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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 1 - Témoignages du 11 décembre 2007


OTTAWA, le mardi 11 décembre 2007

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 33, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Nick G. Sibbeston (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour. Je suis le sénateur Sibbeston, vice-président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Puisque nous avons le quorum, nous allons commencer.

Notre séance d'aujourd'hui vise à étudier la mise en œuvre des ententes modernes sur les revendications territoriales. Il y a eu 20 de ces ententes qui ont touché les peuples autochtones de partout au pays, la première portant sur le Nord québécois en 1975 et la dernière étant l'accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador qui a été ratifiée en décembre 2005. Plusieurs autres ententes ont été conclues et le Parlement en est saisi à l'heure actuelle.

Récemment, notre comité s'est penché sur la question des revendications particulières. Ce sont des doléances historiques que les peuples autochtones au pays ont exprimées concernant des traités et des accords conclus au cours du dernier siècle environ. Nous avons cerné les problèmes et les incidents dans notre pays, comme ceux à Oka et à Caledonia, qui sont le résultat de problèmes qui découlent d'ententes conclues il y a longtemps.

Les ententes modernes sur les revendications territoriales sont le fruit d'un dur labeur, de négociations et de bonne volonté de la part des peuples autochtones. Ces derniers sont généralement satisfaits des ententes qu'ils concluent. Toutefois, elles doivent être appliquées comme il se doit et être conformes à l'esprit, pas uniquement à la lettre, de la loi. Autrement, nous créerons une toute nouvelle catégorie de doléances. La séance d'aujourd'hui s'inscrit dans cette catégorie et porte sur la mise en œuvre des accords modernes protégés par la Constitution.

Nous entendrons le témoignage de représentants du Bureau du vérificateur général du Canada, qui ont examiné certains de ces problèmes — M. Ronald Campbell, vérificateur général adjoint, et M. Frank Barrette, directeur principal. Malheureusement, la vérificatrice générale du Canada, Mme Sheila Fraser, ne peut pas témoigner ce matin.

Messieurs, vous pouvez commencer.

Ronald Campbell, vérificateur général adjoint, Bureau du vérificateur général du Canada : Merci, monsieur le président. La vérificatrice générale vous transmet ses excuses de ne pas pouvoir assister à la séance de ce matin.

Honorables sénateurs, je vous remercie de nous donner l'occasion de discuter du travail de notre bureau au sujet des ententes sur les revendications territoriales globales et, plus particulièrement, du chapitre 3 portant sur la Convention définitive des Inuvialuits, qui figurait dans notre rapport d'octobre 2007.

Comme vous l'avez mentionné, monsieur le président, je suis accompagné de M. Frank Barrett, le directeur principal responsable de nos vérifications sur les questions autochtones.

Les ententes modernes sur les revendications territoriales globales sont complexes. Elles comprennent généralement la cession de terres et un règlement monétaire. Elles peuvent aussi prévoir, entre autres, les rôles, responsabilités et obligations de chaque partie. Jusqu'à maintenant, le Canada a signé 22 ententes sur les revendications territoriales globales. La première entente a été signée avec les Cris de la Baie James en 1975, et la dernière, avec la Première nation de Tsawwassen de la Colombie-Britannique, le 6 décembre 2007. De nombreuses autres ententes sont en voie de négociation. Je veux souligner, monsieur le président, que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien n'est pas l'unique partie à ces ententes : cette partie est bel et bien le Canada.

[Français]

Les ententes sur les revendications territoriales ne visent pas à mettre un terme aux relations entre les gouvernements et les groupes autochtones mais bien à les changer. Certaines des obligations du Canada supposent des mesures ponctuelles précises, tandis que d'autres exigent la modification de processus, comme les examens environnementaux et les pratiques fédérales liées à la passation des contrats.

[Traduction]

Depuis 1998, notre bureau a effectué plusieurs vérifications sur la mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales globales. En 1998, nous avons vérifié le rôle joué par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien dans la conclusion et la mise en œuvre de ces ententes. Nous avons examiné les progrès réalisés pour donner suite à nos recommandations lors de nos vérifications de suivi en 2001 et en 2006. En 2003, nous avons vérifié la mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales conclues avec les Gwich'in dans les Territoires du Nord-Ouest et les Inuits du Nunavut. Dans notre rapport d'octobre 2007, nous avons présenté, dans le chapitre 3, notre vérification de la mise en œuvre par le gouvernement fédéral de l'entente sur les revendications territoriales signée en 1984 avec les Inuvialuits — la Convention définitive des Inuvialuits.

Quand elle a été signée, la Convention définitive des Inuvialuits était la première entente du genre conclue au nord du 60e parallèle et la troisième entente seulement signée au Canada. Comme pour toutes les conventions territoriales globales, elle est protégée par la Constitution. Nous avons constaté que le gouvernement fédéral n'a pas respecté certaines de ses principales obligations. Dans bien des cas, c'est parce qu'il n'a pas établi les processus et les modalités nécessaires ou n'a pas assigné à des responsables les diverses mesures à prendre. Signalons par exemple qu'aucun processus n'a encore été instauré pour supprimer les charges, ou restrictions à l'utilisation, tel que stipulé dans la Convention, restrictions qui s'appliquent à 13 parcelles de terre des Inuvialuits. Sans ces restrictions, les Inuvialuits auraient le contrôle et l'usage de ces parcelles.

De plus, nous avons constaté que 23 ans après l'entrée en vigueur de la Convention, Affaires indiennes et du Nord Canada n'a toujours pas adopté de stratégie pour en assurer la mise en œuvre. Il n'a jamais recensé systématiquement les obligations fédérales prévues par la Convention, pas plus qu'il n'a déterminé quels ministères fédéraux seraient responsables des différentes obligations. Il n'a pas élaboré de plan pour garantir le respect des obligations fédérales. Le ministère n'a pas d'approche stratégique pour définir et exécuter les obligations du Canada, et ne surveille pas la façon dont ce dernier s'acquitte de ces obligations.

