Aller au contenu
 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 27 - Témoignages du 10 mai 2007


OTTAWA, le jeudi 10 mai 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit ce jour à 10 h 58 pour étudier le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le sénateur Oliver : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles entreprend aujourd'hui l'étude du projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

Ce projet de loi contient un vaste ensemble de mesures destinées à rehausser l'exactitude des informations électorales et à empêcher ou minimiser la fraude électorale.

Pour ce faire, on se propose d'améliorer la collecte de renseignements sur les électeurs et leur intégration au Registre national des électeurs qui est mis à la disposition des agents électoraux ainsi que des candidats et de leurs représentants pendant les élections et entre les élections.

On prévoit également d'exiger au palier fédéral que les électeurs présentent une pièce d'identité au bureau de vote pour pouvoir voter.

Les modifications proposées dans le projet de loi constituent la réponse du gouvernement à une série de recommandations formulées par le Comité permanent de la Chambre des communes sur la procédure et les affaires de la Chambre dans son 13e rapport, de juin 2006, intitulé Améliorer l'intégrité du processus électoral : Recommandations de modifications législatives.

Le comité a formulé ses recommandations après avoir examiné les recommandations de réforme législative figurant dans le rapport du directeur général des élections sur la 38e élection générale, déposé à la Chambre des communes le 29 septembre 2005.

Nous avons le plaisir d'accueillir le ministre Peter Van Loan. Il a été élu pour la première fois en juin 2004 dans la nouvelle circonscription de York Simcoe et a été réélu dans la même circonscription en janvier 2006. Le 4 janvier 2007, il a été nommé leader du gouvernement en Chambre et ministre de la réforme démocratique.

Avant de devenir député, M. Van Loan était associé au cabinet de droit Fraser Milner Casgrain et avait exercé le droit municipal et le droit de l'urbanisme pendant 16 ans. Il possède un baccalauréat, une maîtrise ès arts en relations internationales, un baccalauréat en droit ainsi qu'un diplôme supérieur en urbanisme de l'Université de Toronto où il a ensuite enseigné cette matière.

Le ministre est accompagné de deux représentants du Bureau du Conseil privé : Matthew King, secrétaire adjoint, Législation et planification parlementaire, et Natasha Kim, conseillère principale en politiques, Législation et planification parlementaire. Nous avons également avec nous Raymond MacCallum, avocat, section des droits de la personne, de Justice Canada.

Je rappelle aux honorables sénateurs que le ministre devra nous quitter à midi mais que ses collaborateurs resteront disponibles pour répondre à d'autres questions. Nous allons donc consacrer la première heure au ministre.

Bienvenue, monsieur le ministre. Vous avez la parole.

L'honorable Peter Van Loan, C.P., député, Leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre de la réforme démocratique : Je crois que vous avez tout dit. Je n'ai presque rien à ajouter pour résumer le projet de loi.

[Français]

Je remercie le comité de m'avoir invité à parler du projet de loi C-31. D'entrée de jeu, je tiens à souligner que ce projet de loi repose sur de solides fondements. Comme vous le savez, le projet de loi C-31 propose un certain nombre de modifications à la Loi électorale du Canada pour améliorer l'intégrité du processus électoral.

Le projet de loi se base sur les recommandations faites par le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre dans son 13e rapport présenté à la Chambre des communes en juin dernier. Ces recommandations ont été élaborées par ce comité sans esprit partisan.

[Traduction]

Le 13e rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre était le fruit d'une étude attentive des recommandations formulées par le directeur général des élections sur l'amélioration du processus électoral, ainsi que de l'expérience même du comité quant à ce qui est nécessaire pour assurer que notre processus continue à fonctionner avec le haut degré d'intégrité auquel les Canadiens s'attendent.

Le comité a entendu un certain nombre de témoins sur tous les aspects de l'étude, notamment les dirigeants des quatre partis politiques représentés en Chambre, le directeur général des élections et la Commissaire à la protection de la vie privée.

Lorsque le gouvernement a déposé à la Chambre des communes sa réponse écrite au 13e rapport, le 20 octobre, nous en avons appuyé presque toutes les recommandations et, quatre jours plus tard, nous avons déposé le projet de loi C-31 destiné à les mettre en œuvre.

La Chambre des communes a débattu du projet de loi C-31 et le Comité de la procédure et les affaires de la Chambre l'a étudié attentivement en convoquant d'autres témoins, notamment des représentants d'associations d'étudiants, d'Autochtones et de personnes sans-abri.

La Chambre a adopté le projet de loi le 20 février 2007.

Cela montre, je tiens à le souligner, que le projet de loi est le fruit d'une longue expérience et des avis de nombreux experts. Il reflète notamment l'expertise du directeur général des élections en ce qui concerne la tenue des élections, les recommandations du comité de la Chambre chargé d'étudier toutes les questions électorales, et la volonté des députés qui ont tous une connaissance directe des arcanes du processus électoral.

Le but du projet de loi est de veiller à ce que la procédure et les mécanismes de notre processus démocratique continuent de fonctionner avec intégrité. On y trouve par conséquent bon nombre d'améliorations apportées aux nombreux aspects de la Loi électorale du Canada qui, prises ensemble, préserveront la confiance du public envers le processus électoral.

Permettez-moi de vous donner un bref aperçu du projet de loi.

[Français]

Cela dit, j'aimerais maintenant parler brièvement du projet de loi qui, à mon avis, peut être divisé en quatre grands thèmes.

[Traduction]

Le premier élément concerne l'amélioration de l'exactitude du Registre national des électeurs et des listes électorales.

[Français]

Premièrement, le projet de loi C-31 comporte un certain nombre de changements importants pour améliorer l'exactitude et l'intégrité du Registre national des électeurs. C'est d'ailleurs à partir du registre que l'on génère les listes des électeurs. Les candidats, les partis et les fonctionnaires électoraux utilisent ces listes dans le cadre des campagnes et de la surveillance des votes.

Comme vous le savez déjà, le registre a remplacé, en 1997, le recensement de porte-à-porte.

Le projet de loi C-31 apporte les changements nécessaires pour moderniser le cadre législatif afin que le registre demeure efficace et efficient d'une élection à l'autre.

[Traduction]

Il y a par exemple actuellement sur la première page de la déclaration d'impôt sur le revenu une case permettant aux Canadiens de consentir à ce que leur nom, leur adresse et leur date de naissance soient communiqués à Élections Canada pour la confection du registre. Cette source d'information s'est avérée cruciale pour permettre au directeur général des élections de mettre le registre à jour. Toutefois, bon nombre de non-citoyens n'ayant pas le droit de vote cochent eux aussi cette case, ce qui rend le registre moins fiable.

En vertu du projet de loi C-31, on aura le pouvoir de modifier la question figurant sur les déclarations d'impôt de façon à préciser qu'elle s'applique uniquement aux citoyens canadiens.

Il est déjà clair que la case ne devrait être cochée que par les citoyens canadiens mais, grâce à ce projet de loi, on pourra ajouter une question supplémentaire pour demander au contribuable d'indiquer sa citoyenneté, ce qui devrait rehausser l'exactitude de l'information.

Le projet de loi comporte également une mise à jour des pouvoirs législatifs de façon à permettre aux directeurs du scrutin d'effectuer la mise à jour du registre entre les périodes électorales et au directeur général des élections d'échanger des renseignements avec les autorités électorales provinciales et d'utiliser des identifiants stables qui permettront d'assurer que les informations sur les électeurs et les informations du registre sont mises à jour et sont fiables. C'est ce que nous appelons un numéro d'électeur unique.

Comme Élections Canada utilise plusieurs sources pour mettre le registre à jour, l'identifiant stable rehaussa l'efficience des vérifications de concordance.

Chacune de ces réformes avait été recommandée par le directeur général des élections pour permettre à Élections Canada d'avoir un meilleur registre national, plus à jour. Élections Canada est tenue de produire des listes électorales plus exactes pour contribuer à l'intégrité du vote et pour mieux permettre aux candidats de communiquer avec les électeurs. Comme je suis directement concerné, je sais que nous voyons souvent dans le registre électoral permanent des cas où trois personnes ayant le même nom de famille et appelées Robert, Bob et Bobby, par exemple, sont en fait trois électeurs différents. Le numéro d'identification unique éliminera tout risque de confusion dans ces cas.

Le deuxième groupe de modifications concerne l'amélioration des communications avec l'électorat, c'est-à-dire les communications entre les candidats, les partis politiques, les agents électoraux et les électeurs.

Par exemple, des listes électorales actualisées seront distribuées le 19e jour précédent le scrutin et des listes annuelles seront distribuées un mois plus tard pour inclure plus de changements d'adresse résultant des déménagements de l'été. De cette manière, les candidats et les partis auront des listes électorales plus précises pour faire campagne.

Le projet de loi aidera aussi les candidats à faire campagne plus efficacement en élargissant aux communautés protégées et aux lieux publics tels que les centres commerciaux leur droit d'accès actuel aux immeubles d'appartements et aux immeubles en copropriété. Les agents électoraux auront par ailleurs le droit d'avoir accès aux immeubles d'appartements et aux communautés protégées pour s'acquitter de leurs fonctions au titre de la Loi électorale du Canada. Cette mesure leur facilitera la tâche pour effectuer la révision ciblée des listes électorales dans les secteurs de grande mobilité ou à faible taux d'inscription, notamment dans les régions urbaines en croissance rapide.

Ensemble, ces réformes contribueront à produire un électorat mieux informé et plus engagé dans le processus politique.

Le troisième groupe de modifications vise à améliorer l'accès au vote.

[Français]

Le troisième groupe de modifications de ce projet de loi vise à améliorer l'accès au vote pour les personnes admissibles. Par exemple, le projet de loi C-31 modifie les règles concernant les certificats de transfert pour éliminer les obstacles inutiles qui peuvent dissuader les gens de voter. Les électeurs atteints d'un handicap physique ne seront plus tenus de demander trois jours à l'avance, l'autorisation de voter dans un bureau de scrutin à accès de plain-pied. D'autre part, une personne dont le bureau de scrutin sera changé par Élections Canada après qu'elle aura reçu sa carte d'information de l'électeur ne sera pas privée d'exercer son droit de vote si elle se présente au bureau de scrutin qui lui avait été assigné en premier lieu.

Le projet de loi C-31 accordera une plus grande flexibilité pour installer davantage de bureaux de scrutin par anticipation. Actuellement, chaque bureau de scrutin par anticipation doit regrouper au moins deux sections de vote. Lorsque la région est vaste ou éloignée, cela peut représenter un obstacle pour les électeurs ayant à parcourir de grandes distances. Le projet de loi C-31 supprimera cette restriction légale et permettra d'installer un bureau de scrutin par anticipation pour une seule section de vote au besoin.

[Traduction]

Monsieur le président, le gouvernement a pris des mesures pour rehausser la participation électorale en rendant le vote plus accessible à tous les Canadiens par le truchement du projet de loi C-16 concernant des élections à date fixe, qui a reçu la Sanction royale la semaine dernière, du projet de loi C-31 dont nous traitons aujourd'hui, et du projet de loi C-55 déposé hier pour ajouter au cycle électoral plus de dates de vote par anticipation.

Le quatrième groupe de modifications concerne l'identification des électeurs et la fraude électorale. L'un des aspects les plus importants du projet de loi C-31 porte sur les risques de fraude électorale, question qui était l'un des principaux thèmes du 13e rapport du Comité permanent de la Chambre des communes sur la procédure et les affaires de la Chambre. Les dirigeants des partis politiques ayant témoigné devant ce comité avaient tous souligné qu'il faut faire plus pour protéger l'intégrité de notre processus électoral.

