Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 8 - Témoignages du 2 avril 2008
OTTAWA, le mercredi 2 avril 2008
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 20, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits, des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Le comité va débuter à huis clos pour étudier le projet de budget.
La séance se poursuit à huis clos.
Reprise de la séance publique.
Le président : Nous sommes revenus en séance publique. Nous allons devoir approuver le budget en séance plénière. C'est le sénateur Peterson qui propose la motion visant à approuver des dépenses de 12 500 $ relatives à l'étude de la loi. Que ceux qui sont pour disent d'accord.
Des voix : D'accord.
Le président : Le second budget concerne des dépenses de 17 000 $ relatives à l'étude de questions générales touchant aux peuples autochtones du Canada. La motion est proposée par le sénateur Hubley. Que tous ceux qui sont pour disent d'accord.
Des voix : D'accord.
Le président : Nous allons maintenant réinviter nos témoins.
Nous poursuivons donc notre étude de la mise en œuvre des revendications territoriales globales et nos premiers témoins de la soirée sont Jim Aldridge, avocat-conseil de la Nation nisga'a; John Merritt, conseiller constitutionnel et législatif auprès de Nunavut Tunngavik Inc., et Tony Penikett, médiateur et auteur de Reconciliation : First Nations Treaty Making in British Columbia.
MM. Aldridge et Merritt ont déjà comparu devant nous et c'est toujours avec plaisir que nous recueillons leur témoignage fort instructif. Nous sommes tout aussi honorés d'accueillir M. Penikett qui, nous dit-on, est un témoin engageant qui peut nous apprendre beaucoup sur ce sujet.
Je vais vous présenter les membres du comité. Je suis le sénateur St. Germain de la Colombie-Britannique et mes collègues sont : le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, qui est le vice-président; le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Dyck, de la Saskatchewan; le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince- Édouard; le sénateur Dallaire, du Québec; le sénateur Gustafson, de la Saskatchewan; le sénateur Peterson, de la Saskatchewan, et le sénateur Campbell, de la Colombie-Britannique.
Chers collègues, les témoins autochtones ont déclaré au comité qu'il ne faut pas voir dans les traités modernes une panacée en matière de questions autochtones. Il faut plutôt y voir un processus établissant une relation nouvelle et plus positive entre les peuples autochtones et l'État. D'après ces témoins, les relations établies dans le cadre des traités doivent reposées sur la reconnaissance et l'affirmation mutuelle des droits de même que sur l'interconnexion entre les deux parties.
Le comité désire savoir si, d'après les témoins, l'actuelle politique fédérale de règlement des revendications territoriales va dans le sens de cette vision de la conclusion de traités. Vous pourriez également réagir au point de vue du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le MAINC, qui estime inutile d'adopter une nouvelle politique fédérale de mise en œuvre.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins et je les invite à nous livrer leurs exposés. Une fois que vous aurez tous terminé, les sénateurs vous poseront des questions.
John Merritt, conseiller constitutionnel et législatif, Nunavut Tunngavik Inc. : Merci de votre invitation. Je suis avocat et j'ai conseillé différentes organisations inuites à partir de 1979. J'ai passé de nombreuses années à négocier l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et je suis l'un des deux représentants de Nunavut Tunngavik Inc., NTI, au groupe de mise en œuvre de cet accord. De plus, j'ai collaboré à la mise en place du gouvernement du Nunavut en 1999 et j'ai travaillé sur les questions constitutionnelles nationales.
Je me propose d'être le plus franc possible dans mon témoignage en m'appuyant sur mon vécu. Vous comprendrez, cependant, que je ne peux laisser entièrement de côté mes responsabilités d'avocat à NTI. Par définition, c'est donc dans ce dernier cadre que se situeront mes remarques.
Vous vous souviendrez que, dans son exposé du 26 février, NIT a adressé au comité certaines recommandations pour réformer la politique fédérale en matière de mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales globales. Au vu des témoignages des fonctionnaires du MAINC que vous avez accueillis hier, il convient de rappeler les recommandations que NTI vous avait faites, le 26 février, au sujet de l'appareil gouvernemental.
Nous vous avions recommandé de mettre sur pied une commission indépendante chargée d'évaluer la mise en œuvre des traités modernes, commission qui devrait être coiffée par un commissaire des traités modernes et encadrée par une loi. Elle serait éventuellement rattachée au Bureau du vérificateur général où elle évaluerait et vérifierait la mise en œuvre des traités modernes, ferait annuellement rapport au Parlement du Canada et conseillerait le gouvernement fédéral ainsi que les signataires autochtones.
Notre seconde recommandation est de créer un bureau des traités modernes, logé au sein du Bureau du Conseil privé et ayant pour mandat de veiller à ce que les organismes fédéraux adoptent un point de vue coordonné dans l'exécution des responsabilités de l'État vis-à-vis des traités modernes.
J'ajouterai deux choses à ces recommandations de NTI, mais je commencerai par une autre remarque quant aux raisons pour lesquelles l'actuelle politique fédérale mise en œuvre ne fonctionne pas. Deuxièmement, j'ajouterai une recommandation aux deux formulées par NTI.
S'agissant des raisons pour lesquelles la formule actuelle ne fonctionne pas, je mentionnerai quatre facteurs, mais j'ai été sélectif, car j'aurais pu en ajouter d'autres. J'estime que ces quatre éléments sont les plus importants.
Premièrement, le gouvernement fédéral croit que les négociations réelles, quant à la façon d'adapter la mise en œuvre des ententes en fonction de circonstances changeantes, doit se faire au sein de l'appareil fédéral et non en liaison avec les parties autochtones. Les ministères élaborent à leur niveau les solutions qui leur semblent les plus adaptées avant de les soumettre aux peuples autochtones, ce qui équivaut à les placer face à un fait accompli. Reste aux Autochtones à aller chercher les détails.
C'est ce que les représentants de Parcs Canada vous ont déclaré hier. Les ministères négocient avec le MAINC afin d'accéder à l'enveloppe de financement des revendications territoriales. Vous devriez peut-être vous renseigner au sujet de cette enveloppe de financement des revendications pour savoir de combien elle est, pour connaître la façon dont elle est réapprovisionnée de temps en temps et pour avoir une idée des objectifs et des priorités que poursuit le MAINC dans ses négociations avec les autres ministères relativement à l'utilisation des fonds de réserve. Toutes ces questions financières sont réglées au sein du gouvernement et les peuples autochtones n'ont qu'un accès limité aux décisions prises.
Deuxièmement, dans ces négociations internes au gouvernement fédéral relativement à la mise en œuvre d'ententes particulières, le véritable critère n'est pas — comme l'a fait remarquer la vérificatrice générale et bien d'autres — ce qu'il faut faire pour aller dans le sens des objectifs fixés, mais plutôt quel investissement minimum il convient de réaliser pour éviter d'être traîné devant les tribunaux.
Le troisième facteur, qui a été relevé par bien d'autres témoins devant ce comité, c'est que l'actuelle politique fédérale est superficielle. De plus, elle semble être davantage affaire de processus que de résultats. Les efforts déployés par le gouvernement fédéral au titre de la mise en œuvre semblent être intemporels. Prenons, par exemple, l'expérience de NTI dans le cas des études de PricewaterhouseCoopers sur le coût que représente le fait de continuer à recruter des employés du gouvernement venant de l'extérieur du Nunavut. Bien que la pérennisation de cette situation au Nunavik coûte 65 millions de dollars par an aux contribuables canadiens, en frais de recrutement et de déménagement que l'on pourrait éviter, personne à Ottawa n'a le mandat ou l'envie de négocier avec nous pour trouver une façon plus efficace de dépenser à long terme.
Le quatrième facteur est celui de l'efficacité des mécanismes de règlement des différends prévus dans les ententes mêmes et dans les lois d'application générale. Ces mécanismes, par ailleurs disponibles, ne sont pas mis en œuvre parce qu'on est intimement convaincu, au gouvernement fédéral, qu'une des parties à un contrat bipartite doit opposer son veto à toute solution qu'elle ne préférerait pas au premier chef.
Un mariage, une amitié ou une association qui, en partant, s'appuierait sur l'application tous azimuts d'un droit de veto, n'irait pas loin. Ce serait la recette idéale pour se retrouver devant les tribunaux. C'est ce qui s'est passé dans le cas des Cris du Québec et maintenant dans celui de Nunavut Tunngavik.
Hier, les représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien vous ont dit que le gouvernement du Canada est en train d'appliquer un cadre de gestion axé sur les résultats afin d'améliorer la mise en œuvre des ententes, et que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et le MAINC se sont entendus pour simplifier l'accès aux fonds de mise en œuvre des revendications. Ces initiatives seront peut-être utiles, mais elles sont loin de ce qui est nécessaire et de ce que tous les membres de la coalition des revendications territoriales ont recommandé.
Des changements administratifs modestes ne permettront sans doute pas de résoudre les problèmes stratégiques et financiers centraux, d'origine politique. Par exemple, ils ne changeront rien à la situation mentionnée par le sous- ministre du MAINC, Michael Wernick, en février dernier, qui vous a indiqué qu'il ne pouvait contraindre personne en dehors de son ministère à mettre en œuvre les ententes de revendications territoriales.
Je vous invite à considérer une autre recommandation en plus de celles que vous ont déjà adressées NTI et d'autres membres de la coalition. Je recommande que le comité invite le gouvernement fédéral à adhérer à la proposition voulant que, jusqu'à ce qu'il soit possible d'entreprendre des réformes législatives et stratégiques plus vastes, Ottawa accepte de recourir à l'arbitrage sur toutes les questions de mise en œuvre qui ne seront pas réglées. Cela constitue une troisième recommandation en plus des deux que vous avez déjà reçues de NTI.
Jim Aldridge, avocat-conseil, Nation nisga'a : Honorables sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier le comité de m'avoir invité à témoigner de nouveau devant lui au sujet de cette question importante qu'est la mise en œuvre des ententes de revendications territoriales globales, que l'on appelle de plus en plus traités modernes.
