Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 25, Témoignages du 26 avril 2007
OTTAWA, le jeudi 26 avril 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-9, Loi modifiant le Code criminel (emprisonnement avec sursis) se réunit aujourd'hui à 10 h 48 pour en faire l'examen.
Le sénateur Lorna Milne (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit pour poursuivre son étude du projet de loi C-9, Loi modifiant le Code criminel (emprisonnement avec sursis).
Le projet de loi modifie l'article 742.1 du Code criminel afin qu'une infraction constituant des sévices graves à la personne au sens de l'article 752 de cette loi, une infraction de terrorisme ou une infraction d'organisation criminelle, selon le cas, poursuivie par mise en accusation et passible d'une peine maximale d'emprisonnement de dix ans ou plus, ne puisse faire l'objet d'un emprisonnement avec sursis.
Pour discuter de ce projet de loi plus en détail, nous accueillons aujourd'hui trois hauts fonctionnaires du Centre canadien de la statistique juridique, une division de Statistique Canada. Je souhaite la bienvenue à la directrice, Mme Lynn Barr-Telford, au gestionnaire de projet, M. Craig Grimes et à l'analyste principale, Mme Sara Johnson.
Lynn Barr-Telford, directrice, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Je vous remercie de nous donner l'occasion de parler aux membres du comité de la condamnation avec sursis au Canada.
Comme le temps nous est compté, après avoir présenté brièvement certaines données en guise de contexte, nous examinerons la condamnation avec sursis selon deux perspectives, celle des tribunaux et celle des services correctionnels.
Notre analyse s'est limitée aux services correctionnels provinciaux et territoriaux étant donné que la condamnation avec sursis s'applique seulement aux peines de moins de deux ans, qui sont administrées par les services correctionnels des provinces et territoires.
Tout au long de l'exposé, je porterai à l'attention des membres du comité toute restriction concernant les données. Vous trouverez aussi des notes dans les diapositives dont vous avez copie.
Je vous invite à passer à la deuxième diapositive. On y présente les tendances des taux de crimes déclarés par la police depuis 1977. Il convient de noter une tendance marquée : le taux global de crimes déclarés par la police, la courbe en rouge, s'est accru tout au long des années 1970 et 1980. Il a atteint un sommet au début des années 1990 puis a diminué par la suite. Ce taux est plus stable depuis 1999 environ.
Le taux de crimes contre les biens affiche également cette tendance, comme l'illustre la courbe en vert sur le graphique. Le taux de crimes avec violence, qui est représenté en jaune, a suivi une tendance générale à la hausse pendant 30 ans. Il a également atteint un sommet au début des années 1990 et même s'il est généralement en baisse depuis le milieu des années 1990, il a été relativement stable.
La diapositive 3 montre les tendances de la population correctionnelle condamnée sous surveillance. Les données concernant certains secteurs de compétence, dont la liste figure sur votre diapositive, sont exclues. Les points principaux illustrés dans ce graphique sont les suivants. Le nombre de condamnés avec sursis a doublé depuis 1997-1998, la première année pour laquelle on dispose de données complètes. Le nombre des détenus condamnés en milieu provincial ou territorial a reculé de 31 p. 100 pendant cette même période. Avec ces tendances, la répartition relative de la population des condamnés a évolué au fil du temps. La diapositive 4 présente une vue plus rapprochée, ce qui vous permet d'examiner de plus près les mouvements à la hausse ou à la baisse. La diapositive 5 présente une autre composante contextuelle.
La diminution du nombre de détenus condamnés à la détention dans les provinces et territoires a coïncidé avec une augmentation du nombre de détenus en détention sans condamnation, c'est-à-dire les détenus en détention provisoire. Par conséquent, la population carcérale totale en milieu provincial ou territorial n'a varié que très peu. Nous sommes en présence d'une tendance à la hausse qui correspond à une tendance à la baisse, ce qui se traduit par un changement négligeable pour l'ensemble de la population carcérale.
Je ne parlerai pas en détail de la prochaine diapositive, mais je vous la laisse parce qu'elle met en contexte les taux d'incarcération du Canada par rapport à ceux d'autres pays; elle les présente dans un contexte international. C'est un renseignement que je vous laisse pour réflexion.
Passons maintenant aux données sur la détermination de la peine tirées de notre Programme des tribunaux. Ces données nous permettent d'examiner spécifiquement les ordonnances de sursis selon le type d'infraction. Considérons d'abord quelques statistiques de base. Nous pouvons parler de causes ou de personnes. Les prochaines diapositives présentent des données selon la cause et l'infraction la plus grave de la cause.
En 2003-2004, l'année la plus récente pour laquelle on dispose de données, 13 267 causes avec condamnation ont abouti à une ordonnance de sursis. Elles représentaient 6 p. 100 de l'ensemble des causes avec condamnation dans les secteurs de compétence pour lesquels nous disposons de données.
Si l'on examine les données relatives aux personnes, on compte un peu moins de 10 000 personnes dont la dernière condamnation en 2003-2004 a donné lieu à une ordonnance de sursis. L'ensemble des diapositives correspondent à environ 70 p. 100 de la charge de travail des tribunaux de juridiction pénale pour adultes à l'échelle nationale.
Il ressort de cette diapositive en particulier que les ordonnances de sursis ne sont pas rendues avec la même fréquence pour tous les crimes. Les infractions qui font l'objet du graphique sont les plus susceptibles de donner lieu à une ordonnance de sursis au moment de la condamnation.
Environ le tiers des causes de trafic de stupéfiants et d'autres infractions sexuelles ont abouti à une ordonnance de sursis au moment de la condamnation alors qu'une cause d'agression sexuelle sur cinq a abouti à une condamnation conditionnelle. Outre ces deux types d'infractions sexuelles, le graphique présente des données sur quatre autres types d'infractions contre la personne.
Certaines de ces infractions sont moins courantes, comme le montrent les chiffres entre parenthèses. Elles ne représentent pas forcément le plus grand nombre d'infractions ayant entraîné une ordonnance de sursis même si elles sont plus susceptibles d'aboutir à cette peine.
Si vous passez à la diapositive 8, vous verrez que les 10 types d'infractions représentent la grande majorité — 80 p. 100 — des 13 267 causes avec condamnation ayant abouti à une ordonnance de sursis en 2003-2004. Près d'une ordonnance de sursis sur cinq était consécutive à une condamnation pour trafic de stupéfiants en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Nous avons parlé des peines d'emprisonnement avec sursis par type d'infraction. Si nous passons à la diapositive 9, nous pourrons voir ce que peuvent révéler les données sur les facteurs pris en compte par les tribunaux dans la détermination de la peine. Nos données nous permettent d'examiner trois facteurs atténuants qui pourraient être liés à l'imposition des condamnations avec sursis : le type de procédure pénale, les condamnations préalables de l'accusé et le plaidoyer final de l'accusé.
Bien que le type de procédure pénale utilisé pour instruire la cause ne soit pas une mesure définitive de la gravité de l'infraction, il peut servir de mesure substitutive. S'agit-il d'une procédure sommaire ou d'une mise en accusation? Ce graphique indique qu'un peu moins de la moitié — 47 p. 100 — des causes avec condamnation s'étant soldées par une ordonnance de sursis visaient des actes criminels poursuivis par voie de mise en accusation. À l'inverse, dans un peu plus de la moitié des causes avec condamnation, il s'agissait d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
À l'exception du trafic de stupéfiants, de l'introduction par effraction et de la fraude, la vaste majorité des causes ayant donné lieu à une condamnation avec sursis ne visaient pas des actes criminels poursuivis par mise en accusation.
La diapositive 10, tirée de nos données sur les tribunaux, montre l'historique des condamnations antérieures de l'accusé. Les antécédents de condamnation de l'accusé sont un facteur qu'il est possible d'étudier à l'aide de nos données. Dans cette diapositive et dans la prochaine, notre population comprend les personnes, ou les accusés, qui se sont vu imposer une condamnation avec sursis lors de leur dernière comparution devant le tribunal pénal en 2003-2004. Ce nombre est légèrement inférieur à 10 000 personnes. Environ la moitié, 49 p. 100, de toutes les ordonnances de sursis ont été imposées à des contrevenants qui n'avaient aucune condamnation antérieure.
Comme le montre le graphique, le pourcentage de contrevenants n'ayant pas été condamnés auparavant variait selon le type d'infraction; 28 p. 100 s'étaient rendus coupables de voies de fait simples et 80 p. 100 d'autres infractions de nature sexuelle.
La diapositive 11 nous permet de voir que le plaidoyer final est un autre facteur atténuant qui peut être pris en compte dans la détermination de la peine. De nouveau, la population étudiée est l'accusé, mais en l'occurrence, nous considérons uniquement les contrevenants qui ont été reconnus coupables d'un acte criminel et qui ont été condamnés à une peine d'emprisonnement avec sursis en 2003-2004.
Dans cette population, qui compte environ 4 500 personnes, 60 p. 100 des contrevenants n'avaient aucune condamnation antérieure et près de 90 p. 100 d'entre eux avaient plaidé coupable. Les données du graphique donnent à penser que les antécédents de condamnation et le type de plaidoyer peuvent être des facteurs qui sont considérés dans la détermination de la peine.
La grande majorité — 95 p. 100 — des contrevenants qui ont été condamnés avec sursis relativement à un acte criminel, soit n'avaient aucune condamnation antérieure ou avaient un plaidoyer de culpabilité comme facteur atténuant possible. Il convient de noter que d'autres facteurs atténuants peuvent avoir été pris en compte, mais que nos données ne nous permettent pas de les examiner.
La diapositive 12 présente de l'information sur la durée des peines avec sursis imposées dans les 13 267 causes. Lorsque le tribunal impose une peine d'emprisonnement ou une condamnation avec sursis, il peut aussi rendre une ordonnance de probation qui devra être purgée après l'achèvement de la peine plus sévère. Ainsi, le contrevenant serait condamné à une période de surveillance d'une durée maximale égale au total des sanctions. D'après cette information, les condamnations avec sursis en 2003-2004 ont donné lieu à des périodes de surveillance environ deux fois plus longues que les peines d'emprisonnement. La durée totale moyenne des ordonnances de sursis s'élevait à 453 jours alors que la durée moyenne des peines d'emprisonnement était de 223 jours. On constate aussi que l'imposition de peines combinées a pour effet d'augmenter sensiblement le temps moyen que passe un contrevenant sous surveillance. La durée moyenne de la surveillance pour les contrevenants recevant à la fois une ordonnance de sursis et une ordonnance de probation se situait à 700 jours, une durée supérieure de 36 p. 100 à celle imposée aux contrevenants à qui on avait infligé une peine d'emprisonnement assortie à une ordonnance de probation. Nous en savons maintenant plus long au sujet des ordonnances avec sursis selon le type d'infraction, les facteurs atténuants et la durée de la peine.
Une question se pose : quelle est l'incidence potentielle des changements récents apportés au projet de loi C-9? Comme nous ne pouvons en prévoir l'incidence, il nous est difficile de chiffrer avec précision le nombre de cas qui ne pourraient plus se solder par une ordonnance avec sursis en vertu de la définition de « sévices graves à la personne ». Nous pouvons quand même examiner le nombre de causes qui ont donné lieu à une ordonnance de sursis pour un acte criminel contre la personne, présentement passible d'une peine d'au moins 10 ans.
En 2003-2004, plus de 3 600 causes de crimes contre la personne ont donné lieu à une ordonnance de sursis au moment de la condamnation. De ce nombre, près du tiers, soit un peu moins de 1 100 causes, se sont soldées par une ordonnance de sursis pour une infraction avec violence, un acte criminel ou une infraction punissable, par voie de mise en accusation, d'une peine de 10 ans ou plus. Pour mettre les choses en contexte, cela représente environ une condamnation avec sursis sur dix, 8 p. 100, des condamnations avec sursis imposées.
Les quatre dernières diapositives présentent des données de la nouvelle Enquête intégrée sur les services correctionnels; il s'agit de renseignements correctionnels. En 2004-2005, l'enquête a été faite dans cinq provinces. Les secteurs de compétence spécifiques mentionnés dans la diapositive sont les seuls dont nous pouvons parler et nous ne pouvons en tirer des généralisations. Nous pouvons faire un examen des conditions facultatives assignées selon les types de peines imposées, de même que les taux de manquement aux conditions et d'admission en détention.
Un examen des conditions facultatives les plus souvent rattachées aux périodes de surveillance qui comprennent la probation seulement et des conditions associées aux ordonnances de sursis révèle des différences. Presque 50 p. 100 des ordonnances de sursis étaient assorties d'une obligation de résider dans un endroit précis ou d'une assignation à résidence et environ la moitié avaient comme condition une heure de rentrée; ces conditions ne figuraient pas sur la liste des conditions rattachées aux ordonnances de probation.
La vice-présidente : Excusez-moi, s'il vous plaît. Avec l'âge, ma vue n'est plus ce qu'elle était et j'ai du mal à lire les colonnes figurant sur la diapositive elle-même, particulièrement pour la diapositive 14.
Mme Barr-Telford : Voici ce qu'il en est pour le graphique sur la probation seulement : première colonne, suivre un programme de counselling, deuxième colonne, s'abstenir de consommer des drogues ou de l'alcool, troisième colonne, ne pas fréquenter untel, la quatrième est une restriction quant au lieu de résidence et la cinquième l'obligation de faire des travaux communautaires. Et pour la condamnation avec sursis : première colonne, s'abstenir de consommer des drogues ou de l'alcool, deuxième colonne, suivre un programme de counselling; troisième colonne, respecter une heure de rentrée; quatrième colonne, résider dans un endroit précis ou respecter une assignation à résidence et dernière colonne, interdiction de se trouver dans un endroit donné.
