Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 25, Témoignages du 19 avril 2007
OTTAWA, le jeudi 19 avril 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-9, Loi modifiant le Code criminel (emprisonnement avec sursis) se réunit aujourd'hui à 10 h 50 pour en faire l'examen.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est ici aujourd'hui pour amorcer son examen du projet de loi C-9.
Le projet de loi vise à modifier l'article 742.1 du Code criminel afin qu'une infraction constituant des sévices graves à la personne telle que définie à l'article 752 de cette loi, une infraction de terrorisme ou une infraction d'organisation criminelle, selon le cas, punissable, par mise en accusation, d'une peine maximale d'emprisonnement de dix ans ou plus ne puisse faire l'objet d'un emprisonnement avec sursis.
L'expression « sévices graves à la personne » se définit comme un acte criminel autre que la trahison ou le meurtre impliquant soit l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne; soit une conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne, ou une conduite ayant infligé, ou susceptible d'infliger, des dommages psychologiques graves à une autre personne. L'infraction en question doit être punissable d'un emprisonnement d'au moins dix ans.
La peine d'emprisonnement avec sursis, instaurée en septembre 1996, permet de purger une peine dans la collectivité plutôt que dans un établissement correctionnel.
Pour nous parler de ce projet de loi aujourd'hui, nous sommes honorés d'accueillir le ministre de la Justice et procureur général, l'honorable Robert Nicholson. Celui-ci a été élu au Parlement en tant que représentant de Niagara Falls en 1984. Depuis, il a été ministre des Sciences et ministre chargé de la petite entreprise, secrétaire parlementaire du ministre de la Justice et procureur général et secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes.
En janvier 2005, il a été nommé whip de l'opposition. Après sa réélection, en 2006, M. Nicholson a assumé le rôle de leader du gouvernement à la Chambre des communes et de ministre de la Réforme démocratique pendant la première année au pouvoir du nouveau gouvernement du Canada. M. Nicholson a été nommé ministre de la Justice et procureur général du Canada par le premier ministre Stephen Harper le 4 janvier 2007.
Ministre Nicholson, nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité aujourd'hui. Vous avez la parole.
L'honorable Robert Douglas Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Je remercie le comité pour tout le travail qu'il effectue et qu'il continuera d'effectuer.
Je suis ravi d'être accompagné, à ma gauche, de Mme Catherine Kane, avocate générale principale par intérim, et de M. Matthias Villetorte, avocat, tous deux de la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice.
[Français]
Le projet de loi C-9, déposé en mai 2006, reflète l'engagement du gouvernement à éliminer les condamnations avec sursis dans les cas de crimes graves, notamment les infractions sexuelles avec violence liées aux armes à feu ou commises à l'égard d'enfants et la conduite avec facultés affaiblies causant la mort ou des blessures graves.
[Traduction]
L'emprisonnement avec sursis, que l'on appelle souvent détention à domicile, est une option disponible lorsqu'une personne est condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans pour une infraction non assortie d'une peine d'emprisonnement obligatoire. Le tribunal peut, s'il est convaincu que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci et est conforme à l'objectif et aux principes énoncés dans le Code criminel, ordonner au délinquant de purger sa peine dans la collectivité.
Le projet de loi C-9, tel que modifié, propose un prérequis additionnel qui aurait pour effet de restreindre le recours à l'emprisonnement avec sursis pour une infraction de terrorisme, une infraction d'organisation criminelle ou une infraction constituant des sévices graves à la personne au sens de l'article 752 du Code criminel. Les infractions en question sont punissables, par voie de mise en accusation, d'une peine d'emprisonnement de dix ans ou plus.
Le projet de loi C-9 vise à restaurer l'intention originale du Parlement lorsqu'il a introduit l'emprisonnement avec sursis, en 1996, et à rehausser la confiance de la population dans l'administration de la justice.
Lorsqu'un délinquant est condamné à la détention à domicile pour un crime grave, particulièrement un crime perpétré avec violence, les Canadiens n'ont pas le sentiment que sa conduite a été adéquatement dénoncée et que d'autres délinquants seront dissuadés d'agir de la même façon. Une telle peine peut aussi avoir pour effet de miner le sentiment qu'ont les Canadiens d'être en sécurité dans leurs collectivités.
Je ne veux pas laisser croire que de tels cas sont largement répandus. Nous reconnaissons qu'une ordonnance de sursis peut être une sanction raisonnable et efficace pour de nombreuses infractions exemptes de violence.
En outre, le régime actuel de condamnation avec sursis comporte de nombreux freins et contrepoids qui en assurent le bon fonctionnement. Par exemple, en cas de violation des conditions d'une ordonnance de sursis, la peine d'emprisonnement avec sursis peut être rapidement commuée en peine d'emprisonnement pour la totalité ou une partie de la peine qui reste à purger.
Toutefois, de nombreux Canadiens, y compris des ministres de la Justice provinciaux et territoriaux, partagent l'opinion du gouvernement qu'il convient de fournir aux tribunaux davantage de directives en ce qui concerne les crimes graves, violents et de nature sexuelle.
Comme vous le savez sans doute déjà, la peine d'emprisonnement avec sursis a été créée parce qu'on jugeait nécessaire de réduire le recours à l'incarcération pour des crimes moins graves.
Dans l'importante affaire Regina c. Proulx, la Cour suprême du Canada a reconnu que si une peine avec sursis peut être sévère et indiquée pour concrétiser les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion, elle sera habituellement plus clémente qu'une peine d'emprisonnement d'égale durée.
Dans son arrêt, la Cour suprême ajoute que lorsque les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion sont particulièrement impératifs, l'incarcération sera vraisemblablement la sanction la plus indiquée.
Le prononcé des peines, y compris la peine d'emprisonnement avec sursis, a pour objectif premier de contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre. La détermination de la peine repose sur le principe fondamental de la proportionnalité, c.-à-d. que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité de son auteur.
En outre, la peine doit être conforme à tous les autres principes de détermination de la peine énoncés aux articles 718 à 718.2 du Code criminel. Ce principe inclut les objectifs de dénonciation, de dissuasion générale et de neutralisation, le cas échéant. Il est nécessaire d'agir, et cette nécessité se reflète dans le projet de loi à l'étude.
De quelle façon le projet de loi C-9 modifie-t-il le régime actuel d'emprisonnement avec sursis? Premièrement, les infractions de terrorisme et d'organisation criminelle punissables, par voie de mise en accusation — et c'est pratiquement la totalité qui l'est —, d'une peine maximale de dix ans, ne pourraient faire l'objet d'une peine d'emprisonnement avec sursis.
Bien qu'il soit peu probable que de telles infractions donnent lieu à une peine d'emprisonnement avec sursis, le projet de loi C-9 les rend néanmoins clairement inadmissibles à une telle peine.
Deuxièmement, en vertu du projet de loi C-9, l'infraction de sévices graves à la personne ne pourrait être sanctionnée par la peine d'emprisonnement avec sursis. Cette réforme aurait pour effet d'interdire l'imposition d'une peine avec sursis dans les nombreux cas d'infractions graves et violentes qui, selon l'opinion publique, ne devraient pas être sanctionnées par la détention à domicile. Par exemple, les infractions, poursuivies par voie de mise en accusation, d'agression sexuelle, d'agression sexuelle armée ou d'agression sexuelle grave, qui sont spécifiquement définies à l'article 752 du Code criminel comme étant des sévices graves à la personne, ne pourraient plus faire l'objet d'une peine d'emprisonnement avec sursis.
D'autres infractions seraient aussi dans le même cas, notamment celles impliquant soit l'emploi de la violence contre une autre personne, soit une conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne, soit une conduite ayant infligé, ou susceptible d'infliger des dommages psychologiques graves à une autre personne punissables d'un emprisonnement d'au moins dix ans et, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, poursuivies par voie de mise en accusation. Par exemple, les infractions telles les voies de fait graves ou les tentatives de meurtre ne pourraient se solder par une condamnation à la détention à domicile.
Bien entendu, nous reconnaissons que cette partie de la définition de « sévices graves à la personne » sera sujette à l'interprétation en fonction des faits et des circonstances propres à chaque cas.
Il existe une jurisprudence de l'interprétation de l'infraction des sévices graves à la personne dans le contexte actuel d'une demande de déclaration de délinquant dangereux, ce qui, à mon avis, devrait être d'une certaine utilité.
Dans ce contexte, la jurisprudence estime qu'une infraction de sévices graves à la personne a lieu lorsque l'infraction est perpétrée avec une violence non négligeable. En 2005, dans l'affaire Goforth, qui a fait l'objet d'un arrêt de la Cour d'appel de la Saskatchewan en 2005, l'inculpé avait été accusé d'agression armée.
