Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 8 - Témoignages du 20 février 2007
OTTAWA, le mardi 20 février 2007
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 32, afin d'examiner, pour en faire rapport, les objectifs, le fonctionnement et le mode de gouvernance du Fonds canadien de télévision.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je déclare la séance ouverte. Nous avons à l'ordre du jour, aujourd'hui, pour en faire rapport, l'étude des objectifs, du fonctionnement et du mode de gouvernance du Fonds canadien de télévision. Nous entendrons des témoins du Fonds canadien de télévision, soit M. Barrett, président du Conseil, Mme Creighton, présidente, M. Cardin, vice-président, Planification stratégique et relations avec les intervenants, M. Carter, membre du conseil d'administration, Mme Mirsky, membre du conseil d'administration, et Mme Corcoran, directrice de la recherche. Soyez les bienvenus à notre comité.
[Français]
Douglas Barrett, président du conseil d'administration, Fonds canadien de télévision : Je vous remercie, madame la présidente, de votre invitation à comparaître aujourd'hui. Vous avez déjà présenté tous nos membres.
[Traduction]
J'aimerais signaler que Mme Mirsky, en plus d'être membre de longue date du conseil d'administration, a été directrice générale du Fonds pendant dix à 12 ans et en est un grand soutien.
M. Carter a été pendant plusieurs années président de TQS Québec. Lorsqu'il a pris sa retraite, il a été nommé à notre conseil comme membre indépendant et il siège à ce titre.
[Français]
Il a siégé en tant que président de notre comité des finances pendant plusieurs années. Il en est maintenant le vice- président.
[Traduction]
Membres du comité, merci de cette invitation à comparaître devant vous ce matin. Il a beaucoup été question dans l'actualité des dernières semaines du Fonds canadien de télévision. Plusieurs ont affirmé que le Fonds est une institution défectueuse. Nous ne sommes évidemment pas d'accord.
D'aucuns ont réclamé une restructuration complète de l'institution et de son mandat. Sur le plan pratique, nous estimons que le Fonds est une institution bien gouvernée et bien gérée. Il est efficace tant au niveau de l'exécution de ses programmes que de son administration. Il gère des sommes considérables provenant de sources tant publiques que privées, dans le respect des normes fiduciaires les plus strictes, et applique des lignes directrices et des objectifs qui lui sont contractuellement imposés par Patrimoine Canada au moyen de notre accord de contribution.
Les résultats de nos programmes et nos états financiers sont examinés à la loupe et divers examens périodiques et évaluations indépendantes du FCT ont confirmé son bon fonctionnement.
Le secteur télévisuel se compose de nombreuses parties ayant des intérêts divergents. L'accord de contribution impose au FCT une dizaine d'orientations stratégiques contraignantes. Heureusement, toutes les réunions de notre conseil d'administration ne se tiennent pas au milieu d'un chantier de construction, encore que cela soit déjà arrivé.
Il peut être compliqué de satisfaire toutes les parties tout en suivant les orientations stratégiques, et cela ne va pas sans un grand savoir-faire commercial et une bonne gouvernance. Le FCT est dirigé par un conseil d'administration de 20 membres et rassemble tout ce que le secteur télévisuel a de mieux à offrir et est représentatif de nombreux groupes intéressés.
Le ministère du Patrimoine canadien nomme le plus grand nombre de membres de notre conseil, avec cinq sièges. Six de nos administrateurs doivent légalement être indépendants et ne posséder aucun lien commercial avec des entreprises de télévision. Récemment, des hauts dirigeants de Shaw Communications Inc. et de Quebecor Media Inc. siégeaient au conseil du FCT.
Des règles strictes régissent nos pratiques en matière de conflit d'intérêts. Nous avons un comité permanent indépendant, formé de tous nos administrateurs indépendants, pour superviser et contrôler l'application d'une politique détaillée relative aux conflits d'intérêts. D'ailleurs, on peut constater que l'un des grands atouts du FCT est sa faculté de fonctionner indépendamment des intérêts commerciaux. En effet, toutes les décisions stratégiques et financières importantes doivent être approuvées par une double majorité, soit la majorité des membres indépendants du conseil et la majorité des membres restants représentant les intervenants.
Valerie Creighton, présidente, Fonds canadien de télévision : Le Fonds canadien de télévision est la première plus importante source de financement de la production télévisuelle au Canada, après les crédits d'impôt. En 2005-2006, le FCT a investi plus de 249 millions de dollars dans la production canadienne, créant 2 276 heures de nouvelles émissions de qualité. Au cours des dix dernières années, le FCT a appuyé plus de 4 000 projets et contribué plus de 2,2 milliards de dollars à la production d'émissions de télévision canadiennes. Cet apport a engendré des budgets de production de 7,4 milliards de dollars. Cette activité a produit plus de 23 000 heures de contenu canadien, diffusée aux heures de grande écoute à des centaines de millions de téléspectateurs. En 2004-2005, le FCT a distribué 251 millions de dollars, qui ont appuyé des productions à hauteur de 841 millions de dollars et généré le chiffre estimatif de 22 400 emplois à temps plein.
Pour ce qui est du rendement de l'investissement, les résultats du FCT sont impressionnants. En 2005-2006, chaque dollar investi a enclenché 3,05 $ d'activités de production. Ces activités se déroulent dans toutes les régions du Canada et y établissent un professionnalisme tant créatif que technique.
Les fonds du FCT sont distribués selon un programme axé sur des règles, qui comprend les enveloppes de rendement du télédiffuseur et des initiatives spéciales. Dans les deux cas, les fonds sont versés directement à des producteurs indépendants. Le programme ERT soutient les genres sous-représentés à la télévision canadienne, dans les deux langues officielles ainsi que dans des langues autochtones. Il englobe aussi des émissions destinées aux heures de grande écoute dans des catégories telles que les dramatiques, les documentaires, les variétés, les arts d'interprétation et les émissions pour enfants et jeunes.
En 2005-2006, 65 radiodiffuseurs se sont ainsi vus allouer des enveloppes qui, à leur tour, ont appuyé 383 productions nouvelles. Les programmes d'initiatives spéciales soutiennent les productions de langue française hors Québec, les productions en langues autochtones et le doublage en d'autres langues.
Kathy Corcoran, directrice de la recherche, Fonds canadien de télévision : En dépit d'une concurrence de plus en plus vive, plusieurs émissions canadiennes ont obtenu une visibilité et suscité une attention sans précédents, dont de nombreuses émissions financées par le FCT. La CBC a récemment diffusé la première de Little Mosque on the Prairie avec un auditoire moyen de plus de deux millions de téléspectateurs. Les épisodes ultérieurs de la série se sont stabilisés à plus d'un million de téléspectateurs.
Degrassi : The Next Generation est une série culte au Canada, tout particulièrement parmi les adolescents, et est sur le point d'être offerte à un réseau d'abonnés aux États-Unis. Da Vinci's Inquest, actuellement diffusé aussi aux États- Unis, attire de trois à quatre millions de téléspectateurs par semaine, et arrive souvent en tête dans sa case horaire. L'émission est maintenant diffusée dans plus de 100 pays.
Dans la catégorie des émissions pour enfants et jeunes, neuf des 50 émissions les plus appréciées des enfants de deux à 11 ans sont financées par le FCT.
[Français]
Stéphane Cardin, vice-président, Politique stratégique et relations avec l'industrie, Fonds canadien de télévision : Madame la présidente, en raison de la concurrence moindre des sources américaines et de la fragmentation réduite des auditoires, le contenu produit nationalement a obtenu un grand succès auprès du marché québécois. Le FCT continue de jouer un rôle très important en soutenant la position dominante du contenu produit au Canada dans ce marché. En se basant sur les téléspectateurs âgés de deux ans et plus, parmi les 25 émissions les plus populaires programmées régulièrement, c'est-à-dire cinq diffusions ou plus pour le marché francophone québécois, dix de ces 25 émissions étaient financées par le FCT dont Le cœur a ses raisons, Annie et ses hommes et Casino.
Par ailleurs, plusieurs productions en langue française ayant obtenu un financement auprès du FCT ont été reconnues à l'échelle internationale, comme Insectia ou l'Odysée de l'espèce. Le format d'autres productions a été vendu à l'échelle nationale ou internationale et exporté dans plus de 30 marchés, comme Le coeur a ses raisons, Rumeurs et Un gars, une fille, qui est devenue la première émission télévisée québécoise à être adaptée aux États-Unis.
Du côté de la critique, en 2005, près de la moitié des prix Gemini, soit 38 sur 75, ont été accordés à des productions financées par le FCT. Ceci inclut, pour le marché de langue anglaise, les productions suivantes : Making the Cut, The Eleventh Hour et Beethoven's Hair.
Du côté francophone, les productions ont été encore mieux saluées par la critique. Près des deux-tiers des prix Gémeau, soit 48 sur 74, ont été attribués à des productions financées par le FCT, dont Annie et ses hommes, Rumeurs et Ramdam.
Michel Carter, membre du conseil d'administration, Fonds canadien de télévision : Un financement opportun et constant est essentiel au bon fonctionnement du FCT et à sa capacité d'appuyer la communauté télévisuelle canadienne, telle que mandaté et requis. À ce titre, il est d'usage que les entreprises de distribution de radiodiffusion fassent des contributions mensuelles au FCT, conformément à la circulaire 427 du CRTC.
Le modèle financier du FCT est basé sur les entrées de fonds mensuelles des EDR et sur les versements du ministère du Patrimoine canadien, s'ajoutant au fonds de réserve et aux autres contributions. Les versements du FCT aux producteurs ont lieu tout au long de l'année, conformément aux principes directeurs. Ils sont essentiels pour développer, maintenir et achever des productions canadiennes. Nous avons été heureux d'apprendre la décision récente de Vidéotron de reprendre ses contributions mensuelles.
Par ailleurs, M. Shaw a indiqué ce matin, devant le Comité permanent du patrimoine, qu'il allait reprendre ses paiements mensuels. Cependant, l'impact potentiellement dévastateur du retrait des contributions de Shaw Communications continue de menacer la communauté des productions canadiennes. Les mois d'avril à septembre sont le cycle traditionnel de production et les cycles de diffusion, qui requièrent du nouveau contenu canadien, commencent en septembre.
Très préoccupé au sujet de la capacité de l'industrie de gérer une réduction spectaculaire à un moment critique comme celui-ci, le conseil a approuvé un plan financier qui permettra au FCT de maintenir son appui financier à toutes les productions admissibles jusqu'à la fin de l'exercice financier 2006-2007, c'est-à-dire jusqu'au 31 mars prochain. Cette mesure garantit que tous les projets ayant fait l'objet d'une demande continueront d'être analysés et que tous les types d'émissions seront traités de façon équitable.
Ce qui suit démontre l'impact réel sur le financement du FCT en raison de la réduction du financement de Shaw Communications.
