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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 32 - Témoignages du 20 juin 2007


OTTAWA, le mercredi 20 juin 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 16 h 15 afin d'examiner, pour en faire rapport, les conséquences de l'inclusion, dans la loi, de clauses non dérogatoires concernant les droits ancestraux et issus de traités existants des peuples autochtones du Canada aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, cet ordre de renvoi est le troisième que nous recevons du Sénat à ce sujet, mais chaque fois, d'autres travaux plus urgents nous ont empêchés d'avancer. Espérons que ce sera différent cette fois-ci.

Comme vous le savez, l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 se lit comme suit :

Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

De plus, l'article 25 de la Charte dicte que le fait qu'elle garantisse certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — des peuples autochtones du Canada.

Même avant 1982, certaines lois fédérales renfermaient des dispositions selon lesquelles aucune de leurs dispositions ne portait atteinte aux droits ancestraux des Autochtones.

Depuis 1982, on inclut des dispositions non dérogatoires dans diverses lois fédérales pouvant toucher les peuples autochtones. Il y a deux formules qui prédominent.

Quels sont le but et l'effet de ces dispositions? Sont-elles nécessaires à la lumière des protections constitutionnelles? Pourrait-on plutôt utiliser la Loi d'interprétation? Si l'on utilise de telles dispositions, comment devraient-elles être formulées à la lumière de la protection de l'article 35? Dans quelles lois faudrait-il en inclure?

Ce sont là quelques-unes des questions auxquelles les sénateurs voudront peut-être réfléchir après avoir entendu les témoignages des personnes que nous avons invitées à comparaître devant nous pour nous aider à analyser la situation.

Honorables sénateurs, pour nous aider aujourd'hui, nous recevons M. Jim Aldridge, avocat général du gouvernement Nisga'a Lisims. Il est accompagné de M. John Merritt, conseiller de l'Inuit Tapirisat du Canada. Nous avons aussi le plaisir de recevoir M. Roger Jones, conseiller politique de l'Assemblée des Premières Nations.

Jim Aldridge, avocat général, gouvernement Nisga'a Lisims : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à venir vous parler aujourd'hui d'un sujet important, mais généralement mal compris ou auquel on ne porte pas attention.

Je suis effectivement avocat général du gouvernement Nisga'a Lisims. Les leaders de ce gouvernement, les membres de la Nation Nisga'a, m'ont demandé de vous transmettre leurs salutations aujourd'hui. Il est vrai que je suis avocat général, mais je m'intéresse surtout aux dispositions de non-dérogation, plus précisément à la position qu'a prise le ministère de la Justice du Canada en 2001 et en 2002 sur la modification du libellé de la disposition de non-dérogation établie depuis longtemps. À l'époque, j'ai eu le privilège de coprésider le Comité consultatif ministériel conjoint d'avocats et de fonctionnaires des Affaires indiennes et du Nord canadien, entre autres personnes. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien d'alors, l'honorable Robert Nault, a créé ce comité pour qu'il le conseille sur ce qui allait devenir la triste Loi sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations. À ce comité, j'avais le plaisir d'avoir à mes côtés mon ami Roger Jones, qui est assis à ma gauche ici aujourd'hui. M. Jones peut porter la responsabilité et le blâme pour tout ce qui se trouve dans le rapport du comité.

La question s'est posée parce que le ministre a instruit le comité de le conseiller, entre autres choses, sur les mesures à prendre pour que le projet de loi ne porte pas atteinte aux droits ancestraux ou issus de traités. Nous pensions que ce serait très facile à faire. Cependant, c'est après plus de vingt ans de précédents de dispositions de non-dérogation dans diverses lois fédérales que le Parlement a déterminé qu'un texte de loi ne pouvait pas porter atteinte à ces droits.

Je souligne encore, et je vais continuer de le répéter, que c'est vraiment seulement une question de rédaction législative. À notre grande surprise, honorables sénateurs, nous nous sommes trouvés plongés dans une controverse difficile qui a semblé brouiller les cartes pour d'autres personnes. Cette controverse n'a pas été résolue immédiatement et demeure encore à ce jour. Dans ces circonstances, j'exhorterais le Sénat et ce comité en particulier à s'attaquer au problème.

Le comité consultatif ministériel conjoint a fait de son mieux pour démystifier la question grâce à une analyse rigoureuse et prodiguer les meilleurs conseils qui soient au ministre sur le sujet. Nos conclusions à ce propos se trouvent à l'annexe 2 du chapitre 1. J'en ai apporté des extraits pour les sénateurs, dans l'espoir qu'ils les aident dans leurs délibérations. J'ai fait un copier-coller de l'annexe à partir du site Web du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et j'ai perdu quelques notes de bas de page. Je m'en excuse. J'ai utilisé la version originale anglaise pour essayer d'inclure les notes de bas de page, parce que le site Web n'en contient aucune. La version française commence à la page 10 et ne comprend aucune note de bas de page. Ce n'est que parce qu'elles ne paraissent pas sur le site Web. Les notes de bas de page apparaissent surtout dans la version anglaise. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi.

Avant de vous résumer le document, j'aimerais réagir brièvement à d'autres témoignages entendus par le comité, notamment à celui du ministère de la Justice du Canada qui remonte au 22 février. Avec le plus grand respect pour ces témoins, j'aimerais présenter notre point de vue en trois volets. Premièrement, une disposition de non-dérogation ne vise pas et ne peut pas simplement viser à « rappeler », comme le témoin l'a dit, une disposition constitutionnelle. Nous savons tous que chaque disposition de loi doit être interprétée de façon séparée et qu'à l'évidence, un simple rappel, en passant, qu'il existe des droits constitutionnels n'a aucun effet législatif. On ne promulgue pas des rappels.

Deuxièmement, les dispositions de non-dérogation ne peuvent pas améliorer ni accroître la protection constitutionnelle, une disposition constitutionnelle. Les dispositions de non-dérogation ne concernent que l'interprétation d'une loi et non l'essence de droits ancestraux ou issus de traités ni la protection constitutionnelle qui leur est garantie.

Troisièmement, en guise de préface, quand on analyse les dispositions de non-dérogation, la question qui se pose n'est certainement pas celle de l'intention du gouvernement, mais celle de l'intention du Parlement qui se dégage des mots choisis. C'est la perspective qu'a prise le comité consultatif.

Sur ce, honorables sénateurs, je vais brièvement vous résumer l'annexe 2. Le comité consultatif a tenté d'en faire une analyse rigoureuse. Nous avons commencé par nous demander en quoi consistaient les dispositions de non-dérogation et par dire qu'elles visent à garantir que la loi dans laquelle elles sont incorporées ne contrevient à aucun droit ancestral ou issu de traité.

Cela dit, on pourrait être porté à croire que c'est très facile. On pourrait simplement dire que rien dans cette loi n'enfreint des droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones du Canada. Cependant, ce serait trop simple. Plutôt que d'utiliser les mots « infringe » et « enfreindre», on a pris l'habitude, comme à l'article 25, d'utiliser les mots « porter atteinte » en français et « abrogate » ou « derogate » en anglais. Nous avons reproduit les définitions que le dictionnaire donne de ces mots dans la partie sur la deuxième option et avons conclu qu'ils équivalaient simplement à « infringe » ou à « porter atteinte à ». La version suivante vise à remplacer le simple mot « infringe » par les mots compliqués « abrogate » et « derogate », comme dans la deuxième option.

Cependant, cette disposition pourrait entrer en conflit avec une autre disposition qui semble porter atteinte à des droits, ce qui créerait une incompatibilité. Pour éviter une telle situation, la disposition a été rédigée sous la forme d'une règle d'interprétation en troisième option : « Nothing in this act shall be construed so as to abrogate or derogate [...] » [En français, on ne rend pas l'expression « shall be construed »]. De cette façon, il ne fait aucun doute que cette disposition n'a pas d'effet en profondeur sur le contenu des droits et il devient clair qu'il s'agit d'une consigne donnée aux tribunaux qui interprètent la disposition, afin qu'ils comprennent qu'elle ne porte pas atteinte aux droits.

