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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 16 - Témoignages du 4 juin 2007


OTTAWA, le lundi 4 juin 2007

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 16 heures pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la Loi.

Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Mon nom est Maria Chaput, je suis la présidente du comité et je viens du Manitoba. Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais tout d'abord présenter les membres du comité.

À ma gauche, nous avons les sénateurs Comeau, de la Nouvelle-Écosse, Murray, de l'Ontario et Keon de l'Ontario également. À ma droite, avons les sénateurs Tardif, de l'Alberta et Losier-Cool, du Nouveau-Brunswick.

Aujourd'hui, nous entendons le commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser. Il est accompagné de M. Gérard Finn, commissaire adjoint, Direction générale des Politiques et des Communications et de M. Renald Dussault, commissaire adjoint, Direction générale de l'Assurance et de la Conformité.

Nous allons tout d'abord vous demander de faire votre présentation, ensuite nous passerons à une période de questions et de réponses avec les sénateurs. Monsieur le commissaire, la parole est à vous.

[Traduction]

Graham Fraser, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Madame la présidente, je suis très heureux de vous rencontrer aujourd'hui pour vous parler de mon tout premier rapport annuel déposé le 15 mai dernier et de vous en présenter les faits saillants.

L'avant-propos du rapport annuel résume ma vision de la place qu'occupent nos deux langues nationales dans la société canadienne et du rôle du commissaire aux langues officielles.

Je pars du principe que nos deux langues officielles, l'anglais et le français, appartiennent à tous les Canadiens et Canadiennes. Nous vivons dans un pays où l'on parle 150 langues, dont certaines étaient parlées sur ce territoire bien avant l'arrivée des Européens. Cependant, le dialogue national se déroule en anglais et en français.

Selon moi, nos deux langues officielles, l'anglais et le français, appartiennent à tous les Canadiens et Canadiennes et sont des outils formidables pour bâtir des ponts entre les gens. La valeur sur laquelle cette notion s'appuie est le respect : le respect des citoyens unilingues, des communautés de langue officielle, du public qui reçoit des services du gouvernement fédéral et des employés qui y travaillent.

La grande majorité des Canadiens et des Canadiennes appuie volontiers la politique des langues officielles, malgré que l'on comprenne encore assez mal son application. Les rôles d'éducation et de promotion que me confère mon mandat sont donc primordiaux. Il ne faut pas oublier que ces deux activités principales sont complémentaires à mes responsabilités de défense des droits et d'évaluation du rendement du gouvernement.

Dès son entrée en fonction, l'administration actuelle a envoyé des signaux positifs à l'égard du respect de la dualité linguistique canadienne. Les interventions publiques du premier ministre Stephen Harper, qui commence souvent ses allocutions en français, en sont un exemple éloquent. Mentionnons aussi les déclarations effectuées à plusieurs reprises par la ministre de la Francophonie et des langues officielles, Josée Verner, voulant que le plan d'action pour les langues officielles était un minimum et qu'il n'était pas remis en question.

Bien qu'il s'agisse de messages positifs, ceux-ci sont toutefois ternis par des démarches qui diminuent sensiblement leur rayonnement. En effet, je note un écart appréciable entre les paroles et les gestes. C'est de ces actions posées au cours de la dernière année dont je vais vous entretenir.

[Français]

Les compressions budgétaires annoncées au mois de septembre ont provoqué le dépôt de plusieurs plaintes à mon bureau par des gens qui considéraient que certaines de ces mesures avaient un impact négatif sur les communautés de langue officielle.

L'abolition du Programme de contestation judiciaire, en particulier, porte un dur coup à la capacité des Canadiens et des Canadiennes de défendre leurs droits linguistiques. L'élimination du Fonds d'innovation de la fonction publique est un autre exemple éloquent de mesures navrantes prises au mois de septembre dernier.

Vous avez sûrement entendu parler de la portée de notre rapport d'enquête préliminaire sur le Programme de contestation judiciaire. Tel que vous avez pu le remarquer, nous avons constaté que le gouvernement n'avait pas pris en compte l'impact de la suppression du programme sur les communautés de langue officielle. Nous tiendrons compte des commentaires des personnes, qui ont déposé une plainte et des institutions concernées dans la rédaction de notre rapport final.

D'autre part, nous attendons toujours de connaître la suite que donnera le gouvernement actuel au Plan d'action pour les langues officielles. Le Plan d'action prévoyait des investissements de 787 millions de dollars sur cinq ans dans plusieurs secteurs essentiels au progrès de la dualité linguistique.

Ce plan se termine le 31 mars prochain et l'inquiétude grandit chez les intervenants qui attendent impatiemment la suite que donnera le gouvernement. L'injection récemment annoncée de 30 millions de dollars sur deux ans pour appuyer les communautés de langue officielle peut difficilement remplacer un plan qui permettait des interventions importantes dans plusieurs domaines stratégiques. À moins d'une réaction rapide de la part du gouvernement, l'élan donné aux langues officielles en 2003 me semble compromis.

Je recommande donc que la ministre des langues officielles, en collaboration avec les communautés, les provinces et les territoires, conçoive au cours de la prochaine année une initiative qui succédera au Plan d'action pour les langues officielles et qui consolidera les acquis.

Durant le processus de conception, le gouvernement fédéral devra considérer attentivement l'élargissement de la portée du Plan d'action pour les langues officielles pour inclure, notamment, les domaines des arts et de la culture, les initiatives destinées aux jeunes et de nouvelles mesures visant la promotion de la dualité linguistique.

Le gouvernement fédéral a effectué des changements importants à la structure de gouvernance des langues officielles. En effet, depuis février 2006, la ministre des langues officielles s'est vue confier deux rôles distincts, soit la coordination de l'ensemble des activités des institutions fédérales liées aux langues officielles et la gestion des programmes d'appui aux langues officielles de Patrimoine canadien.

Un autre changement important est le transfert du Centre de coordination des langues officielles, qui est passé du Bureau du Conseil privé au ministère du Patrimoine canadien.

Le Comité des sous-ministres responsables des langues officielles a été aboli. Ce comité appuyait le greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet dans son rôle de leadership au sein de l'appareil fédéral afin que se concrétisent les objectifs de la politique linguistique canadienne. Je suis préoccupé que ces changements affaiblissent la gouvernance horizontale. Je recommande donc que la ministre des langues officielles revoie le cadre d'imputabilité et de coordination en langues officielles en tenant compte des changements apportés à la gouvernance des langues officielles et des nouvelles obligations des institutions fédérales qui découlent des modifications législatives de novembre 2005.

Bref, les actions du gouvernement, et dans certains cas son inaction, sèment le doute quant à son véritable engagement à la mise en œuvre de la nouvelle partie VII de la Loi sur les langues officielles. Et pourtant, on se rappelle tous que le projet de loi avait reçu un appui de taille du parti politique actuellement à la tête du gouvernement. En décembre 2005, le greffier du Conseil privé a écrit aux institutions fédérales pour les inciter à examiner dans quelles mesures elles s'acquittaient de leur mandat relativement à la nouvelle partie VII et à apporter les améliorations requises. Depuis ce temps, Patrimoine canadien a fait une tournée de sensibilisation et a publié un guide, qui vise à orienter les institutions du gouvernement fédéral dans l'exercice de leurs responsabilités à l'égard de la mise en œuvre de l'engagement du gouvernement énoncé à l'article 41.

Je les félicite de ces initiatives et je les encourage à aller plus loin en établissant des attentes claires envers les institutions et en mettant en œuvre mes recommandations.

Je recommande que la ministre des langues officielles veille à ce que Patrimoine canadien revoie ses mécanismes de reddition de compte pour la mise en œuvre des articles 41 et 42 de la loi afin de mettre davantage l'accent sur les résultats. Je recommande également que la ministre des langues officielles veille à ce que Patrimoine canadien adopte une approche plus transparente lors de la mise en oeuvre de l'article 41 de la loi lorsqu'il détermine quelles institutions ont les incidences les plus prépondérantes sur les communautés et sur la promotion de la dualité linguistique.

[Traduction]

Je crains une application moins rigoureuse de la Loi sur les langues officielles au sein de la fonction publique fédérale. Sans un leadership soutenu des dirigeants, un recul est imminent.

Dans ce contexte, je ne peux que m'inquiéter des données recueillies sur le service au public et la langue de travail présentées dans le rapport annuel. Je crains que ce relâchement s'accélère si, en plus de perdre les outils nécessaires pour fournir un service de qualité, la fonction publique doute de l'engagement du gouvernement à l'égard des langues officielles.

Je recommande donc que les administrateurs généraux des institutions fédérales s'assurent que le personnel de première ligne et tous les agents qui répondent aux demandes de la clientèle offrent activement, dès le premier contact, les services dans les deux langues officielles afin de favoriser l'utilisation de la langue officielle de choix du public.

Je demande au gouvernement de se pencher sur les cinq recommandations qui lui permettraient d'assumer un leadership clair et de concentrer son action sur des initiatives porteuses de résultats.

Avant de terminer, je voudrais parler brièvement des conclusions de notre vérification de la mise en œuvre de l'article 41 de la Loi sur les langues officielles au CRTC. Je suis d'avis que le CRTC a un rôle important à jouer dans l'appui au développement des communautés de langue officielle et dans la promotion de la pleine reconnaissance et de l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne. La dualité linguistique est l'un des principes fondamentaux de la politique canadienne de radiodiffusion. En raison du rôle de premier plan qu'il joue à cet égard, le CRTC doit adopter une politique et un ensemble de lignes directrices pour assurer une mise en œuvre uniforme de la Loi sur les langues officielles dans le cadre de son mandat.

Au moment de notre vérification, la dualité linguistique n'était pas intégrée systématiquement au sein de l'organisation. Par exemple, le plan d'action 2004-2005 du CRTC aurait pu gagner en précision et en directives. De plus, le secteur des télécommunications ne fait pas partie du plan d'action, et ce dernier ne précise aucune activité ayant trait à la mise en œuvre du deuxième volet de l'article 41 de la loi, soit la promotion de la pleine reconnaissance et de l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.