En supposant la perte intégrale des contributions de Shaw pour l'exercice 2006-2007, la réduction prévue au financement serait de 46,5 millions de dollars pour 2007-2008, le redressement du déficit de 2006-2007 serait de 4,5 millions de dollars, pour manque total à gagner de 51 millions de dollars pour l'année 2007-2008. Cette réduction est significative. Il est estimé que cette diminution de 21 p. 100 par rapport au niveau budgétaire du FCT en 2006-2007 résultera en une perte de 113 millions de dollars en volume de production dans le marché de langue anglaise et de 54 millions de dollars en volume de production dans le marché de langue française, ce qui constitue une perte totale de 167 millions de dollars. Ceci résultera en la perte de plusieurs milliers d'emplois dans tous les secteurs de l'industrie de production télévisuelle.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Vous m'avez perdu avec les 51 millions de dollars. Pourriez-vous expliquer ce chiffre?
M. Carter : Il y a une perte potentielle de financement pour le FCT de 51 millions de dollars en 2006-2007. Puisque le FCT n'apporte qu'une partie du financement, l'impact total sur la production est de 167 millions de dollars. C'est un rapport de trois et demi à un.
[Français]
Quel en sera l'impact sur les auditoires canadiens, les producteurs indépendants et les télédiffuseurs? Le nombre de productions non appuyées au cours du prochain exercice financier sera de 52 productions en langue anglaise et de 43 productions en langue française.
[Traduction]
M. Barrett : Selon l'optique du conseil, nous avons une assez belle histoire à raconter. Le conseil est composé de gens extrêmement intéressants, intelligents et expérimentés. Le travail que nous faisons est très difficile et compliqué, mais nous pensons l'accomplir plutôt bien.
Nous considérons que la véritable question qui se pose au comité et au pays n'est ni la situation ni le rendement du FCT. Nous comprenons que Shaw et Vidéotron aient exprimé certaines inquiétudes au sujet du Fonds et certaines méritent d'être débattues. Certaines de ces inquiétudes mettent en jeu les principes et d'autres sont liées à leurs intérêts commerciaux propres.
Depuis le début, le FCT a été tenu de prendre ses décisions d'une manière totalement indépendante des intérêts financiers de quelque intervenant, groupe ou entreprise que ce soit. Le conseil est structuré de façon à ce qu'il n'y ait pas de groupe de contrôle. Aucun membre individuel, et même pas le gouvernement du Canada, n'a le pouvoir de contrôler les votes exprimés au conseil. Le travail consiste à gérer les enjeux dans le but de servir les meilleurs intérêts du système de télédiffusion et de production dans son entier, et bien entendu dans l'intérêt de tous les Canadiens.
Nous croyons donc que la vraie question à se poser aujourd'hui est de savoir comment et par qui les structures appropriées de financement public de la production télévisuelle au Canada vont être conçues. Est-ce par le gouvernement, ses ministres et ses fonctionnaires, plus l'organisme de réglementation mandaté, ou bien est-ce par un groupe d'intervenants du secteur privé disposant de leviers financiers puissants?
Nous réalisons tous que le paysage télévisuel est en train de changer et que de nouveaux défis nous confrontent, particulièrement au Fonds. Je dirais qu'au sein de notre conseil de 20 membres nous en avons une douzaine ou plus qui sont à la pointe de toute la réflexion intelligente sur ces nouveaux développements. C'est là une histoire qui n'a pas été suffisamment racontée.
Le FCT est impatient de relever ces défis de concert avec Patrimoine canadien, avec la ministre et tous les groupes d'intervenants, comme il l'a déjà fait dans le passé. Cela supposera certainement des changements. Toutefois, le FCT s'est révélé un organisme incroyable flexible et adaptable. Il est un instrument doté d'une capacité d'innovation remarquable au service du gouvernement du Canada et de tous les Canadiens.
Nous avons formulé quatre recommandations au comité parlementaire, que je me fais un plaisir de répéter ici aujourd'hui. Nous avons également apporté une documentation qui pourrait aussi alimenter vos questions. Je peux soit vous présenter les quatre recommandations maintenant soit attendre jusqu'à la fin, si vous le souhaitez.
La présidente : Voulez-vous nous les donner maintenant? Nous avons la fiche de renseignements.
M. Barrett : Souhaitez-vous que je passe en revue les recommandations?
La présidente : Certainement.
Le sénateur Eyton : De qui sont ces recommandations?
M. Barrett : Ce sont les recommandations du conseil d'administration du Fonds. Elles ont toutes été débattues par le conseil à un moment ou à un autre. Nous avons tenu récemment une journée de réflexion stratégique et nous pensons pouvoir dire qu'il s'agit là de recommandations unanimes du conseil.
Le sénateur Eyton : S'agit-il là de recommandations récentes, de ces dernières semaines?
M. Barrett : Je pourrais indiquer au fur et à mesure la généalogie de chacune.
Le sénateur Fox : Est-ce que Vidéotron et Shaw souscrivent également à ces recommandations?
M. Barrett : Je dirais qu'elles ne souscrivent pas à la première. Nous n'avons pas eu la possibilité de déterminer leur position sur la deuxième.
La présidente : Nous allons suivre les listes, sénateurs, et vous aurez la parole pour poser vos questions.
M. Barrett : Comme on a pu le lire dans la presse, il existe une ambiguïté dans le cadre réglementaire du CRTC. Pendant une douzaine d'années, nous avons touché mensuellement les contributions de nos entreprises de distribution de radiodiffusion, les EDR. Je crois que nul n'avait vraiment réalisé que si l'obligation légalement exécutoire était annuelle, celle d'effectuer des versements mensuels l'était moins. Nous recommandons que le CRTC incorpore l'obligation mensuelle dans le règlement. Je ne réalisais pas à quel point les versements mensuels sont importants pour nous. Tout le cycle de la production télévisuelle au Canada s'effectue avant la date de paiement de septembre/octobre, qui serait celle d'un cycle annuel. Nous formulons cette recommandation. Pour répondre à votre question, sénateur, c'est là un avis formulé récemment par le conseil car nous n'avions pas conscience du problème auparavant.
Nous nous considérons comme un organe d'exécution fonctionnant conformément à un mandat du gouvernement du Canada, de Patrimoine canadien, et à un contrat. Dans ce contrat nous sont imposées des orientations stratégiques contraignantes. Ces dernières émanent du gouvernement et reflètent les priorités du gouvernement du Canada concernant l'emploi des fonds publics.
Étant donné que le secteur privé télévisuel contribue également au Fonds, nous considérons comme normal qu'il se déroule un débat sur le mandat du Fonds entre les différentes parties au niveau du ministre et du gouvernement. Nous avons un travail d'exécution très détaillé à faire et nous ne pensons pas qu'un bailleur de fonds particulier, le gouvernement pas plus qu'un autre, ne devrait s'ingérer dans cette tâche. Nous avons été ravis pendant plus d'une dizaine d'années que le gouvernement ait trouvé le juste milieu consistant à nous donner des orientations stratégiques, à vérifier notre rendement à la lumière de ces orientations, et à nous laisser tranquilles à faire notre travail en conjonction avec nos intervenants.
Nous estimons qu'il y a place pour un débat réel au niveau du mandat. Nous serions ravis qu'il se déroule entre les bailleurs de fonds et d'avoir la possibilité d'y participer. C'est là où nous pensons que se situe le lieu approprié du dialogue.
Nous avons eu une situation, pendant de nombreuses années, depuis le début du Fonds, telle qu'il y avait trois sièges pour les câblodistributeurs et pas de siège pour les distributeurs TDD, la télévision directe à domicile par satellite. C'est dû au fait qu'alors l'industrie de distribution par satellite n'existait pas. Au fur et à mesure que celle-ci s'est développée, nous avons alloué un siège aux sociétés de satellite et nous avons demandé que Bell ExpressVu et Star Choice se le partagent. Ces dernières n'ont jamais réussi à s'entendre sur la façon d'occuper ce siège, si bien qu'il est vacant depuis trois ans. C'est très décevant pour nous et, franchement, très décevant pour au moins l'un des distributeurs de TDD.
Avec l'accroissement de la contribution des satellites à nos revenus, nous pensons qu'il est approprié, afin de respecter les proportions, de donner un deuxième siège aux distributeurs TDD. Nous pensons que c'est là une occasion de régler la difficulté des deux concurrents à décider comment se répartir les sièges. Nous recommandons d'ajouter un deuxième siège de TDD au conseil.
Les organisations professionnelles et les divers groupes d'intervenants désignent tous nos administrateurs, ce qui exclut la SRC. Aucune société privée n'a droit à son propre siège au conseil. Les radiodiffuseurs, par exemple, ont passé entre eux un accord de rotation qui leur permet d'occuper un siège temporairement.
L'ACTC va être légalement dissoute cet été. Elle a typiquement déjà fermé ses portes, mais subsiste légalement. Nous avons besoin d'un mécanisme de nomination des représentants du câble, ainsi que des représentants de la TDD.
Il nous faut un peu de temps avant notre assemblée annuelle de juin pour trouver une solution à ce problème afin d'assurer que les représentants du câble et des satellites à notre conseil soient désignés en bonne et due forme. Il y a là une lacune dans notre règlement.
La présidente : J'ai quelques questions et je céderai ensuite la parole à mes collègues.
[Français]
L'un des principaux arguments des détracteurs du Fonds, c'est le retard à adapter ses politiques à la nouvelle réalité dans le secteur de la télévision. La fragmentation de l'auditoire des chaînes traditionnelles est dorénavant un phénomène irréversible qui s'accentuera dans les années à venir.
La concurrence n'émane pas seulement des chaînes spécialisées. Aux États-Unis on constate que de plus en plus, les nouvelles plateformes de diffusion des produits télévisuels prennent de l'importance et que de plus en plus de gens vont télécharger sur des sites Web leurs émissions pour les regarder quand bon leur semblera.
Est-ce que le Fonds envisage le développement d'une stratégie pour adapter ses politiques à certaines réalités telles le téléchargement d'émissions à partir d'Internet, la vidéo sur demande qui représente une plateforme intéressante pour les câblodistributeurs, ou encore l'utilisation de produits télévisuels sur des appareils mobiles comme iPod?
[Traduction]
M. Barrett : C'est une très bonne question. Bien entendu, la réponse est oui, mais nous faisons face à certaines complexités.
Premièrement, toute la question de la nouvelle plate-forme est entourée d'incertitude et d'insécurité car nul ne sait vraiment vers quoi l'on se dirige. Nous vivons sur les fonds publics et nous ne pouvons devancer tous les autres. Nous devons adopter une approche prudente. Bien entendu, nous en discutons sérieusement. Cela a fait l'objet de vifs débats autour de la table de notre conseil.
Nous réalisons également qu'il n'existe pas de modèle commercial sur la base duquel nous pourrions évaluer correctement comment nous pourrions légitimement participer. Le fait qu'il n'existe pas de modèle commercial est à l'origine de la grève de l'ACTRA qui dure depuis huit semaines, et si un règlement n'a pas pu intervenir vendredi dernier c'est précisément à cause du désaccord entre les studios américains à cet égard. Nous ne sommes pas seuls à avoir du mal à discerner l'avenir sur ce plan.
Nous avons constamment abordé la question en partant du principe que nous ne sommes pas là pour servir l'intérêt commercial d'une société individuelle donnée. À bien des reprises dans le passé nos groupes d'intervenants nous ont fait savoir qu'il serait dans leur intérêt de nous engager dans une certaine voie. Nous avons toujours dit non car c'est notre rôle de tenir bon et de dire non chaque fois que les intérêts d'une entité commerciale donnée prétendent déterminer la politique publique.
