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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 13 - Témoignages du 19 mars 2007


OTTAWA, le lundi 19 mars 2007

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 16 h 2 pour examiner la réponse du gouvernement, en date de novembre 2006, au sixième rapport (intérimaire) du Comité sénatorial permanent des langues officielles intitulé L'éducation en milieu minoritaire francophone : un continuum de la petite enfance au postsecondaire, déposé au Sénat le 14 juin 2005.

Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, soyez les bienvenus à cette réunion du 19 mars 2007, du Comité sénatorial permanent langues officielles. Je suis Maria Chaput, présidente du Comité, et je suis du Manitoba.

Avant de céder la parole à nos témoins, j'aimerais vous présenter les membres du comité : le sénateur Gerald Comeau, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Lowell Murray, de l'Ontario, le sénateur Claudette Tardif, de l'Alberta et le sénateur Rose-Marie Losier-Cool, du Nouveau-Brunswick.

Nous examinons aujourd'hui la réponse du gouvernement, en date de novembre 2006, au sixième rapport (intérimaire) du Comité sénatorial permanent des langues officielles intitulé L'éducation en milieu minoritaire francophone : un continuum de la petite enfance au postsecondaire, déposé au Sénat le 14 juin 2005.

On retrouve dans ce rapport deux thèmes principaux : les enfants de la minorité francophone ont droit à une éducation continue, de la naissance au postsecondaire; toute communauté francophone en situation minoritaire a aussi droit à un épanouissement social et culturel. Nous nous pencherons également sur la question de l'article 23 de la Charte.

Nous avons donc reçu la réponse du gouvernement à ce rapport. Et pour commenter cette réponse, nous avons invité des associations francophones représentant tous les milieux de l'éducation. Dans un premier temps, aujourd'hui, nous recevons des représentants des niveaux primaires et secondaires.

Nous accueillons, d'abord, le président de la Fédération des conseils scolaires francophones, M. Ernest Thibodeau et le directeur général, M. Paul Charbonneau. Nous accueillons également la présidente de la Commission nationale des parents francophones, Mme Ghislaine Pilon, et M. Jean-Pierre Dubé, directeur de liaison et politiques. Nous vous souhaitons la bienvenue.

Chacun de vos organismes aura environ sept ou huit minutes pour faire sa déclaration liminaire. Votre présentation sera suivie d'une période de questions. Sans plus tarder, nous vous cédons la parole.

Ernest Thibodeau, président, Fédération des conseils scolaires francophones : Madame la présidente, nous aimerions d'abord vous remercier de votre invitation à commenter la réponse des ministres à votre rapport sur l'éducation déposé en juin 2005.

Il nous faut, dans un premier temps, vous féliciter d'avoir pris l'initiative d'étudier ce dossier avec autant de sérieux et surtout d'avoir adopté une motion pour exiger des commentaires à des questions laissées trop longtemps sans réponses.

Pour les questions qui nous intéressent particulièrement, soit celles liées à la petite enfance et à l'enseignement élémentaire et secondaire, vous avez bien cerné la problématique de l'implication du gouvernement canadien. Vos recommandations correspondaient en tout point aux attentes formulées depuis plusieurs années par des réseaux comme le nôtre.

Afin de bien circonscrire notre intervention, nous résumerons d'abord les développements des derniers mois suite aux commentaires que nous formulions lors de votre consultation. Par la suite, nous nous prononcerons sur la pertinence des réponses gouvernementales pour quelques dossiers prioritaires.

Depuis la création de notre fédération, nous revendiquons une plus grande transparence dans le processus de négociation, dans l'allocation des fonds et la reddition de comptes inhérente à la gestion du protocole d'entente sur les langues officielles en éducation et des ententes bilatérales qui en découlent. Nous avons souligné que les façons de faire dans ce processus de négociation n'avaient pas changé depuis le début du programme, alors que dans toutes les communautés francophones en milieu minoritaire, les conseils scolaires francophones et acadiens ont été créés. Ils sont devenus les premiers récipiendaires des subventions négociées entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires.

Ce constat est d'autant plus pertinent que la jurisprudence souligne qu'une entité homogène francophone est la seule habilitée à décider des besoins liés à la langue et à la culture en éducation. Or, il n'existe aucune entité de gestion homogène en éducation autre que les conseils scolaires.

Nous vous avions aussi présenté notre démarche d'analyse des besoins en éducation en français langue première. Cette analyse a conduit à l'adoption d'un plan d'action. Ce plan a été adopté lors de la tenue du Sommet des intervenants et intervenantes en éducation en milieu francophone minoritaire, dans la mise en œuvre de l'article 23, qui s'est tenu en juin 2005. Ce plan a été ratifié par protocole d'entente par tous les groupes nationaux en éducation concernés par ce dossier.

Depuis ce temps, nous avons mis sur pied un comité tripartite responsable de la mise en œuvre du plan et composé des plus hauts fonctionnaires de l'éducation en français des ministères provinciaux et territoriaux, mandatés par leur ministre, de représentants des ministères fédéraux dont Patrimoine canadien et Développement des ressources humaines et de représentants des conseils scolaires et des organismes communautaires œuvrant en éducation.

Malgré des ressources qui font parfois défaut, les projets du plan d'action progressent dans un climat de collaboration et de coopération adéquat. Ses activités se regroupent en six axes d'intervention, soit la promotion de l'école de langue française, les infrastructures scolaires, les ressources humaines, la pédagogie, l'action culturelle et identitaire et la petite enfance.

La Commission nationale des parents francophones fera état de la position des organismes dans le domaine de la petite enfance. Permettez-nous de réitérer notre soutien à ce dossier. Il importe de consacrer beaucoup d'énergie à la petite enfance afin de recruter davantage d'étudiants et de préparer ces jeunes et leurs parents à une éducation en français langue première. Non seulement devons-nous recruter l'ensemble des enfants des familles francophones, mais il importe aussi de bien préparer les jeunes des familles exogames et immigrantes à nos écoles.

Nous nous attarderons ici à commenter principalement les réponses aux recommandations numéros 1, 4 et 5.

Pour ce qui est de la première recommandation, rien n'a changé. Il n'existe aucune campagne nationale de sensibilisation des Canadiens aux questions reliées à la dualité linguistique et la promotion. Le marketing de l'éducation n'a pas été bonifié. Certes, il existe des initiatives financées par les ententes fédérales-provinciales permettant des campagnes intéressantes chez les gros conseils scolaires seulement, mais il n'existe pas d'action concertée à l'échelle nationale pour assurer une véritable promotion auprès de ces ayant-droit à l'éducation en français. Il s'agit pourtant d'une priorité des intervenants du milieu, priorité qui repose sur la conviction ferme qu'une campagne à grande échelle permettrait de convaincre tous ces parents d'enfants, qui choisissent présentement l'école anglaise ou d'immersion pour leurs enfants.

Les objectifs du Plan d'action sur les langues officielles en termes de recrutement étaient trop importants pour ne pas y joindre une campagne de promotion à l'échelle des résultats attendus. Avec les moyens du bord, les intervenants liés au comité tripartite ont effectué quelques tentatives louables. Nous avons en effet mis sur pied un modeste programme d'accompagnement des conseils scolaires désireux de rendre les intervenants du milieu plus aguerris aux techniques de promotion pour qu'ils en tiennent compte dans l'accueil des nouvelles familles. Il importe toutefois de créer un véritable élan qui pourra éveiller, chez les familles que nous ne rejoignons pas, cette fibre francophone qui les poussera à inscrire leurs enfants à l'école française partout au Canada.

Nous avons une étude de marché, nous avons réalisé un plan d'affaires, mais pour l'instant le financement fait défaut. Pendant ce temps, soulignons que Canadian Parents for French dispose de ressources pour faire la promotion et faciliter le recrutement de nos effectifs pour les classes d'immersion.

Pour ce qui est de la quatrième recommandation, il a été possible, grâce à notre travail de concertation, de mettre en place des mécanismes de coordination facilitant la mise en œuvre de la pleine gestion scolaire. Le comité tripartite est garant de cette coordination. Soulignons sur ce point que la mise sur pied de ce comité constitue une première canadienne. En effet, jamais auparavant dans l'histoire du Canada les autorités provinciales, territoriales, fédérales, scolaires et communautaires n'ont accepté de concerter aussi étroitement leurs efforts.

Le comité devra éventuellement être plus influent d'un point de vue financier, mais ses travaux constituent maintenant la principale source d'inspiration des autorités fédérales dans leurs actions pour les langues officielles en enseignement.

La ministre responsable des langues officielles, l'honorable Josée Verner, a d'ailleurs confirmé l'importance qu'elle accordait à cette instance de coordination.

En ce qui a trait à la cinquième recommandation, nous avons pour ainsi dire obtenu par des moyens détournés ce qu'on nous a refusé officiellement. La clause de consultation des conseils scolaires dans le protocole est plus dilué dans le nouveau protocole qu'elle ne l'était dans les anciens. Toutefois, la mise en place du comité tripartite, dont nous avons fait mention, permet une consultation permanente sur les questions en éducation. Cela implique nécessairement une écoute directe des besoins élaborés par les groupes communautaires et les conseils scolaires.

En ce qui a trait à la nécessité de scinder les ententes FL1 et FL2, ceci a été fait. Les plans d'action ne permettent pas toujours de bien identifier les besoins que l'on tente de combler, mais ce simple exercice de scission apporte une plus grande transparence tant souhaitée et si nécessaire.

En conclusion, il nous faut rappeler que le protocole sur les langues officielles en enseignement a été négocié par le précédent gouvernement et que le nouveau, d'une certaine façon, n'a eu d'autres choix que de le ratifier. Par le fait même, les ententes bilatérales qui en découlent ont aussi été négociées par une entité, à toutes fins utiles, bicéphale.

Le programme actuel repose donc en grande partie sur les priorités de l'ancien gouvernement. Nous croyons que le gouvernement actuel, pour le moment, n'avait d'autres choix que de s'appuyer sur le discours traditionnel de Patrimoine canadien. Parfois la tradition laisse place chez les négociateurs à un conservatisme qui tend à percevoir l'échiquier de l'éducation en français de la même façon qu'il était conçu dans les décennies pré-gestion scolaire.

Les conseils scolaires étant devenus des intervenants incontournables, la nature des travaux fédéraux dans ce domaine doit changer. La mise en place d'une planification nationale, l'engagement des provinces et des territoires à travailler de concert à la réalisation de ce plan et la nécessité d'agir rapidement pour arrêter l'érosion du bassin d'ayants-droit, sont autant de facteurs qui doivent pousser le gouvernement fédéral dans la voie de la concertation.

Pour ce faire, il faudra faire en sorte que la culture organisationnelle reconnaisse à sa juste valeur, tant dans l'allocation des ressources que dans le processus de décision, le caractère indispensable de l'éducation en français pour l'épanouissement des communautés en milieu minoritaire. Cette culture organisationnelle change peu à peu. Ce changement est toujours ralenti par la crainte de certains de perdre un pouvoir qui ne leur est pas nécessairement dévolu dans l'identification des priorités de financement. Un jour il faudra que tous reconnaissent que le financement fédéral indispensable n'est pas l'apanage de quelques-uns, mais de l'ensemble de ces francophones et acadiens qui œuvrent à l'épanouissement de leur langue et leur culture.