Dans le contexte de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, cette vérification donne au CRTC l'occasion de revoir ses politiques et ses procédures et d'être au premier rang des ministères, organismes et sociétés d'État du gouvernement fédéral à avoir développé un « réflexe partie VII ». Selon les modifications apportées à la loi, il faut prendre des mesures positives pour favoriser le développement des communautés de langue officielle et promouvoir les deux langues officielles.

[Français]

En terminant, j'aimerais revenir à votre rapport sur le déménagement des sièges sociaux d'institutions fédérales. Soyez assurés que nous mettrons en œuvre la recommandation qui nous est adressée. J'en profite pour vous féliciter de votre excellent travail dans ce dossier. Il s'agit, à mon avis, d'une question très importante.

Nous évaluerons l'impact qu'a eu le transfert du Secrétariat des langues officielles du Bureau du Conseil privé au ministère du Patrimoine canadien sur la gestion du programme des langues officielles. Nous ferons part au gouvernement de nos recommandations pour améliorer la coordination horizontale de l'action gouvernementale en matière de langues officielles.

Il me fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci, monsieur Fraser. La première question sera posée par le vice-président de notre comité, le sénateur Keon.

Le sénateur Keon : Monsieur le commissaire, vous avez mentionné en passant, ainsi qu'à votre conférence de presse de l'autre jour, le rôle de la culture dans la promotion des langues officielles. Notre comité a également discuté brièvement de cette question. Le sénateur Losier-Cool, plus particulièrement, a soumis l'idée au comité, et nous avons essayé de voir comment nous pourrions nous servir de la culture pour promouvoir, entre autres, la culture francophone d'un bout à l'autre du pays.

Qu'en pensez-vous?

M. Fraser : C'est une vaste question. Nous entamons à peine notre réflexion. Nous avons entrepris des projets de recherche pour examiner des secteurs plus particuliers.

Pour analyser l'importance de la culture, on peut entre autres imaginer comment une personne qui vit dans une communauté de langue officielle minoritaire arrive à vivre dans son milieu linguistique. Il est certain qu'il est possible d'avoir accès à des services par des mécanismes institutionnalisés, mais pour le reste, une telle personne trouverait-elle à la radio et à la télévision un reflet de sa communauté? Aurait-elle accès à des longs métrages, à des pièces de théâtre et à des œuvres littéraires? Quels livres seraient disponibles dans les bibliothèques locales? Y aurait-il des bibliothèques dans les écoles de leurs enfants? Dans quelle mesure la communauté pourrait-elle donner une image visible de la langue et de la culture auxquelles elle appartient?

Je pense souvent aux sept années durant lesquelles j'ai vécu à Québec. Nous pouvions aller voir des films en anglais au cinéma. Je travaillais pour un journal de langue anglaise auquel nous étions abonnés. Mes enfants pouvaient fréquenter des écoles anglophones, mais aussi se prévaloir de services de santé. Même s'il n'y avait que 15 000 anglophones dans une localité comptant quelque 850 000 âmes, nous avions accès à la culture anglophone.

On ne peut s'attendre bien sûr à ce qu'une communauté de langue minoritaire ait le choix entre autant d'œuvres cinématographiques qu'à Montréal ou à Toronto. Il existe des moyens de veiller à ce qu'une famille ou une communauté puisse avoir accès à des ressources culturelles et ne se retrouve pas isolée. La langue et la culture ne se vivent pas seulement autour de la table à l'heure des repas, elles doivent trouver un écho plus large. Il ne faut jamais sous-estimer l'importance du rôle que peuvent jouer la CBC et Radio-Canada pour ce qui est d'offrir aux gens un accès constant à leur culture, dans leur langue, partout au Canada.

Je me souviens avoir traversé la Saskatchewan au volant d'une voiture de location en écoutant Radio-Canada. Il ne faut jamais sous-estimer l'importance que cet accès peut avoir pour les familles. La communauté n'est peut-être pas toujours visible, mais au moins elle peut avoir accès à sa culture.

Le sénateur Keon : Il semble qu'à l'époque du premier ministre Pearson, la promotion des échanges culturels était beaucoup plus active que maintenant. Est-ce vraiment le cas ou est-ce seulement mon impression?

M. Fraser : C'est un peu des deux. La première chose qui m'a amené en tant qu'élève du secondaire à Toronto à m'informer sur la culture québécoise et à vouloir la comprendre a été un concert de Gilles Vigneault auquel j'ai assisté, en 1964, à l'Université de Toronto. À cette époque, les artistes québécois déployaient de grands efforts pour rejoindre les gens. Gilles Vigneault n'a pas donné seulement des spectacles à l'Université de Toronto, mais aussi au Mariposa Folk Festival. Il existait un plus grand intérêt réciproque entre les groupes linguistiques. Mais on a sabré dans le financement de tels programmes. Récemment, on a éliminé le financement de la diplomatie culturelle. Cette mesure a eu des conséquences et elle a réduit la possibilité des artistes de voyager à l'étranger et de rencontrer d'autres artistes canadiens de groupes linguistiques différents.

En outre, il est plus difficile pour les artistes d'obtenir maintenant du financement, comparativement à ce qui s'est déjà fait par le passé. Toutefois, je ne peux pas faire de comparaison directe.

Par contre, certains programmes ont été améliorés. On accorde un financement intéressant aux artistes de minorité francophone afin qu'ils puissent faire des tournées dans les collectivités francophones de l'Ontario, mais je ne suis pas certain dans quelle mesure ce financement permet de rejoindre l'autre communauté linguistique. Dans les années 1960, il existait une sorte de curiosité mutuelle entre les communautés linguistiques, et je me demande parfois si cette curiosité est aussi intense maintenant qu'elle l'était à cette époque.

[Français]

Le sénateur Tardif : Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre rapport annuel, monsieur le commissaire. J'aimerais également vous féliciter de l'excellent discours que vous avez prononcé lors du Sommet des communautés francophones et acadiennes. Tous ont semblé en être très heureux. Vos commentaires et votre engagement ont fait l'objet d'éloges.

Ma question concerne le projet de loi S-3. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles s'est engagé, dans la prochaine année, à faire une étude sur la mise en œuvre des modifications apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles et, plus particulièrement, du projet de loi S-3.

Dans votre rapport annuel, vous avez défini le terme « mesures positives »; définition que je trouve fort intéressante. Pourriez-vous nous exposer cette définition et nous indiquer les mesures positives qui furent prises au cours de la dernière année par rapport aux institutions fédérales?

M. Fraser : Avec tout le respect que j'ai envers le Sénat, je tente toutefois de ne plus parler du projet de loi S-3. Je crois que de tels propos ouvrent la porte à l'idée qu'il s'agit d'une partie distincte ou séparée de la loi. Je ne veux pas créer cette perception.

La loi a été amendée. Par conséquent, la loi, telle qu'amendée, devra être respectée comme par le passé.

À une certaine époque, il fallait parler du projet de loi S-3. Désormais, je m'efforce de ne plus utiliser ce terme car on parle de la loi tout simplement.

Peut-être n'est-ce qu'une figure de style ou une obsession de ma part, mais je ne veux pas que l'on minimise la portée de ces amendements en s'imaginant qu'il s'agit d'une sous-partie de la loi. Il s'agit d'une partie intégrante de la loi.

Le sénateur Tardif : Vous avez raison.

M. Fraser : Par ailleurs, rappelons-nous que lorsque la loi a été introduite, en 1969-1970, amendée pour une première fois en 1988, puis à nouveau en 2005, il y a toujours eu une période de transition. Il faut un peu de temps pour se rendre compte des nouvelles obligations.

Nous sommes aujourd'hui en pleine période de transition. Les institutions s'ajustent à ces nouvelles obligations. Il n'existe pas encore de règlement pour définir exactement ce qu'est une mesure positive, et je continue à penser que c'est là une bonne chose. Cela ouvre la porte à l'innovation, à l'imagination. Les institutions sont invitées à prendre des mesures positives sous différentes formes selon les régions du pays.

Les mesures positives peuvent être des choses très simples et qui ne coûtent pas cher. Il peut s'agir d'une initiative de la part d'un gestionnaire, dans une région en particulier, qui a pensé à quelque chose.

Par exemple, je mentionne dans le rapport annuel que Parcs Canada, à Jasper, a offert à la communauté francophone de cette région de créer des espaces pour des locaux gratuits en échange de formation linguistique. J'ai trouvé cette initiative tout à fait géniale. Quelqu'un a reconnu cette opportunité et a pris une initiative en conséquence. Au lieu de parler d'obligations, on parle d'opportunité à savoir comment offrir à une communauté quelque chose qui puisse être utile pour tout le monde. Voilà l'esprit de la partie VII. On fait référence à un réflexe mais aussi à un esprit.

Dans plusieurs provinces, l'esprit d'ouverture entre les conseillers fédéraux, les communautés et les universités m'a frappé. Des efforts considérables ont été faits. Certains fonctionnaires sont très ouverts pour faire des choses d'une façon nouvelle.

Je me suis entretenu ce matin avec le président du conseil d'administration de VIA Rail, qui a eu des conversations avec des représentants de la FCFA. Il m'a indiqué que des membres de l'exécutif de la FCFA trouvaient que l'offre, active en soi, est une mesure positive. Le fait de respecter la loi constitue une mesure positive. Et même en l'absence de mesures positives évidentes dans certaines communautés, de par sa nature, VIA Rail fut un commanditaire au sommet.

Cet exemple illustre bien le fait qu'une institution, de par ses fonctions, puisse aider les communautés même en l'absence de programmes spéciaux.

Voilà deux exemples : le premier, très pratique; et le deuxième, celui d'une institution dont le conseil de l'administration a décidé d'appuyer financièrement un organisme en lui versant des fonds afin qu'il puisse participer au sommet.

Le sénateur Tardif : J'ai eu l'occasion de parler au sénateur Gauthier dernièrement. Il me disait qu'une mesure positive, ce n'est pas une mesure négative. Alors c'est tout dire.

Des groupes sont venus témoigner devant le comité. Ils nous ont dit que souvent les fonctionnaires, malheureusement, ne faisaient rien car il n'existe pas de définition claire du terme « mesures positives ». Ce manque de clarté quant à la définition de « mesures positives » crée donc une ambiance dans les bureaux qui incite à ne rien faire.