Je fais remarquer que tous les autres grands radiodiffuseurs canadiens sont aujourd'hui à notre table ou l'ont été dans le passé et sont satisfaits de collaborer avec nous pour trouver un chemin à travers ce débat. Ils ne disent pas les mêmes choses que Vidéotron et Shaw.
Enfin, et surtout, nos ressources sont limitées. Les Canadiens rentrent toujours chez eux le soir et regardent des émissions canadiennes aux heures de grande écoute. Ils les regardent sur de grands écrans. Ils ne sont pas encore des multitudes à regarder ces émissions sur leur téléphone ou sur Internet.
Notre mandat est d'appuyer la production d'émissions pour les heures de grande écoute sur les réseaux de télévision canadiens licenciés par le CRTC au Canada. C'est là notre mission. S'il nous faut explorer tous les moyens d'intégrer les technologies nouvelles, nous devons veiller à ne pas détourner les ressources disponibles pour notre tâche principale.
Sans vouloir mendier, si nous disposions de ressources supplémentaires, nous serions ravis de faire des recherches et de mettre à l'essai d'autres activités. Mais pour le moment, chaque dollar que nous recevons est dépensé pour des émissions l'année même où nous le touchons. Nous dépensons 99 p. 100 de nos fonds dans l'année même. Nous dépensons l'argent pour des émissions de télévision de haute qualité destinées aux Canadiens et diffusées aux heures de grande écoute. Il ne s'agit pas de nous cacher la tête dans le sable. Il s'agit de gérer les ressources publiques conformément à la mission qui nous est donnée par notre contrat avec le gouvernement.
[Français]
Le président : Le Canada accuse un retard sur les États-Unis en ce qui concerne le passage à la diffusion d'émissions en format haute définition. Comment le Fonds contribue-t-il au passage à la production d'émissions en haute définition? Des politiques sont-elles prévues?
[Traduction]
Mme Creighton : Notre accord de contribution fixe l'objectif de viser la production d'émissions en format HD. Le Fonds n'a pas encore fixé de politique ou d'objectifs spécifiques. En 2006-2007, nous avons enregistré une augmentation de 35 p. 100 des productions en HD. Cet accroissement s'est fait en l'absence de toute politique particulière. Avec le nouvel accord de contribution qui vient d'être signé avec le gouvernement, cela devient un objectif. Nous verrons avec le conseil, au cours de l'année prochaine, à chiffrer un objectif stratégique.
Le sénateur Johnson : J'aimerais poser une question concernant vos 11 années d'existence. Pouvez-vous nous en dire plus au sujet des productions télévisuelles canadiennes que vous financez? Dans quelle mesure rencontrent-elles plus de succès qu'avant votre arrivée sur la scène? Vous dites que vous générez 3,50 $ de valeur de production pour chaque dollar versé. Comment évaluez-vous le surcroît de contenu canadien vu par les téléspectateurs?
Mme Creighton : Nous avons remarqué que les auditoires de la télévision canadienne augmentent. Je demanderais à Mme Corcoran de vous donner les détails. Nous voyons la différence au niveau du nombre des productions et du volume de productions réalisées dans le secteur indépendant. Les meilleurs critères de mesure sont les résultats, c'est-à- dire les prix décernés et les ventes internationales d'émissions de télévision.
Le sénateur Johnson : Quels sont ces chiffres de vente et où sont-ils réalisés?
Mme Creighton : Partout dans le monde.
Le sénateur Johnson : Quelles sont les plus populaires?
Mme Creighton : Quel pays?
Le sénateur Johnson : Quelles émissions?
Mme Creighton : Degrassi : The Next Generation en est une. Il y a de nombreuses années, une production intitulée Incredible Story Studio s'est vendue dans le monde entier.
Mme Corcoran : Nous avons beaucoup de succès dans les catégories enfantines. Neuf des 50 émissions les plus populaires pour enfants de deux à 11 ans ont été financées par le FCT. Cela comprend des séries telles que This is Daniel Cook, Franklin et Jane and the Dragon. De nombreux titres dans les catégories enfantines marchent très bien. Comme M. Cardin l'a mentionné, il y a aussi certaines émissions du marché québécois. À l'échelle internationale, Da Vinci's Inquest fait l'objet de souscriptions aux États-Unis et marche très fort. Un certain nombre d'émissions, telles que Slings and Arrows, sont achetées par des réseaux américains. Aux États-Unis, avec la prolifération des réseaux, il y a pénurie de contenu pour diffusion sur ces réseaux et ces derniers se tournent de plus en plus vers des émissions canadiennes pour remplir leur grille horaire et cibler leur auditoire particulier. Au Canada aussi, comme on sait, il y a une prolifération de chaînes. Ces dernières sont passées de zéro à 60 en l'espace d'une heure et les auditoires se fragmentent.
Nous constatons que les auditoires des émissions canadiennes se maintiennent, par comparaison. Sans être financés par le FCT, Corner Gas marche extrêmement bien sur le marché canadien, tout comme Trailer Park Boys. Ces émissions ont une image de marque dans tout le pays, tout comme Red Green.
Pour ce qui est d'une comparaison entre la période avant le Fonds et celle après, malheureusement, en raison des complexités et limitations des systèmes de mesure avec lesquels nous travaillons — et nous utilisons ceux qui nous sont offerts par BBM et Nielsen — une analyse rétrospective du financement de la programmation canadienne est quasiment impossible. Cependant, en 2003-2004, le FCT a lancé une initiative de codage qui fera que toute la programmation au Canada sera codée par pays d'origine et genre, ce qui nous permettra de commencer à étudier comment marchent les émissions d'origine canadienne par opposition aux émissions d'origine étrangère, et cetera. En ce moment, nous avons des résultats relativement détaillés pour l'année de radiodiffusion de 2003-2004 et nous attendons dans les prochains mois les résultats détaillés pour 2005-2006.
M. Barrett : De la façon dont la programmation télévisuelle et cinématographique de long-métrages a été financée au Canada pendant des décennies, vous présentiez une demande à un organisme gouvernemental dont les responsables choisissaient la meilleure production possible parmi les candidats. Ils fournissaient alors le financement, et on envoyait le produit sur le marché et on voyait quel était le résultat. Nous n'utilisons plus ce modèle. Cela témoigne de notre capacité à confronter d'énormes mutations. Nous avons abandonné la concurrence entre émissions en faveur de la concurrence entre radiodiffuseurs pour les auditoires. Toute l'idée de mesurer le succès d'une émission réalisée sur fonds publics sur la base des cotes d'écoute et cetera est une nouveauté que nous avons introduite vers 2002-2003, sous l'ancien président.
Le premier problème que nous avons rencontré est que nul ne codait ou ne suivait la réussite des émissions canadiennes et, en particulier, les émissions financées par nous. Afin d'établir cette situation de concurrence, il nous a fallu mettre en place une infrastructure à cet effet. Mais nous n'avons que quelques années de chiffres à nous mettre sous la dent, et il reste encore de nombreux défauts dans le système.
Mme Corcoran a travaillé dans la recherche pour un grand radiodiffuseur canadien et nous sommes ravis de l'avoir avec nous. Elle nous apporte un concours précieux. Lorsqu'elle s'est jointe à nous, nous n'avions que des moyens très rudimentaires car tout le langage de la concurrence pour les auditoires dans le contexte du secteur public était nouveau pour nous.
Le sénateur Johnson : Pouvez-vous nous parler des doléances de Shaw et Vidéotron dans ce contexte? Ils ne sont pas satisfaits de vous. Le cœur du problème semble être que 37 p. 100 du budget du FCT va à CBC/SRC. Leurs objections pourraient-elles être réglées en finançant le radiodiffuseur public par des moyens autres que le FCT, étant donné que ce radiodiffuseur reçoit déjà des fonds publics autres?
M. Barrett : Le chiffre de 37 p. 100 et l'obligation de financer CBC fait partie de notre entente de contribution. Ce n'est pas une décision qui nous appartient. Nous n'en avons jamais discuté au conseil, jamais. Nous ne considérons pas comme de notre ressort l'opportunité de financer CBC. Le soutien de cette dernière fait partie intégrante de notre mission depuis la création initiale du Fonds par Mme Copps en 1996. Cela existe depuis le début. Le gouvernement pourrait choisir de créer une structure distincte pour soutenir CBC et retirer cet argent au FCT, mais les radiodiffuseurs commerciaux ne disposeraient pas de plus de ressources pour autant et se retrouveraient face à un concurrent qui ne jouerait pas selon les mêmes règles du jeu. C'est une question complexe. Si le gouvernement décrétait simplement que la Société Radio-Canada n'est plus admissible à ces ressources, cela déclencherait chez cette dernière une crise financière massive. Les câblodistributeurs disent qu'ils ne pensent pas que la SRC devrait être admissible à nos ressources mais sans indiquer d'où proviendraient celles de la SRC. Ils disent que les montants mis à la disposition des radiodiffuseurs privés devraient être accrus de 37 p. 100. C'est un débat qui doit se dérouler au niveau gouvernemental.
Le sénateur Johnson : Ce chiffre de 37 p. 100 n'a jamais varié?
Mme Creighton : C'est le chiffre actuel. Les 37 p. 100 représentent l'enveloppe de la SRC. Cet argent ne va pas directement à la SRC. C'est de l'argent versé aux producteurs indépendants détenant une licence de la SRC.
L'une des subtilités dans ce discours est que la SRC est le radiodiffuseur qui a le plus de place disponible dans ses grilles de grande écoute pour des émissions canadiennes. Les producteurs indépendants souvent ne se préoccupent guère d'où vient une licence de diffusion, du moment qu'ils peuvent l'obtenir, réaliser l'émission et la faire passer à l'antenne.
Historiquement, les montants tirés par la SRC pour financer les productions indépendantes finissant par être diffusées sur la chaîne ont varié. La proportion a atteint jusqu'à 50 p. 100 à un certain moment.
Nous ne savons pas sur quelle base la proportion de 37 p. 100 a été fixée. Comme M. Barrett l'a dit, elle nous est imposée à titre de directive par l'accord de contribution. Ce n'est pas de l'argent qui va à la SRC, il est destiné à des producteurs indépendants.
Le sénateur Johnson : Il va à des producteurs indépendants?
Mme Creighton : Les producteurs indépendants obtiennent une licence de la SRC, qui représente de l'argent qui les aide à financer leur émission, laquelle est ensuite diffusée sur SRC. Très souvent, d'autres radiodiffuseurs ont une deuxième fenêtre et l'émission peut être diffusée ailleurs.
Le sénateur Johnson : Est-ce que le FCT décide de la proportion du financement? Vous avez déjà expliqué la part réservée à la SRC. Qui décide de la répartition des fonds entre les projets en langue autochtone, française et anglaise?
Mme Creighton : Nous établissons, au début de l'année, un budget d'ensemble qui définit combien d'argent est alloué à chaque programme. Hormis cela, nous ne fixons pas une proportion du point de vue de la structure de financement. Cela est déterminé à toutes fins pratiques par le marché.