Les conseils scolaires sont les seuls gouvernements homogènes ayant des assises constitutionnelles au service des communautés francophones en situation minoritaire. Lentement, tous reconnaissent ce fait. Reste maintenant à leur fournir les moyens pour assurer leur partenariat et assumer leurs responsabilités.

La ministre de la Francophonie et des Langues officielles, Mme Josée Verner, reconnaît l'importance des structures de travail mises en place. Il reste maintenant à vérifier dans l'avenir comment se traduira cette confiance durement acquise.

Ghislaine Pilon, présidente, Commission nationale des parents francophones : Madame la présidente, la réponse du gouvernement canadien au sixième rapport du comité sénatorial est très instructive. Je remercie le comité de nous avoir invités à la commenter.

Le gouvernement rappelle le contexte de sa contribution et réitère ses engagements. Notons en particulier les suivants :

D'appuyer l'éducation en milieu minoritaire francophone au pays et de tenir des consultations continues de haut niveau avec les principaux intervenants, y compris ceux des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Notons aussi une nouvelle affirmation :

Le gouvernement du Canada est d'avis que la petite enfance est un axe prioritaire du développement des communautés de langues officielles.

Et ce n'est pas tout, voici la suite :

La petite enfance offre un bassin de recrutement important pour les écoles françaises en milieu minoritaire.

Ces affirmations sont en fait des opinions et elles sont tout à fait bienvenues. Mais que le gouvernement fédéral soit d'avis que la petite enfance est un axe prioritaire, qu'est-ce que cela veut dire au juste? Ottawa se garde bien d'imposer ses opinions aux provinces et territoires. Il rappelle son respect du premier mandat des ministres de l'Éducation, c'est- à-dire l'enseignement de la maternelle à la douzième année.

Depuis l'adoption de la Charte canadienne en 1982, bien du chemin a été parcouru. Avec les milliards investis par Ottawa, l'éducation française en milieu minoritaire s'est énormément développée pour se rapprocher de la vision de l'article 23. Il est vrai que, dans le cadre du Plan d'action sur les langues officielles, la collaboration du ministère des Ressources humaines et du développement social nous est acquise.

Nous avons continué à progresser dans le développement de la petite enfance. Pour vous situer la commission vient de recevoir un financement de 1,8 million de dollars sur trois ans pour élargir la collaboration au développement de la petite enfance. Cette aide permet aussi de continuer à réunir les conditions pour un accès universel à des services abordables et de qualité pour les jeunes enfants et leurs parents. Nous avons entrepris des tournées nationales, fait une analyse environnementale, établi un cadre national de collaboration avec 12 partenaires. Nous avons tenu deux congrès d'envergure avec nos partenaires en éducation et en santé. Nous avons collaboré au projet pilote de garde du ministère. Nous avons élaboré des plans d'action en développement de la petite enfance dans chaque juridiction. Nous allons lancer prochainement, entre autres, une étude nationale sur la mise en œuvre des centres de la petite enfance et la famille. Des centres sont en voie d'implantation dans plusieurs provinces.

Nous allons peut-être y arriver, mais allons-nous y arriver à temps? Voilà la question qui nous préoccupe.

Quand nous nous sommes présentés devant ce comité du Sénat il y a deux ans, nous avons bien situé l'enjeu de la petite enfance comme étant celui de l'avenir de nos communautés et votre comité a tenu compte de nos propos dans son rapport, où il est question du continuum de la petite enfance au postsecondaire.

La réponse du gouvernement se borne à expliquer que, par le passé, le gouvernement fédéral a fait sa part et que ses intentions sont bonnes. Est-ce suffisant?

Depuis le dépôt de votre rapport, en juin 2005, le gouvernement fédéral a-t-il changé son approche? Des consultations sont-elles prévues annuellement dans le cadre de l'application du Plan d'action sur les langues officielles?

De nombreuses questions demeurent. Où en sommes-nous dans la réalisation des résultats visés par le plan d'action? Vous vous souvenez que le plan a proposé comme objectif sur dix ans d'augmenter à 80 p. 100 le nombre d'étudiants en français langue première, et à 50 p. 100 le nombre d'étudiants en langue seconde? Le plan accordait-il des moyens pour atteindre le résultat en 2012? Cela n'est pas évident.

Comment allait-on suivre la mise en œuvre? Qui est responsable? Il s'est avéré que les interlocuteurs fédéraux avec qui on a travaillé ne faisaient pas le lien entre les initiatives du plan d'action et les résultats souhaités.

Canadian Parents for French et nous avons demandé à plusieurs reprises de participer au mécanisme de suivi de ces résultats. Si nous faisions une véritable évaluation du plan d'action, il nous faudrait bien reconnaître si l'intention était bonne, car il n'est pas évident que le processus permettra de livrer la marchandise. Il reste que la situation a changé en deux ans et cela exige une nouvelle approche.

Nous voulons insister aujourd'hui sur les éléments nouveaux. D'abord, la réponse du gouvernement fédéral semble, encore une fois, nier le fait qu'en vertu de l'article 23, il existe des conseils scolaires de la minorité. Comme l'a fait valoir la Cour suprême du Canada, ces conseils scolaires constituent une enclave qui donne des droits et des responsabilités à l'intérieur du régime éducatif. Les conseils scolaires francophones demeurent formellement isolés du dialogue fédéral- provincial. La réponse du gouvernement fédéral est claire, et je cite :

Les négociations demeureront entre les deux ordres de gouvernement.

Ensuite, la réponse du gouvernement ne tient pas compte du fait que les communautés se sont données, en juin 2005, un projet de redressement qui s'appelle le plan d'action de l'article 23. Cette initiative de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones devrait-elle changer quelque chose? Les priorités des ministères de l'Éducation devraient-elles refléter les actes du plan d'action? Vingt-cinq ans après l'adoption de la Charte, l'approche du gouvernement fédéral doit changer pour reconnaître, premièrement, le rôle constitutionnel des conseils scolaires, deuxièmement, la légitimité du plan d'action de l'article 23, troisièmement, le caractère obligatoire de la nouvelle Loi sur les langues officielles, et quatrièmement, la place du développement de la petite enfance dans l'article 23.

Il y a du nouveau aussi dans le domaine de la petite enfance. Depuis 1982, on a beaucoup appris à partir de la recherche sur le cerveau, on sait maintenant que l'apprentissage de la langue commence au sixième mois de grossesse et plafonne avant l'âge de deux ans. On sait qu'investir tôt et beaucoup dans le développement du jeune enfant fixe, la vie durant, la trajectoire de la santé, de l'apprentissage et du comportement social. Ce sont des connaissances lourdes de conséquences pour la société en général, mais encore plus pour le milieu minoritaire.

Dans sa réponse, telle que signalée plus tôt, le gouvernement fédéral reconnaît le potentiel de recrutement de services de la petite enfance et il s'en remet à la bonne volonté des provinces avec leur mandat éducatif qui commence à la maternelle. On pense encore comme en 1982. En 1982, on ne croyait pas non plus que l'article 23 accordait la gouvernance des écoles à la minorité. C'est la jurisprudence qui nous a donné cette interprétation que personne ne questionne. Parce que les droits continuent à évoluer avec la recherche, avec l'étude des besoins sur le terrain.

Comment allons-nous convaincre le gouvernement fédéral d'aller au-delà d'une opinion quant à l'importance de la petite enfance? On ne peut nourrir d'attentes du côté de la jurisprudence puisque ce gouvernement a aboli le programme de contestation judiciaire.

Voici un peu comment cela se passe dans la réalité. Prenons un échantillon national de 100 nouveaux-nés en milieu minoritaire : 40 p. 100 d'entre eux ont un parent qui parle français et 56 p. 100 de ces parents ont un niveau d'alphabétisme qui ne leur permet pas de fonctionner adéquatement en français. Combien de mamans et de papas ont suivi un cours prénatal en français? Combien consultent un médecin francophone? Combien ont reçu des services en français au moment d'accoucher? Combien ont participé à des programmes de suivi en français comme l'allaitement, la nutrition, le dépistage précoce? Combien ont été accompagnés sur le plan des habiletés parentales? Combien de mamans et de bébés ont obtenu des soins spécialisés en français? Combien de jeunes familles ont profité de groupes de jeux en français? Combien sont allés dans un centre de ressource familiale en français? Combien ont pu trouver des gardiens ou des gardiennes francophones pour la maison? Combien ont fait appel à des services francophones de garderie? Combien ont des produits culturels et médiatiques en français dans leur foyer? Combien de ces enfants sont inscrits, en 2004, à la maternelle en langue française? On n'a pas de réponses à ces questions, ce que l'on sait, c'est qu'en 2001, 50 p. 100 des enfants francophones étaient inscrits en première année à l'école française. Et vous croyez que cela va mal?

Au cours de la première année scolaire, environ 10 p. 100 des enfants quittent l'école française. Si la tendance se maintient, le même phénomène se produira au moment de l'entrée au secondaire, un autre 10 p. 100 quittera l'école française. Et encore le même phénomène à la fin du secondaire, environ 10 p. 100 choisira de terminer leurs études en anglais. Au moment de commencer des études postsecondaires, encore 10 p. 100 choisiront un établissement anglophone. De la cohorte originale de 2000, seulement un élève sur dix obtiendra un diplôme en français.

Combien vont trouver un conjoint qui parle français? Combien de couples suivront des cours prénataux en français? Combien de mamans accoucheront en français? Où serons-nous dans 10 ans, dans 20 ans?

Je viens de vous expliquer la raison d'être des centres de la petite enfance et de la famille. Si on voulait parler sérieusement de recrutement et non se lancer la balle, c'est là qu'il faudrait commencer. Si le gouvernement fédéral est d'avis que la petite enfance est une priorité, cet avis peut-il se transposer en politique? Le temps n'est pas à la défense du statu quo.

Honorables sénateurs, aidez-nous à convaincre le gouvernement fédéral d'investir maintenant, d'investir dans la santé des enfants, dans l'apprentissage des enfants francophones et dans l'appui aux parents qui en sont les premiers responsables, d'investir comme nation qui reconnaît ses enfants et qui prépare l'avenir maintenant.

Je terminerai par deux citations. La première se lit ainsi :

Les familles de l'Amérique et leurs enfants sont en difficulté, une difficulté si profonde et répandue qu'elle menace l'avenir de la nation. La source de ce problème n'est rien de moins que la négligence nationale des enfants et des premiers responsables d'en prendre soin, les parents.

Cette citation vient du groupe de travail de la conférence de la Maison-Blanche sur les enfants en 1970.

Et la deuxième citation est le paragraphe 18.2 de la Convention internationale des droits de l'enfant dont Ottawa est un signataire :

Pour garantir et promouvoir les droits énoncés dans la présente convention, les États parties accordent l'aide appropriée aux parents et aux représentants légaux de l'enfant dans l'exercice de la responsabilité qui leur incombe d'élever l'enfant et assurent la mise en place d'institutions, d'établissements et de services chargés de veiller au bien-être des enfants.

La présidente : Au cours des deux dernières années, depuis que notre comité a terminé cette étude, fait des recommandations et reçu la réponse du gouvernement, avez-vous constaté certaines des améliorations dans le secteur de l'éducation en milieu minoritaire francophone?

Et dans l'affirmative, est-ce une initiative de votre part, une initiative du gouvernement ou les deux? Des améliorations ont-elles été apportées?

