Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 14 - Témoignages du 15 mai 2007 (séance de l'avant-midi)
MONTRÉAL, le mardi 15 mai 2007
Le Comité permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 1, pour examiner, afin d'en faire rapport, le trafic du fret conteneurisé actuel et éventuel manutentionné par les ports à conteneurs de la porte d'entrée du Pacifique, les ports à conteneurs de la côte Est et les ports à conteneurs du Centre du Canada, sur les principaux marchés importateurs et exportateurs desservis pas ces ports et sur les politiques actuelles et futures à cet égard.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Notre comité étudie, afin d'en faire rapport, le trafic de fret conteneurisé actuel et éventuel manutentionné par les ports à conteneurs de la porte d'entrée du Pacifique, les ports à conteneurs de la côte Est et les ports à conteneurs du Centre du Canada, sur les principaux marchés importateurs et exportateurs desservis par ces ports et sur les politiques actuelles et futures à cet égard.
Nos témoins ce matin sont : M. Michael H. Broad, président de la Fédération maritime du Canada, et Mme Anne Legars, directrice politique, Affaires gouvernementales. Du Centre de recherche sur les transports, M. Teodor Gabriel Crainic, directeur du Laboratoire sur les systèmes intelligents de transport.
[Traduction]
Soyez les bienvenus à cette séance de notre comité. Nous sommes heureux de vous compter parmi nous. Nous avons une heure et demie à vous consacrer. Par conséquent, nous allons d'abord vous donner la parole puis vous poser des questions.
Michael H. Broad, président, Fédération maritime du Canada : Je vous remercie, madame la présidente. La Fédération maritime du Canada a été constituée en personne morale en vertu d'une loi adoptée par le Parlement en 1903; elle représente près de 95 p. 100 des navires transocéaniques transitant par les ports de la région de l'Atlantique, du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs.
Nos membres sont propriétaires, exploitants, ou agents de ces navires qui assurent à peu près tout le commerce océanique effectué entre des ports à l'étranger et ceux de l'Est canadien. De plus, bon nombre de nos compagnies sont actives tant sur la côte Ouest que la côte Est du Canada et comptent des porte-conteneurs mouillant dans le Port de Vancouver, où 70 p. 100 des marchandises transbordées sont ensuite acheminées vers les marchés du Québec et de l'Ontario.
La Fédération s'est réjouie d'apprendre que votre comité tient des consultations au sujet de la conteneurisation du transport du fret. Il est d'ailleurs intéressant de noter qu'en novembre 2000, notre organisme a présenté un mémoire au comité d'examen de la Loi sur les transports au Canada, dans lequel il recommandait une réglementation globale des transports et l'adhésion à un réseau souple multimodal et efficace sur le plan environnemental. La seule chose que j'ajouterais à cela est le terme « sûr ».
Cela étant dit, notre bref exposé portera sur les cinq questions faisant l'objet de votre étude, après quoi nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions. Étant donné que je connais mieux les questions liées au fonctionnement intermodal que les politiques, j'ai demandé à ma collègue, Anne Legars, de m'aider à répondre à certaines des questions les plus difficiles.
Il y a toutefois un sujet sur lequel nous n'allons pas nous exprimer, le rôle important que peut jouer le transport maritime courte distance dans tout système intermodal. Nous nous en remettrons à cet égard à l'experte en la matière, Mme Nicole Trépanier, qui, selon ce que j'ai appris, doit vous en parler plus tard.
D'abord, par rapport à la sûreté, les ports et les gares intermodales canadiens ainsi que les navires qui les utilisent se conforment au Code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires, le Code ISPS, ensemble de mesures conçues par l'Organisation maritime internationale afin de renforcer la sûreté. En décembre prochain, le Programme d'autorisation de sûreté du transport maritime sera mis en œuvre, et ces nouveaux processus réduiront les risques. Certes, il restera toujours des éléments de risque pour la sûreté dans les réseaux de transport, mais on estime que les ports canadiens sont sûrs au regard des normes internationales auxquelles nous adhérons.
Je suis convaincu que vous avez entendu parler des excellentes initiatives prises par le Port de Montréal en matière de sûreté, dont les frais sont non seulement assumés par nos navires mais aussi considérées comme partie intégrante de nos activités. Le Port d'Halifax est prêt à se conformer au nouveau Programme d'autorisation de sûreté et a invité nos membres, soit ses clients, à demander leur carte d'autorisation.
Pour ce qui est de l'équilibre entre l'efficacité et la sûreté, il y aurait moyen de simplifier les processus sans que cela n'ait d'incidence négative sur la sûreté. Toutefois, par rapport au transport par conteneur, ce genre d'équilibre ne nous paraît pas un objectif difficile à atteindre. Nous avons déjà réussi à améliorer l'efficacité en raison de règlements plus stricts. Ainsi, par exemple, on doit déclarer les marchandises à l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC, 24 heures avant un transbordement dans un port étranger, forcer les expéditeurs étrangers à fournir les importantes données du connaissement plus tôt, ce qui a donc amélioré le processus de documentation dans l'ensemble de la chaîne commerciale.
Il est à noter que la sûreté des ports et des navires est assurée par Transports Canada dans notre pays, tandis que celle des marchandises — les marchandises tant importées qu'exportées — relève de l'ASFC. Malheureusement, les deux organismes ne collaborent pas souvent. Parfois, l'ASFC semble même travailler en vase clos, sans consulter les autres. Or, un peu plus de collaboration améliorerait sensiblement l'efficacité.
En ce qui concerne la transparence de la chaîne d'approvisionnement, la technologie de l'information dans le réseau intermodal du Canada est utilisée par l'ensemble des modes. Cependant, il existe très peu de liens entre eux et l'information est transférée par le biais de l'Échange de données informatisé, l'EDI. Bien que les transporteurs ferroviaires et la plupart des transporteurs maritimes disposent d'excellentes technologies, l'information détaillée sur le fret n'est pas transférée entre eux.
C'est une lacune qui est encore plus évidente entre l'industrie du camionnage et les lignes de navigation. Elles n'ont aucune plate-forme commune pour le transfert de l'ensemble des données. Cependant, nous devons tenir compte de la concurrence entre les modes. Par exemple, il est possible que les lignes de navigation préfèrent ne pas donner de renseignements détaillés aux compagnies ferroviaires de crainte que ces dernières sollicitent des opérations de transfert directement. Certaines lignes de navigation peuvent faire appel aux chemins de fer et à plusieurs entreprises de camionnage.
La notion de guichet unique appuyée par l'ASFC et l'Organisation mondiale des douanes permettraient peut-être d'améliorer l'optimisation des ressources jusqu'à un certain point. Selon ce scénario, l'information du manifeste serait transférée électroniquement à l'ASFC en provenance du transporteur maritime et permettrait aux autres modes de s'occuper de la manutention de la cargaison une fois qu'elle est déchargée au Canada sans saisie de données supplémentaires. Transports Canada et la Garde côtière du Canada exigent également des renseignements concernant le navire à des fins de sécurité, de trafic et d'inspection. Les transporteurs maritimes pourraient introduire toutes les données à ce guichet unique, y compris l'information sur la cargaison destinée à l'ASFC.
Malheureusement, ces organismes gouvernementaux nous indiquent que cela est impossible étant donné qu'ils ne peuvent pas partager l'information en raison de règlements sur la protection des renseignements personnels, et il faudrait absolument que l'on réévalue cette façon de faire.
En ce qui concerne les aspects environnementaux, nous ne pouvons parler qu'au nom du mode maritime. Des normes environnementales sont prévues dans la Loi sur la marine marchande du Canada, à la partie XV, « Pollution, prévention et intervention ». Cette partie porte sur les règlements en vigueur au Canada et les dispositions des conventions internationales. Elle porte entre autres sur le rejet de polluants par les navires, y compris les rejets d'eau huileuse, d'eaux usées, de déchets et les polluants atmosphériques. Elle ne renferme toutefois pas de dispositions concernant les gaz à effet de serre. Il n'existe aucune disposition pour le transport maritime étant donné que l'Organisation maritime internationale, l'OMI, n'a pas encore élaboré de normes internationales. Cependant, ces normes réduisent l'empreinte écologique des navires océaniques.
Il ne fait aucun doute que la congestion et les retards dans le réseau intermodal contribuent à accroître les répercussions environnementales du transport de fret conteneurisé. Les terminaux portuaires congestionnés nécessitent une double manutention de conteneurs, ce qui accroît l'utilisation de véhicules à plate-forme élévatrice et de camions dans le terminal même. Cette manutention accrue entraîne à son tour des retards dans la livraison des conteneurs aux camions qui laissent leur moteur tourner au ralenti en attendant de charger la cargaison qui se trouve sur le quai. Cependant, il n'existe aucun outil qui permet d'évaluer l'empreinte écologique de la chaîne, ce qui, par conséquent, limite les améliorations au-delà de la conformité aux règlements à la mise en œuvre de pratiques exemplaires.
En ce qui concerne les politiques et programmes fédéraux qui favorisent le transport intermodal, le gouvernement fédéral ne possède que les connaissances limitées des questions intermodales. La structure en vigueur à Transports Canada continue d'être axée sur le cloisonnement des modes plutôt que sur une approche intermodale. Le propre rapport annuel de Transports Canada traite de chaque mode sans aborder les dimensions multimodales du transport. Cependant, l'inclusion d'Infrastructure Canada dans le portefeuille du ministre permettra peut-être d'adopter une approche plus horizontale en matière de transport. Par ailleurs, nous avons également appris que Transports Canada tient une table ronde mensuelle sur les corridors et les points d'accès, dans le cadre de laquelle huit ministères discutent d'intégration et de questions horizontales.
À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral offre les programmes de subventions et de contributions suivants : l'Initiative de la porte d'entrée du Pacifique, annoncée en 2006, prévoyant un investissement initial de 591 millions de dollars; les mesures annoncées dans le budget de 2007, entre autres, un fonds national pour les portes d'entrée et les passages frontaliers, qui représentent 2,1 milliards de dollars; une bonification de l'Initiative de la porte et du corridor de l'Asie-Pacifique, qui représente 410 millions de dollars supplémentaires et la somme additionnelle de 25 millions de dollars par année pour les installations de transport de chaque province et territoire. Ces initiatives ne visent pas précisément les projets multimodaux mais il est entendu que les projets qui ont des répercussions positives sur le réseau multimodal sont ceux qui recevront un financement.
De plus, deux programmes visaient des projets intermodaux : le Programme des systèmes de transport intelligents, pour lesquels un montant de 13 millions de dollars a été accordé; et le Programme des initiatives de planification des transports et d'intégration modale, qui a octroyé environ 5 millions de dollars à 45 projets, la dernière série ayant eu lieu en 2006. Le gouvernement fédéral est-il sur la voie de créer et de favoriser une situation de marché pour la croissance intermodale? La réponse courte à cette question, c'est qu'il est en voie de le faire. L'annexe de 2005 du Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité renferme une partie qui traite de l'amélioration du réseau de transport intermodal de l'Amérique du Nord. Les principaux éléments sont l'élaboration d'un concept intermodal d'ici la fin de 2006 et des travaux visant à établir un plan de travail en vue de la création d'un corridor intermodal, un mémoire de coopération et un projet-pilote.
On peut dire du dernier budget qu'il reconnaît la nécessité d'accélérer les dépenses publiques consacrées à l'infrastructure intermodale. La refonte tant attendue de deux importantes lois, la Loi sur les transports au Canada et la Loi maritime du Canada, permettra de créer un environnement propice à la croissance du réseau intermodal. L'examen, prévu par la loi, de la Loi sur les transports au Canada a eu lieu en 2000 et a donné lieu au rapport d'une commission en 2001, qui a été suivi par un avant-projet de politique de la part du ministre des Transports en 2003. Cependant, cet avant-projet n'a toujours pas donné lieu aux modifications législatives qui encourageraient et favoriseraient la croissance du réseau intermodal.
La Loi maritime du Canada a été examinée en 2002 et a donné lieu au rapport d'une commission en 2003, mais les modifications législatives qui auraient permis aux administrations portuaires canadiennes de participer plus activement au développement de l'infrastructure n'ont pas été apportées.
Enfin, le dernier budget a parlé d'un nouveau cadre national pour les portes d'entrée et les passages frontaliers, et nous avons hâte d'apprendre en quoi consistera cette politique.
En ce qui concerne la coordination entre le gouvernement et les membres intéressés de l'industrie, la communication entre le gouvernement et l'industrie est habituellement fragmentée, c'est le moins qu'on puisse dire. Quelques tribunes ont été organisées pour permettre à l'ensemble des modes de discuter de questions intermodales avec plusieurs organismes gouvernementaux avec lesquels ils traitent. Chaque mode a discuté individuellement avec les représentants du gouvernement, et les organismes gouvernementaux ont tendance à agir de façon cloisonnée. Il est facile de cerner les frictions qui existent dans le réseau intermodal, mais elles sont difficiles à surmonter. Le Greater Vancouver Gateway Council est une tribune qui réunit les représentants de l'industrie et du gouvernement pour qu'ils établissent des politiques concernant les questions intermodales. Le conseil du corridor de commerce Saint-Laurent-Grands Lacs, récemment mis sur pied, est un excellent moyen de déterminer les besoins du trafic intermodal dans la région et d'après ce que nous croyons savoir, on est également en train de mettre sur pied un conseil de ce genre pour la région de l'Atlantique.
Un grand nombre de parties participent au trafic intermodal : le vendeur, l'acheteur, l'expéditeur, le courtier en douane, la ligne de navigation, le représentant de la compagnie maritime, l'exploitant de terminal, la compagnie ferroviaire, le camionneur — toutes sortes de personnes. Elles doivent composer avec l'ASFC, les aspects qui se rattachent à l'agriculture, au revenu, à la sécurité et la contrebande, les inspections de sécurité de la part de Transports Canada, la Garde côtière canadienne, qui relève du ministère des Pêches et des Océans, pour n'en nommer que trois. Cependant, au bout du compte, toutes les questions que vous examinez vont-elles accroître la capacité et améliorer la concurrence? Il faut tenir compte dès le départ des préoccupations en matière de sûreté et d'environnement et y donner suite. On ne peut pas les sacrifier au nom de l'efficacité et on peut y donner suite, ce que l'on est d'ailleurs en train de faire. Il est difficile d'assurer la transparence pour des raisons de compétitivité. Cependant, certaines politiques et tribunes nationales, peut-être dans le cadre d'une politique nationale sur les portes d'entrée, qui permettraient à l'ensemble des intervenants de discuter des questions concernant l'efficacité et la capacité de la chaîne d'approvisionnement et des corridors commerciaux sont nécessaires.
Lorsque nous parlons de la nécessité d'accroître la capacité et d'améliorer la concurrence, il suffit de se tourner vers la côte Ouest et d'examiner deux grandes questions : l'infrastructure portuaire et l'infrastructure ferroviaire. Il faut accroître la capacité des ports de la côte Ouest et accroître la capacité des chemins de fer canadiens pour ce qui est de répondre aux besoins en matière de transport. L'ouverture de Prince Rupert, la fusion des ports de Vancouver, de Fraser River et de North Fraser de même que l'expansion du Deltaport amélioreront la capacité portuaire. Cependant, nos membres continuent de se poser des questions. Les chemins de fer canadiens seront-ils en mesure de répondre à l'accroissement de la demande de transport de marchandises? Les transporteurs intermodaux devront-ils se battre pour obtenir une place à bord des trains qui transportent des produits en vrac?
En ce qui concerne la côte Est, Halifax et Montréal absorbent les niveaux actuels d'activités. Cependant, on peut tirer des leçons importantes de l'expérience de la côte Ouest. En continuant d'améliorer le système intermodal, on rendra les exportations canadiennes plus concurrentielles.
[Français]
Teodor Gabriel Crainic, directeur, Laboratoire sur les systèmes intelligents de transport : Madame la présidente, j'aimerais vous remercier de nous avoir donné l'occasion de venir vous rencontrer.
Je vous exposerai mon point de vue en tant que professeur d'université, et avec le recul d'un observateur. Le Centre de recherche sur les transports a été mis sur pied en 1971. Nous avons eu au cours de ces années, l'occasion d'observer et de travailler sur les systèmes de transport. Et, récemment, un peu sur les systèmes de transport intermodal au Canada.
Je vous ferai part, brièvement, des réflexions qui ont suivi les études que nous avons effectuées, et ce, en insistant sur les questions de coopération, de concertation et d'innovation.
Je pense, tout comme mon collègue l'a déjà dit, que Transports Canada est encore passablement organisé en termes de silos. De nos jours, le transport est un organisme vivant et extrêmement intégré. L'intermodalité est un concept intégré. On ne peut pas parler d'intermodalité et s'adresser à un seul joueur, à un seul mode de transport.
Depuis maintenant presque 20 ans, un paradigme est dominant dans le monde du transport. Il s'agit des systèmes intelligents de transport, qui sont fondamentalement basés sur un échange d'informations; une cueillette rapide, un traitement intelligent et rapide, et aussi un retour d'information qui est significatif et qui arrive à temps aux bonnes personnes afin de favoriser une meilleure gestion, que ce soit pour une personne qui parte le matin en voiture, à bicyclette, ou une grande compagnie qui doive acheminer des marchandises. Nous pensons, en fait, qu'il y a beaucoup de gains potentiels à favoriser cette intégration et cet échange intelligent de l'information.
Il est clair qu'il y a des problèmes de confidentialité. Il est clair aussi, que personne ne donnera son information à un concurrent ou à un organisme qui pourrait en tirer un avantage, d'où le besoin d'avoir un organisme neutre pour gérer cette information. On peut faire un parallèle très facile avec une ville. Il y a de l'information qui est recueillie, et on ne la donne pas à un organisme privé, ni à une compagnie de transport, on la donne à un centre de trafic qui est indépendant, je dirais, à des joueurs qui circulent dans la ville. Cela devrait être la même chose au niveau d'un pays et d'un système de transport. Est-ce de Transports Canada? Est-ce un organisme autre? Est-ce des organismes comme ceux qui sont associés à la porte d'entrée du Pacifique, et nous l'espérons, à la porte d'entrée de l'Atlantique? J'aimerais bien en avoir un seul, assez rapidement, plutôt que d'en avoir un dans l'Atlantique et un sur le Saint-Laurent. Il me semble qu'on est tous dans un seul coin de pays et on devrait pouvoir travailler ensemble.
Il y a des échanges d'information par EDI régulièrement, jour après jour. De la même façon, les gens des compagnies de chemins de fer vont rencontrer les gens des ports chaque jour. Cette information, par contre, reste partielle et je dirais qu'elle s'arrête à la porte des compagnies. Cette information n'est pas assumée dans la plupart des processus de planification des compagnies. Il n'y a pas d'impact sur la gestion de ces compagnies, ni à long terme ni à court terme. On pourrait, là où le besoin se fait sentir, augmenter la capacité par l'utilisation de technologies ou d'aménagements physiques différents. Les terminaux de la côte Ouest sont un exemple où l'on a augmenté la capacité uniquement en ayant une meilleure organisation physique du travail et effectué des investissements significatifs dans le matériel de manipulation, par exemple, de grandes grues pour gérer les conteneurs. Lorsque le besoin se fera sentir, le même type de traitement, que ce soit physique ou informationnel, pourrait aider à augmenter la capacité des ports de la côte Est.
Il y a également de la capacité de transport supplémentaire sur les voies de chemin de fer. Il y a le passage des montagnes dans l'Ouest, qui, je l'avoue est un problème connu surtout en hiver. Du point de vue des compagnies de chemin de fer, il y a une question de rentabilité. Il faudra, à un moment donné, démontrer qu'il y aura suffisamment de volume pour assurer la rentabilité de ce mode de transport. Il est clair qu'il y a de la place pour de nouveaux services. Par exemple, des services de navettes qui seraient réguliers et plus fréquents, et qui pourraient par ailleurs, transporter les camions sur une distance de plus de 300 ou 400 kilomètres, et avoir un effet sur l'environnement significatif. En fait, l'ensemble de ces réflexions nous amène à la nécessité d'étudier les coûts et les bénéfices à long terme et à moyen terme.
Une des leçons des systèmes intelligents de transport, c'est qu'une fois l'information recueillie, il faut la traiter avant de la redistribuer, sinon c'est juste des miettes qu'on a bougées d'un endroit à un autre et, ce qui en fait, ne sert à rien. Il ne suffit pas de brasser de l'information à droite et à gauche. Il faut faire quelque chose d'intelligent avec.
