Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 5 - Témoignages du 27 février 2008
OTTAWA, le mercredi 27 février 2008
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones s'est rencontré à 18 h 21 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir, chers collègues et témoins. Nous poursuivons notre examen de la mise en œuvre des revendications territoriales globales. M. Kevin McKay, le président du gouvernement Nisga'a Lisims, est des nôtres aujourd'hui pour nous aider dans notre tâche.
L'Accord définitif Nisga'a est le premier traité moderne de la Colombie-Britannique et du Canada à utiliser des revendications territoriales et des dispositions d'autonomie gouvernementale protégées par la Constitution. L'accord porte sur la création du gouvernement Nisga'a Lisims et sur le paiement de 190 millions de dollars en dollars de 1995. Le droit d'exploiter des stocks de saumons est également indiqué dans l'accord, entré en vigueur en mai 2000. Bien que l'Accord définitif Nisga'a parle d'un plan de mise en œuvre, ce dernier ne fait pas partie de l'accord définitif. Ainsi, il n'est pas protégé par la Constitution.
Monsieur McKay, vous pourrez peut-être nous expliquer lors de votre exposé en quoi le plan de mise en œuvre a aidé votre nation. Nous aimerions également savoir si l'accord définitif comporte des lacunes. Vous pouvez commencer votre exposé. Nous vous accueillons aujourd'hui avec beaucoup de reconnaissance et d'humilité.
Kevin McKay, président, gouvernement Nisga'a Lisims : Merci, monsieur le président. Je suis ravi de comparaître aujourd'hui au nom de la nation Nisga'a. Le 11 mai 2000, l'Accord définitif Nisga'a, qui est le premier traité moderne de la Colombie-Britannique, est entré en vigueur et reconnaissait le droit de la nation Nisga'a à l'autonomie gouvernementale. L'entente stipulait que le gouvernement Nisga'a Lisims était moderne et démocratiquement élu et se centrait sur la culture traditionnelle des Nisga'as. Le traité créait également quatre gouvernements de villages nisga'a, chacun doté de membres élus. L'accord a également donné lieu à la création de trois postes de représentants urbains qui représenteront la population urbaine des Nisga'as.
L'accord définitif reconnaissait également la capacité qu'ont les Nisga'as de créer leurs propres lois. En vertu de l'accord, bon nombre de domaines sont désormais de compétence pour la nation Nisga'a. Jusqu'à présent, la branche législative du gouvernement Nisga'a Lisims a créé plus de 50 lois qui portent sur bon nombre de ces domaines.
J'aimerais que vous compreniez clairement que la nation Nisga'a n'est pas mécontente des conditions de l'accord définitif que nous avons signé avec les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique il y a près de huit ans. L'Accord définitif Nisga'a combine des décennies de travail forcené, de sacrifices et de compromis. Nous sommes ravis des conditions de notre traité et des occasions qui ont fait suite à cet accord.
J'aimerais expliquer au comité les défis qu'a dû relever la nation Nisga'a pour mettre en œuvre le traité. Depuis sa mise en vigueur, nous avons fait face à plusieurs difficultés en raison de l'approche prônée par le gouvernement du Canada pour mettre en œuvre les occasions importantes qu'on nous octroie dans l'accord définitif. L'approche du gouvernement du Canada vis-à-vis de la mise en œuvre du traité a été de remplir les obligations juridiques étroites et techniques établies dans le traité. Le gouvernement du Canada ne s'est pas assez préoccupé de tenter d'atteindre les objectifs généraux de l'accord. Nous ne sommes pas les seuls à faire face à une telle expérience. La vérificatrice générale du Canada en a parlé elle-même dans son rapport annuel déposé à la Chambre des communes le 30 octobre 2007, lorsqu'elle parlait plus précisément de la mise en œuvre de la Convention définitive des Inuvialuits. Dans un communiqué de presse, le Bureau du vérificateur général indique que, dans les 23 ans depuis la signature de la convention, le MAINC n'a pas fait preuve de leadership ou d'engagement enfin de respecter les obligations fédérales et d'atteindre les objectifs de la convention.
La vérificatrice générale a ajouté :
En 2003, nous avions fait des observations semblables au sujet de l'approche du ministère relativement aux ententes avec les Gwich'ins et les Inuits. Il est décevant de constater que le MAINC a continué d'axer ses efforts uniquement sur certaines obligations et qu'il n'a pas travaillé en partenariat avec les groupes autochtones pour atteindre les buts fixés par ces ententes.
Ces observations s'appliquent également à comment nous avons perçu la mise en œuvre de l'Accord définitif Nisga'a. Cette approche étroite pour mettre en œuvre notre traité nous a beaucoup déçus et irrités. Les Nisga'as tentent de tirer parti des occasions pour lesquelles nous avons travaillé si fort tout au long des négociations du traité.
La mise en œuvre du traité a également été pour nous une source de frustration, car le Canada n'a pas reconnu les objectifs premiers de notre entente. Nous estimons que cette approche a empêché le Canada de pouvoir travailler avec les Nisga'as pour mettre en œuvre notre traité de manière efficace. Ce sentiment a été reconnu par les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien dans la Convention définitive des Inuvialuits. Dans son rapport, la vérificatrice générale a indiqué ce qui suit :
Les représentants du ministère décrivent ces principes comme étant les principes des Inuvialuits et non ceux auxquels le Canada souscrit. Ils soulignent que la Convention ne les oblige à atteindre ces objectifs ni à suivre les progrès pour les réaliser.
Nous avons fait plusieurs compromis au cours du processus de négociation du traité. En fait, si la nation Nisga'a n'avait pas fait autant de compromis, l'Accord définitif des Nisga'as n'existerait probablement pas. Si l'on compare les compromis que nous avons faits à ceux qui ont été effectués par les négociateurs du Canada et de la Colombie- Britannique, l'on verra que c'est nous qui avons fait le plus de compromis.
Ces compromis étaient nécessaires pour que le traité soit conclu et pour qu'on reconnaisse notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Toutefois, nous nous retrouvons maintenant dans une position tout aussi frustrante, car nous devons continuer à nous battre pour garantir que ces occasions seront mises en œuvre de manière adéquate et que l'esprit et l'intention de notre traité seront respectés.
Notre plus grande frustration dans la mise en œuvre de nos obligations en vertu du traité a trait au renouvellement de notre Accord de financement budgétaire de la nation Nisga'a. En vertu de l'accord, toutes les parties ont pour obligation de négocier et de tenter de conclure tous les cinq ans un accord de financement budgétaire.
