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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 10 - Témoignages du 27 mars 2007


OTTAWA, le mardi 27 mars 2007

Le Comité permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 35, pour examiner, afin d'en faire rapport, les objectifs, le fonctionnement et le mode de gouvernance du Fonds canadien de télévision.

L'honorable Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour à tous. Nous nous rencontrons aujourd'hui afin d'examiner le mode de gouvernance du Fonds canadien de télévision.

Nous recevons, de la Société Radio-Canada, M. Sylvain Lafrance, vice-président principal, Services français, et M. Richard Stursberg, vice-président principal, Télévision anglaise.

Je vous souhaite la bienvenue à notre comité. Nous allons tout d'abord entendre ce que vous avez à nous dire et par la suite, nous vous poserons des questions.

Sylvain Lafrance, vice-président principal, Division des services français, Société Radio-Canada : Madame la présidente, nous sommes reconnaissants de l'occasion qui nous est offerte de vous entretenir aujourd'hui du Fonds canadien de télévision. Je suis accompagné de M Richard Stursberg, qu'on a présenté comme le vice-président principal des services anglais, mais je voudrais également préciser qu'il est l'ancien président du Fonds canadien de télévision et ancien président de l'Association des câblodistributeurs. Il connaît donc assez bien l'histoire du fonds.

Permettez-moi tout d'abord de vous affirmer que nous sommes convaincus de l'importance capitale que revêt le Fonds canadien de télévision pour le système canadien de radiodiffusion. Sans l'appui fourni par le fonds aux producteurs indépendants d'émissions de télévision, il y aurait très peu de programmation télévisuelle canadienne pour mettre en valeur des expériences, des sensibilités et des perspectives canadiennes et pour promouvoir des artistes, des auteurs et des réalisateurs canadiens.

Au Canada anglais, nous aurions un public diverti presque exclusivement par des thèmes, des expériences et des vedettes issus d'autres pays, principalement des États-Unis.

À la télévision française, le fonds assure un équilibre sain entre ce qui est proposé à la télévision publique et à la télévision privée. Il permet à diverses émissions de télévision de voir le jour, qu'il s'agisse de dramatiques, de documentaires ou d'émissions jeunesse. Cet équilibre fait partie des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion.

Grâce au Fonds canadien de télévision, le secteur de la production télévisuelle indépendante est florissant dans toutes les régions du pays. Il emploie environ 20 000 personnes et crée 2 300 heures d'émissions canadiennes diffusées aux heures de grande écoute. Le fonds est efficace. Chaque dollar investi par le fonds permet de produire plus de trois dollars de programmation canadienne. Les mesures d'auditoire confirment le succès du Fonds canadien de télévision. Les parts d'auditoire des émissions produites grâce au financement du fonds sont à la hausse dans toutes les catégories. D'un bout à l'autre du Canada, ces parts d'auditoire à la télévision de langue anglaise ont progressé, passant de 32 p. 100, en 2003, à 34 p. 100, en 2005. En ce qui concerne la télévision de langue française, leur part a grimpé, passant de 32 p. 100 à 56 p. 100 au cours de la même période.

[Traduction]

Richard Stursberg, vice-président administratif, Réseau anglais de télévision, Société Radio-Canada : Pour les radiodiffuseurs, le Fonds canadien de télévision permet l'établissement de partenariats efficaces avec des producteurs canadiens indépendants pour la création et la diffusion de contenu canadien.

Comme vous pouvez le constater à la lecture des diapositives que nous vous avons fait parvenir ce matin, au sujet des chaînes anglaises, CTV et Global sont au haut de la liste. Les cases bleues indiquent la programmation étrangère; il s'agit de la programmation pendant les heures de grande écoute, de 19 à 23 heures. Les cases rouges ou vertes indiquent le contenu canadien et les cases vertes sont les émissions appuyées par le Fonds canadien de télévision. C'est la même chose pour le tableau en français, auquel nous reviendrons plus tard.

Les résultats indiquent que la programmation canadienne est une partie importante des horaires de CBC et de Radio-Canada aux heures de grande écoute. Nous nous servons abondamment du fonds pour appuyer ce qui est, sans aucun doute en anglais, essentiellement le plus de contenu canadien disponible.

Ces diapositives mettent également en lumière le fondement et l'importance de ce qu'on appelle l'« enveloppe de CBC/Radio-Canada ». Grâce à cette enveloppe, 37 p. 100 des fonds du Fonds canadien de télévision sont accordés aux producteurs indépendants dont les émissions de télévision sont diffusées à CBC et à Radio-Canada. C'est très important. L'argent ne sert bien entendu pas à subventionner directement la SRC; il sert à embaucher les producteurs indépendants afin de produire des émissions pour la SRC.

Le gouvernement a créé cette enveloppe parce que, comme le montrent les diapositives, CBC/Radio-Canada est le seul radiodiffuseur à avoir l'« espace » nécessaire dans sa grille pour présenter surtout des émissions canadiennes au moment où la plupart des Canadiens regardent la télévision, c'est-à-dire aux heures de grande écoute. Je m'arrêterai sur ce sujet pour un instant parce que je crois que c'est fondamental. Au Canada, comme dans le reste de l'Amérique du Nord, les heures de grande écoute vont en fait de 20 à 23 heures. La CBC est le seul radiodiffuseur anglophone principal dont l'horaire aux heures de grande écoute, de 20 à 23 heures, offre des émissions canadiennes.

La programmation de CTV et de Global est tout à fait envahie par les émissions américaines, parce qu'il s'agit de leur modèle d'affaires. Bien entendu, il est difficile pour les émissions canadiennes d'avoir du succès auprès du public canadien, à moins de les diffuser lorsque les Canadiens regardent la télévision. Je voulais vous exprimer cette idée parce que je crois que c'est la racine d'une grande partie de ce que nous avons devant nous aujourd'hui.

Comme d'autres témoins qui se sont présentés devant vous ont pu l'affirmer, CBC/Radio-Canada ne reçoit pas de fonds du FCT. Comme je l'ai mentionné plus tôt, ce sont les producteurs indépendants qui en bénéficient. L'enveloppe de CBC/Radio-Canada créée par le gouvernement reconnaît également que le radiodiffuseur public est investi d'un mandat différent. Un radiodiffuseur public ne peut en effet se contenter d'offrir des émissions qui attireront les auditoires les plus importants en livrant concurrence aux radiodiffuseurs privés, mais doit plutôt présenter des émissions canadiennes de qualité supérieure comme son mandat l'exige; je dois toutefois vous indiquer que nous réussissons mieux en termes d'auditoires que les radiodiffuseurs privés pour ce qui est des émissions canadiennes. Nous prenons environ 50 p. 100 de l'argent du FCT consacré aux émissions dramatiques en anglais, mais nous attirons les deux tiers des auditoires pour les émissions dramatiques canadiennes en anglais. On peut donc dire qu'il s'agit d'une utilisation plus efficace de l'argent.

En rendant possible la diffusion d'un plus grand nombre d'émissions canadiennes diversifiées aux heures de grande écoute, l'enveloppe de CBC/Radio-Canada constitue donc un moyen efficace d'atteindre les objectifs du fonds, c'est-à- dire promouvoir la culture et l'identité canadiennes. J'aimerais quand même faire remarquer que, pour promouvoir cet objectif, le gouvernement avait initialement établi une enveloppe correspondant à 50 p. 100 du FCT pour les productions diffusées à CBC et à Radio-Canada.

[Français]

M. Lafrance : Un autre aspect clé du Fonds canadien est son caractère indépendant. Depuis sa création, le FCT est tenu d'agir sans égard aux intérêts financiers d'un parti intéressé, d'un groupe ou d'une entreprise en particulier.

Nous sommes convaincus de l'importance primordiale de cette indépendance pour assurer le succès du fonds. Nous croyons que le fonds pourrait même accroître son efficacité si son conseil d'administration reflétait mieux le principe d'indépendance. Ces questions doivent être examinées plus à fond dans le cadre du processus d'examen qu'a entrepris le CRTC et nous y participerons.

C'est ainsi que fonctionne le fonds selon un processus d'améliorations continuelles. Je précise qu'il fonctionne déjà très bien; il faut se concentrer un peu sur les résultats. Sans son soutien, il y aurait très peu de productions indépendantes au Canada et CBC/Radio-Canada éprouverait des difficultés considérables pour continuer d'offrir la programmation que veulent les Canadiens et celle qu'exige notre mandat.

Nous sommes maintenant disponibles pour répondre à vos questions.

La présidente : Il me semble qu'un des principaux éléments à la source de la crise actuelle est l'arrivée des nouvelles plates-formes de diffusion. Plusieurs enjeux relatifs aux voies de diffusion et au financement des émissions nous imposent d'amorcer aussi une réflexion à la lumière des récents développements technologiques. Le monde de la télévision se transforme à une vitesse vertigineuse, je ne vous l'apprends pas ce matin. Cette industrie doit s'adapter continuellement. Shaw Communications et Vidéotron ont lancé un cri d'alarme en mettant l'accent sur ce qu'ils considèrent être les lacunes du fonds dans sa mouture actuelle. Il y a certainement des changements qui pourraient être apportés à l'économie générale du système de financement au fonds comme tel afin de mieux refléter la place de plus en plus importante des nouvelles plates-formes de diffusion. Tout change très vite en ce moment.

Croyez-vous que le milieu sera en mesure de répondre rapidement à la nouvelle donne technologique? Croyez-vous qu'une nouvelle approche des droits de diffusion soit possible afin de tenir compte de Internet ou de la vidéo sur demande? Pensez-vous que les différents acteurs du milieu pourront s'asseoir à la même table afin de trouver ensemble une solution acceptable pour tous et afin de prendre en compte l'émergence des multiples plates-formes de diffusion?

M. Lafrance : En ce qui a trait au diagnostic des changements rapides dans le monde de la télévision, je crois que tout le monde est d'accord et on voit les mêmes symptômes. Cela va très vite et la venue des nouvelles plates-formes vient bouleverser tout le modèle économique de l'industrie de la télévision. Cela doit emmener beaucoup de changements. Nous croyons que le fonds peut s'adapter. On doit sans doute suggérer des changements à son système de gouvernance pour qu'il s'y adapte rapidement.

Cela dit, il faut faire attention de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Il faut se rappeler que le FCT, d'après les résultats, a permis la création d'émissions canadiennes. Il a permis le maintien d'une identité culturelle, l'émergence d'une industrie.

