Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 10 - Témoignages du 15 avril 2008
OTTAWA, le mardi 15 avril 2008
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-292, Loi portant mise en œuvre de l'Accord de Kelowna, se réunit aujourd'hui, à 8 h 30, pour étudier le projet de loi et une ébauche de rapport.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, chers collègues et invités. Ce matin, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-292, Loi portant mise en œuvre de l'Accord de Kelowna. Nous accueillons aujourd'hui M. Rod Bruinooge, secrétaire parlementaire du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Dans la seconde partie de notre réunion, nous entendrons Patrick Brazeau, chef national, qui représente le Congrès des Peuples Autochtones.
Je vais présenter maintenant les sénateurs. Sont présents aujourd'hui le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau- Brunswick; le sénateur Campbell, de la Colombie-Britannique; le sénateur Peterson, de la Saskatchewan; et le sénateur Gustafson, de la Saskatchewan.
L'article 2 du projet de loi C-292 prévoit :
Le gouvernement du Canada prend sans délai toutes les mesures nécessaires à la mise en œuvre de l'accord, connu sous le nom d'Accord de Kelowna, qui a été conclu le 25 novembre 2005 à Kelowna, en Colombie- Britannique, par le premier ministre du Canada, les premiers ministres de chaque province et territoire du Canada et par les représentants de l'Assemblée des Premières Nations, de l'Inuit Tapiriit Kanatami, du Ralliement national des Métis, de l'Association des femmes autochtones du Canada et du Congrès des Peuples Autochtones.
Monsieur Bruinooge, nous vous souhaitons la bienvenue. Merci d'être venu si tôt. Nous avons hâte d'entendre votre point de vue sur l'accord. Je suis sûr que les sénateurs auront des questions à vous poser à la fin de votre exposé.
Rod Bruinooge, secrétaire parlementaire du ministre, Affaires indiennes et Nord canadien : Je suis heureux d'avoir été invité à prendre la parole devant le Sénat. C'est un grand honneur pour moi de parler ici, à cette Chambre et devant des sénateurs comme vous. Je n'ai comparu qu'une fois devant un comité sénatorial, et je suis reconnaissant d'en avoir une deuxième occasion.
Aujourd'hui, j'ai été invité à comparaître devant votre comité pour parler du projet de loi C-292, Loi portant mise en œuvre de l'Accord de Kelowna.
D'entrée de jeu, je dois dire clairement que l'annonce faite à l'issue de la conférence des premiers ministres à Kelowna, en novembre 2005, n'était en fait qu'un communiqué de presse dans lequel le Parti libéral faisait plusieurs promesses en prévision d'une élection fédérale. À ce titre, j'estime qu'aucun accord proprement dit n'a été signé à Kelowna. Il s'agit d'une fausse appellation qui a d'abord été utilisée par un journal national environ un mois plus tard.
Les faits sont simples. Plusieurs propositions ont été avancées, mais aucun accord n'a été conclu. Dans ma jeunesse, un certain nombre d'accords politiques ont vu le jour au Canada. J'ai connu l'Accord du lac Meech, signé par plusieurs partis, et l'Entente de Charlottetown. Selon ma définition d'un « accord », c'est un bout de papier auquel on appose des signatures.
Nous devrions parler de ce mythe de l'accord qui a pris de l'ampleur. Malheureusement, à mon avis, l'effet est quelque peu néfaste. Le mythe actuel veut que la Couronne ait, en quelque sorte, brisé son lien de confiance avec les Premières nations. Souvent, les gens laisseront entendre que l'honneur de la Couronne a été entaché parce que cet accord n'a pas été respecté. Chaque fois qu'on perpétue le mythe d'un accord signé, j'ai l'impression que cette supposition, à savoir que l'honneur de la Couronne a été entaché en raison d'un accord non respecté, gagne en crédibilité.
Je peux assurer le comité que notre gouvernement est déterminé à combler les écarts entre les Autochtones et les autres Canadiens. En ce qui concerne l'éducation, le logement, les soins de santé, les services sociaux et d'autres éléments indispensables d'une vie saine et comblée, nos résultats sont réels, mesurables et tangibles, et nous poursuivrons dans cette voie, en collaboration avec les dirigeants des Premières nations, des Métis et des Inuits.
Si l'on examine en rétrospective les propositions faites par l'ancien premier ministre Paul Martin dans ce domaine, je suis porté à dire qu'il aurait été difficile de les concrétiser avec ce qui a été proposé à Kelowna. L'ancien gouvernement a présenté un montant au peuple canadien dans le cadre d'un communiqué, intitulé « Renforcer les relations et combler l'écart ». Le gouvernement libéral de l'époque a indiqué qu'il ferait plusieurs investissements sur une période de cinq ans. Il s'agissait d'une proposition d'investissement de 5 milliards de dollars parmi un éventail de propositions dont la valeur totale se chiffrait à plus de 25 milliards de dollars.
En tant que spectateur à l'époque, je dirais qu'on faisait plus de promesses que ne le permettaient les fonds disponibles. Il fallait examiner les 13 ans de l'ancien gouvernement au pouvoir pour se demander si les peuples autochtones seraient une priorité, étant donné que ce ne sont pas toutes les promesses électorales qui pouvaient être remplies. Par conséquent, je mettais en doute la concrétisation de cette promesse faite en pleine campagne.
Toujours est-il qu'elle ne s'est pas réalisée. Depuis, M. Martin a chiffré très précisément les dépenses que, selon lui, le gouvernement fédéral doit faire pour combler ces écarts. Comme je l'ai déjà mentionné, il s'agissait d'un montant de 5 milliards de dollars sur cinq ans. Mais, qu'on me permette de le dire clairement : ce projet de loi n'autorise aucune dépense de fonds publics.
Un communiqué pourra-t-il aider à combler les écarts entre le niveau de vie des membres des Premières nations et celui des autres Canadiens? Je ne le crois pas. Aucune politique — et aucune directive du Cabinet — n'a été associée à ce communiqué. Malheureusement, il n'aurait eu aucun effet sur la salubrité de l'eau ni sur les revendications particulières. En tout cas, il n'a certainement pas réglé la question de la révocation de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
L'expérience m'a enseigné que l'approche décrite dans le projet de loi aurait peu d'effet, voire aucune utilité, pour combler les écarts socioéconomiques entre les Autochtones et les autres Canadiens. Comme l'a déclaré en Chambre l'ancien ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, Jim Prentice :
Le défaut le plus fondamental du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui est qu'il ne modifie en rien le cadre législatif régissant les relations entre le Canada et les Premières nations.
Une réforme systémique, voilà ce dont il parle. Qu'on ne se méprenne pas. J'admets d'emblée que nous devons investir financièrement dans les programmes et services qui aident les membres des Premières nations et les Autochtones partout au pays à améliorer leur vie, à renforcer leurs familles et à solidifier leurs communautés. Toutefois, l'ex-premier ministre voulait nous faire croire que l'important, c'est de savoir combien investir plutôt que comment investir.