Pour votre gouverne, notre premier accord de financement budgétaire quinquennal aura bientôt huit ans. Les fonctionnaires fédéraux que nous avons rencontrés nous ont dit qu'ils n'ont pas reçu de mandat de financement. En décembre 2005, nous avons présenté nos demandes de financement détaillées au Canada. Nous avons attendu plus de 11 mois pour une réponse. Nous avons fini par recevoir une réponse fort décevante, qui nous a indiqué que les négociateurs du Canada n'avaient pas le mandat de négocier un accord définitif avec nous. Nous avons attendu 11 mois pour recevoir cette réponse. C'est le message que le Canada continue de nous livrer aujourd'hui.
Notre accord de financement budgétaire vient à échéance à la fin de mars. C'est dans quelques semaines. À l'heure actuelle, nous ne savons pas si le Canada va renouveler notre ancien accord ni même s'il pourra en négocier un nouveau avec nous. Nous ne savons donc pas si nous allons avoir un financement suffisant pour réaliser nos programmes et fournir des services à nos citoyens. Nous avions lutté si fort pour leur fournir cela dans l'accord.
Ces fonds sont encore plus insuffisants du fait que nous devons les utiliser constamment pour faire pression sur le gouvernement fédéral afin qu'il donne un mandat à ses négociateurs. Nous ne savons même pas quel montant le gouvernement du Canada est prêt à nous offrir, mais nous avons nos doutes, et nous croyons qu'il sera largement insuffisant. Nous n'avons reçu encore aucune proposition à négocier, même si plus de deux ans se sont écoulés depuis la signature de l'accord de financement budgétaire de cinq ans. Nous n'avons reçu aucune explication quant aux raisons pour lesquelles le Canada a choisi de tant tarder; on nous a seulement dit que l'évaluation de la réponse est « en cours ».
Honorables sénateurs, je ne me présente pas devant vous aujourd'hui pour jeter le blâme sur une partie pour toutes les frustrations et les difficultés qu'ont connues les Nisga'as dans la mise en œuvre de l'accord. Ce ne serait pas productif. Cependant, si le gouvernement du Canada et celui de la Colombie-Britannique ont autant à cœur que le gouvernement de la nation Nisga'a de respecter les obligations issues de traités dont nous avons tous convenu, alors toutes les parties devraient être prêtes à assumer leur part de responsabilité lorsqu'il se pose des difficultés et que celles- ci ne sont pas résolues à la satisfaction de tous les gouvernements. Comme l'une des parties à l'accord continue de se présenter à la table de négociations sans mandat pour résoudre ces difficultés, les Nisga'as ont peine à croire que cette partie prend très au sérieux notre accord et les obligations que celui-ci lui confère.
Comme votre comité le sait, les frustrations que les Nisga'as ont connues dans la mise en œuvre de leur traité ne sont pas particulières à leur peuple. Bon nombre d'autres signataires autochtones sont en butte à des obstacles semblables dans l'application de leurs traités contemporains et de leurs accords sur les revendications territoriales. Pour régler ces préoccupations, la nation Nisga'a estime que toutes les parties doivent adopter une nouvelle approche dans l'application de ces accords.
La Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales a été fondée en 2003. Elle représente tous les groupes autochtones qui ont signé des traités contemporains, y compris les Cris de la baie James qui ont signé un accord en 1975 et les signataires d'accords sur les revendications territoriales globales et d'ententes connexes d'autonomie gouvernementale, dont la nation Nisga'a. Depuis 2003, les membres de la coalition ont décidé de s'attaquer aux problèmes de mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales.
En réaction aux difficultés identifiées par les groupes membres de la coalition, cette dernière a adopté un document intitulé Four-Ten Declaration of Dedication and Commitment, dans lequel elle énonce quatre éléments visant à renouveler la relation entre les groupes autochtones signataires de traités et le gouvernement du Canada. Ces quatre points comprennent premièrement la reconnaissance que c'est la Couronne du chef du Canada, et non le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui est partie de nos accords sur les revendications territoriales et de nos ententes d'autonomie gouvernementale. Le second est que le gouvernement fédéral doit s'engager à atteindre les objectifs généraux des ententes d'autonomie gouvernementale et des accords sur les revendications territoriales dans le contexte de nos nouvelles relations, plutôt que dans celui du respect purement technique d'obligations étroitement définies. Cela signifie entre autres qu'il doit fournir un financement adéquat pour atteindre ces objectifs et respecter ces obligations. Le troisième est que l'application de ces accords doit être confiée à des hauts fonctionnaires fédéraux compétents représentant l'ensemble du gouvernement canadien. Le quatrième est qu'il doit exister un organe indépendant d'application et d'examen de ces accords, distinct du ministère des Affaires indiennes et du Nord. Il pourrait s'agir du Bureau du vérificateur général ou d'un autre organisme semblable qui fait directement rapport au Parlement. C'est ce bureau qui sera chargé de préparer les rapports annuels en consultation avec les groupes signataires d'accords sur les revendications territoriales.
La nation Nisga'a a appuyé ces quatre principes en tant que point de départ à l'élaboration d'une politique nationale d'application des accords sur les revendications territoriales qui pourrait être adoptée par le Canada et qui aiderait toutes les parties à des accords sur les revendications territoriales contemporains à appliquer ces accords plus efficacement.
À notre avis, les trois premiers éléments de la déclaration expriment la nécessité pour nous de favoriser une relation de nation à nation avec le Canada. Pendant les décennies qu'ont duré les négociations de notre traité, la nation Nisga'a a toujours affirmé sa volonté de négocier son inclusion au sein du Canada, et non son retrait du pays. Durant les négociations, je disais toujours que nous ne voulions pas négocier un siège situé entre le Nigéria et le Swaziland dans le concert des Nations Unies. Nous sommes prêts à ce que le Canada nous représente aux Nations Unies. Ce que nous négocions, c'est notre inclusion au sein du Canada. C'était le postulat de base du traité.
Nous voulons occuper la place qui nous revient de droit au sein du Canada. De l'avis des Nisga'as, pour que notre traité soit appliqué pleinement et convenablement, il faut que le gouvernement du Canada trouve le moyen de collaborer avec la nation Nisga'a dans le contexte d'une véritable relation de gouvernement à gouvernement. Nous devons travailler de concert avec le gouvernement fédéral et avec le gouvernement de la Colombie-Britannique pour établir cette relation. Pour cela, cependant, il faudra des changements profonds tant dans l'attitude des gouvernements que dans le cadre institutionnel du gouvernement fédéral.