Diapositive 15, le graphique indique le taux auquel les personnes achevant une période de probation ou de condamnation avec sursis ont enfreint certaines conditions facultatives rattachées à leur ordonnance. Ces résultats ne portent que sur l'Alberta. Le taux global de manquements pour la probation était légèrement inférieur à 34 p.100. Il s'établissait à 25 p. 100 pour les ordonnances de sursis.
Dans le cas de la probation comme dans celui des ordonnances de sursis, les conditions facultatives le plus souvent enfreintes étaient une ordonnance de restitution ou d'indemnisation et une ordonnance de travaux communautaires. Toutefois, les taux de manquements constatés pour les condamnations avec sursis étaient beaucoup plus faibles que ceux concernant la probation.
La prochaine diapositive renferme des données qui concernent uniquement les deux provinces mentionnées. Le graphique traite des périodes de surveillance qui ont été achevées de 2003-2004 à 2004-2005. Dans ces cas, soit 4 500 d'entre eux, 36 p. 100 comprenaient une admission en détention en raison d'un manquement à un moment donné pendant la période de surveillance. Le manquement en question étant suffisamment grave pour que le contrevenant soit admis en détention. D'après le graphique, la proportion d'admissions en détention en raison d'un manquement variait selon le type d'infraction, les infractions relatives aux drogues affichant le plus faible pourcentage et le vol qualifié, le plus élevé. Toutefois, on peut voir que dans certains cas, les infractions sont peu fréquentes.
La dernière diapositive aujourd'hui porte sur le nombre de délinquants qui ont été libérés de la surveillance correctionnelle en 2003-2005, mais qui ont dû y être assujettis de nouveau dans les 24 mois suivant leur libération. Le graphique comprend les données de quatre secteurs de compétence. Nous voyons ici le taux de retour aux services correctionnels après l'achèvement de la peine. Comme on peut le constater pour ces secteurs de compétence, la proportion de probationnaires qui ont réintégré les services correctionnels dans les 24 mois suivant leur libération était un peu moins élevée que celle des condamnés avec sursis; toutefois, les proportions étaient très semblables. Ce sont les courbes en bleu foncé et en jaune. À 40 p. 100 environ, la proportion des détenus condamnés qui ont réintégré les services correctionnels après avoir purgé leur peine était beaucoup plus élevée. Nous n'avons pas pu tenir compte des antécédents de condamnation lorsque nous avons effectué cette analyse.
Qu'est-ce que cela signifie? Quelle conclusion tirer? Ces résultats nous renseignent-ils sur l'efficacité des ordonnances de sursis et de probation? Nous éclairent-ils sur l'évaluation des risques dans la détermination de la peine? Sans doute, mais il est difficile d'isoler l'incidence de ces facteurs.
Voilà qui met fin à mon exposé. Nous avons examiné les ordonnances avec sursis selon le type d'infraction, les facteurs atténuants et la durée. Nous avons esquissé une grille d'analyse pour le projet de loi C-9 et nous avons consulté les données correctionnelles concernant les manquements aux conditions et la réintégration dans le système correctionnel.
La vice-présidente : Merci. Il me faudra un certain temps pour absorber la teneur de tous ces graphiques, mais c'était là un exposé extrêmement intéressant.
[Français]
Le sénateur Nolin : Je voudrais explorer avec vous la question de la récidive. Je pense que toutes ces mesures de sentences visent à améliorer la qualité de la sécurité des Canadiens, c'est donc sur cette section de votre étude que j'aimerais faire porter mes questions.
Je comprends que les dernières diapositives de votre présentation touchent à cette question de la récidive. Si j'ai compris, la dernière diapositive parle bien de l'effet dissuasif en comparant des types de sentences.
Est-ce que vous pouvez aujourd'hui nous dire que professionnellement, compte tenu de votre expertise, les sentences qu'on tente de limiter aujourd'hui par le projet de loi sont une bonne approche?
[Traduction]
Mme Barr-Telford : Il est très difficile pour moi de me prononcer sur la nature de l'approche. Nos données tracent un portrait du taux de retour aux services correctionnels. Après une période de temps, en l'occurrence 24 mois, quelle proportion des contrevenants ayant purgé un type de peine en particulier avait réintégré les services correctionnels? Il est clair qu'un beaucoup plus petit nombre de délinquants à qui l'on a imposé la probation ou une peine avec sursis réintègrent les services correctionnels, par opposition à ceux qui ont purgé une peine d'emprisonnement. Toutefois, de multiples facteurs peuvent intervenir. Cela s'explique peut-être par la gestion du risque ou par la nature des programmes disponibles. Il est très difficile de départager ces effets plus précisément que nous avons pu le faire.
[Français]
Le sénateur Nolin : Si vous me le permettez, j'ajouterais la variante suivante. Vous connaissez la nature des infractions graves que le projet de loi C-9 envisage. Dans la vastitude des données statistiques que vous nous fournissez, il est important de distinguer l'effet dissuasif sur ce type d'infractions versus l'ensemble des infractions. Est-ce qu'il y a une variation? Est-ce que les tendances sont les mêmes? C'est ce qui m'intéresse.
[Traduction]
Sara Johnson, analyste principale, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Lorsqu'on considère les personnes astreintes à des travaux communautaires dans le cadre d'une probation, d'une ordonnance avec sursis ou d'une combinaison de peines quelconque, on constate que les taux les plus élevés de réintégration aux services correctionnels font suite à des infractions contre les biens. Entre autres, le vol et la possession de biens volés, les infractions contre l'administration de la justice et la non-comparution font partie de la liste.
Le sénateur Nolin : N'y a-t-il aucune infraction, aucun crime envisagé par le projet de loi C-9?
Mme Johnson : Le vol qualifié en fait partie et certaines infractions graves avec violence, comme l'agression armée et la tentative de meurtre, oui. Si l'on fait une comparaison avec le taux global, les personnes qui se rendent coupables de ces infractions affichent un taux de réintégration légèrement plus élevé.
[Français]
Le sénateur Nolin : On voit que vous avez examiné vos données statistiques avec beaucoup d'intérêt.
[Traduction]
La vice-présidente : C'est après une période de 24 mois que vous parlez de récidive, que vous appelez la réintégration aux services correctionnels. Seulement la moitié des délinquants qui ont fini de purger leur peine avec sursis sont susceptibles de récidiver, par opposition aux délinquants qui ont fini de purger une peine d'emprisonnement. Pourquoi 24 mois seulement? Faites-vous un suivi pendant plus longtemps? Cela semble une courte période.
Mme Johnson : Nous sommes en train de mettre en oeuvre cette enquête. Nous en sommes au premier stade du processus. C'est tout ce que nous avons eu le temps de faire, mais il s'agit d'une enquête longitudinale. Nous serons en mesure de fournir des données à plus long terme à mesure que les années passeront.
[Français]
Le sénateur Rivest : Moi aussi, je constate qu'il y a beaucoup de statistiques à analyser. J'aimerais avoir une impression générale. Dans l'opinion publique, ces questions sont très controversées, y compris celles qui traitent de la libération conditionnelle où les gens ont toutes sortes d'opinions et, bien sûr, le problème spécifique des sentences avec sursis.
À première vue — ayant suivi votre présentation — ce n'est pas tout à fait évident que le projet de loi C-9 va effectivement apporter une amélioration. Par contre, je trouve qu'en dehors des données proprement statistiques, il y a beaucoup de dimensions idéologiques. Par exemple, on va recevoir les policiers qui vont dire qu'ils s'y opposent. Est-ce qu'à votre connaissance, selon votre impression générale, avant de jouer avec cette proposition qui jouit d'une certaine faveur dans l'opinion publique canadienne, comme le fait le projet de loi C-9, est-ce qu'au Canada, le moment ne serait pas venu d'étudier d'une façon globale et générale l'ensemble de nos dispositions qui concernent les sentences, que ce soit sous forme d'emprisonnement ou sous forme d'emprisonnement avec sursis ou l'accès au système de libération conditionnelle?
Encore une fois, sous réserve de l'analyse plus directe de l'ensemble des statistiques que vous avez faite, il me semble qu'on improvise beaucoup face à ce problème social extrêmement grave. On voit, par exemple, que les policiers vont certainement dire que ce système n'est pas bon. Par contre, les experts vont dire — et vos statistiques semblent le démontrer — qu'il y a énormément de nuances à faire. Là, on arrive avec un projet de loi, artificiellement, dont vous avez dit, je crois, que vous n'étiez pas en mesure d'évaluer l'impact que cela va avoir sur la question. Au Canada, dans les milieux juridiques, policiers ou sociaux, est-ce qu'il ne serait pas le temps d'avoir une vision plus générale de l'ensemble de la problématique des sentences qui sont décernées et de l'administration des sentences prononcées dans le système?
[Traduction]
Mme Barr-Telford : Il est difficile de répondre à cette question du point de vue de Statistique Canada. S'agissant de la détermination de la peine, nos données s'inscrivent dans ce contexte et nous sommes en mesure de tirer parti de l'information fournie par les tribunaux pour recueillir des données spécifiques, des données micro axées sur la personne grâce à tous nos programmes statistiques. Nous pouvons examiner, par exemple, les facteurs atténuants pris en compte dans certains types de peines et nous pouvons procéder à une désagrégation des données pour fouiller un peu plus loin. Cela nous aide à comprendre quels facteurs sont sans doute pris en compte au moment du prononcé de la peine.
M. Grimes peut ajouter quelques explications, s'il le veut, au sujet des types de données dont nous disposons au sujet de la détermination de la peine et de son fonctionnement.
Craig Grimes, gestionnaire de projet, Programme des tribunaux, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Nous sommes partis de la base de données des tribunaux et nous avons examiné les cas d'individus condamnés pour des infractions diverses, non seulement les infractions relevant du projet de loi C-9, mais d'autres infractions, et nous avons retracé leurs antécédents en matière de condamnation. Vous avez pu voir une partie de cette information dans la trousse. Il est possible de retracer les condamnations antérieures associées à toute une gamme d'infractions, et si l'on remonte suffisamment loin dans le passé de l'individu et qu'on se penche sur ses actions subséquentes, on peut utiliser cette information pour mesurer l'incidence de la détermination de la peine. À l'avenir, nous ferons le lien avec les données dont nous disposons maintenant pour le volet correctionnel, c'est-à-dire les détails entourant les types de conditions, les types de programmes, et ce, afin de mieux comprendre la véritable nature des sanctions applicables aux délinquants selon qu'ils sont condamnés à une peine d'emprisonnement ou à une peine avec sursis.
Nous arrivons au point où nous pouvons vraiment commencer à répondre à certaines questions au sujet des types de programmes disponibles et, espérons-le, à en évaluer l'incidence.
Le sénateur Joyal : Je vous souhaite la bienvenue. J'aimerais revenir au graphique 17 et continuer dans la même veine que le sénateur Nolin. Je vais m'exprimer en profane et vous me direz si mon raisonnement tient la route.
D'après vos statistiques, une personne condamnée à la probation ou à une peine avec sursis sera moins susceptible de récidiver qu'une personne qui a purgé une peine d'emprisonnement. Est-ce exact?
Mme Johnson : La peine avec sursis ou la probation accompagnée d'une peine d'emprisonnement doivent aussi être pris en compte. Il arrive que des individus soient condamnés à une période d'incarcération suivie d'une période de probation, par exemple. Cela se produit assez souvent. Les délinquants en question se retrouvent en prison, sans doute parce qu'ils ont enfreint une condition de leur peine avec sursis.
Il y a de nombreuses variables dans ce groupe; toutefois, ce qui est spécifique, c'est que tous les individus passent un certain temps en prison. Les données nous permettent de constater qu'ils affichent des taux de réintégration aux services correctionnels plus élevés que ceux qui ont purgé leur peine dans les services correctionnels communautaires.
La vice-présidente : Oui. On peut voir que c'est presque le double.
Le sénateur Joyal : Je vais reformuler mon propos. Le projet de loi C-9 vise à faire en sorte qu'une personne qui est reconnue coupable d'une infraction de sévices graves à la personne ne soit pas admissible à une peine d'emprisonnement avec sursis. Cette personne serait condamnée à la prison et ne pourrait bénéficier d'une peine avec sursis.
Or si une personne est condamnée à la prison parce qu'elle est exclue de la peine avec sursis à cause de l'accusation de sévices graves à la personne, et si cette personne a un taux plus élevé de retour dans le système correctionnel, il s'ensuit que nous n'améliorons pas la sûreté des citoyens en ne donnant pas à cette personne la peine indiquée. Cela veut dire que la personne est davantage disposée à récidiver que la personne qui a reçu une peine d'emprisonnement avec sursis.
Mme Johnson : Nous ne devons pas perdre de vue qu'au moment de la détermination de la peine, les juges prennent en compte le risque que la personne représente selon eux pour la collectivité. Peut-être bien que les juges font du bon travail pour ce qui est d'évaluer ce risque et c'est peut-être la raison pour laquelle les personnes indiquées sont orientées vers les services correctionnels communautaires.
Le sénateur Nolin : Ce n'est pas l'un ou l'autre; ce n'est pas la prison ou la peine avec sursis. Il serait juste de dire que le juge dispose d'une liste d'options. Bien sûr, l'emprisonnement en est une, et la peine avec sursis est également sur cette liste. Le projet de loi C-9 vise à enlever cette option au juge, mais le reste de la liste existe encore; n'est-ce pas?
Mme Barr-Telford : De nombreux facteurs sont pris en compte.
Le sénateur Nolin : C'est pourquoi ce n'est pas tout l'un ou tout l'autre.
Mme Barr-Telford : Dans ce graphique, nous voyons peut-être un reflet de l'évaluation du risque au moment du prononcé de la sentence. Cela reflète peut-être aussi certains facteurs qui sont en jeu quant à la nature du programme lui-même. On ne peut pas démêler les deux au moyen de cette série de données et l'on ne peut donc pas répondre directement à cette question. Cependant, on trouve dans la trousse qui vous a été remise certaines circonstances atténuantes prises en compte au moment du prononcé d'une peine d'emprisonnement avec sursis, notamment les accusations d'actes criminels, les antécédents en matière de condamnation, et cetera. Tout cela entre en jeu également.
