exemple, les femmes. Dans l'ensemble, ce renvoi de 1980 relatif à Chambre haute met en doute la légitimité d'une démarche unilatérale du Parlement.

Qui plus est, les événements survenus pendant les années 1980 et 1990 laissent croire également à une préférence pour l'unanimité sur l'unilatéralisme. Par exemple, même si la Loi constitutionnelle de 1982 soumet l'approbation de certains changements au Sénat à la règle des 7/50, alors que, dans les accords du lac Meech et de Charlottetown, il est plutôt question d'approbation unanime.

Parallèlement, les Canadiens dits « de la Charte » sont maintenant concernés par la Charte, de sorte que la Constitution n'est plus seulement affaire de fédéralisme et de gouvernements. Cette réalité s'est manifestée clairement lorsque des groupes de femmes, des groupes d'Autochtones et d'autres groupes qui revendiquent l'égalité ont contesté les négociations à huis clos des organes exécutifs et les résultats de la ronde du Québec qui a mené à l'Accord du lac Meech. Ces groupes et d'autres groupes qui revendiquent l'égalité ont également aidé à ouvrir le processus de consultation aux Canadiens ordinaires dans le cadre de la « Canada round » qui a mené à l'Entente de Charlottetown.

Les représentantes de groupes de femmes, par exemple, ont exercé beaucoup d'influence à l'occasion des conférences constitutionnelles organisées par Joe Clark avant la conclusion de l'Entente de Charlottetown, et ont gagné l'appui du public et de certains gouvernements provinciaux à l'égard de l'idée d'un Sénat composé à parts égales d'hommes et de femmes et de l'élargissement de la notion d'égalité dans le cadre des discussions sur le renouvellement du Sénat, principes acceptés par les participants à la conférence de Calgary. L'Entente de Charlottetown a ensuite ouvert la voie à l'établissement éventuel d'un système de quotas, de mesures spéciales favorisant la représentation équitable des hommes et des femmes. Toutefois, il est surtout question du besoin de tenir des consultations élargies.

Comme l'a fait remarquer un expert juridique après l'échec de l'Entente de Charlottetown : « La consultation publique, si vaste soit-elle, ne saurait garantir le succès de propositions visant à modifier la Constitution. Toutefois, on peut probablement supposer que l'absence de consultations publiques en garantit l'échec. » Il importe également de ne pas perdre de vue que la Cour suprême, dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec de 1998, déclare que, à l'instar du fédéralisme, le respect des personnes et des minorités font partie des caractéristiques qui définissent le Canada. De plus, cela met en relief la nécessité d'ouvrir le processus non seulement à la participation territoriale, mais aussi à l'examen non territorial. En somme, la jurisprudence et les normes et pratiques constitutionnelles des dernières décennies donnent à penser qu'une consultation élargie s'impose. Cette consultation devrait supposer la participation non seulement des premiers ministres, mais aussi des Premières nations et d'autres intervenants non territoriaux.

Depuis la modification de 1965, on a formulé diverses recommandations visant à modifier la durée du mandat des sénateurs. Je vous fais grâce de la description de ces recommandations, car je suis certaine que vous les avez déjà entendues, et que vous les connaissez.

Je vais donc passer à l'essentiel et vous présenter mon point de vue sur la question. Lorsqu'il s'agit de déterminer si la durée du mandat est appropriée, il faut se demander si un changement modifierait de façon fondamentale la nature globale du Sénat. Il est fort possible que des mandats plus courts permettent de revigorer le Sénat. Cela pourrait également ouvrir la voie à une diversification accrue du Sénat et à la représentation de groupes identitaires non territoriaux. Par contre, cela dépend toujours des intentions du premier ministre. Si un premier ministre choisit de nommer un plus grand nombre de femmes et de représentants de minorités ethniques et raciales et de peuples autochtones, alors un mandat plus court peut produire un Sénat différent. Mais il est tout aussi possible que le contraire se produise. Il suffit de se pencher sur les récentes nominations à la magistrature du premier ministre Harper, qui sont très révélatrices. Dans ce cas, c'est non pas la diversité, mais bien la conformité idéologique qui l'emporte. Les sénateurs ressemblent aux juges dans la mesure où ils sont nommés — pas élus —, et les sénateurs jouent un rôle semblable à la fonction d'examen judiciaire, dans la mesure où le Sénat est chargé de surveiller la Chambre des communes et le gouvernement. Cette fonction de surveillance pourrait être affaiblie par le mandat de huit ans, car on pourrait raisonnablement s'attendre à ce que cela confère un pouvoir accru au premier ministre. Cela ouvre la voie à un accroissement du favoritisme, à une réduction de l'indépendance et, par conséquent, à une baisse de l'efficacité du Sénat dans son rôle de surveillance. De plus, un roulement plus élevé pourrait mener à la perte de mémoire institutionnelle et miner les efforts du Sénat pour exercer sa fonction clé de second examen objectif.

Par conséquent, je ne suis pas en faveur de l'adoption d'un mandat inférieur à huit ans. Certaines preuves donnent à penser qu'un mandat plus long est souhaitable, qu'un mandat non renouvelable de neuf ou de dix ans est préférable, car, si le mandat est renouvelable, un sénateur voudra peut-être user de stratégies pour assurer le renouvellement de son mandat. D'abord et avant tout, selon moi, le but est de favoriser une représentation accrue des groupes marginalisés.

Enfin, pour ce qui est de la question régionale, évidemment, le principe de l'égalité régionale a été établi en 1867. Le compromis de la Confédération tenait au fait que l'une des principales fonctions du Sénat serait liée à la représentation régionale. C'est le fondement historique du Sénat, mais les choses ne se sont pas vraiment déroulées de cette façon dans la pratique. Si le Sénat exerçait efficacement cette fonction, nous n'aurions pas assisté à la naissance de partis régionaux comme le Crédit social et, plus récemment, le Parti réformiste et le Bloc québécois. De plus, nous n'aurions pas assisté à la montée du fédéralisme exécutif et à l'institutionnalisation des conférences des premiers ministres. Au cours des 20 dernières années, les premiers ministres se sont plutôt attachés à la représentation d'autres groupes, comme les femmes, les minorités ethniques et raciales et les peuples autochtones, de sorte que, à cet égard, le Sénat est plus représentatif que la Chambre des communes. Puisque le Sénat n'a pas vraiment réussi à permettre aux régions de se faire entendre, j'estime que toute réforme du Sénat devrait s'attacher aux groupes linguistiques et à d'autres groupes minoritaires et majoritaires, comme les femmes, qui, malheureusement, sont toujours gravement sous-représentées au sein des institutions gouvernementales canadiennes.

Dans le Canada d'aujourd'hui, les intérêts nationaux qui tiennent compte non seulement des intérêts régionaux, mais aussi des intérêts des minorités et du grand public, sont considérables. Une représentation plus robuste des diverses identités non territoriales va favoriser l'examen d'enjeux pancanadiens qui dépassent en portée les limites de compétence — par exemple, l'inégalité sociale, l'environnement, etc. L'objectif est donc de transcender les préoccupations partisanes et purement régionales et de représenter une population diversifiée. S'il représente bien la population, le Sénat peut, en sa qualité d'organe public, gagner la confiance de la collectivité.

Richard Simeon, professeur invité des études canadiennes, Université Harvard : Merci, monsieur le président. Je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion de témoigner devant le comité. Je n'ai pas préparé de mémoire à distribuer aux membres du comité, mais j'ai témoigné devant le comité spécial en septembre dernier. Je crois que vous avez eu l'occasion de parcourir le mémoire que j'avais préparé pour cette séance.

Comme vous l'avez mentionné, votre comité doit déterminer, d'abord et avant tout, s'il est constitutionnel pour le Parlement de modifier unilatéralement la Constitution dans le but de prévoir un mandat plus court pour les sénateurs en vertu du projet de loi. J'ai des opinions sur cette question, mais je vais m'en remettre aux nombreux avocats de droit constitutionnel, qui en savent beaucoup plus que moi sur la procédure de révision constitutionnelle. J'ai l'impression, à la lumière du gros des conseils que vous avez reçus, que le changement dont nous parlons — il ne s'agit pas du passage à un Sénat investi d'un rôle consultatif ou d'un Sénat élu ou de tout autre changement fondamental — peut probablement être apporté unilatéralement par le Parlement.

L'autre question concerne la durée du mandat, et j'ai certainement l'intention de l'aborder. Avec votre permission, je vais prononcer quelques mots sur le cadre général dans lequel s'inscrit ma réflexion sur la réforme du Sénat. Tout examen d'un projet de réforme doit être fondé sur une conception claire du rôle et du but de la seconde Chambre. Doit- elle être l'égal de la Chambre des communes, ou doit-il s'agir d'un organe plus spécialisé investi d'un ensemble de rôles plus limités, mais clairement définis? C'est de cette façon que j'envisage la question. Je ne veux pas d'une seconde Chambre qui jouerait un rôle analogue à celui du Sénat américain par rapport à la Chambre des représentants.

Quels sont ces rôles? Encore une fois, mes collègues les ont mentionnés. Il y a, tout d'abord, le rôle éprouvé du Sénat actuel à titre de Chambre de second examen objectif dans le cadre duquel il examine soigneusement de nombreux projets de loi, ce que la Chambre des communes, surchargée et fortement soumise à des considérations partisanes, n'est pas en mesure de bien faire. À cette fin, nous avons besoin d'un Sénat au sein duquel l'affiliation politique et la discipline de parti jouent un rôle plus modeste qu'à la Chambre des communes. Cela exige, comme on l'a déjà mentionné, que les sénateurs jouissent d'une grande indépendance par rapport au parti au pouvoir et au Cabinet.

Ensuite, nous voulons que le Sénat s'intéresse davantage aux aspects à long terme qui vont au-delà de la prochaine élection, qu'il mène des études et tienne des séances et se penche sur des enjeux naissants sur la scène nationale, pour les porter à l'attention du pays. Le Sénat actuel joue très bien ce rôle. Cela suppose que les sénateurs soient investis d'un mandat plus long, car cela leur procure un horizon temporel plus long que celui des députés élus. Bien sûr, il reste à déterminer combien de temps devrait durer ce mandat.

Enfin, le Sénat est une institution qui devrait représenter les régions et les provinces — c'est le rôle habituel de la seconde Chambre dans un régime fédéral. Nous savons que le Sénat actuel, en raison du mode de nomination utilisé, ne joue pas bien ce rôle. C'est peut-être son plus grand échec. J'ai l'impression que, dans un pays où les divisions régionales et linguistiques sont aussi marquées que les nôtres, il est crucial de combiner l'habilitation des provinces et la prise de mesures visant à assurer la représentation de tous ces intérêts à l'échelon fédéral. Le Canada a besoin, d'abord et avant tout, de renforcer les liens entre la politique nationale et la politique provinciale. Or, le Sénat pourrait manifestement jouer un rôle à ce chapitre.

