Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 3 - Témoignages du 12 juin 2006
OTTAWA, le lundi 12 juin 2006
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 16 h 3 pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi, ainsi que pour l'étude de l'ébauche d'un rapport.
Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles. À titre de présidente du comité, il me fait plaisir de vous accueillir aujourd'hui et d'accueillir Mme Dyane Adam et son personnel.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude de l'application de la Loi sur les langues officielles. Notre témoin d'aujourd'hui, en la personne de Mme Adam, est certes habituée de comparaître devant ce comité. Sa comparution, malheureusement, sera la dernière, car le mandat de Mme Adam se terminera le 31 juillet prochain.
Le mandat de Mme Adam aura été marqué par une foule d'éléments très positifs, notamment le dépôt de sept rapports annuels, six rapports de vérification et une trentaine d'études spéciales, sur des sujets très variés mais toujours dans le but de faire avancer l'épanouissement et le développement des communautés de langues officielles en situation minoritaire.
Dès le début, vous avez remarqué qu'il fallait un certain leadership du gouvernement fédéral pour faire avancer les choses. Vous avez travaillé avec acharnement pour justement faire avancer cette cause.
Nous sommes très heureux que vous soyez ici aujourd'hui, malgré une certaine tristesse due au fait qu'on ne vous reverra plus au comité. Toutefois, on aura certes l'occasion de vous revoir ailleurs.
Vous êtes accompagné aujourd'hui de Pascale Giguère, conseillère juridique, et de Renald Dussault, de la Direction générale de l'assurance de la conformité. Sans plus tarder, je vous cède la parole.
Dyane Adam, commissaire aux langues officielles, Bureau du Commissariat aux langues officielles : Je vous remercie, madame la présidente et chers membres du comité. C'est en effet avec un peu de tristesse que je comparais devant vous. J'en suis à ma cinquantième comparution parlementaire aujourd'hui. Il est bien de terminer avec un chiffre rond et d'autant plus agréable de terminer devant un comité de la Chambre haute du Parlement.
J'ai donc le plaisir d'être ici pour vous parler de mon septième et dernier rapport annuel déposé en mai dernier. Je vous en présenterai les faits saillants et bien sûr entamerai une discussion sur son contenu.
Vous trouverez, en annexe à ma présentation, une copie des recommandations adressées au nouveau gouvernement tant dans le rapport annuel que dans le cadre de mes interventions auprès du ministre des Transports.
[Traduction]
Ce nouveau rapport s'intitule : Les langues officielles au Canada : Le tournant à prendre et il a été présenté au nouveau gouvernement. Ce rapport donne des pistes d'action pour assurer la mise en œuvre des modifications importantes qui ont été sanctionnées par le Parlement au cours de la dernière année.
Ce rapport annuel tourné vers l'avenir est un appel à l'action et à la responsabilité gouvernementales. Il rappelle le discours que j'ai tenu durant les sept dernières années, discours qui a d'ailleurs été répété par votre président. Ainsi sans un leadership soutenu de la part du gouvernement, le dossier des langues officielles ne peut progresser ou risque de reculer.
Avec le renforcement de la Loi sur les langues officielles en novembre dernier, chaque institution doit désormais prendre des mesures positives pour appuyer la vitalité des communautés de langues officielles et pour promouvoir la dualité linguistique.
Dans ce dernier rapport annuel, je suggère donc des pistes d'intervention que j'estime primordiales à l'engagement ferme du gouvernement au renouveau et à la consolidation. On y trouve également la deuxième édition des bulletins de rendement des institutions fédérales.
Par ailleurs, mes recommandations visent principalement quatre domaines d'intervention, soit la gouvernance horizontale, la promotion de la dualité linguistique, la vitalité des communautés de langues officielles et une nouvelle réglementation.
[Français]
Parlons tout d'abord de la modification importante apportée à la Loi sur les langues officielles au cours de la dernière année. On sait fort bien le rôle que le Sénat a joué dans ce renforcement. Cette modification exige que les institutions fédérales se dotent d'une stratégie visant à favoriser la vitalité des communautés de langues officielles en situation minoritaire. Elles devront revoir leurs politiques et leurs programmes à la lumière des nouvelles dispositions de la loi pour s'assurer que ces communautés tirent des avantages équivalents à ceux des majorités.
Les institutions fédérales devront nécessairement se rapprocher des communautés et les considérer comme de véritables coéquipiers dans cette démarche en faveur d'une vitalité accrue. Le gouvernement et les communautés doivent adopter une approche cohérente de la vitalité basée sur des indicateurs et sur la recherche, et ce, pour en arriver à des actions concrètes, mieux ciblées et à des résultats tangibles pour le bénéfice de société canadienne. Il faudra documenter les démarches entreprises et clarifier les objectifs à l'aide de l'élaboration d'indicateurs de vitalité pertinents, adaptés aux réalités particulières des communautés de langues officielles. Le gouvernement est responsable des actions qu'il prend autant que de celles qu'il omet de prendre. Il est responsable de ses actes auprès des Canadiennes et des Canadiens.
J'ai donc recommandé que la ministre des Langues officielles s'assure que toutes les institutions fédérales, dans le cadre de leur mandat respectif, se donnent une stratégie visant à favoriser la vitalité des communautés de langues officielles en situation minoritaires.
[Traduction]
Le développement des communautés de langues officielles minoritaires et la promotion de la dualité linguistique passent obligatoirement par des rapports plus étroits entre l'administration fédérale et les acteurs de la société. Avec le renforcement de la loi, chaque institution fédérale devra incarner la dualité linguistique en tant que valeur fondamentale et en faire la promotion tout en considérant la composition actuelle de la société. Le dossier des langues officielles évolue dans le contexte d'un Canada changeant. Mondialisation, ère de l'information, société du savoir, innovations, autant de notions qui nous rappellent la puissance sans cesse croissante de certaines forces en présence. La composition linguistique de notre pays évolue, elle aussi, tout comme l'incidence des mariages mixtes entre francophones et anglophones, l'influence des nouveaux arrivants, le profil démographique des régions rurales et urbaines, et le rôle des provinces et des territoires dans le développement des communautés. La diversité culturelle et la dualité linguistique constituent des valeurs centrales de la société canadienne, les institutions fédérales doivent les considérer comme allant de pair.
Je recommande donc que la ministre de la Francophonie et des langues officielles entame un dialogue auprès des divers intervenants de la société canadienne dans le but de déterminer les actions à prendre afin de pleinement intégrer à notre mode de gouvernance les valeurs fondamentales que sont la dualité linguistique et la diversité culturelle et d'en tirer tous les avantages qui en découlent.
[Français]
Pour aider le gouvernement à mettre en œuvre ces nouvelles exigences, un chapitre du rapport annuel est consacré à la question de la gouvernance horizontale, ces mécanismes qui régissent les liens entre l'administration fédérale et les communautés de langue officielle, mais aussi, bien sûr, entre l'administration fédérale et les différentes institutions.
Ce chapitre propose des orientations afin de rendre plus efficace le traitement des enjeux horizontaux dans le dossier des langues officielles. Le gouvernement doit se doter de mécanismes de concertation appropriés et continus avec les communautés elles-mêmes, mais aussi avec tous les joueurs clés, notamment les autres gouvernements. Des initiatives de concertation, entre autres, dans le secteur de l'immigration et de la santé, ont d'ailleurs donné d'excellents résultats dans le passé.
Vous connaissez bien les communautés dont je parle. Il faudra que l'appareil gouvernemental engage le dialogue avec elles pour les connaître davantage et s'ajuster aux besoins diversifiés qui les caractérisent.
J'ai donc recommandé que la ministre des Langues officielles s'assure de l'efficacité des mécanismes de gouvernance horizontale en s'inspirant de principes de base éprouvés, dont le partage du savoir et des ressources, la confiance mutuelle entre les acteurs et une saine gestion.