Le principe fondamental de notre régime démocratique est un citoyen, une voix. Chaque fois que ce principe est bafoué, la confiance dans l'intégrité de notre démocratie est ébranlée. De fait, chaque transgression de ce principe constitue une grave infraction au droit de chaque citoyen exerçant légitimement son droit de vote. C'est particulièrement vrai lorsque le résultat des élections est très serré car la fraude électorale peut alors déterminer qui est élu et qui ne l'est pas et peut miner la légitimité du vainqueur.

Il est indispensable que les Canadiens aient confiance dans leur système électoral et, par le truchement du projet de loi C-31, le gouvernement prend des mesures pour rehausser cette confiance en réduisant le risque de fraude électorale par une mesure très simple : modifier la Loi électorale du Canada pour exiger qu'on présente une pièce d'identité pour pouvoir voter. Il ne s'agit pas là, à l'instar des autres réformes prévues dans ce projet de loi, d'un changement radical mais plutôt d'une amélioration de la procédure afin d'obtenir un résultat concret. De fait, les électeurs sont déjà appelés aujourd'hui à présenter une pièce d'identité dans beaucoup d'autres circonstances, aux paliers provincial et municipal, et je sais qu'il nous est arrivé à tous d'entendre des électeurs nous dire : « Je n'en reviens pas, on ne m'a même pas demandé de pièce d'identité. N'importe qui aurait pu aller voter à ma place. »

À l'heure actuelle, les Canadiens qui veulent s'inscrire le jour du scrutin sont déjà tenus de présenter une pièce d'identité pour confirmer leur identité et leur adresse. En outre, tout électeur inscrit peut se voir demander par un agent électoral ou par le représentant d'un candidat de prouver son identité et son admissibilité à voter. Dans la plupart des cas, n'importe quel électeur devrait donc avoir une pièce d'identité sur lui. Avec le projet de loi C-31, chaque électeur sera automatiquement tenu de fournir une preuve de son identité.

Cela dit, trois possibilités raisonnables sont envisagées pour satisfaire à cette exigence. Premièrement, l'électeur pourra présenter une pièce d'identité délivrée par un organisme gouvernemental et portant son nom, sa photographie et son adresse, comme un permis de conduire. Deuxièmement, il pourra aussi produire deux pièces d'identité sans photographie qui, ensemble, confirment son identité et son adresse. Il est prévu dans le projet de loi que le directeur général des élections publiera une liste des pièces d'identité acceptables à ce chapitre. Il a déjà dressé une liste préliminaire et consulte actuellement le Comité permanent de la Chambre des communes sur la procédure et les affaires de la Chambre et le Comité consultatif des partis politiques pour s'assurer que la liste soit complète et équitable.

Troisièmement, une personne n'ayant pas de pièce d'identité pourra toujours obtenir le droit de voter en prêtant serment ou en faisant une déclaration solennelle et en étant accompagnée d'un autre électeur inscrit sur la liste électorale du bureau de vote concerné qui se portera garant de son identité.

[Français]

Le processus d'identification des électeurs harmonisera le système fédéral avec ceux d'autres administrations, dont le Québec et un nombre croissant de municipalités canadiennes. L'Ontario vient notamment de déposer un projet de loi qui prévoirait l'identification des électeurs dans le cadre des élections provinciales. Chaque administration doit déterminer elle-même ce qui fonctionne le mieux pour son électorat. L'approche équilibrée, adoptée dans le projet de loi C-31, reflète les recommandations des membres du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre et a été fermement appuyée par les députés.

[Traduction]

J'ai abordé beaucoup de questions dans ma déclaration liminaire parce que le projet de loi contient beaucoup d'améliorations importantes. Je pourrais en dire davantage mais je soupçonne que les sénateurs ont peut-être des questions à me poser. En conclusion, je souligne de nouveau que ce projet de loi rehaussera l'intégrité de notre processus électoral en apportant de petites modifications qui contribueront sensiblement à garantir que les élections se dérouleront sans heurts et de manière efficace, afin de conserver la confiance des Canadiens.

Comme les autres projets de loi de réforme démocratique présentés au parlement, le projet de loi C-31 constitue une étape de plus pour renforcer la démocratie et la reddition de comptes dans notre pays.

Le président : Merci, monsieur le ministre, de cet aperçu très complet du projet de loi.

Honorables sénateurs, nous allons commencer avec le critique de l'opposition officielle, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci, monsieur le président. Je veux d'abord demander au ministre s'il appuierait un amendement au projet de loi. Je vais remettre aux membres du comité et au ministre un document donnant une explication partielle de cette question. Il s'agit des remarques formulées par le ministre à l'étape du rapport du projet de loi devant la Chambre des communes concernant la question de savoir si la date de naissance devrait être incluse dans le projet de loi.

La principale raison pour laquelle je pose cette question, monsieur le ministre, est que des tribunaux de tout le Canada ont jugé que la date de naissance est une information pouvant raisonnablement être considérée comme une information privée. Voici certains exemples d'arrêts pertinents : en 2006, dans l'affaire R. c. E. (M.), le juge Murray de la Cour de justice de l'Ontario a déclaré qu'obtenir des informations biologiques fondamentales d'un accusé — la date de naissance — équivaut à une fouille déraisonnable car l'accusé a le droit subjectif de s'attendre à ce que ses informations personnelles restent privées. En 2007, le juge Jones de la Cour de justice de l'Ontario a déclaré au paragraphe 50 que la preuve avait été obtenue en infraction des articles 8 et 9 de la Charte car l'agent avait obtenu la date de naissance de la personne. Je pourrais évidemment citer d'autres cas. Quand quelqu'un se fait arrêter pour une infraction au code de la route, cette information figure sur le permis de conduire et la personne ne peut donc raisonnablement pas s'attendre à ce qu'elle reste privée.

D'autre part, la Cour d'appel fédérale a jugé, lorsque le Commissaire à la protection de la vie privée avait intenté une poursuite devant la Cour en 2000, que fournir la date de naissance constitue une infraction à l'article 7 de la Charte.

On constate ainsi que des tribunaux de différents paliers ont jugé que, dans certaines circonstances, obtenir la date de naissance constitue une infraction à la Charte des droits et libertés. Voici ce que le ministre a déclaré à la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-31 :

Même si nous — c'est-à-dire les députés conservateurs — nous sommes opposés à certains changements apportés au projet de loi lors de son examen par le comité, nous sommes maintenant disposés à appuyer le C-31 dans sa forme actuelle. L'une des raisons prépondérantes, c'est que nous estimons que le projet de loi recueille l'appui de tous les partis, et c'est important pour une mesure législative de cette nature.

Puis plus loin, au sujet de l'inscription de la date de naissance sur la liste électorale, il a dit ceci :

Au comité, nous nous y sommes également opposés. Pourtant, il se retrouve maintenant dans le projet de loi et, comme je l'ai dit, dans un esprit de coopération, nous sommes prêts à l'appuyer à cette étape afin que le projet de loi puisse aller de l'avant.

Je lui pose donc directement la question. Le commissaire à la protection de la vie privée a comparu devant le comité et s'est opposé à cette mesure. La jurisprudence établit que cette mesure constitue une infraction à la Charte. Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à appuyer un amendement pour retirer la date de naissance de ce projet de loi, dans un esprit de coopération avec ce comité du Sénat?

M. Van Loan : J'aurais beaucoup à dire en réponse car c'est une longue histoire.

Le sénateur Stratton : Vous pourriez peut-être aussi donner l'historique de cette disposition.

M. Van Loan : Quand le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre s'est penché sur cette question, on ne recommandait pas d'inclure la date de naissance. À l'époque, le Bloc québécois avait exprimé sa dissidence. Au Québec, la date de naissance figure sur la liste électorale de la province. L'argument avancé fut que cela avait donné de bons résultats. Quand le projet de loi a été renvoyé devant le comité, le Parti libéral et le Bloc ont présenté un amendement pour inclure la date de naissance. Malgré l'opposition du Parti conservateur, cet amendement a été adopté.

Lorsque le projet de loi est revenu devant la Chambre, j'ai pensé qu'il était important d'en préserver le caractère non sectaire étant donné sa nature intrinsèque et le fait qu'il avait été formulé sur la base des conseils originels du directeur général des élections, avec la coopération de tous les partis. Quand il s'agit du processus électoral, je crois qu'il est parfois important de préserver un large consensus. C'est pour ces raisons que nous avons décidé de renoncer à notre opposition à l'amendement proposé par les Libéraux et le Bloc. Et c'est ce que nous avons fait.

Évidemment, si le Sénat décidait de modifier le projet de loi en rejetant l'amendement proposé par les Libéraux et le Bloc à l'étape du comité et accepté par la Chambre des communes, cela voudrait dire que le projet serait renvoyé devant la Chambre des communes où ces deux partis avaient assuré l'adoption de cet amendement. Par conséquent, je soupçonne que votre question s'adresse moins à moi qu'aux députés du Parti libéral et du Bloc car je suppose qu'ils tenteraient de rétablir la disposition qu'ils avaient pris l'initiative d'intégrer au projet de loi comme ils l'avaient fait en comité.

Il y a d'autres raisons. Évidemment, la principale était d'éviter le sectarisme politique. J'ai tenu compte aussi du témoignage de la Commissaire à la protection de la vie privée devant le comité. Invitée à dire si l'intégration de la date de naissance lui posait un problème du point de vue de la protection de la vie privée, elle a répondu, le mercredi 14 juin : « Je ne suis ni pour ni contre ».

Elle n'a pas pris position.

Le sénateur Prud'homme : Ce qui était une excellente position.

M. Van Loan : En outre, Michel Guimond, du Bloc, a insisté en disant ceci :

Si j'ai bien compris ce que vous venez de répondre à Mme Picard, vous laissez aux législateurs le soin de prendre cette décision. C'est à nous, les parlementaires, de décider si cela est exact. Vous ne voyez pas de problème légal relativement aux lois que vous gérez. Est-ce exact?

Jennifer Stoddart a répondu : « C'est exact ».

À son avis, il n'y avait pas de problème du point de vue de la protection de la vie privée et c'est elle qui est Commissaire à la protection de la vie privée. Si elle avait pensé le contraire, je me serais interrogé.

Je crois qu'on peut facilement faire une distinction entre ces diverses causes touchant la Charte, comme vous l'avez fait entre les infractions au code de la route et les actes criminels. Je suis en train de me creuser la tête pour essayer de trouver quelles préoccupations la date de naissance pourrait susciter du point de vue de l'article 7 de la Charte. Il y a peut-être des gens plus créatifs que moi qui en trouveront. Il y a certainement des avocats criminalistes créatifs, et aussi des juges créatifs.

Je vois mal ce qui peut poser problème. L'une des conditions fondamentales du droit de vote est d'avoir au moins 18 ans. Évidemment, cette information est cruciale pour établir l'admissibilité de quiconque à voter.

L'autre raison pour laquelle c'est une information importante est qu'elle permet de distinguer différentes personnes portant le même nom, phénomène courant dans certaines communautés. De fait, c'est un phénomène de plus en plus fréquent dans les nouvelles communautés ethniques. Dans les communautés coréennes, il y a quelque chose comme sept noms de famille.