M. Thibodeau : Des progrès ont été constatés grâce aux efforts faits par les organismes nationaux avec les représentants des ministères provinciaux. Par exemple, comme on l'a dit dans notre mémoire, la création du comité tripartite est une initiative qui a permis de faire des avancées importantes. Ces initiatives sont certainement appuyées par les ministères fédéraux, puisque le ministère du Patrimoine canadien et celui des Ressources humaines et du Développement social Canada sont présents à la table de négociation. C'est une avancée importante, mais il y a encore beaucoup à faire.

La présidente : Madame Pilon, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Pilon : Nous avons établi un partenariat avec Ressources humaines et Développement social Canada qui nous a donné un appui financier afin de nous aider à bâtir la capacité de nos parents à travers le Canada. Donc oui, il y a eu du positif, mais comme vous le savez, on a dû venir cogner à vos portes pour nous assurer que l'on recevrait le financement. On a dû attendre environ quatre mois. On était prêt à fermer les portes quand on a finalement reçu le financement. On a donc vu du progrès de ce côté.

Le sénateur Tardif : Je tiens à féliciter les deux groupes pour leur excellente présentation. Vous avez tous les deux parlé de la nécessité de consultation. Je me demande, lorsque vous avez parlé des progrès faits par le comité tripartite, si vous trouvez que c'est un moyen efficace de consultation ou est-ce que vous voyez d'autres mécanismes par lesquels vos organismes seraient consultés par les représentants des divers programmes du gouvernement fédéral pour faire avancer le dossier de l'éducation francophone?

M. Thibodeau : Je crois que le comité tripartite fonctionne assez bien; c'est assez efficace. Il nous faut absolument avoir tous les partenaires à la table, qu'ils soient provinciaux, territoriaux ou fédéraux, parce que la seule façon de faire avancer le dossier est que les parties communautaires s'assoient à la table avec les différents gouvernements. L'éducation étant de compétence provinciale, il faut absolument que les provinces soient assises à la table avec nous pour mettre ensemble nos objectifs communs.

Dans ce sens, je pense que c'est efficace. Évidemment, certaines initiatives que l'on voudrait prendre ont besoin de plus de financement comme la promotion et le marketing de l'école française. Il s'en fait un peu chez les conseils scolaires les plus importants, mais on n'a pas de financement pour en faire une campagne nationale. Je pense qu'il faut absolument que cela se fasse parce que c'est la francophonie qui est à risque. La dualité linguistique canadienne est en jeu, si on ne fait pas quelque chose maintenant.

Paul Charbonneau, directeur général, Fédération des conseils scolaires francophones : C'est quand même curieux lorsqu'on regarde les réponses. Lors de notre sommet, il y avait 200 intervenants en éducation. Cela a été financé à grands frais par Patrimoine canadien. Et une recommandation suggérait d'avoir un plan national pour la petite enfance au secondaire. Dans la réponse du gouvernement, il n'y a aucune référence à cela. Pourtant, étaient présents à ce sommet un haut fonctionnaire de chacun des ministères de l'Éducation des provinces et des fonctionnaires de Patrimoine canadien et des représentants des autres ministres fédéraux. J'ai l'impression que la bonne volonté dépend de qui informera le ministre et qui arrivera le premier.

On a visité Mme Verner, la ministre de la Francophonie et des Langues officielles. On s'est retrouvés devant quelques fonctionnaires qui ne veulent pas être embêtés par les conseils scolaires. Madame la ministre a superbement bien compris. Lorsque c'est le bon fonctionnaire qui informe le ministre, toute cette coordination fonctionne bien. Je ne crois pas que c'est un problème de mauvaise volonté politique parce que les provinces, par leur ministre, ont répondu favorablement à notre proposition de travailler ensemble. Mais il y a des gens qui travaillent depuis très longtemps dans le système qui ne sont pas habitués de nous avoir dans les jambes. Et comme je soupçonne que ce sont ces gens qui ont écrit la réponse, puisque Mme Verner venait d'arriver, c'est eux qui ne veulent pas qu'on soit là. Lorsque ce sont les bons fonctionnaires qui informent les bons politiciens, notre comité fonctionne merveilleusement bien. Mais si la ministre tombe malade la journée de la réunion, on est pris.

Le sénateur Tardif : Vous nous dites que la réaction des provinces est favorable au comité?

M. Charbonneau : On dit qu'on veut que notre fonctionnaire assiste aux réunions de ce comité, même si le fédéral y est. Cela n'existe pas en anglais, cela n'existe nulle part ailleurs au Canada. Même si le fédéral, les groupes communautaires et le conseil scolaire sont présents, les ministres provinciaux ont tous délégué officiellement, par écrit, leur haut fonctionnaire ou leur représentant pour travailler avec nous.

Le sénateur Tardif : Toutes les provinces?

M. Charbonneau : À l'exemption de la Colombie-Britannique, mais ce n'est pas par mauvaise volonté mais plutôt parce ce sont les conseils scolaires qui ont le pouvoir et non le ministère.

Le sénateur Tardif : Et ce sont des fonctionnaires des ministères de l'éducation des provinces?

M. Charbonneau : Mandatés par leur ministre. Par exemple, en Alberta, c'est Debbie Johnston qui est présente.

Le sénateur Tardif : Si je comprends bien, vous dites que ce serait l'inertie de la bureaucratie?

M. Charbonneau : Pas nécessairement, certains sont compétents. Mme Pilon a dit plus tôt que le partenariat demeurera entre les deux ordres de gouvernement. Pourtant ils savent très bien — Mme Verner l'a confirmé lors d'une dernière rencontre et par correspondance — que souvent, il est plus facile de travailler avec les provinces qu'avec quelques autres. L'acharnement ne vient donc pas des provinces au nom de la sacro-sainte juridiction provinciale en éducation. Ils sont prêts à travailler dans un comité tripartite. Dans l'histoire du Canada, cela ne s'est jamais fait. Lorsqu'on a des représentants du gouvernement fédéral, ceux qui viennent ne sont probablement pas ceux qui écrivent ces documents, mais cela va bien.

Je regrette, j'ai l'air de faire des règlements de compte, ce qui n'est pas le cas, mais c'est le problème.

Jean-Pierre Dubé, directeur de liaison et politiques, Commission nationale des parents francophones : Du côté des parents, on fait pleinement confiance au conseil scolaire qu'on a élu pour jouer ce rôle auprès des gouvernements à titre de partenaire communautaire qui parle aux gouvernements fédéral et provinciaux. C'est notre position sur ce sujet. Mais la CNPF est quand même membre du comité tripartite dont il a été question tantôt. On est donc dans le portrait également.

Le sénateur Comeau : Merci, madame la présidente. Merci aux témoins d'être venus aujourd'hui. C'est toujours un plaisir de vous avoir avec nous.

J'aimerais revenir sur la question de l'article 23 de la Charte. Si vous étiez un avocat ou un constitutionnaliste, est-ce que la consultation avec les conseils scolaires serait une obligation constitutionnelle?

M. Thibodeau : Je ne suis pas un avocat, mais je crois qu'il y a une certaine obligation puisque la Cour suprême a décrété certains pouvoirs exclusifs aux parents et aux représentants des parents. Donc lorsqu'on fait appel à tout ce qui touche à la langue et à la culture, je crois que les conseils, étant les représentants des parents, devraient être consultés pour la mise en œuvre de ce plan.

Le sénateur Comeau : Il serait donc bon d'examiner cette obligation?

M. Thibodeau : Oui.

Le sénateur Comeau : Vous avez fait mention d'une campagne nationale pour attirer les gens à l'école francophone et de les y garder. Qu'est-ce que vous voulez dire par « campagne nationale »? Est-ce que c'est un fonds national qui pourrait être distribué dans chacune des provinces? Chaque juridiction est un peu différente. Le Nouveau-Brunswick est très différent de l'Île-du-Prince-Édouard ou de la Nouvelle-Écosse. Parlez-vous d'un programme national ou d'une campagne nationale?

M. Thibodeau : On parle d'une campagne nationale qui serait orchestrée de façon nationale et adaptée dans chacune des provinces. Comme vous l'avez dit, les réalités de chaque province ne sont pas les mêmes. Elles sont très différentes. Je crois donc qu'il faut que cela soit adapté à chacune des provinces, mais il faut que les points communs de cette campagne soient nationaux.

Le sénateur Comeau : J'aimerais en savoir davantage à ce sujet. Peut-être pourrait-on avoir un programme national mais qui varie d'une région à l'autre.

M. Thibodeau : Je crois que cette campagne nationale, ou programme national, pourrait s'adapter aux différentes régions et aux différentes communautés. La réalité au nord-est du Nouveau-Brunswick est différente de celle de la région de Summerside. Nous parlons des ayant-droits?

Le sénateur Comeau : Oui, et d'un concept national.

M. Thibodeau : La réalité à Summerside et à Moncton, au Nouveau-Brunswick, ne sont pas tellement différentes non plus.

Le sénateur Comeau : Je comprends ce que vous dites. Il s'agit d'une valeur nationale et d'une valeur nationale pour le Canada. Il faut donc l'examiner du point de vue national et non purement local, donc avec une adaptation aux réalités des communautés.

M. Charbonneau : On a fait une étude de marché, dont on vous enverra copie. Cette étude démontrait que le message pourrait être le même, sauf sur la péninsule acadienne et probablement dans l'est ontarien. Dans les autres régions, un fait probablement surprenant pour plusieurs, concernant la problématique des familles exogames, est que la dynamique d'accueil aux écoles et la dynamique de l'environnement communautaire se ressemble. À partir de là, nous avons développé un plan de communication. Ce plan énonce les messages qu'on devrait présenter, l'endroit où les présenter et la façon de le faire, soit par quel média. Nous nous sommes rendu compte de deux volets, soit le côté publicité et le côté accueil.

Grâce à Patrimoine canadien, nous avons pu mettre sur pied un programme d'accompagnement où l'on donne un coup de main aux conseils scolaires, aux groupes de parents au niveau local et aux groupes communautaires en général pour développer un meilleur réflexe de marketing. Bien souvent, c'est la réceptionniste à l'école qui est la clé. Quand on est mal accueilli à la réception, on a réticence à entrer et à rester.

Nous sommes en train de développer des programmes pour former les enseignants, les directions d'écoles et les parents à livrer le bon message. Il suffit qu'une famille mixte, dans un village, considère avoir été mal servi et dise ne pas avoir obtenu réponse à ses questions pour que tout vienne de s'éteindre.

Nous voulons renchérir, par la suite, probablement par ce que vous appelez un programme national, mais il y aura des messages communs à tous.

Le sénateur Comeau : Nous reconnaissons depuis longtemps l'importance d'encourager les parents à envoyer leurs jeunes enfants dans une école française avant le niveau primaire. Dès l'âge de cinq ou six ans, les enfants sont déjà trop anglophones pour fréquenter une école française. D'ailleurs, nous avons discuté de ce point avec Mme Pilon. Cet aspect est très important.

Les fonctionnaires sont-ils réceptifs à ce message? Car il est très important que ceux-ci reconnaissent cette réalité.

Mme Pilon : Nous avons eu cette grande discussion sur l'importance d'aller chercher nos enfants avant même qu'ils soient nés. Une mère enceinte doit reconnaître l'importance du français dans la vie de son enfant dès le début.