M. Barrett : Le soutien aux émissions en langue autochtone est fixé par le contrat. La répartition des fonds entre la programmation de langue française et anglaise fait partie du contrat. L'attribution des ressources à la francophonie du Québec fait partie du contrat.
Mme Creighton : Si vous regardez sous « dépendances » à l'annexe, vous verrez une ventilation complète, en pourcentage, des montants distribués par le Fonds pour les diverses programmations.
Le sénateur Johnson : Pour confirmer, vous dites avoir perdu 51 millions de dollars en 2006-2007. Est-ce exact?
M. Cardin : C'est la perte pour 2007-2008.
Le sénateur Johnson : Est-ce là ce dont vous avez besoin?
Mme Creighton : C'est ce qui est projeté.
Le sénateur Johnson : Combien vous faut-il de plus?
M. Barrett : Il s'agit là du montant perdu si les câblodistributeurs ne versent pas leur part.
Mme Creighton : C'est juste la part de Shaw.
M. Barrett : À supposer que le gouvernement veuille imposer le respect de ses règlements, si Shaw refusait de payer pour quelque raison, il nous faudrait un financement intérimaire sous une forme ou une autre jusqu'à ce que le règlement soit appliqué.
Le sénateur Munson : Pour rester sur le sujet, nous savons que l'argent du Fonds canadien de télévision va à des producteurs indépendants. Qu'adviendrait-il de la programmation canadienne de la SRC si Vidéotron et Shaw décidaient de ne plus payer?
Mme Creighton : Actuellement, toutes les contributions au FCT sont mises en commun. Nous ne faisons aucune distinction entre les revenus provenant du câble et ceux provenant du gouvernement sur le plan du financement de la production; tout va dans la même caisse. Nos lignes directrices, nos règles s'appliquent uniformément à tous.
Si Shaw et Vidéotron, qui sont les deux câblodistributeurs concernés en ce moment, décident qu'ils ne veulent plus contribuer au Fonds à partir de l'année prochaine, nous savons que l'impact sur le système d'ensemble serait de 70 millions de dollars. Si vous voulez savoir quelles en seraient les répercussions sur la SRC, il y aurait une réduction de 37 p. 100 des émissions réalisées par les producteurs indépendants pour diffusion aux Canadiens.
Le sénateur Munson : Est-ce que des producteurs indépendants feraient faillite?
Mme Creighton : Certains, oui.
Le sénateur Munson : Shaw et Vidéotron ont choisi de livrer bataille sous le regard du public. Vous avez dit, monsieur Barrett, comprendre que Shaw et Vidéotron nourrissent des préoccupations. Je pense que c'est plus que de simples « préoccupations », ils ont choisi de livrer une bataille retentissante. C'est comme si les radiodiffuseurs privés voulaient transmettre le message qu'ils ne veulent plus accepter ces règles du jeu, mais le CRTC a mis le holà. De quel pouvoir dispose le CRTC pour faire changer d'avis Vidéotron? Vous avez donné à entendre que des mesures seraient prises contre Shaw. Que peut faire le CRTC à Vidéotron et Shaw s'ils refusent de respecter les règles du jeu?
M. Barrett : L'obligation pour les entreprises de distribution de radiodiffusion de payer annuellement est ferme et claire. Le pouvoir légal du conseil d'appliquer ces règles est ferme et clair. Si le Conseil décide de recourir à la contrainte, nous aurons leur argent vers le milieu de l'automne. Ce sera beaucoup trop tard pour que nous puissions maintenir nos activités.
Ce qui fait l'objet du débat en ce moment, c'est l'obligation réglementaire beaucoup moins certaine, car elle se présente sous forme de circulaire, d'effectuer des versements mensuels. Le conseil dit que si vous voulez avoir une discussion sur le rôle du Fonds, très bien. Nous, au Fonds, n'avons cessé d'avoir de telles discussions et y sommes tout à fait préparés. Cependant, il importe, pendant que l'on discute, que chacun remplisse ses obligations légales. Il semble maintenant que les deux sociétés aient déclaré qu'elles le feraient.
Le sénateur Munson : Qu'arriverait-il à votre groupe si des radiodiffuseurs comme Vidéotron et Shaw choisissaient de ne pas verser leur contribution au Fonds qui, d'après ce que je peux voir, aide tout le monde à produire du contenu canadien pour la télévision canadienne?
M. Barrett : Si tout le monde ne versait pas sa part, ce serait un grave choc pour tous les groupes d'intervenants qui bénéficient de l'aide et pour nos activités. Il faut bien noter que le ministre a pris l'engagement ferme d'un renouvellement de deux ans. Cela garantit pratiquement que le Fonds va continuer d'exister. La question est de savoir si nous allons exister avec le niveau de ressources antérieur ou bien un niveau de ressources moindre.
Les versements du gouvernement canadien sont exactement du même montant qu'en 1996. Nous avons eu quelques majorations modestes des versements des EDR, mais l'apport gouvernemental est resté stagnant. Compte tenu de l'inflation, nos ressources ne sont pas supérieures à ce qu'elles étaient il y a dix ans. Toute baisse nous causerait des difficultés.
Le sénateur Tkachuk : Vous dépensez environ 250 millions de dollars par an, n'est-ce pas? Sur ce chiffre, 100 millions de dollars proviennent du gouvernement et 150 millions des câblodistributeurs?
M. Cardin : C'est exact.
Le sénateur Tkachuk : Pouvez-vous me dire qui paye combien, sur les 150 millions de dollars?
Mme Creighton : Nous le pourrions, mais nous ne rendons pas publics les chiffres par entreprises de distribution.
Le sénateur Tkachuk : Pourquoi pas?
Mme Creighton : Nous ne publions pas les chiffres en raison du caractère concurrentiel du secteur.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce que leur part est calculée par ménage ou quelle est la formule?
M. Cardin : C'est 5 p. 100 de leurs recettes brutes. Par conséquent, en vous disant combien chacun contribue nous révélerions leur chiffre d'affaires.
Le sénateur Tkachuk : Le gouvernement contribue 100 millions de dollars et les câblodistributeurs 150 millions de dollars. Vous dites que vous investissez l'argent, mais est-ce un investissement qui rapporte ou simplement une subvention? Ce n'est pas réellement un investissement, vous ne faites que dépenser l'argent.
M. Barrett : Nous faisons deux choses. Le nouveau FCT — et nous sommes passés par toutes sortes de changements — est la fusion de l'ancien Fonds de production des câblodistributeurs et des crédits pour la télévision de Téléfilm Canada. De fait, le financement télévisuel de Téléfilm Canada a été initialement mis sur pied en 1984 par le monsieur qui se tient là-bas. Le mécanisme subsiste encore en partie. L'apport de Téléfilm Canada prenait principalement la forme d'une prise de participation aux émissions. L'apport du Fonds des câblodistributeurs prenait la forme de ce que nous appelons un complément aux droits de licence. L'idée était que, pourvu qu'un radiodiffuseur contribue suffisamment de sa poche, nous ajouterions un complément. Si le radiodiffuseur payait des droits de licence, nous ajoutions de la valeur en complétant. De nos jours, notre participation à nombre des projets constitue un mélange de complément de droits de licence et d'investissement.
Le sénateur Tkachuk : Je suis toujours confus. Dois-je aller voir Téléfilm d'abord ou bien le radiodiffuseur d'abord? Supposons que je veuille réaliser une émission de télévision. Hormis le fait que je pourrais contracter un emprunt bancaire pour produire une émission échantillon que les chaînes achèteraient, je pourrais aussi m'adresser à votre Fonds et obtenir du liquide, une subvention ou quelque chose du genre pour financer le projet. Est-ce ainsi que cela fonctionne?
Mme Creighton : C'est juste. Un producteur va décider d'un budget pour un projet, selon ce qu'il veut réaliser. Il va ensuite s'adresser à différentes sources de financement pour essayer de lever l'argent pour réaliser cette émission. Parmi les sources peut figurer le diffuseur, sous forme de droits de licence; les pré-ventes internationales peuvent être une autre source, tout comme le financement de développement provenant de notre organisation, ou un financement international; les crédits d'impôt sont un autre élément majeur. Le producteur dresse un budget sur la base de tous ces facteurs et lorsque le financement est en place, il s'adresse à nous. Nous sommes généralement le dernier de la ligne de financement. Du moment qu'il y a des sources confirmées pour produire l'émission, le Fonds apportera sa propre contribution.
Le taux de récupération sur les émissions se situe en moyenne entre 9 millions et 14 millions de dollars par an. Ce sont là principalement des projets qui ont remboursé leurs coûts de production initiaux et rapportent des bénéfices. Ces bénéfices retournent au Fonds en proportion du pourcentage du financement que nous avons alloué initialement.
Le sénateur Tkachuk : Sur les 250 millions de dollars, vous récupérez 9 millions de dollars?
Mme Creighton : Oui, entre 9 millions et 14 millions de dollars.
Le sénateur Tkachuk : Sur quoi était fondée la décision politique de créer le FCT? Pourquoi existe-t-il un FCT? Quelle a été la décision politique qui l'a créé?
M. Barrett : Le Fonds a été créé en 1994 par un décret du CRTC suite à une audience structurelle du CRTC. Deux aspects étaient en jeu lors de cette dernière. Le premier était la temporisation du plafonnement des augmentations de tarif des câblodistributeurs et l'autre était l'ajout de valeur au système. Lors de l'audience on a discuté du rôle que la câblodistribution devrait jouer sur le plan de l'ajout de valeur au système. Le Conseil a lancé initialement l'idée d'une société privée sans but lucratif, déterminé comment les administrateurs en seraient choisis, et cetera. En 1996, après deux années d'activité très fructueuses, Mme Copps a estimé que nous faisions un bon travail et décidé d'apporter 100 millions de dollars et de relier le FCT avec le programme de Téléfilm.
Le sénateur Tkachuk : Mme Corcoran a parlé tout à l'heure de la fragmentation du marché télévisuel. On parle de cela, mais on ne parle pas du fait que cette fragmentation nous coûte. Jadis, mes émissions de télévision étaient gratuites. Elles étaient payées par les annonceurs. J'installais mon antenne, recevait trois ou quatre chaînes et pouvais regarder la télévision. Maintenant, j'achète le câble. Personne ne me le fournit gratuitement, je dois l'acheter. Chaque consommateur paye pour ce câble. L'argent est redistribué par la société de câblodistribution à toutes les chaînes, la chaîne autochtone, CBC ou Newsworld. C'est ainsi que les choses fonctionnent.
On pourrait penser que tous ces câblodistributeurs me prennent de l'argent pour produire des émissions; sinon, pourquoi les paierais-je? J'ai des goûts particuliers en ce sens que je préférerais ne pas payer pour environ deux tiers de ce que l'on voit à la télévision. Je n'ai pas ce choix, à cause du groupage des chaînes. Néanmoins, je dois payer 100 $ par mois et chaque abonné paye de 40 $ à 100 $ selon le nombre de chaînes qu'il achète. Cet argent, destiné censément à réaliser des émissions, percolerait jusque chez moi, pour que je puisse regarder votre chaîne. Cela fait beaucoup d'argent.