Au Canada, il y a depuis longtemps un problème au niveau de la recherche dans le domaine du transport. Transports Canada a abandonné, dans les années 1980, son programme qui était plutôt dirigé vers la recherche universitaire. Il y avait un des hauts fonctionnaires qui était malade cette journée-là, donc le programme est parti. Cela coûtait 2,5 millions de dollars ou 1,5 million de dollars par année. Cela a mis en faillite à peu près tous les centres de recherche sur les transports du pays, sauf celui de Montréal, parce qu'on avait du financement de Québec aussi. Nous sommes, je crois, le seul grand pays au monde qui n'a pas un programme de recherche national axé sur le transport. Pour un pays de l'envergure du Canada et qui a été bâti en grande partie sur le transport, c'est quand même assez étonnant.
Un programme de recherche est nécessaire. Il devrait être bien sûr axé, sur des politiques et des questions nationales. Cela devrait être visible dans les thématiques, être bien structuré et avec des fonds pour l'appuyer. Il faudrait un processus d'allocation qui soit, et je m'excuse envers la fonction publique, d'une certaine façon non bureaucratique.
Peut-être que le CRSNG pourrait assumer la gestion d'un tel programme. Nous avons eu nous aussi des démêlés avec les différents programmes existants là-bas, et ils sont conçus en termes de travail avec l'industrie. Et je pense que, le milieu de l'industrie est mieux placé que moi pour dire si c'est approprié à leurs besoins ou non. Mais c'est sûr qu'en ce qui concerne un milieu universitaire, le même paradigme s'applique mal en termes d'arrimage financier et autres.
Donc, il y a une opportunité maintenant pour le transport intermodal. Je pense qu'il faut être conscient que la politique du transport intermodal est en croissance à travers le monde. Il continuera d'augmenter significativement année après année.
Il y a une multiplication des voies d'arrivée au continent. Il y a le canal de Suez qui ouvre de nouvelles voies. On commence à voir des bateaux arriver à Halifax en provenance de cette destination.
À Panama, on va doubler le canal, donc on va de nouveau voir des post-Panamax, arriver directement sur la côte Est. Parce que l'Ouest est congestionné, on le sait tous, on ne peut pas bâtir d'autres ports. Peut-être qu'il y aura le passage dans le nord qui ouvrira bientôt. Il faut se préparer, il est encore temps de commencer à construire. La Communauté européenne a maintenant une politique de transport intermodal, de développement et d'intégration de tous les nouveaux pays à l'Est.
Il y a donc actuellement, un foisonnement d'idées et d'opportunités. On a une bonne position. On est beaucoup plus près des marchés que New York ou Syracuse. Je pense qu'on pourrait réussir à construire un bon système, plus efficace qu'il ne l'est actuellement.
La présidente : Un des avantages d'une éventuelle libéralisation des règles de cabotage au Canada serait de permettre une utilisation plus efficace des conteneurs étrangers sur notre territoire. Il pourrait y avoir plusieurs gagnants comme le milieu agricole, les entreprises de chemins de fer, les autorités portuaires et aussi le consommateur qui pourrait bénéficier de coûts de distribution plus faibles.
Pensez-vous que les règles sur le cabotage doivent être modifiées au Canada? Si oui, quels seraient les inconvénients possibles d'un assouplissement de nos règles? Et, y a-t-il un risque de désavantager les fournisseurs de conteneurs canadiens en assouplissant nos règles de cabotage?
[Traduction]
Si vous voulez répondre à la question, allez-y.
M. Broad : C'est une bonne question. Est-ce que vous parlez d'assouplir la réglementation pour permettre le cabotage utilisant les conteneurs intermodaux?
La présidente : Oui.
M. Broad : Ce serait difficile actuellement, car les conteneurs qui arrivent au Canada appartiennent aux compagnies maritimes. Actuellement, ils ne sont utilisés pour le transport intérieur que lorsque c'est nécessaire. Autrefois, on les utilisait beaucoup. Les marchandises provenant particulièrement de la côte Ouest et de Vancouver arrivaient dans des conteneurs qui étaient vidés ici.
Les sociétés de vente au détail faisaient transporter toutes leurs marchandises jusqu'à Toronto et Montréal, et les distribuaient dans tout le Canada à partir de ces deux villes. Les conteneurs pleins arrivaient d'Asie, ils étaient vidés puis remplis de nouveau à destination de différentes villes canadiennes. Ces dernières années, toutes les sociétés de vente au détail ont ouvert des centres de distribution dans l'Ouest — à Calgary pour Canadian Tire et à Vancouver pour La Baie et Sears — et il y a donc moins de transport intérieur à destination de l'Ouest. L'activité a beaucoup diminué ici. Cependant, en ce qui concerne l'utilisation des conteneurs pour le transport intérieur, je crois que ce serait effectivement assez utile, mais je ne suis pas certain qu'il y a ait suffisamment de volume à destination d'un port de départ.
Les importations sont tellement vigoureuses que les compagnies maritimes tiennent à renvoyer leurs conteneurs rapidement vers l'Extrême-Orient. Parfois, elles préfèrent les renvoyer à vide sur le bateau, car le tarif de fret à l'aller est tellement élevé qu'elles ne veulent pas risquer d'attendre un tour.
[Français]
La présidente : Avez-vous eu des échanges avec les représentants du ministère fédéral des Transports ou avec certaines provinces, pour discuter des enjeux entourant le transport de conteneurs au Québec?
Transports Canada a tenu des consultations sur le transport intermodal par conteneurs. Avez-vous participé à ces échanges et sentez-vous que les pouvoirs publics sont conscients de la nécessité de positionner le Canada sur le marché nord-américain du transport de conteneurs et qu'ils déploient les moyens nécessaires pour y parvenir?
M. Crainic : Je vais peut-être répondre ou apporter un élément à votre réponse.
La présidente : Cela revient à ce que vous disiez tantôt, je pense.
M. Crainic : Oui. En fait, je n'ai pas participé aux rencontres de Transports Canada. Nous avons par contre, des contacts avec du personnel et des gens dans les deux ministères, tant à Québec qu'à Ottawa. Il nous arrive aussi de collaborer dans certains types de projets avec les gens de Toronto.
Nous sentons effectivement qu'il y a une préoccupation. Au MTQ, on est en train de discuter avec des gens des départements de la recherche et de développement. Il y a une préoccupation dans le domaine de compétence provinciale, évidemment. Et il y a toujours la préoccupation sur ce que le fédéral fera, et du fait qu'on ne communique pas assez.
De notre point de vue, soit dans le milieu de la recherche universitaire, je pense que je peux sans crainte parler pour mes collègues sur les trois océans, le transport n'apparaît pas comme un domaine qui est hautement priorisé par le pays. Il n'est certainement pas un domaine stratégique. Si vous regardez par exemple, les organismes subventionnaires fédéraux comme le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, dans le domaine stratégique, le transport n'apparaît pas. Et depuis fort longtemps puisque cela fait au moins 15 ans qu'il n'y est pas.
Les ministères font leur travail dans le cadre de leur mandat. Il n'y a personne qui leur a donné le mandat de soutenir la recherche et le développement dans ce domaine. Si on leur donnait plus de mandats, peut-être qu'ils le feraient. En ce moment, leur mandat actuel les confine, je dirais, au court terme. Il y a des gens qui doivent réfléchir à long terme. Ils n'ont pas le choix, évidemment. Ils sont comme ils sont, et dans les faits, ils doivent nourrir le politique, le Cabinet, le ministre, les décisions et ainsi de suite. Je ne veux pas faire de politique, mais les décisions politiques ne sont jamais vraiment à très long terme, du moins en apparence.
Nous ne sentons pas qu'ils font valoir cette réflexion à long terme. Cela se fera de façon un peu privée ou par des échanges. Parfois, cela débouche vers des organismes où les gens se parlent entre eux, comme les conseils du Saint-Laurent. Mais il n'y a pas cette volonté, je dirais. Si le Canada veut jouer un grand rôle sur le plan économique, il faut qu'il exporte et qu'il importe. On ne voit pas cela.
Il y a, effectivement, une quantité invraisemblable de conteneurs vides au pays, et qui partent aussi vides parce que, dans les faits, on n'exporte pas assez. Il y a un problème au pays, et pas juste chez nous, on regarde les Américains et l'on se console, mais le problème reste que l'on n'exporte pas assez. On envoie trop de conteneurs vides parce qu'on n'arrive pas à vendre assez, que ce soit en Asie ou ailleurs.
La présidente : Madame Legars, voulez-vous ajouter quelque chose?
Anne Legars, directrice politique, Affaires gouvernementales, Fédération maritime du Canada : Nous n'avons pas participé aux consultations de Transports Canada sur les conteneurs et le cabotage. En fait, on n'a pas été contactés. C'est la première fois que j'en entends parler.
La présidente : Dois-je comprendre que dans les recommandations que nous aurons à faire au gouvernement, lors de la soumission à notre rapport à l'automne, la proposition de reprendre le Centre de recherche en transport serait une des recommandations qui serait acceptable pour votre groupe?
M. Crainic : Le CRDT existe toujours. En fait, le ministère a toujours son Centre. Je pense que si Transports Canada avait un nouveau programme de recherche axé vers les universités, tout le monde applaudirait, c'est certain.
Si on avait quelque chose de plus à demander, ce serait de trouver une façon de favoriser la mise en commun d'information entre les différents joueurs. C'est sûr que c'est très délicat, étant donné que ce sont toutes des compagnies privées ou des organismes gouvernementaux parfois à haute sécurité, comme Douanes Canada. On comprend qu'il y a des choses qui ne peuvent pas s'échanger. Mais, si on veut avoir une plus grande intégration, il faut qu'il y ait une place d'échanges, un dépôt d'information nettoyée, validée, et ainsi de suite. Selon nous, il y a sur ce plan des pistes à creuser.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Broad, vous avez soulevé la question de l'Agence des services frontaliers du Canada et de Transports Canada qui fonctionnent en vase clos, chacun ignorant ce que fait l'autre. Pouvez-vous nous donner des détails à ce sujet et nous fournir quelques exemples qui puissent servir de référence?
M. Broad : Je ne sais pas si M. Taddeo vous a parlé de ce cas, mais le port souhaitait que certains appareils utilisés par l'Agence pour inspecter les conteneurs dans le port soient placés à un endroit particulier. L'Agence a dit : « Non, nous les mettrons ici », et elle n'a pas voulu écouter les représentants du port. Évidemment, Transports Canada a approuvé les autorités portuaires dont l'objectif était d'assurer une plus grande fluidité au terminal, mais l'Agence est restée inflexible quant à l'emplacement des appareils.
Comme je l'ai dit précédemment, Transports Canada assure la sécurité des installations et des navires dans les ports canadiens, mais l'Agence s'occupe en grande partie de l'inspection des navires — ses agents montent à bord, inspectent la cargaison et, le cas échéant, examinent l'équipage — parce qu'elle s'occupe du fret, mais également d'immigration. Il semble n'y avoir aucune coordination au niveau de la réglementation et l'Agence exige certaines déclarations en plus de celles que nous fournissons déjà à Transports Canada. Il faudrait combiner ces procédures.
On peut également citer l'exemple des navires des Grands Lacs, qui concerne le transport en vrac, et non le transport conteneurisé. L'ASFC nous demande de nous signaler dans chaque port des Lacs, et d'indiquer si le port d'attache est Toronto, Hamilton, Sarnia ou une autre ville. Cela n'a aucun sens. Transports Canada nous dit que nous n'avons pas à fournir cette indication, mais l'Agence l'exige. Elle fonctionne en autonomie. On dirait un organisme hors-la-loi; c'est tout à fait incroyable. L'un de nos membres s'est vu infliger une amende de 1 000 $ pour une mesure qui ne figure pas encore dans les règlements, et l'Agence a refusé de le rembourser.
Et ce ne sont là que quelques exemples. Nous avons demandé à Transports Canada et aux coprésidents du Conseil maritime et industriel national, Louis Ranger et Guy Véronneau, de proposer que le président de l'Agence siège à ce conseil au côté de Transports Canada, de Pêches et Océans et des Affaires étrangères, afin qu'il ait une meilleure idée des conséquences de son action sur nos exportations et nos importations, et qu'il s'efforce de collaborer plus étroitement avec ces autres ministères. L'information va peut-être finir par se rendre jusqu'aux personnes concernées.
Le sénateur Tkachuk : Nous avons recueilli le témoignage des représentants du Port de Montréal sur les chemins de fer, et ils se disent satisfaits du service que leur proposent les compagnies de chemin de fer. On ne nous a pas dit la même chose dans l'Ouest. Tout le monde disait la même chose — nous nous sommes tous demandé comment une entreprise pouvait fonctionner alors que ses clients étaient tous mécontents. Nous avons cherché un client satisfait, nous n'en avons trouvé aucun.
Que pouvons-nous faire pour promouvoir la concurrence au Canada? Je ne pense pas qu'on puisse les contraindre à fournir un bon service mais nous pourrions essayer de favoriser la concurrence. Comment peut-on promouvoir une plus grande concurrence sur la côte Ouest, par exemple, ce qui à mon sens, devrait permettre au CN d'améliorer son comportement?
M. Broad : Je crois que Burlington Northern Santa Fe, BNSF, a une voie de chemin de fer qui se rend jusqu'à Vancouver, et que le CP et le CN sont tous les deux hostiles à ce que BNSF desserve cette ville. C'est une grosse compagnie américaine et donc...
Le sénateur Tkachuk : Excusez-moi, je ne connais pas cette compagnie de chemin de fer. Est-ce qu'elle est déjà présente à Vancouver, ou est-ce qu'elle veut y aller?
M. Broad : Burlington Northern a accès au Port de Vancouver, au Deltaport, mais il y a deux ou trois ans, lors du gros engorgement, une compagnie maritime asiatique a voulu faire appel à Burlington Northern, mais pour une raison quelconque, celle-ci s'est désistée à la dernière minute. De fortes pressions ont été exercées par les deux compagnies de chemin de fer canadiennes et par d'autres, je crois, pour l'amener à se désister. Il est difficile de...
Le sénateur Tkachuk : Cela semble étrange.
M. Broad : En effet, mais il est difficile de rendre les compagnies de chemin de fer plus concurrentielles étant donné qu'elles le sont davantage lorsque le trafic diminue. Lorsqu'il est à pleine capacité, le CP limite ses activités et le CN s'en charge, mais le client doit attendre. Évidemment, le CN vise une situation d'équilibre. Même si le commerce n'est pas équilibré, la compagnie souhaite que ses affaires le soient.
Par ailleurs, comme l'ont indiqué mes collègues, il y a des problèmes dans l'Ouest. En Colombie-Britannique cette année, les bourrasques ont renversé des portiques. Il y a eu des avalanches dans l'Ouest, et le temps glacial a empêché les compagnies de traverser les Prairies avec des trains entiers. Je peux concevoir ces intempéries, mais lorsque le fret est immobilisé, c'est toujours la faute de quelqu'un d'autre.
Avant d'accepter mon poste actuel, j'avais une petite agence maritime et l'un de mes clients faisait appel au CN aussi bien qu'au CP. Je l'ai interrogé un jour sur la qualité du service, lui demandant de comparer les deux compagnies. Il m'a dit : « J'ai rencontré le représentant du CN l'autre jour et je lui ai dit : «Vous n'avez pas de clients, vous avez des gens qui vous donnent de l'argent »». Il m'a dit aussi que le représentant du CP était le meilleur homme au monde, qu'il se démenait au téléphone pour lui venir en aide mais qu'en définitive, il ne fait rien de plus que l'employé du CN. En revanche, il le fait mieux.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Crainic, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Crainic : Oui, j'aimerais ajouter quelques éléments. Tout d'abord, il faut savoir que le port de l'Ouest est isolé par les montagnes et que les problèmes généraux qui s'y posent vont bien au-delà de l'intermodalité. Il y a quelques années, je travaillais pour le CP à Calgary et les employés étaient encore sous le coup d'un appel du ministre au président du CP qui lui avait dit, l'hiver précédent : « Il faut acheter d'autres locomotives, parce que les trains ne passent pas. »
Le franchissement des montagnes pour atteindre les ports de la côte pose un problème. Ces ports sont congestionnés, mais il existe encore d'autres problèmes. Il faut bien admettre qu'au cours des dernières années, les compagnies de chemin de fer ont radicalement modifié leur façon de procéder. Autrefois, au Canada, il y avait un excédent d'actifs. Il y avait des locomotives et des wagons partout. Lorsque j'ai fait mon doctorat il y a 25 ans, le CN avait — peut-être un quart de millions de wagons. On n'en connaissait même pas le nombre, et personne ne se souciait de savoir où se trouvait la moitié d'entre eux. Cela n'avait pas d'importance, car les wagons étaient en nombre suffisant. Ce n'est plus vrai aujourd'hui. Tout le secteur ferroviaire, en particulier ici, aux États-Unis et en Europe, a connu une période de vaches maigres. Les compagnies fonctionnent désormais avec le volume d'actifs qu'elles jugent nécessaires pour travailler efficacement, c'est-à-dire en effectuant des circuits, de façon que le matériel se déplace constamment et ne reste pas à encombrer des installations de clients ou les gares de triage, car dans ce cas, les compagnies perdent de l'argent.
Ce mode de fonctionnement a même désormais son nom. Lorsqu'on nomme les choses, elles commencent à exister. La politique de pleine utilisation de l'actif signifie que cet actif doit bouger et pour le CN, cela signifie le plus souvent un service par jour à partir d'Halifax et deux à partir de Montréal. Je ne sais pas combien il y en a à partir de Vancouver.
Le train qui revient n'apporte à peu près que les wagons. En effet, la compagnie cherche un rendement sur l'investissement. Les actionnaires veulent des dividendes. Ce sont des considérations strictement boursières. Grâce à la coopération entre les expéditeurs, les autorités portuaires et les compagnies de chemin de fer, il faudrait montrer que le volume est suffisant pour justifier un train supplémentaire. Autrement, ce train n'existera pas, à moins qu'une loi impose un certain nombre de trains au départ du terminal de Deltaport, et je ne pense pas que cela corresponde à la mentalité canadienne actuelle.
On pouvait aussi démontrer aux compagnies de chemin de fer qu'il y a suffisamment de trafic pour justifier un train supplémentaire par jour ou tous les trois jours. Je pense qu'on peut le démontrer. Ces trains ne sont pas disponibles dans l'immédiat, mais c'est la seule façon de procéder. Ce n'est pas une question de concurrence, car le CP fonctionne à peu près comme le CN, à la différence que ses représentants sont parfois plus agréables.
On peut dire, par exemple, que le camionnage n'aime pas les chemins de fer et que les chemins de fer n'aiment pas la marine marchande. Les petits n'aiment pas les gros et les approvisionnements alimentaires voyagent par tous les moyens, dans le monde intermodal. Néanmoins, ce n'est pas une question de concurrence. Si BNSF exploite sa ligne de chemin de fer, le représentant canadien dira aux clients : « Oui, mais si votre volume diminue et que vous voulez revenir chez nous, il se pourrait qu'il n'y ait plus d'espace à bord du train ». Ce sont là des pratiques normales en affaires, et c'est précisément pour cela que les Américains se sont désistés.
La solution consiste à augmenter la capacité du réseau canadien. Les camions peuvent prendre la relève si les trains sont trop longs pour qu'on les fasse passer dans la vallée du Fraser, mais le problème est de prouver que nous avons suffisamment de volume. Je pense que c'est possible, mais il va falloir le prouver.
M. Broad : Je voudrais ajouter une chose. Les gens du CN disent : « Si nous allons demander 1,6 milliard de dollars au conseil d'administration pour le transport intermodal, il nous faut de bonnes prévisions ». Parfois, ils demandent à leurs clients quel sera leur volume d'activité dans un an, et les clients répondent qu'ils ne prévoient qu'une augmentation de 3 p. 100. En effet, ils craignent qu'en annonçant une augmentation de 10 p. 100, ils vont faire augmenter les tarifs. Je pense, à la décharge des chemins de fer, que la question se pose effectivement. Les compagnies doivent investir énormément et les prévisions pourraient sans doute être un peu plus exactes. Peut-être faudrait-il que les systèmes intelligents commencent à l'étranger, lorsque le fret quitte son lieu d'origine ou peut-être un mois plus tôt, de façon que l'on sache ce qui s'en vient.
