Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 8 - Témoignages - séance de l'après-midi
VANCOUVER, le mercredi 15 novembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 13 h 32 pour l'étude, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, de l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la Loi, ainsi que pour l'étude de l'ébauche d'un rapport.
L'honorable Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis Maria Chaput, présidente du comité et je viens du Manitoba.
Permettez-moi tout d'abord de vous présenter les membres du comité qui sont ici aujourd'hui : le sénateur Gerald Comeau de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Lowell Murray de l'Ontario, madame le sénateur Mobina Jaffer de la Colombie-Britannique, madame le sénateur Claudette Tardif de l'Alberta et le sénateur Fernand Robichaud du Nouveau-Brunswick. Nos invités sont, M. Pierre Gagnon et M. Benoit André de l'Association des juristes d'expression française de la Colombie-Britannique. Vous avez la parole pour une dizaine de minutes, ensuite nous poursuivrons avec les questions des sénateurs.
Benoit André, directeur général, Association des juristes d'expression française de la Colombie-Britannique : L'Association des juristes d'expression française de la Colombie-Britannique existe depuis six ans. Ses buts et objectifs sont, à la fois, de contribuer au développement professionnel des juristes d'expression francophone en Colombie- Britannique et de veiller au développement et à l'implantation de services juridiques en français et d'assurer le respect des droits existants en cette matière en Colombie-Britannique. Nous examinons aussi toutes les questions relatives aux droits des populations francophones en Colombie-Britannique. Nous avons une soixantaine de membres. Nous touchons un public assez large et nos membres sont avocats, juristes, procureurs et notaires, shérifs, étudiants en droit et universitaires. Nous avons plusieurs projets.
Je veux revenir aux questions soulevées par le comité, telles que je les ai comprises. Toutefois, il y a une série de questions auxquelles nous ne pouvons malheureusement pas répondre relativement à l'implantation des nouveaux services, plus précisément concernant la Commission canadienne du tourisme. Nous pouvons quand même répondre à quelques questions et fournir quelques pistes de réflexion pour le comité.
L'institution a-t-elle réussi à recruter suffisamment d'employés bilingues pour répondre aux exigences en matière de communication et de prestation des services dans les deux langues officielles? En pratique, je ne sais pas. J'ai toutefois une piste de réflexion : plutôt que de déménager tous les fonctionnaires, il faudrait penser à recruter dans les ressources qui existent dans la province même. C'est une première idée que nous aimons appuyer.
Où trouver ces ressources? Existent-elles? Elles existent en effet, mais il y a un autre problème que nous avons identifié; la formation des jeunes. Notre association a plusieurs projets qui visent à aider à la formation des jeunes jusqu'à leur 12e année. Il y a des écoles d'immersion et elles fonctionnent bien. Mais après la 12e année, il n'y a pas de lien entre la 12e année et le fait de travailler en français en Colombie-Britannique. Nous pensons qu'il serait intéressant pour le gouvernement fédéral d'organiser des passerelles, que ce soit dans le cadre de formation pour les étudiants de 12e année ou dans le cadre de bourses pour encourager les étudiants bilingues et francophones à rester dans la province.
Notre troisième piste de réflexion est celle d'insister, une fois que les services fédéraux sont bien implantés, sur le fait que les personnes bilingues le soient réellement et qu'elles reçoivent les formations adéquates. L'Association offre une formation aux juristes. Nous organisons des cours et des ateliers de terminologie régulièrement, des cours spécifiques pour les juristes francophones afin qu'ils développent leurs aptitudes. Je crois que cette formation permettra le succès de cette nouvelle implantation des services fédéraux.
Pierre Gagnon, président, Association des juristes d'expression française de la Colombie-Britannique : Madame la présidente, je poursuivrai sur le même sujet. Maître Benoit vient d'identifier qu'en Colombie-Britannique, on a un problème de recrutement des ressources francophones ou bilingues. Le sujet que j'aborderai est celui du recrutement des candidats jurés.
Le recrutement des candidats jurés est relié à ce qui a été discuté auparavant : depuis 1970, en Colombie- Britannique, des écoles d'immersion ou des écoles francophones, au cours des années ont produit une population bilingue. Ce sont les finissants de 12e année. Cette population, à moins qu'elle n'ait déménagé dans l'Est du Canada, se retrouve toujours ici.
Le problème que l'on a avec le cas des jurés, c'est que l'on n'arrive pas à identifier les francophones, les anglophones ou ceux qui sont bilingues. Le recrutement des jurés se fait normalement au moyen de la liste électorale. Au hasard, des noms sont pigés de la liste électorale et lorsqu'on est en situation majoritaire, on réussit à former un juré de 12 personnes.
Si, en Colombie-Britannique, on veut sélectionner un juré de personnes bilingues, on a un problème parce qu'on ne sait pas où elles sont. Un rapport a été produit et nous vous en avons donné une copie. Évidemment, le rapport propose des solutions au gouvernement provincial et au gouvernement fédéral. C'est surtout le sujet dont je veux vous parler.
Par exemple, si vous consultez le document qui a été distribué, au chapitre des recommandations, vers la fin, il y a une première suggestion, c'est d'utiliser la Loi électorale fédérale. Est-ce qu'au moment de la formation de la liste électorale fédérale, il n'y aurait pas possibilité d'identifier les citoyens qui sont francophones, anglophones ou bilingues? Les informations recueillies pour la liste électorale fédérale pourraient être redistribuées à travers les provinces. Il n'y a pas que la Colombie-Britannique qui connaît ce problème de recrutement des jurés, toutes les autres provinces de l'Ouest connaissent le même problème. C'est une première suggestion; la diffusion de cette information, à savoir qui sont les citoyens bilingues, francophones ou anglophones.
L'autre possibilité serait d'utiliser le recensement. Tous les cinq ans, au Canada, on fait un recensement et on pose des questions bien précises aux citoyens. On leur demande de nous dire s'ils parlent anglais, français ou les deux langues officielles. Cette information doit devenir disponible pour les provinces pour que celles-ci puissent ensuite identifier lesquels de ces citoyens sont bilingues, anglophones ou francophones, pour qu'éventuellement on puisse former des jurés bilingues, francophones ou anglophones, même si on est en situation minoritaire.
Je terminerai mon exposé avec une question que notre rapport soulève; une question qui pourrait être posée, par exemple, aux gens qui remplissent le formulaire de recensement ou encore aux gens qui soumettent leur nom ou qui remplissent la documentation pour exercer leur droit de vote. C'est la question suivante : acceptez-vous que les renseignements recueillis à votre égard au sujet des langues officielles apprises et comprises soient utilisés pour la compilation de listes de candidats jurés en application de l'article 530 du Code criminel, qui prévoit le droit pour une personne accusée d'une infraction criminelle au Canada de subir son procès dans la langue officielle de son choix? Les francophones, les anglophones, les avocats de la défense, les procureurs ont tous intérêt à ce que l'on puisse procéder dans les deux langues officielles partout au Canada en matière criminelle.
Le sénateur Comeau : Vous soulevez une question à laquelle je n'avais jamais pensé dans le passé, c'est-à-dire l'accès à un jury de personnes bilingues afin de répondre à nos besoins. Je vais être complètement franc, peut-être qu'on devrait examiner d'autres moyens que ceux d'utiliser les documents du recensement et de la liste de la Loi électorale fédérale : ces deux listes sont sujettes à des promesses que ces renseignements soient secrets.
Je sais qu'on a eu une discussion assez longue l'année dernière au sujet de la divulgation de ces informations. À chaque fois, cela inquiète plusieurs personnes parce que c'est une promesse du gouvernement fédéral selon laquelle ces informations ne seront pas dévoilées. Je me demande s'il y aurait un autre moyen pour répondre à ce problème réel?
M. Gagnon : Dans la Loi électorale actuelle et dans la Loi sur les statistiques, il y a des exceptions à la non- divulgation des renseignements. Une des suggestions que nous faisons, c'est d'amender la loi pour permettre la divulgation. Il existe d'autres exceptions, alors il faudrait qu'il y ait, dans ces mêmes lois, des exceptions pour répondre à cette difficulté.
C'est pour cela que j'ai terminé avec la question qui pourrait être posée aux Canadiens. Elle commence en français : est-ce que vous êtes d'accord pour que ces renseignements soient divulgués? Si les gens répondent de façon positive, je pense qu'ils ont donné leur consentement. Et le consentement est un des critères.
Le sénateur Comeau : Il y a déjà une question semblable lorsqu'on répond à Revenu Canada, concernant nos rapports d'impôt. La question nous est déjà posée, à savoir s'ils peuvent utiliser votre nom pour la liste fédérale des élections. Peut-être que ce serait un autre moyen parce que les gens se font déjà poser une question très spécifique. Les gens semblent accepter cela. C'est surprenant bien sûr, mais apparemment les gens l'acceptent d'une façon assez générale.
Du point de vue de la liste électorale peut-être les électeurs diraient, oui, puisqu'ils sont habitués à répondre à cette question. Tout le monde complète un rapport d'impôt, et peut-être que celui qui ne prépare pas son rapport d'impôt ne serait, de toute façon, pas un bon candidat pour être juré. Avez-vous pensé à cela?
M. Gagnon : Oui, d'ailleurs cela apparaît dans notre rapport; c'est-à-dire que la Loi électorale, donc les renseignements utilisés pour constituer la liste électorale réfèrent aux données de Revenu Canada. Nous suggérons que la réponse à cette question qui est demandée au niveau de la langue de correspondance soit aussi communiquée pour former la liste électorale et éventuellement être utilisée.
Le sénateur Comeau : J'aimerais avoir une discussion privée avec vous concernant le recensement et ce document. J'ai de graves inquiétudes au sujet de son utilisation parce que les parlementaires ont décidé de briser cette promesse l'année dernière et j'ai des inquiétudes au sujet de toute utilisation du recensement.
