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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 28 - Témoignages du 17 mai 2007


OTTAWA, le jeudi 17 mai 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, se réunit aujourd'hui, à 10 h 47, pour en étudier la teneur.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, notre Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est ici aujourd'hui pour poursuivre son étude du projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

Le projet de loi C-31 propose toute une série de mesures dont l'objectif est d'accroître l'exactitude des renseignements concernant le scrutin et de prévenir ou réduire au minimum les risques de fraude dans le cadre du processus électoral. Il vise à améliorer la façon dont les renseignements personnels des électeurs sont recueillis, incorporés au registre national des électeurs et finalement mis à la disposition des agents de scrutin ainsi qu'aux candidats et à leurs représentants, en période électorale et entre les élections. Il introduira également, au niveau fédéral, l'exigence que les électeurs fournissent des pièces d'identité aux bureaux de scrutin avant d'exercer leur droit de vote.

Le projet de loi C-31 a été rédigé en fonction des recommandations faites par le directeur général des élections à la suite de la 38e élection générale. Il vise à incorporer certaines de ces mesures, ainsi que d'autres mesures proposées par le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre, et il s'appuie sur trois thèmes essentiels et interreliés : premièrement, l'intégrité et l'exactitude du Registre national des électeurs; deuxièmement, l'identification des électeurs aux bureaux de scrutin; et troisièmement, la fraude électorale.

Pour nous parler plus en détail de ces questions, j'ai le plaisir d'accueillir Mme Jennifer Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Avant sa nomination, en décembre 2003, Mme Stoddard assumait la présidence de la Commission d'accès à l'information du Québec, un organisme responsable de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels. Elle a été titulaire de hautes fonctions dans l'administration publique des gouvernements du Québec et du Canada, notamment aux commissions canadienne et québécoise des droits de la personne.

Mme Stoddart s'est engagée activement auprès de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien de l'administration de la justice, et elle a donné des conférences sur l'histoire et les sciences juridiques à l'Université du Québec à Montréal et à l'Université McGill.

Aujourd'hui, nous avons également parmi nous M. Ken Anderson, commissaire adjoint à la protection de la vie privée au Bureau du commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario. M. Anderson a enseigné le droit relatif au respect de la vie privée à l'école de droit de l'Université d'Ottawa pendant trois ans et donne souvent des conférences sur des questions liées à l'accès à l'information et à la protection des renseignements personnels. M. Anderson et Mme Stoddart sont accompagnés de Lisa Campbell, conseillère juridique principale des Services juridiques du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Jennifer Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : J'aimerais vous présenter Carman Baggaley, analyste principal de recherche stratégique, qui m'accompagne.

Honorables sénateurs, vous avez reçu la lettre que je vous ai envoyée; par conséquent, mes remarques seront brèves. Comme l'a dit le président dans sa déclaration d'ouverture, dans un régime démocratique, il nous faut trouver un équilibre entre les divers effets et implications de nombreux droits. Dans le préambule du projet de loi que vous étudiez, nous parlons précisément de prévenir la fraude électorale et d'assurer l'intégrité de notre processus électoral.

Le droit de vote est évidemment au cœur même de notre démocratie, mais le droit à la vie privée l'est également. Bien que celui-ci ne soit pas un droit désigné, il est reconnu par nos tribunaux et par nos valeurs canadiennes en général. Quoi qu'il en soit, pour pouvoir jouir de ces deux droits, il nous faut un système qui favorise leur respect. Les électeurs canadiens doivent avoir l'assurance que la fraude ne compromettra pas et n'annulera pas leurs votes. Cela dit, nous devons aussi être confiants que dans le cadre du processus électoral, nos droits relatifs à la vie privée et au contrôle de nos renseignements personnels seront respectés.

Nous nous soucions de permettre aux Canadiens de tous les milieux et de toutes les origines à voter, et de les encourager à le faire. Honorables sénateurs, je vous demande si, sous sa forme actuelle, la loi encourage les Canadiens à voter, ou soulève plutôt de sérieuses questions à propos de l'utilisation possible des renseignements personnels qu'ils seront forcés de transmettre en vue de leur inscription sur la liste électorale permanente.

Certains détails du projet de loi m'inquiètent, dont la création et la distribution à grande échelle d'un identificateur unique accompagné de la date de naissance, puisque ces deux données constituent de l'information très sensible. La création d'un identificateur unique dans notre système national d'identification des électeurs pourrait accroître les risques de vol d'identité. Si cet identificateur devait être le numéro d'assurance sociale, il y aurait une distribution généralisée de cette donnée ainsi que de la date de naissance des Canadiens. Comme vous le savez, ces renseignements sont les clés classiques du processus d'authentification, et constituent donc une part importante de nos renseignements personnels les plus étroitement gardés. On pourrait utiliser un autre identificateur, mais le problème demeure.

On pourrait à tout le moins prendre des mesures pour tenir un identificateur unique distinct et séparé des autres renseignements personnels des électeurs. Or, je ne vois rien en ce sens dans le projet de loi sous sa forme actuelle.

L'inclusion de la date de naissance dans les listes électorales transmises aux députés, aux candidats — anciens et actuels — et aux partis politiques constitue, telle qu'elle est prévue actuellement, une intrusion abusive dans la vie privée des Canadiens. Pour pouvoir voter et assurer l'intégrité du processus électoral, il ne m'apparaît pas nécessaire que nous renoncions à nos droits relatifs à la protection des renseignements personnels, à moins qu'on ait pu démontrer qu'un tel renoncement est justifié.

J'ai examiné les témoignages qui ont été faits tant devant le comité de la Chambre des communes qu'ici, et on n'y faisait pas état de fraude et de corruption généralisées dans le système électoral canadien. C'est pourquoi, sans tirer de conclusion, je demande s'il est nécessaire d'aller aussi loin avec ces mesures, compte tenu des problèmes qui en découleront.

Je ne prétendrai pas que la fraude électorale n'existe pas et n'a jamais existé au Canada, mais je pense qu'on pourrait régler le problème adéquatement au moyen de certaines dispositions de ce projet de loi, qui prévoient l'exigence que les électeurs présentent une certaine pièce d'identité du gouvernement avec photo, ou l'un des autres identificateurs possibles.

[Français]

Je vous souligne que le vol d'identité est actuellement un problème aigu au Canada.

Vous savez sans doute qu'à la Chambre des communes, le Comité d'éthique et de renseignement personnel et d'accès à l'information vient de se pencher sur la question du vol d'identité.

Vous en étiez les premiers témoins et nous avons souligné à quel point ce problème est répandu non seulement au Canada mais ailleurs. Il s'agit d'un problème global et un problème sur lequel nous n'avons malheureusement pas assez d'informations. Comment c'est créé, qui le perpétue et quelles mesures exactes devrions-nous prendre.

Dans ce contexte, présenter un projet de loi, qui fait en sorte qu'on répande des renseignements sensibles tels que la date de naissance, comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est la clé de beaucoup de choses, que ce soit nos cartes de crédit, nos retours d'impôt, et cetera, et un numéro d'identité encore à définir, ne fait que potentiellement aggraver la vulnérabilité de tous ces électeurs qui verront dorénavant répandre à un plus grand nombre de personnes toutes ces informations.

J'attire votre attention sur un autre problème. Je crois que mon collègue ontarien a des choses très intéressantes à dire à ce sujet. Les sanctions que nous pouvons identifier actuellement dans la loi fédérale sont parmi les moins onéreuses de toutes les juridictions canadiennes en cas de mauvaise utilisation des renseignements personnels. Plusieurs provinces semblent être plus sévères dans les sanctions et dans les amendes qu'ils peuvent appliquer aux gens qui utilisent à mauvais escient les informations personnelles qui leur sont confiées.

De plus, cette loi semble surtout s'appliquer aux agents officiels des élections ou aux candidats et non pas à toutes les personnes qui peuvent — comme c'est notre coutume dans une démocratie — se joindre à un groupe pour travailler pour un candidat de leur choix lors des élections. Notre loi électorale dit peu de choses sur ces gens. On ne pense pas que les candidats aux élections peuvent être impliqués dans des vols d'identité. Toutefois, je me pose des questions sur toutes sortes de personne qui peuvent se joindre de façon conjoncturelle à un parti politique aux fins de l'élection et qui auront ainsi accès à ces renseignements personnels. La loi ne prévoit pas exactement leurs obligations et ce qui leur arrive en cas de mauvaise utilisation de ces renseignements personnels.

[Traduction]

En conclusion, dans sa forme actuelle, ce projet de loi présente clairement des problèmes au chapitre de la protection de la vie privée. Il ne tient pas compte du fait qu'on transmettra des renseignements personnels à un grand nombre de personnes dans le cadre du processus électoral. Il s'agit très probablement d'une réaction disproportionnée à un problème perçu, et je ne crois pas qu'on dispose de l'infrastructure administrative nécessaire pour garantir la protection des renseignements personnels qui seront diffusés.

Ken Anderson, commissaire adjoint (vie privée), Bureau du commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario : Honorables sénateurs, comme vous le savez, normalement, je ne témoignerais pas ici au sujet de ce projet de loi, étant donné que nous agissons au niveau provincial, mais comme on m'a invité, je me propose de vous renseigner sur ce qui se passe en Ontario et d'effectuer une comparaison avec ce qu'on propose dans le projet de loi C- 31.

Lorsqu'il fait des observations sur ces questions, notre Bureau s'appuie sur les préceptes ou les principes préconisés par le milieu de la protection de la vie privée. Les gens parlent souvent des pratiques équitables en matière de renseignements, qu'on retrouve partout dans le monde dans divers types de codes. Au Canada, on parle souvent du code type de l'Association canadienne de normalisation, l'une de nos lois fédérales en matière de renseignements personnels. En Europe, on applique d'autres codes qu'on a regroupés il y a un an en tant que normes internationales en matière de protection de la vie privée, et dont une caractéristique essentielle est la minimisation des données. Ce principe est en vigueur au sein du milieu de la protection de la vie privée et repose sur la notion du besoin de savoir. Vous prenez la plus petite quantité de renseignements nécessaires à une certaine fin et les fournissez uniquement aux gens qui ont besoin de les utiliser et qui les garderont dans un espace clos. Ensuite, vous examinez la collecte, l'utilisation et la divulgation des renseignements et voyez comment les gens procèdent. En Ontario, nous prenons ces principes, les confrontons à toutes les lois et transmettons nos commentaires.

Quelle est la situation en Ontario? Dans notre province, nous avons un système qui fait en sorte que si une authentification est exigée à un bureau de scrutin, on peut présenter une carte d'électeur reçue par la poste. Une disposition permet également à un directeur de scrutin de prouver sur-le-champ l'identité d'une personne. Actuellement, on n'est pas tenu de présenter une pièce d'identité, mais la situation est appelée à changer en Ontario. Une nouvelle loi est proposée, qui contient une exigence de montrer une pièce d'identification avec photo. Notre Bureau ne s'est pas opposé à cette nouvelle loi, car les renseignements seront utilisés au moment de voter et ne seront pas enregistrés. Si je montrais mon permis de conduire, on n'en ferait aucune photocopie et on ne consignerait pas l'information qui y figure. Je prouverais mon identité, puis je voterais.

Si je veux figurer sur la liste du registre permanent, il y a un hic. En Ontario, on tient deux listes. L'une est permanente et comprend tous les électeurs. Elle est mise à jour périodiquement et contient le nom, l'adresse de résidence, la date de naissance et le sexe des personnes. Le directeur général des élections utilise la date de naissance et le sexe pour s'assurer que c'est la bonne personne qui figure sur la liste de son Bureau. En présence d'homonymes, on s'assure d'avoir affaire à deux personnes distinctes, et lorsqu'on établit la liste des électeurs, on veille à y inscrire tous ceux qui sont admissibles en raison de leur âge. En entrant en période électorale, une liste des électeurs est dressée à partir de la liste permanente en excluant le sexe et de la date de naissance. Elle renferme uniquement le nom et l'adresse de résidence, et on la remet aux candidats, aux partis politiques, et cetera.