Avez-vous constaté, dans les institutions fédérales, cette tendance à ne rien faire par rapport à l'amendement? Vous avez tout à fait raison de dire qu'il faut arrêter de parler du projet de loi S-3. On parle bel et bien de l'amendement à la loi.

M. Fraser : Je crains parfois qu'il y ait une interprétation minimaliste et une tendance à suivre les conseils des avocats, qui recommandent la prudence, qui veulent éviter d'établir des précédents difficiles en attendant de voir comment les tribunaux interpréterons, à leur tour, la loi.

Je trouve cela regrettable. Je vois plutôt une opportunité pour le gouvernement, ses agences, institutions et ministères, à ouvrir la porte. C'est le message que je tente de transmettre partout. Des fonctionnaires, dans certaines provinces ou régions, sont très ouverts à cette idée. On le remarque dans la collaboration déjà engagée. D'autres fonctionnaires essaient plutôt de se cacher derrière ce genre de conseils juridiques qui met en garde contre les précédents susceptibles d'établir des obligations.

Le sénateur Tardif : Est-ce que le commissaire aurait des suggestions à nous offrir venant des institutions fédérales et qui pourraient être utiles dans le cadre de notre étude sur l'amendement à la loi?

M. Fraser : Une mesure positive se crée en collaboration avec des communautés minoritaires. J'interprète cet amendement dans l'esprit des obligations d'évaluations environnementales. Cela ne veut pas dire que le gouvernement ne peut pas poser des gestes. Il a l'obligation de faire une évaluation environnementale dans certains cas, tout comme de poser des gestes qui auraient un impact sur les communautés minoritaires. Lorsqu'il y a des plans, ils doivent être développés en collaboration avec les communautés minoritaires tout comme lorsqu'il y a des infrastructures dans des environnements fragiles, il y a obligation de faire un impact environnemental.

Nous savons que les communautés minoritaires sont fragiles. Les répercussions des initiatives gouvernementales peuvent être très positives. Comme le disait l'ancien sénateur Gauthier : « une mesure positive n'est pas une mesure négative. »

La présidente : En ce qui concerne les mesures positives, ne pensez-vous pas qu'il serait bon que les communautés francophones et acadienne en milieu minoritaire puissent aussi soumettre leur définition de ce qu'est une mesure positive par rapport à leur développement et leur épanouissement? Car si c'était le cas et que nous attendions la définition que donneraient les fonctionnaires, avec les meilleures intentions du monde, ne pourrait-il pas arriver que les deux définitions n'aillent pas ensemble?

M. Fraser : Je suis tout à fait d'accord. Chaque fois que je rencontre des groupes, je prends soin de leur dire qu'ils doivent réfléchir à ce que cela veut dire pour eux. D'abord, c'est dangereux d'attendre et, deuxièmement, on ne chausse pas tous la même pointure.

Il y a bien longtemps, j'ai suivi un processus d'engagement de citoyens de Toronto quant à un plan de redéveloppement pour leur communauté. C'est la pression de cette communauté qui a fait en sorte qu'on a modifié, au Parlement d'Ottawa, la Loi sur l'habitation.

Le problème est qu'on a essayé de faire un amendement à la loi qui s'appliquerait à la grandeur du pays. Le résultat fut que cet amendement n'était pas vraiment utile pour la communauté qui a fait pression pour le changement. Lorsqu'on s'en est plaint, on a dit qu'on ne pouvait pas rédiger un amendement à la loi juste pour eux, mais que cela devait se faire d'un océan à l'autre.

Il est très important que les communautés réfléchissent à cela, car chaque communauté a des besoins différents, un rapport différent avec des institutions différentes. Ce que Postes Canada peut faire dans une communauté rurale peut revêtir une importance toute autre à Toronto ou à Moncton. C'est une porte ouverte à la flexibilité. Cela n'arrivera pas s'il n'y a pas d'implication directe de la part des communautés pour dire : dans notre communauté, voilà ce dont on a besoin; votre projet pourrait être amendé de telle façon afin qu'il puisse faire une différence pour nous.

La présidente : À titre d'exemple, monsieur le commissaire, plusieurs d'entre nous avons participé au Sommet des communautés francophones et acadienne le week-end dernier. Les 750 personnes présentes, après discussion, ont entériné un document qui a été signé par les chefs de file des groupes communautaires. Ce document ne serait-il pas un bon début pour identifier des mesures positives d'appui à une communauté comme la nôtre?

M. Fraser : Tout à fait. Je n'ai pas assisté à tout le sommet. Toutefois, des personnes du commissariat étaient présentes à toutes les étapes du sommet. J'ai eu de très bons rapports sur le déroulement des présentations et autres. Il était évident, en lisant les documents d'appui, que beaucoup de travail a été investi dans la préparation du sommet. J'attends les documents finals.

Le sénateur Losier-Cool : J'aimerais parler de Radio-Canada et du CRTC. Vous dites dans votre rapport que le CRTC pourrait en faire plus. Serait-ce une mesure positive de la part de la Société nationale de l'Acadie que de faire une étude assez bien détaillée sur toute la programmation de Radio-Canada pour les communautés hors région en situation minoritaire? Si je comprends bien, le CRTC ne peut pas influencer la programmation de Radio-Canada. Le CRTC a dit qu'il n'avait rien à dire sur la programmation même. Qu'en pensez-vous?

M. Fraser : J'aimerais revenir sur le rapport de la SNA. J'ai eu une rencontre très intéressante avec sa présidente la semaine dernière. J'ai trouvé que c'était non seulement un bon rapport, mais une approche très utile pour amorcer des discussions. J'ajoute par contre qu'on a reçu une plainte quant à ce que ce rapport soit pris comme base. On va étudier ce rapport dans le contexte d'une plainte formelle qui a été déposée chez nous. Lorsque le processus formel d'une plainte est commencé, je ne peux plus faire de commentaires au risque de compromettre la plainte. Toutefois, on est en discussion avec Radio-Canada par rapport à ses responsabilités sur la partie VII de la loi. Il y a un désaccord juridique. La position de Radio-Canada est que nous n'avons pas affaire dans son mandat et que la programmation leur est exclusive. Nous n'avons pas de rôle à jouer. Nous poursuivons nos discussions avec la société.

Le rapport préparé par le SNA révèle qu'on peut apprendre énormément sur la programmation, non pas par le biais d'une intervention dans la salle de nouvelles, mais simplement en tenant un regard soutenu sur ce qui se passe sur les ondes.

Nous nous penchons sérieusement sur cette plainte et réfléchissons sur la façon exacte de la traiter.

Le sénateur Losier-Cool : La programmation de Radio-Canada dépend de l'administration de Radio-Canada et non du CRTC?

M. Fraser : Je répondrai en disant oui et non. Comme pour tout autre diffuseur, la licence de la Société Radio-Canada doit être approuvée par le CRTC pour un mandat de cinq ans. Si je ne m'abuse, le renouvellement de cette licence est prévu pour l'an prochain. Tout comme les autres diffuseurs, la Société Radio-Canada comparaîtra devant le CRTC, qui pourra alors mettre la société devant ses engagements et obligations.

La question du mandat de la CBC/Radio-Canada entre aussi en jeu. Le CRTC a un rôle de moniteur et doit voir si, effectivement, CBC/Radio-Canada remplit son mandat. Les conditions des licences sont définies et maintenues par le CRTC.

Le sénateur Losier-Cool : C'est ce qui accentue la fragilité des communautés, comme vous l'avez souligné. La Société Radio-Canada, lorsqu'elle ne respecte pas son rôle, accentue cette fragilité. Les francophones du pays regardent Radio-Canada. Or, on ne parle que de ce qui se passe à Montréal. Ceux-ci changent alors de poste et regardent la télévision anglaise. Ce phénomène se produit dans plusieurs régions. Cela ne fait pas partie des objectifs ou de la raison d'être de Radio-Canada.

M. Fraser : Je ne vous apprends rien en disant que Radio-Canada répond à cette allégation en évoquant que des contraintes financières dictent un peu son comportement. Nous leur répondons avec votre argument. La discussion se poursuit.

Effectivement, il revient au CRTC d'évaluer si les politiques et la programmation de Radio-Canada remplissent les obligations en vertu de la licence qui lui est accordée.

Le sénateur Losier-Cool : Nous aussi, au comité, allons continuer.

[Traduction]

Le sénateur Murray : J'ai réfléchi à votre rapport dans le contexte de ce que notre comité devrait faire. Je crains que nous nous éparpillions. Nous venons de terminer une étude sur les Olympiques de Vancouver. Nous en avons achevé une autre sur les organisations qui ont déménagé dans diverses régions. Nous avons une autre étude en cours sur la culture francophone, entre autres. Toutes ces causes sont valables. Nous avons achevé une bonne étude sur l'éducation en milieu minoritaire, et je dis que c'est une bonne étude avec toute la modestie qui s'impose, car je n'ai pris part qu'à une partie de ce travail.

Pour moi, qui suis ces dossiers de façon constante, je dois avouer que je suis très étonné de voir que nous avons perdu du terrain. Nous accusons un recul grave dans certains secteurs au titre de la langue de service. Et qu'y a t-il de plus fondamental que cela? L'offre active de service — je croyais que nous avions résolu ce problème il y a 20 ans. Je croyais que la politique était bien établie et bien comprise par tous, dans le système.

Cela ma ramène au début des années 1980, lorsque le premier comité mixte permanent des langues officielles a été mis sur pied. Eymard Corbin et moi en étions les coprésidents. Nous nous étions attaqués à la question de la langue de service, de la langue de travail et de la représentation équitable des deux communautés de langue officielle à tous les échelons de la fonction publique fédérale. Nous avons entendu le président du Conseil du Trésor, qui s'occupait des exigences en matière de langue dans la fonction publique, de même que le secrétaire d'État, puisqu'il portait ce titre à cette époque, qui était chargé des programmes d'enseignement en langue minoritaire et des programmes d'éducation en langue seconde. Nous avons également entendu le ministre de la Justice. Dans la plupart des cas, nous ne convoquions pas les ministres à comparaître. Nous entendions des sous-ministres et des directeurs d'organisations. Nous leur expliquions les exigences, surtout en ce qui concerne la langue de service. Je ne crois pas que comparaître devant notre comité était pour eux une partie de plaisir, car nous avions en main les critiques du commissaire. Nous leur posions des questions sur les mesures qu'ils prenaient pour améliorer leur rendement. À la fin de la réunion, le commissaire aux langues officielles, Max Yalden, votre prédécesseur, commentait les témoignages du sous-ministre ou du directeur d'organisation.