M. André : À titre purement informatif, la façon de procéder au recrutement des jurés francophones est un petit peu amusante. C'est-à-dire qu'il y a quelques années la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique a accepté de demander à ses membres s'ils voulaient bien être sur ces listes. Il fallait déjà qu'ils soient membre de la fédération et qu'ils acceptent. Une liste a été créée et comptait 450 personnes. Les shérifs utilisent cette liste et les gens sont convoqués très régulièrement pour des procès. Les shérifs, lorsqu'ils arrivent en bout de liste, vont dans les bâtiments de la francophonie et délivrent des assignations à comparaître à tous les francophones.
Le sénateur Jaffer : Pour augmenter le nombre de gens qui parlent français, le gouvernement offre des cours de français pour les juges et les avocats de la Couronne. Aimeriez-vous avoir des cours de français pour les avocats qui représentent les francophones à la cour?
M. Gagnon : Définitivement, oui. Un des projets de l'Association des juristes d'expression française de la Colombie- Britannique était de dispenser des cours de terminologie juridique. C'est un programme financé par le gouvernement fédéral. C'est une subvention que l'association a obtenue pour former des juristes. C'est un travail extrêmement important.
Revenons à la case départ : il faut travailler aussi sur le recrutement. C'est une chose de former les gens qui sont déjà présents, mais il faut aussi penser à recruter des gens qui sont déjà bilingues. Il y a des personnes bilingues en Colombie-Britannique. Il s'agit de faire le pont entre la 12e année et les études supérieures. C'est comme cela qu'on va en arriver à former une main-d'œuvre bilingue.
Dans un monde idéal, dans l'avenir, la formation sur le terrain deviendra peut-être moins nécessaire parce que les avocats, les procureurs, et le personnel judiciaire seront déjà bilingues. Parce qu'on aura passé à travers tout le système d'éducation jusqu'à la 12e année.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Cette idée m'a beaucoup intéressée. En fait, je n'en avais jamais entendu parler auparavant, et je pense justement à cette transition depuis que vous en avez parlé, monsieur André. Est-ce que vous parlez des personnes qui ne peuvent aller au collège ou à l'université et qui passent donc directement de l'école secondaire au marché du travail? À quoi ressemblerait ce genre de programme de transition?
M. André : C'est une très bonne question. Mais je parlais plutôt des personnes qui terminent leurs études secondaires. Il y a moyen de le faire. C'est possible. Là nous ne parlons que du droit, mais il y a d'autres domaines où il faudrait le faire également — par exemple, la possibilité d'étudier la common law en français, mais les gens doivent être informés. Par exemple, ce serait intéressant d'accorder une subvention aux personnes qui souhaitent faire ce genre de choses à condition qu'elles restent en Colombie-Britannique pendant deux ou trois ans après avoir terminé leurs études. Ainsi elles auraient de bonnes raisons de vouloir rester. Elles recevraient des fonds pour poursuivre leurs études, et elles seraient un atout pour notre marché du travail en Colombie-Britannique. Voilà donc un moyen d'assurer ce genre de transition.
Le sénateur Jaffer : Vous avez parlé de la common law. Si quelqu'un fait son droit, va-t-on lui offrir un cours de terminologie, ou va-t-il faire toutes ses études en français?
M. Gagnon : En Colombie-Britannique, le seul domaine où l'on puisse exercer le droit en anglais est celui du droit criminel. À l'avenir, les étudiants en droit qui peuvent s'exprimer en français pourraient donc avoir la possibilité d'étudier le droit criminel en français, par exemple. Ce serait un début.
Pour ce qui est des autres emplois liés au système judiciaire, il existe, si je ne m'abuse, un collège qui s'appelle le Justice Institute of British Columbia où l'on forme les shérifs et les agents de police. Si le Justice Institute of British Columbia pouvait offrir certains cours en français — mais non des cours de terminologie — sur le travail du shérif, par exemple, ce serait déjà un début pour ce qui est de préparer la main-d'oeuvre à travailler dans un domaine où l'on a vraiment besoin de travailleurs bilingues.
M. André : Une autre façon de bien assurer la transition — et voilà quelque chose qui correspond peut-être à l'expertise du comité — serait de prévoir que les administrations qui s'installent ici créent un programme d'échanges et d'information en vue d'accueillir les étudiants capables de parler français qui souhaitent travailler dans la fonction publique fédérale. Il faut les préparer à devenir la prochaine génération de fonctionnaires.
Le sénateur Jaffer : Que pensez-vous de l'idée que le système judiciaire participe directement à l'organisation d'un échange de juristes entre le Québec et la Colombie-Britannique? Ne parlons pas de « juristes », parce qu'il existe déjà un tel programme pour les juges; ce serait plutôt pour les avocats.
M. André : C'est une idée intéressante, sauf que 1,2 p. 100 de la population parle français et 7 p. 100 parlent les deux langues, et par conséquent, je préférerais avoir accès à ces personnes-là. Il ne s'agit pas — je ne vais pas parler de « discrimination positive », mais disons simplement qu'il serait bon de se prévaloir des ressources qui existent déjà avant de commencer à organiser autre chose.
M. Gagnon : L'avantage d'un échange, c'est que cela permettrait de régler le problème de façon ponctuelle, mais sans jamais permettre d'en connaître les causes profondes, c'est-à-dire la nécessité de former les gens dès le départ.
Le sénateur Jaffer : Cette idée de transition me fascine. Je suis entièrement d'accord avec vous pour dire qu'entre les études secondaires et l'entrée sur le marché du travail, il faut absolument trouver le moyen de se servir de ces ressources, surtout si nous allons continuer à avoir des diplômés des écoles d'immersion. Je songe aussi aux autres personnes dont vous avez parlé — à savoir ceux et celles qui ont fait les écoles d'immersion mais ont étudié à l'université par la suite, et qui ont peut-être perdu les connaissances qu'ils avaient acquises précédemment. C'est une idée fascinante, mais je ne suis pas sûre de savoir comment on pourrait y donner suite. Dans mon esprit, ce concept est encore un peu problématique.
M. Gagnon : Je crois que l'Université Simon Fraser offre un programme en français. C'est un début.
[Français]
Le sénateur Tardif : J'aimerais revenir sur la question de la formation des jeunes et votre problème de recrutement de ressources bilingues. Je ne sais pas si vous parlez de l'ensemble de la population ou simplement pour la formation en droit?
M. Gagnon : C'est essentiellement la formation pour le système judiciaire. Il existe des institutions fédérales, mais dans le créneau dans lequel nous évoluons, c'est l'accès à la justice en français. Il y a seulement en matière criminelle en Colombie-Britannique qu'on peut avoir accès à la justice en français, c'est-à-dire d'être entendu par un juge qui parle français, ou un procureur qui parle français ou des jurés bilingues. On ne connaît pas l'avenir, mais pour le moment lorsqu'on parle de recrutement et de formation, on parle du milieu de la justice.
Le sénateur Tardif : J'étais auparavant à la Faculté Saint-Jean de l'Université d'Alberta et plusieurs de nos étudiants ont fréquenté l'Université d'Ottawa ou de Moncton pour faire leurs études en droit, en common law, en français. Il y avait des ententes entre nos différentes institutions. Je pense que le programme de l'Université Simon Fraser est surtout pour la formation des maîtres et pour l'administration bilingue. Cela ne touche pas la question de la justice et du droit.
M. Gagnon : Vous avez raison, le travail est à faire. Pour un étudiant, d'aller étudier à l'autre bout du pays, ce n'est pas des conditions idéales pour parfaire sa formation. Nous travaillons à ce que la formation puisse se faire localement.
Le sénateur Tardif : De là l'idée de bourses comme moyen d'appuyer les études ou bien de demander aux institutions de préparer un cours comme tel à votre demande. Cela pourrait être intéressant de se tourner vers une institution et de leur fournir les preuves de la demande et d'opérer de cette façon.
Combien de juristes compte l'Association des juristes d'expression française de la Colombie-Britannique?
M. André : On est une soixantaine de membres. On est en progression constante. Il faut savoir que si vous consultez l'annuaire des avocats en Colombie-Britannique, il y a à peu près 300 personnes qui se déclarent ou francophones ou bilingues. Mais nous tentons de toucher aussi le milieu des étudiants. Nous organisons des événements où ils sont invités. Par exemple, nous avons des rencontres avec des juges de la Cour suprême et nous essayons de faire venir les étudiants pour leur faire comprendre qu'il y a un monde francophone dans le droit et peut-être en Colombie- Britannique aussi.
Le sénateur Tardif : Les défis que vous avez seraient-ils les mêmes que dans les autres provinces de l'Ouest? Avez- vous des échanges entre, par exemple, l'Association des juristes d'expression française en Alberta, en Saskatchewan et ailleurs?
M. Gagnon : Il y a une Fédération des associations de juristes. Toutes les associations de juristes sont membres de cette fédération. La Fédération se consulte et se réunit. La Fédération a des projets également. Maintenant, il faut comprendre que la situation linguistique varie d'une province à l'autre de façon très sérieuse.
La Colombie-Britannique, comme je le disais, a accès à la justice seulement en matière criminelle et aux juridictions de compétence fédérale. Alors oui, il y a une fédération, et il y a une consultation. Mais on n'est pas tous rendu au même niveau. En Colombie-Britannique, il faudrait se rendre au même niveau que le Manitoba ou la Saskatchewan. C'est le travail que nous faisons.
Le sénateur Losier-Cool : En 2010, il y aura les Jeux olympiques et paralympiques d'hiver à Vancouver. Tout le monde le sait et c'est une des raisons premières pourquoi nous sommes ici. Le comité a entendu les différents organismes qui travaillent à cet événement. Lorsqu'il y a des événements de cette envergure, il y a toujours malheureusement des accidents ou des choses de ce genre.
J'ose croire que votre association de juristes laissera savoir aux organisateurs, que ce soit par le COVAN ou par la ville de Vancouver, la disponibilité d'avoir des services judiciaires en français si jamais besoin il y a. Vous nous dites que vous avez 70 membres francophones, alors c'est simplement pour faire connaître vos services aux organismes qui organisent les Jeux olympiques et paralympiques d'hiver de 2010 à Vancouver? Est-ce que cela peut se faire?