Le sénateur Tkachuk : J'aimerais approfondir la question de Burlington Northern. Vancouver n'est pas bien loin de la frontière américaine ni de Seattle; on pourrait stimuler la concurrence en reliant la ville aux principaux réseaux américains de chemin de fer pour transporter les marchandises du Port de Vancouver vers l'Est. Est-ce qu'on le fait déjà, est-ce une possibilité? Nos compagnies de chemin de fer sont présentes aux États-Unis. Pourquoi faudrait-il craindre la présence des chemins de fer américains au Canada? Monsieur Crainic.
M. Crainic : Si je me souviens bien, BNSF a essayé de fusionner avec le CN il y a quelques années. Les deux compagnies circulaient partout, aussi bien au Canada qu'aux États-Unis. J'ai encore en mémoire les manchettes des grands journaux qui dénonçaient l'abandon du trafic canadien aux Américains. Je pense que si c'est la voie qu'on veut emprunter, il faudrait quelque chose de comparable à l'accord Ciels ouverts. Il faudrait une loi sur la liberté ferroviaire en Amérique du Nord, de façon que le fret puisse passer d'un pays à l'autre et que cette liberté s'applique partout, même lorsque les marchandises sont transportées par une compagnie différente de celle à qui elles ont été confiées.
Les Canadiens éprouvent certaines inquiétudes qu'il faudrait apaiser. Je ne suis peut-être pas assez nationaliste, mais j'imagine comment les journaux et les stations de télévision vont traiter le sujet. Par ailleurs, cette ligne de chemin de fer existe; ce n'est pas comme si on allait ouvrir tout grand le marché ferroviaire, car les compagnies américaines ont moins de liens entre elles. BNSF est une énorme compagnie très bien gérée, mais il lui serait difficile de transporter directement du fret jusqu'à Montréal. Elle devrait le confier à quelqu'un d'autre, et il faudrait donc examiner de près le réseau américain, car il n'est pas certain qu'il permette un bon acheminement vers l'Est. Les trains pourraient certainement arriver à Chicago, ce qui devrait déjà constituer un bon incitatif, mais les choses ne sont pas aussi simples qu'il y paraît.
M. Broad : Le volume de conteneurs transportés au Canada représente environ 8 p. 100 du volume de l'Amérique du Nord.
Le sénateur Tkachuk : Oui, je ne défends pas les intérêts des compagnies canadiennes. Pour moi, cela importe peu. Lorsque le client entre dans un magasin à Windsor, peu lui importe la compagnie de chemin de fer qui a apporté les marchandises, du moment qu'elles sont disponibles, n'est-ce pas?
En tout cas, il ne me reste plus qu'une question. Monsieur Cranic, vous avez dénoncé l'insuffisance des recherches consacrées par le gouvernement fédéral aux questions de transport. Étant donné que les transports sont liés au commerce, dont dépend l'existence des Canadiens, ainsi qu'à l'environnement et à d'autres questions, si vous deviez organiser la recherche, comment vous y prendriez-vous pour y faire participer davantage les universités, les intellectuels et les spécialistes? Où faudrait-il faire ces recherches et d'où devrait provenir le financement? Comment le système devrait-il fonctionner?
M. Crainic : Des chercheurs universitaires travaillent sur les questions de transport, mais le financement de cette recherche, comme celui qui provient du CRSNG, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, est davantage destiné à la recherche fondamentale. Évidemment, il n'y a jamais assez d'argent pour la recherche, mais il se fait effectivement de la recherche fondamentale. Ce qui nous manque, c'est la possibilité de réaliser un projet plus important, sur une plus grande échelle et qui réponde à un besoin stratégique ou à un besoin de plus grande portée.
Dans notre milieu, la moyenne des subventions accordées à des professeurs d'université est de 20 000 à 25 000 $ par an. Je vous rappelle qu'un étudiant en doctorat est rémunéré de 18 000 à 20 000 $ par an; par conséquent, ceux qui font de la recherche fondamentale ne sont jamais en mesure d'entreprendre de grands projets.
Si les grands projets doivent passer par des initiatives ponctuelles, ils n'ont une chance d'aboutir que si leurs responsables réussissent à échafauder des arrangements financiers complexes, car actuellement Transports Canada n'assume pas plus de la moitié du coût des projets. C'est peut-être suffisant pour l'industrie mais pour les universités, comment peuvent-elles financer l'autre moitié du projet? Je parle ici de projets stratégiques, des programmes stratégiques du CRSNG et des autres organismes. Pour eux, les transports n'existent pas.
J'estime d'une part que Transports Canada et le gouvernement du Canada devraient insister sur le fait que les transports constituent un secteur stratégique pour le Canada et que le trafic intermodal constitue dès maintenant et pour les années à venir une solution privilégiée pour améliorer les transports et favoriser l'industrie et le commerce au Canada. À notre avis, ce message n'est pas véritablement formulé ni suivi de mesures concrètes. On pourrait soit le confier à Transports Canada, par l'intermédiaire d'un programme de financement de la recherche, de centres de financement ou de projets bien définis, ou bien fixer des priorités et accorder des fonds, par exemple, au CRSNG en lui confiant la gestion d'un programme relativement indépendant. C'est également une formule acceptable, mais il faut tout d'abord un énoncé de vision qui devrait être suivi d'un financement.
L'avantage, si la gestion de la recherche passe du ministère au CRSNG, c'est que les programmes devraient être moins volatils et moins faciles à supprimer lorsque le ministre a besoin de récupérer 2 millions de dollars dans son budget, comme cela s'est produit la dernière fois.
Le sénateur Zimmer : Je vous remercie de vos interventions de ce matin. J'aime toujours revenir à Montréal, car je suis un partisan des Canadiens de Montréal. Ils ne font pas les éliminatoires cette année, mais je suis quand même content d'être ici.
Le sénateur Tkachuk a parlé du Port de Vancouver, et j'aimerais rester sur le même sujet. Pendant les audiences publiques que nous avons tenues à Vancouver en mars dernier, on a parlé au comité des problèmes d'insuffisance du service ferroviaire dans les terminaux à conteneurs depuis novembre dernier. Ils nous ont aussi parlé des intempéries et des déraillements. Dans quelle mesure le service s'en est-il trouvé affecté? Est-ce que Montréal dispose d'installations de manutention de conteneurs? Est-ce que le service à Montréal a souffert des intempéries et des déraillements comme à Vancouver?
M. Broad : Ici, l'hiver a été clément et la situation n'était pas aussi grave.
Le sénateur Zimmer : C'était un problème à Vancouver. On sait bien qu'il va y avoir un hiver chaque année et naturellement, la traversée des Prairies est difficile, mais est-ce la même chose ici? Même si l'on bénéficie parfois d'un hiver clément, est-ce que la situation évolue d'une année sur l'autre ou est-ce qu'elle reste stable?
M. Broad : Il est difficile de faire des comparaisons, parce que Vancouver est la porte d'accès du fret provenant de l'Asie, qui a connu une forte activité économique. Montréal dessert essentiellement l'Europe du Nord et la Méditerranée, dont les volumes ont été assez stables ces dernières années. On note une augmentation de 2 à 3 p. 100, et non pas de 10 à 25 p. 100 comme à Vancouver. L'activité est stable à Halifax : il n'y a pas eu d'augmentation l'année dernière. Les intempéries ont une incidence, mais les volumes ne sont pas comparables à ceux de Vancouver.
Il existe également peut-être d'autres solutions. Si on part de Montréal et qu'on se rend même à Chicago — mais plus probablement à Detroit ou Toronto — et qu'il y a un déraillement ou que le trafic est perturbé, on peut toujours transporter la marchandise par camion. Des entreprises telles que Ford et les autres constructeurs automobiles reçoivent de la marchandise d'Europe et la font généralement transporter par camion plutôt que par train.
Si quelque chose arrive, il existe des solutions, mais elles sont peu nombreuses dans l'Ouest. On ne peut pas envoyer d'équipe. Comme mon collègue du CN l'a dit, il est difficile d'envoyer une équipe au milieu des Prairies lorsqu'il fait moins 40 degrés Celsius pour réparer des équipements, descendre des conteneurs et les expédier par la route. C'est impossible. Après un déraillement, je pense que les deux compagnies de chemin de fer réussissent très bien à rétablir la situation et à se remettre dans la bonne voie, pour ainsi dire, aussitôt que possible.
Le sénateur Zimmer : La situation n'est pas aussi grave que dans l'Ouest?
M. Broad : Non.
Le sénateur Zimmer : On nous a donné un exemple. Lorsqu'un navire arrive au port, on demande une centaine de wagons, mais le train n'arrive pas en raison des conditions météorologiques, par exemple. Bien entendu, il faut alors embaucher des débardeurs et les rémunérer, mais le CN n'accepte aucune responsabilité. Évidemment, la gravité de la situation diffère lorsque les distances à parcourir ne sont pas les mêmes.
M. Broad : Oui, et il faut également tenir compte du fait que la population se plaint des chemins de fer, qui ont à leur tour des choses à redire au sujet des exploitants de terminal. Toutes sortes d'accusations sont lancées.
Le sénateur Zimmer : Nous en avons entendu parler. Nous l'avons vu lorsque nous y étions. Nous ne savions pas très bien qui accusait qui.
M. Broad : Comme d'habitude, le problème provient probablement un peu des deux parties.
Le sénateur Zimmer : Vous avez parlé des plans d'infrastructure. Des experts-conseils ont assuré l'administration du Port de Montréal que les plans d'infrastructure pour le fret conteneurisé répondront à l'avenir aux besoins. Bien entendu, c'est essentiel en raison des deux autres systèmes modaux. Croyez-vous que les industries de transport par camion et par train sont prêtes à investir suffisamment pour répondre aux exigences futures en matière de transport? Pensez-vous que ces industries sont prêtes à faire la même chose?
M. Crainic : Il faut tenter de lire l'avenir : on peut pratiquement dire que l'industrie du camionnage est toujours prête. À moins qu'il n'y ait d'importants changements, le transport par camion est actuellement peu coûteux et assez rentable, si on peut dire. Le problème, avec le transport par camion, c'est la disponibilité des camionneurs. Certains d'entre eux acceptent n'importe quelle marchandise, n'importe quand à presque n'importe quel prix, et il y en a même beaucoup qui acceptent des contrats à perte. Ils ne demandent pas le tarif dont ils auraient besoin pour survivre; donc le camionnage sera là.
Du point de vue d'un Montréalais, je crains presque qu'on ait trop recours à ce mode de transport. Dans une certaine mesure, je crois que l'Amérique du Nord utilise trop le transport par camion pour parcourir des distances trop longues pour les camions. Les compagnies de chemin de fer vont offrir davantage de services si elles croient pouvoir faire circuler leurs trains de façon constante. J'ai parlé à des représentants du CN et ils ont clairement choisi de toujours offrir des services à pleine capacité.
Pour ce qui est du trafic intermodal, le système de réservations préalables existe pour tous les types de trafic, sauf les importations. Lorsqu'on examine la fréquence du service, lorsqu'il n'y a qu'un train par jour — à Montréal ça signifie deux trains parce qu'il y en a un qui vient d'Halifax et un autre qui part de Montréal — et pour veiller à ce que les trains soient pleins, les compagnies n'offrent pas de service supplémentaire à moins d'être certaines de pouvoir remplir les trains chaque jour, toute l'année.
Elles investiront si nous pouvons leur démontrer qu'il y aura suffisamment de trafic. Elles n'investiront pas en raison d'une pointe possible, tout comme elles n'enverront pas un train supplémentaire au terminal Deltaport en raison de tempêtes, même s'il y a trois navires qui attendent devant le terminal. Elles ne le feront pas, parce que ni le terminal, ni les entreprises d'expédition, ni les consommateurs n'assumeront les coûts supplémentaires.
Comme je l'ai dit, il faut savoir que ce qui est bon pour un l'est aussi pour l'autre. Quelqu'un doit assumer les coûts. D'une façon ou d'une autre, c'est nous, la population, que ce soit comme actionnaires ou comme clients chez Rona ou chez Loblaws, qui finirons par payer; mais quelqu'un doit commencer par payer pour ces choses. Par ailleurs, pour envoyer un train supplémentaire, il faut avoir le train, les locomotives, les employés et les wagons. Ce n'est pas aussi facile que d'envoyer un camion supplémentaire.
C'est la même chose dans le cas des compagnies aériennes. Si vous avez déjà été coincé dans un aéroport, même à Montréal, vous vous êtes sans doute demandé pourquoi Air Canada n'envoie pas un autre avion alors qu'il y en avait un juste là? C'est exactement pour la même raison : quelqu'un doit défrayer les coûts et il faut pouvoir ramener l'appareil. À moins que nous trouvions une façon de résoudre ces problèmes économiques — et je n'ai pas non plus de baguette magique — la capacité n'augmentera pas.
Le sénateur Zimmer : Des représentants du Port de Montréal ont dit aux membres du comité que le gouvernement fédéral devrait mobiliser ses efforts afin de créer des infrastructures de transport. Selon vous, les fonds du gouvernement fédéral devraient-ils être investis dans les infrastructures liées au transport par camion ou par train, comme pour les sauts-de-mouton; de plus, quels investissements précis recommanderiez-vous?
M. Crainic : Selon moi, il faut investir dans une politique nationale. Si nous commençons par nous doter d'une politique nationale du transport, puis d'une vision à long terme, les investissements devraient appuyer cette vision. Ce n'est pas ce que nous avons à l'heure actuelle. Du point de vue du développement durable, nous aimerions bien entendu appuyer autant que possible des solutions moins nocives pour l'environnement. Par conséquent, il faudrait examiner la situation et, éventuellement, tenter de faire la promotion du transport par train, et même du cabotage, pour mettre des conteneurs dans des navires de Montréal et les envoyer à Toronto, ou même à Chicago ou Detroit, si ce n'est pas une question de temps. Ça dépend du type de marchandises. Par contre, je ne crois pas que les automobiles et les camions vont disparaître dans un avenir prévisible — je ne veux pas me débarrasser de ma voiture — alors il ne faut pas pénaliser indûment l'industrie du camionnage non plus.
À Montréal, la question est de savoir si le port doit rester où il est, ou s'il faut le déménager. Dans le dernier cas, les compagnies de chemin de fer devront réaliser des investissements massifs, parce qu'elles devront déplacer des voies ferrées, et je ne crois pas qu'elles le feront seules. Si on prend la décision de déplacer le port, il faudra de l'argent, d'une façon ou d'une autre. Comment et quand, je ne le sais pas. De toute façon, ce que je veux dire, c'est qu'il faut que nous ayons une vision pour le développement à moyen et à long terme du système de transport au Canada, ainsi que les fonds et l'argent nécessaires.
M. Broad : Il y a quelques années, j'ai dû répondre à cette question devant le comité des finances et Monte Solberg m'a mis en pièces parce que je n'ai pas répondu adéquatement.
Le sénateur Zimmer : Je ne ferai pas cela.
M. Broad : Si vous demandez à 20 personnes, des représentants de l'industrie des ports, des chemins de fer, du camionnage, de l'entreposage, ou autres, où ils investiraient, vous obtiendriez probablement 20 réponses différentes. Beaucoup diraient qu'elles ne le savent même pas. Vancouver a eu un problème. Les conteneurs revenaient. On a pu cerner les problèmes d'infrastructure. Après quelque temps, on a réuni les gens — les compagnies de chemin de fer, les exploitants de terminal, la municipalité, les gouvernements provinciaux, les entreprises de camionnage et les membres du conseil de la porte d'entrée — et ils ont trouvé une vision. C'était au début du projet de la porte d'entrée, que M. Lapierre avait entrepris au sein du gouvernement précédent. Il y avait un problème, et il a pu être identifié.
Ici, les choses avancent assez bien. Il n'y a pas trop de retards. Les gens reçoivent leurs marchandises. Il y a parfois des retards causés par les conditions météorologiques. Selon moi, avant de commencer à dépenser beaucoup d'argent — et je suis d'accord avec M. Crainic là-dessus — il faut qu'il y ait une vision à long terme et de réelles orientations afin de ne pas injecter de l'argent dans ce qui n'est peut-être pas nécessaire. Il faut être prudent.
M. Crainic : Laissez-moi ajouter un bref commentaire. Du point de vue du développement urbain, il pourrait être avantageux de déplacer le Port de Montréal. Si on examine la croissance de la ville de Montréal et la question urbaine, on peut se dire : « Déplaçons le port »; mais il s'agit alors d'une motivation différente. Je n'entrerai pas dans les détails de la politique municipale maintenant — je ne sais pas si vous souhaitiez en parler.
Le sénateur Zimmer : En parlant des gouvernements et des politiques et règlements fédéraux, quels règlements ou politiques fédéraux — par exemple, dans les domaines douaniers, fiscaux et opérationnels — touchent le plus l'efficacité, la compétitivité et la capacité de vos activités de transport de conteneurs, et quels changements à ces politiques ou règlements aideraient votre entreprise à devenir plus efficace et efficiente?
M. Broad : Tous. Les politiques en matière de sûreté et d'environnement sont nécessaires, comme je l'ai déjà dit, et nous ne pouvons pas les sacrifier. Mais je crois, en général, que si les organismes gouvernementaux travaillaient en plus étroite collaboration et identifiaient les domaines nécessaires, nous pourrions probablement augmenter l'efficacité du système, surtout pour ce qui est des rapports et des inspections de navires.
Il y a 18 ministères qui inspectent un navire — peut-être pas 18, mais plusieurs. L'ASFC interrompt le chargement et le déchargement des navires parce qu'elle croit que quelqu'un est à bord. Elle pourrait faire son travail pendant que les activités continuent sur le bateau, mais elle ne le fait pas. Elle interrompt tout le travail, et pour un navire qui coûte entre 35 000 et 40 000 $ par jour, ça fait mal. Je crois que ce sont des incidents isolés, et je crois que le marché rétablit habituellement lui-même la situation.
Le sénateur Merchant : Hier, nous avons entendu les témoignages de gens frustrés, et même en colère : l'Association du camionnage du Québec et une entreprise de transport. Vous avez parlé ce matin de transport par camion. Ces gens ont l'impression d'être mal traités lorsqu'ils attendent dans un port, puisqu'ils ne disposent pas d'un système de soutien et qu'ils ne figurent sur l'écran radar de personne.
Pourquoi la situation est-elle si grave et pourquoi sont-elles si frustrées? Je pourrais vous faire part de certains de leurs commentaires, mais j'aimerais d'abord entendre ce que vous avez à dire. Pourquoi sont-ils si frustrés?
M. Crainic : Je ne sais pas exactement d'où vient cette frustration, mais je sais qu'ils sont en colère ces jours-ci parce qu'ils croient que l'industrie du camionnage est pointée du doigt par tout le monde en raison des questions liées à l'environnement et au développement durable. Ils s'énervent donc facilement, peu importe ce qui arrive.
La dernière fois que je me suis rendu au Port de Montréal, si je me souviens bien, j'ai vu que les camionneurs ont beaucoup de temps pour venir prendre leurs conteneurs et, lorsqu'ils arrivent, ils doivent attendre longtemps. Il n'y a aucune coordination, si on veut, entre la gestion des piles de conteneurs dans la cour et le moment où les camions arrivent.
Dans les ports des autres pays, et même à Vancouver je crois, il existe des façons de préciser le créneau des camionneurs. Il faut alors gérer de façon plus efficace les piles de conteneurs du terminal, sur le terrain et dans le système d'information. Il faut donc que les deux industries travaillent en collaboration, s'assurent d'être intégrées et se communiquent des renseignements intelligents.
Ce serait possible. Les deux parties devraient peut-être réaliser des investissements pour l'achat d'équipement et la formation des employés. Les exploitants de ports ou de terminaux ou les propriétaires seraient-ils intéressés si personne ne faisait pression? Sinon, ils doivent se contenter de ce qu'ils ont. On peut dire que les camionneurs n'ont pas le même poids que les compagnies de chemin de fer. Même que si on parle du CN aux représentants du Port de Montréal, ils diront : « Ils nous donnent les wagons qu'ils veulent bien, et non les wagons dont nous avons besoin. » Ils disent que la situation est bien meilleure à Halifax parce que nous gérons le trafic. Ils disent qu'ils ont beaucoup plus de pouvoir que les camionneurs. Je crois donc que c'est pour cette raison que les camionneurs sont si en colère. Il y a des façons de faciliter les choses. Je ne sais pas si nous pourrons régler tous les problèmes, mais ce serait tout de même possible.
M. Broad : Vous ont-ils donné la durée moyenne des retards par semaine et le nombre de mois où il y a eu des retards? Vous ont-ils donné des chiffres?
