Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 30 - Le treizième rapport du comité
Le mardi 12 juin 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l'honneur de présenter son
TREIZIÈME RAPPORT
Votre Comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs), a, conformément à l'ordre de renvoi du mardi 20 février 2007, étudié ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les amendements suivants :
1. Page 2, article 1 (titre abrégé) : Remplacer le mot « 2006 » avec le mot :
« 2007. ».
2. Page 2, article 2 : Remplacer les lignes 8 à 13 par ce qui suit :
« 29. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et des autres dispositions de la présente loi, le mandat des sénateurs est de quinze ans; il ne peut être ni prolongé, ni renouvelé.
(2) Le siège d'un sénateur devient vacant lorsque celui-ci atteint l'âge de soixante-quinze ans.
(3) Malgré le paragraphe (1), mais sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le mandat du sénateur appelé au Sénat avant l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 2007 ».
et avec la recommandation suivante :
« Que le projet de loi, tel qu'amendé, ne soit pas lu une troisième fois tant que la Cour suprême du Canada ne se sera pas prononcée sur sa constitutionnalité. ».
Ont été jointes en annexe au présent rapport les observations de votre Comité sur le projet de loi S-4.
Respectueusement soumis,
Le président,
DONALD H. OLIVER
Le projet de loi S-4,
Loi modifiant la
Loi constitutionnelle de 1867 (mandat des sénateurs)
Observations au rapport
du
Comité sénatorial permanent des
affaires juridiques et constitutionnelles
Introduction
« Supposons que vous les nommiez pour neuf ans, quelle sera la conséquence? Pendant les trois ou quatre dernières années de leur service ils auront devant les yeux l'expiration de leur mandat, et se tourneront avec anxiété du côté du gouvernement alors au pouvoir pour obtenir la faveur de se faire nommer de nouveau; la conséquence sera qu'ils se trouveront entièrement sous l'influence de l'exécutif. »
--- George Brown, 1865[1]
George Brown, membre du gouvernement de coalition de John A. Macdonald et George-Étienne Cartier dans ce qui est alors la province du Canada, explique plus loin dans son discours qu’on a voulu faire de la Chambre haute « un corps parfaitement indépendant, un corps qui serait dans la meilleure position possible pour étudier sans passion les mesures de cette Chambre, et défendre les intérêts publics contre toute tentative de législation hâtive ou entachée d'esprit de parti. »
Il ressort clairement des débats sur la Confédération que les constituants canadiens ont envisagé la possibilité d’un mandat de neuf ans renouvelable pour les sénateurs nommés, mais qu’ils ont conclu que cela menacerait l’indépendance de la Chambre haute vis-à-vis de l’exécutif – c'est-à-dire du premier ministre et de son cabinet. C’est pourquoi les Pères de la Confédération ont rejeté le mandat fixe renouvelable et préféré, à la fois pour le Sénat et la Cour suprême, la nomination à vie. Au début des années 1960, il a été décidé que les membres des deux institutions exerceraient leur mandat jusqu’à 75 ans.
Le projet de loi S-4, bien que bref, apporte un changement majeur à la pratique actuelle en ce qui concerne le Sénat du moins. Les sénateurs seraient désormais nommés sur la recommandation du premier ministre pour un mandat de huit ans renouvelable sans retraite obligatoire à 75 ans. Deux questions étroitement liées viennent tout de suite à l’esprit. Des traits essentiels de notre démocratie parlementaire telle qu’établie au moment de la Confédération s’en trouveraient-ils affectés et est-ce un changement que le gouvernement fédéral peut légalement apporter en passant par le Parlement sans la participation des provinces?
La place du Sénat dans l’appareil gouvernemental du Canada est sans doute la question la plus importante et la plus litigieuse à laquelle font face nos constituants. Certains d’entre eux, notamment ceux de la région la plus peuplée, le Haut-Canada (Ontario), préféreraient un parlement unicaméral, mais une seconde chambre est essentielle aux yeux de ceux des régions moins populeuses. Comme l’explique George Brown : « Nos amis du Bas-Canada ne nous ont concédé la représentation d’après la population qu’à la condition expresse qu’ils auraient l’égalité dans le conseil législatif. Ce sont là les seuls termes possibles d’arrangement[2][.] » Alexander Mackenzie, qui doit devenir notre deuxième premier ministre, observe : « La constitution de la chambre haute est la question la plus importante[3]. »
Il y a eu débat non seulement sur l’égalité de représentation des trois régions du pays (Maritimes, Québec, Ontario), mais sur la question de savoir si les sénateurs devaient être nommés ou élus, l’opinion de John A. Macdonald ayant finalement prévalu : « Il y a, je le répète, un risque plus grand de divergence de vues irréconciliable entre les deux organes du pouvoir législatif si la chambre haute est élue que si elle est nommée par la Couronne[4]. »
Les constituants s’entendent finalement sur un Sénat où les trois régions sont représentées à égalité et dont les membres sont nommés à vie par l’exécutif. Que ce soit là un compromis conçu pour obtenir l’unanimité des participants, Alexander Mackenzie n’en fait pas mystère : « Tout en estimant que nous serions mieux sans chambre haute, je sais qu’il ne s’agit pas pour le moment de choisir la meilleure forme de gouvernement possible, selon nos opinions particulières, mais de faire le mieux qu’on peut pour une communauté dont les vues sur la question divergent[5]. »
Si l’on reprend les termes d’Alexander Mackenzie, les deux grandes questions qui se posent actuellement aux membres du Comité sont de savoir si les dispositions du projet de loi S-4 nous rapprochent de «la meilleure forme de gouvernement possible» et s’il y a obligation constitutionnelle pour le gouvernement fédéral de tenir compte des vues des membres de notre communauté fédérale, à savoir les provinces, qui voient peut-être d’un autre œil ce qui est proposé? Voilà les questions qui ont encadré le travail du Comité.
Le projet de loi S-4 découle de la promesse électorale faite par le Parti conservateur en juin 2006 d’amorcer «la réforme du Sénat en élaborant un processus national permettant de choisir des sénateurs élus pour chaque province et territoire. »
Le nouveau gouvernement conservateur a lancé cette réforme en déposant le 30 mai 2006 le projet de loi S-4, préférant traiter la durée du mandat des nouveaux sénateurs avant d’apporter des changements à la façon de les sélectionner.
Le sujet du projet de loi a été renvoyé le 28 juin 2006 à un comité sénatorial spécial qui a recommandé en principe l’établissement d’un mandat de durée fixe pour les nouveaux sénateurs et conclu « qu’il ne semble pas nécessaire d’obtenir plus de précisions sur la constitutionnalité du projet de loi S-4… » Cependant, après le dépôt du rapport du Comité, le gouvernement a déposé le 13 décembre 2006 le projet de loi C-43, Loi sur les consultations concernant la nomination des sénateurs. Cette nouvelle étape dans la réforme voulue par le gouvernement fédéral a conduit des sénateurs ainsi qu’un certain nombre de constitutionnalistes et d’autorités provinciales à reconsidérer leur analyse du projet de loi S-4, notamment par rapport à sa constitutionnalité. C’est pourquoi le Comité, en prolongement du travail du Comité spécial, s’est intéressé de plus près aux questions constitutionnelles en évolution et aux principes définis dans le jugement que la Cour suprême a rendu en 1979, à savoir le Renvoi relatif à la Chambre haute.
I. Mandat de huit ans
Le projet de loi S-4 a pour objet de fixer à huit ans la durée du mandat des nouveaux sénateurs. En 1979, la Cour suprême du Canada s’est vu demander si le Parlement avait le pouvoir législatif d’édicter une loi modifiant la durée du mandat des sénateurs. La Cour a statué comme suit :
« À un certain point, la réduction de la durée des fonctions pourrait nuire au bon fonctionnement du Sénat qui assure, pour reprendre les paroles de Sir John A. Macdonald, “un deuxième coup d’œil attentif à la loi”. L’Acte [Loi constitutionnelle de 1867] prévoit une constitution semblable, en principe, à celle du Royaume-Uni, où les membres de la Chambre des lords siègent à vie. L’imposition de la retraite obligatoire à l’âge de soixante-quinze ans n’a pas modifié le caractère essentiel du Sénat. Cependant, pour répondre à la question, il faudrait que nous sachions quels changements sont proposés[6]. » [gras ajouté]
Cette assertion donne à penser que certaines durées de mandat seraient conformes à la Constitution, et d’autres non. Aucune des personnes qui ont témoigné devant le Comité n’a pu déterminer où se situait la ligne de démarcation. Même l’avocat général du gouvernement, Warren Newman, Section du droit administratif et constitutionnel du ministère de la Justice, a reconnu que certains changements, comme la réduction du mandat à un an, ne seraient pas jugés valables sur le plan constitutionnel. Il a de ce fait reconnu au nom du gouvernement que le pouvoir de modifier la durée du mandat des sénateurs en vertu de l’article 44 n’est pas absolu. Par contre, personne n’a pu tracer la ligne de démarcation critique.
Henry S. Brown, avocat de droit constitutionnel au cabinet Gowling Lafleur Henderson, a fourni au Comité un avis écrit fouillé et a aussi témoigné en personne. Il a signalé que, dans le Renvoi relatif à la Chambre haute, la Cour suprême a dit que le Parlement n’est pas habilité à apporter unilatéralement (c.-à-d. sans l’intervention des provinces) des modifications qui « porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale dans le système législatif fédéral[7] ».
La Cour devait aussi déterminer si la réduction de la durée du mandat « pourrait nuire au bon fonctionnement du Sénat qui assure, pour reprendre les paroles de sir John A. Macdonald, “un deuxième coup d’œil attentif à la loi[8]” » .
M. Brown a signalé ceci :
« […] la Cour suprême du Canada a fait explicitement mention de l'indépendance du Sénat qui est l'une de ses caractéristiques fondamentales. La Cour a dit que “on voulait faire du Sénat un organisme tout à fait” — et je souligne les mots “tout à fait” — “indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des communes. On y est arrivé en disposant que les membres du Sénat seraient nommés à vie[9].” »
Il y a donc trois caractéristiques essentielles à préserver dans toute proposition visant à modifier la durée du mandat : 1) l’indépendance totale du Sénat; 2) sa capacité d’assurer un second examen objectif; 3) son rôle de représentation provinciale et régionale.
Au sujet du mandat de huit ans, des témoins ont exprimé plusieurs appréhensions liées aux questions constitutionnelles, dont le fait qu’un premier ministre en poste pour deux mandats nommerait la totalité des sénateurs. Cette situation limiterait gravement la capacité du Sénat de remplir son rôle d’» organisme tout à fait indépendant » qui assure un second examen objectif. Presque tous les experts qui ont témoigné s’entendaient pour dire qu’il s’agissait là d’un problème important.
Le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Shawn Graham, a écrit ceci au Comité le 20 avril 2007 :
« Une préoccupation additionnelle du gouvernement du Nouveau-Brunswick au sujet du projet de loi S-4 dans sa forme actuelle est le fait que tout gouvernement fédéral qui serait au pouvoir pendant au moins deux mandats complets pourrait renouveler complètement l’effectif du Sénat au moyen d’un processus qui n’est pas encore défini. Cela découle directement de la réduction proposée, qui ramènerait à seulement huit ans la durée du mandat des sénateurs. Sous cet aspect également, la mesure ne peut que restreindre l’indépendance des représentants régionaux au Sénat. Pour une province comme le Nouveau-Brunswick, il est difficile de concevoir comment une telle proposition pourrait favoriser ses intérêts[10]. »
Comme indiqué plus haut, le Parlement n’est pas habilité, selon le Renvoi relatif à la Cour suprême, à apporter unilatéralement des modifications qui, « porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale dans le système législatif fédéral » . Le premier ministre Graham est manifestement d’avis que la mesure proposée constitue une modification de cette nature.
D’autres observations importantes ont mis en doute le bien-fondé du mandat de huit ans. Plusieurs témoins ont dit que les longs états de service des sénateurs leur permettaient d’acquérir une expertise précieuse sur des sujets particuliers et sur les règles de procédure du Sénat. Ils craignaient que la vision à long terme qui existe actuellement au Sénat s’affaiblisse ou se perde.