Les fonctionnaires que nous rencontrons, en majorité, sont favorables à cette idée. Nous n'avons toujours pas rencontré de ministres, un an et demi plus tard. Le ministre précédent, M. Dryden, avait très bien compris l'idée de rattacher nos centres de la petite enfance et de la famille aux écoles primaires pour s'assurer que la transition se fasse. L'enfant arrive dès la naissance avec la maman, qui suit un cours prénatal. Il commence à s'amuser avec ses amis, puis il va à la garderie en français et le cheminement se fait en français.

Pour ce qui est de l'anglais, nous sommes entourés d'anglophones, l'enfant parlera donc les deux langues avant même d'entrer à l'école. Cependant, si l'enfant n'a pas ces options, il est évident qu'il ne connaitra que l'anglais. Il est très difficile d'amener un enfant unilingue anglophone en première année dans une école française.

Un enfant sur deux ayant droit à l'éducation en français ne se trouve pas où nous sommes. De là l'importance d'aller les chercher plus jeune, l'importance d'avoir une campagne marketing pour s'assurer qu'ils soient au courant de l'existence des écoles françaises.

Le sénateur Comeau : M. Dryden avait-il proposé un programme destiné spécifiquement aux communautés francophones en situation minoritaire ou les communautés devaient-elles puiser leurs fonds à même les programmes nationaux?

Mme Pilon : Nous aurions aimé aller chercher des fonds nationaux pour réussir à mettre sur pied les centres de la petite enfance et de la famille. Après avoir démontré l'importance et les résultats au bout de cinq ans, nous savons que les choses vont bien aller car nous sommes devant des faits accomplis. Nous pouvons citer l'exemple de l'Ontario.

Le sénateur Comeau : Je ne sais pas si vous avez bien saisi ma question. Avez-vous puisé à partir de fonds nationaux destinés à toutes les communautés, anglophones et francophones, dont le groupe duquel vous faites partie?

Mme Pilon : Les seuls fonds que nous avons pu obtenir ont découlé de l'arrivée du service de garde et de sa clause pour les francophones. Le ministre Dryden avait très bien compris l'importance que nos communautés demeurent ensemble en français ainsi que nos centres de la petite enfance. Toutefois, le gouvernement a changé et on n'a pas eu la chance de parler à quelqu'un d'autre.

Le sénateur Comeau : Il y avait une clause spécifique?

Mme Pilon : Tout ce qui concernait les services de garde comportait une clause pour les francophones. Ce fut pour nous un progrès, car avant cette provision n'existait pas. Maintenant, nous n'avons plus de service de garde. Nous sommes donc revenus au point de départ.

M. Dubé : Le gouvernement actuel nous a donné du financement pour faire une étude sur les coûts liés à la mise en œuvre et à l'opération des centres de la petite enfance et de la famille. Nous pourrons produire cette étude d'ici la fin avril. Ainsi, nous saurons exactement à quoi s'en tenir quant à la création de ces centres. Toutefois, le message est clair. La fonction publique et Développement social Canada ont une écoute attentive et sont ouverts à toute la question de la petite enfance.

Le sénateur Comeau : Vous soulevez un bon point. Nous devrions peut-être vous inviter à nouveau, lorsque vous aurez complété votre étude.

M. Dubé : Il nous fera grand plaisir de comparaître à nouveau devant vous.

Le sénateur Tardif : Ma question fait suite à celle du sénateur Comeau au sujet de la consultation, à savoir si elle est incluse à l'article 23 de la Charte. Évidemment, nous ne sommes pas des juristes. Cependant, est-ce que le projet de loi S-3 vous laisse la possibilité d'exiger, de façon positive, qu'il y ait consultation?

Mme Pilon : N'étant pas juriste, je ne veux pas risquer une réponse.

M. Dubé : Il semble que tout est dans l'article 23. La jurisprudence a évolué beaucoup dans cette direction. Il suffirait de poser la question. Il ne fait nul doute dans le milieu éducatif que si on posait la question à la Cour suprême, elle répondrait par l'affirmative. Le gouvernement a l'obligation de représenter les besoins et les priorités des communautés francophones, et avec l'article 23 on pourrait y arriver.

Évidemment, la nouvelle Loi sur les langues officielles vient renforcer, à mon sens, cette obligation. La difficulté, évidemment, est que nous n'avons pas en ce moment les moyens d'entreprendre une telle démarche. Les années de revendications nous ont permis de penser qu'il serait plus facile d'entrer dans ce genre de partenariat de façon volontaire — et nous gardons toujours espoir. Je puis vous dire que les parents ont revendiqué ce droit pendant 25 ans et désormais ont laissé la cause entre les mains des conseillers scolaires. Toutefois, le problème demeure.

Le sénateur Losier-Cool : J'ai l'impression que je n'aurais vécu que pour connaître tous les progrès, les revendications et même parfois des menaces personnelles à ma santé lorsque je luttais pour des écoles francophones dans le nord-est du Nouveau-Brunswick. Cela étant dit, oui, il y a eu des progrès.

Un proverbe africain dit que l'éducation d'un enfant, c'est l'affaire de tout un village. On en vient à notre question de consultation et d'organisme. Est-ce qu'on aurait pu, et est-ce qu'on pourrait encore faire mieux, en incluant tout le village, toute la société? On a les commissions scolaires, je sais que vous êtes des personnes responsables qui regroupent la communauté, mais est-ce les enseignants, les parents, les commerçants, les municipalités travaillent ensemble pour le « marketing », comme vous l'avez appelé? Pour arriver à cela, je pense qu'il faut aller vers une politique nationale, pour les enfants en situation minoritaire, qui serait différente — et ce n'est pas une ingérence provinciale, cela peut se faire au titre de la Charte des droits. J'aimerais avoir vos commentaires.

Mme Pilon : Avec le comité tripartite, on regroupe déjà la majorité des gens, par exemple les enseignants, les représentants des collèges et des universités. Tout le monde est là sauf les municipalités.

M. Charbonneau : Il y a une sorte d'exploit ou un degré de maturité atteint qui se reflète par l'adoption du plan d'action. Une douzaine ou une quinzaine de groupes travaillent maintenant ensemble à l'échelle nationale. Cette coopération déteint sur les gouvernements provinciaux et locaux et englobe aussi les mouvements de jeunes, les mouvements culturels et toutes les activités qui gravitent autour de l'éducation. Donc on a un gros village. Ce n'est pas encore tout à fait global, il manque évidemment le secteur économique, mais un bel effort est fait.

La difficulté, lorsque qu'on travaille à l'échelle nationale est qu'on doit constamment leur rappeler — c'est un des problèmes et cela répond à la question du sénateur Tardif— que l'éducation pour les minorités n'est pas strictement une question provinciale. Souvent on entend dire que, dans le fond, le fédéral intervient comme si c'était une faveur parce que c'est de juridiction provinciale. Je ne suis pas un avocat, mais dans le renvoi sur la sécession du Québec, la Cour suprême avait bien dit qu'il y avait cinq principes non écrits, dont un qui engageait le fédéral par rapport au développement — je ne me souviens pas du texte exact — des minorités francophones.

Dès l'instant où le fédéral pourra reconnaître officiellement que dans ce contexte il peut agir dans le domaine de l'éducation, si on suit l'esprit de la loi — il faut que ce soit des francophones qui décident des questions de la langue et de la culture — la concertation sera beaucoup plus facile.

Présentement, on se parle bien entre nous, sauf au sein de notre comité tripartite, où tout se fait de façon bilatérale. On appelle les fonctionnaires du fédéral en cachette, quasiment, sauf dans le cadre de notre comité, parce que le fédéral, au fond, doit parler à la province. C'est juste une question de mentalité. Mais les mentalités, cela s'améliore.

Le sénateur Losier-Cool : Les mentalités, cela se forme, cela se change. Je lisais récemment un article d'un psychopédagogue de l'Université de Moncton, qui disait que, être francophone, cela ne se vit pas à l'impératif. En d'autres mots, tu ne commandes pas en français; nous le savons tous, nous avons des enfants et des petits enfants qui grandissent dans des situations minoritaires.

Là encore se pose ma question d'une politique nationale qui engloberait les bibliothèques, les sports en français et la culture. Je n'étais pas avec vous dans votre tournée en Nouvelle-Écosse, mais je crois en l'idée d'une politique nationale et à l'idée de faire nos représentations, nos revendications, pour mettre en place cette politique nationale.

Le sénateur Comeau : Je voulais juste une confirmation pour savoir si j'ai bien compris. M. Dubé a mentionné, M. Charbonneau aussi, les communautés francophones en situation minoritaire. Est-ce qu'en réalité, ce n'est pas les communautés de langues officielles en situation minoritaire? Est-ce qu'on attache la même valeur aux communautés anglophones et francophones en situation minoritaire ou est-ce que je me trompe?

M. Charbonneau : Il y a quelques situations similaires chez les minorités anglophones, mais présentement, nous sommes tellement occupés avec les communautés francophones.

Le sénateur Comeau : Je ne vous demande pas de vous occuper des autres, bien entendu, mais je demande si ce sont les mêmes droits, si l'article 23 de la Charte s'appliquerait. Vous avez mentionné les communautés francophones en situation minoritaire, mais ce sont les communautés de langues officielles en situation minoritaire, n'est-ce pas?

M. Charbonneau : J'aurais le goût de faire de l'humour et vous dire que ce sont les mêmes droits que les minorités anglophones, sauf qu'ils ont plus de services que nous.

Le sénateur Comeau : J'ai bien noté, monsieur Charbonneau, lorsque vous avez dit que, parfois les gens qui écrivent les réponses du gouvernement ne sont pas nécessairement les mêmes personnes que celles que vous rencontrez lors des consultations. J'ai bien pris cela en note.

Le sénateur Tardif : Je sais que vous avez plusieurs défis. Dans une autre vie, j'ai été impliquée dans la formation des maîtres et je suis intéressée de savoir s'il y a un nombre suffisant d'enseignants pour les écoles francophones à travers le pays. Est-ce qu'il y a des pénuries, si oui dans quel domaine? Est-ce qu'il y a une augmentation des effectifs d'étudiants? Quel est le portrait des besoins dans ce sens?

M. Thibodeau : Je pense qu'il commence à y avoir une pénurie d'enseignants francophones, un peu partout à travers le pays. Ce n'est pas strictement une région plus qu'une autre. Je crois que les programmes d'immersion chez les anglophones ont le même problème de recrutement des enseignants francophones. Une des choses qu'on voudrait faire dans la formation des maîtres, serait qu'on ait un programme strictement pour les enseignants en milieu minoritaire. L'Université de Moncton a créé un tel programme. On aimerait, en tout cas chez nous, au Nouveau-Brunswick, que ce cours devienne obligatoire pour la formation des maîtres, car enseigner dans un milieu minoritaire présente des responsabilités et des obligations autres qu'enseigner dans un milieu majoritaire.

Pour ce qui est de votre question, effectivement on a une pénurie qui commence. D'ailleurs, auparavant on n'avait aucune difficulté à recruter des suppléants lorsque nos enseignants partaient en congé de maternité ou autres; aujourd'hui, on commence à avoir de la difficulté à trouver des suppléants. Donc, d'ici quelques années, on prévoit que la pénurie s'étendra aussi aux enseignants réguliers.

Le sénateur Tardif : Dans un autre domaine, le comité tripartite, si je comprends bien, fonctionne depuis à peu près un an. Il a été mis sur pied en mars 2006.