Le sénateur Merchant : Je ne crois pas qu'ils nous aient fourni de chiffres, mais ils ont parlé des retards. Ils ont dit que personne n'investissait d'argent pour les aider. Je pense qu'ils ont dit qu'ils sont 240 000. Ils nous ont dit combien il y a de camionneurs. Ils constituent un gros groupe, mais leurs voix ne sont pas entendues. On ne fait pas attention à eux. Pour ce qui est de l'environnement, ils n'ont pas l'impression de contribuer à la pollution. Ils ont parlé des systèmes en place à l'heure actuelle pour veiller à ce qu'ils ne soient pas des pollueurs. Je n'en suis pas certaine, mais je crois qu'ils ont dit qu'ils sont encore meilleurs que les trains.
Ils sont aussi terriblement contrariés par le fait qu'il leur faut sept jours pour travailler 60 heures. De plus, ils sont frustrés en raison des obstacles interprovinciaux et du fait qu'il n'y a pas de libre-échange au Canada. Selon vous, que peut faire le gouvernement fédéral pour apaiser ces frustrations?
M. Crainic : Je ne vais pas m'attarder sur la question de l'environnement. C'est ce qu'ils ont dit. Je ne suis pas certain qu'ils aient raison, mais c'est une autre histoire. Ils peuvent avoir une influence considérable sur les ministres provinciaux des Transports; ça, j'en suis sûr. On les entend très bien. Ils sont très nombreux, c'est vrai, et dans le monde du transport, ils sont très véhéments.
C'est vrai que nous n'avons pas de libre-échange au Canada. Par contre, il n'y a pas de douanes aux frontières provinciales; mais nous n'avons pas le même libre-échange qu'en Europe. C'est certain. Il s'agit autant d'une question qui touche le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux, ce qui nous ramène à notre bonne vieille distraction canadienne, la collaboration fédérale-provinciale, si on peut dire.
Nous aimerions voir moins d'obstacles, mais encore une fois, nous pouvons nous consoler en jetant un coup d'œil aux États-Unis, parce que la situation là-bas n'est pas plus rose. Certains règlements des syndicats forcent même les camionneurs à emprunter certaines routes intéressantes. Les règlements ne sont pas les mêmes dans l'Est et dans l'Ouest.
Il est possible d'agir. Comme je l'ai dit, je ne suis pas certain que nous pourrions camionner les marchandises de Montréal à Vancouver. Je préférerais charger ces camions sur un train et avoir un camionneur qui prendrait le relais à l'autre bout de la ligne, si nous avons suffisamment de navettes ferroviaires pour ce faire. Selon moi, ce serait beaucoup mieux pour le bien commun. Il est vrai que le nombre d'heures de conduite et les règlements sont stricts, mais ils le sont moins ici qu'aux États-Unis. Lorsque les camionneurs franchissent la frontière, ils ne peuvent conduire que huit heures par jour, soit deux heures de moins qu'ici. Encore une fois, comme on dit, il faut prendre ça avec un grain de sel.
Parfois, ils n'ont pas tout à fait tort. Leurs arguments sont valables. Il est évident que l'industrie du camionnage est vitale au Canada. Il faut régler certains problèmes, mais comme les autres industries, elle fait pression et fait entendre sa voix, de sorte que c'est agréable à entendre, mais il faut se poser des questions.
[Français]
Mme Legars : J'aimerais poursuivre sur le dossier des camionneurs. En fait, c'est la politique environnementale qui aidera les camionneurs à réduire les temps d'attente dans les terminaux. Il y a de plus en plus de terminaux et de ports qui incluent dans leur politique environnementale, le développement de procédures de prise de rendez-vous ou l'implantation de meilleures horaires des camionneurs au port pour éviter le temps d'attente aux barrières. Donc, on peut dire que la politique environnementale des ports et des terminaux sera sans doute un levier dans la résolution de ce problème.
[Traduction]
De plus, du point de vue du transport océanique, nous savons que le camionnage est une partie importante de la chaîne de transport intermodal. Ces dernières années, les principales perturbations dont nous avons été victimes ont été causées par des grèves des camionneurs — il y en a eu une au Port de Montréal en 2000, une à Burlington, en Ontario, et une dans le Port de Vancouver — et chacune de ces grèves a perturbé les activités.
Au Québec, il y a environ sept ans, il y avait une loi qui visait à ramener les camionneurs au travail. Au même moment, le gouvernement du Québec a créé une sorte de forum permanent auquel participent les camionneurs; ce forum vise à aider les camionneurs, à résoudre leurs problèmes et à améliorer les contrats. Nous avons beaucoup apprécié la façon dont la situation a été réglée. Grâce à un forum où les gens peuvent soulever leurs préoccupations, on peut prévenir une situation dans laquelle les gens sont acculés au pied du mur et n'ont d'autre choix que de débrayer ou de perturber la chaîne de transport intermodal.
Selon moi, c'était une bonne façon de s'attaquer au problème. Dans le secteur, nous croyons qu'il est tout à fait normal que chaque maillon d'une chaîne modale soit en mesure de toucher un salaire décent, afin que la chaîne fonctionne bien et que nous ne soyons pas surpris par des perturbations lorsqu'un maillon de la chaîne n'est pas en mesure de toucher un salaire décent.
Selon moi, il faut agir collectivement, d'une façon ou d'une autre, pour veiller à ce que tous puissent gagner leur vie convenablement. Toutefois, je pense également que l'efficacité aux points d'entrée peut être grandement améliorée. Il s'agit certainement d'une question qui devrait être réglée à la porte et au terminal.
Le sénateur Tkachuk : C'est le marché qui influence le plus les camionneurs. Autrement dit, nous ne pouvons garantir une rémunération décente à tout le monde. Ceux qui gagnent leur vie convenablement survivent dans le marché. Leurs activités sont plus efficaces que celles des compagnies de chemin de fer parce qu'un grand nombre de camionneurs entrent sur le marché; c'est ce que nous aimerions voir dans le système de chemin de fer : de la concurrence.
Il faut trouver une façon d'en faire la promotion. Vous avez dit qu'il serait préférable de privilégier le transport ferroviaire au Canada, mais les compagnies de chemins de fer ne le font de toute évidence pas, et c'est pourquoi on a recours au camionnage. Les gens ne veulent pas nécessairement avoir recours à un camion. Ils se demandent simplement quelle est la meilleure façon d'envoyer un produit de Vancouver à Winnipeg ou Montréal. Ils choisissent le transport par camion, parce que c'est leur seule option : parce que quelqu'un est assis à ne rien faire, par exemple.
Les camionneurs qui ont comparu devant le comité ont dit, en général, qu'on ne les respectait pas. C'est ce qu'ils ont dit et je pense qu'ils ont en grande partie raison. Nous les blâmons souvent, mais je sais que lorsque je veux transporter quelque chose, je téléphone à une entreprise de camionnage. Le camionneur arrive, prend tous mes meubles, par exemple, et les transporte. Je ne peux pas m'adresser à une compagnie de chemin de fer pour faire cela. Ce ne serait pas possible.
M. Crainic : Vous pourriez le faire, mais on vous enverrait un camion.
Le sénateur Tkachuk : Exactement, vous avez raison.
M. Crainic : Il faut comprendre que les trains et les camions sont deux systèmes de transport fondamentalement différents. Par définition, les compagnies de chemin de fer ne peuvent jamais vous envoyer un wagon et l'envoyer immédiatement où vous voulez. L'industrie ne fonctionne pas ainsi. L'industrie se concentre sur la consolidation et la construction de ces longs convois, et sur le voyage efficace sur de longues distances.
Si on souhaite que le transport de marchandises se fasse davantage par transferts modaux, il faut changer l'environnement économique de sorte que, même si c'est plus long par train, ça coûte moins cher ou c'est plus intéressant. Il s'est déjà agi d'une politique. C'est pourquoi j'ai parlé de la Communauté européenne. Elle publie régulièrement des livres blancs sur le transport et dispose d'une politique afin de favoriser le transport par train grâce à des instruments stratégiques, dont certains sont liés à l'efficacité des infrastructures et d'autres portent sur la taxation. Personne ne veut parler de taxation, c'est un terme à éviter, mais s'il y avait une taxe environnementale sur le transport, et qu'il fallait payer pendant que l'on conduit, pour la durée et la façon dont on conduit, alors les choses changeraient. Je ne sais pas si le pays est prêt à discuter de cela, mais il faudra finir par le faire.
Le sénateur Merchant : J'ai une question qui pourrait intéresser tous les membres du comité. Peut-être faudrait-il que nous nous rendions ailleurs qu'à Montréal, Halifax et Vancouver pour découvrir des pratiques exemplaires et voir comment les autres pays mènent leurs activités. Selon vous, le comité pourrait-il tirer des avantages du fait de regarder un peu plus...
M. Crainic : Il est toujours avantageux de voyager. Certains ports ont de bonnes pratiques, bien entendu. Il faut comprendre que les ports canadiens de la taille de terminaux à conteneurs mondiaux figurent à un certain niveau et qu'il y a aussi d'immenses ports comme ceux de Roterdam, de Hambourg, de Singapour et de Hong Kong. Si vous souhaitez voir une manutention efficace, vous pouvez aller à Singapour, à Hong Kong ou même à Rotterdam. Leur taille justifie des investissements qui ne seraient peut-être pas justifiés par notre volume.
Examiner des ports dont la taille se rapproche davantage des nôtres et qui sont en concurrence plus directe, tant sur la côte Est que sur la côte Ouest, serait probablement moins prestigieux, mais ce serait plus utile que d'aller dans ces immenses ports dont les besoins sont différents des nôtres.
M. Broad : Et où la main-d'œuvre est meilleur marché.
M. Crainic : La main-d'œuvre est meilleur marché, oui, mais ils ont des terminaux entièrement automatisés où les conteneurs sont entreposés pendant moins de 24 heures, à Hong Kong, par exemple. Ces terminaux fonctionnent comme le service des bagages de l'aéroport — plus efficacement, en fait — de sorte qu'il faut des investissements massifs. Les camions ont 15 minutes pour entrer dans le port; toute cette technologie est moderne.
Le sénateur Merchant : Les camionneurs qui ont comparu hier ont parlé de Rotterdam, mais s'il existe d'autres ports en Amérique du Nord que nous pourrions étudier, qui figurent au même niveau que les ports canadiens...
La présidente : Il faut demander le budget.
Le sénateur Merchant : Demander le budget... oh, non, je vous laisse le soin de faire cela.
[Français]
Le sénateur Dawson : Le message reçu dans l'Ouest canadien est celui de l'absence d'une politique de transport.
J'étais ici il y a 25 ans et cela fait longtemps qu'on n'a pas parlé d'une façon globale du transport au Canada. Cela méritera certainement une attention de la part du présent comité lors de nos recommandations, parce que vos griefs sont les mêmes que tout le monde.
D'ailleurs le pointage du doigt, comme vous avez dit tout à l'heure, c'est surprenant, comment c'est efficace. Parce que, si on écoutait les dires de tout le monde, ce serait difficile de penser qu'un produit peut aller du point A au point B. Mais cela finit par fonctionner.
Je vous comprends, monsieur Broad, quand vous parlez de silos. Je veux revenir à un commentaire que vous avez fait au début concernant « the Atlantic Gateway and the Eastern Gateway ». C'est évident que la raison pour laquelle on va en avoir deux, c'est parce que le ministère des Transports est divisé en Eastern et Atlantic. Tandis que pour les besoins du marché, les besoins des ports, les besoins des clients, les besoins des importateurs et des exportateurs, on devrait être en train de regarder un « gateway » pour l'Est.
Nous sommes allés hier au Port de Montréal, et quand le Port de Montréal regarde les bateaux, il ne regarde pas quand ils traversent la frontière du Québec et des Maritimes. Il regarde le bateau à partir du moment où il rentre dans le bassin du Golfe et ils veulent planifier le moment où il reviendra. Lors de notre visite dans l'Ouest, nous avons vu l'efficacité d'une bonne coordination de la part des utilisateurs, de tous les participants par le « gateway » ou une table ronde facilitant la communication et l'échange de l'information.
Pensez-vous qu'on devrait insister pour une seule porte d'entrée, ou est-ce qu'on laisse aller la bête pour en avoir plusieurs? Au moment où on se parle, au lieu d'avoir douze ports dans l'est du Québec, on va avoir deux entités de portail qui vont peut-être se bâtir autant de murs que le Québec avec l'Ontario au niveau du transport par camions.
[Traduction]
Le sénateur Broad : Non.
Le sénateur Dawson : La question était un peu biaisée.
M. Broad : Non, ça va. Vous soulevez un argument valable; le transport dans les ports au pays tourne autour des exportateurs et des importateurs. C'est eux que nous servons. Certaines personnes posent peut-être des questions au sujet du transport et de ce qu'ils voient. Je suis certain que vous en avez déjà rencontrées. Pour ce qui est de la porte d'entrée dans l'Est canadien, nous avons des problèmes de concurrence à l'heure actuelle parce que les exploitants du terminal de Montréal ne sont pas les mêmes que les exploitants du terminal à Halifax, de sorte qu'ils peuvent entrer en concurrence pour la marchandise, les navires, et cetera.
C'est un des problèmes. Il y a aussi que les marchés sont différents. Halifax dessert davantage l'Asie et l'Asie du Sud-Est, et Montréal dessert surtout l'Europe du Nord et la Méditerranée. Ce sont des opérations différentes. Les navires qui font escale à Halifax descendent tout le long de la côte est des États-Unis et continuent de sorte qu'ils déchargent certains conteneurs et en embarquent d'autres.
À Montréal, les navires déchargent tous les conteneurs et embarquent un tout nouveau chargement. Je pense que Montréal est déjà une porte d'entrée. Je suis sûr que Dominic Taddeo, de l'Administration portuaire de Montréal, dit que Montréal est une porte d'entrée depuis environ 40 ans, mais je pense qu'il y a un certain nombre de portes d'entrée. Je suppose qu'Halifax est le terminal portuaire à conteneurs du Canada atlantique et il y a une porte d'entrée à Montréal. C'est une bonne base et peut-être qu'un jour on pourra réaliser des économies, mais je pense qu'au départ, avant de commencer à distribuer l'argent, il faut les examiner séparément.
Pour ce qui est de l'avenir, vous avez raison. Si c'est dans l'intérêt des importateurs et des exportateurs canadiens, c'est ce qu'il faudra faire. C'est la seule et unique raison pour laquelle nous sommes tous ici.
[Français]
Le sénateur Dawson : Professeur Crainic.
M. Crainic : Oui, en fait, d'un point de vue systémique et avec le recul d'un professeur, il apparaît assez clair qu'on peut avoir un meilleur service, si on a une coordination des ports majeurs et des transporteurs dans l'Est du pays.
C'est clair qu'il y a de la compétition entre certains terminaux. Il y a aussi des questions politiques. Ce n'est peut-être pas évident qu'immédiatement, pour toutes les provinces de l'Est, que le Québec et les Maritimes seront en accord pour avoir une seule porte. D'un ministère à l'autre, on entend différents sons de cloche. Alors, ce n'est pas sûr que d'encourager une seule organisation tout de suite, serait profitable et porteur de résultats. Pour l'instant, il vaudrait mieux encourager une plus grande coopération entre les différents partenaires, modes de transport et terminaux, à l'intérieur même de chacune de ces entités. On doit aussi insister pour que ces deux entités se parlent et qu'elles échangent éventuellement l'information pour arriver, peut-être, à une intégration. Mais d'un point de vue systémique, ma réponse est oui. D'un point de vue pratique et politique, à court terme, moi j'ai des doutes que cela pourra se réaliser. Si on met trop d'efforts, cela veut dire qu'on en mettra moins sur les autres. Donc, peut-être qu'en fin de compte on n'arrivera pas à faire avancer la situation.
[Traduction]
Le sénateur Eyton : Je m'excuse de mon retard. Je n'ai pas entendu votre exposé préliminaire, mais je me lance quand même. J'aimerais enchaîner sur le même thème que le sénateur Dawson.
Il me semble, du moins du point de vue fédéral, et je pense aussi du point de vue des affaires, que nous devrions chercher à créer un corridor de transport des marchandises intégré à l'échelle nationale et très performant avec des sous-ensembles vers les États-Unis : vers Chicago, Kansas City et d'autres endroits de transbordement. Il me semble que cela devrait être évident. Lors de nos visites sur la côte Ouest, nous avons pu constater qu'ils ont le vent dans les voiles, qu'il y a beaucoup d'activités et qu'ils sont optimistes.
Bien sûr, leur problème est lié au volume d'activités mais, d'après ce qu'on m'a dit, il y a une bonne collaboration entre le port de Vancouver, qui a trois secteurs d'activité différents, et Prince Rupert. Ils travaillent ensemble, et ont demandé d'une même voix des améliorations à l'infrastructure qui les aideraient, mais ils voulaient parler d'un corridor national de transport des marchandises.
Même Saskatoon était représentée et voulait faire partie du corridor national. À première vue, cela peut sembler improbable, mais c'est logique. J'ai l'impression que dans l'Est, Montréal veut suivre sa propre voie, tout comme la Ville de Québec et d'autres ports qui sont peut-être concurrentiels. Halifax peut élaborer sa propre stratégie et sa situation semble différente.
Je sais que vous avez parlé d'une porte d'entrée dans l'Est, mais je pense que cela ne suscite pas encore beaucoup d'intérêt. J'ai du mal à comprendre pourquoi ce que je qualifierais de formule d'affaires gagnante comme celle que j'ai essayé de décrire au début de mon intervention, et pourquoi le progrès évident réalisé dans la région de l'Asie-Pacifique ou dans les portes d'entrée de l'Ouest, pourquoi ce progrès ne peut pas servir d'exemple pour Montréal, Halifax et d'autres ports, des ports en développement, en Nouvelle-Écosse, au Québec et peut-être même au Nouveau-Brunswick. Qu'en pensez-vous?
M. Broad : Je pense que cela dépend beaucoup des intérêts locaux. Les administrations municipales, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral ont tous un rôle à jouer dans la porte d'entrée du grand Vancouver.
Je pense que c'est vrai aussi dans l'Est. Il y a le gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral, l'administration de Montréal, l'administration de la Ville de Québec de sorte que l'idée d'avoir une seule porte d'entrée, particulièrement au début, n'est pas pratique. Les préoccupations environnementales ne sont pas les mêmes dans le Canada atlantique et à Montréal, les gouvernements sont différents, et je pense donc qu'il serait difficile, particulièrement au début, de désigner une porte d'entrée qui ferait l'affaire de tout le monde. Je pense qu'étant donné le nombre de personnes qui ont leur mot à dire...
Le sénateur Eyton : Est-ce que le gouvernement fédéral pourrait légitimement dire : « Nous avons une vision que nous allons réaliser en fournissant de l'argent pour l'infrastructure »? Je pense que les ports sont dans l'ensemble en assez bon état, mais pour ce qui est de l'infrastructure de soutien, est-ce que le gouvernement fédéral pourrait intervenir en disant : « Écoutez, nous avons une vision que vous pouvez nous aider à réaliser, si vous le souhaitez, et nous vous fournirons de l'argent et certains privilèges »?
M. Crainic : Si vous le permettez, j'aimerais revenir à quelque chose que vous avez dit tout à l'heure, parce que c'est important, c'est-à-dire que sur la côte Ouest il y avait un marché et un énorme problème. Sur la côte Est, il y a plusieurs marchés et un problème qui n'est pas encore trop grave. La croissance n'est peut-être pas aussi grande qu'on l'aurait souhaité — en fait, il n'y a aucune croissance à Halifax — et les navires de ligne qui utilisent les ports à l'heure actuelle séparent, en quelque sorte, les marchandises selon leur provenance et il y a une capacité suffisante pour le niveau d'activités. D'une certaine façon, nous parlons de la possibilité d'accroître notre capacité afin d'attirer des navires : essayer de convaincre les gens qu'ils devraient faire quelque chose pour que l'avenir soit meilleur. C'est difficile de convaincre les particuliers, les entreprises et les institutions, malheureusement.
L'idée de corridors est importante et le moyen de faire avancer les choses dans l'Est serait peut-être d'élaborer une stratégie pour la mise en place de corridors coordonnés entre ici et le reste du continent, là où nous pouvons compter sur une collaboration. Au début, cela pourrait être axé sur une porte d'entrée du Saint-Laurent et du Québec et une autre dans les Maritimes, qui serait reliée d'une manière ou d'une autre par un corridor afin d'attirer autant de marchandises que possible et les transporter vers l'intérieur du continent.