Un témoin a souligné que le mandat proposé diminuerait la stabilité du Sénat : « La durée du mandat actuel garantit pratiquement que le Sénat exercera une surveillance étroite et jouera un rôle de frein plusieurs années après le remplacement du parti au pouvoir à la Chambre des communes [...] Cela pourrait transformer considérablement la fonction de surveillance du Sénat, et il est certain que le Sénat ne sera plus un organisme “tout à fait indépendant”, comme l’exige la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Chambre haute[11]. »
Le Comité a été impressionné par les commentaires réfléchis des témoins qui ont étudié de près la Chambre des lords britannique. La réforme de cette chambre a fait l’objet de beaucoup de réflexion, d’études et de débats au cours des dix dernières années. La proposition actuellement à l’étude est un mandat de 15 ans, soit l’équivalent de trois cycles électoraux du Parlement européen, et le remplacement du tiers des lords tous les cinq ans. Ce mandat de 15 ans ne serait pas renouvelable.
Gerard Horgan, politologue canadien qui enseigne à l’International Study Centre de l’Université Queen’s au Royaume-Uni, a commenté ainsi les résultats du rapport de la Commission royale sur la réforme de la Chambre des lords (commission Wakeham), publié en 2000 :
« Les aspirations de cette commission quant à la composition de la Chambre des lords concordent souvent avec les souhaits exprimés en rapport avec le Sénat canadien. Par exemple, la commission en question a fait valoir qu'un mandat de longue durée aurait les effets suivants : [Traduction] “Encourager les lords à faire preuve d'indépendance d'esprit et adopter une vision à long terme; dissuader les candidats politiquement ambitieux de solliciter un siège dans la seconde chambre; favoriser un style de débat qui est moins partisan; et laisser aux lords le temps d'absorber l'ethos particulier de la seconde chambre et d'assimiler la manière de s'y prendre pour contribuer avec le plus d'efficacité possible aux travaux.”
Étant donné ces aspirations et compte tenu des inconvénients possibles d'un mandat de longue durée, la commission a conclu que les lords devraient siéger l'équivalent de trois cycles électoraux, soit de 12 à 15 ans. En outre, la commission a dit avoir bien envisagé un mandat correspondant à deux cycles électoraux, mais a déterminé que [Traduction] “Ce serait un mandat d'une durée insuffisante pour créer le genre de seconde chambre que nous envisageons.”
[…]
En résumé, la commission Wakeham a d'abord fait valoir le principe selon lequel il doit y avoir tout au moins un rapport de trois pour un entre les membres de la Chambre des lords et les députés à la Chambre des communes. Ensuite, même si la réflexion sur la réforme de la Chambre des lords est loin d'avoir atteint son terme, l'argument en faveur d'un mandat d'une longue durée à la chambre haute ou au Royaume-Uni s'est révélé suffisamment convaincant pour que le gouvernement appuie l'idée d'un mandat de 15 ans. Enfin, étant donné la possibilité de choisir seulement une partie du contingent sénatorial provincial à chacune des élections consultatives, c'est une des objections possibles à l'idée d'établir un mandat d'une longue durée qui disparaît.
Pour terminer, je dirais simplement ceci : j'espère que mon mémoire et mes observations permettront aux honorables sénateurs de voir qu'il existe des raisonnements valables en faveur de l'adoption d'un mandat de longue durée à la chambre haute. Par contre, et ce n'est pas pour vous flatter que je le dis, car j'estime que cela est vrai : vous, sénateurs, êtes les véritables spécialistes de la question. Si, en tant que chercheur, je voulais savoir combien de temps il faut à un nouveau sénateur pour saisir l'ethos de la chambre, je vous poserais la question à vous. Dans le cas du projet de loi dont il est question, il importe tout autant que vous creusiez votre propre expérience que d'écouter des gens comme moi[12]. »
Meg Russell, du University College London, a elle aussi préconisé vivement l’étude de mandats plus longs :
« Pour ce qui est de l'ethos de la Chambre et de son indépendance et de ce que les gens apprécient à propos de la Chambre des lords, pour une grande part, les gens ont été nombreux à faire valoir qu'il importe d'avoir des mandats de plus longue durée. Comme le professeur Horgan l'a fait valoir, la commission royale a demandé 15 ans. De même, le gouvernement a recommandé récemment un mandat de 15 ans[13]. »
Lord Howe, membre conservateur de la Chambre des lords, a dit qu’à son avis, « 15 ans devrait être la durée minimale d'un mandat[14] » .
Le Comité est du même avis. Son amendement vise à porter le mandat de huit à quinze ans, car selon lui le premier ne répondrait pas au critère de la Cour suprême en matière de constitutionnalité tandis que le deuxième serait plus susceptible d’y satisfaire.
II. Mandats non renouvelables
Un bon nombre de témoins ont dit se préoccuper grandement de la proposition voulant que le premier ministre puisse renouveler les nouveaux mandats des sénateurs. Le projet de loi S‑4 passe sous silence la question du renouvellement. Cependant, le très honorable Stephen Harper a dit au Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat : « Ce silence vous permet de présumer qu'il y aurait possibilité de renouvellement[15]. »
La leader du gouvernement au Sénat, lorsqu’elle a parlé du projet de loi S‑4 à la Chambre haute, et le premier ministre Harper, dans son témoignage devant le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, ont dit clairement que la décision d’autoriser le renouvellement des mandats s’inscrivait dans le contexte de l’élection des sénateurs. Or, jusqu’ici, le gouvernement n’a pas proposé de modifier la Constitution pour prévoir un Sénat élu. Le projet de loi S‑4 ne traite aucunement cette question.
Pour beaucoup de témoins, la question primordiale est l’effet du caractère renouvelable des mandats sur l’indépendance des nouveaux sénateurs. M. Harper a jugé ces préoccupations non fondées :
« En ce qui concerne la possibilité que les sénateurs modifient leur comportement si le mandat est renouvelable, j'aurais tendance à écarter cette hypothèse. À la lumière de l'expérience que j'ai acquise, la volonté des membres de l'une ou l'autre des chambres de collaborer avec le gouvernement est déterminée d'abord et avant tout par leur appartenance politique. Que le mandat soit renouvelable ou qu'il ne le soit pas, cela ne fera probablement aucune différence. C'est mon opinion sur la nature humaine en ce qui concerne le processus législatif[16]. »
Cette affirmation décrit sans doute fidèlement ce qui se passe à la Chambre des communes, mais la situation au Sénat est un peu plus nuancée. En fait, il existe au Sénat une longue tradition de vote indépendant, ce que confirment les statistiques. M. Andrew Heard, professeur à l’Université Simon Fraser, a dit au Comité avoir effectué une étude sur les habitudes de vote au Sénat pour la période de 2001 à 2005 :
« On a l'impression, à tout le moins, qu'avec le temps, les sénateurs en viennent à disposer d'une plus grande liberté et d'une plus grande marge de manœuvre dans leurs choix que les députés. Il y a eu peu d'études statistiques ou empiriques à ce sujet, alors j'ai fait moi-même un petit examen de la période allant de 2001 à 2005 […] J'ai examiné 125 scrutins officiels auxquels ont participé 122 sénateurs, ce qui représente plus de 7 700 voix. Ce n'est qu'une fraction de toutes les mises aux voix, car, bien sûr, comme vous le savez, bien des mises aux voix se font oralement, et ces scrutins par appel nominal ne nous indiquent pas qui a fait dissidence. J'ai pris note des mises aux voix où des sénateurs se sont officiellement abstenus ou ont voté pour ou contre un projet de loi afin de déterminer dans combien de cas ils ont voté contre la position de leur caucus ou se sont abstenus. J'en ai conclu que les sénateurs sont très indépendants, certainement plus que les députés[17]. » [gras ajouté]
M. Heard était convaincu que la possibilité de renouveler les mandats nuirait sérieusement à l’indépendance des sénateurs :
« J'ai néanmoins une préoccupation concernant le mandat renouvelable. La possibilité que le premier ministre détermine quel sénateur pourrait voir son mandat renouvelé soulève de sérieuses questions quant à la façon dont voteront les sénateurs qui souhaitent voir leur mandat renouvelé. À cet égard, j'estime que la possibilité de renouveler le mandat pourrait nuire à l'indépendance des sénateurs lors des mises aux voix[18]. »
D’autres témoins partageaient cet avis. Jennifer Smith, chef du Département de science politique à l’Université Dalhousie, a fait valoir qu’un mandat renouvelable diminue l’indépendance de la personne nommée et influe par conséquent sur le rôle du Sénat comme lieu de second examen objectif. À son avis, il a aussi un effet sur le rôle de représentation fédérale du Sénat, car la perspective d’un renouvellement de mandat compromet l’indépendance du sénateur. Le renouvellement de mandat se répercute donc sur la nature du Sénat définie à l’époque de la Confédération.
David Smith, professeur à l’Institut de politiques d’intérêt public de la Saskatchewan, a exprimé une opinion semblable :
« Une disposition concernant la nomination renouvelable rendrait un sénateur désireux d'être renommé susceptible d'être influencé par le premier ministre, qui continuerait de faire les nominations à être approuvées par le gouverneur général. L'ambition et la perspective de possibilités futures occuperaient beaucoup plus de place qu'elles en ont aujourd'hui dans les calculs que les membres de la Chambre haute mettent dans leur travail. Ce commentaire se veut non pas une critique de ce comportement, mais plutôt une déclaration au sujet de la vie politique qui serait dorénavant caractéristique du Sénat[19]. »
Il faut toutefois préciser que, s’il ressort clairement des témoignages que le caractère renouvelable des mandats nuirait à l’indépendance du Sénat, certains ont émis des réserves sur le caractère non renouvelable conjugué à une durée fixe relativement courte. Par exemple, M. Smith a dit au Comité :
« Une disposition concernant la nomination non renouvelable pour un mandat fixe aurait pour effet de créer un renouvellement continuel de la Chambre. Les caractéristiques constituant à ce jour les forces du Sénat — l'expérience, les connaissances, le recul — disparaîtraient. De plus, plutôt que de devenir membre du Sénat à la fin de sa carrière, une personne inexpérimentée pourrait y entrer au début de sa carrière. Par exemple, une personne dans la trentaine nommée au Sénat pour un mandat de huit ans serait en position d'espérer obtenir un siège aux Communes à 40 ans. Si c'était le cas, le mandat des sénateurs pourrait bien être facilement perçu comme préliminaire à une période aux Communes, alors qu'il est actuellement perçu comme la suite d'une période passée dans la Chambre basse ou dans un autre emploi. En d'autres termes, la relation entre les deux Chambres serait renversée, et l'indépendance actuelle des sénateurs, dont la carrière politique tire à sa fin, serait compromise[20]. »
Le Comité reconnaît aussi que toute médaille a son revers. Tant que les sénateurs continuent d’être nommés, la possibilité de renouveler les mandats risque de porter sérieusement atteinte à leur indépendance et de miner par conséquent l’essence même du rôle et de la responsabilité constitutionnels de la Chambre haute. Si, en revanche, on en venait à élire les sénateurs, l’interdiction d’un deuxième (ou troisième) mandat pourrait compromettre l’obligation de rendre des comptes, qui est à la base d’un Sénat élu.
Le premier ministre du Nouveau-Brunswick est intervenu vigoureusement sur cette question, signalant qu’un mandat renouvelable
« […] permettrait au premier ministre fédéral de renforcer l’obligation des sénateurs de rendre des comptes dans le contexte du processus électoral consultatif suggéré, si on suppose que le gouvernement fédéral apporterait un tel changement. C’est au moyen d’élections que la population peut vraiment exprimer son approbation du travail effectué par ses représentants au Sénat. Si les sénateurs ne peuvent exercer leurs fonctions que pendant un mandat, des élections ne renforceront pas leur obligation de rendre des comptes. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick est d’avis que cette caractéristique de la proposition réduirait probablement l’efficacité du Sénat en tant qu’institution représentative. Un autre facteur est la probabilité qu’un mandat renouvelable renforcerait le respect de la discipline de parti. Une sénatrice ou un sénateur, s’il désire un nouveau mandat, ne manquera pas de voter conformément aux valeurs et aux principes du gouvernement fédéral au pouvoir. Cela ne peut qu’intensifier les pressions exercées sur les sénateurs pour qu’ils abandonnent les intérêts de leur région pour se conformer au programme du gouvernement à la Chambre des communes. En pratique, cela compromettrait la capacité du Sénat d’agir en tant que “chambre de second examen objectif”.