[Traduction]
La deuxième partie du rapport annuel porte sur l'assurance de la conformité de l'appareil fédéral à ses obligations. Il se dégage de toutes les enquêtes, les évaluations, les études et les vérifications que l'appareil gouvernemental a réussi assez bien à mettre en place des plans et certains processus administratifs pour satisfaire à ses obligations. Si des moyens sont en place, les résultats convaincants, eux, ne sont pas encore perceptibles. Cette année, l'analyse des constats globaux présentés dans la deuxième édition du bulletin de rendement des institutions fédérales nous permet de noter que les mesures prises à l'égard du service au public et de la langue de travail ont besoin d'être examinées de près, ces deux facteurs ayant donné lieu à des rendements globaux très moyens. L'appareil fédéral doit prendre les moyens afin que l'offre active de service qui favorise l'usage du français et de l'anglais fasse davantage partie de la culture des institutions. Le gouvernement fédéral doit se responsabiliser afin d'améliorer le rendement actuel des institutions et enrayer le plafonnement qui persiste. Après plus de 35 ans d'attente, un sérieux coup de barre est nécessaire.
[Français]
Tel que je l'avais signalé dans mon rapport annuel de l'an dernier, j'incite le gouvernement à entreprendre une réflexion sérieuse sur l'état du régime linguistique. Le gouvernement doit adopter un cadre réglementaire qui précise les modalités par lesquels les institutions fédérales doivent s'acquitter de leurs obligations en ce qui concerne le développement des communautés et la promotion de la dualité linguistique. Il faut revoir l'approche à l'égard de la loi de façon à ne plus l'envisager comme une série de partis sur les communications avec le public, sur la langue de travail, sur la promotion, mais plutôt comme un tout cohérent, logique et reflétant les réalités changeantes de la société.
Considérant les modifications qu'a connues la loi au cours de la dernière année, et les changements sociaux démographiques qui ont eu lieu au pays dans la dernière décennie, on ne peut que constater que le règlement actuel de la loi ne colle plus à la réalité de la société canadienne. Le plafonnement de l'offre de services dans les deux langues officielles, n'est qu'un exemple parmi d'autres nous permettant de conclure qu'une refonte du règlement s'impose. Il serait donc approprié qu'une nouvelle réglementation visant une mise en œuvre cohérente et efficace de la loi voit le jour.
Afin de doter le gouvernement d'une réglementation adaptée, cohérente et efficace en matière de langues officielles, je recommande dans un premier temps, que le président du Conseil du Trésor modernise le règlement sur les langues officielles, la communication avec le public et la prestation des services, de façon à permettre aux Canadiennes et Canadiens de recevoir des services de qualité égale dans la langue officielle de leur choix.
Deuxièmement, qu'il examine la pertinence d'adopter une nouvelle réglementation visant à préciser la mise en œuvre des obligations prévues par les autres parties de la Loi sur les langues officielles, notamment les parties V et VII.
[Traduction]
La situation d'Air Canada a été un sujet de préoccupation tout au long de mon mandat. Je ne peux terminer ma présentation sans vous communiquer un dernier devoir que je me dois de soumettre au gouvernement fédéral. On se souviendra que la dernière restructuration a créé un vide juridique quant aux obligations linguistiques de ses différentes composantes.
[Français]
Je recommande donc au ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités de déposer un projet de loi au plus tôt pour s'assurer que les voyageurs canadiens, tant francophones qu'anglophones, gardent leur droit d'être servi dans la langue de leur choix, au sein de le toutes les composantes d'Air Canada et que les employés conservent également leurs droits linguistiques.
Dans ce contexte, je suis préoccupée par la réponse que j'ai reçue récemment de l'honorable Lawrence Cannon. Celui-ci indique dans une lettre que son gouvernement n'est toujours pas prêt à prendre position dans ce dossier. Pourtant voilà l'exemple d'un geste en faveur de la dualité linguistique que le gouvernement peut poser, sans délai. En effet, l'automne dernier, le comité des transports de la Chambre des communes avait examiné un projet de loi en ce sens et recueilli des témoignages. Il ne reste plus au nouveau gouvernement qu'à présenter une version révisée de ce projet de loi en Chambre.
Continuer de remettre ce dossier à plus tard n'aura pour effet que d'enchâsser une situation où les droits du public et des employés subissent un recul. Dans ce contexte, je suis préoccupée par cette réponse.
[Traduction]
La dualité linguistique est plus que jamais enracinée dans l'esprit collectif des Canadiens et des Canadiennes. Et pourtant, les décisions et les actions des leaders politiques et administratifs de l'État ne sont pas toujours conformes à cette valeur centrale de la société, de sorte que l'égalité du français et de l'anglais est encore loin d'être atteinte. Les citoyens s'attendent plus que jamais à ce que les institutions fédérales remplissent les obligations que leur confère la Loi sur les langues officielles. Le gouvernement a la responsabilité de faire respecter les lois du pays et les parlementaires doivent aussi veiller au plein respect de la Loi sur les langues officielles pour franchir le seuil d'une véritable égalité.
La réponse du gouvernement à mon rapport s'est faite plutôt discrète jusqu'à maintenant. Puisque son leadership public est nécessaire pour que l'appareil fédéral reconnaisse et mette en œuvre les changements souhaités, je m'attends à ce que le gouvernement dise clairement l'approche qu'il entend adopter pour obtenir des résultats probants.
[Français]
Je vous remercie de votre attention. Il me fera maintenant plaisir de répondre à vos questions et d'entendre vos commentaires.
Le sénateur Tardif : Merci de votre présentation, Madame la commissaire. Je tiens à vous remercier de votre engagement et de votre vision au cours des derniers sept ans.
Comme vous le savez, notre comité entreprendra une étude sur le déménagement des sièges sociaux d'une région bilingue à une région unilingue, et plus particulièrement le déménagement de la Commission canadienne du tourisme d'Ottawa à Vancouver.
Je note que dans votre présentation, vous suggérez la création de règlements pour encadrer la partie V de la Loi sur les langues officielles. À votre avis, en quoi l'adoption d'une nouvelle réglementation sur la langue de travail pourrait s'avérer plus efficace que des politiques et des directives?
Mme Adam : Je commencerai ma réponse avec l'exemple auquel vous avez fait référence, soit le transfert d'un siège social d'une région bilingue à une région dans, ce cas-ci, non désignée bilingue en ce qui a trait à la langue de travail.
Comme on le sait, le gouvernement précédent a plus ou moins choisi d'adopter une politique temporaire pour préserver les droits des employés francophones, en l'occurrence, de travailler dans leur langue. Cet exemple est bien choisi pour parler de règlementation. Dans une réglementation plus large que celle qui existe à l'heure actuelle sur la communication avec le public, plus particulièrement en ce qui a trait à la langue de travail, on pourrait préciser certaines situations comme celle dont il est question dans l'exemple que vous soulevez. Par exemple, dans tous les cas de transferts de siège sociaux dans des régions non désignées bilingues, on pourrait spécifier ce qui est requis. On n'aurait donc pas besoin d'aller au cas par cas. Un des avantages d'une telle réglementation est qu'elle donne une directive, prévoit certaines situations et permet de préserver les droits acquis, ce qui éviterait de faire face à des reculs comme on a d'ailleurs eu dans le passé lors des transformations gouvernementales dans les années 1990.
Le sénateur Tardif : Vous avez mentionné un exemple. Toutefois, y a-t-il des critères qui, selon vous, devraient faire partie d'un éventuel règlement?
Mme Adam : Mon équipe et moi avons examiné la réglementation actuelle qui touche les communications avec le public et le service au public. Bon nombre de critères utilisés en ce moment sont presque strictement numériques, alors que la loi permet d'autres critères sur lesquels nous baser, tels la nature des communautés. Au commissariat nous poursuivons actuellement notre réflexion et notre étude pour être en mesure d'assister le gouvernement dans sa démarche de révision de la réglementation actuelle et même de l'élargir. Il est bien de donner des recommandations, mais notre rôle est aussi d'appuyer. Une fois que le gouvernement aura accepté de s'engager sur cette voie, nous comptons lui donner des critères plus précis et même de bonifier dans le but, par exemple, de simplifier la réglementation.