[Français]

Le sénateur Nolin : J'aimerais apporter une précision. Vous avez fait référence au rapport du comité de la Chambre des communes. Pour m'assurer que tous comprennent bien, le directeur général des élections avait recommandé que l'on inclue l'année de naissance de chaque électeur et le comité de la Chambre a relancé cette proposition pour inclure la date de naissance. Il est important de comprendre la nuance.

[Traduction]

M. Van Loan : À l'origine, on avait recommandé que la date de naissance soit inscrite mais qu'elle ne soit disponible qu'au bureau de vote. La question s'était aussi posée d'élargir l'accès de façon à ce qu'elle soit disponible à tous les partis qui auraient une copie de la liste qu'ils utilisent pour les activités de leurs scrutateurs et surveillants pendant le processus électoral.

Le sénateur Stratton : Qu'en est-il de la vie privée, du vol d'identité? Cette question a-t-elle été posée du côté de la Chambre? Si quelqu'un possède la date de naissance et le nom de la personne, n'y a-t-il pas un risque de vol d'identité?

M. Van Loan : Le comité était conscient de ce problème et c'est pourquoi il l'a soulevée devant la Commissaire à la protection de la vie privée. La question a aussi été soulevée en Chambre, notamment par le NPD. Évidemment, les choses ont bien changé aujourd'hui. Quand j'étais petit, on affichait la liste électorale sur un poteau téléphonique dans mon quartier.

Le sénateur Stratton : Mais pas la date de naissance.

M. Van Loan : On dévoilait la profession de tout le monde. C'était toujours un jeu de découvrir qui était enseignante, qui restait à la maison, qui faisait quoi et qui prétendait faire quoi.

Les gens prenaient la liste. Ils voulaient une liste parce qu'ils trouvaient trouvait ça amusant. Aujourd'hui, on se soucie évidemment beaucoup plus de protéger la vie privée.

Il convient de souligner que cette information ne sera accessible qu'aux agents d'Élections Canada et des partis politiques. Elle ne sera communiquée à personne d'autre et il y a dans la Loi des sanctions en cas d'utilisation répréhensible de cette information.

Il y a donc des garde-fous légaux mais vous pourriez évidemment prétendre qu'ils ne sont pas suffisants puisqu'il arrive que certaines personnes violent la loi. Vous pourriez peut-être vous demander si les amendes sont suffisamment lourdes mais il n'en reste pas moins qu'on a prévu des garde-fous dans la loi.

Le sénateur Baker : Notre président a été professeur de droit et manie allègrement le marteau.

Ce qui me frappe, monsieur le ministre, au sujet de la date de naissance, c'est que si quelqu'un veut vérifier sa marge de crédit en téléphonant à sa banque, ou le solde de sa carte de crédit — prenons comme exemple MasterCard à la Banque de Montréal —, les deux dernières questions qu'on lui pose pour prouver son identité sont son mois de naissance, suivi du carré, puis son jour de naissance, suivi du carré.

À ce moment-là, la personne a accès à sa marge de crédit ou au solde de sa carte de crédit et peut faire toutes sortes de choses. Elle peut transférer des fonds, elle peut payer des factures, et cetera.

En ce qui concerne l'article 7, ce problème est très réel dans le monde réel. Certaines personnes âgées s'en servent comme numéro d'identification personnel, le NIP. Ces choses-là ont déjà fait l'objet d'arrêts judiciaires, vous le savez probablement.

L'article 7 entre en jeu, au fait, parce qu'il y a infraction à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Au titre de l'article 3 de cette loi, l'article des définitions, l'âge d'une personne est un renseignement personnel. La date de naissance est un renseignement personnel. Comme je l'ai dit, il y a déjà eu des procès à ce sujet, notamment quand le ministère des Douanes a voulu donner cette information, la date de naissance, à la Commission de l'assurance-emploi. Les tribunaux ont jugé qu'il n'y avait pas de problème si cette information était utilisée exclusivement à cette fin au sein du ministère. C'est acceptable en vertu du paragraphe 8(3) de la Loi sur la protection des renseignements personnels mais, s'il s'agit d'une autre utilisation, ce n'est pas acceptable.

Ce que vous avez maintenant accepté de faire avec certains partis d'opposition, c'est de distribuer cette liste de dates de naissance trois fois entre les élections aux agents des partis de tout le pays. Si le projet de loi est adopté, n'importe qui pourra connaître la date de naissance de n'importe qui parce que la liste sera distribuée aux agents des partis politiques de tout le Canada.

Si vous retourniez interroger la Commissaire à la protection de la vie privée et les partis d'opposition, ne pensez- vous pas qu'ils pourraient avoir changé d'avis? Si tel était le cas, accepteriez-vous un amendement pour retirer la date de naissance?

M. Van Loan : J'ai sous les yeux le témoignage de la Commissaire à la protection de la vie privée. J'ai vu la correspondance qu'elle a envoyée.

Le sénateur Baker : Elle a peut-être changé d'avis.

M. Van Loan : Je n'en sais rien. Peut-être. Je vois d'après sa correspondance qu'elle vous invite à appliquer un critère sur le niveau acceptable d'ingérence, si je peux employer ce mot. Je suis un peu perplexe de devoir défendre un amendement du Parti libéral et du Bloc — je ne dirai pas qu'il nous a été imposé — mais je le fais par esprit de coopération.

Je crois que les choses sont claires. Vous exagérez quand vous dites que la liste sera communiquée à n'importe qui au Canada. Les partis politiques ont la responsabilité d'assurer le contrôle de cette information et, en vertu de la loi, ils seront tenus responsables de sa distribution.

Il faut garder ça à l'esprit. Vous ne voulez peut-être ne pas en tenir compte mais, si les partis politiques se moquent de leurs responsabilités en matière de protection des renseignements personnels, ils prennent un très gros risque.

Le sénateur Milne : Comme vous le savez, monsieur le ministre, les partis politiques acceptent beaucoup de gens comme bénévoles. N'importe qui peut entrer dans un bureau de circonscription pour proposer de téléphoner aux gens de la circonscription. On lui remet alors une partie de la liste électorale en lui disant de se mettre au travail.

M. Van Loan : Si c'était moi, je ne remettrai pas ce genre de renseignement.

Le sénateur Milne : Ce qui me préoccupe, comme le sénateur Baker, ce n'est pas tant l'année de naissance que la date elle-même — le jour et le mois. Je crois comprendre également que le directeur général des élections aura le pouvoir, en vertu de l'article 6 du projet de loi, de recueillir et de conserver les numéros de permis de conduire des électeurs du Canada, n'est-ce pas?

M. Van Loan : Élections Canada reçoit déjà cette information à l'heure actuelle. Il ne s'agit pas des partis politiques mais d'Élections Canada. La question est de savoir si l'organisme devra se débarrasser de cette information, probablement jusqu'à ce qu'il reçoive la prochaine série d'informations des provinces, je suppose. C'est de cette manière que la liste est mise à jour. La justification de cette mesure est que, si Élections Canada peut conserver les informations pour faire des vérifications de concordance, cela lui permet d'éviter qu'une même personne soit inscrite en double ou en triple sur la liste électorale.

Le sénateur Milne : Si le projet de loi est adopté et que vous avez l'année de naissance, le numéro d'identification unique de chaque électeur et le numéro de permis de conduire, cela ne risque-t-il pas d'accroître considérablement le risque de vol d'identité? C'est une question qui inquiète de plus en plus les Canadiens car ce type de vol est de plus en plus fréquent. Il me semble qu'une liste électorale collée sur un poteau téléphonique ouvre tout grand la porte aux abus.

M. Van Loan : Soyons clairs : le numéro de permis de conduire n'est jamais communiqué aux partis politiques. Je ne pense même pas qu'il soit communiqué au directeur du bureau de scrutin de la circonscription. C'est un renseignement qu'utilise le bureau central d'Élections Canada à Ottawa pour mettre à jour la liste électorale.

Vous pourriez d'ailleurs formuler les mêmes objections au sujet des renseignements de l'impôt sur le revenu mais on peut espérer que les agents d'Élections Canada ont autant d'intégrité que ceux de Revenu Canada ou des ministères provinciaux des Transports en ce qui concerne la protection des renseignements personnels. Ils ont évidemment des devoirs impératifs à ce sujet de par la loi. Si l'on n'accepte pas cette méthode, il faudra revenir au recensement porte-à- porte.

Le sénateur Milne : Ce qui serait peut-être une bonne chose étant donné les exemples de fraude que je connais personnellement — que j'ai constatés pendant des élections.

M. Van Loan : On avait décidé en 1997 d'abandonner cette méthode pour de nombreuses raisons — la difficulté et le coût d'établissement des listes de cette manière. Comme les agents de recensement étaient rémunérés au nombre de personnes enregistrées, certains inscrivaient le plus grand nombre de personnes possibles sur les listes sans trop vérifier. D'autres ne prenaient même pas la peine de faire du porte-à-porte pour aller parler aux électeurs. Voilà pourquoi on a adopté le principe d'une liste électorale permanente.

Nous n'avons pas l'intention de changer cela, ce n'est pas l'objectif du projet de loi et ce serait un changement profond de notre système électoral.

Le sénateur Milne : Retourner à l'ancienne méthode rendrait peut-être la liste beaucoup plus exacte. L'utilisation des listes était déprimante dans les dernières élections.

M. Van Loan : Je ne le conteste pas mais vous serez peut-être heureuse d'apprendre qu'Élections Canada, en vertu de ce projet de loi, aura plus de pouvoirs pour effectuer des mises à jour dans les régions de grande croissance démographique et aura le droit d'aller dans les immeubles d'appartements et les nouvelles communautés protégées, ce qui n'était pas le cas auparavant, pour effectuer les mises à jour en faisant du porte-à-porte si elle le juge nécessaire.

Le sénateur Milne : En ce qui concerne ce droit d'accès, l'article 12 est-il le nouvel article autorisant les candidats à faire ouvertement campagne dans les centres commerciaux et les lieux publics?

M. Van Loan : Oui.

Le sénateur Milne : En vertu de l'article 9, le directeur général des élections aura le droit de communiquer la date de naissance et la citoyenneté, je suppose — et peut-être aussi le numéro de permis de conduire — aux organismes électoraux des provinces. Est-ce bien cela et ces organismes provinciaux ont-ils exprimé des réserves quelconques quant à leur capacité à protéger ces renseignements?

M. Van Loan : Je ne sache pas que des préoccupations aient été formulées à ce sujet. Évidemment, cela suppose que les provinces et le gouvernement fédéral, ou les agents électoraux des deux paliers, pourront se fier les uns aux autres pour rehausser l'exactitude de la liste électorale.

Le sénateur Milne : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les articles 40 et 41 figurent dans le projet de loi? Pourquoi les a-t-on ajoutés? Ce sont des articles d'entrée en vigueur. L'article 41 concerne la fonction publique — « l'employé occasionnel ne peut être nommé pour une période dépassant 90 jours ouvrables ». Il y a ensuite l'article d'entrée en vigueur indiquant que certaines dispositions entreront en vigueur deux mois après la Sanction royale alors que d'autres n'entreront en vigueur que huit mois après. Est-ce le moyen qu'on a trouvé pour se débarrasser de certains employés occasionnels?

M. Van Loan : Je demande à mes collaborateurs de vous répondre car je ne connais pas la genèse de cette disposition.

Le sénateur Milne : Si vos collaborateurs peuvent rester après votre départ, monsieur le ministre, ils pourront répondre à ce moment-là car je ne voudrais pas réduire le temps dont disposent les sénateurs pour s'adresser à vous personnellement.