À l'heure actuelle, la frustration que les Nisga'as ont ressentie dans l'application de leur traité est due en grande partie au manque d'influence que semble avoir le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien auprès des autres ministères fédéraux. Même lorsque le ministère fait de son mieux pour atteindre les objectifs de l'accord, ses efforts sont souvent frustrés par l'influence insuffisante qu'il peut exercer auprès des autres ministères. Les autres ministères estiment que cette entente relève du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et n'a rien à voir avec eux. Ce faisant, ils ne reconnaissent pas la relation de nation à nation que nous avons avec le Canada, une relation que nous avons lutté bec et ongle pour obtenir dans la négociation de notre traité.
La relation qu'établit notre traité n'est pas avec un seul ministère ou organisme fédéral, mais bien avec la Couronne, telle qu'elle est représentée par le gouvernement du Canada. Dans la pratique, cela signifie que tous les ministères et organismes fédéraux dont les mandats et activités sont en rapport avec les traités contemporains doivent faire leur part pour respecter ces traités. Les ministères et organismes du gouvernement du Canada ont tous une égale responsabilité de veiller à ce que leurs fonctions et activités soient exécutées conformément aux obligations énoncées dans les traités contemporains et de contribuer à la réalisation des objectifs de ces accords.
Pour atteindre ce but, la coalition a présenté une proposition appuyée par la nation Nisga'a, qui vise la création d'un organisme chargé de l'application des accords et doté d'une fonction semblable à celle d'un organisme central. Cet organisme serait doté du pouvoir de hausser l'influence des personnes chargées de l'application des accords afin qu'elles puissent obtenir l'attention des autres ministères et leur faire prendre connaissance de leurs obligations en vertu des traités. Grâce à cette mesure, nous estimons que l'on pourrait également garantir la disponibilité d'un fonds distinct consacré à l'application et au financement des accords sur les revendications territoriales.
Le quatrième élément de la déclaration de la coalition, qu'appuie également la nation Nisga'a, prévoit aussi la mise sur pied d'un organe distinct, en sus de l'organisme central. Cet organe sera chargé d'évaluer la réalisation des objectifs des accords et d'en faire rapport au Parlement et aux parties.
Ainsi, si les objectifs des accords sur les revendications territoriales ne sont pas atteints, cet organe pourra déterminer à qui en revient la faute. Cet organe pourrait se trouver, par exemple, au sein du Bureau du vérificateur général. Le recours au Bureau du vérificateur général pour accomplir ce travail est une possibilité parmi tant d'autres. Idéalement, cette fonction devrait être confiée à un organe d'examen entièrement indépendant du gouvernement.
Bien que nous ne disions pas savoir exactement comment constituer une telle organisation, nous sommes prêts à discuter de notre proposition avec le gouvernement du Canada afin d'examiner les options disponibles et découvrir ce qui sera le plus efficace. Le problème dont nous faisons l'expérience et que nous voulons corriger avec notre proposition est l'insuffisance des systèmes actuellement en place pour arriver à mettre en œuvre notre traité. Dans la situation actuelle, notre expérience nous démontre que de laisser ces fonctions de mise en œuvre au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien seulement est totalement inefficace.
Pour résumer, la nation Nisga'a recommande l'élaboration de politiques nationales pour la mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales. Nous recommandons que le gouvernement fédéral reconnaisse que les accords signés sont des accords de nation à nation, signés avec la Couronne du chef du Canada, et non pas avec AINC. Nous recommandons l'élaboration de mécanismes conçus pour s'assurer que tous les ministères fédéraux sont conscients et tenus responsables des obligations conventionnelles du Canada en vertu de ces accords. Notre quatrième recommandation est la mise en place d'un organisme gouvernemental central chargé de la mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales. Notre cinquième recommandation est la mise en place d'un organisme indépendant et distinct de surveillance qui examinera la façon dont le Canada remplit ses obligations en vertu des traités.
Le président : Merci beaucoup, monsieur McKay.
Premièrement, je vais présenter les sénateurs. Le vice-président est le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord- Ouest; le sénateur Dallaire, du Québec; le sénateur Gustafson, de la Saskatchewan; le sénateur Dyck, de la Saskatchewan; le sénateur Peterson, aussi de la Saskatchewan; le sénateur Adams, du Nunavut; et le sénateur Watt, du Nord du Québec et du Nunavik.
Notre comité se compose donc de sénateurs des différentes régions du pays, monsieur McKay, et les sénateurs sont intéressés par ce que vous avez à dire parce que vous êtes sorti des sentiers battus lorsque vous avez signé un traité moderne avec la province de la Colombie-Britannique et la Couronne en 2000.
M. McKay : Oui, 2000 était la date d'entrée en vigueur. L'accord a en fait été paraphé par les négociateurs en chef à l'été de 1998.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais mettre à l'épreuve votre sens de l'humour. Monsieur McKay, vous avez parlé de la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales, et vous avez parlé des problèmes à entrer en contact avec les bonnes personnes au gouvernement fédéral. Vous avez souligné que les personnes à qui vous parlez ne sont pas très haut placées sur le totem. Est-ce que cela va? Pouvons-nous dire cela? Est-ce que cela convient?
M. McKay : Bien sûr.
Le sénateur Dallaire : Je vous félicite pour votre sens de l'humour. Je voudrais vous poser quelques questions directes. Il est vrai que votre exposé est bref et très précis, et nous apprécions la clarté de vos recommandations. Je veux parler d'AINC et de tout autre fonctionnaire.
Croyez-vous que l'on vous traite, vous et les autres personnes ayant des responsabilités semblables, en tant que nation discutant avec une autre nation? Sentez-vous que l'on vous offre un plein respect? Monsieur McKay, sentez- vous que l'on vous traite comme une ONG? Croyez-vous que les fonctionnaires ont une attitude sous-jacente de pouvoir colonial?
M. McKay : Merci, sénateur Dallaire. Cela dépend de qui vous parlez. Si vous parlez de la haute bureaucratie, ces gens reconnaissent l'Accord définitif Nisga'a et sont d'accord avec la réalité qu'il représente. Ces fonctionnaires comprennent que nous mettons en place une nouvelle relation fondée sur des principes de nation à nation. Cependant, parfois lorsque vous vous éloignez des hauts niveaux de la bureaucratie et que vous rencontrez des gens d'autres ministères fédéraux et des ministères provinciaux, nous sommes traités comme si nous étions un conseil de bande assujetti à la Loi sur les Indiens. Dans certains cas, ces ministères ignorent totalement la réalité de l'Accord définitif Nisga'a.