Pourquoi devraient-ils rajouter 5 p. 100 de leur poche? Ces câblodistributeurs, sur leur chiffre d'affaires, paient pour des émissions qui seront utilisées par Dieu sait qui. À quoi cela sert-il? Pourquoi ne prendraient-ils pas cet argent et achèteraient-ils des émissions eux-mêmes. L'argent serait toujours là, qu'ils le donnent au gouvernement ou qu'ils le dépensent eux-mêmes, sauf qu'ils prendraient eux-mêmes les décisions, plutôt que vous.
M. Barrett : Il n'existe qu'un seul câblodistributeur dans le pays possédant une filiale directe de programmation. Tous les autres exploitants achètent des chaînes et ont des accords d'affiliation avec la SRC et d'autres. Les câblodistributeurs n'utilisent pas leur argent pour réaliser des émissions.
Le sénateur Tkachuk : Mais ils achètent les droits de diffusion à des chaînes qui réalisent les émissions, n'est-ce pas?
M. Barrett : Oui, effectivement.
Le sénateur Tkachuk : Et ils me revendent ces chaînes.
M. Barrett : C'est juste.
Le sénateur Tkachuk : Pourquoi leur prenons-nous 5 p. 100 pour que vous puissiez les distribuer?
M. Barrett : Bonne question. Il y a dix ans, il y a eu de longues discussions à l'intérieur du système sur cette question structurelle. Les émissions qui racontent les histoires canadiennes, celles qui reflètent l'auditoire canadien, coûtent cher à produire. On les trouve dans un nombre très limité de catégories et pendant plus de 30 ans le gouvernement fédéral a cherché des façons de soutenir la production de telles émissions. C'est dû au fait qu'un radiodiffuseur, s'il en a le choix, va offrir une émission américaine moins coûteuse. S'il diffuse une émission canadienne, il pourrait choisir des émissions moins coûteuses, telles que des émissions sportives ou d'information, et cetera. Afin d'injecter dans le système des émissions dramatiques, des variétés, des spectacles et documentaires de haute qualité, que la faible taille du marché canadien ne permet pas de réaliser, on a créé une série de systèmes de subventions. À mon avis, le FCT en est la variante la plus heureuse. En effet, nous avons mis au point une méthode qui nous donne du recul : nous n'évaluons pas les émissions pour décider lesquelles sont bonnes et lesquelles ne le sont pas. Nous disons que nous appuyons ce que les radiodiffuseurs veulent acheter et ce que les producteurs veulent réaliser. Nous les laissons établir leur marché entre eux. Nous avons une série de filtres d'admissibilité, qui disent qu'ils doivent contribuer eux-mêmes de grosses sommes à cette émission avant que nous mettions nous-mêmes la main à la poche. Nous avons un éventail limité de genres d'émissions que nous finançons et nous exigeons que toutes soient diffusées aux heures de grande écoute. Nous ne finançons que des émissions qui vont être diffusées dans un grand pourcentage de foyers canadiens.
Tout au long de 30 années de réflexion, la conclusion a toujours été que cette activité n'existerait tout simplement pas s'il n'y avait pas un mécanisme comme celui-ci. On a demandé aux câblodistributeurs de soutenir le FCT en versant une petite part de leurs recettes brutes.
On a toujours imposé aux radiodiffuseurs de consacrer de 50 à 60 p. 100 de leur grille horaire aux émissions canadiennes. La question était de savoir quoi demander aux câblodistributeurs, vu qu'ils n'ont pas de grille horaire. Le pourcentage du chiffre d'affaires est le pendant, du point de vue de la politique publique, de la réglementation du contenu canadien imposé aux radiodiffuseurs.
Le sénateur Tkachuk : Peut-être me feraient-ils payer moins pour mon câble. C'est possible.
La présidente : C'est un commentaire, pas une question.
M. Barrett : Je vais suivre le conseil de ma femme et ne pas répondre à cette question.
Le sénateur Zimmer : Merci, madame la présidente, et merci de votre exposé, monsieur Barrett. Nous avons la même voix ce matin. Le rapport de 2005 du vérificateur général estime que votre conseil est chargé de superviser la réalisation d'objectifs vagues. Il indique que le conseil doit concilier des objectifs parfois contradictoires en préservant un équilibre régional, linguistique et culturel tout en facilitant la création d'émissions de haute qualité. Dans ces conditions, comment le conseil détermine-t-il les priorités aux fins de ses décisions de financement?
M. Barrett : Excellente question. C'est justement là que réside notre plus grande difficulté.
Nous commençons avec des objectifs de politique publique ou des déterminants qui sont, certes, assez vagues. Ensuite nous nous mettons chaque année au travail avec notre direction. L'été dernier, Mme Creighton et son équipe ont sillonné le pays, visitant des douzaines de localités et y tenant des audiences pour écouter les avis de tous. Les collectivités nous ont donné leur avis sur ce que nous faisons bien et ce que nous faisons mal. Il y a des militants passionnés dans la collectivité qui réagissent constamment et nous font savoir si nous faisons un bon ou un mauvais travail. Nous avons un cycle de réunions chaque année où nous nous débattons avec les questions épineuses qui vont se poser lors du prochain exercice, qui commence le 1er avril. Nous commençons la discussion sur ces questions à l'occasion d'une grande retraite du conseil que nous tenons chaque mois en septembre. Nous avons toujours six ou sept mois d'avance dans la planification. Notre réflexion vise à ajuster sans cesse ce que nous faisons de façon à nous rapprocher des objectifs contractuels que le ministère fixe pour nous et des attentes des intervenants.
Je ne suis pas sûr de pouvoir être plus précis, sinon pour dire que vous avez très bien résumé notre défi annuel, qui consiste justement à nous coltiner avec cette problématique.
Le sénateur Zimmer : L'une des doléances exprimées par Shaw et Quebecor au sujet de votre organisation est l'absence de financement pour des médias nouveaux tels que la vidéo-sur-demande. Que répondez-vous?
M. Barrett : La vidéo-sur-demande est un peu étrange à nos yeux car elle ne produit généralement pas d'émissions. Elle ne fait que diffuser des programmes existants. La plupart des autres chaînes de télévision ont des budgets pour acheter des émissions et s'adressent sur le marché chaque année en quête de nouvelles émissions.
Il nous est donc un peu difficile de focaliser sur la vidéo-sur-demande. Nous nous frayons méthodiquement un chemin à travers l'univers de la haute définition, des applications web, des iPods, et cetera. Nous relevons des défis pour lesquels il n'y a pas de modèles commerciaux. Nous nous attaquons à des défis liés au fait que les Canadiens n'ont pas encore renoncé aux modes de consommation conventionnels. À partir de quel moment commençons-nous à appliquer des ressources?
Nous butons réellement contre le fait que nous ne disposons que de 250 millions de dollars et que chaque sou est utilisé. La difficile question à laquelle nous, le conseil, devons répondre est de savoir dans quelle mesure nous allons cannibaliser ce que nous faisons déjà pour investir dans quelque chose de nouveau qui n'a pas fait ses preuves? Et si nous allons cannibaliser, quand est le bon moment pour cela?
[Français]
Le sénateur Fox : Comme vous l'avez indiqué à la première page de votre document intitulé Quick Facts, le Fonds canadien de télévision est un réel succès. Au fil des ans, il a contribué, de façon importante, au succès de la télévision canadienne, surtout en ce qui a trait à la production canadienne, à l'utilisation des ressources créatives, tant au Québec que dans les autres provinces canadiennes.
J'aimerais que vous m'éclairiez sur un détail en particulier, après quoi je reviendrai à vos recommandations. À la page 3 de votre document, vous indiquez que le conseil d'administration est composé d'une série de personnes. Toutefois, on ne mentionne pas les administrateurs indépendants. Combien y en a-t-il et qui sont-ils?
[Traduction]
M. Barrett : Notre règlement exige que nous ayons un minimum de cinq administrateurs indépendants. Cette année, nous en avons six. Le ministre en a nommé quatre et l'ACDEF en a nommé un, en la personne de M. Carter. Le président est tenu d'être indépendant et je suis le président. Je suis élu une fois élus tous les autres administrateurs. Cela nous donne six. Bruce Ryan est le directeur des finances d'une société de pétrole et de gaz de Calgary. L'une de nos contraintes est que notre comité de vérification et des finances doit comporter un nombre minimal de membres ayant des qualifications financières et Bruce Ryan remplit ce critère. Il a travaillé dans le passé dans le secteur télévisuel, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui et il est donc indépendant. Le sous-ministre adjoint du ministère, Jean-Pierre Blais, est un administrateur et est traité comme indépendant. Laurie Ashton-Smith, conseillère juridique et présidente d'honneur de l'ACTC, remplit notre critère d'indépendance. Notre dernier administrateur indépendant est Gail Scott, une ancienne commissaire du CRTC. La directrice générale de Culture Montréal, Anne-Marie Jean, a été nommée par le ministre.
[Français]
Le sénateur Fox : Le rôle des administrateurs indépendants me semble important pour la crédibilité des décisions prises par votre conseil. Comment choisit-on les administrateurs indépendants?
[Traduction]
M. Barrett : Toute organisation a loisir de nommer l'un de ses membres comme indépendant. Une fois qu'elle déclare considérer que cette personne remplit les conditions d'indépendance, nous exigeons que cette personne déclare par écrit toutes ses affaires personnelles et ses liens potentiels avec le secteur et nous suivons pour cela un protocole et un gabarit de type Bay Street.
Au moment de l'élection annuelle, chaque administrateur est invité à quitter la salle et les administrateurs restants, tant indépendants que non indépendants, votent pour décider si cet administrateur remplit les critères d'indépendance. Nous avons une politique de cinq ou six pages qui décrit toutes les exigences pour être un administrateur indépendant.
[Français]
Le sénateur Fox : Y a-t-il consensus dans la communauté sur la façon de choisir les directeurs indépendants?
M. Barrett : Il n'y a pas de problème avec le mode de sélection.
Le sénateur Fox : Ces personnes jouent un rôle très important dans les questions de conflits.
Revenons à vos recommandations. Nous avons tous été surpris lorsque Vidéotron et Shaw Communications ont annoncé qu'ils retiraient leurs contributions. On aimerait s'assurer que le problème soit réglé pour de bon. À la lumière de votre première recommandation, vous avez besoin de paiements mensuels. Il semble que le CRTC ait le pouvoir de trancher en la matière?
M. Barrett : Oui.
Le sénateur Fox : D'autre part, vous recommandez que le ministre du Patrimoine établisse un « Funders' Council ». Ce comité serait constitué à l'extérieur de votre conseil d'administration et regrouperait toutes les compagnies, telles Rogers, Shaw, Vidéotron, Cogeco et les diffuseurs par satellite, qui contribuent à votre Fonds, n'est-ce pas?
[Traduction]
M. Barrett : Oui, le ministre rédige le plus gros chèque et notre conseil en a assez longuement discuté. La ministre Oda et ses prédécesseurs au fil des ans, appartenant aux deux partis qui se sont succédé au gouvernement, ont formulé leurs suggestions sur ce qu'ils aimeraient voir accompli avec l'argent. Nous pensons qu'il est approprié que le ministre organise une consultation à ce sujet.