Je laisse donc la parole à quelqu'un d'autre.

Le sénateur Stratton : Je voudrais revenir sur cette question de date de naissance qui préoccupe sérieusement les membres du comité. Le sénateur Baker et moi-même en avons déjà parlé et j'en ai aussi discuté avec des députés ayant exprimé les mêmes préoccupations.

Peut-être pourriez-vous nous expliquer ce qu'on fait au Québec? Depuis combien de temps cela existe-t-il au Québec? A-t-on assez d'expérience dans cette province pour pouvoir dire qu'il n'y a pas de problème? Y a-t-il d'autres juridictions — d'autres pays, par exemple — qui exigent la date de naissance et qui peuvent nous montrer que ça ne cause pas de problème? Ce serait très utile de le savoir.

M. Van Loan : Je ne sais pas depuis combien de temps cette méthode existe au Québec. Tout ce que je sais, c'est que les députés québécois du Bloc et du Parti libéral membres du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre ont affirmé que le système marche bien et ne pose pas de problème. Je ne sache pas qu'il y ait eu des problèmes ou des abus quelconques à cet égard.

Le sénateur Stratton : Je vous remercie de cette réponse mais nous pourrions peut-être obtenir une réponse définitive à ce sujet. Vous serait-il possible de poser la question à la province?

M. Van Loan : M. King s'engage à vous communiquer la réponse.

Le sénateur Fraser : Je continue sur le même sujet, monsieur le ministre. Nous sommes tous en faveur de ce qui peut rendre les élections plus efficaces, encourager les gens à voter et favoriser des élections justes et honnêtes, sans fraude. Si j'ai bien compris, on a prévu la date de naissance — au moins en partie et peut-être totalement — pour minimiser le risque de confusion sur l'identité des électeurs.

Je sais qu'il y a des régions où c'est nécessaire. Prenez mon cas personnel. Je suis originaire de la Nouvelle-Écosse et il y a dans cette province beaucoup de gens qui ont le même nom de famille que moi. Je peux donc comprendre qu'on ait besoin d'un autre élément d'identification.

Toutefois, on prévoit aux articles 4 et 5 du projet de loi que chaque électeur sera doté d'un numéro d'identification unique généré de façon aléatoire. Je suppose que le directeur général des élections, quand il a proposé cette méthode, voulait également éviter le risque de confusion sur l'identité des électeurs. Si tel est le cas, pourquoi aurions-nous besoin des deux?

M. Van Loan : Encore une fois, je trouve bizarre de devoir défendre un amendement du Bloc et du Parti libéral mais je vais faire mon possible, toujours par esprit de coopération. Comme j'ai travaillé avec les bases de données et avec des listes électorales, je peux vous dire qu'il n'est pas rare que quelqu'un se retrouve avec deux numéros d'identification uniques. N'oubliez pas que les Canadiens sont très mobiles et se déplacent tout le pays. Il n'y a pas que deux Joan Fraser au bureau de vote 72, il peut aussi y avoir deux Joan Fraser ailleurs, avec une Joan Fraser ayant quitté Halifax pour Antigonish, et la question est alors de savoir si c'est la même. Le système proposé permet de faire des vérifications de concordance et je suppose que c'est pour cette raison qu'on prévoit de demander la date de naissance.

Le sénateur Fraser : Je comprends votre réponse mais je reste troublée et perplexe et nous devrons revenir sur cette question.

M. Van Loan : Vous devriez peut-être téléphoner à certains députés du Parti libéral et du Bloc pour obtenir plus de précisions.

Le sénateur Fraser : Ma deuxième question, monsieur le ministre, concerne le projet de loi C-55 que vous avez déposé en Chambre hier et qui porte également sur les élections. Pourquoi n'avoir pas tout fait en même temps?

M. Van Loan : Le projet de loi C-31 est une réponse aux recommandations du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre fondée sur les recommandations du directeur général des élections. C'est un projet de loi autonome regroupant des changements qui sont essentiellement d'ordre administratif. Le projet de loi d'hier concerne plus une question de politique fondamentale. Tout simplement, je n'étais pas le ministre à l'époque, ce n'était pas mon idée à ce moment-là et la situation est différente aujourd'hui. Je crois qu'il s'agit également de principes différents.

Le sénateur Fraser : Nous verrons bien si nous sommes d'accord quand nous en serons saisis.

Le sénateur Zimmer : Merci, monsieur le ministre, de comparaître ce matin. Je voudrais changer de sujet et parler des préoccupations des sans-abri et des Autochtones. Quelqu'un a mentionné les difficultés que les nouvelles exigences d'identification risquent de poser à certains groupes de personnes qui n'ont peut-être pas de pièces d'identité adéquates, comme les sans-abri. Si une personne ne peut pas produire de pièce d'identité, la solution est de lui faire prêter serment et qu'un autre électeur du même bureau de scrutin se porte garant de son identité, ce qui exige évidemment un minimum de planification de la part de cette personne. Comment la nouvelle procédure sera-t-elle communiquée à des gens tels que les sans-abri qu'on ne peut pas informer par les moyens traditionnels?

M. Van Loan : Élections Canada aura évidemment un travail de communication à faire sur les critères d'admissibilité au vote. Nous avons prévu plusieurs méthodes dans le projet de loi pour permettre aux gens de voter avec une pièce d'identité comportant photo et adresse, comme je l'ai dit. Certains sans-abri ont peut-être une telle pièce d'identité et d'autres non, ou ils ont peut-être deux pièces d'identité. Il appartiendra au directeur général des élections de déterminer ce qui convient. Par exemple, une lettre d'un directeur de foyer d'accueil de sans-abri pourrait être suffisante, avec une carte d'assurance-santé, par exemple, pour confirmer l'identité de la personne. Certains disent que les sans-abri n'ont pas de carte d'assurance-santé. D'autres présentent l'argument contraire en disant que ce serait précisément une bonne occasion pour un sans-abri qui n'en a pas d'en obtenir une afin d'avoir accès aux services de santé.

Je crois que tout ce qui peut encourager l'intégration aux réseaux de services sociaux est certainement une bonne chose.

Le sénateur Zimmer : Dans le même ordre d'idées, des représentants des Premières nations ont dit au Comité permanent de la Chambre des communes sur la procédure et les affaires de la Chambre que certains Autochtones ne pourraient pas voter à cause des exigences d'identification parce qu'ils n'ont pas nécessairement de pièce d'identité d'un organisme gouvernemental, surtout s'ils vivent dans une région isolée où ces organismes sont rares. On tente dans le projet de loi de résoudre ce problème en considérant qu'une carte d'identité émise par un organisme gouvernemental en vertu de la Loi sur les Indiens serait acceptable. Croyez-vous que cette mesure soit suffisante pour garantir que les Autochtones ne seront pas empêchés de voter?

M. Van Loan : Nous avons prévu une disposition adéquate à ce sujet, une disposition spéciale pour les sans-abri et les Autochtones. La méthode du répondant reste en vigueur, ce qui veut dire qu'un autre électeur peut se porter garant pour ces personnes si c'est nécessaire. Certes, on élimine la possibilité de répondants en série, c'est-à-dire d'une personne qui répond d'une autre qui répond d'une autre qui répond d'une autre, et cetera, ce qui peut poser des problèmes d'intégrité, mais le principe de base est maintenu. Ce qu'on élimine, c'est qu'une personne dont une autre s'est portée garante ne peut pas à son tour se porter garante d'une troisième. Dans les collectivités dont vous parlez, les gens n'auront aucune difficulté à trouver des répondants car tout le monde se connaît et peut répondre des autres.

Le sénateur Zimmer : Cela réglera-t-il le problème des Autochtones vivant dans les villes, pas dans les régions isolées, qui ne sont peut-être pas admissibles au statut d'Autochtone pour diverses raisons et ne peuvent donc pas être certifiés en vertu de la Loi sur les Indiens?

M. Van Loan : Je pense que leur cas est le même que celui-ci de l'électeur sans-abri non-inscrit pour qui plusieurs solutions sont proposées. Un Autochtone sans adresse fixe se trouve dans la même situation et pourra se prévaloir des mêmes solutions.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur le ministre, mes questions porteront sur un élément important de votre projet, celui touchant l'identification des électeurs au bureau de scrutin. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le rapport de la Chambre des communes sur ce sujet et on y fait référence — et je cite : « De nombreux Canadiens sont inquiets du risque de fraude. »

Dans votre projet de loi, vous avez repris cette recommandation du comité qui exige de chaque électeur, se présentant au bureau de scrutin, deux pièces d'identité ou qui, s'il n'a pas ces pièces d'identité, connaît un autre électeur ayant des pièces d'identité qui garantira et fera foi de l'identité de celui qui n'en a pas.

Ma question traite du niveau de la preuve empirique que le gouvernement détient. J'ai un peu la réponse puisque la commissaire à la protection de la vie privée, a comparu hier devant un comité de la Chambre des communes. Elle a affirmé d'emblée que le Canada ne détenait pas suffisamment d'information, et n'avait pas une vue d'ensemble de l'ampleur du problème relatif au vol d'identité.

Je me pose donc la question suivante : ne sommes-nous pas en train de tenter de régler un problème au bureau de scrutin sans en connaître vraiment l'ampleur?

Ma deuxième question — vous pourrez y répondre en même temps compte tenu du peu de temps que nous avons : avez-vous tenu compte des contestations possibles basées sur les droits de la Charte? Est-ce que le fait de demander deux pièces d'identité ne freinera pas le droit de voter d'un individu? Si c'est le cas, avez-vous prévu des mécanismes ou fait une réflexion pour vous assurer que les contestations soulevées à partir de la Charte seront en mesure d'être contrées avec votre argumentation?

[Traduction]

M. Van Loan : En ce qui concerne une contestation au titre de la Charte, il y a plusieurs moyens d'y faire face avec succès. Nous savons que tous les droits énoncés dans la Charte sont sujets à certaines limites, c'est-à-dire des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Veiller à ce que les élections soient effectivement démocratiques et à ce que seules puissent voter les personnes ayant légitimement le droit de le faire est une limite parfaitement raisonnable. C'est en fait la pierre angulaire d'une société libre et démocratique. Toute restriction imposée pour s'en assurer, à condition qu'elle ne soit pas excessive, ne serait pas déraisonnable et serait jugée acceptable. C'est la même chose au palier municipal, par exemple. Je ne sache pas que des poursuites aient été intentées sur cette base au titre de la Charte, probablement parce que peu de gens jugeraient cela raisonnable. Je ne connais personne qui pense avoir été privé de son droit de vote et qui se soit adressé aux tribunaux à ce sujet. C'est peut-être arrivé mais je ne connais aucun cas.

J'attire d'ailleurs votre attention sur le fait qu'il y a déjà des dispositions de cette nature dans la loi actuelle. Dans deux cas précis, on est obligé de faire la preuve de son identité.

Le premier est celui où un agent du bureau de scrutin ou un représentant d'un parti politique demande à une personne de prouver son identité. Tout ce que l'on fait avec ce projet de loi, c'est qu'on supprime ce cas particulier et qu'on étend cette obligation à tout le monde de manière uniforme. En outre, cette exigence existe déjà pour d'autres types d'élections.

