Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 3 - Témoignages du 5 juin 2006
OTTAWA, le lundi 5 juin 2006
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 17 h 27 pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi.
Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables collègues, monsieur le ministre, bienvenue. Dans le cadre de l'ordre de renvoi qui a été confié à ce comité d'étudier l'application de la Loi sur les langues officielles, nous recevons aujourd'hui l'honorable Vic Toews, ministre de la Justice.
[Traduction]
Soyez le bienvenu, monsieur le ministre. Avant de permettre au ministre de faire son exposé, j'aimerais présenter les membres du comité.
[Français]
À ma gauche, nous avons madame le sénateur Andrée Champagne, de Grandville, Québec; madame le sénateur Trenholme Counsell, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Comeau, de Nouvelle-Écosse; madame le sénateur Plamondon, des Laurentides, au Québec.
À ma droite, le sénateur Robichaud, du Nouveau-Brunswick, et madame le sénateur Tardif de l'Alberta.
[Traduction]
L'honorable Vic Toews, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs, membres du comité sénatorial. Je suis heureux de comparaître aujourd'hui devant vous pour parler des langues officielles du point de vue du ministère de la Justice.
Permettez-moi tout d'abord de reprendre la déclaration faite il y a quelques semaines par ma collègue, la ministre responsable des langues officielles, à savoir que le gouvernement que je représente s'est engagé à renforcer la vitalité des collectivités de langue officielle minoritaire et à promouvoir la dualité linguistique.
Ce faisant, le gouvernement fédéral doit néanmoins tenir compte du fait que l'administration de la justice est un domaine de compétence partagée et nous devons toujours agir dans le respect de la compétence provinciale. Nous allons travailler avec nos partenaires provinciaux pour veiller à ce que les collectivités de langue officielle minoritaire aient accès à la justice.
Cela ne signifie pas pour autant que le gouvernement fédéral n'a pas son rôle à jouer dans la prestation de services aux citoyens. Au contraire, je suis convaincu que tout doit être fait pour que nos compatriotes obtiennent les services auxquels ils s'attendent dans le contexte de leurs droits linguistiques.
Le Canada est un pays bilingue et le respect de la dualité linguistique fait partie des valeurs essentielles qui président à nos choix en matière de justice.
J'étais procureur général et ministre de la Justice du Manitoba lorsque l'honorable juge Richard Chartier a présenté son rapport intitulé « Avant toute chose, le bon sens ». Je sais, madame la présidente, que vous connaissez bien ce rapport, comme vous connaissez le juge Chartier et ses recommandations sur les services en français dans le secteur public du Manitoba en 1998.
Dans son rapport, le juge Chartier reconnaît qu'il est important de proposer à la minorité de langue officielle, lorsque les nombres le justifient, le même niveau de services qu'à la majorité de langue officielle en vertu du principe de l'amélioration constante de la qualité et de l'offre active.
Je fais mienne cette conclusion et j'estime que la justice est un domaine dans lequel les membres de la collectivité minoritaire de langue officielle ont absolument besoin de ces services.
La mise en œuvre des recommandations du juge Chartier a eu notamment pour conséquence la création du Centre de service bilingue de St-Pierre-Jolys.
Lorsque le juge Chartier a déposé son rapport et ses recommandations en 1998, j'ai fait remarquer que St-Pierre- Jolys n'était pas dans ma circonscription. Je représentais une circonscription de Winnipeg. Je représente maintenant la circonscription de Provencher qui, après St-Boniface, compte le plus grand nombre de francophones parmi les circonscriptions de l'Ouest canadien. J'ai même parfois l'impression que les francophones y sont plus nombreux qu'à St-Boniface. Je suis donc parfaitement conscient de l'importance de l'autre langue officielle. Le français est une langue officielle largement utilisée dans ma circonscription, parallèlement à l'anglais, évidemment.
Ce centre, inauguré il y a deux ans, offre des services juridiques bilingues aux citoyens de la région. Le gouvernement fédéral a participé activement et financièrement à sa création. Son succès atteste de l'importance de la coopération entre le gouvernement fédéral et les autorités provinciales dans ce domaine.
Le centre de service bilingue du Manitoba pourrait servir d'exemple à la prestation de services aux collectivités de langue officielle minoritaire dans l'ensemble du Canada. Le gouvernement précédent a adopté le Plan d'action pour les langues officielles et, comme l'indiquent les résultats annoncés dans la mise à jour de l'exécution du plan, le ministère de la Justice donne l'exemple en améliorant l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Le ministère a par ailleurs reçu une mention positive dans le dernier rapport de la commissaire aux langues officielles.
Entre autres choses, le ministère a enclenché un processus de consultation auprès des différentes associations de juristes afin de mieux collaborer avec elles dans le cadre de son mandat.
En 2003, le ministère a créé un fonds de soutien qui a financé plus de 100 projets, notamment à l'intention de l'association des avocats francophones et de leur fédération nationale, pour mettre au point des outils de linguistique et de terminologie juridiques et pour former les intervenants du monde judiciaire en matière d'accès à la justice dans les deux langues officielles. Cette dernière activité vise particulièrement la mise en œuvre efficace des dispositions linguistiques du Code criminel.
Le ministère a également créé un groupe de travail fédéral-provincial-territorial dont les membres communiquent pour améliorer l'accès à la justice dans les deux langues officielles. La participation à ce groupe de travail est strictement volontaire, mais je suis heureux de signaler que toutes les provinces et territoires y assurent une présence active.
Les travaux de ce groupe ont notamment permis la création du réseau des procureurs bilingues, qui visent à rompre l'isolement de ses membres grâce au partage et au soutien. Il vient en aide aux procureurs bilingues et veillent à ce qu'ils reçoivent la formation nécessaire, qui constitue un élément clé dans la prestation de services judiciaires bilingues en droit pénal. Il favorise la résolution des dossiers de moindre importance en début de procédure et veille à ce que les accusés puissent communiquer avec la Couronne dans la langue de leur choix.