M. Charbonneau : Oui.

Le sénateur Tardif : Est-ce que vous avez un rapport de résultats? Vous dites que cela va bien, c'est un bon début, les gens se parlent, l'atmosphère est bonne, c'est adéquat; mais comment peut-on savoir concrètement ce qui a été accompli par le comité?

M. Charbonneau : Présentement, je pourrais vous faire parvenir des fiches de mise à jour. De la façon dont cela fonctionne, le comité tripartite revoit les travaux de chacun des axes. Par exemple, la petite enfance a un comité géré par le CNPF. Chacun des secteurs a déjà son groupe de travail qui fait rapport au comité tripartite qui, lui, suggère, recommande et agit.

Pour faire rapport, on a des fiches de mise à jour qui sont fidèles aux progrès, mais elles font état d'un progrès limité. La raison en est simple : avant de pouvoir commencer à travailler à la mise œuvre du plan, le comité est obligé de développer un modus operandi. On a fait de la haute diplomatie, à un moment donné, à cause des juridictions de chacun, et on a consacré une réunion et demie à se trouver un mode d'opération qui partageait bien les responsabilités de chacun, qui limitait aussi les pouvoirs afin qu'on ne devienne pas non plus un gros ministère de l'éducation. Maintenant on travaille sur l'action.

Je pourrais vous distribuer les fiches et vous faire parvenir le modus operandi sur lequel tout le monde s'est entendu.

Le sénateur Tardif : J'apprécierais. Recevez-vous un financement spécifique pour le comité tripartite?

M. Charbonneau : Oui. Dans toute cette démarche, Patrimoine Canada nous aide à assurer le fonctionnement. Grosso modo, c'est relativement simple, il s'agit de payer les frais de déplacement et un peu de coordination.

La présidente : Nous avons donc terminé cette première discussion. Mesdames et messieurs, je vous remercie beaucoup de votre présence aujourd'hui. Nous allons sans aucun doute tenir compte de votre présentation.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

La présidente : Honorables sénateurs, nous reprenons nos travaux. Toujours dans le cadre de l'examen de la réponse gouvernementale au rapport de notre Comité sur l'éducation en milieu minoritaire francophone, nous recevons maintenant, en table ronde, des représentants du niveau postsecondaire.

D'abord, de l'Association des universités de la francophonie canadienne, M. Gilles Patry, vice-président, recteur et vice-chancelier de l'Université d'Ottawa, accompagné de M. Guy Gélineau, vice-président et directeur général.

Représentant le niveau collégial, nous recevons également le président du Réseau des cégeps et collèges francophones du Canada, M. François Allard, ainsi que M. Réginald Lavertu, directeur général, et M. Yvon Saint- Jules, responsable de programmes.

Soyez les bienvenus, messieurs. Vous avez environ sept minutes pour faire votre déclaration d'ouverture, qui sera suivie d'une période de questions. La parole est à vous.

Gilles Patry, vice-président, recteur et vice-chancelier de l'Université d'Ottawa, Association des universités de la francophonie canadienne : Madame la présidente, au nom de l'Association des universités de la francophonie canadienne et des universités membres et en mon nom personnel, je remercie le Comité sénatorial permanent des langues officielles pour son invitation à comparaître aujourd'hui afin d'échanger sur son rapport intérimaire de juin 2005 et sur la réponse du gouvernement en date de novembre dernier. Je suis accompagné de M. Guy Gélineau, le directeur général de l'AUFC.

L'AUFC, comme vous le savez, regroupe 13 institutions universitaires desservant les communautés francophones en situation minoritaire, dont l'Université Ottawa que j'ai l'honneur de diriger.

Dans son rapport intérimaire, le comité sénatorial a très bien reflété les enjeux auxquels font face les universités francophones au service des communautés francophones en situation minoritaire au Canada, à savoir solidifier nos établissements souvent précaires pour leur permettre de constituer une masse critique d'étudiants et d'étudiantes, de professeurs et de chercheurs aptes à répondre aux besoins de nos communautés; développer des programmes de qualité qui permettent la formation de professionnels francophones et bilingues dont le Canada a besoin; élargir l'accessibilité des programmes aux communautés francophones des régions dépourvues d'établissements francophones; assurer un financement adéquat des établissements et développer la capacité de recherche en français.

Dans sa réponse au comité sénatorial, le gouvernement rappelle, à juste titre, sa contribution importante à l'éducation postsecondaire au Canada, laquelle inclut, bien sûr, les établissements desservant les communautés francophones en situations minoritaires. Le gouvernement rappelle notamment son investissement de plus de 200 millions de dollars à des initiatives spéciales visant le réseau postsecondaire francophone, collèges et universités, et ce au cours des 20 dernières années; le programme de recherche et de diffusion lié aux langues officielles, un programme d'un million de dollars par année sur trois ans, soutenu par Patrimoine canadien; le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada; et la contribution de 63 millions de dollars sur une période de cinq ans au consortium national de formation en santé.

Ces investissements sont importants et ont sans doute contribué à améliorer la situation de l'enseignement universitaire en français, en milieu minoritaire. Toutefois, permettez-moi de rappeler que ces investissements et initiatives précèdent le dépôt du rapport du comité sénatorial de juin 2005 et demeurent nettement insuffisants pour permettre aux universités de faire face aux enjeux que vous aviez si justement reflété dans votre rapport de juin 2005. C'est d'ailleurs dans ce contexte que l'AUFC a développé et déposé son plan d'action 2005-2010, lequel a été remanié au cours des derniers mois afin de refléter davantage les priorités du gouvernement actuel. Il s'agit du plan d'action 2007-2012. Malheureusement, je dois vous dire qu'aucun suivi n'a été donné par le gouvernement canadien à ce plan d'action.

Le plan d'action 2007-2012 comporte 20 actions prioritaires qui s'articulent autour de deux grands axes : le soutien à la vitalité des communautés par le réseautage des programmes de formation, l'instauration d'un programme de bourse à l'intention des étudiants en immersion et l'augmentation de la capacité de recherche en français. Il soutient l'internationalisation des établissements par l'instauration d'un programme de bourse à l'intention d'étudiants francophones étrangers, la mobilité des étudiants par des stages, la mobilité des professeurs et la mobilité des technologies. Ce plan représente un investissement de l'ordre de 72 millions de dollars sur cinq ans, somme semblable à celle versée au CNFS, mais cette fois pour développer des professionnels d'autres disciplines que la santé, c'est-à-dire le droit, l'administration, les affaires, les lettres, les communications et les sciences.

Un tel investissement est assuré de donner des résultats immédiats et concrets, comme ce fut le cas pour les investissements ciblés versés au CNFS pour les programmes de formation en santé. À titre d'exemple, l'évaluation de mi-parcours du projet CNFS a démontré que ces nouveaux investissements avaient permis de générer 1 428 nouvelles inscriptions dans le domaine des sciences de la santé et 296 nouveaux diplômés et de créer 20 nouveaux programmes de formation en santé. D'ici 2008, à la fin de la période de cinq ans, 28 nouveaux programmes de formation auront été créés. Ce programme aura également permis de créer 198 nouveaux stages pratiques dans les institutions de santé en milieu minoritaire.

Devant ces succès, il est facile de s'imaginer les résultats qui pourraient être accomplis par des investissements semblables dans d'autres disciplines universitaires.

Avant de conclure, permettez-moi de citer l'exemple de l'Université d'Ottawa pour illustrer les défis que nos institutions universitaires rencontrent sur le plan financier en vue d'offrir un enseignement de qualité en français.

En février 2005, nous avons entrepris une étude exhaustive sur le coût du bilinguisme à l'Université d'Ottawa. L'analyse a démontré que la subvention d'appui au bilinguisme du ministère de la Formation, des Collèges et des Universités du gouvernement de l'Ontario couvrait moins de 60 p. 100 des besoins actuels pour assurer le niveau de service actuel en français. En dépit de cette situation de sous-financement, l'Université d'Ottawa continue d'attirer une population croissante de francophones. En effet, le nombre d'étudiants francophones à l'université a franchi le cap des 10 000 l'an dernier, en plus d'accueillir plus de 3 200 étudiants et étudiantes en provenance des programmes d'immersion de langue française des écoles secondaires de partout au Canada.

Aussi, dans le domaine de la recherche en français, l'Université d'Ottawa a lancé le programme des chaires de recherche sur la Francophonie canadienne. À ce jour, huit chaires ont déjà été établies dans une variété de domaines d'intérêt pour la Francophonie canadienne.

Enfin, l'université s'est engagée à créer un institut des langues officielles et du bilinguisme, l'ILOB, qui fera de l'université un centre d'excellence national et international en matière d'enseignement des langues, de la recherche et du développement de politiques publiques en bilinguisme et en aménagement linguistique.

En conclusion, l'AUFC plaide à nouveau pour une intervention directe du gouvernement fédéral à l'appui des universités, au service des communautés francophones en situation minoritaire. La vitalité de ces universités et de leur communauté en dépend. À défaut d'une telle intervention, le gouvernement fédéral devrait prévoir des sommes clairement identifiées à cet effet dans le cadre des prochains transferts financiers relatifs à l'enseignement postsecondaire au Canada.

François Allard, président, Réseau des cégeps et des collèges francophones du Canada : Madame la présidente, merci de nous donner l'occasion de vous exprimer les commentaires des membres du Réseau des cégeps et des collèges francophones du Canada à la réponse du gouvernement au sixième rapport du Comité sénatorial permanent des langues officielles intitulé L'éducation en milieu minoritaire francophone : un continuum de la petite enfance au postsecondaire.

Créé en 1995, le Réseau des cégeps et des collèges francophones du Canada compte 52 membres en provenance de toutes les provinces et territoires du Canada, à l'exception de Terre-Neuve-et-Labrador et du Nunavut. Il a pour mission d'établir un véritable partenariat entre les établissements d'enseignement collégial francophone du Canada. Il constitue un réseau d'entraide, de promotion et d'échange lié au développement de l'enseignement collégial en français au Canada.

Il s'agit d'une petite structure administrative. Vous avez à peu près l'ensemble de son personnel auquel il ne manque que l'adjointe administrative. Nous travaillons avec des membres sur le terrain et ce sont eux qui font la force du Réseau.

Le comité sénatorial a produit, au terme de ses consultations, une synthèse éclairante de la situation de l'éducation en milieu minoritaire francophone. Le rapport contient des recommandations fortes qui, si elles sont mises en application, permettront une réelle amélioration de cette situation.

Parlons du premier thème retenu dans les réponses du gouvernement, soit l'engagement général à l'égard de l'éducation en milieu minoritaire francophone. L'engagement ferme du gouvernement d'appuyer l'éducation en milieu minoritaire francophone est ici réaffirmé et complété par une reconnaissance que des coûts supplémentaires sont associés à la prestation de programmes d'enseignement dans la langue de la minorité. Nous voyons là une belle ouverture et l'amélioration du financement de certains de nos collèges qui, la plupart du temps, sont financés comme les collèges de la majorité, sans tenir compte de leurs différences, des conditions dans lesquelles ils opèrent, des coûts additionnels de leur fonctionnement dans un environnement majoritairement anglophone et de leur double mandat.

Le développement de réseaux universitaires et collégiaux au sein des communautés minoritaires de langues officielles est présenté dans la réponse du gouvernement comme l'une des retombées de la collaboration fédérale-provinciale- territoriale des 35 dernières années. Il est vrai que des progrès ont été réalisés, mais le gouvernement reconnaît, dans sa réponse, que malgré les avancées, davantage pourrait être fait. Nous partageons cette opinion car il faut constater que le réseau est bien incomplet au collégial.