Élections Canada a fort bien géré cette exigence et je n'ai connaissance d'aucune contestation au titre de la Charte du fait qu'un scrutateur ou un agent électoral ait demandé à un électeur de prouver son identité. Je ne connais aucun cas d'électeur ayant engagé une telle contestation.

[Français]

Le sénateur Nolin : Je voudrais revenir sur la question des renseignements personnels et de la date de naissance complète des électeurs. Vous argumentez — de façon appropriée, d'ailleurs — que vous voulez vous assurer que l'électeur qui se présente devant un scrutateur pour voter soit bien cet électeur. Je pense que c'est très valable. À l'article 18 du projet de loi que nous avons devant nous, le directeur du scrutin remettra dorénavant au scrutateur une liste électorale officielle qui inclura le sexe et la date de naissance de chaque électeur. Il est évident, à la lecture de cet article, que vous voulez justement vous assurer que le personnel, les fonctionnaires électoraux auront la capacité de constater, avec l'information contenue dans la liste officielle, si la personne qui se présente devant eux est bien cette personne. Je crois comprendre que la mention du sexe sera faite uniquement sur cette liste que l'on remettra au scrutateur; ai-je raison? Cette information ne sera pas distribuée sur la liste officielle qui sera transmise au candidat?

[Traduction]

Je pense que la réponse est oui. C'est le seul cas où l'on mentionne le sexe.

Matthew King, secrétaire adjoint du Cabinet, Législation et planification parlementaire, Bureau du Conseil privé : La question du sexe fait partie de l'ancien régime. On n'en parle pas dans le projet de loi C-31.

Le sénateur Nolin : Non, c'est précisément ce que je dis. Ça veut dire que nous avons déjà un régime permettant de prévenir un scrutateur si un homme se présente en disant qu'il s'appelle Josée Verner alors que cette personne est censée être une femme. Le scrutateur aura au moins cette information et pourra dire : « Non, vous n'êtes pas Josée Verner ».

Pourquoi n'a-t-on pas réservé certains éléments d'information pour les scrutateurs en ce qui concerne la date de naissance? Pourquoi ne pas se contenter de l'année de naissance, par exemple, en ce qui concerne la liste qui sera distribuée aux candidats et aux partis politiques?

M. Van Loan : Certes, on pourrait peut-être se contenter de l'année de naissance mais ce serait évidemment 365 fois moins précis que la date complète. Comme je l'ai dit, cela résulte d'un amendement proposé par d'autres partis. D'aucuns diront que c'est une ingérence dans la vie privée alors que d'autres diront que c'est suffisant. Je vous laisse juge.

Si votre question concerne l'admissibilité à voter, l'année pourrait être suffisante mais, si c'est 18 ans auparavant, ça risque de ne pas être suffisant pour déterminer l'admissibilité à voter.

[Français]

Le sénateur Prud'homme : Merci, monsieur le président, et également à mes collègues qui me cèdent leur place.

[Traduction]

Je m'intéresse à cela depuis que j'ai été élu il y a 43 ans.

M. Van Loan : Au Sénat? Oh, non.

Le sénateur Prud'homme : J'ai déjà dit au ministre que j'adorerais participer à un débat dans sa circonscription sur la réforme du Sénat, car j'estime que, si réforme il doit y avoir, c'est à la Chambre des communes qu'elle doit commencer.

Je m'intéresse à cette question qui est très difficile. J'ai déjà connu la liste affichée sur les poteaux téléphoniques, comme vous avez dit. C'est à notre demande que cette méthode a été abandonnée, pour des raisons de sécurité, notamment dans les grandes villes.

Je m'y opposais. J'ai perdu mais je crois qu'on y reviendra. Si un électeur, un citoyen canadien, est mécontent parce que sa date de naissance est communiquée et qu'on en abuse, comme j'ai la conviction que ça arrivera, il y a dans la déclaration d'impôt sur le revenu une colonne où l'on demande au contribuable s'il accepte que son nom, et cetera, soit communiqué au directeur général des élections. Tout ce que l'électeur a à faire, c'est de dire non. J'ai longuement discuté de cette question avec M. Kingsley. Cette pratique aboutira finalement à ce qu'un nombre écrasant de personnes dans les villes s'inscriront seulement le jour du scrutin. Nous ne savons pas combien mais je pensais que ce serait un millier en moyenne. Or, on m'a dit qu'il y a déjà beaucoup plus d'un millier de personnes qui s'inscrivent seulement le jour du scrutin dans les grandes villes. Donc, ces personnes risquent de ne pas figurer sur la liste qui sera distribuée puisqu'elles voteront seulement le jour de l'élection.

Je vous suggère très gentiment d'appliquer votre intelligence — dont on me dit qu'elle est grande — au réexamen du système de liste permanente. Pourquoi devriez-vous revoir la question? Si la liste n'est pas exacte, comme beaucoup d'entre-nous le pensons, ça veut dire que la proportion de gens participant au vote est plus faible parce qu'il y a trop de gens inscrits sur la liste qui ne devraient pas y être.

M. Van Loan : Cette situation devrait être corrigée.

Le sénateur Prud'homme : Ne croyez-vous pas qu'il y a un risque, surtout pour les personnes âgées, que la date de naissance soit largement diffusée? Je ne veux pas donner d'exemple, c'est un cas bien connu. Un homme bien connu s'en sert actuellement pour appeler chaque électeur, chaque jour, pour lui souhaiter bonne anniversaire. Certaines personnes n'aiment pas du tout ça. C'est un politicien du palier provincial.

Vous rendriez un très grand service au Canada et aux Canadiens si vous acceptiez l'amendement visant à retirer la date de naissance. La sécurité peut être assurée autrement, comme on l'a fait pendant l'élection, par la production de deux pièces d'identité dont une avec photographie. Cette méthode a réglé beaucoup de problèmes au Québec et je ne suis pas convaincu que le Bloc et les autres avaient raison dans leur rapport au comité. Ils ont exagéré les opinions que vous avez si bien exprimées en leur nom, fort probablement.

M. Van Loan : En ce qui concerne la question des gens qui ne remplissent pas de déclaration d'impôt sur le revenu, ce ne sera évidemment pas suffisant pour retirer leur date de naissance de la liste car on utilise aussi d'autres sources d'information pour la dresser, comme les permis de conduire, qui portent tous la date de naissance et ça ne marchera donc peut-être pas.

Pour ce qui est de la liste électorale permanente, nous tenons tous à en assurer la qualité mais je ne suis pas convaincu qu'elle serait meilleure si nous revenions à l'ancien régime. Je sais que beaucoup de gens considéraient que la liste de l'ancien régime n'était pas assez exacte, et c'est sans doute pour cette raison qu'on a changé de méthode.

Vous dites que nous sous-estimons la participation dans la mesure où il y a plus de gens qui se présentent pour voter mais les listes électorales contiennent beaucoup de noms de personnes qui ne devraient pas y figurer. D'autres diront le contraire, c'est-à-dire que beaucoup de gens n'y figurent pas, pour toutes sortes de raisons : ils ne prennent pas la peine de payer l'impôt sur le revenu, ils ne produisent pas de déclaration, ils ne remplissent pas les cases, ils n'ont pas de permis de conduire ou ils ne prennent pas la peine, à 18 ans, de se faire inscrire sur la liste. Quoi qu'il en soit, ceux d'entre-nous pour qui la liste est un outil de travail savons qu'elle n'a pas la qualité que nous souhaitons.

Quiconque peut proposer quelque chose de mieux aura toute mon attention. Le recensement pur et simple a ses limites. Élections Canada vous dira qu'il est déjà très difficile à notre époque de trouver des gens pour effectuer les recensements limités qu'il faut faire. Les gens ne veulent pas aller dans les quartiers difficiles. On pense qu'il y a des préjugés. On ne veut pas aller dans certains immeubles pour frapper aux portes. Certaines personnes ont peur de le faire. Il y a aussi les questions d'incitatifs. Certains agents de recensement inscrivaient allègrement des noms à tour de bras. On a du mal à trouver des gens pour faire ce travail. Tout le monde a déjà un emploi. C'est un problème difficile à résoudre. D'aucuns pensent que nous devrions adopter un système à l'américaine où c'est l'électeur qui a la responsabilité de s'inscrire. S'il ne le fait pas, c'est son problème.

Il y a beaucoup de résistance au Canada à l'égard de ce système. Je suis cependant tout à fait prêt à recueillir les suggestions.

Veuillez m'excuser, je ne peux accepter qu'une autre question. Je dois participer à une entrevue téléphonique avec une station de radio dans huit minutes.

Le sénateur Joyal : La Cour suprême du Canada a interprété l'article 3 de la Charte en considérant que :

Tout citoyen du Canada a le droit de voter à l'élection des députés.

Ce droit, selon cette interprétation, facilite le droit de vote. Le but du projet de loi, qui est d'améliorer l'identification, représente à mon avis une ingérence dans la vie privée. Ce droit, interprété sur la base de l'article 7 de la Charte, comme l'ont dit le sénateur Baker et le sénateur Nolin, sera examiné en fonction du principe de la limite raisonnable, comme vous l'avez dit avec raison.

La limite raisonnable a aussi ses limites. C'est le critère Oaks. Le critère Oaks exige qu'on tienne compte des objectifs. Dans le cas présent, la date de naissance doit être jugée par rapport à l'objectif du projet de loi qui est de maintenir l'identité de l'électeur.

Selon le critère Oaks, il faut non seulement que ce soit proportionné mais aussi que ça représente la moindre ingérence possible. Vous connaissez la loi aussi bien que moi et que les honorables sénateurs présents dans cette salle.

Il me semble, si l'on veut juger l'objectif de la loi par rapport à la question de la Charte, qu'on doit nécessairement faire ce raisonnement. Ne franchit-on pas la limite de ce qui devrait être le moyen ou l'outil le moins approprié pour vérifier l'identité de l'électeur? Voilà la question à laquelle il faut répondre, à mon avis.

M. Van Loan : Je reviens à ce que je disais au départ. Cette position était celle du gouvernement au début. Par esprit de coopération et pour éviter le sectarisme politique, nous avons accepté la suggestion des députés du Parti libéral et du Bloc d'inclure la date de naissance, ce qui la rendra accessible aux partis politiques.

Pour ce qui est de l'application du critère, chacun sait qu'il ne faut pas préjuger des conclusions des tribunaux. C'est quelque chose que la Commissaire à la protection de la vie privée avait recommandé. Elle avait dit que cette décision doit être prise par la Chambre des communes parce qu'elle relève légitimement de sa responsabilité. C'est à nous, législateurs, de prendre la décision.

Le président : Au nom du comité, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, d'être venu répondre à ces questions difficiles mais extrêmement importantes. Comme vos collaborateurs restent avec nous, j'ai une liste de sénateurs qui souhaitent les interroger pendant le second tour.

M. Van Loan : Veuillez m'excuser de devoir partir mais j'ai beaucoup apprécié la possibilité de répondre à vos questions. Je vous en remercie. Je vous encourage à poursuivre le débat.

Le sénateur Milne : J'espère que vous ne partez pas fustiger le Sénat.

M. Van Loan : Je suis souvent obligé de le faire mais il serait très facile de changer ça.

Le sénateur Milne : Je reviens à la question que j'ai posée au ministre au sujet des articles 40 et 41. Pourquoi sont-ils inclus dans le projet de loi?

Mr. King : Veuillez m'excuser, j'essaye de trouver la référence exacte pour le sénateur.