Ce sont là les rôles et les thèmes connus. Je suis d'accord avec mes collègues qui affirment que le Sénat, dans le Canada d'aujourd'hui, est investi d'un quatrième rôle qui consiste à être plus représentatif. En effet, il est déjà plus représentatif à l'égard de certaines différences, comme le sexe, l'ethnicité et ainsi de suite. Comme nous le savons tous, surtout avec notre système uninominal majoritaire à un tour pour l'élection de députés à la Chambre des communes, nous affichons de nombreuses lacunes au chapitre de la représentation. Mon épouse m'a suggéré d'utiliser une nouvelle expression aujourd'hui : les défavorisés électoraux du Canada, ceux qui n'ont pas voix au chapitre dans le cadre de notre processus existant. Nous devrions envisager le Sénat comme un outil nous permettant d'atténuer ce phénomène.

Un Sénat élu et bien conçu — et les gens ont parlé de représentation proportionnelle et de votes uniques transférables — pourrait contribuer à accroître la représentativité du Sénat de cette façon. Cependant, je suis un peu sceptique en ce qui concerne notre capacité de mettre au point un système électoral efficace pour faire cela. C'est pourquoi je me suis surpris, à l'occasion de mon témoignage précédent, devant l'autre comité, à finalement appuyer la nomination.

J'ai défendu toutes les positions sur cette question. J'étais en faveur d'un Sénat similaire au Bundesrat, et j'étais en faveur d'un Sénat élu. Toutefois, j'ai bien l'impression que certains des buts dont nous avons parlé, soit le rôle fédéral et le rôle lié à la représentation, pourraient être atteints au moyen d'un mécanisme de nomination relevant non pas du premier ministre, mais bien, par exemple, de commissions de nomination provinciales constituées de représentants des partis de cette province au Parlement national et au sein de l'assemblée législative provinciale. Ainsi, l'exercice aurait une dimension à la fois fédérale et provinciale. C'est ma position actuelle à l'égard de ce que nous devrions faire concernant la nomination.

Laissez-moi vous parler brièvement du projet de loi S-4, en particulier la disposition relative au mandat renouvelable de huit ans. Tout d'abord, je suis d'accord avec ceux qui font valoir que, lorsqu'on l'examine de façon isolée, il s'agit d'un changement supplémentaire que nous devrions appuyer. Je conviens du fait que nous devons envisager dans leur ensemble toutes ces questions liées à la nomination et au mandat, mais on peut, ne serait-ce que pour un moment, isoler cet aspect et l'examiner de façon isolée.

En soi, c'est une bonne idée. Cela veut dire que le Sénat sera davantage en harmonie avec les valeurs changeantes et les préférences en matière de politiques au sein d'une société qui évolue rapidement, ce qui constitue manifestement un progrès par rapport au mandat qui se termine à l'âge de 75 ans. Parallèlement, il me semble qu'un mandat de huit ans est toujours suffisant pour offrir un horizon temporel un peu plus long, suffisant pour permettre un second examen objectif.

Je crois savoir que le Royaume-Uni envisage maintenant un mandat d'environ 15 ans. Je crois que c'est la France qui offre actuellement le mandat le plus long aux membres d'une seconde Chambre, avec neuf ans. Un mandat de 15 ans ne semble pas changer grand-chose par rapport à un mandat qui dure jusqu'à l'âge de 75 ans, il ne s'agit certainement pas d'une grande amélioration. Je crois que le mandat doit être beaucoup plus court que ça.

Quelle durée est la bonne? Huit ans, 10 ans, 12 ans? Je ne crois pas qu'on puisse répondre à cette question avec certitude, mais je crois effectivement que le mandat de huit ans comporte de graves lacunes. Cela voudrait dire, dans la mesure où aucun changement n'est apporté au mode de nomination, qu'un premier ministre au pouvoir pendant deux mandats aurait la possibilité de nommer tous les membres du Sénat.

J'ai l'impression que nous devrions prévoir un mandat assez long pour prévenir une telle chose, et c'est pourquoi je suggère un mandat de neuf ou de dix ans, ou quelque chose comme ça, pour veiller à ce qu'il chevauche trois cycles électoraux. Cependant, je ne crois pas que nous devrions opter pour un mandat de 15 ans, car le désengagement des sénateurs de la vie du pays serait trop grand.

Pour la même raison, en ce qui concerne le pouvoir du premier ministre, si nous conservons le mode de nomination actuel, alors je serais vigoureusement contre la renouvelabilité, pour les raisons que j'ai mentionnées. Si nous devions opter pour un quelconque mode de scrutin, alors j'ai l'impression que, puisque c'est la peur de la défaite qui favorise la responsabilisation, je serais plus disposé à appuyer la renouvelabilité si nous nous aventurions dans cette voie. Sous la forme présentée, je suis vigoureusement contre la renouvelabilité.

Pour conclure, j'insiste sur le fait que nous, les artisans des institutions, savons que chaque réforme institutionnelle a ses avantages et ses désavantages, et que chacune d'elles peut mener à une foule de conséquences imprévues. Je vois cet exercice comme le point de départ d'un dialogue plus étendu sur la réforme fondamentale du Sénat, chose qui, selon moi, est nécessaire, mais qui ne saurait se faire à la hâte.

Le président : Merci beaucoup de vos commentaires très réfléchis, ils nous seront des plus intéressants et utiles. Soyez certain que les honorables sénateurs auront de nombreuses questions à vous poser, en particulier à l'égard du mandat et de sa durée. Enfin, monsieur Cairns, nous sommes impatients d'entendre votre point de vue.

Alan Cairns, professeur émérite, Université de la Colombie-Britannique : Merci, monsieur le président. Je suis non pas professeur de droit, mais bien politologue, et je suis certain que, au fil des témoignages, vous en viendrez à la conclusion que ces distinctions entre les disciplines sont très importantes.

Je n'ai pas préparé de mémoire, car ce n'est que tout récemment qu'on m'a invité. Je ne me suis jamais penché de façon approfondie sur les questions liées au Sénat, de sorte que mes observations vous sembleront peut-être un peu naïves.

J'ai pris connaissance du contenu des séances du comité précédent. À la lumière de cet examen, j'ai cru bon d'aborder un certain nombre de questions, et il s'agit de questions différentes de celles que mes trois collègues ont abordées.

Je suis intimidé par le peu de temps qui m'est accordé pour formuler ces commentaires, mais je me console en me disant que le discours prononcé par Lincoln à Gettysburg ne comptait qu'environ 300 mots et qu'il est considéré comme l'un des grands discours du XIXe siècle, au moins.

J'espérais couvrir six sujets, mais je vais m'en tenir à trois. Je vais me pencher sur le processus de réforme en trois étapes du Sénat qui commence à prendre forme. Ensuite, je vais m'intéresser aux problèmes soulevés par les efforts pour établir une distinction entre une élection consultative et une élection traditionnelle. Enfin, j'aborderai certaines faiblesses propres, selon moi, à la proposition relative à la représentation proportionnelle, en particulier pendant la période de transition. Dans la mesure où nous avons amorcé la première étape, nous avons de nouveaux sénateurs qui sont investis d'un mandat de huit ans et d'autres sénateurs à vie qui s'apprêtent à partir.

Laissez-moi tout d'abord parler du processus en trois étapes. Par processus en trois étapes, j'entends tout simplement que, d'après ce que je comprends, le projet de loi S-4 est la première étape. Ce projet de loi, qui porte sur le mandat limité des sénateurs, réduirait le mandat à huit ans. On fait valoir que cela va favoriser l'intégration de nouveaux points de vue, et qu'un roulement plus rapide permettra au Sénat d'être davantage en harmonie avec les divers éléments de la société d'aujourd'hui.

La proposition relative aux élections consultatives est la deuxième étape. Du point de vue des auteurs de cette proposition, on cherche à conférer au Sénat une légitimité démocratique importante qui, selon eux, fait défaut au Sénat actuel.

La troisième étape, dont la teneur est pratiquement inconnue pour l'instant, porte sur, je suppose, la représentation, ce qui exige une modification officielle. Je présume qu'elle viserait également à moderniser le système électoral, lequel, après la deuxième étape, prévoirait toujours un ensemble de recommandations à l'intention du premier ministre.

Vous constaterez assez rapidement que les étapes deviennent progressivement plus difficiles. La première étape est considérée comme la plus aisée, car, du point de vue des rédacteurs du projet de loi et du point de vue de la plupart des intervenants du comité précédent, elle ne suppose aucune modification constitutionnelle.

Or, le fait que les étapes deviennent progressivement plus difficiles n'est pas sans conséquences graves. Cela veut dire qu'à une étape donnée, on ne sera peut-être pas en mesure de terminer l'étape suivante. Autrement dit, nous sommes plus susceptibles de réussir l'étape un que de réussir les étapes un et deux. De même, nous sommes plus susceptibles de réussir les étapes un et deux que de réussir les étapes un, deux et trois.

Cela force les sénateurs à prendre une décision très compliquée. Ils doivent déterminer, entre autres, si l'étape un est une position de repli acceptable advenant l'échec de la deuxième étape devant l'une ou l'autre des deux Chambres. C'est paradoxal, car il est intellectuellement possible d'appuyer la première étape à titre d'entrée en matière pour passer à la deuxième, mais de s'y opposer dans un contexte où le processus s'arrête là.

Le problème, c'est que les sénateurs ne peuvent simultanément s'opposer à la première étape appliquée seule et l'appuyer parce qu'ils aiment la première et la deuxième étapes lorsqu'elles sont liées. L'étape deux, manifestement, change le rôle du premier ministre et la nature de ceux qui sont élus.

Dans son rapport, le comité précédent avançait que le projet de loi S-4 n'est pas à ce point lié au projet législatif relatif aux élections consultatives qu'on ne pourrait envisager sa mise en œuvre de façon isolée. Toutefois, dans le cadre des travaux du comité précédent, de nombreux témoins ont déclaré très clairement qu'il serait inacceptable de mettre de l'avant le projet de loi S-4 sans établir un processus électoral consultatif.

Au moment de nous prononcer sur la première étape, nous devons déterminer si, advenant l'échec de la deuxième étape, elle constitue tout de même une amélioration du système. J'avancerais que cette étape, si elle n'est pas accompagnée d'une version quelconque de la deuxième étape, aura des conséquences négatives, car elle accroîtrait tout simplement le pouvoir du premier ministre dans le cadre du processus de nomination, grâce au contrôle que lui conférerait le roulement rapide découlant de mandats successifs de huit ans.

Le problème de ce projet de loi que vous examinez, c'est qu'il est à la fois isolé — c'est-à-dire que nous l'examinons séparément — et étroitement lié à ce qui va suivre. Nous devons déterminer si nous appuyons la première étape seule ou si nous ne l'appuyons que lorsqu'elle s'inscrit dans le processus d'ensemble, tout en convenant du fait que ce processus d'ensemble ne sera peut-être jamais mené à terme, car chaque étape devient progressivement plus difficile. Je présente la question un peu rapidement à mon goût, car c'est un argument complexe que je tente de formuler.