[Français]
Le sénateur Fox : Je ne conteste pas ce que vous dites. Effectivement, il s'agirait d'un comité consultatif. Toutefois, il n'est pas assuré que tous les membres de ce comité seraient d'accord sur la façon dont le Fonds débourse son argent en ce moment.
M. Barrett : Oui.
Le sénateur Fox : Il s'agirait alors d'un forum servant à ventiler plus qu'autre chose. Il n'est donc pas garanti que ce forum mènerait à un consensus auquel tous les contributeurs se rallieraient.
En d'autres mots, est-ce que les quatre recommandations que vous formulez règlent le problème? S'agit-il de problèmes plus fondamentaux que ceux dont on parle en ce moment? De quelle façon MM. Shaw et Péladeau accepteront-ils qu'un pourcentage des fonds soient destinés à des producteurs détenant une licence de diffusion avec Radio-Canada? Ce problème ne risque-t-il pas de refaire surface constamment? Ultimement, n'est-ce pas là une question de politique? La ministre du Patrimoine ne devra-t-elle pas trancher, après avoir entendu les représentations du comité consultatif, en disant que, malgré tout, 37 p. 100 des fonds iront à CBC/Radio-Canada? Car le cœur du problème est lié au fait que l'argent va à Radio-Canada.
M. Barrett : Vous avez raison, c'est un peu le cœur du problème.
[Traduction]
Selon la réglementation, les versements au Fonds sont obligatoires. Lorsque nous, le conseil, prenons nos décisions, nous procédons à une consultation; mais il est de notre responsabilité fiduciaire de prendre les décisions requises pour remplir nos obligations en vertu de l'accord de contribution.
Je crois que M. Shaw a déclaré publiquement qu'il devrait y avoir un accord de contribution séparé entre Shaw Communications Inc. et le Fonds, ou tout autre fonds qui pourra être établi. Essayez d'imaginer ce qui se passerait si chaque EDR avait un accord de contribution distinct et s'il y avait des obligations contradictoires dont il fallait s'acquitter. Nous passerions tout notre temps à négocier avec nos financiers.
Quelle est la valeur d'un mécanisme de consultation? Je suppose que tout dépend de la volonté du gouvernement d'écouter ses interlocuteurs. Si je comprends bien les propos de M. Shaw, la reddition de comptes est son souci principal. Nous sommes une organisation transparente, nous n'avons aucune difficulté à rendre pleinement compte de nos activités, particulièrement s'il existe un forum auquel nous pouvons rendre compte périodiquement.
Vous avez mis le doigt sur le problème. La question est de savoir qui fait la politique? Vous devez savoir que notre organisation, qui est votre organisation — c'est une organisation quasi gouvernementale — considère qu'il lui incombe de formuler des politiques libres de toute influence commerciale.
[Français]
Le sénateur Champagne : Merci d'être là ce matin et merci également de nous apporter de bonnes nouvelles, comme celle que Shaw a finalement décidé de faire marche arrière et de recommencer à faire ses remises mensuelles. Je pense que pour bien des gens un peu partout au Canada — enfin, je suis peut-être plus consciente de ce qui se passe dans la région de Montréal — c'est un grand soupir de soulagement. Les producteurs, les réalisateurs, les auteurs, les comédiens, les techniciens, les gens de la post-production peuvent maintenant se dire qu'il s'agira de s'entendre.
Nous ne devrions pas parler des sommes d'argent qui vont à Radio-Canada, mais le nombre de productions faites avec des fonds qui, finalement, s'en vont à Radio-Canada pour diffusion est effectivement un problème.
Le rapport de la vérificatrice générale fait état d'inquiétudes concernant le Fonds canadien de télévision et mentionne que les objectifs du programme sont larges et manquent de précision. Il faudra s'asseoir ensemble et préciser cela.
Du même rapport ressort également le fait que la composition du conseil d'administration constitue une source potentielle de conflits d'intérêts et que les lignes directrices à cet égard ne sont pas appliquées rigoureusement. Les nominations viennent pourtant en partie du patrimoine, c'est vrai, mais aussi d'ailleurs dans l'industrie. Où la vérificatrice générale voit-elle cette possibilité d'un conflit d'intérêts? Peut-on vraiment croire qu'il y a des conflits d'intérêts?
[Traduction]
M. Barrett : La vérificatrice générale, comme tous les vérificateurs, s'est penchée sur notre organisation à un moment précis dans le temps. L'une de ses recommandations principales prévoyait de modifier la structure de l'organisation parce qu'elle avait deux conseils et deux administrations. Le temps que nous recevions son rapport, le gouvernement antérieur nous avait déjà ordonné de nous restructurer selon ce nouveau modèle et d'établir une structure unitaire.
Dans ce contexte, nous avons également pris un certain nombre de mesures consistant à accroître le nombre des administrateurs indépendants, la rigueur de leur sélection et leur rôle dans l'organisation. Nous avons instauré cette politique de la double majorité.
Selon notre point de vue, lorsqu'est paru le rapport de la vérificatrice générale, il était déjà légèrement dépassé. Je pense que la vérificatrice générale elle-même reconnaîtrait que son travail représente un instantané dans le temps et qu'il se trouve que son bureau a choisi le moment juste avant la mise en place de tous ces changements.
Nous ne voulons pas dire que la remarque n'est pas judicieuse. La structure de notre conseil présente un potentiel de conflit et nous cherchons à améliorer notre environnement, à le gérer et à appliquer vigoureusement les lignes directrices relatives aux conflits d'intérêts.
Dans la feuille de renseignements, nous vous avons donné une liste de tous les commentaires de la vérificatrice générale et de toutes nos réponses. Nous avons parachevé notre mise en œuvre.
M. Shaw a dit que nous avions placé l'un de ces administrateurs en conflit d'intérêts sur un sujet donné. Je pense que cet administrateur a de lui-même déclaré son propre conflit. Nous appliquons rigoureusement les lignes directrices sur les conflits d'intérêts et nous avons manifestement fâché M. Shaw en faisant ce que l'on nous a dit de faire.
[Français]
M. Carter : Nous avons autour de la table du conseil d'administration du Fonds canadien de télévision toutes les ressources nécessaires pour pouvoir rédiger des directives de financement claires et qui fonctionnent dans l'industrie. Nous avons besoin des producteurs, des radiodiffuseurs et de toutes les personnes autour de la table pour bien comprendre ce que nous faisons, car la production télévisuelle est très complexe. Le fait qu'il y ait autour de la table des gens de l'industrie apporte donc une richesse de connaissances nécessaire au bon fonctionnement du Fonds canadien de télévision.
En termes de gouvernance, par ailleurs, comme le mentionnait le sénateur Fox, les directeurs indépendants ont une responsabilité importante. Chaque fois qu'il y a conflit d'intérêts réel ou apparent, les directeurs indépendants font la juste part des choses et doivent porter des jugements en l'absence, autour de la table, de ceux qui sont en conflit.
Je peux vous assurer que j'en ai vu des fonctionnements de conseils d'administration de compagnies publiques, mais que celui-ci, en termes de gouvernance, est probablement le plus strict que j'ai connu. Les conflits d'intérêts y sont très bien encadrés.
Le sénateur Champagne : Tant mieux. Vous m'en voyez ravie parce que je voyais encore dans les récriminations de Shaw et de Vidéotron que la gouvernance était pour eux un problème. Il y a un autre sujet sur lequel ils se sont plaint — et je dois dire que je ne suis vraiment pas d'accord avec eux — c'est concernant le financement d'émissions qui attireraient sans doute moins de téléspectateurs qu'une émission de type Star Académie, et qui serait donc peut-être moins à caractère populaire.
Je me demande si un fonds comme le Fonds canadien de télévision ne doit pas justement faire un effort pour qu'il y ait un petit pourcentage, c'est-à-dire que certaines sommes soient mises de côté pour des émissions qui seraient peut- être moins à caractère populaire, peut-être davantage à caractère culturel, des émissions qui traiteraient par exemple de l'art, que ce soit de la peinture ou de la musique classique ou quoi que ce soit d'autre. Cela aurait pour but de donner à des gens qui voudraient justement produire des émissions de ce genre, la possibilité d'avoir un diffuseur et aussi d'avoir des sommes qui proviendraient de votre organisation.
Concernant donc le fait que vous financiez à l'occasion des émissions qui attirent peu de téléspectateurs — et c'est une de leurs récriminations — comment peut-on les amener à se rendre compte qu'un fonds comportant 100 millions de dollars du gouvernement du Canada chaque année s'occupe aussi d'autre chose que des émissions totalement à caractère populaire?
M. Cardin : Je vous dirais que dans la panoplie des émissions que nous finançons, certaines sont davantage à caractère populaire et d'autres moins.
Comme M. Barrett l'a dit, d'entrée de jeu, il est important de réitérer que nous fonctionnons avec un système d'enveloppes. Ce n'est donc pas le Fonds canadien de télévision qui évalue la pertinence des émissions et qui est responsable d'un processus sélectif d'appréciation de contenu. Ce sont les diffuseurs qui déclenchent l'accès à nos fonds.
Ceci étant dit, parmi les diffuseurs que nous finançons, il y a autant ARTV, Télé-Québec, Bravo, que TVA et Global. Donc le genre d'émissions dont vous parlez, des émissions de variétés et d'arts de la scène, par exemple, sont soutenues par le Fonds canadien de télévision. Une des raisons d'être du Fonds, justement, est clairement d'appuyer le genre d'émissions que l'on appelle communément, dans notre jargon, des émissions sous-représentées, dont les budgets de production sont élevés et qui n'existeraient tout simplement pas s'il n'y avait pas de système de soutien public.
Ceci étant dit, pour aussi répondre aux questions de madame le sénateur Johnson, certaines des émissions dans lesquelles nous investissons et pour lesquelles nous fournissons un financement connaissent énormément de succès, sont rentables, obtiennent des cotes d'écoute élevées au pays et ont des succès financiers au niveau international, que ce soit par la vente des émissions dans leur intégralité ou, phénomène plus particulier au marché québécois, la vente de formats.
Il est difficile d'exporter, dans notre français québécois, des émissions dans leur intégralité, mais on commence de plus en plus à vendre des formats d'émissions telles que Un gars, une fille, Les citadins du rebut global, Les invincibles et plus encore. À cet égard, je crois que le Fonds, de par ses mécanismes d'attribution, atteint un sain équilibre entre des émissions à saveur plus populaire et des émissions à plus haute teneur culturelle.
Le sénateur Champagne : J'ai soulevé ce point parce que le financement d'émissions moins populaires faisait partie de la liste des choses dont se plaignaient les câblodistributeurs et je trouvais cela dommage.
Dans les orientations stratégiques données au fonds des câblodistributeurs en vertu de son accord de contribution, on y mentionne le soutien de l'industrie du doublage. Puis-je savoir de quelle façon vous soutenez l'industrie du doublage? Quelles exigences auriez-vous pour des productions d'ici qui soient produites, par exemple en anglais et doublées en français vice-versa?
