Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 16 - Témoignages du 20 juin 2007
OTTAWA, le mercredi 20 juin 2007
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel est renvoyé le projet de loi C-59, Loi modifiant le Code criminel (enregistrement non autorisé d'un film), se réunit aujourd'hui, à 18 h 40, pour en faire l'examen.
Le sénateur David Tkachuk (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Je déclare la séance ouverte. Je demanderais aux fonctionnaires de nous décrire la substance du projet de loi, après quoi les sénateurs pourront poser des questions au ministre lorsqu'il arrivera.
Aujourd'hui, nous avons devant nous, de Justice Canada : M. Michael Zigayer, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ainsi que Patricia Neri, directrice générale, Politique du droit d'auteur. Monsieur Zigayer, veuillez commencer, je vous prie.
Michael Zigayer, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Merci. Honorables sénateurs, c'est un pour moi grand plaisir d'être ici avec vous ce soir. Je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions afin de « tuer le temps » en attendant l'arrivée du ministre.
Cela étant dit, même si le projet de loi C-59 est court et ne compte qu'un seul article, l'expliquer n'est pas une tâche facile. Je serai heureux de vous en donner les détails et de vous préciser comment il s'insère dans le régime général du Code criminel. Par la suite, peut-être le ministre pourra-t-il vous expliquer en vertu de quelle politique nous avons adopté ces dispositions.
Le nouvel article proposé sera inséré dans la partie du Code criminel qui porte sur les infractions relatives au vol. On peut penser à la prise d'un véhicule sans consentement de son propriétaire, sans qu'il s'agisse d'une appropriation totale de ce bien. C'est ce type de disposition qui avoisinerait celle qui nous occupe dans le Code criminel.
Nous avons commencé par tenir compte des préoccupations de l'industrie pour qui le simple enregistrement par caméscope est une activité problématique qui, en soi, devrait être criminalisée. Nous avons étudié les méthodes adoptées par d'autres gouvernements pour régler la question et avons mis au point une stratégie canadienne. Les sanctions ne sont peut-être pas aussi sévères que dans d'autres pays, mais elles présentent des caractéristiques communes avec celles qui existent ailleurs.
D'abord, le fait d'enregistrer une œuvre cinématographique projetée dans un cinéma sans le consentement du gérant du cinéma deviendrait, en vertu du paragraphe 432(1) du Code criminel, une infraction hybride, c'est-à-dire une infraction qui peut être poursuivie par voie de mise en accusation ou de déclaration sommaire de culpabilité. Si une personne est poursuivie par mise en accusation, elle est passible d'une peine maximale d'emprisonnement de deux ans et, dans le cas d'une déclaration sommaire de culpabilité, cette peine maximale est de six mois.
L'autre infraction, décrite au paragraphe 432(2), pousse ce comportement un peu plus loin, c'est à-dire qu'en plus d'avoir vu la personne se livrer à l'enregistrement d'une œuvre cinématographique dans un cinéma sans le consentement du gérant du cinéma, on a obtenu des preuves de son intention ultérieure de vendre, louer ou distribuer commercialement par un autre moyen cette copie vidéo.
Les crimes de ce genre ont été facilités par la miniaturisation des appareils d'enregistrement. Tout le monde a un caméscope ou connaît quelqu'un qui en possède un. Cette technologie est utilisée à des fins criminelles. Ces dispositions du Code criminel mettent, ou visent à mettre un terme à ce type de pratique.
Le troisième paragraphe de l'article 432 — 432(3) — est une disposition qui donnera à la Cour le pouvoir d'ordonner la confiscation de toute chose utilisée dans la perpétration de l'infraction. Il est clair qu'il s'agirait de l'appareil d'enregistrement, mais peut-être aussi d'autre matériel comme un tripode ou un microphone. Néanmoins, particulièrement dans le cas de la seconde infraction, soit l'enregistrement à des fins illégales, d'autres éléments de preuve pourraient être saisis au cours de l'enquête, par exemple un ordinateur, de multiples copies de DVD ou autre type d'équipement dont on pourrait ordonner la confiscation.