Les sénateurs auront peut-être retenu de mon dernier passage que j'ai eu le privilège de travailler pendant près de 30 ans pour la Nation nisga'a, au point que certains me raillent en disant que je suis là depuis des temps immémoriaux. Pendant cette période, j'ai notamment été conseiller juridique principal durant la plus grande partie de la négociation de l'entente sur les revendications territoriales des Nisga'as et, depuis l'entrée en vigueur de son traité, en 2000, je suis conseiller général auprès de la Nation. Je suis ravi de comparaître ici dans mes nouvelles fonctions, mais il est évident que ma perspective et mon expérience découlent d'une longue relation ininterrompue avec la Nation nisga'a et par ma participation à un long combat visant à régler les questions territoriales.
Comme elle venait de signer le tout dernier traité, la Nation nisga'a a été la dernière à se joindre aux organisations et aux gouvernements autochtones — ayant conclu des traités modernes — qui s'étaient regroupés pour former la coalition pour les ententes sur les revendications territoriales, à la fin 2003. Ce groupement se voulait une réponse aux frustrations communes ressenties face à l'approche adoptée par le gouvernement fédéral en matière de mise en œuvre des accords. Depuis lors, les Inuits du Labrador et les Tlichos ont aussi signé des ententes définitives et se sont joints à la coalition.
Je vous dirai, personnellement, que ce qu'il y a de remarquable à propos des membres de la coalition — que vous avez presque tous rencontrés à la faveur de votre étude — c'est que chacun d'eux est parvenu à un degré de connaissance très fine de la négociation avec le gouvernement fédéral pour avoir navigué dans les hauts et dans les bas- fonds de la négociation des ententes de revendications territoriales globales pendant tant d'années. Ils ont en commun leur engagement envers la négociation prise en tant que moyen privilégié de résoudre les problèmes et ils sont presque immédiatement parvenus à une remarquable unanimité face aux difficultés soulevées par la stratégie de mise en œuvre fédérale de même que par la façon dont tous les problèmes devraient être réglés. C'est ce qu'ils ont énoncé dans le document de discussion de la coalition ainsi que dans la déclaration Four-Ten qui ont été déposés auprès de votre comité.
La proposition veut que le gouvernement du Canada en vienne à conclure, effectivement et véritablement, que les traités ont été conclus avec la Couronne et non avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. C'est autour de cette proposition que s'articule toute l'approche de la coalition. Celle-ci constitue la réalité juridique dans laquelle nous inscrivons notre action. Les fonctionnaires et les politiciens fédéraux ne semblent pas avoir de difficultés à prendre acte de cette réalité, mais, si nous ne voulons pas que cette reconnaissance soit purement symbolique et qu'elle permette simplement à Ottawa de passer immédiatement à autre chose, il est évident qu'un changement fondamental de structures et d'approches s'impose au niveau du gouvernement fédéral.
J'ai lu les témoignages de la plupart des témoins qui sont passés devant ce comité à l'occasion de votre étude. Si je puis me permettre, je dirais que c'est le sous-ministre Wernick qui a vraiment mis dans le mille, avec une honnêteté admirable, quand il a décrit le problème fondamental. Parlant de son ministère, il vous a déclaré :
[...] nous avons eu du mal, par le passé, à faire participer pleinement d'autres ministères à la mise en œuvre des accords. Bien souvent, nos collègues considèrent que les accords relèvent entièrement de la responsabilité de notre ministère. D'un autre côté, il y a une limite à ce que nous pouvons accomplir sans la pleine participation de l'ensemble de nos collègues gouvernementaux.
Le voilà le paradoxe : en vertu de la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, ce ministère est responsable auprès du Parlement de la mise en œuvre des traités modernes. Cependant, le Parlement et le gouvernement n'ont donné à ce ministère ni les pouvoirs ni les moyens nécessaires pour agir dans ce sens. C'est ce qui a amené M. Wernick et ses collègues à vous dire qu'ils doivent convaincre les autres ministères ou, comme il l'a laissé entendre, à leur tordre le bras afin qu'ils assument les responsabilités constitutionnelles de l'État. Dans ce contexte, il a rappelé la nécessité de réfléchir, comme la coalition le recommande depuis longtemps, à une sorte de « mécanisme externe faisant en sorte que l'exécutif du gouvernement fédéral soit tenu responsable des progrès réalisés dans la mise en œuvre des accords. »
Quant à moi, les recommandations que vous ont faites les membres de la coalition, lors de leur passage ici, et surtout celles qui ont été proposées et résumées par Nunavut Tunngavik correspondent à la vraie solution. Il faut créer un bureau au sein du Bureau du Conseil privé et mettre sur pied une commission qui fera rapport au Parlement.
Cependant, un changement d'attitude profond s'impose au sein du gouvernement. Permettez-moi de dire à cet égard, que cette question a déjà été traitée avec éloquence par plusieurs sénateurs à l'occasion de cette étude.
Par exemple, monsieur le président, vous avez vous-même posé la question suivante à M. Wernick :
Pourquoi le gouvernement ne remplit-il pas ses obligations? Est-ce parce que ces accords sont traités tout simplement comme un quelconque programme? Sont-ils traités comme un simple programme ou y a-t-il un budget établi pour la mise en œuvre à long terme de ces accords particuliers qui ont été conclus, de sorte que, lorsque le financement s'épuise, le processus ne s'arrête pas jusqu'à ce que le gouvernement obtienne plus d'argent?
À ce sujet, vous avez mis en plein dans le mille. Le sénateur Dallaire a lui-même abordé un point semblable, le 26 février dernier, à l'occasion de l'exposé de NTI à propos duquel le sénateur Dallaire devait fort justement faire remarquer :
Avez-vous eu l'impression qu'il s'agissait d'un projet omnibus qui nécessitait une approbation de la part du gouvernement et l'établissement de postes budgétaires à cet égard?
C'est précisément ce que nous entendons par financement permanent à long terme en vertu des accords; le gouvernement fédéral traite tous ces accords exactement comme s'il s'agissait d'un programme financé à partir de budgets normaux.
Je vais m'écarter un instant de mon texte. M. Wernick a également été sincère avec le comité quand il a déclaré qu'il existe une différence entre les dépenses uniques exigées par un traité, parce que le ministère dispose du pouvoir légal de promulguer et de ratifier les traités, et les coûts récurrents, à long terme, qui définissent la nature et la dynamique de la relation.
Cela nous amène précisément à ce qu'a fort bien décrit M. Merritt au début se son intervention, c'est-à-dire que les fonctionnaires fédéraux finissent par négocier entre eux, à l'interne, peu importe le temps que cela prend, d'une façon qui est totalement opaque pour les groupes autochtones qui sont ensuite placés devant le fait accompli.
Les sénateurs se souviendront de l'exposé de Kevin McKay, président exécutif de la Nation nisga'a, du 4 décembre dernier. Il vous a raconté comment, malgré le libellé du traité nisga'a qui exige que les parties négocient une nouvelle entente financière tous les cinq ans, la Nation nisga'a en est maintenant à la huitième année d'un accord quinquennal. Les fonctionnaires du MAINC n'ont donné aucune réponse et n'ont reçu aucun mandat pour négocier à la suite de la proposition fort complète formulée par la Nation nisga'a en décembre 2005. L'exposé de M. McKay remonte à plus d'un mois. Je peux vous dire que rien n'a changé et que cette situation continue de coûter beaucoup d'argent à la Nation nisga'a.
Ce qui s'approche le plus d'une explication — et l'on nous dit que cela découle de discussions avec les fonctionnaires fédéraux — c'est M. Wernick, encore une fois, qui l'a donnée dans son témoignage devant le comité :
M. Sewell a passé une bonne partie de l'année à se disputer contre le centre sur le niveau de financement approprié pour les organismes de réglementation du Nunavut. Nous avons consacré une grande partie de l'année à débattre de la mise en œuvre du prochain cycle des accords concernant les Nisga'as. Je ne vois pas d'autres solutions. C'est la façon dont l'argent est affecté dans notre système. Tout ce que nous pouvons faire, c'est travailler très fort avec nos collègues des autres ministères pour s'assurer qu'ils comprennent que ce sont des relations continues entre la Couronne et l'autre signataire du traité.
Ce qui est préoccupant, c'est l'issue inéluctable de tout cela. Après les marchandages internes et une fois que les fonctionnaires fédéraux auront obtenu un mandat, ils placeront la Nation nisga'a devant le fait accompli, devant une solution à prendre ou à laisser. Il n'y aura eu aucune négociation et on se contentera de dire aux Nisga'as : « Désolés, mais c'est tout l'argent que nous avons pu obtenir dans le cadre de notre mandat ».
Évidemment, je n'invente rien. C'est précisément ce qui s'est produit dans le cas de NTI. Si la somme est insuffisante, quelle autre solution reste-t-il aux Nisga'as ou à d'autres signataires d'accords de revendications foncières? Refuser l'argent? Traîner le gouvernement en justice? Opter pour l'arbitrage?
M. Merritt vous l'a lui-même dit, et je conclurai sur la même chose : le gouvernement du Canada précise, dans chaque accord de revendications territoriales qu'il signe, qu'il est possible de se prévaloir de l'arbitrage, puis, surtout si c'est une question d'argent, il refuse de consentir à l'arbitrage. Il faut que cette pratique cesse.
En conclusion, je dirais que les problèmes actuels sont bien réels et que leur existence est incontestée. J'estime personnellement, tout comme la coalition, que ces problèmes ne sont pas insolubles. Les membres de la coalition ont proposé une solution à laquelle les témoins du gouvernement ont adhéré dans une proportion remarquable.
Je ne doute pas que le rapport de votre comité puisse jouer un rôle très important pour favoriser un déblocage dans le sens d'une nouvelle politique et de nouvelles structures, de même que dans celui de l'instauration d'une nouvelle culture au sein du gouvernement fédéral en matière de mise en œuvre de ces accords par ailleurs importants.
Tony Penikett, à titre personnel : Honorables sénateurs, c'est donc à titre particulier de personne intéressée par ce dossier depuis quelques années que je me propose de participer à ce débat. J'ai été temporairement ministre, puis sous- ministre responsable des négociations avec les Autochtones.