Je voudrais aussi mentionner la formation organisée par l'Institut de développement professionnel en langue française, qui vise les procureurs de la Couronne bilingues et les autres professionnels du monde judiciaire. Cette formation doit élaborer une terminologie française commune de procédures judiciaires et devrait favoriser un fonctionnement efficace du système de justice bilingue. Proposée pour la première fois en 2005, cette formation a parfaitement réussi et elle doit être renouvelée cette année.
Sur une note plus prosaïque, le ministère a également amorcé la mise en œuvre de la Loi sur les contraventions, se conformant ainsi à la décision de la Cour fédérale en la matière et aux engagements du ministère de la Justice dans le cadre de son plan d'action.
Je suis également responsable de la mise en œuvre de la Loi sur la réédiction des textes législatifs, qui prévoit la remise en vigueur de textes législatifs initialement promulgués dans une seule des langues officielles. Elle a été adoptée pour dissiper tout doute quant à leur validité.
En tant que résident du Manitoba et ayant travaillé comme avocat pendant plusieurs années au ministère provincial du Procureur général, je connais bien les complications qui peuvent surgir lorsque, dans une province bilingue comme le Manitoba, une mesure législative est promulguée dans une seule langue. Je suis donc heureux de voir que nous assumons cette responsabilité.
Une équipe a été constituée à cet effet pour réviser tous les textes législatifs promulgués entre 1867 et 1988. L'exercice devrait être terminé d'ici juin 2007.
Finalement, connaissant l'intérêt des membres du comité pour le thème de la capacité linguistique des juges nommés au niveau fédéral, j'aimerais évoquer brièvement les efforts que nous déployons dans ce domaine. Je connais parfaitement le point de vue exprimé par la commissaire aux langues officielles en ce qui concerne la capacité linguistique des juges nommés au niveau fédéral. J'affirme aux membres du comité que notre gouvernement s'est engagé à faire en sorte que la capacité linguistique des juges fédéraux réponde aux besoins identifiés par le juge en chef de chacune des cours concernées. Leurs commentaires et leurs exigences sont pris en compte à chaque étape du processus judiciaire et le gouvernement prend des mesures pour nommer des juges qui répondent à ces exigences.
Lorsque j'étais procureur général du Manitoba, un problème s'est posé quant au nombre des juges francophones au niveau provincial. Je sais qu'il est parfois difficile de faire valoir cette nécessité, mais c'était un défi que je n'ai pas hésité à relever, et j'ai l'intention d'adopter le même point de vue en tant que procureur général fédéral, qui me rend responsable de l'administration de la justice non pas dans une province, mais dans l'ensemble du pays.
Madame la présidente, honorables sénateurs membres du comité, voilà qui conclut mon exposé; je vous remercie de votre attention et je serais heureux de répondre à vos questions.
Je suis accompagné par deux de mes collaborateurs du ministère. Je voudrais leur demander de se présenter en indiquant leurs titres et responsabilités, puisqu'ils vont répondre aux questions techniques.
[Français]
Andrée Duchesne, avocate-conseil et gestionnaire Francophonie, Justice en langues officielles et dualisme juridique, Justice Canada : Madame la présidente, distingués sénateurs, mon nom est Andrée Duchesne. Je suis avocate-conseil et gestionnaire de l'unité Justice en langues officielles au ministère de la Justice, et je gère le Fonds d'appui pour l'accès à la justice dans les deux langues officielles de même que le mécanisme de consultation avec les communautés minoritaires de langues officielles auquel le ministre Toews a fait référence dans son allocution.
Marc Tremblay, avocat général et directeur, Groupe du droit des langues officielles, Justice Canada : Madame la présidente, mon nom est Marc Tremblay. Je suis l'avocat général et directeur du Groupe du droit des langues officielles au ministère de la Justice. Cette équipe s'occupe de la prestation de conseils juridiques à l'ensemble des institutions fédérales sur toutes les questions de langues officielles.
La présidente : Merci beaucoup. Sénateur Comeau, la parole est à vous.
Le sénateur Comeau : Merci beaucoup, madame la présidente.
[Traduction]
Soyez le bienvenu, monsieur le ministre. J'ai plusieurs questions à vous poser. Depuis l'adoption du projet de loi S-3, qui assure la concrétisation de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, le ministère s'est fait dire qu'il devait prendre des mesures positives conformément à l'article 41 de la loi. Votre ministère a-t-il commencé à s'interroger sur la définition des « mesures positives »?
M. Toews : Merci. Je vous prie d'excuser mon inexpérience relative dans ce dossier. J'ai d'excellents collaborateurs qui pourront me reprendre si je fais une erreur.
L'expression « mesures positives » a été ajoutée à la partie VII de la Loi sur les langues officielles et cette notion n'est pas définie. Les tribunaux n'ont pas encore donné d'indications sur la signification de ces mesures positives; cependant, je peux indiquer qu'il incombe à chaque institution fédérale de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer à cette partie de la loi comme à toutes les autres parties, ainsi qu'à la structure d'imputabilité des langues officielles, qui exige que des consultations soient menées avec la minorité de langue officielle et que l'on prenne en compte les langues officielles pour permettre aux institutions d'identifier les mesures à prendre.
Je vais demander à M. Tremblay de vous fournir des renseignements complémentaires.
M. Tremblay : Je crois que c'est tout, à moins que vous ayez d'autres questions.
[Français]
Sénateur, si vous voulez d'autres informations sur notre approche face à cette question, je pourrai prendre une question complémentaire.
Le sénateur Comeau : C'était surtout pour voir si vous aviez commencé le débat sur une définition officielle ou si vous alliez attendre que le système de justice prenne le sujet en main.