Je propose que les sénateurs envisagent la possibilité, advenant l'adoption du projet de loi S-4, de prévoir sa caducité après cinq ans s'il n'est pas maintenu par des votes majoritaires dans les deux Chambres, et je le fais à titre de personne qui n'est expert ni des affaires parlementaires ni des affaires constitutionnelles. Ainsi, ceux dont l'appui tient à la mise en œuvre de la deuxième étape, pourront retirer leur appui dans cinq ans si leurs conditions — c'est-à-dire la mise en œuvre d'une version quelconque de la deuxième étape — ne sont pas respectées. Nous savons tous que, avec le temps, des problèmes surgissent lorsque nous étalons un processus sur un certain nombre d'années. Un gouvernement différent sera peut-être au pouvoir lorsque nous en serons à la deuxième étape, et il en va de même de la troisième.

En d'autres mots, le processus en trois étapes fait en sorte qu'il est extrêmement difficile d'interpréter la portée de son appui à l'égard du projet de loi S-4. Certains appuieront le projet de loi S-4 parce qu'ils l'apprécient, parce qu'ils privilégient cette formule même si aucun autre processus n'est mis sur pied par la suite, et d'autres ne l'appuieront que s'il s'inscrit dans une démarche globale. Ils l'accepteront à titre de composante de cette démarche, mais ils seront mécontents si la démarche d'ensemble ne va pas de l'avant, en raison d'un échec dans la Chambre ou d'autres choses.

Je passe rapidement à la deuxième question sur l'élection consultative et l'élection régulière. Le comité précédent a analysé cette question dans son rapport. Il semble que la question clé consistait à déterminer si un processus consultatif entrave le choix du premier ministre. On entend par entrave quelque chose qui retient, gêne, assujettit.

L'objectif du processus de consultation est d'obtenir l'avis de la population au sujet des qualités de chacun des candidats en lice au moyen d'un processus électoral qui permet, selon la convention, de départager les gagnants et les perdants. Ce processus crée des dilemmes très importants. Si les pouvoirs discrétionnaires du premier ministre ne sont pas entravés, l'élection, comme le processus, est beaucoup moins justifiée. En d'autres termes, puisque c'est ainsi que nous envisageons les élections, le premier ministre est alors fortement incité à recommander les vainqueurs. S'il le fait de manière automatique, il me semble que ses pouvoirs discrétionnaires sont entravés. À ce moment-là, il n'a plus la liberté qu'il avait avant l'entrée en vigueur du processus en question.

Le rapport en question indique que MM. Monahan et Hogg pensent que, si l'on voit le processus comme créant un bassin de candidats dans lequel est choisi le vainqueur, cela n'entrave pas suffisamment le processus pour justifier un processus de révision constitutionnelle dans le cadre de la règle de sept provinces et de 50 p. 100 de la population.

À mon avis, si nous comparons la situation actuelle du premier ministre à sa situation après l'entrée en vigueur d'un tel processus, ses pouvoirs discrétionnaires, la possibilité pour lui de choisir, sont entravés de façon draconienne. Même si l'on présume que le processus ne tient qu'à la création d'un bassin de candidats, les pouvoirs discrétionnaires du premier ministre sont entravés, en ce sens que, après une élection consultative, il devient impossible d'envisager la nomination de toute personne qui aurait pu devenir sénateur, mais qui n'a pas posé sa candidature, de tout membre de la population en général qui, en l'absence d'un tel processus, aurait pu être choisi par le premier ministre pour faire partie des candidats, parce que ces personnes n'ont pas participé au processus électoral et ne peuvent donc pas être nommées sénateurs dans le contexte politique, pratique et réel. En d'autres termes, ce processus a pour effet que des dizaines de personnes qui auraient été clairement admissibles avant la mise en place d'un processus consultatif sont exclues. À mon avis, cela indique de façon évidente que les pouvoirs discrétionnaires du premier ministre sont entravés.

Pourquoi adopter ce processus électoral si l'objectif n'était pas d'entraver dans une mesure importante la capacité du premier ministre de choisir les personnes qu'il recommande à la gouverneure générale de nommer sénateurs? Il me semble donc que le processus électoral consultatif modifie le mode de sélection et rend absolument nécessaire le recours à la procédure de sept provinces et de 50 p. 100 de la population.

Permettez-moi de parler rapidement, puisque j'ai probablement dépassé le temps qui m'était alloué, de certains des problèmes que pose la représentation proportionnelle. Je pense que je peux les résumer et vous les présenter très rapidement.

L'objectif de la représentation proportionnelle, dans le cas présent comme dans de nombreux autres, est de favoriser la diversité au chapitre des gens qui interviennent dans le système. Dans le cas du Sénat, l'idée est d'éviter d'avoir la même représentation qu'à la Chambre des communes et qu'une répartition différente des partis serait avantageuse sur le plan du second regard objectif et des autres fonctions du Sénat. La difficulté liée à l'application de la représentation proportionnelle à la réforme du Sénat est que des problèmes graves s'opposent, surtout à l'étape de la transition. La représentation proportionnelle exige des circonscriptions à plusieurs sénateurs, habituellement de trois à cinq, au moins. Au cours d'une période de transition pendant laquelle un nombre important de sénateurs continueront de siéger, les possibilités de représentation proportionnelle seront très limitées. Ainsi, on ne profitera pas des avantages de la représentation proportionnelle, c'est-à-dire une meilleure représentation des minorités et une répartition plus équitable des sièges en fonction des nombres de votes. Autrement dit, la représentation proportionnelle ne fonctionnera pas. Dans de nombreux cas, ce ne sera pas un outil électoral utilisable lorsque des postes deviennent vacants à l'échelle du pays, jusqu'à ce que le Sénat soit renouvelé, en présumant que l'on a franchi la première étape. L'outil ne sera pas utilisable avant que le processus de retraite des sénateurs actuels et de nomination de nouveaux sénateurs soit très avancé. Pendant longtemps, dans certaines parties du pays, le scrutin uninominal majoritaire continuera d'être nécessaire.

Nous pourrions nous rappeler que la représentation proportionnelle ne fonctionnera pas dans nos trois territoires du Nord, où il n'y a qu'un sénateur par territoire. Il faudra beaucoup de temps avant que nous puissions faire de la représentation proportionnelle chose courante ailleurs. À mon avis, le comité devrait entreprendre des recherches sur les procédures électorales qu'on pourrait suivre pendant la période de transition au cours de laquelle les sénateurs actuels vont prendre leur retraite et seront remplacés par des sénateurs élus, puisqu'il ne pourra pas y avoir représentation proportionnelle pendant une longue période. Le projet de loi qui est devant la Chambre des communes à l'heure actuelle part du principe que la représentation proportionnelle est possible immédiatement, mais ce n'est tout simplement pas le cas.

Le président : Merci beaucoup. Vous nous avez donné matière à réflexion.

Madame Smith, je sais que vous devez partir. Vous avez fait des observations au sujet de la renouvelabilité et des mandats courts. Vous avez critiqué ces deux idées. Si le projet de loi était modifié de façon à prévoir des mandats plus longs et non renouvelables, quelle serait votre position?

Mme Smith : On vous a présenté un excellent texte rédigé par Andrew Heard, dans lequel il analyse la question de la durée du mandat. M. Heard a eu recours à certains indicateurs ayant trait au fait d'essayer d'évaluer combien de temps il faut à une personne nommée sénateur pour s'intégrer, dans le cadre des procédures du Sénat, puis pour participer très activement aux comités et ainsi de suite. D'après ce que j'ai lu dans le texte de M. Heard, celui-ci pense qu'un mandat de 12 ans serait approprié et suffisamment long pour permettre à une personne de jouer un rôle actif auprès du Sénat et de faire une bonne contribution. Je crois que M. David Smith était d'accord avec M. Heard là-dessus. Je pense que, grosso modo, c'est ma position.

Je pense qu'un mandat de huit ans serait trop court pour les raisons évoquées par M. Simeon, ainsi que celles que donne M. Heard dans son texte. Voilà donc pour cette question.

Comme vous le savez, je suis tout à fait en désaccord avec l'aspect renouvelabilité du projet de loi. À mon avis, la réforme du Sénat est un problème à plusieurs variables; il ne s'agit pas d'un problème qui tient à un seul facteur. Ce n'est pas un problème qu'on peut régler en choisissant une variable, en la modifiant et en s'attendant à ce que, d'une manière ou d'une autre, il ne se produise que des bonnes choses. Ce n'est pas une bonne façon de faire.

On ne peut que faire ce qu'on peut avec ce qu'on a. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de procéder à un changement en présumant que certaines choses vont se produire lorsqu'on n'a aucune emprise sur celles-ci et qu'on ne sait pas si elles vont se produire. J'envisage donc la renouvelabilité dans le seul contexte du projet de loi S-4, et, pour les raisons que je vous ai données, je crois que ce projet de loi compromet l'indépendance de la personne nommée. Je crois qu'il s'agit d'une idée totalement mauvaise.

Le sénateur Stratton : Avec tout le respect que je dois à Mme Smith, nous avons tenté quelque chose avec l'Accord du Lac Meech, et c'est quelque chose que vous connaissez certainement. Je pense que nous tous, ici, avons appris à vivre avec cet accord, selon lequel les provinces ont fini par fournir une liste de cinq noms au premier ministre pour qu'il choisisse. Évidemment, ça a été un échec.

Nous avons ensuite tenté autre chose avec l'Entente de Charlottetown, et nous avons tous survécu. Cet accord traitait de l'élection des sénateurs. Ces tentatives ont été assez exhaustives, surtout celles de Charlottetown. Ainsi, le pays a essayé à deux reprises de procéder à un changement profond, et cela s'est soldé par deux échecs.

L'idée du premier ministre et du gouvernement actuel est qu'il faut essayer d'accomplir cela de façon progressive, et je pense que vous vous rendez compte que c'est bel et bien le cas.

Ce qui m'embête dans l'idée d'effectuer de vastes consultations auprès des provinces et des citoyens du pays, c'est que cette démarche est vouée à l'échec. Elle l'est aussitôt qu'on franchit cette étape, parce que l'objet du débat devient le nombre de sièges qui seront accordés à chacune des provinces. Cette idée est tombée en morceaux pendant les négociations de Charlottetown. L'Ontario a fini par céder, mais l'accord a été réduit à néant surtout dans cette province et en raison de cette idée.

Si nous ne pouvons pas accomplir cela en faisant un survol général en vue de modifier l'ensemble du système, ce qui s'est révélé impossible à deux reprises, n'accepteriez-vous pas le fait qu'il devrait y avoir un mandat d'une durée définie? Essayons cela pour la première étape du processus de nomination pour une durée définie. Faisons un compromis. Si ce n'est pas huit ans, combien de temps est-ce que ce sera? Combien de temps le mandat devrait-il durer? C'est ce que j'aimerais que vous me disiez. Si cette première étape est possible, combien de temps devrait durer le mandat? Si vous n'êtes pas d'accord avec l'idée d'un mandat renouvelable, ce n'est pas grave, mais est-ce que cette première étape devrait être possible?

Mme Smith : Je répète ce que j'ai dit au départ en réponse à votre question. Je pense que huit ans, c'est trop court, et je pense que les points soulevés l'ont été parce qu'ils sont révélateurs. J'ai parlé du texte de M. Heard, et je pense donc que vous devriez envisager un mandat d'une durée de 10 ou 12 ans, plutôt que 8 ans.