M. André : Cela peut se faire et cela se fera. Non seulement pour les organismes qui organisent les Jeux olympiques, mais aussi à la population. Nous commençons à partir de l'année prochaine. On a reçu une nouvelle subvention à ce sujet par le ministère de la Justice du Canada. Nous allons publier des brochures d'information en français pour la population, disponibles le plus tôt possible dans les lieux publics, qui les informera de leur droit en français. Et nous espérons continuer cela pour les Jeux olympiques, et bien sûr, les organismes et la population.
Le sénateur Robichaud : Vous dites que si on regardait dans le bottin téléphonique on trouverait probablement 300 avocats qui se disent bilingues?
M. Gagnon : Je pense que Me André référait à l'annuaire des avocats publié par la province.
Le sénateur Robichaud : Ces gens ont-ils tous été formés à l'extérieur de la province?
M. Gagnon : Je l'ignore. Il faudrait leur demander directement. Mais il n'y a pas possibilité d'étudier le droit en français en Colombie-Britannique.
Le sénateur Robichaud : Alors le fait d'offrir un service bilingue, c'est tout simplement le fait que nous puissions nous parler dans les deux langues si je vais vous voir? Cela ne veut pas dire qu'on a suivi tout le programme de droit en français?
M. Gagnon : Oui. Mais il demeure quand même qu'au niveau des avocats de la défense, par exemple, ou des gens qui pratiquent le droit criminel, là où le service est en français, l'accès à la justice en français existe. Je pense qu'il y a peut- être, sauf erreur, entre cinq et dix avocats qui font du droit criminel en français dans la province. Alors les gens qui s'affichent comme étant des juristes et parlant français, ne pratiquent pas dans ce créneau. Ils peuvent pratiquer le droit des affaires, mais je l'ignore.
Toutefois, en ce qui concerne l'accès à la justice en matière criminelle, il y a en Colombie-Britannique, très peu d'avocats qui pratiquent en défense. D'ailleurs, dans notre rapport vous retrouverez des statistiques sur le nombre de procureurs et de juges dans la copie complète du rapport. Jusqu'à tout récemment, il n'y avait que deux ou trois greffières bilingues. Je dis deux ou trois, car il y en avait une en formation. Techniquement, il ne peut pas y avoir plus de deux procès en français en même temps en Colombie-Britannique. C'était à tout ce problème qu'on s'adressait.
Il faut comprendre que la définition que nous avons de « juriste » est large, en ce sens qu'on veut rejoindre les sténographes, les gens qui travaillent comme greffier et aussi les shérifs, car c'est ce qu'on essaie d'identifier, là où il faut combler des lacunes.
Le sénateur Robichaud : Cela veut dire que les francophones doivent attendre pour que les services soient disponibles? À mes yeux, si on attend trop longtemps, justice n'est pas rendue. N'est-ce pas? Cela arrive souvent?
M. Gagnon : Je ne peux pas vous dire qu'à ce jour il y a eu pénurie, mais il faut selon notre point de vue préparer l'avenir. Quand on parle, par exemple, d'avocats, de juges ou de personnel judiciaire qui prendra la relève, il faut, selon notre approche, avoir des structures en place au départ, pour faire face à la demande si elle se présente, et il y a un accès à la justice en français en matière criminelle seulement.
D'ailleurs, notre rapport l'identifie. Il n'y a pas vraiment de statistiques à savoir combien de procès il y a par année. Il faudrait analyser les statistiques au niveau de la criminalité également. Il peut y avoir des années où la demande est forte et des années où la demande est plus faible. On ne peut pas contrôler cela. Mais au moment où il y a la demande, il faut pouvoir y répondre. Par exemple, dans le cas du rapport sur les jurés, vous verrez que la question de recruter des jurés bilingues est problématique à l'heure actuelle.
M. André : Par rapport à ce que vous disiez, à savoir s'il y a un risque que cela se passe en pratique, des entrevues ont été données pour l'élaboration de ce rapport. Des shérifs, des procureurs nous ont dit qu'il y a des cas où les gens tout simplement ont décidé de passer en anglais.
Le sénateur Robichaud : C'était ma prochaine question.
M. André : Parce que cela prend du temps et coûte de l'argent.
Le sénateur Robichaud : Vous dites que cela coûte de l'argent?
M. Gagnon : Par exemple, en Colombie-Britannique, une des pratiques pour résoudre le problème de l'accès à la justice en français c'est qu'on a centralisé toutes les causes, par exemple devant jury, dans une région près de Vancouver. Ce qui fait en sorte que pour des personnes accusées qui viennent du nord de la province, et cela implique des dépenses pour venir être jugées à Vancouver quand on habite par exemple à Fort St. John. Même chose pour les témoins, que ce soit les témoins de la défense ou les témoins de la poursuite. Cela implique que tous ces témoins devront être déplacés dans un centre précis et qui est souvent loin de là où le crime a été commis. Et même généralement où il est jugé.
Cela implique des coûts, car on fera voyager des procureurs ou des juges. Dans le cas des procès qui ne sont pas devant jury, les juges, les procureurs et les avocats voyagent dans les régions, mais quand il y a procès devant jury, tout est centralisé ici. Oui, en ce sens, cela implique des coûts additionnels.
Le sénateur Robichaud : C'est la raison pour laquelle vous réclamez la création de trois zones?
M. Gagnon : Oui, la création de trois zones, l'identification et le recrutement de jurés potentiels dans les régions.
Le sénateur Robichaud : Dans ces zones?
M. Gagnon : Oui. C'est basé sur les résultats, comme on l'indique dans le rapport de Statistique Canada qui indique qu'il y a une population francophone qui varie entre 1 et 2 p. 100 dans à peu près toutes ces régions.
Le sénateur Robichaud : Alors, si je veux un procès en français, il faudrait que je vienne dans cette région. Mais si je décide, selon la recommandation de mon conseiller de l'avoir en anglais, alors cela se fait n'importe où dans la province?
M. Gagnon : Exactement.
Le sénateur Robichaud : C'est une façon beaucoup plus rapide et on n'a pas les mêmes délais.
M. Gagnon : Au niveau de la sélection des membres du jury, ce sera plus rapide, plus ou moins. Mais la difficulté c'est, encore une fois, au niveau des procès devant jury, donc d'identifier les candidats bilingues dans les deux langues officielles. Au niveau du processus de sélection, cela demande aussi plus de temps.
Le sénateur Robichaud : C'est un problème qui n'est pas facile à régler, n'est-ce pas? Je vous souhaite bonne chance. Qu'est ce que Justice Canada fait? Ils sont saisis du problème?
M. Gagnon : Vous verrez, à la lecture de la copie complète, qu'il n'y a pas que la Colombie-Britannique qui vit ces difficultés. Presque toutes les provinces canadiennes vivent ces difficultés. Même le Québec, dans des régions plus éloignées, vit la même difficulté. Et souvent, les procès doivent être transférés des régions vers les grands centres, le plus souvent à Montréal.
Mais, par exemple, la raison pour laquelle on fait référence à la Loi électorale et au recensement, c'est pour répondre à une réalité bien canadienne. C'est un grand pays. C'est un pays qui est bilingue — en tout cas, il l'est dans l'administration de la justice pénale. C'est un pays dans lequel le droit d'être jugé par ses pairs devant un jury est un droit constitutionnel. Alors il faut prendre les moyens pour pouvoir exercer tous ces droits. Si cela veut dire demander aux Canadiens s'ils sont bilingues, francophones ou anglophones, pour éventuellement être en mesure de former un jury de 12 personnes, il faut prendre ces moyens pour être capable d'identifier les citoyens et identifier la population.
Le sénateur Tardif : Votre association a-t-elle l'occasion de travailler de près avec d'autres associations francophones de la province et de la communauté francophone? Également, avez-vous eu la chance d'observer les implications des changements apportés à l'article 41 de la Loi sur les langues officielles qui parle de mesures positives?
M. André : L'Association travaille effectivement avec d'autres associations francophones. Je vous dirais qu'actuellement, on essaie d'augmenter le plus possible cette proportion. Le problème qu'on rencontre, surtout de la part du public, c'est qu'on peut donner des conseils juridiques. On n'est pas là pour donner des conseils juridiques au public et aux associations, mais nous essayons de participer à la vie associative et de travailler avec eux. La remarque que je vous ai faite par rapport aux shérifs qui viennent délivrer des assignations dans d'autres associations, ce phénomène participe un petit peu à cela. C'est un problème qui nous a été référé et que je vous relaie.
Le sénateur Comeau : Maître Gagnon, vous avez mentionné que vous trouvez un moyen pour identifier les anglophones et les francophones. Ne voulez-vous pas plutôt dire qu'il faut identifier les gens qui sont bilingues et les gens qui ne le sont pas?
M. Gagnon : Oui, c'est-à-dire que si on lit religieusement l'article 530 du Code criminel, il peut y avoir des procès en français, en anglais ou dans les deux langues officielles. Mais vous avez parfaitement raison, en ce sens qu'un procès qui se déroule en français en Colombie-Britannique, là où des témoins témoigneront en anglais; un policier ou une victime, par exemple il faudra avoir un jury, de façon pratique, qui parle les deux langues officielles.
Le sénateur Comeau : Ce n'est peut-être pas la réalité, mais j'ai toujours pensé que les gens n'étaient pas nécessairement très désireux de servir en tant que juré. Peut-être est-ce que je me trompe, et peut-être que les gens aiment cela servir en tant que juré. Mais si ce n'est pas le cas, est-ce que les gens n'essaieront pas d'éviter d'être sur des listes afin de ne pas à avoir à servir en tant que juré?
M. Gagnon : Les listes électorales sont constituées depuis des décennies. On va poser également la question au gouvernement provincial, afin de faire les amendements nécessaires pour identifier ceux qui sont bilingues en Colombie-Britannique. Quand un individu ou un citoyen décide de s'inscrire sur la liste électorale, cela lui donne le droit de voter et cela fait partie de ses premières prérogatives de citoyen. Mais il n'y a pas de droit qui ne vienne non plus sans obligation, alors si une personne s'inscrit sur la liste électorale, cela implique potentiellement que cette personne puisse être appelée à siéger en tant que juré.