Il faut également remarquer que, étant donné la capacité apparente du gouvernement fédéral de renouveler le mandat des sénateurs si le projet de loi S-4 est adopté, ajoutée à l’abolition apparente de l’actuelle limite d’âge de 75 ans, les sénateurs pourraient demeurer en fonction plus longtemps que ne le permet actuellement l’article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867[21]. »
Le premier ministre de Terre-Neuve et du Labrador a écrit récemment au premier ministre Harper en envoyant copie de la lettre au président du Comité pour exprimer les préoccupations de son gouvernement concernant le projet de loi S-4. Il déclare que la disposition du projet de loi « prévoyant la renouvellement du mandat limiterait l’indépendance des nouveaux sénateurs en les rendant redevables au premier ministre et en les poussant à gagner sa faveur pour améliorer leurs chances de reconduction. Ce projet de loi amoindrirait donc l’indépendance du Sénat, son aptitude à servir de chambre de mûre réflexion et son efficacité à représenter les intérêts régionaux et provinciaux[22]. »
Au Royaume-Uni, les propositions visent nettement un mandat non renouvelable de 15 ans à la Chambre des lords. Lord Tyler, membre libéral démocrate de la Chambre des lords, a déclaré au Comité :
« Plus important encore, si nous devons bénéficier dans l'avenir d'indépendance par rapport aux partis, qu'il s'agisse de membres élus ou d'une forme de mise en candidature par les partis, nous voulons que les gens, lorsqu'ils arrivent à la Chambre haute, qu'elle soit appelée Sénat ou autre, se sentent aussi libres de toute influence ou pression de parti qu'ils peuvent l'être[23]. »
Le Comité partage l’avis des nombreux témoins et des auteurs de mémoire qui craignent que la possibilité d’un renouvellement ne porte sérieusement atteinte à l’indépendance des sénateurs et, par conséquent, du Sénat dans son ensemble. Rares sont ceux qui soutiendraient que l’indépendance de la Cour suprême du Canada ne serait pas ébranlée si le mandat actuel de ses membres – qui exercent leur charge jusqu’à l’âge de 75 ans – était transformé en mandat de huit ans, renouvelable selon le bon vouloir du premier ministre en poste (dont les lois et les politiques sont souvent contestées devant la Cour). L’indépendance de la Chambre haute du Parlement n’a pas moins d’importance pour notre régime gouvernemental. Par conséquent, le Comité a amendé le projet de loi S-4 de façon à prévoir expressément que le mandat de 15 ans des nouveaux sénateurs n’est pas renouvelable.
III. Limite d’âge de 75 ans
La Loi constitutionnelle de 1867 prévoyait au départ la nomination à vie des sénateurs, considérée comme la meilleure garantie d’indépendance à l’égard du gouvernement, et les mêmes modalités existaient au sein de la magistrature. Cette disposition a été modifiée en 1965 pour fixer une limite d’âge, 75 ans; elle a été adoptée à la suite d’un changement semblable dans la magistrature canadienne.
Le projet de loi S-4 supprimerait cette limite d’âge, ce qui permettrait aux sénateurs nommés de rester en poste pour leur mandat de huit ans même après avoir atteint l’âge de 75 ans. Par exemple, le premier ministre pourrait décider de nommer sénateur quelqu’un de 73 ans, qui exercerait son mandat de huit ans en restant au Sénat jusqu’à 81 ans. Selon la proposition, le premier ministre pourrait nommer un nouveau sénateur de 75 ou 80 ans, voire plus âgé, parce qu’il n’y aurait plus d’âge maximal. (Le projet de loi conserve cependant la règle constitutionnelle voulant qu’un sénateur ait au moins 30 ans.)
Bien que peu de témoins aient abordé la question, ceux qui l’ont fait se sont presque tous opposés à la proposition. Par exemple, M. Andrew Heard a signalé que, depuis 1965 (année où la limite de 75 ans a été établie), près de 23 p. 100 des sénateurs sont décédés avant la fin de leur mandat. Il a poursuivi ainsi :
« Il faut donc se demander de façon plus générale comment le Sénat peut faire face à cette réalité, soit le fait qu'il est composé de personnes qui sont à un âge avancé. Ce n'est pas seulement le fait que le taux de mortalité des sénateurs est plus élevé que celui des députés. Pendant la même période, seulement 3 p. 100 des députés sont morts, en comparaison avec 23 p. 100 des sénateurs. C'est aussi le fait que cela a une incidence sur le travail du Sénat, car nombreux sont les sénateurs qui sont malades, qui doivent prendre des congés prolongés ou ne peuvent travailler à temps plein comme ils voudraient le faire. Supprimer la retraite obligatoire pourrait aggraver les problèmes que connaît déjà le Sénat en raison de l'âge avancé des sénateurs. Rien ne justifie que l'on abolisse la retraite obligatoire et l'abolition de la retraite obligatoire pourrait avoir des conséquences néfastes[24]. »
D’autres témoins ont aussi recommandé de maintenir à 75 ans l’âge de la retraite obligatoire pour encourager une plus grande diversité d’opinions au Sénat.
Le Comité a été frappé par le contraste entre la proposition que renferme le projet de loi S‑4 et les efforts actuels pour réformer la Chambre des lords au Royaume-Uni. Il a tenu deux audiences par téléconférence avec des témoins de Londres : la première avec des universitaires qui ont une connaissance approfondie de la Chambre des lords et la seconde avec trois membres de cette chambre. Meg Russell, proche observatrice de la Chambre des lords à titre de chercheuse (au University College London actuellement) et de consultante auprès du gouvernement britannique et de la Commission royale sur la réforme de la Chambre des lords en 1999, a déclaré au Comité :
« Notre situation est assez différente de la vôtre. Vous avez déjà abandonné le mandat à vie et avez établi l'âge de la retraite à 75 ans. Nous ne sommes pas allés si loin. Pour nous, tout mandat qui n'est pas un mandat à vie représente une décision assez importante[25]. »
Les lords qui ont témoigné se sont dits très favorables à l’établissement d’un âge limite pour la retraite. Lord Howe of Aberavon, un conservateur, a dit : « Il se peut que nous [la Chambre des lords] devions imposer un âge limite pour la retraite, car sinon nous aurons une chambre majoritairement composée d'aînés. Je suis convaincu qu'il nous faut une sorte de système de retraite[26]. »
La baronne Deech, membre indépendant, a indiqué :
« Il est plus important de disposer d'un âge pour la retraite que d'une durée limite pour les mandats. Peu importe la durée du mandat, elle devrait être telle qu'on ne soit pas tenté d'utiliser le temps passé à la Chambre haute comme tremplin vers un poste lucratif en affaires, ou comme prélude à une élection à la Chambre basse. En d'autres mots, ce devrait être une période menant à la fin d'une carrière, sans que les gens ne soient trop âgés. Que l'âge de la retraite soit établi à 75 ans ou quelque chose du genre est une bonne idée — peut-être un âge de la retraite comparable à celui des juges. Si les juges demeurent sages jusqu'à l'âge de 70 ou 75 ans, alors je crois que les sénateurs le peuvent aussi[27] » .
Les juges canadiens sont obligés de prendre leur retraite à 75 ans. La plupart des Canadiens arrêtent de travailler à 65 ans. À la lumière de l’analyse statistique de M. Heard, l’abolition de la limite d’âge actuelle risquerait de ramener le Sénat à la situation d’antan, où les sénateurs étaient nommés à vie.
Le Comité estime que l’abolition de la retraite obligatoire à 75 ans équivaudrait à un recul. Cette mesure pourrait devenir acceptable si la Constitution était modifiée de façon à établir un Sénat élu. Toutefois, le gouvernement actuel n’a pas fait de proposition en ce sens.
L’abolition de la limite d’âge de 75 ans aurait probablement un effet sur la nature et la qualité des travaux du Sénat et influerait assurément sur l’attitude des Canadiens envers cette chambre. Si, comme le gouvernement l’a indiqué, un des objectifs du projet de loi est le renouvellement des idées et des points de vue au Sénat, le Comité n’est pas convaincu que l’abolition de la retraite obligatoire soit la meilleure façon d’y arriver. Il s’abstient d’émettre des hypothèses sur la raison pour laquelle le gouvernement propose cette mesure en maintenant l’âge minimal de 30 ans. Il n’y a pas d’âge minimal pour la Chambre des communes.
Le Comité est d’avis que la disposition adoptée en 1965 et fixant l’âge de la retraite à 75 ans pour les sénateurs, à l’exemple des juges, a eu pour effet d’améliorer le travail et la contribution du Sénat dans son ensemble. Aucun des témoignages entendus ne lui a fourni une raison probante de supprimer cette disposition, mais il a entendu des arguments de poids en faveur du maintien de la limite.
Par conséquent, le Comité a amendé le projet de loi S-4 de façon à conserver la disposition constitutionnelle exigeant que les sénateurs prennent leur retraite à 75 ans.
IV. Préoccupations relatives à la constitutionnalité du projet de loi S-4
Au cours du débat en deuxième lecture du projet de loi S-4, la principale préoccupation de nombreux sénateurs était de savoir si le Parlement a le pouvoir d’adopter cette modification constitutionnelle unilatéralement en vertu de l’article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette question a été examinée par le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, qui a étudié l’objet du projet de loi S-4 dans le cadre de son examen des questions touchant la réforme du Sénat. Bien que le Comité ait conclu que des modifications pourraient être apportées à la durée du mandat des sénateurs en invoquant l’article 44, pour de nombreux sénateurs il subsistait d’importantes questions au sujet de la constitutionnalité du projet de loi. C’est là la principale raison du renvoi de la mesure législative au Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour qu’il procède à un examen plus approfondi. La constitutionnalité du projet de loi S-4 était donc la préoccupation première de nos audiences. Nous avons cherché à déterminer si le Parlement a le pouvoir d’adopter de sa propre initiative la modification constitutionnelle énoncée dans le projet de loi S-4 ou si, en vertu de la Constitution, la modification nécessite l’accord des provinces.
Formules de modification
La Loi constitutionnelle de 1982 énonce quatre procédures par lesquelles des modifications constitutionnelles peuvent être adoptées. La procédure générale de modification de la Constitution du Canada est énoncée à l’article 38. Cette disposition permet les modifications qui sont autorisées par le Sénat et la Chambre des communes, et par les assemblées législatives d’au moins deux tiers des provinces dont la population confondue représente au moins cinquante pour cent de la population de toutes les provinces (appelée formule de modification 7/50). Les articles 41, 43 et 44 présentent ensuite trois autres formules relatives à des modifications constitutionnelles particulières. L’article 41 énumère certaines modifications qui doivent obtenir le consentement unanime du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de toutes les provinces. L’article 43 traite de modifications qui s’appliquent à une ou à plusieurs provinces, mais non à toutes.
Le gouvernement est d’avis que le projet de loi S-4 pourrait être dûment adopté en vertu de l’article 44 qui prévoit ce qui suit :
44. Sous réserve des articles 41 et 42, le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.
Comme il est mentionné ci-dessus, l’article 41 porte sur certaines modifications qui doivent faire l’unanimité, tandis que l’article 42 traite de modifications qui ne peuvent être apportées que selon la formule de modification 7/50 énoncée à l’article 38.
Le paragraphe 42(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 se lit comme suit :
42. (1) Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait conformément au paragraphe 38(1) :
(a) le principe de la représentation proportionnelle des provinces à la Chambre des communes prévu par la Constitution du Canada;
(b) les pouvoirs du Sénat et le mode de sélection des sénateurs;
(c) le nombre des sénateurs par lesquels une province est habilitée à être représentée et les conditions de résidence qu’ils doivent remplir;
(d) sous réserve de l’alinéa 41d), la Cour suprême du Canada;
(e) le rattachement aux provinces existantes de tout ou partie des territoires;
(f) par dérogation à toute autre loi ou usage, la création de provinces.