M. Tremblay : Comme vous le savez, nous ne sommes pas ici pour discuter des avis du ministère de la Justice et puisque, finalement, la réponse vient qu'à suggérer qu'il y ait question d'interprétation, on spéculerait sur le contenu de cette expression. Évidemment, dans le quotidien des avis que l'on doit rendre, nous avons rencontré les institutions fédérales, nous leur avons expliqué les modifications qui ont été apportées à la loi afin qu'ils fassent leurs devoirs, pour reprendre l'expression de Mme Adam. Ils sont donc, en ce moment, en train d'examiner ce que la loi leur impose comme obligations.
[Traduction]
Le sénateur Comeau : En ce qui concerne les juges bilingues dans les communautés francophones et acadiennes du Canada, on semble constater un manque de candidatures et le nombre des juges bilingues actuels est relativement modeste. Je pense à une province comme la Nouvelle-Écosse, qui ne compte, je crois, que trois juges bilingues.
Avez-vous ou allez-vous considérer de fixer un certain nombre de juges par province? Pouvez-vous envisager, par exemple, un minimum pour le Manitoba, le Nouveau-Brunswick ou la Nouvelle-Écosse? Pouvez-vous fixer un objectif qu'il faudra ensuite s'efforcer d'atteindre?
M. Toews : Je ne suis pas particulièrement favorable à la fixation de quotas. Cependant, je peux vous assurer qu'il y a suffisamment de magistrats pour répondre aux besoins des deux communautés de langue officielle, aussi bien du côté anglais que du côté français.
Au Manitoba lorsque j'y étais, on manquait de juges francophones, et le problème était partiellement dû au comité de sélection, dont le processus d'approbation était un peu différent de ce qu'il est au niveau fédéral, où les candidats sont sélectionnés à partir d'un bassin plus vaste; d'après les noms et les antécédents des candidats, on trouve un plus grand nombre de candidats possible lorsque la demande le justifie. Au Manitoba, par exemple, on ne pouvait choisir qu'entre deux ou trois candidats pour chaque poste. Souvent, on était obligé de dire : « Je ne trouve pas la personne dont j'ai besoin en fonction d'une exigence particulière », par exemple la connaissance du français, et c'était un problème dans le contexte manitobain.
Je ne prévois pas que ce problème se pose ici.
Je vais consulter directement les juges en chef qui ont la responsabilité de disposer d'un contingent suffisant de juges, pour m'assurer que les besoins en service en langue française ou anglaise sont satisfaits. Je ne fixerai pas de quotas, mais je veillerai à ce que les juges qui peuvent assurer un service dans la langue de la minorité soient en nombre suffisant.
Le sénateur Comeau : Si le juge en chef ne fait pas partie de la collectivité qui a besoin du service, ce n'est peut-être pas lui qu'il faut consulter. Vous ou vos collaborateurs pourriez consulter la collectivité qui prévoit une pénurie des juges dont elle a besoin, puisque c'est elle qui requiert le service, au lieu de consulter un juge en chef à qui cette collectivité n'est pas forcément familière.
M. Toews : Je retiens votre suggestion; il ne faudrait peut-être pas limiter la consultation aux seuls juges en chef. C'est très juste.
J'espère que chaque juge en chef connaît non seulement les besoins de son tribunal, mais également ceux de la collectivité, et que chacun d'eux agit de façon responsable à cet égard.
Rien n'indique actuellement que les juges en chef agissent contrairement à l'intérêt public dans la promotion des services en français ou en anglais.
Le sénateur Comeau : Ce n'est nullement ce que j'ai voulu dire, monsieur le ministre. Je n'ai jamais prétendu qu'un juge en chef pouvait ne pas agir dans l'intérêt de la collectivité. Je dis que dans certaines provinces, la réalité de la collectivité minoritaire ne lui est pas forcément familière. Je suppose que la plupart des juges en chef de la Nouvelle- Écosse vivent à Halifax, et non pas dans les localités côtières et rurales très éloignées d'Halifax, où vivent les collectivités minoritaires, qui ne sont pas forcément très familières au juge en chef, même si ne n'est ni par manque d'intérêt, ni par manque de bonne volonté. C'est pourquoi je vous suggère, monsieur le ministre, de procéder à une consultation plus vaste auprès des collectivités minoritaires, aussi bien la collectivité anglophone du Québec que la collectivité francophone en dehors du Québec.
M. Toews : C'est un bon argument.
[Français]
Le sénateur Plamondon : J'aurais une question supplémentaire. N'y aurait-il pas lieu que le gouvernement fédéral lance un message clair sur l'exigence du français pour accéder à certains postes? Cela augmenterait le bassin de possibilités de nominations?
La présidente : Je crois que ce n'est pas une question supplémentaire. Je vais vous revenir.
Le sénateur Plamondon : Mais c'est pour les juges.
Le sénateur Robichaud : Quelle est la langue de travail au ministère de la Justice? Avez-vous des unités dans le ministère, ou ailleurs, où la langue de travail est le français?
[Traduction]
M. Toews : Je vais confier la réponse à l'un de mes collaborateurs. Au cours de ma brève expérience de ministre de la Justice et de mon expérience plus étendue de contact avec le ministère fédéral lorsque j'étais avocat au ministère de la Justice du Manitoba, j'ai rencontré de nombreux francophones très qualifiés qui étaient en mesure d'assurer des services et de travailler en français. Mon point de vue est peut-être faussé car, malheureusement, lorsqu'ils s'adressent à moi, ils doivent parler dans la seule langue officielle que je comprends. Je pense avoir clairement indiqué, dans mes contacts avec tous mes collaborateurs, que chacun d'entre eux est habilité à travailler dans l'une ou l'autre des langues officielles. Peut-être puis-je maintenant céder la parole à l'un d'entre eux.
Le sénateur Robichaud : Je ne doute pas que vous ayez clairement indiqué que chacun peut travailler dans l'une ou l'autre des langues officielles.