Nous avons constaté également qu'Affaires indiennes et du Nord Canada, en tant que responsable principal au gouvernement fédéral, n'a pris aucune mesure pour assurer la surveillance des progrès accomplis dans la réalisation des principes de la Convention. En conséquence, le ministère n'a pas de vue d'ensemble des progrès réalisés quant à l'atteinte des trois objectifs fondamentaux de la Convention. Au cours de la vérification, les représentants d'Affaires indiennes et du Nord Canada ont déclaré qu'ils estimaient que cette responsabilité n'incombait pas au ministère.

Certaines obligations de la Convention définitive des Inuvialuits sont respectées. Par exemple, le Canada a versé près de 170 millions de dollars et a cédé quelque 91 000 kilomètres carrés de terres aux Inuvialuits, conformément à la Convention. Qui plus est, des organisations fédérales ont participé aux organes de cogestion et aux comités créés en application de la Convention. Ils ont aussi donné sur demande des avis aux comités, conseils et bureau d'examen environnemental.

Monsieur le président, certaines des lacunes que nous avons constatées au cours de cette vérification sont semblables à celles que nous avons trouvées lors des vérifications précédentes. J'aimerais en souligner trois.

Premièrement, comme je viens de le dire, Affaires indiennes et du Nord Canada n'a toujours pas adopté de stratégie pour assurer la mise en œuvre de la Convention définitive des Inuvialuits. En 2003, nous avions fait des observations semblables sur les ententes sur les revendications territoriales conclues avec les Gwich'in et les Inuits. Nous avions alors constaté qu'Affaires indiennes et du Nord Canada n'avait pas coordonné de manière efficace les responsabilités fédérales.

Deuxièmement, nous avons constaté qu'Affaires indiennes et du Nord Canada ne surveille pas la façon dont le Canada s'acquitte de ses obligations. Le ministère publie un rapport annuel sur la mise en œuvre, mais ce rapport énumère uniquement les activités des participants fédéraux. Il ne rend pas compte de la mesure dans laquelle les obligations du Canada sont respectées. Nous avons fait des observations semblables dans nos rapports de vérification de 1998 et de 2003. Nous avions alors indiqué que le ministère n'avait pas de système pour déterminer si les autres ministères fédéraux respectaient leurs obligations.

Enfin, nous avons constaté que le ministère n'a pris aucune mesure pour surveiller les progrès accomplis dans la réalisation des principes de la Convention. Nous avions fait la même constatation lors de notre vérification de 2003. Nous avions alors signalé qu'Affaires indiennes et du Nord Canada s'était attaché à la lettre de ses obligations, mais qu'il n'avait pas tenu compte de l'esprit et de l'intention des ententes.

Le comité pourrait vouloir inviter le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien à discuter des défis auxquels il fait face à titre de ministère responsable principal de la mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales globales. En outre, le comité pourrait vouloir déposer un plan d'action pour donner suite aux recommandations que nous avons faites dans notre chapitre sur la Convention définitive des Inuvialuits.

C'est ainsi, monsieur le président, que je termine ma déclaration d'ouverture. C'est avec plaisir que nous répondrons aux questions des membres du comité.

Le sénateur Campbell : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. Vous nous avez entre autres recommandé de convoquer des représentants d'AINC. Ce serait un euphémisme de dire que c'est un coup d'épée dans l'eau.

Ma question est la suivante : comment les convaincre qu'il est trop tard pour eux et qu'ils doivent commencer à passer à l'action plutôt que de respecter la loi à la lettre? À mon avis, ils font les choses à moitié, et me voilà en train d'examiner vos rapports de 2003, 2006, 2007, et cetera. Et cela continue. On dirait presque que cet organisme est une entité en soi qui ne réagit pas. Comment pouvons-nous obtenir leur attention? À moins de leur mettre le couteau sous la gorge, comment pouvons-nous attirer leur attention?

M. Campbell : Il pourrait et devrait être utile de les convoquer. En réponse au chapitre de notre rapport de vérification, le ministère a souscrit à nos recommandations. Plus particulièrement, je tiens à signaler au comité que nous avons recommandé de surveiller les progrès en vue de l'atteinte des objectifs globaux. Au cours de la vérification, les fonctionnaires du ministère ont dit que ce n'était pas leur responsabilité. Toutefois, ils ont accepté de le faire à la suite de notre recommandation. Je crois que c'est un début, monsieur le président. Je pense qu'il pourrait être utile d'obliger le ministère à rendre des comptes à l'égard d'un plan d'action comportant des échéanciers, y compris la mise en œuvre des recommandations que nous avons formulées lors de la vérification.

Le grand problème, comme l'indique l'honorable sénateur, est davantage une question de culture au sein du ministère. Ce n'est peut-être pas une solution rapide et facile, mais on semble consacrer beaucoup d'attention et d'énergie aux activités à court terme. Celles qui sont menées à plus long terme et qui ne sont peut-être pas aussi publiques, telles que la mise en œuvre sur 23 ans d'une entente sur les revendications territoriales, ne semblent pas capter autant l'attention. Je pense qu'il vaudrait la peine d'examiner avec le ministère pourquoi il en est ainsi et ce qu'il compte faire à ce sujet.

Le sénateur Campbell : Merci beaucoup. Monsieur le président, nous devrions peut-être ajouter à notre liste un autre après-midi captivant avec des représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Le sénateur Hubley : Comme membres du comité, nous entendons les deux versions de l'histoire. Si un problème de cette importance et de cette ampleur n'est pas réglé par le ministère qui en est responsable au bout du compte, pouvez- vous proposer une solution de rechange? D'après vous, y a-t-il une autre entité comptable au Parlement qui serait en mesure de régler et de réaliser un grand nombre de ces ententes sur les revendications territoriales?