L'Accord définitif Nisga'a remplacé les directives archaïques de la Loi sur les Indiens et nous comprenons qu'il y aura une période de transition. Cela prendra du temps pour ceux qui ne sont pas des Nisga'as de bien comprendre ce que l'accord définitif signifie en pratique. Cependant, pour répondre à votre question, nous rencontrons plus d'ignorance au niveau les plus bas du totem. Je leur accorde le bénéfice du doute, et j'espère que la situation est due à l'ignorance, parce que s'il y a une autre raison, cela ne fait qu'aggraver le problème.
Le sénateur Dallaire : Est-ce que la nation Nisga'a et les autres nations autochtones, suite aux traités ou à leur mise en œuvre, ou suite aux politiques ministérielles, surtout d'AINC et des autres ministères, acquièrent des connaissances afin d'interagir avec vous d'une façon qui respecte votre culture et votre histoire? Par exemple, y a-t- il des anthropologues? Est-ce qu'ils ont été formés de manière à acquérir les connaissances nécessaires afin de mener ces négociations, non pas comme un pouvoir colonial qui négocie avec une entité subordonnée, mais de nation à nation?
M. McKay : Merci de votre question, sénateur. Toute occasion d'offrir au gouvernement et aux gens qui représentent le gouvernement une formation sur les différences transculturelles peut avoir beaucoup d'effets afin d'éliminer certains de ces obstacles.
Jusqu'à maintenant, nous ne sommes certains de ce que fait AINC. Le ministère est l'organisation principale avec qui nous traitons, et c'est une situation un peu ironique pour les Nisga'as. Nous avons soutenu que nous avions choisi le processus de négociations politiques plutôt que celui des poursuites afin de résoudre la question territoriale parce que nous sentions que nous aurions plus d'influence sur les résultats.
Ce faisant, nous avons senti que nous étions plus efficaces pour mettre en œuvre les solutions nécessaires pour faire face aux défis. Dans ma déclaration liminaire, j'ai mentionné le besoin pour le gouvernement fédéral, s'il est sérieux, de penser à changer le cadre institutionnel pour qu'il soit plus favorable à la mise en œuvre des accords modernes sur les revendications territoriales. Présentement, il ne l'est pas.
Le sénateur Dallaire : L'argent, c'est le pouvoir. Pour les ministères, c'est le budget qui représente le pouvoir. Si AINC avait la possibilité financière de s'assurer que les autres ministères qui ont des responsabilités, partielles ou non, concernant la mise en œuvre puissent rendre disponibles ces fonds, ou si AINC pouvait être l'agent central pour obtenir ces fonds du Cabinet, ne croyez-vous pas que cela constituerait des pouvoir suffisants pour répondre à vos besoins. Croyez-vous que cela serait suffisant plutôt que de créer un nouvel organisme?
M. McKay : Non, parce que lorsque nous avons signé l'Accord définitif Nisga'a avec le Canada et la Colombie- Britannique, la nation Nisga'a ne l'a pas fait pour dire adieu au gouvernement du Canada et au gouvernement de la Colombie-Britannique. Nous croyons que c'était un exemple important afin de commencer à travailler collectivement afin de faire face au défi de la mise en œuvre des objectifs des traités. Si l'on essaie de faire face à ces défis seulement sur une base financière, cela ne représente pas une réponse complète pour nous.
Pendant notre recherche, nous avons embauché Price Waterhouse pour faire une évaluation des pertes économiques dues à l'exploitation de nos ressources sur nos territoires traditionnels. Nous avons présenté ces résultats au Comité consultatif de négociation des traités, le CCNT. Le comité se composait de représentants de différentes administrations locales et de divers intervenants tels que l'industrie. J'étais le président de ce comité. Quelqu'un nous a demandé si nous pensions obtenir tout l'argent dont nous parlions. Price Waterhouse avait relevé des pertes allant de 2,1 milliards de dollars jusqu'à 4 milliards de dollars en occasions ratées. Cette information a été obtenue des archives gouvernementales des provinces.
On m'a dit que si nous étions tous d'accord, nous recevrions un chèque. J'ai corrigé la femme qui nous avait offert ce chèque. J'ai dit: « Premièrement, nous ne présentons pas une facture. Même si vous rassembliez toutes les ressources financières de tous les paliers de gouvernement au Canada aujourd'hui, vous ne vous approcheriez même pas de ce que vous nous devez vraiment. Ceci est une déclaration historique des faits. » J'ai utilisé cette façon spectaculaire afin de les avertir que s'ils croyaient qu'un chèque remplirait leurs obligations, ce n'était pas ce que nous envisagions. Non, il suffit de plus que seulement de l'argent. L'argent est important, mais il y a d'autres morceaux importants à ce casse- tête.
Le président : Le sénateur Sibbeston et moi revenons d'une visite de la nation Navaho, où le président de la nation a refusé de traiter de gouvernement à gouvernement. Il a dit qu'il voulait traiter de nation à nation. Il a dit qu'ils n'étaient pas des Indiens mais des Autochtones américains. Il a dit que le terme « Indien » est une mauvaise appellation parce que certains blancs essayaient de se rendre en Inde. Il a dit qu'ils ne vivaient pas dans des réserves; les animaux vivent dans des réserves mais eux vivent sur des terres traditionnelles.
La bureaucratie n'a pas tout compris, surtout si vous traitez de nation à nation avec ce point de vue. Je cède maintenant la parole au sénateur Sibbeston.
Le sénateur Sibbeston : Monsieur McKay, c'est un plaisir de vous revoir. Lorsque je suis arrivé en 1999, la revendication nisga'a était la première revendication territoriale et entente d'autonomie gouvernementale à laquelle nous devions faire face. Ce fut intéressant et instructif. À cette époque, il y avait assez d'opposition. Une des personnes présentes à ce moment est maintenant premier ministre provincial. Il y avait aussi un juge à la retraite de la Cour suprême du Canada. Ils avaient pris position contre l'entente. Je me souviens de m'être dit: « Je suis content d'être des Territoires du Nord-Ouest où il n'y a pas ce genre d'opposition. »
Cela fait huit ans que vous avez formé votre gouvernement et j'ai eu la chance d'assister à la cérémonie officielle d'ouverture avec le premier ministre de la Colombie-Britannique, le ministre des Affaires indiennes et plusieurs autres. C'était une cérémonie très élaborée. Après la cérémonie j'ai dîné avec le juge Tom Berger et nous avons reconnu que les peuples autochtones avaient la capacité de s'autogouverner. On se réjouissait de voir que cela se passait au Canada.