[Français]
Souvent — et c'est peut-être notre faute, nous les francophones, pour prendre une expression de chez nous, on « switch » de langue. On parle en anglais. Je comprends que lorsqu'on s'adresse à vous, monsieur le ministre, on le fasse en anglais. Je n'ai aucun problème avec cela. Y a-t-il des endroits où les gens travaillent principalement en français?
M. Tremblay : Je peux prêter assistance au ministre. En effet, des unités françaises, comme il y en avait sous l'ancienne Loi sur les langues officielles, n'existent plus au sein de l'appareil fédéral. Des questions plus poussées sur ce plan devraient être posées au président du Conseil du Trésor, le ministre responsable de la partie V de la Loi sur les langues officielles. Cela dit, au ministère de la Justice, nous avons la responsabilité de la rédaction des textes législatifs, des lois et des règlements. Comme vous le savez, pour le vivre dans votre quotidien, ces projets de loi vous arrivent en rédaction bilingue. Au ministère des légistes francophones rédigent en français, en parallèle avec des légistes anglophones qui rédigent en anglais. C'est un des exemples types du fonctionnement exemplaire du bilinguisme institutionnel dans nos institutions.
Mon équipe travaille dans le domaine des droits linguistiques en français. On rend des avis juridiques en proportions à peu près égales en anglais et en français. La langue prédominante du milieu de travail est le français dans le quotidien, tant pour les anglophones que pour les francophones et ceci par choix. Évidemment, en tant que gestionnaire, je veux respecter les droits de chacun. Je produis mes évaluations de rendement, les instruments de travail, tout ce que la loi exige dans les deux langues officielles, mais dans le quotidien, nous vivons essentiellement dans un milieu francophone. J'admets ouvertement que ce n'est pas la règle générale partout, mais cela existe.
Le sénateur Robichaud : Bravo. Pouvez-vous me donner d'autres exemples? Vous avez donné l'exemple de votre secteur. Je vous félicite pour ce que vous faites.
M. Tremblay : Je peux donner l'exemple de l'unité de la réglementation. Le litige civil au sein du ministère de la Justice est organisé essentiellement selon les lignes linguistiques parce que les plaideurs du ministère de la Justice sont eux-mêmes assujettis à un régime très onéreux qui favorise la partie civile et, dès le moment où devant un travail fédéral un justiciable choisit le français, le dossier sera attribué à un plaideur francophone, qui travaillera avec des actes judiciaires en français, répondra dans sa défense en français, plaidera en français et sera appuyé par une équipe francophone. De façon correspondante, les dossiers en anglais iront vers des plaideurs anglophones.
Le sénateur Robichaud : Dans le cas que vous venez de décrire, les gens qui désirent plaider en français, reçoivent-ils les services dans les mêmes délais que les ceux qui demanderaient de le faire en anglais?
M. Tremblay : Vous parlez des justiciables? Des parties opposées?
Le sénateur Robichaud : Oui.
M. Tremblay : À ma connaissance, c'est un peu la même réponse que le ministre suggérait pour les juges. Le ministère est organisé pour répondre de façon égale aux demandes des justiciables à travers le pays, à travers toute son organisation des bureaux régionaux. Dans le cadre du projet de loi S-3, je suis allé à au bureau régional du ministère à Halifax. J'ai rencontré le groupe de pratique en français et ils étaient une vingtaine de juristes et de personnel de soutien qui s'étaient regroupés autour de la pratique en français et l'on est au courant d'aucune déficience de ce côté. De fait, les règles des tribunaux nous imposent les mêmes délais, qu'on plaide en français ou en anglais. On a 30 jours pour déposer notre défense.
Le sénateur Tardif : Je suis très heureuse de voir les importantes réalisations du ministère de la Justice lors de la dernière année.
Ma question porte sur le déménagement à Vancouver du siège social de la Commission canadienne du tourisme. Comme vous le savez, cette décision aura des impacts sur l'application de la partie V de la Loi sur les langues officielles et sur la possibilité qu'ont les gens de travailler dans la langue de leur choix. Le déménagement de l'administration d'une région bilingue vers une région unilingue aura certes une incidence sur la question des droits des employés à travailler dans la langue officielle de leur choix.
Le gouvernement a pris cette décision en mars 2005, et depuis le 27 juin 2005 un principe d'application de la langue de travail prévoit la protection provisoire des droits des employés en matière de langue de travail.
J'aimerais savoir si votre ministère offrira quelque chose de plus permanent, sans se contenter d'opérer simplement de façon ad hoc, chaque fois que s'effectue un transfert d'une région bilingue vers une région unilingue. Seriez-vous prêt à revoir la réglementation, tel que suggéré par la commissaire aux langues officielles?
[Traduction]
M. Toews : Le personnel de mon ministère va pouvoir compléter la réponse, mais je tiens à dire qu'il ne suffit pas de respecter le droit de chacun de parler la langue officielle de son choix en milieu de travail; il faut également que les gens qui demandent des services les obtiennent dans la langue de leur choix. L'équilibre doit exister non seulement à l'intérieur du secteur public, mais également entre les administrés et les fonctionnaires.
Je viens de Steinbach, au Manitoba, où l'on trouve un certain nombre d'organismes fédéraux qui répondent parfaitement aux exigences d'un service bilingue. Ils peuvent servir les administrés en français et en anglais. En revanche, ils ne peuvent pas les servir dans certaines langues parlées dans la région, comme l'allemand, le bas-allemand et le russe. Ceux qui veulent obtenir un service dans ces langues doivent s'adresser au bureau d'un député.
Je ne prétends pas que les fonctionnaires ne devraient pas avoir le droit de parler le français ou l'anglais dans leur bureau, mais n'oublions pas que la fonction première d'un service gouvernemental est de servir les gens des collectivités. Il faut donc respecter un certain équilibre.