Contexte historique
Jusqu’en 1982, le principal document constitutionnel était l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, aujourd’hui appelée Loi constitutionnelle de 1867. Lorsque le Parlement britannique a adopté cette loi en 1867 (fait intéressant, elle a d’abord été adoptée par la Chambre des lords, puis par la Chambre des communes britannique), on n’a pas pensé à prévoir un mécanisme permettant de la modifier, sauf par l’adoption ultérieure d’une nouvelle loi du Parlement du Royaume-Uni[28]. En conséquence, le Parlement britannique a dû à quelques reprises adopter des lois « de nature plutôt technique » , par exemple l’Acte concernant l’Orateur canadien (nomination d’un suppléant) 1895, qui clarifiait le pouvoir du Parlement canadien de nommer un orateur suppléant au Sénat. Comme le chercheur James Ross Hurley l’a fait remarquer, « cet arrangement était plutôt boiteux[29] » .
En 1949, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a été modifié afin de permettre au Parlement du Canada d’apporter de sa propre initiative certaines modifications à la Constitution. À cet égard, le paragraphe 91(1) prévoyait notamment ce qui suit :
91. […], il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :
(1) La modification, de temps à autre, de la constitution du Canada, sauf en ce qui concerne les matières rentrant dans les catégories de sujets que la présente loi attribue exclusivement aux législatures des provinces, ou en ce qui concerne les droits ou privilèges accordés ou garantis, par la présente loi ou par toute autre loi constitutionnelle, à la législature ou au gouvernement d'une province, ou à quelque catégorie de personnes en matière d'écoles, ou en ce qui regarde l'emploi de l'anglais ou du français, ou les prescriptions portant que le parlement du Canada tiendra au moins une session chaque année et que la durée de chaque chambre des communes sera limitée à cinq années, depuis le jour du rapport des brefs ordonnant l'élection de cette chambre; toutefois, le parlement du Canada peut prolonger la durée d'une chambre des communes en temps de guerre, d'invasion ou d'insurrection, réelles ou appréhendées, si cette prolongation n'est pas l'objet d'une opposition exprimée par les votes de plus du tiers des membres de ladite chambre.
Avant qu’il ne soit abrogé en 1982 et remplacé par l’article 44 susmentionné, le paragraphe 91(1) a été utilisé à cinq reprises, notamment en 1965 pour modifier la disposition qui prévoyait alors la nomination des sénateurs à vie en imposant la retraite à l’âge de 75 ans. La Cour suprême a décrit les cinq modifications prévues au paragraphe 91(1) comme des « questions fédérales « internes » [30] » .
Le Renvoi relatif à la Chambre haute[31]
En 1978, le gouvernement canadien, alors dirigé par le très honorable Pierre Trudeau, a renvoyé une série de question à la Cour suprême du Canada afin qu’elle détermine si le Parlement du Canada pouvait adopter une loi en vertu du paragraphe 91(1) dans le but d’abolir le Sénat ou d’y apporter certaines réformes. L’une des questions visait à déterminer s’il ressortissait de la compétence législative du Parlement de promulguer des lois pour « changer le mandat des membres [du Sénat] » .
Dans son avis du 21 décembre 1979, connu comme le Renvoi relatif à la Chambre haute, la Cour suprême a porté une grande attention au contexte historique qui a donné lieu à la création du Sénat, citant abondamment les débats entourant la Confédération qui décrivent avec précision la raison d’être du Sénat, notamment la protection des intérêts des sections [aujourd’hui appelées régions] et des provinces. La Cour a mentionné le rôle que joue le Sénat pour assurer, pour reprendre les paroles de Sir John A. Macdonald, « un deuxième coup d’œil attentif à la loi » . Elle a déclaré : « En créant le Sénat de la manière prévue à l'Acte, il est évident qu'on voulait en faire un organisme tout à fait indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des communes. On y est arrivé en disposant que les membres du Sénat seraient nommés à vie[32]. »
La Cour a rejeté l’idée selon laquelle le paragraphe 91(1) permet d’abolir le Sénat, et elle a résumé sa réponse aux diverses questions précises sur la réforme du Sénat comme suit :
« [N]ous sommes d'avis que, bien que le par. 91(1) permette au Parlement d'apporter certains changements à la constitution actuelle du Sénat, il ne lui permet pas d'apporter des modifications qui porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale dans le système législatif fédéral. Le Parlement britannique a déterminé le caractère du Sénat d'après les propositions soumises par les trois provinces pour rencontrer les exigences du système fédéral proposé. C'est à ce Sénat, créé par l'Acte, que l'art. 91 a donné un rôle législatif. Nous sommes d'avis que le Parlement du Canada ne peut en modifier unilatéralement le caractère fondamental et le par. 91(1) ne l'y autorise pas.[33] » [gras ajouté]
Au sujet de la question de savoir si le Parlement peut modifier unilatéralement la durée du mandat des sénateurs en vertu du paragraphe 91(1), la Cour a déclaré :
« Actuellement, lorsqu'ils sont nommés, les sénateurs occupent leur charge jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans. À un certain point, la réduction de la durée des fonctions pourrait nuire au bon fonctionnement du Sénat qui assure, pour reprendre les paroles de Sir John A. Macdonald, [TRADUCTION] « un deuxième coup d'œil attentif à la loi » . L'Acte prévoit une constitution semblable, en principe, à celle du Royaume Uni, où les membres de la Chambre des lords siègent à vie. L'imposition de la retraite obligatoire à l'âge de soixante-quinze ans n'a pas modifié le caractère essentiel du Sénat. Cependant, pour répondre à cette question, il nous faudrait savoir quels changements on se propose d'apporter à la durée des fonctions[34]. » [gras ajouté]
Discussion
La décision concernant le Renvoi relatif à la Chambre haute a été rendue en 1979; la Constitution a été rapatriée en 1982, et le paragraphe 91(1) a été abrogé et que les formules de modification prévues aux articles 38, 41, 43 et 44 ont été promulguées à la même époque. Nous devons déterminer si le Renvoi relatif à la Chambre haute est toujours pertinent ou s’il a été remplacé par l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Autrement dit, l’article 44 visait-il à accorder au Parlement de nouveaux pouvoirs ou à reproduire, pour l’essentiel, l’ancien paragraphe 91(1)?
Le gouvernement actuel a présenté le projet de loi S-4 en soutenant que ces modifications qui, pour reprendre le discours de la Cour suprême, « porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale dans le système législatif fédéral » , et nécessiteraient donc le consentement des provinces, ont toutes été codifiées à l’article 42 de la Loi constitutionnelle de 1982. Autrement dit, si une modification proposée au Sénat n’est pas mentionnée à l’article 42, le Parlement peut l’adopter unilatéralement en vertu de l’article 44. Cette position a été présentée au Comité par Matthew King, secrétaire adjoint du Cabinet, Législation et planification parlementaire, Bureau du conseil privé, au nom du gouvernement :
« Le gouvernement estime que l'approche choisie — qui consiste à modifier l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867 en se fondant sur l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 —, est parfaitement valide sur le plan constitutionnel.
Le gouvernement estime que les éléments de la réforme du Sénat qui nécessitent l'application de la formule de modification générale — qu'on appelle la formule d'amendement 7/50 — sont clairement énoncés à l'article 42 de la loi de 1982 et qu'il s'agit, en vertu de l'alinéa 42b), des pouvoirs du Sénat et de la méthode de sélection des sénateurs et, en vertu de l'alinéa 42c), du nombre de sénateurs qui peuvent représenter une province de même que les conditions de résidence des sénateurs.
Comme la durée du mandat n'est pas un des éléments expressément prévus par l'article 42, le gouvernement estime que le Parlement a le pouvoir d'adopter le projet de loi S-4 en invoquant l'article 44[35]. »
Cette position est renforcée par le préambule du projet de loi S-4, qui reprend les propos du Renvoi relatif à la Chambre haute, en précisant :
Attendu que le Parlement entend préserver les caractéristiques essentielles du Sénat, lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive au sein de la démocratie parlementaire canadienne.
Toutefois, Joseph Magnet, professeur de droit constitutionnel de l’Université d’Ottawa, nous a précisé très clairement ce qui suit :
« Dans une certaine mesure, ces attendus donnent une certaine idée de son objet. Ils font référence au principe démocratique. Ils tentent par ailleurs de fournir quelques indications — que je trouve personnellement bien utiles — du fait que le projet de loi S-4 reste dans les limites autorisées de l'ancien paragraphe 91(1). Autrement dit, les attendus indiquent qu'il s'agit de préserver les caractéristiques essentielles du Sénat en tant que lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive. Les attendus l'indiquent de façon spécifique. C'est une affirmation intéressante et utile, mais elle n'est pas prépondérante[36]. »
La vaste majorité des témoignages que le Comité a entendus appuyaient l’affirmation selon laquelle le Renvoi relatif à la Chambre haute continue d’être une mesure pertinente et l’article 44 ne donne pas au Parlement plus de pouvoirs de modification que ne lui en accordait l’ancien paragraphe 91(1). Par exemple, M. Magnet a déclaré au Comité :
« L'objet même du projet de loi de rapatriement était de laisser les choses en l'état, sauf à rapatrier la Constitution en y ajoutant la Charte des droits et libertés ainsi qu'un mode de révision de la Constitution. Le rapatriement évitait spécifiquement d'étendre les pouvoirs du Parlement. L'article 31 de la Loi constitutionnelle de 1982 indique expressément l'intention du législateur : « La présente charte n'élargit pas les compétences législatives de quelque organisme ou autorité que ce soit » . Cette intention s'applique par hypothèse à l'article 44 qui, bien que ne figurant pas dans la charte, comporte des notes marginales indiquant clairement l'absence de tout changement.
Il en découle que la portée de l'article 44 n'est pas plus vaste que celle de l'ancien paragraphe 91(1). À mon avis, l'article 44 ne saurait justifier une mesure législative qui modifierait les caractéristiques fondamentales ou essentielles du Sénat. Contrairement à certaines opinions formulées à l'intention des sénateurs, je considère que pour un tribunal qui verrait dans le projet de loi S-4 une première étape en direction d'une modification de ces caractéristiques fondamentales, ce projet de loi ne serait pas nécessairement conforme à l'article 44, qui ne confère au Parlement aucun pouvoir supplémentaire pour modifier les caractéristiques essentielles du Sénat, sauf sur les quatre sujets énoncés aux alinéas 42b) et c)[37]. »
D’autres spécialistes de la Constitution sont arrivés à la même conclusion, notamment le professeur de droit constitutionnel John McEvoy, de l’Université du Nouveau-Brunswick, qui a étayé sa position par des extraits du compte rendu historique des délibérations tenues lors de l’examen de la Loi constitutionnelle de 1982. Il a fait état d’une motion présentée en 1981 par l’honorable Jake Epp dans le but précis d’exclure le Sénat de toute modification pouvant être apportée unilatéralement par le Parlement (ce qui deviendrait l’article 44). Pour expliquer son objectif, M. Epp avait déclaré :
« L'amendement rendrait impossible pour la seule Chambre, ou dans le cadre d'une simple initiative fédérale, de modifier le rôle ou les pouvoirs du Sénat. »
M. McEvoy a mentionné que M. Epp avait retiré cet amendement seulement après que le ministre de la Justice lui a assuré que l’amendement était inutile étant donné que le pouvoir fédéral de modification avait une portée restreinte et ne s’appliquait qu’à des questions internes comme une modification du quorum au Sénat. Il a déclaré :
« Le sens de ce fait historique tient au fait que l'intention déclarée, à l'époque où on étudiait le texte qui allait devenir la Loi constitutionnelle de 1982 — ou du moins, l'intention exprimée devant le Comité mixte spécial de la Constitution de 1981, coprésidé par le sénateur Joyal — était de maintenir le statu quo[38]. »
M. Andrew Heard a fait ressortir un problème crucial du raisonnement actuel du gouvernement, à savoir que si une question n’est pas mentionnée aux articles 41 ou 42, le Parlement peut la modifier unilatéralement en vertu de l’article 44. M. Heard a témoigné devant le Comité spécial sur la réforme du Sénat. Dans son rapport, ce comité a déclaré que, selon M. Heard, l’article 44 permet au Parlement d’agir unilatéralement pour réduire la durée du mandat des sénateurs. Toutefois, lorsque M. Heard a comparu devant notre Comité, il nous a appris qu’il avait revu sa position depuis son précédent témoignage. Il a présenté un puissant argument.