Au Québec l'industrie de la télévision est sans doute l'industrie culturelle qui réussit le mieux à retenir son auditoire dans des émissions canadiennes. La télévision francophone au pays est une histoire de succès depuis sa création en 1950 grâce à des outils comme le fonds. On dit attention, ne jetez pas le bébé avec l'eau du bain : oui, des changements doivent survenir et cela doit se faire, mais dans le respect de la Loi de la radiodiffusion, dans l'esprit de la loi et avec des outils qui font que ce succès existe depuis 60 ans.

[Traduction]

M. Stursberg : M. Lafrance et moi croyons que l'on peut facilement dire que tous les radiodiffuseurs du monde aujourd'hui sont aux prises avec exactement le même problème. Nous avons tous entrepris le processus visant à passer d'entreprises télévisuelles à des entreprises de contenu. Cela signifie que nous devons veiller à ne plus considérer que nous offrons du contenu canadien grâce à une plate-forme seulement, mais plutôt grâce à toutes les plates-formes, de la façon dont les Canadiens croient que c'est le plus facile et le plus attirant afin de consommer le contenu que nous produisons. Peu importe si ce contenu constitue des nouvelles, des émissions pour enfants, des émissions sportives, des documentaires ou autres.

La SRC a formulé une proposition sérieuse au FCT sur la façon de traiter ces nouveaux droits. La difficulté, dans le cas de ces nouveaux droits, c'est que personne ne sait clairement ce que sont les modèles financiers qui nous permettraient de monétiser. Nous ne comprenons tout simplement pas, puisqu'il s'agit d'un nouveau territoire. Nous ne comprenons pas la portée ni la nature des coûts liés à la « monétisation ».

Toutefois, nous comprenons que dans le cas d'un grand nombre de ces nouvelles plates-formes, que ce soit par téléphone portable ou par Internet, la force principale continuera d'être la télévision. Par conséquent, nous avons indiqué aux producteurs indépendants que, puisque personne ne le sait vraiment à l'heure actuelle, nous pourrions peut-être nous aventurer ensemble. La SRC les distribuera dans toutes les plates-formes — les téléphones cellulaires, Internet et la télévision, dont on se servira pour promouvoir les autres plates-formes. Nous avons proposé une entente selon laquelle nous divisons simplement les recettes disponibles, peu importe ce qu'elles sont, équitablement entre nous, et nous absorbons les coûts. Selon nous, c'était une bonne chose, parce que cela permettrait aux gens d'apprendre ensemble brièvement et permettrait au Canada d'avancer rapidement dans ces environnements. Malheureusement, les producteurs télévisuels ont décliné l'offre et nous croyons que cela a empêché le Canada d'avancer aussi rapidement qu'il aurait pu le faire.

[Français]

M. Lafrance : Les joueurs doivent absolument s'entendre parce que c'est l'esprit même de la Loi de la radiodiffusion qui prévoit que le public côtoie le privé et que la production indépendante a une part importante. Il y a plusieurs joueurs qui doivent s'entendre, les distributeurs, les artistes et les producteurs. Ils doivent s'entendre parce que c'est l'esprit de la loi et d'autre part, parce qu'on est dans une industrie culturelle et c'est extrêmement fragile. On n'est pas dans une industrie qui, au Canada, pourrait survivre totalement sur la loi du marché. On est dans une industrie qui fatalement demandera qu'il y ait une certaine forme de réglementation. Sans cela, une menace énorme pèse sur l'industrie culturelle et, en bout de ligne, sur l'identité culturelle canadienne. On n'est pas sur une petite question, mais sur une question assez fondamentale d'identité culturelle, à mon avis.

La présidente : La Société Radio-Canada fait des efforts considérables pour demeurer à la fine pointe de la technologie et aussi pour offrir à sa clientèle plusieurs plates-formes pour avoir accès au contenu. Des ressources importantes sont consacrées au site Internet de la CBC/Radio Canada, et plusieurs émissions sont entièrement disponibles en ligne pour visionnement quand bon nous semble.

J'aimerais que vous nous présentiez la stratégie d'intégration des différentes plates-formes média à la SRC. Avez- vous l'intention de permettre le téléchargement payant d'émission de la SRC? Allez-vous permettre aussi à Vidéotron d'offrir à sa clientèle abonnée au service Illico des émissions de la SRC sur le plan de la vidéo sur demande? J'aimerais avoir un aperçu des efforts consacrés au passage à la technologie haute définition de Radio-Canada.

M. Lafrance : C'est une vaste question. La réponse est oui à presque tout. Oui, on a l'intention d'être présent sur plusieurs plates-formes. D'abord, en tant que du plus important producteur de contenus en langue française au Canada, il faut offrir ces contenus aujourd'hui de la façon dont les gens veulent les consommer et il y a là des différences en raison de l'âge, ainsi de suite.

La bonne nouvelle c'est que Radio-Canada a toujours réussi à s'adapter aux nouvelles technologies, que ce soit l'arrivée de la télévision couleur, des FM et des chaînes spécialisées. Radio-Canada a toujours été précurseur sur Internet, et ce, autant en anglais qu'en français. On a aujourd'hui des sites leader en matière d'information sur Internet.

La réponse à la question « est-ce qu'on veut l'offrir en vidéo sur demande ou sur d'autres trucs? » est oui, naturellement, sous réserve des questions de droit qui sont extrêmement complexes actuellement. En tant que diffuseur public, on ne peut pas jouer sur ces questions. On doit s'entendre avec les détenteurs de droits et c'est important pour nous. On doit participer à la création d'un modèle qui permettra cette distribution.

Ce que l'on fait, actuellement, par exemple en vidéo sur demande sur Internet, ce sont les émissions pour lesquelles nous possédons tous les droits, les émissions d'informations, notamment. Mais dans le cas d'autres émissions, c'est naturellement plus complexe, que ce soit le partage des droits avec les producteurs ou avec tous les ayants droit, musicaux, artistiques, et cetera. On a l'intention d'être présents sur toutes ces technologies. J'aime dire que ce n'est pas l'enjeu technologique qui m'empêche de dormir, mais plutôt l'enjeu culturel qu'il y a derrière. Parce que la technologie, on sait faire. Et à Radio-Canada, développer un modèle économique qui s'adaptera à cette technologie, on sait également faire depuis longtemps. Faire face, actuellement, à la multitude de médias, à la multitude de médias internationaux, à l'arrivée de toutes ces ondes, pose des questions de contenu qui sont fondamentales, et il y a beaucoup de réflexion à faire sur ce point. Mais oui, nous croyons que le diffuseur public au XXIe siècle doit offrir ses contenus sur toutes les plateformes qui permettent aux Canadiens de les consommer.

[Traduction]

M. Stursberg : On peut facilement dire que Radio-Canada et la CBC ont fait de l'excellent travail. À l'heure actuelle, le site web d'information et de nouvelles le plus consulté au Canada est CBC.ca; en français, c'est la même chose. Nous avons été les premiers à diffuser Newsworld sur les téléphones cellulaires. Pendant les Jeux Olympiques de Turin, nous avons été les premiers à prendre des dispositions afin que les gens puissent regarder les Jeux Olympiques non seulement à la télévision mais également sur des téléphones cellulaires. Il était possible d'obtenir des mises à jour toutes les heures et nous offrions également la vidéo sur demande grâce à Rogers. La SRC a consacré beaucoup de temps pour nous permettre de faire cette transition.

M. Lafrance présente la même chose que moi.

[Français]

À la fin de la journée, les questions technologiques ne sont pas les questions les plus importantes; les questions fondamentales sont plutôt les questions culturelles.

[Traduction]

Si nous voulons continuer à renforcer l'identité canadienne, alors c'est la question clé.

[Français]

La présidente : Le CRTC a mis sur pied un groupe de travail sur le Fonds canadien de télévision afin de faire des recommandations pour améliorer le fonctionnement du fonds. Est-ce que Radio-Canada participe à la première phase qui se déroule actuellement et qui a pour objectif de mener à bien les consultations avec les principaux acteurs de l'industrie de la télévision au pays? Avez-vous déjà en vue certaines options qui pourraient être mises de l'avant pour changer le mode de fonctionnement du fonds? Et comment croyez-vous que l'on devrait s'attaquer à certains problèmes soulevés par Shaw Communications et Quebecor, comme la composition du conseil d'administration?

M. Lafrance : Naturellement, on va participer au processus. On rencontre le CRTC très bientôt à ce sujet. Il y a des pistes que l'on regarde, actuellement, et on est d'accord qu'il pourrait y avoir des questions sur la gouvernance du fonds. Beaucoup de gens autour de la table, actuellement, sont très près des décisions. Cela provoque peut-être un certain problème et cela pourrait faire jouer une force de statu quo qui est dangereuse au moment où on doit s'adapter rapidement. On fera certaines propositions à ce sujet.

On pense également que le fonds devrait se consacrer à son rôle de financement. Le fonds est devenu presque un organisme de réglementation, un organisme d'arbitrage entre différents joueurs, et sur ce point, il a élargi beaucoup son mandat. On pense que s'il revenait à une logique de financement, il serait peut-être plus simple à gérer, d'une part, atteindrait mieux ses objectifs et augmenterait probablement sa capacité d'adaptation.

Actuellement, c'est devenu extrêmement complexe à gérer parce qu'on s'est mis à gérer beaucoup de dossiers périphériques aux questions de financement.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Pourriez-vous m'expliquer le code de couleurs? Si nous regardons les tableaux de la CBC, de CTV et de Global, quelle est la différence entre les cases rouges et les cases vertes? Les cases bleues indiquent le contenu non canadien.

M. Stursberg : Les cases bleues indiquent le contenu non canadien; les cases rouges et vertes indiquent les émissions canadiennes. Les cases vertes indiquent les émissions canadiennes appuyées par le Fonds canadien de télévision. Voilà comment déchiffrer ce tableau. Pour le reste des émissions sur CBC — par exemple Dragon's Den, Fifth Estate, Under Dogs, Hockey Night in Canada — le Fonds canadien de télévision ne verse pas d'argent.

Le sénateur Tkachuk : Téléfilm Canada verse-t-il de l'argent pour ces émissions?

M. Stursberg : Non.

Le sénateur Tkachuk : C'est l'argent de la SRC. Est-ce exact?

M. Stursberg : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Existe-t-il des émissions produites au Canada qui ne reçoivent aucune subvention du gouvernement?

M. Stursberg : Oui. Par exemple, Hockey Night in Canada.

Le sénateur Tkachuk : La SRC est toutefois financée par les contribuables.