L'ancien gouvernement libéral a promis 5 milliards de dollars, une somme qui n'aurait servi à rien d'autre qu'à injecter des fonds dans un système défaillant qui avait besoin de sérieuses améliorations. Notre gouvernement, pour sa part, a sagement investi dans les développements institutionnels nécessaires pour amener la qualité de vie des Autochtones au même niveau que celle des autres Canadiens. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous visons une réforme systémique.
Une des réalisations de notre gouvernement, c'est qu'il a élargi le projet de Partenariat pour les compétences et l'emploi des Autochtones, de manière à offrir des possibilités de formation et de perfectionnement des compétences à des milliers d'Autochtones et de membres des Premières nations. Nous nous sommes engagés à consacrer en permanence 300 millions de dollars par année pour appuyer les communautés autochtones et pour soutenir des priorités comme l'éducation, le logement et les services aux femmes, aux enfants et à la famille.
Dans les 45 jours suivant notre entrée en fonction, nous avons préparé et mis en application un plan d'action pour faire en sorte que les normes pour l'eau potable dans les communautés des Premières nations soient à la hauteur de celles appliquées ailleurs au pays. À l'époque, malheureusement, nous avons hérité de 193 réseaux d'eau potable desservant des communautés des Premières nations qui étaient classés à risque élevé ou pire. Aujourd'hui, ce chiffre est passé à 85 et continue de diminuer.
Les 450 millions de dollars que nous avons consacrés à l'amélioration des réseaux d'alimentation en eau potable dans les réserves faisaient partie des 3,7 milliards de dollars prévus dans le budget de 2006 pour appuyer les Autochtones et les communautés des Premières nations. Notez qu'il s'agit de 3,7 milliards de dollars additionnels, c'est- à-dire d'un nouveau financement supérieur à tout budget antérieur et supérieur aux quatre derniers budgets réunis — soit 500 p. 100 de plus que le budget de 2005 de l'ex-premier ministre Martin, ce qui est remarquable.
Mais, pour être franc, monsieur le président, je crois que les succès les plus durables pour les Autochtones et les membres des Premières nations ne découleront pas de ces initiatives ou de tout autre programme de dépense parrainé par le gouvernement fédéral. Nous sommes convaincus que les efforts qui porteront le plus de fruits sont les mesures que nous prenons avec nos partenaires provinciaux, territoriaux et autochtones pour aider les Autochtones et les membres des Premières nations à devenir plus autonomes et à prendre en main leur vie et leurs destinées.
Quatre exemples de cette méthode me viennent spontanément à l'esprit. Premièrement, notre gouvernement a conclu l'année dernière, avec le gouvernement de l'Alberta et les communautés des Premières nations de cette province, un accord sur un modèle de services à l'enfance et à la famille axé sur la prévention. Ce modèle est mis en application dans toutes les communautés des Premières nations de l'Alberta, et des discussions sont en cours avec d'autres provinces, dont la mienne, le Manitoba, pour conclure des accords semblables.
Deuxièmement, notre gouvernement a présenté une mesure législative, adoptée par le Parlement, qui permet aux autorités scolaires des Premières nations participantes en Colombie-Britannique de préparer des programmes d'études solidement ancrés dans la riche histoire et culture de leurs communautés. Ce modèle est également utilisé par d'autres provinces, notamment le Manitoba.
Troisièmement, notre gouvernement règle des revendications particulières avec les communautés des Premières nations à un rythme record — 54 rien qu'en 2007. Nous avons également présenté une mesure législative pour établir une entité indépendante chargée de régler les revendications particulières. Bien entendu, c'est quelque chose que votre comité sénatorial a réclamé à plusieurs reprises.
Nous sommes ravis de faire avancer cette réforme importante, le projet de loi C-30, qui est actuellement devant le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes S'il est adopté tel quel, ce projet de loi réduira considérablement l'arriéré des revendications particulières qui accapare actuellement le ministère et les tribunaux.
Un autre de nos succès, c'est la négociation et le règlement des revendications qui sont devenus loi : la Loi concernant l'Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, qui donne effet à l'accord de règlement visant la dernière grande revendication territoriale des Inuits au Canada. La dernière fois que j'ai comparu devant le Sénat, c'était pour ce projet de loi historique. Je vous suis reconnaissant de l'avoir adopté peu de temps après ma comparution.
Nous avons également conclu un accord historique avec le Grand Conseil des Cris, qui a mis fin à des années de litiges sur la mise en œuvre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Par ailleurs, nous avons transféré plus de 150 000 acres de terres aux Premières nations du Manitoba, en plus d'une revendication sur les droits fonciers issus de traités en Alberta, qui prévoit 140 000 acres.
La transformation la plus profonde réalisée par le gouvernement, c'est peut-être la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, menée à bien un mois après l'arrivée de notre gouvernement à la Chambre des communes. Notre gouvernement a travaillé étroitement avec d'anciens élèves et des organisations autochtones pour conclure ce règlement décisif, et travaille étroitement avec ces derniers pour le mettre en œuvre.
Nous faisons ce travail parce qu'il est important, pour l'avenir des Autochtones de notre pays, que nous assurions une résolution équitable et durable des tristes séquelles des pensionnats indiens. Je suis convaincu que cet accord historique, en particulier le travail de la Commission de la vérité et de la réconciliation qui en découlera, représentera une importante déclaration d'excuses et de réconciliation pour tous les Autochtones au Canada.
J'estime que ces exemples de notre travail illustrent le type de mesures prudentes, sincères et décisives qui sont nécessaires pour habiliter les Autochtones, afin qu'ils puissent relever les défis de taille qui se dressent sur leur route, gagner en autonomie et prendre en main leur vie et l'avenir de leur famille et de leurs communautés.
Par ailleurs, j'admets sans détours qu'il reste beaucoup de pain sur la planche, mais la publication d'un communiqué préélectoral ne constitue pas un progrès véritable. Le progrès réside dans le travail important et tangible effectué grâce aux efforts de toutes les personnes, et des Autochtones eux-mêmes.
Permettez-moi de lire des extraits de quelques articles qui sont parus récemment. Dans le numéro du 11 avril 2008 du quotidien The Gazette de Montréal, on dit que l'approche adoptée par l'ex-premier ministre durant son mandat à l'égard des affaires indiennes n'était pas la bonne, et ne l'est toujours pas. Un peu plus loin dans l'article, on lit ce qui suit :
[...] À la place, M. Martin a proposé l'Accord Kelowna, un autre document volumineux assorti de conditions minimales, qui en réalité aurait accru le pouvoir de la même structure de chefs qui — à quelques honorables exceptions près — ont présidé aux destinées de tant de réserves durant des décennies et ce, sans l'ombre d'un espoir.
Il est ensuite question, dans l'article, de plusieurs approches adoptées par l'ancien premier ministre, notamment sa proposition selon laquelle la seule façon d'éviter le chaos, c'est vraiment d'accepter son approche et rien d'autre, sans compter les insinuations d'une éventuelle mobilisation, sous forme d'une journée d'action, si ses propositions ne sont pas adoptées.