Cela avait un effet salutaire, et je me demande si le moment n'est pas venu pour nous de réexaminer nos premières mesures et de refaire pendant un certain temps ce que nous faisions à cette époque, si c'est ce qu'il faut pour que les gens soient bien informés. Comme vous l'avez signalé, nous avons perdu du terrain dans certains domaines.

La partie VII de la Loi sur les langues officielles est le résultat de notre travail. L'un de nos collègues a fait adopter ces mesures par le Parlement il y a un certain temps.

M. Fraser : Je soumets respectueusement que je n'en parle plus comme du projet de loi S-3.

Le sénateur Murray : Je sais que ces mesures font maintenant partie de la loi. Il faudra un certain temps pour se rendre compte de toutes les conséquences de ces amendements. Si vous dites à un ingénieur du ministère des Transports qu'il doit faire une offre active de service dans les deux langues et qu'il doit être en mesure de fournir les services dans ces deux langues, cet ingénieur saura ce qu'il doit faire pour se préparer. Par contre, si vous lui dites qu'il doit prendre des mesures positives pour promouvoir les communautés de langue minoritaire, il vous répondra peut-être que cela ne fait pas partie de ses tâches. Les gens ont besoin de beaucoup d'information. Je suis content de ce que vous nous avez dit au sujet de Parcs Canada, et espérons que d'autres répéteront cette initiative ailleurs, mais il faudra pour cela du leadership, de l'information et de l'imagination. Si un fonctionnaire du ministère des Transports me demandait ce qu'il doit faire pour promouvoir les communautés de langue officielle minoritaire — quelles sont ces mesures positives dont on parle —, je devrais d'abord m'informer avant de lui répondre. Cela pourrait prendre du temps. Notre comité doit demeurer au courant de tout ce qui se fait dans ce domaine. Il est plus important de nous assurer que le gouvernement est en mesure d'offrir à ses fonctionnaires l'information dont ils ont besoin.

Il ne faut pas s'attendre à ce que les ministères offrent plus qu'ils ne le peuvent. Nous avons recensé d'autres problèmes lorsque nous avons étudié l'enseignement dans les communautés de langue minoritaire. À peine 50 ou 60 p. 100 des ayants droit se prévalent des services qui sont offerts.

Il faut revoir les politiques du gouvernement pour essayer d'améliorer la situation, mais il faut bien avouer que certains éléments du problème échappent totalement à notre contrôle — ils doivent être résolus par la population elle-même.

Je ne veux pas exercer de pression prématurée en ce qui concerne la partie VII, mais je voudrais que l'on s'attaque à la question des services et que l'on demande des comptes à certaines personnes, comme nous le faisions auparavant — pour trouver un moyen d'améliorer rapidement et considérablement le rendement, comme il nous incombe. Je suis étonné de ce que vous avez signalé à ce sujet dans votre rapport. Peut-être ne devrions-nous pas nous en étonner.

M. Fraser : Je dois avouer que j'ai été déçu.

J'ai trouvé intéressant de visiter divers ministères et d'expliquer la teneur du rapport et les mesures qui pourraient être prises. J'ai constaté que les dirigeants de certains ministères appuient fortement ces mesures alors que dans d'autres ministères, elles soulèvent beaucoup moins d'intérêt.

J'ai eu une bonne surprise lorsque j'ai parlé à un sous-ministre de l'importance que le plan d'action avait eue dans ce domaine et quand je lui ai expliqué à quel point je trouvais important que le plan soit reconduit. Il m'a demandé si je l'avais indiqué dans notre rapport. Je lui ai répondu que nous lui avions effectivement consacré tout un chapitre. Il m'a dit que c'était important que cela se trouve dans le rapport.

Je me suis donc rendu compte que pour les alliés des langues officielles au sein du gouvernement, les pressions exercées par les commissaires, par votre comité et par celui de la Chambre ne sont pas perçues comme du harcèlement. Elles sont perçues comme des pressions utiles. Par contre, elles sont un fardeau pour ceux qui estiment que ces questions ne sont pas importantes et il est certain qu'ils ne sont pas ravis de devoir comparaître devant un comité.

Je suis en poste depuis sept mois et demi, et l'une des choses que j'ai découvertes, c'est qu'il y a une tendance naturelle dans toute bureaucratie à transformer les valeurs en fardeau. La valeur de la transparence est devenue le fardeau de l'accès à l'information; la valeur de l'utilisation responsable de l'argent des contribuables est devenue le fardeau des vérifications supplémentaires; la valeur de la dualité linguistique est devenue le fardeau de la classification, de la formation, des examens et de la reclassification.

Les dirigeants de la fonction publique ont tendance à considérer qu'il s'agit moins d'une valeur, moins d'un élément qui est au cœur même de l'image publique du gouvernement, et davantage une liste d'éléments à cocher. Mon travail consiste en partie à faire passer le dossier de la catégorie des fardeaux à la catégorie des valeurs.

J'ai également pris conscience de l'importance du leadership dans ce dossier. Si le premier ministre, le greffier du Conseil privé, le sous-ministre ou l'administrateur de l'organisation dit que c'est une question très importante, l'écho s'en fait entendre dans tout le ministère. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai mentionné dans nos rapports annuels les préoccupations suscitées par le transfert de la fonction de coordination du Bureau du Conseil privé à Patrimoine canadien.

Les fonctionnaires chargés de cette fonction — dans certains cas il s'agit des mêmes personnes qui sont passées de l'édifice Langevin à l'autre côté de la rivière — sont tout aussi dévoués qu'avant, mais il est humain, je crois, que dans une organisation on prenne plus au sérieux les messages qui viennent d'en haut que ceux qui viennent du même niveau que soi. Je m'inquiète du message involontaire que l'on a peut-être communiqué en disant que le comité des sous-ministres ne s'occuperait plus de cette fonction et qu'elle serait maintenant confiée à un comité de sous-ministres adjoints. En outre, le dossier ne relèvera plus du Bureau du Conseil privé, il sera transféré à un ministère. Je suis sûr qu'il existe toutes sortes de motifs de rationalisation et d'efficacité justifiant ce changement, mais ce changement a eu pour effet de donner l'impression qu'il ne s'agit que d'une autre liste d'éléments à cocher.

Le sénateur Murray : Vous avez raison, j'en suis sûr. Avant l'adoption de la loi de 1988, déjà durant l'ère Trudeau, le premier ministre Trudeau avait créé un comité dirigé par Gérard Veilleux, qui travaillait à cette époque au Bureau du Conseil privé ou au Bureau des relations fédérales-provinciales. Il avait été chargé de diriger un comité composé principalement de sous-ministres. M. Mulroney a conservé ce comité lorsqu'il est arrivé au pouvoir. Ensuite, lorsque nous avons décidé de rédiger une nouvelle loi ou de modifier en profondeur la loi existante, ce comité et un groupe de quatre ministres se sont attelés à cette tâche.

Bien des problèmes sont attribuables au manque d'attention. À un moment donné, durant le gouvernement Chrétien, quelqu'un s'est réveillé un matin et a demandé si l'on savait que le nombre des sous-ministres francophones avait atteint un seuil inférieur à ce qu'il était auparavant — je ne dirais pas son niveau le plus bas, parce que nous savons quel est ce niveau. Le problème ne venait pas de ce que quelqu'un n'avait pas respecté cette valeur et avait décidé de nommer une quantité de sous-ministres unilingues : cela s'est produit par l'accumulation de différentes choses. Le problème a été rapidement corrigé, car il fallait qu'il le soit.

Bien qu'il soit important pour un comité comme le nôtre d'examiner la perspective à long terme, nous devons néanmoins suivre de près la situation dans les trois domaines que j'ai mentionnés : la langue de service, la langue de travail et la représentation équitable. Si je mentionne cela, c'est pour que cela soit pris en compte lorsque nous déciderons de nos travaux futurs. Nous n'avons pas besoin de procéder exactement comme on le faisait au début des années 1980; ce serait tomber dans un travers de vieillards.

M. Fraser : Vous pourriez jouer un rôle utile à cet égard. Je me suis rendu compte entre autres à quel point il faut effectuer un changement de culture dans ce domaine, en ce qui concerne les services au gouvernement fédéral. Si ce changement devient une priorité — il s'agit de l'image publique du Canada et de la façon dont nous définissons cette image — ce message doit être communiqué aux dirigeants de la fonction publique.

Ce qui rend ce changement plus difficile, c'est une anomalie voulant que les fonctionnaires des échelons supérieurs de la fonction publique doivent respecter les exigences linguistiques jusqu'à ce qu'ils atteignent le poste de sous-ministre. À ce niveau, ces exigences linguistiques ne s'appliquent plus tout à coup. J'ai entendu certains sous-ministres dire qu'ils sont soulagés de ne plus avoir à subir ces maudits examens. Je trouve que c'est éloquent.

Le sénateur Murray : Mais la plupart d'entre eux sont déjà bilingues, n'est-ce pas?

M. Fraser : Tout à fait : d'après nos chiffres, 85 p. 100 des postes désignés bilingues sont occupés par des personnes bilingues.

Le sénateur Murray : Pour ce qui est des échelons supérieurs, j'espère que la plupart des sous-ministres sont bilingues.

M. Fraser : Nous ne le savons pas, car nous n'avons aucun moyen de le vérifier. Vous pouvez le calculer vous-même si vous connaissez leur nom ou si vous savez que leur français était d'un niveau suffisant lorsqu'ils étaient sous-ministres adjoints et qu'ils devaient subir les examens. Je crois cependant qu'un certain nombre de sous-ministres auraient bien de la difficulté à se rendre dans une de leurs directions générales au Québec pour prononcer un discours en français. Mais c'est une hypothèse.

Je sais que certains sont unilingues et d'autres sont bilingues, mais parce qu'ils n'ont pas à respecter les exigences, il n'existe aucune statistique sur le degré de bilinguisme des sous-ministres.