Plus récemment, j'ai été attaché supérieur de recherche à la Fondation Gordon du Centre for Dialogue de l'Université Simon Fraser. Pendant cette période, j'ai rédigé un ouvrage sur la conclusion de traités intitulé Reconciliation qui a sûrement été lu par une personne ou deux au pays.
Au cours des 30 dernières années, le Canada a négocié des traités modernes ou traités du Nord avec différents groupes autochtones, allant des Cris de la Baie James aux Tlichos et aux Inuits du Nunavut, en passant par les Premières nations du Yukon et les Nisga'as, entre autres. Ces traités, qui ont été annexés à la Constitution en tant que droits relevant de l'article 35, constituent de formidables réalisations pour le Canada sur le plan de la construction de notre nation. Cependant, le fait que les dispositions contenues dans ces traités n'aient pas été fidèlement mises en œuvre, dans le respect de ce qui avait été négocié, pourrait donner naissance à de nouvelles légendes de promesses brisées. Cela n'a rien de banal.
En 1999, Miguel Alfonso Martínez, Rapporteur spécial des Nations Unies pour l'étude des traités, a conclu que la plus grande déception relative aux traités signés au cours des centaines d'années dans le nouveau monde a été l'échec constant des gouvernements de mettre parfaitement en œuvre ce qui avait été effectivement négocié.
Le 12 février dernier, le sous-ministre du MAINC, Michael Wernick, déclarait à ce même comité que son ministère est limité dans ce qu'il peut faire en matière de mise en œuvre.
Je comprends tout à fait les conflits et le rôle conflictuel auxquels est confronté le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, mais permettez-moi de vous dire, en ma qualité d'ancien sous-ministre, que je n'imagine pas un Rick Van Loon ou un Arthur Kroeger vous tenant le genre de propos que vous avez entendus le 12 février.
Quoi qu'il en soit, je suis d'accord avec l'appel lancé par la coalition pour les ententes sur les revendications territoriales afin que la mise en œuvre soit transférée à un organisme central. Si je suis d'accord avec cela, tout comme Jim Aldridge vous l'a déclaré tout à l'heure, c'est parce que les traités ont été conclus avec l'État fédéral et non avec le MAINC ou avec le ministère des Finances ou avec le ministère de la Justice.
Les traités sont des pactes conclus entre deux parties. Au Canada, les différents intervenants entre les signataires d'un traité sont finalement tranchés par des tribunaux choisis par l'une ou l'autre des parties. En 2008, les parlementaires doivent se demander si cela est normal.
Il y a deux jours, devant le comité de la Chambre des communes chargé d'étudier le projet de loi C-30, j'ai exprimé le vœu que les parlementaires prennent beaucoup plus au sérieux la possibilité de recourir à de véritables tribunaux indépendants pour trancher des différends relativement à la mise en oeuvre de traités.
Quand Robert Kennedy est devenu procureur général des États-Unis en 1961, il a ordonné à son ministère d'engager suffisamment d'avocats pour régler rapidement tous les différends relatifs aux traités qui étaient encore en suspens, et cela en quelques mois. Sa décision est restée célèbre. Ce genre de solution doit s'appuyer sur une volonté politique, mais comme d'autres témoins vous l'ont dit, il faut aussi que les gouvernements disposent de l'appareil nécessaire pour exprimer cette volonté politique.
Voici ce qu'a déclaré à ce sujet le Rapporteur spécial Martínez :
Les États présentant d'importantes populations autochtones doivent créer une juridiction spéciale chargée de traiter exclusivement des affaires autochtones...
Selon lui, dans des pays comme le Canada, il est essentiel de pouvoir compter sur des organismes d'arbitrage véritablement indépendants où doivent siéger, à égalité, des Autochtones et des non-Autochtones.
En 1975, la Nouvelle-Zélande a mis sur pied le tribunal Waitangi pour entendre les différends découlant des traités conclus dans les années 1840 entre les Britanniques et les Maoris. Cet organisme compte un nombre égal de commissaires maoris et de commissaires non maoris et il peut tenir des audiences bilingues.
Aux audiences du comité de la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-30, il y a deux jours, j'ai entendu dire qu'à cause de restrictions budgétaires, seuls les juges des cours supérieures peuvent arbitrer les différends relatifs à la mise en œuvre des traités. Il est possible que les choses soient différentes au Yukon, mais il se trouve que nous n'avons pas nommé de juges en fonction de contraintes budgétaires actuelles ou futures.
Comme vous le savez, de nos jours, la majorité des négociations de traités actuels au Canada concernent la Colombie-Britannique. J'invite les sénateurs à envisager la mise en place d'un autre palier d'arbitrage dans cette province.
Il se trouve que la Commission des traités de la Colombie-Britannique, ou CTCB, est composée de quatre membres : deux représentants du gouvernement et deux des Premières nations, la présidence étant mobile. La politique actuelle prévoit que la CTCB soit démantelée quand les négociations de traités seront terminées dans la province. Étant donné le rythme actuel auquel se déroulent ces négociations, il faudra un autre siècle, voire deux, avant qu'elles aboutissent et je me demande pourquoi on ne pourrait pas confier à la CTCB un rôle d'arbitre des traités. La structure actuelle est celle d'un tribunal quasi judiciaire, comme la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique, par exemple. Grâce à cette connaissance et à un nouveau degré d'indépendance, il serait possible à la CTCB de jouer ce rôle d'arbitre en complément de l'action des tribunaux. Même si ce travail d'arbitrage exige que l'on recoure à des juristes, il serait possible de combler les sièges à n'importe quel tribunal de mise en œuvre parce qu'on compte aujourd'hui suffisamment d'avocats autochtones au Canada.
J'estime qu'une partie de l'échec de la mise en œuvre prend ses racines dans le processus de négociation, même pour les traités modernes, comme les deux autres témoins d'aujourd'hui vous l'ont dit, processus qui est stipulé dans la politique gouvernementale. Plutôt que d'engager des modérateurs et de permettre aux parties de planifier en commun les négociations, le gouvernement fédéral a tendance à dicter sa loi. Si chaque traité contient effectivement des éléments nouveaux, une partie des chapitres est standard. Ainsi, comme M. Aldridge vous l'a dit, tous les traités comportent un chapitre sur le règlement des différends. Ces chapitres, qui sont généralement recyclés d'un traité à l'autre, s'avèrent inefficaces au bout de quelques années. Comme l'ont dit mes deux collègues, le chapitre sur l'arbitrage dans le traité constitutionnalisé du Nunavut s'est avéré inefficace après que le ministère fédéral des Finances eut carrément refusé de participer à un quelconque processus d'arbitrage.
Le règlement extrajudiciaire des conflits, ou REC, ne fonctionne pas dans le cas des nouveaux traités pour une raison fort simple : ce genre d'outil n'a pas été testé pendant les négociations. Ces dernières années, quand les négociations de traités des Premières nations arrivaient à une impasse, la seule solution consistait à se pourvoir en justice. Cependant, la politique du MAINC stipule que les Premières nations peuvent négocier ou contester, mais pas les deux. Cette politique présente une grave anomalie. On ne retrouve ce genre de situation dans aucun autre domaine d'activité au Canada, pas plus dans les différends commerciaux que matrimoniaux. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont résisté à l'idée de recourir à des médiateurs et à d'autres instruments de REC, de même qu'à des modérateurs ou autres, pendant les négociations de traité. Le grand avantage que présente la médiation, quant à moi, est qu'elle permet aux parties en présence de s'entendre sur un processus et de l'appliquer par la suite. Cette formule peut également être efficace, juste et peu coûteuse. Qui plus est, plutôt que de détourner les parties de la négociation, la médiation leur permet de réintégrer le processus de négociation. Ce faisant, plutôt que de se tourner vers les tribunaux, les parties se retrouvent à la table des négociations.
Je reconnais que mon point de vue ne fait pas l'unanimité. M. Aldridge m'a dit qu'au cours des 20 années qu'il a passées à la table des négociations des Nisga'as, il n'a jamais vu une seule cause qui ait abouti en médiation. Je lui ai répondu que si cette durée de 20 ans à la table des négociations n'est pas un argument en faveur de la médiation, je ne vois pas ce qui pourrait l'être. La propension de l'État fédéral à négocier pendant 20 années et sa résistance à la formule de la médiation ont amené certains critiques à se demander si le Canada n'est pas plus intéressé à négocier les traités qu'à les régler.
Si j'avais plus de temps, je soutiendrais que la médiation et les autres types de REC devraient être possibles aux étapes de la négociation et de la mise en œuvre. Je m'arrêterai sur cette réflexion.
Le président : Merci à nos trois témoins pour leurs excellents exposés. De toute évidence, ces gens-là possèdent une vaste connaissance de la question. Je suis certain que les sénateurs ont hâte de leur poser des questions.
Le sénateur Sibbeston : Hier, le sous-ministre adjoint du MAINC, Michel Roy, qui comparaissait devant le comité, nous a déclaré que la plupart des 22 revendications réglées ont été mises en œuvre à 90 ou 95 p. 100. Il a soutenu que certains changements apportés à la politique cette année — dont un cadre de rationalisation du financement, une formation supplémentaire pour le personnel et un mandat évolutif confié au comité directeur des SMA — devraient suffire à régler les questions en suspens. Selon M. Roy, il n'est pas nécessaire de mettre sur pied un organisme central.
Pensez-vous vraiment qu'il ne reste plus que 10 p. 100 des traités à mettre en œuvre et diriez-vous que les changements que nous ont décrits hier les fonctionnaires du MAINC et ceux d'autres ministères représentent d'importants progrès dans le processus de mise en œuvre? Que pourrait-on faire d'autre?