Je déplore ce point de vue, étant donné que notre gouvernement s'efforce chaque jour de s'assurer que les Canadiens autochtones sont en mesure de réaliser des progrès importants dans leurs communautés. Bien entendu, nous nous appliquons à éviter le chaos que pourrait créer une journée d'action, comme certains l'ont laissé entendre. J'ai été offusqué par les déclarations de l'ancien premier ministre à ce sujet.
Gouverner de façon responsable, c'est fixer des priorités claires, allouer les fonds appropriés, établir des objectifs ambitieux et travailler sans relâche pour les atteindre. C'est ainsi que nous avons procédé au cours des 28 mois écoulés depuis la rencontre de Kelowna, et c'est exactement ce que nous continuerons de faire dans les mois et les années à venir.
Quant à savoir si j'estime que le projet de loi devrait être adopté, la réponse est non. Toutefois, j'imagine qu'il sera vraisemblablement adopté. Cela dit, je vais continuer de travailler sur les progrès réels et tangibles que notre gouvernement a réalisés, et je me réjouis à l'idée d'avoir l'occasion de comparaître devant votre comité à l'avenir pour parler d'autres textes législatifs.
Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions ou observations.
Le sénateur Campbell : Merci d'être des nôtres aujourd'hui, monsieur Bruinooge.
Comme vous avez cité des extraits de journaux, je suis un peu perplexe devant le manque de reconnaissance de l'accord en question. Le ministre Prentice, pour qui notre comité a beaucoup de respect, a officiellement déclaré sur le Réseau de télévision des peuples autochtones, en janvier 2006, en pleine élection fédérale, les propos suivants :
[...] C'est moi le porte-parole du parti concernant l'Accord de Kelowna et j'aimerais que nous soyons bien clairs à l'intention de vos téléspectateurs. Nous appuyons l'Accord de Kelowna. Nous approuvons les cibles et les objectifs prévus par cet accord.
Mais voici qu'on nous dit maintenant qu'il n'existe aucun accord, point à la ligne. Comment faites-vous concorder ces deux positions?
M. Bruinooge : Je crois que les observations du ministre Prentice sont valables en ce qui concerne la volonté de notre gouvernement d'atteindre d'importants résultats pour les Premières nations d'un bout à l'autre du pays. Je peux parler des propositions avancées lors de ces réunions des premiers ministres, en particulier pour ce qui est du logement.
Notre gouvernement a investi des sommes considérables dans ce domaine : 450 millions de dollars au cours des dernières années. L'argument invoqué par plusieurs personnes, tant au gouvernement que dans les médias, et par moi- même, c'est que les propositions découlant de la réunion des premiers ministres étaient des idées stratégiques que l'ancien gouvernement voulait poursuivre. Une telle approche est valable dans une démocratie. Mais la pomme de discorde, selon moi et d'autres personnes, c'est l'insinuation qu'un accord a été conclu entre les dirigeants qui étaient présents et, en outre, que le nouveau gouvernement n'a pas respecté l'accord signé. C'est néfaste pour les relations générales entre les communautés autochtones et le gouvernement.
Par exemple, à la réunion des premiers ministres, les groupes présents ne sont pas parvenus à un consensus pour signer un accord sur la façon dont les fonds seraient dépensés. C'est attribuable, en partie, au fait que le montant proposé était de cinq milliards de dollars. Il y avait, à la réunion, aussi bien des Autochtones vivant dans les réserves que hors réserve.
En ma qualité de secrétaire parlementaire, j'admets que la question de savoir comment dépenser les ressources dans les réserves et hors réserve fait l'objet de grands débats. Il n'est donc pas surprenant que les groupes qui ont pris part à la réunion n'aient pas pu dégager un consensus. Voilà pourquoi, inévitablement, aucun accord n'a pu être conclu.
Le sénateur Campbell : Avec tout le respect que je vous dois, vos propos sont décousus. La question qui m'intéresse, c'est qu'à la dernière conférence d'orientation avant les élections, durant la campagne électorale, le candidat du Parti conservateur a pris l'engagement d'atteindre les objectifs fixés à Kelowna.
Jim Prentice, qui était ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien à l'époque, en a pris l'engagement après l'arrivée au pouvoir de votre parti. Le gouvernement maintient-il toujours son engagement envers les objectifs fixés à Kelowna? C'est tout ce que je veux savoir.
Cet accord doit sûrement contenir au moins quelques éléments positifs, sinon le ministre Prentice n'aurait pas dit : « Nous appuyons l'Accord de Kelowna. Nous approuvons les cibles et les objectifs prévus par cet accord. »
Comment rapprocher ces positions? D'une part, il dit : « Nous appuyons l'Accord de Kelowna. Nous approuvons les cibles et les objectifs prévus par cet accord »; et, d'autre part, on fait maintenant table rase de tout. Comment faire concorder les deux positions?
M. Bruinooge : L'approche adoptée à la réunion en question, c'était de combler les écarts entre les Autochtones et les non-Autochtones au Canada. À cet égard, deux domaines ont été proposés : l'éducation et le logement. L'approche pour combler les écarts — voilà la véritable différence philosophique entre notre gouvernement et l'ancien gouvernement.
Le montant de cinq milliards de dollars a été proposé pour permettre à une structure en place de maintenir le statu quo, alors que notre gouvernement a pris une approche différente. Nous constatons que l'investissement s'impose; toutefois, il faut améliorer le système proprement dit.
Même si nous appuyons l'idée de diminuer ou de combler les écarts, les moyens et l'approche utilisés à cette fin représentent la différence philosophique entre notre gouvernement et l'ancien gouvernement. Voilà pourquoi nous avons emprunté une voie différente.
Le sénateur Sibbeston : Je n'ai pas l'impression que vous venez ici avec beaucoup de passion ou d'engagement à l'égard des peuples autochtones. J'ignore qui vous êtes, mais en particulier, lorsque vous dites que l'ancien premier ministre Martin a tort, je ne sais pas comment vous pouvez faire une telle déclaration. Selon moi, une somme versée pour aider les Autochtones n'est jamais une mauvaise chose. Il y a tant d'aspects dans la vie et la situation des Autochtones où il serait utile d'injecter plus de fonds.
La semaine dernière, lorsque M. Martin a comparu devant nous, nous avons obtenu des renseignements financiers sur le montant qui aurait été engagé en vertu de l'Accord de Kelowna et ce que le gouvernement actuel dépense. Le seul domaine où le gouvernement de l'heure affiche d'assez bons résultats, c'est le logement. Vous avez accordé presque autant de fonds que vous l'auriez fait en vertu de l'Accord de Kelowna pour le logement et l'infrastructure. Dans les autres domaines, votre gouvernement dépense beaucoup moins.
Par exemple, il faut de l'argent pour l'éducation. C'est l'éducation qui permettra à un Autochtone de passer de l'igloo et du tipi aux échelons élevés de notre gouvernement. C'est le cas dans les Territoires du Nord-Ouest, d'où je viens. Nous avons des gens qui n'étaient que des paysans et qui, en une seule génération, grâce à l'éducation, sont devenus des médecins, des travailleurs sociaux ou des avocats. Le tout a été possible grâce au système d'éducation.