Ensuite, le gouvernement fédéral peut élaborer une politique nationale sur les corridors, appuyée par des systèmes intermodaux intelligents, et établir des mécanismes pour encourager et faciliter le développement dans ce domaine.
Le sénateur Eyton : J'aimerais faire une observation. Les chemins de fer mesurent leur rendement essentiellement au moyen de ratios d'exploitation, particulièrement depuis que le CN a été privatisé et que le CP est devenu une entreprise autonome. En général, les rations d'exploitation expriment, je crois, le coût en pourcentage du coût d'exploitation. Bien sûr, dès qu'ils appliquent ce ratio, cela veut dire : « Vous devez être sûrs et certains d'avoir le coût le plus faible et le revenu le plus élevé », et cela se traduit par un trafic dans les deux sens.
Maintenant, je ne suis pas sûr de ce qu'est la situation ici dans l'Est, je pense que les échanges sont probablement plus équilibrés, quoique vous ayez mentionné tout à l'heure que nous n'exportons pas encore assez et que nous importons trop de sorte qu'il y a une disparité ici et une disparité très importante sur la côte Ouest.
Des témoins nous ont dit que les chemins de fer ont un vrai problème en raison du climat, des accidents, des glissements de terrain et des séismes et de bien d'autres forces externes qui font qu'il est difficile pour eux de fournir le service que les expéditeurs souhaitent.
J'ai l'impression que le ratio d'exploitation a au moins cet effet et peut être encore plus puisqu'il illustre le fait qu'à défaut d'un trafic dans les deux sens il y aura un déséquilibre qui créera un problème.
Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez. D'après vous, que pourrait faire le gouvernement fédéral pour essayer de redresser ce déséquilibre en ce qui concerne les wagons?
M. Crainic : Permettez-moi de faire une observation générale. Il y a toujours un déséquilibre dans le commerce quelque part. Il est difficile de trouver deux endroits au monde qui ont une relation commerciale parfaitement équilibrée. Le commerce mondial est déséquilibré; le commerce local est déséquilibré.
L'une des grandes difficultés, c'est de ne pas avoir suffisamment de moyens de transport pour déplacer la marchandise. D'une certaine façon, c'est encore pire pour les chemins de fer qui sont captifs des rails. Un camion peut emprunter une route différente, un avion peut monter ou descendre, un navire a tout l'océan, ils peuvent modifier leur trajectoire ou changer de route au besoin. Les trains circulent sur les rails et ne peuvent pas aller ailleurs. Lorsqu'on a conduit la locomotive et les wagons à un endroit, il faut pouvoir en repartir. Si on envoie cinq trains par jour à partir des terminaux de Vancouver et qu'ils aboutissent en quelque part à Chicago, qu'est-ce que vous en faites? Ils sont vides, il faut les ramener vides et cela coûte trop cher.
Le fait est que ce sont des entreprises privées, comme vous le disiez. Elles ont des actionnaires et leurs actions se négocient. De nos jours, l'économie est axée sur les gains à court terme dans tous les secteurs, même au prix du développement à long terme. Il est tout à fait impossible de dire à une société privée qui doit rendre compte à ses actionnaires qu'elle doit fonctionner de manière à ce que ses coûts augmentent alors que le cours de ses actions diminue, simplement parce que quelqu'un d'autre doit devenir plus efficace.
Je reconnais que les entreprises essaient de réduire le coût de leurs activités et, en fait, c'est la raison pour laquelle elles n'offriront pas de services à moins d'être pratiquement assurées de fonctionner sans cesse à pleine capacité, sans quoi le ratio sera mauvais. C'est ainsi qu'on les juge. On les juge d'après l'environnement extérieur, par les bourses à New York et Toronto, par l'analyse de l'économie, et c'est ainsi qu'elles réussissent ou disparaissent.
La réponse est peut-être oui, mais je ne vois pas quel recours existe, à moins que quelqu'un veuille nationaliser le transport ferroviaire et l'exploiter comme service public qui perd de l'argent, comme le transport en commun. C'est très bien, on peut en faire une politique, mais alors on modifie complètement l'environnement.
Nous exploitons certains chemins de fer comme des services publics mais c'est une tout autre affaire, et tant que les chemins de fer seront des entreprises privées dont l'objectif est de réaliser des bénéfices, la seule chose que nous puissions faire, c'est d'amener les gens et les entreprises à se parler afin de mieux organiser leurs activités. Imposer une modification du ratio ne changera rien aux activités.
Le sénateur Eyton : Je pense que je pourrais accepter cette observation si le marché était véritablement concurrentiel. Cependant, là où il y a une seule compagnie de chemin de fer — et il y a de nombreux endroits où il y a une seule desserte — et si elle juge qu'elle n'est pas vraiment concurrentielle, je pense que cela m'inquiéterait.
Vous avez parlé des actionnaires et, bien entendu, le gouvernement fédéral doit rendre des comptes à tous les citoyens du pays et je ne suis donc pas sûr que votre raisonnement s'applique dans les cas où le marché n'est pas vraiment concurrentiel.
M. Crainic : Il y a une réponse partielle, mais je ne sais pas dans quelle mesure elle pourrait s'appliquer au Canada, puisque personne n'a examiné la question. L'Europe a séparé la propriété des camions de la gestion des trains. Elle pouvait se permettre de faire cela parce qu'en Europe, les chemins de fer appartiennent encore entièrement à l'État. Afin d'accroître la compétitivité, les Européens ont dit : « Eh bien, quelqu'un gère les camions et tous les autres qui exploitent des trains doivent les payer afin de pouvoir les utiliser ». Cela veut dire que n'importe qui peut offrir des services et, en effet, nous constatons la création de réseaux ou de services de navettes exploités par d'autres compagnies que les compagnies traditionnelles et qui se lancent sur les marchés lucratifs, bien entendu, ce qui a pour effet d'accroître la concurrence.
Je ne sais pas jusqu'où nous pouvons aller, mais à l'heure actuelle le CP et le CN sont propriétaires des camions et des trains qu'ils exploitent. Même VIA Rail doit payer pour utiliser les camions du CN. C'est peut-être une solution, mais cela aussi suppose une modification en profondeur de l'organisation du secteur des transports au Canada.
Le sénateur Eyton : Cela a donné d'excellents résultats dans le secteur des télécommunications où, en fait, il n'y avait auparavant qu'une seule entreprise alors qu'aujourd'hui il y a de nombreux choix.
M. Broad : Oui, et, en fait, il y a deux ou trois ans, il y a eu un projet de loi qui aurait accordé aux gens les droits de circulation. Le projet de loi n'a pas été adopté et il y a eu beaucoup de pression sur les expéditeurs et les chemins de fer pour bloquer cette initiative. Quoi qu'il en soit, est-ce que deux compagnies de chemin de fer peuvent se faire concurrence? Il me semble que si une compagnie pouvait garantir ce service, c'est elle qui aurait tous les clients ou la plupart des clients. Le problème est que ceux qui paient la facture ne veulent pas payer pour un retour à vide. Le retour à vide est un élément important dans tous les secteurs des transports — aérien, ferroviaire, routier, maritime — et personne ne veut assumer ces frais à l'avance. Personne ne veut courir ce risque. Il n'y a rien de tel qu'un directeur du trafic qui négocie un tarif avec une compagnie de chemin de fer et qui cherche sans cesse à faire réduire le tarif du contrat annuel mais le jour où sa cargaison est coincée quelque part, il paiera n'importe quoi pour la récupérer, mais il ne veut pas payer d'avance. Le retour à vide est un problème difficile à résoudre.
[Français]
La présidente : Merci beaucoup de votre présence ici ce matin. Vous voyez, par nos nombreuses questions, l'intérêt que nous avons pour ce dossier. Soyez à l'aise de nous envoyer d'autres informations, si vous pensez que nous devons en avoir davantage.
Nous allons reprendre le travail avec comme témoins, M. Richard Corfe, président-directeur général de la Corporation de Gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, et de la table du Québec sur le transport maritime courte distance, Mme Nicole Trépanier, directrice générale des Armateurs du Saint-Laurent.
Bienvenue à vous deux. Nous allons d'abord vous entendre et, comme vous voyez, les sénateurs ont plusieurs questions à poser par la suite.
[Traduction]
Richard (Dick) Corfe, président-directeur général, Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent : Merci beaucoup. La Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent a comme mandat de gérer la Voie maritime du Saint-Laurent au nom du gouvernement du Canada. La corporation a été créée en 1998 et s'est vue confier pour une période de 20 ans le mandat de gérer la voie maritime qui fait partie de l'infrastructure du gouvernement.
[Français]
Madame la présidente, je voudrais tout d'abord féliciter le comité d'avoir entrepris une étude du transport de marchandises par conteneur au Canada. Comme vous le savez, le volume sans cesse croissant d'expéditions par conteneur à l'échelle mondiale exerce une énorme pression sur les ports côtiers et l'infrastructure des transports du Canada. Si on ne réagit pas, cette pression pourrait entraîner de graves implications pour l'économie du Canada.
Je suis reconnaissant de pouvoir vous présenter la perspective unique de la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent sur cette question pressante, et discuter de la façon dont la Voie maritime est placée pour aider à relever les défis qui se présentent.
[Traduction]
Chacun sait que l'essor du volume de marchandises arrivant d'Asie est vivement ressenti sur la côte Ouest. Le gouvernement a d'ailleurs pris des mesures pour aider nos ports de la côte Ouest à recevoir le nombre croissant de conteneurs, par l'entremise de la stratégie sur la porte d'entrée du Pacifique. Cependant, il importe de reconnaître que c'est seulement une question de temps avant que les ports de la côte Est ne connaissent la même situation. Une étude récente de l'Université du Nouveau-Brunswick estime que dans l'ensemble de l'Amérique du Nord, les expéditions par conteneur progresseront de 75 p. 100 dans la prochaine décennie. Cet accroissement radical posera un certain nombre de problèmes pour le système de transport au Canada et pour l'expédition des biens. Les problèmes ne se limiteront pas aux ports et aux voies navigables, mais toucheront aussi l'efficacité des routes, des lignes ferroviaires et des passages frontaliers.
L'élargissement prévu du canal de Panama aggravera la congestion future, surtout sur la côte Est. Actuellement, ce passage névralgique pour les expéditions entre l'Asie et la côte Est de l'Amérique du Nord fonctionne à 93 p. 100 de sa capacité. Le projet en cours doublera la capacité du canal de Panama d'ici 2015; il fera en sorte que les ports canadiens et américains de la côte Est seront submergés de conteneurs en provenance d'Asie.
L'essor du commerce exige que le Canada dresse des plans en vue de la croissance future des volumes de conteneurs sur la côte Est, comme il l'a déjà fait pour les ports de la côte Ouest au moyen de la Stratégie sur la porte d'entrée du Pacifique. Non seulement devrons-nous tenir compte des répercussions pour les voies navigables, les routes, les lignes ferroviaires et les passages frontaliers, mais nous devons aussi prendre en considération les effets de cette croissance pour l'économie, l'environnement et la vie quotidienne des Canadiens.
Le Canada est aux prises avec des problèmes de congestion routière, de sécurité et d'embouteillage aux passages frontaliers, dont on estime qu'ils coûtent des centaines de millions de dollars par année à l'économie. Notre dépendance excessive sur le transport terrestre des biens a aussi contribué à la dégradation de l'environnement causée par les émissions de gaz à effet de serre, la pollution sonore et le développement des réseaux routiers et ferroviaires.
[Français]
Je soutiens que la Voie maritime du Saint-Laurent, la plus grande voie navigable intérieure au monde, peut être exploitée de façon à soutenir la gestion efficace d'expéditions accrues par conteneur au Canada et alléger la congestion sur nos routes et lignes ferroviaires les plus achalandées. De plus, il est possible de le faire à la fois en profitant de la complémentarité, des options intermodales et en tenant compte de nos responsabilités environnementales.
La Voie maritime est située stratégiquement. Actuellement, 150 millions de Nord-Américains vivent à moins de huit heures de route du réseau des Grands Lacs/Voie maritime du Saint-Laurent. Plus de 30 pour 100 des entreprises Fortune 500 d'Amérique du Nord sont établies à moins d'une journée de route des Grands Lacs et de la Voie maritime. L'Ontario et le Québec, où se situe la Voie maritime, assurent deux tiers de la production industrielle du Canada et constituent le coeur des plus grands marchés de consommation au Canada.
La mise en place de partenariats de collaboration intermodale aidera grandement à gérer efficacement l'essor des expéditions de marchandises par conteneur. La Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent a oeuvré avec diligence en ce sens par son initiative de marketing autoroute H2O. Celle-ci fait la promotion du transport maritime à courte distance par la Voie maritime et les Grands Lacs en tant qu'une des solutions permettant d'atténuer les pressions sur notre réseau terrestre surchargé et d'ajouter au système de transport du Canada une capacité dont il a bien besoin.
[Traduction]
À mesure que les économies du Canada et des États-Unis se développent et que les problèmes associés à la congestion des artères routières et ferroviaires continuent de devenir plus importants, le transbordement des marchandises conteneurisées entre de grands navires océaniques et de plus petits porte-conteneurs aux dimensions de la Voie maritime est de plus en plus pertinent comme complément aux installations portuaires et aux autres modes de transport. Le fait d'apporter par bateau les marchandises plus près de leur destination finale, avant de les transférer sur des wagons ou des camions, offre la possibilité de soulager les tensions sur les grandes routes de transport entre l'océan Atlantique et le Centre-Ouest.
La Voie maritime du Saint-Laurent est prête et apte à jouer le rôle plus grand envisagé. La Voie maritime est déjà construite et payée, et elle est actuellement utilisée à 60 p. 100 de sa capacité. Elle peut ainsi accepter immédiatement une forte augmentation de volume presque sans investissements dans l'infrastructure. L'infrastructure existante peut recevoir de grands volumes de marchandises en conteneurs.
Le transport sur courte distance par porte-conteneurs peut certes ouvrir une voie fiable et non congestionnée vers les marchés intérieurs et réduire la durée d'entreposage dans les ports. En outre, il est une solution responsable au plan environnemental. La consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre par tonne-kilomètre sont sensiblement réduites lorsque les marchandises sont déplacées par bateau plutôt que par camion ou par train. Plusieurs initiatives de transport de marchandises diverses par le fleuve Saint-Laurent et la Voie maritime ont déjà été lancées, et l'environnement en profite. L'expédition par la Voie maritime peut aussi réduire les frais de l'entretien du réseau routier des gouvernements provinciaux, réduire la consommation de carburant et réduire le temps que les citoyens consacrent à la navette quotidienne jusqu'au travail.
Pourquoi le réseau de la Voie maritime n'est-il pas déjà utilisé à pleine capacité? Je tiens à faire remarquer qu'un certain nombre d'obstacles réglementaires empêchent de réaliser le plein potentiel du transport maritime de marchandises par conteneur le long de la Voie maritime. En particulier, trois règlements ont pour effet de dissuader les expéditeurs de transporter des conteneurs sur le réseau de la Voie maritime. Premièrement, il y a les droits de douane de 25 p. 100 qui doivent être payés pour les navires construits à l'étranger. Ces droits font qu'il est prohibitif d'utiliser sur la Voie maritime de nouveaux porte-conteneurs construits à l'étranger. Il s'agit du plus grand obstacle à la croissance du transport maritime à courte distance. D'autres pays qui profitent des grands avantages socioéconomiques des transports maritimes intérieurs — comme les Pays-Bas, la France et l'Allemagne — n'exigent pas de droits de douane sur les navires construits à l'étranger. En outre, ces droits ne remplissent plus le but dans lequel ils avaient été adoptés, à savoir d'encourager la reconstruction de la flotte maritime du Canada. Les chantiers navals canadiens ne sont pas adaptés à la construction de toute la variété de navires polyvalents nécessaires aujourd'hui. En revanche, ils pourraient profiter d'une nouvelle clientèle pour l'entretien de ces navires importés au Canada aux fins du transport maritime à courte distance.
Le deuxième obstacle à l'exploitation du potentiel de la Voie maritime a trait à notre régime dépassé de réglementation du pilotage — à l'égard duquel une réforme s'impose depuis longtemps. Le pilotage obligatoire largement imposé n'a plus de raison d'être et impose des coûts prohibitifs en cette époque où les capitaines et les équipages sont bien formés et disposent d'une technologie avancée pour la navigation. La réglementation sur le pilotage doit être actualisée de façon à exempter les navires battant pavillon canadien du pilotage obligatoire sur le fleuve Saint-Laurent.
Enfin, les péages de la Voie maritime et les frais des services maritimes limitent aussi le potentiel de la Voie maritime. Les frais des services maritimes et les programmes gouvernementaux de récupération des coûts, y compris les péages de la Voie maritime, devraient être reconsidérés en vue d'éliminer les obstacles économiques qui ne sont pas présents dans les transports routiers ou ferroviaires. En prenant les décisions de politique à ces sujets, les retombées sociales et environnementales de la navigation sur la Voie maritime doivent être intégrées à l'équation des coûts totaux. Les choix recommandés permettront de réaliser des économies dans des investissements et les frais d'entretien relatifs à l'infrastructure terrestre. En outre, ils permettront de profiter des avantages environnementaux du transport maritime. Nous sommes convaincus que ces avantages compenseront largement toute fluctuation que les changements préconisés pourraient entraîner dans les recettes.
[Français]
En conclusion, tous les Canadiens peuvent profiter d'un recours accru au transport maritime à courte distance, y compris pour les marchandises conteneurisées, dans le corridor Saint-Laurent/Grands Lacs. Encourager une utilisation accrue du réseau de la Voie maritime du Saint-Laurent ne privera en rien les autres modes de transport comme le camionnage et le train. Au contraire, on rehaussera leur efficacité. Notre but est de former des partenariats de collaboration intermodale pour gérer efficacement l'essor des expéditions de marchandises par conteneur et faciliter le mouvement des biens et, indirectement, des gens. Nous espérons que le gouvernement nous aidera dans cette optique.
[Traduction]
Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé aujourd'hui. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.
[Français]
Nicole Trépanier, directrice générale, Armateurs du Saint-Laurent, Table du Québec sur le transport maritime courte distance : Madame la présidente, je ferai ma présentation en français, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, mais je suis prête à répondre à des questions en anglais par la suite.
Je remercie le comité sénatorial de nous avoir invités pour présenter notre point de vue. Ma présentation est d'abord et avant tout faite au nom des Armateurs du Saint-Laurent, qui est une association sectorielle regroupant 19 entreprises de transporteurs maritimes. Nos bureaux sont basés à Québec et pour devenir membres, les navires doivent nécessairement être immatriculés au Canada. Donc, je représente des transporteurs domestiques, contrairement à mes collègues M. Broad et Mme Legars, qui, eux, s'occupent des armateurs internationaux.
Nos membres sont principalement actifs sur le Saint-Laurent, les Grands Lacs, la Voie maritime qui est un incontournable, et les provinces de l'Atlantique de même que l'Arctique canadien.
Je fais également ma présentation sous le chapeau de présidente de la Table du Québec sur le transport maritime courte distance. C'est un mandat que nous a confié le forum de concertation sur le transport maritime du Québec, qui se charge de mettre en oeuvre la politique maritime du gouvernement du Québec depuis juin 2001. Je ne prétends pas présenter le point de vue officiel de la Table mais plutôt selon mon expérience en tant que présidente. Parce que vous comprendrez qu'à la Table, il y a Transports Canada et Transports Québec, et c'est rare qu'on me délègue pour les représenter officiellement dans des forums comme celui du Sénat, bien que j'aie leur confiance.
Parmi les cinq enjeux qui ont été retenus pour votre étude, j'avoue que j'en ai retenu trois, pour lesquels je me sens apte à me prononcer. Évidemment, je ne suis pas une spécialiste de la conteneurisation, loin de là, je suis une personne qui a une passion pour le maritime; ce qui inclut également le conteneur. Pour ce qui est des politiques et programmes fédéraux visant à promouvoir l'intermodal. Première chose, j'irai sous forme de commentaires.
La Table du Québec sur le transport maritime courte distance a analysé en profondeur les programmes fédéraux existants, afin de savoir avec précision ce qui soutient le développement de services de TMCD comme on dit, pour transport maritime courte distance.