Le sénateur Andreychuk : Si l'on prend un groupe de gens à qui toutes ces options s'appliquent, certains d'entre eux peuvent être condamnés à une peine d'emprisonnement et d'autres à une peine avec sursis. Si je comprends bien ce que vous dites, ceux qui sont emprisonnés ont plus de chances de récidiver. Cela ne m'apprend pas grand-chose, sauf que si c'était l'inverse ou si le taux de récidive était le même dans les deux cas, alors je dirais que l'incarcération fonctionne d'une manière que je ne comprends pas et que les peines d'emprisonnement avec sursis ne fonctionnent pas. Cependant, vous nous dites que ceux qui sont incarcérés ont plus de chances de récidiver. Je peux seulement en déduire que l'incarcération doit sûrement être le dernier recours dans notre système de détermination de la peine. Les gens qui devraient être incarcérés sont ceux qui ont le plus de chances de récidiver, ceux qui commettent les crimes les plus horribles, par opposition aux gens qui présentent d'autres facteurs sur lesquels nous nous fondons pour prendre le risque d'appliquer une solution de rechange aux peines traditionnelles.
Mme Barr-Telford : Comme nous l'avons dit, il est fort probable que les données reflètent une telle évaluation du risque. La difficulté pour nous est de démêler, dans cette série de données, le rôle que cela peut jouer.
Le sénateur Andreychuk : C'est toujours difficile de définir la prévention. On ne peut pas attribuer les résultats obtenus à un seul facteur, car il peut y en avoir beaucoup d'autres, notamment des facteurs psychologiques, environnementaux, relatifs aux programmes, et cetera.
Le sénateur Fraser : Je vais poser une question de profane. Je veux être sûre de bien comprendre. Ce que nous apprend ce tableau, c'est que les gens qui purgent des peines d'emprisonnement avec sursis ont statistiquement moins de chances de récidiver que ceux qui ont été incarcérés. Cependant, vous nous dites que nous ne pouvons pas démêler la cause et l'effet. Nous ne savons pas si la raison pour laquelle on impose une peine avec sursis est que ces gens-là ont moins de chances de récidiver, ou bien si la raison pour laquelle ils ont moins de chances de récidiver est qu'ils n'ont pas été enfermés avec une bande de criminels endurcis. Ai-je raison jusque-là?
Mme Barr-Telford : Oui.
Le sénateur Fraser : Je comprends aussi de ce que vous dites que l'on peut raisonnablement supposer qu'en fait, tout est mélangé, que les deux facteurs sont en jeu et qu'il n'y a pas seulement une cause ni un seul effet. Une personne reçoit une peine d'emprisonnement avec sursis parce qu'on estime que cette personne a moins de chances de récidiver, mais une personne qui n'a pas été enfermée avec une bande de criminels endurcis a par le fait même moins de chances d'emprunter la voie du crime. Cela résume-t-il bien ce que vous essayez de nous dire?
Mme Barr-Telford : De multiples facteurs peuvent être en jeu. Nous ne pouvons pas dire que c'est l'un ou l'autre, mais comme vous le signalez, c'est probablement une combinaison de plusieurs facteurs.
Le sénateur Joyal : La décision d'imposer une peine avec sursis est fondée sur l'évaluation de multiples facteurs dont un juge doit tenir compte. La personne qui se voit infliger une peine d'emprisonnement avec sursis a de meilleures chances de réintégrer la société et de devenir un citoyen exemplaire. Si ce projet de loi enlève au juge le pouvoir discrétionnaire, le juge n'aura pas d'autre choix que d'imposer l'incarcération.
N'envoyons-nous pas en prison des gens qui auraient de meilleures chances de réintégrer la société que ceux qui sortent de prison?
M. Grimes : La mesure proposée n'empêche pas le juge d'imposer la probation au lieu de la peine d'emprisonnement avec sursis. Ce n'est pas aussi tranché que vous le dites et la peine infligée n'est pas nécessairement l'emprisonnement avec sursis ou la prison; il y a d'autres options.
L'une des questions qui ont été soulevées quand on a introduit la notion de peine d'emprisonnement avec sursis était celle de savoir si les personnes à qui l'on avait auparavant imposé la probation devraient recevoir une peine avec sursis plus sévère. Il y avait aussi la question des gens qui avaient été incarcérés à l'époque où il n'existait aucune option intermédiaire entre la probation et la peine d'emprisonnement avec sursis et à qui on infligerait dorénavant une peine avec sursis. Je crois que la probation demeure une option pour un juge. Il y a donc encore pouvoir discrétionnaire.
Le sénateur Joyal : Oui, mais un juge n'aura pas à choisir entre l'incarcération et la probation. Aux termes de ce projet de loi, si une personne est trouvée coupable d'une infraction de sévices graves à la personne, comme l'option de la peine avec sursis est supprimée, la probation peut venir après l'incarcération, mais on n'a pas à choisir entre la prison et la probation, si je comprends bien la manière dont cela fonctionne. Ai-je raison?
M. Grimes : Ce n'est pas clair d'après le projet de loi. C'est l'une des questions qui se sont posées quand nous avons pris connaissance des données. À l'heure actuelle, la peine prononcée peut être une peine d'emprisonnement avec sursis, une peine d'emprisonnement ou la probation; il y a un éventail d'options.
Le sénateur Joyal : Oui, mais nous discutons du projet de loi tel que libellé. Le projet de loi élimine l'option de la peine avec sursis. Il ne reste donc plus trois options.
M. Grimes : C'est exact.
Mme Barr-Telford : C'est exact.
Le sénateur Joyal : Il ne reste donc que deux possibilités et l'une des deux vient avant l'autre.
Mme Barr-Telford : Pour ce qui est de la mise en oeuvre du projet de loi, c'est très difficile pour nous de vous en parler parce que nous compilons les données sur les peines avec sursis prononcées dans le passé. Il est difficile, voire impossible de prédire la manière dont le projet de loi sera mis en oeuvre, à supposer qu'il soit adopté, et d'en discuter. Nous ne pouvons tout simplement pas dire comment les choses vont se passer.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, si nous sommes appelés à formuler un commentaire ou une réflexion sur le projet de loi dans sa forme actuelle, en nous fondant sur les renseignements à notre disposition, il nous est impossible de savoir clairement quelle en sera l'incidence sur les personnes mises en accusation qui seront renvoyées dans le système carcéral après la mise en oeuvre de ce projet de loi.
Mme Barr-Telford : Comme je l'ai dit, nous n'avons pas été en mesure d'établir un nombre précis de gens qui ne seraient plus admissibles à une peine d'emprisonnement avec sursis aux termes de l'article 752 et de la définition de « sévices graves à la personne ». Nous avons pris ces 13 267 cas que nous avons pu identifier en 2003 et nous avons fait une analyse pour voir combien d'entre eux étaient violents et combien ont été poursuivis selon la procédure de mise en accusation pour des infractions passibles de dix ans de prison. Après avoir fait cela, nous avons constaté que, sur les 3 600 qui avaient commis des crimes contre la personne, nous nous retrouvions avec environ 1 100 cas qui correspondaient à cette définition, c'est-à-dire des gens violents, ayant commis des actes criminels ou qui ont été poursuivis par mise en accusation et dont l'infraction était passible de dix ans de prison. Nous ne pouvons pas vous donner un nombre catégorique, mais nous avons examiné ces 13 000 cas et les avons divisés de la manière qui est présentée.
La vice-présidente : Avez-vous fait un suivi de ces cas dans le cadre de votre analyse longitudinale pour voir combien de ces 1 093 ont vraiment récidivé?
Mme Barr-Telford : Non, nous n'avons pas été en mesure de le faire. Quand nous faisons des études longitudinales, nous pouvons les faire dans le cadre de notre propre programme, mais parfois, nous devons aller au-delà de notre programme. Nous devons établir un lien entre nos données et celles de notre programme judiciaire et de notre programme correctionnel et, si la récidive est un problème, de notre programme policier. Il est question précisément de ceux qui réintègrent les services correctionnels. Ces gens-là se sont retrouvés dans le système correctionnel à cette extrémité et cela n'englobe donc pas tout le monde.
Dans bien des cas, pour pouvoir répondre à des questions de ce genre sur le cheminement criminel, nous devons pouvoir faire des recoupements entre nos séries de données. Dans certains cas, nous avons pu le faire, mais pas dans ce cas particulier.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, nous ne pouvons pas conclure, à la lecture du projet de loi tel qu'il est proposé, que nous n'aurons pas un plus grand nombre de personnes reconnues coupables d'infractions de sévices graves à la personne et qui se retrouveront de nouveau dans le système carcéral dans le contexte de l'étude de deux ans que vous avez faite.
Mme Barr-Telford : Mme Johnson peut vous en dire davantage sur l'identité des gens pris en compte dans cette étude de deux ans et la manière de procéder.
Mme Johnson : Il y a des différences évidentes quant au type d'infractions commises par ceux à qui on a infligé une peine d'emprisonnement avec sursis, par opposition à ceux qui ont bénéficié de la probation. Je ne peux pas vous en dire plus long là-dessus pour l'instant.
En général, parmi les gens qui purgent leur peine entièrement dans la collectivité, on en trouve un bon nombre qui ont commis des infractions de voies de fait simples, vol et recel et autres infractions figurant au Code criminel, à l'exclusion des infractions de la circulation routière. Quant à ceux qui ont commis des infractions de préjudice corporel, ils se retrouvent surtout dans le groupe de ceux qui purgent leur peine à la fois dans la collectivité et en prison, et aussi parmi ceux qui purgent leur peine en totalité en prison.
Le sénateur Joyal : J'essaie de comprendre l'hypothèse voulant que si une personne est trouvée coupable d'une infraction de sévices graves à la personne, elle n'est plus condamnée à une peine d'emprisonnement avec sursis; nous envoyons cette personne en prison — nous rendons ainsi les rues plus sûres parce que cette personne est en prison.
Cette personne reste en prison pendant un certain temps, mais une fois libérée, ne pose-t-elle pas un risque plus élevé pour la société? Les gens qui purgent leur peine en prison ont un taux de récidive plus élevé que ceux qui purgent des peines avec sursis. Ainsi, nous renforçons la sécurité de la société pendant une brève période, le temps que cette personne passe en prison; par contre, dès qu'elle sort de prison, elle représente un risque plus élevé. C'est donc peut-être utile à court terme, mais nous ne renforçons nullement la sécurité de la société dans l'ensemble.
Mme Barr-Telford : Pour pouvoir répondre directement à cette question, il nous faudrait pouvoir faire une analyse des types d'infractions, faire le tri des infractions graves avec violence, et cetera. Il nous faudrait faire une analyse comparative pour mesurer le taux de réincarcération selon le type d'infraction. Notre capacité de le faire est actuellement limitée par les données dont nous disposons, simplement à cause de la taille des échantillons que nous possédons. Pour être en mesure de répondre directement à cette question, il nous faudrait pouvoir faire une analyse de ce genre. À ce jour, nous ne sommes pas en mesure de le faire.
Le sénateur Joyal : Tout ce que nous avons, c'est votre conclusion générale que les personnes qui ont été condamnées à l'emprisonnement ont généralement un taux de réincarcération plus élevé, à savoir 40 p. 100, en comparaison de ceux qui ont bénéficié de la probation ou d'une peine avec sursis, dont les taux sont de 18 p. 100 et 23 p. 100, respectivement.
Mme Barr-Telford : C'est ce que nous sommes en mesure de vous offrir au sujet de la réincarcération à l'heure actuelle, à partir des données dont nous disposons. Comme on l'a dit, il est très probable que de nombreux facteurs sont en cause. Nous pouvons vous montrer ce qui se passe, mais nous ne pouvons pas vous dire précisément pourquoi cela se passe.
Le sénateur Joyal : Si j'essaie de comprendre le raisonnement sous-jacent du projet de loi C-9, ou les données statistiques ou objectives qui peuvent avoir déclenché le dépôt du projet de loi C-9, je constate qu'il n'est pas fondé sur des renseignements clairs et précis quant à son incidence sur la future sécurité de la société.
Mme Barr-Telford : Je ne peux certainement pas me prononcer sur l'incidence future éventuelle du projet de loi C-9 tel que libellé actuellement.
La vice-présidente : Sénateur Joyal, nous devons entendre d'autres témoins à midi.
Le sénateur Bryden : Je voudrais obtenir une précision et je ne suis pas sûr de pouvoir l'obtenir des témoins. Avez-vous bien dit que la probation est une peine distincte de la prison et de la peine d'emprisonnement avec sursis?
M. Grimes : Oui, c'est le cas.
Le sénateur Nolin : Oui, absolument.
M. Grimes : En général, selon les données, environ le tiers se voient infliger une peine de prison qui est la peine la plus sévère. Environ 6 p. 100 reçoivent une peine avec sursis. Je n'ai pas le chiffre exact, mais la proportion de ceux à qui on impose la probation est de l'ordre de 40 p. 100. Je peux obtenir le chiffre exact et le faire parvenir au comité.
Le sénateur Bryden : De la manière dont l'article 742.1 est libellé, pour une personne reconnue coupable d'une infraction autre que des sévices graves à la personne, qui est poursuivie par mise en accusation pour une infraction passible d'une peine maximale de dix ans de prison ou plus, la peine d'emprisonnement avec sursis est exclue, mais la probation est possible. Même si la peine maximale est de 14 ans, le juge a toujours la possibilité de ne pas imposer cette peine, mais de mettre plutôt la personne en probation.
Le sénateur Andreychuk : Il nous faudrait revoir le Code criminel.
Le sénateur Nolin : Bien sûr, le juge serait sensible à un signal transmis par le Parlement.