Le sénateur Comeau : Finalement, si une personne a été identifiée comme étant bilingue et pouvant être choisie pour servir en tant que juré, cette personne alors ne devient-elle pas deux fois plus candidate à être choisie en tant juré, puisqu'elle est inscrite, en quelque sorte, sur deux listes? Est-ce qu'elle pourrait être retirée de la liste générale si elle faisait partie de la liste des personnes bilingues? Est-ce qu'on pourrait leur offrir, cela?
M. Gagnon : Une des personnes interviewées dans le cadre du rapport faisait cette suggestion, c'est-à-dire qu'une personne qui a déjà servi comme juré soit exemptée pour un certain nombre d'années.
Le sénateur Comeau : Ou même être sur la liste bilingue.
M. Gagnon : Demeurer seulement sur la liste des bilingues au lieu de demeurer dans le lot de tous les autres?
Le sénateur Comeau : Oui.
M. Gagnon : C'est une suggestion très intéressante.
Le sénateur Murray : Si j'étais francophone et bilingue en Colombie-Britannique, accusé d'un crime quelconque, et que je me rends chez un avocat qui serait probablement un anglophone unilingue; et que je lui dise que je suis plus à l'aise en français qu'en anglais, mais lui me dise qu'il ne peut pas prendre mon cas, sauf que si je veux bien qu'il me représente, je dois me rendre à la cour anglaise. Je ne suis pas très bien éduqué, je ne connais pas tous mes droits au plan linguistique. Quels moyens et quelles ressources sont à ma disposition en tant que francophone accusé dans un cas comme celui-ci? Vous comprenez ce que je veux dire?
M. Gagnon : Oui. Le Code criminel prévoit actuellement qu'un accusé, par exemple qui se présente seul pour la première fois devant la cour, doit être informé de son droit d'être jugé dans les deux langues officielles. Les accusés qui sont représentés par avocat, il y a certaines provinces, par exemple, qui prévoient dans le code de déontologie, celui de l'Ontario notamment, qu'un avocat doit informer son client de l'existence...
Le sénateur Murray : Pas en Colombie-Britannique?
M. Gagnon : Non, il n'y a pas cette obligation en Colombie-Britannique. Maintenant, c'est pour cette raison qu'on travaille à la formation et au recrutement de juristes bilingues. Parce que l'absence de juristes bilingues...
Le sénateur Murray : Des juristes et des juges — des avocats?
M. Gagnon : L'absence d'avocats bilingues. Actuellement, vous avez raison, c'est une limitation au choix de l'accusé de pouvoir opter pour un procès dans une langue ou dans l'autre.
La présidente : Je vais me réserver la dernière question. Ma question est en rapport aux deux raisons principales pour lesquelles le comité s'est déplacé à Vancouver. L'une de ces deux raisons étant la décentralisation des bureaux fédéraux vers les régions bilingues. Je me demandais si vous aviez une opinion à partager avec nous concernant l'utilité pour le gouvernement fédéral d'adopter un règlement pour encadrer l'application de la partie V de la Loi sur les langues officielles en matière de langue de travail?
M. Gagnon : Encore une fois, je pense que Me Benoît en a discuté un peu au début de sa présentation. Dans la réglementation concernant l'article 41 il y a la possibilité de créer des programmes avec les provinces. Pour faire un lien avec ce dont on a discuté aujourd'hui, le recrutement de main-d'œuvre bilingue devrait être encouragé. Le recrutement local de main-d'œuvre bilingue devrait être encouragé en Colombie-Britannique.
La présidente : Le recrutement ferait partie de l'application, et ce à titre d'exemple?
M. Gagnon : Oui.
La présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose, Maître André?
M. André : Non, mais ce fut un plaisir de parler avec vous.
La présidente : J'aimerais vous remercier, messieurs, d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Je vous souhaite bon succès dans votre travail qui est sûrement très important. Nous passons immédiatement au prochain groupe de témoins.
Honorables sénateurs, vous vous souviendrez qu'à une réunion antérieure du Comité sénatorial permanent des langues officielles, le sénateur Jaffer avait émis le désir que nous rencontrions, lors de notre passage à Vancouver, des immigrants d'expression française de sa connaissance. Ceci afin que nous puissions entendre de vive voix leur expérience de nouveaux arrivants dans un pays bilingue et les défis qu'ils rencontrent.
Les témoins devant nous ont donc été identifiés grâce aux bons soins de notre collègue, le sénateur Jaffer, et nous la remercions. Ils se sont montrés très enthousiastes à son invitation.
Il s'agit de M. Moussa Magassa, de Mme Lily Mudahemuka, de M. Jamal Nawru, M. Tanniar Leba et Mme Chantal Gaza. Bienvenue à vous tous et toutes. Nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd'hui. Je comprends que vous avez convenu entre vous que deux personnes parleraient pour une courte présentation : Mme Mudahemuka et M. Magassa, mais que vous êtes tous les cinq disposés à répondre ensuite aux questions du comité. Est-ce exact?
Lily Mudahemuka, à titre personnel : Oui. Madame la présidente, permettez-moi de commencer cette audience en disant merci à toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à cette rencontre parce que c'est un honneur et une occasion unique pour nous, Africains, de rencontrer les membres du Sénat. Mais je pense que cela va dans l'autre sens également, car c'est une occasion pour les membres du Sénat de rencontrer la communauté africaine. Pour nous, c'est rare que quelqu'un nous dise : « Dites-moi ce que vous avez sur le cœur, je vous écoute. ».
En tant qu'Africains, nous sommes habitués à nous battre; du matin au soir, on court. Nous vivons et on n'a pas le temps, en fait, de réaliser que quelqu'un peut nous dire : «Oui, je suis là. Dites-moi ce que vous avez à dire.». C'est pour cette raison que cette rencontre est très importante pour nous. En même temps, c'est une chance parce que nous pourrons parler des difficultés que nous rencontrons. C'est dommage, car ce que nous dirons est beaucoup plus négatif, mais nous avons aussi le côté africain chaleureux que nous traînons avec nous.
Aujourd'hui, l'obstacle majeur que nous rencontrons, en tant qu'Africains francophones vivant en milieu minoritaire, c'est la langue. La langue englobe tous les problèmes que nous rencontrons, que ce soit un problème de logement, d'immigration, ou de services que nous demandons. Cela peut aussi être des problèmes dans nos recherches d'emploi.
Je vous parlerai de problèmes de langue et de problèmes socioculturels, et M. Magassa partagera avec vous les problèmes que nous rencontrons au niveau de l'immigration et des services.
La langue française, bien que nous la parlions, pour la plupart des Africains ce n'est pas notre vraie langue maternelle. Nous venons de pays où nous avons nos langues et nos dialectes. Mais vu que la plupart des personnes ici viennent d'anciennes colonies françaises, cela s'impose. On a fait nos études en français, ce qui nous permet de fonctionner. Alors quand on arrive ici, surtout à Vancouver, dans un milieu anglophone, on doit apprendre la langue. Ce qui n'est pas évident parce que cela nous fait une troisième ou une quatrième langue pour certaines personnes.
Malgré cela, on se bat pour apprendre l'anglais. Parce que si nous avons choisi de venir ici, c'est pour s'intégrer et pour contribuer à la vie de la communauté à Vancouver. Nous réalisons que non seulement c'est difficile d'avoir accès au cours d'anglais moins chers — d'abord cela coûte de l'argent, mais que la plupart des immigrants ne sont pas capables de se payer ces cours.
Parmi ces immigrants, il y en a deux types : ceux qui ont choisi d'immigrer au Canada et qui se sont préparés, et un autre type d'immigrants : ceux qui n'ont pas choisi du tout de venir au Canada. Mais qui, à cause de circonstances liées à la guerre ou autres, se retrouvent vraiment ici sans choix.
La langue pour ces personnes est vraiment difficile. Je dirais même que oui, c'est vrai, il y a des institutions et des écoles qui offrent des cours d'anglais aux nouveaux arrivants et qui ne coûtent pas cher, mais permettez-moi juste de vous dire que ces cours, de niveaux I, II et III sont vraiment des cours de base. Je ne dirais pas que c'est juste pour apprendre comment aller chercher du sel au supermarché, mais presque.
La plupart des Africains qui arrivent ici sont des Africains intellectuels qui ont déjà un niveau d'études universitaires, et lorsqu'on ajuste ce niveau, nous comparons avec l'expérience que nous avons et cela crée un manque de confiance. Moi qui suis journaliste de formation, je n'oserais jamais demander un emploi à CTV ou ailleurs, et je sais que Radio-Canada français ne pourra non plus combler, avoir des postes pour tous les journalistes francophones. Lorsque je suis arrivée à Vancouver, mon but était de pouvoir apprendre l'anglais et fonctionner dans mon domaine. Donc la langue est un obstacle majeur pour moi, et quand je dis « moi », j'ai avec moi tous les Africains.
Je ne sais pas si le gouvernement — je ne sais pas si c'est au fédéral ou au provincial — pourrait nous aider, nous accommoder avec un système d'éducation où l'on pourrait apprendre l'anglais pour moins cher. Parce que l'on ne demande que cela. En arrivant ici, on comprend qu'étant dans une province anglophone, il nous faudra donc s'attendre à travailler et à fonctionner en anglais.
La langue anglaise est un problème pour nous, pas seulement au niveau de l'emploi, mais aussi au niveau de l'intégration. Je ne saurai jamais ce qui se passe dans la rue à côté. J'aimerais beaucoup m'impliquer, mais vu que cela se passe en anglais, je suis bloquée, je ne peux pas y aller. Un autre exemple : je milite pour la cause de la femme, mais vu que toutes les instances sont en anglais, ils ne vont pas entendre ma voix ni mon point de vue. Je resterai frustrée et, à cause de cela, je ne suis pas épanouie. Je suis donc aigrie et ma vie est un désastre.
Certains, parmi nous, ont pu avoir une chance de faire un revirement. Je peux me dire que je réalise que je ne peux pas avoir un travail dans mon domaine, mais comme le Canada met en avant la polyvalence, je vais chercher un autre travail dans un autre domaine. D'accord, je peux avoir un travail dans un autre domaine, mais finalement, je serai toujours aigrie parce que je ne fais pas le travail que j'aime. Je fais un travail de survie qui me permet de payer mon loyer et mes factures, mais qui n'est pas vraiment un métier que j'aurais aimé.