À l'heure actuelle, les communautés francophones en milieu minoritaire de seulement quatre provinces canadiennes ont accès à de la formation collégiale dispensée par des établissements accrédités par leur province respective — il s'agit du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario, du Manitoba et de la Nouvelle-Écosse. Pour ce qui est des autres provinces et territoires canadiens, l'accès à de la formation collégiale en français est embryonnaire et parfois inexistant. Les organismes assurant la prestation d'activités de formation ne sont pas encore accrédités par leur gouvernement respectif.

La réalité collégiale diffère donc grandement d'une province et d'un territoire à l'autre. Par conséquent, on ne peut pas actuellement parler d'un réseau pancanadien de formation collégiale dispensée en langue française. Les francophones du Canada vivant en milieu minoritaire n'ont certainement pas l'accès égal et équitable à une formation collégiale, dans leur langue, dont jouit la population anglophone.

Passons au commentaire sur le deuxième thème de la réponse du gouvernement touchant l'apprentissage et la garde des jeunes enfants. Nous souhaitons faire un bref commentaire sur ce thème pour exprimer notre satisfaction de voir ce volet inclus dans le continuum d'éducation en milieu minoritaire francophone et indiquer notre volonté de contribuer à la formation d'intervenants qualifiés dans ce domaine.

Un certain nombre de nos collèges membres offrent déjà des programmes de formation dans ce domaine, mais il faut en augmenter le nombre.

Concernant le troisième thème, l'enseignement primaire et secondaire, c'est sous ce thème que le gouvernement traite du Protocole d'entente Canada-Conseil des ministres de l'Éducation du Canada relatif à l'enseignement de la langue de la minorité et à l'enseignement de la langue seconde 2005-2006 à 2008-2009.

Nous nous réjouissons bien sûr que la mise en place de mesures qui permettent d'élargir l'accès aux services d'enseignement postsecondaire offerts dans la langue de la minorité, qui apparaissent comme une priorité stratégique, un domaine d'intérêt particulier méritant une attention spéciale au cours de la période visée par le présent protocole.

Nous voyons aussi d'un très bon œil l'appui de Patrimoine canadien à de nombreuses mesures provinciales et territoriales visant l'amélioration de la qualité des programmes offerts dans les écoles de la minorité de même que le recrutement et la rétention des élèves dans les écoles de langue française en milieu minoritaire au Canada. Ces mesures sont de nature à favoriser le passage à l'enseignement supérieur dans leur langue d'un plus grand nombre des diplômés francophones du secondaire et de réduire d'autant la difficulté trop souvent rencontrée par nos collèges d'atteindre un seuil d'inscription, une masse critique, qui rende un programme financièrement viable.

Quant au quatrième thème, où l'on parle spécifiquement de l'enseignement postsecondaire, le gouvernement, dans sa réponse, reconnaît l'accès à une formation et à une éducation postsecondaire de qualité comme un facteur déterminant de la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire. Depuis notre dernier passage devant vous, en mars 2005, nous nous sommes dotés d'un plan d'action qui veut assurer à la fois la mise en place de programmes et services actuellement quasi inexistants dans certaines provinces et territoires, ainsi que la consolidation et le parachèvement des programmes et services dans d'autres provinces. Les défis sont de taille, la situation toujours précaire et les acquis difficiles à assurer.

Dans ce plan, que nous avons mis à votre disposition, nous considérons que, pour les communautés francophones en milieu minoritaire, l'accès à une formation collégiale de qualité exige que les actions suivantes puissent être entreprises : la mise en place d'infrastructures physiques, l'achat d'équipement spécialisé et le développement de partenariat avec les employeurs, puisqu'il s'agit d'une formation avant tout pratique et orientée vers le marché du travail. Voilà notre priorité.

Le développement, l'adaptation et la mise à jour de cours et de programmes de formation.

La valorisation d'une formation collégiale de langue française, souvent méconnue des francophones.

Le recrutement de la clientèle des ayants droit, qui souvent abandonnent leurs études secondaires ou décident de transférer à une école secondaire de langue anglaise faute de débouchés francophones au niveau collégial.

Le recrutement de clientèles nouvelles, l'augmentation de l'accès pour les Autochtones parlant français, le recrutement d'une clientèle adulte qui a d'importants besoins de formation, de mises à niveau de compétences, de perfectionnement ou de réorientation de carrière.

Le développement d'articulation et de partenariat entre les divers établissements et organismes offrant de la formation postsecondaire en français au Canada.

La mise en place d'un réseau de formation à distance qui permet aux francophones en milieu minoritaire d'accéder à une gamme de cours et d'activités de formation de qualité.

Le recrutement et la formation de ressources humaines francophones compétentes. Toutes ces initiatives visent à favoriser le développement et l'épanouissement des communautés de langues officielles par l'entremise d'établissements forts qui permettent d'assurer la formation d'une main-d'œuvre bilingue compétente et bien outillée, capable de contribuer au développement économique du Canada.

En conclusion, je vous dirai que pour la réalisation de notre plan d'action, nous comptons bien sûr sur les ressources disponibles dans le cadre du Protocole d'entente Canada-CMEC. Mais il se peut qu'au moment où l'on se parle, le ministre des Finances soit en train, dans la présentation de son budget, d'annoncer une augmentation des transferts fédéraux en éducation postsecondaire. Si c'était le cas, y a-t-il des moyens disponibles pour le gouvernement fédéral d'assurer que les communautés francophones en situation minoritaire bénéficient pleinement de cette éventuelle augmentation des transferts? La mise en place d'un véritable réseau pancanadien de formation collégiale en français aurait bien besoin d'une telle injection de ressources additionnelles.

En terminant, vous me permettrez un petit commentaire bien sympathique. En lisant la réponse du gouvernement au sixième rapport du Comité sénatorial sur les langues officielles, j'ai remarqué que certains avaient des « recommendations » et d'autres, des « recommandations ». Cela prouve qu'il faut continuer de s'occuper de la langue française au Canada.

La présidente : Merci, messieurs. Je vais me permettre de poser la première question que j'adresserai à monsieur Allard.

Je suis totalement d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il est très important d'avoir cette formation au niveau collégial, de l'avoir en français et à travers le Canada. Il est aussi important d'avoir un réseau. Pourquoi est-ce si difficile? Il me semble que depuis toujours, on essaie d'avoir ce réseau, on essaie d'avoir cette formation au niveau collégial en français. Pourquoi est-ce si difficile?

M. Allard : Probablement parce qu'on n'a pas de plan national pour assurer le développement de cette formation collégiale en français partout au Canada. Et lorsqu'il n'y a pas cette volonté nationale qui s'exprime...

Je vous disais plus tôt, en terminant mon allocution, que s'il y a des transferts fédéraux, on souhaite que le gouvernement fédéral s'assure que l'on puisse avoir des fonds nécessaires au développement de la formation collégiale en français partout au Canada. Je pense qu'on exprime évidemment la question du financement ainsi que celle de la volonté politique qui doit s'exprimer par le gouvernement fédéral afin que cela puisse se faire d'un océan à l'autre en français. Le problème est là.

On pourrait toujours évoquer que les masses critiques ne sont pas toujours là pour prendre la défense à l'intérieur même de chacune des provinces, du développement de l'offre de formation. C'est peut-être une dimension qu'il faut considérer. Mais à la base, il faut une volonté du gouvernement fédéral pour influencer les choses et supporter les initiatives qui peuvent parfois venir des paliers de gouvernement provinciaux pour le développement de cette offre.

Je peux vous donner un exemple de ce qui s'est passé dernièrement avec un projet que le Réseau des cégeps et des collèges francophones du Canada a mis en place. C'est un projet qui vise un partage d'expertise entre des collèges du Québec et hors Québec. C'est un projet que nous avons réussi à vendre — pas facilement — pour financer ses activités, à la fois au gouvernement provincial du Québec et au gouvernement fédéral à travers Patrimoine canadien.

Je pense que c'est une initiative qui a demandé de la part des membres beaucoup de travail afin d'arriver à vendre cette idée. Cela s'appuyait évidemment — et c'est peut-être une force du Réseau des collèges, je tiens à le mentionner — sur le fait que ce soit un réseau pancanadien, où le Québec est représenté et s'associe avec les partenaires des autres provinces pour faire la promotion de l'enseignement collégial en français et faire des initiatives qui vont dans ce sens. Il y a peut-être un élément, à mon avis, qui est important.

Le sénateur Tardif : Ayant fait partie d'une institution membre de l'Association des universités de la francophonie canadienne, je veux simplement confirmer tout ce que d'anciens collègues, tels que M. Gélineau et M. Patry, ont indiqué quant à l'importance de l'appui du gouvernement fédéral pour le développement de nos communautés francophones minoritaires ainsi que pour le développement de ces institutions.

Je tiens également à dire que ces investissements du gouvernement fédéral sont essentiels parce que gérer des établissements et travailler dans des établissements qui répondent aux besoins des communautés francophones en milieu minoritaire, ce n'est pas la même chose que de gérer des institutions de la majorité. Il y a beaucoup de coûts additionnels et le contexte est complètement différent. En plus, ces institutions jouent souvent un rôle communautaire, du centre communautaire, du centre de recherche au centre de rencontre. Les fonds sont essentiels. J'ai pu aussi voir l'importance d'investir, par exemple, dans un réseau comme on l'a fait pour le réseau de la santé, et de voir que cet investissement, sur une période de cinq ans, a eu des effets positifs et qu'il y a eu des diplômés. On a ouvert l'accès à des études où il n'y avait pas d'accès auparavant pour les francophones. On se disait que souvent l'accès en français, c'est soit dans le programme de formation des maîtres ou dans le programme de baccalauréat en arts, mais que dans d'autres disciplines comme le droit, la médecine, la santé, le génie et autres, cela se faisait en anglais. Il n'y avait rien. C'est donc absolument essentiel.

Je suis donc tout à fait d'accord avec vos demandes de poursuivre en santé mais d'ouvrir d'autres voies de développement dans d'autres disciplines et de chercher des fonds pour cela.

Pouvez-vous m'expliquer pourquoi le soutien à l'internationalisation est important? Pourquoi des fonds sont nécessaires dans ce sens?

M. Patry : Autant au niveau de l'AUFC que de l'AUCC, les universités misent beaucoup sur l'internationalisation des programmes. C'est une priorité. C'est l'une des composantes importantes pour faire profiter nos étudiants d'une expérience à partir d'un contact avec les étudiants étrangers.

En fait, il y a deux volets à cette internationalisation. D'abord, cela favorise une mobilité de nos étudiants vers d'autres pays, d'autres institutions membres, pour leur faire profiter d'une expérience internationale, et en même temps, nous amenons des étudiants francophones des pays étrangers à venir étudier au Canada. Cela ajoute énormément à l'expérience universitaire de ces étudiants et des étudiants canadiens.

Je vous dirais que cela nous permettrait également d'augmenter la masse critique que certaines institutions déplorent maintenant pour alimenter certains programmes.