En Ontario, on n'a pas tenté de changer cela, même si on exigera une nouvelle pièce d'identification des électeurs au moment de voter. Rien n'est prévu en vue de transmettre les dates de naissance, alors notre Bureau n'a pas eu à se prononcer sur la question. La vie privée a été protégée comme il se doit.

En ce qui concerne le projet de loi C-31, nous partageons les inquiétudes de la commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Lorsqu'on remet des dates de naissance à un grand groupe de personnes, il y des risques d'usage inapproprié de l'information.

Nous avons également cette crainte, car en Ontario, un article de notre Loi électorale prévoit l'établissement, par le directeur général des élections, de lignes directrices ainsi que de normes d'utilisation de l'information fournie, et l'on s'y conforme. Je vous ai fourni des documents pour que vous puissiez les examiner. Chaque parti politique désigné met en place les politiques de gestion de l'information et les transmet au directeur général des élections. Celui-ci fournit seulement les renseignements aux personnes et aux partis qui se soumettent à ces directives de protection de l'information. Si l'on reçoit de l'information électronique du directeur général des élections de l'Ontario et que la liste est ensuite mise à jour, on doit retourner son ancien disque pour obtenir le nouveau. Il faut signer une déclaration selon laquelle on ne fera pas de copie de l'ancien disque. Une série de règles assez importantes sont en vigueur.

Nous vous recommandons de considérer attentivement cette idée de transmettre la date de naissance ainsi que de tenir compte de l'opinion de la commissaire à la protection de la vie privée quant à la nécessité d'une telle divulgation. Veuillez également vous interroger à savoir si le personnel électoral a ou non les outils appropriés pour traiter l'information adéquatement.

Le président : Merci beaucoup pour cette présentation. J'ai ici une longue liste d'honorables sénateurs qui veulent poser des questions. Madame Stoddart, à la page 2 de la lettre que vous nous avez envoyée, vous dites ce qui suit :

Je m'inquiète de cette nouvelle communication de la date de naissance par le biais des listes électorales fournies aux candidats et aux partis politiques. Je ne comprends pas comment une telle communication de la date de naissance des électeurs contribuerait à protéger ou à améliorer l'intégrité du processus électoral.

[...] la communication de la date de naissance des électeurs aux politiciens à des fins de ciblage des commettants n'est pas une utilisation qui contribue à la protection du système électoral ni une utilisation à laquelle un électeur peut raisonnablement s'attendre lorsqu'il fait mettre son nom sur la liste électorale.

Votre lettre n'indique aucune modification que vous souhaiteriez voir apporter à cette mesure législative, s'il y a lieu. Qu'aimeriez-vous qu'on change au projet de loi C-31 pour apaiser ces craintes et préoccupations?

Mme Stoddart : Le modèle que le commissaire Anderson vient de nous décrire est utile. Si la date de naissance a nécessairement son utilité pour le registre national des électeurs, c'est un sous-ensemble de renseignements, qui ne comprendrait pas la date de naissance en entier ni un certain type d'identificateur, qu'on devrait diffuser plus largement à des fins d'identification. Il faudrait que les spécialistes en matière d'administration du processus électoral déterminent quelle information devrait être gardée par le directeur général des élections, qui possède un dossier sans tache en matière de conservation sécuritaire des renseignements. L'information distribuée devrait constituer un sous-ensemble de ces renseignements sensibles.

Deuxièmement, il devrait y avoir des mesures très spécifiques qui fourniraient un cadre en matière de diffusion de n'importe quelle information du directeur général aux représentants élus et à tous ceux ayant accès à n'importe quel genre de renseignements. Pour un fraudeur, le système est organisé d'une façon très utile, soit par ordre alphabétique, soit selon les adresses sous une forme séquentielle, en fonction des zones géographiques constituant une circonscription. Avec un peu d'imagination et de mauvaises intentions, on pourrait faire des merveilles.

Nous devrions prévoir une série de mesures visant à conserver la trace des personnes à qui cette information est fournie et des gens qui y ont accès, ainsi qu'à surveiller les conditions des principes de minimisation des données auxquelles M. Anderson a fait référence.

Enfin, j'ai été surprise en comparant rapidement les sanctions prévues dans la Loi électorale du Canada en matière de violations électorales à celles des provinces. Ce type d'information revêt un caractère sensible. La Loi électorale du Canada remonte à une époque lointaine où le vol d'identité et la transmission électronique d'information n'étaient pas le phénomène qu'ils représentent aujourd'hui.

Nous devrions chercher à accroître les sanctions en vertu de la Loi électorale du Canada pour le mauvais emploi de renseignements personnels, à la lumière des informations fournies par le directeur général des élections.

Le président : Vos recommandations doivent-elles figurer dans la loi ou pourraient-elles être appliquées en vertu de règlements?

Mme Stoddart : Mon personnel et moi n'avons pas examiné la question. Je ne connais pas très bien les règlements; ce pourrait être une solution. Il est préoccupant de voir que ces dispositions n'apparaissent pas dans la loi, mais elles pourraient peut-être figurer dans les règlements.

Le sénateur Baker : Nous avons un sérieux problème. En effet, le Sénat est saisi de ce projet de loi et vous, en tant que commissaire à la protection de la vie privée, avez été identifiée par le ministre comme la personne qui ne s'opposait pas à son contenu.

J'aimerais vous renvoyer au témoignage que le ministre lui-même a fait devant ce comité. Il a dit, il y a quelques jours :

J'ai tenu compte aussi du témoignage de la Commissaire à la protection de la vie privée devant le comité. Invitée à dire si l'intégration de la date de naissance lui posait un problème du point de vue de la protection de la vie privée, elle a répondu, le mercredi 14 juin : « Je ne suis ni pour ni contre ».

Elle n'avait pas d'opinion. Telle était sa position.

Puis, le ministre van Loan a fait référence à une question que Michel Guimond, du Bloc québécois, vous a posée :

Vous ne voyez pas de problème légal relativement aux lois que vous gérez. Est-ce exact?

Jennifer Stoddart a répondu : « C'est exact ».

Puis, le ministre dit :

À son avis, il n'y avait pas de problème du point de vue de la protection de la vie privée et c'est elle qui est Commissaire à la protection de la vie privée. Si elle avait pensé le contraire, je me serais interrogé.

De mémoire, pourriez-vous nous dire si le ministre a tenu des propos exacts?

Mme Stoddart : Cette discussion, si je me souviens bien, a eu lieu il y a environ un an, et elle était largement théorique et contextuelle. À l'époque, j'ai répondu qu'on devait considérer chaque élément d'information personnelle dans le contexte particulier de son utilisation et, en règle générale, l'utilisation d'identificateurs plus sensibles devrait idéalement répondre à un véritable besoin. Il y a également le problème dont les honorables sénateurs sont conscients, c'est-à-dire que les diverses provinces adoptent différentes approches face à ces questions.

À la suite de mon témoignage, si ma mémoire est bonne, j'ai clarifié ma position dans une lettre de suivi, pour réitérer ma préoccupation à l'égard de l'utilisation d'identificateurs sensibles dans un contexte où ils pourraient être diffusés à grande échelle.

Le sénateur Baker : Le directeur général des élections a comparu devant le comité hier. Il a dit qu'il n'existait aucune garantie de sécurité, et que lui-même n'avait aucun contrôle. Il ne pourrait garantir aucun mécanisme de protection si ce projet de loi était adopté dans sa forme actuelle en ce qui a trait à la protection de renseignements personnels comme la date de naissance. Par conséquent, la norme nous permettant de juger s'il y a lieu de fournir une information a fait l'objet de commentaires négatifs de la part du directeur général des élections, qui a affirmé qu'on ne pourra assurer aucune protection en matière de renseignements si ce projet de loi est adopté tel quel.

Vous vous souviendrez qu'il s'agit là de la norme établie par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire relative au commissaire à la vie privée, en 2000, où l'on a renversé une décision de la Cour fédérale en tranchant que tant qu'il y aurait une garantie de sécurité et que des mécanismes de protection seraient en place, le ministre responsable des douanes pourrait accéder à l'information fournie par la Commission de l'assurance-emploi. Mais le directeur général des élections a prétendu le contraire en affirmant qu'il n'y avait pas de garantie sécurité.

Maintenant, laissez-moi continuer avec ce que le ministre a dit en faisant référence à vous. Le sénateur Stratton a demandé : « Si quelqu'un possède la date de naissance et le nom de la personne, n'y a-t-il pas un risque de vol d'identité? »

M. Van Loan a répliqué : « Le comité était conscient de ce problème et c'est pourquoi il l'a soulevé devant la commissaire à la protection de la vie privée. »

Il poursuit ainsi : « J'ai sous les yeux le témoignage de la commissaire à la protection de la vie privée. J'ai vu la correspondance qu'elle a envoyée. »

Je suis alors intervenu en disant : « Elle a peut-être changé d'avis. »

Le ministre Van Loan a répondu : « Je n'en sais rien. »

Cet échange a eu lieu il y a quelques jours.

Ensuite, le sénateur Joyal nous a parlé de la Charte; il est un expert reconnu en la matière. En réponse à l'une de ses questions, le ministre a déclaré :

C'est quelque chose que la commissaire à la protection de la vie privée avait recommandé. Elle avait dit que cette décision doit être prise par la Chambre des communes parce qu'elle relève légitimement de sa responsabilité.

Nous sommes donc en présence d'un problème de communication. N'êtes-vous pas de cet avis? Le ministre a-t-il raison de faire référence à vous de manière répétée en affirmant que vous appuyez ce projet de loi dans sa forme actuelle, avec les dispositions sur la date de naissance et tout le reste?

Mme Stoddart : Encore une fois, honorable sénateur, vous avez devant vous une copie de ma lettre au comité sénatorial. Je pense qu'il s'est créé, peut-être avec le passage du temps, un peu de confusion. Au printemps dernier, lorsque j'ai comparu devant le comité en compagnie du directeur général des élections de l'époque, je crois, je n'ai pas, autant que je me souvienne, fait de remarque sur le présent projet de loi. Il s'agissait davantage d'une discussion générale au sujet de questions portant sur l'identification des électeurs, notamment.

Par ailleurs, je crois que la deuxième partie de votre question concerne le problème relatif aux mesures de protection.

Le sénateur Baker : J'ai seulement fait la remarque que le directeur général des élections avait affirmé que de telles mesures étaient absentes.

Mme Stoddart : Vous n'avez pas besoin d'une réponse; très bien.

Le sénateur Baker : Laissez-moi vous poser une dernière question. Le président, en tant qu'ancien professeur de droit, veille au grain pour ce qui est de nos interventions.

J'étais député et je siégeais à un comité au cours des années 1970, ou au début des années 1980, lorsqu'on a adopté la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je faisais partie du Comité de la justice à l'époque, et je me souviens que cette loi contenait une mesure de protection. Je présume qu'elle y est encore. Je ne pense pas que cette loi ait changé au fil des ans. Ici, je fais allusion à l'article 39.

Mme Stoddart : Vous avez tout à fait raison, honorable sénateur : elle n'a pas changé, et c'est là tout le problème. Certes, la Loi sur la protection des renseignements personnels enjoint tous ceux qui, au gouvernement fédéral, détiennent des renseignements personnels sur les Canadiens, de traiter ces informations avec soin et de les garder confidentielles, sauf dans des circonstances particulières.

Mais cette disposition ne va pas, cependant, jusqu'à combler le vide dont je viens de vous parler en ce qui a trait à la Loi électorale du Canada et à ses amendements, que vous avez maintenant devant vous dans le projet de loi C-31. Je demeure préoccupée par le fait que les mesures de protection particulières en sont absentes.

J'attire également l'attention des honorables sénateurs sur le fait que j'ai demandé avec insistance l'abrogation ou la révision de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je pense que le comité de la Chambre des communes, qui en est saisi, l'examinera à l'automne. Cette Loi ne correspond pas aux normes actuelles de protection des données; je l'ai dit très souvent. Je ne pense pas qu'elle soit le régime exemplaire auquel les Canadiens devraient se référer en ce moment.

Le sénateur Baker : Je dois vous féliciter. Vous accomplissez un travail admirable dans le cadre de vos fonctions, tout comme votre personnel et M. Anderson.