Finalement, le dernier paragraphe, 432(4), est une sorte de mécanisme de sécurité. La disposition stipule qu'un juge n'ordonnera pas la confiscation de ce genre d'équipement si celui utilisé par la personne ayant fait l'enregistrement ne lui appartenait pas. Si votre enfant va au cinéma avec votre caméscope et enregistre un film, cela constitue une infraction. Cependant, vous n'avez pas autorisé l'enfant à se servir du caméscope; dans ce cas, la Cour rendrait l'appareil d'enregistrement à son propriétaire légitime.
Pour l'essentiel, voilà la portée de ce mécanisme. Il est très important de comprendre que l'application de cette loi, étant donné que celle-ci figure dans le Code criminel, relèvera de la police locale et de la Couronne provinciale. Dans un sens, c'est un changement significatif, parce que la police locale est la mieux placée pour répondre aux appels d'intervention afin d'arrêter quelqu'un qui est en train d'enregistrer.
L'industrie cinématographique a indiqué croire que la plupart des enregistrements par caméscope au Canada se font à Montréal, territoire du ressort du Service de police de la Ville de Montréal. On peut s'attendre à ce que la police montréalaise prenne les mesures d'intervention nécessaires pour empêcher que l'enregistrement illégal se poursuive.
C'était un tour d'horizon de ce projet de loi extensif. Cela dit, toutes vos questions sont les bienvenues, et j'espère pouvoir y répondre.
Le vice-président : Madame Neri, vous n'êtes pas venue pour faire un exposé, mais seulement pour nous fournir des informations, n'est-ce pas?
Patricia Neri, directrice générale, Politique du droit d'auteur, Patrimoine Canada : C'est exact.
Le sénateur Johnson : Comme je le répéterai également au ministre, mes félicitations pour ce projet de loi; je vous lève mon chapeau.
Lorsque vous dites « sans le consentement du gérant du cinéma », s'agit-il d'un élément qu'on a l'habitude de préciser? Personne ne devrait faire d'enregistrement, que ce soit avec ou sans autorisation. Pourquoi cette expression?
M. Zigayer : Nous y avons réfléchi en rédigeant le projet de loi. Le gérant est la personne en charge du cinéma où le film est projeté. On le paie un certain montant pour le montrer. Il est le responsable de cet établissement; nous avons donc jugé approprié d'inclure l'absence de consentement en tant qu'élément d'infraction.
De plus, ailleurs, aux États-Unis par exemple, le gouvernement fédéral applique une loi qui mentionne également l'absence d'autorisation du détenteur de droit d'auteur. Cependant, ce n'est pas la Loi sur le droit d'auteur qui nous occupe ici, mais le Code criminel.
Comme je l'ai dit plus tôt, nous avons élaboré ensemble un mécanisme ou une disposition qui traite d'un comportement, soit l'enregistrement d'une œuvre cinématographique sans le consentement de la personne qui est légalement en charge de cette œuvre et qui contrôle le cinéma où elle est projetée.
Le sénateur Johnson : Quant à un autre sujet concernant les films, le gouvernement prévoit-il enrayer d'une quelconque façon le partage illégal de fichiers? J'ai lu un article selon lequel le partage de fichiers sur des réseaux de partage de personne à personne comme eDonkey représentait moins de 10 p. 100 de la circulation totale sur internet en 1999, proportion aujourd'hui établie à 60 p. 100. Cette activité a connu une croissance, alors que les nouvelles technologies à large bande se sont répandues en permettant le partage rapide de gros fichiers.
Je serais curieux de savoir si, en ce qui a trait à cette loi, vous pourriez entretenir notre comité de cet aspect du piratage de films? On se dirige davantage dans cette direction que dans celle des cinémas.
M. Zigayer : Je ne peux vous aider là-dessus.
M. Johnson : Selon une étude de marché, 93 p. 100 de ceux qui téléchargent des films dans ce pays le font illégalement. Ce problème semble encore plus grand que l'enregistrement illégal d'œuvres cinématographiques dans les cinémas, comme je l'ai dit plus tôt. Les coûts du piratage s'élèvent à 173 millions de dollars annuellement. Nous ignorons à quel point cela est relié à l'enregistrement par caméscope.
Cette loi est évidemment une très bonne chose et constitue un excellent point de départ, mais a-t-on songé à l'avenir?
M. Zigayer : Pour ce qui est d'une stratégie gouvernementale à l'égard de toute la question du piratage de films, je pense que nous pouvons dire que cette loi cible l'étape préalable à tout autre type d'activités illicites. Sans avoir d'abord enregistré illégalement une œuvre cinématographique, on ne peut passer aux étapes suivantes. Un film ne peut être envoyé par Internet à un complice qui se trouve à l'étranger, où on en fera des copies à une échelle industrielle pour ensuite les vendre dans un pays où le film n'est pas encore sorti.