C'est peut-être trop simple, donc la version suivante, qui est présentée en quatrième option, y ajoute un renvoi à la fin : « [...] à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. » Dans la cinquième version, les mots « existing » et « existants » ont été ajoutés dans le contexte de l'article 35. Les mots ajoutés à chaque option figurent en gras. Vers la moitié des années 1980 est arrivée la sixième option, dans laquelle on a ajouté le début : « For greater certainty » ou « Il est entendu que ». L'un de mes amis dit toujours que quand il est écrit « for greater certainty » dans une loi, les choses ont tendance à devenir moins claires.

Je pourrais rapidement faire la distinction entre cette version...

Le président : Je tiens à vous aviser qu'il va y avoir trois déclarations et que le timbre va retentir dans 45 minutes, donc nous allons devoir nous interrompre pour aller voter au Sénat. J'espérais que les deux autres témoins puissent nous présenter leur exposé avant.

M. Aldridge : Merci, monsieur le président. Je vais me dépêcher à conclure pour à donner à mes amis la chance de s'exprimer. La septième option est celle que favorise le ministère de la Justice du Canada. Il ne s'agit pas d'une règle d'interprétation sur les droits, mais plutôt d'une règle d'interprétation selon laquelle rien ne porte atteinte à la protection de ces droits. Compte tenu des contraintes de temps, je pourrai peut-être y revenir pendant la période de questions. Sur le reste de la page 5 de la version anglaise, j'explique pourquoi cet article ne veut rien dire. À notre avis, c'est du charabia.

J'espère que quelqu'un va me demander de parler de la huitième option.

Le président : Dites-nous ce que vous recommandez. Nous avez-vous présenté toutes les options?

M. Aldridge : Nous avons dit au ministre que la sixième option lui permettrait d'atteindre son objectif, pourvu que l'objectif soit de faire en sorte que la loi ne porte atteinte à aucun droit. C'est l'option que le Parlement a utilisé à maintes reprises.

Le président : La sixième option se lit comme suit : « For greater certainty, nothing in this Act shall be construed so as [...] ».

M. Aldridge : Oui, et nous lui avons aussi recommandé de privilégier l'application des dispositions de la Loi d'interprétation pour cela. M. Merritt va vous en parler; c'est une version avec laquelle nous sommes d'accord aussi.

John Merritt, avocat-conseil/conseiller, Nunavut Tunngavik Incorporated/Inuit Tapiriit Kanatami : Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui. Je dois préciser que j'ai deux fonctions. Je suis avocat chez Nunavut Tunngavik, un organisme inuit régional, en plus de travailler pour Inuit Tapiriit Kanatami, un organisme national. C'est deux organismes m'ont demandé de venir vous rencontrer aujourd'hui.

Compte tenu du peu de temps dont nous disposons, je vais laisser tomber une partie de mes remarques préliminaires sur les fois où des organismes inuits se sont heurtés à ce problème par le passé. Il y en a long à raconter à ce chapitre, et mon ami M. Aldridge a mentionné quelques-uns des problèmes il y a quelques minutes. Je vais aborder tout de suite les arguments qui ne me semblent pas convaincants parmi ceux qu'a présentés le ministère de la Justice quand ses représentants ont témoigné devant le comité en février. J'ai également pris connaissance des témoignages présentés par les fonctionnaires de la Justice en 2003. Je vais résumer pourquoi leur position de diminuer ou d'éliminer l'incidence juridique de la disposition qui existait entre 1982 et 1996 ne me convainc pas.

Premièrement, je ne pense pas que les représentants de la Justice vous ont prouvé qu'il y avait des problèmes pratiques découlant de l'utilisation d'une disposition de non-dérogation standard entre 1982 et 1996. Il n'y a pas eu de litige à ce sujet, et je ne connais aucun problème pratique en ce sens. Il y a des raisons d'être sceptique quant au bien- fondé de l'idée de modifier cette disposition pour remplacer le libellé standard d'avant 1996.

Deuxièmement, le fait même que le ministère de la Justice en ait modifié le libellé a créé des problèmes. Il a fait naître la possibilité que les tribunaux interprètent ces diverses versions. Ce qui devait clarifier des droits est devenu un sujet de confusion, ce qui est assez ironique.

Troisièmement, le ministère de la Justice semble continuellement confondre ses intentions et ses préférences avec celles du Parlement. M. Aldridge vient de le dire. Ce sont les intentions du Parlement qui comptent et le fait que le pouvoir exécutif souhaite accomplir certaines choses devrait être secondaire dans les discussions du ministère de la Justice avec vous.

Quatrièmement, le ministère de la Justice semble présumer et considérer évident que depuis 1982, le Parlement ne veut que contenir les droits ancestraux et qu'il ne souhaite pas les faire respecter ni les améliorer de quelque façon. Il y a tout lieu d'en douter et de nous pencher sur cette présomption.

Cinquièmement, à ma connaissance, le ministère de la Justice n'a pas prouvé que l'utilisation de dispositions de non- dérogation dans les lois interprétatives provinciales du Manitoba et de la Saskatchewan a créé des problèmes. C'est une bonne façon de corriger le problème. C'est ce que font certaines provinces, et à ce que je sache, cela fonctionne.

Sixièmement, le ministère ne semble pas prêt à reconnaître que dans toutes les démocraties libérales, les droits collectifs et individuels sont tous, par définition, limités par l'existence des droits des autres. Les craintes qui ont été exprimées sur les incidences potentielles en aval sont exagérées. Les juges vont toujours interpréter les garanties de droits pour un groupe de personnes en particulier dans le contexte des droits dont jouissent d'autres Canadiens. Je ne pense pas qu'il y ait lieu d'avoir très peur.

Pour terminer, les fonctionnaires ont répété à maintes reprises dans leur témoignage de février dernier que les tribunaux devaient consulter les peuples autochtones sur tout ce qui peut toucher leurs droits. La consultation est une excellente chose. C'est une excellente évolution de la jurisprudence, mais je pense qu'elle ne peut pas remplacer la clarté d'une disposition d'interprétation dans une loi.

En fait, un peu de clarté à cet égard faciliterait les consultations, parce qu'elle ciblerait davantage le débat; les consultations ne la remplacent pas.

En 2003, les porte-parole de la Justice ont dit aux membres de ce comité qu'il était possible qu'une loi ait des conséquences imprévues sur des droits garantis par l'article 35 parce que le Parlement n'a pas de mécanisme pour évaluer l'effet d'une loi à cet égard.

C'est le nœud du problème. Les gens du ministère de la Justice n'aiment pas les dispositions de non-dérogation parce qu'ils veulent avoir la liberté d'interpréter que de nouvelles lois modifient des droits ancestraux issus de traités, même s'ils n'ont pas donné aux parlementaires l'occasion de se demander si c'est vraiment ce qu'ils veulent.

Je vais dire trois choses à ce sujet. Premièrement, quand ils élaborent de nouvelles lois, les fonctionnaires du ministère de la Justice devraient bien réfléchir au risque de contravention ou d'atteinte à des droits. C'est la responsabilité du ministère. Ils devraient le faire et en aviser les parlementaires quand ils étudient de nouveaux projets de loi. Après tout, le ministère de la Justice a certainement bien plus de ressources que les peuples autochtones, qui sont souvent obligés de venir s'exprimer sur de nouvelles lois risquant d'entrer en conflit avec leurs droits.

Deuxièmement, s'il est nécessaire de diminuer des droits ancestraux ou issus de traités pour favoriser un nouveau projet de loi, nous croyons que l'initiative devrait venir du Parlement. L'appareil exécutif ne devrait pas en décider au préalable. Si quelqu'un prétend que des droits ancestraux ou issus de traités doivent être abandonnés, c'est clairement aux parlementaires qu'il revient de trancher.