M. Merritt : Je vais commencer par répondre et mes collègues pourront ajouter quelque chose s'ils le désirent.
Je ne sais pas d'où sort ce pourcentage, mais il ne correspond pas du tout à ce que je sais, à ce que sait NTI, ni à ce que savent la plupart des membres de la coalition, pour ne pas dire tous. Les fonctionnaires du Bureau du vérificateur général du Canada et d'autres vous ont beaucoup parlé du fait que les objectifs fondamentaux n'étaient pas atteints. Si tel est le cas, il n'est pas possible d'affirmer que les ententes ont été mises en œuvre à 90 p. 100. Selon moi, on se contredit quant on affirme que, par objectif non atteint, il faut comprendre que les accords sont sur le point d'être pleinement mis en œuvre. J'estime que cette statistique de 90 p. 100 correspond à une évaluation arbitraire au vu des objectifs qui n'ont pas été respectés.
Les rapports annuels d'un grand nombre de ces accords renferment des inventaires. On considère que toutes les obligations qui y sont énumérées ont le même poids. Dans le cas du Nunavut, par exemple, nous avons effectué notre propre recherche qui nous a permis de constater qu'il existe un énorme problème relativement à l'absence de progrès en matière d'embauche de personnel inuit. Ce constat a débouché sur la production d'un rapport de médiation par l'ancien juge Berger qui a déclaré que le projet Nunavut est en crise. C'est lui qui le dit. On ne peut pas affirmer qu'un projet est réalisé à 90 p. 100 quand il est en pleine crise. Cette position ne résiste pas à l'analyse.
En matière d'engagements sur le plan de la mise en œuvre, on ne peut adopter une démarche qui revient à effectuer une mise à plat de tous les éléments. Si les engagements fondamentaux ne sont pas respectés, il importe peu que les résultats soient éclatants dans des questions banales. Cette tentative visant à réduire le processus à un exercice comptable de petite échelle représente, en soi, un obstacle de taille empêchant les gens d'adopter les attitudes nécessaires à la réussite. Mon collègue, M. Aldridge, vous en parlé. Il pourrait peut-être répondre à la deuxième partie de votre question au sujet des changements proposés dont on vous a parlé hier.
M. Aldridge : Moi aussi, j'aimerais commencer par la première partie de votre question au sujet de la mise en œuvre réalisée à 90 ou 95 p. 100. Excusez-moi de vous poser la question, mais que signifie ce genre d'affirmation? Si vous vous jetez du haut de la Tour de la paix, à 90 ou 95 p. 100 de votre chute, vous êtes encore en sécurité, mais c'est dans les cinq derniers pourcent que vous allez avoir des problèmes.
Y a-t-il eu une réunion? Il est vrai qu'une des obligations de la mise en œuvre a été respectée. Il est un fait que le ministère a mis en œuvre le versement de fonds non renouvelables. Mon ami a employé le mot « banal ». Il est possible que toutes ces questions ne soient pas banales, mais si un versement est effectué une fois, quel effet la mise en œuvre peut-elle avoir sur une relation suivie? Il est vital, pour la survie du gouvernement nisga'a, de financer les volets hors négociation. On ne peut dire qu'il ne reste que 5 p. 100 à accomplir pour atteindre l'objectif fixé, uniquement parce que des représentants du gouvernement se sont présentés à des réunions sur les pêches. C'est à cause de ce genre d'attitude que NTI s'est retrouvé devant les tribunaux. Je ne sais pas ce que « financement simplifié » veut dire. Cela doit sans doute signifier que le ministère a réduit la paperasserie qui circule d'un bureau à l'autre. C'est au fruit qu'on juge l'arbre et je ne sais pas ce que goûtent ces fruits-là.
La phrase « mandat évolutif du comité des SMA » n'a rien pour nous rassurer. Même si les fonctionnaires du MAINC nous disent qu'ils ne font actuellement pas leur travail, je ne pense pas qu'ils nous diront un jour ne jamais être en mesure de le faire. C'est pour ça qu'il faut leur retirer la responsabilité de la mise en œuvre pour la confier à un organisme plus élevé dans la hiérarchie, au centre, à un organisme qui serait chargé d'ordonner aux ministères d'agir dans le sens des obligations du gouvernement.
M. Penikett : Il y a deux points importants qui ne cessent de revenir sur la table : l'arbitrage indépendant et la responsabilité de la mise en œuvre confiée à un organisme central. Nous parlons de traités modernes. Je n'ai pas à rappeler aux sénateurs que 100 ans après la mise en œuvre du Traité no 6 de 1876, nous étions encore en train de discutailler de la clause relative aux médicaments. Dans le cas du Traité no 8, signé en 1898, nous avons ergoté jusqu'à tout récemment sur les dispositions fiscales qu'il contenait parce que nous ne disposions pas d'un mécanisme d'arbitrage indépendant.
Dans les rapports de la vérificatrice générale concernant le traité de Gwich'in et le traité du Nunavut, mentionnés par M. Merritt, il est dit que le problème du MAINC tient au fait que le ministère n'a pas encore pris acte du fait que les traités du Nord ont tous été conclus et qu'un important transfert de pouvoir a eu lieu. Le ministère continue de fonctionner suivant la vieille structure.
La question centrale en ce qui me concerne est celle de l'arbitrage indépendant et de la mise sur pied d'un organisme central chargé de la mise en œuvre.
Le sénateur Dallaire : Messieurs, si je n'étais meilleur juge, je dirais que j'ai détecté une pointe de cynisme dans vos remarques. Je sais, cependant, qu'à cause de votre patience qui a été fortement sollicitée et des frustrations que vous avez ressenties, il est normal que vous soyez parfois à la limite de perdre votre objectivité. Il demeure que, dans le fond, vos arguments sont solides.
Cela m'amène à vous poser mes questions. D'abord, je ne doute pas — et je pense que vous n'en doutez pas non plus — que les fonctionnaires du MAINC ont une éthique de travail et qu'ils s'emploient à accomplir le travail du gouvernement dans le respect des processus qu'on leur impose et dans les limites de leur pouvoir ainsi que des ressources financières dont ils disposent.
Admettons a priori, d'autant que je l'ai vécu moi-même, que les ministères laissent leurs employés se dépatouiller avec toutes sortes de processus. Il demeure que je me pose des questions quant aux réalisations des ministères. Selon vous, qui, dans ce domaine, réfléchit sur le genre de politique essentielle qu'il faudrait élaborer, compte tenu des succès déjà remportés et du désir que l'État et la population ont de voir aboutir le processus de règlement?
A-t-on, dans un ministère fédéral chargé des questions autochtones, mis en œuvre ou tenter de mettre en œuvre des politiques novatrices qui auraient permis de changer le leadership politique?
Autrement dit, avez-vous, ces derniers temps, constaté une nouvelle initiative qui pourrait parvenir à modifier en profondeur la culture et les attitudes concernant la mise en œuvre et la résolution des traités?
C'était là ma question en bref.
M. Aldridge : Tout d'abord, je suis tout à fait d'accord avec la réserve que vous avez émise au début. Il est indéniable que les fonctionnaires travaillent fort et honnêtement dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés et des mandats qui leur sont donnés. Je n'ai pas voulu, du moins dans mes remarques, remettre cela en question.
Cela étant posé, qui réfléchit à la situation d'ensemble? Eh bien, d'après ce que j'ai cru constater, il n'y a personne du côté du gouvernement. Voilà qui répond brièvement à votre question brève.
A-t-on entendu parler, au cours des dernières années, d'une nouvelle initiative politique qui serait en mesure de modifier profondément la culture? Je n'en ai pas vu, à une ou deux exceptions près, la plus importante étant le processus de traité en Colombie-Britannique dont M. Penikett vous a parlé. Il y a aussi, si je puis me permettre, la conversion miraculeuse du premier ministre, sa route de Damas, qui s'est apparemment mais sincèrement engagé à mener à terme les traités modernes. Ce changement politique en Colombie-Britannique n'est pas négligeable. Cependant, il ne donne pas lieu à l'adoption de nouvelles initiatives, mais simplement à la façon de discuter des traités. Je pense que ce changement est important et qu'il a permis d'élever les consciences de la façon dont vous le souhaitiez.
Sur une échelle plus modeste, il faut dire que, jusqu'à la fin 2005, la coalition a participé à un travail qui a permis de produire un protocole conclu entre la coalition et le gouvernement du Canada. Ce protocole énonce expressément un grand nombre de ces principes et donne le ton pour régler les problèmes liés à l'appareil gouvernemental dont d'autres vous ont parlé. Je dois dire que cette initiative a récemment été suspendue, mais j'espère que grâce au travail du comité sénatorial, nous pourrons la relancer.
M. Penikett : Sénateur, j'ai une fois demandé à un fonctionnaire du ministère des Finances pourquoi, selon lui, le règlement des traités prenait aussi longtemps. Il m'a répondu que c'était sans doute parce qu'il est moins coûteux de négocier que de régler une entente. Eh bien, je crois qu'on prend la chose par le mauvais bout.
C'est Harry Swain, ancien sous-ministre au MAINC, qui m'a donné la meilleure réponse. Il m'a dit que le problème au Canada tient au fait que les coûts associés aux règlements sont plafonnés, mais que nous investissons des sommes illimitées dans les négociations; cela constitue une autre politique à courte vue.
Pour ajouter à ce que M. Aldridge nous a dit, il faut reconnaître que la Colombie-Britannique a mis en œuvre beaucoup de formules novatrices. Il vous a parlé du nouvel accord de relation instauré par le premier ministre provincial. Cependant, on voit émerger un nouveau genre de traité, axé sur la co-juridiction et des arrangements de gouvernance, comme pour les Haïda Gwaii. Cela ne tourne plus autour des terres, mais autour de la gouvernance. Je crois qu'il y a effectivement des innovations dans les accords de mise en œuvre un peu partout en Colombie- Britannique, mais celles-ci échappent pour l'essentiel à la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Elles échappent au cadre fédéral. L'actuel processus est enrayé, si bien que les gens essaient de le contourner. C'est intéressant, mais je crois qu'il va falloir nous livrer à une réflexion différente, au centre, un peu comme le sous-tend votre question.