Le sénateur Stratton : Seriez-vous d'accord pour dire qu'une étape progressive est possible?

Mme Smith : Je ne serai d'accord avec cette idée que si l'on peut soutenir que ce changement ne modifie pas de façon négative les fonctions conventionnelles du Sénat, le second regard objectif et la fonction fédérale. Si cet argument tient, alors on peut procéder à ce changement.

Je ne suis pas certaine que le Parlement du Canada puisse procéder à cette modification tout en respectant l'article 44 de la Constitution. Je dis cela tout simplement parce que je peux imaginer l'argument qu'on pourrait donner pour affirmer que cette modification est anticonstitutionnelle. Je peux imaginer l'argument qu'on pourrait formuler devant un tribunal, et je peux entrevoir comment ce tribunal pourrait conclure qu'un mandat renouvelable d'une durée de huit ans aurait des répercussions suffisantes sur le fonctionnement du Sénat pour toucher ses pouvoirs, et qu'on modifie donc arbitrairement ce qui, après tout, est une institution fondamentale de la Confédération. C'est comme couper l'herbe sous le pied des Canadiens. Cela pose problème.

Le sénateur Stratton : Vous n'êtes pas en faveur d'un mandat de huit ans, mais que pensez-vous d'un mandat de douze ans?

Mme Smith : Andrew Heard a présenté des arguments empiriques en faveur du mandat de 12 ans. Ce sont de meilleurs arguments que tous ceux que j'ai entendus lorsqu'on a proposé cette idée.

Le sénateur Stratton : Accepteriez-vous le mandat de 12 ans, dans ce cas?

Mme Smith : Je pense qu'on peut affirmer que s'il s'agit d'un mandat non renouvelable d'une durée de 12 ans, cela n'altère pas la fonction de second examen objectif ni celle de représentation fédérale.

Le sénateur Milne : Avant de commencer, je tiens à signaler que ce n'est vraiment pas la faute des témoins si le gouvernement a présenté un projet de loi qui est peut-être anticonstitutionnel. Je ne pense pas que nous devrions nous disputer avec eux.

Madame Smith, la question vous passionne beaucoup. Je dois dire que je suis d'accord avec pratiquement tout ce que vous avez dit ici, alors je ne vais pas vraiment vous mettre sur la sellette sur quelque sujet que ce soit.

Cependant, croyez-vous que le choix qui s'impose est celui de renvoyer le projet de loi devant la Cour suprême du Canada pour trancher la question de la constitutionnalité?

Mme Smith : Oui.

Le sénateur Milne : Madame Dobrowolsky, vous dites que l'absence de consultations publiques voue ce projet de loi à l'échec. C'est un projet de loi qu'on aurait dû présenter à la population. C'est donc une révision constitutionnelle suffisamment importante pour que, encore une fois, peut-être, cette consultation publique puisse prendre la forme d'un renvoi à la Cour suprême. Selon vous, est-ce que cette mesure pourrait tenir lieu de consultation publique?

Mme Dobrowolsky : Je crois qu'il faut qu'il y ait un débat élargi. Je ne suis pas une avocate spécialiste du droit constitutionnel. D'après mes recherches, il me semble que, au chapitre de la jurisprudence, ce projet de loi pourrait probablement être adopté, vu certaines décisions qui ont été prises dans le passé.

Au chapitre du processus politique, je crois que le projet de loi pose problème, vu les luttes constitutionnelles des années 80 et 90. Ainsi, cette démarche davantage unilatérale du gouvernement serait vue comme posant problème.

Il s'agit d'un changement progressif, mais qui touche une institution fondamentale. Là-dessus, je suis d'accord avec Mme Smith. Je pense que cela doit faire l'objet d'un débat élargi.

Loin de moi l'idée de dénigrer tout votre excellent travail, mais au chapitre de la légitimité, la population est sceptique face au Sénat. En réformant le Sénat sans tenir compte de l'avis de la population, on ne va pas renforcer, aux yeux de la population, le rôle du Sénat dans le cadre du processus démocratique, qui est une question délicate.

Le sénateur Milne : Monsieur Simeon, j'ai lu avec intérêt le texte de l'exposé que vous avez présenté devant le comité spécial, surtout le passage où vous dites :

Une fois de plus, nous discutons de la réforme du Sénat. Pourquoi? Ce n'est pas tout à fait clair. On ne peut pas dire que les citoyens descendent dans la rue pour réclamer cette réforme, et on peut soutenir que celle-ci est bien moins importante que d'autres éléments, par exemple, une réduction du déficit démocratique au moyen d'une réforme du système électoral ou encore de la Chambre des communes.

Croyez-vous que l'on devrait discuter de la réforme du rôle du Sénat — dont le projet de loi à l'étude, comme l'a signalé M. Cairns, est la première étape — à la lumière du fait qu'il y aura ensuite d'autres étapes? Il est très difficile de prendre une décision concernant la première étape lorsqu'on se trouve en quelque sorte dans les limbes en ce qui concerne la dernière étape; on ne sait pas vraiment de quoi elle sera faite et quand on la franchira.

Vous pourrez peut-être aussi nous dire ce que vous pensez du maintien de l'âge de la retraite à 75 ans, comme à l'heure actuelle, ce que le projet de loi prévoit aussi.

M. Simeon : En ce qui concerne votre première question, il semble que nous faisons face à un vrai dilemme ici. Vous savez que toutes ces questions sont interreliées; vous voulez donc un processus complet. En effet, si nous envisageons la réforme du Parlement, nous voudrons peut-être réformer la Chambre des communes en même temps que le Sénat.

L'autre aspect de ce dilemme est que nous savons à quel point la tâche est extraordinairement difficile. Il y a des problèmes dans les deux sens. Si nous comparons l'Accord du Lac Meech et celui de Charlottetown, l'Accord du Lac Meech était une tentative de dire « Voici une chose importante que nous devons faire; nous n'allons pas envisager tout le reste. » Ça a été un échec en partie à cause de cela. Les gens ont dit : « Qu'en est-il de toutes ces autres questions? »

Nous avons donc négocié à Charlottetown et dit : « Intégrons toutes ces questions au débat et effectuons des consultations beaucoup plus vastes ». Encore une fois, ça a été un échec. Que doivent donc faire les artisans de la réforme constitutionnelle, dans ce contexte historique?

Je dois dire que j'aime beaucoup le mécanisme correctif que propose M. Cairns. J'ai terminé mes remarques préliminaires en signalant que les modifications constitutionnelles liées aux institutions ont pratiquement toujours des conséquences imprévues, et qu'il est souvent très difficile de revenir en arrière une fois qu'on les a apportées.

À mon avis, l'adoption d'un mécanisme de révision ou d'une disposition de temporarisation est une très bonne idée. Cependant, je pense que nous faisons face à un dilemme très important quant à la question de savoir si nous pouvons effectuer une réforme complète. Est-ce une bonne idée de faire les choses étape par étape, et pouvons-nous seulement faire cela?

En ce qui concerne la retraite obligatoire à 75 ans, j'admets ne pas y avoir beaucoup réfléchi; même si je dois dire que je profite maintenant du fait que la retraite obligatoire à 65 ans n'existe plus dans les universités. Comme je vais bientôt avoir 61 ans, je m'en réjouis.

Je comprends que les gens vivent plus vieux et plus en santé qu'auparavant. L'âge de la retraite obligatoire est inévitablement arbitraire, mais je ne me suis pas attardé au fait d'établir si nous vivons tous suffisamment longtemps pour faire passer cet âge à 80 ans ou non. Je n'ai pas d'opinion à ce sujet.

Le sénateur Milne : Personnellement, je suis en faveur d'un mandat de durée limitée pour les sénateurs, mais je pense que le mandat ne devrait pas être renouvelable et suffisamment long pour garantir une certaine indépendance de pensée. Certains membres de la Chambre des Lords du Royaume-Uni nous ont dit très clairement, à midi, aujourd'hui, que l'indépendance de la seconde Chambre est absolument essentielle, dans la mesure où nous pouvons être indépendants lorsque notre nomination dépend du premier ministre.

Cela me ramène à quelque chose que Mme Dobrowolsky a dit : compte tenu de l'intention clairement déclarée du gouvernement actuel de nommer des membres de son parti, quel serait l'effet d'un mandat plus court sur l'indépendance de pensée de la seconde Chambre?

Mme Dobrowolsky : Je n'avais pas vraiment réfléchi de quelque façon systémique que ce soit à la durée du mandat jusqu'à ce qu'on me demande de venir témoigner. J'y ai réfléchi davantage, pour en arriver à la conclusion qu'un mandat de neuf ou dix ans serait probablement mieux qu'un mandat de huit ans, simplement en raison de la question de l'indépendance. Cela permettrait aux sénateurs de voir plus loin.

Les sénateurs peuvent toujours tirer parti de leur expérience, et il y a donc l'aspect continuité, mais aussi le changement. Je pense que le mandat doit durer plus longtemps que huit ans, mais je me demande si 12 ans serait trop long. Je pense que la moyenne des mandats, à l'heure actuelle, est d'environ 12 ans, alors est-ce que ce serait un changement suffisant de dire que les mandats vont durer 12 ans à partir de maintenant? J'ai fini par adopter la position intermédiaire pour ces raisons : un mandat de neuf ou dix ans — et, encore une fois, je suis absolument convaincue qu'il devrait être non renouvelable.

M. Simeon : Il me semble que la durée du mandat est une question importante, mais futile lorsqu'on la compare à celle du mode de nomination. Si la légitimité du Sénat pose un problème fondamental, je suis d'accord pour dire que ce problème serait encore plus grave avec des mandats renouvelables d'une durée de huit ans.

Le président : La baronne Deech a dit la même chose devant le comité ce matin.

M. Simeon : Je pense que l'organe de nomination lié à la fonction de premier ministre est un vestige de notre passé. Retirer ce pouvoir unilatéral au premier ministre, ou encore faire en sorte qu'il le partage avec d'autres acteurs politiques — peut-être avec les électeurs, mais si ce n'est pas avec les électeurs, alors ce serait avec un ensemble élargi d'acteurs politiques — serait de loin la réforme la plus importante qu'il soit possible de réaliser.

Le président : Je pense que vous avez constaté que beaucoup de gens ici ont un point de vue semblable.

Le sénateur Milne : Monsieur Cairns, voudriez-vous dire quelque chose là-dessus?

M. Cairns : Je pense que la question du mandat des sénateurs est en partie liée au mode selon lequel les sénateurs entrent en fonction. Si le processus est un processus de nomination, je pourrais donner une réponse; s'il s'agit d'un processus électoral, je pourrais donner une réponse différente.

Dans le cas d'un processus électoral, je pense que le temps accordé serait un peu plus court que dans le cas d'un processus de nomination. Dans ce cas, nous souhaitons éviter la possibilité qu'un premier ministre élu à deux reprises — et nous avons connu des premiers ministres qui sont demeurés longtemps en poste — puisse, si c'est ce qu'il souhaite, assurer le monopole de l'un des partis au Sénat, pour, disons, une durée de huit ans. Il est clair que cela nuirait gravement à la réputation du Sénat.