Lorsque votre gouvernement n'accorde pas de fonds pour des choses aussi importantes que l'éducation, j'ai l'impression que quelque chose vous échappe. Vous ne prenez pas une bonne décision. De plus, je suis quelque peu offensé de vous entendre dire que quelqu'un comme M. Martin a tort. Que répondez-vous?
Le président : Je tiens à faire une précision. En tant que président, j'ai le privilège de la présidence.
Le sénateur Sibbeston : Quel est le problème avec la question?
Le président : Vous voulez savoir qui est le témoin. C'est un secrétaire parlementaire.
Le sénateur Sibbeston : À part cela?
Le président : C'est un Métis du Manitoba.
Le sénateur Sibbeston : Je veux connaître son parcours. Qui est-il pour affirmer que l'ancien premier ministre a tort?
Le président : J'essaie de vous expliquer son parcours.
Le sénateur Sibbeston : Laissez-le l'expliquer.
M. Bruinooge : Je serai ravi de le faire.
Le président : Cela fait partie de la responsabilité de la présidence. Si vous étiez arrivé à temps, vous auriez entendu sa déclaration préliminaire.
Le sénateur Sibbeston : Vous faites de la partisannerie et vous êtes sensible sans raison.
Le président : Non, c'est vous qui vous acharnez sur le témoin.
Le sénateur Sibbeston : Ce n'est pas le cas. Je lui pose une question honnête. Il se présente les mains vides; il ne fait que lire un bout de papier.
Le président : Silence, s'il vous plaît. Monsieur Bruinooge, vous avez la parole.
M. Bruinooge : Merci, monsieur le président; je vous sais gré de la question. Sénateur Sibbeston, je ne vous connais pas, moi non plus, et je ne mettrai pas en doute votre intérêt à l'égard des questions autochtones ou votre passion pour l'important aspect stratégique de tout le travail que nous faisons ici, à la Chambre des communes. Toutefois, je n'aime pas que vous mettiez en doute ma propre passion pour les questions autochtones.
Le sénateur Sibbeston : Vous n'en avez aucune. Vous n'en montrez aucun signe.
M. Bruinooge : J'ai peut-être tendance à parler sans excès. Toutefois, étant moi-même un Autochtone du Nord du Manitoba, plus précisément un Métis, et ayant grandi avec de bons amis aussi bien dans les communautés des Premières nations que les communautés inuites, j'estime, en tant que Canadien autochtone, avoir une certaine crédibilité à ce sujet. En fait, je crois en avoir beaucoup.
Ce qui importe le plus pour moi, c'est d'arriver à de nouveaux résultats pour les peuples autochtones. Nous avons un système qui continue de donner les mêmes résultats année après année, et rien ne change. Nous avons un système défaillant.
Lorsque je me suis présenté à la Chambre des communes en 2006 en tant que candidat autochtone pour notre parti, j'ai décidé de le faire dans le but de tenter de réparer un système défaillant. Je ne pouvais pas appuyer les propositions découlant de la réunion de Kelowna. Je suis heureux de voir qu'on a investi plus d'argent. Toutefois, ne pas régler les questions de réforme systémique — c'est-à-dire ne faire que perpétuer un système défaillant en disant que le statu quo est bon —, c'est la pire approche que nous puissions prendre. Le point de vue à adopter, c'est de se dire que le système lui-même doit être changé. Je suis heureux de faire partie d'un gouvernement qui envisage une réforme systémique.
Vous avez évoqué certains de nos investissements, mais pas la totalité. Nous avons réservé 2,5 milliard de dollars pour créer un nouveau système de règlement des revendications particulières qui, comme vous le savez, constituent un gros problème à régler pour les dirigeants des Premières nations de l'ensemble du pays. Grâce à la création du tribunal indépendant des revendications particulières, nous aurons un nouveau système de règlement qui sera indépendant du gouvernement. Les Autochtones à la grandeur du pays se sont plaints de la façon dont le gouvernement était à la fois juge et jury dans les revendications particulières.
Une autre réforme systémique qui m'emballe, c'est l'élargissement de la portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne de façon à inclure les membres des Premières nations. Ce changement a été proposé par le Sénat à la Chambre des communes pendant plusieurs années. Le fait que des membres des Premières nations, contrairement à moi, n'ont pas accès à la Loi canadienne sur les droits de la personne est une situation honteuse qui a perduré pendant 30 ans. Cette initiative est l'une des premières que nous avons entreprises une fois au pouvoir, notamment pour apporter ce changement, c'est-à-dire élargir la portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne de façon à inclure les Premières nations. Maintenant, tout comme moi, les Autochtones auront accès à la Loi canadienne sur les droits de la personne; nous aurons tous le même accès, et tous les membres des Premières nations pourront présenter leurs revendications à l'avenir.
Je sais que de nombreux membres des Premières nations partout au pays vivent dans des communautés où les conditions, aux yeux de certains, briment les droits de la personne. À l'heure actuelle, ils ne peuvent pas présenter ces revendications.
Monsieur le président, j'ose croire que je défends ces questions avec passion. J'espère que je vous ai démontré cette passion aujourd'hui. Je me réjouis à la perspective de continuer de faire preuve de ma passion devant votre comité dans l'avenir.
Le président : Y a-t-il d'autres questions, sénateur Sibbeston? Nous avons toujours travaillé en bons termes ici, et de façon non partisane. Continuons dans cette voie.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Monsieur Bruinnoge, êtes-vous déjà allé dans une communauté des Premières nations?
M. Bruinooge : Oui, j'ai visité des communautés des Premières nations à plusieurs occasions dans ma jeunesse.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Dans quel coin du pays?
M. Bruinooge : Je suis né à Thompson, au Manitoba. J'avais beaucoup d'amis et de proches qui vivaient dans diverses communautés avoisinantes.
Le sénateur Lovelace Nicholas : À notre connaissance, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien travaille pour les Premières nations. Est-ce exact?
M. Bruinooge : C'est exact.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Vous avez dit que des millions de dollars sont consacrés aux communautés des Premières nations. Je rentre chez moi toutes les fins de semaine dans ma Première nation, et dans les Premières nations aux alentours. Je vois des écoles contaminées par la moisissure. La moisissure nuit souvent à la santé des enfants, et ils tombent malades. Il n'y a toujours pas d'éducation ni de nouveaux élèves dans les écoles. Il n'y a pas de logement non plus. Je n'ai pas vu de nouveaux logements dans ces communautés depuis des années. Certaines Premières nations sont cogérées. Si on consacrait assez d'argent à ces communautés, rien de tout cela ne se produirait. Il y aurait de nouvelles écoles, et les enfants auraient accès à l'éducation. Je ne crois pas qu'on consacre assez d'argent à ces Premières nations. L'Accord de Kelowna a donné de l'espoir à mon peuple. Que dites-vous de cela?
M. Bruinooge : Je comprends que de nombreuses communautés se retrouvent dans des situations où elles se voient incapables de fournir certaines des ressources qu'elles aimeraient offrir à leurs membres. Cette question est au cœur du système de prestation actuel de notre ministère au Canada. Il n'y a aucun doute que les fonds consacrés aux communautés ne sont pas suffisants. J'estime que tel est le cas.