Je comprends que vous êtes venus ici pour discuter de la mise en œuvre et des problèmes dont vous faites l'expérience, et vous avez de bonnes recommandations à nous présenter, mais est-ce que vous pouvez nous parler de la situation de votre peuple? Lorsqu'il y a un accord, il y a beaucoup d'espoir. Les gens savent que nous répondons ici aux aspirations autochtones concernant l'autonomie gouvernementale et l'indépendance économique. Je n'ai aucun doute que vous êtes sur la bonne voie, mais j'aimerais savoir où vous en êtes dans votre quête et comment vous allez.
M. McKay : En termes concrets, on pourrait poser la question suivante, qu'est-ce qui a changé dans l'univers nisga'a depuis l'accord? Nous nous approchons rapidement du huitième anniversaire de la mise en œuvre de notre accord, le 11 mai cette année. J'ose dire qu'on parle d'autres gouvernements en termes d'évolution sur plusieurs siècles. Cependant, il est important de poser cette question de temps en temps.
Une direction très importante suivie par la nation Nisga'a à la veille de la finalisation de l'accord concerne les paiements personnels. Après un long débat durant de nombreuses assemblées de notre nation, nous nous sommes mis d'accord que la seule exception à un paiement personnel serait un dividende de 15 000 $ à nos aînés lors de leur soixantième anniversaire. Voilà en partie une reconnaissance de la contribution de nos chefs héréditaires, hommes et femmes, et de nos aînés dignes de respect durant la longue histoire du problème territorial. C'est là la seule exception permise.
Nous avons débuté la gestion partagée de nos pêches avec le ministère des Pêches et des Océans en 1992. En vertu de notre traité, nous avons complété huit saisons de saumon, pour la subsistance, les pêches sociales et cérémonielles, les pêches personnelles nisga'as en mer et en eaux vives et nos pêches collectives avec notre roue à poissons. Le gouvernement Nisga'a Lisims a conclu un accord avec une grande entreprise de transformation du poisson pour qu'elle achète et commercialise notre saumon jusque dans le Sud-Ouest des États-Unis.
La loi sur le développement économique a été mise en œuvre en 2002 afin d'offrir un processus de base connu qui verrait au financement provisoire en vue de demandes auprès d'autres institutions financières. Le fonds pour les prêts sert à encourager la création de richesse, de prospérité et de bien-être culturel pour la nation Nisga'a et les citoyens nisga'as en faisant la promotion du développement économique et de l'entrepreneuriat par les citoyens nisga'as et pour leur offrir des emplois. Nous révisons actuellement la loi pour que les projets de développement économique et les projets d'affaires puissent bénéficier de subventions et de contributions.
Nous en sommes aussi aux premières étapes d'une réforme du régime foncier, ce qui est très passionnant pour nous. Des économistes de renommée mondiale comme Hernando de Soto ont comparé les réserves de la Loi sur les Indiens à du « capital mort ». Notre nation nous a dit très clairement qu'il fallait maintenant commencer ces réformes. On nous a dit que plus tard, un citoyen nisga'a pourra utiliser sa maison et la terre où elle est située afin d'obtenir le financement nécessaire pour réaliser ses rêves. Nous y arriverons peut-être en trois ans. Cela pourra prendre aussi longtemps à cause des conséquences juridiques que nous examinons de façon sérieuse. Pendant les sept dernières années, le mot « pionnier » a été trop utilisé et est devenu un cliché. Cependant, dans le domaine de la réforme du régime foncier qui pourrait être compatible au système en place dans la province de la Colombie-Britannique, nous parlons de changements très spectaculaires et radicaux, mais qui ne seront pas aux dépens de la nation Nisga'a.
J'ai parlé de l'accord de financement budgétaire de la nation Nisga'a dans ma déclaration liminaire. La prestation de programmes et de services continue d'être une des responsabilités principales du gouvernement Nisga'a Lisims. La distinction que nous devons continuellement faire entre la situation avant le traité, la Loi sur les Indiens, et après le traité est que nous offrons des programmes et services même aux Nisga'as urbains. Nous servons ces gens mais pas autant que les Nisga'as qui vivent sur nos territoires et dans un de nos quatre villages, mais il faut faire une distinction claire parce que nous avons la responsabilité d'offrir les services légitimes aux Nisga'as qui ne vivent pas sur nos territoires nisga'as.
Nous avons hérité d'édifices d'AINC, dont plusieurs avaient besoin de rénovations importantes ou même devaient être remplacés, et nous couvrons nos besoins liés à la commission Nisga'a de financement de capital.
La Fiducie de conservation des pêches Lisims a été mise sur pied afin de nous assurer qu'une de nos ressources les plus importantes, le saumon, sera toujours présente pour nos petits-enfants et les générations qui suivent. Le Canada a fait une contribution de 10 millions de dollars et pour montrer à quel point nous étions sérieux, la nation Nisga'a a fait une contribution de 3 millions de dollars. Les contributions de départ continuent à offrir un financement essentiel pour la protection de cette ressource.
Le Fonds nisga'a pour la pêche commerciale est en place afin d'offrir aux pêcheurs commerciaux nisga'as un accès à du financement pour accroître leurs capacités et leur donner de meilleures occasions, surtout maintenant. Ce n'est pas un secret que la pêche vit une crise partout au pays, et que les Nisga'a Lisims ne sont pas immunisés contre ce problème.
La même position économique nous a permis de profiter immédiatement après la mise en œuvre du traité de la récolte de ressources sur le territoire nisga'a. C'est un compromis que nous avons accepté. Plutôt que de mettre à la porte toutes les compagnies forestières non nisga'as qui travaillaient sur le territoire nisga'a après le 11 mai 2000, nous avons négocié une période de retrait graduel. Bien sûr, nous vivons dans une petite partie du monde dans la Colombie- Britannique. Nous vivons tous ensemble, et donc les compagnies forestières nisga'as continuent de travailler avec des compagnies forestières non nisga'as pour avoir accès aux ressources forestières sur les territoires nisga'as.
Les accords collatéraux concernant la route du territoire nisga'a ne faisaient pas partie du traité, ils sont par contre une conséquence directe du traité dans deux grands domaines. Le premier est la poursuite de la réfection de l'ancien tronçon de la route. Tout aussi importante, surtout pour ceux de nos citoyens qui résident à Kincolith, il y a la prolongation de la route entre Nak'azdli et Kincolith. Avant cette prolongation, la localité de Kincolith était géographiquement isolée des trois autres collectivités nisga'as.