Le sénateur Milne : Voici le texte :

Le paragraphe 22(2) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique est modifié par adjonction, après l'alinéa i), de ce qui suit :

j) prolonger la période prévue au paragraphe 50(2) pour tous les postes, toute personne ou catégorie de postes ou de personnes.

Il y a ensuite l'article 41.

Natasha Kim, conseillère principale en politiques, Législation et planification parlementaire, Bureau du Conseil privé : Les articles 40 et 41 ont été inclus en réponse directe à une recommandation du directeur général des élections dans ce rapport. Ils ont été approuvés par le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre. À la suite d'une modification récemment apportée à la Loi sur l'emploi la fonction publique, les employés occasionnels ne peuvent travailler que 90 jours pendant une période de 12 mois. Ces dernières années, avec des gouvernements minoritaires successifs, Élections Canada a constaté qu'il était difficile aux employés occasionnels de respecter cette limite. Grâce aux articles 40 et 41, on pourra prolonger au moyen d'un règlement la durée d'emploi des employés occasionnels au- delà de 90 jours.

Le sénateur Milne : Certes, mais pourquoi est-ce dans cette loi?

Ms. Kim : Parce qu'elle porte sur la tenue et l'administration des élections.

Le sénateur Milne : S'agit-il seulement des employés occasionnels employés par Élections Canada?

Si Élections Canada a recruté des employés occasionnels en vue d'une élection au printemps, ne peut-elle pas les engager à nouveau plus tard dans l'année si l'élection est déclenchée à la fin de l'automne?

M. King : En vertu des dispositions actuelles de la Loi électorale du Canada et de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, cet emploi doit être limité à 90 jours. Avec cet amendement, le directeur général des élections aura la latitude voulue pour prolonger l'emploi de ces personnes au-delà de 90 jours. Si nous avions deux gouvernements minoritaires successifs, le directeur général des élections aurait le pouvoir de prolonger l'emploi de ses employés occasionnels.

Le sénateur Milne : On dit dans l'amendement « ne peut être nommé », ce qui n'est pas une possibilité de prolongement.

Mme Kim : Je crois que vous en êtes à l'article 41. On dit ne peut être nommé « à moins que cette période ne soit prolongée par règlement ».

M. King : L'emploi peut être prolongé par règlement. Il faudrait qu'un règlement soit adopté pour être sûr que la prolongation s'applique uniquement aux travailleurs électoraux.

Le sénateur Milne : Cela s'applique donc uniquement aux employés recrutés pour les élections et le directeur général des élections aura la possibilité d'engager les mêmes personnes deux fois s'il se trouve qu'il y a deux élections la même année.

M. King : Oui.

Le sénateur Milne : Merci.

Voyons maintenant l'article 147 à la page 10 du projet de loi :

Si une personne demande un bulletin de vote après qu'une autre a voté sous son nom, elle n'est admise à voter que si elle prête le serment prescrit.

Pourriez-vous m'expliquer ça? Cela veut-il dire qu'Élections Canada autoriserait plus d'une personne à voter sous le même nom? Cela autorise-t-il une personne à voter deux fois?

Si une personne veut frauder en votant par anticipation, pourra-t-elle voter à nouveau le jour du scrutin simplement en prêtant un serment n'ayant de toute façon aucune valeur à ses yeux?

Mme Kim : Cette disposition existe déjà dans la Loi électorale du Canada et elle est simplement reprise dans ces amendements techniques. Le nouveau texte permettrait à une personne dont le nom a été rayé de la liste de voter à condition de prêter serment. S'il y a eu une erreur technique sur la liste électorale et qu'on a rayé le nom d'un électeur, on aura une documentation écrite qui permettra de vérifier plus tard s'il y a eu fraude ou non.

Le sénateur Milne : L'un de nos sénateurs a précisément connu cette situation lors des dernières élections au Québec. Ni lui ni sa femme n'ont été autorisés à voter alors qu'ils habitent depuis très longtemps dans la circonscription concernée et que tout le monde au bureau de vote les connaissait. On avait indiqué sur la liste qu'ils avaient voté par anticipation et ils n'ont donc pas eu le droit de voter.

Le sénateur Prud'homme : Je pense qu'il faudrait revoir cela attentivement car ce serait contraire à la loi. Si une personne a voté au nom de quelqu'un d'autre et prête serment quant à son identité, elle pourra voter de nouveau. Je ne comprends pas ce qui s'est passé dans ce cas.

Le sénateur Milne : Je sais bien et ils le savaient aussi mais ils n'ont quand même pas eu le droit de voter.

Le ministre avait parlé du cas où une personne aurait deux numéros d'identification uniques, ce qui serait possible à notre époque de grande mobilité et de technologie avancée.

Je répète, cette disposition permettrait à quelqu'un de voter deux fois, n'est-ce pas?

M. King : En théorie, je suppose que ça pourrait arriver.

C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles le directeur général des élections voulait ajouter l'année de naissance à l'identifiant stable, de façon à donner aux agents électoraux un moyen supplémentaire de vérifier l'identité des électeurs.

Le sénateur Milne : Vous dites l'année de naissance?

M. King : Oui, j'ai dit l'année de naissance.

Le sénateur Milne : Mais pas le jour ni le mois. Merci.

M. King : Non. C'était sa recommandation.

Le sénateur Baker : Je serai bref, monsieur le président. Pour revenir aux questions du sénateur Nolin, je me demande si ce projet de loi aura un effet quelconque sur un problème qui s'est posé durant l'élection au Québec, je crois, quand une personne n'a pas été autorisée à voter parce que son visage était voilé. Que s'est-il passé, en fin de compte?

Ce cas est-il prévu dans le projet de loi?

M. King : Non, on ne traite pas précisément du port du voile. Toutefois, il y a une nouvelle exigence de prouver son identité au bureau de scrutin, soit par une pièce d'identité avec photographie, nom et adresse, soit par deux pièces d'identité sans photographie, soit en ayant un répondant.

Le gouvernement estime qu'Élections Canada a réglé adéquatement cette question dans le passé. On s'attend à ce que le projet de loi C-31 donne à Élections Canada et au directeur général du scrutin la latitude nécessaire pour continuer dans la même voie.

Je crois avoir lu des articles indiquant qu'Élections Canada a lancé une campagne d'information auprès des groupes concernés. On estime qu'Élections Canada continuera à gérer ce processus.

Le président : La question du sénateur Baker portait explicitement sur le port du voile. Vous n'y avez pas répondu.

M. King : Veuillez m'excuser, je croyais avoir dit qu'on ne fait pas référence au port du voile dans le projet de loi. J'avais peut-être mal compris la question du sénateur.

Le sénateur Nolin : Comment allez-vous gérer les pièces d'identité avec photo?

Le président : Si une femme se présente avec une pièce d'identité portant sa photo et qu'elle a le visage voilé, comment allez-vous vérifier son identité?

M. King : Il me semble évident qu'une personne choisissant de prouver son identité au moyen d'une photo sera prête à montrer que son visage correspond bien à la photo. Il y aura cependant d'autres moyens de prouver son identité, par exemple en présentant deux autres pièces d'identité.

Le président : — ou en ayant un répondant.

M. King : Oui, deux méthodes qui n'exigent pas le retrait du voile. Comme je l'ai dit, je crois qu'Élections Canada consulte actuellement les groupes concernés.

Le sénateur Baker : Selon le projet de loi, les deux pièces d'identité, dont on ne précise pas la nature, constitueront un autre moyen de prouver son identité, en plus de la pièce avec photo émise par un organisme gouvernemental. C'est le directeur général des élections qui décidera quelles autres pièces d'identité sont acceptables dans ce contexte et on n'exigera pas qu'elles portent une photographie, n'est-ce pas?

M. King : Je voudrais ajouter une brève remarque à ce que vous avez dit, sénateur. En effet, c'est le directeur général des élections qui aura le pouvoir de dresser la liste des pièces d'identité acceptables. Comme l'a dit ce matin le Leader du gouvernement en Chambre, une liste provisoire de pièces d'identité acceptables a déjà été déposée devant le Comité de la Chambre des communes sur la procédure et les affaires de la Chambre. À mon avis, cette question relève donc plus d'un dialogue entre le comité de la Chambre et le directeur général des élections.

Le sénateur Baker : Permettez-moi d'ajouter un mot. Dans le cas du Québec, le directeur général des élections a rendu une décision qu'il a renversée le lendemain. Je ne sais pas si les fonctionnaires ont discuté de cette question et, s'ils ne l'ont pas fait, tant pis. Le directeur général des élections aura-t-il le pouvoir, en vertu du projet de loi C-31, de faire exactement la même chose que son homologue du Québec en vertu de la loi provinciale?

M. King : Je ne veux pas spéculer sur la manière dont répondrait le directeur général des élections, surtout nouvellement nommé. Il est dans l'intérêt d'Élections Canada de consulter les communautés. Le gouvernement pense que le directeur général des élections trouvera le moyen de faire marcher ça.

Le sénateur Baker : Ma dernière question portera sur un sujet soulevé par le sénateur Joyal et le sénateur Nolin. Comme diraient certains, pour tuer un moustique, pas la peine d'utiliser une tapette, mieux vaut prendre une batte de base-ball.

Le sénateur Stratton : C'est ce que nous devons faire au Manitoba.

Le sénateur Baker : L'argument dont ont parlé le sénateur Nolin et le sénateur Joyal au sujet de l'article 7 est celui de la portée excessive d'un texte de loi. Selon la Cour suprême, si le législateur adopte une loi de portée plus vaste que nécessaire pour atteindre un objectif légitime, il aura porté atteinte aux principes de justice naturelle si les droits d'une personne ont été limités sans raison valable.

Je cite ce passage de l'arrêt R. c. Heywood, où le juge Cory, s'exprimant pour la majorité, affirme au paragraphe 516 que :

Si, dans un but légitime, l'État utilise des moyens excessifs pour atteindre cet objectif, il y aura violation des principes de justice fondamentale parce que les droits de la personne ont été restreints sans motif.

Prenons le cas de tante Susie qui va voter après l'adoption de ce projet de loi. Tout le monde la connaît dans sa communauté et elle a peut-être même des parents parmi les personnes assises autour de la table. Toutefois, tante Susie n'a pas de pièce d'identité avec photo parce qu'elle ne conduit pas. Elle doit donc produire d'autres pièces d'identité. Si elle n'en a pas, elle doit trouver quelqu'un pouvant prêter serment en son nom et, selon le projet de loi, on devra lire à cette personne les sanctions auxquelles elle s'expose si elle ment sous serment.

Autrement dit, cette personne doit bien comprendre qu'elle risque d'être condamnée à six mois de prison si elle ment parce que tante Susie n'est pas qui elle prétend être. Elle risque aussi de se voir infliger une amende pouvant atteindre 5 000 $. C'est un énorme changement par rapport à la loi actuelle.

Je ne sais pas si vous voulez faire une remarque à ce sujet. C'est peut-être le ministre qui devrait répondre.

M. King : Vous avez sans doute raison, sénateur, de dire que c'est le ministre qui devrait répondre.

Le président : Permettez-moi de préciser en passant que le directeur général des élections viendra témoigner devant le comité la semaine prochaine et que nous accueillerons aussi son homologue du Québec. Nous entendrons aussi la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, l'adjoint de son homologue ontarien, ainsi que d'autres personnes. Beaucoup d'autres témoins pourront peut-être répondre directement à certaines des questions posées aujourd'hui, notamment au sujet de la loi du Québec.