Enfin, si malgré toutes les probabilités, il reste un problème totalement imprévisible, des circonstances dans lesquelles une nouvelle loi porterait atteinte à des droits ancestraux issus de traités, le Parlement a toujours la prérogative de modifier les lois pour régler carrément le problème. En cas de conflit, il revient au Parlement de trancher. Le ministère de la Justice ne devrait pas décider d'avance de la solution.

J'aimerais conclure par une recommandation sur ce qu'il reste à faire. En juin 2003, le sénateur Sibbeston a proposé une modification en deux dispositions à la Loi d'interprétation. À notre avis, elle serait tout à fait réaliste. La première des deux nouvelles dispositions serait la suivante :

Tout texte doit maintenir les droits ancestraux ou issus de traités reconnus et affirmés aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et ne pas y porter atteinte.

De notre point de vue, c'est une formule attrayante parce qu'elle ne vise pas seulement à protéger des droits ancestraux ou issus de traités, mais essentiellement à faire connaître l'intention du Parlement que les fonctionnaires devraient s'efforcer activement de les protéger et de les mettre en œuvre. Il s'agit d'une règle positive, pas seulement négative.

La deuxième partie de la proposition du sénateur Sibbeston est la suivante :

Il est entendu que rien dans le paragraphe (1) n'améliore ou ne diminue la capacité du Parlement de prendre des lois conformes à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Si à l'avenir, les parlementaires se sentaient obligés de faire exception à la décision générale de protéger des droits ancestraux issus de traités, ils en conserveraient le pouvoir, bien sûr. On pourrait dire que c'est ce que dicte la Constitution de toute façon, ce qui est parfaitement vrai, mais si l'on veut signaler que le Parlement fait la distinction entre le pouvoir et l'intention, le deuxième paragraphe se justifie.

De notre point de vue, c'est une solution complète et élégante. Si l'on modifiait ainsi la Loi d'interprétation, nous n'aurions absolument plus besoin de discuter de la question chaque fois qu'un nouveau projet de loi est déposé.

Le président : Savez-vous s'il y a eu des problèmes en Saskatchewan? Est-ce que le fait de l'inscrire dans la Loi d'interprétation a causé des problèmes?

M. Merritt : Je ne suis au courant d'aucun problème là-bas, ni au Manitoba d'ailleurs, où il existe une disposition semblable.

Le sénateur Bryden : Pourriez-vous nous relire le deuxième paragraphe?

M. Merritt : Oui. Je m'excuse, monsieur le sénateur. Je me suis dépêché à préparer ces notes et je n'ai pas eu la chance de les faire traduire, même si je les ai remises au personnel.

Le second paragraphe se lit comme suit :

Il est entendu que rien dans le paragraphe (1) n'améliore ou ne diminue la capacité du Parlement de prendre des lois conformes à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le sénateur Bryden : Je n'avais pas compris le mot « conformes ». Je pensais que vous aviez dit « non conformes », donc je pensais que vous étiez contre cet objectif. Je vous remercie infiniment.

Le président : Merci, monsieur Merritt. Il va y avoir bien des questions quand nous allons y revenir.

Honorables sénateurs, je tiens à vous rappeler que M. Jones a préparé un mémoire de l'APN, mais qu'il n'est qu'en anglais. Il a été envoyé à la traduction, et dès qu'il sera traduit, nous allons le faire parvenir à tous les sénateurs, mais M. Jones n'a accepté qu'hier de comparaître.

Roger Jones, conseiller politique, Assemblée des Premières Nations : Merci, monsieur le président, et bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je n'ai pas l'intention de lire les 13 pages de mon document, mais je vais souligner les parties qui me semblent particulièrement pertinentes pour communiquer notre message sur cette question.

Mon ami M. Albridge a mentionné que nous avions travaillé ensemble au Comité ministériel consultatif conjoint, mais il n'a pas mentionné que nous y siégions aussi avec quelques avocats du ministère de la Justice, qui ont participé aux discussions que nous avons eues pour préparer nos recommandations sur les dispositions de non-dérogation. Il est pertinent que vous le sachiez.

Je pense que notre mémoire vous explique pourquoi nous, contrairement au ministère de la Justice du Canada, estimons essentiel et important d'inclure des dispositions de non-dérogation. La position du ministère, c'est que ces dispositions visent à rappeler que la Loi constitutionnelle du Canada reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités. Nous pensons qu'elles signifient bien plus que cela; sinon, nous ne militerions certainement pas pour l'inclusion de dispositions de non-dérogation non seulement dans les lois, mais aussi dans les accords que les collectivités des Premières nations négocient avec la Couronne. Vous allez comprendre pourquoi.

En haut de la troisième page, il y a une citation du premier arrêt de la Cour suprême du Canada sur la signification de l'article 35. Il a fallu 10 ans pour qu'une affaire soit portée devant la Cour suprême du Canada concernant l'importance de l'article 35.

Voici la citation de l'arrêt Sparrow :

Il ne s'agit pas d'une simple codification de la jurisprudence portant sur les droits ancestraux qui existait en 1982. L'article 35 exige un règlement équitable en faveur des peuples autochtones. Il écarte les anciennes règles du jeu en vertu desquelles Sa Majesté établissait des cours de justice auxquelles elle refusait le pouvoir de mettre en doute Ses revendications souveraines.

Autrement dit, les cours ont participé au processus par lequel l'État a réussi à nier les droits et intérêts des peuples des Premières nations. Je suppose que les tribunaux ne pourraient pas trouver quoi que ce soit dans la common law canadienne ou le droit constitutionnel qui protégerait qui que ce soit contre le pouvoir de la Couronne.

Cela a changé en 1982. Le système canadien est passé d'une suprématie parlementaire à une suprématie constitutionnelle. C'est la Cour suprême du Canada qui l'a fait remarquer dans son opinion sur la séparation du Québec. Dans cette affaire, la Cour suprême a placé le cadre constitutionnel du Canada dans le contexte du fédéralisme et a parlé aussi des intérêts des Premières nations et des peuples autochtones du Canada.

Cela signifie pour les peuples des Premières nations qu'avant 1982, l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867 était la disposition législative faisant autorité sur la partie du gouvernement fédéral qui prenait les lois sur les Indiens et bien sûr, les Inuits. Avant 1982, le Parlement détenait le pouvoir suprême. Il pouvait légiférer à sa guise, pratiquement, pour ce qui est des droits et des intérêts des Premières nations. Cela a changé en 1982.

Malheureusement, malgré cette décision importante, les anciennes règles du jeu n'ont pas vraiment changé. La Couronne, par ses avocats et ses bureaucrates, se comporte toujours comme avant 1982, comme si le Parlement avait toujours le pouvoir suprême pour ce qui est de sa façon de voir le paragraphe 91(24) comme si l'article 35 n'avait pas vraiment pour effet de protéger et de garantir les droits ancestraux et issus de traités.

En gros, le fait est que la politique officielle du gouvernement du Canada en est une de non-reconnaissance. Le Canada préfère ne pas définir les droits ancestraux, mais plutôt négocier et mettre en œuvre des accords pratiques qui traduisent les résultats escomptés du gouvernement fédéral, y compris pour la gestion du risque juridique. C'est souvent ce que le gouvernement inscrit dans ses accords et dans ses lois.

Ces accords sont ensuite mis en œuvre au moyen d'une loi, ce qui signifie que le gouvernement fédéral ne se contente pas d'élaborer les politiques concernant les droits ancestraux et issus de traités comme la politique sur le droit inhérent, mais qu'en plus, il rédige les lois. Parfois, il utilise ensuite ces lois pour poursuivre les peuples des Premières nations. Qu'il s'agisse d'une loi sur la pêche ou la chasse ou du Code criminel, peu importe, le gouvernement va l'utiliser comme M. Merritt l'a dit : pour essayer de limiter la signification des droits ancestraux et issus de traités. Cela donne lieu à toute une jurisprudence destinée à le servir lui plutôt que les peuples des Premières nations. Le gouvernement a la mainmise sur tout le processus.