Le sénateur Andreychuk : Je pense que nous avons rendu le Code criminel tellement complexe que c'est peut-être la règle, mais qu'il y a peut-être des exceptions; je ne sais plus.
Le sénateur Nolin : Non.
M. MacKay : Non, la personne va quand même en prison pendant deux ans plus un jour, en plus de la probation accompagnant l'ordonnance de sursis.
Le sénateur Joyal : Une personne doit purger une partie minimale de sa peine en prison avant d'aller en probation.
Le sénateur Andreychuk : Non.
La vice-présidente : Le paragraphe 731.(1) dit :
Lorsqu'une personne est déclarée coupable d'une infraction, le tribunal peut, vu l'âge et la réputation du délinquant, la nature de l'infraction et les circonstances dans lesquelles elle a été commise :
a) dans le cas d'une infraction autre qu'une infraction pour laquelle une peine minimale est prévue par la loi...
On peut imposer la probation seulement si aucune peine minimale n'est prévue par la loi. Ai-je raison?
Le sénateur Joyal : Oui. C'est là-dessus que je fonde ma propre affirmation.
Robin MacKay, analyste, Bibliothèque du Parlement : C'est seulement dans le cas où l'on donne une peine avec sursis. S'il y a une peine minimale, on peut agir autrement.
La vice-présidente : Je cite :
... surseoir au prononcé de la peine et ordonner que le délinquant soit libéré...
b) en plus d'infliger une amende au délinquant ou de le condamner à un emprisonnement maximal de deux ans, ordonner que le délinquant se conforme aux conditions prévues dans une ordonnance de probation.
Le sénateur Joyal : Un emprisonnement maximal de deux ans.
Le sénateur Bryden : C'est la peine réelle; ce n'est pas la peine maximale. Ce qu'on dit, c'est que si l'on envoie quelqu'un en tôle pour deux ans moins un jour ou quoi que ce soit, le reste de la peine peut être purgé sous forme de probation.
M. MacKay : Oui, jusqu'à trois ans au maximum. Par exemple, pour la conduite avec facultés affaiblies, il y a une peine minimale d'emprisonnement, je crois que c'est 14 jours pour la deuxième infraction.
Le sénateur Bryden : Cela semble fonctionner pour les infractions graves passibles d'une peine maximale de dix ans ou plus. Ces articles du Code criminel permettent-ils à un juge de ne pas utiliser l'ordonnance de sursis, mais plutôt, même si l'infraction permettrait d'envoyer le délinquant en prison pendant 12 ans, ne pas faire cela, mais lui imposer plutôt une peine de deux ans, surseoir au prononcé de cette peine et envoyer la personne en probation?
M. MacKay : C'est bien cela. Pour une infraction grave comme la tentative de meurtre, par exemple, qui est passible d'une peine maximale plus lourde, le juge peut surseoir au prononcé de la peine et émettre une ordonnance de probation, ou bien il peut envoyer l'accusé en prison pour deux ans moins un jour, plus une ordonnance de probation de trois ans. Cela demeure quand même une option, même si le projet de loi C-9 est adopté, en effet.
Le sénateur Bryden : Tout cela me paraît un peu étrange. Vous dites que la peine d'emprisonnement avec sursis est exclue, alors qu'en fait, elle restreindrait la liberté de la personne davantage que la probation. Pourtant, pour le même crime, le juge est en mesure d'utiliser la probation, au lieu d'infliger une peine de 12 ou 14 ans de prison.
Le sénateur Nolin : C'est le débat que nous avons eu en 1996.
Le sénateur Bryden : Je n'étais pas sénateur à l'époque.
La vice-présidente : Si je peux vous interrompre, ce ne sont pas là des questions auxquelles peuvent répondre nos spécialistes de la statistique.
Le sénateur Andreychuk : Le taux d'incarcération au Canada a été plutôt stable. Aux États-Unis, le taux est très élevé et semble plafonner ou baisser, mais au Royaume-Uni, il semble augmenter au contraire. Je dis cela parce que le Dr Al Aynsley-Green, qui est commissaire à l'enfance en Angleterre, a dit que nous devrions suivre de près ce qui se passe en Europe et en particulier au Royaume-Uni, où de plus en plus d'enfants sont incarcérés.
Est-ce que l'on constate une hausse ou une baisse marquée du taux global d'incarcération pour toutes les infractions, en particulier parmi les jeunes au Canada? Si vous pouvez identifier les jeunes, vous savez donc ce qu'il en est de la population adulte en général.
M. Grimes : En général, d'après les données sur les adultes poursuivis devant des tribunaux criminels, la proportion de ceux qui sont condamnés à la prison a été relativement stable au cours des dix dernières années, les fluctuations étant très faibles et le taux oscillant entre 33 p. 100 et 35 p. 100.
Du côté des tribunaux pour adolescents, avec l'introduction de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, nous avons vu une baisse. Je ne peux pas vous dire le chiffre exact, mais je peux faire parvenir le renseignement à la présidente. Il y a eu une baisse après l'entrée en vigueur de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, compte tenu des autres mesures contenues dans cette loi, par exemple la possibilité de donner un avertissement ou une réprimande, ou d'exiger la présentation d'excuses par écrit. D'autres possibilités doivent être envisagées avant que l'on puisse envoyer la personne en prison. Il y a eu une baisse très marquée du nombre d'adolescents emprisonnés au Canada.
Le sénateur Andreychuk : Nous utilisons des solutions de rechange et nous faisons un suivi, mais je m'inquiète car je me demande si, après avoir tenu nos adolescents à l'écart de la population carcérale, nous travaillons vraiment avec ces adolescents. On peut toujours faire baisser le taux d'incarcération pendant deux ou trois ans dans les tribunaux pour adolescents, grâce à l'application de ces solutions de rechange, mais si ces méthodes ne sont pas appliquées de façon soutenue et si nous ne savons pas ce qu'il advient vraiment de ces enfants, nous aurons une foule de problèmes. Qu'arrivera-t-il quand ils se retrouveront devant les tribunaux pour adultes et qu'ils seront assujettis aux conséquences qui sont envisagées dans le Code criminel?
M. Grimes : Je ne peux pas vous parler de l'incidence de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Je sais qu'il y a un certain nombre d'interactions graduées pour les jeunes délinquants, visant à tenter de modifier leur comportement avant de les envoyer en prison. Cette loi est tout à fait neuve. Nos données ont un peu de retard par rapport à la loi. Je ne peux pas vous parler avec certitude de ce qui s'est passé depuis trois ans que cette loi est en vigueur. Nous avons seulement des données pour un an et nous avons constaté une baisse du taux d'incarcération. Nous nous attendons à ce que les autres mesures en question aient une incidence.
Le sénateur Andreychuk : Vous suivez donc la situation de près.
Le sénateur Nolin : Nous avons posé ces questions quand nous avons étudié cette loi il y a trois ans. Je suis content d'entendre dire que nous aurons accès à ces renseignements parce que c'était la clé il y a trois ans.
Mme Johnson : Nous avons des données sur le système correctionnel jusqu'en 2004-2005, mais je ne les ai pas apportées aujourd'hui. Chose certaine, nous avons constaté une baisse du nombre d'adolescents incarcérés.
Le sénateur Andreychuk : Ma dernière question porte sur les peines avec sursis. Avez-vous des statistiques sur l'âge des gens qui reçoivent des peines avec sursis? En avez-vous une idée? Condamne-t-on à des peines avec sursis des jeunes de 19 ou 20 ans, ou plutôt des gens de 40 ou 45 ans? C'est un autre facteur.
M. Grimes : C'est une question à laquelle nous ne pouvons pas répondre à partir de nos données. Je n'ai pas ce renseignement sous les yeux, mais si le comité le souhaite, je pourrais faire un tableau montrant la ventilation par âge et par sexe des personnes qui reçoivent des peines avec sursis.
La vice-présidente : Nous vous en serions reconnaissants.
Le sénateur Andreychuk : Si vous examinez les tendances en matière de récidive, vous verrez que les récidivistes commencent à l'adolescence et qu'ils récidivent ensuite à répétition. Il y a une baisse chez les délinquants plus âgés; ils cessent de commettre des crimes à un moment donné. Cela ne s'applique pas à tous, mais il y a une tendance en ce sens. Utilisez-vous la peine avec sursis pour les délinquants d'un certain âge, en tenant compte de ces données connues sur le taux de récidive? Il est certain que les juges tiennent compte de la probabilité de récidive. Je trouve que l'âge est un facteur important.
M. Grimes : Nous avons examiné les antécédents en matière de condamnation judiciaire parmi la population adulte. Nous n'avons pas fait un retour en arrière pour voir si les personnes en question étaient passées par les tribunaux pour adolescents et avaient gravi les échelons d'un système judiciaire à l'autre. Si l'on prend les données sur les tribunaux criminels pour adultes, environ 50 p. 100 de ceux à qui on donne une peine d'emprisonnement avec sursis n'avaient jamais été condamnés auparavant.
Le sénateur Andreychuk : Voilà qui est intéressant.
Le sénateur Jaffer : Avez-vous bien dit que la personne à qui on inflige une peine d'emprisonnement avec sursis a une période de surveillance plus longue?
Mme Barr-Telford : Oui.
Le sénateur Jaffer : Avez-vous des données indiquant que leur réadaptation est meilleure que celle des personnes qui ont été incarcérées?
Mme Barr-Telford : Pas directement, non. Nous avons les renseignements que nous vous avons remis aujourd'hui sur le taux de réincarcération des gens ayant bénéficié d'une peine avec sursis. Nous avons des renseignements sur la durée moyenne de la peine et nous savons qu'elle est beaucoup plus longue dans le cas des peines avec sursis. La période de surveillance est beaucoup plus longue pour une peine avec sursis que pour une peine d'emprisonnement, par exemple.
Le sénateur Jaffer : Si la personne enfreint les conditions de son ordonnance de sursis, elle doit purger toute la peine en prison, n'est-ce pas?
Mme Barr-Telford : Il y a de nombreuses manières de traiter les gens qui enfreignent une condition de leur peine. Dans les deux instances pour lesquelles nous avons des données, nous avons examiné ce qui se passe parmi les gens qui ont complété leur peine avec sursis. Trente-six pour cent d'entre eux avaient enfreint une condition d'une gravité telle qu'il en est résulté l'incarcération.
Le sénateur Jaffer : Ont-ils purgé la totalité de leur peine?
Mme Barr-Telford : Cela dépend.
Le sénateur Jaffer : Le projet de loi C-9 stipule que la majorité des peines avec sursis sont imposées à la suite de plaidoyers de culpabilité, et les tableaux que vous nous avez montrés l'indiquent. Ai-je bien compris cela?
M. Grimes : C'est exact.
Le sénateur Jaffer : Comme nous accentuons la sévérité de la loi, pourrait-il en résulter que les gens ne plaident pas coupable, entraînant des problèmes d'aide juridique?
M. Grimes : Les données nous apprennent qu'environ 90 p. 100 de toutes les condamnations dans les tribunaux criminels pour adultes résultent d'un plaidoyer de culpabilité. Pour les infractions pour lesquelles la sévérité des peines a été accrue, nous constatons une baisse de la proportion des gens qui plaident coupables.
Le sénateur Jaffer : Il en résulte un stress accru pour l'aide juridique, parce qu'un plus grand nombre de gens vont se défendre en cours. Mais ce renseignement ne figure pas dans vos statistiques.
M. Grimes : Non, en effet.
[Français]
Le sénateur Rivest : J'aimerais souligner votre professionnalisme comme statisticien, vous êtes très prudent et on aimerait avoir des conclusions claires. Vous nuancez très bien vos propos. Cela me rappelle une remarque d'un éminent économiste américain, M. Samuelson, qui, à propos des statistiques, avait dit que les statistiques, c'est un peu comme les bikinis, ce que cela révèle est intéressant mais ce que cela cache l'est encore plus. Et ce que cela cache, face à ce problème, ce sont des problèmes individuels. Cela n'existe pas 5 000 personnes qui sont sous probation. Le juge rend une décision sur une personne, sur l'évaluation concrète, circonstanciée des chances que cet individu a ou non de récidiver.
Par exemple, dans le système de probation, si on évaluait le taux de récidive sur une période de dix ou 15 ans, je trouve que ce serait utile en termes statistiques. Je ne sais pas si cela existe. On fait des comparaisons sur la chance qu'on a d'avoir une récidive ou non, avec une sentence d'emprisonnement, un sursis ou une probation, très bien, cela peut être intéressant et utile de le connaître. Mais peut-être qu'il serait plus révélateur de l'évaluation de la performance de notre système judiciaire si, par exemple, on tenait compte des investissements faits pour améliorer notre système de probation. Est-ce qu'il existe des statistiques qui nous indiqueraient le taux de récidive d'un accusé sous probation, sans égard à la nature du crime, et le taux de récidive d'il y a cinq ans, dix ans ou 20 ans, compte tenu des investissements et des efforts mis pour améliorer chacun des systèmes? Est-ce que ces statistiques existent?
[Traduction]
Mme Barr-Telford : Votre scénario est opportun puisque nous travaillons avec de nombreux partenaires pour définir ce concept du récidivisme à titre de notion générale englobant de multiples composantes. À mesure que nos données deviennent plus sophistiquées, à mesure que nous recueillons davantage de renseignements détaillés au niveau des personnes et des incidents, notre capacité, à la fois méthodologique et grâce à notre propre expérience, s'accroît pour ce qui est de rassembler des séries de données, et nous serons ainsi mieux en mesure de répondre aux questions que vous posez. L'avantage d'avoir passé de nombreuses années à recueillir des données au niveau micro, c'est que nous commençons tout juste maintenant à nous rendre compte de la puissance de ces données.
[Français]
Le sénateur Nolin : Ne pensez pas que ma question soit empreinte de chauvinisme, mais si je prends votre diapo no 7, au bas, il est dit que les données sur les ordonnances de sursis ne sont pas disponibles pour le Québec.