Le sénateur Nolin : Je voudrais aborder l'article 11 concernant le pouvoir de mener campagne dans les immeubles d'appartements et les immeubles en copropriété, et l'article 12 concernant les églises. Il y a deux exceptions à cette règle, et je vais vous lire le paragraphe 11(2) en français.

[Français]

Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux responsables d'un immeuble à logements multiples si le fait de permettre les activités de campagne visées à ce paragraphe peut mettre en danger la santé physique ou affective des résidants de l'immeuble.

Ma question s'applique aux exceptions contenues au paragraphe 2 de l'article 11 et à l'article 12. Qui sera le juge des exceptions?

[Traduction]

Le sénateur Nolin : Qui prend cette décision? Supposons que je sois candidat et que je veuille faire campagne en allant dans telle ou telle église mais que quelqu'un s'y oppose. Il y a une limite à l'article 12 dans la mesure où on indique qu'il ne s'applique pas « si les activités de campagne sont incompatibles avec la sécurité publique ou la fonction ou destination principale du lieu ».

Je veux bien mais qui portera ce jugement?

Le sénateur Baker : C'est un lieu de culte.

Le sénateur Andreychuk : Ils louent leurs locaux.

M. King : C'est Élections Canada qui aurait à porter ce jugement.

Le sénateur Nolin : Je pense que le projet de loi devrait être plus précis, ce qui m'amène à une question secondaire.

Il faudrait informer les personnes qui devront travailler avec cette loi. Il faudrait leur signaler qu'elles devront faire attention avant de faire campagne dans une église. Qui va surveiller ça? Je crois qu'on devrait réfléchir à ça.

À l'alinéa 20c), nous savons qu'il y a une jurisprudence sur ce qu'est un parti enregistré et je comprends maintenant, à la lecture de l'alinéa 20c), que le parti est enregistré 48 heures après la clôture de la période de mise en candidature. Je voudrais savoir quel est le processus et comment ça va marcher. Éclairez-moi.

Mme Kim : En ce qui concerne l'article 20, cet amendement technique avait été recommandé par le directeur général des élections parce qu'il n'y a pas dans la loi actuelle la période de 48 heures après la clôture des candidatures, ce qui empêcherait le parti légitime n'étant pas encore enregistré de pouvoir présenter un candidat.

Le sénateur Nolin : Un candidat?

Mme Kim : Le candidat doit avoir déjà été confirmé. Si la limite d'enregistrement est la clôture des candidatures plutôt que la dernière date à laquelle une candidature peut être confirmée, il y a une période de 48 heures qui empêcherait un parti inéligible de s'enregistrer s'il ne recevait pas confirmation d'un candidat à temps. C'est un amendement technique à ce sujet.

Le sénateur Nolin : Cela veut dire qu'un parti n'ayant qu'un candidat pourra faire campagne et avoir son nom sur les bulletins même s'il n'est pas officiellement enregistré?

Mme Kim : Cette disposition officialise l'enregistrement si le parti présente un candidat dans cette élection.

Le sénateur Nolin : Très bien.

J'ai une question d'interprétation au sujet de l'article 23, concernant l'article 149 proposé. Depuis quand parle-t-on dans un projet de loi de, en anglais, « his or her » au sujet des bureaux de vote? Est-ce que c'était la même chose auparavant? Ça ne concerne que la version anglaise.

Mme Kim : La politique de rédaction des lois exige la neutralité sexuelle, monsieur le président.

Le sénateur Nolin : Je croyais qu'un électeur était toujours un « his ».

Le sénateur Baker : Le bureau de vote...

Le sénateur Nolin : Est-ce le seul endroit où l'on utilise « his or her » pour parler d'une personne pouvant être un homme ou une femme?

Mme Kim : Je crois qu'il y a un certain nombre de dispositions dans la loi actuelle, qui a été modifiée de temps à autre, où la neutralité sexuelle est respectée, soit par « his or her » soit par un pronom neutre singulier.

Le sénateur Nolin : Je n'ai pas problème avec ça, je veux seulement savoir si c'est une nouvelle manière de désigner les particuliers. C'est le nouveau style? Nous l'accepterons mais je ne pense pas que ce soit approprié. Ça surcharge le texte pour rien.

Nos lois sont neutres sur le plan sexuel. Si on décide de mettre « her » chaque fois à partir de maintenant, fort bien mais, jusqu'à présent, on a toujours employé « his ».

Le président : Dans le passé, c'était toujours « him ». Cette formulation reflète un souci de neutralité sexuelle.

Le sénateur Nolin : Je comprends que c'est une question d'orthodoxie politique mais ce n'est pas exactement comme ça qu'on rédige des textes de loi.

Le sénateur Fraser : Ma réaction instinctive est de préférer l'égalité sexuelle explicite. Toutefois, si on emploie « his or her » dans un article de la loi mais « his » dans tous les autres, ne risque-t-on pas d'avoir des problèmes?

Mme Kim : En ce qui concerne l'interprétation des lois, il y a dans la Loi d'interprétation, je crois, une disposition indiquant que « him » signifie toujours aussi « her » ou que « he » signifie toujours aussi « she ».

Le sénateur Fraser : Je sais. Toutefois, si l'on a fait une exception à la règle générale dans un article du projet de loi en utilisant « his or her », est-ce que cela pourrait avoir des conséquences? C'est une question sans doute théorique mais elle n'est quand même pas sans importance.

Mme Kim : À mon avis, il n'y a aucune différence sur le plan légal.

Raymond MacCallum, avocat, Section des droits de la personne, ministère de la Justice Canada : La première chose à faire est de déterminer l'intention du législateur. Je pense que l'intention est claire, et la reconnaissance de la réalité que les projets de loi, surtout concernant des lois comme la Loi électorale du Canada, sont modifiés à la pièce au cours des années, et certaines années plus souvent que d'autres. Je ne pense pas qu'il y aura des problèmes quant à l'interprétation de l'intention du législateur dans le cas présent.

Le sénateur Andreychuk : Le sénateur Joyal s'en souvient peut-être mieux que moi mais je crois qu'on avait explicitement décidé de respecter la neutralité sexuelle dans la rédaction des lois. On ne dirait pas « his » mais « his and her », et je pense qu'il y avait eu des arguments passionnés sur ces questions d'égalité. Je constate aussi, un peu plus bas, qu'on parle en anglais de « his or her spouse » mais ce n'est pas la première fois dans une loi. Chaque fois qu'on dit « his », ça veut dire « his or her », à moins d'indiquer clairement que ça s'applique uniquement aux hommes.

Je crois que c'est une décision qui avait été prise directement par le gouvernement après la Charte.

On peut dire « elector » mais ils disent « in his or her polling station ».

Le sénateur Baker : Ne pourrait-on pas dire « in the elector's polling station »?

Le sénateur Andreychuk : On aurait pu faire ça. L'argument est qu'ils auraient pu dire « his » à cause de la Loi d'interprétation mais ça doit être « his or hers ».

Le sénateur Nolin : Examinons donc cet argument.

Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas moi qui rédige les lois. Je dis que je veux la neutralité.

Le sénateur Nolin : Prenons maintenant la version française de l'article 26 et l'amendement proposé à l'alinéa 161(1)b).

[Français]

Le paragraphe 1(b) dit :

[...] soit en prêtant le serment prescrit s'il est accompagné d'un électeur dont [...]

On devrait lire :

[...] soit en prêtant le serment prescrit, s'il ou elle est accompagné(e) d'un électeur.

Quelle est l'idée? Je comprends qu'on veuille respecter tout le monde, mais si on le fait à un endroit, il faut le faire partout, pas seulement quand on a le goût de le faire.

[Traduction]

M. MacCallum : Je ne suis pas rédacteur de textes de loi mais je peux comprendre le souci d'uniformité. C'est toujours un objectif mais on ne l'atteint pas toujours parfaitement. Quand il s'agit de rédiger la loi idéale, la cohérence terminologique est l'objectif. Si vous voulez, je pourrais transmettre vos préoccupations au service de rédaction.

Le sénateur Prud'homme : En français, il faut un double F.

Le sénateur Andreychuk : Je me souviens que des rédacteurs qui avaient comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles avaient expliqué la manière dont on rédige la version française et la version anglaise d'un texte de loi. Nous avions aussi eu des témoignages, il y a longtemps, sur le fait qu'on essayait d'assurer la neutralité sexuelle dans les textes de loi et que ce n'est pas seulement « his ». Pourquoi ont-ils choisi un style en français et un autre en anglais? Il faudrait peut-être poser la question au service de rédaction.

J'examine l'amendement proposé au paragraphe 143(6) de la page 9 du projet de loi :

L'électeur pour lequel un autre électeur s'est porté répondant ne peut lui-même agir à ce titre à la même élection.

Quel est l'effet concret de cette disposition? Si je réponds de quelqu'un dans un bureau de scrutin et que je vais ensuite dans une autre circonscription répondre de quelqu'un d'autre, le saura-t-on immédiatement ou le découvrira-t- on seulement si c'est porté à l'attention des agents d'Élections Canada d'une manière quelconque?

M. King : Pour répondre de quelqu'un, il faut que votre nom figure sur la liste électorale du bureau de scrutin où vous voulez le faire. Vous ne pourrez donc le faire qu'une seule fois, à condition que ce soit dans le bureau de scrutin de cette personne. Vous ne pourrez pas aller dans un autre bureau de scrutin répondre de quelqu'un d'autre car votre nom ne figurera pas sur la liste.

Le sénateur Andreychuk : Je reviens au problème des noms similaires dans plusieurs bureaux de scrutin différents. Comment peut-on s'en rendre compte? Ce projet de loi semble destiné à éviter une certaine fraude électorale et c'est pourquoi l'identité devient importante. Comment peut-on repérer ces problèmes? Repère-t-on ces gens-là après-coup ou certains se font-ils repérer sur place — autrement que par les scrutateurs? A-t-on prévu un mécanisme pour repérer ces anomalies ou différences?

M. King : Je crois que les principes de ce projet de loi, les objectifs, sont d'éviter toutes les formes de fraude. Le président a mentionné que le directeur général des élections sera ici dans quelques semaines. Je suis sûr qu'il sera mieux à même que nous d'indiquer les mesures de routine qui sont prises — par des vérifications ou autrement — pour repérer la plupart des cas de fraude.

L'esprit du rapport adressé au comité de la Chambre par le directeur général des élections et du rapport du comité des procédures de la Chambre remis au gouvernement reflétait toute une série de mesures pour prévenir la fraude. C'est également un aspect important du projet de loi.

Le sénateur Andreychuk : C'était de votre propre tante Susie que vous parliez, sénateur Baker?

Le sénateur Baker : De n'importe quelle tante Susie qui n'a pas actuellement de pièce d'identité avec une photo et qui ne conduit pas une automobile ou un tracteur.

Le sénateur Andreychuk : Le dilemme est d'égaliser tous les Canadiens. Il y a peut-être un bureau de scrutin où tout le monde connaît tante Susie, mais personne ne me connaît, moi. Tous les électeurs seront-ils traités de manière égale en vertu du projet de loi? Pour l'identification par des gens qui les connaissent, ça m'est déjà arrivé. Quand je suis entré, on m'a dit de ne pas suivre toute la procédure parce que tout le monde me connaissait mais j'ai tenu à la suivre à la lettre. Il ne faut pas que ce soit parce qu'ils connaissent tante Susie. On devrait appliquer la même procédure à tout le monde.