Le sénateur Murray : Nous pourrons le voir lorsque nous les entendrons au comité.

Le sénateur Losier-Cool : Tous, un par un!

M. Fraser : Il y a un autre élément qui montre l'importance du leadership. J'ai réfléchi aux exigences linguistiques qui s'appliquent aux fonctionnaires. Je me suis rendu compte de deux choses. La première porte sur le fameux niveau C de l'interaction verbale. C'est de cela que tout le monde se plaint, disant que c'est si difficile à atteindre.

Le critère, pour avoir le niveau C dans l'interaction verbale, c'est la capacité de persuader et d'intervenir en cas de conflit, la capacité de donner des conseils à un collègue ou à un subordonné et, d'après la formule que quelqu'un m'a fournie à la Commission de la fonction publique, la capacité de comparaître devant un tribunal ou d'enseigner un cours. Mais ce ne sont pas là des critères linguistiques, ce sont des critères de leadership.

S'ils ne possèdent pas ces qualités, comment peuvent-ils s'attendre à diriger une organisation composée d'un grand nombre de personnes qui ont le droit de travailler dans leur propre langue et d'autres personnes qui ne sont pas tenues d'être bilingues? Chaque ministère compte des employés au Québec ou dans des régions dans lesquelles ils ont le droit de travailler en français. Et ils se prévalent de ce droit.

À mon avis, cette exigence ne doit pas être seulement considérée comme une compétence linguistique et un élément de la liste qui a été coché — de la même façon que l'on dit que l'on n'engagera maintenant que des diplômés universitaires —, mais comme un élément essentiel du leadership.

Il y a aussi un autre élément dont je ne m'étais pas rendu compte auparavant. J'ai entendu bien des gens dire que la lecture ou l'écriture ne leur posait pas de problème et que leur difficulté consistait à comprendre les gens lorsqu'ils parlent. Je suis maintenant sceptique quant à la véracité de cet énoncé. Certaines personnes peuvent lire suffisamment bien pour réussir à un examen, mais liront-elles avec le même soin et avec la même compréhension une note de service rédigée en français?

Si quelqu'un écrit une note de service à son directeur, à son directeur général ou à son sous-ministre adjoint, peut-il être certain d'être bien compris s'il rédige la note dans la langue dans laquelle il se sent le plus à l'aise? En comprendra-t-on toutes les nuances? Ce document sera-t-il envoyé au bas de la pile? Le lira-t-on en diagonale ou n'en lira-t-on que le résumé?

En ce qui concerne l'interaction verbale, certains francophones disent que dans une réunion, au moins, s'ils parlent en français, ils savent s'ils sont compris ou non. Alors que s'ils envoient un message par ordinateur, ils ne savent pas si le document qu'ils ont rédigé sera lu.

Cette question de traiter les documents rédigés en français avec autant de sérieux que ceux qui sont rédigés en anglais est importante, car les fonctionnaires dont la langue maternelle est le français ne sont pas certains s'ils seront bien compris lorsqu'ils écrivent en français.

[Français]

Le sénateur Comeau : Dans votre présentation, vous faites un commentaire selon lequel l'abolition du Programme de contestation judiciaire porte un dur coup à la capacité des Canadiens et des Canadiennes de défendre leurs droits linguistiques. Les résultats de ce programme étaient très positifs pour les communautés comme la mienne. Cependant, j'ai toujours eu de la difficulté à comprendre l'approche utilisée pour effectuer une demande de fonds relativement à ce programme. Je sais que vous êtes très diplomate et que vous ne voudrez pas sauter aux conclusions de l'enquête que vous menez, mais j'aimerais comprendre la mécanique de ce programme. Si je comprends bien, c'était un programme destiné non pas seulement aux communautés, mais également à toute personne qui avait des problèmes avec la Charte?

M. Fraser : C'est exact. C'est ma compréhension. On avait mis sur pied une institution qui s'appelait le Programme de contestation judiciaire, qui a créé une certaine confusion. Il y avait cette institution et également le programme, mais c'était un organisme avec un PDG qui avait des fonds à gérer.

Le sénateur Comeau : Environ quatre millions de dollars par année?

M. Fraser : Autour de cinq millions.

Le sénateur Comeau : En termes de budget fédéral, ce n'est pas tellement énorme. Plusieurs personnes pensent que quatre millions est une somme énorme, mais en termes budgétaires, ça ne l'est pas.

Revenons à la mécanique. Ces fonds sont octroyés par quelqu'un au gouvernement et sont distribués à quelqu'un. Comment cela fonctionne? Dans votre enquête, vous avez sûrement examiné le Programme de contestation judiciaire. Vous pourriez peut-être nous aider à le comprendre.

M. Fraser : Ce programme a été créé en tant qu'institution à part du gouvernement avec un président et un conseil qui a reçu et qui a évalué les demandes de fonds et qui a financé un certain pourcentage de ces fonds. M. Dussault pourrait peut-être répondre plus en détail.

Renald Dussault, commissaire adjoint, Direction générale de l'Assurance et de la Conformité, Commissariat aux langues officielles : C'était un organisme qui recevait des fonds en fonction d'un certain nombre de critères. Comme vous l'avez dit, dans le contexte du comité ici, on parle toujours des communautés minoritaires de langues officielles, mais cela s'appliquait à beaucoup d'autres groupes. Il y avait donc une série de critères que cet organisme utilisait pour allouer des fonds.

Le sénateur Comeau : Est-ce qu'en abolissant le programme, on abolit aussi l'institution qui administrait ce programme?

M. Fraser : Oui.

Le sénateur Comeau : Dans votre enquête, est-ce que vous examinez la manière dont les décisions étaient prises ou vous faites une étude en surface? En d'autres mots, c'est l'institution et le programme qui étaient bons ou c'est le but de ces fonds qui était bon?

M. Fraser : Lors de notre enquête, on a analysé la prise de décision sur les compressions budgétaires. On a inclu le Programme de contestation judiciaire et dans cette évaluation, on a trouvé qu'à peu près le tiers du montant d'argent transféré de Patrimoine canadien au Programme de contestation judiciaire était alloué aux droits linguistiques.

Le sénateur Comeau : Il y avait alors un tiers destiné aux minorités linguistiques?

M. Fraser : Les chiffres que j'ai, c'est 525 000 $ pour des droits linguistiques en 2006, 1 575 000 $ pour des droits d'égalité et le reste, 650 000 $, pour l'administration.

Le sénateur Comeau : Dans votre enquête, avez-vous examiné le but pour lequel les demandes étaient faites ou vous vous en êtes tenu à l'impact sur les minorités linguistiques?

M. Fraser : On a simplement regardé l'impact sur les minorités linguistiques et on a enquêté pour voir si les obligations de la loi ont été respectées lors de la prise de décision.

Le sénateur Comeau : Votre évaluation porte donc sur l'impact sur les minorités linguistiques. En somme, vous avez examiné un volet du programme.

M. Fraser : C'est notre mandat. Nous n'avons pas le mandat d'examiner l'impact sur d'autres groupes. C'est ce sur quoi les plaintes ont été formulées.

Le sénateur Comeau : Votre recommandation concerne strictement le volet des minorités linguistiques?

M. Fraser : Oui.

Le sénateur Comeau : Maintenant je comprends un peu mieux le mécanisme. Concernant les fonds, vous disiez qu'un certain montant vient de Patrimoine canadien.

M. Fraser : Il vient de Patrimoine canadien.

Le sénateur Comeau : On parle des questions touchant la Charte des droits et libertés.

M. Fraser : Oui. Dans notre analyse, nous avons constaté, lors de l'examen des dépenses de 2006, que le Programme de contestation judiciaire a reçu 2,075,000 $ de Patrimoine canadien dans le cadre d'une entente de contribution. De ce montant, 525 000 $ furent consacrés aux droits linguistiques.

Le sénateur Comeau : Avez-vous rencontré, ou rencontrerez-vous, les administrateurs du programme pour qu'ils puissent vous dire si, selon eux, le programme fonctionnait bien?

J'essaie de comprendre ce qui se produisait lorsqu'une une personne s'adressait au programme, avec un problème en vertu de la Charte des droits et libertés, dans le but d'obtenir des fonds afin d'embaucher un avocat et plaider ses droits. Est-ce que n'importe qui avait le droit de s'adresser au programme? Est-ce qu'il s'agissait de groupes? Les dirigeants du programme avaient-ils le droit d'accepter ou de refuser, de présenter des excuses ou de fournir des réponses?

M. Fraser : Si je comprends bien, le programme incluait des membres de l'organisme, qui se penchaient sur les demandes de fonds. Il n'était pas garanti que chaque demande était acceptée. On devait se soumettre à certains critères, dont un en particulier où on évaluait l'importance du droit qui était affecté.

Prenons l'exemple de la décision de la Cour suprême, il y a deux ans, dans l'affaire Solski. Des enfants avaient reçu leur éducation en cours d'immersion hors Québec. La famille est déménagée au Québec. Le gouvernement du Québec a alors décidé que ces parents n'avaient pas le droit d'envoyer leurs enfants à l'école d'immersion, parce qu'au Québec les écoles d'immersion s'appliquent à une éducation en anglais. Parce que ces enfants ont reçu leur éducation dans une école d'immersion hors Québec, ils l'ont reçue en français. La Cour suprême a donc dû trancher en considérant l'élément communautaire. Elle a conclu que même s'ils ont reçu leur éducation en français au Manitoba dans une école d'immersion, ils appartenaient à la communauté anglophone et les parents avaient le droit d'envoyer leurs enfants à l'école d'immersion au Québec.

Il s'agissait d'un droit fondamental défini, et il fallait que ce soit défini par la Cour suprême. Toute cette démarche a été financée par le Programme de contestation judiciaire.

Le sénateur Comeau : Vous soulevez un excellent exemple, qui démontre qu'on a dû prendre une décision au tout début. Presque toutes ces décisions sont rendus après que le financement ait été accordé. Il faut concevoir que les causes peuvent se rendre jusqu'à la Cour suprême et donc impliquer des sommes énormes.

Qui siégeait sur ce groupe? Était-ce des personnes nommées par le gouvernement ou par les fonctionnaires?