Toutefois, pour s'assurer que ces ressources vont aux communautés, la question ne se résume pas à la quantité de ressources, mais plutôt au système par lequel les ressources sont accordées. J'en ai parlé tout à l'heure.
En ce qui concerne plus précisément l'éducation, et un des points que vous avez soulevés, le gouvernement de la Colombie-Britannique, les dirigeants des Premières nations en Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral ont conjugué leurs efforts pour élaborer une mesure législative particulière. Le Sénat a accepté la proposition concernant un nouveau système de gouvernance de l'éducation pour les membres des Premières nations dans les réserves. Ce modèle permettra aux communautés partout au pays d'améliorer les résultats au niveau primaire et secondaire. Malheureusement, le Manitoba affiche un taux de réussite de moins de 35 p. 100 dans les écoles secondaires des Premières nations. Il faut adopter une toute nouvelle approche dans la manière dont on dispense l'éducation dans les réserves.
Le modèle en Colombie-Britannique établit un nouveau système de gouvernance qui permettra à un organisme provincial de déterminer le programme d'études pour les écoles secondaires. À l'heure actuelle, au Canada, nous avons une myriade d'écoles qui appliquent leurs propres pratiques et programmes. Je ne nie pas l'autonomie des communautés pour ce qui est d'assurer une éducation de cette façon, si elles le choisissent. Or, comme la nation en a fait l'expérience, l'existence de programmes d'études et de normes constitue, à tout le moins, une approche visant à rehausser le niveau d'éducation. J'ai été heureux de voir la réforme systémique qui a eu lieu en Colombie-Britannique et, comme membre du gouvernement, j'essaie de promouvoir la même philosophie auprès d'autres provinces. Le Manitoba a manifesté de l'intérêt, tout comme la Nouvelle-Écosse. Idéalement, nous mettrons en œuvre l'idée d'une réforme systémique et non seulement des investissements, ce que visaient, selon moi, les propositions issues de la réunion de Kelowna.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Maintenant que vous avez admis que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien est censé s'occuper des Premières nations, comment se fait-il que, lorsqu'il y a une journée d'action, le gouvernement menace les Premières nations de leur retirer le financement? C'est leur argent, n'est-ce pas?
M. Bruinooge : En ce qui concerne la journée d'action, il est important pour les législateurs d'expliquer aux membres des Premières nations que l'idée d'envisager une telle protestation n'est pas dans le meilleur intérêt de l'union collective du Canada. Nous nous efforçons de régler les problèmes qui pourraient amener les citoyens des Premières nations à envisager la mobilisation dont vous avez parlé. Le gouvernement du Canada dépense des fonds pour le compte des membres des Premières nations. Toutefois, nous nous efforçons aussi de veiller à ce que les fonds soient dépensés de la manière la plus efficace possible pour le compte de ceux qui investissent dans le mécanisme du Parlement du Canada que l'on appelle « gouvernement ». En tant que législateur, je m'efforce de faire en sorte que nous trouvions la façon la plus efficace d'accorder ces fonds pour obtenir les meilleurs résultats. C'est pourquoi je crois que la réforme systémique est mon mantra principal dans ce que prêche notre gouvernement à cet égard.
Le sénateur Lovelace Nicholas : C'est juste une journée d'action. Nous n'avons pas prévu une guerre ou quelque chose du genre. Cela n'a aucun sens pour moi.
Le sénateur Peterson : Monsieur Bruinooge, dans votre exposé, vous avez semblé catégoriser l'Accord de Kelowna de communiqué à l'issue d'une réunion. Je crois que cette réunion a été précédée de 18 mois de consultation avec l'ensemble des provinces, des territoires et des dirigeants des Premières nations. Êtes-vous en train de dire que tous les accords qu'ils ont conclus ne sont pas pertinents, eux non plus?
M. Bruinooge : Je ne laisse pas entendre qu'il n'y a pas eu de rencontres avant la réunion définitive à Kelowna, et je ne prétends pas que les discussions tenues dans les mois qui ont précédé la réunion n'étaient pas valables. Toutefois, dans ma déclaration devant le comité, j'ai laissé entendre que d'insinuer qu'un accord a été rédigé et signé à Kelowna donne une fausse impression de ce qui s'est passé. Je ne nie pas le fait que plusieurs personnes se sont réunies et ont convenu avec le premier ministre de l'époque, Paul Martin, que les cinq milliards de dollars seraient bien reçus.
Toutefois, j'ai dit que, lorsqu'on perpétue le mythe d'un accord signé, on a tendance à imaginer des scénarios, à un tel point que certains ont insinué que j'avais en quelque sorte déshonoré Sa Majesté la Reine Elizabeth en rompant un accord écrit signé par le gouvernement du Canada et les autres parties en cause. Bref, je ne peux pas accepter ce fait. C'est le message je voulais transmettre dans ma déclaration.
Je ne nie pas que les propositions découlant des réunions de Kelowna étaient valables d'un certain point de vue. L'ancien gouvernement a fait campagne là-dessus lors de cette élection, dans une démocratie. Les propositions étaient des points de vue valables, mais rien que je puisse appuyer.
Le sénateur Peterson : Estimez-vous que les provinces, les territoires et les dirigeants des Premières nations croient également que l'Accord de Kelowna est un mythe.
M. Bruinooge : Selon moi, ils n'ont jamais dit qu'il y avait un accord signé parce qu'il n'y en a pas eu. Certaines entités que vous avez mentionnées pourraient laisser le mythe perdurer pour leur propre gain politique. Toutefois, pour ce qui est de laisser entendre qu'elles comparaîtraient devant un comité et allégueraient qu'un accord a bel et bien été signé là-bas, je doute qu'elles le fassent parce que ce serait une duperie.
Le sénateur Peterson : Je suppose que nous entendrons ce qu'ils auront à dire là-dessus.
Monsieur le président, avons-nous une liste des 54 revendications particulières qui ont été approuvées depuis 2006?
Le président : Non.
Le sénateur Peterson : Pouvons-nous avoir cette liste?
Le président : Je suis sûr que M. Bruinooge peut nous fournir la liste ou demander au ministère de le faire.
Monsieur Bruinooge, je vous fais donc cette demande. Si vous pouviez nous fournir la liste, nous vous en saurions gré. Si vous me transmettez la liste, en tant que président du comité, ou au comité lui-même, je veillerai à ce qu'elle soit distribuée aux membres.
M. Bruinooge : Je le ferai.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Mes questions auront une perspective plus stratégique pour commencer et seront plus spécifiques par la suite.
[Traduction]
Dans votre texte, vers la fin, vous dites que gouverner de façon responsable suppose des priorités claires, l'allocation de fonds appropriés, l'établissement d'objectifs ambitieux et un travail acharné pour les atteindre.
Je ne comprends pas pourquoi vous voulez faire la leçon aux sénateurs sur votre rôle. Nous tenons ce rôle pour acquis. En fait, vous avez tout intérêt à le faire, sinon vous serez mis à la porte. Nous n'avions pas besoin d'un discours sur votre fonction.