Mettre un terme à l'enregistrement par caméscope contribue à réduire cette activité criminelle secondaire. Je pense qu'il y a lieu de croire à l'existence d'une situation de crime organisé où des gens au Canada font partie d'une association de malfaiteurs et ont un arrangement avec des complices d'autres régions du monde, tout cela dans le but de rapporter de l'argent à une organisation.
Le sénateur Johnson : En vous penchant sur ce projet de loi, vous avez de toute évidence tenu compte des lois appliquées dans des pays comme les États-Unis et le Japon.
M. Zigayer : Le Japon vient d'adopter une loi en ce sens; j'ai tenté d'y jeter un coup d'œil, mais je n'ai pas mis la main dessus. J'ai pu m'informer de la situation de quelques États des États-Unis ainsi que de leurs lois.
Le sénateur Johnson : Compte tenu de nos travaux dans ce domaine, savez-vous si on a envisagé de créer un projet de loi sur le droit d'auteur relatif aux documents numériques pour ce qui est de légiférer sur le plan des copies de projection? Je pense qu'aux États-Unis, jusqu'à 70 p. 100 des films étudiés font l'objet de fuites.
Peut-on vraiment maîtriser le moindrement ces activités? Jusqu'à quel point pouvons-nous assurer un contrôle lorsqu'il s'agit du numérique?
Mme Neri : Les chiffres de l'industrie montrent que 90 p. 100 des copies illégales en circulation viennent d'enregistrements par caméscope dans les cinémas. Ce projet de loi aura un effet significatif sur les copies illégales.
Le sénateur Johnson : Ce n'est que le début. Ma question concernait l'avenir.
Mme Neri : Pour ce qui est des questions relatives au numérique, Industrie Canada et Patrimoine Canada travaillent à l'élaboration de diverses options pour les ministres pour ce qui est de la ratification des traités de l'OMPI.
Le sénateur Merchant : Si vous avez examiné le langage corporel de notre premier témoin, vous aurez vu le large sourire qu'il a arboré pendant tout le temps où il a parlé de la question, comme c'est le cas en ce moment même. Par conséquent, je me demande à quel point ce sujet est sérieux.
Quelle est la genèse de cette loi? Pourquoi surgit-elle soudainement? Est-ce parce qu'Arnold Schwarzenegger est arrivé, qu'il évolue dans l'industrie du cinéma et que c'est une question dont il se préoccupe?
M. Zigayer : Je peux vous dire que c'est un dossier auquel je travaillais avant qu'Arnold Schwarzenegger n'arrive en ville. Peut-être pas depuis très longtemps, mais j'y travaillais.
Blague à part, c'est une préoccupation permanente pour l'industrie canadienne. Industrie Canada et Patrimoine Canada se sont penchés sur la question et y ont travaillé. L'un de mes collègues était chargé du dossier avant que j'arrive et que je prenne la relève.
Cela dit, nous considérons qu'il s'agit d'un sujet sérieux. L'industrie a présenté des renseignements convaincants. À vue de nez, peut-être qu'une personne qui en voit une autre enregistrer un film à l'aide d'une caméra dans un cinéma ne trouve pas cela très grave, mais c'est une dimension secondaire. C'est ce qui se passe par la suite avec la copie qui compte. La vente de cette copie enlèvera des revenus à ceux à qui ils reviennent. Ils iront à quelqu'un qui gère une entreprise criminelle.
Le sénateur Merchant : Je trouve difficile à croire que les types de copies qu'on crée sont d'une qualité qui justifie une telle activité sur le marché noir. Quel genre de film peut-on produire avec un caméscope ou un téléphone cellulaire?
M. Zigayer : Je suis heureux de voir que mon collègue est là; il arrive juste à temps.
Le vice-président : Nous sommes au beau milieu du sujet. Honorables sénateurs, si vous le voulez bien, nous allons laisser au ministre le temps de s'organiser et de présenter sa politique. Puis, nous aurons l'occasion de poser des questions, et lui ou ses fonctionnaires pourront y répondre.