M. Fraser : Je crois qu'ils étaient nommés par le gouvernement, même s'il ne s'agissait que d'un panel. Je pense que c'était une nomination du gouverneur en conseil. Certaines de ces nominations se font suite aux recommandations de la fonction publique, du bureau du premier ministre ou du bureau de ministres.

Le sénateur Comeau : Dans votre rapport, vous mentionnez également la question du déménagement des bureaux régionaux du Nouveau-Brunswick à la Nouvelle-Écosse.

M. Fraser : Oui.

Le sénateur Comeau : Vous semblez exprimer une certaine inquiétude à cet effet, particulièrement en ce qui a trait à l'impact découlant de la partie V de la Loi sur les langues officielles. Vos inquiétudes me préoccupent également. On aimerait bien voir des bureaux régionaux en Nouvelle-Écosse, dans une région moins bilingue. Je ne veux pas nécessairement que les transferts se fassent aux dépens du Nouveau-Brunswick. Toutefois, je suis inquiet lorsque vous dites que les bureaux régionaux devraient aller dans une province bilingue. Les régions unilingues ne seront jamais avancées si on refuse d'y aménager des bureaux régionaux du gouvernement. Je vous exprime cette inquiétude. Est-ce que vous pouvez me rassurer?

M. Fraser : Dans votre rapport publié récemment, j'ai retenu l'effet bénéfique du transfert des institutions dans les régions. Je n'avais pas considéré le problème sous cet angle.

Lors d'une réunion régionale de fonctionnaires des Maritimes, un fonctionnaire m'a dit que lorsque leur bureau régional se trouvait au Nouveau-Brunswick, il était plus facile de remplir leurs obligations linguistiques, grâce au plus grand nombre de personnes bilingues. Les anglophones venus là-bas étaient heureux d'apprendre le français. Maintenant que le bureau est situé à Halifax, il semble que la situation soit plus difficile. Il est plus difficile d'attirer des personnes qui parlent français. Les anglophones, qui ont déjà appris le français, commencent à le perdre. Ces personnes n'ont plus le droit de travailler en français.

J'étais plutôt conscient du défi pour les institutions qui ont été transférées.

Le sénateur Comeau : Nous devrions être prudents dans la façon dont nous exprimons nos inquiétudes. La dernière chose que nous voulons, c'est une situation où il n'existera que trois régions bilingues au Canada, soit Ottawa, Montréal et le Nouveau-Brunswick; situation causée par la difficulté dans les autres provinces, ou à Halifax, à garantir la langue de travail.

M. Fraser : Il ne s'agit pas d'une difficulté mais d'une impossibilité. Le droit de travailler en français à Halifax n'existe pas. Soyons clairs.

Le sénateur Comeau : Je comprends. Toutefois, si on décourage l'existence de bureaux régionaux dans une région autre que ces trois régions, il ne faudrait pas créer une situation dans laquelle ces régions seraient exclues.

Si on envoie le message que seulement trois régions au Canada ont des bureaux régionaux où les fonctionnaires peuvent travailler dans leur langue, ces régions reconnaîtront peut-être moins l'importance d'offrir des services dans les deux langues officielles.

M. Fraser : Je suis d'accord sur l'importance d'être prudent dans nos recommandations. Lorsque j'ai soulevé ces inquiétudes, je ne voulais pas éliminer... Il faut reconnaître qu'il y a un rapport très important entre la vitalité des communautés, le droit de travailler en français et la capacité de fournir des services dans les deux langues officielles. C'est un triangle.

Le sénateur Comeau : Mais pas au détriment des gens. Vous avez une masse critique à Montréal, à Ottawa, au Nouveau-Brunswick. Vous ne pouvez pas dire aux autres communautés, où il n'y a pas de masse critique mais où les gens sont prêts à travailler jour après jour pour maintenir leur héritage francophone dans leur communauté, qu'ils ne peuvent pas aller à Halifax, en Nouvelle-Écosse, parce que ce n'est pas assez francophone. Nous devons donc avoir des bureaux à Moncton où les gens peuvent travailler en français.

Lorsque Mme Adam était commissaire aux langues officielles, un nouvel agent de la commission avait été embauché. Cette personne s'était établie à Moncton parce que c'était plus facile pour elle d'y vivre en français. On m'a donné l'excuse qu'on avait moins de plaintes en Nouvelle-Écosse. C'est sûr que s'il n'y a pas d'agents, il y a moins de plaintes. On voit que le commissaire et le gouvernement sont très intéressés à maintenir le bilinguisme là où il est déjà établi et beaucoup plus facile à renforcer.

M. Fraser : Vous soulevez un problème important. Je suis effectivement de plus en plus conscient que la présence des institutions fédérales dans des régions unilingues peut jouer un rôle très important dans l'appui pour ces communautés. J'étais conscient de ce point que vous avez soulevé dans votre rapport.

Vous avez étudié la Commission de tourisme dans votre rapport. J'ai déjà comparu devant vous pour parler des Jeux olympiques. J'ai visité Vancouver deux fois et j'ai été impressionné par les efforts faits et par la Commission et par le COVAN afin d'aller chercher des gens bilingues et établir des liens avec la communauté minoritaire à Vancouver, qui est très dynamique. Vous soulevez donc un point intéressant.

Un autre point que vous avez souligné dans votre rapport — et que j'aimerais également souligner — est l'importance de garantir que lors d'un transfert, les gens ne perdent pas leur droit de travailler en français. Si des gens ont le droit de travailler en français dans une institution fédérale et qu'il y a un déménagement, ils devraient pouvoir garder ce droit. Cela exige une adaptation considérable. Lorsque j'ai parlé de ce triangle entre le droit de travailler dans sa langue, la vitalité de la communauté et la capacité de fournir un service, c'était à une réunion à Halifax, avec le conseil fédéral. Un fonctionnaire est venu me voir après la réunion et m'a dit : À Justice Canada, il y a des endroits où on a besoin d'avocats capables de pratiquer dans les deux langues, ce qui exige une capacité linguistique considérable, plus élevée que CBC. On sait fort bien où trouver ces gens : à Montréal.

Mais le problème est que s'ils déménagent avec leur famille et qu'il n'y a pas assez de culture et de vitalité dans la communauté, après deux ans ils reviendront à Montréal et tout sera à recommencer.

Tout est relié d'une certaine façon. Cela revient à la question de culture soulevée par le sénateur Keon au début de la réunion. S'il n'y a pas d'accès à la culture, il est très difficile pour la communauté de garder cette vitalité; s'il n'y a pas de vitalité dans la communauté, cela devient difficile pour le gouvernement fédéral de garder ses employés; et si le gouvernement fédéral ne garde pas ses employés, c'est difficile de fournir le service. Tout est relié d'une certaine façon.

Le sénateur Comeau : Mais il faut être prudent dans notre façon de faire des recommandations, par contre.

M. Fraser : Je ne pense pas avoir été imprudent.

[Traduction]

Le sénateur Murray : J'ai deux brèves observations à faire, dont l'une porte sur cette question. Nous connaissons tous la situation du Nouveau-Brunswick et nous savons où se trouvent principalement concentrés les francophones. Mais vous devriez examiner la situation de Saint John et de Fredericton. Ce sont deux grandes villes de langue anglaise dans lesquelles on trouve, je crois, une masse critique de francophones dotés de centres scolaires communautaires, entre autres. Cela vaudrait la peine que vous les examiniez.

M. Fraser : Et Halifax aussi.

Le sénateur Murray : Oui. Nous savons également où se trouvent les francophones en Nouvelle-Écosse, mais ils sont surtout concentrés dans la région de Halifax-Dartmouth. Ils y constituent une minorité, mais il y a là une masse critique. Les francophones ont leurs propres écoles, et il serait intéressant de voir comment elles fonctionnent. Nous nous y sommes rendus il y a deux ans. C'est une réussite à certains égards. Il y a encore place à l'amélioration, mais les minorités francophones de ces grandes agglomérations sont une réussite.

J'ai une deuxième observation. En ce qui concerne le Programme de contestation judiciaire — que l'on me corrige si je me trompe dans mon historique — je crois me souvenir que ce programme a été mis sur pied après que l'Assemblée nationale du Québec eut adopté le projet de loi 101. M. Trudeau n'approuvait pas cette loi provinciale et il ne s'en cachait pas.

Il avait fait l'objet de beaucoup de pressions pour appliquer le pouvoir fédéral de désaveu. Mais il a refusé — il disait que le recours devrait être politique et judiciaire, et c'est à ce moment qu'il a créé le Programme de contestation judiciaire. À cette époque, bon nombre de gens se sont rendu compte que le programme avait été créé en réaction au projet de loi 101. Nous savons que ce programme a été utilisé dans certaines des affaires les plus célèbres mettant en cause des minorités francophones, mais au départ, ce sont les anglophones du Québec qui l'ont utilisé pour avoir gain de cause.

M. Fraser : Je crois que vous avez raison.

Le sénateur Murray : Le sénateur Keon et moi nous nous demandions si le programme avait été adopté et principalement utilisé par les minorités francophones. C'est probablement le cas, mais il avait été mis sur pied pour les anglophones et utilisé par eux lorsqu'on a commencé à appliquer la Loi 101.

M. Fraser : C'est un bon argument.

Pour revenir à votre question sur la vitalité de la communauté francophone à Halifax, il faut être au courant de l'évolution de la dynamique dans les communautés francophones minoritaires. On a tendance à croire que ces francophones sont les descendants des pionniers. C'est vrai dans bon nombre de cas, mais j'ai été fasciné d'apprendre qu'en Colombie-Britannique, 90 p. 100 des francophones viennent d'ailleurs.

Les chiffres pour l'Alberta sont comparables. La mobilité des francophones au Canada a toujours été assez intense. Au XIXe siècle, un million d'entre eux ont quitté le Québec pour aller aux États-Unis. Ce n'est pas un phénomène soudain ou nouveau. Ce qui change désormais, c'est l'existence d'écoles et de programmes. Les francophones que j'ai rencontrés à Vancouver y sont parce qu'ils le veulent. Ils sont animés de l'énergie, de l'esprit d'entreprise et de la détermination nécessaires pour obtenir les services dont ils ont besoin et les écoles qu'ils souhaitent. Ce genre d'enthousiasme est encourageant. Toutefois, cette communauté francophone est différente de celle qui existait il y a 40 ans.