Je suppose que dans ce contexte, on peut envisager quelque chose de plus permanent, et que ce système ad hoc a été mis en place parce qu'il assure l'équilibre entre les droits linguistiques des fonctionnaires et ceux des administrés qui sollicitent un service.
[Français]
M. Tremblay : J'aimerais compléter cette réponse. À moins que la question ne vise la possibilité de mener une ronde de modifications à la loi, on s'en remettra à la direction pour la mise en œuvre de la partie V de la Loi sur les langues officielles, car c'est ce dont il est question.
Il faut souligner que la question des communications et des services n'est pas un enjeu dans le dossier auquel vous avez fait référence avec la Commission du tourisme. Il est assuré que le public continuera de recevoir ses services dans la même mesure et avec les mêmes droits dont il bénéficiait auparavant. L'enjeu qui a été soulevé est celui de la langue de travail des fonctionnaires. La langue de travail des fonctionnaires est sous la responsabilité du président du Secrétariat du Conseil du Trésor. Celui-ci est appuyé dans ses responsabilités par l'Agence de gestion des ressources humaines de la Commission de la fonction publique du Canada. Pour savoir ce qui pourrait éventuellement remplacer le principe d'application auquel vous avez fait référence, il faudrait poser la question au président.
Le sénateur Tardif : J'ai une question complémentaire. Vous avez tout à fait raison, la partie IV a été protégée par l'offre de service avec la Commission canadienne du tourisme déménagée à Vancouver. Toutefois, la partie V, qui est aussi une partie de la Loi sur les langues officielles, garantissait aux employés dans une région bilingue de travailler dans la langue de leur choix. Cette garantie n'existe plus lorsque la décision est prise de déménager l'administration dans une région unilingue.
Dans vos responsabilités élargies sur l'ensemble des ministères, en vertu du Plan d'action sur les langues officielles, est-ce que votre ministère jouera davantage un rôle de leadership auprès des autres ministères pour assurer également le respect de la partie V de la Loi sur les langues officielles? Dans ce rôle d'application, par exemple, quel lien voyez-vous entre la partie IV, la partie V et la partie VII?
[Traduction]
M. Toews : Dans les indications que je donnerai à mon ministère, je me fonderai, pour décider des mesures à prendre afin que chacun puisse parler dans la langue officielle de son choix, sur ce que j'ai fait en tant que ministre provincial de la Justice. Nous avons créé le centre de St-Pierre et nous avons collaboré avec la commissaire aux langues officielles et la GRC pour que les officiers de la GRC puissent s'exprimer en français et en anglais. Cela s'est fait dans ce qui est désormais ma circonscription fédérale.
Outre les exigences législatives, je me suis fondé sur les observations du juge Chartier dans son rapport « Avant toute chose, le bon sens ». Les recommandations du juge Chartier ont non seulement contribué à l'essor des services pour la minorité linguistique au Manitoba, mais ont aussi garanti aux fonctionnaires que leurs droits seraient respectés en matière de langues officielles.
La loi doit toujours être respectée comme elle est écrite, mais avec une certaine souplesse. Je recommande au comité sénatorial la lecture du rapport du juge Chartier. Je pense que c'est un bon exemple pour les autres provinces qui ont des problèmes liés aux droits de la minorité linguistique et qui veulent respecter tous les aspects de la loi.
[Français]
M. Tremblay : J'aimerais revenir à un autre aspect de votre question, soit celui du rôle du ministère de la Justice. Je m'en tiendrai à des termes généraux et non dans le contexte spécifique de ce dossier, car certaines questions tombent sous le privilège des conseils que nous offrons à nos clients.
Vous êtes au courant du fait que, dans le cadre d'imputabilité et de coordination en langues officielles adopté par le plan d'action de 2003, mon groupe, qui est celui des langues officielles, s'est vu accordé un nouveau rôle, davantage proactif par rapport à la façon normale de travailler au sein du ministère.
Il arrive que des questions soient soulevées devant un comité parlementaire. On vous en fait alors part lors de vos rencontres. Lorsque des plaintes sont rapportées dans les journaux et que le commissariat émet des rapports, on recueille ces informations et, au meilleur de nos connaissances, on essaie d'intervenir de façon plus active auprès de nos ministères clients pour leur signaler l'existence de certains enjeux et pour qu'ils appliquent leur propre raisonnement. Dans ces cas, il existe en effet des liens entre le développement communautaire des minorités, la langue de travail et la langue de service. On peut alors se référer à la partie IV et utiliser le fait qu'on embauche des employés bilingues pour offrir des services au public comme un levier, ce qui aura un effet positif sur le développement communautaire.
En logeant une institution fédérale dans une minorité linguistique donnée, on obtient également certains effets positifs pour le public.
Il y a davantage d'enfants de fonctionnaires qui vont à l'école, y compris aux écoles minoritaires. Il y a davantage de gens qui bénéficient, qui veulent bénéficier ou qui peuvent bénéficier des services en langue minoritaire.
J'étais en Atlantique récemment, et j'avançais la théorie que le déménagement, maintenant lointain des affaires des anciens combattants à Charlottetown, me semblait avoir eu des effets positifs. J'émettais la théorie à des gens de la place et ils ont tout de suite répondu que oui, absolument, cela a eu des effets tout à fait positifs sur la communauté minoritaire.
Il reste que les fonctionnaires qui y travaillent ne sont pas bénéficiaires des droits de la partie V. Par contre, la communauté a bénéficié de cette institution dans son milieu.
Le sénateur Tardif : Faites-vous des recommandations afin d'ajouter des règlements pour encadrer le tout par des mesures réglementaires? Serait-ce une des suggestions que vous feriez, par exemple, au Secrétariat du Conseil du Trésor?
[Traduction]
M. Toews : Depuis l'entrée en vigueur du projet de loi S-3, les fonctionnaires de mon ministère ont travaillé étroitement avec leurs collègues de Patrimoine canadien pour veiller à ce que l'information et les conseils soient transmis aux hauts fonctionnaires et aux autres responsables des langues officielles dans l'ensemble du gouvernement.