Il faut bien réaliser que ces étudiants qui nous viennent d'autres pays — et je tiens à préciser qu'on ne parle pas uniquement des pays en voie de développement —, sont sélectionnés par un recrutement ciblé. Dans notre proposition, on parle d'un recrutement ciblé pour attirer des étudiants francophones à venir étudier dans nos établissements et faire leur baccalauréat, leur maîtrise et leur doctorat et, qui sait, peut-être que plusieurs de ces étudiants choisiront de rester au Canada alors que d'autres retourneront dans leur pays d'origine et deviendront des ambassadeurs et des ambassadrices pour le Canada.

Je peux vous dire que c'est une préoccupation grandissante de toutes les institutions, de toutes les universités qui sont membres de l'AUFC et nous espérons que ce modèle sera adopté et appuyé par le gouvernement.

Tantôt, j'essayais de m'informer au sujet du budget et j'ai cru déceler une certaine ouverture vers l'internationalisation des programmes. J'en suis donc très heureux, cependant il faudra s'assurer de cibler les étudiants francophones et aussi d'offrir aux nôtres cette expérience d'étudier dans des institutions étrangères.

Le sénateur Tardif : Quel est le pourcentage d'étudiants internationaux dans les institutions membres?

M. Patry : À l'Université d'Ottawa, on calcule environ sept p. 100 des étudiants inscrits qui ont une adresse, qui sont des étudiants détenant un visa étudiant. Sur une population de 34 000 étudiants, on parle à peu près de 2 500 étudiants provenant de pays étrangers.

Guy Gélineau, vice-président et directeur général, Association des universités de la francophonie canadienne : Madame la présidente, l'AUFC compte environ 20 000 étudiants, tous niveaux confondus, surtout au niveau du premier cycle, et c'est à peu près de l'ordre de 10 p. 100 de la clientèle.

Le sénateur Tardif : Est-ce que cela correspond aux normes nationales?

M. Patry : À l'échelle nationale, c'est un peu plus bas, c'est autour de cinq à six p. 100 dans les universités. Dans notre institution, nous visons une proportion de 10 p. 100 d'étudiants internationaux payant des droits de scolarité étrangers. C'est l'un de nos défis.

Vous vous rappellerez, sénateur, que les étudiants étrangers qui viennent étudier dans des institutions canadiennes paient des frais de scolarité qui sont parfois près du triple de ce que paient les étudiants canadiens parce qu'ils ne sont pas éligibles aux subventions provinciales. C'est donc un problème pour nous. Attirer d'excellents étudiants qui ont la capacité de payer ces droits de scolarité représente un grand défi pour nous. Le projet de loi qui a été présenté prévoit un système d'appui à ces étudiants pour neutraliser ces frais de scolarité trop élevés pour la plupart et ceci nous aidera donc à atteindre nos objectifs.

M. Gélineau : Votre question renvoie aussi au défi fondamental qui guette chacun de nos établissements dans la précarité qu'ils vivent. Au fond, le défi des établissements francophones, des universités francophones — et cela vaut pour les collèges aussi — tient aux étudiants qu'ils vont être capables d'attirer. Il y a bien sûr ceux qu'on peut encore aller chercher dans nos communautés, c'est un premier devoir. Mais la deuxième cible, ce sont les étudiants étrangers. Et c'est la main-d'œuvre de demain aussi. On recrute, ce faisant, pour ceux qui vont rester chez nous, des gens qui vont s'intégrer dans notre milieu.

Les études démontrent d'ailleurs que lorsqu'on intègre un étudiant et qu'il reste chez nous, il intègre très bien la communauté. Il y a d'ailleurs des exemples notoires et notables dans certains établissements de l'Ouest canadien où l'on voit une intégration réelle d'étudiants de minorité visible dans les institutions, dans les communautés qui autrefois étaient peut-être moins sensibles à ces réalités.

La troisième réalité cible le problème de la démographie; vise les étudiants d'immersion. C'est un nouveau défi pour nos établissements. Donc, outre les problèmes financiers qui, nous croyons, peuvent être résolus, en bonne partie, par le gouvernement fédéral, la survie des établissements passe par un triple défi démographique : maintenir les inscriptions et répondre aux besoins des étudiants des populations là où elles sont— nos établissements ne sont pas toujours à la bonne place, l'histoire est ainsi faite —, aller chercher des étudiants d'immersion et aller chercher des étudiants étrangers.

Un autre avantage qu'ont les étudiants étrangers à passer par nos établissements, si je peux m'exprimer ainsi, c'est qu'on en fait aussi des diplômés bilingues. C'est une particularité de tout notre réseau universitaire. Vous êtes assuré, sans le demander, que l'étudiant qui passe dans une de nos communautés sera bilingue à la fin. Mais pour réussir à maintenir ces défis, comme le recteur l'a souligné à juste titre, nous devons trouver une solution au différentiel des frais de scolarité. Nous sommes en concurrence — il faut le dire —, quand on est à l'extérieur du Québec, avec les universités québécoises. Si le gouvernement fédéral ne vient pas aider nos institutions, cela crée d'autant plus de problèmes.

Le sénateur Comeau : Monsieur Patry, dans votre présentation, vous avez dit que vous aviez déposé un plan d'action 2005-2010 qui fut par la suite mis à jour. Quand avez-vous soumis le plan 2005-2010?

M. Patry : En décembre 2004, je crois. Je crois qu'une copie de la mise à jour vous a déjà été envoyée. C'est une mise à jour de ce plan, actualisé en fonction des nouveaux besoins, et jusqu'à tout récemment, on n'a pas eu de réponse à ce sujet.

Le sénateur Comeau : Essentiellement, c'est le même plan, sauf que c'est une mise à jour.

M. Patry : C'est une mise à jour du document, actualisé en fonction des nouveaux besoins.

Le sénateur Comeau : On verra ce soir dans le budget si on peut avoir de l'espoir.

M. Patry : En entrant, tantôt, j'essayais d'examiner un peu le budget et j'ai vu qu'il y a une certaine ouverture à l'internationalisation et à la mobilité étudiante. Je pense que cela augure très bien. Ce qu'on vous présente aujourd'hui dans ce plan, c'est l'internationalisation de nos programmes, la mobilité étudiante des deux côtés, mais du côté francophone, pour effectivement, comme le disait mon collègue et madame la sénatrice, alimenter davantage nos programmes à travers le pays avec cette clientèle additionnelle.

Le sénateur Comeau : Monsieur Allard, je vous félicite d'avoir mis sur pied le Réseau des cégeps et des collèges francophones du Canada. Depuis quand le Réseau existe-t-il?

M. Allard : Depuis 1995.

Le sénateur Comeau : C'était l'époque où on aurait pu sentir une certaine résistance. Mais je présume qu'il n'y a pas eu de résistance de la part des autorités des cégeps, n'est-ce pas?

M. Allard : Non, il n'y a pas eu de résistance. Le Réseau a convaincu les directions des collèges du Québec qu'elles avaient un rôle à jouer sur le plan du développement de la francophonie canadienne.

Je suis fier de ce que le Réseau a accompli jusqu'à ce jour. Il est encourageant de voir que 32 collèges et cégeps sont membres du Réseau et qu'ils y voient là une préoccupation de défense et de promotion du fait français au Canada. Ils auraient pu y voir un intérêt corporatif, mais ce n'est pas le cas.

À travers les partenariats que le Réseau établit entre des collèges de partout au Canada, on s'aperçoit que les collèges du Québec ont beaucoup appris des institutions scolaires hors Québec qui doivent travailler en milieu minoritaire, avec des ressources limitées et qui réussissent à faire des choses admirables.

Les collèges du Québec ont appris, et cela fait en sorte qu'aujourd'hui le membership du RCCFC au Québec est plus élevé que jamais. Dans le Réseau, on parle de mobilité et la fédération canadienne trouve important que cette mobilité existe à l'intérieur du Canada entre des institutions francophones au Québec et hors Québec. Il est important que les jeunes Québécois aillent voir ce qui se passe en Alberta ou en Colombie-Britannique, qu'ils connaissent une autre facette du Canada avec laquelle ils ne sont pas familiers.

On veut développer cette mobilité, mais nos moyens sont très limités. On bénéficie d'un financement du gouvernement fédéral de l'ordre de quelques centaines de milliers de dollars qui permet à des étudiants de niveau collégial d'aller voir ce qui se passe ailleurs.

Le sénateur Comeau : Je vous félicite. C'est vraiment encourageant de constater que le Réseau va bien. Lorsque j'étais dans le domaine de l'enseignement à l'époque, il y avait des choses que je voulais apprendre des cégeps du Québec. Je m'intéressais au concept de la formation de l'entreprenariat qui n'existait pratiquement pas à l'extérieur du Québec et j'ai beaucoup appris des cégeps. À l'époque j'aurais bien aimé faire part de l'existence de votre organisation.

M. Allard : Permettez-moi de mentionner que beaucoup de collèges au Québec sont actifs à travers le Réseau mais ce ne sont pas les seuls. Le Nouveau-Brunswick est aussi très actif à l'intérieur du RCCFC depuis sa création. Il joue un rôle important, tout comme les collèges de l'Ontario qui ont peut-être la chance d'avoir une vitalité un peu plus grande qu'ailleurs au Canada. Donc il faut aussi saluer le travail de ces collèges qui croient au développement de la formation collégiale en français au Canada et qui y participent avec leurs compétences.

Le sénateur Losier-Cool : Monsieur Allard, merci d'avoir mentionné le travail qui se fait au Nouveau-Brunswick. Je suis présidente d'honneur de la Fondation du Collège communautaire de Bathurst et je peux vous assurer qu'il y a un très beau travail qui se fait là pour faire reconnaître la francophonie.

Cela étant dit, je voudrais prendre une autre tangente qui ne concerne pas nécessairement le financement. Si tous les jeunes de 18 ans voulaient aller à l'université, peut-être qu'il y aurait suffisamment de fonds grâce à la masse critique. Comment se fait-il que dans un pays comme le Canada ne trouve pas plus de motivation, de goût pour l'excellence pour donner accès à l'université à tous les jeunes? Est-ce que c'est parce que tout le village global n'y participe pas assez? Le but de mon intervention est d'essayer de ne pas y voir que l'aspect financier de la question. D'ailleurs, on dit qu'au Québec les frais de scolarités universitaires sont les moins élevés au pays, mais que c'est là qu'il y a le moins d'étudiants universitaires. Ce n'est pas nécessairement une question d'argent. Que pourrait-on faire de plus? Vous avez une bonne expertise sur le plan de la formation postsecondaire au pays. Pourriez-vous nous dire ce qui manque?

M. Patry : Vous soulevez une excellente question. Effectivement, le taux de participation aux études universitaires en Ontario est autour de 24 p. 100. Pour les 18 à 24 ans, un étudiant sur quatre ou une personne sur quatre poursuivra des études universitaires.

Évidemment, quand on ajoute le collégial, cela frise le 50 p. 100. Je dois dire que le taux de participation augmente d'année en années. Et si on identifiait le taux de participation des francophones, vous verriez que le taux de participation est plus bas que celui de l'ensemble de la population ontarienne. Je pense qu'on a le devoir, en tant qu'institution, de valoriser l'enseignement universitaire, de faire valoir les bénéfices de l'enseignement universitaire.

Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que ce n'est pas qu'une question d'argent parce que l'exemple que vous avez donné tantôt le démontre très bien. Par contre, il y a certains segments de la population pour lesquels il faut examiner les politiques d'accessibilité, c'est-à-dire déterminer si l'étudiant qui vient d'une famille moyenne a les mêmes intérêts ou les mêmes aptitudes financières pour se permettre une éducation universitaire.