Étant donné que le gouvernement fédéral a tant de pouvoir sur l'élaboration des lois et des politiques, les poursuites, l'analyse des résultats des poursuites et tout le reste, nous jugeons évident qu'il est dans notre intérêt d'essayer de faire inclure de petites protections dans les lois pour l'arrêter; pour lui dire que la Loi constitutionnelle reconnaît les droits ancestraux et issus de traités; que le fait qu'il n'analyse pas les textes de loi à la lumière de l'article 35 quand il les adopte compromet nos droits.

Le ministère de la Justice doit effectuer une analyse fondée sur l'article 15 quand il rédige un projet de loi, conformément aux dispositions de la Charte sur l'égalité. Il devrait en faire de même en fonction de l'article 35, et de son propre aveu, il n'en fait pas. Il présume que le projet de loi n'a pas d'effet négatif sur les droits ancestraux et issus de traités ou que s'il en a, tant pis, vous devrez vous en occuper vous-mêmes devant les tribunaux, par des procès, ce qui coûte cher aux peuples des Premières nations, aux Inuits et à d'autres aussi. Il n'y a pas vraiment de contrepoids dans le système d'élaboration des lois, sauf quand les sénateurs et les députés examinent les projets de loi en détail pour éviter ces effets négatifs.

Les initiatives législatives qui viennent du gouvernement expriment principalement l'interprétation des droits de la propriété et des droits civils au Canada selon la common law et le droit civil. C'est aussi ce qu'on retrouve aussi dans la Loi d'interprétation fédérale, à l'article 8.1, qui prescrit que le droit civil et la common law font autorité sur le sens de la loi. Les lois autochtones ou inuites sont du coup exclues, même si elles sont évidemment une réalité dans ce pays, si peu visible soit-elle pour les gens au quotidien.

On n'étudie jamais les lois à la lumière de l'article 35. Il y a un projet de loi à la Chambre des communes, le projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, auquel les Autochtones voudraient bien ajouter un article de non-dérogation parce que nous ne savons pas vraiment quel effet va avoir l'annulation de l'article 67 sur les droits collectifs du peuple dans la société.

Pendant plusieurs mois, les représentants du gouvernement fédéral ont entrepris de consulter la population sur les biens immobiliers matrimoniaux, un sujet que vous connaissez sans doute bien aussi, et l'on s'attendait à ce qu'il y ait un projet de loi sur les biens immobiliers matrimoniaux déposé à la Chambre des communes. Les Premières nations estiment qu'il faudrait là encore prévoir une disposition de non-dérogation parce qu'encore une fois, on ne sait pas trop quel sera l'effet des droits de la propriété individuels sur la propriété collective et l'intérêt de la collectivité dans son ensemble pour ce qui est de ses terres. Ce sont des terres communes et non des terrains de propriété individuelle qu'on peut acheter et vendre librement sur le marché.

Voilà donc quelques initiatives récentes qui illustrent le danger potentiel de violation des droits protégés par l'article 35 si l'on n'inclut pas de dispositions de non-dérogation dans ces projets de loi ou si l'on ne fait pas d'analyse appropriée.

Nous avons examiné longuement la jurisprudence, qui établit avec une certitude absolue que l'article 35 veut dire quelque chose. Les tribunaux constatent que selon l'article 35, la common law et les lois devaient tenir compte des lois, des droits et des titres autochtones. Pour qu'il y ait conciliation, les tribunaux prescrivent qu'on tienne compte du point de vue des peuples autochtones dans le processus d'élaboration des lois au Canada.

Il ne suffit vraiment pas d'insérer une disposition de non-dérogation dans une loi pour tenir compte du point de vue des Premières nations dans l'élaboration des lois. On est encore loin de l'objectif, mais c'est un début. Si le gouvernement hésite à faire participer les Premières nations à l'élaboration des lois, il devrait au moins prévoir des mesures pour protéger les intérêts des Premières nations.

Nous avons ici de l'information qui montre vraiment que le gouvernement ne reconnaît pas ces droits. C'est pourtant dans sa politique sur le droit inhérent; c'est pourtant dans tout ce qu'il fait. Il ne fait qu'éviter la question, il évite de s'occuper des droits ancestraux et issus de traités.

Si c'est sa stratégie et qu'il n'est pas assez vigilant pour veiller à ce que ses lois ne se répercutent pas sur les droits ancestraux et issus de traités, le minimum serait sûrement d'inclure une disposition de non-dérogation pour protéger ces droits et ces intérêts.

J'ai déjà fait allusion à la décision dans laquelle la Cour suprême du Canada a donné son opinion sur la séparation du Québec. Après avoir dressé un bref historique de la situation et de l'entrée en vigueur de l'article 35 en 1982, la cour a conclu ce qui suit :

La protection de ces droits, réalisée si récemment et si laborieusement, envisagée isolément dans le cadre du problème plus large des minorités, reflète l'importance de cette valeur constitutionnelle sous-jacente.

Cela explique clairement qu'on ne peut pas simplement réfléchir aux droits ancestraux et issus de traités après coup ou ne faire que rappeler aux législateurs l'existence de l'article 35. L'article 35 doit être enchâssé dans les lois du pays. Il doit être intégré dans les politiques du gouvernement qui régissent les droits ancestraux et issus de traités ainsi que l'intérêt général des peuples autochtones.

Nous avons pris la liberté de présenter quelques recommandations au comité. Elles se trouvent à la page 13 et tiennent en quatre points. Premièrement, nous croyons que le gouvernement fédéral devrait obligatoirement effectuer une analyse transparente fondée sur l'article 35 chaque fois qu'il prépare un projet de loi, comme celle qu'il fait en vertu de l'article 15 de la Charte.

Deuxièmement, comme M. Merritt l'a souligné, nous pensons qu'il serait économique et efficace d'inclure dans la Loi d'interprétation fédérale une disposition semblable à celles de la Saskatchewan et du Manitoba, parce que la Loi d'interprétation s'applique à toutes les lois fédérales et que par conséquent, il faudrait interpréter qu'aucune loi fédérale n'a d'effet négatif sur les droits ancestraux et issus de traités protégés par l'article 35.

Bien sûr, nous pensons que le gouvernement fédéral doit se doter d'une politique de consultation et d'adaptation significative et efficace. De cette manière, on pourrait régir plus en profondeur les droits ancestraux et issus de traités plutôt que de simplement nous doter de lois n'ayant pas d'incidence sur les droits ancestraux et issus de traités. Le gouvernement devrait choisir de s'en occuper vraiment en se dotant de règles et de politiques qui l'habiliteraient à s'occuper des peuples des Premières nations.

Pour ce qui est du libellé des dispositions de non-dérogation, je pense que le comité devrait envisager les idées du sénateur Sibbeston, que M. Merritt nous a présentées, ou la solution présentée à la sixième option du rapport du comité consultatif.

Le sénateur Nolin : Je me soucie davantage de ce qui vient en amont de l'élaboration de lois, pour ce qui est de les rédiger, de les mettre en œuvre et de veiller à ce que toutes leurs dispositions soient respectueuses des droits. Je m'intéresse beaucoup plus à ces expressions que nous utilisons en français, soit « la jouissance, l'exercice des droits ». Nous avons des droits; il ne suffit pas de le mentionner, encore faut-il pouvoir en jouir.

C'est une partie très importante de nos travaux actuels. Nul besoin de rassembler 10 sénateurs pour réfléchir à l'ajout d'une simple disposition à une loi. Nous pouvons probablement utiliser le travail que vous avez effectué. Je porte un grand intérêt à l'application en aval de la loi, à la façon dont elle ne limitera pas la jouissance des droits.