M. Heard a fait remarquer que l’article 42 ne peut être une liste exhaustive des questions que le Parlement ne peut modifier unilatéralement puisqu’il y manque certaines questions essentielles. Par exemple, l’ancien paragraphe 91(1) prévoyait expressément que le pouvoir fédéral de modification ne pouvait servir à modifier l’obligation de tenir une élection au moins tous les cinq ans. Cette obligation n’est mentionnée nulle part dans les pouvoirs de modification énoncés dans la Loi constitutionnelle de 1982. De même, le droit de voter lors d’une élection fédérale n’est traité dans aucune des formules de modification. On peut soutenir que ces deux questions sont des modifications « portant sur […] la Chambre des communes » qui ne sont pas expressément mentionnées aux articles 41 ou 42 comme nécessitant le consentement des provinces. Et pourtant, il serait absurde d’avancer que le Parlement a le droit d’adopter une modification qui permettrait au gouvernement de rester au pouvoir pendant 10, 20 ou 30 ans sans tenir d’élection générale, ou encore de restreindre le droit de vote en ne le donnant, par exemple, qu’aux militants d’un parti au pouvoir. M. Heard a déclaré :
« Si on soutenait que l'article 44 ne renfermait que les exceptions prévues aux articles 41 et 42, eh bien, le Parlement pourrait abolir le mandat maximal de cinq ans. Il pourrait, en théorie peut-être, abolir le droit de vote et le droit de se présenter comme candidat. La Cour suprême ne serait jamais d'accord et c'est précisément mon argument : la cour ne va pas interpréter plus largement les limites imposées dans cette interprétation littérale de l'article 44[39]. » [gras ajouté]
Henry Brown, c.r., de la société d’avocats Gowling, Lafleur et Henderson, et le professeur de droit constitutionnel Errol Mendes abondent dans le sens de M. Heard. Sa logique est puissante et nous a convaincus nous aussi.
La prochaine question est donc la suivante : le projet de loi S-4 est-il un exercice autorisé du pouvoir fédéral unilatéral prévu à l’article 44 dans les limites décrites par la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Chambre haute? Là encore, la grande majorité des témoignages de spécialistes que le Comité a entendus ont révélé d’importantes préoccupations sur le plan constitutionnel quant à savoir si le projet de loi peut dûment être adopté unilatéralement par le Parlement, sans que les provinces n’aient leur mot à dire.
Pour plusieurs spécialistes de la Constitution, la présentation du projet de loi du gouvernement C‑43 à la Chambre des communes le 13 décembre 2006 est un facteur important. En effet, ce projet de loi prévoit la consultation des électeurs en ce qui touche leurs choix concernant la nomination de sénateurs représentant une province. Au moment où le Comité spécial sur la réforme du Sénat a examiné l’objet du projet de loi S-4, le premier ministre, le très honorable Stephen Harper a témoigné devant lui et déclaré que son gouvernement était convaincu que « le Sénat devrait être élu[40] » . Il a également précisé l’intention de son gouvernement de « présenter à la Chambre […] un projet de loi ayant pour objet d’instaurer un processus de sélection des sénateurs élus. Ce projet de loi sera une preuve supplémentaire du sérieux avec lequel le gouvernement envisage la question d’une réforme véritable du Sénat[41]. »
Aucun projet de loi à cet égard n’a été présenté au cours de l’étude du Comité spécial et n’a donc pu être étudié par celui-ci. Le projet de loi C-43 n’a été déposé à la Chambre des communes que près de deux mois après que le Comité sénatorial spécial eut terminé son étude sur l’objet du projet de loi S-4.
Le gouvernement est d’avis que les projets de loi S-4 et C-43 ne devraient pas être étudiés ensemble, mais plutôt individuellement. M. Matthew King, du Bureau du Conseil privé, nous a déclaré ce qui suit :
« Le gouvernement estime [que le projet de loi C-43] n'est pas lié au projet de loi S‑4. Bien au contraire, il a affirmé sans équivoque que ces deux projets de loi ne sont pas liés entre eux et que chacun d'eux doit être évalué individuellement[42]. »
Nous comprenons que le gouvernement désire que nous étudiions le projet de loi S-4 individuellement, indépendamment du projet de loi C-43. Toutefois, les témoignages des experts en droit constitutionnel ont indiqué clairement qu’un tribunal procéderait différemment en examinant attentivement toutes les initiatives liées à une réforme du Sénat.
M. Magnet, qui a bien fait savoir qu’il présentait simplement son meilleur avis impartial, s’est livré à une analyse minutieuse de la façon dont un tribunal qui serait saisi de cette question aborderait la constitutionnalité du projet de loi S-4. Il a déclaré :
« Tout d'abord, [le tribunal] appliquerait la méthode éprouvée de l'analyse constitutionnelle mentionnée dans de très nombreux arrêts de la Cour suprême du Canada. Il se demanderait quels sont l'objet, la substantifique moelle et les effets juridiques et pratiques de cet amendement[43]. »
Pour répondre à cette question, M. Magnet a examiné un certain nombre de facteurs, notamment la teneur et le préambule du projet de loi S-4, l’historique des propositions de réforme du Sénat, et les déclarations du premier ministre Harper devant le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat. Il a ensuite mentionné ce qui suit :
« Il affirme ainsi que le projet de loi S-4 fait partie d'un ensemble à venir. Tout cela devrait amener le tribunal à considérer le projet de loi S-4 comme un élément d'une démarche globale ayant pour objet et substantifique moelle de modifier progressivement la représentation régionale — tout d'abord en modifiant la durée du mandat; deuxièmement en imposant le processus électoral; et enfin, comme l'a dit le premier ministre Harper, en essayant de provoquer, probablement par le biais d'une modification constitutionnelle, un changement dans la représentation des provinces[44]. »
M. Magnet a précisé au Comité que, selon lui, un tribunal jugerait que le projet de loi déborde le cadre des modifications permises par l’article 44. Il a déclaré : « À mon avis, l'article 44 ne saurait justifier une mesure législative qui modifierait les caractéristiques fondamentales ou essentielles du Sénat. Contrairement à certaines opinions formulées à l'intention des sénateurs, je considère que pour un tribunal qui verrait dans le projet de loi S-4 une première étape en direction d'une modification de ces caractéristiques fondamentales, ce projet de loi ne serait pas nécessairement conforme à l'article 44[45]. »
Il a terminé en disant :
« [J]'estime que le projet de loi S-4 risque de ne pas survivre à un contrôle quant à sa constitutionnalité. Je n'affirme pas qu'il n'y survivrait pas. Je dis simplement qu'il risque de ne pas y survivre, et je ne peux pas apporter davantage de précisions[46]. »
Le témoignage de M. Magnet a convaincu Roger Gibbins, président et chef de la direction de la Canada West Foundation et défenseur de longue date de la réforme du Sénat au Canada. M. Gibbins a témoigné devant le Comité (comme il l’a fait devant le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat) pour défendre fermement le projet de loi S-4. Toutefois, après avoir écouté les propos de M. Magnet, M. Gibbins a déclaré ce qui suit au Comité :
« Je me remets à peine des déclarations de M. Magnet, parce qu'il a soulevé des doutes dan mon esprit au sujet de la constitutionnalité du projet de loi, doutes que je n'avais pas plus tôt aujourd'hui. Il a présenté des arguments convaincants : si la cour estime qu'il s'agit d'une première étape, elle rejettera la mesure. C'est du moins la conclusion que je vois.
Si ce message est bien compris et a du sens, et j'ai trouvé cela assez convaincant aujourd'hui, ce serait une bonne idée de renvoyer la question à la Cour suprême. Mais plus essentiel encore, c'est inviter la Cour suprême à mettre un terme au processus.
Je suis décontenancé. Je ne sais pas très bien quoi faire parce que j'ai toujours cru qu'une certaine réforme du Sénat était nécessaire pour renforcer les liens entre les Canadiens et leur Parlement national, et je crains les conséquences, si ce débat était ajourné sans qu'un autre gouvernement veuille y toucher avant une ou deux générations.
Je suis déchiré. Je dois dire que les questions soulevées ce soir en ont soulevé aussi d'importantes dans mon esprit quant à la constitutionnalité de ce que nous faisons et même si cela me chagrine, je trouve ces arguments assez convaincants[47]. »
M. Errol Mendes, qui enseigne lui aussi le droit constitutionnel, est d’accord avec le professeur Magnet :
« Il est généralement reconnu que le projet de loi n'est que le précurseur d'une entreprise beaucoup plus vaste visant à inscrire les nominations au Sénat dans le cadre d'une élection fédérale consultative. À mon avis, si deux textes de loi ou les deux tentatives sont ainsi reliés, ce serait profondément inconstitutionnel.
Il me semble que cela représente une tentative de faire indirectement ce qu'il n'est pas possible de faire directement sans les instructions claires de l'article 42 et de la formule générale d'amendements. N'oublions pas en effet que la Cour suprême, dans le célèbre Renvoi relatif au rapatriement de la Constitution, avisait en 1981 le premier ministre Trudeau qu'il agirait en contravention des conventions constitutionnelles s'il rapatriait la Constitution sans le consentement substantiel des provinces. Il a donc renoncé, la Cour suprême du Canada a fait obstacle à cette tentative, et le reste est passé à l'histoire.
Dans l'élaboration d'un cadre d'élections fédérales consultatives des sénateurs, nous risquons d'avoir affaire à une tentative encore plus grave dans le droit fil du projet de loi S-4. Il s'agirait en effet de faire indirectement ce qu'il serait impossible de faire directement, aussi bien en vertu des conventions constitutionnelles que dans le cadre des lois constitutionnelles de 1867 et de 1982, et cela sans la participation ni le consentement des provinces.
En conclusion, les arguments que je vous ai livrés sont autant de raisons sérieuses qui justifient amplement le retrait du projet de loi S-4 jusqu'à ce qu'une étude sérieuse ait pu être réalisée afin de mieux comprendre les enjeux véritables de cette curieuse tentative faite à l'emporte-pièce pour réformer le Sénat afin de rendre celui-ci conciliable avec les principes d'une démocratie moderne[48]. » [gras ajouté]
Les gouvernements provinciaux sont également d’avis qu’il faut étudier les deux projets de loi séparément. Voici ce qu’écrit l’honorable Marie Bountrogianni, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable du Renouveau démocratique de l’Ontario :
« Je partage l’avis des experts en matière juridique et constitutionnelle qui ont témoigné devant le Comité et selon lesquels les projets de loi C-43 et S-4 devraient être examinés conjointement et non séparément. Le projet de loi S-4 et le projet de loi C‑43 sont intimement liés. Sans limites quant au mandat, il ne fait aucun doute que les sénateurs seraient élus à vie; sans élections, le pouvoir de nomination du premier ministre serait excessif. Conjointement, les changements inévitables occasionnés par ces deux lois modifieraient en profondeur le fonctionnement du Parlement en modifiant le caractère essentiel du Sénat. Pourtant, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi sans avoir consulté valablement et au préalable les provinces ou sans avoir obtenu leur consentement[49]. »
Le gouvernement du Québec a récemment écrit au Comité et nous a déclaré qu’avec le dépôt du projet de loi C-43,
« Les intentions fédérales sont donc maintenant connues. Le projet de loi S-4 ne peut plus être pris isolément. Il doit désormais être évalué à la lumière du projet de loi C-43, car son effet est différent selon que le mode actuel de sélection des sénateurs demeure ou est transformé.
Si l’on faisait abstraction du projet de loi C-43, le mandat fixe d’une durée de huit ans devrait être non renouvelable, et ce, pour des raisons d’indépendance. Par contre, dans l’hypothèse d’un Sénat qui se transformerait en chambre composée d’élus, comme l’envisage le projet de loi C-43, le caractère renouvelable du mandat devient un mécanisme important d’imputabilité.