M. Campbell : Merci, monsieur le président. Les questions touchant l'appareil gouvernemental sont des questions sur lesquelles le Bureau du vérificateur général ne se prononce habituellement pas. L'obligation de rendre des comptes demeurera inchangée peu importe l'entité qui en a la responsabilité, que ce soit AINC ou une autre. Elles ont une obligation envers ces ententes et il faut trouver des moyens pour faire en sorte qu'elles la respectent. Je ne suis pas certain s'il y a quelque chose ici qui empêche AINC d'être le ministère responsable, mais là encore, des fonctionnaires du ministère pourraient vous faire part de certains des obstacles auxquels ils sont confrontés. Je ne le sais vraiment pas. Peu importe l'entité responsable, elle devra rendre compte de la mise en œuvre de ces ententes.

Le sénateur Hubley : Est-ce une question de financement?

M. Campbell : Je ne suis pas certain si c'est vraiment ce que nous avons observé lors de notre vérification. C'est une question d'attention, ou ce que nous appelons « l'intérêt soutenu de la direction ». Nous avons donné notre avis à cet égard dans des rapports de vérification précédents. Si je me souviens bien, c'était dans le rapport de 2004 qu'il y avait un suivi global; nous avons essayé d'examiner certaines de nos recommandations selon lesquelles les ententes devraient être mises en œuvre par les ministères et les obstacles qui empêchent certains ministères à donner suite à ces recommandations, particulièrement à l'égard des questions touchant les Premières nations. Voici l'un des points que nous avons relevés : quand des cadres supérieurs sont en poste depuis longtemps et sont dévoués à la tâche, ils persisteront et vous obtiendrez l'intérêt soutenu de la direction. Quand il y a un fort roulement du personnel et que les gens sont distraits par d'autres choses, l'intérêt soutenu de la direction fait défaut.

Nous ne l'avons pas nécessairement perçu comme une absence de fonds.

Le sénateur Hubley : Il semble que ce soit un problème à long terme que nous essayons de régler à court terme, et cela ne fonctionne tout simplement pas.

L'autre partie de ma question a déjà été soulevée devant le comité et porte sur l'esprit et l'intention des revendications territoriales. Il semble nous manquer tout un élément ici. Je ne veux pas blâmer le ministère. Je suis certaine qu'il a ses lignes directrices et qu'il fait exactement ce pour quoi il a été mandaté, mais il manque quelque chose. Je crois que c'est ce que nous voudrions savoir : qu'est-ce qu'il manque? Pourquoi manque-t-il cet élément particulier qui est, à mon avis, essentiel à toute revendication territoriale? Est-ce une question de personnel ou de compréhension?

M. Campbell : Je crois que c'est une excellente question. Ce serait probablement un bon point à examiner avec le ministère. Dans le rapport, nous obtenons l'avis des personnes qui sont responsables de mettre en œuvre la Convention définitive des Inuvialuit du fédéral au quotidien. Au paragraphe 83, nous disons que les représentants du ministère ont exprimé une réticence à surveiller les progrès accomplis dans la réalisation des principes de l'entente. Ils ont expliqué que cela laisserait sous-entendre l'existence d'une obligation qui n'est pas énoncée dans la Convention. C'est leur point de vue. Pourtant, en réponse à notre recommandation, le ministère a décidé de surveiller cela précisément. Je crois que ce serait un bon point à examiner avec le ministère, y compris, premièrement, ce qui a amené les représentants à adopter cette position au départ. Deuxièmement, nous pourrions peut-être examiner ce qui a poussé le ministère à avoir maintenant une position différente. Troisièmement, comment et quand le mettront-ils en œuvre? En plus de l'accord, quelles mesures ont-ils pris pour le réaliser?

Le sénateur Dyck : C'est une question très compliquée et frustrante. L'une des observations que vous avez faites, monsieur Campbell, c'est que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien n'est pas l'unique partie à l'entente, mais cette partie est bel et bien le gouvernement du Canada. J'ai l'impression que le ministère ne se sent pas responsable devant le gouvernement du Canada ni estime en faire partie. Il semble y avoir une division. Nous parlons d'obliger AINC à rendre des comptes, mais comment pouvons-nous le faire, autrement qu'en nous fiant à des cadres supérieurs en poste depuis longtemps qui ont comme mandat personnel de mettre en œuvre ces accords? La responsabilité devrait-elle incomber à une personne plutôt qu'au ministère? Y a-t-il un moyen de transférer ce mandat pour que le ministère semble être, d'une façon ou d'une autre, plus comptable?

M. Campbell : J'ignore comment y parvenir. Toutefois, ce serait une bonne idée de placer au sommet de la liste des priorités la question de la mise en œuvre continue et soutenue de ces ententes.

La question du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien en tant que ministère est une chose, mais son rôle de principal responsable pour représenter l'ensemble du gouvernement, l'État, lui a posé un problème dans le cadre de la vérification de la Convention définitive des Inuvialuit. La question de la passation des marchés était claire dans la Convention même. Toutefois, quand on a signé et mis en place l'entente, le reste du gouvernement ne semblait pas être au courant qu'il devait respecter dorénavant de nouvelles exigences pour conclure des marchés dans cette région particulière. Cela signifiait que tout l'État était responsable de changer sa façon de faire des affaires. Il a fallu de nombreuses années avant même que cette exigence soit communiquée au reste du gouvernement.

L'honorable sénateur soulève un très bon point. C'est un problème bien réel. Il ne s'agit pas seulement de déterminer comment placer la mise en œuvre continue au sommet de la liste des priorités du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, mais aussi comment faire pour que ce dernier soit mieux relié au reste du gouvernement. Ce sont deux défis de taille.

Le sénateur Dyck : Est-ce que la tâche de communiquer cette responsabilité déborde le mandat du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien? La responsabilité ne devrait-elle pas revenir à une personne du Cabinet du ministre, ou à quelqu'un d'autre qui peut assumer le rôle de principal responsable pour s'assurer que des mesures soient prises pour faire avancer les choses?