Notre objectif était de pouvoir informer adéquatement les expéditeurs et les transporteurs maritimes en cette matière. Constat : bien qu'il existe une multitude de programmes, ils sont rarement adaptés au secteur maritime sur le plan du financement, voire même de l'éligibilité. Les programmes servent davantage à la construction de routes, au transport en commun, à l'acquisition de nouvelles technologies, au développement de nouveaux carburants, et cetera. Malgré des prises de position politique selon lesquelles il faut encourager la collaboration entre les modes de transport, les programmes sont plutôt développés de manière, dirais-je, ensilée. Et je crois que cela a été mentionné par mes prédécesseurs. Cela sert davantage la rivalité que la collaboration, malheureusement. Il serait préférable d'en avoir moins, mais qui mènent à l'organisation globale des transports.
J'ai également remarqué que d'une côte à l'autre on vous indique qu'il faut une politique générale des transports. Pour créer un environnement commercial favorable à la croissance de l'intermodalité, il est nécessaire de disposer d'infrastructures adaptées et modernes. Ainsi, faudra-t-il grandement investir pour corriger le fait que les réseaux actuels sont faiblement intégrés les uns aux autres, et ce, à plusieurs endroits au pays. Aucun programme fédéral actuel ne vise à corriger cette lacune, malheureusement.
La vitalité du transport maritime repose sur un réseau portuaire dynamique et adapté. Depuis plus d'une décennie, l'approche gouvernementale fédérale a essentiellement été orientée vers la cession des infrastructures portuaires, notamment. Quand il y en a eu, les investissements en entretien ont été plutôt minimaux. La situation financière actuelle du gouvernement ne justifie pas la poursuite de cette politique. Il faut favoriser l'émergence de services de TMCD en se dotant d'infrastructures modernes qui répondent aux besoins de tous les modes — et j'insiste — tous les modes. Cela vaut dans les régions comme dans les grands centres urbains.
Comme nation, nous devons disposer d'une stratégie globale des transports plutôt que d'une vision réductionniste ou à la pièce. Avoir recours à chacun des modes selon ses forces et ses bénéfices est un devoir.
On a longtemps misé sur la rapidité des acheminements au détriment de la qualité de vie de la population. Ce qui entraîne une surcharge du réseau routier. Je l'ai vécu pas plus tard que ce matin en m'en venant ici : les accidents, la pollution, et ainsi de suite. Tout n'est pas urgent. Il suffit de planifier autrement et cette responsabilité revient également aux expéditeurs qui, pour l'heur, ne sont pas tellement imputables des choix de transport.
En avril 2006, Transports Canada a organisé à Vancouver une conférence maritime ayant pour thème « Vers une stratégie nord-américaine sur le transport maritime à courte distance ». Le Canada, les États-Unis et le Mexique ont signé au terme de la conférence une entente de collaboration en ce domaine. Nous appuyons la participation à ce projet continental. Mais nous devons d'abord aménager notre propre terrain. Pour ce faire, une stratégie canadienne doit préalablement être mise en place. Une vraie politique maritime canadienne s'impose.
Je m'en voudrais de passer sous silence le fait que le Québec a développé récemment, pas plus tard qu'en 2006, un programme d'aide à l'intégration modale qui vise une meilleure intégration des modes à l'intérieur du système de transport du Québec, et ce, dans un souci de compétitivité, de réduction des coûts sociaux des activités de transport et de protection de l'environnement. Lancé en 2006, comme je l'indiquais, le programme est de l'ordre de 21 millions de dollars sur cinq ans. Le même engagement gagnerait à être obtenu du gouvernement fédéral qui a la responsabilité du transport maritime.
Autre point sur lequel j'aimerais me prononcer, c'est la coordination entre le gouvernement et les intervenants de l'industrie. Je dirais que c'est une composante cruciale. De part et d'autre, nous avons des devoirs à faire, gouvernements et industries. Cela passe par la coordination, mais aussi la concertation. S'assurer que ce qui est proposé et mis en place est réaliste, applicable et équitable.
Il importe de créer un cadre réglementaire et législatif de même qu'une structure de coûts — M. Corfe a parlé des droits de service maritime notamment, qui favorise le développement du transport maritime, et encore plus le TMCD. Actuellement, l'encadrement réglementaire est un frein au développement des services. Aux yeux des expéditeurs, le transport maritime est lourd sur le plan administratif. Imaginez ce que c'est pour les armateurs.
Si le Canada souhaite réellement absorber les flux de marchandises prévus sur son territoire, une première démarche s'impose : agir et planifier avec les acteurs impliqués dans les chaînes logistiques, les modes de transport et les expéditeurs. Si les prévisions sont justes quant à l'augmentation des volumes dans l'est du Canada et dans le système Saint-Laurent/ Grands Lacs, comment arriverons-nous à les acheminer vers leur destination finale? Et c'est là où je pense qu'on peut prendre un positionnement de transport intérieur. C'est bien que les marchandises arrivent chez nous, mais il faut les acheminer à une destination finale sur notre territoire. Le camionnage a atteint certaines limites, et le monde le sait, il y a la pénurie de main-d'oeuvre qui fut mentionnée plus tôt; attente aux postes frontaliers et dans les zones urbaines; la population qui exige que la présence des poids lourds sur les routes soit mieux encadrée, et plus encore.
Entre Halifax et Montréal, le réseau du CN ne souffre pas encore d'engorgement, mais nécessitera, si la demande continue de s'accélérer, des investissements majeurs dans les infrastructures. Dans cette perspective, le recours à la flotte maritime intérieure doit sérieusement être encouragé. Comme l'indiquait M. Corfe, il existe déjà de la disponibilité dans le système. L'autoroute H2O et le TMCD constituent une solution qui gagne à être intégrée au système de transport canadien. Si j'étais à votre place, la question que je me poserais, est la suivante : disposons-nous des navires nécessaires à cette prise en charge dans la flotte canadienne? La réponse que je vous donnerai est : oui, pour le moment.
Toutefois, si on souhaite vraiment que ce marché nous revienne, nous, les Canadiens, puisque nous avons à l'occasion le plaisir nous aussi de s'offrir le luxe d'être opportunistes et protectionnistes, il faut éliminer le plus rapidement possible les frais de 25 p. 100 de douane imposés à l'importation de navires. Quand la demande croîtra et qu'il faudra des navires spécialisés pour le transport, notamment le transport de conteneurs, nous devrons rapidement et à coûts compétitifs, pouvoir en introduire dans le système.
La flotte maritime canadienne est vieillissante, c'est un fait connu de tous. Pour la renouveler, nous ne disposons pas, à l'heure actuelle, de chantiers maritimes pouvant les construire. À l'international, les carnets de commandes sont remplis pour les dix à 15 prochaines années, quand on parle de chantiers sérieux. Il faut permettre l'achat dans des délais réalistes si on vise à demeurer dans le marché. Les transporteurs maritimes canadiens et leurs clients expéditeurs sont unanimes quant à la nécessité d'éliminer les 25 p. 100 de frais de douane. Cette mesure dite protectionniste n'a jamais servi à maintenir les chantiers maritimes d'ici en vie.
Mon dernier point concerne les considérations environnementales. Le rôle des acteurs politiques est d'équilibrer la concurrence entre les modes de transport en considérant le coût des infrastructures, la rigueur dans l'application des politiques sociales, des règlements, mais aussi des avantages environnementaux propres à chacun. De façon générale, on connaît ou reconnaît peu les bénéfices environnementaux du transport maritime qui est pourtant le mode le plus avantageux comme on l'a déjà énoncé, en matière d'émissions de GES par tonne/kilomètres transportée. Ce qui est également malheureux, c'est que les avantages environnementaux du transport maritime n'influent pas encore sur le choix des expéditeurs quant au transport, du moins pas ici.
Une étude récente menée à l'échelle internationale par les professeurs Claude Comtois et Brian Slack de Montréal indique clairement que les nations qui occuperont le haut du pavé sur le plan commercial sont celles qui auront adopté des approches durables. L'étude qui a comparé la situation qui prévaut dans 800 ports à travers le monde témoigne sans équivoque d'une tendance dite verte plus marquée du côté européen, cela va de soi.
L'industrie maritime du Saint-Laurent et des Grands Lacs élabore présentement un programme volontaire appelé , en vue d'éliminer davantage son empreinte, mais aussi de performer à d'autres égards.
Toujours du côté européen, pour contrer l'engorgement terrestre, diminuer les pertes de productivité liées à l'attente et réduire les impacts environnementaux, le TMCD est vu comme une solution. On y accorde une place fondamentale dans les orientations et programmes gouvernementaux. Ainsi a-t-il crû de 25 p. 100 de 1995 à 2002, dans les mouvements intra-européens seulement. Le TMCD représente aujourd'hui 40 p. 100 du total des marchandises transportées en Europe, alors que le camionnage en obtient 45 pour cent.
Ici, on persiste cependant à faire une mauvaise presse au transport maritime ou on élude tout simplement ses mérites. Les incidents sont invariablement publicisés, alors que les statistiques quant au faible nombre d'accidents de déversement ou de perte de vie laissent les médias plutôt froids. Comme on dit : les gens heureux n'ont pas d'histoire.
Je continue à croire que nos choix en matière de transport doivent reposer sur des données justes et honnêtes. À ce titre, le transport maritime mériterait d'avoir une réputation plus reluisante auprès des médias, de la population et des gouvernements. Vous me répondrez qu'il nous revient en tant qu'industrie de faire la promotion de nos avantages et vous aurez raison. C'est d'ailleurs ce à quoi nous nous dévouons depuis quelques années. Cependant, il importe aussi que les gouvernements contribuent à cet exercice de marketing, car en bout de course, ils en seront également les bénéficiaires.
Le sénateur Dawson : Dès le départ, je vais vous dire que, pour ma part, je n'ai aucune hésitation à appuyer vos revendications. Cela semble évident et ce l'était avant même que l'on parle d'environnement et du réchauffement de la planète. Mais j'aimerais vous poser des questions séparément.
Madame Trépanier, il existe des projets maintenant à Québec. On a vu le projet de cabotage entre Sept-Îles et Québec. Je voudrais savoir combien, selon vous, cela a enlevé de camions sur la route, entre Sept-Îles, Tadoussac et Québec. Est-ce que c'est quelque chose que le gouvernement, dans sa réglementation, pourrait encourager par des modifications?
Je ferai un peu d'historique. Vous avez parlé la politique maritime de 2001. Par contre, je suis obligé de vous dire qu'avant 2001, le Québec n'avait pas du tout de politique maritime. Je peux accepter que l'on blâme le manque de progression du gouvernement canadien, mais il faut admettre que puisque c'était de juridiction fédérale, on fonctionnait en silos en disant : c'est du domaine fédéral, on ne s'en mêle pas. Ce qui nous empêchait d'avoir des tables de concertation où justement on arrivait à la conclusion qu'au lieu de refaire la route, ce serait peut-être plus logique d'alléger le camionnage par les voies maritimes, au moins neuf mois pour ne pas dire douze mois par année. C'est simplement une petite correction. J'aimerais que vous me donniez un exemple d'un cas semblable, qui allégerait le camionnage.
[Traduction]
Monsieur Corfe, vous avez fait trois observations. À quand remonte la dernière étude du péage de 25 p. 100 et de quelle manière le gouvernement a-t-il traité cette question ou a-t-il essayé soit par voie législative, réglementaire ou consultative, de modifier ce péage de 25 p. 100 au cours des dernières années? Il semble que nous protégions un marché qui n'existe plus depuis la fermeture de certains chantiers navals, dont la Davies Shipbuilding. Ce péage avait probablement sa raison d'être dans le passé, mais il me semble qu'il ne sert plus à rien en 2007.
À quand remontent les dernières modifications importantes à la réglementation sur le pilotage? Nous avons constaté hier les nouvelles technologies lorsque nous étions au Port de Montréal. Les services de sécurité portuaire connaissent la destination de chaque navire et ils reçoivent continuellement de l'information sur chacune des bouées dans le fleuve.
La troisième question que vous avez soulevée est celle de la récupération des coûts. Encore une fois, dans les années 1990, nous avions des déficits s'élevant à plusieurs milliards de dollars et le gouvernement a cherché des moyens d'économiser et de répartir le fardeau. Je serais d'accord avec vous pour dire qu'aujourd'hui, étant donné l'excédent légué par l'excellente administration précédente au gouvernement actuel, celui-ci pourrait chercher à créer des partenariats avec l'industrie. Je pense qu'il n'y a plus rien de gratuit. Nous n'allons pas revenir au financement déficitaire, je n'encouragerais pas le gouvernement actuel ni le prochain à créer des déficits, et il y a moyen de créer des partenariats entre les utilisateurs de la Voie maritime et le gouvernement du Canada dans le but de moderniser certaines des installations, sans avoir recours au financement déficitaire.
[Français]
Mme Trépanier : Il y a beaucoup de questions, mais elles sont pertinentes. EN ce qui concerne les deux projets de TMCD qui se sont réalisés récemment au Québec, les deux prennent leurs origines de Sept-Îles. Le premier, pour l'Aluminerie Alouette qui, passant à une phase de production plus importante, c'est-à-dire 250 000 tonnes d'aluminium, de lingots d'aluminium annuellement, sentait une pression de la part des résidants de la Côte-Nord. Pour ceux qui sont moins familiers, la route 138 est le seul axe routier qui puisse mener à l'aluminerie. C'est une route où les statistiques démontrent un nombre excessivement élevé d'accidents. C'est une route coûteuse, sinueuse, et qui est énormément utilisée par les camions. De plus, lorsqu'on arrive à Baie-Sainte-Catherine, on traverse le Saguenay, disons vers Sept-Îles, et l'on utilise un service de traversier, parce qu'il y absence de route. Il n'y a pas de pont, du moins pas encore et je ne pense pas qu'on en veuille.
Au sujet du traversier, son président-directeur général a dit récemment que la structure du traversier est tellement sollicitée par le poids des camions qu'on va probablement réduire son espérance de vie de cinq à dix ans. Il s'agit ici d'un navire. Imaginez les routes. Les gens avaient fait des pressions pour qu'on envisage d'autres modes d'approvisionnement et d'acheminement de la Côte-Nord.
Pour le gouvernement du Québec, je vais parler en son nom deux secondes, la 138 est un axe routier problématique, coûteux, et qui entraîne aussi énormément de dédommagements des accidentés de la route par la suite, les services d'urgence, et cetera.
Combien en a-t-on enlevé pour ce projet-là? Il y a ici le secrétaire de la Table sur le transport maritime qui peut m'appuyer. Je ne suis pas la meilleure personne pour les chiffres. Donc, dans le cas de Sept-Îles jusqu'à Trois-Rivières : 15 000 passages de camions par an. C'est beaucoup. Et 15 000 tonnes de GES par année ainsi économisée dans l'environnement. Les coûts de la route, les économies réalisées pour le ministère des Transports du Québec : 700 000 $ par année. C'est le genre de chiffres qu'on est heureux de communiquer.
Le deuxième projet est celui de Kruger de Forestville qui est un port de propriété municipale, un tout petit port, et comme pour le premier projet, il s'occupe du service de barges. Ce sont des copeaux de bois qui sont mis à bord de la barge et transportés jusqu'à Trois-Rivières. Ce service continue et a entraîné, je crois, 18 000 passages de camions de moins annuellement. Ce sont des quantités assez importantes.
J'ai oublié de mentionner tout à l'heure que dans le cas de l'aluminerie Alouette, une fois rendu à Trois-Rivières, l'acheminement peut se faire par camion, par train, ou par navire, puisque la Voie maritime a obtenu ses nouveaux volumes dans les récents mois.
Au sujet de l'autre question que vous me posiez : Comment la réglementation fédérale peut-elle soutenir ces projets? Pour l'heure, on en a abondamment discuté à la Table du Québec, et comme je le disais, Transports Canada est représenté par des gens des politiques, notamment.
Je l'ai dit et je le répète : la réglementation fédérale en matière de transport maritime n'est pas adaptée au transport maritime de courte distance. Elle a été adoptée, élaborée et érigée soit selon des considérations de cabotage, à l'époque, des réalités qui n'existent plus. Aujourd'hui, on les adapte selon les engagements qu'on prend à l'international, souvent pour du cargo qui a une valeur ajoutée et la base même du développement du transport maritime, du moins dans le système Saint-Laurent et Grands Lacs, mais cela vaut pour ailleurs, ce sont les matières premières et de l'approvisionnement aux communautés éloignées. Bref, les membres que je représente transportent peu de conteneurs, à moins d'aller dans l'Arctique. Ils transportent du minerai de fer, du grain, et cetera.
Le sénateur Dawson : Oui. S'il y avait un bulletin, ce serait un « A ».
Mme Trépanier : Vous êtes gentil. Mes connaissances transversales, ça va?
[Traduction]
M. Corfe : J'aimerais dire un mot au sujet des alumineries de Trois-Rivières. Nous avons pu transporter une partie de cet aluminium de Trois-Rivères à Toledo; auparavant, il était transporté par camion et par train. Voilà un exemple de quelque chose qui commence à bouger, qui commence à être logique et qu'on peut utiliser comme levier.
En réponse aux questions du sénateur Dawson, j'ai l'impression qu'on ne cesse jamais d'étudier le péage de 25 p. 100. C'est une question qui est soulevée dans le contexte du commerce international, car nous sommes le seul pays qui applique ce genre de règlement. Jusqu'à tout récemment, je pense pouvoir dire en toute honnêteté qu'il n'y avait même pas de consensus au sein de l'industrie sur ce qu'il convenait de faire au sujet de ce péage. Certains organismes ont été obligés de payer 25 p. 100 pour les navires nouvellement construits. Si la nouvelle génération n'est pas assujettie à ce péage, cela cause un problème. Les exploitants et les propriétaires de navires canadiens sont d'accord pour que le péage soit éliminé graduellement. Ils en discutent à Ottawa. Chaque fois qu'il est question d'un pacte commercial avec un autre pays, on discute du péage qui est perçu comme un obstacle. C'est un problème local, mais il suffirait d'une petite pression pour le remettre à l'ordre du jour et le régler
Le pilotage semble toujours être à l'ordre du jour. Le pilotage est important, la sécurité sur les voies navigables est extrêmement importante, le pilotage et les pilotes jouent un rôle dans certaines circonstances pour l'assurer, et nous disons publiquement que c'est une partie importante de ce que nous faisons. Comme Mme Trépanier l'a dit, nous sommes prisonniers des politiques qui privilégient les navires qui relâchent dans les ports côtiers plutôt que ceux qui naviguent dans les eaux intérieures. En outre, avoir des pilotes à bord des navires, qu'ils soient océaniques ou de navigation intérieure, dans tous les Grands Lacs et au large — ce qui est une quatrième côte pour nous — augmente les coûts. Cela augmente les coûts au point où il est plus rentable de faire ce qu'il faut pour protéger l'environnement et éviter la congestion. Le pilotage dans les Grands Lacs fait actuellement l'objet d'un examen interne au ministère. Il y a eu un examen ministériel du pilotage dans le Saint-Laurent et peut-être que Mme Trépanier pourrait vous en parler davantage parce que les associations de pilotage doivent être autonomes. L'autonomie signifie que vous répercutez vos coûts sur les usagers. Actuellement, la réglementation est telle qu'il n'y a guère d'encouragement à les abaisser. C'est le mode du recouvrement des coûts qui s'applique. Il se fait du travail au niveau du ministère et des initiatives sont en cours. Nous allons réclamer un examen complet de la Loi sur le pilotage.
En troisième lieu, vous avez parlé du recouvrement des coûts. Quand la Corporation de gestion a été créée en 1998, elle était à but non lucratif et avait pour mandat de gérer le système et de recouvrer les coûts au moyen des péages que nous percevons.
Tout à l'heure, le sénateur Eyton a parlé du ratio d'exploitation des chemins de fer. Un élément d'actif comme la Voie maritime constitue ce que l'on appelle du capital fixe; il existe à perpétuité. Pour l'exploiter, il faut en assurer la maintenance. Deux types de coûts entrent dans la maintenance de la Voie maritime : le coût d'exploitation et le coût d'entretien, le coût de capitalisation. Nous estimons que la Voie maritime devrait avoir une structure de recettes qui couvre ses coûts d'exploitation, et l'État, qui est propriétaire de l'élément d'actif, devrait être responsable de sa maintenance dans l'avenir. On parle d'environ 80 millions de dollars. Il y a à peu près 40 millions en recouvrement des coûts venant de la Garde côtière. On ne parle pas de sommes énormes quand on considère l'obstacle que cela crée quand l'on veut pénétrer sur ce marché. Nous essayons de favoriser les transports maritimes à courte distance et nous ne saisissons pas les occasions que nous offre la préservation de l'environnement à cause de nos coûts trop élevés.