La plupart d'entre nous avons un problème de reconnaissance de diplôme lorsque l'on arrive. Nos diplômes ne sont pas reconnus alors que nous avons un système français et belge. Même avec cela, c'est vraiment un problème.
Je vais donner un exemple d'un père de famille qui arrive avec son épouse et quatre enfants. Il est ingénieur. Il rencontre le problème de la langue, mais ensuite, il doit prendre n'importe quel travail qui lui est offert. Vancouver est très cher. Pour survivre, il lui faut deux emplois. Par conséquent, comme ils ont des enfants mineurs, la femme ne pourra pas contribuer au financement du couple. Elle est donc contrainte de rester à la maison et monsieur aura deux boulots; il pourra, le matin, être au service à la clientèle dans un magasin à rayons, et le soir, il pourrait peut-être être livreur de pizzas. Déjà il est aigri parce que ce n'est pas son domaine, mais en plus, quand il rentre à la maison le soir, son épouse, qui reste toute la journée à la maison, lui dit qu'elle a besoin d'argent pour acheter les couches des enfants, qu'elle a besoin de ceci et de cela. Cela peut aller une fois, deux fois, mais après trois fois, l'homme est fatigué de toujours se voir demander quelque chose.
Tout cela, c'est indirectement, mais j'aimerais que vous compreniez que cela crée un désastre dans le couple. Nous, dans la communauté africaine, on assiste à des couples qui se séparent et on ne comprend pas parce que le sens de la famille en Afrique est très important. En Afrique, le divorce est récent. On ne connaît pas cela parce que chaque fois qu'il y a un problème, il y a des parents, et même le village s'en mêle, avant de vous donner l'autorisation de vous séparer. Alors qu'ici, un point sensible fait éclater le couple. Il y a des couples qui étaient mariés depuis 20 ans, qui ont eu bien sûr des hauts et des bas, mais dès la première année au Canada, le couple a éclaté. On se demande pourquoi, on pense que ce sont des problèmes liés aux problèmes conjugaux mais tout part de la langue. Parce que la langue, étant donné que je ne peux pas m'épanouir dans ma vie quotidienne, cela engendre tous les problèmes.
Autre chose de primordial : tout à l'heure, je disais que si jamais je n'ai pas un emploi dans mon domaine, je suis obligée de prendre n'importe quel emploi. Mais là aussi, cela dépend. Pour les gens qui ont eu la chance d'aller à l'école, ils peuvent jongler avec cela. Mais imaginez quelqu'un qui arrive d'un camp de réfugiés, cela fait quatre ans qu'il y est; il a vécu une misère. Il arrive dans une province anglophone qu'il n'a pas choisie. Déjà, faire la connexion entre sa vie passée dans son pays d'origine et la transition dans un camp de réfugiés, il arrive ici, c'est toute une adaptation. Il ne comprend vraiment pas ce qui se passe autour lui et cela engendre la dépression. Et comme, dans la culture africaine, on ne connaît pas la dépression — parce qu'on ne déprime pas, on trouve toujours une solution aux problèmes —,on dit qu'il est fou. La personne est considérée comme folle. Les premières personnes qui sont cruelles avec ces gens, c'est nous-mêmes, les Africains. On commence à le pointer du doigt, et sa famille commence à se poser des questions. Moi, cela m'a vraiment frappée et m'a permis de me poser une question : comment se fait-il que le gouvernement aimerait que les francophones viennent vivre dans les provinces anglophones, alors qu'il y a déjà cette communauté qui est là, qui vit un désastre, avant même de s'occuper du désastre qui est là, de faire venir les autres? On contribue à créer vraiment des désastres. Peut-être que la meilleure façon est de s'occuper des gens qui sont ici. C'est ce que vous avez fait et ce que vous êtes en train de faire en nous invitant à parler. Je pense que ce serait vraiment important de s'asseoir, même entre nous. Le fait de nous convoquer nous a permis de nous rassembler. La plupart ne se connaissaient pas. Mais la semaine dernière, on s'est assis ensemble et on a débattu de cette question et on s'est demandé quel était, en fait, le problème majeur. C'est pour cela que je salue vraiment l'initiative parce que, vous savez, cela a été comme une thérapie parce qu'on a parlé de nos blessures.
Je suis aigrie parce que quand je suis arrivée ici, heureusement j'étais jeune, j'ai vu que mon diplôme n'était pas reconnu. Je me suis dit que je pouvais retourner à l'école. Je suis donc allée à l'université d'Ottawa et j'ai fait mon journalisme. Mais même avec cela, avec un diplôme canadien en poche, qu'est-ce qui me manque? Cela fait éclater en moi une colère, un désarroi. Mais en même temps, j'espère que cela viendra. Je l'ai fait à l'époque où j'étais jeune, mais j'imagine parmi nous quelqu'un qui est père de famille, qui a des responsabilités et qui ne peut retourner à l'université pour chercher une équivalence canadienne, c'est un désastre.
Je vais maintenant laisser la parole à M. Magassa.
Moussa Magassa, à titre personnel : J'ai un problème souvent avec mon nom. On me demande toujours d'où je viens. Chaque fois, on a cette question. Je vais commencer mon introduction en vous parlant de cela. Mais en soulignant l'autre partie de la présentation des Africains de notre comité, on a pensé mettre ensemble quatre thèmes; deux ont été soulignés par Mme Mudahemuka, la langue et la diversité culturelle. Je vais surtout parler des problèmes d'intégration et d'établissement mais aussi des services qui essaient de répondre à ces problèmes d'intégration.
Si vous me demandez d'où je viens, je vous répondrai d'abord que je suis Canadien et que je suis francophone. Mais je suis également Africain d'origine. Je suis un immigrant; je peux aussi être un réfugié.
Je vais ajouter que cette définition illustre bien le fait pertinent des immigrants africains francophones, et particulièrement en Colombie-Britannique. Elle n'a aucune prétention à vouloir cibler le groupe africain comme un cas spécial mais différent des autres communautés de minorités visibles, de par notre expérience pertinente d'immigration et nos besoins spéciaux, par rapport aux services d'intégration sociale et communautaire, lesquels nous avons désespérément besoin maintenant.
Permettez-moi de m'étendre un peu plus sur les défis d'intégration pour moi et ma communauté d'Africains francophones immigrants. Ce défi se rapporte en plus à la question et au statut d'immigration mais aussi aux services offerts aux immigrants africains francophones. La plupart des immigrants francophones africains ressentent que l'immigration, et plus particulièrement les services d'établissement et d'intégration, manquent de contexte culturel dans ce cadre lié à la langue française. Surtout pour nous, en tant que francophones, nous sentons qu'il y a un manque quand nous parlons de francophones.
Par exemple, dans les questions sociales, il manque aux conseillers travaillant avec les communautés africaines francophones les aptitudes nécessaires pour les aider dans les questions pertinentes des droits de la personne, les histoires de polygamie et de l'égalité des sexes. Je crois que l'exemple de Mme Mudahemuka avec les familles africaines illustre bien ce cas que les problèmes de famille sont aussi liés aux problèmes des droits de l'homme.
En bref, je vais conclure en disant que les problèmes d'immigration se résument à ceci : il y a d'abord ce problème de manque de reconnaissance des acquis, l'équivalence et le problème de flexibilité qui n'existe pas du tout; on a des problèmes de démarche, c'est l'étude des cas. Les statistiques à propos des immigrants francophones africains sont incomplètes et ne reflètent pas la réalité de la communauté africaine francophone car elles ne tiennent pas seulement compte de l'immigration secondaire — beaucoup de francophones immigrants africains vont d'abord au Québec et viennent ici —, mais aussi de l'immigration interprovinciale.
Il y a aussi les questions de la réunification familiale qui se heurtent aux problèmes de la différence de la notion de la famille au Canada. Ceci est très pertinent parce que, moi, ma famille ce n'est pas seulement ma femme et mes enfants, mais c'est aussi ma mère et mes frères.
Il est maintes fois arrivé que des immigrants francophones africains se soient sentis impuissants quand les familles qu'elles veulent parrainer n'arrivent pas à obtenir les documents officiels dans leur pays d'origine. C'est beaucoup de cas, surtout pour les réfugiés. Quand ils quittent, ils arrivent seuls, et pour avoir un suivi, pour que leur famille les suive, c'est toujours un problème.
Il y a aussi des critères de sélection des immigrants francophones africains. C'est également un problème que nous rencontrons dans nos communautés. Il y a de sérieuses lacunes dans l'orientation des immigrants francophones africains dans la culture canadienne. Et pas seulement dans la culture canadienne. Il y avait une émission à la télé, à PBS, à propos des « lost boys », les jeunes du Soudan. Ces jeunes disaient que le défi pour eux était que l'orientation qu'ils ont reçue à l'étranger ne correspondait pas à la réalité ici, en Amérique du Nord.
Finalement, je dirai qu'une programmation à propos des immigrants africains et leur intégration est presque inexistante pour l'orientation des enfants immigrants. La question pour la famille a toujours été et reste que la plupart des services sont pour les adultes, les parents. On a toujours oublié que les enfants aussi vont à travers l'expérience de l'immigration et l'expérience de l'intégration.
Enfin, je vais parler aussi des services d'établissement et d'intégration aux immigrants africains francophones.
Quant aux services aux immigrants africains francophones, notre groupe africain de consultation — et je veux tout d'abord préciser que je vous remercie pour nous avoir donné cette initiative, parce que cela nous a beaucoup aidés à revoir nos propres problèmes et à pouvoir les définir avec une même voix. Donc notre groupe africain de consultation est arrivé à la conclusion que ces services sont insuffisants et souvent non représentatifs des communautés africaines quant à leur expérience et besoins sociaux, culturels et économiques.
Un triste exemple qui illustre bien ce constat est la tragédie de la famille congolaise de New Westminster cette année. Cette famille a vécu, depuis son arrivée au Canada, un cycle de problèmes liés surtout à l'immigration, à l'intégration culturelle, au conflit des générations et aux valeurs liées à l'éducation des enfants.