Je pourrais encore m'étendre longuement sur la question. Voilà quelques-uns des résultats tangibles qui attestent de la façon que notre monde, celui des Nisga'as, a bien changé depuis la mise en œuvre du traité.
Le sénateur Dyck : Merci de votre exposé, monsieur McKay. Il était très succinct et vos recommandations étaient fort bien présentées.
J'ai été frappé par quelque chose que vous avez dit en réponse au sénateur Dallaire qui, au sujet de vos relations avec le ministère, vous demandait si vous étiez toujours confrontés à une mentalité coloniale. Vous nous avez dit que vous estimiez que la nation Nisga'a ne faisait pas partie de la Loi sur les Indiens.
Selon moi, le ministère a précisément été créé pour administrer la Loi sur les Indiens sous l'angle juridique, mais il n'était compétent que pour les traités remontant à l'époque coloniale, les traités numérotés et les traités antérieurs à cette époque. Or, le vôtre est un traité moderne.
Il me semble que vous ne devriez pas traiter avec le ministère. Il semble en effet illogique que vous traitiez avec lui pour ce qui est de la mise en œuvre de l'accord étant donné que vous ne faites pas partie de la structure politique à l'origine du ministère. Vous avez ainsi recommandé la création d'un autre organisme. Conviendrez-vous avec moi du fait que vous pourriez militer pour cette idée selon laquelle vous ne faites pas partie des traités coloniaux qui ont été signés au tournant du siècle, puisque le vôtre est un traité moderne?
M. McKay : J'en conviens facilement. La nation Nisga'a, depuis la signature du traité, répète toujours le même message. Selon nous, le cadre institutionnel du ministère ne permet pas d'intégrer la réalité de la mise en œuvre d'un accord moderne sur les revendications territoriales. L'une des raisons principales à la base de l'Accord définitif Nisga'a était, c'est notre point de vue, qu'il fallait remplacer ce que nous avions souvent décrit comme une Loi sur les Indiens archaïque et tout ce qu'elle nous impose au quotidien depuis 130 ans.
Pour ce qui concerne la nation Nisga'a, nos légendes et nos traditions orales nous apprennent que nous occupons notre territoire traditionnel depuis la nuit des temps. Nous avons, dans une de nos collectivités, celle de Nak'azdli, des preuves archéologiques qui attestent de la présence de nos ancêtres déjà il y a 15 000 ans. Depuis lors, la nation Nisga'a a évolué comme seul pouvait le faire un peuple indépendant, fier, dynamique et autonome. S'agissant de notre culture, l'une des raisons pour lesquelles elle fait partie aussi intégrante de notre quotidien, c'est qu'elle a évolué au fil du temps, qu'elle n'a jamais stagné et qu'elle a conservé toute sa pertinence dans la société contemporaine.
La Loi sur les Indiens a fait partie de nos vies pendant à peu près plus de 130 ans et regardez un peu tout le tort qu'elle a causé. Nous voici ici aujourd'hui, presque huit ans plus tard, nous continuons à rencontrer, jour après jour, les mêmes histoires d'horreur dans nos rapports avec nos concitoyens. Il est évident pour nous que la seule réponse à cela serait de remplacer la Loi sur les Indiens, et c'était d'ailleurs ce que nous pensions avoir réalisé lorsque nous avons accepté de signer l'accord définitif. Mais malgré tout, la frustration demeure.
L'une des principales choses que je voudrais faire valoir auprès des gens du ministère, c'est que nous n'avons aucune voix au chapitre dans la nomination des gens que le gouvernement canadien envoie pour traiter avec nous, mais nous attendons de vous que vous nous écoutiez lorsque nous vous disons que nous n'apprécions pas le fait d'être traité comme les conseils de bande assujettis à la Loi sur les Indiens. Nous ne sommes pas un conseil de bande assujetti à cette loi.
Le sénateur Dyck : Même si beaucoup de gens pensent qu'il faudrait abroger la Loi sur les Indiens, pensez-vous que ce soit une bonne idée de vous soustraire à cette loi, de modifier la loi afin de créer un autre type de statut pour une nation indienne?
M. McKay : Je ne puis parler que pour les Nisga'as. Je ne voudrais pas avoir la prétention de parler pour tous mes frères et toutes mes sœurs partout au Canada. Mais en ce qui concerne les Nisga'as, il y a très longtemps de cela, nos dirigeants, nos chefs et nos matrones avaient conclu, dans leur infinie sagesse, qu'il n'y avait pas d'autres réponses. Il fallait se débarrasser une fois pour toutes de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, nous n'avons aucune hésitation à le dire encore aujourd'hui, en toute déférence avec le ministère et la responsabilité qui lui a été donnée de continuer à appliquer la loi. Cela dit toutefois, je soutiens qu'avec toutes les commissions royales qui se sont succédé au fil des ans, pourquoi pensez-vous qu'il n'y aura jamais de commission royale au sujet de la Loi sur les Indiens? Je pense que cela enlèverait leur acuité à un grand nombre de problèmes. Tout ce dont s'occupe actuellement le ministère, de façon souvent très superficiel, c'est des symptômes du problème. Le cœur du problème, c'est l'institution elle-même.
Le président : Je pense plutôt que la Commission royale sur les peuples autochtones avait précisément fait cette recommandation.
Le sénateur Adams : Au moment où on fêtait la signature de votre accord, je ne me souviens plus de la façon dont vous portiez la barbe. J'étais le sénateur d'Ottawa qui était présent à cette cérémonie, et je n'oublierai jamais à quel point elle était brillante.
J'aimerais savoir ce qu'il en est de votre entente avec le gouvernement de la Colombie-Britannique avant votre venue à Ottawa, savoir comment marchent les choses dans cette province. Je sais qu'il y a un ministère provincial des Affaires indiennes. Comment s'occupe-t-il de vous dans le contexte de l'accord? L'accord sur votre revendication territoriale vous confère-t-il un pouvoir?
M. McKay : Dans l'ensemble, les représentants du gouvernement avec lesquels nous traitons couramment pour la mise en œuvre de notre traité sont des représentants du gouvernement fédéral.
Mais nos rapports fonctionnels avec ceux du gouvernement provincial sont également assez positifs, d'après ce que nous avons pu voir. Quand on y songe, je pense que quelqu'un avait mentionné dans une intervention les contestations qui avaient été opposées au tout début à notre traité, l'une d'entre elles d'ailleurs de la part de la personne qui est actuellement notre premier ministre provincial. Il faut le reconnaître, le premier ministre Campbell a fait la preuve qu'il n'avait pas peur de changer d'attitude et de mieux prendre l'initiative pour nous aider à mettre en œuvre notre accord final. Je ne peux qu'avoir beaucoup de respect pour lui en tant qu'être humain mais j'ai aussi beaucoup de respect pour son gouvernement en raison précisément des changements d'attitude. Cela ne passe pas inaperçu.