M. Stursberg : Laissez-moi vous expliquer. Pour les services de télévision anglaise de la SRC, environ 55 p. 100 de l'argent total provient de sources privées. Il existe deux types de sources privées. La première source privée, par exemple, est destinée à Newsworld. Cette chaîne est financée comme n'importe quelle autre chaîne du câble. Elle est financée par les droits d'abonnement ainsi que la publicité.

Pour ce qui est de la chaîne principale de la CBC, environ 200 millions de dollars proviennent de la publicité. Dans le cas de certaines émissions comme Hockey Night in Canada, les coûts des droits, en plus des coûts de production, sont payés à plus de 100 p. 100 par les recettes de la publicité. Ces émissions génèrent une marge positive que nous utilisons pour financer certaines des émissions qui ne permettent pas de toucher autant d'argent ou qui ne permettent pas de toucher d'argent du tout, en fait — c'est-à-dire, les émissions qui sont difficiles à financer, comme les dramatiques canadiennes.

Le sénateur Tkachuk : Vous en avez nommé une. Y en a-t-il d'autres?

M. Stursberg : Les sports professionnels sont rentables et Hockey Night in Canada aussi. À l'heure actuelle, ce sont des émissions qui font de l'argent.

Le sénateur Tkachuk : En fait, une grande partie de la production au Canada est financée par les contribuables. Que l'on parle du Fonds canadien de télévision, de Téléfilm Canada ou de l'Office national du film, ce sont toutes des organisations gouvernementales.

Je parlerai maintenant de l'autre aspect, c'est-à-dire le câble. Combien d'argent la SRC reçoit-elle en droits d'abonnement pour ses émissions d'information?

M. Stursberg : À l'heure actuelle, Newsworld reçoit environ 65 millions de dollars en droits d'abonnement au câble.

Le sénateur Tkachuk : Lorsque je regarde la chaîne sur le câble, je constate qu'un grand nombre des émissions sont les mêmes que sur CBC. Autrement dit, vos nouvelles nationales sont simplement rediffusées. Vous rediffusez considérablement votre programmation. Quelle partie de ces 80 millions de dollars est consacrée à de nouvelles productions indépendantes? Quelles émissions sont produites grâce à ce montant?

M. Stursberg : Laissez-moi vous expliquer. Il est important de comprendre qu'aucune émission canadienne — c'est- à-dire aucune comédie, aucune dramatique, aucune émission pour enfants que je ne connaisse, aucun documentaire produit par des Canadiens n'est rentable. Ce n'est pas une situation nouvelle; c'est ainsi depuis les débuts de la télévision canadienne. En fait, l'économie de la programmation télévisuelle canadienne est plutôt intimidante. Ce n'est pas nouveau et ça ne touche pas seulement la SRC. C'est la même chose pour les émissions canadiennes de CTV, de Global ou de n'importe quelle autre chaîne.

Pour revenir à votre question au sujet de Newsworld, cette chaîne offre davantage d'émissions canadiennes originales que n'importe quel autre réseau d'information. La seule véritable rediffusion entre les deux chaînes a lieu parce que nous diffusons The National à 21 heures à Newsworld. Sinon, chaque soir à 22 heures, nous diffusions des documentaires indépendants. Pendant toute la journée, nous avons une émission d'actualité qui commence à 6 heures le matin et qui dure jusqu'à ce que nous diffusions les nouvelles de la BBC à 18 heures; ce sont des émissions qui diffusent les manchettes en continu. Il y a certains chevauchements.

Nous avons essayé de faire en sorte que la totalité des ressources disponibles pour le secteur de l'information, qui constitue la plus grande collection de bureaux internationaux offerte aux Canadiens, soient utilisées de la façon la plus efficace possible pour fournir des nouvelles tant à Newsworld qu'au réseau principal.

Le sénateur Tkachuk : Les 85 millions de dollars couvrent un segment de huit heures répété pendant toute la journée, c'est exact?

M. Stursberg : La première émission de nouvelles commence vers 6 heures du matin. Elle dure jusqu'à 9 ou 10 heures. Il y a par la suite une deuxième émission de nouvelles qui est diffusée. Ce sont toutes des émissions de nouvelles, ce qui fait que les animateurs changent parce qu'ils sont fatigués. Nous poursuivons ainsi pendant toute la journée, jusqu'en soirée.

Nous diffusions l'émission de politique à 17 heures; par la suite, à 18 heures, il y a habituellement l'émission de la BBC. Sur la chaîne principale à 18 heures, on diffuse les nouvelles locales, qui durent aussi une heure. Puis nous y revenons.

De 19 à 21 heures, nous diffusions habituellement d'autres nouvelles entre 19 et 20 heures, suivies de l'émission de George, puis nous avons Peter Mansbridge à 21 heures. À 22 heures, les documentaires commencent. Voilà, en gros, ce que fait Newsworld.

Le sénateur Tkachuk : La question concernant le Fonds canadien de télévision dont nous avons parlé ici, c'est que la plupart des émissions sont diffusées à CBC. Selon Shaw, s'ils versent l'argent, ils devraient le contrôler. À l'exception de cela, quelle partie de la programmation de la CBC provient du FCT?

M. Stursberg : Vous l'avez ici en vert.

Le sénateur Tkachuk : Quel pourcentage cela représente-t-il?

M. Stursberg : Au total, la SRC reçoit environ 96 millions de dollars du FCT, dont les deux tiers sont consacrés au réseau anglais et un tiers au réseau français. Nous prenons environ 60 millions de dollars et ils en prennent environ 30. Le budget total de CBC Newsworld et du réseau principal est d'environ 600 millions de dollars.

Permettez-moi de vous dire quelque chose au sujet de qui fournit cet argent. Je dois revenir un peu en arrière pour vous expliquer comment c'est arrivé. Je travaillais auparavant pour l'industrie de la télévision par câble. J'ai dirigé leur association pendant un certain nombre d'années. Voici ce qui se passait auparavant : en raison de la façon dont les entreprises de câblodistribution étaient régies, chaque fois qu'elles souhaitaient faire des dépenses d'équipement pour moderniser leur système, elles devaient se présenter devant le CRTC et lui faire part de leurs besoins. Le CRTC disait : « Très bien, nous vous permettrons d'augmenter vos tarifs de base ». Si notre entreprise avait besoin d'un dollar de plus pour ses investissements, le CRTC disait : « Vous pouvez avoir ce dollar de plus, mais lorsque vos investissements seront complètement remboursés dans cinq ans, le tarif devra revenir à ce qu'il était initialement censé être ».

Le tarif de base devait revenir à ce qu'il était il y a un certain nombre d'années — si je me souviens bien, c'était autour de 1995 ou 1996 — mais l'industrie de la télévision par câble a alors dit au CRTC : « Nous avons une idée. Au lieu de diminuer le tarif de base, laissez-nous le diviser en deux. Nous allons conserver 50 ¢ de chaque dollar et nous verserons les 50 ¢ restants au Fonds canadien de télévision ». Bien entendu, ça n'avait jamais été leur dollar. Ce dollar appartenait en réalité au consommateur.

Par conséquent, les entreprises de câblodistribution ont obtenu 50 ¢ qui ne leur revenaient pas, et les 50 ¢ restants ont été versés dans le fonds. Ironiquement, elles indiquent aujourd'hui que les 50 ¢ versés dans le fonds sont, d'une façon ou d'une autre, à elles. Ça n'avait jamais été leur argent. C'était entièrement l'argent des consommateurs. Elles ont obtenu la première tranche de 50 ¢, et maintenant elles disent que l'autre tranche de 50 ¢ leur appartient aussi. Il s'agit d'un argument extrêmement curieux.

Le problème, c'est qu'une grande partie de cette situation a été oubliée parce qu'elle est survenue il y a maintenant plus de 10 ans. Il faut avoir une bonne mémoire et bien se souvenir de ces événements pour comprendre que cet argent ne leur a jamais appartenu.

Le sénateur Tkachuk : Toutes ces entités ont été créées avec l'argent des contribuables, y compris votre société. Aurions-nous une bonne industrie de la télévision sans l'argent des contribuables? Pourrait-on produire des émissions si personne ne subventionnait quoi que ce soit?

M. Stursberg : Oui, je crois qu'il y aurait des émissions de nouvelles et des émissions sportives.

Le sénateur Tkachuk : Il n'y aurait pas de dramatiques?

M. Stursberg : Non.

Le sénateur Tkachuk : Rien du tout?

M. Stursberg : Il n'y aurait pas de dramatiques, pas de comédies, pas de documentaires, rien. Il n'y aurait pas non plus d'émissions d'actualité. Je vois que vous me souriez. Je sais que vous avez de la difficulté à le croire.

Le sénateur Tkachuk : Je ne le crois pas du tout.

M. Stursberg : Voici ce que je peux vous dire. C'est vrai au Canada, et ce, depuis les tout débuts de la radiodiffusion — pas seulement depuis les débuts de la télévision, mais depuis les débuts de la radiodiffusion. Sans financement public, il n'y aurait pas de dramatiques, pas de comédies, pas de documentaires, rien. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y aurait des émissions de nouvelles et des émissions sportives, mais ce serait tout.

Il y aurait aussi beaucoup d'émissions américaines; il y aurait encore plus d'émissions américaines, si on peut humainement se l'imaginer.

Le sénateur Munson : La SRC peut-elle survivre sans le Fonds canadien de télévision?

M. Stursberg : Vous pouvez le voir ici; retirez toutes les cases qui sont en vert. C'est, en gros, ce qui arriverait.

Le sénateur Munson : Certaines personnes soutiennent que vous avez le meilleur de trois mondes. Vous recevez l'argent des contribuables, vous recevez l'argent de la publicité et vous avez des producteurs indépendants qui fournissent des émissions à la SRC grâce à d'autres moyens financiers. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Lafrance : Nous ne sommes pas les seuls ayant quelques sources de revenus. Prenons Quebecor, par exemple. Elle reçoit de l'argent des abonnés du câble, des crédits d'impôt et de la publicité. La télévision représente toujours un peu un modèle économique. Elle a tous ces types de recettes différentes, ce qui fait que sa situation diffère.

Laissez-moi vous parler de la programmation en français. C'est vrai, nous recevons de l'argent du public; mais nous devons être présents partout au Canada. Nous devons produire plus d'information et nous le faisons. Nous avons lancé 14 nouvelles dramatiques canadiennes en français cette année. Nous avons des émissions au sujet de la science et de la religion. Nous sommes une division très différente et, ainsi, nous participons à l'enrichissement du système, ce qui est très important. C'est pourquoi nous avons cette différence grâce à l'argent des contribuables, et c'est pourquoi nous sommes différents.