Le fait que le projet de loi S-4 ne s’oppose pas à ce que le mandat de huit ans soit renouvelable exprime un lien organique entre ce projet de loi et le projet de loi C-43. Les deux projets de loi se révèlent ainsi deux composantes d’une même démarche législative fédérale dont l’objectif global est de « créer un Sénat élu », pour reprendre l’expression du premier ministre Harper. Les appréhensions que le gouvernement du Québec exprimait en septembre 2006 à l’égard des intentions fédérales se sont trouvées confirmées avec l’ajout du projet de loi C‑43.
Ce contexte amène le gouvernement du Québec à reconsidérer son appui au projet de loi S-4 en raison du fait que celui-ci ne peut plus être considéré comme une mesure limitée. Cette mesure s’inscrit désormais dans une démarche plus large révélée par le projet de loi C-43[50]. » [gras ajouté]
Le gouvernement du Québec s’interroge également sur la relation entre les projets de réforme du Sénat et le projet de loi C-56, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation démocratique), que le gouvernement fédéral a déposé aux Communes le 11 mai 2007. Voici ce qu’il écrit :
« Bien que le Sénat du Canada n’ait pas été en mesure de rencontrer pleinement les objectifs qui étaient sous-jacents à sa création, il n’en reste pas moins qu’il fait partie intégrante du compromis qui a donné naissance au Canada en 1867, et qu’il est intimement lié à l’équilibre fédératif en général, et à l’équilibre des forces en présence au Parlement du Canada en particulier.
Même en ce qui concerne la composition de la Chambre des communes, le contexte fédératif a une influence. En effet, la proportionnalité ne s’y résume pas à une stricte réalité mathématique. Elle doit être le résultat d’un arbitrage subtil entre plusieurs facteurs, dont la nécessité pour les Québécoises et les Québécois, en tant que nation, de conserver une place effective au sein des institutions fédérales afin de faire utilement entendre leur voix dans la gouvernance de notre pays.
Le projet de loi C-56, prévoyant une diminution du poids du Québec à la Chambre des communes, est, dans ce contexte, une autre source importante d’inquiétude à l’égard des initiatives fédérales actuelles dans le champ institutionnel. C’est un projet de loi dont l’Assemblée nationale du Québec a également demandé le retrait dans sa résolution unanime du 16 mai 2007.
Les objectifs législatifs fédéraux concernant le Sénat sont par ailleurs de nature à faire naître des demandes concernant la répartition des sièges au Sénat, question où, du point de vue du gouvernement du Québec et comme il l’a souligné devant le Comité sénatorial spécial, les intérêts en jeu ont des racines profondes qui touchent à la dualité canadienne et aux origines mêmes de la fédération.
Il faut garder constamment à l’esprit que l’équilibre global de la représentation au sein du Parlement fédéral a constitué un enjeu crucial pour le Québec en 1867 et continue d’en être un pour le Québec d’aujourd’hui[51]. »
M. Alan Cairns nous a recommandé de voir dans le projet de loi S‑4 la première seulement de trois étapes vers la réforme du Sénat : durée du mandat, élections consultatives et nouvelle répartition des sièges. Il a dit :
« Cela force les sénateurs à prendre une décision très compliquée. Ils doivent déterminer, entre autres, si l'étape un est une position de repli acceptable advenant l'échec de la deuxième étape devant l'une ou l'autre des deux Chambres. C'est paradoxal, car il est intellectuellement possible d'appuyer la première étape à titre d'entrée en matière pour passer à la deuxième, mais de s'y opposer dans un contexte où le processus s'arrête là.
Le problème, c'est que les sénateurs ne peuvent simultanément s'opposer à la première étape appliquée seule et l'appuyer parce qu'ils aiment la première et la deuxième étapes lorsqu'elles sont liées. L'étape deux, manifestement, change le rôle du premier ministre et la nature de ceux qui sont élus.
Dans son rapport, le comité précédent avançait que le projet de loi S-4 n'est pas à ce point lié au projet législatif relatif aux élections consultatives qu'on ne pourrait envisager sa mise en œuvre de façon isolée. Toutefois, dans le cadre des travaux du comité précédent, de nombreux témoins ont déclaré très clairement qu'il serait inacceptable de mettre de l'avant le projet de loi S-4 sans établir un processus électoral consultatif.
Au moment de nous prononcer sur la première étape, nous devons déterminer si, advenant l'échec de la deuxième étape, elle constitue tout de même une amélioration du système. J'avancerais que cette étape, si elle n'est pas accompagnée d'une version quelconque de la deuxième étape, aura des conséquences négatives, car elle accroîtrait tout simplement le pouvoir du premier ministre dans le cadre du processus de nomination, grâce au contrôle que lui conférerait le roulement rapide découlant de mandats successifs de huit ans[52]. » [gras ajouté]
Toutefois, même si on considère en lui‑même le projet de loi S‑4, comme le souhaite le gouvernement, certains de ses éléments semblent outrepasser la compétence du Parlement en vertu de l’article 44 et nécessiter la mise à contribution des provinces. Le professeur de droit constitutionnel John McEvoy, par exemple, a déclaré ce qui suit :
« La décision de modifier la durée du mandat des sénateurs pour la limiter à huit ans, de permettre ou non un deuxième mandat, est d'une importance telle qu'elle est davantage qu'un enjeu intéressant le seul Parlement fédéral. Il ne s'agit pas d'une modification interne du Sénat; il s'agit d'un changement de structure qui devrait exiger, dans une certaine mesure, le consentement des provinces. Les démarches historiques structurelles d'interprétation constitutionnelle appuient cette conclusion. C'est un changement qu'il faudrait envisager en même temps que la réforme du mode de sélection[53]. »
M. McEvoy a aussi dit clairement qu’à son avis, les modifications proposées au projet de loi S‑4 auraient une incidence sur le rôle du Sénat comme organe de représentation régionale, ce rôle faisant partie intégrante de ses fonctions en tant qu’organisme de révision et d’enquête :
« La représentation régionale, le rôle d'enquête et le rôle de révision sont les trois parties symbiotiques du rôle du Sénat. Le représentant régional doit défendre les points de vue de la région qu'il représente non seulement dans un rôle, mais dans tous ses rôles. La voix du Sénat est très importante, et je ne suis pas d'accord avec l'hypothèse selon laquelle on devrait diviser le rôle du Sénat en ces trois rôles distincts. Il s'agit de rôles symbiotiques[54]. »
Selon M. Don Desserud, de l’Université du Nouveau-Brunswick :
« Je veux soulever deux points simples. Premièrement, je crois que c'est l'article 42, et non l'article 44, qui s'applique à l'amendement en question. Deuxièmement, je pense que les amendements antérieurs, qui ont modifié la durée du mandat des sénateurs en imposant la retraite obligatoire à 75 ans, ne sont pas directement comparables à l'amendement en question […]
L'article 42 précise que la procédure normale de modification — la règle de sept provinces et 50 p. 100 de la population — s'applique aux amendements touchant les pouvoirs et le mode de nomination des sénateurs. L'article ne parle pas d'amendements qui modifient radicalement les pouvoirs ou d'amendements qui augmentent ces pouvoirs; ils parlent d'amendements touchant ces pouvoirs.
[...] Je ne vois pas comment on pourrait envisager la modification de la durée du mandat des sénateurs pour créer des mandats fixes de huit ans comme autre chose qu'une modification des pouvoirs du Sénat[55]. »
M. David E. Smith, de l’Institut de politiques d'intérêt public de la Saskatchewan, qui a beaucoup écrit sur le Sénat du Canada, nous a déclaré ce qui suit :
« Le 20 septembre 2006, je me suis présenté devant le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat afin de discuter du projet de loi S-4, qui porte sur la durée du mandat des sénateurs. Dans ces observations, j'ai déclaré que, à mon avis, le caractère fondamental du Sénat du Canada, qui se dégage des critères de nomination établis en 1864, l'âge et les exigences de propriété, l'inamovibilité viagère, à l'origine, de même que le nombre fixe de sénateurs, comme le formule le renvoi de 1980 relatif au Sénat de la Cour suprême du Canada, est l'indépendance. Toute proposition en vue de modifier le Sénat qui aurait pour effet de compromettre l'indépendance de celui-ci et qui, parallèlement, ne satisferait pas à certaines normes d'approbation provinciale pour la modification de la Constitution — un ensemble de circonstances qui rappellent celles qui ont mené au renvoi de 1980 — ébranlerait, selon moi, la principale caractéristique de la Chambre haute du Parlement.
Le gouvernement soutient que la modification proposée de passer à un terme fixe de huit ans pour les sénateurs, au lieu de la retraite obligatoire à l'âge de 75 ans, pourrait être mise en place par le Parlement, agissant seul, sous le régime de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les honorables sénateurs ont entendu des témoignages contradictoires des spécialistes de la Constitution à l'égard de la justesse de cette position. Mon opinion est qu'un mandat fixe pour les sénateurs — renouvelable ou non, qu'ils soient élus ou nommés — remet en question le principe d'indépendance que les Pères de la Confédération ont tenté d'enraciner dans la structure du Sénat et que la Cour suprême du Canada a réitéré en 1980[56]. » [gras ajouté]
Mme Jennifer Smith, chef du Département de science politique à l’Université Dalhousie, n’a pas mâché ses mots pour décrire l’impact éventuel du projet de loi S‑4 :
« Je ne suis pas certaine que le Parlement du Canada puisse procéder à cette modification tout en respectant l'article 44 de la Constitution. Je dis cela tout simplement parce que je peux imaginer l'argument qu'on pourrait donner pour affirmer que cette modification est anticonstitutionnelle. Je peux imaginer l'argument qu'on pourrait formuler devant un tribunal, et je peux entrevoir comment ce tribunal pourrait conclure qu'un mandat renouvelable d'une durée de huit ans aurait des répercussions suffisantes sur le fonctionnement du Sénat pour toucher ses pouvoirs, et qu'on modifie donc arbitrairement ce qui, après tout, est une institution fondamentale de la Confédération. C'est comme couper l'herbe sous le pied des Canadiens. Cela pose problème[57]. » [gras ajouté]
Et, de fait, cette question préoccupe grandement certains gouvernements provinciaux. Plusieurs de ceux qui nous ont écrit se sont dits en désaccord avec la tentative unilatérale de réformer le Sénat de la part du gouvernement actuel.
Le 20 avril 2007, le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Shawn Graham, a écrit ceci au Comité :
« Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a examiné attentivement la modification proposée [le projet de loi S-4] et ne peut pas l’appuyer dans sa forme actuelle. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick n’accepte pas les conclusions du Comité [spécial sur la réforme du Sénat] voulant que le gouvernement du Canada ait le pouvoir constitutionnel de procéder unilatéralement au changement proposé de la durée du mandat des sénateurs. Notre étude de la jurisprudence sur la question, formulée dans l’énoncé de principe ci-annexé, appuie l’idée que les provinces doivent accorder leur consentement à tout changement touchant la représentation au Sénat.
En l’absence d’autres changements importants au Sénat, le fait de limiter à huit ans la durée du mandat des sénateurs a plus de chances de réduire l’efficacité de ce moyen d’expression des intérêts régionaux et sectoriels au Parlement que de l’améliorer. L’absence de tout détail concernant le choix des sénateurs et la possibilité de renouveler (ou non) leur mandat est un autre sujet de préoccupation.