Le problème est que nous avons un projet de loi. Nous pouvons l'amender. Il est fort probable qu'il sera rejeté à la Chambre des communes, mais il y a aussi une très mince possibilité qu'on l'adopte. Dans votre loi figure une disposition qui vous permet de prendre des mesures en cas d'urgence et, dans ce cas-ci, il me semble qu'il y a bel et bien urgence. On se trompe grandement quant au rôle que vous jouez. Dans cette loi se trouve une disposition, l'article 39, qui stipule que vous pouvez faire rapport au Parlement dans des circonstances exceptionnelles. En situation d'urgence, vous pouvez écrire au Parlement une lettre adressée aux Présidents du Sénat et de la Chambre des communes en vue de corriger cette interprétation tout à fait erronée que le ministre fait de votre poste.

Pourriez-vous envisager de recourir à ce mécanisme? Tout le monde semble se cacher derrière vous, c'est-à-dire derrière ce témoignage que je vous ai lu. Seriez-vous prête à recourir à l'article 39 de la Loi pour affirmer très clairement que vous n'approuvez pas cette disposition concernant la date de naissance, et que vous avez de sérieuses inquiétudes à ce sujet?

Mme Stoddart : Je pensais l'avoir déjà dit haut et fort. J'ai exprimé très clairement par écrit, et à diverses reprises au cours des derniers mois, que j'avais de sérieuses réserves, mais je vais tenir compte de vos suggestions.

Le président : Avant de céder la parole au sénateur Fraser, j'aimerais revenir sur un point. En réponse à une question du sénateur Baker, vous avez dit avoir envoyé une lettre de suivi où vous vous expliquiez.

J'ai devant moi, maintenant, une lettre datée du 15 février 2007 que vous avez envoyée à l'honorable Paul Dewar, député à la Chambre des communes. Dans le fond et dans la forme, cette lettre est très semblable à celle que vous avez fait parvenir à notre comité.

Est-ce à cette lettre que vous avez reporté le sénateur Baker?

Mme Stoddart : Oui.

Le président : Je vais donc la déposer.

Mme Stoddart : Je pense qu'elle dit la même chose.

Le président : J'en ai les versions anglaise et française.

Le sénateur Joyal : Si je me souviens bien, le ministre a fait référence à une lettre antérieure, datée de juin. Ainsi, d'après ce que je comprends, nous avons maintenant trois lettres de la commissaire à la protection des renseignements personnels. Il y a une lettre de sa part datée de juin, que le ministre Anderson a citée dans ses remarques préliminaires; la lettre du 15 février; et maintenant, celle du mois de mai.

Pourrions-nous voir celle de juin, à laquelle le ministre a fait allusion?

Mme Stoddart : En fait, j'ai envoyé une lettre le 15 juin au Président de la Chambre, et j'en ai des copies anglaise et française. Au début, je n'arrivais pas à la trouver, alors j'ai pensé que je m'étais peut-être trompée.

Le président : Verriez-vous un inconvénient à la déposer ou à nous la laisser dans ses deux versions, l'anglaise et la française?

Mme Stoddart : Oui; elle a été envoyée au président du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.

Le sénateur Fraser : Madame Stoddart, bon retour parmi nous. Je pars du point de vue que la fraude électorale est plus facile, et par conséquent peut-être plus répandue au Canada que nous voulons bien le croire.

Au cours de diverses campagnes électorales depuis mon entrée en poste comme sénateur, je me suis assise de façon quotidienne pour faire des appels, en travaillant à partir de la liste électorale. Chaque page, en moyenne, contenait le nom d'au moins une personne décédée ou déménagée. Parfois, quand vous appeliez à un numéro et que vous demandiez à parler à John Jones, Mme Jones devenait très fâchée et disait que son mari était décédé dix ans plus tôt, qu'elle avait tenté de faire retirer définitivement son nom de cette liste, mais qu'on ne semblait pas vouloir le faire.

De toute évidence, quelque part dans le vaste royaume du Canada, une personne quelque peu mal intentionnée pourrait utiliser cette information et se présenter à un bureau de scrutin en prétendant être John Jones — et je ne peux croire que cela n'arrive jamais. De la même façon, avec toutes les cartes qui sont envoyées aux électeurs, dont beaucoup sont déménagés, particulièrement dans les centres urbains, il suffit de se dire : « John Jones n'habite plus ici; je vais tenter de voter sous son nom, ou permettre à quelqu'un que je connais de le faire. »

Le problème, bien évidemment, c'est que personne ne peut savoir dans quelle mesure le problème est réel, en pratique. Il est certain qu'il me semble y avoir d'infinies possibilités d'abuser du système. Je ne pense pas révéler de secret aux quelques Canadiens malhonnêtes qui voudraient le faire.

Au départ, j'étais convaincu qu'il nous faudrait probablement des procédures assez rigoureuses de vérification de l'identité. Les arguments posés au sujet du vol d'identité sont intéressants, et la question de la date de naissance est, de toute évidence, très préoccupante.

Mon attention s'est ensuite tournée vers le nouvel identificateur. Vous avez soulevé la possibilité qu'il puisse être dans le numéro d'assurance sociale. Bien que le projet de loi ne soit pas très clair là-dessus, je ne pense pas que ce soit possible, parce que ce qu'il dit, c'est que les électeurs inscrits doivent aussi avoir, chacun, un identificateur unique et généré de façon aléatoire qui est assigné par le directeur général des élections. On sait que ce n'est pas le directeur général des élections qui assigne le numéro d'assurance sociale. Il me semble que ce devrait être quelque chose de nouveau si c'est le directeur général des élections qui doit l'assigner. Toutefois, la proposition veut que cet identificateur ne soit pas seulement sur le registre, mais aussi sur la liste. Je ne trouve nulle part dans ce projet de loi de clause signifiant que l'électeur doit connaître son identificateur.

J'ai deux questions à poser. Tout d'abord, si l'électeur ne connaît pas son identificateur et qu'aucun document n'exige qu'il porte son identificateur permanent sur lui où qu'il aille au Canada, n'y a-t-il pas quelque chose qui ne va pas, un déni du droit de cette personne de savoir ce que le gouvernement sait à son sujet?

Si la personne a un numéro, est-ce qu'il doit être présenté avec une carte ou un autre document quelconque? Dans l'affirmative, est-ce que cela ouvre la porte à des abus des renseignements personnels? Voyez-vous où je veux en venir?

Je suis plutôt confus avec tout cela. J'aimerais bien que nous écrivions au directeur général des élections pour obtenir des réponses à certaines de ces questions sur ses intentions.

Entre-temps, madame Stoddart, pourriez-vous commenter un peu ces diverses énigmes?

Mme Stoddart : Je pense qu'il y a plusieurs énigmes. Leur résolution est très importante, et nous ne connaissons pas la réponse à certaines de ces questions qui sont soulevées.

Élections Canada est assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Bien que nous n'ayons pas réfléchi à la question, et que nous n'ayons pas eu à composer avec ce genre de situation, je ne vois pas pourquoi les Canadiens n'auraient pas accès à ces renseignements personnels.

Je vais demander à Mme Campbell de parler de cet aspect juridique particulier. Je pense que les électeurs devraient pouvoir y accéder, mais je n'en suis pas sûre.

Lisa Campbell, conseillère juridique principale, Services juridiques, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Bonjour sénateurs. Vous avez soulevé un bon élément.

Le projet de loi n'énonce pas clairement l'objet de cet identificateur unique. Plus précisément, s'il n'est pas communiqué aux électeurs, à quoi sert-il? Comment peut-il servir à vérifier l'identité? Nous n'en voyons pas clairement l'objet.

Nous avons exprimé le sérieux argument que s'il existe et s'il contient la clé de tous les renseignements personnels, il est très important de savoir à quoi il sert, comment il est stocké, et à qui il est révélé. Ce serait comme une clé d'accès à la date de naissance, au sexe et à l'adresse postale, ainsi qu'au nom au complet. Cela nous préoccupe, et nous avons besoin d'éclaircissement quant à l'utilisation qui en serait faite.

En ce qui concerne l'autre sujet que, je crois, vous avez soulevé, ce que nous disons c'est qu'avec l'obligation de présenter une pièce d'identité avec photo, il n'est pas nécessaire de déclarer la date de naissance, qui est déjà inscrite dans le registre national des électeurs. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Fraser : Oui. Je commence à penser que la pièce d'identité avec photo devrait faire l'affaire, surtout si elle comporte une adresse. Tout cela est extrêmement intéressant.

Le président : Le directeur général des élections est parvenu à la même conclusion. Le problème, c'est qu'est-ce qu'on fait si on est sans abri et qu'on n'a pas de permis de conduire ou quelque chose qui peut constituer une pièce d'identité avec photo? Qu'arrive-t-il?

Mme Campbell : Je pense que le projet de loi prévoit ce genre de situations, pour les personnes sans abri ou en transit. Il y a d'autres situations possibles.

Le président : Est-ce qu'on peut se porter garant pour elle?

Mme Campbell : Oui.

Le sénateur Jaffer : Monsieur Anderson, lors des dernières élections au Québec, il y a eu le problème des femmes qui se couvrent le visage de leur voile. La province a clairement dit que ces femmes devraient découvrir leur visage pour être identifiées et pouvoir se prévaloir de leur droit de vote. Je pense que vous auriez un plus grand problème en Ontario si vous décidiez d'en faire autant. Est-ce que vous avez pensé à ce problème? Comment allez-vous composer avec lui?

M. Anderson : Non, nous n'avons pas pensé à ce problème. Ce n'est pas qu'il ne nous intéresse pas, mais il ne s'est pas encore présenté pour nous. Dans nos entretiens avec le directeur général des élections, nous n'avons pas consacré de temps à cette question. Je regrette, mais je n'ai pas de réponse utile à vous donner.

Le sénateur Jaffer : Peut-être pouvons-nous commencer le dialogue en disant que, en ce qui concerne les pièces d'identité avec photo, si une femme vient voter avec le visage couvert, je suppose que vous devrez réfléchir à la manière dont vous réglerez cela. Est-ce que je vous comprends bien?

M. Anderson : Oui. Mme Stoddart m'en a parlé ce matin, avant notre venue, Nous n'avons pas examiné cette question. Par conséquent, je regrette de ne pas pouvoir vous fournir de renseignement utile, mais je vous remercie pour votre proposition. Il faudra que j'en fasse part à mon bureau pour que nous y réfléchissions.

Le président : C'est une question extrêmement importante, sénateur Jaffer. Merci.

Le sénateur Joyal : Je souhaite la bienvenue à tous les témoins.

En réponse à une question du président, vous avez évité de vous prononcer sur le poids qu'il faudrait donner à la recommandation que vous avez faite d'améliorer le projet de loi. Le président a émis la possibilité de la réglementation.

L'article 5 du projet de loi, à la page 2, qui modifie les paragraphes 45(1) à 45(3) de la Loi électorale du Canada, stipule :

Au plus tard le 15 novembre de chaque année, le directeur général des élections envoie aux députés de chaque circonscription et, sur demande, à chaque parti enregistré et ayant soutenu un candidat lors de la dernière élection, une copie sous forme électronique — tirée du Registre des électeurs — des listes électorales de la circonscription.

C'est une obligation qui incombe au directeur général des élections d'envoyer la liste électorale sous forme électronique.

Plus loin, au paragraphe 45(2) qui est proposé, on lit :

Ces listes comportent, pour chaque électeur, ses nom, prénoms, adresses municipale et postale, la date de naissance ainsi que l'identificateur qui lui a été attribué [...]

Je répète « Ces listes comportent, pour chaque électeur [...] » Autrement dit, c'est une obligation. Il est difficile de croire que nous allons, au moyen d'un règlement, modifier l'obligation imposée au directeur général des élections. Cela me semble pas mal évident. Dans la Loi 101, on apprend qu'on ne peut modifier une loi avec un règlement. Si nous voulions éviter la distribution des dates de naissance, par exemple, il faudrait modifier la loi. Je ne pense pas qu'il y ait deux façons de s'y prendre.