Le sénateur Stratton : C'est ce qui se produit à l'heure actuelle, monsieur.

Le sénateur Bryden : Monsieur Simeon, vous avez exprimé une préoccupation au sujet du désengagement des sénateurs — ceux d'entre nous dont le mandat se terminera à 75 ans — face à la vie du pays. À beaucoup d'égards, il y a des liens très étroits entre notre mandat — et notre indépendance et notre capacité de dire ce que nous voulons — et la carrière des universitaires. Constatez-vous que vous vous désengagez de la vie du pays, maintenant que vous entrez dans notre zone grise, sans mauvais jeu de mots?

M. Simeon : C'est une question difficile. J'ai lu récemment que, à l'Université Harvard, quelque chose comme 10 p. 100 des membres du corps enseignant sont âgés de plus de 70 ans — c'est le taux le plus élevé de tous les établissements universitaires américains. Il y a un certain débat — pas très important, mais qui existe tout de même — sur la question de savoir si ce serait mieux qu'il y ait un peu plus de roulement. Ce n'est pas nécessairement que les gens âgés ne sont pas engagés dans la recherche et dans la vie du pays, mais cela ferait de la place pour de nouvelles personnes, des jeunes. Je n'avais pas l'intention d'insulter les sénateurs en général à ce sujet.

Le sénateur Bryden : Je comprends, mais puis-je poursuivre là-dessus? Je crois que vous êtes tous ou que vous avez tous été des professeurs permanents. Combien de temps dure votre mandat, maintenant qu'on commence à supprimer la retraite obligatoire à 65 ans? Préféreriez-vous avoir un mandat de 10 ans? Pourriez-vous faire mieux, est-ce que votre université serait une meilleure université s'il y avait un brassage tous les huit ou dix ans?

Mme Smith : La Brookings Institution a un système du genre, selon lequel une personne n'y occupe un poste que pendant un nombre précis d'années, après quoi on peut lui demander de demeurer en fonction pour une nouvelle période. Dans certains domaines, vous pourriez obtenir une réponse différente. Les chercheurs scientifiques vous donneraient peut-être une réponse différente de celle des chercheurs des sciences humaines ou des sciences sociales. En sciences humaines, plus vieux veut parfois dire plus sages.

Le sénateur Bryden : C'est comme ça parfois au Sénat.

Mme Smith : Parfois, en sciences, ce n'est pas nécessairement ce qui se produit, et les chercheurs effectuent leurs meilleurs travaux lorsqu'ils sont jeunes. Il faut garder ces choses en tête. Toute l'idée d'un mandat dans le monde universitaire se résume à la capacité d'être indépendant.

Le sénateur Bryden : J'ai presque terminé. C'est la raison pour laquelle il est si difficile de réformer le Sénat. Une fois que nous sommes nommés pour des motifs quelconques, nous sommes immédiatement indépendants. Personne, mis à part le Sénat ou Dieu, ne peut nous démettre de nos fonctions. Je ne comprends pas la différence qu'il y a en tant que tel entre votre quête et celle de vos collègues universitaires, la quête d'un mandat qui vous offrira une indépendance suffisante pour exprimer vos opinions et l'assurance que vous ne serez jamais mis à la porte sans raison. Les sénateurs peuvent être démis de leurs fonctions pour cause de faillite ou de turpitude morale ou d'autres choses du genre.

Il y a des gens qui disent que cela fonctionnerait beaucoup mieux si le mandat des sénateurs était d'une durée définie, tandis que les universités fonctionnent beaucoup mieux lorsque les professeurs ont un mandat de 30 ans. Pourquoi y a- t-il une différence entre les deux?

Mme Smith : Vous soulevez un point tout à fait pertinent, et cette idée pourrait s'appliquer aussi à la magistrature. Comme vous le savez, dans certains pays d'Europe, l'Allemagne, par exemple, les juges sont nommés pour un mandat non renouvelable de dix ou de 12 ans. On prend ce genre de décision dans différents pays. Nos habitudes sont issues de la tradition britannique, que nous avons suivie à certains de ces égards.

Vous parlez du principe, et votre idée est bien reçue.

Le sénateur Bryden : Monsieur Simeon, vous avez indiqué que, en ce qui concerne la révision constitutionnelle relative au projet de loi S-4, à votre avis, seul le Parlement peut s'en charger.

M. Simeon : Oui, mais je renverrais la question aux avocats spécialistes du droit constitutionnel. Je ne suis pas en mesure de vous donner une réponse définitive. J'ai examiné les témoignages d'un certain nombre de personnes qui ont comparu devant le comité, et il semble que la majorité est d'avis que le Parlement ne peut faire cela dans le cadre de l'article 44. Je ne prétends pas avoir l'expertise qui me permettrait de contester cette affirmation.

Le sénateur Bryden : Je vous ai posé cette question parce que vous avez dit la même chose lorsque vous avez témoigné devant l'autre comité, mais avant qu'un autre témoin, M. Whyte, réponde à une question du sénateur Fraser. M. Whyte a fait une analyse prudente des raisons pour lesquelles cela est impossible, et il a cité le renvoi relatif au Sénat. Il a parlé du fait qu'il est impossible de modifier les caractéristiques essentielles ou les éléments fondamentaux de ce qui constitue, au fond, une entente conclue entre les provinces à l'issue de négociations dont l'objectif était la création de notre fédération. Les tribunaux ont adopté une position claire selon laquelle le Sénat peut prendre des mesures d'ordre administratif mais ne peut modifier cet aspect fondamental.

Son argument fait trois paragraphes. Lorsque le sénateur Fraser vous a demandé de commenter ce qui avait été dit, vous avez répondu : « Je n'oserais pas contredire M. Whyte dans le domaine du droit constitutionnel, puisque je ne suis pas spécialiste du droit constitutionnel. »

M. Simeon : J'ai énormément de respect pour M. Whyte, et il a été très éloquent durant cette séance. Cependant, je ne crois pas que ce qu'il a dit m'a fait changer d'idée.

Cela nous ramène à la durée du mandat et à la question de savoir si l'on modifie les caractéristiques essentielles et les fonctions du Sénat. Pour ce qui est d'un mandat de longue durée, il faut garder en tête que, plus le mandat dure longtemps, moins il y a de danger de modifier les caractéristiques fondamentales du Sénat. Selon le rôle traditionnel du Sénat, qui est chargé du second examen objectif, mon argument général est le suivant : plus le mandat des sénateurs dure longtemps, plus ils sont en mesure d'assumer ces fonctions essentielles avec compétence.

Le sénateur Joyal : Madame Smith, distingués invités, nous sommes placés devant un dilemme. Nous sommes chargés d'étudier le projet de loi S-4 actuel, qui prévoit un mandat renouvelable de huit ans sans aucune limite d'âge. Nous avons entendu de nombreux témoins, et le comité spécial a entendu un certain nombre de témoins, et nous avons entamé ce processus il y a trois semaines. Assurément, une personne raisonnable peut avoir certains doutes au sujet des répercussions du projet de loi sur le fonctionnement actuel du Sénat — le maintien de l'indépendance actuelle, des points de vue, du remplacement graduel et régulier des sénateurs, etc.

Cependant, nous avons aussi un autre choix. Si nous doutons de la constitutionnalité du projet de loi, alors nous devons faire quelque chose. Ramenons ces doutes à quelques éléments raisonnables dont on puisse s'occuper en apportant des modifications fondamentales au projet de loi dans les domaines de la durée du mandat, de la renouvelabilité et de l'âge de la retraite. D'après les dispositions du projet de loi, si un sénateur était nommé à l'âge de 72 ans, il demeurerait en fonction longtemps après avoir atteint l'âge actuel de la retraite obligatoire : 75 ans. M. Heard a comparu devant le comité, il a parlé de cela, et nous avons des chiffres. Si nous souhaitons améliorer la participation et la fiabilité des travaux du Sénat, nous devrions maintenir la retraite obligatoire à 75 ans.

Si nous devions effectuer ces changements, nous maintiendrions quand même les caractéristiques essentielles et les fonctions du Sénat, même si le mandat passerait d'une durée possible de 45 ans à 15 ans. Nous avons des doutes au sujet du projet de loi, alors nous devrions soit le déclarer anticonstitutionnel et inviter le gouvernement à le renvoyer à la Cour suprême, soit dire que, à la lumière de tout ce que nous avons entendu, nous allons essayer d'en faire un projet de loi raisonnable et constitutionnel.

Que feriez-vous, madame Smith?

Mme Smith : Vous vous trouvez dans une situation difficile. Je me souviens du moment où le projet de loi a été déposé pour la première fois devant le Sénat. On a demandé à l'un des premiers ministres, que je ne nommerai pas, s'il était en faveur du projet de loi, et il a répondu par l'affirmative. Les journalistes lui ont demandé pourquoi, et il a dit qu'il était en faveur d'un Sénat élu. D'une part, il y a un problème d'optique précis qui vous place dans une situation extrêmement difficile, et, d'autre part, vous avez énuméré les options — vous pouvez rejeter le projet de loi, le modifier ou le renvoyer, d'une manière ou d'une autre, devant la Cour suprême.

Je ne sais pas si la bonne solution consiste à choisir entre le fait de modifier le projet de loi ou de le renvoyer devant la Cour suprême. Vous pourriez, par exemple, le modifier en prolongeant le mandat et en excisant la non- renouvelabilité, et je suppose que cela engendrerait une réaction quelconque, et qui sait ce qui se produirait ensuite.

Le président : Le premier ministre a invité le comité à se pencher sur la question de la durée appropriée du mandat.

Mme Smith : Cela signifie qu'il s'agit d'une option plus intéressante que ce que j'ai été portée à croire.

M. Simeon : À ce sujet, il me semble qu'il s'agit en partie d'une question technique consistant à déterminer si l'article 44 ou l'article 42 sont applicables. Plus profondément, c'est un jugement politique qu'il faut porter. Je ne suis pas tout à fait en faveur de l'idée de dire : « Nous ne pouvons pas porter ce jugement politique, alors demandons à un tribunal de le faire pour nous. » Le projet de loi pourrait toujours aboutir devant la Cour suprême, mais ne serait-il pas mieux, pour le Sénat, pour le Parlement, de prendre une décision pour voir ensuite si quiconque au pays, n'importe lequel des premiers ministres, dira : « Non, vous ne pouvez faire cela, et nous allons porter l'affaire devant la Cour suprême »? L'affaire aurait quand même un dénouement normal, mais les politiciens ne refileraient pas la patate chaude au tribunal.