J'aurais deux questions : pourquoi, et est-ce que cela affecte la qualité de vos données statistiques pour l'ensemble du Canada puisque la loi qu'on nous demande d'adopter sera applicable au Québec?
[Traduction]
M. Grimes : Quand nous recueillons les renseignements, nous devons respecter une série d'exigences quant aux données nationales. Nous nous adressons à chacune des instances et nous établissons une interface avec leur système d'information en matière de justice. Nous essayons de bâtir ces interfaces d'un bout à l'autre du Canada le plus rapidement possible.
Le Québec est en train de reconfigurer tous ses systèmes d'information. Ils viennent de terminer de reconfigurer tous leurs systèmes d'information sur la justice pour adolescents. Nous attendons qu'ils terminent leur projet du côté des tribunaux pour adultes avant de retourner les voir.
C'est seulement depuis un an environ que nous avons commencé à recevoir des données de Saskatchewan sur les peines avec sursis. Depuis 1998, nous faisons le tour du pays pour mettre à jour nos interfaces avec les systèmes en place. Nous avons identifié les projets qui existent dans les provinces et territoires pour la mise à niveau des systèmes locaux et nous essayons de nous organiser pour aller recueillir les renseignements au bon moment, quand il sera logique de le faire.
Le sénateur Nolin : Les résultats que vous nous montrez sont-ils touchés par le manque d'accès aux données un peu partout au Canada? Pouvons-nous supposer que les chiffres seront les mêmes, y compris au Québec?
M. Grimes : Ces données représentent à peu près 70 p. 100 de la population.
Le sénateur Nolin : Oui, je comprends, mais la loi sera applicable à 100 p. 100 de la population.
M. Grimes : Malheureusement, je ne sais pas si la propension à imposer des peines avec sursis est différente au Québec.
Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir au tableau 5, sur la population carcérale. Depuis 1995-1996, il n'y a pas eu d'augmentation globale de la population carcérale parce qu'il y a eu une diminution des peines de prison et, bien sûr, une augmentation correspondante du nombre de personnes recevant une peine excluant l'incarcération.
Êtes-vous en mesure de nous dire quelle serait approximativement l'augmentation de la population carcérale après la mise en oeuvre du projet de loi C-9, étant donné que les peines avec sursis ne seront plus disponibles pour un groupe de personnes reconnues coupables?
Mme Barr-Telford : Nous ne pouvons pas vous donner de chiffres catégoriques. Nous ne connaissons pas le nombre exact de personnes qui ne seront plus admissibles à une peine d'emprisonnement avec sursis et nous ignorons quel sera exactement le processus. Je vous renvoie à ce chiffre de 1 100 que nous avons pu établir et à la description que nous en avons donnée : ce chiffre correspond aux gens reconnus coupables de crimes avec violence, après avoir été poursuivis par mise en accusation, l'infraction étant passible d'une peine de dix ans.
Le sénateur Joyal : C'est le chiffre approximatif.
Mme Barr-Telford : C'est la seule approximation que nous pouvons donner avec les données dont nous disposons. Il nous est tout simplement impossible de prédire plus précisément que cela quel sera l'impact de l'article 752, compte tenu de la définition de sévices graves à la personne.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, si nous voulons savoir quel en sera l'impact au Québec ou en Saskatchewan, d'après le tableau 6 — en faisant la ventilation de ces 1 100 ou 1 200 personnes, nous obtiendrions ainsi une évaluation assez juste de l'incidence sur une province donnée, c'est-à-dire que le taux d'incarcération augmenterait.
Mme Barr-Telford : Le chiffre que nous vous avons donné vaut pour le pays tout entier. Sommes-nous capables de faire cela à l'échelle provinciale?
M. Grimes : Le tableau 6 est provincial.
Le sénateur Joyal : Oui, les taux d'incarcération au Canada sont les plus élevés dans le Nord, par exemple. Cependant, j'essaie de comprendre quelle sera l'incidence du projet de loi C-9 sur les prisons, parce qu'il y aura plus de gens en prison si cette mesure est mise en oeuvre. Combien cela coûtera-t-il au Trésor public et quelle en sera l'incidence sur le nombre de places libres dans les prisons?
Comme vous le savez, les prisons sont déjà remplies à capacité. Si nous augmentons le nombre de gens en prison, nous devons nous assurer d'avoir de la place pour les recevoir et assez d'argent pour nous en occuper. Nous savons qu'il en coûte plus cher de maintenir une personne en prison que de placer cette personne en probation ou en sursis.
Mme Barr-Telford : Je n'ai pas de chiffres à vous donner quant au coût de l'incarcération de ces 1 100 personnes, par exemple. Je crois toutefois que nous avons des renseignements sur le coût d'une peine d'emprisonnement par opposition au coût de la surveillance au sein de la collectivité. Je vais vérifier ce que nous avons. Je vais veiller à faire parvenir à la présidence du comité tous les chiffres que nous avons sur les coûts. Je ne suis pas entièrement sûre de ce que nous possédons dans ce domaine.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Vous avez été des témoins très clairs et prudents, vous en tenant exactement aux limites des données que vous possédez.
Honorables sénateurs, pour notre deuxième heure de séance, nous accueillons David Griffin, qui est agent exécutif à l'Association canadienne des policiers. L'association des policiers est la voix nationale de 54 700 agents de police d'un bout à l'autre du Canada, dans 170 services de police éparpillés aux quatre coins de notre grand pays, depuis les villages et les petites villes jusqu'aux grandes villes et aux grands services de police provinciaux, la GRC, la police ferroviaire et les policiers des Premières nations.
David Griffin, agent exécutif, Association canadienne des policiers : Je pense que vous venez de m'épargner la peine de lire mon introduction. Bonjour à tous.
[Français]
Notre but est de travailler de concert avec tous les parlementaires afin de réaliser d'importantes réformes qui affermiront la sécurité de tous les Canadiens et Canadiennes, y compris ceux et celles qui ont fait serment de protéger nos collectivités.
Le Canada doit fermer les portes tournantes de son système judiciaire. Depuis plus d'une décennie, les associations de policiers militent en faveur de réformes au sein du système judiciaire canadien. Plus particulièrement, nous avons réclamé des changements qui affermiraient les lois relatives à la détermination des peines, la détention et la libération conditionnelle des contrevenants violents. L'Association canadienne des policiers exhorte depuis longtemps les gouvernements à mettre fin aux portes tournantes du système judiciaire canadien. Les contrevenants violents chroniques entrent par une porte des systèmes correctionnels et judiciaires pour sortir par une autre, ce qui suscite un sentiment de frustration du personnel policier et augmente l'incertitude et la crainte dans nos collectivités, en plus d'imposer de lourdes contraintes au chapitre des coûts et des ressources de nos systèmes correctionnels et judiciaires. Nous sommes persuadés qu'un premier pas positif en vue de répondre à ces préoccupations serait d'éliminer l'accès aux peines d'emprisonnement avec sursis pour certains criminels.
[Traduction]
Les peines d'emprisonnement avec sursis ont été créées pour combler l'écart qui existait entre la probation et l'incarcération pour les infractions mineures, sans violence, donc moins graves, mais la mise en oeuvre de la loi par les tribunaux a permis à des délinquants reconnus coupables de crimes graves et avec violence d'éviter l'incarcération et de purger leur peine dans la collectivité. À l'origine, la première version du projet de loi C-9 proposée par le ministre de la Justice visait à modifier l'article 742.1 du Code criminel de manière à stipuler qu'une personne poursuivie par mise en accusation et reconnue coupable d'une infraction passible d'une peine de prison de 10 ans ou plus n'est pas admissible à une peine d'emprisonnement avec sursis. L'ACP appuyait les objectifs énoncés dans le projet de loi C-9, mais nous avons exprimé des réserves car la peine maximale de 10 ans d'emprisonnement ou plus excluait certaines infractions dont les auteurs ne devraient pas être admissibles à la peine avec sursis.
Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a apporté par la suite au projet de loi C-9 des amendements que la Chambre des communes a adoptés. Ainsi, la non-admissibilité à la peine d'emprisonnement avec sursis s'appliquerait désormais aux cas suivants :
... une infraction constituant des sévices graves à la personne au sens de l'article 752, une infraction de terrorisme ou une infraction d'organisation criminelle poursuivie par mise en accusation et passible d'une peine maximale d'emprisonnement de 10 ans ou plus.
L'Association canadienne des policiers est déçue de cet amendement au projet de loi C-9.
La loi actuelle est insatisfaisante. Les Canadiens sont vivement conscients que la pratique actuelle en matière de détermination de la peine et de libération conditionnelle est incompatible avec les attentes du public, ébranlant ainsi la confiance du public envers les services d'application de la loi et, plus précisément, de notre système judiciaire tout entier. Les agents de police canadiens qui sont en première ligne ont des interactions avec le grand public et avec les victimes de crimes de manière quotidienne et comprennent bien et partagent ce sentiment de frustration. Les gens qui sont appelés à témoigner devant nos tribunaux ou qui sont victimes de crimes ont souvent bien du mal à comprendre les principes et les processus appliqués pour déterminer la peine des délinquants reconnus coupables, la manière dont ces peines sont purgées et les possibilités de libération anticipée. Nous croyons que les délinquants doivent être tenus responsables des infractions qu'ils commettent. Chaque victime est d'une égale importance. Malheureusement, les dispositions actuelles en matière de détermination de la peine et de mise en liberté sous condition ne tiennent pas compte de ce principe.
Les membres de l'ACP sont vivement préoccupés parce que les décisions des tribunaux pour l'application de la loi actuelle ont permis aux délinquants de recevoir des peines d'emprisonnement avec sursis après avoir commis des crimes graves avec violence, y compris l'homicide involontaire, des agressions sexuelles graves, des infractions de conduite négligente ayant causé la mort ou des lésions corporelles graves, le trafic de stupéfiants, des vols de grande envergure et des vols commis dans le contexte d'un abus de confiance.
Les agents de police canadiens ont perdu confiance en un système dans lequel des délinquants violents sont régulièrement remis en liberté. Nous devons rétablir des conséquences plus lourdes et une forme de dissuasion dans notre système de justice, et cela commence par des peines plus sévères, davantage de temps passé en prison et une politique plus restrictive quant à l'admissibilité à la libération conditionnelle pour les délinquants violents et les récidivistes.
Les recommandations qui ont été formulées constamment par l'APC sont les suivantes : que le Parlement ordonne une enquête publique indépendante sur le système de détermination de la peine au Canada et sur les systèmes correctionnels et de libération conditionnelle du Canada, afin d'identifier des mesures permettant d'imposer les conséquences voulues aux délinquants, de renforcer la sécurité publique et de rétablir la confiance du public. L'APC recommande que le facteur primordial pris en compte pour déterminer le niveau de sécurité pour la peine à purger soit les antécédents criminels du délinquant et la nature du crime pour lequel il a été condamné. Notre troisième recommandation est de donner aux victimes un mot à dire dans les décisions en matière de détermination de la peine, de classification des prisonniers, de libération conditionnelle et de remise en liberté; et enfin, nous recommandons de resserrer nos lois et nos politiques carcérales pour protéger les Canadiens contre les criminels violents.
Le 20 avril 2007, l'honorable Stockwell Day, ministre de la Sécurité publique, a annoncé la nomination d'un comité indépendant chargé d'examiner le fonctionnement du Service correctionnel du Canada. L'ACP accueille favorablement cette annonce et s'engage à contribuer à cet examen et à travailler avec le gouvernement et le Parlement en vue d'identifier les améliorations qu'il serait utile d'apporter au système judiciaire.
L'ACP soutient que les personnes reconnues coupables de crimes avec violence et de crimes de nature sexuelle, ou encore de crimes présentant un potentiel de violence, ne devraient pas être admissibles à la peine d'emprisonnement avec sursis. Nous soutenons que les infractions de nature sexuelle, en particulier celles impliquant des enfants ou des actes de violence, devraient être exclues de la peine avec sursis. Par exemple, les criminels reconnus coupables des infractions suivantes ne seraient pas visés par le projet de loi C-9 : corruption d'enfants par l'Internet, faire passer un enfant à l'étranger, enlèvement d'une personne de moins de 16 ans.
L'ACP est en outre préoccupée par le fait que des infractions perpétrées contre les personnes qui ont prêté serment pour protéger nos communautés, par exemple le crime d'agression contre un agent de police, ainsi que des infractions qui ont de graves conséquences pour les agents de police et la sécurité publique, par exemple la fuite, ne sont pas visées par le projet de loi C-9. En effet, la peine maximale prévue pour ces infractions est inférieure à la peine minimale de dix ans qui est proposée.
Nous reconnaissons que le régime actuel de détermination de la peine établi par le Code criminel est à certains égards contradictoire et illogique. Cela renforce d'autant notre affirmation que le régime de détermination de la peine doit être revu, de même que le système actuel de libération conditionnelle. Nous soutenons en outre que le projet de loi C-9 doit être amendé de manière à interdire les peines d'emprisonnement avec sursis pour les infractions de fuite, de voie de fait sur un agent de police, de désarmer un agent de police ou de participation aux activités d'une organisation criminelle.
Nous soutenons que toute personne qui, délibérément, agresse un agent de police dans l'accomplissement légitime de sa tâche ou qui met en péril sa propre sécurité ou celle des autres en se livrant à une poursuite automobile avec la police, doit se voir interdire de bénéficier d'une peine avec sursis. De plus, le projet de loi C-9 ne vise pas les infractions impliquant des armes lorsque le procureur choisit de poursuivre par procédure sommaire, par exemple possession d'armes à des fins dangereuses, possession d'une arme dans un véhicule automobile, possession d'une arme prohibée ou à autorisation restreinte et de munitions, possession en contradiction d'une ordonnance. Nous soutenons qu'une peine d'emprisonnement avec sursis n'est pas indiquée en cas d'accusation de possession illégale d'une arme ou d'une arme à feu.