L’ingéniosité de la Constitution canadienne consiste dans l’équilibre bien pensé qui a été établi entre les régions plus ou moins populeuses du pays ainsi qu’entre les droits de la majorité et la protection des minorités. Bien qu’un mandat limité à huit ans puisse être approprié dans le contexte d’une réforme générale du Sénat, le gouvernement du Canada, en abordant la réforme du Sénat de façon fragmentaire et unilatérale, risque d’obtenir des résultats très insatisfaisants et de provoquer des divisions[58]. » [gras ajouté]
Le gouvernement de l’Ontario partage les préoccupations du premier ministre Graham. Dans la lettre qu’elle a adressée récemment au Comité, l’honorable Marie Bountrogianni, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable du Renouveau démocratique de l’Ontario, fait siennes les préoccupations constitutionnelles et autres qu’exprime le premier ministre Graham dans sa lettre.[59]
La ministre Bountrogianni a témoigné devant le Comité spécial sur la réforme du Sénat. Après avoir précisé que la réforme du Sénat n’était pas une priorité pour le gouvernement de l’Ontario, elle a déclaré ceci :
« Quand on créa le Sénat à l'époque de la Confédération, ce fut d'après des principes de nomination des sénateurs, de mandat à vie et d'égalité régionale, non pas suivant la représentation selon la population. Il est clair que toute modification d'un de ces principes constituerait un important changement par rapport au rôle visé du Sénat — celui d'une chambre de réflexion —, nécessiterait une discussion nationale de grande envergure et l'assentiment du public canadien[60]. » [gras ajouté]
Dans sa lettre récente au Comité, la ministre Bountrogianni réitère les réserves de son gouvernement concernant la nature unilatérale des projets de réforme du Sénat du gouvernement fédéral : « Je crois qu’il serait approprié en vertu de notre système fédéral constitutionnel que la décision d’apporter des changements importants aux institutions fédérales soit entérinée par les deux partenaires, soit le gouvernement fédéral et les provinces. Tous les premiers ministres, dans un communiqué daté du 28 juillet 2006 étaient d’accord sur ce point : "Le Conseil de la fédération doit prendre part à toute discussion concernant des changements aux caractéristiques les plus importantes de grandes institutions canadiennes telles que le Sénat et la Cour suprême du Canada"[61]. »
En ce qui concerne le projet de loi S-4, la ministre Bountrogianni écrit :
« Pour ce qui est des réformes proposées dans le projet de loi S‑4, le gouvernement de l’Ontario appuie en règle générale les préoccupations d’ordre constitutionnel et autres soulevées par le premier ministre Graham dans sa lettre du 20 avril 2007 adressée à votre comité. Une réforme du Sénat fragmentaire et unilatérale est [traduction] « susceptible d’entraîner un résultat très insatisfaisant et fractionnel ». Je remarque que des préoccupations semblables concernant l’approche progressive en matière de réforme ont été soulevées par les gouvernements de la Saskatchewan et de Terre-Neuve et Labrador.
Le projet de loi S‑4, en soi, modifierait de façon radicale le véritable fonctionnement du Sénat, ce qui porterait atteinte au rôle traditionnel qu’il occupe en tant que chambre indépendante de second examen objectif. Le projet de loi est muet sur la question des renouvellements de mandat, ce qui signifie que les sénateurs pourraient devenir inutilement redevables au premier ministre s’ils sollicitent un nouveau mandat. Ils peuvent être prédisposés à se plaire aux volontés du premier ministre, qui, à la fin de deux mandats, pourrait avoir rempli le sénat de membres de son propre parti.
Le nouveau pouvoir de nommer chaque membre du Sénat en vue d’un mandat de huit ans qui incomberait au premier ministre élargirait grandement son pouvoir de nomination et porterait atteinte au fonctionnement indépendant de la Chambre haute. Il en découlerait une institution partisane avec des pouvoirs quasi-égaux à ceux de la Chambre des communes et une institution qui serait susceptible d’exercer ces pouvoirs dans le but de plaire à un gouvernement ou d’entraver son action, créant ainsi une situation embarrassante.
En outre, le gouvernement de l’Ontario s’est dit préoccupé par le fait que le gouvernement fédéral a également déposé le projet de loi C-43, Loi sur les consultations concernant la nomination des sénateurs. Le projet de loi C-43 établit un nouveau processus de sélection des sénateurs qui s’apparente à ce qu’il est convenu d’appeler des élections « consultatives ». Le premier ministre lui-même n’a pas hésité à relier ces deux lois comme faisant partie de la réforme plus large du Sénat qu’il propose. Je partage l’avis des experts en matière juridique et constitutionnelle qui ont témoigné devant le comité et selon lesquels les projets de loi C-43 et S-4 devraient être examinés conjointement et non séparément.
Le projet de loi S-4 et le projet de loi C‑43 sont intimement liés. Sans limites quant au mandat, il ne fait aucun doute que les sénateurs seraient élus à vie; sans élections, le pouvoir de nomination du premier ministre serait excessif. Conjointement, les changements inévitables occasionnés par ces deux lois modifieraient en profondeur le fonctionnement du Parlement en modifiant le caractère essentiel du Sénat. Pourtant, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi sans avoir consulté valablement et au préalable les provinces ou sans avoir obtenu leur consentement.
Le gouvernement de l’Ontario s’inquiète au sujet de la constitutionnalité des projets de loi S‑4 et C‑43 et fait remarquer que des questions graves ont été soulevées sur ce point par de nombreux universitaires et politicologues tant devant le Comité que le Comité spécial[62]. »
Dans une lettre qu’il a fait parvenir au premier ministre du Canada, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Danny Williams, c.r., indique que son gouvernement considère que les projets de loi S-4 et C‑43 sont des « tentatives pour remanier la Constitution du Canada afin de modifier considérablement les pouvoirs du Sénat et le mode de sélection des sénateurs au sens de l’alinéa 42(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982. Ces modifications ne peuvent être apportées unilatéralement par le Parlement grâce à la simple adoption de lois; elles nécessitent l’autorisation d’au moins deux tiers des provinces dont la population confondue représente au moins cinquante pour cent de la population de toutes les provinces[63]. » Il écrit :
« Les choix que nous faisons au sujet de nos institutions nationales sont des choix fondamentaux quant à la façon dont le gouvernement souverain représente la société canadienne. Il ne faut pas faire ces choix à la légère. En effet, ils auront des effets à long terme sur la façon dont notre société est gouvernée et sur le fonctionnement de la fédération. Toute modification devrait être étudiée en profondeur par les deux ordres constitutionnels de gouvernement dans le cadre d’un débat public national. L’actuelle approche fragmentaire et unilatérale n’est pas suffisante. Il y a tout lieu de croire que s’ils sont adoptés, les projets de loi S-4 et C-43 auront de nombreuses conséquences négatives et non voulues. En outre, ils ne portent que sur certains aspects du Sénat qui pourraient faire l’objet d’une réforme. Je crois comprendre que vous avez adopté cette approche parce que les conditions pour modifier la Constitution sont si sévères. Elles sont pourtant ainsi à dessein; les constitutions sont les règles de base de notre démocratie et elles devraient être difficiles à modifier. Les modifications constitutionnelles ne devraient être apportées qu’après un examen attentif et minutieux.
La modification d’une institution nationale essentielle comme le Sénat devrait comporter une consultation de gouvernement à gouvernement. Vous vous rappellerez que c’est là la position adoptée par tous les premiers ministres lors de la réunion du Conseil de la fédération tenu à St. John’s en juillet dernier. Cependant, rien n’indique que des consultations de gouvernement à gouvernement ont été prévues et aucune tentative n’a été faite pour obtenir l’appui des assemblées législatives provinciales pour les réformes proposées.
Compte tenu des préoccupations susmentionnées, le gouvernement de Terre‑Neuve‑et‑Labrador demande à votre gouvernement de retirer les projets de loi S‑4 et C-43. Nous préférerions que vous ne repreniez pas votre projet de réforme du Sénat, mais si décidiez d’aller de l’avant, vous devriez présenter un ensemble complet de réformes, établi à la suite de consultations de gouvernement à gouvernement et fondé sur la formule générale de modification de la Constitution prévue au paragraphe 38(1) de la Loi constitutionnelle de1982[64]. »
Dans une lettre envoyée récemment au Comité, le premier ministre du Nunavut, Paul Okalik, mentionne que son gouvernement croit que la réforme du Sénat, y compris le mandat proposé de huit ans, devrait s’effectuer dans le cadre d’une démarche unique et exhaustive faisant intervenir les provinces et les territoires. Il écrit ce qui suit :
« Il est indispensable, selon moi, que les provinces et les territoires participent à tout projet de réforme constitutionnelle, en particulier la réforme du Sénat.
Le gouvernement du Nunavut estime que plusieurs questions doivent être étudiées en ce qui a trait à la réforme du Sénat. Il souhaite faire des représentations et collaborer avec le gouvernement du Canada et avec les provinces et les territoires afin de faire du Sénat une institution plus efficace et représentative. Il convient notamment d’accorder de l’importance à la représentation des résidants du nord au Sénat.
La meilleure façon de procéder, entre autres pour limiter à huit ans la durée du mandat des sénateurs, serait de réformer en profondeur l’institution conformément à la Constitution[65]. »
Le gouvernement du Québec a été clair dans son évaluation de l’incidence des réformes proposées au Sénat par l’actuel gouvernement fédéral. Le ministre Pelletier (expert reconnu en droit constitutionnel) écrit : « Cette transformation du Sénat soulève des enjeux fondamentaux pour le Québec et la fédération canadienne en général. […] Les projets de loi fédéraux sur le Sénat ne représentent pas un changement limité[66]. » Il ajoute plus loin : « Le Sénat s’inscrit en somme dans un environnement constitutionnel complexe et cohérent faisant intervenir des considérations ayant trait au pacte fédératif et à l’équilibre des relations intergouvernementales[67]. »
Le gouvernement québécois n’a pas mâché ses mots pour présenter ses vues sur la voie à suivre en ce qui a trait au projet de loi S-4 :
« Somme toute, le gouvernement du Québec estime que la démarche législative fédérale que constituent les projets de loi S-4 et C-43, est susceptible de modifier la nature et la vocation du Sénat, le tout en dérogation au pacte originel de 1867.
De telles modifications échappent aux pouvoirs unilatéraux du Parlement du Canada. Elles relèvent plutôt d’un mécanisme coordonné de modification constitutionnelle, lequel requiert la participation des provinces et leur consentement.
La règle bien connue en droit, voulant que l’on ne puisse faire indirectement ce que l’on ne peut faire directement, s’applique intégralement en ce qui touche au processus de modification qui est ici en cause avec les projets de loi S-4 et C-43.
Le gouvernement du Québec ne s’oppose pas à une modernisation du Sénat. Mais si l’on cherche à modifier les caractéristiques essentielles de cette institution, la seule avenue est l’engagement d’un processus constitutionnel coordonné sur le plan fédéral-provincial qui associe pleinement les acteurs constitutionnels, dont le Québec, à l’exercice du pouvoir constituant.
Le gouvernement du Québec, avec l’appui unanime de l’Assemblée nationale, demande donc le retrait du projet de loi C-43. Il demande aussi la suspension des travaux sur le projet de loi S-4 tant et aussi longtemps que le gouvernement fédéral projette de transformer unilatéralement la nature et la vocation du Sénat[68]. » [gras ajouté])
Le seul gouvernement provincial qui manifeste publiquement son appui au projet de loi S-4 est celui de l’Alberta. Le gouvernement de la Saskatchewan reconnaît avoir obtenu un avis juridique selon lequel le projet de loi S-4 pourrait être adopté conformément à l’article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais il a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’est pas favorable à une réforme progressive du Sénat et qu’il « n’appuie pas le projet de loi S-4[69] ».
Le gouvernement de la Colombie-Britannique a écrit au Comité pour lui signaler que : la réforme du Sénat et de la Constitution n’est pas une priorité pour lui; la province est plus favorable à l’abolition du Sénat qu’à sa réforme; si le Sénat n’était pas aboli, « des modifications importantes seraient requises pour [en] faire un organe réellement efficace qui pourrait enrichir le système parlementaire fédéral et être équitablement représentatif du rôle qu’occupe la Colombie-Britannique au sein de la fédération[70] ».
Pour résumer, les gouvernements des deux plus grandes provinces, des deux plus petites provinces et d’un territoire du Canada ont présenté au Comité leurs observations défavorables au sujet de la réforme unilatérale du Sénat prévue dans le projet de loi S-4. Ensemble, ces gouvernements représentent beaucoup plus de la moitié de la population canadienne, et trois des quatre régions décrites dans la Constitution. Une seule province a donné son appui au projet de loi; les autres ont manifesté, dans le meilleur des cas, de l’ambivalence, mais plus généralement, leur opposition à l’approche progressive proposée.