Le sénateur Joyal : Notre comité est le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Lorsque nous concluons, après avoir étudié un projet de loi, entendu des témoins, des spécialistes, des professeurs distingués et érudits comme vous, qu'un projet de loi viole un article de la Charte, il est de notre devoir de modifier ce projet de loi. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici. C'est ce que la Cour suprême attend de nous. Nous ne pouvons nous contenter de dire : « Le projet de loi nous plaît, et nous allons l'adopter, et si quelqu'un le conteste à un moment donné devant la Cour suprême, alors soit. »

Nous sommes devant un problème touchant la structure législative du pays. Nous ne nous occupons pas d'un projet de loi concernant les transports et modifiant les tarifs des traversiers, que nous pourrions modifier si les gens n'étaient pas d'accord. La question qui nous occupe touche la structure essentielle du pays, dont la crédibilité doit être maintenue aux yeux de l'ensemble des Canadiens. C'est la raison pour laquelle nous devons être convaincus, en ce qui concerne la constitutionalité même du projet de loi, que nous faisons ce qu'il faut faire par rapport à la Constitution. La Constitution définit certains paramètres et certaines limites au chapitre des mesures prises par le gouvernement. Si nous voulons faire des choses qui ne peuvent être faites dans le cadre de la Constitution, alors nous devons la modifier. Nous ne pouvons nous contenter de dire : « La Constitution existe, mais nous n'allons pas nous en soucier, parce que, sur le plan des politiques, le projet de loi a du sens. » Nous devons nous assurer que ce que nous faisons est conforme à l'esprit et à l'objectif de la Constitution, telle qu'elle a été rédigée et modifiée au fil du temps.

La question que je vous pose a une dimension fondamentale pour nous, les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous ne pouvons recommander au Parlement d'adopter un projet de loi au sujet duquel nous pensons avoir des doutes.

Mme Dobrowolsky : Je veux insister sur ce que M. Simeon a dit au sujet du fait de refiler les dossiers difficiles à la Cour suprême. Cela a déjà été fait. Je suis d'accord avec lui lorsqu'il dit qu'il s'agit d'un problème politique qu'il faut régler par des moyens politiques plutôt que de le renvoyer à la Cour suprême.

Pour s'occuper de certains des problèmes de légitimité qui se posent, le comité sénatorial pourrait peut-être visiter le pays, entendre différentes personnes et obtenir davantage de rétroaction, plutôt que de demander l'avis d'experts, de spécialistes et de chercheurs en sciences politiques? Si vous entendiez le témoignage d'un groupe élargi, vous obtiendriez peut-être davantage de légitimité politique. Plutôt que d'en faire une question juridique, vous pourriez vous pencher sur le processus politique et faire participer davantage de Canadiens à ce processus.

M. Cairns : Si la majorité des membres du comité a des doutes raisonnables quant à la constitutionnalité de l'adoption du projet de loi sans recourir à la règle de sept provinces et de 50 p. 100 de la population, alors le comité devrait recommander qu'on demande à la Cour suprême de trancher la question. S'il ne s'agit que d'une position propre au comité, alors il ne devrait pas le faire. Tout dépend de la décision du comité. Est-ce que vous décidez par une majorité qu'il y a un problème constitutionnel? Le cas échéant, il faut en saisir les tribunaux. De la quinzaine de sénateurs, s'il y en a un ou deux qui sont de cet avis, mais que les autres n'y croient pas, à ce moment-là, il ne faut pas renvoyer l'affaire devant les tribunaux. On consulte. Quelle est l'opinion éclairée des sénateurs à ce sujet? Si, en nombres significatifs, vous estimez qu'il y a un problème, à ce moment-là, vous avez une obligation d'agir, mais s'il y en a très peu parmi vous qui y voient un problème important, alors, on décide qu'il convient d'aller de l'avant.

M. Simeon : Même si les sénateurs s'entendent généralement pour dire que c'est légal, cela ne tranche pas la question sur le fond. On pourrait conclure : « Il est tout à fait légitime que le Parlement agisse, mais nous allons quand même modifier le projet de loi ou le rejeter ou je ne sais quoi ».

Le sénateur Joyal : Tout à fait. La question comporte deux aspects. Il y a la constitutionnalité, puis il y a l'impact du projet de loi sur le fonctionnement d'une institution, c'est-à-dire qu'il faut songer à l'intérêt public en songeant aux modifications qui seront apportées et au résultat final de la chose, comme vous le dites, monsieur Simeon, à la loi des conséquences imprévues. Nous essaierons d'en circonscrire l'impact autant que possible, mais nous ne pouvons jamais être certains du résultat final. Ce sont les deux aspects de la décision dont nous devons tenir compte. En jugeant un aspect des choses, il faut penser au fait que cela a un certain effet sur l'autre aspect, car, pour évaluer l'impact et la légalité du projet du loi, il faut jauger l'impact de la mesure, pour ce qui touche les orientations, du Sénat en tant qu'institution parlementaire et du rôle que joue le Sénat dans la filière législative.

Le président : Mme Smith doit s'en aller. Merci beaucoup d'être venue. Nous apprécions votre contribution.

Mme Smith : J'aimerais pouvoir rester.

Le président : Bon voyage de retour. Monsieur Joyal, avez-vous terminé?

Le sénateur Joyal : Non j'ai une autre question à l'intention de M. Simeon, si j'ai le temps de la poser.

Le président : Nous disposons de 24 minutes, et j'ai trois noms de sénateurs sur la liste.

Le sénateur Joyal : Inscrivez-moi au deuxième tour.

Le sénateur Fraser : Je suis très peinée que Mme Smith doive partir. Vous êtes tous d'extraordinaires témoins, elle- même y compris.

Quant à la question de la constitutionnalité, monsieur Simeon, je signalerais à votre attention, si vous n'êtes pas déjà au courant, le témoignage fait ici la semaine dernière par M. Magnet. Il sera extrêmement intéressant de savoir si vous êtes d'accord avec lui ou non.

J'ai une question que je vais poser à tous, mais avant de faire cela, je poserai une question à M. Cairns. Merci, monsieur, d'avoir décrit avec tant d'art à quel point il est difficile d'en arriver à un projet de loi qui conviendrait tout à fait au Parlement du Canada, qu'il s'agisse d'un Sénat nommé ou élu. Nous nous débattons avec cette question. Je vais vous demander comment vous voyez les élections consultatives : c'est que je m'intéresse à ce que vous dites des limites imposées au pouvoir discrétionnaire du premier ministre. Je vous demande non pas tant un avis juridique, forcément, mais, certainement, un avis politique.

Je me souviens d'un ou de deux témoins qui disaient que nous allions seulement obtenir un bassin de candidats parmi lesquels le premier ministre peut continuer à choisir. J'ai essayé d'imaginer tout de suite quelle serait la réaction du public après un processus électoral complexe. Le processus énoncé dans le projet de loi qui est actuellement à l'étude à la Chambre des communes est très complexe avec des règles de financement et le directeur général des élections qui s'attelle à sa tâche. C'est du vrai, à bien des égards, du point de vue électoral.

Quelle serait donc la réaction du public si le premier ministre nommait non pas la personne qui a obtenu le plus grand nombre de voix, mais, disons, celle qui est arrivée au cinquième rang à ce chapitre? Est-ce politiquement viable de procéder ainsi dans un pays démocratique?

M. Cairns : Il serait même possible de nommer une personne qui n'était pas candidate aux élections. Madame, je crois que nous tenons pour acquis le fait qu'une élection est un processus qui départage les gagnants des perdants. Il s'agit ici d'une élection consultative. Les gens la verront dans cette optique. Ils diront : « Cette personne-là est arrivée en premier. Monsieur le premier ministre : que diable faites-vous? Vous nommez quelqu'un qui a obtenu très peu de voix. » Cela aurait pour effet non seulement de délégitimer le candidat en question, mais aussi de délégitimer toute la démarche d'ouverture au public que représente cette élection consultative. Je ferai valoir que même la position de Monahan et de Hogg, soit que le premier ministre pourrait choisir parmi un bassin de candidats plus large, qui comprendrait les gagnants et les perdants, constitue une approche politiquement naïve. La décision serait taillée en pièces par les éditorialistes de tout le pays. Par conséquent, je dirais que le pouvoir discrétionnaire du premier ministre est presque entièrement miné. Je ne dis pas cela dans le sens négatif. Il s'agit d'officialiser son rôle pour que les résultats de l'élection déterminent qui sera nommé.

Je ne crois pas que M. Harper n'ait jamais dit cela. Je ne crois pas que la question n'ait jamais été soulevée en comité. Cependant, d'ici la troisième étape, peut-être à mon avis, au moment où nous allons éliminer le rôle consultatif et dire qu'il s'agit d'un processus final, la réalité, c'est que, d'un point de vue politique, il ne pourrait s'en tirer autrement qu'en nommant le gagnant.

Le sénateur Fraser : La question s'adresse à tous. Elle est née du témoignage intéressant que nous avons recueilli cette semaine auprès des membres de la Chambre des lords. C'est Lord Howe qui a dit, je crois, que dans toutes les propositions de réforme ou de changement qu'il a vues, il n'y en avait pas une seule qui servirait à améliorer le rendement de la Chambre des lords.

Vous, qui êtes de savants observateurs de notre institution, sauriez-vous dire ce qui servirait à améliorer le rendement du Sénat? Je crois que le rendement du Sénat est meilleur que ce que la plupart des gens croient, mais ce que j'en pense n'est pas important. C'est ce que vous en pensez qui compte.

Mme Dobrowolsky : Compte tenu de ce que j'ai dit dans mon laïus sur la représentation, je crois aussi que le Sénat fait un très bon travail. Si vous lisez les rapports des comités et prenez connaissance des études qui ont eu lieu au Sénat, vous constatez qu'il s'y fait beaucoup de bon travail.

Cependant, si vous me demandez comment on ferait pour améliorer le Sénat, je dirais qu'il faut se concentrer sur les questions relatives à la représentation, sur l'idée d'avoir une plus grande diversité au Sénat et sur l'idée d'y faire une place à un plus grand nombre de voix.

Cela nous ramène à la question posée plus tôt à propos de l'âge de la retraite, à savoir s'il faut que cela demeure 75 ans. Je suis favorable à un âge de retraite obligatoire, pour que nous ayons une pluralité de points de vue et un taux de roulement plus élevé. Pour ce qui est du roulement en question, je serais favorable à l'idée de fixer la limite à 75 ans.

Encore une fois, pour améliorer le Sénat, j'essaierais de me concentrer sur les questions relatives à la représentation et de réagir au fait que la Chambre des communes représente très mal, sous-représente beaucoup un si grand nombre de groupes. Ce serait là ma recommandation.

M. Simeon : Je voudrais dire que je suis d'accord avec M. Cairns. Un scrutin n'est jamais consultatif. Si vous vous engagez dans cette voie, bien entendu, il faut penser à un amendement constitutionnel en bonne et due forme.

Pour ce qui est du rendement, voilà une grande question, et je suis d'accord avec Mme Dobrowolsky. J'ajouterais deux choses. Premièrement, cela tient un peu à la nature du rôle que vous souhaitez confier au Sénat. J'entrevois moi- même un rôle limité. Cela ne veut pas dire que ce n'est pas important, mais le Sénat ne serait pas le rival de la Chambre des communes.

Pour ce qui est de la dimension fédérale, je fais valoir depuis un moment déjà que, plutôt que d'insister exclusivement sur le fédéralisme exécutif, je souhaiterais que nous recourions davantage à ce que j'appelle le fédéralisme législatif. Des organismes comme le Sénat pourraient faire bien des choses pour jeter les ponts entre le monde politique national et le monde politique régional ainsi qu'entre les assemblées législatives nationales et régionales.