M. Merritt : C'est intéressant ce que vous avez dit au sujet du cynisme. Il est important que les gens ne deviennent pas cyniques pour les raisons que vous avez invoquées. En fin de compte, il ne sert à rien de blâmer qui que ce soit. La conduite au rétroviseur ne mène pas loin. Pour l'essentiel, les problèmes ont un caractère impersonnel et institutionnel. Ils ne sont pas le produit de mauvaises intentions, de conspirations ou de choses du genre.
Il est possible de changer les choses. Vous avez entendu le témoignage de Raymond Chrétien qui vous a fait un exposé fascinant prouvant qu'un négociateur fédéral doué, engagé, dynamique et intelligent peut grandement changer les choses.
Tout à l'heure, M. Aldridge vous a dit que les Nisga'as n'ont pas de négociateur pour négocier la question la plus importante qui les concerne depuis 2005. Dans le cas de NTI, le gouvernement fédéral s'est retiré des négociations en 2004. Il est difficile de parvenir à des solutions si les gens ne nomment pas de négociateur. Je ne sais pas ce qui reste. On ne peut pas blâmer le négociateur, puisque ce problème est dû à l'absence de négociateurs. Ce n'est pas que le négociateur se présente à la table avec une attitude déplorable, mais bien qu'il n'y a tout simplement pas de négociateur.
A-t-on connu des expériences positives, intéressantes? Évidemment! Dans le cas de NTI, nous avons été surpris de constater qu'on nous permettait de travailler avec l'ancien juge Tom Berger qui a passé 15 mois à faire de la conciliation, à la façon dont mon ami M. Penikett vous l'a décrit. Il a produit un excellent rapport. Ce qui est intéressant au sujet de ce rapport, c'est que, dans la correspondance que nous avons échangée à son sujet avec le ministre de l'époque, celui-ci nous a dit qu'il ne pourrait pas agir parce qu'il devait en parler au cabinet.
NTI lui a dit, « Eh bien, allez donc voir le cabinet ». Pour nous, nous lui donnions une simple orientation et ce n'était pas une réponse définitive. Pourtant, le gouvernement a considéré que c'était une fin de non-recevoir indiquant qu'il était inconcevable d'agir à la suite de ce rapport. Quand on se heurte à des obstacles de ce genre, il est difficile de demeurer optimiste.
Le sénateur Dallaire : Vous avez dit que, quand le gouvernement fédéral se présente enfin à la table des négociations, c'est pour vous placer devant le fait accompli. Il a fait tout son exercice à l'interne et il vous dit que c'est à prendre ou à laisser. Quand le gouvernement applique sa matrice de négociation à tous ces ministères, quels critères retient-il pour le règlement des revendications? En pareille situation, le gouvernement essaie-t-il de négocier une entente avec vous ou applique-t-il une solution toute faite qu'il a élaborée de son côté avant de vous rencontrer?
M. Aldridge : Voilà une excellente question. Pour vous répondre brièvement, je vous dirais que nous ne voyons les choses qu'au travers d'un verre épais et fumé. Nous recevons des bribes d'information, mais personne ne nous dit jamais quelle orientation a été retenue.
Je vais vous donner un exemple pour illustrer mon propos. Une partie de la proposition faite par la Nation nisga'a, en vertu de l'accord de financement, vise à augmenter les budgets pour appuyer l'activité de gestion des pêches de notre gouvernement. Comme les sénateurs le savent, surtout le sénateur St. Germain et le sénateur Campbell, la rivière Nass est le troisième cours d'eau en importance en Colombie-Britannique et le troisième cours d'eau producteur de saumon de la province. Récemment, le Sierra Club lui a donné le titre de bassin versant le mieux géré de la côte Ouest. Le gouvernement nisga'a gère donc ce bassin versant, mais il manque d'argent. Nous avions donc dit au ministère des Pêches et des Océans que nous avions besoin de plus d'argent. On nous a donné une fin de non-recevoir en nous disant que nous devions régler cela par le biais du financement.
Comme les négociations n'ont pas démarré, nous avons essayé de régler la question par le biais de l'enveloppe budgétaire qui nous est accordée. Nous avons expliqué que nous avions besoin de cet argent, mais le fonctionnaire de Pêches et Océans a rejeté notre requête. Pourquoi cela? Apparemment, pour des problèmes d'attribution des pouvoirs, ce qui veut dire que le financement accordé par Pêches et Océans Canada est assorti d'autorisations et de restrictions qui n'avaient pas été prévues à l'étape de la préparation des accords de revendications territoriales. Ce faisant, comme ce genre de budget n'apparaît pas sur la liste, il n'est pas possible de transférer l'argent de ce poste budgétaire à celui de la mise en œuvre des accords de revendications territoriales.
Nous sommes donc censés dire « Merci d'avoir essayé ». Voilà qui répond sans doute un peu à votre question.
Le sénateur Dallaire : Tout cet exercice semble être dominé par une abondance de processus sans substance. C'est une question de processus.
Le sénateur Campbell : Ne pensez pas qu'il est rare qu'un ministre dise qu'il doit consulter le cabinet. C'est une façon de bloquer la progression des dossiers et c'est une technique régulièrement employée. Quant à nous, on nous dit « Ne faites rien à ce sujet, le ministre va en parler au cabinet et ne vous en inquiétez pas ».
Mes collègues vont être très surpris d'entendre cela, mais il y a quelques 20 ans, j'ai suivi une formation poussée en règlement extrajudiciaire des conflits. Entendons-nous bien sur les différences qui existent entre arbitrage et médiation. Sauf si cela a changé depuis 20 ans, quand j'ai suivi cette formation, on nous avait enseigné les deux et ce n'est qu'ensuite, en fonction de la personnalité de chacun, qu'on décidait si nous devions devenir arbitres ou médiateurs.
Ces termes ne sont pas interchangeables. Ce que nous voulons, c'est l'arbitrage, pas la médiation. On peut toujours se retirer de la médiation, mais il vaut mieux s'accrocher en situation d'arbitrage, sinon, c'est l'autre partie qui en profite.
En fin de compte, l'arbitre déclare qu'il a pris telle ou telle décision et que celle-ci est exécutoire pour les parties. C'est plutôt risqué comme formule. Personnellement, j'estime que ceux qui se prévalent de l'arbitrage respectent énormément ce processus, parce que les jeux ne sont pas fait d'avance.
Voici ma question : va-t-on passer directement à l'arbitrage? Personne, dans ce genre de négociation, ne devrait pouvoir dire : « nous n'allons pas nous présenter. Nous allons nommer un négociateur et vous allez devoir vous adresser à une autre instance ». À partir de là, les négociations sont bloquées.
Voulez-vous vraiment l'arbitrage et êtes-vous prêt à en subir les conséquences, quelles qu'elles soient?
M. Penikett : Permettez-moi de subdiviser votre question en deux parties, sénateur Campbell. Cette question est très importante.
Comme les traités sont des documents constitutionnels, je crois que le gouvernement fédéral ne permettrait pas à Vince Ready ou à un autre arbitre de la Colombie-Britannique, même très célèbre, de rendre une décision définitive sur d'importantes questions constitutionnelles, et on comprend pourquoi. Il est normal que le gouvernement veuille que ce genre de questions soient tranchées au final par la Cour suprême.
Cependant, dans des différends très clairs d'ordre financier, comme celui auquel NTI a été confronté, ou d'autres, plus récents, auxquels les Nisga'as ont été aux prises, il n'y a aucune raison pour laquelle l'arbitrage ne serait pas une solution économique, une façon de régler les différends, surtout en présence d'un arriéré de causes.
Je soutiens, toutefois, que, même dans des questions constitutionnelles, des médiateurs compétents peuvent apporter un plus, outre qu'ils peuvent agir durant le processus. En cas d'impasse ou de blocage quelconque, le médiateur peut s'asseoir avec les parties, chercher une solution avec elles et les ramener à la table des négociations. C'est cela la valeur ajoutée d'un médiateur. Les arbitres, eux, peuvent intervenir sur des questions comme les demandes de fonds, quand les parties sont en pleine impasse et qu'une décision s'impose.
Le sénateur Campbell : Vous venez de présenter deux situations entièrement différentes. Je n'ai pas de problème avec la médiation en cours de processus. Le processus est permanent et tout s'enchaîne. Je suis d'accord au sujet de l'arbitrage dans les questions constitutionnelles, mais pour que celui-ci donne de réels résultats, les deux parties doivent s'entendre sur deux choses : d'abord, elles doivent accepter la décision et, deuxièmement, elles doivent s'entendre sur le fait que, si la décision ne peut être rendue par voie d'arbitrage, il faudra se rendre devant les tribunaux. Il y a donc lieu de faire la part des choses.
Monsieur le président, on continue de nous parler de la relation entre le MAINC et les Premières nations. Il faut tout faire sauter, il faut faire sauter le ministère, s'en débarrasser, parce qu'il est paternaliste et que c'est dégoûtant. Vous ne pouviez l'exprimer plus clairement. Voilà où nous en sommes et ces gens-là continuent à s'occuper du Nord où ils n'ont rien. Tout le monde est d'accord avec cela. Tout l'argent qui a été investi là-bas devrait profiter à la population locale. Je ne sais pas combien de fois nous devrons entendre ce message, c'est-à-dire que le MAINC est dysfonctionnel. Il se peut que les fonctionnaires du ministère travaillent fort, mais le MAINC n'a plus de raison d'exister.
M. Aldridge : Pour réagir à ce qu'a dit le sénateur Campbell à la fin de son intervention, sachez que, lors d'une rencontre en décembre, un des chefs du Yukon m'a déclaré — il arrive qu'il faille me souligner certaines choses importantes que je n'aurais pas comprises avant — avoir trouvé ironique qu'il existe une gigantesque direction générale au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui s'occupe de l'autonomie gouvernementale. Imaginez : « direction générale de l'autonomie gouvernementale ». Cette structure est énorme au sein du MAINC.
Je tiens à être bien précis en ce qui concerne l'arbitrage et la médiation. La distinction que vous avez faite est tout à fait valable. Les règles fondamentales que vous avez énoncées sont également exactes. Chaque accord comporte un chapitre expliquant son modus operandi et, dans le cas des Nisga'as, il y a un chapitre très précis qui explique les conditions d'entrée et de sortie. Ce n'est pas comme s'il fallait nommer un arbitre après avoir été pris au dépourvu.