Il faut s'assurer que l'accessibilité soit là, mais en tant que dirigeant d'une université, je pense qu'on a aussi la responsabilité de bien communiquer les bénéfices associés. Et c'est la raison pour laquelle le plan qui vous a été soumis fait état d'une sensibilisation des jeunes aux études universitaires.

La plupart des universités du Réseau visitent toutes les écoles secondaires de leur province, mais ce n'est pas uniquement le fait de sensibiliser les jeunes alors qu'ils sont en onzième année ou en douzième année. Il s'agit de sensibiliser ces jeunes dès le début, tel que vous l'avez entendu de la part des interlocuteurs qui nous ont précédés.

Cela est primordial si on veut alimenter le réseau d'universités. Il faut s'assurer que les étudiants francophones choisissent une université ou un collège francophone. Une des choses que je disais l'autre jour dans un discours que je livrais, c'est que l''étudiant francophone, qu'il vienne du Nouveau-Brunswick ou de l'Alberta, a un choix parce qu'il est habituellement bilingue et il peut s'exprimer aussi bien en anglais qu'en français.

En tant qu'institution, il ne s'agit pas juste d'offrir des programmes, mais d'offrir des programmes de haute qualité pour que l'étudiant choisisse de venir étudier par exemple à la faculté Saint-Jean, au Collège universitaire Saint- Boniface ou à l'Université Sainte-Anne.

Le sénateur Comeau : C'est une bonne université.

M. Patry : C'est un excellent collègue universitaire. Malheureusement, on revient toujours à des questions d'argent, mais il faut s'assurer que ces institutions aient les ressources pour être compétitives avec les autres institutions. La compétition comprend toutes les institutions de l'Ontario et du Canada. Il faut s'assurer d'amener ces étudiants dans nos institutions francophones.

On parlait aussi des étudiants en provenance des écoles d'immersion. Je pense que c'est un des éléments clés à toutes nos institutions, de l'AUFC et également des collèges. Chez nous, on a lancé cette année pour la première fois, un programme d'immersion universitaire pour attirer des étudiants en provenance des écoles d'immersion francophones à travers le Canada, et de leur donner l'occasion de prendre trois ou quatre cours en français, et peut-être deux ou trois cours en anglais. On leur offre donc de continuer dans le même modèle d'immersion que celui auquel ils ont été habitués. On s'est aperçu que cela a été un succès extraordinaire.

Évidemment, nos ressources sont limitées. On a testé l'initiative et dans ce que l'AUFC vous a présenté, il y a un programme chiffré bien précis, je pense qu'on l'a chiffré à peu près à 18 millions de dollars, pour attirer les étudiants en provenance des écoles d'immersion dans nos établissements. Comme le disait Guy Gélineau tantôt, ces étudiants ont fait d'une pierre deux coups parce qu'ils vont vivre dans un environnement francophone ou bilingue et vont développer des compétences linguistiques. Ils vont être d'excellents citoyens bilingues au sortir de nos institutions.

Le sénateur Losier-Cool : Je ne voulais pas en parler, mais je vais en parler parce que vous faites référence à l'immersion universitaire. Le nouveau commissaire aux langues officielles, M. Fraser, dans son livre Sorry, I don't speak French, disait la même chose que vous pour les universités anglophones. Autrement dit, il pense que lorsqu'on sort d'une université du Canada, on devrait avoir une certaine compétence dans les deux langues officielles et avoir suivi des cours dans les deux langues officielles. C'est une chose à laquelle j'ai toujours cru.

Est-ce que cette immersion universitaire pourrait se faire de l'autre côté aussi? Est-ce qu'ils ont une demande pour le faire?

M. Patry : Vous parlez d'une immersion universitaire?

Le sénateur Losier-Cool : Des universités anglophones qui enseigneraient le français.

M. Patry : Pour avoir travaillé à la fois dans une université francophone au Québec et dans une université anglophone en Ontario avant de me joindre à l'Université d'Ottawa, je dois dire que cela présente un défi particulier pour ces institutions qui ont déjà un mandat et une mission particulière, soit celle de former des étudiants dans un domaine particulier.

Je sais que certaines universités sont déjà en train d'examiner cette possibilité d'offrir en français certains programmes ou une partie de programme. Je trouve cela très louable. En revanche, nous disons dans notre document que les institutions francophones en situation minoritaire sont très fragiles en ce moment. Il ne faudrait pas fragiliser davantage ces institutions en dispersant ces sommes d'argent, qui sont très limitées, à travers un ensemble d'universités au Canada.

Alors que j'étais dans une autre université de l'Ontario, une université anglophone, on avait examiné cette possibilité d'offrir des programmes en français, alors que j'étais là, parce que certains professeurs comme moi pouvaient enseigner en français ou en anglais. On s'est aperçu que le coût pour livrer un programme partiellement en français dans ces institutions était énorme. Il n'y avait pas l'environnement, la masse critique suffisante pour maintenir un milieu de vie francophone dans ces institutions.

Je reviens à ce que je vous ai dit tantôt; je pense que cette dispersion risquerait de fragiliser les institutions existantes qui ont besoin de votre aide et de l'appui du gouvernement.

M. Allard : La question de madame la sénatrice m'interpelle. Cela fait 35 ans que je suis dans le milieu et cela fait 35 ans que je me pose cette question. Je ne suis pas sûr d'avoir toute la réponse. Ce que je pourrais vous dire, d'une part, c'est qu'avec les jeunes il est important de réunir certaines conditions pour qu'ils acceptent de poursuivre leurs études. Ces conditions sont multiples et ne sont pas simples à réunir, mais on peut faire intervenir par exemple la motivation, le soutien des parents, le soutien de la communauté, le soutien des employeurs, la possibilité d'avoir un emploi par la suite, la réponse à leur façon d'apprendre au bon moment et de la bonne façon.

Quand on parle de jeunes de 17, 18 ans, j'ai remarqué dans ma carrière que leur parcours en éducation est très fragile. Il peut y avoir peu de chose, on peut ne pas se rendre compte qu'il y a des facteurs qui interviennent pour que les jeunes décrochent et qu'ils n'aillent pas plus loin. Il faut se préoccuper de cela. Il faut multiplier les voies de formation. Il ne faut pas chercher la formule unique. Les gens n'apprennent pas tous de la même façon. On pourrait observer facilement que les garçons et les filles n'apprennent pas de la même façon, on l'observe très clairement dans les études. Il faut varier les façons d'enseigner à ces gens.

Il faut aussi prendre en compte que leurs besoins, ce qu'ils veulent apprendre, n'est pas semblable pour tout le monde. Je suis d'accord avec mon confrère qui parle des études universitaires, mais il ne faut pas oublier que le Canada a aussi besoin de techniciens, de gens qui ont appris des métiers. Si la pression est énorme pour qu'ils fassent des études universitaires, il y a des jeunes qui vont décrocher parce qu'ils veulent faire autre chose. Le Canada a besoin de gens qui sont formés aussi par les collèges un peu partout, et par les conseils scolaires à travers le Canada.

C'est une question complexe. Il faut souvent être là au bon moment avec la bonne réponse pour accueillir les jeunes dans un profil de formation adapté à ce qu'ils recherchent.

M. Gélineau : À long terme, je pense que les éléments de réponse viennent d'être donnés. Il faut avoir une action soutenue à partir de la petite enfance, en passant par l'élémentaire, le secondaire, pour finir par améliorer l'accessibilité au niveau universitaire pour toutes sortes de raisons qui sont fort bien documentées.

Au risque de ne paraître préoccupé que par des raisons bassement financières, sénateur, il n'en reste pas moins qu'avec 63 millions de dollars, le CNSF a réussi à augmenter l'accessibilité à des professions auxquelles les francophones n'avaient pas accès. Tout ce qu'on vient de vous redire aujourd'hui, et qu'on répète au gouvernement, dans notre cas à nous, l'AUFC, depuis au moins trois ans, c'est que si vous mettez 70 ou 75 millions, vous allez avoir des résultats semblables. Il n'y a pas de raison qu'on ne les ait pas dans des domaines comme le droit, le notariat, les affaires et d'autres professions.

C'est le plaidoyer que nous faisons, sans sous-estimer tous les autres éléments. On est parvenu à un succès. Pourquoi ne le répète-t-on pas, pourquoi n'apprend-on pas de ce succès? Ce succès a été financé il y a maintenant trois ou quatre ans. On est sans réponse pour le reste. Les universités et les collèges ne reposent pas uniquement sur la santé. Il y a d'autre chose dans notre société. Nos francophones attendent autre chose aussi et ce n'est pas les provinces qui peuvent le faire. Il faut une intervention du fédéral.

Pour un établissement qui a 600 étudiants, comme la faculté Saint-Jean, avec toute la meilleure volonté du monde et dans l'univers où il navigue avec des dizaines de milliers d'étudiants anglophones dans une province qui n'a pas toutes les sensibilités, il continue à se développer dans ce milieu avec les compromis qu'il est obligé de faire. Mais il est impensable que le fédéral ne vienne pas les soutenir comme il le fait en santé ou dans d'autres domaines. C'est le plaidoyer de fond que nous faisons, qui demande plus que seulement de l'argent.

Cela nécessite une conviction de la part du gouvernement, de venir soutenir ces institutions pour qu'on puisse déboucher, survivre et rendre à la société canadienne ce à quoi elle est en droit de s'attendre en termes de formation professionnelle bilingue.

Le sénateur Tardif : Afin d'obtenir une éducation égale aux institutions anglophones, les institutions francophones en milieu minoritaire doivent aussi se préoccuper de la recherche pour les professeurs, les étudiants et le développement de nouvelles connaissances, je pense qu'on a quelque chose à faire. Si on ne le fait pas, on est marginalisé. Croyez-vous que le gouvernement appuie suffisamment le développement de la capacité de recherche dans nos institutions postsecondaires francophones?

M. Patry : Il y a là deux questions. D'abord, est-ce que le gouvernement appuie suffisamment la recherche? C'est une question. Et l'autre, c'est la recherche dans les institutions francophones. À ce niveau-là, je crois qu'il y a effectivement beaucoup de travail à faire.

On a été une des universités qui a lancé ce programme de chaire sur la francophonie canadienne, à l'instar des chaires de recherche du Canada. On s'est dit qu'en tant qu'institution, on allait investir dans ce domaine.

Vous avez absolument raison, il faut investir dans les capacités de recherche des institutions. Cela revient à ce que je vous disais tantôt, l'étudiant ou l'étudiante qui cherche une institution, qui veut aller soit à la faculté Saint-Jean, soit au Collège universitaire de Saint-Boniface ou autre, il ou elle voudra s'assurer qu'il y a un environnement de recherche qui nourrit la formation au premier cycle.

En tant qu'institution, il faut aussi, de notre côté, se préoccuper du recrutement de ces professeurs qui eux, sont très mobiles. Ils vont aller là où l'institution appuie le plus leur domaine de recherche. La rétention est également un autre problème.

Pour répondre à votre question, je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire pour améliorer et rendre les capacités de recherche des institutions francophones égales ou même marginalement égales. On a effectivement beaucoup de chemin à faire de ce côté.

La présidente : Messieurs, je vous remercie pour vos présentations et merci d'avoir accepté de répondre à toutes nos questions. Ce sont des gens comme vous qui nous permettent de faire encore mieux notre travail en tant que sénateurs.

La séance est levée.


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