Mme Stoddart : Je pense que vous avez répondu à votre propre question, sénateur. Nous comprenons tous qu'un règlement ne peut modifier la loi de fond.

Je ne sais pas quel pouvoir de réglementer est lié à la Loi électorale du Canada, mais il doit être possible d'y intégrer certaines des choses dont parlait M. Anderson en Ontario, c'est-à-dire des lignes directrices et les conditions dans lesquelles ces renseignements sont partagés et, de manière plus détaillée, avec qui. C'est probablement tout ce que nous pourrions faire avec le règlement, si toutefois un tel pouvoir de réglementer existe.

Le président : C'est aussi une question que j'ai posée, et c'est la réponse que vous avez fournie.

Le sénateur Joyal : Allons encore plus loin. L'article 9, à la page 4 du projet de loi, modifie l'article 55 de la Loi électorale du Canada. Il stipule :

Le directeur général des élections peut conclure avec tout organisme chargé, au titre d'une loi provinciale, d'établir une liste électorale [...]

Remarquez « [...] peut conclure [...] »

Le paragraphe 2 qui est proposé stipule :

Il assortit l'accord de conditions relatives à l'utilisation et à la protection des renseignements personnels communiqués.

Par conséquent, quand le directeur général des élections conclut une entente avec une province, il peut restreindre l'utilisation de la liste en imposant des conditions, mais quand il donne la liste à un parti fédéral enregistré, un candidat ou un député, il ne peut, d'après cette loi, imposer le même type de restrictions.

Vous suggérez d'imposer des restrictions sur l'utilisation des données comme le fait l'Ontario, ce qui est un juste compromis. La date de naissance, par exemple, est fournie aux fins d'établissement de la liste, mais quand la liste est remise à un candidat ou à un parti, elle en est omise. Cette date ne sert qu'à l'établissement de la liste au Bureau du directeur général des élections.

Ceci limitera le risque de vol d'identité et maintiendra la protection de l'élément raisonnable, conformément à l'article 1 de la Charte, c'est-à-dire qu'on adopte les mesures proportionnelles à l'objectif que l'on vise.

Il me semble que l'article 55 qui est proposé est une bonne politique, mais l'article 45 ne semble pas offrir la même protection aux électeurs canadiens quand la liste est utilisée au niveau fédéral comparativement à quand elle est utilisée au niveau provincial. Il nous faudrait revoir cette approche pour réaliser votre recommandation, mais je ne vois pas comment nous pourrions le faire au moyen du règlement. La loi est claire en ce qui concerne la restriction de la capacité du directeur général des élections de transmettre à un parti ou à un candidat les renseignements qu'il a reçus.

Mme Stoddart : Je ne peux qu'être d'accord avec vous, sénateur. C'est aux spécialistes qu'il revient de se pencher sur l'envergure du pouvoir de réglementation. Cependant, le principe, c'est que quoi qu'il y ait dans la loi, ce ne peut être changé en profondeur par règlement.

Le sénateur Joyal : Ma dernière question concerne les pénalités accrues dont vous avez parlé, madame Stoddart, et aussi monsieur Anderson. La pénalité fédérale est la plus légère au Canada.

Le paragraphe 10(2) du projet de loi modifie l'article 56 de la Loi électorale du Canada. Il érige en infraction l'utilisation de la liste électorale de manière non appropriée. C'est à l'article 485 de la loi, qui stipule :

(1) Commet une infraction quiconque contrevient à l'alinéa 56e) [...]

L'article 500(1) de la loi stipule :

Quiconque commet une infraction visée à l'un ou l'autre des paragraphes 484(1) [...] est passible [...] d'une amende maximale de 1 000 $ et [...]

Il me semble qu'on ne peut pas non plus modifier l'amende au moyen du règlement. Il nous faudrait modifier la Loi électorale du Canada pour prévenir le vol d'identité du genre dont vous avez parlé, c'est-à-dire que c'est un risque additionnel, à en juger par les renseignements que contient la nouvelle Loi électorale du Canada. Je ne vois pas comment nous pourrions, par règlement, augmenter la pénalité prévue dans la loi aux articles 487 et 500 relativement à l'article 56 qui crée l'infraction en tant que telle.

Quel genre de pénalité jugeriez-vous suffisante pour dissuader les gens qui ont accès à la liste électorale, y compris, comme le disait le sénateur Fraser, quiconque a accès au quartier général d'un candidat à titre de bénévole?

Mme Stoddart : Je ne voudrais pas prendre le rôle du Sénat, qui devrait suggérer des réformes législatives en profondeur. En disant cela, je voulais seulement porter à votre attention le fait que ce projet de loi comporte des sanctions de très faible niveau.

Je n'ai pas étudié plus en profondeur ce que serait une amende appropriée, mais je crois qu'avec la prolifération de vols d'identité, nous devrions augmenter les amendes de 1 000 $ à un montant nettement plus élevé. C'est un problème social énorme. Nous n'avons pas fait d'étude détaillée, mais dans certaines provinces, certains types d'utilisations malveillantes des renseignements électoraux sont passibles d'amendes allant jusqu'à 50 000 $.

J'aimerais porter à votre attention le fait qu'une amende de 1 000 $ n'est pas un élément véritablement dissuasif comparativement à l'obtention de toute une série de renseignements, particulièrement en format électronique.

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous indiquer les amendes imposées au niveau provincial?

Mme Stoddart : Oui.

Carman Baggaley, analyste principal de recherche stratégique, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Très brièvement, nous avons fait une comparaison avec certaines autres lois. C'est l'Alberta qui impose l'amende maximale, 100 000 $. La Colombie-Britannique et le Manitoba imposent une amende maximale de 10 000 $ et la Colombie-Britannique prévoit une peine d'emprisonnement maximale de deux ans. Au moins trois provinces de l'Ouest, soit dit en passant, ont des amendes très importantes, pouvant aller jusqu'à 100 000 $. Nous pouvons vous fournir ces renseignements par écrit.

Mme Stoddart : Nous pouvons vous remettre ces renseignements, honorables sénateurs. Les documents sont dans une seule langue officielle, mais s'ils peuvent être utiles au comité, nous pouvons vous les remettre immédiatement.

M. Anderson : Vous verrez sur ce graphique que dans la version ontarienne de la Loi électorale, l'amende est de 5 000 $. Je ne peux recommander de chiffre valable, mais je peux vous dire que cela ne fait que quelques années que l'Ontario a adopté une loi pour la protection des renseignements personnels sur la santé. Ici, nous regardons les renseignements personnels des Ontariens, des Canadiens et nous nous demandons qu'arrive-t-il quand ces renseignements sont utilisés de façon malveillante? On constate dans cette loi sur la santé que l'assemblée législative de l'Ontario jugeait qu'une amende de 50 000 $ était une caractéristique importante.

Le sénateur Mahovlich : Je tiens à remercier les témoins d'être ici aujourd'hui.

Qu'est-il advenu de l'identification des personnes au moyen de leurs empreintes digitales? Existe-t-il au monde un système électoral qui utilise les empreintes digitales, ou est-ce trop personnel?

Mme Stoddart : Peut-être puis-je répondre rapidement, et le commissaire Anderson pourrait avoir quelque chose à ajouter.

J'espère bien que nous n'adopterons jamais un système électoral qui utilise nos empreintes digitales. En ma qualité de commissaire à la protection de la vie privée, je m'inquiète de plus en plus du nombre de types d'identificateurs que nous devrons utiliser dans notre quotidien et le quotidien, à mon avis, inclut vote. Chacun de ces identificateurs, à son tour, peut généralement être déjoué par quelques nouveaux progrès technologiques. Chacun de ces identificateurs technologiques, comme les empreintes digitales, pose ses propres problèmes de faux positif et de faux négatif dans les résultats. On peut avoir une personne qui vote avec les empreintes de quelqu'un d'autre, ou on peut aussi avoir le véritable propriétaire des empreintes qui ne se sent pas tellement bien ce jour-là et ses empreintes sont un peu différentes et il sera empêché de voter. Bien que cela semble intéressant, je pense que nous devrions prendre garde à ce type d'approche.

M. Anderson : Vous avez demandé si d'autres compétences dans le monde utilisaient cette méthode. Je n'ai pas fait de recherche sur le sujet, mais je suis sûr que vous êtes nombreux à avoir vu qu'il y a des endroits qui utilisent les empreintes digitales et d'autres marqueurs pour indiquer quand les citoyens ont voté. J'ai pensé que ce pouvait être, entre autres, pour mettre une marque sur le doigt, de manière à ce que non seulement, on laisse une empreinte, mais si quelqu'un revient voter une deuxième fois, on devrait voir qu'il y a déjà une marque sur son doigt. Il y avait une espèce de tache ou d'identité, ce qui nous ramène, sénateur Fraser, à cette notion de fraude.

Puisque l'on parle d'empreinte digitale, le problème avec ceci, honorables sénateurs, c'est que l'empreinte elle-même, comme le disait la commissaire Stoddart, pose beaucoup d'incertitudes au plan de la précision — l'empreinte biométrique elle-même, son utilisation et la manière de l'obtenir.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que la police les utilise pour l'identification?

M. Anderson : Les avocats au criminel, lors des procès, y consacrent aussi beaucoup de temps parce que ce type de procédé d'identification pose des problèmes de précision. Je suis votre pensée, mais elle nous mène à des conclusions différentes.

Pour tenter de régler le problème de l'identificateur biométrique direct, on adopte un modèle biométrique. Une fois qu'on a un modèle et qu'on peut être sûr de pouvoir reproduire fidèlement l'empreinte, l'étape suivante, c'est la présence d'un scanner au bureau de scrutin, et cetera. À ce point-là, le problème que pose l'utilisation des empreintes pour l'identification et l'authentification, c'est que l'on compare les données que l'on a à celles d'une base de données. Je suis sûr que la commissaire dirait « Oh oh, une base de données ». Il faut alors s'assurer de la précision de la base de données et du balayage. Ici, on entre dans le sujet des aéroports, où les passeports sont passés au scanner, et tous ces ennuis que posent les résultats donnant des faux positifs et des faux négatifs. Les lectures sont-elles bonnes? On entre dans la sphère de l'encodage biométrique, des données biométriques codées, et tout cela devient très compliqué et très coûteux. C'est une idée qui est mise à l'épreuve, mais je pense qu'elle comporte des problèmes.

Le sénateur Jaffer : Je suis originaire d'une circonscription dont les citoyens pouvaient donner leurs empreintes, mais c'était pour les gens qui ne savaient pas lire. Ce n'était pas une empreinte digitale, juste une pression sur le pouce pour ceux qui ne pouvaient signer. C'est différent d'une empreinte digitale.

M. Anderson : Oui.

Le sénateur Bryden : À votre avis, est-ce ce projet de loi encouragerait plus d'électeurs à voter?

Mme Stoddart : Je ne suis pas une spécialiste de la participation des électeurs. Peut-être le directeur général des élections pourrait-il revenir vous parler de la participation des électeurs.

J'ai bien soulevé la question que si les Canadiens ne se sentent pas trop sûrs de ce à quoi serviront leurs renseignements personnels et entre quelles mains ils passeront lors du processus électoral, cela ne fera certainement rien pour stimuler leur confiance dans le système.

M. Anderson : En Ontario, quelqu'un peut faire enlever son nom du registre permanent et de la liste électorale et quand même voter. Si on n'est pas à l'aise de savoir que les renseignements sur nous se trouvent dans ces documents, on peut les en faire supprimer. Il existe un mécanisme pour le faire. On peut se présenter au bureau de scrutin et produire une pièce d'identité quelconque, et voter. On ne perd pas le droit de vote. Ce qui m'inquiéterait, ce serait que beaucoup d'électeurs méfiants décident de faire supprimer leurs noms de la liste et se présentent pour voter au bureau de scrutin. S'il fallait vérifier l'authenticité de l'identité de tout le monde un par un, cela pourrait poser un problème.