Les arguments invoqués contre la limitation du recours aux peines d'emprisonnement avec sursis pour les infractions graves sans violence sont malavisés, dans le meilleur des cas. À titre d'agents de police professionnels qui travaillent en première ligne, nous sommes les premiers témoins des lourdes conséquences d'avoir minimisé la gravité des crimes contre les biens et autres crimes soi-disant non violents. Les peines pour les crimes graves contre les biens sont devenues tellement banales, complètement dénuées de conséquences lourdes et proportionnelles, que les criminels en sont venus à s'arranger et à se sentir à l'aise dans le système, ce qui les invite à commettre d'autres actes criminels. Quand ils volent un véhicule ou entrent par effraction dans un domicile, les délinquants savent que s'ils se font prendre, ils seront de retour dans la rue en un rien de temps.
L'impact sur les familles victimes de telles infractions est banalisé, car on s'attend à ce que l'assurance rembourse intégralement la valeur des biens. Le vol d'automobile en constitue un exemple flagrant. Les jeunes délinquants et les voleurs d'automobile savent que cette infraction n'entraîne aucune conséquence véritable. Ils volent des voitures pour se faire un peu d'argent sans crainte de se faire arrêter et en craignant encore moins les conséquences imposées par les tribunaux. C'est seulement quand la police tente d'arrêter un véhicule volé, qu'il s'ensuit une poursuite et que quelqu'un ait blessé ou tué que les gens accordent la moindre attention à ce phénomène.
Les crimes contre les biens sont souvent associés à d'autres comportements criminels et sociaux graves, notamment le trafic de stupéfiants, le crime organisé et la criminalité en col blanc. Tout cela est interdépendant et ne doit pas être négligé. Malheureusement, les infractions de trafic et de production de stupéfiants tombent également dans la catégorie des infractions sans violence, ce qui ne tient aucun compte des conséquences tragiques de l'abus des drogues dans nos communautés et du lien inextricable entre la violence des gangs et le trafic de stupéfiants.
D'après le résumé législatif du projet de loi rédigé par la Bibliothèque du Parlement, le Centre canadien de la statistique juridique signale que le coût annuel de supervision d'un délinquant dans la collectivité est de 1 792 $. Nous craignons que ce coût estimatif ne corresponde pas du tout à la réalité, étant donné la nature des délinquants que l'on remet ainsi en liberté dans la collectivité. Nous estimons que le niveau actuel représente pas moins d'une heure par semaine pour les agents de supervision qui suivent les personnes condamnées à des peines d'emprisonnement avec sursis à purger dans la collectivité. Nous soutenons que les agents de probation et de libération conditionnelle sont surchargés de travail, que leur service manque d'effectifs, ce qui réduit l'efficacité de la surveillance.
En conclusion, l'expérience vécue depuis l'introduction des peines d'emprisonnement avec sursis en 1996 démontre que la mise en oeuvre va beaucoup plus loin que l'intention du législateur. Nous exhortons le comité à envisager d'apporter des amendements au projet de loi C-9 de manière à resserrer ces dispositions et à exclure les demandes pour les crimes les plus graves. Nous soutenons que de limiter le recours aux peines d'emprisonnement avec sursis réduirait les risques pour les communautés qui continuent d'être victimes des criminels violents, des agresseurs sexuels et des crimes contre les biens qui causent de graves invasions dans la vie privée des citoyens.
Nous recommandons que le projet de loi soit renforcé dans les cas de crimes avec violence, d'agressions sexuelles et pour les délinquants qui posent un risque élevé. Le projet de loi C-9 doit tenir compte de la gravité de certaines infractions sexuelles et avec violence qui ne correspondent pas aux critères restreints adoptés à la Chambre des communes, tout en conservant l'option des peines d'emprisonnement avec sursis pour les crimes moins graves et lorsqu'il est indiqué de recourir à une solution de rechange en matière de détermination de la peine.
Le projet de loi C-9 tel qu'adopté par la Chambre des communes ne règle pas le problème de la porte tournante qu'est devenu le système judiciaire et n'établit pas des conséquences lourdes de sens et proportionnelles pour les crimes graves et avec violence. L'amendement adopté à la Chambre des communes est vague et ouvre la porte à diverses interprétations de la définition de l'infraction de sévices graves à la personne énoncée à l'article 752. Nous soutenons que le Parlement doit énumérer les infractions pour lesquelles la peine d'emprisonnement avec sursis s'applique.
Le sénateur Baker : Je souhaite la bienvenue au témoin. Je voudrais examiner l'option offerte à la Couronne de procéder par voie de procédure sommaire ou par mise en accusation. Vous dites que le projet de loi ne s'applique pas aux infractions impliquant des armes lorsque le procureur choisit de procéder par voie sommaire, par exemple la possession d'une arme à des fins dangereuses, article 88, possession d'une arme dans un véhicule, article 94, possession d'une arme prohibée ou à autorisation restreinte avec munitions, article 95, ou possession en violation d'une ordonnance.
Vous nous dites que, bien que le procureur puisse procéder par voie sommaire dans le cas de ces infractions, à vos yeux, ces infractions sont tellement graves qu'elles ne devraient pas échapper aux dispositions du projet de loi. Ne seriez-vous pas d'accord, toutefois, pour dire qu'il y a des variations sur ce thème?
La première chose qui m'est venue à l'esprit quand vous avez lu cela, c'était la possession d'une arme, possession d'une arme à feu. La définition d'une arme à l'article 2 du Code criminel est celle-ci : toute chose qu'une personne peut utiliser pour tuer ou blesser quelqu'un. C'est un instrument qui sert à menacer ou à intimider quelqu'un.
Ce crayon peut être une arme si je m'en sers pour menacer ou intimider quelqu'un. Un fusil à air comprimé est considéré comme une arme à feu aux fins de l'article 2 du Code criminel.
Ne croyez-vous pas qu'il faut s'en remettre au tribunal pour exercer un pouvoir discrétionnaire permettant de décider de recourir à une peine avec sursis dans des affaires mettant en cause l'utilisation d'une arme à feu, s'il s'agit d'un fusil à air comprimé, ou si l'arme en question est un crayon? Quand vous énumérez des infractions comme la possession d'une arme, la possession d'une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte, je vous rappelle que nous avons changé la loi en 1992 pour stipuler que cela peut vouloir dire une arme qu'il est possible de transformer en arme prohibée. Il peut s'agir d'une antiquité accrochée au mur, si l'arme en question est susceptible d'être ainsi transformée, d'après le changement que nous avons apporté à la loi en 1992.
Ne reconnaissez-vous pas que la loi permet une certaine latitude permettant à un arbitre de dire que telle infraction peut faire l'objet d'une peine avec sursis et au procureur de décider de poursuivre en appliquant la procédure sommaire au lieu de la mise en accusation?
M. Griffin : C'est une bonne question, sénateur. Je dirais qu'elle comporte deux volets. Le premier est l'élément essentiel de l'accusation, par exemple possession d'une arme à des fins dangereuses. Quelles circonstances justifient de porter des accusations? Ensuite, il y a le pouvoir discrétionnaire laissé à l'agent de police de porter ou non des accusations. Il y a ensuite le pouvoir discrétionnaire du procureur pour ce qui est de la procédure à suivre, et puis il y a le pouvoir discrétionnaire du juge qui décide de condamner ou d'exonérer et ensuite de la peine à infliger.
Si ce pouvoir discrétionnaire fonctionnait bien, nous ne serions pas ici. Les témoins précédents ont évoqué la négociation de plaidoyer et ont dit que 90 p. 100 des condamnations résultent de plaidoyers de culpabilité et de plaidoyers négociés. Je crois que c'est ce que j'ai entendu ce matin. Ce qui est préoccupant, c'est l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Dans une certaine mesure, notre système judiciaire est devenu une usine; les accusés y passent comme sur une chaîne d'assemblage et nous avons supprimé toute conséquence véritable ou intervention quant à la manière de réinsérer les gens dans la collectivité.
Le sénateur Baker : N'êtes-vous toutefois pas d'accord pour dire qu'une infraction ne peut pas être simplement rangée dans une catégorie aux termes du code? Quand une infraction est considérée comme une infraction mixte, c'est-à-dire qu'elle peut faire l'objet de poursuite selon la procédure sommaire ou par voie de mise en accusation, dans notre système, l'agent de police porte les accusations et mène l'enquête. Ensuite, le procureur procède à un deuxième examen des faits. Il examine le dossier et prend une décision selon la gravité de l'infraction. Il détermine si le crime a été commis au moyen d'un fusil à air comprimé ou d'une mitraillette, ou bien si l'accusé a utilisé un crayon pour menacer ou intimider quelqu'un. Le procureur prend une décision quand il s'agit d'une infraction mixte.
Vous proposez d'éliminer complètement l'option de la peine avec sursis pour les infractions mixtes. Vous avez énuméré les articles du code qui sont des infractions mixtes, c'est-à-dire qui peuvent donner lieu à des poursuites selon la procédure sommaire ou par voie de mise en accusation, et vous dites que ces articles doivent être visés par le projet de loi.
M. Griffin : Nous n'avons pas énuméré toutes les infractions mixtes, sénateur.
Le sénateur Baker : Non, en effet. J'ai seulement choisi celles que vous avez nommées et la première chose qui me vient à l'esprit est qu'un jugement a été porté et qu'on a décidé de procéder d'une certaine manière. Le simple fait qu'on ait décidé d'appliquer la procédure sommaire indique à mes yeux que le procureur a exercé son jugement et décidé qu'il n'y avait pas lieu de procéder par mise en accusation.
Vous dites ici que le projet de loi C-9 ne vise pas les infractions impliquant des armes lorsque le procureur choisit de procéder par voie sommaire, après quoi vous énumérez les infractions mixtes et soutenez qu'une peine avec sursis n'est pas indiquée dans le cas d'une accusation de possession illégale d'une arme ou d'une arme à feu. Comprenez-vous mon argument?
Je me rends compte que vous voulez que tout soit rangé dans des catégories, mais ne convenez-vous pas que, dans certains cas, lorsque le procureur décide à juste titre d'appliquer la procédure sommaire, il serait tout indiqué de demander une peine avec sursis?
M. Griffin : Oui; cependant, je dirais que dans la majorité des cas, c'est l'aboutissement d'un processus de négociation de plaidoyer. De notre point de vue, il y aurait possibilité de décider de la manière de procéder, mais nous croyons que certaines catégories d'infractions, en fonction de leur risque non seulement pour la collectivité, mais aussi pour nos membres qui interviennent dans ces situations, justifient une sanction plus sévère.
Le sénateur Jaffer : Êtes-vous en train de dire que le pouvoir discrétionnaire doit être enlevé explicitement au procureur? Si des plaidoyers de culpabilité sont déposés, c'est qu'il y a eu intervention du procureur. Dites-vous que dans certains cas, il faudrait supprimer le pouvoir discrétionnaire, surtout dans les affaires mettant en cause des armes, c'est-à-dire n'importe quelle arme, depuis un crayon jusqu'à une arme à feu? Je ne répéterai pas ce que le sénateur Baker a dit, mais est-ce que vous dites qu'il faudrait enlever au procureur tout pouvoir discrétionnaire?
M. Griffin : Nous ne supprimons pas complètement le pouvoir discrétionnaire, seulement celui de recourir à une peine d'emprisonnement avec sursis. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de pouvoir discrétionnaire à d'autres égards. Beaucoup de ces gens, quand ils sont traînés devant les tribunaux, font face à toute une brochette d'accusations. Quand on examine les statistiques ou les résultats sur le plan des condamnations ou des infractions donnant lieu à des condamnations à la suite d'un plaidoyer négocié, cela ne ressemble parfois même pas à l'accusation originale portée devant le tribunal. De notre point de vue, il s'agit plutôt de modifier l'équilibre dans les discussions de ce genre et de reconnaître certaines infractions contre la collectivité mettant en cause des armes à feu, problème qui est grave à l'heure actuelle dans toutes nos grandes villes, justifie une intervention plus musclée d'une peine avec sursis.
Le sénateur Jaffer : Je comprends ce que vous dites. Vous utilisez toutefois un vocabulaire qui m'inquiète. Vous dites par exemple « beaucoup de gens ». Quand vous dites cela, avez-vous des statistiques vous permettant de dire « beaucoup de gens »? Cela m'inquiète parce que c'est vague. Que veut dire « beaucoup »? D'où tenez-vous ce renseignement? Cela m'inquiète. Pouvez-vous préciser où vous avez obtenu ce renseignement? Est-ce anecdotique? Avez-vous des statistiques? Comment en êtes-vous arrivé à ce « beaucoup »?
M. Griffin : Nous ne compilons pas de statistiques, mais nous mettons à profit l'expérience de nos membres qui s'occupent de ces questions dans leur collectivité. Par exemple, dans l'exposé que vous avez entendu ce matin, la classification des différentes infractions était fondée sur l'accusation donnant lieu à une condamnation, et sur l'accusation la plus grave de toutes celles pour lesquelles une personne peut avoir été condamnée. Si une personne a été trouvée coupable de vol avec effraction, cette personne peut avoir été condamnée pour 45 vols avec effraction et il n'est pas rare que de multiples accusations soient portées contre une personne traînée devant les tribunaux, mais sur le plan statistique, c'est très limitatif. Ce qui nous préoccupe, c'est que souvent, cette analyse ne reflète pas nécessairement ce qui se passe vraiment dans la salle d'audience ou ce qui se passe dans la collectivité.
Le sénateur Jaffer : Je sais que vous essayez d'étayer votre position, mais il me semble qu'il serait difficile pour quiconque, surtout un procureur, d'accepter cet argument si la personne était accusée de 45 vols avec effraction, mais passons. Les statistiques que nous ont présentées les témoins précédents étaient fondées sur les infractions antérieures.