À ma connaissance, aucune assemblée législative n'a de comité permanent des relations intergouvernementales, par exemple. Pourquoi? C'est une question qui a tant d'importance. J'y ai pensé en lien avec la Chambre des communes, mais peut-être que le Sénat pourrait faire cela. Il me semble qu'il nous faut des réunions périodiques, mais pas à l'échelle de l'exécutif. Ce serait plutôt des échanges entre les assemblées législatives des provinces et le Parlement fédéral; par exemple, les législateurs de la Colombie-Britannique et du Parlement fédéral pourraient se réunir et discuter des problèmes qu'ils ont en commun, ce genre de chose.

Je pense que, en ayant un peu d'imagination, le Sénat pourrait être davantage proactif et trouver des façons de jeter des ponts et d'ouvrir les voies de communication entre les ordres de gouvernement. Si nous arrivons à faire cela, à mon avis, ce serait tout un exploit. De même, cela nous éloignerait des querelles d'un territoire qui caractérisent toujours les réunions des premiers ministres des provinces.

M. Cairns : En présumant que nous avons toujours affaire à un Sénat nommé par opposition à un Sénat élu, dans le bon livre qu'il a écrit sur le Sénat, David Smith propose qu'il soit entendu, par convention, que la majorité gouvernementale au Sénat ne dépasse jamais les 70 p. 100. Dans les cas où on s'approche de ce nombre, entre alors en jeu, par convention, l'obligation de nommer des membres des partis de l'opposition ou des personnes liées aux partis de l'opposition.

Deuxièmement, je crois que le Sénat devrait concevoir une défense publique de son existence pour miner l'argument selon lequel il est faible car il n'est pas élu et, par conséquent, faire valoir que, dans la société moderne, nous nous en remettons souvent à des gens qui sont nommés à des postes clés, et c'est le cas particulièrement des tribunaux : c'est parce que nous présumons qu'ils possèdent une expertise utile. Nous ne tenons pas particulièrement à ce qu'ils soient élus comme, par exemple, les juges. Essayez de concevoir une défense publique qui permet de miner l'argument selon lequel non élu égale non légitime. Outre les scrutins, il existe des méthodes qui permettent de confirmer la légitimité des gens appelés à prendre des décisions importantes au sein de notre société. Le Sénat devrait s'accrocher à cette façon de faire valoir la question; enfin, s'il ne devient pas élu.

Le sénateur Milne : Très rapidement, madame Dobrowolsky, vous avez parlé d'élections et du fait que le Sénat devrait représenter des groupes plus diversifiés. Par contre, les élections n'assurent pas cela.

Mme Dobrowolsky : Non, je n'ai pas demandé d'élections.

Le sénateur Milne : De tradition, au Canada, les femmes semblent plafonner à 20 p. 100 dans presque toutes les assemblées législatives du pays, et nous en sommes à 34 p. 100 au Sénat.

Mme Dobrowolsky : Oui, je suis consciente de ce fait. Je porte un grand intérêt à certaines des recherches et à certaines des questions qui sortent de Grande-Bretagne en ce qui concerne un modèle hybride, qui combinerait le mode nommé et le mode élu. On essaie ainsi de jouer sur les deux tableaux.

Comme vous le dites, il y a un plafond de verre à la Chambre des communes, et le taux de représentation est supérieur à 30 p. 100 au Sénat. J'en suis tout à fait consciente. Je ne préconisais pas que le Sénat soit élu. Je proposais que, pour le rendement, on mise sur les acquis.

Le sénateur Hays : Je voulais parler un peu de certaines des questions qui me traversent l'esprit tandis que je vous écoute répondre aux questions des sénateurs en ce qui concerne votre exposé.

La question des mandats fixes au Sénat, qu'ils soient renouvelables ou non, évoque chez vous la question de la pertinence, étant donné les possibilités d'élections. Cela fait intervenir les pouvoirs du Sénat et, bien entendu, l'autre question touche la méthode de nomination, qui est clairement énoncée à l'article 42.

Je soulève la question en l'absence de mon ex-collègue, le sénateur Austin. Pour ce qui touche la représentation régionale, aucun d'entre vous n'a mentionné la question que cela a soulevée au Sénat, soit que certaines des provinces, et en particulier la Colombie-Britannique et l'Alberta, s'estiment gravement sous-représentées au Sénat. S'il faut réformer le Sénat progressivement, c'est une question importante qu'il faut avoir à l'esprit.

Autrement dit, l'établissement de mandats, particulièrement de mandats courts et renouvelables, comporterait des conditions préalables auxquelles il faudrait d'abord s'attacher avant de voir ce que serait le mode d'élection. D'autres facteurs entrent en jeu, notamment celui des pouvoirs. Si vous ne souhaitez pas commenter la question, c'est votre droit, mais j'aimerais bien avoir l'occasion de le faire, moi.

J'ai une autre question que je poserai au même moment. Je suis originaire de l'Alberta, et, maintenant, pour la troisième fois — ça a varié à chaque coup —, nous avons une loi prévoyant la sélection des sénateurs.

Je vous serais très reconnaissant de commenter la question, monsieur Simeon. Je suis d'accord avec vous : quel que soit le nom choisi, une élection demeure une élection. Si un premier ministre accepte d'être lié par une loi provinciale de cette nature, il y a peut-être des questions constitutionnelles qui entrent en jeu.

M. Simeon : Je suis heureux que vous ayez soulevé la question, sénateur. Je présumais que cette question n'était pas à l'ordre du jour, mais j'appuie sans réserve la proposition Murray-Austin. Cela me paraît être une mesure plus judicieuse que la modification des mandats. Le hic, c'est qu'il faut, cela ne fait aucun doute, enclencher la procédure d'amendement dans son intégralité; et, comme on l'a dit plus tôt, les gens ont tendance à tenir beaucoup au nombre de sièges qu'ils ont au Sénat et, à ce moment-là, ils évoquent la tradition et ainsi de suite.

Essentiellement, je n'ai jamais cru à l'égalité numérale. J'ai toujours été d'avis qu'il fallait donner un plus grand poids aux petites régions, pour que ce ne soit pas purement proportionnel non plus. Tout de même, en ce moment, les distorsions sont si grandes, et la sous-représentation de l'Ouest du Canada, si énorme, que si c'était possible d'une façon ou d'une autre, j'aimerais bien m'y attaquer.

Bien entendu, votre projet de loi ne règle pas le problème entier; il reste d'énormes distorsions. Encore une fois, ça semble être une sorte de tentative modérée, modeste, progressive pour régler un aspect du problème, et c'est une mesure que j'ai toujours appuyée.

M. Cairns : J'appuierais la modification énoncée dans l'autre proposition dont il est question au Sénat. Nous devrions tout de même être conscients du fait que le premier ministre et le gouvernement y verraient probablement une mesure qui contamine le processus auquel ils travaillent, au sens où cela fait intervenir des questions très controversées parmi les provinces, à un moment où elles veulent y aller étape par étape. Les responsables n'ont rien dit en public à propos de ce qu'on fera une fois arrivée l'étape trois, mais il est à présumer qu'ils formuleront alors des recommandations visant la modification de la répartition régionale. J'y suis favorable; par contre, politiquement, je crois que le gouvernement — et vous pouvez y voir quelque chose de bon ou de mauvais — y verrait une grande nuisance.

Mme Dobrowolsky : En partie, comme je suis originaire de la Nouvelle-Écosse, je crois que je devrais représenter la région de l'Atlantique, les Maritimes. En même temps, nous sommes énormément surreprésentés par rapport à l'Ouest; c'est un grave problème.

Tout de même, ce qui me vient à l'esprit, c'est que, même si nous sommes énormément surreprésentés, si on songe aux politiques qui sont défendues en ce moment — pour la péréquation, par exemple —, je constate que notre taux de représentation n'a pas vraiment eu d'effet sur le législateur. Puis, l'Ouest est bien représenté à la Chambre des communes, mais pas au Sénat, et la Nouvelle-Écosse est bien représentée au Sénat; néanmoins...

Le président : Nous avons trois places à pourvoir.

Mme Dobrowolsky : Oui, théoriquement, c'est le nombre de postes qu'il faut pourvoir. Je trouve cela intéressant de savoir que nous sommes représentés à l'excès au Sénat, mais, du point de vue des orientations adoptées, nous n'exerçons pas une grande influence sur les priorités; voilà une autre considération.

Le sénateur Hays : Avez-vous quelque chose à dire à propos de cette loi intéressante adoptée en Alberta et qui cadrerait très bien avec les desseins du gouvernement du premier ministre, que le gouvernement a proposée? Je suis tout à fait d'accord avec mes collègues pour dire que ce serait là les intentions — nous ne sommes pas des juges, nous sommes des législateurs, et j'ai déjà dit que je préconiserais tout au moins un mandat non renouvelable de 12 ans.

De toute manière, on ne l'a jamais contestée ou vraiment utilisée, quoiqu'on puisse faire valoir qu'elle a servi une fois, mais je crois que cela avait davantage trait à la question de Charlottetown. Que pensez-vous de la mesure albertaine visant à faire élire les sénateurs?

M. Simeon : Je crois que c'est de bonne guerre d'agir ainsi en politique provinciale; c'est une bonne façon de mettre de la pression. Je ne m'oppose pas du tout à cela. Le premier ministre n'est nullement obligé de se plier à ce que décident les autorités albertaines; si elles décident de mettre cela aux voix, je n'y vois moi-même aucun problème. Si nous voulons provoquer un débat, ce n'est pas une mauvaise façon de procéder.

M. Cairns : Le projet de loi, qui n'a été adopté qu'en première lecture à la Chambre des communes, traite du processus d'élection. Il comporte certaines ambiguïtés, à mon avis. Il est dit que le premier ministre pourrait décider de faire coïncider l'élection des sénateurs dans une province en particulier avec une élection provinciale, ou encore avec une élection fédérale.

De fait, je m'oppose à ce que cela puisse coïncider avec quelque élection que ce soit, car cela ferait intervenir le préjugé politique qui prévaut à ce moment-là. Le fait que des élections sénatoriales soient envisagées a probablement une influence sur les résultats, ce qui explique pourquoi les provinces essaient de contrôler le processus par lequel une personne est choisie, à l'échelle de la province, pour aller siéger à Ottawa. Je n'en dirai pas plus.

L'ordre de gouvernement choisi est extrêmement important. Je n'arrive pas à comprendre comment le gouvernement fédéral peut faire valoir qu'il peut s'agir d'un scrutin provincial qui coïncide soit avec une élection provinciale, soit avec une élection fédérale, sans laisser entrevoir qu'il comprend les conséquences qui en découleraient. De même, je ne comprends pas en quoi on peut prévoir des mandats de huit ans si on permet que le moment choisi pour un scrutin dépend du moment choisi pour déclencher des élections provinciales en Colombie-Britannique. Ce n'est pas viable.

Le sénateur Hays : Je poserais une dernière question à M. Cairns au sujet des propos qu'il a tenus quant aux limites touchant le pouvoir discrétionnaire de nomination du premier ministre. Notre façon de voir la chose est assez simple. C'est par convention que le premier ministre a la prérogative de formuler la documentation au gouverneur général, ce que les décrets sont venus confirmer.