Il avait bu avec la victime et d'autres personnes et, soudainement, sans raison, il s'en est pris à elle, la frappant avec une bouteille de vin. La victime s'est rendue à l'hôpital où l'on a constaté qu'elle n'avait rien de cassé. Le personnel médical a mis son bras en attelle et lui a donné des médicaments avant de la renvoyer chez elle. Dans cette affaire, la Cour d'appel de la Saskatchewan a soutenu qu'il n'y avait pas lieu d'importer dans la définition d'une infraction de sévices graves à la personne selon l'article 752 l'exigence que l'infraction de prédicat implique un degré de violence ou de mise en danger grave.
Comme pour toute réforme pénale, il faudra sans doute un certain temps pour que les professionnels du système de justice pénale — les procureurs, les avocats de la défense et les juges — s'adaptent à ces changements. C'est en partie pour leur donner le temps de se préparer à ces changements que le projet de loi C-9 entrera en vigueur six mois après avoir reçu la sanction royale. De plus, les professionnels du système de justice pénale pourront tirer partie de la jurisprudence établie à propos d'une infraction de sévices graves à la personne dans le contexte d'une demande de déclaration de délinquant dangereux.
Le message que nous voulons livrer au moyen du projet de loi C-9 est clair. Nous voulons que les infractions de nature violente soient traitées avec plus de sévérité et ne soient pas punissables par une peine de détention à domicile. Le comité aura constaté que le projet de loi dont il est saisi diffère de celui qui a été présenté par le gouvernement. Spécifiquement, il n'élimine pas le recours à l'emprisonnement avec sursis pour sanctionner les infractions graves en matière de drogue figurant dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, à moins qu'elles n'aient été commises dans le contexte d'une infraction d'organisation criminelle.
Cette approche n'est pas celle que nous aurions privilégiée, mais dans un Parlement minoritaire, des compromis sont nécessaires. À cet égard, nous estimons que le projet de loi C-9 modifie la loi actuelle en éliminant l'imposition d'une peine avec sursis pour des infractions graves perpétrées avec violence qui, présentement, peuvent faire l'objet d'une condamnation avec sursis.
Prenons, par exemple, la décision rendue par la Cour du banc de la Reine du Manitoba en 2004, dans l'affaire Hogg. En l'occurrence, l'inculpé était un étudiant d'université de 21 ans. Après avoir consommé une quinzaine de boissons alcoolisées, il a pris la victime pour quelqu'un qui l'avait agressé, ainsi qu'un bon ami à lui. L'accusé et deux amis ont suivi la victime jusque chez elle. Arrivé là, l'accusé a asséné à la victime un coup de barre d'acier sur le côté de la tête. C'est le type de barre d'acier dont on se sert normalement pour bloquer le volant d'une voiture.
La victime, un jeune étudiant d'université qui aspirait à devenir avocat, a presque été tuée. Il a été hospitalisé pendant deux mois environ, souffrant d'une grave fracture du crâne. À la suite de cette agression, la victime a subi des dommages cérébraux légers qui ont affecté son élocution et sa mémoire.
L'accusé a plaidé coupable à des accusations de voies de fait graves et a été condamné à deux ans moins un jour de détention à domicile pour une infraction punissable, par voie de mise en accusation, d'une peine maximale de 14 ans. En vertu du projet de loi C-9, je pense que cette agression aurait constitué une infraction de sévices graves à la personne et, par conséquent, elle n'aurait pas pu être sanctionnée par une peine d'emprisonnement avec sursis.
[Français]
Le projet de loi C-9 affirme que la réponse appropriée à la violence grave est la dénonciation qui représente une peine d'emprisonnement.
[Traduction]
Mes meilleurs voeux vous accompagnent dans vos délibérations. Je suis impatient d'en prendre connaissance. Pour l'heure, je suis disposé à répondre à toutes vos questions.
Le président : Merci, monsieur le ministre, de cet excellent survol de la mesure à l'étude. Certains projets de loi concernant le système pénal qui nous sont soumis, les projets de loi omnibus, sont très épais, mais la présente mesure ne compte qu'une page. Je note que vous avez fait référence à l'article 2 dans vos commentaires. Vous avec dit que cette loi entrerait en vigueur six mois après le jour où elle recevrait la sanction royale, ce qui donne six mois aux corps policiers et aux tribunaux pour se familiariser avec les objectifs que vous souhaitez atteindre grâce à cette mesure.
Avez-vous un programme de formation pour faciliter cette période de familiarisation? Envisage-t-on d'élaborer un programme éducatif quelconque pour communiquer aux intéressés la nature des changements? Dans l'affirmative, quelle forme prendra ce programme?
M. Nicholson : Merci de la question. Comme nous avons eu des consultations avec les représentants des gouvernements territoriaux et provinciaux, ils étaient au courant que ce changement était dans le collimateur et ils prendront les mesures appropriées pour aviser les intervenants du système de justice pénale des changements que nous souhaitons apporter.
Le président : Dans cette optique, pensez-vous que six mois, c'est plus que suffisant?
M. Nicholson : Je le pense. Lorsqu'on apporte un changement de cette nature, il convient de donner aux intervenants du système de justice pénale la possibilité d'assimiler les intentions du gouvernement, d'étudier la mesure législative et de se préparer en conséquence.
Le sénateur Jaffer : Avec votre permission, je continuerai dans la même veine que le sénateur Oliver. N'y a-t-il pas constamment des séances de formation? Ne sont-elles pas monnaie courante?
M. Nicholson : C'est un bon argument.
Le sénateur Jaffer : Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre déclaration liminaire, qui se distinguait par sa clarté. J'aimerais obtenir une précision avant de poser mes questions. Comme vous le savez certainement, le sénateur Tkachuk exprime le point de vue du gouvernement au Sénat. Il avait songé à présenter un amendement au projet de loi. Je me trompe peut-être, mais si j'ai bien compris votre déclaration d'ouverture, vous êtes satisfait du projet de loi tel qu'il est.
M. Nicholson : Je vous remercie de soulever cette question. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, je préférais le projet de loi présenté initialement à la Chambre des communes. Toutefois, je reconnais que la mesure à l'étude représente une amélioration par rapport à la situation actuelle.
Comme vous le savez, et comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, le projet de loi a été présenté en mai 2006, et nous sommes à la mi-avril 2007. Je crains que si le projet de loi continue de faire l'objet d'amendements, et particulièrement si on devait revenir à sa version originale, laquelle a été jugée inacceptable par les partis d'opposition, cela retarderait encore davantage ce que j'estime être une réforme nécessaire du Code criminel.
Je sais que d'aucuns ont évoqué la possibilité d'amender le projet de loi ou de revenir à son ancienne version, mais encore une fois, il faut composer avec les contraintes d'un Parlement minoritaire. Si votre comité jugeait bon d'adopter le projet de loi tel que modifié présentement, j'en serais heureux.
Le sénateur Jaffer : Je vous remercie de cette précision. Monsieur le ministre, dans votre déclaration d'ouverture, vous avez répondu à toutes les brillantes questions que j'avais préparées hier soir.
M. Nicholson : Vous m'en voyez désolé.
Le sénateur Jaffer : Je me réjouis de vous avoir entendu dire que vous alliez fournir des directives aux juges, sans toutefois porter atteinte au pouvoir discrétionnaire de la magistrature. Le Parlement envoie un message ferme, soit qu'il n'est pas favorable à l'imposition d'une condamnation avec sursis dans le cas de crimes violents, mais la mesure laisse tout de même une marge de manoeuvre discrétionnaire aux juges. Ai-je bien saisi vos propos à cet égard?
M. Nicholson : Nous leur fournissons une directive. Nous précisons, dans toute la mesure du possible, quelles sont les situations où nous jugeons que la détention à domicile ou l'emprisonnement avec sursis n'est pas indiqué. Je pense qu'il est important de fournir cette directive. Si je ne m'abuse, les dispositions concernant la peine d'emprisonnement avec sursis remontent à 1996; elles existent donc depuis une dizaine d'années. Comme vous le savez, un certain nombre de tribunaux du pays se sont penchés sur l'interprétation de cette clause. Il nous incombe de préciser l'intention du gouvernement, et je crois que c'est ce que fait ce projet de loi. La mesure représente une amélioration par rapport à la situation actuelle et elle propose aux tribunaux et aux divers intervenants du système de justice pénale des principes directeurs, principes que le Parlement est habilité à leur communiquer. À mon avis, c'est un pas en avant.
Le sénateur Jaffer : Ma prochaine question ne porte pas tant sur la teneur du projet de loi que sur ses répercussions. Je veux discuter de ses conséquences avec vous. Je suis sûr que vous avez lu les mémoires de l'Association du Barreau canadien et d'autres témoins. Ils ont évoqué les répercussions que le projet de loi aurait sur le système d'aide juridique alors qu'on aura besoin d'un plus grand nombre d'avocats au pénal. Envisagez-vous d'augmenter le financement de l'aide juridique dans les diverses provinces pour les aider à faire face aux conséquences de cette mesure et d'autres mesures qui se profilent à l'horizon?