Toutefois, dans votre texte, vous passez en revue toute une série d'exemples de tactiques progressives, et vous dites que, selon vous, votre travail illustre précisément le type de mesures prudentes, décisives et innovatrices nécessaires pour habiliter les Autochtones afin qu'ils puissent surmonter les défis de taille qui se dressent sur leur route, et pour les aider à gagner en autonomie et à prendre en main leur vie.
Si je regarde le document de référence, préparé par la Direction générale de la recherche, sur la Loi sur les Indiens à laquelle est assujetti votre gouvernement, voici ce qu'on peut lire sous le titre « 1876-1996 : très bref historique » :
[...] La première Loi sur les Indiens, adoptée en 1876, reflétait l'importance qu'accordait le gouvernement à la gestion des terres, à l'appartenance aux Premières nations, à l'administration locale et à son objectif ultime, l'assimilation...
Pourquoi travaillez-vous sur l'autonomie et une meilleure prise en main de leur avenir, alors que rien ne laisse croire que vous êtes disposés à éliminer la Loi sur les Indiens puisqu'elle va tout à fait à l'encontre de l'objectif ultime que vous dites essayer d'atteindre?
M. Bruinooge : En ce qui concerne cette question particulière, tout d'abord, l'autonomie est un principe fondamental que je partage, et je crois que c'est le cas pour la plupart des membres de notre gouvernement. Je ne peux pas parler pour d'autres partis, comme le vôtre. Toutefois, je sais que l'autonomie, pour moi, en tant qu'Autochtone, illustre l'exemple parfait de la capacité d'atteindre une véritable liberté dans notre pays. Selon moi, la liberté est la chose la plus importante qu'on puisse avoir. Lorsque nous comptons sur quelque chose, y compris le gouvernement du Canada, nous avons tendance à ne pas savourer les mêmes libertés que celles dont jouissent d'autres qui sont autonomes. Comme philosophie, j'espère que cette vision sera bien reçue par les autres Autochtones de notre grand pays.
Pour ce qui est de la Loi sur les Indiens, dont vous venez de parler, je suis d'accord avec vous pour dire que cette loi, en soi, n'aide pas les membres des Premières nations qui y sont assujettis à atteindre l'autonomie. Nous avons pris une mesure par rapport à la Loi sur les Indiens, ce dont j'ai déjà fait mention, à savoir la révocation de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui exclut la Loi sur les Indiens de la portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En retirant cet article de la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous permettons essentiellement aux dispositions de la Loi sur les Indiens d'être assujetties à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous permettons aux membres des Premières nations dans les réserves, qui estiment que leurs droits de la personne sont violés, de présenter leurs revendications en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Le sénateur Dallaire : Nous sommes d'accord pour ce qui est de l'autonomie. Je ne conteste pas cela. Toutefois, si vous cherchez une façon plus globale d'atteindre l'autonomie, alors pourquoi prendre des mesures progressives par rapport à la Loi sur les Indiens, mesures que tous les gouvernements antérieurs ont prises au cours des 100 dernières années, et pourquoi ne pas vous charger de la loi conformément à votre responsabilité de donner aux Premières nations une plus grande autonomie et liberté?
Il est intéressant de voir que, dans le domaine du développement international, nous travaillons sur l'éducation des jeunes comme prémisse fondamentale, nous travaillons sur l'habilitation des femmes; nous travaillons sur la réconciliation et le respect; et nous travaillons énormément — en fait, nous avons un projet de loi qui essaie de renforcer cela — pour lutter contre la pauvreté abjecte. C'est ainsi que nous voulons bâtir et aider ces pays à l'étranger.
Pourquoi dites-vous que la proposition de Kelowna, qui vise précisément ces objectifs, ne fait que lancer de l'argent à un problème au lieu d'aider à réaliser une autonomie et à accroître la profondeur, la sécurité et l'indépendance pour les nations qui négocient avec la Couronne du Canada?
M. Bruinooge : Avant de répondre à cette question, je vais revenir à votre premier point sur la Loi sur les Indiens. Dans une administration antérieure, celle qui était au pouvoir avant l'ex-premier ministre Martin, le ministre Robert Nault avait proposé le projet de loi sur la gouvernance des Premières nations. À mon avis, il s'agissait d'un projet de loi merveilleux. Toutefois, il a été mis de côté immédiatement après l'arrivée au pouvoir du premier ministre Martin.
Malheureusement, l'approche adoptée dans la proposition de Kelowna, comme vous l'avez dit, ne fait que lancer de l'argent à un système qui ne produit pas les résultats que nous souhaitons. Il est irrationnel de penser qu'on peut changer un système qui donne de mauvais résultats simplement en injectant plus d'argent. Il faut apporter des changements au modèle de prestation et à la façon dont les membres des Premières nations vivent leur sentiment de responsabilisation et de gouvernance dans leurs communautés. Ce modèle est le plus grand obstacle que nous, en tant que législateurs, devons surmonter. J'ai une divergence philosophique par rapport à l'approche adoptée dans ce projet de loi pour améliorer les résultats.
Le sénateur Dallaire : C'est parfait de leur permettre de gagner en autonomie, mais pour y arriver, il faut réunir de nombreux facteurs. On a notamment besoin d'un système d'éducation qui favorise leur indépendance; ils doivent être aptes à mieux écouter leurs aînés et à évoluer de façon plus progressive. Et si ces communautés vivent sous le seuil de la pauvreté, si elles n'ont pas les logements et les réserves d'eau nécessaires pour vivre de façon décente, il est impossible de les faire cheminer vers l'autosuffisance, le prochain niveau du développement international. J'ai l'impression que vous visez très haut.
Vous ne vous attaquez pas au cœur du problème. Il faudrait procéder à une refonte totale de la Loi sur les Indiens et instaurer des méthodologies objectives et des principes fondamentaux. Vous voulez mettre la charrue devant les bœufs en tentant de favoriser l'autodéveloppement des Premières nations avant même de répondre à leurs besoins fondamentaux. Leur état de pauvreté actuel est une situation que le reste du monde considère comme un obstacle infranchissable pour atteindre les premiers échelons de l'autosuffisance économique.
Je reviens à l'Accord de Kelowna, qui est essentiellement un instrument visant à réduire et à éliminer les causes profondes de la pauvreté, c'est-à-dire les problèmes d'éducation, de logement, et cetera. Quand on aura remédié à tout ça, on pourra penser à l'autodéveloppement.
Il est intéressant de noter que l'Accord de Kelowna fait appel aux moyens, mais aussi à la volonté politique pour concrétiser la vision qu'ont les peuples autochtones de la place qu'ils devraient occuper au Canada. Voilà ce qu'est l'autonomie : le traitement d'égal à égal des différentes nations.
Pourquoi ne prenez-vous pas de telles mesures? C'est d'ailleurs par là qu'il faut commencer, même dans un contexte de développement international. Pourquoi ne prenez-vous pas le temps d'y réfléchir un peu au lieu de tout balayer du revers de la main? Ne croyez-vous pas qu'il vaudrait la peine d'y jeter un autre coup d'œil, étant donné le travail qui a déjà été fait? Il n'est pas nécessaire de tout mettre en œuvre demain matin. Les postes budgétaires peuvent être rajustés. Allez-y une étape à la fois, en vous appuyant sur ce que l'on a déjà. C'est la base d'un exercice d'autodéveloppement optimal.