Les communautés africaines francophones proposent l'implantation des services communautaires pour les enfants et les familles qui sont adéquats à leurs besoins spécifiques, tels que des espaces culturels communautaires pour consolider le sens communautaire dans le cadre de la francophonie, parce que nous sommes francophones et nous en sommes vraiment fiers.
Aussi, en parlant de la diversité culturelle et linguistique, ceci doit être reflété dans les services et la manière dont ils sont financés pour les communautés ethnoculturelles. Il y a un sérieux besoin à développer et soutenir un leadership réel et représentatif pour la communauté africaine francophone.
Pour examiner les questions de conflits dans les communautés et les familles, on pourra par exemple former des médiateurs communautaires et des conseillers spécialisés dans les questions d'intégration.
Les problèmes dans les familles africaines sont habituellement réglés par toute la communauté. Ici on se retrouve devant des inconnus et on n'arrive pas à régler les problèmes parce qu'on n'a pas la communauté, ou les gens qui nous aident n'ont pas cette formation pour comprendre que la première chose à faire est la communauté. On a besoin de médiateurs dans ce cas.
En ce qui concerne les familles, il n'y a pas de structure d'accueil pour les intégrer. Les enfants qui n'ont pas atteint un certain niveau sont placés dans le système scolaire basé sur l'âge, ce qui engendre des problèmes d'apprentissage. Beaucoup de nos enfants quittent l'école parce qu'ils n'arrivent pas à s'intégrer dans le système scolaire à cause du temps passé dans les camps de réfugiés. Ces enfants sont totalement en retard par rapport aux enfants de leur âge au Canada. Alors, quand ils sont intégrés dans le système scolaire, ils n'arrivent pas vraiment à prendre le train en marche.
Enfin, notre groupe a aussi proposé qu'il y ait une recrudescence de services et une promotion pour la représentation des Africains dans ces services sociaux. Il faut aussi soutenir les organismes francophones représentatifs des communautés, ce qui est un vrai problème.
En conclusion, je ne vais pas seulement me présenter comme portant ici un problème. Ce que nous voulons aujourd'hui, c'est souligner les défis que notre communauté rencontre, mais aussi, ces défis ne sont pas seulement pour notre intégration au Canada mais aussi des défis dans notre communauté elle-même.
Je voudrais appeler mes frères africains francophones à continuer à travailler dur pour intégrer les communautés francophones déjà établies et de travailler avec eux, la main dans la main, pour rendre la communauté francophone en général plus accueillante et plus forte. Nous ne sommes pas venus au Canada pour vivre en huis clos, entre nous, mais pour vivre au Canada et avec les Canadiens. Je dirais d'ailleurs que bon nombre d'entre nous sont déjà citoyens. Il faut que nous prenions notre place au sein de la communauté francophone et, pour ce faire, nous devrons démontrer que nous sommes prêts à travailler ensemble avec les immigrants, avec les organismes en place et les aider à répondre à la demande de services en faveur de la communauté francophone africaine, ainsi que les communautés francophones d'origines diverses. Pour ce faire, il faudrait qu'il y ait plus de fonds financiers disponibles pour développer des services aux immigrants francophones africains et autres en collaboration et en partenariat avec toutes les forces vives de la communauté francophone immigrante et la communauté francophone dite de souche.
Enfin, ce n'est qu'en mettant ensemble nos forces, nos expertises, nos visions que nous pourrons bâtir une francophonie diversifiée et multiculturelle, et bien sûr, en recevant l'aide financière du gouvernement, des ministères et instances s'occupant des langues officielles.
Le sénateur Jaffer : Lorsque j'ai suggéré à mes collègues de vous recevoir comme témoins à notre comité, l'idée a été reçue avec beaucoup de chaleur. Madame Mudahemuka est mon professeur de français, et si je ne parle pas bien, ce n'est pas sa faute, mais bien de la mienne.
Madame Mudahemuka, vous dites que votre plus grande difficulté, votre défi est de vous trouver un travail ici en Colombie-Britannique qui pourrait, si possible, donner un sens à vos qualifications. Quel emploi recherchez-vous avec votre éducation? Je crois qu'il est important pour mes collègues de connaître votre expérience.
Mme Mudahemuka : Merci beaucoup. Je suis journaliste de formation. J'ai eu la chance de travailler à la radio à Montréal pendant quatre ans. J'ai également travaillé à TFO, à Ottawa, avant de retourner en France où je travaillais dans un ONG spécialisé dans la résolution des conflits; j'étais leur attachée de presse. Pendant mon parcours, j'ai réalisé que je ne pouvais pas avancer sans anglais. C'était donc mon but en venant à Vancouver. Je fais partie des gens qui ont décidé de venir. C'est peut-être la raison pour laquelle c'est plus difficile parce qu'en voulant apprendre la langue, je rencontre des obstacles, je n'ai pas les moyens de me payer les cours d'anglais à mon niveau, parce qu'en journalisme, il ne suffit pas seulement de parler anglais, il faut également savoir l'écrire, et l'écrire sans faire la traduction du français à l'anglais, parce qu'il y a vraiment des expressions typiquement anglophones.
Le sénateur Jaffer a dit que j'étais son professeur de français. Cela a été un travail de survie. C'est vrai que je suis aussi littéraire, de par mon pays. Je me suis donc dis que tant qu'à être à Vancouver, je pourrais tout aussi bien enseigner le français. Alors je suis professeur à temps partiel au Berlitz Language Centre.
Mon problème, c'est qu'en arrivant à Vancouver, je réalise que finalement, du matin au soir, je ne vis qu'en français. Quand est-ce que j'apprendrai l'anglais? Je travaille en français parce que je ne suis pas capable de travailler en anglais. Mon anglais n'est pas médiocre, j'ai quand même quelques notions, mais ce n'est pas suffisant pour que j'aille travailler dans mon domaine. Quand je suis sur le marché du travail, j'envoie 50 curriculum vitae par semaine et évidemment, après un mois, j'aurai une entrevue. Ils vont sentir mon accent et, tout de suite, je ne serai pas la bonne personne.
Je ne sais pas si je peux qualifier cela de discrimination, mais cela en est une. Je ne les blâme pas, mais s'en est une. Je demande d'avoir une chance de prouver que je suis capable. Je ne suis pas idiote, c'est ce que je me dis.
Et quand je dis que je pense que c'est tous les Africains qui sont ici derrière moi, c'est parce que quelque part, on a un bagage, on a un diplôme. On ne demande que cela. Je parle juste un tout petit peu de discrimination, ce n'est pas vraiment dans le sens négatif, mais cela existe. Et cela existe doublement à cause de la couleur de la peau. La personne voudra embaucher quelqu'un plus pâle avant de m'embaucher, moi. Et c'est vraiment en dernier recours, s'il n'y a vraiment personne d'autre, que j'aurai ce travail. C'est quelque chose que l'on côtoie quotidiennement. C'est normal.
Parfois, en sortant d'une entrevue, je me dis : c'était dans mon domaine, je maîtrise cela, je pense que j'aurai le poste. Et finalement, je ne l'ai pas. En même temps, c'est un problème de travail ici, je ne dirai pas que c'est nécessairement lié à la langue, mais c'est beaucoup plus le réseautage. Ce réseautage, je ne demande qu'à en faire partie. Mais pour en faire partie, il faut que je m'implique dans les centres communautaires, que je participe à telle réunion, que les gens me connaissent, mais je ne peux pas y aller puisque j'ai un problème de langue.
Comment est-ce que je peux m'en sortir, si ce n'est que d'apprendre l'anglais comme il faut? Vous posez la question à savoir où je peux aller? Évidemment, s'il y a une institution qui peut nous permettre d'avoir les niveaux 4, 5 et 6, qui est le haut niveau dans une langue, c'est sûr que je vais l'apprendre. Cela peut être à l'université ou au collège.
Je crois que nous sommes prêts. On ne demande que de travailler et d'être des contribuables. En fin de compte, quand on retourne en arrière, nous, en Afrique, on étudie presque gratuitement, donc cela veut dire que c'est le gouvernement qui paie nos études. On est redevable. Mais malheureusement, on a quitté le pays. En quelque sorte, on est lâche envers notre pays. Alors, on arrive ici, on ne demande que de servir le Canada et on ne le peut même pas.
Je me dis qu'il y a une sensibilisation à faire auprès des employeurs qui sont face aux immigrants. Je me dis que plus vous nous offrez du travail, plus on est contribuable. Finalement, on fait fonctionner l'économie du pays. Mais moins on nous donne de travail, on est sur le bien-être social, on contribue plutôt à ruiner le Canada.
Je me dis que c'est de l'intérêt du Canada de nous ouvrir pas seulement les portes de l'immigration pour venir peupler le pays, mais aussi les portes des emplois. Pour ceux qui ont eu la chance de recevoir l'équivalence de leur diplôme ou qui ont fait leurs études au Canada, on est quand même nombreux. On ne demande que cela.
Le sénateur Jaffer : Y a-t-il d'autres personnes qui voudraient ajouter quelques mots?
La présidente : Il y a deux messieurs qui ont levé la main à l'arrière, mais nous allons recevoir les témoignages des gens à la table pour commencer.
Jamal Nawri, à titre personnel : Je vous remercie de nous avoir reçus. Je voudrais renchérir sur ce que Mme Mudahemuka disait au sujet des immigrants qui ont été choisis par le Canada et qui sont venus. On sait que la grille de choix, c'est l'éducation, les diplômes, l'expérience. Ces gens sont choisis à ce niveau. Pour renchérir encore, le Canada n'a pas contribué à la formation de ces gens. Ces gens sont formés. Donc, le Canada n'a pas déboursé d'argent pour que ces gens viennent et soient éduqués.
Venant ici, on ne reconnaît pas leurs diplômes, alors qu'on les a choisis pour leurs diplômes. On ne les reconnaît pas pour leur expérience, alors qu'on les a choisis pour cette expérience. Et de plus, on ne leur offre pas non plus les services qui vont avec et qui vont leur permettre d'intégrer cette société et de participer à la société aux niveaux économique, social et culturel. Ce que les immigrants veulent — qu'ils soient immigrants d'ailleurs ou réfugiés je suppose aussi —, c'est participer pleinement à apporter leur petite contribution à l'effort qui est fait d'avoir un Canada beaucoup plus fort, et à avoir sa place au niveau international.