Ma question est celle-ci : avez-vous songé à la question? Est-ce le pouvoir de réglementation en vertu de la loi que nous devrions examiner? Y a-t-il un certain type de clause fourre-tout qui obligerait le gouvernement à adopter des règlements pour que ceux qui ont le pouvoir de mettre en œuvre les applications de la loi prennent toutes les mesures nécessaires pour respecter ces droits? C'est ma principale préoccupation. Il ne s'agit pas d'avoir une jolie disposition qui nous paraît susceptible de plaire aux tribunaux. Je ne veux pas que vous alliez devant ceux-ci. J'aimerais savoir si vous avez réfléchi à ces considérations.

M. Jones : Oui, nous l'avons fait. En réalité, une disposition de non-dérogation est un moyen détourné de reconnaître des droits, même si je crois — et en fait, c'est ce que les tribunaux ont déterminé — que l'article 35 constituait une promesse de jouissance de leurs droits pour les peuples autochtones du Canada. Nous poursuivons cette revendication, car les politiques actuelles du gouvernement fédéral échouent tout simplement à cet égard pour les Autochtones. Elles fournissent au gouvernement fédéral un processus lui permettant de s'occuper de ses intérêts et des questions qui le concernent. Par exemple, si vous regardez la politique sur les droits inhérents, vous verrez à quel point on se préoccupe d'obtenir des garanties quant à la poursuite de l'application des lois fédérales et provinciales plutôt que de trouver un moyen de reconnaître les lois autochtones.

D'autres gouvernements adoptent des approches qui pourraient selon moi intéresser ce comité, dont celui des Philippines. La constitution et les lois philippines reconnaissent la nécessité de tenir compte également de certaines traditions juridiques autochtones pour déterminer la loi qui doit régir les relations entre les populations autochtone et non autochtone. Il s'agit davantage d'une déclaration des droits et de la capacité des gens à en jouir, plutôt que de la simple affirmation qu'on ne doit pas brimer les droits des Autochtones, comme vous le faites valoir, il me semble.

Le sénateur Nolin : Je comprends cette idée d'avoir une clause fourre-tout ou d'application générale, mais cela n'étanche pas ma soif d'une plus grande clarté. C'est pourquoi je parle de pouvoir réglementaire; c'est là où l'autorité fédérale interviendra pour entrer dans votre cour et empiéter sur vos droits.

M. Jones : Nous soulignons notamment dans cette proposition l'argument que vous avez évoqué, selon lequel bien souvent, c'est le pouvoir réglementaire qui tend à causer bien plus de dommages. Comme vous le savez, si une loi vise à ce qu'on prenne des règlements qui formeront une partie du cadre réglementaire global, ces règlements seront rédigés par le ministère de la Justice; ensuite, le cabinet les approuvera, ils seront publiés pendant trois ou six mois, puis auront force de loi. Ils ne seront pas soumis à l'examen de la Chambre ou du Sénat.

Le sénateur Nolin : Par ailleurs, une fois le processus mis en branle, cela peut durer longtemps.

M. Jones : C'est un pouvoir exécutif. Qui examinera ces règlements pour s'assurer qu'ils ne sont pas en contravention d'un traité ni des droits des Autochtones, quand on sait que personne n'a réellement droit de regard sur l'exercice de rédaction auquel on se livrera au ministère de la Justice? Ensuite, au cours des délibérations du Cabinet, au moment où l'on prendra un décret en déclarant qu'on adopte ces règlements et qu'ils doivent entrer en vigueur sur-le- champ, il n'y aura aucun examen. Pourtant, il s'agit d'une part importante du cadre légal auquel nous sommes tous assujettis.

M. Aldridge : Je souscris aux remarques de M. Jones. On peut trouver un exemple précis du point soulevé par le sénateur Nolin dans la plus troublante des dispositions de non-dérogation. Elle figure dans le projet de loi C-45, qui a franchi l'étape de la première lecture à l'autre endroit. Ce qu'on y affirme est assez étonnant et se lit comme suit : « Le ministre ainsi que toute personne chargée de l'application de la présente loi ou de ses règlements [...] » Puis, plus loin, à l'alinéa 6d) :

[...] s'efforcent de gérer les pêches ainsi que de préserver et de protéger le poisson et son habitat d'une manière compatible avec la protection constitutionnelle accordée aux droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada;

En somme, on dit qu'ils doivent s'efforcer d'agir d'une manière compatible avec la protection des droits des Autochtones. D'une certaine manière, cela contredit totalement le point soulevé par le sénateur Nolin.

Le sénateur Nolin : Disons que c'est un bon début. Au moins, ils y ont pensé. Peut-être raffineront-ils cette disposition.

M. Aldridge : Cela suppose que sans ce libellé, les agents des pêches pourraient porter atteinte à la protection constitutionnelle accordée aux droits ancestraux et issus de traités. C'est la démonstration par l'absurde de ce mode de raisonnement.

M. Merritt : Je trouve extraordinaire qu'un projet de loi du Parlement puisse contenir une disposition qui stipule que des agents s'efforceront d'obéir à la Constitution. Je trouve cela renversant, et je ne pense pas qu'il y ait d'explication acceptable pour cette disposition.

Le sénateur Adams : Dans le projet de loi C-45, la seule disposition en lien avec le Nunavut et la Loi sur les pêches concerne l'office des eaux — le tribunal des droits de surface. Elle peut servir à porter des accusations à l'encontre de personnes ayant rejeté des substances dans la mer, mais le projet de loi ne contient rien sur nos droits de pêche au Nunavut. Nous avons le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, mais il n'est mentionné nulle part.

M. Merritt : Je sais que la Loi sur les pêches contient plusieurs dispositions qui soulèvent des préoccupations chez les organisations autochtones. Je suis certain que des représentants de certaines d'entre elles comparaîtront devant vous lorsque vous examinerez ce projet de loi.

Le sénateur Baker : Afin d'illustrer l'argument du sénateur Adams, je dirais que les lois existent, tout comme les règlements, comme vous l'avez précisé, en vertu de la Loi sur les Pêches. Mais ces dispositions sont très limitées au chapitre des exceptions qu'elles contiennent et établissent. À titre d'exemple, la loi relative aux mammifères marins exclut les bénéficiaires. Ceux-ci s'entendent, au sens des règlements, de deux ou trois groupes de personnes seulement. Cela ne couvre pas la région du sénateur Adams.

Autrement dit, vous seriez autorisé à vendre une peau de phoque à dos bleu si vous étiez un bénéficiaire aux termes de la Convention de la Baie James. Le sénateur Watt a joué un rôle clé pour l'obtention d'une dérogation, mais le fait est que cela ne va pas jusqu'à définir les bénéficiaires comme d'autres personnes qui devraient être protégées, ainsi que l'a dit le sénateur Adams.

Je voulais seulement vous demander votre opinion sur un sujet lié à tout cela qui a vraiment exaspéré les sénateurs Adams et Watt ainsi que moi-même. Nous siégeons à un autre comité et avons entendu des témoignages au sujet d'un groupe de gens ne bénéficiant d'aucun droit, et dont les droits garantis par la Charte, s'ils existent, ont été bafoués de bien des façons. Nous avons examiné la jurisprudence ainsi que tous les cas enregistrés à ce jour relativement à l'application de la Charte et concernant des personnes habitant au nord du 60e parallèle. Nous sommes tombés sur de très nombreux cas signalés. Bien sûr, tous ne sont pas rapportés, mais pour une série d'entre eux, on peut démontrer que la loi n'a pas été appliquée équitablement. Cette progression établie par la jurisprudence, en ce qui concerne les éléments qu'une personne doit fournir si elle est interrogée relativement à des accusations au criminel, n'a pas été appliquée aux enquêtes dans les régions des sénateurs Watt et Adams. J'ignore comment nous pouvons régler le problème.

Prenez tous ces cas où l'on demande à une personne d'apporter les défenses —qui constituent la preuve — à l'Office des pêches pour ensuite porter des accusations contre elle. C'est une enquête sans droit de recourir à un avocat, et on l'accepte. L'inculpé n'a pas le droit de faire appel à un avocat, bien que ce ne soit pas déclaré. Par exemple, un agent de police du centre-ville de Toronto remettra à l'individu concerné une carte où figure un numéro 1-800 pour recourir à de l'aide juridique avant d'être interrogé.