Je respecte énormément le travail que vous faites et je vous félicite pour l'excellent travail que vous faites pour tenter d'assurer la sécurité de votre communauté. Je ne veux pas minimiser cela; cependant, quand vous venez ici et que vous faites des affirmations en disant « beaucoup de gens », j'estime que c'est fondé sur une preuve anecdotique et non pas statistique. Cela m'inquiète. Vous dites essentiellement ce que vos membres vous ont dit. Vous n'avez pas de système permettant d'établir cela sur une base rigoureuse, n'est-ce pas?
M. Griffin : C'est exact.
Le sénateur Jaffer : Vous voulez que l'on supprime les peines avec sursis pour participation aux activités des organisations criminelles. Je croyais que c'était prévu dans le projet de loi C-9; n'est-ce pas le cas?
M. Griffin : Je crois que le projet de loi C-9 le stipule, sous réserve d'autres critères, à savoir une peine maximale d'emprisonnement de dix ans. À vrai dire, il me faudrait vérifier dans le Code criminel pour voir comment cela s'applique.
Puis-je répondre à la question au sujet des condamnations antérieures?
La vice-présidente : Oui.
M. Griffin : Je trouve que même cela, c'est trompeur. Le fait qu'une personne n'a aucune condamnation antérieure ne veut pas dire que cette personne n'a pas un casier à titre de jeune contrevenant; elle vient peut-être de devenir adulte et est traitée comme un délinquant ayant commis sa première infraction ou faisant sa première comparution devant un tribunal pour adultes.
Si je comprends bien, cela n'inclut pas non plus une personne qui peut avoir bénéficié d'une absolution lors d'une affaire antérieure. Cela met en cause la série d'étapes qu'il faut franchir avant d'être passible d'une peine d'incarcération.
Le sénateur Jaffer : J'accepte votre argument sur le casier de l'adolescent et l'absolution; je crois toutefois savoir qu'au moment du prononcé de la sentence, le juge est mis au courant du dossier antérieur. Il l'ignore peut-être pendant l'audition de l'affaire, mais le juge est mis au courant. N'est-ce pas exact?
M. Griffin : Je ne crois pas que ce soit exact, pas aux termes de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Le sénateur Jaffer : Non, pas pour les adolescents et l'absolution; je suis d'accord avec vous là-dessus. Mais qu'arrive-t-il si le délinquant a un casier judiciaire comme adulte?
M. Griffin : S'il a d'autres dossiers en tant qu'adulte, alors c'est exact.
Le sénateur Jaffer : Je suis entièrement d'accord avec vous au sujet de l'absolution accordée aux adolescents. Mais ce n'est pas comme si le juge n'était pas au courant des condamnations antérieures. Après avoir pris connaissance de l'ensemble du dossier, il décide quelle peine est indiquée. N'êtes-vous pas d'accord avec cela?
M. Griffin : Pourriez-vous répéter?
Le sénateur Jaffer : Le juge est au courant des condamnations antérieures d'un adulte.
M. Griffin : Le juge devrait être au courant, oui.
Le sénateur Jaffer : Le juge est au courant de l'ensemble du dossier d'un accusé avant de décider de la peine qu'il convient d'infliger.
M. Griffin : Le juge devrait être au courant, oui.
Le sénateur Jaffer : Dites-vous par ailleurs que nous devrions enlever aux juges leur pouvoir discrétionnaire d'accorder une peine d'emprisonnement avec sursis pour les infractions que vous avez énumérées?
M. Griffin : Pour les infractions que nous avons énumérées, oui.
Le sénateur Jaffer : Je sais que vous avez indiqué votre raison, mais pourriez-vous la répéter. Je l'ai oubliée.
M. Griffin : J'ai pris des notes pendant l'audition des témoins précédents. La peine avec sursis a changé depuis son introduction. Au départ, la peine d'emprisonnement avec sursis était censée être accordée à des délinquants non violents qui n'étaient pas considérés comme posant une menace pour la collectivité et qui pouvaient purger leur peine au sein de la collectivité. En général, nous avions compris que cette peine était indiquée dans le cas de crimes contre les biens.
Je crois que les statistiques qu'on a données ce matin en témoignent, mais depuis une dizaine d'années, la police a sensiblement réduit l'ampleur de ces interventions dans les affaires de crimes contre les biens. La police ne fait plus enquête sur les crimes mineurs contre les biens; souvent, les gens ne signalent même pas les délits mineurs contre les biens. Le niveau de tels crimes qui sont signalés a diminué considérablement. Cela ne veut pas dire que le nombre réel de ces crimes a diminué, mais c'est l'une des raisons qui expliquent cette baisse.
Le profil des gens qui sont traînés devant nos tribunaux et le profil de la population carcérale ont également changé énormément. Tout dépend de la nature de l'infraction, mais de notre point de vue, les gens qui arrivent dans notre système sont généralement des délinquants plus violents et nous avons des inquiétudes au sujet des récidivistes. Le résultat, c'est que des processus établis pour traiter des délinquants non violents, pendant leur détention ou dans la collectivité, sont maintenant appliqués à des délinquants plus violents. Ce qui nous inquiète, c'est que ces recours ne sont pas indiqués pour ce type de délinquant.
J'irai même plus loin. Prenons des délinquants du genre de ceux qu'on a mentionnés devant vous aujourd'hui; ce sont des délinquants qui ont été condamnés à deux ans moins un jour, ou à une peine inférieure. Il y a très peu de possibilités de réadaptation ou d'intervention quand on tient compte du temps que le détenu peut déjà avoir passé en prison en attendant son procès. Si le délinquant est remis en liberté au moment de sa condamnation et du prononcé de sa peine, sur la foi du temps qu'il a déjà passé en prison, il n'y a absolument aucune intervention. Nous soutenons que pour certains crimes, en particulier les crimes avec violence, l'appel en faveur de peines plus lourdes et davantage proportionnelles à la gravité du crime ne vise pas seulement la dissuasion ou la dénonciation. C'est un appel en faveur de la réadaptation. C'est seulement grâce à une plus longue période d'incarcération, après soustraction du temps déjà passé en prison en attente de procès, que les agents correctionnels ont vraiment l'occasion d'entreprendre une véritable réadaptation.
Le sénateur Jaffer : Ce projet de loi vise à assurer la sécurité de nos collectivités. Or vous représentez un groupe de gens qui travaillent très fort pour nous garder en sécurité. Je digresse un peu par rapport à mon dernier commentaire, mais il s'agit en somme d'assurer la sécurité de nos collectivités. L'un des engagements pris par le nouveau gouvernement était d'embaucher 2 500 agents de police supplémentaires. Cela a-t-il été fait?
M. Griffin : Non, pas encore.
Le sénateur Jaffer : Combien ont été embauchés?
M. Griffin : Aucun.
Le sénateur Bryden : Monsieur Griffin, merci de vous joindre à nous. Je veux d'abord vous interroger sur l'Association canadienne des policiers. Elle est le porte-parole de 54 000 agents de police et de 175 associations membres. J'ai déjà travaillé dans le domaine du droit syndical, et je sais que beaucoup de services de police étaient syndiqués et accrédités. Le Syndicat canadien de la fonction publique, par exemple, représente un bon nombre de ces groupes. Ces associations sont-elles englobées dans les 175 associations membres?
M. Griffin : Le cadre législatif varie d'une province à l'autre quant à la manière dont les policiers s'associent ou sont constitués à titre d'organisation. Dans les provinces de l'Atlantique, plus précisément au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, certains de nos membres sont également membres du Syndicat canadien de la fonction publique. Je crois que cela peut également être le cas en Saskatchewan, mais je n'en suis pas entièrement sûr. Dans les autres provinces, surtout au Québec et en Ontario, ils n'ont pas le droit de s'affilier à tout autre groupe syndical.
Le sénateur Bryden : Le syndicat des policiers de Toronto est-il membre de votre association?
M. Griffin : L'Association des policiers de Toronto est membre de notre association, oui.
Le sénateur Bryden : Le groupe est-il accrédité?
M. Griffin : Non, parce que la loi ontarienne établit un régime séparé aux termes de la Loi sur les services de police, qui permet aux policiers de former une association chargée de négocier collectivement et de représenter ses membres.
Le sénateur Bryden : Mais l'association a le droit exclusif de représenter les membres?
M. Griffin : Oui.
Le sénateur Bryden : Où est situé votre bureau?
M. Griffin : Ici, à Ottawa.
Le sénateur Bryden : C'est le bureau national?
M. Griffin : Oui.
Le sénateur Bryden : Combien d'employés avez-vous à votre bureau?
M. Griffin : Nous avons dix personnes à notre bureau.
Le sénateur Bryden : C'est le bureau national des syndicats de police?
M. Griffin : Des associations de police, oui.
Le sénateur Bryden : Des syndicats.
M. Griffin : Je n'essaie pas de faire le difficile, mais il y a d'importants critères juridiques qui nous distinguent des syndicats, en particulier dans les provinces que j'ai nommées.
Le sénateur Bryden : Qui vous distinguent en quoi? L'incapacité de faire la grève est-il l'un de ces critères?
M. Griffin : Cela peut en être un. Il peut être interdit par exemple de s'affilier au Congrès du travail du Canada ou à d'autres centrales syndicales. Nous ne sommes pas organisés en vertu de la législation provinciale du travail, mais plutôt de la législation qui régit les services de police.
Le sénateur Bryden : C'est une législation séparée.
M. Griffin : Nous considérons que notre organisation est semblable à d'autres associations professionnelles comme celles des médecins, des professeurs d'université ou des enseignants, enfin d'autres groupes qui ont généralement leur propre régime de relations de travail.
Le sénateur Bryden : Est-ce que vous vous autoréglementez?
M. Griffin : Non.
Le sénateur Bryden : Si un médecin fait quelque chose de mal, il est convoqué devant son conseil et peut perdre son permis d'exercice.
À bien des égards, j'ai déjà lu ce mémoire auparavant, sauf que les noms et les paragraphes du Code criminel ont changé parce qu'il s'agit d'un groupe différent. Je vous suis reconnaissant de vous être présenté ici dans le but d'essayer de faire changer la loi d'une manière qui, d'après vous, assurerait à vos membres une meilleure protection que la législation actuelle.
Les déclarations catégoriques que vous avez faites sont un peu difficiles à accepter. Par exemple, à la page 5, vous dites que « les criminels reconnus coupables des infractions suivantes ne sont pas visés par le projet de loi C-9 ». L'un des exemples que vous donnez est de faire passer un enfant à l'étranger. Par conséquent, quiconque fait passer un enfant du Canada à l'étranger ne pourrait pas bénéficier d'une peine avec sursis.
Il n'y a pas longtemps, nous avons vu une situation où, à la suite d'un malentendu, d'une erreur ou quoi que ce soit, une ancienne championne olympique a amené sa fille aux États-Unis et elle a été ramenée au Canada après qu'un mandat d'arrêt eût été émis. J'ignore si elle était menottée quand elle a traversé la frontière. L'affaire a été réglée.
En fin de compte, il semble qu'il s'agissait d'un malentendu ou, dans le pire des cas, d'une querelle familiale. Vous dites que le tribunal n'aurait pas dû avoir la possibilité de donner à cette personne une peine avec sursis qui lui permettrait de rester à la maison avec son enfant, et cetera. C'est bien cela?
M. Griffin : Je ne connais pas les détails de cette affaire; je ne sais même pas comment elle a été réglée. Nous sommes d'avis que si les éléments essentiels de cette infraction sont prouvés et que la personne est reconnue coupable, nous ne croyons pas que cette personne devrait purger une peine d'emprisonnement avec sursis.
Le sénateur Bryden : Quelles que soient les circonstances atténuantes? La loi, c'est la loi et tant pis pour les coupables?
M. Griffin : Ce n'est pas tout à fait le cas. Les affaires de ce genre débouchent souvent sur un plaidoyer négocié. Tout dépend de l'infraction pour laquelle la personne est condamnée ou est poursuivie.
Nous croyons qu'il existe déjà une très grande indulgence. Cependant, quand on en arrive à une condamnation pour ces crimes, tel devrait être le remède; il ne devrait pas être possible d'accorder une peine avec sursis.
Le sénateur Bryden : Ne craignez-vous pas, puisque vous avez mentionné plusieurs fois les plaidoyers négociés, que si une injustice résulte d'une série de faits comme ceux que je viens de résumer, ce qui se passera, c'est qu'il n'y aura aucune condamnation, ou encore la personne sera trouvée coupable de méfait ou quelque chose du genre. Si l'on adopte des lois qui ne sont pas applicables par les tribunaux ou que les tribunaux refusent d'appliquer, on jette le discrédit sur la justice.
Je sais qu'il n'y a plus grand monde pour défendre cette idée, mais autrefois, l'administration de la justice était compartimentée : la police protège, fait enquête, établit les faits et porte des accusations.
La poursuite décide s'il y a lieu de procéder par mise en accusation ou par procédure sommaire et s'occupe de l'affaire à ce niveau. Les tribunaux sont chargés d'instruire le procès, avec ou sans jury, et ont le pouvoir discrétionnaire voulu pour déterminer la peine indiquée. Vient ensuite le système de réadaptation et tout le reste, y compris certains éléments dont nous avons discuté ici aujourd'hui.
Ce qui semble se passer maintenant, c'est que tout le monde veut faire le travail de tous les autres intervenants. C'est-à-dire que vous témoignez ici aujourd'hui, à titre de citoyen et de représentant de nombreux citoyens, et vous pouvez dire ce que vous voulez. Vous tablez sur les connaissances et l'expérience que vous possédez. Le fait est que les gens ont reçu une formation pour assumer leurs tâches chacun de leur côté, et le système semble fonctionner très bien quand des fonctions séparées sont assumées séparément par chacun des groupes.