M. Campbell : Je ne suis pas certain qu'une autre entité devrait être responsable. Pour ce qui est du rôle de principal responsable, le ministère est probablement le mieux placé pour savoir ce qui a été négocié. J'imagine qu'il saurait qui d'autre doit connaître les exigences relatives à la passation des marchés ou d'autres dispositions. Comment y arriver? Je crois que, lors de la négociation d'une entente sur les revendications territoriales, certaines choses fixes et systématiques devraient être faites immédiatement pour qu'on n'ait pas à s'en souvenir.

Le sénateur Dyck : La Coalition relative aux ententes sur les revendications territoriales a indiqué qu'il devrait peut- être y avoir une entité indépendante. Je ne suis pas certaine si elle a recommandé qu'il y ait des représentants des diverses Premières nations parties aux ententes. Si ce type d'entité existait, croyez-vous que cela favoriserait vraiment la mise en œuvre et l'adoption de mesures?

M. Campbell : Cela pourrait certainement aider. Faire participer aux discussions des personnes pour qui la mise en œuvre est une priorité changerait sûrement le ton de la réponse. Dans un grand nombre de ces organisations, on peut dire que c'est la priorité.

Le sénateur Dallaire : J'ai de l'expérience dans les conflits en matière de développement international. Quand nous sommes à l'étranger, nous ne pouvons pas sous-estimer la complexité que comporte le fait d'apporter de changements sociaux, économiques et liés au développement. Si on regarde la façon dont le Canada gère la situation des Autochtones, on n'a pas appliqué ici au pays certaines des pratiques que nous utilisons à l'échelle internationale pour aider des nations à se sortir de situations difficiles. Il y a des choses que nous faisons à l'étranger que nous pourrions faire ici.

Toutefois, ce n'est pas une mince tâche. Ils ont un sacré travail à faire, mais je pense aussi qu'ils ont une sacrée attitude.

Y a-t-il une loi qui confère à AINC le pouvoir d'établir des ententes sur les revendications territoriales et, par conséquent, de parler au nom de tous les ministères? Y a-t-il une directive du Conseil du Trésor, par exemple, qui lui donne ce pouvoir?

Frank Barrett, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : À ma connaissance, AINC n'a pas de pouvoir distinct en vertu d'une loi. Pour revenir à l'exemple de la passation des marchés, nous avons découvert dans la vérification que l'entente sur les revendications territoriales avait été signée en 1984. Il n'y avait aucune communication avec d'autres ministères et, par conséquent, quand nous avons interrogé d'autres ministères, nous avons vu dans les comptes rendus que ces derniers ne le savaient pas et n'avaient aucune raison particulière de s'informer. Ce n'est qu'après que le Conseil du Trésor a changé la politique sur la passation des marchés qui fournit une orientation à tous les ministères que d'autres ministères ont commencé à prendre des mesures en 1995.

Essentiellement, il faudrait que le ministère des Affaires indiennes reconnaisse quels sont les besoins. Ensuite, il devrait passer en revue l'appareil gouvernemental où l'on assure une supervision et une orientation. Puis, il faudrait que des directives proviennent du centre pour obliger les autres ministères à intervenir.

Dans la surveillance des marchés, par exemple, nous avons remarqué que tous les ministères dans notre vérification ne surveillaient pas s'ils observaient ou non l'entente. Le plus souvent, on nous a répondu qu'ils n'avaient pas à le faire tant que le Conseil du Trésor ne leur disait pas de le faire.

Le sénateur Dallaire : C'est une attitude semblable à celle des personnes que vous avez interrogées au ministère qui disent ne pas être responsables de la mise en œuvre. Autrement dit, AINC n'a pas de responsabilité législative, au nom de tous les autres ministères, lui donnant un pouvoir général d'inclure d'autres ministères. Est-il vrai que s'ils ne se conforment pas, AINC n'a pas de moyen coercitif quelconque pour mettre en œuvre l'entente? Enfin, à part la politique sur la passation des marchés que le Conseil du Trésor a imposée.

M. Campbell : De toute évidence, AINC a le mandat d'être le principal responsable au fédéral pour négocier les ententes. M. Barrett a souligné que c'est à l'étape de la mise en œuvre que les choses se gâtent ou qu'ils découvrent des éléments qu'ils n'avaient pas pris en considération. Je ne sais pas au juste quel mandat ils ont pour obliger les autres ministères à bien se comporter. En ce qui concerne la passation des marchés, la politique relève du Conseil du Trésor.

Le sénateur Dallaire : Par conséquent, ils n'ont pas le pouvoir d'imposer aux autres ministères de mettre en œuvre des aspects de l'accord en dehors de l'orientation établie par le Conseil du Trésor. Dans l'accord relatif à la passation des marchés, AINC est-il financé pour la mise en œuvre? Y a-t-il un budget, notamment pour les années-personnes?

M. Barrett : L'approbation du financement serait intégrée à l'entente pour des obligations telles que verser des fonds aux Inuvialuit ou établir le financement. Cela serait alors transféré. En ce qui concerne les opérations courantes, nous notons au paragraphe 5 qu'environ 25 employés s'occupent de mettre en œuvre 21 ententes sur les revendications territoriales.

Le sénateur Dallaire : Permettez-moi d'aborder la question autrement. Je vais citer un exemple que j'ai utilisé la semaine dernière. Quand j'étais directeur chargé d'étudier les besoins de l'armée, j'étais responsable d'un projet de 420 millions de dollars pour acheter des camions. Tout le monde sait ce que c'est. Il faut d'abord définir le projet, le faire approuver et le mettre en œuvre. Il y a des coûts d'immobilisations et des coûts de mise en œuvre, ce qui comprend l'entretien courant, la gestion du cycle de vie et probablement des travaux de modernisation aux vingt ans peut-être, que nous nous engageons à effectuer. Des fonds répartis par catégorie sont prévus dans le budget et nous ne les dépassons pas. On a aussi du personnel qui est chargé de la fourniture du système, de la formation et, enfin, de l'entretien courant.