Pourquoi voulez-vous saboter des mois de travail et revenir à la case départ? C'est parce que le projet a été entrepris par les libéraux, pas parce que le travail a été mal fait. Il est carrément illogique pour n'importe quel parti politique de procéder de cette façon. Une étude a déjà été réalisée. Il suffirait de prendre ce qui a été fait et de l'adapter en fonction de vos nouveaux paramètres. Pourquoi voulez-vous tout recommencer à zéro?
Le président : Je vous prie de répondre brièvement. Deux autres membres du comité ont des questions à poser.
M. Bruinooge : Vous savez, lors d'une réunion d'un comité sur lequel je siégeais, nous avons reçu l'ancien premier ministre, Paul Martin. Je lui ai alors demandé s'il pouvait nous remettre une copie de l'Accord de Kelowna pour que nous puissions l'examiner et peut-être le mettre en œuvre si le contenu nous satisfaisait.
Malheureusement, sénateur Dallaire, on ne m'a pas remis l'Accord de Kelowna quand j'ai demandé à l'examiner. Alors, pouvez-vous me dire comment le gouvernement peut mettre en œuvre le contenu d'un accord que nous n'avons jamais reçu? On nous a parlé de 5 milliards de dollars, et je serai le premier à affirmer qu'il faut investir davantage dans ce secteur. Nous avons consenti cet investissement. Nous avons injecté 3,7 milliards de dollars supplémentaires depuis notre arrivée au pouvoir, en commençant par notre budget de 2006.
Toutefois, nous sommes d'avis qu'il ne suffit pas d'investir de l'argent; il faut également apporter des améliorations majeures dans des domaines comme l'éducation. Dès que nous aurons la certitude d'avoir un régime qui permet de faire ce genre d'investissement, nous irons de l'avant.
Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous n'avons pas reçu les documents auxquels vous faites référence.
Le sénateur Dallaire : Tous ces fonctionnaires n'ont pas travaillé pendant un an et demi sans que rien ne soit produit. Tout le travail qui a mené à la rencontre de Kelowna pourrait être utilisé. Même si vous ne disposez pas d'un plan de mise en œuvre, vous avez tout le contexte pour en établir un.
En quoi contribuera-t-on à l'autodéveloppement des peuples autochtones en imposant des vérifications plus rigoureuses à l'égard des structures?
M. Bruinooge : La vaste majorité des membres des Premières nations que j'ai rencontrés réclament une gouvernance qui soit davantage responsable; ils méritent tous d'avoir un gouvernement qui rend compte de ses actes. Je sais que les dirigeants des communautés des Premières nations veulent gouverner de la façon la plus responsable possible.
Nous avons la chance de pouvoir les aider à assurer une saine gouvernance. Il est raisonnable de demander à un gouvernement de veiller à ce que l'argent qu'il investit dans les communautés des Premières nations soit consacré aux choses dont ces dernières ont vraiment besoin.
Le président : Lorsque M. Martin est venu témoigner, je crois qu'il voulait surtout parler de la portion éducation des discussions qui ont entouré l'Accord de Kelowna. Il a souligné les liens établis entre les leaders provinciaux, territoriaux et autochtones de l'ensemble du pays.
À la page 6 de votre mémoire de ce matin, on indique ce qui suit :
Nous croyons plutôt que les efforts qui porteront le plus de fruit sont les mesures que nous prenons avec nos partenaires provinciaux, territoriaux et autochtones...
Les discussions apportent toujours du bon. Vous l'avez d'ailleurs dit vous-même ce matin. Je crois que M. Martin est convaincu que des éléments positifs sont ressortis de ces discussions, et j'en suis persuadé également.
Pouvez-vous dire au comité quelles mesures pourraient être prises pour faire avancer le dossier de l'éducation, outre les commissions scolaires des Premières nations en Colombie-Britannique et la loi qui a été adoptée par la Chambre et le Sénat?
Nous sommes nombreux à étudier la question autochtone depuis plusieurs années. Certains d'entre nous font partie de ce comité depuis un bon moment d'ailleurs. L'éducation et le développement économique sont intimement liés. Nous n'avons pas beaucoup parlé du développement économique dans les discussions entourant l'Accord de Kelowna, mais l'éducation était un facteur prédominant.
Est-ce que le gouvernement fait actuellement tout ce qu'il faut pour accélérer l'établissement d'un système d'éducation adéquat pour les Premières nations, qui ne relèverait pas du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien? Je suis d'accord avec le sénateur Dallaire quand il affirme que le ministère ne sert pas ses commettants adéquatement. Nous ne pouvons jeter le blâme sur aucun gouvernement. C'est une situation inopinée qui perdure depuis plus de 100 ans. Les libéraux ont longtemps été au pouvoir, les conservateurs également, et rien n'a changé. Entrevoyez-vous des changements qui vont accélérer ce processus?
M. Bruinooge : Je conviens que nous avons besoin de meilleurs résultats, particulièrement en ce qui a trait à l'enseignement primaire et secondaire dans les réserves des Premières nations. Je crois que dans la province où j'habite, comme je l'ai indiqué, nous avons un taux de réussite peu reluisant. Comme vous êtes sans doute nombreux à le savoir, les Autochtones qui abandonnent leurs études avant l'obtention d'un diplôme d'études secondaires ont 70 p. 100 de risque de se retrouver incarcérés dans un de nos établissements pénitentiaires. C'est une corrélation tout à fait regrettable.
En instaurant un meilleur système d'éducation, on espère que ces statistiques changeront également. Donc, je dois me référer à votre province de résidence — même si vous êtes natif du Manitoba, et nous étions très désolés de vous perdre, vous habitez maintenant en Colombie-Britannique. La Colombie-Britannique a un modèle extraordinaire, auquel nous avons d'ailleurs participé à l'élaboration. Je me dois, en tant que représentant du gouvernement du Canada, de faire connaître le modèle efficace que la Colombie-Britannique a appliqué et de convaincre les autres provinces d'adopter une approche similaire. Nous pourrons donc ensuite voir une meilleure gouvernance dans les communautés des Premières nations en ce qui a trait notamment aux écoles secondaires. Espérons que nous obtiendrons alors les résultats dont nous avons besoin.
Le sénateur Hubley : J'ai beaucoup de difficulté avec l'affirmation selon laquelle l'Accord de Kelowna n'était en fait rien de plus qu'un communiqué de presse rempli de fausses promesses juste avant le déclenchement des élections fédérales.
Le cynisme est une chose dangereuse. L'accord revêt une grande importance pour le Canada, et je crois que cet énoncé représente mal tout le processus que les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et autochtones — la vision, l'espoir, le but et les objectifs — veulent mener à bien en se concertant de cette façon. C'est ce que vous avez affirmé. Vous avez ensuite essayé de vous racheter, mais ça n'a pas vraiment fonctionné.