J'ai vécu près de 40 ans dans ce milieu et cette question me touche beaucoup. Que fait-on pour que cette industrie survive et pour que les acteurs, qui sont devenus des spécialistes du doublage, puissent continuer à bien gagner leur vie?
M. Cardin : Dans notre dernier rapport annuel, sur les 250 millions de dollars, grosso modo, que le Fonds alloue sur une base annuelle, le soutien au doublage et au sous-titrage ne forme pas une part prédominante de notre financement.
Le sénateur Champagne : Le sous-titrage ne fait pas travailler beaucoup de comédiens.
M. Cardin : Non. Je vous l'accorde. Nous appuyons en moyenne une quinzaine de productions par année, pour qu'elles soient doublées d'une langue à l'autre. Il y aurait peut-être possibilité, s'il y avait discussion au conseil d'administration, de revoir les sommes attribuées en ce moment.
Le sénateur Champagne : Je me demande jusqu'à quel point le soutien à l'industrie du doublage faisait partie de vos orientations stratégiques.
[Traduction]
Le sénateur Eyton : Les actions récentes de Shaw et Quebecor sont-elles venues comme une surprise ou bien vous y attendiez-vous de manière générale?
M. Barrett : Ce n'était pas une surprise que Shaw et Vidéotron soient mécontents. Nous avons connu des périodes dans le passé où d'assez gros intervenants étaient mécontents, et nous faisions de notre mieux pour absorber leur point de vue et tenir fermes sur nos positions. Jusqu'à maintenant, ces gros intervenants ont dit : « D'accord, c'est la nature de ce mécanisme, faisons-nous une raison ». Ils n'avaient pas le même levier financier que ces deux sociétés pour ouvrir de force le débat. C'était une surprise qu'ils agissent comme ils l'ont fait, mais leur mécontentement n'était pas une surprise.
Le sénateur Eyton : Y avait-il un débat interne jusqu'à ce qu'ils le portent sur la place publique?
M. Barrett : Dans le cas de Shaw, l'existence d'un siège d'administrateur vacant depuis trois ans était une source de friction. Cela fait quelque temps que j'essaie de les rencontrer pour en parler. Dans le cas de Vidéotron, la source de friction était la question des vidéos-sur-demande. Ce sont des enjeux très différents.
Le sénateur Eyton : Est-ce que certaines des critiques exprimées par Shaw et Quebecor sont légitimes? Y avez-vous répondu ou prévoyez-vous d'y répondre?
M. Barrett : Le conseil pense, et nous en avons discuté, que nous n'avons pas aménagé un rôle adéquat pour les EDR qui nous financent. Indépendamment de leurs intérêts commerciaux, nous n'avons pas fait suffisamment pour les Rogers, et cetera, de ce monde. C'est pourquoi nous recommandons sincèrement la création d'un conseil des bailleurs de fonds. Ce serait une reconnaissance du fait qu'ils apportent une contribution majeure au système. Que cette contribution soit obligatoire ou non, son existence leur donne le droit de s'exprimer, pensons-nous. Cela nous paraît judicieux.
Le sénateur Eyton : Avez-vous officiellement présenté cette suggestion?
M. Barrett : Nous l'avons fait au comité permanent des Communes, ici même et à la ministre, oui.
Mme Creighton : Lors de la session de planification stratégique que nous avons tenue en janvier dernier, nous avons parlé de la façon d'améliorer les relations avec le plus gros pourcentage de nos bailleurs de fonds, soit les EDR. Il règne une grande confusion dans ce secteur. Vous avez peut-être entendu M. Shaw vanter la réussite du Shaw Rocket Fund, son propre fonds privé pour les émissions enfantines. C'est certainement vrai. C'est un fonds qui marche très bien. Mais le fait est que le FCT soutient 80 p. 100 de ces mêmes projets et, dans bien des cas, il est celui qui permet qu'ils voient le jour.
Peut-être n'avons-nous pas assez bien su communiquer aux EDR le succès de notre Fonds et les interrelations entre ces activités. Nous avons formulé une série d'objectifs qui consistent à mieux gérer la relation d'ensemble du point de vue de la reddition de comptes et de la communication avec l'ensemble des EDR.
Le sénateur Eyton : Se pourrait-il que vous cherchiez à investir dans trop de projets? D'après le document que j'ai ici, sur dix ans, vous avez réalisé quelque 4 500 projets, soit en moyenne de 450 ou 500 par an. Comment pouvez-vous gérer un aussi grand nombre de projets?
M. Barrett : Je demanderais à Mme Creighton de répondre aussi, mais je dois dire que nous avons un personnel incroyablement dévoué et que nous avons aussi focalisé sur l'efficacité administrative. Non seulement investissons- nous dans ces 450 projets, mais nous le faisons à un coût total dépassant à peine 5 p. 100 des fonds administrés. Certaines années, le ministère nous imposait l'obligation de faire cela pour 7 p. 100. Aujourd'hui, notre obligation est de 6 p. 100, mais nous faisons considérablement mieux en atteignant 5 p. 100.
Cela s'explique en partie par la manière dont nous abordons les choses. Nous suivons une approche du type secteur privé. Nous cherchons à créer des mécanismes automatiques qui mettent à profit les bonnes décisions d'autrui. Nous utilisons des filtres d'admissibilité sans chercher à mettre en question les jugements de valeur.
Mme Creighton : C'est un secteur d'activité très volatil. Il n'y a pas de recette secrète pour réaliser une émission canadienne qui connaîtra le succès et que les auditoires canadiens voudront regarder. Si nous avions une telle recette, il y aurait beaucoup plus de gens riches dans ce pays.
La production exige beaucoup de travail et plus notre argent sert au développement et à la production et plus les sociétés de production deviendront sophistiquées et meilleure sera leur relation avec les radiodiffuseurs. Plus elles réalisent de projets, et mieux elles savent les financer. L'objectif final c'est d'avoir suffisamment de contenu canadien dans notre système de radiodiffusion.
La question est posée. Y a-t-il dans notre pays trop de sociétés de production? Cherchons-nous à en faire trop? Devrions-nous nous limiter à 25 ou 30 bons projets en espérant qu'ils connaissent un meilleur succès?
Malheureusement, la programmation est de nature volatile et subjective. Ce qui plaît à un marché ne va pas plaire à un autre. Si nous réduisons le nombre de projets que nous appuyons, nous risquons un succès moindre. C'est comme créer une huile de bonne qualité. Combien de recherche-développement faut-il lui consacrer avant d'obtenir cette bonne qualité dans les stations-service C'est un débat qui se déroule de part et d'autre.
Les ressources sont limitées. Jadis, la demande adressée au FCT était telle que nous ne pouvions accepter que 50 p. 100 de ce qui était proposé.
C'est ce qui a motivé le passage aux enveloppes de radiodiffuseur. On a placé le pouvoir de décision aux mains des radiodiffuseurs, ceux qui sont les plus proches du marché, pour tenter de répondre aux besoins du marché. Cela fait contrepoids à l'argument culturel que nous avons vu tout à l'heure.
Le principe est que nous disposons d'un certain montant et nous le consacrons à la programmation canadienne de manière à mettre autant d'émissions que possible sur les écrans des téléspectateurs canadiens dans les différentes catégories, soit émissions pour enfants et jeunes, dramatiques, documentaires, variétés et arts de la scène, soit les principales catégories que nous finançons.
Le sénateur Eyton : Vous avez répondu à certaines des critiques de la vérificatrice générale. Vous avez parlé des conflits et peut-être de la complexité. Cependant, vous n'avez pas répondu aux reproches relatifs à la lourdeur de votre administration. À cet égard, je regarde les neuf orientations stratégiques énumérées dans notre documentation. Elles vont dans tous les sens. Je n'y vois aucune direction particulière. Je ne vais pas faire lecture de ces orientations stratégiques mais elles devraient figurer au procès-verbal afin que nous sachions en quoi elles consistent. Il existe des chevauchements entre plusieurs. Je surimpose cela sur un conseil d'administration qui compte, je crois, 19 membres, et représente tous les secteurs de l'industrie. J'ai soudain des orientations stratégiques qui me paraissent, du moins sur le plan de leur impact, vagues et contradictoires. Je m'adresse ensuite à 19 administrateurs et leur dit « Voilà, fixez la politique ». Il y a là une lourdeur et il me semble que cela ne peut pas très bien fonctionner.
Je reconnais que vous avez dit le contraire ce matin, mais j'ai une certaine expérience des conseils d'administration. Si quelqu'un me disait que 19 est un chiffre idéal, je répondrais non.
Pouvez-vous nous parler des directives et du fonctionnement du conseil? Ne pourrait-on pas simplifier les choses et avoir une direction plus claire? Est-ce qu'un conseil d'administration plus restreint ne serait pas plus efficace?
M. Barrett : Je sais que vous avez une longue expérience des conseils d'administration. Je respecte beaucoup vos connaissances expertes. J'ai moins d'expérience que vous, mais un peu quand même. Je conviens avec vous que ce conseil n'est pas censé bien marcher. Cela ne devrait pas fonctionner en théorie. Mais bizarrement, cela marche. Je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi. Cela tient en partie au fait que, contrairement à beaucoup d'autres conseils, nous sommes tenus par des échéances impératives. Nous sommes réellement obligés de fournir. Si nous n'avons pas en place au 15 décembre nos principes directeurs pour le 1er avril suivant, il y aura une insurrection dans l'industrie car toute l'industrie attend nos règles avant de passer les commandes et de signer les contrats. Nous avons tendance à travailler extrêmement fort, très efficacement et intensément les uns avec les autres au cours de la période septembre, octobre, novembre.
Comment gère-t-on des réunions avec 20 personnes autour de la table? C'est une question intéressante. En outre, nous avons une réunion complète du comité des indépendants avant chaque réunion du conseil pour passer en revue les conflits associés avec tous les points à l'ordre du jour, suite à la recommandation de la vérificatrice générale.
Dans ces réunions, on peut avoir l'impression que les choses vont à une vitesse terrifiante. Cela tient en partie au fait que nous travaillons sur la base d'un long passé. Si les orientations peuvent paraître vagues à quelqu'un qui les voit pour la première fois, elles sont le fruit d'une longue histoire qui remonte de nombreuses années en arrière. Certains points sont réglés de longue date. Par exemple, les 37 p. 100 reviennent sur le tapis cette année parce que le pourcentage a été expressément inscrit dans l'accord de contribution, mais comme Mme Creighton l'a signalé, au cours des sept, huit ou neuf dernières années, CBC/SRC a obtenu entre 38 et 48 p. 100 du gâteau, dans un environnement différent, un peu plus ambigu.
Je ne peux pas vous dire pourquoi cela marche. Vous demandez si cela marcherait mieux si nous avions moins de membres du conseil?
Le sénateur Eyton : Est-ce que cela marcherait mieux si vous aviez moins d'orientations?
M. Barrett : Cela marcherait mieux si nous avions moins de directives, mais j'aurais bien du mal à vous dire laquelle il faudrait supprimer.
Le sénateur Eyton : Voudriez-vous mon aide?