M. Nicholson : J'ai été ravi de voir que le récent budget déposé et adopté à la Chambre des communes renfermait des dispositions qui accordent un financement stable à long terme au système de l'aide juridique. Je crois en l'aide juridique. Comme vous le savez, elle est administrée et presque entièrement financée par les instances provinciales. L'aide juridique traduit notre volonté que chacun puisse être représenté par un avocat. D'après des études spécialisées, lorsque des individus sont privés de représentation juridique, outre que cela porte atteinte à leurs droits, ce manque de représentation est difficile à gérer car il a pour effet d'embouteiller notre système et de causer des délais. Ces arguments convaincants militent en faveur de l'aide juridique.
En ce qui a trait aux répercussions du projet de loi, j'ai essayé de faire comprendre dans ma déclaration d'ouverture que la plupart du temps, les tribunaux ont l'heure juste à ce sujet. Nous essayons simplement de peaufiner le système. Dans de nombreux cas, la condamnation avec sursis est une sanction indiquée compte tenu du comportement de l'inculpé, et je suis le premier à le reconnaître. J'ai cité un cas en exemple, et j'estime que nous sommes fondés de faire cela, mais je ne veux pas donner l'impression qu'il y a des milliers ou des dizaines de milliers de cas de ce genre. Leur nombre est relativement minime, à ce qu'il me semble, mais ils sont tout de même importants. Si les gens estiment que la peine ne correspond pas à la gravité du crime, cette perception peut avoir des conséquences néfastes pour le système de justice pénale. Si les gens commencent à perdre confiance dans le système de justice pénale, ce n'est pas une bonne chose. Un projet de loi qui limite le recours à l'emprisonnement avec sursis contribue à restaurer un certain équilibre. Encore une fois, vous faites valoir qu'il ne s'agit pas d'un nombre considérable de cas. C'est un petit nombre, mais en tant que parlementaires, il nous incombe de régler le problème de ce petit nombre et de faire les ajustements qui s'imposent.
Le sénateur Bryden : Ce projet de loi est le fruit du projet de loi du gouvernement qui a été amendé à la Chambre. J'aurais sans doute dû fouiller la question avant de venir ici. Le projet de loi a fait l'objet d'amendements à la Chambre. Lorsqu'il a été adopté, a-t-il recueilli l'appui de tous les partis, de la plupart des partis ou de certains d'entre eux?
M. Nicholson : Oui, sénateur. Pour être honnête, je ne suis pas certain au sujet du Bloc québécois et du Nouveau parti démocratique. Je vais m'informer auprès de mes collègues.
La mesure a reçu l'appui généralisé de la Chambre des communes. Le ministre de la Justice de l'époque et moi-même, en tant que leader du gouvernement à la Chambre, préférions le projet de loi original du gouvernement. Néanmoins, je reconnais que cette mesure constitue une amélioration par rapport à la loi actuelle.
Le sénateur Zimmer : Monsieur le ministre, c'est bon de vous revoir. Je suis sensible au fait que vous ayez mentionné dans votre exposé ce matin le cas de ce jeune homme de Winnipeg, ma ville d'origine. Ironiquement, il y a de cela de nombreuses années, avant que je ne devienne sénateur, après avoir assisté à la messe, un jour, j'ai eu l'occasion de converser avec sa mère. Elle m'a raconté la scandaleuse et triste histoire de son fils. Je lui ai promis qu'un jour, si je pouvais faire pencher la balance, j'espère que je le ferais. Fortuitement, que ce soit grâce à la volonté de Dieu ou du Parlement, je suis ici aujourd'hui, et dimanche, je la reverrai pour lui dire que j'ai joué un rôle dans l'affaire qui la concerne. Voici des nouvelles fraîches. Son fils n'est toujours pas en mesure de fréquenter la faculté de droit à cause des séquelles de l'accident, mais je lui parlerai à sa mère de votre exposé d'aujourd'hui et je lui transmettrai vos commentaires.
Je crois savoir qu'il est rare qu'on impose une peine d'emprisonnement avec sursis dans les cas de conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort. Toutefois, en ce qui a trait à de tels cas, ou aux cas de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles, pouvez-vous nous expliquer de quelle façon et dans quelles circonstances les principes de la justice réparatrice sont habituellement appliqués?
M. Nicholson : Votre question porte sur les cas de conduite avec facultés affaiblies?
Le sénateur Zimmer : Oui.
M. Nicholson : Premièrement, je vous remercie de vos commentaires au sujet de ce pauvre jeune homme. Je suis touché par le fait que vous soyez ici aujourd'hui pour faire en sorte que le projet de loi aille de l'avant. En ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies, vous voulez savoir si cette infraction tombe sous le coup de cette mesure?
Le sénateur Zimmer : Oui.
M. Nicholson : Si c'est le cas, c'est qu'on l'associe aux sévices graves à la personne ou aux sévices graves à la personne ayant causé la mort. Je vais me tourner vers Mme Kane.
Le sénateur Zimmer : Quelle est l'application de la mesure?
Catherine Kane, avocate générale principale par intérim, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Il y a eu des cas où la conduite avec facultés affaiblies ayant causé des blessures, et non pas tellement la conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort, a été sanctionnée par une peine d'emprisonnement avec sursis parce que le tribunal avait tenu compte de l'ensemble des circonstances. Les circonstances en question ont pu être une tragédie ou un remord profond de la part de l'accusé. En pareil cas, le chauffard a peut-être été tenu de faire une tournée de conférences dans les écoles, les organismes communautaires, et cetera pour discuter des dangers liés à la conduite avec facultés affaiblies; cette tournée fait partie de la peine du délinquant.
Toutefois, dans une autre mesure, le projet de loi C-23, qui sera ultérieurement soumis à votre comité, on prévoit de multiples réformes concernant la procédure en matière pénale. Le projet de loi précise que l'infraction de la conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort et l'infraction de la conduite avec facultés affaiblies ayant causé des blessures sont assujetties aux peines minimales obligatoires, lesquelles s'appliquent aussi à la simple conduite avec facultés affaiblies n'ayant causé ni décès ni blessure. Il y avait une certaine confusion dans la jurisprudence. Ce sont les cas où les peines minimales obligatoires s'appliqueront. Une première infraction pourrait se solder par une simple amende, mais ce serait tout de même une peine obligatoire, et, dans ce contexte, une peine avec sursis ne serait pas possible.
M. Nicholson : Cette situation tomberait sous le coup de la loi actuelle. En cas de peine minimale obligatoire, la condamnation avec sursis n'est pas permise. Nous précisons cela dans le projet de loi C-23, une autre mesure qui vous sera soumise sous peu. Vous pourrez alors examiner les changements apportés en ce qui a trait à la conduite avec facultés affaiblies.
Mme Kane : Cela ne sera pas perdu.
Le sénateur Zimmer : Certains ont fait valoir que les objectifs de la réadaptation et de la justice réparatrice peuvent être atteints au moyen d'une peine purgée dans la collectivité étant donné que l'incarcération en établissement peut parfois nuire à la réadaptation. En outre, les conditions d'une ordonnance peuvent être façonnées de manière à répondre aux besoins spécifiques du contrevenant. Étant donné que l'emprisonnement avec sursis existe depuis près de 11 ans, pouvez-vous commenter les données, si tant est qu'il y en ait, sur son efficacité en matière de réadaptation?
M. Nicholson : Personnellement, j'aime bien l'idée d'avoir cette option. Nous savons qu'une peine d'emprisonnement n'est pas toujours indiquée ou que ce n'est pas la meilleure façon de traiter un individu. Nous essayons de trouver un équilibre entre cette option et la gravité de l'infraction.
Dans un certain nombre de cas, la gravité de l'infraction signifie que, pour de multiples raisons n'ayant rien à voir avec le cas ou la situation de l'individu, une condamnation avec sursis n'est pas indiquée. Le cas que j'ai cité et d'autres exemples en ce sens ont tendance à diminuer la confiance des gens dans le système de justice pénale. Le respect de la règle de droit est un pilier, un principe fondamental de la société canadienne. Franchement, j'irais jusqu'à dire que le respect de la règle de droit est une mesure du succès d'une société. En partie, nous essayons de soutenir ce respect en l'occurrence.
Nous voulons que les gens continuent de croire que certains comportements sont tellement répugnants aux yeux de la société qu'il n'est pas indiqué de renvoyer chez eux leurs auteurs.
Il ne s'agit pas uniquement de répondre aux besoins de l'individu. À mon avis, le perpétrateur auquel on permet de rentrer chez lui après avoir commis une infraction grave ne reçoit pas le bon message. Il peut arriver que des individus commettent des erreurs ultérieurement parce qu'on ne leur a pas fait comprendre avec quelle vigueur la société s'oppose à leur comportement.