Dans notre rapport annuel, vous trouverez une illustration où l'on démontre qu'une personne qui prend un vol d'Air Canada à un aéroport en particulier jouira de certains droits à cet aéroport, mais les perdra en vol, et les reprendra à l'arrivée selon le vol. Nous aimerions qu'il y ait plus de cohérence dans l'offre de service. Et c'est l'application d'autres critères qui produira des résultats plus uniformes et plus compréhensibles pour les citoyens.
Le sénateur Plamondon : J'aurais deux questions à vous poser. Ma première question concerne l'immigration et, ma deuxième touche les lobbyistes et les fonctionnaires. Dans un autre comité, on étudiait le non remplacement par des Canadiens nés ici, problème que l'on rencontre dans tous les pays industrialisés. Étant donnée cette situation dans tous les pays industrialisés, on a, de plus en plus, recours à d'autres pays où l'on ne parle ni l'anglais, ni le français, pour combler les besoins de productivité. Le fait que l'on fasse appel à des immigrants cause-t-il des problèmes dans l'application de votre loi?
Deuxièmement, je vous félicite pour vos prises de position. Toutefois, je sens en même temps une certaine frustration compte tenu du fait qu'on n'ait pas mis en application vos recommandations. Pour avoir vu de l'intérieur du gouvernement, l'efficacité des lobbyistes lorsqu'ils visitent des hauts fonctionnaires, avez-vous senti une résistance organisée?
Mme Adam : Tout d'abord, en ce qui concerne l'immigration, nous avons publié deux études sur cette question relativement tôt au début de mon mandat, qui ont eu pour effet de sensibiliser le gouvernement fédéral à l'importance de tenir compte de la dualité linguistique dans sa politique d'immigration et d'accueil dans les communautés de langues officielles. Ce faisant, nous avons réussi à influencer plusieurs parlementaires, et grâce au projet de loi, pour faire en sorte que désormais on reconnaisse que les minorités et le fait français au Canada doivent recevoir des bénéfices équivalents à la communauté linguistique anglophone lors de l'immigration.
Le gouvernement a, par la suite, pris certaines mesures, et je vais en nommer quelques-unes. Il a tout d'abord signé des ententes sur l'immigration avec différentes provinces. Le Québec avait déjà son entente depuis longtemps. Il a inséré une clause linguistique, demandant aux provinces de s'assurer que les minorités francophones aient un apport d'immigrants, mais aussi qu'elles soient engagées ou impliquées dans le processus de recrutement. Le gouvernement fédéral a également poursuivi avec la mise sur pied d'initiatives avec les communautés pour qu'elles soient plus accueillantes et qu'elles disposent des ressources nécessaires pour non seulement recruter, mais accueillir et intégrer.
Ce dossier est donc bien amorcé mais il va falloir le suivre de très près, car il nécessite des ressources additionnelles et un engagement soutenu du gouvernement.
Le sénateur Plamondon : Ce que vous n'avez pas en ce moment?
Mme Adam : Le gouvernement actuel s'est engagé à respecter le Plan d'action sur les langues officielles. Dans le plan d'action, qui était le plan de redressement mis de l'avant par le gouvernement précédent, un des volets de développement communautaire était celui de l'immigration. Comme on le sait, ce plan arrivera à échéance en 2008. Déjà aujourd'hui, on doit évaluer son impact et on doit amorcer la réflexion pour l'après plan. Le Canada n'atteint pas ses objectifs en matière d'immigration depuis très longtemps. Par conséquent, ce dossier n'est pas clos, au contraire, il est très actif et important pour le Canada. Alors sur ce point, il faudra s'assurer que l'engagement du gouvernement soit non seulement maintenu, mais bonifié et renouvelé.
En ce qui a trait au lobbying, je ne sais pas si vous faites référence à certains dossiers en particulier. Je ne suis pas dans les coulisses. Je travaille directement avec, bien sûr, le Parlement mais également le gouvernement. Je ne suis donc pas en mesure de savoir quelles sont les institutions concernées.
Si vous me demandez s'il y a des institutions fédérales qui résistent davantage à la mise en œuvre de la loi, et qui trouvent des bonnes raisons pour se défiler, la réponse est oui. Certaines sont plus réfractaires que d'autres.
Le sénateur Plamondon : Lesquelles, par exemple?
Mme Adam : On peut commencer par Air Canada, qui est une de nos institutions, ainsi que le ministère de la Défense, qui a fait les manchettes aujourd'hui, qui est une institution fédérale importante, les Forces armées canadiennes. Notre dernière enquête, qui a été rendue publique par le plaignant, démontre clairement que c'est un problème chronique. Même notre premier commissaire aux langues officielles, Keith Spicer, en 1971, en faisait état. Dans son rapport, il sommait les Forces armées canadiennes de ne pas poursuivre sur la voie d'offrir des postes bilingues à des personnes unilingues, car ceci ouvrait la voie au non-respect de l'application de la loi. Ce constat a été confirmé par les autres commissaires. Notre enquête démontre clairement que nous avons toujours, au sein du ministère de la Défense, et plus particulièrement les Forces armées canadiennes, seulement 39 ou 44 p. 100 des postes désignés bilingues qui sont occupés par des personnes bilingues et ceci après près de 40 ans de lois officielles au pays. C'est assez pauvre. Je rappellerai que dans la fonction publique fédérale, ce pourcentage est actuellement à 85 p. 100. On a un écart. Ils traînent vraiment la patte par rapport au reste de l'appareil administratif fédéral.
Le sénateur Comeau : Madame la commissaire, je regrette que ce soit votre dernière visite. J'ai toujours apprécié votre façon d'accomplir votre tâche. Même si l'on dit que personne n'est irremplaçable, il sera difficile de vous remplacer.
Je voudrais revenir sur un point soulevé par madame le sénateur Tardif en rapport avec le déménagement de la Commission canadienne du tourisme. Si nous faisons des règlements sur le déménagement non pas seulement de la Commission canadienne de tourisme mais de d'autres ministères — plusieurs personnes ont rêvé que certains ministères à Ottawa déménagent en région —- serions-nous en train de créer une situation où ces déménagements seraient seulement vers des régions désignées bilingues et que les régions qui ne seraient pas désignées bilingues seraient perdantes? Afin de protéger les fonctionnaires du gouvernement fédéral, ne serait-on pas en train de mettre à l'écart les communautés moins bilingues que d'autres, comme, par exemple, Halifax?
Mme Adam : J'ai mentionné tout à l'heure qu'il fallait interpréter la loi comme un tout, non pas comme une série de parties sans lien entre elles. Alors, une institution fédérale comme la Commission canadienne du tourisme, et on pourrait parler du ministère des Anciens combattants dont le siège social est situé à l'Île-du-Prince-Édouard, a l'obligation de services au public. Les sièges sociaux, qui déménagent dans une région vont avoir cette obligation, en raison de la vocation du bureau. Donc, ils préservent le droit du public d'être servi dans sa langue.
En ce qui a trait à la langue de travail, on sait très bien où se situent les régions désignées bilingues. Le Nouveau- Brunswick, le Québec et quelques parties de l'Ontario et la région de la capitale nationale sont les seuls endroits au pays où les citoyens canadiens, les fonctionnaires fédéraux, ont le droit de travailler dans leur langue. On retrouve dans la partie VII l'obligation du gouvernement fédéral de favoriser l'épanouissement des communautés de langues officielles et la promotion de la dualité linguistique. Une des meilleures façons par lesquelles le fédéral peut soutenir l'épanouissement et le développement des communautés, c'est de permettre à ses citoyens qui y travaillent de pouvoir vivre leur langue dans les institutions fédérales.
Votre question, je la poserais différemment. À l'heure actuelle, quand une institution comme le ministère des Anciens combattants ou la Commission canadienne du tourisme, et peut-être d'autres, est transférée dans une région unilingue pour les fins de la langue de travail, les citoyens de ces communautés, comme à l'Île-du-Prince-Édouard, n'ont pas le droit de travailler dans leur langue.
Je propose l'inverse. Tout siège social de n'importe quelle région du pays est tenu, non seulement de servir le public dans les deux langues, d'appuyer la partie VII de la loi, mais a aussi l'obligation de respecter la langue de travail des employés. Cela renforcerait encore plus nos communautés de langues officielles en région.