L'honorable Robert Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Honorables sénateurs, j'ignore à quel point vous avez étudié la question. Je vais donc vous expliquer pourquoi nous criminalisons l'enregistrement non autorisé d'une œuvre cinématographique.
Nous croyons que l'enregistrement non autorisé de films dans les cinémas devrait être interdit dans notre pays. Cette activité revient à du vol. Diverses raisons justifient une action à cet égard. L'industrie cinématographique est axée sur un modèle de distribution qui repose fortement sur la création d'un intérêt envers le lancement d'un film en tant que stratégie cruciale pour le secteur. Le fait est en qu'en vertu de ce modèle de distribution, la sortie d'un film sur le marché nord-américain a habituellement lieu environ quatre mois avant son lancement ailleurs dans le monde. Il est essentiel d'avoir une certaine protection lorsque les films sont diffusés pour la première fois.
Inutile de dire que les œuvres cinématographiques sont très en demande au moment de leur lancement. L'avènement de la technologie numérique a permis le développement de caméscopes compacts facilitant la transmission par Internet d'une copie d'un film enregistré et ce, pratiquement dans les moments qui suivent sa sortie. De vastes organisations criminelles transnationales en tirent profit. Je pense que c'est un grave problème, pas seulement pour l'industrie cinématographique des États-Unis, mais aussi pour celle du Canada et pour tous ceux qui gagnent leur vie dans ce secteur.
On estime que dans ce pays, le piratage de films représente une perte d'environ 118 millions de dollars. Je voudrais signaler aux membres du comité que les activités de piratage de DVD constituent déjà une infraction au Code criminel canadien, tout comme l'enregistrement d'un film par caméscope aux fins d'une redistribution commerciale au sens de la Loi sur les droits d'auteur. La jurisprudence établit clairement que la vente et la mise en vente de matériel protégé par un droit d'auteur et ayant fait l'objet d'un piratage constituent une fraude au sens du Code criminel, qu'il y ait ou non une perte financière pour le détenteur de droit d'auteur.
Lorsque la valeur de la fraude dépasse 5 000 $, il s'agit d'une infraction punissable par voie de mise en accusation. Le problème, cependant, c'est qu'il s'est avéré presque impossible de condamner qui que ce soit en vertu de ces dispositions. Habituellement, la personne trouvée en train d'enregistrer un film dans un cinéma prétendra qu'elle le faisait seulement pour son usage personnel. Le seul fait de prouver, en vertu de la Loi sur les droits d'auteur, que cet individu se servira par la suite de la copie à des fins commerciales est difficile, mais il arrive aussi qu'on manque d'éléments de preuve probants. Parfois, un individu est simplement payé quelques centaines de dollars pour faire l'enregistrement et ne s'occupe pas de redistribution commerciale après coup.
Je pense que ce projet de loi obtient pas mal d'appuis. Il érigerait en infraction l'enregistrement non autorisé de films, que ce soit pour son propre usage ou aux fins de la vente, de la location ou de la distribution commerciale de films piratés, avec ou sans la participation d'autres personnes.
Le Parlement japonais a déjà agi à cet égard. Cette loi interdirait l'usage de tout appareil d'enregistrement dans un cinéma et rendrait une telle activité punissable.
Les États-Unis ont adopté des lois en la matière. Trente-huit États, en plus du district de la Colombie, ont des lois similaires à celle-ci. Même le Mexique y pense, mais il n'en a pas encore adoptées.
Les honorables sénateurs savent probablement que deux types d'infractions sont énumérés. Elles sont toutes deux intégrées au Code criminel. Il semble y avoir avantage à le faire. Plutôt que d'en faire une infraction à la Loi sur les droits d'auteur en tant que loi fédérale, la police connaît mieux le Code criminel, et est plus habituée à l'appliquer. En étant une infraction au Code criminel, cela aura un effet considérable sur les poursuites contre ce type d'activité.
Je pourrais en parler longtemps, monsieur le président. Cependant, il me semble que c'est une loi assez claire. Elle jouit d'un vaste soutien et j'espère que le comité l'appuiera.
Le sénateur Merchant : Est-ce que le ministre sait s'il existe de telles lois en Europe? Il a parlé des États-Unis et du Mexique.
M. Nicholson : Je ne le sais pas. Les exemples que j'ai fournis sont le Japon, le Mexique et des districts des États- Unis.