En 1965, Jean Lesage a fait une tournée de l'Ouest canadien. Dans un de ses discours, il a comparé un ingénieur de Vancouver qui déménageait à Montréal et l'inverse. Tous deux bénéficiaient d'une promotion mais alors que l'un pouvait envisager de faire instruire ses enfants, l'autre risquait fort de perdre sa culture et sa langue. Ce cas de figure n'existe plus actuellement. L'ingénieur qui déménage à Vancouver peut envoyer ses enfants à l'école française, peut écouter la radio et la télévision en français et obtenir une gamme de services impensables il y a 40 ans.

[Français]

Le sénateur Tardif : J'aimerais revenir sur un point soulevé par le sénateur Comeau concernant le déménagement des sièges sociaux. Le sénateur Comeau s'inquiète du fait que, à cause d'une insistance sur le respect de la langue de travail en français et l'offre de services, il puisse y avoir une discrimination à l'égard de régions qui ne pourrait pas offrir ce type de milieu de travail.

Cependant, est-ce qu'une façon de remédier à la situation ne serait pas d'obliger le gouvernement à faire en sorte que, lorsque les sièges sociaux déménagent d'une région bilingue vers une région unilingue, des règlements soient appliqués pour respecter la partie V de la Loi sur les langues officielles en ce qui a trait au fait de travailler en français, également la partie IV concernant l'offre au public et la partie VII, concernant la promotion des communautés minoritaires?

Il me semble que, si on l'exigeait et si le gouvernement prévoyait des règlements à cet effet, il y aurait une solution à ce problème, vous ne pensez pas?

M. Fraser : Je pense que l'importance est de faire la distinction entre les rôles possibles d'un siège social. Si c'est le siège social du gouvernement fédéral, je pense qu'il y a des obligations nationales et non pas seulement des obligations régionales. Le problème avec la concentration régionale des transferts du Nouveau-Brunswick à Halifax, ce n'est pas juste un transfert d'une province à l'autre, mais ce sont des responsabilités qui devraient être maintenues pour des régions francophones au Nouveau-Brunswick. Lorsque le transfert s'est fait à Halifax, il a été de plus en plus difficile pour cette agence ou ce ministère de continuer à fournir les services.

On a eu des plaintes, par exemple, d'Acadiens qui ont rencontré de la difficulté à recevoir de l'information météorologique parce que le bureau était à Halifax et que c'était plus difficile d'avoir des gens bilingues capables de fournir le service.

Pour un siège social, c'est un plus grand défi. On a vu le phénomène que vous avez très bien décrit avec le transfert de la Commission du tourisme à Vancouver, mais un effort supplémentaire a été fait par la commission pour remplir ses obligations nationales.

Le sénateur Tardif : Encore une fois c'est une question de leadership et de bonne volonté. Dans d'autres cas cela risque de ne pas se présenter, à moins qu'il existe un moyen plus permanent pour le gouvernement de s'assurer que ce sera le cas.

J'aimerais vous demander autre chose, monsieur le commissaire. On ne cesse d'entendre parler, depuis quelques mois, de l'élimination du Programme de contestations judiciaires et des effets néfastes que cela a pour les communautés.

Je ne sais pas si vous pouvez me répondre, mais vous avez fait une très belle analyse de cette situation dans votre rapport annuel. Cependant, vous n'avez pas fait de recommandation selon lesquelles le Programme de contestations judiciaires devrait être remis sur pied. Pouvez-vous nous donner des explications sur ce point?

M. Fraser : Oui, effectivement. J'ai fait une distinction très nette dans le rapport, dans la décision que j'ai rendue. Le gouvernement a le droit de gouverner, le droit de prendre des décisions, de couper des programmes, d'en créer d'autres, bref, de gouverner. Mais, la nature même de la loi exige qu'un processus soit suivi. Ce que nous avons regardé dans notre enquête, c'est si le gouvernement a respecté ce processus lorsque la décision a été prise. Ont-ils fait une étude d'impact? Ont-ils consulté?

Selon les informations que nous avons pu recevoir, car les réunions du conseil des ministres ne sont pas des réunions ouvertes, nous n'avons pas vu de preuve que la loi a été respectée et nous l'avons dit. Ce que nous soulignons c'est l'obligation du gouvernement de respecter la loi dans sa prise de décision.

Le sénateur Comeau m'incite à la prudence; peut-être ai-je essayé, sans l'avoir reçu directement, de suivre son conseil. J'aurais pu dire : « Vous n'avez pas respecté la loi, ne faites pas cela la prochaine fois ». J'aurais pu dire : « Vous devez rétablir le programme ». Ce que j'ai choisi de dire c'est : il y a un processus à respecter, le gouvernement a le droit de gouverner, mais à l'intérieur des obligations de la loi.

[Traduction]

Le sénateur Keon : Vous avez évoqué les énormes progrès réalisés à Vancouver. En 2010, la Colombie-Britannique va accueillir un événement de taille, les Jeux olympiques. Quelles mesures pragmatiques pouvons-nous prendre pour vous aider à veiller à ce que la présence francophone soit bien mise en lumière pendant les jeux, sur le plan linguistique, mais également sur le plan culturel, dont je parlais tout à l'heure? Je pense que les Jeux olympiques sont une occasion de choix pour la promotion culturelle.

M. Fraser : Je suis tout à fait d'accord avec vous. S'agissant des langues officielles, il y a deux aspects distincts pour les Jeux olympiques. Il y a d'une part le déroulement des jeux eux-mêmes et d'autre part, la retransmission des jeux à la télévision. Je me suis entretenu à deux reprises avec les dirigeants du comité d'organisation des Jeux olympiques de Vancouver, le COVAN. Leur attitude, leur ouverture d'esprit et le sérieux qu'ils accordent à cette question m'ont impressionné. Je les ai rencontrés à deux reprises. C'était mon premier déplacement après mon entrée en fonction en octobre. J'y suis retourné six mois plus tard et j'ai été d'autant plus impressionné que durant les six mois écoulés entre ma première visite et la seconde, des gens très compétents avaient été embauchés. C'étaient des candidats déjà fonctionnaires ou de l'extérieur que j'envisageais moi-même d'embaucher. Et voilà qu'ils étaient déjà à Vancouver à travailler pour les Jeux olympiques. Je me suis dit, tant mieux pour eux, même si j'avais espéré retenir leurs services moi-même.

Par ailleurs, un des responsables du COVAN m'a parlé d'un problème particulier qui surgira pendant le déroulement des jeux. Les services de traduction nécessaires sont prévus pour une courte durée. De nombreuses heures d'interprétation simultanée seront nécessaires. Les interprètes ne peuvent pas être embauchés maintenant et la maîtrise d'un vocabulaire spécialisé sera nécessaire à l'occasion. J'ai soulevé la question auprès du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, de qui relève le Bureau de la traduction. Puis le ministre veillera à ce que le Bureau de la traduction, et le Parlement, puissent mettre à disposition certaines des ressources nécessaires.

Je vais soulever un autre aspect important. Il n'y a pas que les Jeux olympiques et l'organisation des jeux qui doivent être aptes à répondre aux demandes et aux exigences sur le plan des langues officielles. Les services frontaliers, Air Canada et bien d'autres institutions fédérales seront la vitrine de notre pays qui accueillera le monde à Vancouver. Cela ne se bornera pas au Comité d'organisation ni aux endroits où se dérouleront les jeux. L'accueil se fera dans les aéroports, les gares et aux points d'entrée. Toutes les institutions fédérales doivent s'occuper de relever le défi. Tout ce que vous pouvez faire pour rappeler aux administrations fédérales qu'il ne s'agit pas là d'un événement exclusif au Comité d'organisation des jeux de Vancouver mais plutôt d'un événement qui touche l'ensemble du gouvernement fédéral sera utile. Désormais, je me fais moins de souci à l'égard du comité d'organisation qu'à l'égard de la couverture médiatique car, les ayant rencontrés, j'ai constaté que les membres du comité étaient des gens compétents, énergiques et déterminés. Ils peuvent offrir des jeux entièrement bilingues sur place. À défaut d'une couverture télévisuelle équilibrée, offrant un accès égal aux francophones, tout cet effort ne rejaillira pas sur l'ensemble du pays. J'ai déjà signalé cela au comité de la Chambre et fait part de mon souci au ministre.

Je sais que CTV et Rogers se préoccupent de relever ce défi et nous avons constaté qu'ils faisaient diligence. Au départ, on voulait envoyer un signal à Montréal et que les commentateurs de Montréal fassent le commentaire à partir de l'image projetée sur un grand écran. Cela ne constitue pas une couverture égale et équilibrée. Soudainement, il y a eu un branle-bas de combat et on a déclaré que des reporters seraient sur place et que les entrevues se feraient en français. Ces difficultés n'ont pas été totalement aplanies. Il y a encore des problèmes de distribution à résoudre. Il y a des câblodistributeurs qui n'offrent pas la chaîne réservée à la couverture des Jeux olympiques. Je me montrerai vigilant et toute la vigilance supplémentaire ou tous les témoins supplémentaires que vous pourriez convoquer pour leur indiquer que je surveille de près la préparation de la couverture télévisuelle seraient utiles.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool : J'ai d'abord un commentaire et ensuite j'aurais une question, assez précise.

[Traduction]

J'ai lu quelque part qu'il y a trois choses essentielles pour avoir du succès dans la vie : de l'espoir, du courage et de l'humour. Ceux qui luttent pour défendre les droits des minorités doivent posséder ces trois choses.

[Français]

En 1965, lorsqu'on parlait d'avoir des écoles francophones partout au Canada, on nous disait qu'on rêvait en couleur. Pourtant, aujourd'hui, les écoles francophones sont nombreuses. À la fin du sommet, hier, les participants se sont donné comme vision de ne pas survivre, mais de vivre en français partout au pays.

Cela dit, j'aimerais revenir à la première question du sénateur Keon concernant notre prochaine étude sur la culture. Pour aider le comité dans ses démarches et dans ses recommandations, pourriez-vous nous offrir des suggestions précises? Est-ce que ce pourrait être des politiques ou des fonds? Peut-être aurions-nous besoin d'une politique nationale sur la culture telle qu'on en a une pour l'environnement?