Il n'y a aucune loi de ce genre. Je tiens à le souligner pour que vous puissiez nous dire, quand vous reviendrez, comment nous pourrions traiter de cette question dans le cadre de la discussion, puisqu'elle est en lien avec le sujet.

M. Merritt : J'ai une remarque d'ordre général à faire en réponse aux propos des sénateurs Baker et Nolin. Il me semble que la question de la non-dérogation se résume à ce que le Parlement précise aux Canadiens comme étant le début de la loi. Quel est le point de départ de l'interprétation des nouvelles lois élaborées après qu'on a modifié la Constitution en 1982 et qu'on a offert une protection en matière de droits ancestraux ou issus de traités? Il me semble que si l'on adopte une loi d'interprétation comparable à celles mises en œuvre par le Manitoba et la Saskatchewan, selon vous, le point de départ consiste en ce qu'au moment de l'adoption de nouvelles lois, le Parlement cherche à respecter les droits des peuples autochtones. Il ne souhaite pas que ces nouvelles lois soient interprétées ou administrées au jour le jour, comme vous l'avez évoqué, de façon à rouler les peuples autochtones.

J'appelle cela une atteinte commise à distance. On laisse entendre que même quand ce n'est pas l'intention du Parlement, les nouvelles lois devraient être interprétées comme ayant l'effet de réduire la jouissance effective des droits autochtones issus de traités. Étrangement, dans les organisations autochtones, nous avons à certains égards une conception conservatrice du rôle du Parlement. En cas d'intention de restreindre ou de rendre moins réalisables d'une quelconque manière les droits des Autochtones, ce problème devrait être soumis au Parlement lorsqu'il examinera cette nouvelle loi. Le ministère de la Justice devrait lancer un signal d'alarme à ce sujet et vous aviser qu'il pourrait y avoir un impact en l'espèce et que vous devriez en tenir compte, et que les Autochtones vous donnent là une occasion d'agir, car vous êtes les gardiens de ces droits.

À ce stade-ci, ce débat semble avoir lieu dans l'enceinte du ministère de la Justice, et ce sont les tribunaux qui feront face aux conséquences plus tard, sans qu'on ait tenu cette discussion d'emblée. Je pense que dans notre monde, on a cette opinion conservatrice selon laquelle c'est le rôle du Parlement que de prendre des décisions subjectives. Le Parlement est certainement capable d'enfreindre les droits autochtones issus de traités. Nous l'avons constaté dans la jurisprudence. Il s'agit de savoir si c'est là votre volonté, et si tel est le cas, comment vous l'exprimerez.

Le président : Honorables sénateurs, nous allons interrompre la séance le temps de voter.

La séance est interrompue.

La séance reprend.

Le président : Honorables sénateurs, nous reprenons cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles portant sur notre étude des clauses non dérogatoires concernant les droits des peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Joyal : J'aimerais remercier les témoins pour leurs exposés, qui nous aideront à comprendre la complexité de la question.

J'ai participé à l'exercice d'adoption des articles 25 et 35 de la Constitution en 1982, tout comme le sénateur Watt. D'autres sénateurs qui ne sont peut-être pas présents ici mais qui siègent au Sénat ont également participé à la discussion. À ce moment-là, nous voulions atteindre deux objectifs. Le premier était que pour la première fois depuis 1763, nous souhaitions reconnaître les droits des Autochtones, ces droits enchâssés dans les traités et les droits coutumiers. Le second objectif concernait l'article 35.

L'article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982 protège ces droits contre toutes transgressions futures. Il fait allusion à la Proclamation royale d'octobre 1763 et stipule ceci :

Le fait que la présente Charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits aux libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — des peuples autochtones du Canada, notamment :

a) aux droits ou libertés reconnus par la Proclamation royale du 7 octobre 1763;

Depuis, cet article a eu un effet réparateur. Il visait à corriger les erreurs survenues depuis 1763. Il a garanti que dans les nouvelles législations, il y ait toujours une reconnaissance du fait que les droits autochtones ne doivent pas seulement être protégés, mais rétablis.

Lorsque la cour a retenu cette interprétation par la suite dans de nombreux cas, le plus connu étant l'affaire Delgamuuk, elle a établi ce que nous devions entendre par l'expression « honneur de la Couronne. » L'un des termes clés de votre exposé d'aujourd'hui, monsieur Jones, a été exprimé à la fin votre première proposition, c'est-à-dire « la pratique de la Couronne fédérale ».

Le problème que nous avons maintenant — et je comprends l'intervention de mon collègue et ami, le sénateur Nolin —, c'est que le ministère de la Justice s'est retrouvé dans une position pratiquement intenable. Il doit agir en ayant la tâche de maintenir l'honneur de la Couronne. Il doit faire plus que de consulter les Autochtones. En référence à la décision dans le cas Delgamuuk, il ne suffit pas d'avoir les points de vue de ces derniers. Nous devons concilier les opinions divergentes pour pouvoir résoudre les litiges. Autrement dit, d'une part, le ministère de la Justice a la responsabilité de préserver l'honneur de la Couronne en ce qui a trait aux Autochtones, et d'autre part, il doit préparer des lois destinées aux non Autochtones. C'est ce que nous devons faire dans le cas de n'importe quelle loi.

En ce qui a trait au projet de loi C-6, en 2003, j'ai dit qu'il y avait toujours deux aspects à concilier en matière d'initiatives législatives. Nous devons harmoniser notre action pour nous assurer d'agir en tant que fiduciaires des peuples autochtones et pour veiller à ne pas nous placer en position de conflit d'intérêts, ou autrement dit, à ne pas prendre de décision plus favorable aux non Autochtones qu'aux Autochtones. Nous sommes placés dans cette position intenable. C'était essentiellement l'objet des articles 25 et 35. Aujourd'hui, lorsque la disposition de non-dérogation est en jeu, c'est surtout sur le plan de l'honneur de la Couronne; mais en même temps, la majorité de la population canadienne est non autochtone.

Jusqu'à 1982, et pendant 120 ans, les activités du Parlement en matière de législation avaient essentiellement consisté à légiférer en vertu de l'article 91.24 de la Constitution, selon lequel les Indiens relevaient du gouvernement fédéral. Comme vous l'avez dit, vous étiez entre les mains du ministère des Affaires indiennes, sans maturité politique, législative et sociale.

Il me semble que si nous devons résoudre cette question, il nous faudra trouver un moyen de distinguer le rôle du ministère de la Justice ou d'être bien certains qu'un mécanisme ou un organisme soit en place pour concilier cela.

M. Jones : L'une des choses ayant fait l'objet de revendications de la part des Premières nations par le passé, et je crois que dans une certaine mesure, cela se reflète dans l'annonce qu'on a faite pas plus tard que la semaine dernière, concerne le fait que très souvent, la Couronne fédérale se retrouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'elle traite des droits des Premières nations, en raison de la relation de fiduciaire qu'elle entretient avec les Autochtones. Et, bien sûr, en tant que procureur de la Couronne, le ministère de la Justice se retrouve dans la même position.

Pour éviter que le gouvernement ne se trouve en situation de conflit d'intérêts, il a annoncé la semaine dernière la création, par voie législative, d'un organisme indépendant qui aura pour rôle d'harmoniser les intérêts des Premières nations et de la Couronne. Il ne s'agit pas uniquement des intérêts des Premières nations, mais aussi de ceux du gouvernement fédéral et des secteurs public et privé, puisqu'il y a des terres qui appartiennent à des particuliers et qui font actuellement l'objet de revendications. Il sera sans doute instructif de créer un organisme précis dont le mandat ne le place pas en situation de conflit d'intérêts.