Dans ce domaine aussi, il se fait du travail. L'Association maritime essaie de régler le problème du recouvrement des coûts venant de la Garde côtière, un problème qui remonte au milieu des années 1990. Nous travaillons avec Transports Canada à un accord de gestion actuellement en cours de discussion au sujet de la manière de rationaliser notre structure de péage. Ces points font l'objet de discussions. Ce qui arrive trop souvent, cependant, c'est que l'on continue d'en discuter sans que cela aboutisse. Madame la présidente, des initiatives comme celle-ci pourraient peut-être faire bouger les choses.
[Français]
La présidente : Transports Canada a tenu des ateliers sur le transport maritime de courte distance dans chacune des régions du Canada récemment, et a organisé en avril 2006, une conférence avec les États-Unis et le Mexique sur cette question. Une entente a été conclue entre le Canada, les États-Unis et le Mexique pour étudier les meilleures pratiques au chapitre du transport maritime à courte distance. Où en sommes-nous en ce qui concerne le fleuve Saint-Laurent pour favoriser le transport des conteneurs à courte distance?
Mme Trépanier : C'est une excellente question, que je me suis posée, en prévision de ma présentation aujourd'hui.
Parce que le conteneur n'est pas un marché acquis au transport intérieur. Je vous mentirais si je vous disais qu'on en fait beaucoup. Et je vous mentirais aussi si je vous disais que demain matin nous pourrions y répondre si on nous transférait d'importantes quantités, si on pouvait aller en chercher. Il y a quelques navires, souvent on pense aux navires qu'on appelle « Ro-Ro » Ce sont des rampes d'accès qui permettent de rouler la marchandise soit avec les camions ou autres. Ces navires servent dans l'Arctique. C'est là où l'approvisionnement est nécessaire. Ce sont des navires qui sont, non seulement plus flexibles, mais qui permettent dans des zones où l'accès à la rive est difficile, où il n'y a pas de quai, pas de port, de décharger à proximité des rives. À l'heure actuelle, ces navires sont ceux qui sont les plus recherchés à travers la planète. Il y en a très peu de disponibles sur le marché.
L'autre élément, c'est que pour s'engager dans cette voie, c'est-à-dire acquérir un navire qui peut coûter 50 à 60 millions de dollars, il faut avoir des garanties de marché et des garanties de volume. Souvent dans le cas du transport intérieur comme dans l'international, on a eu à opérer dans un contexte qu'on appelle de marché « spot ». L'expéditeur veut qu'on prenne tant de tonnes de marchandise à tel endroit, qu'on l'achemine le plus rapidement possible en garantissant une arrivée à tel point, telle date, telle heure. On n'acquiert pas un navire pour faire du « spot ». Il faut des engagements à long terme. Il faut que les expéditeurs se commettent et se fidélisent face à un mode. Mais pour l'instant, c'est la course. On est dans un contexte de compétition entre les modes. Et le mode maritime, il faut le dire, n'est pas le plus flexible pour se retourner rapidement. Donc, les conteneurs sur le Saint-Laurent, ce sont les navires qui viennent au port de M. Taddeo, à Montréal. C'est ce qu'on voit passer. Et puis ceux qui quittent, il y en a quelques-uns au Port de Québec, près du boulevard Champlain, ce sont des conteneurs qui sont pris par des navires qui vont chez Falcon Bridge dans le Nord. Donc, c'est du matériel pour la mine ou pour des installations de travailleurs du Nord.
[Traduction]
M. Corfe : Vous avez demandé où nous en sommes. Le transport maritime à courte distance est dans le collimateur de Transports Canada depuis plus de quatre ans. Il y a à peu près quatre ans, à la Voie maritime, nous avons coprésidé un groupe d'intéressés pour voir comment on pouvait intégrer le transport conteneurisé au système. Nous avons créé un partenariat avec les ports d'Halifax et de Hamilton, quelques ports américains parce que la Voie maritime est une entité binationale, et avec certains transporteurs océaniques et intérieurs. Nous avons produit une analyse de rentabilité et recensé les obstacles à lever. Avec Transports Canada, nous avons cerné le coût du système comme un obstacle, le péage du pilotage dans la Voie maritime de 25 p. 100. Nous avons circonscrit les avantages socioenvironnementaux de ce changement. Les bienfaits pour l'environnement de faire de la collecte, par exemple, à partir d'Halifax vers Montréal ou vers les Grands Lacs ne sont pas inclus dans l'équation. La personne d'affaires qui décide ne voit pas ces coûts et ne se rend pas compte de ces avantages. Nous avons parlé du coût environnemental de facteurs comme les gaz à effet de serre, la pollution et la congestion. Nous avons discuté de la façon de les incorporer à l'équation. Mme Trépanier a raison. C'est l'œuf et la poule. On ne peut pas prendre un navire et dire : « D'accord, maintenant remplissez-le de conteneurs. » Il faut trouver le moyen de s'assurer que le marché existe.
Il y a des navires disponibles. S'il y avait des changements dans les politiques, il y aurait des conteneurs qui partiraient d'Halifax pour aller à Montréal, pour aller dans les Grands Lacs, pour aller à Toronto. Montréal et Toronto sont tous les deux équipés de matériel pour les conteneurs. Montréal fait déjà plus d'un million d'EVP. Au lieu d'emprunter la 401 pour transporter des conteneurs jusqu'à Toronto et sur le marché ontarien, le transport maritime à courte distance est un moyen idéal. Les coûts ne marchent pas à cause de choses comme le coût de la canadianisation des navires, le pilotage. Il faut trouver le moyen de contourner ces obstacles à l'entrée sur ce marché. Ils ont été recensés il y a trois ans; on y travaille encore.
[Français]
La présidente : Les questions liées au cabotage ont un impact sur la marge de manoeuvre du Canada en ce qui concerne le transport maritime à courte distance. Et le gouvernement canadien ne peut pas agir seul en raison du libre-échange. Mais depuis 2005, les États-Unis acceptent de discuter de ces questions. Avez-vous une idée où en sont les discussions entre le Canada et les États-Unis? Et croyez-vous possible un assouplissement des règles de cabotage qui serait de nature à favoriser le transport à courte distance?
Mme Trépanier : Je le crois disponible mais, encore une fois, pour avoir assisté à quelques reprises à des conférences avec les Américains, soit en territoire canadien ou de leur côté, j'ai le sentiment que ce n'est pas les considérations environnementales qui importent, c'est simplement la congestion. Si on parle, par exemple, de l'autoroute 95 qui traverse les États-Unis, et qu'on regarde combien c'est compliqué d'entrer au Port de New York et comment on diffuse la marchandise dans ces zones-là, c'est par défaut qu'on va s'y intéresser. C'est parce que le problème sera là. Alors que c'est ce que je ne cesse de répéter quand on regarde l'exemple européen. Quand on parle de la situation sur la côte Ouest, pourquoi faut-il attendre que le problème nous touche? Pour une fois, adoptons une attitude offensive plutôt que défensive.
Dans le cas des Américains, je vous dirai : oui, ils vont collaborer. Ils vont regarder s'ils ont un problème, ils vont le régler, ils vont être opportunistes. Ensuite, ils vont nous imposer une façon de faire. Moi, je pense que nous aurions intérêt à être plus proactifs et dire : on joue ensemble, mais on doit aussi établir des règles ensemble.
La conférence de Vancouver visait justement une approche continentale. Et puis on le sait, depuis les événements du 11 septembre, l'approche continentale, on ne pourra pas la nier. Ce qui se décide d'un côté a de l'impact de l'autre. Les marchés, c'est la même chose. On est dans un contexte de libre-échange. Par contre, on dirait que l'on continue malgré tous ces engagements, à se frapper à des barrières, à des freins et des entraves, alors que théoriquement quand on en discute dans des forums, tout le monde est d'accord. C'est la conclusion quant à la faisabilité que j'attends.
Dans le cas de la Table du Québec, je vous dirai, que pour nous, ce qui compte, c'est que le service soit à destination ou en provenance d'un port du Québec, n'importe lequel. Il peut aller à l'échelle continentale. Il pourrait descendre en Floride. Quand j'entends qu'il y a des camions de granite qui partent du Lac St-Jean pour s'en aller jusqu'en Floride, je dis : de grâce, ce n'est pas périssable. On peut mettre un navire à quai et puis on peut en prendre quelques-uns et on va vous aider là-dessus. C'est ce genre de choses. Par contre, il faut revoir nos façons de faire et notre approche économique. Si on parle de développement durable, les gens disent souvent : c'est de l'environnement. Non, le développement durable, c'est de prendre en considération les aspects économiques, l'environnement, et penser à la pérennité des ressources pour l'avenir, les générations à venir. Je pense que cela stimule un peu des décisions.
[Traduction]
M. Corfe : Par définition, la Voie maritime est binationale. Dès sa création, les entités étaient binationales. Nous avons été mêlés de très près à ce qui se passe avec les États-Unis. En toute justice, nous avons nos obstacles à nous et eux ont les leurs. Le Jones Act est un obstacle qui ne risque pas de disparaître. L'autre obstacle, c'est la taxe d'entretien des ports, des droits imposés sur la valeur du produit qui entre dans les ports américains. Il est question au Congrès américain d'éliminer cette taxe pour le transport maritime à courte distance. Il y a des obstacles et il y a du mouvement.
Mme Trépanier a dit qu'il ne devait pas y avoir de discontinuité. Depuis le 11 septembre 2001, la sécurité est importante. Nous faisons de l'excellent travail avec les États-Unis pour ce qui est d'autoriser l'admission des navires dans le système. Ils sont approuvés avant d'être admis dans la Voie maritime à Montréal, pour les équipages, pour les deniers ports d'escale, pour le fret. L'approbation de navires se fait d'une manière qui permet à l'économie de tourner dans toute la mesure du possible sans discontinuité. Il y a beaucoup de coopération. C'est quand vous abordez les autres domaines, comme Mme Trépanier l'a dit, ils tiennent le même langage à une conférence, mais lorsqu'ils reviennent et affrontent la réalité chez eux, leurs électeurs, ça change.
[Français]
Mme Trépanier : Excusez-moi, madame la présidente. Il y a un petit complément. Il y a aussi une résistance du côté américain de la part des syndicats devant l'envahissement qu'ils imaginent terrible de la part de la main-d'œuvre en provenance des pays étrangers. Cela joue énormément dans le poids politique.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Pouvez-vous me dire quelle somme représentent les 25 p. 100?
M. Corfe : Pour être honnête, je n'ai pas les chiffres pour vous, sénateur, mais ce n'est pas beaucoup. Dans notre exposé nous avons donné le nombre de navires canadiens en service, qui a beaucoup baissé au cours des 20 dernières années. Nous étions rendus à 111 navires canadiens en 2005. Le dernier navire aux dimensions de la Voie maritime équipé pour transporter 870 chargements de biens a été construit en 1982. Peu de choses incitent à remplacer la flottille et les compagnies attendent le plus possible à cause de ces droits. Si vous investissez 40 millions dans un navire, vous allez devoir payer 10 millions de plus pour le faire venir au Canada. Je n'ai pas les chiffres, mais j'imagine que ce n'est pas très élevé parce que peu de navires canadiens sont construits à l'étranger. Il y en a quelques-uns, mais pas beaucoup.
Le sénateur Tkachuk : Si cet obstacle était levé, vous pensez que cela ferait augmenter le trafic. Avez-vous une idée de combien?
M. Corfe : Halifax est un port qui va voir les possibilités de croissance des conteneurs. Montréal, c'est pareil; la seule différence entre Halifax et Montréal c'est que vous pouvez accueillir de plus gros navires à Halifax. Si vous voulez transporter les conteneurs qui vont arriver sur nos côtes, est et ouest, il va falloir se doter de la capacité. À notre avis, la capacité ferroviaire est à peu près toute utilisée. Les usagers des chemins de fer vous diront que le service n'est pas très bon à cause des problèmes de capacité. On peut toujours construire d'autres routes, mais la vérité c'est qu'il y a des problèmes à la frontière et qu'il y a moins de camionneurs.
On va manquer de capacité et cette capacité on l'a dans la Voie maritime. On peut transporter 40 millions de tonnes de plus de marchandises chaque année. On pourrait transporter entre 250 000 et 300 000 conteneurs à partir d'Halifax ou de Montréal en passant par la Voie maritime vers le cœur de l'Amérique du Nord avec l'infrastructure qu'on a actuellement. Ça pourrait demander un peu d'argent, mais pas beaucoup. La capacité est là, la disponibilité est là et le marché commence. Pour revenir sur ce que disait Mme Trépanier, ce serait bien pour une fois d'avoir une longueur d'avance.
Nous sommes en discussions sérieuses avec les gros transporteurs, Hapag-Lloyd et Maersk; ils sont en quête de ce qu'ils appellent une autre corde à leur arc. À Halifax, c'est le CN ou la route; À Montréal, c'est le CP ou la route. Il est question que CP tombe en grève cette semaine. CN l'a été quelques fois cette année. Les fournisseurs sont à la recherche d'autres voies, d'autres possibilités, d'autres soupapes de sûreté, en quelque sorte, et c'est ce que nous disons. La voie maritime peut être une autre corde à leur arc, elle peut être une soupape de sûreté, ce ne sera pas le principal mode de transport des conteneurs, mais c'est une option que nous pouvons ajouter à l'éventail pour aider.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé des péages de la Voie maritime et des services maritimes. J'imagine que les péages serviront à financer les coûts d'exploitation, mais je n'en suis pas sûr. Faites-nous part de vos recommandations au sujet des péages de la Voie maritime et des services maritimes.
Vous nous avez dit : « En prenant les décisions de politique à ces sujets, les retombées sociales et environnementales de la navigation sur la Voie maritime doivent être intégrées à l'équation des coûts totaux ». Quand je lis une phrase comme celle-là, je vois en lettres majuscules le mot « subvention ». Je veux savoir si je suis dans la bonne voie. Les chemins de fer affirment qu'ils sont plus efficaces sur le plan environnemental.
Parlez-moi plus de ces retombées sociales et environnementales. Par retombées sociales, vous voulez dire qu'il y a moins de bruit et moins de camions sur les routes; je ne sais pas exactement de quoi vous parlez.
M. Corfe : Du côté des coûts, sénateur, les droits des services maritimes de la Garde côtière, le total est d'environ 40 millions. Ces droits ont été instaurés au milieu des années 1990 et l'industrie essaie de les faire disparaître depuis. Beaucoup de ces droits, imposés sur la côte Est, ne sont pas sur la côte Ouest. Je reviens à ce que je disais, la Voie maritime du Saint-Laurent et le fleuve sont vraiment notre quatrième côté mais on ne la traite pas ainsi. Nous avons besoin d'à peu près les deux tiers de l'argent que nous percevons en péage pour faire fonctionner le système. Le reste va à la capitalisation de la structure. Nous disons que nous devrions fixer nos droits de péage à un niveau qui couvrirait nos coûts d'exploitation et que le gouvernement, qui est propriétaire de l'infrastructure, paie pour l'entretien de l'infrastructure dans l'avenir.
Le sénateur Tkachuk : Vous parlez des dépenses en immobilisations.
M. Corfe : Oui, les dépenses en immobilisations. C'est la position de la Voie maritime. L'industrie, elle, estime qu'elle devrait être gratuite. Si nous voulons encourager le recours à cette voie navigable, au transport maritime à courte distance, elle devrait être gratuite, comme le camion qui est sur la route; vous payez l'immatriculation et puis vous partez. Nous sommes coincés. Selon nous, nous devrions avoir les recettes issues des péages pour couvrir nos dépenses d'exploitation. L'industrie vous dira que la Voie maritime devrait être gratuite. Si vous voulez encourager les gens à faire ce qu'il y a de bien, avoir recours à ce mode de transport quand c'est possible, ce devrait être la même chose que la route; un permis pour emprunter gratuitement cette voie de transport sans rien de plus.
En ce qui concerne les retombées sociales et environnementales, ce que nous voulons dire, c'est que la personne qui affrète un cargo va considérer le coût de A à B de ce cargo. Normalement, la personne ne considère pas les conséquences pour l'environnement d'emprunter ce mode de transport. La seule entité qui puisse en tenir compte, c'est le gouvernement. Ce n'est pas une question de subsides; il s'agit plutôt d'encourager à faire ce qu'il est bon pour la société dans son ensemble au lieu de ne tenir compte que des résultats financiers.
Le sénateur Eyton a parlé des actionnaires du CN et du CP, je crois. Si vous prenez vos décisions en ne songeant qu'aux actionnaires, vous allez agir en fonction de l'analyse de rentabilité. Nous, nous disons qu'il y a beaucoup d'autres facteurs d'ordre environnemental et social qui n'interviennent pas quand un homme d'affaires prend ses décisions. Comment peut-on faire en sorte qu'il prenne la bonne décision quand il expédie des marchandises au lieu de décider uniquement en fonction des avantages pour son entreprise?
Le sénateur Tkachuk : La seule façon de faire cela c'est soit au moyen de subventions pour les encourager à emprunter la Voie maritime soit en les pénalisant de se servir des camions ou du chemin de fer; autrement dit, une sorte de taxe. Nous avions les 25 p. 100 de taxe pour servir d'encouragement, mais ça n'a pas marché parce que le marché était contre.
On parle ici de forcer les gens à recourir à un mode de transport en particulier en fonction de coûts que les gens ne peuvent pas corriger. Ce n'est pas un encouragement suffisant de savoir qu'il n'y aura pas autant de bruit en bordure du chemin de fer ou de l'autoroute.
M. Corfe : Oui, les impacts sociaux, certainement dans le secteur du bruit, sont moins évidents.
Le sénateur Tkachuk : Ce n'est qu'une possibilité pour le gouvernement.
M. Corfe : Si vous vous servez des chiffres généralement cités sur les émissions de gaz à effet de serre par les navires, ils ne sont que la moitié pour le même mouvement de marchandise par chemin de fer et à peu près le dixième à ceux des camions. C'est l'occasion pour le gouvernement de faire la comparaison s'il le veut.
Le sénateur Tkachuk : Pour qu'on en arrive au but, et que l'on mette de côté le coût social et environnemental, pouvez-vous présenter les arguments financiers en faveur du recours à la Voie maritime plutôt qu'aux chemins de fer ou aux camions?
M. Corfe : Les analyses de rentabilité que nous avons faites se rapprochent constamment. Comme je l'ai dit, il y a trois ans, l'écart était d'à peu près 200 $ par conteneur. Nous l'avons réduit; lors de nos dernières discussions avec certaines lignes maritimes, nous étions rendus à 60 $ ou 70 $ le conteneur. Des choses comme la taxe de 25 p. 100, les péages de la Voie maritime et le pilotage égaliseraient la situation.
Le sénateur Fox : J'ai quelques questions à poser à M. Corfe et à Mme Trépanier. Vous parlez de fonctionnement à 60 p. 100 de la capacité; quelle est la moyenne historique? Elle monte ou elle descend? Est-ce qu'elle a jamais beaucoup dépassé les 60 p. 100?
M. Corfe : Si l'on revient en arrière, elle a été beaucoup plus élevée. Entre le milieu et la fin des années 1970 — la Voie maritime a ouvert en 1959 — le volume des marchandises était de 76 ou 77 millions de tonnes; l'an dernier, le volume était de 47 millions de tonnes.
Le sénateur Fox : Les choses sont-elles devenues plus difficiles avec le temps? Pourquoi la capacité baisse-t-elle?
M. Corfe : Le marché a changé. La Voie maritime a été construite pour les marchandises en vrac; sa vocation était d'importer les minerais de fer et d'exporter les céréales. Ces marchés ont changé. L'efficacité de la sidérurgie a changé; nous transportons la moitié du minerai de fer que nous transportions il y a 20 ou 25 ans. Le marché des céréales a changé.
Le sénateur Fox : Quel pourcentage de la sous-utilisation de la capacité attribueriez-vous à l'évolution du marché et quel pourcentage aux problèmes que vous avez mentionnés?
M. Corfe : La meilleure façon de vous répondre est de dire que la réduction du fret vient de l'évolution du marché et que nous n'avons pas été en mesure de profiter du nouveau marché. Le nouveau marché est celui des conteneurs. Nous n'avons pas trouvé le moyen de pénétrer ce marché. Le fret général, le volume transporté en conteneur, représente de 8 à 10 p. 100 de notre volume. Nous estimons que nous devrions porter cela à 25 ou à 30 p. 100.