Nous n'avons pas encore testé cet accord. Le problème, c'est que nous savons, pour l'avoir appris de nos homologues au gouvernement fédéral, que ceux-ci ne seront pas d'accord.
Le sénateur Campbell : Autrement dit, il n'y a pas de solution. Si l'on permet de se prévaloir de l'arbitrage ou de la médiation au choix, ça ne sert à rien. Si j'ai le choix, je ne choisirai aucune formule, mais on ne me laisse pas le choix dans le cadre de ce processus. Si les parties ne se ressaisissent pas, elles doivent aller en arbitrage, un point c'est tout. Si elles ne se montrent pas à l'arbitrage, l'arbitre n'est alors saisi que d'une version, si bien que les deux parties au différend ont intérêt à se présenter.
Le président : J'aurais une brève question supplémentaire à poser à ce sujet à nos invités juristes. Considérant que ces traités comportent des mécanismes de règlement des différends et des dispositions imposant l'arbitrage, si nous mettions sur pied un organisme indépendant pour administrer la mise en œuvre, est-ce que celui-ci serait en mesure de régler lui-même les différends? Quel rôle un tel organisme jouerait-il par rapport au processus de règlement des différends énoncé dans les traités? Pourrait-il supplanter les dispositions en question?
Monsieur Penikett, vous avez suivi les audiences au sujet du projet de loi C-30. Ce comité a recommandé que l'on retrouve certaines choses dans ce projet de loi, y compris un arbitre indépendant. Si l'on créait un poste d'arbitre indépendant, au sein d'un organisme indépendant, d'un organisme central comme au Bureau du Conseil privé, conviendrait-il que celui-ci puisse se supplanter aux dispositions concernant l'arbitrage et les mécanismes de règlement des différends comme ceux que vous avez négociés dans votre traité, monsieur Aldridge?
M. Aldridge : En ce qui concerne les Nisga'as, la réponse est : certainement pas! Nous, nous ne proposons pas de créer un nouveau tribunal arbitral, car cette proposition émane de M. Penikett. La coalition est claire à cet égard. Vous constaterez dans le document de discussion que les membres de la coalition ont pris la peine de déclarer qu'ils ont négocié leur propre processus de règlement des différends et qu'ils n'ont pas envie que celui-ci soit remplacé, mis de côté ou supplanté. Nous réclamons plutôt la création d'un bureau au sein d'un organisme central — et nous recommandons que ce soit au sein du Bureau du Conseil privé — doté des pouvoirs administratifs appropriés en sorte que le sous-ministre ne puisse pas dire : « Je fais de mon mieux, mais les autres ministères ne m'écoutent pas ». Nous devons pouvoir compter sur quelqu'un qui sera écouté. Nous voulons d'une commission qui aurait l'oreille du Parlement à elle ferait ses recommandations, un peu comme la vérificatrice générale. Nous préférerions maintenir les mécanismes de règlement des différends prévus dans chaque accord, parce qu'ils ont été arrachés à la force du poignet. Nous préférons recommander que le gouvernement fédéral renonce à sa politique qui consiste à refuser systématiquement l'arbitrage, surtout dès qu'il est question d'argent.
M. Penikett : Je suis d'accord avec M. Aldridge. Le problème, avec l'accord sur le Nunavut, c'est que les dispositions à cet égard n'ont pas fonctionné parce que l'autre partie n'a pas voulu participer. Cela m'amène à mon argument principal voulant que les parties à des négociations doivent tester les processus de règlement des différends en cours de négociation et les ajuster si besoin est. Sinon, les parties à l'accord risquent d'être déçues.
Enfin, même si les accords fonctionnent, il pourrait y avoir des problèmes qui ne pourront être réglés par personne, raison pour laquelle je pense qu'il est intéressant de pouvoir recourir à un autre tribunal arbitral.
M. Merritt : Je suis d'accord avec ce que disent mes collègues, mais j'ajouterais quelque chose au vu de l'expérience de NTI. Après les négociations, qui ont essentiellement pris fin quand le négociateur fédéral a disparu, NTI a proposé, en différentes occasions, de soumettre 17 questions à l'arbitrage. Je rejoins tout à fait ce qu'a dit le sénateur Campbell : l'arbitrage est un risque pour les deux côtés. NTI n'est pas naïf. NTI s'est bien rendu compte que ces questions-là seraient soumises à un groupe de personnes de bonne foi qui seraient appelées à rendre une décision et que NTI devrait ensuite vivre avec cette décision. Quoi qu'il en soit, les 17 propositions ont été rejetées.
Ce que nous soutenons notamment dans notre cause en justice, c'est qu'il n'est pas possible de rejeter 17 propositions d'arbitrage et de soutenir du même souffle qu'on met en œuvre l'accord de bonne foi, surtout quand on sait que tout un chapitre traite de la possibilité de ce pouvoir en arbitrage. Voilà la question que nous avons soumise aux tribunaux.
Il y a un côté ironique à tout cela. En rejetant l'arbitrage 17 fois, le gouvernement nous a contraints à réclamer une décision de justice. Il n'évite pas le problème, il se contente de le transférer et, en même temps, il hausse le niveau de risque, ce qui n'est pas vraiment utile.
Quand l'ancien juge Berger s'est penché sur le problème de la mise en œuvre de l'accord du Nunavut, il a déclaré qu'il faudrait pouvoir régulièrement se prévaloir de l'arbitrage. Il a dit que la seule fois où le gouvernement fédéral devrait pouvoir rejeter l'arbitrage, c'est quand des intérêts nationaux vitaux sont en jeu, quand un aspect d'un accord a des répercussions sur d'autres régions du pays. Ce critère semblait raisonnable, mais il ne justifiait pas le rejet des 17 propositions.
Le sénateur Hubley : Lors de son passage devant le comité, le sous-ministre a laissé entendre qu'il pourrait ne pas être pratique d'inscrire dans les accords des clauses présentant les objectifs généraux, un peu comme celles qui exposent les principes et les objectifs. Il a également dit préférer un libellé qui énoncerait ce qui peut être retracé. Pensez-vous que la formulation peut poser problème, et que pouvait bien vouloir dire le ministre en parlant de quelque chose qui peut être retracé?
M. Merritt : Si vous considérez que ces accords sont conclus entre deux sociétés et que vous soutenez qu'ils ne devraient pas énoncer d'aspirations, vous dites simplement que ces sociétés ne doivent pas avoir d'ambition, qu'elles doivent éviter la controverse, régler les pacotilles et enterrer tout ce qui a un tant soit peu d'importance. L'entreprise serait tellement modeste par rapport à la nécessité de conclure des accommodements à long terme entre les peuples autochtones et les peuples non autochtones qu'il faudrait, pour commencer, se demander si cela en vaudrait vraiment la peine.
Les Autochtones, eux, se demanderaient pourquoi il faudrait renoncer à des droits de common law par rapport à des terres et à des ressources naturelles contre un traité constitutif d'une société engageant l'honneur de la Couronne, si c'est pour être soumis, tout de go, à une litanie d'ajustements. Je comprends ce qu'il dit. Il est vrai qu'il est difficile de combler une aspiration, et c'est précisément ce qui définit l'aspiration. Plus le document est important et plus les aspirations sont ambitieuses.
Comme M. Penikett vous l'a dit, il s'agit de documents qui relèvent de l'article 35 de la Constitution. À titre de comparaison, on pourrait dire que la Charte des droits et libertés est ambiguë du début à la fin et qu'elle donne lieu à toutes sortes d'interprétations et de conflits. Cependant, précisément parce qu'elle est très importante, il y a lieu de la concevoir, de la respecter et de l'appliquer, même si ce doit être très difficile. J'accepte son analyse, mais je crois qu'il s'est grossièrement trompé dans sa conclusion.
Le sénateur Hubley : Raymond Chrétien, le négociateur fédéral en chef, a témoigné devant ce comité. Il a travaillé dans l'esprit du document, plutôt que de le prendre à la lettre. Son approche a payé. Il a abordé cette tâche en se mettant pour objectif de parvenir à un résultat. Il a dû surmonter les difficultés soulevées par les deux côtés, mais les parties semblaient être conscientes que, cette fois-ci, elles iraient jusqu'au bout, si bien que d'énormes progrès ont été réalisés en trois petites années.
Dans quelle mesure serait-il difficile de reproduire cette expérience?
M. Aldridge : Nous aimerions trouver quelqu'un comme cela. Je ne sais pas combien il y en a de disponibles.
Le sénateur Hubley : Il doit y en avoir d'autres.
M. Aldridge : J'interprète cela d'une façon légèrement différente de M. Merritt. Quand on songe à l'enchaînement des accords de règlement des revendications territoriales, de l'entente de 1975 concernant la Baie James et le nord du Québec, jusqu'aux accords plus récents, on constate une évolution de style, de libellé et de forme dans ces textes importants.
Il fut une époque, dans les années 1980 et au début des années 1990, où les ententes comportaient davantage ce qu'on a décrit comme des « énoncés d'aspirations », autrement dit comme des libellés d'objectifs. D'un côté, pour les raisons mentionnées par M. Merritt, ce genre de libellé n'est pas mauvais, mais le cynique qui sommeille en moi a abordé la chose sous un angle légèrement différent.
Les groupes autochtones vous diraient qu'ils tiennent à des obligations fermes. C'est ce que nous voulons. Nous vous soumettons une proposition et nous voulons, en retour, que vous vous engagiez à réaliser telle ou telle chose ou à parvenir à tel ou tel résultat. Le gouvernement du Canada, pour sa part, dira qu'il n'est pas en mesure de tenir ce genre de promesse, mais qu'il rédigera l'entente pour préciser que la question litigieuse deviendra un objectif commun à la réalisation duquel les parties collaboreront.