On a proposé notamment de nommer un procureur général indépendant pour veiller au respect de l'article 35 et voir à ce que les intérêts des Autochtones soient pris en compte. C'est ce qu'on a fait aux États-Unis, compte tenu de la relation fiduciaire semblable qui existe entre les tribus et le gouvernement fédéral. On a d'ailleurs créé une entité distincte qui, en tant que fiduciaire, défend les intérêts des tribus, étant donné que le gouvernement fédéral serait en conflit d'intérêts s'il en faisait autant. L'annonce de la semaine dernière à propos de la création d'un organisme chargé de régler les revendications, de même que les discussions antérieures, pourraient créer certains précédents.

Le sénateur Joyal : Vous avez proposé d'appliquer aux lois le critère prévu à l'article 35. Quand vous appliquez le critère, vous devez vous demander si la mesure législative constitue une violation de la disposition visant l'égalité ou un avantage en vertu de la loi. Cela doit être fait par quelqu'un qui aura un rôle distinctif à jouer et qui peut ensuite se présenter devant les tribunaux pour défendre sa position. C'est là où le gouvernement se trouve en conflit d'intérêts. Il doit non seulement faire respecter les droits, mais aussi défendre la décision qu'il aura prise. Il se met donc dans une situation difficile.

Imaginez tout le chemin qu'il y a à parcourir pour rétablir le statut que les Autochtones avaient en 1763. À l'instar de la Proclamation royale, la Cour suprême a reconnu récemment, dans l'arrêt Haida, que les peuples autochtones au Canada n'avaient pas été conquis et qu'ils occupaient le territoire bien avant l'arrivée des Européens. Cela signifie que quelqu'un doit s'assurer que les Autochtones recouvrent leur statut. Toutefois, nous nous retrouvons dans une situation où le juge agit à titre de juge et de partie en même temps.

Si nous devons appliquer le critère prévu à l'article 35 à toute mesure législative fédérale, nous avons besoin d'un jugement plus objectif et d'un rapport plus convaincant qui prouvent que le gouvernement a pris tous les moyens pour consulter les Autochtones et régler les différends avant le dépôt du projet de loi. Nous avons vécu cette situation avec le projet de loi sur la cruauté envers les animaux. Mes collègues ont pris part à ce processus pendant trois ou quatre ans. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous en avons décousu avec le ministère de la Justice, mais nous l'avons sérieusement questionné. Nous lui avons demandé ce qu'il a fait en ce qui a trait aux Autochtones, s'il les a consultés et s'il a essayé de concilier leurs points de vue. Nous n'avons pas reçu ses lignes directrices. Le processus est déficient.

Si nous voulons régler le problème, il me semble que nous devons décider s'il y a lieu d'ajouter ou non l'article 25 tel quel à tous les projets de loi, et nous devons aussi mettre en place un mécanisme visant à concilier les deux opinions divergentes.

Le sénateur Nolin : Comme il s'agit d'un processus essentiel, ce n'est pas quelque chose que l'on « peut » faire, mais plutôt que l'on « doit » faire.

Le sénateur Joyal : Le système est défaillant. Le sénateur Watt et M. Aldridge étaient présents lorsque nous avons intégré les articles 25 et 35.

M. Aldridge : Pour revenir sur les propos du sénateur Joyal par rapport à la disposition de non-dérogation, pour parvenir à un règlement, nous sommes d'avis qu'il faut, avant toute chose, être clairs. Par exemple, dans le processus que vient tout juste de décrire le sénateur Joyal, on dépose un projet de loi — disons celui sur la cruauté envers les animaux —, on tient des consultations, puis un groupe d'Autochtones se présentent devant le ministre pour exprimer leur désaccord face à cette mesure législative qui porte atteinte à leurs droits. Le ministre a trois choix. Tout d'abord, il peut leur répondre qu'en effet, le projet de loi enfreint leurs droits, mais que cette violation est justifiée par d'autres besoins encore plus criants. Un débat peut alors avoir lieu. Ensuite, comme les représentants du ministère de la Justice l'ont indiqué, le ministre pourrait dire qu'il ignore si le projet de loi viole leurs droits, mais que si c'est le cas, il faut être en mesure de le justifier. Cette option serait écartée si on faisait examiner chaque projet de loi comme on le fait quand il est question de droits garantis par la Charte. Au fond, le ministre pourrait répondre que oui, il y a une possibilité que ce projet de loi constitue une violation de leurs droits. C'est ce que mon ami appelle une violation non prouvée. Si en effet on viole leurs droits, il faut être capable de le justifier. Enfin, le ministre pourrait tout simplement dire que non, il n'est pas dans son intention de porter atteinte à leurs droits. Dans ce cas, il faut se doter d'une disposition de non- dérogation. C'est une technique de rédaction utilisée à cet effet.

Dans les deux premiers cas, oui, on enfreint sciemment leurs droits, mais c'est justifié. À ce moment-là, il n'est pas nécessaire d'avoir une disposition de non-dérogation. Toutefois, on peut avoir une discussion ouverte et franche au sujet du bien-fondé de cette violation et laisser le Parlement décider. Dans le dernier cas, vous utilisez une disposition de non-dérogation. Toutefois, ce que vous ne devez pas faire, et je le dis avec tout le respect que je vous dois, c'est adopter une disposition illusoire de non-dérogation, qui n'a absolument aucun effet, et vous en prévaloir dans les deux premières situations pour rassurer les politiciens au moment de l'entrée en vigueur du projet de loi, qui provoquera inévitablement un conflit. L'affaire sera ensuite portée devant les tribunaux, et comme M. Jones l'a dit, cela finira par coûter très cher aux Autochtones, suscitera de la hargne et mènera à la division plutôt qu'à la réconciliation que nous devrions tous prôner et dont le sénateur Joyal parle avec tant d'éloquence.

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous aider à définir le mécanisme afin que nous puissions parvenir à une conclusion et formuler des recommandations pertinentes? Comment le définiriez-vous, à la lumière de nos considérations et de ce que nous voulons accomplir relativement à la Constitution? Que faire pour avoir un bon mécanisme responsable? Comment le définiriez-vous, afin que nous n'ayons plus besoin de compter sur la vigilance du Parlement?

Je connais le Parlement. J'y siège depuis 20 ans, et c'est suffisant pour savoir que lorsqu'un sénateur ou un député qui se préoccupe de certaines questions est absent pour quelque raison que ce soit, le projet de loi est adopté sans problème. Le système ne peut fonctionner ainsi. Il doit avoir un mécanisme. C'est à nous de le gérer et d'en assurer la surveillance. Sans un mécanisme, nous nous retrouverons avec rien d'autre que le projet de loi. Il y a tellement de circonstances qui peuvent influencer le résultat que je ne suis pas convaincu que le Parlement fait son travail. Le Parlement assume un rôle de surveillance, mais la structure doit nous fournir les outils nécessaires pour nous permettre d'évaluer les résultats.

Pourriez-vous réfléchir à cela puis voir comment vous pourriez nous aider? Seriez-vous prêt à comparaître de nouveau devant nous pour nous faire part de vos conclusions? Ce serait très utile pour tous les membres du comité. Nous voulons clore ce dossier; il est grand temps pour nous d'aller de l'avant.

M. Jones : C'est un début. Je ne vais pas vous donner une réponse définitive. Le problème, c'est qu'après 1982, on n'a pratiquement rien changé à la structure, aux institutions ni aux organisations gouvernementales. La vie a continué comme si rien ne s'était passé le 17 avril 1982. Le ministère des Affaires indiennes a continué d'exister et existe toujours pour appliquer la Loi sur les Indiens plutôt que pour faire respecter les droits conférés par l'article 35. Le ministère de la Justice continue de servir avant tout les intérêts de la Couronne. On ne le lui reproche pas puisque c'est son travail.

Un accord conclu en mai 2005 témoigne de ce que les Premières nations ont accompli. Cet accord confirme que quelque chose d'important est survenu en 1982 et que le gouvernement a failli à la tâche concernant ses activités, son organisation et sa structure.