Comme l’a rappelé la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la Chambre haute, l’un des rôles essentiels, voire d’importance capitale, du Sénat du Canada consiste à protéger et à défendre les intérêts régionaux et provinciaux contre les combinaisons de majorités à la Chambre des communes. Sir John A. Macdonald avait déclaré ce qui suit lors les débats sur la Confédération à la Conférence de Québec, et la Cour suprême a repris ses propos :
« À la chambre haute sera confié le soin de protéger les intérêts de section [maintenant appelés intérêts régionaux]; il en résulte que les trois grandes divisions seront également représentées pour défendre leurs propres intérêts contre toutes combinaisons de majorités dans l'Assemblée[71]. »
Nous croyons qu’il faut accorder énormément de poids aux préoccupations exprimées par ces gouvernements. Si nous ne représentons pas maintenant les intérêts de nos régions et provinces, au moment où l’institution établie pour les défendre est elle-même en jeu, alors nous donnons raison aux critiques qui mettent en doute que nous soyons encore utiles au sein de la démocratie parlementaire canadienne.
L’immense majorité des témoignages que le Comité a entendus convergent vers la conclusion que la démarche proposée par l’actuel gouvernement fédéral, qui consiste à adopter le projet de loi S‑4 conformément aux pouvoirs définis à l’article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, soulève d’importantes préoccupations sur le plan constitutionnel. Des experts en droit constitutionnel canadien ont souligné que cela ne pouvait se faire en vertu d’une modification unilatérale du fédéral et que le consentement des provinces était nécessaire. Et, de fait, plusieurs gouvernements provinciaux ont écrit pour affirmer que cette question ne relève pas d’une mesure fédérale unilatérale, mais plutôt d’une modification constitutionnelle à laquelle ils doivent être partie.
En tant que membres d’un comité législatif du Sénat, un organe de révision, nous croyons que notre devoir au sein de la structure parlementaire canadienne consiste à modifier au mieux de notre capacité les projets de loi dont nous sommes saisis. Dans cet esprit, nous avons modifié le projet de loi S‑4 afin de rectifier les éléments qui, selon nous, le rendraient nettement inconstitutionnel. Nous savons toutefois que de graves préoccupations subsistent quant à la compétence législative du Parlement relative au projet de loi, même dans sa forme modifiée. En outre, en modifiant les dispositions particulières du projet de loi, nous étions conscients d’apporter des changements qui, peut-être, « porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles » attribuées au Sénat au moment de la Confédération. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en 1979, la Cour suprême du Canada a été très claire :
« A un certain point, la réduction de la durée des fonctions pourrait nuire au bon fonctionnement du Sénat qui assure, pour reprendre les paroles de Sir John A. Macdonald, [traduction] « un deuxième coup d'œil attentif à la loi[72] » . »
Nous nous sommes efforcés de prescrire un mandat qui n’entraverait pas le fonctionnement du Sénat, mais nous reconnaissons, comme l’avait fait à l’époque le gouvernement du premier ministre Trudeau, que cette question ne relève pas de la décision d’un gouvernement ou d’un parlement quelconque; elle touche à la Constitution du Canada et devrait être renvoyée à la Cour suprême du pays. En 1979, la Cour suprême a invité le gouvernement à revenir devant elle avec une proposition visant la durée du mandat. Nous croyons que la Cour avait raison et que c’est de cette manière qu’il faut procéder.
Le professeur de droit constitutionnel Errol Mendes a déclaré que si le projet de loi S‑4 était adopté, que des sénateurs étaient nommés pour un mandat fixe et que des lois étaient ensuite adoptées par le Parlement et ces nouveaux sénateurs, « ce serait le chaos sur le plan constitutionnel » si on confirmait ultérieurement le caractère inconstitutionnel de S‑4[73]. Dans une lettre au Comité, l’avocat du gouvernement, Warren J. Newman, a par la suite cherché à distinguer la jurisprudence de la Cour suprême sur laquelle s’est appuyé le professeur Mendes. Il demeure un fait irréfutable : personne ne peut dire avec certitude quelles seraient les conséquences selon la Cour. Le « chaos constitutionnel » demeure une préoccupation majeure.
Les enjeux sont élevés. Il ne s’agit pas d’une situation où on peut accéder à la volonté du gouvernement de réformer rapidement le Sénat, puis attendre de voir si le gouvernement a agi à juste titre ou si les nombreux experts constitutionnels qui se sont inquiétés de la constitutionnalité du projet de loi avaient effectivement raison.
Nous exhortons donc le gouvernement à prendre le temps qu’il faut pour bien faire les choses cependant qu’il s’apprête à modifier l’arrangement constitutionnel négocié au moment de la Confédération. Nous demandons au gouvernement de renvoyer le projet de loi S‑4 tel que nous l’avons amendé à la Cour suprême du Canada. C’est ce qu’ont recommandé de nombreux témoins et c’est la voie de la prudence, avons-nous conclu.
Nous sommes conscients du fait que le premier ministre et son gouvernement tiennent à procéder rapidement à la réforme du Sénat. Mais nous croyons, et nous ne doutons pas que le premier ministre soit d’accord, que la Constitution prévaut. Aucune urgence réelle, objective, n’exige l’adoption rapide de ce projet de loi. À l’inverse, faire fausse route pourrait avoir des conséquences extrêmement déplorables – M. Mendes a évoqué la possibilité d’un « chaos sur le plan constitutionnel » .
Plusieurs partisans du projet de loi S‑4 ont dit l’appuyer du moins en partie parce qu’ils souhaitent que ses modifications déstabilisent le statu quo au point de rendre évidemment nécessaire une réforme en profondeur de la Chambre haute. Roger Gibbins a dit appuyer le projet de loi comme moyen de « déstabiliser le statu quo et nous forcer ou nous préparer à nous poser des questions structurelles plus fondamentales[74] » .
M. Gerard Horgan nous a dit :
« L'avantage que présente l'adoption progressive des réformes, telle que je la conçois, c'est qu'il s'agit d'introduire de l'instabilité dans le système. En ce moment, nous avons ce que la plupart tiendraient pour un système stable mais sous-optimal. L'introduction progressive des réformes aura peut-être pour effet d'introduire de l'instabilité et de faire avancer le processus[75]. »
Le Comité croit que toute modification à la constitution d’un pays devrait être motivée par le désir d’atténuer les tensions existantes et non de les exacerber, et c’est dans cette optique que nous avons abordé notre étude du projet de loi S‑4.
Nous sommes convaincus que le seul moyen de confirmer la constitutionnalité de la démarche adoptée par le gouvernement à l’égard de la réforme du Sénat consiste pour celui‑ci à renvoyer le projet de loi S‑4 tel que nous l’avons amendé à la Cour suprême du Canada.
Nous tenons également compte des graves préoccupations d’un certain nombre de provinces et de spécialistes de la Constitution concernant la constitutionnalité du projet de loi C‑43, et du lien inextricable (pour reprendre les paroles du gouvernement de l’Ontario) entre ce projet de loi et le projet de loi S-4. Nous croyons que le renvoi constitutionnel devrait donc porter à la fois sur le projet de loi C-43 et le projet de loi S-4 tel que nous l’avons amendé.
[1] Assemblée législative, 8 février 1865.
[2] Assemblée législative, 8 février 1865
[3] Assemblée législative, 23 février 1865
[4] Assemblée législative, 6 février 1865. La préférence de Macdonald pour une chambre haute nommée tenait à son expérience du parlement du Canada-Uni, où les deux chambres élues se trouvaient souvent dans l’impasse.
[5] Assemblée législative, 23 février 1865
[6] Renvoi : Compétence du Parlement du Canada relativement à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54, 76-77.
[7] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 29 mars 2007, Fascicule no 24:81-82, passage tiré de l’arrêt de la Cour suprême.
[8] Id., 24:82.
[9] Ibid., passage tiré de l’arrêt de la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Chambre haute.
[10] Mémoire de Shawn Graham, premier ministre du Nouveau-Brunswick, 20 avril, 2007, p. 8.
[11] Mémoire de M. Brown, p. 36.
[12] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 22 mars 2007, Fascicule no 23:103-105.
[13] Id., 23:105.
[14] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 28 mars 2007, Fascicule no 24:12.
[15] Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, 7 septembre 2006, Fascicule no 2:12.
[16] Ibid.
[17] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:45.
[18] Id., 23:46.
[19] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 25 avril 2007, Fascicule no 25:33.
[20] Ibid.
[21] Mémoire de Shawn Graham, premier ministre du Nouveau-Brunswick, 20 avril 2007, p. 7-8.
[22] Lettre de Danny Williams, premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, 30 mai 2007, p. 1. [traduction]
[23] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 28 mars 2007, Fascicule no 24:12.
[24] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:44.
[25] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 22 mars 2007, Fascicule no 23:105.
[26] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 28 mars 2007, Fascicule no 24:12.
[27] Id., 24:13.
[28]. La modification de la Constitution du Canada, James Ross Hurley (1996), p. 7. M. Hurley a décrit certaines exceptions mineures, qui n’ont aucun rapport avec la question qui nous occupe.
[29] Id., p. 12.
[30] Renvoi : Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54 (ci-après Renvoi relatif à la Chambre haute).
[31] Renvoi relatif à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54.
[32] Id.
[33] Id.
[34] Id.
[35] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:9.
[36] Id., 23:49.
[37] Id., 23:51-52.
[38] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 22 mars 2007, Fascicule no 23:82.
[39] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:76.
[40] Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, 7 septembre 2006, Fascicule no 2:9.
[41] Id., 2:8.
[42] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:10.
[43] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:49.
[44] Id., 23:50.
[45] Id., 23:52.
[46] Ibid.
[47] Id., 23:56-57.
[48] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 29 mars 2007, Fascicule no 24:63.
[49] Lettre de M. Marie Bountrogianni, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable du Renouveau démocratique, gouvernement de l’Ontario, 30 mai 2007.
[50] Mémoire de Benoît Pelletier, ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, de la Francophonie canadienne, de l'Accord sur le commerce intérieur, de la Réforme des institutions démocratiques et de l'Accès à l'information, gouvernement du Québec, 31 mai 2007, p. 4-5.
[51] Id., p. 8-9.
[52] Id., 28 mars 2007, Fascicule no 24:36-37.
[53] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 22 mars 2007, Fascicule no 23:85-86.
[54] Id., 23:93.
[55] Id., 23:87.
[56] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 25 avril 2007, Fascicule no 25:32-33.
[57] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 28 mars 2007, Fascicule no 24:41.
[58] Lettre de Shawn Graham, premier ministre du Nouveau-Brunswick, 20 avril 2007.
[59] Lettre de Mme Marie Bountrogianni, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable du Renouveau démocratique, gouvernement de l’Ontario, 30 mai 2007.
[60] Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, 21 septembre 2006, 5:50.
[61] Lettre de Mme Marie Bountrogianni, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable du Renouveau démocratique, gouvernement de l’Ontario, 30 mai 2007.
[62] Ibid.
[63] Lettre de Danny Williams, c.r., premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, 30 mai 2007. [traduction]
[64] Ibid.
[65] Lettre de Paul Okalik, premier ministre du Nunavut, 18 mai 2007.
[66] Mémoire de Benoît Pelletier, ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, de la Francophonie canadienne, de l'Accord sur le commerce intérieur, de la Réforme des institutions démocratiques et de l'Accès à l'information, gouvernement du Québec, 31 mai 2007, p. 6.
[67] Id., p. 8.
[68] Id., p. 12.
[69] Lettre de Harry Van Mulligan, ministre des Relations gouvernementales de la Saskatchewan, 29 mai 2007. Voir également ses correspondances précédentes du 21 mars 2007 et du 22 septembre 2006.
[70] Lettre de John van Dongen, ministre d’État aux Relations intergouvernementales de la Colombie-Britannique, 30 mai 2007.
[71] Renvoi relatif à la Chambre haute, p. 67.
[72] Id., p. 76.
[73] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 29 mars 2007, 24:65.
[74] Témoignage de Roger Gibbins dans les Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:58; voir également le témoignage de M. Gibbbins dans les Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, 19 septembre 2006, 3:7.
[75] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 22 mars 2007, Fascicule no 23:108.