Les perpétrateurs de crimes graves qui sont incarcérés ont la possibilité de réfléchir aux actes qu'ils ont posés et de modifier leur comportement.
Le sénateur Zimmer : Je vais communiquer vos propos empreints de compassion à la mère du jeune homme. Je sais qu'elle en sera réconfortée.
Le sénateur Baker : Au sujet de la mesure à laquelle vous avez fait référence tout à l'heure en parlant des changements ultérieurs qui seront apportés à l'article 253 du Code criminel concernant la conduite avec facultés affaiblies, s'agit-t-il du projet de loi sur la conduite avec facultés affaiblies par la consommation de drogues?
M. Nicholson : Oui. Il s'agit du projet de loi C-23, Loi modifiant le Code criminel en matière de procédure pénale.
Le sénateur Baker : Apporte-t-on d'autres modifications aux articles 253 à 258?
Pourquoi présenter simultanément deux mesures législatives pour modifier l'article 253? Pourquoi ne pas tout faire dans un même projet de loi?
Mme Kane : Le projet de loi C-23 est une mesure fourre-tout, comme nous le disons dans notre jargon. Elle englobe un certain nombre de dispositions apportant des changements au Code criminel qui sont dus depuis longtemps, et dont le ministre assure le suivi. Ses collègues des provinces, la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada et d'autres groupes attirent son ascension sur les dispositions qui ont besoin d'être actualisées. Il ne s'agit pas d'y apporter des changements de fond; ce sont des changements d'ordre pratique. Le projet de loi C-9 visait à corriger dans la jurisprudence l'interprétation qui suscitait la confusion. On voulait s'assurer que la loi soit claire dans les cas de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles ou la mort : on souhaitait établir que les peines minimales obligatoires s'appliquent également à ces infractions. L'amendement apportait une correction qui n'allait pas plus loin. Il ne s'agit pas d'une foule de réformes concernant la conduite avec facultés affaiblies.
Une autre mesure, le projet de loi C-32, apporte des modifications plus substantielles. Cette mesure s'articule autour des dispositions visant la conduite avec facultés affaiblies par la consommation de drogues.
Une série de projets de loi modifiant le Code criminel chemine dans le processus législatif. L'ensemble des mesures qui constituent le projet de loi C-23 aborde de multiples sujets : détermination de la peine, conduite avec facultés affaiblies, langues officielles et d'autres modifications de procédure touchant notamment les dispositions concernant les mandats.
M. Nicholson : Je n'aurais jamais utilisé l'expression « projet de loi fourre-tout », ce terme ayant une connotation que vous connaissez bien, j'en suis sûr. Ce sont des changements d'ordre pratique. En tant que parlementaires de longue date, vous savez certainement que lorsque nous décelons des lacunes ou qu'elles nous sont signalées par les procureurs généraux des provinces, on les rassemble dans une seule mesure. Il s'agit habituellement de questions non controversées qui recueillent un appui généralisé. Je suis sûr que ce projet de loi ne fera pas exception à la règle.
Le sénateur Baker : Comme Mme Kane l'a dit, les changements en question n'ont rien de substantiel.
M. Nicholson : Ce sont généralement des précisions que l'on apporte à la loi actuelle, sénateur Baker. Nous rassemblons ces changements et, périodiquement, nous présentons un projet de loi en vue de resserrer la législation. Les changements de fond ayant trait à la conduite avec facultés affaiblies, que l'on retrouve dans le projet de loi dont vous avez parlé, vous seront communiqués lorsque nous aurons terminé nos délibérations à ce sujet à la Chambre des communes.
Le sénateur Baker : S'agit-il du projet de loi C-32?
M. Nicholson : Oui.
Le sénateur Baker : Après avoir lu l'article 742.1 tel qu'il figure présentement dans le Code, je constate que le seul changement est l'insertion d'un texte de cinq lignes. D'après ce que je peux voir, vous ajoutez seulement trois éléments séparés qui n'exigeraient pas, d'après moi, une formation très poussée pour les magistrats ou les procureurs. Ne s'agit-il pas simplement d'appliquer ces trois exceptions bien précises à l'article déjà en vigueur? Où se trouve la complication que vous évoquez?
M. Nicholson : Je ne crois pas qu'il y ait la moindre complication. C'est facile à comprendre, sénateur Baker, mais je ne tiens rien pour acquis. Je trouvais que le projet de loi original était simple et qu'il aurait pu être mis en oeuvre, mais il a été modifié, comme vous pouvez le voir.
Bien des d'intervenants participent au système de justice pénale dans notre pays, et nous faisons savoir aux procureurs généraux provinciaux d'un bout à l'autre du pays que nous allons mettre en oeuvre ces changements. Comme le sénateur Jaffer l'a fait remarquer, à chaque fois que nous modifions le Code criminel, il faut faire de la formation. Nous voulons que tous ceux qui interviennent dans le système de justice pénale soient au courant des changements que nous faisons.
Le sénateur Baker : Au sujet du libellé, dans le projet de loi C-9, on fait explicitement mention des sévices graves à la personne au sens de l'article 752, de l'infraction de terrorisme ou de l'infraction d'organisation criminelle, après quoi vous ajoutez le passage suivant : « Chacune d'entre elles étant poursuivie par mise en accusation et passible d'une peine maximale d'emprisonnement de 10 ans ou plus ». Pouvez-vous imaginer un cas où pareilles infractions ne seraient pas poursuivies par voie de mise en accusation?
M. Nicholson : Dans ma déclaration liminaire, j'ai dit que ce serait rare. Comme vous le savez, dans la première version du projet de loi, on faisait mention des infractions passibles d'une peine maximale de 10 ans ou plus, après quoi on prévoyait la peine d'emprisonnement avec sursis. Cependant, nous nous retrouvons avec ce libellé après que le projet de loi ait été longuement examiné au Comité permanent de la justice. Je suis entièrement d'accord avec vous pour dire que très peu de cas seraient poursuivis par procédure sommaire.
Le sénateur Baker : Je suis certain que le président, qui est un ancien professeur de droit, conviendrait qu'il est extrêmement improbable que l'on poursuive quelqu'un par procédure sommaire pour l'une ou l'autre de ces graves infractions, à moins, bien sûr, que les six mois prévus par le Code criminel soient écoulés et que l'on soit tenu de procéder par mise en accusation.
Que répondez-vous à ceux qui vous disent : monsieur le ministre, vous avez cité certains cas graves dans lesquels une décision a été rendue par un juge. Le juge rend une décision en se fondant sur les plaidoyers de l'avocat de la défense et du procureur. Si une peine d'emprisonnement avec sursis est imposée et que la personne reconnue coupable viole les conditions de cette sentence, elle est immédiatement envoyée en prison. Les conditions ayant été violées, la peine originale s'applique. En pareil cas, le fardeau de la preuve est inversé et il incombe à l'accusé de prouver qu'il n'y a pas lieu de procéder de cette manière.
Compte tenu de cela, et étant donné que toute peine peut faire l'objet d'un appel par la Couronne, et que cette dernière n'est assurément pas dépourvue de ressources, que répondez-vous à ceux qui disent que ces protections sont intégrées dans le système? Vous pouvez citer des cas qui semblent épouvantables, mais seul le juge des faits original peut déterminer si c'est aussi épouvantable que cela peut le sembler, et nous avons dans le Code des mécanismes intégrés qui nous protègent contre les récidivistes.
M. Nicholson : Cela met en cause notre rôle de législateur. Notre tâche est de guider tous ceux qui participent au système de justice pénale en leur donnant une indication de la gravité que nous attachons à certaines infractions en particulier. Nous sommes habitués à nous acquitter de cette tâche, qui est aussi ancienne que la Confédération, et même davantage. Comme vous le savez, tout projet de loi que nous adoptons comporte une peine maximale. Pourquoi inscrivons-nous une peine maximale? Nous donnons aux tribunaux une indication quant à la gravité de l'infraction en question, à nos yeux. La peine maximale peut être de deux ans, cinq ans ou la prison à vie. Comment prenons-nous cette décision? Il nous incombe, à titre de législateurs, de décider dans quelle mesure le crime nous apparaît grave.
La peine d'emprisonnement avec sursis a été introduite en 1996, sauf erreur, comme solution de rechange. Je pense que c'est une solution qui peut donner de bons résultats et qui a d'ailleurs, pour l'essentiel, donné de bons résultats. Cependant, à chaque fois que nous modifions le Code criminel, il nous incombe à nous, qui sommes chargés de légiférer, d'examiner les changements, d'y apporter des retouches et de donner aux tribunaux des indications plus précises relativement aux changements. Cette mesure-ci est bien avisée. Voilà ce que je dirais à ces personnes. C'est affaire de jugement. Nous devons écouter les Canadiens. Nous devons examiner l'ensemble des faits qui nous sont présentés et en arriver à une décision quant à ce qui nous paraît approprié. C'est ce que nous faisons constamment à titre de législateurs relativement au Code criminel. Je suis à l'aise avec cette mesure, comme vous l'êtes aussi, j'en suis convaincu, parce que c'est la tâche qui nous a été confiée. Voilà ce que je dirais aux personnes qui demandent pourquoi nous prenons cette mesure, pourquoi nous donnons cette indication. Il me semble que c'est notre rôle de donner une orientation générale relativement aux dispositions de justice pénale.