Une partie de ce projet représente beaucoup d'argent; c'est d'ailleurs le cas pour toutes ces ententes sur les revendications territoriales — elles s'élèvent à plus de 100 millions de dollars. Il faut notamment assurer la gestion du projet à l'échelle de tous autres ministères — que ce soit l'APECA ou différents ministères, selon la nature du projet. L'équipe de gestion participe au processus d'approbation et à la prise de décisions liées au projet en cours. Elle a à coeur tout ce qu'elle a entrepris.

En bout de ligne, le projet est présenté au Conseil du Trésor, ensuite au Cabinet, puis il est approuvé. Les fonds sont répartis par catégorie dans chaque ministère concerné pour respecter cette mise en œuvre.

Ces marchés sont-ils exécutés de la même manière? À titre d'exemple, pour le projet dont nous parlons — pardonnez-moi de ne pas pouvoir le prononcer convenablement —, y a-t-il un dispositif de mise en œuvre? Ou tient-on pour acquis qu'AINC absorbera les frais de mise en œuvre à même les fonds qui lui sont attribués ou son budget normal, et doit-il tout simplement assurer la mise en œuvre, qu'il ait 21, 51 ou 101 millions de dollars?

Je suis désolé de m'attarder autant sur le sujet, mais j'essaie de comprendre cette position incroyable et irresponsable adoptée par AINC concernant la mise en œuvre.

M. Campbell : Monsieur le président, j'ignore quelle sorte de financement permanent AINC pourrait avoir obtenu pour financer ses activités 23 ans après coup. Ce que nous avons observé dans le cadre de la vérification est tout à fait compatible avec ce que nous avons vu ailleurs, c'est-à-dire qu'on consacre beaucoup d'effort et d'attention aux activités à court terme. Quand l'entente a été signée, nous avons remarqué que les transactions initiales ont été effectuées de façon générale; de toute évidence, puisque l'argent était transféré, on mettait l'accent là-dessus — ce qui a été fait. La majorité des terres ont été cédées. Ensuite, ils se sont heurtés à des problèmes et n'avaient pas de processus pour trouver des solutions. Toutefois, comme l'honorable sénateur le dit, a-t-on régulièrement mis l'accent là-dessus et les ressources ont-elles été organisées à cette fin? Il semblerait que non.

Je pense que ce serait un autre point intéressant à aborder avec les représentants du ministère pour savoir comment ils en sont arrivés aux décisions concernant l'attribution des fonds à plus long terme.

Le sénateur Dallaire : Dans le même ordre d'idées, il me semble que le processus de mise en œuvre échoue pour diverses raisons, dont l'une semble être l'abdication de responsabilité. Donner de l'argent et des terres, c'est tangible — n'importe qui peut le faire; mais les changements sociaux et économiques, qui sont beaucoup plus complexes, exigent une tout autre série de paramètres.

L'échec, pour les ententes actuelles, ne tient-il pas au fait que la mise en œuvre n'est pas exécutoire? Les ententes comportent peut-être de bien belles paroles, mais elles ne prévoient pas de responsabilité contractuelle, exécutoire en ce qui concerne la mise en œuvre de concert avec tous les autres ministères.

M. Barrett : Monsieur le président, je suis heureux de répondre à la question du sénateur. Il y a quelques points à noter. Premièrement, une de nos principales préoccupations, c'était le manque d'approche stratégique. L'analogie avec le système de gestion des programmes de défense est intéressante, en ce sens qu'il commence par une évaluation des besoins — un énoncé d'insuffisance en capacité et une liste des mesures à prendre.

Ce que nous constatons dans le cas d'AINC, c'est que le ministère n'a jamais officiellement déterminé ses obligations permanentes. Lorsque vous ne savez pas ce que vous êtes censé faire, c'est un peu difficile de savoir dans quelle mesure vous avancez vers l'atteinte de vos objectifs. C'est l'un des arguments que nous avons fait valoir.

Un autre point important à noter, c'est que dans la négociation des ententes, AINC, ou Affaires indiennes et du Nord Canada, préside un comité interministériel. Il invite tout le monde à la table afin de décider des éléments à négocier — par exemple, les aspects essentiels, les responsabilités ministérielles. Au cours de la vérification, j'ai cru comprendre que cette approche n'existe pas pour le volet de la mise en œuvre.

Le sénateur Dallaire : Comment peuvent-ils s'en tirer avec des marchés comme celui avec le Conseil du Trésor? Il se peut qu'AINC soit dans le tort, mais j'irais jusqu'à dire que le Conseil du Trésor, qui est un organisme extrêmement exigeant pour d'autres — je le sais par expérience — semble permettre à AINC de s'en laver les mains. Est-ce parce que les problèmes sont si complexes ou tout simplement parce qu'il ne prend pas au sérieux sa responsabilité?

M. Campbell : Il ne faut pas oublier que la négociation des revendications territoriales est un travail en évolution pour le gouvernement du Canada. La politique gouvernementale exige maintenant que chaque entente de revendication territoriale dispose d'un plan de mise en œuvre. Cette politique est entrée en vigueur après la signature de la Convention définitive des Inuvialuit. C'est pourquoi cette entente ne comportait pas de plan de mise en œuvre. Cependant, tout accord qu'on signerait aujourd'hui aurait une disposition exigeant l'élaboration d'un plan. Quant à savoir à quel point ce plan serait efficace et comment il serait mis en œuvre, ce sont là deux questions différentes. Quoi qu'il en soit, lorsque l'entente en question a été signée, un tel plan de mise en œuvre n'était pas exigé.

Quant aux raisons pour lesquelles les choses ne marchent pas aussi bien qu'elles le devraient, j'attribuerais cela aux points de vue apparemment très divergents entre les signataires sur les objectifs fondamentaux de ces ententes. Nous y avons fait allusion dans plusieurs de nos vérifications, y compris celle portant sur la Convention définitive des Inuvialuit, où les Inuvialuit nous ont fait part de la façon dont ils entrevoyaient ces objectifs. Le comité pourrait vouloir entendre leurs points de vue. Je ne veux pas parler à leur place, mais ils représentent l'un des signataires de l'entente et je suis sûr qu'ils auraient beaucoup de choses à dire. Contrairement aux points de vue exprimés par les fonctionnaires d'Affaires indiennes chargés de mettre en œuvre l'entente, les Inuvialuit ne considéraient pas l'atteinte de ces objectifs fondamentaux comme faisant partie de leur responsabilité.