On entend souvent les personnes dire que l'on donne de l'argent aux immigrants, et ils ont des services. Mais malheureusement, ces services ne suffisent pas. On va peut-être dire que c'est trop d'argent qui est donné, on ne va pas en mettre beaucoup plus. Et le résultat, qu'on a décrit tout à l'heure, c'est avoir des gens qui sont aigris, dépressifs, des familles éclatées, des enfants qui sont à la rue, dans des gangs. Et tous ces problèmes coûtent beaucoup d'argent au Canada. Mais ces problèmes coûtent au Canada beaucoup plus que ce qu'il lui coûterait s'il investissait dans des services ciblés à ses communautés. Je vais m'arrêter là pour l'instant.
Chantal Gaza, à titre personnel : Bonjour, je suis originaire de Congo-Kinshasa : J'abonde dans le même sens que mes confrères et consoeurs. J'aimerais insister beaucoup plus sur la question de l'immigration. Je partirai de mon expérience pour essayer de vous donner une idée des obstacles que nous rencontrons concrètement sur le terrain.
Je suis arrivée à Vancouver en janvier de cette année seulement. Je suis venue ici non parce que je l'ai choisi, mais à cause de ce qui se passe dans mon pays. Il y a eu toutes ces guerres. Le Congo est un pays ravagé par la guerre. Je me retrouve ici avec du potentiel : femme jeune, intelligente et je veux travailler. Heureusement, je parle français, mais malheureusement, je vis en Colombie-Britannique, une province anglophone. Les immigrants africains se retrouvent ici, comme moi, tout simplement parce que c'est le seul coin du Canada où il ne fait pas trop froid. Il pleut au lieu de neiger et je l'apprécie énormément. Vancouver c'est beau, mais c'est cher.
Pour un immigrant qui arrive, le bien-être social, c'est bien au début mais après, on veut travailler. Quand on travaille, on se sent utile. Le fait de se lever chaque matin pour aller travailler donne l'impression d'apporter et de recevoir. On ne demande pas mieux que de pouvoir travailler, dans n'importe quel domaine, mais surtout dans celui pour lequel on a reçu une formation.
J'aimerais mettre l'accent sur l'information. À notre arrivée, nous ne sommes pas suffisamment informés sur ce qu'on peut faire, vers quels services se tourner où à quelle porte frapper. Nous ne savons pas très bien ce que nous pouvons faire. Quand je suis arrivée, j'ai compris que c'était l'anglais qui comptait ici. Je veux l'apprendre, mais je ne sais pas comment apprendre. Je peux passer toutes mes soirées devant la télé à écouter de l'anglais, mais ce n'est pas suffisant pour travailler.
Je veux aller travailler, mais je ne peux pas avec le niveau de français que j'ai. J'ai dû commencer à chercher du travail auprès des organismes francophones. Vous êtes d'accord avec moi que les organismes francophones ne peuvent pas offrir du travail à tous les immigrants francophones. Il n'y a pas que les francophones africains, il y en a qui viennent d'Europe, de partout. Nous nous retrouvons dans une situation de grande frustration. Nous sommes asphyxiés de potentiel, mais nous ne pouvons pas travailler. Le Canada est un pays formidable. Il nous donne l'occasion de recommencer sa vie à zéro. Mais comment recommencer sa vie à zéro si on ne peut rien faire! C'est comme si on se retrouvait anesthésié, à mourir à petit feu. Quand on est jeune comme moi, on ne peut pas accepter cela.
En tant qu'Africains, nous avons certaines valeurs que nous devons transmettre à nos enfants. Il m'arrive de réfléchir à l'avenir et de me dire qu'un jour j'aurais des enfants. Quel exemple serai-je pour eux? Qu'est-ce que mes enfants retiendront de moi? Ce n'est pas parce que je ne veux pas mais tout simplement parce que je ne peux pas.
Je terminerai en parlant du cas de la famille Etibako dont tous les membres sont morts dans un incendie, il y a quelque mois de cela, à Vancouver. C'est un cas typique des drames que nous vivons en tant qu'immigrants africains. Les membres de cette famille, dix ans après leur arrivée, n'avaient toujours pas reçu leurs documents d'immigration.
Je voudrais parler du fait que le processus d'immigration est très long. Quand on arrive ici en tant que réfugié ou immigrant, on veut refaire sa vie à zéro. On voudrait que les choses puissent aller plus rapidement, si possible, et pourquoi pas. Le Canada est aussi une terre d'accueil. Il n'est pas donné à tout le monde de recommencer sa vie à zéro, et le Canada nous donne l'occasion de remettre le compteur à zéro. Toutefois, à quoi sert-il d'attendre dix ans avant d'avoir sa citoyenneté! Entre-temps, les enfants se retrouvent dans la rue, aux prises avec des problèmes de délinquance. Selon nos valeurs, un enfant ne doit pas se retrouver dans la rue. Il doit pouvoir contribuer au loyer parce que maman ne peut pas le faire ou parce que papa n'est plus là. C'est un problème majeur.
Ce qui est arrivé à cette famille est une catastrophe. Nous l'avons tous déploré, et si nous pouvons faire quelque chose pour changer cela, s'il vous plaît, faisons-le.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Au cas où vous ne seriez pas au courant, une famille congolaise s'est installée ici et cinq personnes sont décédées — une amie, une mère et ses trois enfants. Nous ignorons les conditions dans lesquelles ils sont morts, mais le fait est qu'ils attendaient leurs papiers depuis 10 ans. La mère travaillait fort et elle était très aimée au sein de sa communauté. Presque 3 000 personnes ont assisté à ses obsèques. La communauté a été bouleversée par cette tragédie.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Je suis touché par les témoignages que j'entends. Je suis aussi déçu de voir que vous n'avez pas eu la chance de contribuer à la vie canadienne en fonction de vos talents. C'est dommage. Vous avez parlé d'intégration et de réseautage. Je suis sûr que vous l'avez fait, mais je pose quand même la question : Avez-vous parlé à des représentants d'associations de francophones de Vancouver pour leur faire part des problèmes que vous vivez, comme vous le faites ici aujourd'hui? Avez-vous eu cette occasion?
Tania Leba, à titre personnel : Tout d'abord, je voudrais vous remercier de l'occasion que vous nous donnez d'être ici aujourd'hui. J'ajouterais un petit détail pour clarifier les choses. Nous sommes venus en tant que porte-parole de la communauté africaine. Parmi nous se trouvent des leaders de la communauté qui travaillent pour les associations qui aident des Africains francophones ainsi que des clients de ces associations, qui y sont allés pour demander de l'aide et des services. Vous avez ces deux points de vue.
Il existe des associations francophones ici en Colombie-Britannique. Il y a aussi la notion d'Africains francophones, qui est une particularité. Dans les associations francophones, en général, des services sont offerts aux immigrants francophones.
Elles ne suffisent pas à la demande, comme on l'a souligné plus tôt. Voilà pourquoi nous formons un groupe pour voir comment répondre à ces besoins et pour donner l'occasion aux associations africaines francophones d'être là et d'être actives dans le processus.
M. Nawri, à titre personnel : Je suis ici en tant qu'Africain. J'aimerais souligner que l'Afrique est un continent très vaste. On a tendance à l'oublier parfois. Elle comprend plusieurs pays. À la question qui a été posée sur la communauté francophone, parce que je travaille aussi pour la communauté francophone au plan de l'immigration, il y a, vous devez le savoir, un comité national qui s'occupe de favoriser l'immigration francophone dans les provinces anglophones ou dans les provinces où la communauté francophone est minoritaire. En Colombie-Britannique, la Fédération des francophones a participé à l'élaboration d'un plan d'action à ce sujet. Nous sommes à la mise en œuvre de ce plan d'action.
Il y a des services, mais ils ne sont pas suffisants. Nous pourrions aller beaucoup plus vite si nous avions des moyens pour le faire. Il existe une entente entre Citoyenneté et Immigration Canada et la province quant à la livraison de services pour les immigrants. Je parle des immigrants et non pas des réfugiés, car ceux-ci sont encore sous la juridiction de CIC. Pour ce qui est des services aux immigrants, la province s'en occupe.
Tout à l'heure, on a relevé des problèmes de statistiques. C'est difficile d'obtenir le nombre exact d'immigrants francophones au pays. En général, on a du mal à quantifier les immigrants francophones qu'ils soient Africains ou autres. Citoyenneté et Immigration Canada compilent des statistiques quant aux gens qui ont demandé à s'installer en Colombie-Britannique en tant qu'immigrant. Ce qui est plus difficile à quantifier, ce sont les gens qui viennent d'autres provinces avant d'arriver en Colombie-Britannique. Ces données sont très peu quantifiables. Cela permet aussi à la province, qui a une entente avec Citoyenneté et immigration au Canada en ce qui concerne une clause linguistique, qui stipule que les francophones ont des droits, de dire : que sont ces immigrants francophones lorsqu'on les compare aux immigrants de la Chine, de l'Inde, des Philippines ou du Sud-est asiatique? Nous représentons qu'une infime partie. Cela leur permet de dire : comment va-t-on pouvoir servir toute votre population qui a droit à des services spécifiques en tant que francophones?
De plus, la Colombie-Britannique a choisi pour octroyer les subventions ou du financement de services le système d'appel d'offres. Les gens doivent appliquer pour demander des fonds. Ainsi s'installe une compétition entre les différents organismes. Cela ne se passait pas de cette façon lorsque CIC s'en occupait. Cela fait que les organismes qui étaient là depuis des années étaient beaucoup mieux armés, beaucoup plus expérimentés pour obtenir les demandes de financement qu'ils soumettaient. Parmi ces organismes, plusieurs ont perdu des plumes et ont dû fermer leurs portes. C'était une compétition au plus offrant, plus de services pour moins d'argent possible. Je reviens à ce problème d'argent que je dénonçais tout à l'heure. On ne peut pas enlever à un pour donner à l'autre. Vous pourriez produire un impact dans cette entente si vous demandiez, quant à l'application de cette clause linguistique, comment elle se traduirait au plan des services et des francophones non seulement africains mais aussi d'autres pays.