Le sénateur Baker : Nous avons maintenant un nouveau service des poursuites publiques, établi en vertu d'un projet de loi qui a été adopté par notre comité sénatorial. On peut supposer que nous avons maintenant un nouveau système au Canada, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas : le projet de loi a été adopté par le Sénat. Peut-être pourriez-vous commenter cela.
J'ai toutefois une dernière question. Le ministre a fait très attention quand il a lu en quoi consistait l'essence de l'infraction : susceptible de mettre en danger, susceptible de faire ceci ou cela. Dans tous ces articles du Code criminel, rien n'est clair et net. Les peines d'emprisonnement avec sursis ont été créées pour permettre de porter un certain jugement, en ce sens qu'une personne pourrait avoir un casier judiciaire de 50 pages et toute une série de condamnations, mais portant peut-être toutes sur la même infraction, et la personne pourrait être jugée susceptible de mettre quelqu'un en danger. Selon vous, quelle sera l'incidence de ce changement sur les procureurs qui relèvent maintenant du directeur des poursuites pénales? Vont-ils y penser à deux fois avant de porter une accusation en particulier, ou bien vont-ils, à votre avis, opter pour l'accusation visée par la mesure?
Dans le cas, par exemple, d'une infraction d'invasion de domicile, peut-être le procureur déciderait-il d'accuser la personne de voies de fait, de vol qualifié ou d'une infraction moins grave. À cause du changement qui sera apporté, le procureur aurait peut-être le sentiment de commettre une injustice en portant une accusation qui serait visée par cette nouvelle disposition.
M. Nicholson : C'est affaire de jugement dans chaque cas. C'est le rôle des procureurs, qui relèvent des autorités provinciales. Ce sont eux qui administrent le Code criminel et qui continueront, bien sûr, de le faire dans toutes les provinces du Canada. Cependant, je pense que les procureurs accueilleront favorablement des directives comme celles-ci, qu'ils accueilleront bien un projet de loi comme celui-ci. Je ne crains nullement que l'on hésite à accuser quelqu'un en invoquant l'article pertinent sous prétexte que l'on n'aime pas la sanction qui serait alors infligée à la personne. Je ne vois là aucun problème.
Le sénateur Baker : On a donc retiré du projet de loi original toute référence aux changements qui seraient apportés en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ou de toute autre loi fédérale qui serait administrée par les procureurs fédéraux relevant du bureau du directeur des poursuites publiques. Est-ce exact?
M. Nicholson : C'est exact.
Le sénateur Baker : Il reste l'ensemble des accusations portées en vertu du Code criminel qui feraient l'objet de poursuites engagées par les autorités provinciales.
Mme Kane : Je précise que le Service des poursuites publiques du Canada traiterait toutes les infractions au Code criminel et aux autres lois fédérales dans les trois territoires. Il ne faut pas oublier une chose. Même si l'amendement au projet de loi C-9 établit que seules les infractions de sévices graves à la personne, de terrorisme et d'organisation criminelle ne peuvent faire l'objet d'une peine d'emprisonnement avec sursis, les modalités d'imposition d'une telle peine demeurent régies par d'autres critères. S'il n'est pas absolument interdit de sanctionner les infractions en matière de drogue relevant de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances par une peine avec sursis, tous les autres critères s'appliqueraient; par conséquent, cette option serait disponible uniquement s'il n'y a pas de peine minimale obligatoire et si elle est indiquée d'après les autres critères existants.
Le sénateur Baker : Le ministre n'avait donc pas raison de dire que cette disposition s'applique uniquement aux infractions au Code criminel faisant l'objet de poursuites intentées par la province.
Mme Kane : Le ministre avait tout à fait raison.
Le sénateur Baker : Il avait raison, mais il a oublié de mentionner ces autres possibilités.
M. Nicholson : Je suis désolé, sénateur Baker, cela demeure possible. J'aurais préféré que l'on inclue directement les infractions relevant de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, comme c'était le cas dans le projet de loi original. J'aurais préféré que cette disposition demeure dans le projet de loi, mais elle a été retirée.
Le sénateur Baker : Insérez-la dans un projet de loi omnibus.
M. Nicholson : Je vais examiner le projet de loi C-23. Qui sait? Aurait-elle votre appui, sénateur, si je l'intégrais dans cette mesure?
Le sénateur Baker : Il faudrait que je prenne connaissance du libellé de l'article.
M. Nicholson : C'est raisonnable.
Le sénateur Joyal : Je veux revenir au contexte dans lequel cet amendement au Code criminel a été introduit. Vous avez mentionné dans votre exposé — et Mme Kane l'a répété — que le mécanisme de l'emprisonnement avec sursis avait vu le jour en 1996, il y a 10 ans, et que le moment était venu de l'examiner. Pouvez-vous nous dire quel genre d'études a fait le ministère pour mener à bien l'examen de l'article 742.1 actuel et quel en a été l'incidence sur les tribunaux? Autrement dit, comment cet article a été utilisé; quel est le pourcentage des accusés condamnés à une peine avec sursis; et quelle incidence l'article 742.1 a eue sur le système de justice pénale en général du point de vue de la réadaptation, et cetera? Si l'on souhaite apporter des modifications au système en vue de le resserrer, c'est sans doute qu'on a évalué la façon dont l'article en question a été utilisé pendant 10 ans, ce qui semble être une période de temps suffisante pour qu'on puisse tirer des conclusions.
Pouvez-vous nous en dire plus long sur le contexte dans lequel on a procédé à l'examen de l'article 742.1?
M. Nicholson : Je vous remercie de cette question. Je vais essayer. Vous connaissez sans doute l'étude effectuée par Julian Roberts au sujet de cet article. D'après cette étude, la peine d'emprisonnement avec sursis s'est avérée utile dans certains cas. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure ce type de peine a influé sur les taux de récidive. Dans les travaux de recherche que j'ai consultés, non seulement à ce sujet, mais au sujet de la plupart des changements au Code criminel, il est difficile de prouver que le comportement humain sera modifié d'une façon ou d'une autre. Toutefois, dans toute la mesure du possible, nous prenons en compte des études comme celle que je viens de mentionner. Nous avons présentement des discussions et des négociations avec les procureurs généraux des provinces. Nous tenons compte de leur avis et de leur expérience en ce qui a trait à la législation fédérale et, en nous fondant sur leur contribution, nous tentons de trouver une réponse raisonnable.
Comme vous l'avez fait remarquer, ce mécanisme a été en vigueur pendant un peu plus de 10 ans, mais indépendamment de la période au cours de laquelle elle a été en vigueur et des changements, je pense qu'il est bon de l'examiner; cela dit, nous nous inspirons également des décisions des tribunaux pour savoir où ils logent sur ces questions. Nous essayons de trouver une réponse raisonnable.
Je le répète, à mon avis, cette réponse est raisonnable, et j'espère que vous-même et vos collègues du Sénat jugerez bon d'accorder votre appui à cette mesure pour qu'elle puisse entrer en vigueur.
Le sénateur Joyal : L'étude effectuée par Julian Roberts a-t-elle été commandée par le ministère de la Justice?
M. Nicholson : Je le crois.
Le sénateur Joyal : Pourrait-on nous la transmettre pour que nous puissions prendre connaissance de ses conclusions?
M. Nicholson : Absolument.
Le sénateur Joyal : Vous avez aussi fait référence à la conférence des procureurs généraux des provinces, qui a lieu périodiquement. Ces derniers ont-ils fait des recommandations spécifiques au sujet de l'article 742.1, comme ils le font normalement?
M. Nicholson : Oui, ils l'ont fait.
Le sénateur Joyal : Pouvons-nous obtenir copie des recommandations ou des conclusions qu'ils ont présentées au sujet de l'article 742.1 à l'occasion de cette conférence annuelle?
M. Nicholson : Je vais me renseigner.
Le sénateur Joyal : La Commission de réforme du droit du Canada s'est-elle penchée sur le recours à la peine d'emprisonnement avec sursis? L'a-t-elle évaluée ou commentée de façon générale?
M. Nicholson : Non.
Le sénateur Joyal : Pour ce qui est de l'article sous sa forme actuelle, avez-vous évalué l'incidence qu'il aurait sur le taux d'incarcération? Autrement dit, étant donné qu'un plus grand nombre de personnes seraient incarcérées en vertu de l'article 742.1, avez-vous des statistiques sur l'incidence que cette disposition aurait eue sur le taux d'incarcération si elle avait été appliquée au cours des dix dernières années?