Le sénateur Comeau : Afin d'appuyer le concept du déménagement des sièges sociaux, il est sous-entendu que la région, dans laquelle le siège social sera déménagé, soit désignée bilingue par le gouvernement fédéral?
Mme Adam : Je ne demande pas que l'on désigne la région, mais que l'institution qui est transférée n'importe où au pays et qui est un siège social ait l'obligation de respecter la partie V de la loi, qui est le droit de l'employé de travailler dans la langue de son choix. Le règlement définirait des conditions.
Le sénateur Comeau : On a entendu des arguments qu'il allait au-delà. Oui, l'institution serait obligée d'offrir à ses employés de continuer de travailler dans leur langue, que ce soit le français ou l'anglais, par contre, on a entendu des arguments que les enfants de ces employés ne seraient plus dans une communauté francophone. Prenons l'exemple d'un francophone, qui a déménagé dans une région anglophone, et que ses enfants n'auraient pas l'occasion de parler le français dans la communauté. Je présente l'argument qui a été présenté. Cela va plus loin que la langue de travail. La langue de la famille commence à en souffrir. Qu'est-ce qu'on fait?
Mme Adam : Avant de répondre à cette question, j'aimerais préciser que dans la recommandation que je fais, ce n'est pas seulement un employé actuel qui aurait le droit de travailler dans sa langue, dans un tel contexte, ce sont tous les employés qui auraient le droit de travailler dans la langue de leur choix.
En ce qui concerne les enfants, la relocalisation à l'échelle du pays aura toujours des conséquences. On le voit dans les Forces armées canadiennes. Cela a un impact sur les communautés. Je crois que le gouvernement fédéral doit penser à cela. On sait, de plus en plus, par contre, que nos communautés ont des écoles au pays — à moins d'être dans région des deux langues officielles — qui sont actives. Je crois que ces éléments doivent aussi faire partie des décisions et les communautés peuvent aussi participer et appuyer ces familles qui arrivent. Il y a des liens possibles à établir.
Le sénateur Comeau : Cela répond à ma question. Dans vos commentaires, vous avez parlé d'un mécanisme de concertation qui implique, en grande partie, une nouvelle approche de coopération avec les communautés. Avez-vous eu la chance d'examiner en profondeur ou avez-vous fait une recommandation au gouvernement à savoir quel mécanisme devrait être envisagé par le gouvernement pour cette nouvelle approche?
Mme Adam : Le gouvernement a une obligation claire de prendre des mesures positives pour favoriser le développement des communautés. Les experts dans le domaine des développements communautaires vous diront une chose : pour travailler au développement des communautés, quelles soient linguistiques ou autres, il faut que la communauté soit un acteur clé et même au centre de l'activité. C'est dans cette perspective que l'on suggère un type de gouvernance, que l'on appelle horizontale. Horizontale par rapport aux institutions fédérales, c'est-à-dire qu'elles doivent travailler entre elles, parce que souvent les ministères travaillent beaucoup en vase clos. Et comme un développement communautaire comprend plusieurs secteurs, ce n'est pas seulement le secteur culturel, c'est l'économie et la santé. Il faut qu'il y ait une vision d'élaborée pour ces différentes communautés de pair avec les communautés.
On a fait le tour des études et des recherches. Ce qui ressort de ces recherches, c'est qu'il faut que le gouvernement établisse des mécanismes permanents de concertation. Ce n'est pas un appel tous les ans, une rencontre une fois de temps en temps, il faut que les acteurs engagés avec les communautés soient relativement permanents. On entend des histoires de consultations entre le gouvernement et les citoyens où le porte-parole change constamment. Il importe d'établir des rapports de confiance afin d'arriver aux résultats que l'on souhaite.
Il y a, entre autres, au moins deux bons exemples de réussite qui concernent les communautés de langues officielles, je pense, entre autres, à la santé. On a investit autant dans la communauté anglophone au Québec que dans les communautés francophones dans le cadre du plan d'action. Il y a eu des mécanismes de concertation d'établi entre les ministères et les communautés. Les communautés travaillent très bien avec les gouvernements provinciaux et le fédéral, ce qui a amené des initiatives pancanadiennes pour former en français des intervenants en santé, qui vont être embauchés dans les institutions de santé dans les différentes provinces et territoires. Le fédéral a très bien mené ce dossier avec ces communautés. Ce n'est pas parfait, on s'entend, mais il y a des résultats. Même le dossier de l'immigration en est un bon exemple. Il y a eu une bonne concertation et une permanence avec les communautés. Cela peut prendre forme, selon les dossiers.
Le sénateur Comeau : Suite aux changements à la Partie VII grâce au projet de loi S-3 l'an dernier, recommanderiez- vous que l'on examine des nouveaux programmes pour répondre à cette nouvelle réalité?
Mme Adam : J'ai mes petites opinions à ce sujet. Il n'y a rien que je crains plus que la marginalisation. Je crois que les communautés de langues officielles font partie de la société canadienne comme les majorités. Toute politique, toute initiative, tout programme doivent être conçus non seulement en fonction de la majorité mais, ils doivent être conçus en fonction de l'impact qu'ils auront sur les communautés minoritaires linguistiques du pays. Les programmes « mainstream » doivent permettre suffisamment de souplesse pour être appliqués, adaptés aux réalités des communautés à travers le pays. Même les communautés linguistiques diffèrent d'une région à l'autre. Je suis pour le développement d'une lentille particulière chez les fonctionnaires pour évaluer l'impact de leurs décisions et de leurs actions sur les minorités. Ce que l'on recherche au niveau des droits scolaires ou des écoles, ce sont des résultats égaux. Les juges sont très clairs à ce sujet. Cela peut signifier « traitement différent pour résultat égaux ». Donc les deux communautés de langues officielles doivent tirer des bénéfices égaux, mais pour cela il se peut que nos institutions fédérales doivent développer des traitements différents. Mais pas nécessairement des petits programmes à côté où ils ont cinq millions de dollars tandis que les vrais investissements dans la société se passent dans le vrai programme. Cela, pour moi, ce serait dangereux.
Le sénateur Losier-Cool : Madame Adam, je me joins aux autres pour vous remercier de votre travail. C'est vrai que cela passe vite, six ans. Je me souviens, lorsque vous êtes venue devant le comité, j'étais coprésidente et nous avions alors un comité mixte. On devait rencontrer la future commissaire. Je me souviens que vous aviez dit — peut-être suite à une remarque selon laquelle les meilleurs onguents sont dans les petits pots — je me souviens que vous aviez dit que vous étiez connue comme étant quelqu'un qui dérange. Sans faire le bilan de vos six dernières années, à quel niveau avez-vous le plus dérangé? Que vous ayez dérangé, cela s'est-il arrangé? C'est peut-être ce que madame le sénateur Plamondon voulait vous faire dire tout à l'heure.
Mme Adam : Cela fait sept années que je suis là. Où ai-je le plus dérangé? Pour moi le changement ne s'opère pas s'il n'y a pas dérangement. Pour qu'une société, un groupe avance, il faut qu'il y ait un certain inconfort. Il faut créer ou provoquer une instabilité. Si une personne ou un gouvernement est convaincu qu'il a la vérité et la voie, vous ne pourrez pas le changer.
Le commissariat est intervenu dans plusieurs dossiers, mais mon premier dossier était de faire en sorte que le gouvernement de l'époque réalise qu'il avait connu des reculs majeurs dans le domaine des langues officielles lors de la revue des programmes et qu'il y avait eu des pertes de droits linguistiques. Donc mon premier rapport annuel se voulait un diagnostic, et comme tout bon psychologue que je suis, avant d'intervenir faut-il comprendre la situation.
Ce premier rapport annuel a donc été un rapport diagnostic, qui a dit clairement au gouvernement ce qui s'était passé. Il avait comme objectif d'amener le gouvernement à s'approprier ce diagnostic. Le commissariat peut être un détonateur pour provoquer et stimuler, mais le changement c'est le gouvernement et les institutions fédérales qui doivent le faire. Quand ils se sont approprié le diagnostic et qu'ils ont fait un plan de redressement, ils ont nommé un ministre des Langues officielles, adopté le Plan d'action sur la Loi sur les langues officielles, ils ont ouvert des possibilités de développement dans les communautés, tels ceux qu'on n'avait pas envisagés comme l'immigration, Internet, ainsi de suite. Pour moi, c'est un exemple, qu'on fait bien notre travail comme commissaire d'enquête, de vérification, d'étude, et quand on le présente aux parlementaires et que ceux-ci écoutent et agissent, cela fait une différence.