La jurisprudence se développe, et on accorde une grande importance à la réconciliation tout comme au principe de l'honneur de la Couronne. Les parties ont négocié un accord visant la réconciliation, qui est évidemment souhaitable. Pour y arriver, les parties doivent respecter 11 principes fondamentaux, notamment le principe de l'honneur de la Couronne; le constitutionalisme et la primauté du droit étant très importants; le respect des droits de la personne; le fédéralisme canadien; le pluralisme et la diversité des Premières nations; la mutualité et ainsi de suite.

Ces principes étaient censés aider la Couronne fédérale et les Premières nations à renouveler les politiques parce qu'elles n'avaient pas du tout servi les fins auxquelles elles étaient destinées. Les politiques entourant les droits inhérents, les revendications globales, les revendications particulières et la gouvernance des Premières nations devaient être revues et réorientées pour être conformes à l'article 35. De plus, on devait apporter des changements structurels et institutionnels qui permettraient d'éviter ces situations de conflit d'intérêts, ou du moins, qui démontreraient une volonté de le faire, et d'améliorer les relations entre les Premières nations et la Couronne. Au lieu que le gouvernement ne jure que par l'article 91.24, qui lui confère le pouvoir législatif d'adopter des dispositions visant les Indiens, et ce, sans la participation des Premières nations à leur élaboration, les parties devaient travailler ensemble pour renouveler les politiques et apporter des changements institutionnels et structurels. Cette question a été examinée à maintes reprises, depuis le début des années 1980, par le comité Penner, un comité mixte. Ensuite, il y a eu bien sûr la Commission royale sur les Autochtones, qui a accompli une grande partie du travail. Je me rappelle qu'un comité du Sénat, sous la présidence du sénateur Watt, a aussi mené une étude sur les changements structurels et institutionnels. Nous pouvons nous en inspirer pour savoir quoi faire à présent. Les parties doivent passer à l'action plutôt que d'essayer de maintenir le statu quo, comme c'est malheureusement le cas actuellement.

Le président : MM. Merritt et Jones, êtes-vous en faveur du libellé de la disposition de non-dérogation, dont il est question à l'option 6? Il se lit comme suit :

Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte aux droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada visés à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Croyez-vous que de tous les libellés proposés, celui-ci est le meilleur?

M. Merritt : C'est un très bon libellé, et c'est celui qui a été utilisé de 1982 à 1996. Le sénateur Sibbeston a proposé de l'incorporer dans la Loi d'interprétation.

Le président : Selon vous, le comité doit-il recommander que l'on apporte une modification à la Loi d'interprétation, comme l'ont fait le Manitoba et la Saskatchewan? Premièrement, que pensez-vous de ce libellé?

M. Merritt : C'est le genre de libellé qui convient à une loi particulière. Le sénateur Sibbeston propose une solution à long terme applicable à toutes les lois. C'est celle que nous privilégions. L'option que vous avez citée est meilleure que celles qui ont été présentées depuis 1996.

M. Jones : Je juge le libellé de l'option 6 satisfaisant pour une loi particulière. Toutefois, le mieux serait d'inclure une disposition générale dans la Loi d'interprétation fédérale.

Le président : Monsieur Aldridge, c'est aussi, bien sûr, votre opinion.

M. Aldridge : Oui, nous sommes unanimes.

Le président : Y a-t-il d'autres sénateurs qui aimeraient poser des questions aux témoins?

Le sénateur Watt : Je ne suis pas tout à fait certain, mais je crois qu'il est question d'un accord d'amitié ou d'un traité qui doit être respecté entre les Premières nations et l'État. C'est à cela que M. Jones fait allusion. Les articles 25 et 35 de la Constitution en font mention.

Dans un tout autre ordre d'idées, la politique du gouvernement concernant la non-affirmation des droits inquiète les Inuits. C'est une question sur laquelle nous devons nous pencher. Le texte de l'accord tient compte des nouveaux droits, mais pas des droits cédés. C'est un problème que soulève le nouvel accord visant Terre-Neuve-et-Labrador et le Nunavut, et j'en ai parlé aujourd'hui au Sénat. C'est un autre aspect que nous aurons à examiner dans le dossier de la disposition de non-dérogation. Nous devrons déterminer si les options proposées peuvent s'appliquer dans ce cas-ci. Je n'en suis pas tout à fait convaincu.

J'ai discuté de cette question avec mon bon ami, David General, la fin de semaine dernière, après l'une de nos rencontres avec des gens de Québec et de Montréal. J'ai commencé à m'inquiéter quand il m'a dit que c'était pour cette raison qu'ils hésitaient à négocier des ententes de revendications territoriales globales. Il essaie de trouver un moyen de régler les revendications en suspens par la voie d'ententes particulières. En même temps, il se demande si cette approche est la bonne. Il cherche à mettre en œuvre le traité conclu entre les Six Nations et la Grande-Bretagne. Encore une fois, je reviens à cette disposition de non-dérogation. Je ne suis pas certain si on peut utiliser le même principe et la même formule pour résoudre facilement le problème. Je demande l'avis des témoins à ce sujet.

M. Jones : Merci, sénateur Watt. Nous en parlons à la page 9 de notre mémoire, car cela touche la question de non- reconnaissance. Le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale a déclaré, en mars 2007, dans ses observations finales :

22. Tout en reconnaissant que le principe de « renonciation » aux titres territoriaux autochtones a été abandonné par l'État...

— en l'espèce, le Canada

... en faveur de modèles de « droits modifiés » et de « non-affirmation », le Comité demeure inquiet de l'absence de différence perceptible entre les résultats donnés par les nouveaux modèles, d'une part, et l'ancienne formule d'autre part.

Le Comité des Nations Unies ne voyait pas comment le modèle de non-affirmation pouvait faire avancer les droits et les intérêts des Autochtones. Il ne le fait pas car, comme nous l'indiquons dans notre mémoire, on évite la question. Au lieu de permettre aux peuples autochtones du Canada de jouir pleinement des droits fondamentaux auxquels tous les autres Canadiens ont droit, on évite de s'occuper de ces droits. Or, il faut le faire en amont ou en aval — l'un ou l'autre.

Nous devons attaquer ce problème de front et non pas l'esquiver. Au lieu d'utiliser une disposition de non- dérogation, réglons simplement le problème.

Le sénateur Nolin : Les tribunaux pourraient s'en charger.

Le président : Cela coûterait très cher.

M. Merritt : Le principe de l'honneur de la Couronne, auquel le sénateur Joyal a fait référence tout à l'heure, s'applique à ce que vous avez dit, sénateur Watt. Premièrement, les organisations inuites soutiennent que l'honneur de la Couronne est un concept qui relève du Parlement et de l'exécutif. La Couronne, elle, fait partie du Parlement. Or, si le gouvernement adopte des lois sans nous en informer et sans s'assurer qu'elles ne portent pas atteinte aux droits des Autochtones, il y a lieu de se demander si cette démarche est conforme au principe de l'honneur de la Couronne. Porter atteinte, de façon involontaire ou accidentelle, aux droits d'une personne n'est pas un comportement honorable, à mon avis. Cela vaut et pour les particuliers et pour l'État, dans la façon dont il se conduit vis-à-vis des peuples autochtones.

Deuxièmement, je trouve moi aussi, sénateur Watt, que d'éviter de définir les droits pour apporter plus de clarté ou que de permettre un développement économique dans des terres traditionnellement utilisées et occupées par les Autochtones ne correspond pas non plus tout à fait à la notion de comportement honorable. Essayer d'obtenir davantage des gens que ce qui est raisonnable dans le but de permettre aux deux parties d'envisager l'avenir avec plus de confiance n'est pas un comportement honorable. Les tribunaux nous ont d'ailleurs rappelé que ce concept découle d'un déséquilibre du pouvoir. Il faut évaluer les comportements honorables en conséquence.

Le président : Honorables sénateurs, s'il n'y a pas d'autres questions, je vais mettre fin à la séance. Demain, nous poursuivrons notre examen des droits de non-dérogation des peuples autochtones.

La séance est levée.


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