M. Nicholson : Je crois savoir que vous allez entendre des représentants de l'Association canadienne de justice pénale. Ceux-ci pourront sans doute vous fournir des détails au sujet de l'incidence d'un amendement qui s'appliquerait, en l'occurrence, à l'infraction de sévices graves à la personne. Je crois que c'est difficile à prévoir.
Comme je l'ai dit dans ma réponse au sénateur Jaffer, je ne pense pas qu'un nombre considérable d'infractions tomberont sous le coup de cet amendement. Néanmoins, j'espère vous avoir convaincu que les cas qui seraient visés par cet amendement sont importants. Encore une fois, je ne pense pas que le problème soit largement répandu.
J'ai aussi mentionné qu'à mon avis, la peine d'emprisonnement avec sursis a un rôle important à jouer dans notre système de justice pénale, mais j'estime que cet amendement est une amélioration nécessaire. Encore une fois, je ne pense pas qu'il touche un grand nombre de personnes.
Le sénateur Joyal : À ce sujet, j'essaie de concilier les changements proposés à l'article 742 avec l'article 718.2 du Code criminel, qui traite du principe de la justice réparatrice figurant à l'alinéa 718.2e). Comment fonctionnent ces deux articles? Dois-je conclure que l'amendement à l'article 742 exclut le recours à l'alinéa 718.2e) en ce qui concerne spécifiquement les délinquants autochtones?
M. Nicholson : Je ne le pense pas. M. Villetorte aimerait faire un commentaire à ce sujet.
Matthias Villetorte, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Cela n'entre pas en contradiction avec l'objectif et les principes énoncés à l'article 718. C'est une disposition complémentaire.
Vous avez aussi mentionné l'alinéa 718.2e), qui est la disposition qui traite spécifiquement des délinquants autochtones. L'amendement ne vise pas les délinquants autochtones en soi. C'est une réforme générale. Par conséquent, il n'y a pas de contradiction avec l'article 718.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, un juge saisi d'une affaire mettant en cause un délinquant autochtone pourrait quand même se livrer à l'exercice de réflexion recommandé à l'alinéa 718.2e) en ce qui concerne les délinquants autochtones?
M. Nicholson : Tout à fait.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur le ministre, ce n'est pas l'article proprement dit qui me dérange. Nous avons instauré la peine d'emprisonnement avec sursis. À mon avis, la population comprend que des gens soient condamnés à la prison. Le principe de la peine purgée dans la collectivité est aussi acquis puisque les ordonnances de probation et diverses peines exigeant des amendes ou des travaux communautaires sont monnaie courante.
Dans l'esprit des citoyens, ce principe de la privation ou de la non-privation de la liberté est bien ancré. En conséquence, la probation est bien comprise. Les délinquants ne sont pas incarcérés. Il y a un effet de dénonciation et de dissuasion lorsqu'il y a incarcération.
La peine d'emprisonnement avec sursis est une mesure intermédiaire. Mon problème consiste à essayer d'expliquer aux gens que la peine avec sursis est différente. Elle repose sur le principe de la sécurité plutôt que sur la dissuasion et la dénonciation.
Comment faire comprendre aux gens qu'avant d'imposer une peine avec sursis, le tribunal a pris en compte la sécurité du public, que les personnes condamnées à une telle peine ne sont pas susceptibles de mettre en danger la sécurité d'autrui? Voilà le noeud du problème.
Il suffit d'un cas ou deux de récidive pour détruire la crédibilité de ce système. De quelle façon le projet de loi nous aide-t-il en nous permettant de ne pas incarcérer les individus qui ne devraient pas l'être? Nous pouvons les autoriser à purger leur peine dans la collectivité, comme l'exige la justice, sans pour autant mettre en danger la vie d'autrui.
M. Nicholson : C'est le défi que nous devons relever, sénateur Andreychuk. Vous avez vu juste : comment équilibrer le droit de l'individu, le droit des victimes, le droit de la société à la protection et le droit de la société de continuer d'avoir confiance dans le système de justice pénale. Voilà l'équilibre délicat que vous deviez trouver lorsque vous siégiez comme juge, et c'est le défi qui se pose à nous tous en tant que législateurs.
Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'en présentant un projet de loi comme celui-là, un projet de loi qui vise certains crimes que nous jugeons tous graves, et en décrétant aussi clairement que possible que la détention à domicile ou l'emprisonnement avec sursis n'est pas indiqué en pareil cas, je pense que nous nous acquittons de notre mission.
Comment en arriver à cet équilibre? Notre argument est le suivant : plus un individu est susceptible d'être condamné pour une infraction pénale grave, plus nous devons être prudents et nous soucier de la sécurité publique. C'est là que nous tranchons.
D'après les dispositions concernant la peine d'emprisonnement avec sursis, une personne qui commet une infraction mineure est moins susceptible de mettre en péril la sécurité d'autrui. C'est un jugement que nous portons et, essentiellement, ce jugement repose sur la gravité de l'infraction au Code criminel. Notre décision doit être éclairée par l'information qui est acquise par le tribunal, l'information qui lui est présentée.
Notre travail consiste à déterminer si, compte tenu du niveau de la gravité de l'infraction, nous ne voulons pas que son auteur puisse rentrer chez lui après sa condamnation. Toutefois, nous sommes prêts à croire — et à prendre le risque — que dans le cas d'une infraction moins grave, il pourrait être bénéfique que le perpétrateur ne soit pas envoyé dans un centre de détention, ce qui lui permettrait de tourner la page, de protéger sa famille, de conserver son emploi, voire d'apporter une contribution positive à la société. En prenant cette décision, nous affirmons qu'il existe une possibilité ou une façon pour l'individu en question de réintégrer la société.
En tant que législateurs, nous sommes à la recherche de cet équilibre, tout comme vous-même et d'autres deviez le faire quotidiennement en tant que magistrats.
Le sénateur Andreychuk : En 1996, si c'est bien l'année où la peine d'emprisonnement avec sursis a été instaurée, nous n'avons sans doute pas réussi à faire comprendre que l'emprisonnement avec sursis est une privation de liberté. L'incarcération est une privation de liberté et l'emprisonnement avec sursis l'est aussi, alors qu'à mes yeux, la probation revient à prendre le risque de donner à quelqu'un une seconde chance. En l'occurrence, on ne se préoccupe pas de la même façon de l'effet de dissuasion et de dénonciation.
L'imposition d'une peine avec sursis soulage les familles, car, comme vous l'avez dit, lorsqu'une personne est condamnée à la prison, les membres de son entourage, qui n'ont rien à voir avec l'infraction commise, en souffrent. Nous n'avons pas su communiquer le fait que l'emprisonnement avec sursis constitue une privation de liberté. À mon avis, il faut que les intervenants du système et l'ensemble des citoyens sachent qu'une personne est privée de sa liberté parce qu'elle est susceptible de mettre en danger la sécurité d'autrui, et non parce que l'infraction commise était plus ou moins grave.
Mon argument est le suivant. Lorsqu'on considère uniquement des peines sévères et des crimes graves comme le terrorisme, et cetera, il y a des indicateurs sérieux qui montrent un effet cumulatif. Au départ, le délinquant commet des infractions mineures, mais s'il demeure dans un milieu criminalisé, il pourrait y avoir une escalade quant au danger qu'il représente. Comme le sénateur Baker l'a dit, un casier judiciaire d'une cinquantaine de pages montre parfois une tendance.
M. Nicholson : Un casier judiciaire d'une cinquantaine de pages montrera certainement une tendance. Je n'en doute pas.
Le sénateur Andreychuk : Certains casiers judiciaires constituent une longue liste d'infractions mineures à répétition, mais certains montreront une escalade. C'est dans de tels cas que la décision quant à la possibilité que le délinquant soit « susceptible de mettre en danger » la sécurité ne doit pas reposer uniquement sur la gravité de l'infraction, mais aussi sur le comportement de l'individu. La mesure à l'étude aborde-t-elle cet aspect? Elle semble viser les infractions graves, mais non le comportement de l'individu.
M. Nicholson : Je crois que les dispositions générales du projet de loi s'appliquent à cette situation. Notre intervention est complémentaire. Comme on l'a fait remarquer tout à l'heure, la mesure s'ajoute aux dispositions qui figurent déjà dans le Code criminel. Vous avez apporté un argument valable, soit que la peine d'emprisonnement avec sursis n'est pas une probation, mais un autre type de peine. Je trouve fort intéressante votre observation selon laquelle ce message est perdu dans le débat entourant cette question. Ce problème fait aussi partie du défi auquel nous sommes confrontés, à l'instar des acteurs du système de justice pénale.
Le sénateur Andreychuk : Je suis, avec le sénateur Joyal, l'un des membres les plus anciens du comité. Nous scrutons à la loupe les projets de loi omnibus. Souvent, leur teneur ne correspond pas au préambule. Nous sommes toujours à l'affût d'un article qu'on a ajouté, qui est souvent qualifié d'administratif, mais qui, de l'avis de notre comité, est un article de fond.