Le sénateur Eyton : J'ai lu que certains distributeurs mettaient en fait le Canada sur une liste noire, pour la première diffusion.
M. Nicholson : C'est vrai. Warner Brothers.
Le sénateur Eyton : J'ai du mal, comme d'autres qui ont posé des questions plus tôt, à y voir un problème. L'idée que je m'en faisais, c'est celle du gars assis au deuxième rang avec sa caméra, qui essaye d'enregistrer un film. Mais vous m'avez convaincu qu'en fait, c'est un enregistrement de grande qualité et efficace qui est distribué dans le commerce, avec beaucoup d'efficience.
Vous et vos collègues avez parlé de précédents. Vous avez expliqué de manière générale quelque chose qui est en vigueur aux États-Unis, et aussi au Japon. Est-ce que ces lois sont aussi sévères que ceci? Est-ce qu'elles prévoient, par exemple, des peines d'emprisonnement? Il semble que pour l'amateur qui tient une caméra, une peine d'emprisonnement peut paraître extrême.
M. Nicholson : Tout d'abord, en ce qui concerne la peine d'emprisonnement, vous pouvez voir que nous avons divisé l'infraction en deux infractions distinctes, avec une pénalité moindre pour la première. Elle est plus sévère pour la personne qui distribue ces enregistrements à des fins commerciales.
En général, les infractions au Code criminel, dont le vol, sont assorties d'un dossier criminel et sont passibles de peine d'emprisonnement. C'est laissé à la discrétion des juges. Ce n'est pas parce qu'une peine maximale est prévue pour chacun de ces cas que cela signifie nécessairement — en fait, il est très rare au Canada que quiconque soit condamné à la peine maximale. Quoi qu'il en soit, il faut qu'il y ait interdiction pour faire passer le message que le pays n'est pas un havre pour les pirates de la vidéo. Comme je disais, c'est un marché phénoménal, de dizaines de millions de dollars, et je pense que c'est juste.
Pour ce qui est de comparer cette loi avec celle d'autres compétences, je laisserai M. Zigayer en parler.
M. Zigayer : Je commencerai avec la loi la plus récente, qu'a adoptée le Japon. Je répète que notre loi est un peu différente. Ils prévoient une pénalité maximale de 10 ans d'emprisonnement et une peine maximale de 10 millions de yens, soit, si je ne me trompe, environ 85 000 $. La Californie, d'un autre côté, a fixé une pénalité moins sévère. C'est une amende de 2 500 $, ou une peine d'un an d'emprisonnement, ou les deux. C'est assez semblable à ce que nous avons pour une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Notre amende maximale, pour ce genre d'infraction, est de 2 000 $, et la peine d'emprisonnement maximale est de six mois.
Donc, pour ce que j'appellerais une infraction de premier degré, le simple enregistrement au moyen d'une caméra vidéo, nos pénalités sont comparables à celles de la Californie et sont à des années-lumière de celles du Japon. D'un autre côté, nous avons criminalisé l'infraction plus grave, en l'assortissant d'une pénalité plus sévère, soit une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans, ce qui signifie que la personne a droit à un procès devant jury.
L'autre infraction dont a parlé le ministre tout à l'heure, dont nous ne traitons pas dans cette loi, c'est que la vente réelle de ces faux enregistrements constitue de la fraude. La pénalité pour fraude, dans le Code criminel, est de 14 ans de prison. C'est une infraction punissable par mise en accusation.
Le sénateur Eyton : La deuxième question concernait l'allusion qui a été faite au gérant du cinéma. Il semble peu courant qu'on puisse pointer du doigt quelqu'un, qui n'est probablement pas très bien payé, et l'associer à tout cela et à l'infraction. Pensez-vous que ce sera efficace? Je pense à l'aspect pratique, au gérant d'un cinéma qui est soudainement confronté à un problème de caméra. Il semble que bien des gérants ne se porteront pas volontaires parce que cela pourrait leur causer des problèmes. Est-ce qu'on y a pensé?
M. Nicholson : Il nous faut quelqu'un qui puisse dénoncer l'activité. Pour la police qui a eu des échanges et qui a été appelée pour des cas de piratage vidéo, il semble toujours y avoir quelqu'un, le gestionnaire de cinéma, la personne qui se soucie le plus de cette activité. M. Zigayer, avez-vous autre chose?