Le sénateur Losier-Cool : Je vais revenir à ma vraie question, si l'on peut dire. Je lisais dans la Voix acadienne, — et cet article a peut-être paru dans d'autres journaux — où l'on écrivait que Mme Sheila Fraser, la vérificatrice générale, recommandait des subventions, échelonnées sur plusieurs années, aux organismes francophones. Selon vous, est-ce nouveau que la vérificatrice générale fasse une telle recommandation? Je sais, madame Adam, que cela ne fait pas partie de votre rapport, mais pourriez-vous répondre pour satisfaire ma curiosité.
Mme Adam : Ce sont des recommandations que le commissariat a faites moult fois au gouvernement.
Le sénateur Losier-Cool : Et la vérificatrice l'aurait fait?
Mme Adam : Non, la vérificatrice le fait dans une autre perspective. Je ne prétends pas parler pour elle, mais elle le fait dans une perspective de finances, de probité. C'est d'un autre angle, mais finalement, elle arrive aux mêmes conclusions. Si on y va de façon ponctuelle, on ne peut pas avoir de résultats.
Le sénateur Losier-Cool : Suite au changement de gouvernement, le ministre John Baird a dit qu'il voulait mettre sur pied un groupe de travail qui étudiera le financement des organismes et les programmes de subventions et de contributions. Est-ce que ce groupe de travail, selon votre lecture, travaillera avec les fonctionnaires ou est-ce que c'est un changement de responsabilités?
Mme Adam : Est-ce qu'on parle des langues officielles?
Le sénateur Losier-Cool : Oui, absolument.
Mme Adam : Je ne peux pas parler pour le ministre. Je n'ai aucune idée de ce qu'il peut penser. Et le ministre Baird, je ne vois pas son rôle. La structure qui était au Conseil privé, je croyais que c'était de cela que vous parliez.
Le sénateur Losier-Cool : Oui, il y aura cette structure — selon ce que je comprends — et en plus, un autre groupe qui s'occupera seulement du financement pour les communautés minoritaires de langues officielles et leurs organismes.
Mme Adam : C'est nouveau pour moi. Je ne peux pas dire que je l'ai compris ainsi. Il faudrait poser la question aux membres du gouvernement. La structure qui était au Conseil privé, qui avait le rôle de coordonner l'action gouvernementale en ce qui a trait aux langues officielles, qui avait un peu le rôle de vigie, le rôle d'amener les ministres et leurs hauts fonctionnaires à travailler davantage dans la même direction, était menée par le ministre responsable des langues officielles. Son secrétariat est passé à Patrimoine canadien et au sein même de Patrimoine canadien, il y a aussi une direction qui est responsable de livrer les programmes d'appui aux langues officielles. En quelque sorte, c'est une structure bicéphale parce qu'il y a deux sous-ministres adjoints : un responsable du secrétariat et l'autre responsable pour les programmes d'appui aux langues officielles. Cependant, ils se rapportent tous à la même sous-ministre et à la ministre responsable des langues officielles.
J'ai certaines inquiétudes parce qu'il y a des dangers de manque de clarté entre les mandats de ces deux directions, non seulement par rapport aux communautés, mais au sein de l'appareil fédéral. On sait qu'un leadership clair et cohérent est essentiel. J'ai des inquiétudes parce que Patrimoine canadien n'est pas la même chose que le Conseil privé.
Dans le cadre du Plan d'action, il y avait un programme d'innovation conçu pour la fonction publique fédérale qui comprenait des subventions gérées par le ministère de M. Baird. Ces subventions sont arrivées à terme parce que cette portion du plan d'action allait jusqu'en 2003. M. Baird a annoncé publiquement qu'il mettait cela en veilleuse pour examiner la situation. Est-ce ce à quoi cela réfère? Je n'ai aucune idée, mais il y a eu une décision de M. Baird qui a un impact sur les langues officielles et particulièrement à la fonction publique fédérale.
Le sénateur Losier-Cool : Nous allons éventuellement recevoir le ministre et on pourra clarifier tout cela.
Une autre petite question qui me tient à cœur. Ce matin, dans l'éditorial du Globe and Mail, il y avait une analyse sur le bilinguisme. On y lisait que le pourcentage de personnes bilingues au Canada diminue. On se référait, comme de raison, au livre Sorry, I don't speak French de M. Fraser. C'est l'éducation qui est à blâmer, c'est-à-dire les programmes d'enseignement des deux langues officielles.
L'éducation relève des provinces. De quelle façon peut-on influencer ou voir à ce manquement? Tout à l'heure, vous avez mentionné des progrès en santé et du côté de la justice. Cependant, on dit toujours que c'est en éducation qu'il y a le plus gros manque. On dirait que les médicaments ne sont pas les remèdes pour les vrais maux. Est-ce que je me trompe? Il nous faut éduquer plus de personnes bilingues. À mon avis, c'est vraiment la source du problème. Qu'en pensez-vous?
Mme Adam : J'aimerais faire une petite nuance sur les statistiques. Le taux de bilinguisme ne diminue pas au Canada, il augmente. Avec les statistiques, il faut examiner l'âge des gens. Si on regarde la tranche des personnes de 14 à 19 ans, elles sont beaucoup plus bilingues que nos aînés. Vous avez un taux de bilinguisme croissant, mais je dirais qu'à l'heure actuelle, environ un jeune sur quatre se déclare bilingue. Ce qu'on voudrait — et c'est ce que le Plan d'action visait —, c'est doubler, chez les jeunes anglophones surtout, ce niveau de bilinguisme, d'où les investissements accrus dans l'enseignement de la langue seconde.
Qu'est-ce qu'on peut faire? C'est certain que si le gouvernement fédéral avait le contrôle de l'éducation, ce serait beaucoup plus facile. Il ne l'a pas. On est dans une fédération. Donc, à ce moment-là, on va miser sur la promotion. Cela fait à peu près 40 ans que le gouvernement fédéral est le plus grand employeur bilingue au pays. Il ne fait pas une promotion très active, dans nos écoles, dans nos universités, de l'importance d'acquérir la langue seconde et comme on investit dans l'enseignement scolaire primaire, secondaire et même universitaire, on veut, autant que possible, des employés bilingues. Ce n'est pas juste de devenir bilingue, c'est également de comprendre l'autre culture et de pouvoir l'atteindre sur son territoire. Cela fait de meilleurs fonctionnaires parce qu'ils sont mieux en mesure de comprendre non seulement les différences linguistiques du pays, mais également les différences régionales. En tant que fonctionnaires qui font l'analyse de politiques et de la livraison de programmes, ils ont une sensibilité accrue et par le fait même, ils vont être de meilleurs fonctionnaires. C'est le genre de discours, à mon avis, qui devrait être tenu et on ne devrait pas être gêné de le faire.
Quand j'étais à l'université, le gouvernement fédéral ne venait pas nous dire qu'ils nous voulaient comme jeunes diplômés. Je crois qu'il y a vraiment du travail de promotion à faire.
La présidente : Je cède la parole au sénateur Champagne et par la suite, sur le même sujet, nous entendrons la supplémentaire du sénateur Plamondon.
Le sénateur Champagne : Merci. Vous avez touché le point dont je voulais parler. Je me dis qu'après un peu moins de 40 ans d'existence du Commissariat aux langues officielles, c'est impensable qu'on ait encore besoin de quelqu'un comme vous pour agir comme ange gardien ou police au niveau du gouvernement. Et qu'on se retrouve encore avec des gens qui deviennent agressifs face aux gens qui parlent l'autre langue officielle, les gens qui sont totalement indifférents ou même rébarbatifs à vouloir apprendre l'autre langue.