Entre parenthèses, nous traitons avec le ministre de Jong, qui est le ministre provincial des Relations et de la Réconciliation avec les Autochtones. C'est quelqu'un de très connu qui est d'ailleurs intervenu devant les tribunaux pour contester notre traité. Nous avons un rapport fonctionnel tout aussi positif avec ce ministre. Mais pour l'essentiel, nous traitons plutôt avec le gouvernement fédéral.
Le sénateur Adams : Vous avez mentionné que vous aviez une pêcherie. Avez-vous des ententes avec le ministère des Pêches ou avec le gouvernement de la Colombie-Britannique pour la zone située à l'intérieur de la limite des 12 milles? Je ne sais jusqu'où vous avez réussi à aller dans le traité pour ce qui est des droits de pêche. Est-ce que le gouvernement vous impose un quota ou est-ce que vous vous l'imposez vous-mêmes?
M. McKay : Comme je l'ai déjà dit, nous administrons la ressource halieutique en cogestion avec le ministère des Pêches et des Océans depuis 1992, c'est-à-dire près de huit ans avant la date d'entrée en vigueur du traité. Pendant toute cette période, nos relations ont évolué pour devenir très positives. Pour répondre à votre question, les Nisga'as peuvent exercer leurs droits de pêche, selon les termes de l'accord définitif, dans le bassin de la rivière Nass, ce qui représente 26 838 km carrés.
Le sénateur Adams : Quel est votre quota annuel?
M. McKay : Nous appelons cela l'allocation des Nisga'as. Cette allocation est négociée à intervalles réguliers avec nos homologues du ministère des Pêches. D'ailleurs, nous avons un comité, le Comité mixte de gestion des pêches, qui représente les deux ordres de gouvernement. C'est ce comité qui traite avec le ministère provincial de la Faune.
Le sénateur Adams : Je sais que vous êtes le président d'une excellente coalition d'Inuvialuit, du Nunavut et du Nunavik. Jusqu'à quel point est-ce vous-même qui l'avez constituée? Et quelle a été l'intervention du gouvernement à ce moment?
M. McKay : Cette coalition est le regroupement de tous les signataires d'accords modernes sur les revendications territoriales depuis 2003. Nous nous sommes sentis obligés de nous unir afin que notre voix soit plus forte. Ce n'est pas le gouvernement qui a créé la coalition. À l'heure actuelle, les Nisga'as et la NTI en sont les coprésidents. Le président Kaludjak et le président Leeson sont les coprésidents de la coalition.
Le sénateur Adams : Le ministère vous reconnaît-il? Le ministère communique-t-il avec le président Leeson et avec la coalition?
M. McKay : Ils ne nous le diront pas directement, mais j'ai pris connaissance avec plaisir du procès-verbal textuel de la rencontre entre le sous-ministre Wernick et son collègue M. Sewell, rencontre pendant laquelle ils ont tous deux reconnu que la coalition existait et qu'il leur fallait prendre nos conseils au sérieux. Cela est encourageant.
Le sénateur Peterson : Est-ce que toutes les terres auxquelles vous avez droit sont maintenant sous votre contrôle?
M. McKay : En effet, et c'est la résultante de l'Accord définitif Nisga'a.
Le sénateur Peterson : Vous nous dites que le ministère des Affaires indiennes essaie de vous être utile — et je pense que vous êtes trop généreux à son endroit parce que, de son aveu même, il n'y est pour rien — est-il en train de négocier avec vous les termes de votre gouvernance propre?
M. McKay : Non. Comme le disait le sénateur St. Germain dans son introduction, l'une des caractéristiques inusitées de l'accord définitif est que nous avons négocié la disposition concernant notre autonomie gouvernementale dans le cadre du corps même du traité. Ainsi, notre autonomie gouvernementale est protégée par la Constitution. Tout s'y trouve.
Lorsque je voulais décrire cela à notre peuple — lorsque nous conduisions des séances de vulgarisation pour faire comprendre cet accord —, je leur disais, par exemple, que l'accord final ne doit pas être considéré comme un ensemble de garanties mais plutôt comme un ensemble de potentialités. Ces potentialités, nous nous sommes battus bec et ongle pour les obtenir, et pour elles, la nation Nisga'a a dû accepter des compromis. Tout ce que nous demandons maintenant, c'est qu'on nous permette raisonnablement de concrétiser leur potentiel.
Le sénateur Peterson : Croyez-vous qu'on vous le permette?
M. McKay : Pas à l'heure actuelle, non.
Le sénateur Peterson : Comment pensez-vous pouvoir y arriver?
M. McKay : Ce serait facile si, tout d'un coup, le ministère des Affaires indiennes venait à disparaître.
Le sénateur Peterson : Nous avons déjà entendu cela. C'est quelque chose dont nous allons devoir nous occuper. Nous avons dit d'accord à tout. Nous avons tout mis en place, nous savons ce que nous voulons faire, mais nous ne le faisons pas.
Vous faites preuve d'une patience extraordinaire. Nous avons déjà entendu d'autres groupes comme le vôtre. Il y a tous ces réexamens après cinq ans, après dix ans et après 15 ans, et c'est toujours la même chose. C'est extrêmement pénible. C'est atroce. Je suis d'accord avec vous. Le problème, c'est le ministère.
Le président : Faisons-en notre objectif.
Le sénateur Peterson : Je suis tout à fait d'accord. Ces gens attendent depuis trop longtemps. Ils ne devraient pas avoir sans cesse à revenir ici.
Le sénateur Gustafson : J'ai une question à poser et je me demandais s'il fallait que je la pose.
Un beau jour, j'étais en compagnie de quelques Autochtones qui m'avaient dit que la seule autorité qu'ils reconnaissaient était celle de la reine. Est-ce que vous reconnaissez la reine?
M. McKay : Certainement, sénateur, nous sommes Canadiens. La constitution de la nation Nisga'a est conforme à la Constitution canadienne de 1982.
Le président : Il n'y a rien dans votre accord qui ne soit pas conforme à la Constitution?
M. McKay : Non. La Charte canadienne des droits et libertés s'applique à nous, sur les terres des Nisga'as, comme elle s'applique à tous les Canadiens.