Cela nous dépasse un peu. Il faut bien admettre que ce n'est pas juste les Africains, mais tous les francophones qui ne bénéficient pas de ces services.
M. Magassa : Nous sommes au milieu d'un débat vraiment très intéressant. Surtout la question que le sénateur Robichaud a soulevée quant au parcours professionnel des gens et sur la façon dont ils comptaient pouvoir contribuer à la société canadienne.
J'ai compris très tôt que les immigrants qu'on accueille ici et qui ont des parcours professionnels peuvent contribuer au développement du Canada ici dans la communauté et non seulement en amont mais en aval. Ces personnes peuvent également servir de pont entre le Canada et l'étranger. Je donne un exemple. Lily, qui est une journaliste, pourrait représenter le Canada à l'étranger pour faire mieux comprendre la culture canadienne. Mon expérience se trouve dans le domaine de l'humanitaire. J'ai étudié en Afrique du sud et ici la résolution de conflits. Lorsque je suis arrivé ici, j'ai pu voir comment les gens des communautés africaines ici, les réfugiés surtout, faisaient la paix entre eux et s'ils traînaient avec eux les problèmes qu'ils avaient en Afrique?
Ce n'est pas seulement une question de regarder l'interaction entre les Africains et les immigrants, mais plutôt un moyen d'aider le Canada et la communauté canadienne pour voir quels sont nos problèmes. On pourrait amener cette connaissance en Afrique. Si au Canada, on arrivait à régler les conflits communautaires, ce serait un très bel apprentissage à partager dans les pays où il y a des conflits. Ces communautés et ces réfugiés peuvent nous aider à travailler dans leur pays d'origine.
Les gens qui viennent ici avec des diplômes et des connaissances n'ont pas seulement besoin d'être intégrés au Canada, d'aider le Canada et de travailler ici, mais leurs connaissances et leur expérience peuvent toujours être utilisées dans les représentations du Canada dans le monde. C'est un point de vue que nous les immigrants, francophones surtout, nous ne voyons pas. Dans les services gouvernementaux où le Canada est représenté à l'étranger, les portes nous sont la plupart du temps fermées. C'est aussi une question dont nous aimerions débattre.
Mme Mudahemuka : Je reviens à la question du sénateur Robichaud, à savoir si nous pouvions ou si nous étions allés solliciter les instances francophones ici. La plupart du temps, en arrivant à Vancouver, notre premier contact se fait auprès d'Éducacentre, du Centre Mosaïque, du Centre d'intégration aux Africains ou de la Fédération francophone de Vancouver. Vous me permettrez de juste vous dire entre guillemets que ces instances servent toute la communauté francophone en général, que ce soit des Africains, des Européens ou des Canadiens de l'est du Canada. La représentation africaine est trop peut importante pour qu'ils aident ces instances à mieux servir la communauté africaine.
Plusieurs parmi nous ici présents travaillent dans une ou l'autre association. Nous faisons de notre mieux, sauf que ce n'est pas vraiment assez. Par exemple, je nommerai Paul Mulangu, qui se joint à nous, qui dirige un Centre d'intégration aux Africains. Il aide les Africains, mais ce n'est pas assez. Je crois que c'est le seul organisme typiquement africain qui existe. Les autres fonctionnent sous les instances francophones. Je dirais que c'est même difficile d'avoir les fonds pour démarrer et fonctionner. Donc c'était juste pour faire un suivi à la question.
La présidente : Merci, madame. Je vais accepter une intervention de M. Mulangu, suivie de celle de M. Masinda. La dernière question sera posée par le sénateur Tardif.
Paul Mulangu, à titre personnel : Madame la présidente, Mandela dit que si vous donnez la parole à un Noir il va parler toute la journée. C'est parce qu'on ne nous a pas donné souvent la parole. Je suis directeur du Centre d'intégration pour les immigrants africains. Cela fait cinq ans que ce centre existe.
Il y a un problème d'information. L'information ne circule pas. En Colombie-Britannique, il faut bien se présenter au point d'information. En venant ici, un Africain qui cherche où aller prendre un FrouFrou ne sait pas où aller. Tu ne peux pas demander à un Chinois ou à un autre, tu dois demander à un Africain. Donc il n'y a pas d'information. Puis il y a un problème de discrimination dont beaucoup de gens ne veulent pas parler. J'en ai toujours parlé. En Colombie- Britannique, le problème, c'est la discrimination.
Il y a des francophones de bouche et des francophones de souche. Si vous êtes des anglophones de bouche comme nous, vous n'avez pas droit aux subventions. Vous avez seulement le droit de venir prendre la parole.
Il y a la fondation Héritage Canada, entre autres, qui donnent des fonds à des organismes, mais nous, en tant que Noirs et Africains n'avons pas droit à ces fonds. Pourquoi? Un problème important, c'est l'expérience canadienne. On nous dit que nous n'avons pas l'expertise canadienne. Comment peut-on obtenir de l'expérience si personne ne veut t'offrir d'emploi parce que tu n'as pas eu d'expérience d'emploi au Canada précédemment. On ne connaît pas notre historique financier. On crée la richesse avec la richesse, alors comment puis-je créer de la richesse si on ne m'aide pas à en obtenir.
Beaucoup de choses ne sont pas claires. Il y a le problème des réfugiés. S'il n'y a pas de formation pour ces réfugiés, toute l'immigration est par terre. L'exemple de la famille Etibako illustre bien les problèmes que les Africains rencontrent. La femme est venue ici en tant que réfugiée, avec ses six enfants. Quand elle est arrivée, on ne lui a pas accordé son statut d'immigrant parce qu'elle n'avait par de carte d'identité. Mais quand on fuit un endroit comme le Congo, on n'a pas toujours le temps de prendre ses papiers d'identité. En Afrique toutes les informations ne sont pas comme ici au Canada, inscrites dans un ordinateur. En Afrique, il n'y a rien dans l'ordinateur. Cela cause donc beaucoup de problèmes pour les réfugiés. Cette mère de famille est venue au Canada et parce qu'elle n'avait pas de papiers d'identité, ses six enfants n'ont pas eu droit à des subventions du gouvernement fédéral. Elle devait avoir deux emplois pour être capable de nourrir ses enfants. Si les enfants voulaient un jeu Nintendo ou autre chose, ils ne pouvaient pas. Ils n'avaient pas de père, seulement une mère qui ne parlait pas bien ni l'anglais ni le français.
Selon nos coutumes, lorsque des personnes décèdent, la famille, les amis, les voisins, toute la communauté en fait se rencontre pendant deux semaines. Aucune instance ne nous a permis d'obtenir un endroit pour cette réunion. Heureusement, le Centre d'intégration pour les immigrants africains que je dirige a pu offrir une place. Nous avons été là pendant deux semaines. Le problème est que nous n'avons pas de subventions. Dernièrement, heureusement, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada nous ont donné des fonds en tant qu'anglophones. Mais en tant qu'Africain et francophone, c'est vraiment difficile de s'intégrer.
C'est vraiment difficile même de recevoir des fonds pour aider nos gens. On fait cela volontairement. Cela fait cinq ans que je fais cela volontairement.
La présidente : Merci beaucoup de votre participation. Si vous avez des informations additionnelles écrites, sentez- vous à l'aise de les remettre à notre greffière.
Mambo Masinda, à titre personnel : Il me semble que nous n'avons pas suffisamment de temps pour étudier la question en profondeur. J'aimerais demander une petite chose, de nous chercher un petit fonds de recherche qui nous permettrait de mettre le doigt sur l'écart entre les besoins des Africains et les services qui sont offerts. Vous auriez un excellent document d'une quinzaine de pages qui vous permettrait de ramasser probablement plus que ce que vous avez ramassé ce soir.
Le sénateur Tardif : Vos témoignages m'ont beaucoup émue et je vais m'assurer de passer votre message. Vous avez raison de dire qu'en tant que pays, nous avons besoin de faire beaucoup mieux dans l'accueil que nous réservons à nos immigrants et à nos réfugiés par les services que nous offrons. J'ai déjà été doyenne d'une institution universitaire. Vous avez raison de dire que toute la question de la reconnaissance des acquis et des diplômes est critique. Parfois j'ai essayé d'obtenir de la reconnaissance pour des diplômes, mais j'ai souvent été bloquée par les autorités provinciales ou des associations professionnelles.
On doit mieux examiner ces situations. Je regrette que vous ayez à vivre des moments difficiles dans votre nouveau pays, mais on va continuer à travailler. Je vous souhaite bon courage.
Le sénateur Robichaud : Si vous êtes venus ici, c'est que vous avez toujours espoir, peut-être pas à grand pas, de pouvoir avancer. Je vous encourage à continuer à faire des interventions comme celles d'aujourd'hui, parce que si vous lâchez, personne ne pourra malheureusement prendre la relève. Je tiens à vous remercier de vous être présentés et de nous avoir parlé. En tant que Canadiens, nous devrons continuer à le faire afin de nous assurer que nous avançons dans la bonne direction.
La présidente : Au nom des membres du Comité sénatoriale permanent des langues officielles, je tiens à vous remercier du fond du cœur d'être venus cet après-midi. Je reconnais qu'il n'y a pas suffisamment de temps pour discuter de tout ce qu'il y avait au menu, mais ce que nous avons entendu aujourd'hui n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Alors je vous souhaite bonne chance, et nous rapportons avec nous ce que vous nous avez remis aujourd'hui. Merci beaucoup à vous tous ainsi qu'au sénateur Jaffer de vous avoir invités.
Mme Mudahemuka : Merci de nous avoir offert une oreille attentive. Y a-t-il moyen de garder un suivi et qu'une fois l'an, le comité rencontre des Africains pour voir comment ils ont progressé tout doucement? Pour répondre à la question du sénateur Robichaud : oui, nous sortons de notre rencontre aujourd'hui comme on sort d'une thérapie. Nous allons encore foncer, et si vous nous rencontrez l'année prochaine, nous aurons fait un pas en avant.
La présidente : Madame, merci beaucoup.
La séance est levée.