Le sénateur Munson : Dites-moi comment fonctionnent ces crédits d'impôt dans le secteur privé.

M. Stursberg : L'argument formulé par M. Lafrance est fondamental. Je vais m'y arrêter quelques secondes, si vous me le permettez. Il y a de nombreux types de préférences du public au pays qui sont subventionnées aux fins de la radiodiffusion. Toute la radiodiffusion se fonde sur les préférences du public, peu importe si ces subventions sont des licences protégées par la réglementation sur la propriété étrangère ou des licences qui protègent les gens contre l'entrée d'autres concurrents; peu importe si ce sont les règles de substitution de signaux identiques en anglais qui, en fait, protègent leur marché de la publicité; peu importe si l'on parle d'accès aux crédits d'impôt — les crédits d'impôt financent simplement le volet main-d'œuvre des productions; peu importe si on parle de l'accès au Fonds canadien de télévision; peu importe si on parle de l'accès aux frais des abonnements au câble qui sont dictés par le CRTC; ce sont toutes des préférences du public.

Parmi ces préférences du public, certaines sont offertes aux secteurs privés et certaines sont offertes à la SRC. Bien entendu, rien ne nous est offert pour ce qui est de la substitution de signaux identiques parce que nous ne diffusons pas d'émissions américaines. Le secteur privé diffuse des émissions américaines et obtient cette préférence.

Nous avons accès aux droits d'abonnement au câble, aux crédits d'impôt et au FCT. Toutefois, l'idée selon laquelle il existe dans ce pays un secteur public et un secteur privé très distinct n'est en fait pas conforme à la façon dont le système de radiodiffusion fonctionne.

Pour ce qui est de savoir si nous devrions obtenir 37 p. 100 des fonds, il est intéressant de noter que le fonds existe depuis longtemps; Francis Fox a inventé le fonds lorsqu'il était là. Il a inventé de nombreuses bonnes choses lorsqu'il était ministre des Communications.

J'ai eu la chance de travailler avec lui à ce moment-là — mais je n'étais toutefois pas dans son cabinet politique. J'étais fonctionnaire au ministère lorsqu'il était ministre; quand le fonds a été créé en 1983, il était structuré de façon à ce que 50 p. 100 des fonds soient affectés à la SRC. Par la suite, lorsque l'industrie de la câblodistribution a entamé sa première ronde de contributions à ce qui était alors appelé le Programme de droits de diffusion, jusqu'à 50 p. 100 de cet argent était également affecté à la SRC. On a agi ainsi du fait que la SRC avait une chance unique de pouvoir diffuser sa programmation aux heures de grande écoute, au moment où les Canadiens regardaient la télévision.

Si on souhaite dépenser l'argent du FCT de façon efficace, 50 p. 100 de l'argent affecté aux dramatiques doit nous être remis. La SRC diffuse deux tiers des dramatiques canadiennes regardées. La raison est simple : les heures de grande écoute en télévision canadienne anglaise ne comportent que des émissions canadiennes à la SRC. Tous les autres réseaux diffusent des émissions américaines pendant les heures où les Canadiens regardent la télévision.

Le sénateur Munson : Vidéotron a fait savoir à Quebecor qu'elle souhaitait suivre son chemin, avoir ses propres maisons de production, embaucher ses propres producteurs et faire tout cela à sa façon. Tout cela serait nouveau pour elle, comparativement à ce qui a été décrit comme étant une voie partagée sur l'autoroute de la télévision. Il existe un groupe de travail et tous tentent de travailler ensemble encore une fois, mais Vidéotron pourrait agir seule. Les producteurs indépendants sont-ils en mesure d'amasser leurs propres fonds pour pouvoir travailler en respectant les limites de la SRC tout en permettant au secteur privé d'agir comme il l'entend?

M. Lafrance : Tout d'abord, selon Quebecor, l'argent provient, comme M. Stursberg l'a expliqué, des abonnés, qui ont payé pour le service de télévision qu'ils reçoivent. Ils reçoivent des services de télévision de Radio-Canada, de la CBC et de nombreux autres. Les abonnés déboursent cet argent pour enrichir leur propre système. Tout d'abord, l'argent n'appartient ni à Vidéotron ni à Quebecor, mais plutôt aux abonnés. Il faut s'en souvenir.

Deuxièmement, la proposition concernant Quebecor a soulevé la question de la concentration, en particulier sur le marché québécois. Nous n'avons jamais vu une telle concentration horizontale et verticale des médias et de la culture, où que ce soit au Canada. Il s'agira d'un énorme problème. Si nous voulons respecter l'esprit de la Loi canadienne sur la radiodiffusion, il devrait y avoir des producteurs indépendants ainsi qu'une garantie selon laquelle tous peuvent participer à la création d'émissions de télévision. Nous devons donc être prudents à cet égard.

Il y a une grande portée intellectuelle et l'esprit de la loi est tel que tous les joueurs devraient travailler ensemble pour enrichir le système canadien, au lieu d'agir isolément. Il est important de s'en souvenir.

Il semble y avoir un équilibre entre l'argent que versent les indépendants et ce qu'ils retirent. Toutefois, un précédent serait créé si chaque joueur agissait seul. Cela poserait des risques importants pour la santé de notre système actuel. Nous sommes au sein d'une industrie culturelle, ce qui constitue un marché inhabituel.

Le sénateur Munson : Ma question s'adresse à M. Stursberg. Que reçoit la SRC en fait d'argent des contribuables? Est-ce suffisant?

M. Stursberg : Est-ce suffisant? Je ne le dirais pas comme ça; je le dirais de façon un peu différente. Je dirais que cela dépend de ce qu'on veut que la SRC fasse. Il est impossible de répondre à la question de savoir ce qui est le niveau adéquat de financement sans se poser la question suivante : « Que voulez-vous que nous fassions? ». Depuis quelque temps, nous considérons que la bonne façon d'aborder cette question n'est pas abstraite; il faut examiner la façon dont le gouvernement britannique aborde la question de la BBC. Le gouvernement britannique et la BBC concluent ce qui est, en fait, un contrat. Le gouvernement dit à la BBC quelles émissions il souhaite voir à la BBC dans les différentes catégories, y compris les dramatiques, les comédies, les émissions de nouvelles, les émissions pour enfants ainsi que le nombre de chaînes, et cetera. Par la suite, le gouvernement et la BBC discutent, négocient et tirent des conclusions quant aux coûts, et signent une entente de 10 ans. Après sept ans, les discussions reprennent en vue du prochain contrat.

La meilleure façon d'aborder la question du bon niveau de financement pour la SRC serait d'avoir exactement la même approche entre le gouvernement et la SRC. Si les gens croient fermement que les Canadiens devraient pouvoir regarder et écouter d'excellentes dramatiques et comédies canadiennes, alors nous serons heureux de dire au gouvernement ce qu'il en coûtera. Tout ce processus ne comporte aucun secret, parce que c'est complètement transparent.

Le sénateur Tkachuk : Les gens ne devraient-ils pas prendre cette décision?

M. Stursberg : Absolument. Je suis d'accord avec vous; ils devraient pouvoir décider.

Le sénateur Tkachuk : Pourquoi ne devraient-ils pas prendre cette décision par le biais de l'industrie de la câblodistribution? Autrement dit, si les gens souhaitent se procurer ces dramatiques canadiennes, par exemple, alors ils pourraient les payer directement de chez eux.

M. Stursberg : Je ne vois pas trop comment ce modèle fonctionnerait.

Le sénateur Tkachuk : Ce modèle fonctionnerait sans le gouvernement, c'est-à-dire que les Canadiens décideraient ce qu'ils veulent et paieraient la SRC directement pour l'obtenir. Ils ne paieraient pas pour les émissions qu'ils ne veulent pas voir.

M. Stursberg : Je vois. En fait, je suis d'accord avec vous, mais je ne crois pas que le mécanisme que vous proposez aurait ce résultat. Quand nous finançons les canaux câblés, les gens s'adressent au CRTC, présentent une demande pour un canal et disent au CRTC combien d'argent ils veulent. Le CRTC donne son accord quant au montant demandé et décide comment le canal sera distribué par la compagnie de câblodistribution; ce n'est pas la population qui décide de la diffusion des canaux câblés. Cependant, je comprends votre argument quand vous dites que nous avons vraiment besoin d'une conversation entre le Parlement et la SRC, le Parlement se faisant le porte-parole des Canadiens quant à la manière dont ce contrat devrait être structuré et financé. En somme, sénateurs, vous nous dites que le contrat devrait être conclu entre les Canadiens et la SRC, et l'on peut supposer que le Parlement devrait être l'intermédiaire.

Le sénateur Munson : Brièvement, dans un monde idéal, la SRC devrait se retirer de la publicité, prendre un peu plus de nos impôts ou avoir un contrat comme celui de la BBC, dans lequel il est stipulé par écrit que l'on paie pour les émissions que l'on regarde.

M. Stursberg : Je pense que cela pourrait fonctionner quelque peu différemment. La BBC est l'un des rares radiodiffuseurs au monde qui ne fait aucune publicité. Il faudrait décider de la structure de financement que nous voulons pour la SRC, à savoir s'il y aurait une base de financement par la publicité ou par des subventions publiques ou les deux et pour quelles émissions, par exemple, la diffusion de sports professionnels, à supposer que l'on décide de poursuivre dans ce créneau. Il y aurait bien des manières de s'y prendre, mais c'est justement cette conversation qu'il serait utile d'avoir pour établir l'avenir de la société.

Le sénateur Munson : En fait d'emplois, combien le FCT en crée-t-il? Qu'arriverait-il si les partenaires privés faisaient bande à part? Y aurait-il des pertes d'emplois?

M. Stursberg : À l'heure actuelle, le FCT crée environ 20 000 emplois au Canada. Si les compagnies de câblodistribution retiraient leur argent, les producteurs indépendants ne seraient certainement pas en mesure de remplacer cet argent.

[Français]

Le sénateur Dawson : Monsieur Stursberg, lorsque vous étiez le « flunkey » du ministre, j'étais dans l'autre Chambre quand vous veniez dans le comité, si j'avais su que vous étiez son « flunkey », j'aurais posé mes questions différemment. Mais 25 ans plus tard, c'est trop tard!