M. Zigayer : En ce qui concerne la poursuite elle-même, on verrait la police arriver sur la scène et appréhender la personne, soit pendant qu'elle enregistre le film, ou à un moment donné au cours de l'enregistrement. Cette personne serait amenée devant un tribunal et accusée de cette infraction.
L'un des problèmes, c'est le consentement. Il faudrait que cette personne démontre qu'elle avait obtenu un consentement. S'il n'y a pas consentement, il doit y avoir un autre élément dans le crime. La Couronne n'aura pas beaucoup de mal à le prouver. C'est quelqu'un sur place — je répète que des gens sur place y sont mêlés, les gérants des lieux. La police locale fait enquête et le procureur provincial local intentera les poursuites.
Le sénateur Eyton : Généralement, il faudrait que le gérant soit là.
M. Zigayer : Oui, et il a un intérêt dans l'activité. Je pense, pour l'industrie du cinéma, que le gérant du cinéma a tout intérêt à s'assurer que personne n'enregistre les films projetés à son cinéma.
[Français]
Le sénateur Dawson : Monsieur le ministre, j'ai dit qu'en tant que critique au Sénat, j'allais appuyer le projet de loi sans condition et je crois que c'est tout à fait justifié. Je peux vous référer à mon discours si vous le désirez.
Comment se fait-il qu'on ne s'adresse pas à d'autres formes de piratage, au décodage et aux antennes paraboliques illégales et autres fraudes de ce genre qui sont dues à la modernisation mis à la disposition des gens? Cette partie de ma question est très importante. Beaucoup de jeunes ont pris cette habitude depuis longtemps et tout à coup, cela deviendra un grand crime. Ce ne sera plus juste quelque chose pour lequel ils vont se faire taper sur les doigts. Comment ce nouveau pseudogouvernement fera-t-il pour que la population comprenne que c'est un changement drastique, que c'est un changement de registre et qu'à partir de maintenant c'est criminel? Comment procéderez-vous pour informer la population de cette nouvelle offense?
[Traduction]
M. Nicholson : Je serais étonné, sénateur, qu'il y ait des gens qui, ce faisant, pensent bien faire et que c'est une excellente idée. Tout d'abord, c'est difficile à prouver et d'obtenir une condamnation. À ce que je comprends, quand ces gens sont pris sur le fait, ils savent généralement bien qu'ils étaient en train de faire quelque chose qu'ils n'auraient pas dû faire.
Cela étant dit, les propriétaires de cinéma et l'industrie elle-même nous aideront à faire passer le message qu'il y a eu un changement et que c'est une activité criminelle.
Le sénateur Dawson : Je le comprends, monsieur le ministre. Je n'ai rien contre le fait d'attaquer les grands fraudeurs, mais il y a des gens qui ont fait cela en toute innocence et non pas à des fins de violation des droits d'auteur et de distribution. Ils le faisaient, c'est tout. Il serait très difficile pour le gérant de cinéma ou la police de faire la distinction entre ces personnes. J'aimerais m'assurer qu'ils auront été informés. S'ils continuent à le faire et que c'est illégal, je comprends qu'ils commettent une infraction. Je voudrais m'assurer qu'il y ait une période de transition entre aujourd'hui où, je pense, nous allons avaliser ce projet de loi et il sera adopté, et le jour où la police et les propriétaires de cinéma de Montréal commenceront à l'appliquer; je voudrais m'assurer que le gouvernement fasse un effort véritable pour en informer la population. Vous pouvez en faire part à l'industrie, si vous voulez, ou demander à M. Schwarzenegger d'en faire la publicité, mais je voudrais être sûr que la population sache que c'est un crime.
M. Nicholson : Sénateur, vous nous aiderez à faire passer le message. J'ai déjà demandé à mes collègues et aux députés de l'annoncer, quand le projet de loi sera adopté, s'il l'est. Il serait utile que les députés et les sénateurs contribuent à diffuser le message. Si vous pensez que j'ai un budget pour annoncer ceci d'un bout à l'autre du pays, vous vous trompez — ce ne serait probablement pas le rôle du ministère de la Justice de toute façon. Je suis assez sûr que l'industrie du cinéma et les propriétaires de cinémas du pays diffuseraient le message.