Le sénateur Dallaire : Lorsque je suis arrivé au comité, j'ai demandé à mon personnel de faire une recherche sur la Loi sur les Indiens pour mon édification à ce sujet. J'aimerais maintenant offrir un peu de contexte pour mettre les choses en scène.
Tout cela a commencé en 1830 par ce qu'on appelait alors le programme de civilisation des Indiens, un programme qui visait à assimiler le peuple indien en installant temporairement les Autochtones dans des réserves. Ce programme visait à les convertir au christianisme et à leur apprendre à devenir productifs. On avait alors le sentiment que cette transformation serait rapide. En 1858, les Britanniques confièrent l'administration des Indiens aux Canadiens. À cette époque, on s'attendait à ce que la population autochtone aille en diminuant, mais ce ne fut pas le cas.
La Loi sur les Indiens de 1876 ne devait être qu'une série de textes de loi temporaires jusqu'au moment où les peuples autochtones auraient été parfaitement assimilés et capables de gérer les terres. Cette loi définissait l'appartenance aux Premières nations dans le but ultime d'assimiler celles-ci.
Je n'ai nulle part dans mes recherches vu de modifications législatives quelconques au mandat du ministère, modifications qui permettraient d'abandonner les prémisses originelles de la Loi sur les Indiens pour passer plutôt à une nouvelle génération de responsabilités.
Vous n'avez jamais participé à un quelconque processus par lequel le ministère eut pu se métamorphoser dans le but de mettre en œuvre une nouvelle génération de traités et ainsi de suite, n'est-ce pas?
M. McKay : Non. Toute frappante qu'elle soit, la réalité est qu'à mon sens, la Loi sur les Indiens — et cela depuis son entrée en vigueur en 1876 — n'a été modifiée qu'une fois ou deux.
Le sénateur Dallaire : Le ministère de la Défense nationale est subordonné à la Loi sur la défense nationale. C'est là la référence première, et cette loi a été modifiée plusieurs fois en réponse aux enjeux complexes du temps. Ainsi, le MDN s'est-il considérablement restructuré, il a poli et repoli sa responsabilité selon que le pays était en temps de guerre ou en temps de paix.
Durant vos négociations et ultérieurement, et je parle ici de l'examen de votre premier plan budgétaire quinquennal, avez-vous vu quelque part quelque mention que ce soit d'une éventuelle dotation d'effectifs au ministère qui permettrait à celui-ci de se pencher sur la question de savoir comment s'y prendre pour cette nouvelle génération de création et de mise en œuvre de la signature de ces accords?
M. McKay : Nous n'avons vu au ministère ni créativité, ni innovation.
Le sénateur Dallaire : J'en reviens à ma question lorsque je disais que ce ministère était un ministère puissant. Lorsqu'on parle de la défense, il y a un seul ministère, même si le gouvernement du Canada signe un traité avec tous les autres pays, avec l'OTAN ou avec les Américains, il n'y a qu'un seul ministère compétent.
Si je poursuis dans la même veine, si le ministère des Affaires indiennes se réalignait pour répondre à ces enjeux, ne pourrait-il pas alors obtenir les fonds nécessaires pour réagir, de façon rapide mais progressive, et même à un niveau minimum, à vos insuffisances budgétaires?
M. McKay : C'est difficile à dire. Le ministère n'a jamais fait la preuve qu'il en avait la capacité ou la volonté.
Le sénateur Dallaire : À tous les niveaux?
M. McKay : Oui.
Le sénateur Dallaire : Je ne parle pas du côté politique, je parle simplement de l'organisation.
Le président : Les recommandations que nous ont faites les témoins dans cet exposé, ainsi que celles émanant de la coalition, demandent que ce soit la Couronne et non pas le ministère qui ait compétence pour traiter avec les gens qui ont signé ces traités modernes. Ils ont précisément signé ces traités pour se soustraire au ministère. Et à moins que la Couronne ne traite par l'entremise du Bureau du Conseil privé, ces gens obtiendront toujours le même résultat parce qu'ils devront passer par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
L'organisme indépendant d'examen ressemble à celui que nous avons recommandé pour les revendications particulières. À moins d'être vraiment indépendant, il est impossible d'être à la fois juge, jury, et poursuivant, comme c'est le cas pour le gouvernement dans bien des cas.
Le sénateur Dallaire : Il n'y a pas de ministère désigné qui a la responsabilité financière en ce qui concerne des montants considérables d'argent. Nous entendons souvent « 9,7 milliards de dollars par année », notamment. C'est beaucoup d'argent. Notre budget pour la défense était moins que ça.
Il faut un ministère désigné pour exercer la responsabilité financière. Ce ministère doit recevoir des sommes suffisantes pour que vous à votre tour vous soyez assurés de recevoir le financement approprié. Ce n'est pas en vertu des politiques que cela sera assuré. Ça prend un ministère désigné.
Le président : Je crois que le gouvernement, que ce soit par le biais du Bureau du Conseil privé ou un autre, doit mettre en place un système qui reconnaît ses obligations financières et légales envers ces traités modernes. Le gouvernement doit s'y engager. Si le gouvernement s'engage sur le plan financier, il doit allouer des fonds. Nous avons demandé au gouvernement de mettre en place un fonds spécial pour les revendications particulières, qui pourra accumuler jusqu'à 3 milliards de dollars afin de traiter les revendications. C'est comme ça que le gouvernement devrait aborder ces traités.
Si on regarde la Proclamation royale de 1763, on indique clairement que les peuples des Premières nations étaient des nations. On les a reconnues en tant que telles, et le gouvernement devait traiter avec ces peuples comme s'il traitait avec des nations.
Le sénateur Dallaire : C'était une meilleure entente que celle conclue avec les Canadiens français à l'époque.
Le président : Vous vous en êtes sortis pas trop mal.
Je veux vous remercier, monsieur McKay, d'être venu ici et d'avoir partagé votre point de vue sur les façons pour améliorer le processus de mise en oeuvre des traités modernes. C'est un défi que notre comité veut relever, et je peux vous assurer qu'étant donné la qualité de ses membres, ses recommandations au gouvernement devraient faire écho aux recommandations que vous avez mises de l'avant dans votre excellent rapport, ainsi que celles qui ont été émises par d'autres signataires des traités modernes et par la coalition.
Y a-t-il d'autres choses, chers collègues? Dans ce cas, encore une fois, merci monsieur McKay.
M. McKay : Au nom de la nation Nisga'a, je vous remercie beaucoup de cette occasion.
La séance est levée.