M. Fraser : On est au tout début de nos réflexions à ce sujet. Une chose qui m'a toujours inquiété, irrité même, est le fait que le contribuable canadien paie des frais énormes, contribue financièrement à la création d'une industrie du cinéma au Canada, mais sans avoir la capacité d'en voir les résultats. Je suis un amateur de cinéma. J'essaie de voir les films canadiens qui sont produits chaque année. Le cinéma québécois est dynamique, intéressant, mais il traverse à peine la frontière de l'Outaouais. Je sais qu'il y a 20 ans, le gouvernement de l'époque a eu le courage de s'attaquer à la distribution de films. Par contre, cela a échoué face aux pressions qu'exerce Hollywood et au contrôle des majors. Comment faire en sorte que les Canadiens anglophones à travers le pays puissent avoir accès au cinéma auquel ils ont contribué financièrement et vice versa que les francophones au pays puissent voir le cinéma anglophone, et même francophone, qui ne lui est souvent pas accessible?

Le mandat de l'Office national du film a changé un peu et elle ne joue pas tout à fait le même rôle qu'elle jouait autrefois. Pour les amateurs de cinéma canadien, hors Montréal et hors Toronto, c'est très difficile. Je ne sais pas comment vous pourriez aborder ce problème. Il y a eu des progrès quand même au sens que j'ai réussi à voir certains films canadiens sur un vol d'Air Canada que je n'ai jamais vus voir en salle.

Maintenant, grâce à la nouvelle technologie, Air Canada offre un volet cinéma canadien sur certains de ses vols. Au Canada, on produit des bons films dans les deux langues et je pense que c'est triste que les Canadiens aient tant de difficultés à voir ces films.

Gérard Finn, commissaire adjoint, Direction générale des Politiques et des communications, Commissariat aux langues officielles : Nous examinons présentement la production télévisuelle en milieu minoritaire, la diffusion des produits culturels des communautés et, à l'automne, nous produirons un rapport suite aux recherches entreprises, qui pourrait appuyer votre démarche culturelle.

Le sénateur Tardif : Si je comprends bien, monsieur le commissaire — et corrigez-moi si j'ai tort —, votre enquête sur l'abolition du Programme de contestations judiciaires a fait une analyse semblable à celle que nous retrouvons dans la décision judiciaire de la cause Montfort, à savoir si le processus décisionnel du gouvernement a respecté la lettre et l'esprit de la Loi sur les langues officielles.

Si je comprends bien vos propos, ce gouvernement n'a pas tenu compte de l'esprit de la Loi sur les langues officielles et n'a pas utilisé la lentille « langue officielle » dans cette décision. Est-ce ce que vous avez dit?

M. Fraser : Oui. Nous avons regardé le processus de décision pour voir si on a tenu compte des obligations dans la loi, dans la partie VII renforcée de la loi qui comporte maintenant des obligations légales.

Le sénateur Tardif : Cela ne sera certainement pas une mesure positive.

M. Fraser : C'était notre conclusion.

Le sénateur Tardif : Selon vous, n'y aurait-il pas lieu d'obliger toutes les institutions fédérales à rendre des comptes à l'égard de la mise en œuvre de la partie VII et non seulement les 32 institutions fédérales présentement désignées?

M. Fraser : C'est une très bonne question. Sur les 32 institutions fédérales présentement désignées, disons que je ne me sens pas tout à fait en position de répondre directement.

Le sénateur Tardif : Vous pouvez nous revenir à ce sujet.

M. Finn : Il faut se rappeler que toutes les institutions fédérales sont assujetties à la loi, donc à la partie VII, comme n'importe quelle autre partie de la loi, à quelques exceptions près.

Trente-deux d'entre elles ont l'obligation de faire un plan, maintenant cela ne veut pas dire que les autres ne doivent pas rendre compte. Certains privilégiés doivent faire des plans et rendre compte chaque année, mais pour les autres, tout ce qui concerne la reddition de comptes des programmes, la conformité à la partie VII, cela rejoint l'ensemble des institutions et non seulement les 32 désignées.

Le sénateur Tardif : Et moi, je voulais agrandir le nombre d'institutions privilégiées.

M. Finn : Voilà, et dans le rapport annuel, le Commissaire dit qu'il est important que la désignation de ces institutions soit très transparente, qu'on ait un mode de désignation qui fasse en sorte que les communautés puissent être aussi consultées, puisque certaines institutions peuvent être très importantes dans une région et pas dans une autre.

D'autres institutions croient qu'il serait important de trouver un moyen de consultation qui ne fasse pas en sorte que 250 institutions viennent nous voir en même temps. Dans ce sens-là, je pense qu'il y a moyen de travailler avec les communautés pour faire en sorte que notre approche soit des plus transparentes.

M. Dussault : Dans le bulletin de rendement du rapport annuel, on évalue évidemment la mise en œuvre de la partie VII, et ce sont toutes les institutions qui sont soumises à ses exigences même si elles ne font pas partie du groupe des 32. Je pense qu'on est un peu sur la même longueur d'onde en ce qui concerne la mise en œuvre de la partie VII dans l'ensemble des institutions.

[Traduction]

Le sénateur Murray : Personne ne s'étonnera si je dis que je ne suis pas dans le secret des dieux. Je ne fais pas partie du cénacle, ni même des alentours. Toutefois, étant donné la controverse suscitée par la suppression du Programme de contestation judiciaire, je ne serais pas étonné que le gouvernement soit en train de songer à un nouveau programme — ou à une nouvelle façon, à l'intention en particulier des minorités linguistiques, de donner accès à une aide juridique comparable à ce programme auquel ils ont eu recours par le passé. Cela ne m'étonnerait pas. Je pense qu'il faut encourager les efforts dans ce sens plutôt que d'exiger le retour de l'ancien programme. Ceux qui savent ce qui fait réagir les politiciens et les gouvernements trouveront peut-être plus productif d'encourager les mesures envisagées de toute façon, pour trouver une solution à la situation — du moins à l'endroit des minorités linguistiques.

À mon avis, la question capitale est de savoir si le procureur général du Canada peut intervenir sur des questions linguistiques, et jusqu'à quel point il peut le faire — quelle position il adopte au tribunal. À votre connaissance, y a-t-il des affaires devant les tribunaux actuellement, ou qui seront entendues sous peu, dans lesquelles le procureur général du Canada est intervenu ou devrait intervenir?

M. Fraser : Je n'ai pas de liste comme telle sous la main. Certaines affaires ont été court-circuitées. Environ 40 affaires ont été interrompues à la suite de l'annulation du Programme de contestation judiciaire. Dans le cas de certaines, nous avons décidé de jouer un rôle plus actif.

Après l'annonce de l'annulation en septembre dernier, j'ai écrit au ministre et je lui ai parlé personnellement lui disant : « Cette mesure va interrompre l'instruction de certaines plaintes. Pouvez-vous suspendre son application jusqu'à ce que ces affaires aient été entendues? »

Je n'ai pas reçu de réponse affirmative. Dans certains cas, nous avons choisi de jouer un rôle plus actif pour venir en aide aux plaignants.

Le sénateur Murray : Pour la plupart, s'agit-il d'affaires où le procureur général du Canada devrait intervenir? Si une affaire comporte un aspect constitutionnel, le procureur général ne devrait-il par intervenir?

M. Fraser : Bon argument. Je vais demander à la directrice des Services juridiques de répondre. Johane Tremblay est ma conseillère juridique en la matière.

Johanne Tremblay, avocate générale, directrice, Services juridiques, Bureau du commissaire aux langues officielles : Quelle était votre question?

Le sénateur Murray : Je me demandais s'il existait des affaires mettant en cause les langues, entendues par les tribunaux actuellement, ou qui le seront sous peu, dans lesquelles le procureur général du Canada devrait intervenir?

Mme Tremblay : Le tribunal est saisi d'une affaire mettant en cause la GRC et dans laquelle le procureur général du Canada est le défendeur.

Le sénateur Murray : Le procureur général serait intervenu dans des affaires comme l'affaire Mahé, n'est-ce pas?

Mme Tremblay : D'autres affaires, portant sur l'article 23 de la Charte — dont je n'ai pas la liste sous les yeux — pourraient inciter le procureur général du Canada à intervenir. Il y a 38 affaires en instance actuellement auxquelles le procureur général du Canada pourrait porter intérêt, car elles mettent en cause des droits constitutionnels. Nous pourrions vous préparer la liste des affaires dans lesquelles le procureur général n'est pas partie actuellement.

Le sénateur Murray : Le procureur général pourrait-il intervenir?

Mme Tremblay : Oui.

Le sénateur Murray : À mon avis, ce qui est capital, c'est la façon d'intervenir, et si cette intervention va dans le sens d'une interprétation plus large, plus généreuse de la Charte ou du droit invoqué.

M. Fraser : Je reviens à votre question initiale, à votre première observation, mais je n'ai pas de renseignements de première main non plus. Toutefois, j'ai l'impression que l'ensemble de ce qui s'est produit il y a deux semaines, la conjoncture qui a attiré énormément l'attention du public sur l'enjeu, a eu pour résultat que les membres du parti ministériel se sont rendu compte que la question était urgente et importante, ce dont ils n'étaient pas nécessairement conscients avant tout ce battage médiatique.

J'ai l'impression, et c'est ce que j'espère, que le travail qui était déjà entrepris dans certaines affaires bénéficiera d'une attention plus minutieuse désormais en haut lieu.

Comme je l'ai dit, le dossier des langues officielles peut compter sur des fidèles dans les milieux gouvernementaux et il y a bien des gens qui le traitent avec sérieux et qui travaillent ardûment pour qu'on traite ces affaires avec sérieux. Selon nous, il est important d'appuyer ces gens dans leur travail et de faire comprendre aux dirigeants de la fonction publique que l'importance du dossier persiste.

[Français]

La présidente : Madame et messieurs, au nom des membres du comité, permettez-moi de vous remercier très sincèrement de votre présentation et d'avoir pris deux heures de votre temps pour répondre aux questions des sénateurs. Au plaisir de vous revoir.

M. Fraser : Je vous remercie. J'ai trouvé cette session très intéressante et très utile pour moi également.

La séance est levée.


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