Le sénateur Dallaire : Si nous avons un deuxième tour, j'aurais deux autres questions.

Le vice-président : Allez-y.

Le sénateur Dallaire : Les peuples autochtones soutiennent ne pas vouloir de processus paternaliste, puisqu'ils sont des nations indépendantes, et cetera. Il y a ensuite le gouvernement qui ne veut pas injecter des fonds dans quelque chose sur lequel il n'a pas prise. Dans cette perspective divergente, la mise en œuvre pourrait s'avérer très complexe — qui fait quoi, qui est responsable de quoi et, en fin de compte, comment les fonds sont-ils dépensés?

Nous parlons d'une entente qui remonte à 1984, et nous sommes maintenant en 2007. Donc, 23 ans pour mettre en œuvre une méthodologie, c'est peut-être un peu lent. Cette friction entre les deux philosophies existait-elle-même à l'époque où l'entente a été signée? Ne l'a-t-on pas résolue dans le cadre des négociations concernant le plan de mise en œuvre?

M. Campbell : Nous ne savons rien des points de vue exprimés dans le cadre de nos autres travaux sur les relations au moment de la signature de ces ententes, particulièrement en ce qui a trait à la Convention des Inuvialuit. Nous n'avons pas vérifié le processus de négociation et, comme vous l'avez indiqué, c'était il y a 23 ans.

L'honorable sénateur a parlé d'un problème de friction et cela mérite peut-être qu'on s'y attarde. L'une des tragédies du problème de la mise en œuvre, c'est que les questions convenues il y a 23 ans aux termes d'une entente contractuelle, dont certaines devraient être relativement faciles à mettre en œuvre, demeurent une source de friction considérable presque un quart de siècle plus tard. Toute friction gruge de l'énergie. Par exemple, les Inuvialuit sont un très petit groupe d'individus qui tentent de faire avancer leur peuple. Pourtant, ils doivent consacrer temps et énergie à des différends, qui datent d'un quart de siècle, au sujet d'ententes conclues qui auraient dû être mises en œuvre. S'il doit y avoir discussion, elle doit porter sur de nouvelles questions. Encore une fois, ils sont mieux placés que moi pour en parler, mais ils doivent y consacrer beaucoup de temps et d'énergie et ils ne peuvent pas recourir aux services d'un grand nombre de personnes comme la fonction publique fédérale.

Le sénateur Dallaire : Même dans les nouvelles ententes, comme le gouvernement canadien ne semble pas disposer d'une méthodologie de mise en œuvre ayant force exécutoire, ces frictions continueront de faire surface dans l'avenir.

Une dernière question : Combien de SMA chez AINC ont été renvoyés?

M. Campbell : Je n'ai aucune information à ce sujet.

Le sénateur Dallaire : Combien d'entre eux ont été promus?

[Réponse inaudible.]

Merci. Vous avez été très aimable.

Le sénateur Campbell : J'aimerais revenir à l'énoncé sur la culture; c'est quelque chose qui revient souvent lorsqu'on parle du MAINC. Est-il vrai que le ministère ne peut pas accepter le fait de devoir exécuter un marché de nation à nation parce qu'il n'est tout simplement pas habitué à accepter les Premières nations comme une nation? Est-ce là l'aspect culturel de la question? Pouvez-vous expliquer la culture et la difficulté afférente?

M. Campbell : Lorsque nous demandons à des organisations des Premières nations de nous donner leurs points de vue sur les ententes de revendications territoriales, elles utilisent très souvent l'analogie du mariage et du divorce. Il y a deux questions : quelle est la perception des fonctionnaires? Comment y sont-ils arrivés et qu'est-ce qui les motive?

Les Premières nations nous disent souvent que la signature d'une entente devrait représenter le début d'une nouvelle relation où les parties essaient de maximiser les avantages et de bâtir et développer la collectivité. Très souvent, les Premières nations estiment que le gouvernement fédéral essaie de minimiser ce qui se passe après la signature de l'entente — les coûts pour l'État, par exemple.

Je vous rappelle que la Convention définitive des Inuvialuit comporte une exigence, et non pas un vœu ou un espoir, au titre d'un examen quinquennal du développement économique. En vertu de la Convention, AINC doit s'assurer que cet examen se produit tous les cinq ans, jusqu'à ce que certaines conditions soient remplies. Le ministère a effectué un examen qui a mis en évidence des résultats très négatifs, mais il n'a pas élaboré de plan d'action pour donner suite à ces résultats. Il n'a mené aucun autre examen subséquent, comme l'exige la Convention. Encore une fois, lorsqu'on parle à des organisations des Premières nations, elles font allusion à ces points de vue divergents sur la maximisation et la minimisation. Comment les fonctionnaires en arrivent-ils à ce point de vue? Voilà une question intéressante dont vous pourriez discuter avec les hauts fonctionnaires d'AINC. Je ne saurais vous dire s'ils croient tout simplement que c'est qu'on s'attendait d'eux ou si c'est ce qu'on leur a inculqué ou, encore, si cette mentalité existe au sein du ministère depuis longtemps. Je n'oserais pas avancer une réponse à leur place, mais ce serait un sujet de discussion intéressant.

Le sénateur Campbell : AINC est le ministère responsable, mais il me semble que lorsqu'on signe une entente comme celles que nous examinons, elle concerne chaque ministère fédéral. On prend un engagement, par exemple en ce qui concerne la passation de marchés, au nom du gouvernement du Canada et cet engagement englobe tout le gouvernement. Même si AINC est l'organisme responsable, il n'a aucune idée de la façon de faire participer tous les autres ministères. Est-ce vrai?