Mais il y a 25 ans, effectivement, lorsqu'on posait la question concernant les productions, on regardait les tableaux et on disait que les Québécois produisent et consomment 80 p. 100 de ce qu'ils ont comme produit télévisuel, et dans le Canada anglais, c'était à peu près l'équivalent renversé. Est-ce que c'est toujours le cas?

M. Lafrance : Oui, c'est vrai que les Québécois sont très attachés à leur télévision. Dimanche soir, probablement que 75 ou 80 p. 100 des Québécois étaient à l'écoute d'une des trois chaînes généralistes. Ils sont très attachés à leur télévision, ce n'est pas juste une industrie à succès.

Cela dit, on voit aujourd'hui l'impact de la fragmentation des auditoires, ce dont parlait la présidente tantôt. Il y a fragmentation des auditoires suite à l'impact des nouvelles technologiques. Je vais vous donner un exemple qui va vous faire sourire. Savez-vous combien de gens écoutaient l'émission L'heure des quilles en 1964 à Radio-Canada? Quand l'émission L'heure des quilles était en ondes, le samedi après-midi, il y avait 2 600 000 personnes qui l'écoutaient. Vous pouvez imaginer le coût de production de cette émission! Aujourd'hui quand une émission faite plus d'un million, c'est un phénomène télévisuel. L'industrie de la télévision a énormément changé. Il reste que les Québécois sont restés extrêmement attachés à leur télé. À l'époque, ils avaient deux chaînes, aujourd'hui, ils en ont une multitude. C'est vrai qu'ils sont restés extrêmement attachés à leur télé — c'est moins vrai au Canada anglais —, mais c'est également vrai dans le domaine de la musique et du cinéma, pas seulement pour la télévision.

Le sénateur Dawson : Je veux revenir à la notion des vases communicants. On se fie à votre parole quant à la distribution à parts égales du fonds versus l'argent que vous recevez du câble, du public ou de la publicité. Disons qu'hier, vous avez négocié avec Hockey Night in Canada et la Soirée du hockey contre des compagnies privées et que vous avez gagné. Vous faites des profits avec le hockey, mais vous êtes déjà subventionné. Quel que soit le 20 cents qui vient de la publicité ou du câble, comment ne pouvons-nous pas penser que vous n'utilisez pas de l'argent des fonds publics pour faire compétition aux réseaux privés?

M. Stursberg : En ce qui concerne le hockey, c'est clair. Pour nous, le test primordial c'est que le hockey sera rentable pour CBC. Quand nous avons négocié l'entente annoncée hier, nous avons dit clairement que le hockey serait financé uniquement par la publicité. Dans ce sens là, aucun argent public ne finance le hockey maintenant. C'est pour moi absolument central. On se trouve dans une situation assez bizarre. On part toujours du fait que nous sommes un diffuseur public.

Effectivement, nous sommes à ce moment-ci davantage un diffuseur privé dans le sens où 55 p. 100 de nos revenus provient du secteur privé. Nous essayons toujours d'insister sur le fait que certaines de nos émissions ne sont pas financées par l'argent public et que d'autres comme les documentaires, les dramatiques, les émissions pour enfants sont financées par les fonds publics reçus du gouvernement fédéral. C'est compliqué, mais il faut insister.

M. Lafrance : Du côté du service français, notre grille est extrêmement différente de celles de TVA et de TQS. On ne mise pas sur les mêmes choses. Nous avons lancé cette année 14 nouvelles dramatiques comme Sophie Paquin et La Galère qui sont des dramatiques très souvent produites par de jeunes auteurs et souvent à risque. On a beaucoup d'heures d'informations et d'affaires publiques par semaine, des émissions scientifiques pour lesquelles on n'est pas du tout sur le même terrain que TVA. On ne mise pas ni pour Loft Story ni pour Occupation double ni pour la traduction Du talent à revendre. On n'est pas dans le même marché et notre télévision est extrêmement différente. Pour 90 p. 100 de sa grille, on n'est pas sur le même marché.

Le sénateur Dawson : Y a-t-il des producteurs privés qui ne vivent que de Radio Canada? Dans l'entente avec Hockey Night In Canada d'hier, vous avez expliquer que, pour la première fois, vous aviez prévu ce qui allait arriver avec les émissions sur Internet, les revenus et la distribution sur Internet. C'est une première. Pouvez-vous nous expliquer, sur le plan des revenus et dépenses, le fait que ce soit, comme vous nous l'avez dit, une émission qui vit d'elle- même par des revenus indépendants?

M. Lafrance : Il existe de petites maisons de productions qui ne produisent qu'une ou deux émissions. Il est possible que certaines d'entre elles ne vivent que de Radio-Canada. Alors que de grandes maisons de production comme Zone 3 et Sphère Média, produisent plusieurs émissions pour plusieurs diffuseurs.

M. Stursberg : Il est difficile de prédire les revenus des autres plates-formes. Pour le contrat, nous avons examiné les revenus reçus dans le contexte des Jeux olympiques de Turin. Nous avons offert les Jeux sur Internet et également sur les services mobiles. Pour Turin, les revenus des nouvelles plates-formes ont une valeur de presque 5 p. 100 de nos revenus bruts. Pour le contrat nous avons estimé possiblement 5 p. 100 pour commencer, mais on sait très bien que la valeur de ces droits va augmenter. Quelques consultants ont indiqué que pour les émissions sportives, la valeur de ces droits allait augmenter probablement de 20 et 30 p. 100 par année. Dans ce sens là, nous avons bâti un modèle qui indique que nous anticipons, d'ici sept ou huit ans, que la valeur de ces droits constituera un plus grand pourcentage des revenus totaux. C'est difficile à dire maintenant, mais ce serait probablement autour de 15 p. 100.

[Traduction]

Le sénateur Fox : Je suis content que M. Lafrance et M. Stursberg soient tous les deux avec nous ce matin. Je suis entré dans la salle juste au moment où l'on me lançait ces félicitations et je voudrais dire que cela reflétait la qualité des conseils que vous receviez à cette époque.

Cela m'a peut-être échappé, monsieur Stursberg; si c'est le cas, je vous demanderais de résumer rapidement. Je veux revenir au Fonds canadien de télévision. Environ 37 p. 100 de l'argent du fonds est accordé, et je cite votre mémoire, « aux producteurs indépendants dont les émissions de télévision sont diffusées à CBC et à Radio-Canada ». Cette proportion de 37 p.100 est-elle établie dans le fonds ou bien ce chiffre varie-t-il d'une année à l'autre?

M. Stursberg : Comme je l'ai dit tout à l'heure, à l'origine, le chiffre était de 50 p. 100 et jusqu'à 50 p. 100 du fonds. Pour calculer ce 37 p. 100, on a examiné la proportion de l'argent accordé à CBC et à la SRC au cours des quatre ou cinq années précédentes, si ma mémoire est bonne. C'est ainsi qu'on en est arrivé à ce chiffre. Ce n'était pas arbitraire; on est allé voir combien d'argent chaque partenaire a reçu au cours des cinq années précédentes.

Le sénateur Fox : Ce pourcentage peut donc changer.

M. Stursberg : La proportion de 37 p. 100 est fixée par le gouvernement et imposée au fonds. Les autres bénéficiaires du fonds ont chacun leur propre enveloppe d'argent dont l'ampleur est déterminée en partie par l'historique du partage et en partie par le taux de succès de chacun en termes d'auditoire pour leurs émissions.

Le montant qui leur est accordé peut augmenter ou diminuer, selon le succès qu'ils obtiennent, mais le nôtre est fixe, à moins que le gouvernement ne décide de l'augmenter ou de le réduire.

[Français]

C'est fondé sur les résultats d'écoute. L'une des raisons expliquant le 37 p. 100 c'est qu'on ne peut pas demander à Radio-Canada de faire du distinctif et de lier son financement à ses résultats d'écoute. On serait alors dans une logique un peu différente. Nous sommes un des rares à produire de la jeunesse, du documentaire, des genres d'émissions dont les fonctions d'écoute nous nuiraient considérablement. Le 37 p. 100 reconnaît le caractère distinctif de la télévision publique.

Le sénateur Fox : Étant donné que c'est stable, c'est une source sur laquelle vous comptez année après année, c'est un peu drôle de dire...

[Traduction]

... que la SRC ne reçoit pas d'argent du FCT. Les producteurs indépendants bénéficient de ce financement. Cependant, ce sont tous des producteurs indépendants qui ont des licences de la SRC. C'est un peu jouer sur les mots. Je sais que vous ne touchez pas cet argent et que vous ne pouvez donc pas le dépenser comme vous l'entendez pour les productions maison, mais c'est tout de même de l'argent qui sert à financer la SRC.

M. Stursberg : Je comprends la distinction, mais la seule raison pour laquelle nous voulions insister sur ce point, c'est que Shaw et Quebecor avaient présenté la situation en disant que l'argent, d'une manière ou d'une autre, avait été versé à la SRC et que nous allions nous en servir pour financer les productions maison, ce qui n'est pas vrai. En réalité, l'argent est utilisé par la SRC exactement comme vous le dites, c'est-à-dire pour commander des émissions à des producteurs indépendants.

J'ose dire que cela fait partie de la politique établie. Le gouvernement souhaitait, et cela remonte maintenant à bien plus de 20 ans, bâtir une communauté de producteurs indépendants dans notre pays, considérant que c'était là un élément fondamental de l'architecture culturelle globale de notre pays.

Quand nous disons que l'argent est versé aux producteurs indépendants, il nous semble important que les gens comprennent bien que l'argent passe par nous, mais qu'il est versé aux producteurs indépendants sous forme de droits de licence. Il est également important de souligner que les producteurs indépendants se retrouvent propriétaires des programmes. S'ils veulent les exploiter d'autres manières, par exemple en les vendant à l'étranger, ils ont toute liberté de le faire.

Le sénateur Fox : Je vais revenir à la question des producteurs indépendants, mais je veux d'abord ajouter une précision à ce que vous venez de dire. Cette politique a également permis à notre pays d'acquérir énormément de compétences sur le plan technique. Si des films sont tournés au Canada aujourd'hui, c'est parce qu'au fil des années, grâce au secteur de la production indépendante, nous avons également établi des équipes techniques très compétentes d'un océan à l'autre.

J'écoutais M. Lampron la semaine dernière, et je vais poser cette question à la fois à M. Lafrance et à M. Stursberg...

[Français]

M. Lampron semblait remettre en cause toute l'idée de la production indépendante disant que la situation avait effectivement beaucoup changée, que c'était des choses qu'on avait voulu faire dans notre jeunesse, et cetera, mais qu'aujourd'hui, ce secteur de la production privée n'existe pas de façon à pouvoir être efficace. Il plaidait donc pour un retour de ces fonds vers la production interne. Quelle est votre position à ce sujet?