Le sénateur Bryden : J'aimerais insister là-dessus, parce que je pense que c'est ce dont parlait le sénateur Jaffer hier soir. Nous avons eu une vidéoconférence avec Jim Quail de Vancouver, Mme Campbell, qui a dit que les électeurs peuvent se faire accompagner de personnes qui se portent garantes pour eux. Le sénateur Jaffer et M. Quail ont parlé du fait qu'on ne peut pas se porter garant pour plus d'une personne. C'est nettement en défaveur des sans-abri, des pauvres, des personnes âgées et des pensionnaires de foyers qui souffrent de handicaps physiques. On a donné l'exemple de personnes qui tiennent des soupes populaires et qui fréquentent ainsi continuellement des sans-abri et des pauvres, et qui les connaissent très bien. En vertu de ce projet de loi, ces gens-là ne pourraient pas se présenter accompagnés de dix sans-abri et dire « Oui, je vois ces personnes tous les jours, et elles sont bien qui elles disent être ».

Je pense que la conclusion qui a été tirée, c'est que c'est probablement une infraction aux droits et libertés protégés par la Charte que de nier aux citoyens leur droit de voter rien qu'à cause du libellé de la loi. Cependant, le fait reste que cela ne semble toujours avoir d'effet préjudiciable que sur les personnes les plus à risque, que ce soit parce qu'elles sont pauvres, handicapées ou sans abri, ou autre chose encore. Ces outils que nous inventons pour nous assurer que personne ne fasse d'erreur, que personne ne fraude le système en votant au nom d'une personne dont le nom a été pris sur une pierre tombale, sont au détriment des plus vulnérables de notre société.

Cela dit, madame Campbell, y a-t-il, dans ces amendements ou dans ce projet de loi, une disposition qui permet à ces personnes de voter comme elles l'ont fait dans le passé?

Mme Campbell : Le sénateur Bryden a raison. D'après l'article 143, les personnes qui ne sont pas munies de pièces d'identité adéquates peuvent prêter le serment prescrit, si elles sont accompagnées d'un répondant. Toutefois, la pratique des répondants en série est interdite. Autrement dit, une personne ne peut répondre de plus d'un électeur. La situation que vous invoquez pose des problèmes au niveau de la participation électorale, et aussi des personnes désavantagées sur le plan socioéconomique. Ce n'est pas la protection de la vie privée qui est en cause ici, mais les groupes socioéconomiquement désavantagés.

Le président : Madame Stoddart, monsieur Anderson, monsieur Baggaley et madame Campbell, vos exposés ont été fort utiles et informatifs. Au nom du comité, je tiens à vous remercier d'être venus nous rencontrer.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer au deuxième groupe de témoins. Nous accueillons deux représentants de l'Organisation nationale anti-pauvreté, ou l'ONAP : le directeur exécutif, M. Rob Rainer, et la directrice, Mme Cindy Buott. L'ONAP est une association non partisane sans but lucratif qui représente les intérêts des Canadiennes et des Canadiens à faible revenu. Le conseil d'administration, composé de bénévoles provenant de toutes les provinces et territoires du Canada, dirige et contrôle le travail de l'ONAP. Tous les membres du conseil vivent ou ont déjà vécu dans la pauvreté.

Nous recevons également Mme Sharon Polsky, directrice des politiques après de la Canadian Association of Professional Access and Privacy Administrators. La CAPAPA a pour mandat d'assurer le perfectionnement professionnel et la formation continue des personnes chargées de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels.

Rob Rainer, directeur exécutif, Organisation nationale anti-pauvreté (ONAP) : Nous tenons à remercier le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de nous avoir invités à commenter le projet de loi C- 31. Je vais vous dire quelques mots au sujet de l'ONAP et vous exposer brièvement nos vues sur le C-31. Mme Huot va vous parler de points plus précis.

L'ONAP a été fondée en 1971. Elle a pour mandat d'éliminer la pauvreté, pas seulement de la réduire. C'est un rêve que nous espérons un jour réaliser, mais un rêve qu'un pays aussi riche et prospère que le Canada se doit de poursuivre.

L'ONAP concentre ses efforts sur trois fronts en vue d'éliminer la pauvreté : d'abord, elle s'assure que les politiques fédérales et les décisions prises traduisent les préoccupations des personnes à faible revenu. Ensuite, elle s'attache à défendre les droits économiques et humains des personnes à faible revenu. Enfin, elle épaule les organisations locales et régionales afin que les intérêts des Canadiens et des Canadiennes à faible revenu soient pris en considération dans les processus de décision et d'élaboration des politiques de la collectivité. Les deux premières stratégies cadrent avec le sujet à l'étude aujourd'hui.

Si nous sommes ici, c'est pour exprimer les préoccupations des personnes à faible revenu qui craignent que le projet de loi C-31 ne les prive du droit, consacré par la Charte, d'élire les représentants de la Chambre des communes ou d'une assemblée législative. Nous voulons prôner l'adoption d'une approche plus solidaire à l'égard des électeurs, pour que les personnes qui risquent d'être privées du droit de voter soient mieux à même d'exercer ce droit que leur confère la Charte.

L'ONAP est la seule ONG nationale qui s'attaque aux problèmes liés à la pauvreté. Tous les membres du conseil d'administration vivent ou ont déjà vécu dans la pauvreté. Ils savent, par expérience, ce que veut dire le fait de vivre avec un revenu qui ne permet pas de répondre aux besoins fondamentaux. Ils savent également à quel point il est difficile d'obtenir des pièces d'identité, ou des documents qui permettent d'établir son identité et sa résidence.

L'ONAP a été fondée en 1971 dans le but d'aider les personnes comme celles qui font partie de notre conseil d'administration à faire entendre leur voix. L'ONAP s'intéresse aux questions comme la sécurité du revenu qui touchent ceux qui sont pris dans les mailles du filet de sécurité sociale malheureusement déchiré du Canada, ou qui passent au travers de celles-ci. Nous nous portons à la défense des plusieurs millions de personnes dont le revenu tombe bien en deçà, juste au-dessous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté au Canada. Il existe des signes tangibles que le filet de sécurité sociale est déchiré : la hausse du nombre de banques alimentaires au Canada. Il n'y en avait qu'une seule 1981. On en compte environ 650 aujourd'hui. Ajoutons à cela les sans-abri au Canada, une situation qui constitue une véritable tragédie et un scandale.

Autre sujet qui nous préoccupe profondément : l'accentuation apparente du phénomène d'exclusion sociale, ou le fait que certaines personnes sont effectivement exclues de toute participation active à la vie sociale en général, en raison de facteurs aliénants comme la pauvreté et l'écart de revenu grandissant entre ceux qui se trouvent au haut de l'échelle ou presque, et ceux qui se trouvent au bas ou presque au bas de l'échelle.

Par ailleurs, certains aspects du projet de loi C-31 encouragent l'exclusion sociale. Si le projet de loi obtient la sanction royale dans sa forme actuelle, nous croyons sincèrement qu'il va malheureusement, et c'est là un effet sans doute inattendu, marginaliser davantage les segments déjà lourdement marginalisés de la société canadienne : les sans- abris et les personnes à faible revenu qui pourraient avoir beaucoup de difficulté à respecter les exigences en matière de documentation pour pouvoir voter.

Cindy Buott, directrice, Organisation nationale anti-pauvreté (ONAP) : Je m'appelle Cindy Buott. Je m'occupe de défendre les intérêts des personnes à faible revenu depuis 10 ans. Je fais partie de diverses associations, dont l'ISAC et la Coalition pour la justice sociale.

Le projet de loi C-31 soulève, pour nous, quatre grandes préoccupations. Elles illustrent à quel point il va être plus difficile pour les sans-abris et les personnes à faible revenu d'exercer leur droit de vote.

Qu'entendons-nous d'abord par le sans-abrisme? Le sans-abrisme veut dire absence de logement. Il y a ce qu'on appelle le « sans-abrisme absolu » et le « sans-abrisme caché ». Quand on pense aux sans-abri, on songe aux personnes qui dorment dans la rue, dans des endroits publics comme les parcs du centre-ville, ou dans des refuges. Cette situation tient au fait que, dans le cas du sans-abrisme absolu, les personnes qui vivent dans la rue figurent parmi les sans-abri les plus visibles. Or, ils ne représenteraient que 20 p. 100 seulement de la population des sans-abri. Dans le cas du sans- abrisme caché, les personnes vivent dans des logements temporaires, chez des amis ou des membres de la famille, parce qu'ils ne peuvent se payer un logement. S'ils n'avaient pas accès à ce logement privé, ils vivraient dans la rue ou dans des refuges. Il est très difficile de calculer le nombre de personnes qui vivent ce genre de situation, car elles sont cachées. Elles comptent pour environ 80 p. 100 des sans-abri au Canada.

D'après l'Alliance pour mettre fin à l'itinérance, basée à Ottawa, environ 9 000 personnes ont eu recours à des refuges dans la capitale nationale en 2006. Il s'agit d'une hausse de près de 2 p. 100 par rapport à 2005. Parmi celles qui se sont retrouvées dans des refuges en 2005, 82 p. 100, soit environ 7 260 personnes, avaient l'âge de voter.

Le sans-abrisme constitue un problème criant dans les villes. Il est moins percutant dans les petites villes et dans les régions rurales, où les logements ont tendance à être plus abordables et où les services de soutien l'intérieur de la collectivité sont plus nombreux.

Si nous extrapolons les chiffres de la ville d'Ottawa et que nous les appliquons à l'ensemble du Canada, nous arrivons à la conclusion suivante : le Canada compte environ 250 000 sans-abri absolus, et 1 million de sans-abri cachés. Si nous partons du principe qu'il y a 1,25 million de sans-abri, en nous fondant sur les chiffres d'Ottawa, nous pouvons conclure qu'il y a environ 1 250 000 personnes au Canada qui n'ont pas de logement et qui sont en âge de voter. Manifestement, un très grand nombre de personnes pourraient être touchées de façon négative par les changements apportés au système électoral qui auraient pour effet de restreindre le droit de vote.

Nous avons des réserves à formuler au sujet de l'alinéa 143(2)a), qui porte sur la carte-photo d'identité. Obtenir un tel document peut être problématique pour les sans-abri et les personnes à faible revenu. Débourser entre 15 ou 20 $ pour une carte-photo d'identité peut être très difficile, surtout quand on n'a pas suffisamment d'argent pour le transport, le logement, la nourriture, ainsi de suite. J'ai moi-même vécu cette situation en tant que personne à faible revenu et intervenant. J'ai été confrontée à des obstacles parce que je n'avais pas de carte-photo d'identité.

Les choses simples que nous prenons pour acquis, soit obtenir une carte de bibliothèque ou un billet d'autobus, réserver une chambre d'hôtel, constituent des obstacles. Le fait d'exiger une carte-photo d'identité va causer de nombreux problèmes aux personnes à faible revenu. Cet obstacle va les empêcher ou les dissuader de voter.

Il y a un autre aspect de l'article 143 qui nous préoccupe : la preuve de résidence pour être admissible à voter. Environ 1,25 million de sans-abris au Canada ont de la difficulté à fournir cette preuve. Souvent, il s'agit pour eux d'une tâche impossible. Nous comprenons qu'il est important de fournir une preuve de résidence pour vérifier que la personne vit dans le district de vote. Toutefois, il faudrait faire preuve de souplesse pour tenir compte de la situation des personnes qui occupent un logement temporaire, comme un refuge.

L'utilisation du numéro d'identification personnel, tel que proposé, permettrait d'empêcher tout électeur, qui occupe un logement permanent ou temporaire, de voter dans plus d'une circonscription ou plus d'un district de vote. Souvent, les gens dans les refuges n'ont pas de résidence permanente ou vivent dans la rue. Ils n'ont pas de preuve de résidence.

Autre point qui nous préoccupe : le paragraphe 143(3), qui précise, et je cite :

Cependant, l'électeur peut également établir son identité et sa résidence en prêtant le serment prescrit, s'il est accompagné d'un électeur dont le nom figure sur la liste électorale de la même section de vote et qui, à la fois :

b) répond de l'électeur, sous serment, sur le formulaire prescrit.