Les Canadiens ne sont pourtant pas moins doués que des gens d'autres nationalités. Comment se fait-il qu'à sa sortie du secondaire, le jeune Suisse parle français, anglais, italien, allemand? Au Luxembourg, petit pays, on lui ajoute le luxembourgeois. Ici, malgré tout ce qu'il y a au niveau communication en ce moment, les gens n'ont pas ce plaisir, ce désir de vouloir apprendre au moins une langue. Quand on en a appris une deuxième, une troisième, une quatrième, cela vient beaucoup plus facilement. Comment se fait-il que les Canadiens ne sentent pas le besoin de lire Félix Leclerc en français et Margaret Atwood en anglais, d'aller voir un film dans la langue d'origine?
Vous vous demandiez ce qu'on pourrait faire. Oui, il faut en faire la promotion de cette dualité linguistique. Mais on a échoué quelque part. On a perdu des générations à qui on n'a pas réussi à inculquer ce plaisir d'apprendre. Ce serait si facile si tout le monde parlait deux langues dans un pays comme le nôtre.
Pourriez-vous nous dire où vous voyez la racine de ce problème qu'on n'arrive pas à éradiquer?
Mme Adam : On a quand même traité de la promotion de la dualité dans le rapport. Et j'ai recommandé à la ministre des langues officielles de vraiment engager un dialogue sur cette question. Finalement, on ne dicte pas cela avec des lois et des règlements. Votre discours, c'est un discours d'ouverture à l'autre, l'appréciation de la différence. Le Canada est vu à l'extérieur, dans le monde, comme un pays ouvert à la diversité. On considère notre modèle, notre aménagement linguistique comme un des modèles dans le monde. On sait que ce n'est pas parfait mais c'est vrai. Quand on regarde à l'échelle mondiale, on a quand même de l'ouverture, des possibilités de rencontres avec l'autre.
Il n'y a pas de solution simple à cela. Nous sommes une société anglophone dominante sur un continent anglophone dominant. Les Américains sont vraiment une société beaucoup plus homogène que le Canadiens, et je ne crois pas que le Canada peut être aussi près d'un voisin aussi puissant sans subir ses valeurs. Ce n'est pas comme sur le continent européen où plusieurs langues se côtoient.
Ce n'est pas seulement un facteur interne au pays, c'est aussi notre contexte. Les jeunes Canadiens et Canadiennes s'y intéressent. Toutes les recherches démontrent qu'ils ont de l'intérêt à apprendre une autre ou deux, trois autres langues. C'est un phénomène nouveau, alors qu'autrefois, on se demandait pourquoi apprendre une autre langue. Même avec la mondialisation, il y a un changement à l'horizon.
Peut-être que le temps est opportun pour effectivement ramener cette question de dialogue dans un contexte d'économie du savoir.
Je vais terminer ma réponse ainsi : quand j'étais principale au collège Glendon, une université bilingue à Toronto, on invitait certaines personnes de renommée, et on avait reçu un ambassadeur du Canada qui était venu parler à nos étudiants en études internationales. Il leur avait dit une chose : vous savez, on préfère choisir des candidats qui maîtrisent deux, trois, quatre langues et leur enseigner les politiques étrangères que l'inverse. L'investissement dans un adulte pour apprendre le chinois est énorme. Il tenait un discours qui valorisait l'apprentissage des langues. C'est ce discours qu'on n'entend pas suffisamment parce que les étudiants, quand ils l'entendent, cela les interpelle parce qu'ils ont un objectif de vie, ils veulent réussir et quand ils entendent cela, ils vont prendre les cours.
Le sénateur Plamondon : Ma question est justement sur les statistiques que vous avez données qui disent qu'au Canada, dans la catégorie des jeunes de 14 à 19 ans, il y en a un sur quatre qui se dit bilingue. Est-ce que vous avez décortiqué les provinces? Si oui, est-ce le Québec qui est la province la plus bilingue? Je comprendrais plus facilement que ce soit au Québec que, parmi les jeunes de 14 à 19, un sur quatre parle deux langues au Québec plutôt qu'en Alberta.
Mme Adam : Ce sont des données publiques dans le recensement canadien.
Le sénateur Plamondon : Cela ne doit pas être égal?
Mme Adam : Ce n'est pas égal. Les jeunes anglophones du Québec étaient beaucoup moins bilingues. Maintenant, ils sont rendus, je crois, autour de 90 p. 100 et les jeunes francophones, je pense qu'ils sont à 40 p. 100 bilingues. Vous avez parfaitement raison. Selon la segmentation de la population, vous allez avoir des résultats différents.
On a fait une étude en collaboration avec la Commission des droits de la personne sur le taux de bilinguisme de nos immigrants, et à ma grande surprise, on a découvert qu'ils sont plus bilingues, anglais et français, que nos anglophones de naissance. Je pense qu'ils sont à 20 p. 100 et les anglophones sont autour de 17 p. 100 dans certains segments. La région du pays, c'est évident, mais aussi l'âge, sont des facteurs à considérer.
Le sénateur Robichaud : Le sénateur Comeau et moi-même sommes une minorité ici au comité mais je vous assure que nous sommes bien respectés et qu'on reconnaît tous nos droits.
En ce qui concerne la langue de travail, vous dites que dans les forces armées, 39 à 44 p. 100 des postes bilingues sont occupés par des gens effectivement bilingues,. C'est très bas. Dans la fonction publique, vous dites que ce pourcentage atteint 85 p. 100.
Mme Adam : Quatre-vingts pour cent des postes désignés bilingues, dont les titulaires sont occupés par des personnes ayant les compétences linguistiques.
Le sénateur Robichaud : Quelle incidence cela peut-il avoir sur la langue de travail? Pendant votre mandat à titre de commissaire, avez-vous pu remarquer un changement? On peut dire qu'on a des personnes bilingues, mais nous, les francophones, on est reconnus pour accommoder l'autre langue. Et puis je crois que ce serait définitivement un encouragement pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail et qui veulent entrer dans la fonction publique, qu'ils voient que l'on respecte leur droit de travailler dans la langue de leur choix.
Est-ce que vous avez vu un progrès?
Mme Adam : Des progrès ont été faits. Au cours des dernières années et même des dernières décennies, des politiques permettaient à des individus d'occuper des postes pendant cinq ou 10 ans sans être inquiétés et ils ne subissaient aucune conséquence s'ils n'atteignaient pas leur niveau.
Le gouvernement de M. Chrétien a vraiment changé ces politiques. Le message est clair dans l'appareil administratif fédéral, à savoir que si un employé veut être promu à un poste bilingue ou un poste de superviseur qui exige d'être bilingue, il doit l'être immédiatement.
Cela a envoyé un message important : les compétences linguistiques comptent et ce n'est pas qu'accessoire. Car le message transmis auparavant était de dire que c'était accessoire, qu'il y avait d'autres impératifs qu'on pouvait toujours passer. Maintenant, les fonctionnaires savent très bien que s'ils veulent progresser dans le rang, ils doivent être bilingues.
Vous m'avez posé la question à savoir si cela change? Oui. Nous avons effectué trois études, dont une qui sera publiée mercredi au Nouveau-Brunswick, sur la langue de travail dans les régions bilingues; une à Ottawa, une au Québec, et maintenant une au Nouveau-Brunswick.
C'est fascinant de voir qu'au sein de l'appareil administratif fédéral, toutes choses étant égales selon les régions, nous avons vraiment une capacité linguistique. Nous sommes beaucoup plus bilingues qu'auparavant. Les gens sont bilingues à des niveaux différents, mais ils sont bilingues.
Toutefois, nous n'utilisons pas cette capacité linguistique. C'est ça le gros problème et cela a des conséquences vraiment néfastes. Par exemple, pour les anglophones majoritaires qui n'utilisent pas leur deuxième langue, la conséquence qui en découle est que leurs compétences diminuent. Ils veulent postuler à un moment donné pour un autre poste mais ne passent pas le test qu'ils ont déjà passé. Tout le monde vous le dira, si on n'utilise jamais une compétence, on ne passera pas. Ils doivent alors retourner en formation linguistique.