M. Campbell : C'est vrai, en partie, monsieur le président, mais comme nous le signalons dans le rapport, certains aspects de la Convention définitive des Inuvialuit ont été mis en œuvre en bonne et due forme. Je crois que M. Barrett a certains détails à ce sujet et sur l'intervention des autres ministères.

Le sénateur Campbell : Je les en félicite, mais qu'en est-il du reste des ministères? Nous les applaudissons parce qu'ils ont fait la moitié du travail, alors que nous devrions leur demander quel est l'obstacle qui les empêche de finir le travail. Je ne comprends vraiment pas comment cet organisme fonctionne.

M. Barrett : Peut-être que je pourrais éclaircir un peu la question du sénateur. Sur le plan de l'environnement, qui s'est avéré en grande partie une bonne nouvelle, j'ai trouvé particulièrement intéressant que Parcs Canada, Environnement Canada et Pêches et Océans Canada aient des objectifs semblables dans le Grand Nord à ceux des Inuvialuit. Lorsqu'il a fallu changer la structure du comité, on a observé une grande synergie. Nous leur avons demandé comment un vote majoritaire fonctionnait et ils nous ont expliqué qu'ils cherchaient toujours à obtenir un consensus sur la façon dont le développement se déroulerait. Il y a peut-être des leçons à tirer quant à la façon dont les ententes globales doivent être conclues. Essayons-nous d'atteindre les mêmes objectifs ou occupons-nous deux positions opposées en essayant de minimiser les activités?

Le sénateur Campbell : Serait-il utile que le gouvernement s'inspire du modèle des organismes qui travaillent bien avec des buts et des objectifs communs dans les domaines où il existe des difficultés? Serait-il constructif de notre part de suggérer que ces organismes servent de modèles pour les organismes qui ne réussissent pas?

M. Barrett : Oui, ce serait une piste intéressante à explorer. Par exemple, si une partie du mandat d'AINC était d'atteindre les objectifs énoncés dans les ententes de revendications territoriales, comme celui d'améliorer l'économie dans la région désignée du règlement des Inuvialuit de façon à ce qu'elle soit comparable aux autres dans le Nord et ailleurs au Canada, et si cela faisait partie de l'évaluation du rendement, cela pourrait faire la différence. Mais je laisse à d'autres le soin d'examiner cette question.

Le sénateur Campbell : Vous êtes-vous déjà demandé si le gouvernement sait exactement ce qu'il est en train de faire? Peut-être qu'il examine les coûts de mise en œuvre et décide d'attendre jusqu'à ce qu'il soit poursuivi en cour pour comparer ces coûts. Peut-être que le plan dans cet organisme, c'est de se croiser les bras et de voir si les Inuvialuit reconnaissent le manque d'action de l'organisme et s'ils vont lui intenter des poursuites pour cela.

M. Campbell : Monsieur le président, en tant que vérificateurs, nous pouvons observer ce que les gens font, mais pas vraiment ce qui les pousse à agir. Je tiens à souligner que le comportement que nous avons observé et décrit relativement à la Convention définitive des Inuvialuit est conforme à ce que nous avons vu dans le cadre de vérifications d'autres conventions.

Le sénateur Campbell : Merci.

Le vice-président : La question de la mise en œuvre devient un grave problème. J'ai une brochure qui nous a été distribuée par la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales. Au cours des dernières années, un groupe de Premières nations ayant des revendications territoriales se sont réunies pour régler les problèmes de mise en œuvre. Je vais vous lire un paragraphe de la brochure :

Toutefois, durant les trois dernières décennies, de nombreux examinateurs indépendants, notamment le vérificateur général et le rapporteur spécial de l'ONU, ont confirmé que le gouvernement du Canada ne remplit pas ses obligations aux termes de ces ententes. Par conséquent, les revendications territoriales ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs fondamentaux.

C'est un grave problème. De nos jours, les Canadiens et les peuples autochtones ont recours à ces ententes pour résoudre les problèmes, pour aider les Autochtones et pour régler les questions qui existent depuis longtemps. C'est de cette façon que les peuples autochtones peuvent se prendre en main, devenir autonomes et contribuer à notre société canadienne. Si la mise en œuvre échoue, je prévois un grave problème.

J'ai remarqué qu'en décembre dernier, les Inuits du Nunavut ont intenté une poursuite de 1 milliard de dollars contre le gouvernement fédéral parce qu'il n'y a pas eu de mise en œuvre. Plus récemment, dans le Nord du Québec, il y a eu un règlement concernant des différends qui persistaient depuis plusieurs décennies. Le règlement a été négocié parce qu'il n'y a pas eu de mise en œuvre. Je crois que si le gouvernement ne règle pas ce problème immédiatement, nous verrons un accroissement des procès et des problèmes. C'est peut-être un domaine où notre comité pourra être utile en aidant à cerner le problème. Comme nous l'avons entendu dire, il se peut que nous ayons à consulter Affaires indiennes et du Nord Canada pour voir où le ministère en est dans ses démarches et pour connaître sa réponse à ce qui a été dit et à ce qui semble être des signes précurseurs d'un grave problème.

C'est quelque chose que notre comité envisagera afin de voir s'il y a lieu de rencontrer le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et ses fonctionnaires. La rencontre visera à déterminer si nous pouvons aider à faire avancer les causes des peoples autochtones dans notre pays; ces derniers signent des ententes avec beaucoup d'espoir que leur avenir sera meilleur, seulement pour se rendre compte que ce n'est pas aussi facile que cela et que la mise en œuvre pose des problèmes.

Le sénateur Dallaire : Si nous avons encore quelques minutes, j'aimerais approfondir ce point : quelle est l'attitude que vous avez dit avoir observée?

M. Campbell : Je ne parlais pas d'attitude, mais plutôt de comportement.

Le sénateur Dallaire : Désolé, je voulais dire comportement.

M. Campbell : Le comportement que nous avons observé par rapport à la mise en œuvre de la Convention définitive des Inuvialuit, c'est que le ministère ne se sentait pas responsable de mesurer les progrès réalisés par rapport aux objectifs globaux de l'entente; c'était la même approche qu'il avait prise dans les ententes antérieures que nous avons vérifiées.