Le problème qui se pose dans ce cas-ci, c'est que, souvent, un électeur éventuel ne peut trouver une personne à l'intérieur de la section de vote qui sera en mesure d'agir comme répondant. Nous ne voyons pas pourquoi seules les personnes dont le nom figure sur la liste électorale de la même section de vote peuvent agir comme répondant pour un électeur éventuel. Si un électeur éventuel peut fournir une preuve de citoyenneté et démontrer qu'il a l'âge de voter, cela ne devrait-il pas suffire?

Enfin, le paragraphe 143(5) précise qu'il est interdit à un électeur de répondre de plus d'un électeur à une élection. Si une personne a été jugée apte à agir en qualité de répondant, pourquoi ne peut-elle pas agir comme répondant pour plus d'une personne? Dans chacun des cas, le répondant doit prêter serment. Des amendes sévères sont prévues en cas de participation frauduleuse au processus électoral.

Pour terminer, il est important qu'Élections Canada consacre un maximum d'attention au processus de recensement des électeurs. Des groupes comme l'Alliance pour mettre un terme à l'itinérance, à Ottawa, ont cherché, de concert avec Élections Canada, à s'attaquer au problème du faible taux de participation électorale chez les marginalisés et les sans- abris. Une approche proactive s'impose pour faire en sorte que les Canadiens marginalisés soient conscients de leur droit de vote et des règles à suivre pour enregistrer leur vote. Élections Canada devrait fixer des objectifs en vue d'enregistrer les électeurs qui n'ont pas d'adresse permanente mais qui, autrement, devraient pouvoir voter.

En mesurant les progrès accomplis à l'aune de ces objectifs, et en ciblant ce qui fonctionne et ne fonctionne pas dans le processus d'enregistrement des électeurs, le gouvernement peut contribuer à faire en sorte que le plus grand nombre possible de citoyens exercent un des droits les plus précieux qu'ils possèdent.

Cela dit, l'ONAP recommande que trois modifications au projet de loi C-31 : éliminer l'exigence relative à la carte- photo d'identité; permettre à une personne d'agir à titre de répondant pour une autre personne, peu importe où le répondant vit; permettre à une personne d'agir à titre de répondant pour plus d'un électeur.

Merci de nous avoir donné l'occasion de vous exposer nos vues et nos recommandations.

Sharon Polsky, directrice de la politique, Canadian Association of Professional Access and Privacy Administrators : C'est un plaisir et un privilège pour moi d'être ici. Je tiens à vous remercier de m'avoir invitée à parler au nom de la Canadian Association of Professional Access and Privacy Administrators, ou le CAPAPA.

Le CAPAPA travaille de concert avec les commissaires à la protection de la vie privée et à l'information du Canada, et le commissaire à la protection de la vie privée de l'Alberta en vue de formuler les normes professionnelles et le cadre de gouvernance qui permettront d'assurer l'accréditation des spécialistes chargés de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels.

Le CAPAPA a été créé en 2002. Ses membres sont représentatifs de la population canadienne en générale, sauf qu'ils connaissent davantage les lois sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels, leur application pratique et leurs limites.

Nous comptons parmi nos membres des citoyens canadiens, des parents, des représentants du milieu militaire et d'organismes d'application de la loi. Nos membres jouent un rôle actif au sein de leurs collectivités. Ils comprennent les complexités du dossier et reconnaissent l'intention louable de certains changements proposés à la Loi électorale du Canada.

Nous sommes conscients du danger très réel que pose tout amendement qui porte atteinte à la vie privée des Canadiens. D'une manière plus précise, le paragraphe 107(3) exigera que le nom, l'adresse, la date de naissance de chaque électeur soient distribués sur support papier et sous forme électronique à tous les candidats et partis politiques.

Certains renseignements personnels ont toujours figurés sur la liste électorale. Toutefois, la transmission obligatoire de ces données par voie électronique n'est pas la même chose que le fait d'afficher des listes sur les poteaux de téléphone. Avec les scanners utilisés aujourd'hui, il est facile de transformer une liste électorale sur support papier en liste électronique, situation qui pourrait ensuite donner lieu à la manipulation ou à l'extraction de données. Transmettre les listes uniquement sur support papier n'est manifestement pas la réponse.

Ajoutons à cela le fait que les partis politiques et les candidats ne tombent pas sous le coup des lois canadiennes relatives au respect de la vie privée. Les renseignements de base qui permettent d'identifier 22 466 621 personnes — le nombre d'électeurs au Canada sur la liste électorale fédérale de 2004 — seront publiés et fournis aux candidats et aux partis politiques qui, eux, ne sont aucunement tenus, en vertu des lois relatives au respect de la vie privée, de protéger ou de limiter l'utilisation ou la communication de cette information. Le bon sens, l'éthique des affaires, les principes et l'imposition d'amendes minimales après le fait constitueront les seules mesures de contrôle.

Les changements proposés vont priver les électeurs du droit le plus fondamental qui est consacré par les lois canadiennes sur la protection de la vie privée : le droit d'autoriser ou de refuser la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels les concernant.

La seule option qui s'offrira aux électeurs sera la suivante : refuser de s'enregistrer en vue de protéger les renseignements personnels qui les concernent. De nombreuses personnes m'ont déjà dit que c'est précisément ce qu'elles vont faire, la protection de la vie privée étant plus importante, à leurs yeux, que le fait d'exercer leur droit de vote.

On a cité en exemple la loi du Québec qui régit la collecte et la communication de renseignements. Cette loi prévoit l'imposition d'amendes à la personne qui utilise ces renseignements à mauvais escient, et aussi à la personne qui est chargée d'en assurer la protection. Les amendements proposés dans le projet de loi C-31 n'offrent, eux, aucune protection.

Le ministre Van Loan a laissé entendre au comité, il y a une semaine de cela, que la Loi électorale du Canada prévoit des amendes de 1 000 $ ou une peine d'emprisonnement de trois mois pour toute utilisation abusive de renseignements recueillis en vertu de la Loi électorale du Canada. On en a déjà parlé plus tôt. Ces peines ne s'appliquent que si l'on vous attrape. Elles sont dérisoires. À 50 $ le nom, la loi électorale de 2004 vaut 1,1 milliard de dollars. Je ne dis pas qu'aucune personne ne serait assez bête ou imprudente pour mettre la main sur la liste électorale en vue d'essayer de la vendre, mais il y a des opportunistes parmi nous.

Comme l'a indiqué le sénateur Joyal la semaine dernière, la somme de 200 $ permettrait à n'importe qui de recevoir la liste électorale; il s'agit d'un petit investissement qui peut rapporter gros.

Les crimes financiers comme le vol d'identité continuent d'être considérés comme de simples incidents qui ne nuisent à personne. Or, d'importantes atteintes à la vie privée surviennent tous les jours. Dans certains cas, elles peuvent avoir des conséquences graves, comme le suicide. Il serait trop long de discuter, ici, le nombre d'incidents, leur fréquence, les causes et les coûts. J'accepterai volontiers de fournir au comité un rapport détaillé qui explique comment certains arrivent couramment, et de manière efficace, à divulguer des renseignements délicats et confidentiels.

Les lois sur la protection de la vie privée, entre autres, et la menace de peines ne suffisent pas. La Banque du Canada, Revenu Canada, le SCRS, le ministère de la Santé et du Bien-être de l'Alberta, le gouvernement de la Colombie-Britannique, CIBC, la Banque de Montréal, tous les autres gouvernements, organismes, sociétés et associations au Canada et à l'étranger sont tous censés — en vertu de la loi — d'assurer la confidentialité de renseignements. Ils ne le font pas.

Quand on constate que de grandes institutions ne peuvent assurer la confidentialité de renseignements délicats recueillis et que les techniques d'extraction de données et la convergence des technologies de communication ne cessent de prendre de l'essor, il est illusoire de croire que les renseignements que contient la liste électorale ne feront pas l'objet d'atteintes. Que ces atteintes soient intentionnelles ou non importe peu.

Les changements proposés rendront l'application des lois sur la protection des renseignements personnels et l'accès à l'information beaucoup plus difficile pour les membres de la CAPAPA et pour le personnel électoral, car ceux-ci n'auront aucun moyen de vérifier la validité des pièces d'identité.

Qu'arriverait-il si quelqu'un votait à ma place, ce qui m'empêcherait de voter, et faisait ainsi élire un candidat que je n'aurais pas choisi? Il y a très peu de chances que cela se produise.

Toutefois, ce qui pourrait fort bien arriver, en divulguant contre mon gré des renseignements personnels dans un environnement soumis à aucune restriction et impossible à maîtriser, est bien pire. On dit que chaque mauvaise politique adoptée dans le monde s'appuie sur l'idée que c'est pour le bien de la société, et que l'individu doit sacrifier ses propres droits au profit des besoins du plus grand nombre.

S'ils sont adoptés, ces amendements à courte vue qui portent atteinte à la vie privée mettront en danger 22 millions de Canadiens — et beaucoup plus à mesure que nos jeunes s'inscriront pour voter —, simplement pour nous protéger des rares cas de fraude électorale. La CAPAPA espère que l'amendement à la Loi électorale aura véritablement pour effet de protéger les Canadiens.

Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs. Nous vous sommes reconnaissants de prendre en considération ces questions très importantes.

Le sénateur Jaffer : Connaissez-vous le taux de participation des sans-abri?

M. Rainer : J'ignore si on a effectué une telle enquête.

Mme Buott : Je ne suis pas certaine du pourcentage exact, car l'information n'a pas fait l'objet d'un suivi. Je peux parler du réseau des refuges dans notre région. Durant les dernières élections, nous avons eu le plus fort taux de participation de personnes à faible revenu, car nous avons travaillé très fort pour nous assurer qu'elles pourraient venir voter. Je ne peux vous donner de chiffres précis, mais c'était un pourcentage élevé. En général, les personnes à faible revenu ne votent pas. Nous ne ménageons aucun effort pour nous assurer qu'elles puissent exercer leur droit de vote.

Le sénateur Jaffer : Je comprends que vous n'ayez pas cette information, personne ne l'a. Vous occupez ce poste depuis dix ans; avez-vous constaté que les gens votaient deux fois dans la même journée? Qu'ils n'exercent pas leur droit de vote est un problème bien plus important.

Mme Buott : En effet.

Le sénateur Jaffer : Oui, c'est un problème plus important, en particulier en ce qui concerne les sans-abri.

Mme Buott : Les gens dans les refuges.

Le sénateur Jaffer : Je vous remercie pour vos observations au sujet de l'exclusion sociale et du droit de vote. Vous avez aidé les personnes sans abri. Je suis heureuse que vous nous ayez montré que ce ne sont pas uniquement des personnes qui vivent dans la rue; il y a d'autres sans-abri. Je suis certaine que nous nous en souviendrons. Je présume que lorsqu'une personne sans abri va voter, elle fait le serment qu'elle vit dans cette zone. Est-ce exact? Elle donne son nom et indique qu'elle vit dans le quartier, n'est-ce pas?

Mme Buott : Oui. C'est ce qu'elle fait.

Le sénateur Jaffer : Ces gens le font déjà. Si ce n'était pas correct, ils feraient face à des sanctions plus sévères qu'en vertu de cette loi, n'est-ce pas?

Mme Buott : Oui.

M. Rainer : Tout à l'heure, le sénateur Bryden a soulevé une question importante concernant quelqu'un qui ne pouvait répondre de l'identité que d'une seule personne sans abri. Je ne suis pas certain de comprendre la raison de cette règle, et elle ne nous a pas été fournie. Nous estimons que cette règle n'est pas justifiée. Le sénateur nous a indiqué que les gens qui travaillent dans les refuges connaissent les sans-abri et devraient pouvoir répondre de toutes les personnes dont ils peuvent confirmer l'identité. C'est une démarche raisonnable pour garantir aux sans-abri la chance d'exercer leur droit de vote.

Le sénateur Jaffer : Je travaille avec ces personnes dans ma ville. Le problème majeur est que si mon nom ne figure pas sur la liste électorale de la même section de vote, je ne peux pas leur servir de répondante.

M. Rainer : Absolument, et c'est un problème.

Le sénateur Jaffer : Je ne peux pas me porter garante, car nos bureaux de vote sont différents.