Cependant, la police, à titre d'exemple, trouve constamment à redire parce que le procureur n'a pas porté les bonnes accusations — je sais que cette personne est coupable, c'est simplement que la poursuite n'a pas été bien faite — et critique constamment les tribunaux parce que les peines ne sont jamais assez sévères au goût de la police. Je suis un ancien procureur général provincial et je sais que les peines ne sont jamais assez sévères pour contenter la police.
Ne devriez-vous pas mettre un peu plus d'eau dans votre vin, et moi aussi, de telle sorte que si nous faisions bien notre travail chacun de notre côté et si nous laissions les autres, qui ont la formation voulue, faire leur travail vraiment bien, ne serions-nous pas mieux servi en bout de ligne? Que répondez-vous à cela?
M. Griffin : Vous soulevez un argument valable quand vous évoquez des affaires extraordinaires, des gens qui ont des démêlés avec la justice à cause d'autres circonstances, qu'il s'agisse d'une dispute familiale ou d'un conflit entre deux personnes sur la propriété d'un bien ou quelque chose du genre, lorsque l'affaire finit par se retrouver devant les tribunaux.
Cependant, le cas qui nous préoccupe, c'est celui du criminel de carrière, du délinquant récidiviste, chronique et violent qui, à maintes et maintes reprises, es réintroduit dans le système en passant par la porte tournante qui le renvoie dans la collectivité. Ce pourrait être la personne qui a tué les quatre agents à Mayerthorpe ou les frères qui ont abattu l'agent Strongquill au Manitoba il y a plusieurs années, le jour de Noël. Peu importe de qui il s'agit, ce sont nos agents qui, invariablement, sont aux prises avec ces délinquants quand ces derniers réintègrent la collectivité. Or ce que nos membres nous disent et ce qu'ils nous demandent d'évoquer ici, c'est la crainte que notre système ne réagit pas comme il faut et ne protège pas bien nos collectivités ou nos agents de police contre ces délinquants.
Voilà l'inquiétude qui nous incite à intervenir et qui est à l'origine des appels que nous lançons depuis une décennie à vous-même et aux députés à la Chambre des communes pour que vous vous penchiez plus sérieusement sur notre système dans son ensemble. C'est très difficile quand nous procédons par petites retouches.
Le sénateur Andreychuk : Nous devrions remédier à la situation. Vous demandez que le projet de loi soit amendé pour y ajouter l'article proposé 273.3. Il ne s'agit pas seulement de faire passer un enfant dans un autre pays; il faut que l'enfant soit amené à l'étranger aux fins d'une agression sexuelle.
Le sénateur Jaffer : C'est la traite de personnes.
Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas quand une mère ou un père fait passer la frontière à un enfant. Ces cas ne sont pas visés par votre proposition.
Le sénateur Bryden : Je viens d'écouter cet échange. Je n'ai pas la citation sous les yeux.
Le sénateur Andreychuk : Mon conseiller juridique m'a remis le texte, je l'ai relu et il ne s'applique pas à ce que nous avons toujours considéré comme des affaires d'enlèvement d'enfant en cas de dispute conjugale, et cetera. Ce sont des affaires très graves, mais je ne crois pas que ce soit ce que vous visez. Vous visez plutôt les enfants à qui l'on fait passer la frontière à des fins d'exploitation sexuelle.
Le sénateur Bryden : Il eût été préférable que cela fasse partie de votre exposé.
La vice-présidente : Nous avons maintenant apporté la rectification et je ne crois pas que vous ayez besoin de répondre, monsieur Griffin.
Le sénateur Joyal : Monsieur Griffin, nous avons entendu ce matin, avant votre témoignage, des représentants du Centre canadien de la statistique judiciaire. J'ignore si vous avez pu assister à leur témoignage. Ils ont remis un mémoire écrit.
M. Griffin : Oui, j'étais présent.
Le sénateur Joyal : Je vous invite à vous reporter au tableau 17, car je suis préoccupé par le jugement d'ensemble qui est implicite dans les statistiques données dans ce tableau. Je cite :
Comme on peut le constater pour ces secteurs de compétence, la proportion de probationnaires qui ont réintégré les services correctionnels dans les 24 mois suivant leur libération était un peu moins élevée (18 p. 100) que celle des condamnés avec sursis (23 p. 100); toutefois, les proportions étaient très semblables.
Je fais remarquer que la proportion de probationnaires qui réintègrent les services correctionnels après avoir fini de purger une peine en prison est beaucoup plus élevée, autour de 40 p. 100. Il est important de signaler que nous ne sommes pas en mesure de tenir compte des antécédents de condamnations antérieures dans cette analyse.
Sans vouloir accorder une importance absolue à ce chiffre, on constate une tendance et quand j'ai essayé de comprendre comment le système fonctionne concrètement, j'ai constaté que les peines d'emprisonnement avec sursis et la probation semblent déboucher sur un meilleur taux de succès que les peines d'incarcération. Vous nous demandez d'incarcérer davantage. Je dirais que si nous voulons accroître la sécurité dans nos rues et dans la société, nous devrions accorder davantage d'attention aux délinquants, au lieu de simplement les renvoyer en prison pour un plus grand nombre d'infractions.
À la page 4 de votre mémoire, vous dites :
Les policiers du Canada sont frustrés et ont perdu confiance en un système dans lequel des délinquants violents sont régulièrement renvoyés dans la rue. Nous devons rétablir des conséquences véritables et une certaine dissuasion dans notre système judiciaire, ce qui commence par des peines plus sévères, du temps passé en prison et des critères plus serrés pour l'admissibilité à la libération conditionnelle dans le cas des délinquants violents et des récidivistes.
Il me semble que vous faites sans trop vous poser de questions l'hypothèse que plus il y aura de gens en prison, plus nos rues seront sûres. C'est peut-être vrai à court terme, c'est-à-dire pendant que la personne est en prison, mais cela ne rend pas les rues plus sûres globalement, si la personne est libérée après avoir purgé dix ans.
Il y avait cette semaine dans les actualités un reportage sur un délinquant qui a été reconnu coupable d'agression sexuelle grave, qui a purgé dix ans de prison et qui a ensuite été libéré. La personne a refusé de suivre le moindre traitement, psychologique et psychiatrique, pendant ses dix ans en prison.
La plupart des gens, après avoir été condamnés et avoir purgé leur peine, réussissent leur réinsertion sociale, surtout ceux qui ont purgé des peines avec sursis ou de probation, dont le taux de réinsertion sociale est beaucoup plus élevé que celui des délinquants qui ont purgé leur peine en prison. Je conviens que nous devons nous préoccuper de la sécurité de notre société. Nous devons y réfléchir. Quand vous faites une affirmation aussi globalisante, cela m'inquiète. Chacun s'inquiète de la sécurité de notre société, mais je crois qu'il nous faut des limites. Je me demande si vous nous aidez à prendre une décision en passant des jugements aussi péremptoires sur le système sans avoir les compétences voulues pour le faire. Ce n'est pas le système tout entier qui ne fonctionne pas; il y a peut-être des cas précis. De prendre un exemple et de s'en servir pour tenter d'impressionner les gens et de les amener à incarcérer davantage, cela ne sert pas nécessairement la cause de la sécurité dans notre société.
M. Griffin : Si j'ai bien compris le témoignage des intervenants précédents, ce que ces statistiques ne nous apprennent pas, c'est ceci : si les mêmes personnes qui ont été condamnées à une peine de prison avaient reçu plutôt une peine avec sursis, leur taux de récidive aurait-il été plus haut ou plus bas. Si je comprends bien la réponse, c'est parce que les délinquants qui sont condamnés à la prison ont peut-être un profil différent de celui des délinquants condamnés à une peine avec sursis, sur le plan du nombre de condamnations antérieures, des circonstances de l'infraction et tout le reste.
Je ne crois pas que l'on puisse en conclure que si ces gens-là avaient été condamnés à une peine d'emprisonnement avec sursis, ils auraient eu plus de succès dans leur réinsertion sociale.
En fait, nous serions en faveur d'une approche plus holistique en matière de prévention. Nous convenons qu'il faut investir davantage dans notre filet de sécurité sociale pour s'assurer que les gens fassent les bons choix quand ils sont jeunes, qu'ils n'empruntent pas la voie du crime et qu'ils n'aient pas de démêlés avec la justice.
Par contre, quand ils en ont, il faut des mesures qui, espérons-le, les empêcheront de persister dans ce comportement. Nous ne croyons pas que la peine d'emprisonnement avec sursis soit la solution indiquée dans le cas des délinquants violents ayant commis des crimes graves ou des prédateurs sexuels. Je répète que nous voulons garantir une période suffisante d'incarcération permettant de mener à bien l'intervention nécessaire. Nous ne croyons pas que les ressources soient suffisantes, dans beaucoup de collectivités, pour garantir que si ces gens-là sont libérés, il y aurait suffisamment d'agents de probation ou de libération conditionnelle pour les superviser.
Il y a beaucoup de variables et de facteurs. Ces peines sont d'une durée de deux ans moins un jour. Si l'on considère pendant combien de temps les délinquants sont supervisés après avoir terminé de purger leur peine en prison, la réalité est que beaucoup d'entre eux sont probablement condamnés à des périodes d'incarcération très courtes ou même nulles, étant donné le temps déjà passé en prison avant le procès. En fin de compte, les peines de ce type n'offrent que très peu sinon pas du tout de possibilités de réadaptation. Nous ne sommes pas contre la réadaptation, nous ne sommes pas contre la supervision dans la collectivité, mais nous pensons qu'il faut tenir compte du profil des délinquants qui bénéficient de telles peines.
Notre position est que, si l'on revient à l'intention originale du projet de loi C-41, je veux parler du projet de loi qui avait introduit les peines d'emprisonnement avec sursis, il n'était pas prévu que les délinquants violents soient visés par ce régime.
La vice-présidente : À la page 9, vous énumérez neuf recommandations, dont sept visent des articles précis du code et deux sont plus générales.
Lesquelles de ces recommandations ont été reprises dans le projet de loi original à la Chambre des communes?
M. Griffin : Toutes.
La vice-présidente : Cela dit, je vous remercie beaucoup pour votre témoignage. Vous nous avez présenté très clairement votre point de vue.
Le sénateur Andreychuk : De notre côté, je sais que nous poursuivrons au comité l'étude du projet de loi C-9, mais avec l'agrément de nos leaders, nous espérons entreprendre l'étude article par article la semaine prochaine et nous croyons savoir qu'aucun témoin n'est prévu jeudi. Je compte donc que nous pourrons aborder l'étude article par article du projet de loi S-4 et, si c'est possible, nous passerons ensuite au projet de loi C-9. Combien d'autres témoins sont prévus? Je pose la question afin d'avoir une idée du temps nécessaire?
Le sénateur Joyal : Sur la liste des témoins, je crois comprendre que l'Association québécoise des avocates et avocats de la défense a manifesté son intérêt à témoigner.
La vice-présidente : Je crois que ses représentants viendront mercredi prochain.
Le sénateur Joyal : J'appuie leur demande. C'est important. La Criminal Lawyers' Association a également manifesté son intérêt. Nous devrions entendre ces deux groupes.
La vice-présidente : Je crois qu'ils figurent déjà sur la liste de mercredi prochain. Cela nous laisse jeudi pour l'étude article par article d'un projet de loi, si le comité le souhaite.
Le sénateur Joyal : Le comité directeur pourrait se réunir.
Le sénateur Andreychuk : Comme vous le savez, notre représentant a dû s'absenter. Le comité directeur décide au nom du comité plénier et je signale au comité plénier que nous sommes prêts et que nous attendons de passer à l'étude article par article. Nous avons entendu avec diligence tous les témoins, y compris le dernier témoin que l'on a insisté pour entendre. Nous aurons au moins une semaine pour réfléchir. Nous avons déjà procédé le jour même ou le lendemain, et je pense que le sénateur Milne a établi une règle valable voulant que nous entendions des témoins une journée pour passer à l'étude article par article le lendemain. Je dis donc qu'il serait opportun de le faire jeudi et j'espère que l'on sera d'accord là-dessus.
Je suis assurément prête à rester s'il faut en discuter de notre côté.
La vice-présidente : Nous devrions décider que le comité procédera jeudi prochain à l'étude article par article du projet de loi C-9, parce que nous avons épuisé la liste des témoins. Ensuite, nous passerons le plus rapidement possible au projet de loi S-4.
Le sénateur Andreychuk : Le projet de loi S-4 jeudi.
La vice-présidente : Le projet de loi C-9 jeudi.
Le sénateur Andreychuk : Je pense que nous avons terminé le projet de loi C-9 et qu'il convient plutôt d'en finir avec le projet de loi S-4 jeudi.
Le sénateur Joyal : Là-dessus, je crois comprendre que les ministériels sont disposés à procéder.
Le sénateur Andreychuk : Nous sommes prêts depuis longtemps.
Le sénateur Joyal : Je comprends cela et je vais m'abstenir de formuler certains commentaires que je préfère ne pas dire autour de la table. De notre côté, je vais consulter mes collègues et vous ferez part mercredi prochain de notre position sur l'adoption du projet de loi S-4. Pour nous, il y a seulement deux options possibles, c'est-à-dire jeudi prochain ou le mercredi suivant. Je voudrais consulter mes collègues sur ces deux options.
Le sénateur Andreychuk : Vous vous rappellerez que l'on s'était entendu il y a un certain temps procéder à l'étude article par article et je persiste donc à dire que nous devrions faire le projet de loi S-4 jeudi pour passer ensuite au projet de loi C-9. Nous finirons d'entendre les témoins sur le projet de loi C-9 mercredi.
La vice-présidente : Mercredi, nous sommes ici. Nous pourrions donc passer à l'étude article par article, et si nous ne pouvons consulter les sénateurs de notre parti, nous ferons l'étude article par article du projet de loi C-9 jeudi, mais nous allons d'abord consulter nos propres membres.
La séance est levée.