Le sénateur Dallaire : Autrement dit, vous estimez que cette observation s'applique même aux plus récentes ententes?

M. Campbell : Oui.

Le sénateur Dallaire : Cela m'amène à la question suivante : au sein du ministère, a-t-on déjà cherché à déployer des efforts pour établir un processus en matière de mise en œuvre ou avez-vous constaté de tels efforts dans le cadre de votre examen de la question, dans les archives du ministère? Autrement dit, y a-t-il eu des gens qui ont essayé de pousser plus loin ce désir d'établir une méthodologie de mise en œuvre plus responsable? A-t-on plutôt bloqué ou démoli ces idées ou est-ce que ces idées n'ont pas porté fruit? Ou encore, y a-t-il eu un effort concerté au sein du ministère pour chercher une aide qualifiée à l'extérieur du gouvernement? Je pense à une foule d'ONG qui pourraient aider ce ministère à trouver une solution. A-t-on envisagé cette possibilité?

M. Barrett : Je ne peux parler que de ce que j'ai vu. En fouillant dans tous les dossiers du ministère relatifs à cette entente, mon personnel a découvert une ébauche qui datait de l'an 2000, dans laquelle on avait recensé les responsabilités permanentes; ce travail avait été fait par un consultant. C'est ce qu'il y avait de plus proche que nous avons trouvé portant sur cette question. Toutefois, dans notre examen approfondi de ces dossiers, rien n'indiquait que les fonctionnaires du ministère étaient au courant de cette ébauche.

Il y a eu certains efforts, par exemple quelques projets confiés en sous-traitance pour déterminer ce qu'ils auront à faire pour la mise en œuvre. Toutefois, je crois que cela fait écho à ce que M. Campbell a dit sur l'attention soutenue de la gestion et l'idée que nous devons continuer de faire pression.

Le sénateur Dallaire : Le ministère a-t-il une direction générale en matière de politiques qui formule réellement des politiques et qui est responsable d'assumer cette dimension et de mettre en branle une telle action? Les sous-ministres et les ministres ont-ils déjà créé une telle entité ou songé à le faire?

M. Barrett : Les fonctionnaires du ministère seraient mieux placés pour expliquer la structure de leur organisme. À ma connaissance, au sein de la Direction générale de la mise en œuvre, c'est-à-dire la direction générale responsable des ententes sur des revendications territoriales, on retrouve une unité d'élaboration de politiques. Quant à savoir si on a élaboré une stratégie cohérente destinée à mettre en œuvre les ententes sur des revendications territoriales, il serait préférable de poser cette question aux représentants du ministère.

Le sénateur Dallaire : Vous n'avez pas consulté les échelons supérieurs?

M. Barrett : C'est exact.

Le sénateur Dyck : Je voulais donner suite à ce que notre président a dit à propos de ces ententes. Ces ententes sur des revendications territoriales modernes ressemblent aux traités signés il y a de nombreuses années. À l'époque où ces traités ont été conclus, ils représentaient des accords de nation à nation qui étaient signés de bonne foi. J'utilise l'expression de « bonne foi » au sens littéral, car les Premières nations croient que ces types d'ententes sont, effectivement, des accords sacrés. Lorsqu'on les conclut, on est convaincu que le gouvernement du Canada respectera l'esprit de l'entente. Or, il est assez évident qu'AINC n'a pas respecté l'esprit de l'entente. Il a considéré les ententes d'un point de vue très technique.

Je me demande si l'on ne devrait pas mettre en place un processus pour changer la culture des gens qui gèrent AINC afin de leur donner une formation et de leur expliquer en quoi consistent les différences culturelles entre leur mode de fonctionnement et celui des Premières nations qui ont signé ces ententes.

Je trouve intéressant ce que vous avez dit à propos de Parcs Canada et d'Environnement Canada, qui affichent une mentalité plus propice à faire avancer ces ententes car, évidemment, les gens au service de ce genre de ministères ont une culture qui ressemble davantage à celle des Premières nations. Ils considèrent les choses d'un point de vue plus global et planétaire.

Pensez-vous qu'il y a une façon de changer la culture ou la mentalité d'AINC?

M. Campbell : Monsieur le président, c'est certainement ce que j'espère. Toutefois, pour y arriver, je crois que le ministère doit, d'abord et avant tout, décider de sa position par rapport aux objectifs fondamentaux de ces ententes. Il doit prendre cette décision. Cependant, d'après ce que nous avons observé dans le cadre de nos vérifications, les fonctionnaires qui mettent en œuvre les ententes n'agissent pas d'une manière conforme au discours actuel du ministère qui dit maintenant qu'il faut suivre ou faire avancer cette question.

Le ministère doit décider de sa position, puis la communiquer à ses fonctionnaires en disant : « Voici comment nous entrevoyons notre rôle au chapitre de la mise en œuvre et voici comment vous devez agir. »

Le sénateur Dyck : Est-ce la responsabilité du ministère ou cette décision devrait-elle revenir à quelqu'un d'autre?

M. Campbell : Affaires indiennes et du Nord Canada est le responsable fédéral, et nous lui avons présenté nos recommandations. C'est ce ministère qui a réagi de façon positive maintenant, en prenant l'engagement de suivre les progrès par rapport aux objectifs globaux. Je crois que les choses commencent à bouger un peu et j'espère qu'il y aura une occasion de maintenir cet élan.

Le vice-président : S'il n'y a pas d'autres questions, j'aimerais vous remercier, messieurs, d'avoir témoigné. Vous avez fait votre travail avec courage et honnêteté pour cerner les problèmes qui existent dans toute la question de la mise en œuvre des revendications territoriales. Nous allons poursuivre notre séance et déterminer quelles autres mesures nous pouvons prendre pour le compte des requérants afin de nous assurer que ces questions sont réglées.

Le comité se poursuit ses travaux à huis clos.


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