Le sénateur Joyal : Je vais continuer à parler des répondants de certains électeurs. Faisons un parallèle avec un citoyen qui présente une demande de passeport. Un répondant admissible doit se porter garant de ce citoyen et le connaître depuis au moins deux ans. C'est un cadre dont on peut s'inspirer afin d'établir la qualité de répondant pour une personne sans-abri ou analphabète. Je reviendrai sur l'analphabétisme un peu plus tard.

Quelle est la caractéristique d'un tel système pour les demandes de passeport? Le répondant corrobore l'information fournie par le demandeur dans le formulaire. Il appose sa signature et atteste de l'authenticité des renseignements, afin que le demandeur obtienne un passeport. La personne qui confirme ces renseignements connaît le demandeur et appartient à l'une des catégories professionnelles visées; c'est un notaire, un avocat ou un commissaire à l'assermentation, par exemple. La liste des répondants potentiels est longue, beaucoup plus longue qu'il y a 40 ans, lorsque j'ai fait ma première demande de passeport. Autrement dit, vous devez connaître le demandeur depuis un certain temps et être dans la liste. Vous n'avez pas besoin de vivre dans la même région que lui quand il vous apporte sa demande de passeport. Vous pouvez habiter n'importe où, à condition que vous connaissiez cette personne.

Appliquons maintenant ces critères à un répondant qui s'occupe d'un refuge ou, comme j'en ai donné un exemple hier, d'une banque d'alimentation. Il pourrait s'agir d'une personne chargée de l'administrer. Des clients réguliers, comme les sans-abri, s'y présentent tous les jours. J'ai donné comme exemple l'Accueil Bonneau, à Montréal, un refuge et une banque alimentaire bien connus. La religieuse qui travaille au refuge vit peut-être dans un autre secteur de la ville. Il est possible de conserver le système des répondants, mais on pourrait l'ajuster en fonction des situations; un répondant pourrait se porter garant de plusieurs électeurs, même s'il ne vit pas dans la même circonscription qu'eux.

Prenons un professeur de collège ou d'université qui n'habite pas dans le quartier où est situé l'établissement en question et qui agit comme répondant pour un seul étudiant de sa classe. C'est une situation trop restrictive. Il serait logique de donner plus de souplesse au système afin que le répondant puisse se porter garant de plusieurs personnes à la fois, mais que l'on continue d'exiger qu'il les connaisse depuis assez longtemps et dans un contexte professionnel, comme dans le cas d'un notaire. Nous ne voulons pas obligatoirement que ce soit un notaire, mais quelqu'un qui, dans l'exercice de ses fonctions, entre en relation avec le demandeur. Si, à la table d'identification du bureau de vote, il y a un problème concernant l'identité du répondant, le personnel électoral peut toujours lui faire prêter serment. Cette méthode semble être plus simple que celle prévue à l'article 5, dans lequel il est indiqué qu'on ne peut répondre que d'un seul électeur et, comme l'a mentionné le sénateur Jaffer, qu'on doit vivre dans la même circonscription. Je comprends que nous devrions empêcher que des gens vendent, en qualité de répondant, leurs services à tout le monde. En appliquant ces critères, vous pourriez conserver, d'une façon raisonnable, un système qui respecterait le principe du projet de loi à cet égard, mais vous ajouteriez la souplesse nécessaire à l'atteinte de l'objectif visé.

M. Rainer : Les sans-abri n'habitent souvent au même endroit que durant une très courte période, et c'est manifestement un problème. Par conséquent, certains électeurs auront peut-être de la difficulté à trouver quelqu'un qui les connaît depuis assez longtemps, comme pour une demande de passeport. Ils peuvent connaitre quelqu'un depuis seulement une semaine ou un mois, mais cette personne, si on le lui demandait, accepterait peut-être de leur servir de répondant.

Dans le système électoral, vous devez attester votre citoyenneté; ceci pourrait aussi représenter une difficulté pour le répondant. Comment peut-il savoir si la personne a la citoyenneté canadienne et ne vient pas d'arriver au Canada, même s'ils se sont liés d'amitié? Ce sont là des problèmes évidents. En général, nous devrions utiliser toute la flexibilité nécessaire pour accommoder les gens à qui on ne permettrait pas de voter autrement. Nous devons nous livrer à des réflexions plus approfondies sur la question du vote. Nous sommes d'accord pour que l'on permette aux répondants de se porter garants de plusieurs électeurs à la fois. Le lieu de résidence du répondant ne devrait pas être pris en considération.

Le sénateur Joyal : Est-ce que le commentaire que vous avez émis concernant les sans-abri pourrait s'appliquer également aux personnes analphabètes?

M. Rainer : Je n'en suis pas certain. Je n'ai pas vraiment réfléchi à la question. Un analphabète aurait de la difficulté à comprendre la documentation et aurait besoin d'aide dans l'isoloir ou au bureau de scrutin pour parvenir à enregistrer son vote. Il serait toutefois plus facile pour une personne analphabète d'avoir en sa possession les pièces d'identité requises, que ce soit une carte avec photo ou un certificat de naissance, notamment. Je ne suis pas convaincu qu'il y ait lieu de s'inquiéter tout autant.

Le sénateur Joyal : Madame Polsky, quelle suggestion nous feriez-vous quant à l'utilisation du disque électronique, la forme retenue pour la diffusion de la liste électorale par le directeur général des élections?

Le projet de loi ne prévoit aucune contrainte quant à la diffusion de ce disque électronique. Autrement dit, il n'est pas stipulé que le disque ne peut pas être copié, sous quelque forme que ce soit. Nous disposons de moyens technologiques nous permettant de nous assurer qu'une information ne peut pas être modifiée. Le projet de loi ne prévoit aucun critère permettant d'encadrer la diffusion de ce disque électronique. À mon sens, on laisse ainsi le champ libre au vol d'identité.

Dans ce projet de loi, surtout pour les dispositions concernant l'amende ou la pénalité, comme nous l'avons déjà souligné plus tôt aujourd'hui et lors de réunions antérieures, rien n'indique que cette liste appartienne au directeur général des élections. C'est comme si, à partir du moment où vous vous êtes enregistré en tant que parti ou que candidat ayant payé 200 $, vous pouvez mettre le disque dans votre poche et il est à vous. Votre passeport ne vous appartient même pas; c'est, comme vous le savez, la propriété du gouvernement. Quoi qu'il en soit, le problème vient de l'absence de toute disposition dans ce projet de loi établissant que la liste électorale ne vous appartient pas personnellement, en tant que parti ou candidat indépendant. On semble créer la notion erronée que la liste électorale est un bien public qui appartient à tout le monde, pour autant que l'on ait acquitté les frais afférents. Cet aspect ne vous préoccupe-t-il pas?

Mme Polsky : C'est effectivement inquiétant, sénateur. À notre avis, la technologie est formidable, mais ne demeure qu'un véhicule. Tout dépend des gens et de la nature humaine, des comportements humains; ce sont les gens qui utilisent la technologie ou qui en abuse.

Je suis d'accord avec vous. En plaçant la liste complète des électeurs sur un disque qui est transmis électroniquement, même avec cryptage des données, une des nombreuses technologies disponibles pour essayer de protéger l'information, on la fait passer, à la faveur de ces amendements, dans un environnement à la fois incontrôlé et incontrôlable. L'information est ainsi mise à la disposition d'utilisateurs qui ne sont pas visés par les exigences de la Loi sur la protection des renseignements personnels, d'utilisateurs à l'intention desquels le Commissariat à la protection de la vie privée et d'autres instances dans tout le pays déploient de grandes quantités de temps, d'efforts et de ressources pour essayer de faire en sorte que chacun comprenne bien qu'est-ce qui constitue des renseignements personnels, la manière dont il faut les traiter et les utilisations de ces renseignements qui sont autorisées ou non.

La plupart des utilisateurs agissent de bonne foi. Il n'est pas dans mon intention, pas plus que dans celle de l'organisation que je représente, de laisser entendre que les utilisateurs ont des visées malhonnêtes ou que la majorité d'entre eux font preuve d'opportunisme. La plupart des erreurs sont commises par des gens qui essaient d'agir correctement, qui ne sont pas suffisamment renseignés ou qui ne s'en rendent même pas compte. On peut par exemple laisser traîner un disque pouvant être copié. Le travailleur bénévole du parti a accès à ce disque sans avoir subi les vérifications requises quant à ses antécédents et à sa solvabilité; on ne connaît pas vraiment ses intentions.

Selon ce que m'ont dit les gens des bureaux de circonscription de différents ministres, pour autant qu'une personne démontre son appui au parti, elle est la bienvenue dans le cercle et peut avoir accès à l'information. À notre connaissance, les amendements proposés n'imposent aucune restriction quant aux individus pouvant avoir accès à ces renseignements ou les utiliser. Comme nous l'avons indiqué dans notre exposé, on s'en remet au sens de l'éthique et aux saines pratiques administratives. La porte est grande ouverte. Le risque est énorme.

Le sénateur Joyal : Il me semble que si nous voulons éviter des utilisations indues de la liste, nous devrions préciser qu'elle appartient au directeur général des élections. Chacun peut les avoir en sa possession pendant une période fixe. Une personne ne devrait pas pouvoir la reproduire parce qu'elle n'en est pas propriétaire. Vous avez la liste en votre possession et vous pouvez l'utiliser, mais elle ne vous appartient pas.

Par ailleurs, il devrait être stipulé dans le projet de loi que si le directeur général des élections diffuse un autre disque ultérieurement et si des élections sont déclenchées deux ou quatre ans plus tard, tous les disques en circulation doivent être retournés au directeur général des élections. Il faut remettre le disque en sa possession avant qu'un autre puisse vous être fourni; c'est comme le passeport. Lorsque vous voulez obtenir un nouveau passeport, vous devez remettre celui que vous avez en main. Celui-ci est alors perforé afin que vous ne puissiez plus l'utiliser.

Il y a des façons de gérer les risques associés à ce disque. À l'heure actuelle, le disque appartient à tout le monde; vous pouvez y avoir accès et le conserver indéfiniment. Vous avez été candidat lors d'une élection et vous avez payé les 200 $ requis. Si vous n'êtes plus candidat à l'élection suivante, vous gardez tout de même la liste électorale. Le projet de loi ne précise pas qu'un candidat indépendant doit retourner la liste. Il n'existe dans ce projet de loi aucune restriction quant à l'utilisation de la liste électorale.

Je crains fort que nous envoyions ainsi un message trompeur. Ce message ne reflète pas la nature véritable d'une liste électorale. Il faut notamment constater que l'on retrouve actuellement sur cette liste différents types de renseignement pouvant faciliter son utilisation à des fins abusives.

Mme Polsky : Je suis tout à fait d'accord. Vous donnez l'exemple du passeport. Il y a toutefois une différence. Le passeport est un objet tangible. Lorsque vous le retournez au Bureau des passeports, vous ne l'avez plus en main. Dans le cas des données électroniques, il est impossible de savoir combien de copies ont été faites. Le disque au complet peut être copié sur une petite clé USB que l'on peut mettre au fond de sa poche ou accrocher à son porte-clés. Cela échappe à toute forme de contrôle.

Nous préconisons plutôt la norme mondiale de protection de la vie privée dont le commissaire ontarien vous a parlé ce matin : ne recueillir que le strict minimum de renseignements nécessaires et ne diffuser ces renseignements que dans la stricte mesure où cela est essentiel. Ainsi, on minimise le risque à la source. Il ne suffit pas d'essayer de réparer les pots cassés, d'imposer des sanctions et de chercher les coupables après coup. Les commissaires à la protection de la vie privée et les services de police figurent parmi les nombreuses instances qui s'emploient à retracer les contrevenants une fois que le mal est fait. Ils ne disposent pas des ressources suffisantes. C'est un problème planétaire. À l'échelle internationale, les organisations de police s'efforcent d'endiguer la diffusion inappropriée de renseignements. C'est très difficile.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez indiqué que votre organisation avait été créée en 1971. Est-ce que le fossé entre les riches et les pauvres s'est élargi depuis? Si le nombre de personnes pauvres au Canada ne cesse de croître, ce projet de loi va leur compliquer la vie encore davantage. Il va exacerber les problèmes.