Pour celui qui aime tout simplement faire ces enregistrements sans penser à mal, pour une raison ou une autre, il y a toujours, bien entendu, la discrétion de la Couronne. La Couronne est libre de décider s'il est ou non nécessaire de porter des accusations. Le message sera diffusé et la plupart de ces gens pourront comprendre — s'ils ne l'ont déjà fait — que ce qu'ils font n'est pas bien.
Le sénateur Dawson : Si vous pouvez trouver des millions pour faire passer des annonces contre Stéphane Dion, vous devriez pouvoir trouver un peu d'argent pour faire la promotion de cette loi.
M. Nicholson : Merci pour cette suggestion.
Le coprésident : On ne voudrait pas donner l'impression, sénateur, que c'est l'argent du gouvernement qui a servi à cela.
Le sénateur Dawson : Excusez-moi. C'est probablement l'heure de retard qui m'a rendu irritable.
Le sénateur Milne : Monsieur le ministre, quelque chose m'intrigue. On nous a dit juste avant votre venue que l'État de la Californie envisage d'en faire une infraction moins grave que ce qu'en fera ce projet de loi en particulier ici, au Canada.
M. Nicholson : Je n'en suis pas si sûr. À ce que je sache, ils ont une amende de 2 500 $ et une peine d'emprisonnement de six mois. C'est pour l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité pour simple enregistrement d'un film au moyen de caméscope. Je suppose que c'est comparable, mais ce n'est pas seulement une question d'harmoniser nos lois avec celles d'autres compétences. Nous essayons de les harmoniser dans notre propre Code criminel. C'est la pénalité générale pour l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, soit 2 000 $ ou six mois d'emprisonnement, ou les deux. Ce n'est peut-être pas exactement pareil à d'autres compétences mais, en fin de compte, je pense qu'il est important que nous nous affirmions nous-mêmes et que nous ayons notre propre loi.
Le sénateur Milne : Une infraction punissable par mise en accusation est passible d'emprisonnement pour un maximum de cinq ans et, je l'ai lu quelque part, d'une amende de 1 million de dollars.
Le sénateur Nicholson : C'est bien cela. C'est ce que prévoit actuellement la Loi sur les droits d'auteur, qui fait que les personnes qui distribuent des biens volés risquent l'emprisonnement pour un maximum de cinq ans et une amende de 1 million de dollars.
L'infraction que vous voyez ici, l'enregistrement d'un film dans un cinéma dans un but précis, si elle est punissable par mise en accusation, serait passible d'un maximum de cinq ans d'emprisonnement. C'est semblable à d'autres infractions de vol prévues au Code criminel, s'il y a mise en accusation.
Le sénateur Milne : Ce sera difficile à prouver, si quelqu'un est assis dans un cinéma avec un caméscope, qu'il enregistre dans un but de reproduction et de vente.
M. Nicholson : C'est une partie du problème, sénateur. Avec les dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui sont actuellement en vigueur, il arrive bien souvent que la personne assise dans le cinéma et qui est en train de voler le film ne soit pas celle qui en fera la redistribution commerciale. Elle ne fait pas partie d'un groupe plus vaste. Il se peut bien que cette personne soit payée 200 $ pour faire cet enregistrement, et que ce soit le seul rôle qu'elle joue. L'une des infractions que nous prévoyons dans ce projet de loi est le simple enregistrement. C'est-à-dire que si ce projet de loi est adopté, toute personne qui volera un film commettra une infraction en vertu du Code criminel. C'est une infraction simple et claire, mais qui n'est pas liée au crime commercial ou organisé; c'est une infraction distincte.
Le sénateur Milne : Si cela se passe dans un cinéma, qui va appréhender la personne? Est-ce que le gérant du cinéma va appeler la police, ou est-ce que ce sera aux ouvreurs de le faire?
M. Nicholson : J'espère bien que quiconque est témoin d'une infraction criminelle le signalerait à l'attention des autorités pertinentes. Le problème que nous avons maintenant, c'est que la police nous dit qu'ils n'ont vraiment aucune envie de s'engager là-dedans — que ce soit l'ouvreur, le gérant ou le vendeur de popcorn —, parce qu'il est extrêmement difficile de prouver que la personne qui commet l'acte fait partie d'un groupe organisé plus vaste.
Le sénateur Milne : Vous espérez les appréhender pour l'infraction moindre, en fait.