Nous tenons à ce que les institutions fédérales disposent des renseignements nécessaires pour prendre les mesures qui s'imposent afin de respecter les nouvelles exigences. Si le comité a d'autres questions au sujet d'un règlement potentiel en vertu de la partie VII, je l'invite à les adresser au président du Conseil du Trésor, qui est responsable de tous les règlements afférents à la Loi sur les langues officielles, ainsi qu'à la ministre responsable des langues officielles. Nous fournirons les conseils et eux, les orientations politiques.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Pour moi, quand on parle du comité des langues officielles, c'est surtout pour couvrir le fait français; mais ce n'est jamais pour défendre l'anglais comme langue parlée ou écrite puisque que les francophones au Canada sont évidemment la minorité dans l'ensemble du Canada.
Mon collègue parlait tantôt des juges et des nominations. J'aurais voulu élargir la question en émettant le commentaire suivant : si on veut avoir un gouvernement qui donne des services dans les deux langues, il faudra lancer un message clair que le français est absolument nécessaire dans les concours de la fonction publique. Si le message n'est pas clair, nous serons toujours à court de candidats qui pourront parler français.
La plupart du temps, lorsque ce sont des candidats bilingues, ce sont surtout des francophones qui parlent anglais. Il doit y avoir des exceptions, mais c'est surtout cette réalité qu'on observe. On écarte bien sûr toutes les autres langues car lorsqu'on parle de langues officielles, c'est le français et l'anglais. Mais si on accepte l'anglais puisque l'anglais est parlé partout au gouvernement, il faut parler du français. À titre de ministre de la Justice, que comptez-vous faire pour améliorer la situation?
[Traduction]
M. Toews : Au sujet de la minorité anglophone dans une province donnée, ou de la minorité francophone dans les provinces anglophones?
[Français]
Le sénateur Plamondon : Choisissez celle que vous voulez ou abordez les deux; cela devrait être intéressant des deux côtés.
[Traduction]
M. Toews : Tout d'abord, je ne suis pas en faveur de fixer des contingents. Je crois qu'il faut assurer les services adéquats, comme l'exige la Constitution, pour ceux qui ont besoin de services et qui sont dans une situation linguistique minoritaire.
Cela découle de mes nombreuses années d'expérience au Manitoba, où nous sommes arrivés à un bon équilibre. Nous y sommes arrivés d'une façon qui ne crée pas d'animosité entre les divers groupes, au Manitoba.
Ce n'est pas seulement que je veuille parler de l'extraordinaire province dont je viens, puisque c'est le cas. Madame le sénateur en conviendra, le Manitoba est une grande province. Là où je veux en venir, c'est qu'il faut une certaine souplesse dans la façon d'offrir les services et de répondre à ces besoins.
Dans les renseignements qu'on m'a donnés sur ce dossier, on parlait beaucoup de toutes les mesures qui sont prises pour veiller, par exemple, à ce que les avocats francophones dans les provinces anglophones reçoivent un certain appui. Nous avons parlé d'une centaine de projets et madame les connaît mieux que moi.
Nous avons eu divers projets dans les provinces anglophones et à la fin de cette partie de la séance d'information, j'ai demandé à mon personnel ce qu'il en était des avocats anglophones au Québec, ou dans toute autre région à prédominance francophone. Ils n'ont pas répondu, et ils m'ont signalé certains obstacles et problèmes, dans ce contexte. Je vous cède la parole.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Toujours à titre de ministre de la Justice, avez-vous un plan ou des priorités en particulier?
[Traduction]
M. Toews : Je pense que j'ai à la fois des responsabilités juridiques et constitutionnelles. Pour y donner suite, j'ai demandé à mon personnel de veiller à ce que ces services soient fournis comme l'exigent la loi et la Constitution.
Si mon personnel n'a pas bien compris, je vais le répéter d'une manière très claire. Je constate toutefois avec plaisir toutes les initiatives prises par le ministère. J'ai déjà déclaré deux fois de manière officielle que je ne crois pas à l'imposition de contingents.
J'aimerais revenir aux propos tenus plus tôt, en réponse à la question complémentaire à celle du sénateur Comeau, que vous avez posée : après avoir atteint un certain niveau, est-ce qu'on ne devrait pas être tenu au bilinguisme? C'est une proposition intéressante. Si une telle exigence était faite, je ne serais certainement pas qualifié pour occuper mon poste.
Mais concentrons-nous sur le cas des fonctionnaires non élus et, plus particulièrement, celui de la Cour suprême du Canada et de la nomination du juge Rothstein.
Je ne crois pas que le juge Rothstein s'estime bilingue. Je l'ai écouté parler français pendant la cérémonie de son entrée en fonction, et même si ma compréhension du français est limitée, j'ai bien vu que son français n'est pas de la meilleure qualité. Je n'écarterai pas pour autant le juge Rothstein de la Cour suprême du Canada, parce que je pense que ses autres qualités sont très importantes.
Je serais fort préoccupé si l'on disait que chaque juge de la Cour suprême du Canada doit être bilingue, parlant parfaitement l'anglais et le français. Je pense que le système offre d'autres solutions qui peuvent aider le juge Rothstein à faire un travail qui, je n'en doute pas, sera exceptionnel.
Je pense pouvoir en dire autant des fonctionnaires d'autres niveaux. Notre système offre d'autres solutions, par exemple, les cours de français. Il ne faut pas rejeter des gens simplement parce qu'ils ne parlent pas l'une des langues officielles.
En somme, on peut fournir aux fonctionnaires les outils nécessaires pour répondre aux besoins des Canadiens.