M. Barrett : Certainement. L'autre dynamique, c'est que presque tous les conseils avec lesquels j'ai jamais travaillé, comportent des activistes et des observateurs. Je n'ai pas d'observateurs. Il n'y a pas chez moi un seul membre qui n'a pas quelque chose à dire. Nous travaillons dans un contexte où chaque personne porte énormément de considération aux connaissances et à l'expérience des autres. Ils acceptent l'impulsion du président. Il n'y a pas de tendance à faire des longs discours.
Si l'on réduisait le nombre des administrateurs, une grande partie du débat se déplacerait vers l'industrie et les membres du conseil auraient un rôle beaucoup plus difficile. La question est de savoir quels débats doivent se dérouler à notre table et lesquels doivent être tenus au sein des groupes d'intervenants? C'est une question difficile.
Mme Creighton : C'est une organisation très complexe ayant un mandat complexe. Comme vous l'avez si bien fait remarquer, une bonne partie des directives contenues dans l'accord de contribution sont très larges, un peu nébuleuses et vagues, mais il est intéressant d'observer comment les choses se déroulent dans la pratique. Je vais prendre comme exemple le soutien aux régions.
Pendant de nombreuses années, la perception était qu'il y avait un manque de soutien aux régions du pays et que le financement de la production était centralisé. Le FCT est intéressant en ce sens que c'est comme vivre dans un bocal à poisson. Ce n'est pas une organisation très intime car tout ce que nous faisons est débattu au sein de l'industrie à travers tout le pays. Croyez-moi, s'il y a le moindre petit déplacement, il va se créer tout un groupe de travail pour passer cela à la loupe.
Pendant que se déroulait tout le débat dans le pays sur le soutien aux régions par opposition aux grands centres, lorsqu'il s'est agi d'analyser les faits, nous avons un mécanisme de groupe de travail qui se compose de membres du conseil et d'autres représentants de l'industrie pour passer au crible les statistiques. Les gens voient ainsi que la répartition entre le soutien régional par opposition aux centres a été d'environ 45 à 52 p. 100 au cours de l'histoire du Fonds. Oui, la proportion peut fluctuer considérablement d'une année à l'autre. Cette année, nous avons la certitude qu'il y a eu très peu de productions à Terre-Neuve, ce qui est dû en partie aux tendances de la radiodiffusion. Cela fluctue en fonction de ce qui se passe dans chaque région.
C'est compliqué et il y a beaucoup de gens autour de la table, mais M. Barrett a bien fait remarquer qu'au bout du compte il y a une échéance et que des décisions doivent être prises. Nous sommes contraints par cette échéance. Tout le monde n'est pas toujours satisfait, mais en fin de compte, les gens cherchent à prendre en compte l'intérêt d'ensemble de l'industrie et ce qui profite le plus souvent à tous, plutôt que de défendre un intérêt particulier étroit, qu'il s'agisse de l'enveloppe autochtone, de l'enveloppe régionale ou de l'enveloppe francophone hors Québec. Il est vrai que tout le monde veut plus d'argent. Actuellement, nous faisons l'objet de pressions vigoureuses de la part des réalisateurs de documentaires et des réalisateurs d'émissions pour enfants et jeunes qui jugent qu'ils devraient recevoir un plus gros pourcentage des fonds et qu'une trop grande partie de nos ressources va actuellement aux dramatiques. Mais nous considérons ce qui se passe dans le milieu, quels sont les auditoires, quelles sont les tendances du marché et nous réagissons en conséquence. Nous cherchons à concilier tous ces intérêts concurrents à la lumière de directives insuffisantes.
M. Barrett : Nous croyons savoir que les gens de Schulich s'intéressent à notre fonctionnement, qu'ils jugent comme une façon intéressante de travailler.
Du strict point de vue de la gouvernance, sous l'angle de la théorie, nous avons l'indépendance complète par rapport à la direction, aucun groupe de contrôle et des échéances impératives. Il est intéressant de voir ce que produisent ces trois facteurs réunis. Nul ne peut jamais remporter la victoire, si bien que les gens donnent leur point de vue puis se placent en retrait et ce repli est intéressant. Il y a une volonté de bricoler ensemble une solution acceptable. Nous faisons des pauses et revenons; nous prenons impérativement une décision avant 11 heures. Cette contrainte de temps a des effets remarquables. L'absence de groupe de contrôle est une caractéristique importante et insuffisamment appréciée.
Le sénateur Eyton : J'attends de voir l'étude de Schulich.
[Français]
Le sénateur Dawson : Madame la présidente dit régulièrement que cela fonctionne. Pourtant, on est ici en comité parce que deux de vos plus gros joueurs ont frôlé l'outrage au gouvernement en ne payant pas leur part. Vous pouvez répéter souvent que cela fonctionne mais on peut au moins admettre qu'il y a un certain niveau de contestation.
Tout à l'heure vous avez dit que vous alliez créer le « conseil du Fonds ». Il est certain que cela va donner l'occasion à ces gens de se défouler dans un forum autre que celui des médias nationaux et d'agir autrement que par une rétention de leur participation financière.
Comme le sénateur Eyton, j'ai de la difficulté à comprendre comment vous pouvez dire que cela fonctionne s'il y a tellement de critiques à votre égard. Je suis quand même un supporter inconditionnel du Fonds. J'étais là dans les années 1980 lorsqu'on a décidé de créer un financement indirectement par les participants. On a donné des permis à des gens pour faire de l'argent, et leur demander de participer à la production me semble tout à fait raisonnable.
Mais il faudra trouver une façon de traiter les griefs. Je vois les griefs du vérificateur général concernant les conflits d'intérêts, les griefs de ceux qui se demandent pourquoi le privé finance le public. Pour ma part, je suis pour Radio- Canada, je n'ai aucune hésitation, mais je peux imaginer que si j'étais Pierre Karl Péladeau et que je voyais que mon argent est utilisé pour aller compétitionner pour l'achat de produits sur un marché concurrentiel, j'aurais peut-être des réserves. Je comprends que c'est une subvention indirecte à Radio-Canada, mais soyons honnêtes, il faut appeler un chat un chat. Radio-Canada retire 38 à 40 p. 100 de ces fonds et je peux comprendre qu'il y ait des griefs.
On a parlé de « View on demand », de iPod, d'Internet. Il y a une évaluation extrêmement rapide sur le marché et vous avez un organisme qui a tendance à être à la recherche d'un consensus. Comment serons-nous capables de traiter les griefs de Péladeau et de Shaw concernant les produits, l'après-vie? Vous avez parlé tout à l'heure, monsieur Cardin, de la vente de formats. C'est un nouveau concept. Lorsqu'ils ont créé le Fonds ou même l'idée d'avoir du financement, concevoir le fait qu'on allait subventionner directement des gens pour avoir des formats qu'ils allaient vendre à l'étranger, justifie à mon avis les revendications des gens du privé.
Je comprends le Funder's Council, ils auront une occasion de se défouler, mais de quelle façon s'adressera-t-on à Shaw ou à M. Péladeau, dans les prochaines semaines, pour leur dire : on vous a compris, il y a un problème et on va y remédier.
[Traduction]
M. Barrett : J'ai trois choses à dire. Premièrement, je considère le mois dernier comme une période extraordinaire pour le Fonds, non pas parce que deux câblodistributeurs ont dit avoir des problèmes majeurs, mais parce que sept autres grands câblodistributeurs ont fait leur versement mensuel dans les délais et sans difficulté et ne se sont manifestement pas rangés du côté de ces messieurs.
Je trouve également extraordinaire le soutien ferme et inconditionnel des associations de producteurs télévisuels de langue anglaise et française, de l'Association canadienne des radiodiffuseurs, de la Documentary Organisation of Canada, de l'ACTRA et de la Writers Guild. Ces organisations bien souvent s'étripent mutuellement mais toutes, sans que nous fassions rien pour les rallier, se sont exprimées en faveur de ce mécanisme. Parfois, il importe de savoir entendre, au-delà des hurlements à l'avant-scène, les déclarations de soutien en arrière-plan.
Deuxièmement, tout le monde parle de l'apparition d'un nouveau marché. Nous avons aujourd'hui autour de la table CTV et CHUM et nous avions Alliance Atlantis dans le passé — des gens qui sont à la fine pointe de la réflexion. La meilleure évaluation que nous puissions donner est qu'il existe une technologie en évolution mais qu'il n'y a pas encore de marché en évolution.
Lorsqu'il y aura un marché nouveau et que les Canadiens seront suffisamment nombreux pour vouloir consommer de manière différente, je parie qu'en accord avec notre partenaire, le ministère du Patrimoine canadien, nous serons là. En ce moment, la grève est la preuve qu'il n'y a pas encore de marché en évolution. Il importe donc de garder le cap et de ne pas se jeter à l'eau trop vite.
Mme Creighton : Pour ajouter un mot à cela, il est vrai que Quebecor a déclaré publiquement son objection à ce qu'un financement privé soutienne une activité publique. Cependant, il vous intéressera peut-être de savoir que Vidéotron contribue — et ce sont des chiffres publics — quelque 15 millions de dollars au Fonds mais en retire un peu plus de 18 millions de dollars en émissions qui sont diffusées sur sa chaîne. Cela me paraît être un échange plutôt équitable de ce point de vue.
Le sénateur Tkachuk : Les membres de votre conseil sont-ils rémunérés?
M. Barrett : Les membres indépendants sont rémunérés.
Le sénateur Tkachuk : Combien touchent-ils?
M. Barrett : Ils touchent des honoraires de 2 400 $ par an, plus un jeton de présence de 1 000 $ par jour. Le président reçoit, en sus, des honoraires mensuels. Ce n'est un travail à temps plein pour personne. Les administrateurs autres que les six indépendants et le président ne sont pas rémunérés.
Le sénateur Tkachuk : Avez-vous un budget de fonctionnement? Quel est le pourcentage de votre budget de fonctionnement?
Mme Creighton : Nous administrons le Fonds pour 5 p. 100 du budget.
Le sénateur Tkachuk : Cela représente combien? Est-ce 5 p. 100 de 250 millions de dollars?
Mme Creighton : Oui.
Le sénateur Munson : Dans vos « Quick Facts, A Canadian Success Story », on trouve quantité de chiffres impressionnants. Combien d'emplois pensez-vous que le Fonds canadien de télévision a créé au cours des dix dernières années? Quelle importance économique représente-t-il pour le secteur télévisuel et culturel canadien?
Mme Creighton : Les derniers chiffres que nous ayons à cet égard sont d'environ 44 000 emplois. Sur ce nombre, le FCT en assure 22 000.
La présidente : Merci de votre participation aujourd'hui. J'ai reçu vendredi dernier un appel téléphonique concernant notre étude de cette question. Quelqu'un m'a demandé pourquoi nous couvrons ce sujet alors que la Chambre des communes l'étudie aussi. Vu ce que j'ai entendu ce matin, je pense que beaucoup de questions ont été posées et que nous avons reçu beaucoup de réponses qui nous aideront à rédiger notre rapport de juin. Nous n'en avons pas encore terminé, nous tiendrons d'autres séances sur le même sujet.
M. Barrett : Nous sommes ravis d'avoir été invités à comparaître.
[Français]
La présidente : Les sénateurs sont aussi très intéressés par ce sujet.
[Traduction]
La séance est levée.