M. Nicholson : Nous ajoutons cette infraction moins grave, vous avez raison.
Le sénateur Milne : Nous avons entendu toutes sortes de chiffres au sujet de l'enregistrement de films au Canada. Le lobby de l'industrie du cinéma a lancé toutes sortes de chiffres pour dire qu'une grande partie de l'activité mondiale d'enregistrement de films, allant de 20 à 70 p. 100, se fait ici, au Canada. Avez-vous des notes pour pouvoir nous dire précisément combien c'est?
J'ai cru comprendre que la ministre Oda s'est fait dire que Montréal à elle seule est responsable de 40 p. 100 de la reproduction non autorisée de films sur le marché mondial. C'est deux fois plus que ne l'affirme l'Association canadienne des distributeurs de films pour tout le Canada.
M. Nicholson : Est-ce que Patrimoine Canada veut faire un commentaire là-dessus?
Mme Neri : Les chiffres sur lesquels le ministère s'est fondé pour préparer la ministre Oda proviennent des statistiques des associations de distributeurs de films. On nous dit qu'environ 20 à 25 p. 100 des films enregistrés illégalement proviennent du Canada, et quelque 70 p. 100 d'entre eux sont enregistrés à Montréal. C'est 70 p. 100 de 20 à 25 p. 100.
Le sénateur Milne : Qui a rédigé ce projet de loi? J'ai cru comprendre que la ministre Oda a rencontré il y a environ un an, à Ottawa, mon vieil ami Doug Frith — qui est assis derrière, ici — le président de l'Association canadienne de distributeurs de films, qui aurait remis une ébauche de loi au gouvernement. Est-ce que ce projet de loi-ci ressemble à cette ébauche, ou est-ce que le gouvernement l'a rédigé lui-même?
M. Nicholson : Je l'ai rédigé moi-même, sénateur; j'ai pensé que ce serait un excellent exercice dans mes fonctions de ministre de la Justice. J'espère que vous l'appréciez. Je suis ouvert aux suggestions.
Le sénateur Milne : J'espère bien que le projet de loi n'émane pas d'un groupe de pression; c'est ce que je vous dis.
M. Nicholson : Ceci émane du ministère de la Justice. M. Zigayer a supervisé le processus. Le ministère a un processus de rédaction. Nous le faisons simultanément dans les deux langues officielles, et M. Zigayer l'a approuvé.
Le sénateur Milne : Je sais très bien comment se rédigent les lois, vous le savez bien. M. Zigayer, pouvez-vous confirmer que celui-ci émane véritablement du ministère?
M. Zigayer : Il émane vraiment du ministère. Nous n'avons rien copié. Nous avons fait une analyse du problème et nous avons-nous-mêmes formulé notre approche.
Le sénateur Johnson : Je pense que ce projet de loi est un excellent point de départ. Je tiens un petit festival du film en région rurale au Manitoba, et je traite constamment avec des cinéastes et des gens de l'industrie du cinéma. Pour eux, il était temps; il était grand temps que ça arrive. Nous sommes très fiers que le Canada prenne l'initiative — peu de pays l'ont fait jusqu'ici. C'est très important pour eux.
Les cinéastes et autres artistes du pays et du monde entier ne font pas tellement d'argent. C'est vraiment leur propriété intellectuelle, alors j'en suis très heureux.
J'ai posé quelques questions avant votre arrivée, monsieur le ministre. Elles sont au compte-rendu, alors je ne les répéterai pas maintenant, mais il m'en reste une. Avez-vous quelque chose à nous dire sur le calendrier de la loi pour couvrir les téléchargements illégaux de films piratés au moyen d'Internet, par exemple? J'ai entendu que les ministères du Patrimoine et de la Justice se penchent sur la question. Est-ce que c'est vrai?
M. Nicholson : Nous envisageons un large éventail d'initiatives possibles. Comme je l'ai dit à mes collègues au sujet de nos lois, nous ne faisons que commencer.
Le président adjoint : Y a-t-il d'autres questions? S'il n'y en a pas, merci, monsieur le ministre, monsieur Zigayer et madame Neri. J'apprécie votre venue.
Nous allons maintenant faire l'étude article par article du projet de loi, si vous le voulez bien.
Des voix : D'accord.
Le président adjoint : Le titre est-il reporté?
Des voix : D'accord.
Le président adjoint : L'article 1 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président adjoint : Le titre est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président adjoint : Êtes-vous d'accord pour que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?
Des voix : D'accord.
La séance est levée.