[Français]
Mme Duchesne : J'aimerais ajouter quelque chose à ce que M. Toews vient d'expliquer. Lors de ma présentation, je vous ai mentionné que je gérais le Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Dans le cadre des projets que l'on appuie au niveau du financement, nous travaillons de très près avec les juristes d'expression française à travers le Canada. Ces juristes ne sont pas nécessairement des francophones; ils peuvent être de langue anglaise, mais qui s'intéressent au fait français à travers le Canada.
Je vous dirais que dans les projets que nous avons appuyés avec l'aide de nos partenaires gouvernementaux et non gouvernementaux, nombre de ces juristes participent à nos activités de formation, non seulement linguistiques, mais également juridiques. Je pense que vous seriez surpris de voir le nombre de personnes de langue anglaise qui sont maintenant bilingues, qui participent à ces activités et qui ont à cœur de travailler dans les deux langues officielles. Je peux vous dire qu'au niveau de l'Institut de développement professionnel en langue française pour les procureurs de la Couronne bilingues, il y a des gens de l'Alberta, du Manitoba, certainement, mais également de la Colombie- Britannique, qui sont de langue anglaise mais qui ont une connaissance suffisante du français pour être acceptés afin de participer à ces activités de formation.
J'ajouterais qu'il y a plusieurs facultés de droit au pays qui forment, bon an mal an, au-delà d'une centaine de juristes d'expression française, donc pas nécessairement des francophones. J'insiste encore sur le fait qu'il s'agit souvent d'anglophones qui s'intéressent à la pratique du droit en français.
Donc il y a, à travers le pays, énormément d'activités qui se font, qui rejoignent bien sûr des juristes francophones, mais également beaucoup de juristes d'expression française qui s'intéressent à la pratique du droit et aux services de justice en français, même s'ils sont de langue maternelle anglaise.
La présidente : J'aimerais vous rappeler, honorables collègues, que le temps passe vite. Le ministre doit nous quitter dans une dizaine de minutes, et il y a encore trois sénateurs qui veulent poser des questions.
Je passe la parole au sénateur Robichaud, suivi du sénateur Tardif.
Le sénateur Robichaud : Monsieur le ministre, j'aimerais parler de la décision rendue par la Cour fédérale d'appel au Nouveau-Brunswick, au sujet d'une dame qui s'était plainte de ne pas avoir pu recevoir de services en français de la GRC lors de son arrestation sur l'autoroute transcanadienne, dans une zone de la province qui est anglophone.
Elle a porté cela devant les tribunaux, a eu gain de cause; on est allé en appel et la décision a été renversée, car c'était à la province de spécifier les services qu'elle demandait de la GRC.
Je suis sûr que lorsque le prochain contrat sera signé avec le Nouveau-Brunswick — est-ce que ce sera le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile qui le signera? —, vous allez l'encourager à inclure dans ce contrat une clause à l'effet que les services doivent être donnés dans les deux langues. Je vous rappelle que la province du Nouveau- Brunswick est une province bilingue et que si la province n'a pas cru bon d'exiger ce service, peut-être que nous, du côté fédéral, on pourrait leur rappeler. Mais là n'est pas la question.
Je lis ici, dans un communiqué de L'Acadie nouvelle, les commentaires de la présidente de la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick, qui critique la façon dont la Cour d'appel fédérale a rendu publique sa décision.
Les audiences devant la Cour fédérale d'appel se sont déroulées uniquement en français, mais le jugement que l'on nous a fait parvenir est juste en anglais. On nous dit que cela prendra de six à huit semaines pour obtenir la traduction. Cela démontre une insensibilité.
Si c'est le cas, oui, cela démontre une grave insensibilité. Vous êtes au courant de cette situation? Croyez-vous que pour nous, les Acadiens, c'est acceptable? Qu'on rende une décision en anglais alors que les audiences sont en français? Je ne comprends pas.
[Traduction]
Je ne vous en fais pas le reproche, monsieur le ministre.
M. Toews : Je vais permettre à M. Tremblay de répondre. Je connais ce dossier, mais pas cet aspect-là. Merci de l'avoir porté à mon attention.
[Français]
M. Tremblay : En effet, vous avez indiqué que si c'était le cas, ce serait une situation à corriger. Mais dans les faits, ce n'était pas le cas. La Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale sont assujetties à l'article 20 de la Loi sur les langues officielles qui exige le dépôt de jugements en français et en anglais dans certaines circonstances, et autrement, permet le dépôt dans une langue avec la traduction qui suit dans les meilleurs délais.
Dans le cas d'espèce, il y a eu une erreur purement administrative. Le jugement était disponible dans les deux langues officielles au moment où il a été rendu par la Cour, par un banc de trois francophones siégeant à la cour d'appel fédérale. Mais le clerc qui a transmis la copie de la décision aux parties, le jeudi, je crois, l'a fait initialement en anglais seulement, et c'est un avocat du ministère de la Justice, le procureur au dossier fédéral, qui a d'abord signalé l'erreur à la Cour fédérale, laquelle a été très rapidement corrigée le lundi matin.
Donc oui, nous surveillons également ce type de choses et il s'agit purement d'une erreur administrative. Le jugement est dorénavant disponible au site web de la Cour d'appel fédérale dans les deux langues et a été émis simultanément dans les deux langues officielles, signé par le banc de la cour dans sa version bilingue à l'origine.
Le sénateur Robichaud : Je suis certain que vous allez veiller à ce qu'une telle situation ne se reproduise pas. Cela laisse un mauvais goût, même si c'est une erreur de ne pas avoir livré les deux copies.
M. Tremblay : Au ministère de la Justice, notre relation avec les tribunaux est évidemment assez particulière. On n'a aucun contrôle sur les agissements des tribunaux, mais je pense que la question posée, l'intervention de notre plaideur a rappelé à ce clerc ses responsabilités et je ne crois pas qu'il fera l'erreur à nouveau.
Le sénateur Robichaud : Merci.
La présidente : Sénateur Tardif, une brève question?