Mais c'est un peu aberrant; combien de fois faut-il envoyer nos fonctionnaires en formation linguistique? Combien de fois faut-il les tester? Alors que s'ils utilisaient vraiment leur langue — et là, les francophones ou le groupe minoritaire selon où on se trouve au pays — ont également une responsabilité, celle d'utiliser leur langue maternelle et de se faire entendre.
Le sénateur Robichaud : Comment peut-on encourager cela? Vous me dites que maintenant, dans des postes clés vous devez maîtriser les deux langues, et que ce fait est respecté dans l'appareil gouvernemental, alors comment peut- on encourager les gens à pratiquer cette autre langue et non pas l'exiger? Si les gens qui occupent des postes de décision sont bilingues, je suis sûr qu'ils sont ouverts à utiliser la deuxième langue?
Mme Adam : En administration, il y a une règle d'or et elle vaut pour à peu près tous les comportements qu'on veut renforcer autour de nous. Le chef et toute l'équipe administrative doivent incarner la valeur qu'ils veulent faire rayonner dans leur organisation. Chaque institution fédérale est une organisation et vous pouvez y appliquer tous les principes d'administration organisationnelle.
Si le chef et toute son équipe illustrent et démontrent l'usage des deux langues officielles au quotidien, la dynamique changera. Lors d'une réunion, certains n'utiliseront pas l'autre langue; il faut les amener à se pencher sur cette situation. Pour certains, c'est un réflexe parce que lorsqu'ils sortent de l'appareil administratif fédéral, ils parlent toujours anglais, et cetera.
Cela relève davantage de la psychologie. Il devrait y avoir un poste de psychologue à temps plein pour favoriser l'environnement et l'interculturel. Comment travailler avec deux cultures et deux langues dans un même environnement? Cela part de la famille. Il y a des familles qui vivent deux langues tout le temps. Elles pourraient même enseigner à l'administration fédérale comment faire.
Comment fonctionner dans les deux langues dans le respect de l'autre? C'est beaucoup une question d'attitude et de comportement. Pour plusieurs, ce n'est pas conscient, mais par exemple lorsqu'un anglophone parle avec certaines hésitations dans sa langue seconde, l'autre personne commence à parler en anglais. À ce moment-là, quel message est transmis à l'autre? C'est décourageant.
Ce ne sont pas des règles et là on rentre dans une autre sphère d'application de la loi, je parle des relations interpersonnelles. C'est là que les gestionnaires ont un rôle très important à jouer comme modèle du comportement éthique, du respect des lois. Si le patron s'en fout, cela aura tout un impact.
Le sénateur Robichaud : Vous constatez donc que l'obligation qu'ont maintenant les institutions et les ministères de faire la promotion est respectée?
Mme Adam : Je l'ai dit très directement au greffier et à tous les sous-ministres et les chefs d'agence, ce n'est pas le ministre qui est responsable au quotidien d'appliquer la Loi sur les langues officielles, mais eux qui sont responsables comme hauts fonctionnaires et comme patrons de l'institution de s'assurer que leurs employés puissent travailler dans leur langue.
En ce sens, ils ont à créer une culture d'usage des deux langues officielles. J'ajouterais cela comme critère d'évaluation dans leur entente de rendement annuel : créer une culture d'usage des deux langues. Ils seraient évalués sur cet aspect et cela aurait un impact sur leur bonus de rendement.
Le sénateur Robichaud : Encore faut-il que l'évaluateur pense de la même façon que vous.
Mme Adam : C'est exact.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Merci. Lorsque j'ai été nommée au Sénat, il y a exactement cinq ans, nous nous étions rencontrées toutes les deux pour discuter de certaines des questions que vous avez soulevées aujourd'hui. Le sénateur Champagne parle d'avoir une culture des deux langues officielles et j'espère qu'un jour cela se retrouvera dans toutes les régions du pays. Il existe dans ma province, la Colombie-Britannique, une importante population immigrante de langue française. Ils ont de la difficulté à trouver un appui pour la création d'un réseau d'écoles de langue française. Les services d'immersion en langue française existent, mais ce n'est pas aussi difficile que d'obtenir d'autres services culturels en français. Pouvez-vous nous dire ce qu'on fait aujourd'hui pour ces communautés?
Je les ai rencontrés vendredi dernier et j'ai appris qu'il existe très peu de services de soutien pour cette communauté et ils craignent de perdre leur culture française s'ils ne reçoivent pas une aide du gouvernement.
Mme Adam : Nous rencontrons à plusieurs reprises au cours de l'année le gouvernement fédéral pour discuter de ses engagements à l'égard du plan d'action; le nouveau gouvernement a respecté ce plan. Cependant, grâce au projet de loi S-3 et à la partie VII de la loi qui y est renforcée, nous n'avons jamais été mieux placés pour atteindre nos objectifs et offrir aux communautés l'aide qu'elles désirent.
Lorsque nous étudions la vitalité des communautés, la majorité des gens pensent seulement aux chiffres. Combien de membres regroupent cette collectivité? Nous savons que les chiffres font partie de l'équation, mais ils ne sont pas tout. Ils ne sont pas synonymes de vitalité.
En Colombie-Britannique, je crois qu'il y a entre 50 000 et 60 000 francophones, et cette population a un taux de croissance aussi élevé que la population anglophone. Au cours des sept dernières années, des choses extraordinaires ont été accomplies en Colombie-Britannique. Je ne dis pas que la communauté n'a aucun problème mais, par exemple, l'Université Simon Fraser offre un programme d'études postsecondaires avec diplôme en français. Ça, c'est nouveau. Tous les francophones bilingues veulent suivre des cours universitaires dans leur propre langue mais ils ne pouvaient pas avoir ces services en Colombie-Britannique et devaient donc quitter la province.
Nous avons également de nouveaux programmes de formation à divers niveaux. Les collèges et universités de la francophonie ont maintenant établi un réseau et offrent des services au niveau collégial en Colombie-Britannique pour les collectivités de la région de Verte. C'est une initiative que je mentionnais plus tôt.
Il s'agit là de petits exemples, mais ils représentent une des composantes de base. N'oubliez pas que sous peu nous aurons en Colombie-Britannique Vancouver 2010. Ce programme a su mobiliser la communauté avec le reste des Canadiens francophones — ainsi qu'un certain nombre de francophiles et de gens comme vous — et ils se sont entendus pour dire que ces jeux d'hiver seront vraiment bilingues et représenteront un lieu privilégié pour le Canada, non seulement au niveau linguistique mais également au niveau culturel.
Cette initiative sera un tremplin pour la communauté puisque tous les yeux seront tournés vers elle. De plus, en ce qui a trait aux autres communautés, les francophones percevront leur communauté de langue française comme étant différente, comme étant un atout plutôt qu'un coût, ce qui est malheureusement le commentaire qu'on entend souvent.
Les choses évoluent certainement dans votre province. À mon avis, il s'agit d'une communauté qui sait ce qu'elle veut devenir. Mon principal message aux communautés est que le renforcement de la Loi sur les langues officielles est la responsabilité des institutions fédérales, et que le gouvernement fédéral doit prendre des mesures positives pour appuyer la mise en œuvre de cette loi. Cependant, les communautés elles aussi doivent jouer un rôle. Elles doivent songer à la façon dont elles collaboreront avec le gouvernement fédéral. Qu'est-ce qui est le plus important à leurs yeux? Quel avenir recherchent-elles? Elles doivent en venir à un consensus quant à ce qu'elles recherchent comme avenir.
Je suis optimiste. La communauté francophone croît, et tant qu'elle ne fait pas de recul, nous ne pouvons que parler de progrès.
Le sénateur Jaffer : Vous avez mentionné les Jeux olympiques. Je sais que vous avez déjà rencontré les membres du comité des Jeux olympiques. Nous espérons pouvoir nous rendre en Colombie-Britannique en septembre pour voir quels progrès ont été réalisés. Nous ne voulons certainement pas nous retrouver avec les mêmes problèmes qu'on a vécus à Turin.
Êtes-vous satisfaite des progrès effectués par le comité dans le dossier de la dualité linguistique? Le comité pourrait-il faire plus?
Mme Adam : J'ai mes petits espions en Colombie-Britannique. Nous avons désormais un bureau dans la région. Ça c'est un autre changement qui à mes yeux était fort important.