L'objectif est un recul par rapport à ce que les Autochtones voulaient, soit un engagement identifiable. On les a, en revanche, contraints à accepter un simple libellé d'objectifs, un énoncé des aspirations.
La boucle est désormais bouclée et le gouvernement du Canada soutient qu'il ne s'agit que d'objectifs. En inuvialuit, ce sont les objectifs du gouvernement, mais pas les nôtres; pour le NTI, ce sont bien des objectifs, mais ils ne sont pas réalisables. Certes, ce serait mieux si les accords ne comportaient pas de tels énoncés d'aspirations, mais on ne les y trouve que parce que le gouvernement n'était pas d'accord avec des engagements solides, identifiables.
L'Accord nisga'a comporte quelques déclarations de ce genre parce que les Nisga'as, de qui je recevais mes consignes, avaient indiqué qu'ils n'étaient pas intéressés par la poésie, que seuls des engagements légaux et contractuels les intéressaient. On peut deviner les objectifs de l'accord en lisant le texte au complet, même si, ici et là, on trouve des énoncés d'objectifs ou d'aspirations.
M. Penikett : Sénateur, permettez-moi d'ajouter quelque chose au sujet du libellé, parce que j'ai beaucoup réfléchi à cette question. Je fais partie des centaines de personnes coupables d'avoir fait en sorte que l'accord définitif sur la revendication du territoire du Yukon est plus long que le Nouveau Testament.
J'ai toujours été ennuyé que la constitution du pays le plus puissant du monde ne comporte qu'une douzaine de pages. J'en suis venu à conclure qu'il vaudrait mieux rédiger les traités comme s'il s'agissait d'accords de principes, dans une langue accessible, et de reléguer dans des annexes administratives tous les détails du genre : nombre de membres du comité de la faune, définition d'un quorum et journées de réunion.
J'ai essayé de concevoir un gabarit pour ce genre de traité quand j'étais sous-ministre au gouvernement de la Colombie-Britannique. Je suis arrivé à un document de 30 pages. Les bénéficiaires sont beaucoup plus susceptibles de lire un document de 30 pages, rédigé dans un langage accessible, qu'un document de 300 pages qui, dans le cas de l'accord du Yukon, comporte des passages juridiques, des passages littéraires et des phrases qui n'appartiennent à aucun des deux styles, si bien que c'est loin d'être un bon livre de chevet.
Dans ces documents, la rédaction est importante. Que nous soyons ambitieux ou pas, je suis favorable à des traités plus concis, plus courts — parce que ce sont des documents constitutionnels — que ceux qui existent actuellement.
Le sénateur Peterson : Messieurs, au cours de vos nombreuses années d'expérience, avez-vous déjà eu le sentiment que le gouvernement essaie très sincèrement de mettre les traités en œuvre?
M. Penikett : Je n'ai pas entendu la question.
Le sénateur Peterson : Comme vous traitez depuis longtemps avec les gouvernements, estimez-vous qu'ils essaient sincèrement de trouver une solution à la question de la mise en œuvre? Vous avez conclu vos accords, mais qu'en est-il des solutions retenues pour les mettre en œuvre?
M. Aldridge : Personnellement, je dirais qu'un grand nombre de fonctionnaires désirent très sincèrement, à titre individuel, régler le problème. Cependant, je ne me rappelle pas un seul cas évident où « le gouvernement » a essayé très sincèrement de régler le problème, du moins pas jusqu'à ce que ce comité commence à poser de sérieuses questions. Aujourd'hui, on devine ne serait-ce que l'expression d'un désir de régler le problème.
M. Penikett : L'un des problèmes que posent les carrières politiques, c'est qu'elles sont plutôt courtes — même si ce n'est pas le cas au Sénat. Il peut se trouver un ministre, en place durant trois, quatre ou cinq ans, qui parviendra à faire avancer les négociations jusqu'à la veille de l'entente. Quand il arrive, rarement, qu'un ministre soit là pour assister à la conclusion d'une entente, on a alors la démonstration très nette que la volonté politique est payante. Par exemple, à l'époque où il était courant que les négociations s'étalent sur 20 ans pour la plupart des traités du Nord, l'Accord de la Baie James a été conclu en deux ans environ, grâce à une formidable volonté politique, à l'échelon provincial et à l'échelon fédéral.
M. Merritt : Les gouvernements sont de grosses machines compliquées dont on ne peut dire qu'elles sont animées de sentiments perceptibles. Cela étant, la plupart de ceux et de celles avec qui j'ai traité étaient sincères et je ne mets pas cette sincérité en doute.
J'ai l'impression que nous en revenons à ce que disait le sénateur Dallaire tout à l'heure : ce qui est en jeu ici, c'est de savoir si nous parvenons à régler les problèmes. La simple réalisation de progrès soutenus grâce à la sincérité de certains ne permettra pas de régler les problèmes. Je dirais donc que votre question ne s'applique pas dans la plupart des cas.
Le sénateur Peterson : J'ai l'impression que tout le monde a peur. Personne ne bouge. Que recommanderiez-vous que ce comité fasse afin de lancer ce processus, à part revenir témoigner devant nous pendant les 10 ou 12 prochaines années?
M. Merritt : Ce qui motive la coalition depuis sa création ainsi que les groupes qui ont témoigné — de même que des gens comme nous qui se sont préparés en vue de la rencontre de ce soir — c'est que nous voulons vous faire part d'objectifs particuliers qui soient ramenés à l'essentiel et qui soient aussi cristallins que possible.
La dernière fois que nous avons témoigné devant vous, avec la coalition, M. Aldridge et moi-même vous avons déclaré que nous ne sommes pas spécialisés dans l'appareil gouvernemental et nous ne pouvons donc pas vous dire si des changements institutionnels vont permettre de régler les problèmes. Ça n'arrivera pas. Nous savons qu'il faudrait apporter d'importants changements dans la façon dont les institutions sont constituées et dirigées pour atteindre des objectifs fondamentaux — et pour commencer à régler les problèmes tout de suite, plutôt que de s'en tenir à des processus pérennes — et il serait bien que vous formuliez des idées sur la voie à suivre.
M. Penikett : Comme je n'ai pas de compétences monnayables, je suis l'un des rares à avoir été ministre et sous- ministre. L'une des raisons pour lesquelles les gouvernements engagent des entrepreneurs privés comme les négociateurs — parfois, des gens comme Raymond Chrétien —, c'est que les fonctionnaires sont, par définition, allergiques au risque.
Ils sont prudents, et ce s'impose dans la façon d'administrer les fonds publics. On ne peut pas dire qu'ils ont des personnalités d'entrepreneurs, ce ne sont pas des innovateurs. J'ai trouvé de merveilleuses exceptions dans toutes les fonctions publiques au sein desquelles j'ai travaillé, mais la norme correspond à ce que je viens de vous décrire.
Ce faisant, les gouvernements se tournent vers des entrepreneurs qui travaillent avec leurs propres équipes. Chaque fois que j'ai dirigé une équipe interministérielle, j'ai constaté que deux ou trois personnes sont incroyablement productives et contribuent beaucoup, tandis que les autres le sont beaucoup moins.
J'ai l'impression qu'à partir de propositions comme celles formulées par la coalition et par d'autres, si nous pouvions compter sur des personnes aussi indépendantes qu'un M. Chrétien ou sur des joueurs extérieurs comme la vérificatrice générale — qui vérifierait activement la mise en œuvre des traités, qui publierait des rapports déposés auprès du Parlement, rapports qui seraient lus — j'ai l'impression que nous pourrions vraiment changer les choses.
Comme vous le savez, le Bureau du vérificateur général ne contrôle pas le MAINC tous les ans, parce qu'il applique un cycle de vérifications. Il ne s'intéresse au ministère des Affaires indiennes et du Nord qu'à l'occasion et je siège d'ailleurs aux comités consultatifs de la vérificatrice générale.
Cependant, étant donné le volume des dossiers dont s'occupe le gouvernement, il faudra très certainement quelqu'un à temps plein, quelqu'un qui soit indépendant et en position d'autorité, comme M. Chrétien, pour rassurer l'auditoire qui serait inquiet; il faudrait quelqu'un qui puisse s'exprimer et être écouté par les médias, par le Parlement et par les ministères.
Le sénateur Gustafson : J'ai écouté et j'ai participé à plusieurs de ces réunions. Il y a deux ou trois choses qui entrent en jeu. D'abord, la question se pose de savoir combien de cas il convient de résoudre et, deuxièmement, combien d'argent il faudra dépenser pour les résoudre?
Si je conclus une entente avec quelqu'un portant dans l'acquisition d'une exploitation agricole, je devrai me demander avec quoi je vais l'acheter. Je me demande si le gouvernement n'est pas en train de nous dire que nous allons conclure une petite entente ici ou là et que celle-ci nous permettra de retarder le règlement de la question de fonds de quelques années.
Je n'irai pas jusqu'à dire que certains ne veulent pas d'un règlement, mais peut-être qu'ils veulent laisser la porte ouverte.
M. Merritt : Cette remarque, sénateur, nous ramène à quelque chose que j'ai essayé de faire passer dans ma présentation. Il est important de donner des orientations aux fonctionnaires quant à la période à viser pour évaluer les options. Tous les propriétaires de maison dont la galerie s'effondre savent qu'une solution consiste à appliquer une couche de peinture et à espérer que la structure tienne jusqu'à la fin de la saison. Un meilleur investissement consiste à déterminer ce qu'on veut faire à terme, c'est-à-dire l'objectif. Que peut bien rapporter la simple gestion de crise, par rapport à quelque chose de plus fondamental exprimé par un objectif?
J'ai trouvé une chose intéressante dans le témoignage de M. Chrétien et, si j'avais davantage de temps, je pourrais vous donner la citation exacte. Il a dit que, dans les négociations qu'il a dirigées, il avait commencé par envisager le problème à terme de 20 ans. Au gouvernement fédéral, on a effectué des calculs pour savoir ce que représentaient les différents choix au bout de 20 ans. Ça, c'est important.