Le sénateur Fox : Vous avez dit que pouvez « ... réduire la consommation de carburant et réduire le temps que les citoyens consacrent à la navette quotidienne jusqu'au travail ». Vous pensez probablement à la route 401 parce que je ne crois pas que vous puissiez parler de la circulation autour de Regina.
M. Corfe : Si nous considérons les couloirs commerciaux ou la porte de Québec à Montréal et de Toronto à Hamilton et à Windsor, ce couloir transporte beaucoup de marchandises et abrite beaucoup de monde.
Le sénateur Fox : Est-ce parce que l'on manque de routes de ceinture?
M. Corfe : Oui. C'est la quantité de camions sur la route. Dans l'agglomération de Toronto, par exemple, il y a un volume important de marchandises qui empruntent la route alors qu'elles pourraient être transportées par bateau.
Le sénateur Fox : Je suppose que les propriétaires de la route 407 en sont très heureux.
M. Corfe : Il n'y a pas beaucoup de camions sur la 407.
Le sénateur Fox : Non.
M. Corfe : Non, ils ne sont pas prêts à payer.
Le sénateur Fox : Ils ne veulent pas payer le péage.
M. Corfe : Non, je prends régulièrement la 407 et je ne vois pas souvent de camion.
Le sénateur Fox : Vous dites que le deuxième obstacle à l'optimisation du potentiel de la Voie maritime est un régime de réglementation du pilotage complètement désuet. Je suppose que vous parlez des droits de pilotage. Qu'est-ce que cela représente et est-ce pertinent dans cette équation?
M. Corfe : Tout à fait. Quand il s'agit d'un bateau de dimensions normales qui transporte des marchandises en vrac, 28 000 tonnes, le coût unitaire d'un coût supplémentaire est divisé par 28 000 tonnes. Lorsqu'il s'agit de marchandises diverses ou de conteneurs, les bateaux sont plus petits et le prix est le même si bien que le coût unitaire est deux ou trois fois supérieur. Si l'on ne transporte que 10 000 ou 8 000 tonnes, le coût unitaire est multiplié par trois.
Le sénateur Fox : Et vous dites que le pilotage obligatoire est en fait désuet?
M. Corfe : Oui, dans certains endroits. Nous avons le pilotage obligatoire dans le fleuve et Mme Trépanier pourra peut-être vous dire quelque chose à ce sujet, où des bateaux canadiens remontent et descendent continuellement; vivent de cela. Nous avons le pilotage obligatoire au centre du lac Supérieur, du lac Michigan, du lac Huron, du lac Ontario, du lac Erie, où l'on est comme en mer, et où, à notre avis, ce n'est pas nécessaire. Vous êtes allés au Port de Montréal; vous avez vu la technologie. Sur la Voie maritime, nous étions les premiers à adopter le système d'information automatique qui est un système de positionnement par satellite qui permet de savoir exactement où se trouvent les navires à partir d'un point de contrôle. Le navire sait où il se trouve et il sait où sont les autres navires, ce qui montre que la technologie a évolué mais que notre réflexion en matière de pilotage n'a pas évolué parallèlement.
Le sénateur Fox : Nous avons parlé des péages et des services maritimes et je n'ai peut-être pas saisi au complet votre réponse au sénateur Tkachuk. Si l'on réduisait ou éliminait les péages et les droits des services maritimes, il faudrait une subvention du gouvernement pour les opérations générales de la Voie maritime. Cette subvention risquerait-elle d'entraîner des mesures de représailles ou certaines contre-mesures de la part du secteur des transports routiers aux États-Unis?
M. Corfe : Premièrement, les États-Unis ont supprimé les péages de leurs écluses en 1986. Ils ont supprimé cet obstacle et constatent aujourd'hui que nous imposons des frais pour un service qui chez eux est gratuit.
Nous estimons, en tant que société responsable de la Voie maritime, que nous ne devrions pas avoir à demander des subventions. Nous voulons séparer le coût de fonctionnement quotidien du système du coût de l'entretien des infrastructures. À notre avis, la mise en place d'un système de péage qui nous permettrait de couvrir nos frais de fonctionnement serait l'option la plus sensée. Le gouvernement serait le propriétaire de l'infrastructure et la Corporation de gestion se chargerait de son fonctionnement. À notre avis, c'est le gouvernement qui devrait assumer le coût de l'entretien de l'infrastructure dans l'avenir. Cela nous permettrait d'en finir avec l'argument des subventions.
[Français]
Le sénateur Fox : Madame Trépanier, vous avez parlé de l'environnement et on a eu tendance aujourd'hui à nous dire que, tout est beau, tout est fin, que le « white knight » en matière de réduction de gaz à effet de serre, c'est effectivement la navigation maritime. Il y a sûrement d'autres problèmes. Peut-être qu'il y a une comparaison très favorable à faire dans le cas de réduction de gaz à effet de serre. Est-ce qu'il n'y a pas d'autres problèmes associés à l'utilisation de bateaux et à la pollution qu'ils laissent dans nos rivières, dans nos fleuves?
Mme Trépanier : C'est une excellente question. Parce qu'en fait, c'est la raison pour laquelle le programme a démarré. On a réalisé, en toute modestie, qu'on avait raison depuis des années de dire que nos émissions de gaz à effet de serre étaient moindres que les autres modes de transport par tonne/kilomètres. Cela ne veut pas dire qu'on ne produit pas d'autres émissions atmosphériques qui ont un impact sur la santé. Par exemple, les « knocks », les « socks » et cetera, des sortes d'azote. Et souvent, mon point de vue a été de dire : quand on est bon, on ne peut pas s'asseoir et puis dire qu'on va le rester. Il y en a toujours d'autres qui vont nous surpasser et puis c'est très bien. Je pense que c'est ce qui fait la motivation dans la vie. Mais, dans une industrie, c'est important de l'avoir aussi.
Le sénateur Fox : Le programme rejoint qui, et dans quel but?
Mme Trépanier : C'est un programme volontaire qui réunit des dirigeants d'entreprises, des présidents. En fait, on s'est dit : il faut investir en haut. Agir en haut, par exemple ce monsieur est membre de telle organisme, alors je peux très bien parler avec le responsable de l'environnement à la Corporation de gestion de la Voie maritime, il va être d'accord pour que je lui dise : vous devriez diminuer votre empreinte environnementale. Vous devriez faire tel et tel programme. Il en parle à son patron, son patron cette journée est occupé. Son patron dit : oui, oui, tu me mettras une note. Mais quand on réunit tous les présidents et les CEO dans une salle et puis qu'on leur dit : allez-vous vendre ceci? Quand ils retournent dans la compagnie, ça descend. Donc, l'impact est beaucoup plus grand, d'abord.
Deuxièmement, c'est dans une perspective de constamment s'améliorer, mais de confirmer que nous avons des défauts et promouvoir en même temps notre volonté de les faire disparaître. Je résumerais cela de la sorte.
Le sénateur Fox : Merci.
Mme Trépanier : Cela me fait plaisir.
[Traduction]
Le sénateur Zimmer : Quand nous étions à Vancouver, nous avons appris que le trafic en provenance de l'Asie avait augmenté. D'après une étude récente de l'Université du Nouveau-Brunswick, l'expédition de marchandises par conteneur entre l'Asie et l'Amérique du Nord devrait augmenter de 75 p. 100 au cours des 10 prochaines années. J'aimerais aborder également l'élargissement prévu du canal de Panama. Nous subissons actuellement des pressions venant de l'Est, de l'Ouest et du Sud.
Je suis originaire du Manitoba et vous aurez peut-être compris ce à quoi je veux en venir : les ports dans le Nord. Nous examinons les possibilités partout dans le monde mais pas dans le Nord. Madame Trépanier, vous avez mentionné l'Arctique et dès que vous avez mentionné Churchill, quelqu'un a invoqué la présence de glaces. Avec les changements climatiques, cela pourrait engendrer d'autres problèmes. Les Américains estiment que nous ne pouvons pas nous engager dans cette voie pour des raisons de sécurité. Cela fait pouffer de rire les Russes qui font remarquer qu'ils assurent une présence dans cette région depuis 50 ans, sous la glace. Et c'est un fait.
Nous sommes la cible de pressions venant de toutes les parties du monde. Nous avons également envisagé la route polaire du Nord. Les Américains préféreraient que nous survolions le Canada, que nous déposions les conteneurs et l'équipement aux États-Unis et que nous les ramenions par camion.
L'idée d'ouvrir un accès par l'Arctique et la route polaire vous semble-t-elle réaliste?
Étant donné le réchauffement climatique, est-ce que ce pourrait être un moyen — peut-être pas dans l'immédiat mais dans un proche avenir — d'atténuer les pressions qui existent dans le monde entier, grâce à un autre port? Qu'en pensez-vous?
M. Corfe : Le changement climatique a de bons et de mauvais effets. Il pourrait dans l'avenir permettre à un port comme celui de Churchill de rester ouvert pendant plus de trois ou quatre mois par année, ce qui est le cas à l'heure actuelle. Quand on a inauguré la Voie maritime, elle n'était ouverte que pendant huit mois et demi. À présent, elle est ouverte à la circulation pendant neuf mois et demi et bientôt dix chaque année. Par suite du changement climatique, il se pourrait bien que la Voie maritime soit navigable dix mois par année. Comme je l'ai dit, le changement climatique a du bon et du mauvais. Bien entendu, le mauvais, ce sont ses autres effets.
Je vous avoue très franchement que j'ignore s'il serait possible d'ouvrir un port dans l'Arctique. Dans cette équation, nous devrons envisager tous les modes de transport possibles, et leur capacité totale. Quand le canal de Panama ouvrira sa troisième voie et que toutes les voies seront fonctionnelles — parce qu'on ne veut pas que des navires restent à l'ancre trois ou quatre jours à Long Beach ou Vancouver en attendant de passer — des navires de 10 000 EVP traverseront le canal de Panama, arriveront à la côte Est et inonderont eux aussi le marché. Nous aurons besoin de la plus grande capacité possible, et le Port de Churchill pourrait en offrir une partie.
Mme Trépanier : On m'a posé la même question la semaine dernière à Ottawa. Quand il est question de changement climatique, nous pensons tout de suite au réchauffement, qui n'est pas nécessairement un phénomène durable. Il est imprévisible, si bien qu'il est difficile de savoir si et quand la glace va se rompre. Les compagnies canadiennes dont les navires naviguent dans l'Arctique ont des difficultés à cause de ces caractéristiques imprévisibles. Le passage est en train de se transformer; il est incertain et difficile à naviguer. Quand on parle du passage du Nord-Ouest, on songe aux coûts des brise-glace. La Garde côtière n'a pas d'argent pour les brise-glace. Comment alors pourrait-elle avoir l'argent nécessaire pour ouvrir le passage du Nord? De plus, les conditions pourraient devenir plus prévisibles et certains navires pourraient passer par cette voie pour gagner du temps, mais ils pourraient aussi se trouver pris dans la glace pendant un certain temps alors que nous sommes encore à l'ère du « juste-à-temps ». L'expéditeur veut savoir quand le navire va arriver. Ce n'est peut-être pas ce que vous espériez entendre, et j'en suis désolée, mais je vous ai répondu en toute franchise.
Le sénateur Zimmer : Ne vous en faites pas, nous sommes habitués. J'essayais simplement de m'imaginer comment serait l'avenir, quitte à rêver en couleur.
Le sénateur Eyton : Nous sommes tous fiers de la Voie maritime et nous faisons peut-être semblant de la connaître. Qu'est-ce que la Voie maritime et quelle est sa situation géographique?
M. Corfe : La Voie maritime proprement dite commence à Montréal, à St-Lambert. Si vous arrivez du golfe Saint-Laurent, vous pouvez naviguer jusqu'à Montréal et entrer au Port de Montréal pendant toute l'année. Comme vous le savez, la profondeur de l'eau diminue progressivement jusqu'à environ 35 pieds. La Voie maritime commence à l'Ouest de Montréal et permet aux navires de se rendre par le Saint-Laurent jusqu'au lac Ontario. Cette section est celle qu'on appelle la section internationale. Il y a cinq écluses du côté canadien et deux, du côté des États-Unis. La Voie maritime a été inaugurée en 1959 et, en empruntant sa section internationale, les navires peuvent naviguer sur le Saint-Laurent de Montréal au lac Ontario. La deuxième portion de la Voie maritime correspond au canal Welland, qui relie le lac Ontario au lac Érie et permet aux navires de contourner les chutes Niagara. Il y a huit écluses sur le canal Welland. Le canal actuel est le quatrième canal Welland, et il a été inauguré en 1932. Le premier canal Welland a été ouvert en 1829 et le quatrième, en 1932. Nous fêtons son 75e anniversaire cette année. Ses huit écluses permettent aux navires de passer du lac Ontario au lac Érie, qui est plus élevé. Dans la section comprise entre Montréal et le lac Ontario et celle qui est comprise entre le lac Ontario et le lac Érie, nous permettons le passage de navires transportant 29 000 tonnes de marchandises au maximum. Ils peuvent aller jusqu'à Duluth du côté américain, ou Thunder Bay du côté canadien; ainsi, cette voie est accessible pour le commerce au reste du monde.
Nous avons quatre écluses au Québec, deux près de Valleyfield, à Beauharnois, et deux sur la rive-sud. Nous avons deux écluses aux États-Unis et également un chapelet de neuf écluses en Ontario.
Le sénateur Eyton : Ce qui appartient à la Voie maritime ce serait, en fait, les écluses et peut-être leurs voies d'accès.
M. Corfe : Les écluses, les chenaux et les ponts constituent l'infrastructure, si vous voulez.
Le sénateur Eyton : L'infrastructure appartient-elle au gouvernement fédéral?
M. Corfe : Oui.
Le sénateur Eyton : Qui en a la responsabilité au gouvernement fédéral?
M. Corfe : La voie maritime relève de Transports Canada.
Le sénateur Eyton : Qui est propriétaire des écluses et des pistes?
M. Corfe : Sa Majesté est propriétaire des écluses et des pistes. Autrement dit, c'est le gouvernement qui en est propriétaire. De 1959 à 1998, c'était une société d'État, l'Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent, qui détenait les titres de propriété, une société très semblable au CN. Cela a changé en 1998, année à laquelle on a créé la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent qui continue de relever du gouvernement.
Le sénateur Eyton : C'est alors qu'on a créé la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent?
M. Corfe : C'est exact.
Le sénateur Eyton : Est-ce à vous qu'il incombe de gérer les écluses?
M. Corfe : Notre tâche est l'exploitation commerciale des écluses, la promotion de la croissance du réseau et la coordination des activités avec les États-Unis.
Le sénateur Eyton : Et cette société appartient à Transports Canada?
M. Corfe : C'est une société à but non lucratif dont le conseil d'administration compte neuf membres : cinq représentant le secteur, trois représentant les gouvernements de l'Ontario, du Québec et d'Ottawa, et moi.
Le sénateur Eyton : De qui relevez-vous?
M. Corfe : Nous rendons des comptes au conseil d'administration. Nous avons conclu une entente de gestion avec Transports Canada. Cette entente de gestion de 20 ans est un document juridique qui régit la gestion du système.
Le sénateur Eyton : Et tout cela a commencé en 1998.
M. Corfe : Oui.
Le sénateur Eyton : L'entente arrivera donc à échéance dans une dizaine d'années.
M. Corfe : Nous en sommes à notre dixième année, en effet.
Le sénateur Eyton : Est-il possible pour un porte-conteneurs de circuler dans la voie maritime? J'aimerais avoir une idée de la taille des navires, en EVP, qui peuvent emprunter la Voie maritime de Montréal jusqu'à Halifax, je suppose. Quelle est la taille maximale d'un navire que peut accueillir ce port?
M. Corfe : Halifax peut accueillir les plus gros navires du monde.
Le sénateur Eyton : Les navires de la Maersk peuvent-ils entrer dans le port d'Halifax?
M. Corfe : Le nouveau vaisseau de 11 000 ou 12 000 EVP que vient de lancer la Maersk devrait pouvoir mouiller à Halifax. La profondeur de l'eau à Halifax est de 55 pieds, soit ce qu'il faut à un navire chargé à capacité. Je crois que Montréal pourrait accueillir un navire de 4 000 EVP. À Montréal, cela dépend un peu du niveau de l'eau. La profondeur de l'eau est d'environ 35 à 37 pieds, ce qui permet le mouillage d'un navire de 3 600 à 4 000 EVP, et peut-être même à 4 200 EVP. Un vaisseau qui emprunte ensuite la Voie maritime à partir de Montréal ou d'Halifax voit sa capacité augmenter d'environ 1 000 EVP.
Le sénateur Eyton : C'est toute une différence.
M. Corfe : En effet et c'est pourquoi nous préconisons de cibler le transbordement à partir d'Halifax ou de Montréal. Quand on soustrait 12 000 EVP d'un navire, cela équivaut à 71 kilomètres par voie ferrée. Nous pourrions donc faire le transbordement sur un navire de 800 ou 900 EVP pouvant naviguer sur la Voie maritime ou un navire de plus petite taille, de 300 à 400 EVP, pour un marché particulier.
Le sénateur Tkachuk : Poussons la comparaison un peu plus loin : y a-t-il une différence entre le temps qu'il faut pour passer par la Voie maritime et celui qu'il faut pour aller en train ou en camion de Chicago à Montréal?
M. Corfe : Oui. En théorie, il y a une différence. Si ma mémoire est bonne, le parcours en train de Montréal à Chicago prend probablement 36 heures.
Le sénateur Tkachuk : Je crois que vous avez raison. N'est-ce pas ce qu'on nous a dit? On nous a dit que cela prenait 33 heures et qu'on espère réduire ce temps à 24 heures. Autrement dit, c'est 33 heures, mais on rêve de faire mieux.
M. Corfe : Un navire naviguant sur la Voie maritime prendrait probablement quatre jours.
Le sénateur Tkachuk : Il lui faudrait quatre jours, mais il transporterait 1 000 conteneurs.
M. Corfe : Oui, des conteneurs qu'on n'aurait peut-être pas pu expédier autrement. Nous ne prétendons pas que la Voie maritime représente la seule solution. Plutôt, nous faisons partie d'un ensemble de solutions.
Le sénateur Tkachuk : Par conséquent, quand le transport ne doit pas absolument se faire en un ou deux jours, vous pouvez vous en charger.
M. Corfe : On parle de moins en moins de livraison « juste-à-temps ». De plus en plus, ce que les clients réclament, c'est la fiabilité, la certitude que la marchandise sera livrée au moment demandé. On nous demande : « Vous serez là à 10 heures mardi, n'est-ce pas? » Et nous répondons « Oui, nous serons bien là à 10 heures mardi. » Voilà le changement qui s'est produit ces dernières années. Manifestement, quand on expédie des marchandises de Shanghai ou Hong Kong à Chicago ou Toronto, ce ne sont pas les 36 heures ou les quatre jours à la fin du trajet qui comptent, mais bien le temps d'expédition au total. Dans l'ensemble, nous sommes assez concurrentiels. Nous pourrions toutefois être plus fiables, surtout en ce qui a trait aux problèmes que nous connaissons depuis un certain temps à la frontière.
Le sénateur Zimmer : Parlez-nous un peu de la logistique. Comment procédez-vous? Si vous faites du transbordement à partir d'un grand navire, la cargaison doit-elle être déchargée au port pour ensuite être embarquée sur un plus petit navire ou pouvez-vous faire le transbordement directement d'un navire à l'autre?
M. Corfe : On peut faire les deux. L'idéal, c'est de transborder la cargaison d'un navire à l'autre. À Hambourg, on le fait régulièrement quand on sait que les conteneurs sont destinés directement au marché. On peut décharger la marchandise au bassin puis l'embarquer sur un autre navire. Manifestement, cela implique deux fois plus de manutention.
Le sénateur Zimmer : En effet, le transbordement de navire à navire est plus rapide.
M. Corfe : Oui, beaucoup plus rapide.
[Français]
La présidente : Je vous remercie, monsieur Corfe et madame Trépanier, de votre présence que nous avons vivement appréciée. Vos propos ajoutent au rapport que nous aurons à faire à l'automne sur ce dossier important pour l'économie du Canada, mais également pour les consommateurs.
[Traduction]
Honorables sénateurs, je vais lever maintenant la séance. Merci beaucoup.
La séance est levée.