Je ne serai pas en Colombie-Britannique; mon mandat sera terminé. Cependant, mon bureau et mon successeur suivront le dossier de très près. Les choses progressent et il y a dans la région des gens qui sont vraiment engagés, mais c'est un peu comme toutes les institutions fédérales, il ne faut jamais tenir quoi que ce soit pour acquis. Nous devons toujours surveiller de près le dossier, être présents et appuyer les intervenants.
Cependant, nous avons communiqué les bons messages, et il existe une équipe dans la région qui fonctionne bien. Je parle ici du comité des Jeux olympiques. Les membres sont dévoués, mais il faut quand même surveiller de très près ce dossier.
Le sénateur Jaffer : Merci.
[Français]
Le sénateur Tardif : Vos commentaires et vos réflexions, madame la commissaire, suscitent beaucoup de questions et de réflexions de notre part. J'aurais beaucoup de questions à vous poser mais, évidemment, le temps presse.
Plusieurs membres autour de la table vous ont indiqué que, souvent, ce qui se passe au niveau de la dualité linguistique et des langues officielles au pays, c'est que l'approche utilisée est très minimaliste. On a appliqué des règles de façon isolée, on ne donne pas le financement nécessaire. Par exemple, on se contente de programmes associés aux langues officielles et il y a là de gros montants d'argent qui se transfèrent entre le fédéral et les provinces. Même si on a investi dans l'éducation, et certainement dans la formation linguistique, il y a encore des listes d'attente. Il y a énormément de choses pour lesquelles, je crois, notre gouvernement a souvent été trop timide. Vous avez tout à fait raison de dire qu'on a réellement besoin de leadership, qu'on a besoin de façons d'agir qui soient cohérentes, claires, concertées.
Je vois certainement les défis dans ce transfert de responsabilité pour la question des langues officielles, entre le Conseil privé à Patrimoine canadien. Croyez-vous que cette nouvelle structure administrative pourra réellement répondre à toute la question de gouvernance horizontale, selon le projet de loi S-3 et d'appui aux communautés de langue officielle, selon la partie VII de la Loi sur les langues officielles?
Mme Adam : Je pense que c'est la prérogative de n'importe quel gouvernement de décider des façons dont il va atteindre ses objectifs. Dans ce sens-là, je donne la chance au coureur. Mais il est certain que, à un moment donné, on devra évaluer le gouvernement d'après ses résultats. Est-ce que, effectivement, le leadership n'est pas suffisant, est-ce qu'il est éparpillé, fragmenté? Vous allez le voir très vite, les institutions fédérales ont une tradition bien enchâssée de travailler par mandat, par couloir, de façon très séparée. Si on ne les rassemble pas, naturellement, elles vont aller chacune leur chemin. Vous allez voir que si le leadership n'est pas assez fort pour coordonner et interroger les ministères sur leurs actions, les amener à agir quand ils le doivent, sans traîner la patte ou remettre à plus tard, les résultats ne seront pas là. Il va y avoir une stagnation et on ne pourra pas progresser. Je pense qu'il s'agit plutôt d'être vigilant et, certainement, le commissariat va poursuivre en ce sens.
Tout d'abord, on évalue la mise en œuvre du plan d'action. Également, dans le dossier de mise en œuvre du projet de loi S-3 sur renforcement de la partie VII, j'ai donné quatre devoirs au gouvernement actuel. On va normalement évaluer cela l'année prochaine et le commissariat pourra être en mesure de vous donner les faits, ce que le gouvernement aura fait là-dessus, quel rôle la ministre aura joué, et cetera. Vous serez plus en mesure d'avoir l'information, du moins du commissariat, pour ce qui est de la mise œuvre et l'impact d'une telle décision.
Le sénateur Robichaud : Je crois qu'on devrait aussi porter une attention tout à fait particulière aux activités qui font la promotion d'échanges avec les groupes. Je porte à votre attention les Jeux de la Francophonie canadienne qui ont eu lieu à Memramcook, il y a quelques années et à Rivière-du-Loup; on pouvait constater qu'il y avait des délégations de toutes les provinces et des territoires, non seulement des francophones, mais aussi des francophiles. Et ce n'était pas juste des compétitions sportives, mais aussi un échange culturel. C'était beau de voir toute cette jeunesse qui arrivait et qui réalisait spontanément, sans arrière-pensée, le fait que les langues, pour eux, ce n'était pas un problème, mais qu'on était là pour se rencontrer.
Malheureusement, parfois, on n'apporte pas assez d'attention à la promotion de ces activités pour les continuer et pour augmenter les groupes qui y participent.
Mme Adam : Vous avez raison. On pourrait aussi intensifier des débats parlementaires — vous savez qu'il y a le Parlement jeunesse aussi. Il y a toutes sortes de possibilités de rencontres des représentants des deux communautés et c'est la meilleure façon de favoriser vraiment les deux langues.
Le sénateur Champagne : Madame la commissaire, alors que vous vous préparez à quitter votre poste où vos efforts nous ont été si utiles, nous ne pouvons que regretter que vous partiez si tôt, il y a encore tant à faire. Vos yeux, vos oreilles, vos antennes nous manqueront beaucoup. Après des vacances bien méritées, je me suis demandé qu'est-ce qui pourrait occuper vos heures, vos jours. J'en arrive presque avec une suggestion.
Au cours de la fin de semaine j'ai pu prendre quelques heures de bon temps et je me suis amusée à regarder la télévision. Je vous avoue que ma fierté de Canadienne qui fait de son mieux pour être bilingue a été bien nourrie, mais aussi bien dérangée. À entendre les commentateurs de la télévision française, je me suis posé une énorme question : quelle est donc la langue officielle en France? Il faudra quelqu'un comme vous pour le leur dire.
Depuis longtemps on entendait le « parking » , le « dancing » . Voilà que maintenant c'est le « making of » et combien d'autres âneries qui ne font qu'attirer l'attention sur le snobisme de certains Français, pour qui dire quelques mots anglais représente le summum de l'érudition. Une chose est certaine, au cours de quelques topos entendus à TV5, nos traducteurs, pourtant si compétents, ont eu du mal à décider lequel d'entre eux qui serait en devoir s'accaparerait le micro.
Depuis Roland-Garros, j'ai entendu de grands experts du monde du tennis nous parler de la chaleur accablante qui rendait la vie difficile aux « ball boys » . On m'a fait la liste des joueurs qui détenaient une place au haut du « leader board » . On m'a rabattu les oreilles avec le nombre d'« aces » que l'un ou l'autre des compétiteurs avait réussi avec le nom de celui qui avait le meilleur « passing » , en vantant le champion des « tie-breaks ». On nous a même parlé d'un joueur qui avait « débreaké » .
Finalement, croyez-le ou non, une autre victoire de Rafael Nadal s'avérait un « happy end ». Je vous jure, je n'exagère pas. Si je n'avais pas compris un tant soit peu l'anglais, je n'aurais rien compris du tout. Nos commentateurs canadiens font belle figure.
Je me suis donc dit que vous pourriez partir nous préparer un de vos rapports extraordinaires et fracassants sur la langue en France. Vous pourriez faire très belle équipe avec ma vieille copine Denise Bombardier et avec Gilles Vigneault, vous pourriez leur dire : « Chers amis français, prenez soin de votre langue, elle est aussi la nôtre. »
Une fois votre rapport publié, je porterais vos valises et nous irions voir Thierry Ardisson, celui qui considère toujours que notre accent est absolument infect et disgracieux. Nos canadianismes ne sont pourtant pas plus laids que les sons et les expressions des Berrichons.
Comme je l'ai constaté en allant dans les villages normands, même aujourd'hui, quand on se rapproche de la mer, on se sent presque chez nous. Madame Adam, je me suis permis cette suggestion et quant à nous ici, nous continuerons toutes et tous à suivre la route que vous nous avez tracée. Vous l'avez fait avec conviction, avec rigueur et avec humour aussi. C'est bien important.
Je vous remercie pour tout et il nous fera plaisir d'aller prendre un verre à votre santé et à un bel avenir.
Mme Adam : Merci beaucoup.
La séance est levée.