M. Nicholson : J'ai évacué ce qualificatif de mon vocabulaire. Je ne l'utilise jamais.
Le président : Monsieur le ministre, je sais que vous devez partir. Au nom du comité, je vous remercie d'être venu aujourd'hui. Même si le projet de loi ne comptait qu'une seule page, ce qui a été intéressant aujourd'hui, c'est que tous les sénateurs qui ont posé des questions se sont intéressés non seulement à la teneur de cette mesure d'une page; ils en ont repoussé les paramètres pour aborder son incidence en matière de politique publique. Nous avons donc eu une discussion fort intéressante sur la politique publique, et nous vous en remercions.
Les représentants du ministère de la Justice vont rester pour que nous puissions poursuivre nos questions.
Le sénateur Joyal : Madame Kane, dans le contexte du point de vue exprimé par le sénateur Andreychuk, diverses raisons pourraient entraîner l'élimination de l'option de la peine d'emprisonnement avec sursis. En se basant sur les antécédents de l'accusé, on pourrait conclure que la peine d'emprisonnement avec sursis ne serait pas indiquée — par exemple, en fonction du facteur danger. N'y a-t-il pas une autre façon d'aborder cette question? Ne pourrait-on pas établir qu'il convient de prendre en compte le recours à la violence ou des circonstances aggravantes avant de conclure de ne pas recourir à la peine avec sursis?
Mme Kane : Il y aurait diverses façons de réduire les peines avec sursis. Comme le ministre l'a mentionné, le gouvernement a présenté un projet de loi visant à établir clairement que les infractions passibles d'une peine d'au moins 10 ans ne devraient pas faire l'objet d'une peine avec sursis. Le fait que les infractions en question soient sanctionnées par une peine d'au moins 10 ans d'emprisonnement en montre bien la gravité. Par conséquent, elles ne peuvent se solder par une peine d'emprisonnement avec sursis. L'amendement suivant resserrait cette restriction. Il s'inscrit manifestement dans le contexte du projet de loi qui a été soumis à l'autre endroit. C'est ainsi qu'on a procédé pour resserrer toute marge de manoeuvre.
Il y a de multiples façons de modifier le Code criminel, mais on a jugé que cet amendement était la meilleure façon d'envoyer un message clair, soit que dans certains cas, la peine d'emprisonnement avec sursis ne devrait même pas être une option.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, l'amendement reposait essentiellement sur la gravité de l'infraction, soit qu'elle était passible d'une peine d'emprisonnement de 10 ans?
Mme Kane : C'est exact.
Le sénateur Joyal : Il n'était pas fondé sur d'autres circonstances qui auraient pu permettre de conclure que, dans ce contexte, l'emprisonnement avec sursis n'aurait pas été la l'option indiquée pour le tribunal?
Mme Kane : Sous sa forme actuelle, la loi renferme déjà quatre critères que le juge doit prendre en compte pour décider s'il convient d'imposer une peine d'emprisonnement avec sursis. Cette disposition ajoute un cinquième critère. Les facteurs que vous avez mentionnés, ou auxquels vous avez fait référence, tels les facteurs aggravants, la gravité de l'infraction, et cetera, sont à mon avis déjà intégrés dans l'article 742.1 actuel qui renvoie le juge à la rubrique « Objectif et principes » et au fait que l'infraction n'est pas susceptible de mettre en danger la sécurité de la population.
Le sénateur Joyal : À votre avis, était-ce la seule façon d'aborder cette question?
Mme Kane : L'amendement, tel qu'il est présenté, a été rédigé de façon à établir clairement et simplement que les infractions punissables d'une peine d'emprisonnement d'au moins 10 ans ne devraient pas faire l'objet d'une condamnation avec sursis. Le but visé n'était pas de fournir un autre critère subjectif, mais d'établir une limite claire, soit que dans de tels cas, la peine d'emprisonnement avec sursis n'est pas une option disponible.
Le sénateur Joyal : Ce changement concrétise-t-il une recommandation de l'étude concluant qu'il était nécessaire d'établir des limites aux fins de la politique publique, comme l'a fait remarquer le ministre?
Mme Kane : L'étude ne proposait pas d'amendements particuliers au Code criminel. Elle examinait les peines d'emprisonnement avec sursis imposées en vertu des dispositions actuelles du Code criminel, ainsi que les diverses réactions à ces peines de la part des victimes de crimes et d'autres criminologues. Dans l'examen de la jurisprudence, on s'est intéressé aux dispositions actuelles ayant trait à l'emprisonnement avec sursis.
Il y a aussi eu de nombreuses consultations fédérales-provinciales au sujet des réformes possibles de la peine d'emprisonnement avec sursis. Nos collègues provinciaux ont exploré une foule de solutions de rechange qu'ils ont présentée à l'ancien ministre de la Justice, ainsi qu'au ministre actuel. Comme c'est le cas dans toutes ces consultations fédérales-provinciales, de multiples options ont été proposées.
Le gouvernement a opté pour le modèle du projet de loi C-9, tel qu'il a été présenté.
Le sénateur Joyal : Pouvez-vous nous communiquer les grandes lignes des options proposées par le procureur général?
Mme Kane : Un groupe de travail fédéral-provincial composé de hauts fonctionnaires ont présenté un rapport aux procureurs généraux des provinces et des territoires.
Parmi les recommandations figurait l'imposition de restrictions supplémentaires. Les peines minimales obligatoires interdisent cette option. À l'heure actuelle, si l'auteur d'une infraction est condamné à une peine d'emprisonnement de moins de deux ans, le juge déciderait en fonction d'autres critères. Par conséquent, l'une des options était de considérer les infractions passibles d'une peine d'emprisonnement d'au moins un an. Cette option a été envisagée : seules les infractions qui, d'après le juge, devraient être sanctionnées par une peine d'emprisonnement d'au moins un an auraient pu faire l'objet d'une peine avec sursis. Cette option aurait diminué le groupe de moitié.
On a proposé que certaines présomptions s'appliquent contre le recours à la peine d'emprisonnement avec sursis pour certaines infractions. Comme le ministre l'a dit, il se renseignera sur la disponibilité de ce rapport. Vous pourrez donc prendre connaissance de toute la gamme des options envisagées. Elles ont été soumises en tant que telles à l'examen des ministres.
Le sénateur Joyal : Je comprends cela et je vous remercie de cette information. Cela nous aide à comprendre le contexte des orientations stratégiques dans lequel l'amendement a été présenté. Après un certain temps, particulièrement lorsqu'on introduit des changements comme l'option de la peine d'emprisonnement avec sursis, on constate le demi-succès que cette réforme a eu, ce demi-succès ayant été décrit par le sénateur Andreychuk : les gens pensent qu'une peine d'emprisonnement avec sursis n'en est pas une. C'est peut-être ce facteur, le fait que les citoyens n'accordent pas beaucoup de valeur à cette peine, qui en a imposé la conclusion qu'il fallait limiter le recours à cette option. Elle suscite à l'endroit du système des critiques qui ne sont pas fondées sur la réalité.
Il est utile pour nous de comprendre le contexte dans lequel s'inscrit la proposition qui a été retenue dans le projet de loi C-9 pour que nous puissions l'appréhender dans l'optique de la réadaptation. Nous ne pouvons pas uniquement nous en tenir au fait que le projet de loi limite l'accès à la peine d'emprisonnement avec sursis pour un certain nombre d'infractions parce que les individus qui se retrouvent en prison peuvent encore se réadapter. C'est sous cet angle que j'essaie de comprendre une peine. La peine a, en partie, un objectif de réadaptation, et la personne reconnue coupable d'une infraction a toujours la possibilité d'atteindre cet objectif.
Quel aspect de la restriction qui s'applique à la peine d'emprisonnement avec sursis favorise le plus ou le moins la réadaptation, l'étape qui vient après la sortie de prison? C'est la deuxième partie de la réflexion que nous devrions avoir, à mon avis, au sujet de ce projet de loi. Comme le président l'a dit, elle risque de dépasser la portée du projet de loi, mais néanmoins, c'est un aspect de la décision qu'il faut considérer.
Le sénateur Banks : Nous sommes tous censés être égaux devant la loi, mais ce n'est pas le cas. Nous savons qu'étant donné le pourcentage disproportionné des détenus autochtones dans les prisons, il y a quelque chose qui cloche, mais nous ne savons pas ce que c'est.
Tout à l'heure, le sénateur Joyal a voulu savoir si l'alinéa 718(2)e) continue de s'appliquer à la lumière de la nouvelle disposition, et M. Villetorte lui a répondu. Je veux poser la question plus spécifiquement, parce qu'à mon avis, ces deux dispositions sont mutuellement exclusives. L'alinéa 718(2)e) stipule que chaque fois que c'est possible, quand des Autochtones sont visés par une condamnation, ce fait devrait être pris en compte et l'on devrait envisager sérieusement toutes les sanctions substitutives applicables.