M. Lafrance : La position de Quebecor est liée à la situation du très grand niveau de concentration qu'ils ont dans le domaine de la télévision. S'ils reprennent tous les droits que les producteurs indépendants n'ont pas, ils pourront exploiter sur toutes les plates-formes. C'est un argument un peu égocentrique dans ce sens. Il existe quand même une industrie de la production indépendante extrêmement dynamique et les grandes dramatiques que l'on voit à notre télévision sont souvent produites par des producteurs indépendants qui ont développé une expertise unique. Pourquoi les Québécois sont si attachés à leur télévision, c'est probablement parce qu'il y a beaucoup de créateurs qui viennent parfois des producteurs indépendants, parfois de l'interne, comme l'émission L'auberge du chien noir qui est produite à l'interne à Radio-Canada. Je m'inscrits en faux contre cela, il existe une industrie de la production indépendante extrêmement dynamique. Il y a des producteurs indépendants qui font des émissions de très grande qualité qui sont vendues dans plusieurs pays du monde. Il y a quand même quelque chose d'important.

Sur ce point, malgré les reproches qu'on peut parfois lui faire, le Fonds canadien de télévision, au niveau des résultats, a livré ce qu'il devait livrer.

[Traduction]

Le sénateur Fox : Êtes-vous d'accord, monsieur Stursberg?

M. Stursberg : Je le suis. La communauté des producteurs indépendants est non seulement importante en elle-même, mais elle est aussi importante pour les raisons que vous avez données. Parce que nous avons dans notre pays une infrastructure indépendante, nous pouvons attirer des productions indépendantes qui viennent travailler chez nous. Beaucoup de producteurs indépendants font de l'argent en faisant des émissions canadiennes aussi bien qu'étrangères. S'ils ne pouvaient pas réaliser des émissions canadiennes, cette infrastructure s'effriterait et ils auraient beaucoup plus de difficulté à attirer des émissions étrangères.

J'ajoute que je ne veux pas que nous fassions la totalité de nos émissions à l'interne. Je pense que c'est une recette qui conduit tout droit à la stérilité. Ce que nous voulons, c'est de pouvoir choisir parmi le grand nombre d'idées intéressantes et amusantes qui circulent dans ce milieu. Je ne pense pas qu'on obtienne ce résultat en exerçant un contrôle monolithique sur les productions qui sont réalisées. Je pense qu'on l'obtient en ayant un vaste éventail d'idées et de producteurs avec lesquels on peut travailler.

Je serais contre la notion que la SRC retourne en arrière, aux années 1970 et dise : « Nous allons faire toutes les productions à l'interne ». Je pense que ce serait la recette de l'affaiblissement et de l'échec culturel.

[Français]

M. Lafrance : Une autre chose importante est que le fonds permet de s'assurer que l'on reste présent dans l'ensemble des genres que doit offrir une télévision dans le système canadien, par exemple, des émissions jeunesse, des documentaires. Et le Fonds Quebecor n'y serait pas soumis. Il serait plus facile d'appliquer une logique de politique publique à une industrie culturelle comme celle-là si chaque joueur indépendant avait son propre fonds qu'il gérait comme il le veut. On risquerait de sortir des genres qu'on trouve généralement très importants dans notre télévision et dans la télévision canadienne. Donc sur ce point, le Fonds agit quand même un peu comme un régulateur qui permet d'être présent dans plusieurs genres et ces enveloppes sont distribuées de cette façon.

Le sénateur Fox : Que pensez-vous de la solution Quebecor qui nous a été présentée la semaine dernière où Quebecor demandait le droit de se désengager du fonds, malgré le fait qu'il reçoit aujourd'hui plus du fonds que ce qu'il y met? Donc, d'une certaine façon, c'est un désengagement sans compensation, tout en étant d'accord à rencontrer les objectifs nationaux. Il s'engagerait à mettre plus d'argent en production canadienne, en autant qu'il puisse faire une intégration verticale de leurs productions. Deuxièmement, quel serait l'effet au Canada si tout le monde pensait ainsi?

M. Lafrance : C'est une grosse partie de la réponse. J'ai d'abord un problème de logique avec le Fonds Quebecor. Ce n'est pas l'argent de Quebecor, c'est l'argent des abonnés du câble qui reçoivent une série de chaînes remplissant une série de fonctions. Est-ce que les abonnés des chaînes devraient dire : moi, je vais donner à Canal Z? Notre système ne fonctionne pas ainsi. On veut élargir l'offre, c'est l'esprit de la loi.

Sur ce plan, je prétends que la proposition de Quebecor est un peu contraire à l'esprit de la loi qui dit qu'il y a plusieurs joueurs dans cette industrie. Le privé côtoie le public; il y a des producteurs indépendants qui doivent avoir un rôle important dans la production et la création de notre télévision. Le fonds est fait comme ça.

Il y a dix ans, les câblodistributeurs ont trouvé la bonne idée de réglementer cela et de créer un fonds. Ils disent aujourd'hui : nous avons une bonne idée, nous allons sortir du fonds, garder l'argent et produire nous-mêmes. Comment va-t-on réglementer cela à long terme? Je ne le sais pas. Si chaque joueur décidait de sortir et si cela se produisait en télévision, cela se produirait peut-être en radio avec la musique, c'est-à-dire que les radiodiffuseurs privés pourraient dire qu'au lieu de donner à l'industrie de la musique canadienne, comme le CRTC le demande, ils vont garder l'argent et faire tourner leurs chansons, cela va être meilleur. Je ne sais pas comment on va gérer une politique publique comme celle-là. Gérer une politique publique veut dire appliquer une politique que l'ensemble des joueurs doit respecter et cela veut dire se donner les outils pour qu'à long terme, elle demeure une politique publique.

Pour répondre à votre dernière question, à savoir quel impact cela aurait, à mon avis, c'est une menace à l'identité culturelle à long terme parce que chaque joueur jouerait sa propre joute sans que l'on soit capable de gérer une politique publique. Or, au XXIe siècle, si dans un pays comme le Canada, on ne gère pas une politique publique forte en matière d'identité culturelle, on va avoir un gros problème. À mon avis, on est, encore ici, pas sur une question technologique ou sur une question d'économie, mais plutôt sur une question importante d'identité et de diversité culturelles.

[Traduction]

M. Stursberg : Si je comprends bien la position de Quebecor, elle se trouve à dire : « Retirons notre argent du fonds et nous allons doubler le montant que nous dépensons ». Comme M. Lafrance l'a signalé, ce n'est pas leur argent. L'argument est fondé sur une prémisse bizarre.

Cela dit, s'ils veulent augmenter les dépenses qu'ils consacrent au contenu canadien, rien ne les empêche de le faire. Ils ont toute liberté de le faire. Je suis un peu perplexe quant à la nature de leur problème. Veulent-ils dépenser davantage pour le contenu canadien? Que Dieu les bénisse! J'aimerais bien qu'ils le fassent.

Le sénateur Fox : J'ai lu l'allocution de M. Rabinovich devant le comité de la Chambre des communes au sujet de la SRC à propos des règles de contribution au FCT, il a dit que ce sont des règles « qui avaient reçu l'assentiment de l'ensemble de l'industrie qui, en contrepartie d'une augmentation des tarifs du câble, avait accepté de doubler ses cotisations au FCT. »

C'est l'argument que vous avez invoqué. Je répète que l'industrie, en contrepartie d'une augmentation des tarifs du câble, avait accepté de doubler ses cotisations au FCT. Il est difficile de comprendre pourquoi ils pouvaient être en désaccord avec cela.

M. Stursberg : J'ignore si vous étiez présent à ce moment-là, mais nous en avons déjà parlé. J'ai expliqué que les dépenses en capital...

Le sénateur Fox : Il semble bien que la proposition en était une à moitié-moitié.

M. Stursberg : C'était le double en ce sens qu'ils ont eu la première tranche de 50 ¢, qu'ils ont mise dans leurs poches, après quoi ils disent : « Donnez-nous l'autre tranche de 50 ¢ et nous allons la mettre également dans nos poches ». En ce sens, ce serait le double. Ni les premiers 50 ¢ ni les 50 ¢ suivants n'appartenaient aux compagnies de câble à un moment quelconque. C'est pourquoi c'est un peu présomptueux de leur part de prétendre qu'une partie quelconque de cet argent leur appartient.

Le sénateur Fox : En bout de ligne, ne sommes-nous pas en présence de deux conceptions différentes de ce que devrait faire le réseau public de radiodiffusion dans notre pays et de ce que devraient faire les diffuseurs privés?

Je vais reformuler ma question. Essentiellement, en dépit des belles paroles que M. Lafrance a employées quand il a dit que vous ne leur faites pas concurrence, eux estiment que vous leur faites concurrence et que l'argent des contribuables est utilisé pour vous permettre de vous emparer d'une part de marché ou des revenus publicitaires. Il semble y avoir une très nette contradiction entre ce que vous pensez et ce qu'ils pensent, et ce que les Canadiens en pensent, à mon avis.

Dans mon esprit, ce ne sont pas des changements dans la gouvernance du fonds qui vont aller au cœur du problème.

Il faut que les décideurs politiques décident qu'une partie de cet argent sera versée à la SRC et que les compagnies de câblodistribution et d'autres, en retour des extraordinaires privilèges qui leur ont été accordés par les autorités réglementaires et les décideurs politiques canadiens au fil des années, doivent apporter une contribution à la radiodiffusion publique au Canada. Êtes-vous d'accord avec cela?

[Français]

M. Lafrance : Je conviens qu'il y a deux visions très claires qui s'opposent : Est-ce que la culture peut être laissée aux lois du marché ou est-ce que la culture doit être réglementée? À ce sujet, je dis souvent que les gestionnaires du système canadien de radiodiffusion ont fait preuve de beaucoup de sagesse depuis le début du XXe Siècle, en particulier en offrant aux Canadiens une diversité, des choix, en s'assurant d'être présents dans l'ensemble des genres de production et en côtoyant le public et le privé pour assurer la diversité de l'offre. Les ondes sont de propriété publique et posséder des ondes apporte la responsabilité d'investir dans le système pour l'enrichir. À ce sujet, les fondements de notre loi sont assez clairs et nous devrions nous assurer de respecter les fondements de notre loi.