Il s'agit de voir comment modifier la façon dont la prérogative en question s'exerce, en laissant au gouverneur général le pouvoir, mais en allant derrière lui jusqu'au premier ministre — avant l'application de l'article 44, d'une façon ou d'une autre, pour modifier la façon dont le premier ministre exerce cette prérogative, soit en confiant la question à une commission indépendante de nominations, soit en adoptant une autre mesure semblable. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de cette question et dire si, selon vous, il faudrait modifier l'article 42, ce qui veut dire que les provinces entreraient en jeu?

M. Cairns : Je ne suis pas sûr de pouvoir traiter de la dimension constitutionnelle de votre question, sénateur Hays. Je dois exprimer mon accord avec mon collègue, M. Simeon, soit que c'est là une question qui appartient aux avocats; j'aimerais mieux ne pas me mettre le pied dans ce plat-là.

Le sénateur Hays : C'est probablement une réaction sage de votre part, mais j'aurais bien aimé entendre votre réponse.

Le sénateur Baker : J'ai apprécié énormément les propos des témoins; c'était des témoignages très intéressants. J'aimerais vous sonder sur un point — je présume que c'est une question purement théorique, mais vous y avez fait allusion plusieurs fois : croyez-vous que le Sénat devrait s'astreindre à un critère d'examen?

Vous avez fait allusion aux cours d'appel, je présume, dans chacune de vos déclarations, en comparant leurs rôles, à divers degrés, à celui du Sénat. Bien entendu, tout tribunal d'appel qui se respecte assujettit à des règles très strictes ce qu'il peut faire et ne peut pas faire des questions qui lui sont confiées.

Je peux imaginer le problème que vous auriez en classe, si vous deviez enseigner le rôle du Sénat et que la seule notion à laquelle vous pouviez faire allusion, c'est celle du second examen objectif porté sur les projets de loi, c'est-à- dire la notion à laquelle on se reporte habituellement pour expliquer le rôle du Sénat.

La Cour suprême du Canada ne peut réentendre une cause, sauf de façon exceptionnelle. En premier lieu, c'est le juge des faits, le juge d'instance, qui a le pouvoir d'apprécier l'affaire. Il y a déférence à l'égard de la Chambre des communes. Croyez-vous que le Sénat devrait être assujetti d'une manière ou d'une autre, à l'exemple des juges, à une définition écrite du critère d'examen des textes de loi? Avez-vous déjà envisagé une telle chose? Quelqu'un a-t-il déjà écrit là-dessus?

M. Simeon : Je ne saurais vous le dire. Je m'inquiéterais de trop insister sur l'analogie entre le Sénat et le tribunal supérieur. Le Sénat est un organisme politique qui, selon la Constitution, exception faite des projets de loi de finances, dispose de pouvoirs égaux à ceux de la Chambre des communes. Sa déférence à l'égard de la Chambre des communes est de nature politique et non pas constitutionnelle.

Oui, il devrait y avoir des critères. Que le Sénat se prononce clairement contre la volonté expresse de la Chambre des communes n'est pas légitime à long terme. Comme je l'ai expliqué plus tôt, d'après moi, le Sénat est chargé de tâches importantes, mais limitées. Je ne crois pas être en faveur de l'idée de coucher par écrit de telles règles, sous une nouvelle rubrique qui pourrait alors servir à poser un acte aussi simple que celui qui consiste à soulever une question parce que cela se situerait en dehors du champ d'action du Sénat. Il vaudrait nettement mieux se fier à la retenue des membres de l'organisme.

M. Cairns : Je suis d'accord avec M. Simeon. La tentative faite pour élaborer un critère d'examen en bonne et due forme représenterait une erreur terrible. La meilleure chose, c'est de faire appel à l'histoire et de se demander ce que le Sénat a fait dans le passé, et déterminer si c'est là un précédent qu'il faudrait suivre ou modifier. Noter tout par écrit pour un avenir quelconque représente un objectif impossible à atteindre.

Le président : Il y a d'autres éléments encore, par exemple la représentation régionale et la représentation des minorités.

Le sénateur Stratton : Monsieur Cairns, j'ai entendu le point de vue de trois autres professeurs en ce qui concerne le mandat des sénateurs. Je veux m'en tenir à cette question. Je ne suis pas sûr de vous avoir entendu en parler. Acceptez- vous qu'il y ait un mandat de huit ans ou croyez-vous que ce devrait être plus long? Le cas échéant, quelle devrait être la durée?

M. Cairns : La plupart des tenants d'un mandat de longue durée évoquent deux critères : premièrement, il faut beaucoup de temps pour s'insérer dans le corps social du Sénat et en saisir les rouages; deuxièmement, en présumant que l'actuel projet de loi sur la nomination par le premier ministre est adopté, il faut que les mandats soient d'une durée suffisante pour entraver les desseins d'un premier ministre qui voudrait ne nommer que ses partisans au Sénat. Le mandat de huit ans paraît donc trop court. S'il faut penser que ce serait dix ou onze ans, il faut alors penser qu'il y aurait trois mandats successifs, ce qui ne se produira vraisemblablement pas très souvent.

Le sénateur Stratton : Je comprends. Si nous décidions qu'il faut consulter les provinces au sujet de la nomination des sénateurs, ne pourrions-nous le faire, dans les faits, en en faisant une question électorale? Autrement dit, ne pourrions-nous pas nous adresser au public? Certains témoins ont affirmé que nous devons consulter le public. Dire à l'électorat que nous souhaitons adopter un processus consultatif n'équivaut-il pas en somme à une consultation? La démarche s'apparenterait à ce qui est actuellement décrit dans le projet de loi et, moyennant une réaction favorable, nous pourrions aller de l'avant avec le processus de consultation. Est-ce que ce ne serait pas une façon de consulter le public? On a déjà essayé de procéder autrement, mais en vain. Qu'en pensez-vous?

M. Simeon : Consulter, c'est consulter; élire c'est élire. Ce sont deux choses différentes. On pourrait imaginer de nombreuses façons de consulter et d'organiser des scrutins, mais il y a une distinction claire entre les deux notions. Mettre les deux termes ensemble comme on le fait dans le projet de loi n'est pas viable.

Mme Dobrowolsky : Je me rappelle la fois où la première ministre Kim Campbell a dit que les élections, ce n'était pas le temps de discuter des grandes questions gouvernementales. Cette question est importante et, pendant une élection, elle serait associée à de nombreuses autres questions, qui pourraient lui faire de l'ombre.

M. Cairns : Pour amender la Constitution, il faut l'accord de sept provinces comptant 50 p. 100 de la population. Si tel est le cas, il y a maintenant un usage qui s'approche d'une convention et qui doit être ratifié au moyen d'un référendum. Ce serait peut-être donc un processus de consultation très coûteux et très compliqué. Nous avons laissé derrière nous la possibilité qu'un amendement constitutionnel d'envergure puisse être l'affaire des seuls gouvernements. Voilà un effet à long terme de la Charte sur la conscience publique au Canada.

Le sénateur Stratton : Compte tenu de Charlottetown, de la formule d'amendement 7-50 et des référendums dans les provinces maintenant, les probabilités que ça ne se produise jamais sont assez minces. C'est pourquoi, à mon avis, il faut trouver une façon d'instaurer cela progressivement, car l'autre façon, à mon avis, ne marchera jamais.

Pour ce qui est de la représentation au sein de la Chambre haute, il est intéressant de noter l'évolution des nouvelles démocraties, par exemple en Irak, où il y a un minimum de sièges réservés aux femmes dans les Chambres. En Irak, il est prévu que 30 p. 100 des sièges vont aux femmes. Ce pourrait être 50 p. 100 ailleurs, mais en Irak, c'est 30 p. 100. Si vous consultez les provinces, pourquoi alors ne pas fixer le minimum à 30 p. 100 dans le cas des femmes? Pourquoi ne pas opter pour une représentation proportionnelle? Quatre partis sont représentés à la Chambre des communes; à une certaine époque, il y en avait cinq. Deux partis sont représentés au Sénat. Ce n'est pas une façon convenable d'en arriver à une représentation digne de ce nom au sein de la Chambre haute. Que feriez-vous pour corriger cela? Voilà la véritable question en ce qui concerne l'élection de sénateurs. Vous devez forcer la main au changement pour en arriver à une meilleure représentation de tous les segments du grand public, y compris le Parti vert et le NPD, qui ne sont pas représentés au Sénat.

M. Simeon : Premièrement, les tentatives faites pour discuter de la réforme électorale nous le montrent : les régimes électoraux sont vraiment compliqués. Les intérêts politiques qui déterminent l'issue des élections sont extrêmement compliqués. De sorte que je suis pessimiste à l'idée que nous puissions, étant donné le degré de consensus qu'exige un amendement, concevoir un régime électoral qui serait politiquement viable, qui aboutirait à un Sénat élu et qui produirait les résultats que nous souhaitons obtenir du point de vue de la représentation. C'est pourquoi je reviens à la question du mode de nomination, en posant pour condition qu'une façon légitime de procéder ferait appel aux deux ordres de gouvernement et reposerait sur certaines règles décisionnelles en matière de représentation.

Mme Dobrowolsky : Certaines des recherches faites sur le système des partis politiques nous font voir qu'il ne suffit pas d'avoir de bonnes intentions, de se dire qu'il faudrait plus de femmes et plus de diversité. Il faut mettre en place des mesures concrètes. Par exemple, en Grande-Bretagne, pendant la campagne électorale en 1997, le Parti travailliste a affirmé que toutes les femmes seraient prénominées dans certaines circonscriptions. Ils ont parlé d'une mesure de discrimination positive. Il faut adopter des mesures concrètes de ce genre, sinon rien ne se fera. Il faut garder cela à l'esprit. Il est très bien d'avoir de telles intentions, mais il faut prendre certaines mesures positives pour refléter la diversité voulue.

M. Cairns : De manière générale, nous savons que les minorités se trouvent mieux une place dans le cadre des régimes de représentation proportionnelle que dans les scrutins uninominaux à un tour. S'il est difficile de catégoriser à quelque moment la place qui revient aux minorités, toute place particulière, de fait, ou à définir les régimes électoraux en vue de faciliter la sélection à cet égard, c'est simplement que les minorités en question évoluent au fil du temps. Si nous avions fait ceci en l'an 1950, la liste des minorités aurait été très différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Quelqu'un qui le fera dans 25 ans aboutira lui aussi à une liste différente. On ne saurait figer pour l'éternité les groupes qui sont actuellement exclus, pour lesquels nous devons déployer des efforts particuliers aujourd'hui. C'est un tableau évolutif que nous devons accepter en tant que fait social.

Le sénateur Stratton : Nous pourrions inclure dans le projet de loi qui est actuellement à l'étude que 30 p. 100 des personnes élues sont des femmes. Voilà la première étape d'un processus évolutif. Pourquoi ne faites-vous pas cela?

Le président : Nous avons eu droit à quatre excellents exposés et, au nom du comité, je tiens à vous remercier d'être venus comparaître aujourd'hui sur les deux grandes questions que représentent le mandat des sénateurs et la constitutionnalité du projet de loi.

La séance est levée.


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