M. Rainer : Pour ce qui est de votre première question, je n'ai pas de chiffres précis, mais le Centre canadien de politiques alternatives est l'un des groupes ayant effectué de nombreuses analyses au sujet de l'élargissement de ce fossé. Il y a d'ailleurs un site web (growinggap.ca) où vous pouvez trouver des renseignements détaillés à ce sujet. Plus tôt cette année, Statistique Canada a rendu publics les résultats d'une analyse sur les revenus des Canadiens. C'est également une source de données objectives sur l'écart grandissant entre riches et pauvres. Il ne fait aucun doute que ce fossé existe bel et bien et qu'il ne cesse de s'élargir, année après année. C'est certes l'un des facteurs qui contribue selon nous à la progression perceptible du phénomène de l'exclusion sociale.

Il suffit d'arpenter les rues d'Ottawa pour rencontrer des gens qui sont effectivement exclus de la société en raison de leur situation plutôt précaire. Malheureusement, nous prévoyons que leur nombre va croître, plutôt que diminuer. Plus ce fossé s'élargit, plus le prétendu filet de sécurité sociale s'effiloche, et plus une réforme en profondeur des politiques sociales canadiennes s'impose. Nous devons en faire l'une de nos principales priorités. Comme les tendances à cet égard sont fort troublantes, nous sommes l'un des groupes à demander que ce phénomène grimpe dans la liste des priorités politiques du Canada. Peut-être Mme Buott veut-elle ajouter quelque chose à ce sujet.

Mme Buott : Le nombre de sans-abri a augmenté dans notre communauté. L'isolement social et l'exclusion suivent la même tangente. Ce sont les problèmes sur lesquels il faut absolument se pencher.

M. Rainer : J'aimerais vous parler du travail de Cathy Crowe, un nom que vous ne connaissez pas nécessairement. C'est une infirmière de rue à Toronto. Elle a été infirmière pendant toute sa carrière. Depuis 18 ans, elle travaille auprès des sans-abri de Toronto. Elle connaît on ne peut mieux les problèmes auxquels ils sont confrontés et les tendances qui se dégagent à ce chapitre.

Mme Crowe vient d'écrire un livre. Hier, elle était ici même à Ottawa pour son lancement. Elle fait une tournée pancanadienne. Vous pouvez trouver son livre à la librairie Chapters. Il est intitulé Dying for a Home. Elle y dresse le profil de 10 sans-abri torontois, dont trois ou quatre sont maintenant décédés. Elle raconte leur histoire et leurs difficultés. Je viens de jeter un rapide coup d'œil à cet ouvrage qui témoigne de façon probante de la vie de ces personnes que cachent les statistiques. Ce sont des citoyens du Canada. Le nombre de sans-abri augmente chaque année. La situation touche même des gens qui ont un emploi. Calgary est la ville la plus affectée actuellement. L'économie y est en pleine expansion, mais cela s'accompagne d'une véritable flambée des coûts du logement. Même des gens qui ont un emploi arrivent difficilement à se payer un logement et se retrouvent littéralement à dormir dans la rue sur un sofa. C'est un problème grave. Nous pensons que ce projet de loi, dans sa forme actuelle, aurait pour effet involontaire de marginaliser encore davantage ces personnes.

Le sénateur Mahovlich : Des modifications s'imposent?

M. Rainer : C'est essentiel.

Le sénateur Bryden : J'ai beaucoup de mal à accepter le projet de loi et les amendements proposés parce que j'estime que notre nation devrait plutôt s'employer à encourager tous ses citoyens à exercer leur droit de vote et à leur faciliter la tâche à cette fin. Les riches et les puissants de notre société peuvent se tirer d'affaire sans notre aide; il en va de même des gens de la classe moyenne. Ce sont généralement les pauvres qui se voient privés de leurs droits en raison des efforts déployés pour essayer de coincer les gens pouvant avoir voté plus d'une fois, pour quelque raison que ce soit. Il est tout à fait illégitime que nous mettions en place un régime en vertu duquel il serait plus difficile pour les plus démunis d'exercer leurs droits.

Pourquoi le comité — je présume que cela origine du comité — aurait-il intégré une restriction quant à la possibilité de se porter garant de quelqu'un d'autre afin de lui permettre de voter? Dans la plupart des provinces, de telles restrictions n'existent pas. Dans ma province, vous pouvez vous présenter au bureau de scrutin avec une personne qui va répondre de vous et on vous permet de voter. Je crois d'ailleurs que cela n'est même pas nécessaire. Je pense que si vous êtes prêt à déclarer que vous résidez dans la circonscription, vous êtes autorisé à voter, sauf s'il existe une raison particulière à l'effet contraire.

Ce projet de loi fait en sorte qu'un citoyen ne peut se porter garant que d'une seule autre personne, celle-ci devant résider dans la circonscription ou le secteur de vote visé. Quel vice majeur de notre système essaie-t-on de corriger ainsi? Quel est le problème? La seule explication qui me vienne à l'esprit est ce tollé que déclenche toujours chez les partis politiques la présence d'un groupe d'organisateurs qui sillonnent une partie de la ville lors du scrutin par anticipation et le jour de l'élection afin d'aider des personnes qui n'exerceraient peut-être pas sans cela leur droit de vote. Ce sont des choses qui arrivent. Une façon de mettre un frein à cette pratique consiste à permettre uniquement de répondre d'une seule personne.

Rien ne justifie que l'on cherche à limiter les mesures mises en œuvre en période électorale pour aider les gens à voter. À mes yeux, il s'agit d'une entrave éhontée aux efforts visant à encourager tous les citoyens à exercer leurs droits. Je déteste prêter des intentions à autrui, mais il me semble entendre des gens prêcher pour leur paroisse en disant des choses du genre : « Je ne veux pas que ces gens viennent voter dans ma circonscription et influer sur le résultat de l'élection parce que, si on les laissait à eux-mêmes, mes concitoyens voteraient probablement différemment et c'est moi qui sortirais gagnant ».

J'estime que nous devons aider et encourager les gens à participer activement au processus politique et à exercer systématiquement leur droit de vote, même si cela peut profiter éventuellement à un autre candidat. Je ne crois pas qu'il s'agisse de cibler un district particulier pour y concentrer ses efforts. Je ne pense pas que la justification soit valable, mais c'est peut-être une explication.

Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir comparu aujourd'hui pour nous exposer des cas réels et des problèmes concrets qui vont éclairer grandement nos délibérations.

Le sénateur Baker : Je tiens à remercier nos témoins pour leurs excellents exposés.

Madame Buott, vous pourriez peut-être nous indiquer le nombre de personnes dont le nom figure sur la liste électorale qui ne pourront pas voter en raison de ces changements. Je vous donne l'exemple d'une famille de trois ou quatre adultes vivant de l'aide sociale. Aucun d'eux n'a un permis de conduire. Les autres preuves d'identité à leur disposition sont des relevés de comptes bancaires, certaines factures et des documents semblables. Ils ont des cartes d'assurance-maladie, mais dans la plupart des provinces, il n'y a pas de photo sur ces cartes. Ces cartes auraient pu leur servir de pièces d'identité, mais pas en l'absence de photo.

Pouvez-vous vous imaginer une famille type vivant de l'aide sociale? Il y en a beaucoup; dans certaines régions du pays, leur proportion peut atteindre 15 p. 100, voire 20 p. 100. En quoi ce projet de loi affectera-t-il ces personnes? Leur nom apparaîtra sur la liste électorale, mais elles ne pourront produire une pièce d'identité avec photo. Elles devront se déplacer pour subir un contre-interrogatoire et se faire lire un extrait du Code criminel. Le projet de loi prévoit que le Code criminel doit être lu à ces électeurs pour qu'ils comprennent bien qu'ils s'exposent à une peine d'emprisonnement de six mois en cas de déclaration trompeuse. C'est le processus à suivre. Avez-vous réfléchi aux répercussions d'une telle mesure sur la proportion d'électeurs qui sont pauvres, vivent de l'aide sociale ou d'expédients semblables? Dans quelle mesure l'adoption de ce projet de loi pourrait-elle faire baisser le pourcentage de ces personnes qui vont effectivement choisir d'exercer leur droit de vote?

Mme Buott : Je ne pourrais pas vous indiquer de pourcentage, mais je vous dirais que nous avons déployé d'importants efforts au sein de notre communauté pour inciter les gens à voter et les guider dans tout le processus électoral. Selon moi, les dispositions proposées vont marginaliser encore davantage ces citoyens. Lorsqu'il est question du Code criminel, le facteur d'intimidation qui s'ensuit devient un élément dissuasif de plus. C'est suffisant pour amener certaines personnes à décider de ne pas aller voter.

Pour ma part, si je n'avais pas de preuve d'identité avec photo et si je devais me soumettre à toutes ces conditions, je renoncerais tout simplement à exercer mon droit. Cela agirait comme facteur de dissuasion qui contribuerait à accroître la marginalisation des plus démunis.

M. Rainer : De toute évidence, il faut surtout s'assurer que les gens aillent voter en comprenant que c'est leur droit légitime, ce dont la plupart des gens sont conscients, mais en saisissant également l'importance de voter pour se sentir intégré à la culture et à la société en sachant que chaque vote fait une différence. Il existe peut-être des problèmes d'un autre ordre relativement à la représentation proportionnelle, notamment, mais ce n'est pas ce qui nous intéresse aujourd'hui.

Je ne sais pas dans quelle mesure Élections Canada investit dans les efforts en ce sens, mais si on ne dispose pas actuellement des ressources suffisantes, il serait bon qu'on apporte les correctifs nécessaires afin que l'organisme puisse aider les populations les plus défavorisées. Élections Canada pourrait ainsi cibler les groupes qui sont proportionnellement les plus nombreux à être marginalisés et privés de leurs droits. On pourrait s'assurer que des gens font le nécessaire pour expliquer le processus, les règles et les procédures. Nous souhaiterions que ces procédures soient les plus simples possibles, mais il pourrait être bon de consentir des investissements spéciaux dans le processus électoral pour encourager les groupes marginalisés à y participer. Il ne suffit pas nécessairement de leur envoyer une carte d'inscription de l'électeur, dans les cas où elles se rendent effectivement à destination; on devrait y joindre une petite carte avec les informations minimales au sujet du processus et de ce dont on a besoin pour voter. Je ne pense pas que l'on en fasse suffisamment à ce chapitre actuellement et je n'ai pas l'impression que la situation va s'améliorer. Nous devrons redoubler d'ardeur pour nous assurer qu'une plus grande proportion des démunis exercent leur droit de vote.

Le sénateur Baker : Ce projet de loi représente un changement majeur pour les plus défavorisés. Lorsqu'on y réfléchit bien, on constate que c'est un véritable bouleversement. Je pensais justement à cela lorsque vous présentiez votre exposé.

Si vous faites valoir que le processus est simple, qu'il suffit aux gens de faire telle ou telle chose, je ne crois pas que cela sera suffisant pour ceux qui n'ont pas de pièce d'identité. Ce projet de loi aura pour effet de priver de leurs droits les personnes se trouvant au bas de l'échelle des revenus. Il fera la vie dure aux personnes vivant de l'aide sociale, aux chômeurs et aux itinérants, entre autres.

M. Rainer : Je ne sais pas comment il est possible d'en mesurer l'ampleur, mais je suis persuadé qu'il y aura baisse de la participation au sein de ce segment de la population.

Le sénateur Baker : Dans le cas des secteurs les plus pauvres des villes, des populations les plus démunies au sein des circonscriptions, vous attendez-vous à une diminution du nombre de personnes exerçant leur droit de vote?

M. Rainer : C'est ce que je croirais.

Le sénateur Baker : Et ce serait à cause de ce projet de loi?

Mme Buott : Oui.

Le président : Comme vous avez tous pu l'entendre, chacun des sénateurs ici présents vous est très reconnaissant pour votre franchise et pour votre comparution d'aujourd'hui qui vous a permis de nous fournir tous ces renseignements utiles pour le comité, surtout en ce qui concerne la question des répondants.

Au nom du comité, je vous remercie grandement pour votre présence.

La séance est levée.


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