Oui, deux visions du monde s'opposent. Il y a celle qui dit que nous pourrions complètement laisser cela aux lois du marché et l'autre où l'industrie de la télé aura toujours besoin d'une certaine réglementation parce que, dans un pays où on n'est pas très nombreux si on se compare à notre voisin, si nous voulons être présents et culturellement forts, nous devons investir dans notre culture, cela ne peut pas subir les lois du marché. Et il y a plein d'exemples qui le prouvent.

Je fais souvent un parallèle avec le monde de la musique et de la radio : Quand le CRTC a adopté des quotas francophones au début, l'ensemble des pays du monde doutait fortement de cette réglementation. Sauf que, 20 ans plus tard, un truc qui n'avait pas de bons sens a été appliqué en France parce qu'ils se sont aperçus que ladite réglementation avait permis le développement d'une industrie de la musique extrêmement forte. Si on veut développer une culture dans un pays comme le nôtre, il faut faire de même.

Donc, au risque de me répéter, oui, il y a deux visions du monde qui s'opposent, mais je crois que nous devons revenir au fondement même de la loi et au fondement même de l'historique de ce fonds : Ce n'est pas de l'argent privé, c'est l'argent des abonnés.

[Traduction]

M. Stursberg : Il n'y a pas de solution heureuse à ce problème. Disons, par exemple, que l'ACR dit : « Vous nous faites concurrence pour l'obtention des revenus publicitaires ». Disons que la SRC se retirait du domaine de la publicité et que tout était financé par les deniers publics; dans ce cas, l'ACR dirait : « Vous nous faites concurrence pour l'obtention des auditoires. Si vous nous enlevez des téléspectateurs, inévitablement, cela fera baisser nos revenus publicitaires même si vous ne rivalisez pas avec nous pour l'obtention des revenus publicitaires. »

La seule solution, dans ces circonstances, qui pourrait contenter les radiodiffuseurs privés, serait que nous n'ayons absolument aucun auditoire. Il ne semble pas que ce serait un résultat heureux pour quiconque.

[Français]

M. Lafrance : Quand la radio de Radio-Canada a connu beaucoup de succès dans les années 1990, le secteur privé nous accusait de leur faire une concurrence déloyale. Pourtant, nous ne sommes pas présents sur le marché commercial, on ne soumissionne sur aucune émission américaine, on ne fait rien de cela dans le monde de la radio. Nous sommes une radio publique à 100 p. 100. Ils nous reprochaient de faire de la publicité pour annoncer notre radio et ils nous accusaient de concurrence déloyale. Je crois qu'on ne peut pas gérer des services publics et faire semblant qu'on n'existe pas. Il y a une forme de concurrence qui est là, mais encore une fois, c'est voulu par l'esprit du système qu'il y ait une concurrence entre le public et le privé. C'est l'esprit même de la Loi de la radiodiffusion.

[Traduction]

Le sénateur Eyton : Merci d'être venus ce matin. J'ai une question qui n'est peut-être pas directement à propos. J'ai un peu de mal à accepter votre argument selon lequel ce n'est pas au départ l'argent des compagnies de câble et de satellite. Nous devrons peut-être convenir d'être en désaccord.

Aux termes des règles édictées par le CRTC, chacun d'eux est tenu de verser 5 p. 100 de ses revenus bruts dans un fonds. Les paiements mensuels obligatoires en représentent une partie importante. Une bonne part de cet argent est versée au fonds de télévision dont il est question.

Récemment, le président du CRTC a dit que les paiements mensuels sont coutumiers ou traditionnels mais pas obligatoires selon la loi, ce qui donne à penser, encore une fois, que c'est leur argent à eux et à personne d'autre. Ce commentaire du président vous inquiète-t-il le moindrement? Je reconnais que vous êtes en quelque sorte intéressé à titre de bénéficiaire.

M. Stursberg : L'observation faite par le président du CRTC était exacte. Le Règlement stipule que les compagnes de câble et de satellite sont obligées de payer une fois par année. J'ai passé beaucoup de temps dans le secteur du câble et du satellite. Je dirigeais Starchoice, qui est une compagnie satellitaire. Nous avions coutume de payer mensuellement, parce que cela permettait au fonds de gérer son argent plus facilement; les liquidités étaient plus faciles à administrer.

Ce que dit le président du CRTC est absolument vrai. Nous n'étions pas obligés à cette époque de payer mensuellement, et nous ne le sommes d'ailleurs pas plus aujourd'hui. Nous pouvions payer la totalité d'un seul coup si nous voulions le faire, mais nous payions mensuellement pour faciliter le processus.

Le sénateur Eyton : Je trouve cette réponse utile. Je veux revenir aux questions que posait le sénateur Fox au sujet du processus. D'une part, nous avons le fonds qui a beaucoup d'argent; d'autre part, nous avons les producteurs indépendants et la SRC. Ils trouvent des idées d'émissions et les réalisent. Je veux superposer à cela les directives qui sont données au fonds dans le cadre de l'entente de contribution, qui sont très complexes.

Dans l'entente, il est question de la création d'émissions de télévision distinctement canadiennes et de grande qualité; d'accorder le tiers des ressources aux émissions en langue française et les deux tiers aux émissions en langue anglaise; d'appuyer la production d'émissions en langue autochtone et d'appuyer la production d'émissions par des producteurs francophones hors Québec. On accorde 37 p. 100 des ressources à des émissions diffusées sous licence par la SRC. On exige de consacrer un pourcentage minimum des revenus à la création d'émissions de télévision. L'entente traite également de faire en sorte que les émissions ainsi financées soient produites de manière équitable dans les diverses régions du pays. On appuie le doublage et l'on exige la création d'un mécanisme qui favorise l'accès au fonds pour des émissions appuyées par des diffuseurs du milieu de l'éducation.

C'est un menu très chargé. Si je comprends bien tout cela, il y a d'une part la SRC et ses exigences, et d'autre part les producteurs indépendants, avec leurs compétences et leurs ressources, et compte tenu d'un menu pareil, je peux envisager trois ou quatre idées possibles en matière d'émissions et pas plus. Tout cela pris ensemble impose des contraintes très rigides.

M. Stursberg : Vous êtes en train de dire qu'il s'agit d'une série de règles compliquées. Je pense que tout le monde en conviendra. Les règles sont tellement compliquées qu'il arrive parfois qu'elles paralysent le fonds, en un sens.

M. Lafrance a fait observer tout à l'heure, et je suis entièrement d'accord avec lui là-dessus, que le fonds a deux fonctions dont l'une est de financer les productions télévisuelles. L'autre fonction qui accapare de plus en plus les ressources du fonds est une fonction quasi réglementaire, c'est-à-dire qu'il passe son temps à négocier des arrangements entre radiodiffuseurs et producteurs, sous l'égide d'une série de règles régissant le fonctionnement de tout cela.

Nous pensons que le fonds est devenu trop compliqué. Nous pensons que le fonds, une fois révisé, devrait se recentrer sur quelque chose de très simple, à savoir faire de grandes émissions canadiennes que les Canadiens aimeront regarder. On devrait mettre de côté toutes les autres fonctions réglementaires, laissant les radiodiffuseurs et les producteurs établir eux-mêmes leurs relations, en simplifiant considérablement le fonds par rapport à ce qu'il est maintenant.

Le sénateur Eyton : Je veux mieux comprendre le processus. La SRC a une certaine orientation; les producteurs indépendants ont certaines exigences et capacités; et puis le fonds a certaines obligations. D'où viennent les idées et comment sont-elles réalisées?

M. Stursberg : Le réseau CBC commande la plus grande partie des documentaires, dramatiques, comédies, et cetera, au Canada anglais. Nous disons aux producteurs que nous recherchons, par exemple, une émission familiale pour diffuser à 19 heures le dimanche soir. Un certain nombre de producteurs viennent nous voir et nous donnent des idées en vue d'une telle émission. Nous prenons, disons, trois ou quatre idées dont nous lançons le développement, c'est-à- dire que nous leur accordons suffisamment d'argent pour pouvoir écrire quelques scénarios, et l'on voit ce que ça donne. Des trois ou quatre idées, nous en choisissons habituellement une, nous réalisons une émission pilote et nous voyons ce que cela donne.

Nous finançons l'émission pilote en partie grâce à l'argent du fonds. Ensuite, nous mettons cette émission à l'essai pour voir ce que les gens en pensent et comment les acteurs et les histoires racontées passent la rampe. Si tout fonctionne bien, nous commandons la série.

Voilà comment cela se passe. Il y a en quelque sorte une concurrence puisque différents producteurs nous présentent différentes idées et essaient de nous convaincre, mais en tenant compte des grandes lignes que nous avons définies.

Le sénateur Eyton : Quand le fonds entre-t-il en scène et donne-t-il en quelque sorte sa bénédiction?

M. Stursberg : Le fonds ne donne presque plus de bénédiction, parce qu'il s'est mis en touche. Autrefois, le fonds participait à toutes les décisions, mais il y a aujourd'hui une nouvelle structure, ce qu'on appelle les enveloppes. Tous les radiodiffuseurs ont des enveloppes. Que ce soit de l'argent pour le développement ou la production, nous en décidons et ensuite, nous avisons le fonds de ce que nous avons fait de l'argent. Pourvu que nous ayons respecté les directives générales du fonds, tout va bien.

Le sénateur Eyton : Avez-vous déjà été confronté à l'un ou l'autre des critères que je viens d'énumérer?

M. Stursberg : Oui, c'est arrivé et cela arrive. Le fonds, comme vous le dites, est divisé en deux portions : les deux tiers en anglais et un tiers en français. Nous savons donc, par exemple, combien d'argent est disponible pour les émissions en langue anglaise. Et puis, c'est seulement pour certaines catégories d'émissions, comme des documentaires, des émissions pour enfants, les arts de la scène, les dramatiques et les comédies. C'est tout ce que nous pouvons faire avec cet argent et nous acceptons ces critères. On voudrait, par exemple, que des productions se fassent ailleurs qu'à Toronto, et nous n'avons pas d'objection. Il y a certaines lignes directrices relativement au développement par opposition à la production, et nous acceptons tout cela, après quoi c'est à nous de jouer.

Ce n'est pas tellement à ce niveau que la complexité surgit. C'est beaucoup plus dans les relations entre producteurs et diffuseurs, au niveau des négociations. La première question posée par le président au sujet des droits numériques en est un parfait exemple. Le fonds s'est ingéré dans ces négociations d'une manière que nous avons jugée nuisible; en fin de compte, nous avons trouvé que cela nuisait à l'évolution du secteur au Canada. À cet égard, nous affirmons que le fonds n'a pas grand-chose à faire là-dedans. Nous croyons qu'il devrait s'occuper seulement de la production télévisuelle et de son fonctionnement.