M. King : Je suis d'accord mais, avec l'indulgence du sénateur, j'ai tenté d'abandonner tante Susie et voici qu'elle réapparaît. Je suis complètement d'accord avec vous. Il faut trouver un juste équilibre entre la protection du droit de vote des Canadiens admissibles et la nécessité de veiller à ce que le nombre maximum de gens admissibles à voter puissent le faire. Je crois qu'on avait trouvé cet équilibre, ou qu'on avait essayé, dans le rapport du comité de procédure de la Chambre et que c'est ce que le gouvernement croit avoir trouvé avec ce projet de loi.

Le sénateur Joyal : J'attire votre attention sur l'article 18, à la page 7. Il est destiné à modifier les paragraphes 107(2) et 107(3) de la loi. Voyez le paragraphe 107(3) :

Le directeur du scrutin remet aussi à chacun des candidats deux copies, dont une sous forme électronique, des listes électorales révisées et des listes électorales officielles sur lesquelles la date de naissance des électeurs est indiquée.

Autrement dit, comme me le disait mon collègue le sénateur Prud'homme, si vous payez 200 $ pour vous enregistrer comme candidat indépendant, vous recevrez deux copies de la liste — dont une sous forme électronique, n'est-ce pas?

Mme Kim : Exact.

Le sénateur Joyal : Retournez à la page 4 du projet de loi, à l'alinéa 10(2)e) qui remplace l'article 56 de la loi. On y dit qu'il est interdit :

d'utiliser sciemment un renseignement personnel tiré du Registre des électeurs sauf :

pour permettre, conformément à l'article 110, aux partis enregistrés, aux députés et aux candidats de communiquer avec des électeurs,

(ii) pour les besoins d'une élection ou d'un référendum fédéral [...]

Il y a donc une limite à l'utilisation de la liste électronique.

L'article 56 de la Loi électorale représente l'interdiction générale de ne pas utiliser, et cette interdiction générale est couverte à la partie 4 de la loi. Mme Kim voit peut-être de quoi je veux parler. Si vous êtes coupable d'une infraction au titre de l'article 56, c'est couvert par la partie 4 de la loi qui dispose que « toute personne qui contrevient à l'alinéa 56e) (utilisation non autorisée de renseignements personnels enregistrés dans le registre des électeurs) est coupable d'une infraction ».

On trouve plus loin dans la loi la sanction prévue pour cette infraction. Disons que quelqu'un vend la liste électronique. Supposez qu'un candidat indépendant s'enregistre en payant 200 $ et obtient la liste électronique. Quelle est la pénalité? Comme disait mon ami le sénateur Nolin, 1 000 $ la page?

Le sénateur Nolin : 500 $.

Le sénateur Joyal : Vous parlez d'expérience? Veuillez m'excuser.

[Français]

Le sénateur Nolin : Il y a eu de l'inflation dans les dépôts des candidats.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : C'est l'article 500 de la loi, bien sûr, et, comme l'a dit mon savant ami et sénateur, c'est 1 000 $.

Quiconque commet une infraction visée à l'une ou l'autre des dispositions suivantes : les paragraphes 485(1) [...] est passible, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d'une amende maximale de 1 000 $ et d'un emprisonnement maximal de trois mois, ou de l'une de ces deux peines.

Cela me semble soulever une question de politique fondamentale car il s'agit de la divulgation de beaucoup de renseignements facilement accessibles lors de l'enregistrement d'un candidat indépendant. Je n'ai aucune idée préconçue au sujet des bénévoles qui entrent dans les bureaux de circonscription des partis politiques pendant les campagnes électorales et ont accès à cette liste. J'élimine ce facteur. Ce sont tous des citoyens honnêtes.

Supposons cependant qu'une personne veuille vraiment obtenir la liste. Combien lui coûtera l'enregistrement et quelle sera la pénalité? Il me semble y avoir une grande disproportion entre le genre d'informations personnelles auxquelles on donne accès — parce que nous savons qu'on peut avoir accès à toutes sortes d'informations personnelles quand on connaît la date de naissance de quelqu'un — et la sanction qui est envisagée. Comme l'a dit le sénateur Nolin, on ne semble pas savoir que le vol d'identité est aujourd'hui un phénomène beaucoup plus courant qu'à l'époque où on affichait la liste sur un poteau téléphonique. Aujourd'hui, il y a le télémarketing et toutes sortes de manœuvres inventées pour vendre des choses aux gens en fonction de leur âge.

Je songe surtout aux personnes vulnérables, comme les personnes âgées. Comme l'a dit le sénateur Prud'homme, il me semble que cela soulève une question de fond. Je ne suis pas convaincu qu'on ait prévu le meilleur moyen de dissuasion puisqu'il n'est pas comparable au niveau de risque engendré par la divulgation de toute cette information.

M. King : Je ne répéterai pas l'historique de la migration de la date de naissance dans ce projet de loi car le Leader en Chambre l'a fait tout à l'heure avec beaucoup de clarté. Toutefois, considérant cette forme de migration, il est possible que cette situation soit une conséquence imprévue de cet amendement. Je laisse à mon collègue du ministère de la Justice le soin de répondre plus complètement sur l'effet dissuasif. Il me semble que cela a pu être ou ne pas être l'une de ces questions auxquelles on n'a pas réfléchi de manière exhaustive après l'adoption de l'amendement.

Mr. MacCallum : Vous avez correctement souligné le faible niveau de la pénalité, qui n'est pas disproportionné par rapport à d'autres lois similaires portant sur des questions administratives ou réglementaires. On pourrait formuler la même critique au sujet d'un grand nombre de lois posant des risques similaires en termes de possibilité de fraude et de criminalité. Le niveau de dissuasion est un thème de discussion important pour votre organisme, comme pour le gouvernement.

Le sénateur Milne : Ma crainte au sujet de ce projet de loi est qu'il multiplie les possibilités de vol d'identité. C'est ça qui m'inquiète vraiment car je sais avec quelle facilité on peut pratiquer le vol d'identité.

Élections Canada ne remet pas que des listes d'électeurs aux bureaux de circonscription et aux candidats mais aussi des listes comportant des numéros de téléphone. Maintenant, ces listes électorales contiendront le numéro de téléphone, l'adresse, le nom, la date de naissance, le sexe et la citoyenneté, canadienne ou non. On augmente ainsi de manière exponentielle le risque de vol d'identité.

Mme Kim : Je ne suis pas sûre d'avoir beaucoup plus à dire à ce sujet, si ce n'est que les listes électorales fournies par Élections Canada ne contiennent pas à mon avis le numéro de téléphone.

Le sénateur Milne : Oh si.

Le sénateur Fraser : Oh si.

Le sénateur Milne : Chaque campagne reçoit d'Élections Canada une liste contenant les numéros de téléphone, les numéros d'appartement, et tout le reste. Quiconque a déjà travaillé pour une campagne électorale le sait fort bien. Et, bien sûr, on les photocopie allègrement dans les bureaux de circonscription.

Le sénateur Prud'homme : Dans le monde réel dans lequel nous vivons, surtout ceux d'entre nous qui ont déjà été candidats à des élections — je l'ai été 10 fois — et dans l'atmosphère légale ou la stratosphère, il y a une grande nuance. Je vais vous donner deux exemples concrets qui vous permettront de comprendre les questions que je pourrais vous poser ensuite.

Une vieille dame a reçu une lettre très gentille d'un agent immobilier offrant ses services, le jour de son anniversaire. Elle m'a demandé : « Comment se fait-il qu'il a ma date de naissance? » Je ne crois pas que cet agent immobilier — qui a déjà été candidat dans le passé — envoie des lettres de cette nature aux jeunes gens ou aux jeunes couples. Nous avons le devoir de nous assurer qu'il n'y a aucun danger pour les personnes âgées, surtout dans l'exemple donné par le sénateur Joyal, qui peut exprimer ça mieux que moi.

Le deuxième exemple est celui d'un politicien qui téléphone chaque jour à des électeurs. Un jour, il s'en va dans une taverne d'hommes comme il en existe encore dans certains endroits et un type lui dit : « La prochaine fois que tu appelles ma femme pour lui souhaiter bon anniversaire, je te tue ». Il continue d'appeler chaque électeur chaque jour. C'est un bon ami mais je ne mentionnerais pas son nom même si ce n'était pas le cas. C'est fascinant. J'avais du mal à croire qu'il consacrait tout ce temps à ça mais ça lui réussit extrêmement bien.

Ne riez pas, les jeunes, je pourrais reprendre la politique active. Un parlementaire organisé — pour ne pas dire un politicien — pourrait faire bon usage de cette liste. En tant que parlementaire, il aurait légalement le droit de l'obtenir. En fait, tout ce qu'il aurait à faire, ce serait de demander à quelqu'un de se présenter comme candidat indépendant et de lui donner toutes les informations nécessaires. Ça pourrait être très précieux.

Vous pouvez prendre note et essayer de convaincre votre ministre en privé. En tant qu'indépendant, je voterai en faveur d'un amendement si l'on en présente un au Sénat.

Le sénateur Nolin : Je voudrais revenir sur l'exemple du sénateur Prud'homme. Considérant l'article 19, peut-on conclure que les deux messieurs dont il a parlé ont contrevenu aux dispositions du paragraphe 110(3) de la loi?

Pour exprimer la même chose autrement, un candidat ne peut pas se servir d'une liste électorale en dehors de la période électorale.

Mme Kim : Vous avez raison. Peut-être pas la période électorale mais les raisons pour lesquelles on peut utiliser les listes électorales sont explicitées. Dans le cas d'un candidat, ça comprend communiquer avec les électeurs.

Le sénateur Nolin : Voici ce que dit le paragraphe (3) :

Les candidats qui [...] reçoivent copie des listes électorales [...] peuvent les utiliser, en période électorale, pour communiquer avec leurs électeurs [...]

Mme Kim : Si vous lisez les paragraphes précédents de l'article 110, on y précise ce que les partis peuvent faire de la liste, par exemple la liste annuelle.

Le sénateur Nolin : C'est le parti, pas le candidat.

Mme Kim : Dans le cas d'un candidat, vous avez raison.

Le sénateur Nolin : Le candidat ne peut pas utiliser la liste en dehors de la période électorale. Les deux exemples mentionnés par le sénateur Prud'homme constituent des infractions à la loi, n'est-ce pas?

Mme Kim : Je crois.

Le sénateur Nolin : Maintenant, ils seraient passibles d'une amende de 1 000 $.

Le sénateur Prud'homme : Quand débute exactement la période électorale? À l'émission du bref ou quand on devient candidat? On peut devenir candidat un an et demi avant l'élection et, du point de vue électoral, on est candidat. Si je me trompe, je serais ravi que vous me corrigiez.

Mme Kim : En vertu de la loi, je crois que la période électorale débute à l'émission du bref et que les candidats ne peuvent être confirmés qu'entre l'émission du bref et la clôture des candidatures. Cette définition est seulement pour la période électorale.

Le président : Au nom du comité, je tiens à vous remercier tous les trois d'être restés après le départ du ministre pour répondre à beaucoup de questions difficiles. Vous avez fait un excellent travail et nous vous en remercions. Comme vous le savez, nous accueillerons d'autres témoins la semaine prochaine pour essayer de jeter un peu plus de lumière sur toutes ces questions. Les informations que vous nous avez données nous permettront d'être mieux préparés pour la semaine prochaine.

La séance est levée.


Haut de page