Le sénateur Tardif : Monsieur le ministre, vous avez recommandé la lecture du rapport Chartier, qui a contribué au développement des services en français au Manitoba basé sur une approche graduelle, par étape. Or, si on s'en tient à ce que disent certaines communautés minoritaires ainsi que certaines provinces, on voit que cette approche a ses limites.
N'y a-t-il pas lieu de la part de votre gouvernement et de votre ministère d'adopter une approche plus proactive afin d'appuyer le développement des langues officielles?
[Traduction]
M. Toews : Je comprends très bien que le rapport du juge Chartier a été rédigé dans un contexte constitutionnel et juridique différent. Il y a ici un contexte de bilinguisme plus marqué qu'au Manitoba. Je crois toutefois que certains des aspects pratiques de ces questions doivent être pris en compte dans la création de services dans les deux langues officielles, où que ce soit au pays.
Je ne propose pas l'adoption de normes inférieures à celles qu'exigent la loi et la Constitution, mais certaines observations du juge Chartier sur la mise en œuvre, en pratique, et en temps opportun, valent la peine d'être lues et retenues. Toutefois, comme ce rapport a été écrit dans un contexte juridique et constitutionnel différent, je ne saurais pas proposer que les fonctionnaires fédéraux adoptent cette norme, différente de celle que nous devons respecter.
[Français]
Le sénateur Tardif : Pouvez-vous nous dire si vous avez déjà commencé à travailler sur le renouvellement du Plan d'action des langues officielles?
[Traduction]
M. Toews : Je suis convaincu que le personnel de mon ministère déploie tous les efforts nécessaires, quel que soit le travail à accomplir.
[Français]
Mme Duchesne : En ce qui a trait au modèle du rapport Chartier, je peux vous dire qu'à l'heure actuelle, ce modèle est étudié par différentes juridictions, certainement avec des adaptations, et qu'il y a plusieurs modèles dépendant de la réalité des communautés francophones à travers le pays.
Dans un deuxième temps, en ce qui concerne le renouvellement du plan d'action, comme vous le savez, tous les programmes du fédéral à l'heure actuelle sont d'une durée de cinq ans. La plupart des autres ministères travaillent à l'évaluation sommative du programme créé dans le cadre du plan d'action. Évidemment, présentement, nous faisons certains constats relativement aux réalisations et aux appuis que nous avons pu fournir au cours des dernières années.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue et je vous félicite pour les cours de français que votre ministère offre aux juges. Je veux toutefois reconnaître qu'il est un peu trop tard.
Je sais que vous ne pouvez pas me répondre maintenant, mais j'aimerais que vous réfléchissiez à la création d'une culture propice à un barreau où l'on parle français, afin qu'à l'avenir, on puisse avoir des juges bilingues. Je viens de la Colombie-Britannique et j'aimerais que vous envisagiez un projet pilote de cours de français pour les avocats, afin qu'on ait un meilleur bassin d'avocats bilingues où puiser des juges.
Dans ma province nous avions un très bon juge, le juge Paris, qui a démissionné. Je me trompe peut-être, mais je ne pense pas qu'il y ait d'autres bons juges qui soient aussi bilingues qu'il l'était. Comme vous le savez, le procès doit se dérouler en français si le prévenu en fait la demande. Cependant, cela ne représente que la première étape. Peut-être les juges connaissent-ils le français, mais il faut également que les avocats de la défense connaissent le français aussi. Je vous invite à vous pencher sur la question et peut-être dans quelques mois nous pourrons commencer à discuter de la façon dont nous pourrions nous assurer qu'un jour nos juges soient bilingues.
M. Toews : C'est un commentaire valable, mais je crois que mon ministère s'est déjà orienté dans cette voie. D'après les séances d'information que m'ont données les fonctionnaires, certains projets visent à aider les procureurs de la Couronne francophones qui travaillent dans des régions éloignées à créer des liens avec d'autres avocats francophones afin de renforcer leurs compétences en français. Ce n'est là qu'un exemple.
Le sénateur Jaffer : C'est vrai, vous avez un bon programme, mais cela ne représente qu'un volet. Il faut nous assurer que les avocats de la défense connaissent mieux le français — je sais que vous avez déjà un excellent programme qui vise les procureurs de la Couronne. Il faut que les deux parties soient solides.
Mme Duchesne : J'aimerais ajouter que nous travaillons également avec les avocats de la défense et d'autres intervenants du système judiciaire.
Nous aidons également l'Association des avocats de langue française de la Colombie-Britannique au niveau de la formation, et les choses vont assez bien. Je sais qu'il n'est pas facile de trouver des avocats de la défense bilingues en Colombie-Britannique, mais nous collaborons avec eux pour essayer de trouver une solution.
[Français]
La présidente : Monsieur le ministre, au nom du comité, je tiens à vous remercier très sincèrement d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer cet après-midi. Votre ministère, le ministère de la Justice, est essentiel au développement et à l'épanouissement des communautés de langues officielles en situation minoritaire, en particulier parce que, finalement, les lois, les règlements, les procédures, c'est votre ministère qui en est le guide et c'est la base de tout développement à travers le Canada. Je suis heureuse de constater que vous êtes conscient de cette responsabilité — je ne suis pas surprise, je suis heureuse de le constater.
Je vous remercie beaucoup et je remercie aussi vos représentants de vous avoir accompagné.
[Traduction]
M. Toews : Merci beaucoup. Je ne pense pas avoir déjà participé aux travaux d'un comité aussi poli. C'est la première fois que je comparais devant un comité sénatorial, et il s'agit peut-être là de la façon normale de faire les choses au Sénat.
Je vous remercie de votre patience à mon égard. Je suis relativement nouveau dans mes fonctions de ministre, mais je dépends énormément des membres de mon personnel qui sont des spécialistes dans leur domaine, et qui m'ont aidé à soumettre certaines des idées et positions du ministère.
La séance est levée.