Le sénateur Eyton : Même avec l'émergence de nouveaux médias comme la vidéo sur demande et tout le reste?

M. Stursberg : Oui, exactement. Nous pensons qu'il y a bien des manières de travailler avec les producteurs puisque nous pourrons offrir la télévision sur Internet ou sur téléphone cellulaire ou la télévision diffusée grâce à des appareils portables, ce qui serait avantageux à la fois pour les producteurs et pour nous et qui permettrait d'utiliser la télévision pour promouvoir les nouveaux médias.

Une chose est sûre : ce que nous ne voulons pas faire dans notre pays, c'est de prendre du retard dans l'exploitation de ces nouvelles plates-formes. À l'heure actuelle, nous nous retrouvons dans une situation difficile. La majorité des nouvelles plates-formes les plus importantes, qu'il s'agisse de YouTube, de MySpace ou de n'importe quoi d'autre, ne sont pas domiciliées au Canada, mais aux États-Unis. C'est là-bas que se trouvent la plupart des nouvelles plates- formes.

Nous sommes déjà dans une situation difficile, contrairement au secteur de radiodiffusion, puisqu'au moins les radiodiffuseurs sont de propriété canadienne et domiciliés au Canada. La difficulté, quand on veut rester à la hauteur et maintenir à la fois notre compétitivité culturelle et industrielle dans ce secteur, est exacerbée par le pays d'origine de beaucoup de ces nouveaux médias. Tout obstacle nuisant à nos efforts en vue de maintenir notre présence culturelle et industrielle dans ces secteurs nous défavorise et fera en sorte qu'il sera encore plus difficile pour nous d'être concurrentiels à l'avenir.

Le sénateur Adams : Nous avons commencé par le réseau CBC dans l'Arctique; c'était notre première station, grâce au satellite Anik qui a été lancé vers 1970. C'était la première fois que nous pouvions regarder la télévision dans l'Arctique. À cette époque, nous avions un peu de difficulté à cause des émissions venant de Vancouver, en Colombie- Britannique. Habituellement, un film était diffusé à une heure du matin et les enfants n'allaient pas à l'école le lendemain parce qu'ils avaient regardé la télévision jusqu'à quatre heures du matin.

Ma mère vivait à Churchill, ville à partir de laquelle CBC diffusait jusqu'à Rankin Inlet. Si jamais vous allez au siège social de la SRC à Montréal, vous y verrez une photo de ma mère.

De nos jours, je peux suivre notre période des questions à partir de notre Assemblée législative à Iqaluit en inuktitut. En fait, avant-hier, c'était en inuktitut et hier soir, c'était en anglais. Nous pouvons regarder le bulletin de nouvelles national et tout le reste.

Aujourd'hui au Nunavut, nous avons une émission qui s'appelle Window on the North. Elle est diffusée à la fois en anglais et en inuktitut et c'est une très bonne émission. Tous les soirs à 18 heures, nous avons les nouvelles nationales au Nunavut, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon. À la radio de CBC, nous avons des émissions en inuktitut et des émissions musicales qui diffusent des chansons en inuktitut.

Tout cela en guise de préambule à ma question : si Radio-Canada est privatisée, qu'arriverait-il de ces émissions?

Certains diront que la SRC dépense trop d'argent des contribuables, mais je n'ai jamais vu des compagnies privées de télévision faire appel au moindre Autochtone pour leurs émissions. Je pense que si nous perdons la SRC, nous perdrons notre culture dans le Nord.

M. Stursberg : Pour notre service du Nord, nous avons une émission de télévision quotidienne en inuktitut et, comme vous l'avez dit, nous diffusons aussi la période des questions de l'Assemblée législative en inuktitut. Nous diffusons aussi à la radio dans sept autres langues autochtones, si ma mémoire est fidèle. Nous diffusons en déné, en cri, en gwich'in et en dogrib.

Soit dit en passant, il est intéressant de faire observer que quand je suis allé à Yellowknife il y a quelque temps, je me suis rendu compte que beaucoup de ces langues ne sont pas écrites. En fait, les archives de la SRC constituent la totalité des archives historiques de ces peuples. C'est toute l'histoire du peuple qui y est consignée.

Les Territoires du Nord-Ouest nous ont demandé de déposer la totalité des archives de la SRC pour les Territoires du Nord-Ouest précisément pour cette raison, parce que ces archives constituent toute l'histoire de ces peuples. Nous l'avons donc fait et ils nous ont renvoyé des copies de tous les enregistrements. Nous sommes très profondément engagés dans ce domaine. Cependant, comme vous le dites, je sais avec certitude que rien de tout cela ne pourrait être financé par le secteur privé.

Le sénateur Zimmer : Je suis un fervent partisan de la SRC et du service public qu'elle offre. Ce qui m'irrite, c'est que le samedi soir, quand j'essaie de regarder de bonnes émissions, certaines chaînes diffusent les Simpsons pendant quatre heures et demie. J'espère que vous ne faites pas cela. Rien n'est plus irritant que cela. Je veux voir des émissions qui me parlent de mon pays, un documentaire ou une émission qui enrichisse ma connaissance du monde.

Je veux préciser un point au sujet des nouveaux médias. Shaw et Vidéotron prétendent qu'il y a eu une croissance récente des nouveaux médias, et ces deux compagnies croient qu'une partie de l'argent du FCT devrait être accordée aux nouveaux médias. Pouvez-vous nous en dire plus long là-dessus? Quelle serait l'incidence sur votre réseau si une partie de l'argent du FCT allait aux nouveaux médias?

M. Stursberg : J'ai déjà été le président du conseil d'administration du FTC, mais c'était il y a bien longtemps. En revanche, si je ne m'abuse, si vous voulez ajouter un volet nouveaux médias à une émission de télévision existante, c'est déjà possible en vertu des règles du FTC.

Je vous donnerai un exemple. Degrassi High est une émission très connue qui au départ a été diffusée à la CBC et qui est maintenant diffusée sur CTV. L'émission raconte la vie dans une école secondaire. Les producteurs de l'émission ont voulu donner au grand public la possibilité de s'inscrire à l'école, de se procurer un numéro d'étudiant, de se faire attribuer un casier, d'assister aux cours, et tout cela par le biais d'Internet. Il y aurait donc deux méthodes pour transmettre le récit : la première se ferait par des émissions de télévision; la deuxième se déroulerait sur Internet. Il y aurait des secrets, des potins, et cetera. Ces deux méthodes seraient intégrées, mais différentes.

C'était une bonne idée, et ces deux méthodes ont été financées par le Fonds canadien de télévision. Nous serions d'accord avec ceux qui estiment qu'il serait important de repenser notre modèle de financement afin de s'assurer que ces plates-formes médiatiques plus évoluées sont prises en compte. Comme je le disais tout à l'heure, ne pas agir nous fera reculer. Sur le plan culturel, ce serait de très mauvais augure. Sur le plan industriel, je crois que ces choses seront de plus en plus importantes. Il y a des occasions fort précieuses qui se présentent à nous.

M. Lafrance : Si je peux ajouter un petit commentaire, à cause de la fragmentation, il y a énormément de pressions pour financer les projets à la télévision. Est-ce qu'on devrait utiliser l'argent versé par les abonnés pour financer le nouveau système médiatique, ou devrait-on trouver un autre moyen? C'est une bonne question. Si on tient compte de la pression qui s'exerce concernant le financement au sein de l'industrie de télévision, à long terme, c'est la qualité qui va se dégrader, et on risque d'être moins concurrentiels avec les États-Unis, ou la France, en l'occurrence. Il y a un danger.

On devrait se repencher sur de nouveaux modèles du financement médiatique, le contenu canadien dans les nouveaux médias, une autre question qui est aussi compliquée.

Le sénateur Zimmer : Merci de ces renseignements.

Le président : Le sénateur Eyton voulait poser une autre question.

Le sénateur Eyton : C'est une question supplémentaire. Il y a plusieurs commentateurs qui examinent les nouveaux médias et les développements. Une école de pensée prétend que la télévision traditionnelle est morte; cependant la télévision existe toujours, mais joue un rôle de moins en moins important, et sera désuète d'ici 20 ou 25 ans. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Stursberg : J'ignore ce qui va arriver dans 25 ans, mais ces dernières années, la consommation de la télévision a augmenté. En même temps, nous constatons une utilisation accrue d'Internet. Cela varie selon les tranches d'âge également, c'est-à-dire, les auditoires plus jeunes sont plus susceptibles de consommer sur Internet plutôt qu'à la télévision.

C'est une question intéressante. Avec l'évolution des médias, nombreux sont ceux qui ont prédit la disparition de bien des choses. Par exemple, à une époque, on disait que la radio était morte. Mais la radio n'a jamais été éliminée, elle a évolué. Les journaux quotidiens ne sont pas morts, ils sont en pleine évolution. La télévision est-elle morte? Probablement pas. Est-ce qu'elle va évoluer? Bien sûr. C'est sûr et certain que les médias vont jouer un rôle de plus en plus important et central dans nos vies. Est-ce que cela va tuer la télévision? Non, mais est-ce qu'il y aura des changements? Absolument.

M. Lafrance : En 1950, une commission royale sur les communications et les journaux a été mise sur pied au Canada. L'Association of Newspaper Editors a sonné l'alarme, car on croyait que les nouvelles technologies aux États- Unis allaient tuer les journaux canadiens au plus tard en 1960. Ces nouvelles technologies étaient l'envoi par fac-similé. On disait, à l'époque, qu'on pouvait recevoir son journal par ligne téléphonique et que l'industrie allait s'effondrer puisque tout le monde allait recevoir son journal par ligne téléphonique au plus tard en 1960. C'est toujours intéressant d'observer les développements dans les médias.

Permettez-moi de vous donner un petit conseil : ne jetez pas votre téléviseur à la poubelle tout de suite. Attendez encore quelques semaines.

Le sénateur Tkachuk : On se souvient tous que les télévisions devaient tuer le cinéma également.

[Français]

La présidente : Je remercie M. Lafrance et M. Stursberg pour leur témoignage. Nous avons apprécié leur présence au comité. Je pense que leur contribution nous aidera à préparer notre rapport qui sera bientôt présenté.

[Traduction]

Nous allons poursuivre demain. M. Ken Stein, de Shaw Communications, comparaîtra devant nous.

La séance est levée.


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