À NTI, nous n'avons pas de négociateur en face, et nos vis-à-vis s'appuient essentiellement sur un cadre financier correspondant à l'exercice en cours. Si nous disons que nous allons dépenser 65 millions de dollars une certaine année, nos interlocuteurs font intervenir leurs actuaires qui excluent les coûts à long terme. Nous pouvons toujours affirmer que, si nous ne réglons pas tel ou tel problème tout de suite, les coûts seront supérieurs plus tard. Ce genre d'information ne nous aide en rien, parce que ces gens-là n'ont pas de mandat pour régler les problèmes à long terme et qu'on ne les incite pas à le faire. L'élément temps est tout simplement évacué. C'est parce que, dans le cas des Cris, M. Chrétien a insisté pour voir ce à quoi le gouvernement du Canada voulait parvenir avec les Cris sur un cycle de 20 ans, qu'il est parvenu à convaincre les gens d'Ottawa que ce genre d'engagement serait un bon investissement à long terme, même si, à première vue, la somme nécessaire semblait rondelette.
Le sénateur Gustafson : Et si le gouvernement paie des intérêts pendant 20 ans, la somme devient fantastique.
M. Merritt : Le dilemme pour tout gouvernement, c'est que les problèmes qui ne sont pas résolus ne disparaissent pas pour autant. C'est un lieu commun de le dire, mais dans bien des cas, dans l'univers de la mise en œuvre des traités, les gens négocient comme si demain ne devait jamais voir le jour et comme si les problèmes allaient se régler d'eux- mêmes, sans rien faire. Quant à moi, c'est du pur fantasme. Ce n'est pas une solution et cela revient à espérer que l'avenir pourvoira à tout.
Le sénateur Dallaire : Je ne comprends pas pourquoi ceux et celle qui travaillent du côté du gouvernement semblent avoir une telle vision à court terme dans le cas des plans de mise en œuvre qui, au contraire, devraient être mis en place pour l'éternité. Ce n'est quand même pas comme si la nation allait disparaître dans 20 ans. Je songe aux négociations avec les anciens élèves des pensionnats indiens, quand nous avions envisagé 12 ans de financement, mais que nous sommes ensuite passés à trois ans comme si, soudainement, ces gens-là pouvaient guérir psychologiquement en si peu de temps. En revanche, nous versons des pensions à vie aux anciens combattants à cause des traumatismes qu'ils ont subis. Les victimes des pensionnats, elles, ne reçoivent d'argent que pour trois ans.
Je viens d'un ministère où l'on planifie à terme de 25 ans et où le programme d'immobilisations s'échelonne sur 15 ans.
Quand les fonctionnaires entreprennent ce genre de négociations, sont-ils limités à l'exercice financier en cours plus un an ou deux, peut-être, ou sont-ils autorisés à se lancer dans des négociations à long terme et à étudier ensuite les coûts de mise en œuvre?
M. Aldridge : Les choses varient d'un accord à l'autre, sénateur. N'oubliez pas qu'il faut faire la distinction entre les dépenses non récurrentes et...
Le sénateur Dallaire : Je veux parler de la mise en œuvre.
M. Aldridge : Notre entente sur le financement est censée être de cinq ans. Nous visons donc un terme de cinq ans. Nous concluons un contrat de cinq ans prévoyant le versement de fonds pour des programmes et des services convenus d'avance. Voilà quel est notre horizon.
Il nous semble toutefois qu'à la façon dont l'accord est mis en œuvre, qu'il n'existe pas de somme spécifiquement réservée à la prestation de programmes et de services en vertu de l'entente financière. Il s'agit plutôt d'un montage. Les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien marchandent avec d'autres ministères, comme ils vous l'ont dit, pour obtenir des fonds qui ont déjà été alloués à des programmes et à des services semblables. Puis, ils regroupent le tout et font donc main basse sur l'argent des autres ministères. Cet argent sert à la mise en œuvre et, dans notre cas, au financement. Pourquoi le ministère agit-il ainsi? C'est une bonne question, mais nous sommes évidemment opposés à une telle approche.
Cela étant, les Nisga'as en sont à la huitième année de leur entente quinquennale, NTI en est à la quatorzième année d'une entente décennale, le Yukon en est à la neuvième année d'une entente quinquennale et le gouvernement, lui, empoche les économies réalisées. Pour autant que nous sachions, il ne fait pas vraiment d'argent, du moins pas encore, mais qui sait? Quand nous aurons conclu une entente, sera-t-elle rétroactive à compter de la fin de 2005? Mes clients y sont allés de leur poche pendant la période où, comme des témoins vous l'ont déclaré, le gouvernement marchandait avec le centre. Mes clients sont saignés pendant que d'autres marchandent.
Je sais que ce n'est pas l'habitude, mais j'aurais une question à vous poser et j'aimerais savoir si quelqu'un a la réponse. Je m'étonne que vous n'ayez pas reçu de représentants du Bureau du Conseil privé, parce que j'aurais pensé que ces gens-là puissent vous fournir les réponses voulues. C'est ce que nous pensons, nous croyons qu'ils pourraient répondre à des questions comme celle-ci.
Le sénateur Dallaire : Eh bien, nous sommes dans la même position que vous. Ils ne veulent pas danser avec nous.
Le président : La nouvelle est tombée hier soir. Nous avions invité le Bureau du Conseil privé à venir nous rencontrer, mais pour l'instant, il a refusé cette invitation pour des raisons que nous ignorons. Cela dit, « l'organisme central » dont parlait M. Penikett, pourrait devenir un joueur dans tout ce processus de règlement des problèmes de mise en œuvre.
Le sénateur Dallaire : Avez-vous réfléchi sur le principe d'un inspecteur général chargé de la mise en œuvre des traités qui répondrait directement au ministre ou à un groupe de ministres ayant des pouvoirs véritables et un budget?
Je vais vous donner un exemple. Songez au trois D — la défense, la diplomatie et le développement. Il est envisagé de regrouper ces trois volets sur le terrain et de leur fournir un budget commun dans lequel ils puiseraient tous. Autrement dit, on ne verserait plus de budgets indépendants.
Que penseriez-vous d'avoir un inspecteur général qui collaborerait avec ces ministres, mais qui serait investi du pouvoir nécessaire pour donner suite aux demandes de budget, non seulement dans l'année en cours, mais durant les cinq années d'un programme continu? Pour l'instant, cela n'existe pas, sauf dans le cas du vérificateur général, c'est cela?
M. Aldridge : Effectivement, autant que nous sachions, cette option n'existe actuellement pas.
Le sénateur Dallaire : Affaires indiennes et du Nord Canada, par exemple, n'a pas d'inspecteur général chargé de vérifier ce qui se passe au sein du ministère?
M. Aldridge : Non.
Le président : Je vais vous poser une brève question au sujet de l'arbitrage. Comme vous le savez, monsieur, je ne suis pas diplômé en droit, mais j'ai l'impression que le gouvernement a le privilège de ne pas se présenter à ces arbitrages. Si le règlement n'est pas possible, qu'est-ce qui pourrait contraindre le gouvernement à participer à un arbitrage? Vous négociez des accords de bonne foi, vous avez une clause d'arbitrage ou un mécanisme de règlement des différends dans l'accord signé, mais faudrait-il ajouter autre chose afin de réduire les coûts advenant qu'une des parties rejette l'arbitrage? Si elles ne vont pas en arbitrage, il leur reste à se pourvoir en justice. C'est là qu'on entend parler de frais juridiques énormes, à vous donner des frissons dans le dos.
Pourrions-nous recommander quelque chose pour régler ce problème? Comme vous le disiez, le ministère des Finances déclare ne pas vouloir aller en arbitrage et vous vous retrouvez sur le tapis.
M. Aldridge : La difficulté tient à l'évolution historique de ces ententes. L'entente avec les Inuits prévoyait l'arbitrage obligatoire. Cependant, après qu'Ottawa a accepté d'aller en arbitrage, il a, de façon métaphorique, déclaré « plus jamais ça ». Depuis la signature de l'Accord inuvialuit, plus aucune entente ne comporte de clause d'arbitrage obligatoire. Si je puis me permettre d'être pointilleux un instant, je dirais qu'il existe des dispositions concernant certaines questions bien précises, mais pas les questions financières.
Dans tous les accords où il a accepté d'inclure une disposition imposant l'arbitrage, le gouvernement fédéral a exigé que ce soit avec le consentement des deux parties.
Cependant, comme M. Berger l'a indiqué dans son rapport de conciliateur au Nunavut, il demeure qu'il y a lieu de raisonnablement s'attendre à ce que le gouvernement se rende de temps en temps en arbitrage et qu'il ne refuse pas systématiquement de le faire.
Pour répondre à votre question, je dirais qu'en autant que je sache, rien dans ces accords ne peut contraindre le Canada à accepter l'arbitrage.
M. Merritt : La question que vous avez posée est précisément celle qu'on retrouve dans la poursuite intentée par NTI : existe-t-il une disposition exécutoire imposant au gouvernement du Canada de recourir à l'arbitrage en cas de différends — pas forcément dans tous les différends, mais certainement dans quelques-uns et à l'occasion? Le corollaire à cela, c'est évidemment que le gouvernement du Canada peut systématiquement imposer son veto pour s'opposer à l'arbitrage.
Le président : Je vous remercie tous trois de nous avoir fait profiter de votre expérience et de votre sens de l'intégrité. Vous avez beaucoup contribué à notre étude et nous espérons produire des recommandations qui rendront justice à la qualité de vos exposés et de vos témoignages.
Honorables sénateurs, quelqu'un voudrait-il ajouter quelque chose? Dans la négative, je vous remercie de votre participation.
Le sénateur Sibbeston : Ne devriez-vous pas rappeler aux membres quel genre de réunion nous aurons la semaine prochaine, pour que les gens ne soient pas surpris?
Le président : Nous allons entamer notre étude de l'Accord de Kelowna. Le parrain du projet de loi, M. Martin, qui est député, sera invité à témoigner. Donc, s'il comparaît, nous aurons une réunion mardi prochain.
S'il n'y a rien d'autres, honorables sénateurs, je vais mettre un terme à cette séance.
La séance est levée.