Je crois qu'on a répondu que la disposition continue de s'appliquer. Ma question est la suivante : Est-il exact qu'un Autochtone, reconnu coupable d'une infraction punissable, par voie de mise en accusation, d'une peine maximale de dix ans, et condamné par le juge à une peine d'emprisonnement de moins de deux ans, ne peut bénéficier d'une peine d'emprisonnement avec sursis nonobstant l'alinéa 718(2)e)?
Mme Kane : Je ne suis pas certaine d'avoir bien suivi la séquence des événements que vous venez d'énoncer, mais à l'heure actuelle, si un Autochtone était reconnu coupable d'une infraction passible d'une peine maximale de 10 ans, mais qu'il ne s'agit pas d'une infraction constituant des sévices graves à la personne — si le projet de loi était adopté tel qu'amendé et qu'il ne s'agit pas d'une infraction constituant des sévices graves à la personne...
Le sénateur Banks : Je suis désolé, j'ai omis cette partie. Permettez-moi de reformuler ma question.
Prenons le cas d'un Autochtone reconnu coupable d'une infraction de sévices graves à la personne punissable, par voie de mise en accusation, d'une peine maximale de 10 ans, auquel on impose une peine de moins de deux ans. Si le nouvel amendement est adopté, le juge n'aura pas la possibilité de lui imposer une peine d'emprisonnement avec sursis. Est-ce exact?
Mme Kane : C'est exact, mais cela vaut pour quiconque aurait commis cette infraction. On ne veut pas cibler les Autochtones car nous savons pertinemment qu'ils sont surreprésentés parmi les perpétrateurs et les victimes de crime. Cet amendement s'applique à la nature de l'infraction commise.
Même si la peine d'emprisonnement avec sursis n'est pas une option, il y a sans doute d'autres types de peines que le tribunal peut envisager. Une ordonnance de probation ou une autre option serait possible, mais pas l'emprisonnement avec sursis. Il est laissé à l'appréciation du juge d'imposer la peine indiquée et, dans ce contexte, ce dernier s'inspirera de l'alinéa 718.2e), ainsi que de l'objectif et des principes du Code criminel, pour déterminer quelle peine convient le mieux pour le délinquant en question. Il mènera sa réflexion dans le respect des paramètres de la loi, lesquels peuvent exclure certaines options.
Le sénateur Banks : Si un Autochtone était reconnu coupable dans ces circonstances de l'une ou l'autre des trois infractions citées, une peine d'emprisonnement avec sursis serait exclue?
Mme Kane : C'est juste.
Le sénateur Jaffer : Pour faire suite à ce que vient de dire le sénateur Banks, les Autochtones pourraient tout de même se prévaloir du cercle de guérison et d'autres dispositions spéciales, n'est-ce pas?
Mme Kane : Certainement. Ces dispositions demeurent. L'amendement s'applique uniquement à la peine d'emprisonnement avec sursis.
Le sénateur Jaffer : J'ai une question au sujet de la formation. Est-ce inhabituel de prévoir une période de six mois avant l'entrée en vigueur d'une loi? Quel genre de formation envisagez-vous? Je sais que le système compte un grand nombre d'intervenants, mais prévoit-on une formation spécifique? Y a-t-il des documents? Quel genre de formation offrira-t-on?
Mme Kane : Les six mois précédant l'entrée en vigueur de la loi ne servent pas uniquement à permettre aux autorités provinciales de former les professionnels du système de justice pénale. Il est courant que toutes les mesures de justice pénale entrent en vigueur à une date fixée ultérieurement, et non au moment où elles reçoivent la sanction royale. Lorsque ce projet de loi a été présenté initialement, il ne renfermait pas de disposition en ce sens. Il a donc fallu ajouter un amendement pour préciser à quel moment il entrerait en vigueur. Dans tous les cas, les personnes chargées de l'administration de la justice doivent savoir avec certitude à quel moment la loi a changé. C'est pourquoi il a été proposé que l'amendement entre en vigueur six mois après la sanction royale. Ce n'est pas inhabituel. De nombreux projets de loi offrent à nos collègues cette période de grâce. Elle leur permet de modifier les formulaires et de sensibiliser tous les intervenants au fait que les peines d'emprisonnement avec sursis ne sont plus une option dans certaines situations. À notre avis, ce n'est pas un changement compliqué. Il sera assez simple d'aviser les procureurs de la Couronne, les intervenants auprès des délinquants et les juges que la peine d'emprisonnement avec sursis n'est pas une option dans telle ou telle circonstance. À cet égard, une période de six mois est indiquée pour faire ce changement.
Le sénateur Baker : Je voudrais obtenir une précision. Le libellé des cinq nouvelles lignes de cet article en particulier du Code criminel débute ainsi : « Lorsqu'une personne est déclarée coupable d'une infraction — autre qu'une infraction pour laquelle une peine minimale d'emprisonnement de 10 ans est prévue »... Par conséquent, a-t-on l'intention de cibler les infractions pour lesquelles une peine minimale d'emprisonnement de 10 ans est prévue en vertu d'un article du Code criminel, ou veut-on faire référence à la peine imposée par le juge après l'audience de détermination de la peine, étant donné qu'il y a une différence entre les deux?
Mme Kane : Il s'agit de la peine maximale pour l'infraction telle qu'elle est énoncée dans le Code criminel.
Le sénateur Baker : Cette précision est utile car à l'heure actuelle la loi reflète, comme vous l'avez dit, ce qui est établi dans le Code criminel.
En prévision de l'adoption du projet de loi, avez-vous tenu compte du fait qu'il existe des infractions pour lesquelles les peines sont définies par des minimums et des maximums qui ne figurent pas dans le Code criminel, ayant été imposées par des arrêts de diverses cours d'appel? Je vais vous donner un exemple.
Dans le cas d'une invasion de domicile, si ma mémoire est bonne, en vertu de ce que l'on appelle maintenant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la norme a été établie par la Cour d'appel de l'Alberta. Toute personne reconnue coupable de cette infraction est passible d'une peine minimale de huit ans, je crois. C'était auparavant cinq ans. Cette norme ne figure pas dans le Code criminel. Un juge de Terre-Neuve appelé à imposer une peine pour cette infraction consultera d'abord la jurisprudence avant de rendre son jugement. Il constatera que la peine d'emprisonnement acceptée pour quiconque est reconnu coupable de cette infraction ne figure absolument pas dans le Code criminel.
Dans votre étude des peines maximales et minimales, avez-vous pris en compte les peines qui ne sont pas énoncées dans le Code criminel mais plutôt dans la jurisprudence canadienne? Vous avez dit que l'amendement vise les peines figurant dans le Code criminel.
Mme Kane : Nous nous inspirons toujours des paramètres énoncés dans le Code criminel en matière de détermination de la peine. C'est le cadre. À l'intérieur de ce cadre, les juges imposent des peines, et la jurisprudence fixe ensuite la gamme des peines acceptables qui s'appliquent aux diverses infractions. Je ne pense pas qu'il serait possible d'intégrer dans le Code criminel des renvois à des affaires qui pourraient évoluer avec le temps. C'est un avantage du système canadien. Nous avons des paramètres et, avec le temps, les cours d'appel et la Cour suprême peuvent intervenir et modifier la gamme des sentences jugées indiquées. L'examen du prononcé des sentences dans diverses affaires nous a appris que les peines maximales sont rarement imposées. Ce sont des peines maximales, et la plupart des délinquants ne sont jamais condamnés à des peines maximales. Celles-ci sont réservées aux pires crimes et aux pires délinquants. De multiples circonstances influent sur la peine que l'on jugera la plus appropriée pour un délinquant donné et ce, selon les paramètres du droit et les circonstances existantes.
La seule façon dont nous pourrions établir des limites dans le Code criminel est de recourir aux principes qui guident tout le reste, et ces limites sont les peines maximales et minimales prévues dans le Code pour un éventail choisi d'infractions.
Le sénateur Baker : Autrement dit, vous faites fi de ce qui se passe dans les tribunaux. Vous vous fiez uniquement à ce qui figure dans la législation. Cependant, cette analyse est entachée d'une certaine iniquité.
Mme Kane : Nous ne faisons pas fi des décisions des tribunaux. Nous examinons les peines imposées par les cours d'appel pour déterminer si les peines maximales figurant dans le Code criminel reflètent la réalité. Je pense que la peine maximale prévue pour une invasion de domicile dépasse de beaucoup les huit ans que propose la Cour d'appel de l'Alberta comme point de départ.
Le sénateur Baker : La peine maximale est normalement 15 ans. Cela illustre mon argument.
Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, honorables sénateurs, je remercie Mme Kane et M. Villetorte d'être restés après le départ du ministre. Vous avez précisé bien des points importants pour les honorables sénateurs.
La séance est levée.