Je veux revenir à l'éducation. Je crois que chaque Canadien a le droit de recevoir une éducation, et par « Canadien » j'entends aussi nos concitoyens Autochtones. Je ne crois pas qu'il faille abandonner une entente qui, en quelque sorte, a mis au jour les problèmes sur une tribune publique; le processus était transparent. Je suis déçue que nous n'ayons pas de plan de rechange en ce moment. On se retrouve encore avec un taux de réussite de 35 p. 100 et un taux d'échec de 70 p. 100. Ce n'est pas acceptable.
Pour reprendre une expression que notre éminent président a utilisée avec chaque gouvernement au fil des ans, nous ne rendons pas service à la population canadienne.
J'ai l'impression que vous n'écoutez que ce que vous voulez entendre, et cela ne donne certainement pas espoir aux peuples autochtones que les choses vont changer. Nous travaillons en partenariat. Je ne crois pas que le changement sera opéré par un seul groupe. Je ne crois pas non plus que les gouvernements fédéral et provinciaux ont la réponse; peut-être que les communautés autochtones l'ont. Par contre, si on travaille ensemble et qu'on met ces partenariats en place, il y a sans doute de l'espoir. Voulez-vous réagir à ce commentaire ou préférez-vous qu'on passe au prochain intervenant?
M. Bruinooge : Je répondrai brièvement à votre question et à vos commentaires.
Pour ce qui est de votre première observation, j'ai fait cet énoncé par rapport aux résultats de la première rencontre qui a eu lieu à Kelowna à l'automne 2005. Aucune entente n'a été conclue, et ce n'était pas par manque de crayons, de papier ou de document à signer : on n'arrivait tout simplement pas à s'entendre sur l'attribution des sommes proposées. Différents groupes d'intérêts autochtones représentant des populations dans les réserves et à l'extérieur n'étaient pas d'accord quant à la meilleure façon d'allouer ces ressources. Ce différend a probablement été la principale raison derrière l'échec de l'entente.
Si on veut aller de l'avant, il est important d'aider les Autochtones hors réserve à s'intégrer aux centres urbains dans lesquels ils vivent. Il faudra réellement se pencher sur ce problème.
Pour ce qui est de l'éducation, beaucoup de parents choisissent d'envoyer leurs enfants dans des écoles hors réserve, vu les piètres résultats obtenus dans les écoles des réserves. Une décision qui équivaut à une véritable condamnation du système actuel.
Personnellement, je veux m'assurer qu'on applique ailleurs au pays le modèle de gouvernance adopté sur la côte Ouest.
Le sénateur Sibbeston : J'ai pris connaissance du financement qui aurait été accordé aux Autochtones de 2006 à 2010. En vertu de l'Accord de Kelowna, 1,2 milliard de dollars auraient été alloués, tandis que le gouvernement actuel fournira 90 millions de dollars. C'est une énorme différence.
En tant qu'Autochtone, vous vous trouvez dans une position unique pour exercer une certaine influence et peut-être même avoir le pouvoir de faire bouger les choses dans de telles situations. Pouvez-vous faire quelque chose? Pouvez- vous promettre aux Autochtones de notre pays que vous prendrez des mesures pour qu'on investisse davantage dans l'éducation?
M. Bruinooge : Vous affirmez que seulement 90 millions de dollars additionnels seront offerts, mais ce n'est pas exact. Le budget de 2006 prévoyait un montant supplémentaire de 3,7 milliards de dollars pour appuyer les communautés autochtones et des Premières nations. Il s'agit d'une hausse remarquable de 500 p. 100 par rapport aux budgets antérieurs, dont quatre avaient été établis par le gouvernement précédent.
Nous avons investi de nouvelles sommes considérables. Le gouvernement libéral avait fait bien des promesses. Le point que je voulais faire valoir, c'est que le gouvernement libéral avait fait une foule de promesses s'élevant à plus de 25 milliards de dollars, et il lui aurait été impossible de toutes les tenir. L'ancien gouvernement Martin aurait dû établir une liste de priorités s'il avait été porté au pouvoir, mais cela n'a pas été le cas.
Parmi toutes les promesses qu'ils ont faites, auraient-ils choisi les 5 milliards de dollars pour l'Accord de Kelowna? Si on se fie à leur dossier des années précédentes, pendant qu'ils étaient au pouvoir, je suis enclin à penser qu'ils ne l'auraient pas fait. Ce n'est que mon opinion.
Le sénateur Sibbeston : Je pense que M. Bruinooge inclut l'argent des pensionnats indiens dans ce chiffre, et je pense qu'il n'est ni juste ni exact de dire que cet argent est destiné à l'éducation.
Le président : C'est noté. Monsieur Bruinooge, nous vous remercions d'avoir comparu ce matin. Nous savons que vous avez un autre engagement. Nous vous sommes reconnaissants d'être venu tôt. Nous vous remercions de votre exposé et de vos réponses franches et directes aux questions des sénateurs. Au fur et à mesure que nous avancerons dans nos délibérations, il est à espérer que la partie concernée que nous essayons tous de desservir en profitera. Si le dialogue aide à faire avancer le processus, je suis certain que la présente réunion du comité y sera pour quelque chose.
Nous allons maintenant suspendre nos travaux pendant cinq minutes pour tenir une séance à huis clos. J'ai besoin d'une motion pour autoriser le personnel à rester dans la salle pendant que nous siégeons à huis clos.
Le sénateur Campbell : Je le propose.
Le président : Êtes-vous d'accord?
Des voix : D'accord.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.
La séance publique reprend.
Le président : Nous accueillons aujourd'hui Patrick Brazeau, chef national du Congrès des Peuples Autochtones. Soyez le bienvenu, monsieur Brazeau, et merci d'avoir accepté l'invitation du comité de venir témoigner au sujet de l'Accord de Kelowna. Veuillez commencer votre exposé, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.
Patrick Brazeau, chef national, Congrès des Peuples Autochtones : Merci, sénateur St. Germain. C'est un plaisir pour moi que d'être ici pour discuter du projet de loi C-292 sur l'Accord de Kelowna et des faits derrière cette initiative.
[Français]
Je me présente devant le comité en qualité du plus jeune dirigeant autochtone national au Canada. L'avenir des jeunes Autochtones et leur place dans la société canadienne ont une importance capitale pour moi et l'organisme que je dirige. Le Congrès des Peuples Autochtones a une longue histoire de défense des intérêts des Canadiens autochtones hors réserve, qui ont été marginalisés et oubliés par les gouvernements. Je vis à l'extérieur des réserves comme je l'ai fait pendant presque toute ma vie. Mes parents ont fait de moi un fier membre de la nation algonquienne, un Québécois et un fédéraliste.
[Traduction]
Le Congrès des Peuples Autochtones, ou CPA, est un organisme national dont les membres sont affiliés à des organismes provinciaux qui partagent les mêmes idées. Nous nous efforçons d'être inclusifs et de briser les barrières imposées à notre peuple par la Loi sur les Indiens, qui exerce une discrimination fondée sur la race et sur le sexe. Les divisions sont profondes et douloureuses. Parmi les membres du Congrès des peuples autochtones figurent des 6-1 et des 6-2, des C-31, des Indiens inscrits et non inscrits, chacune des versions différentes du statut d'Indien selon les caprices de la Loi sur les Indiens. En dehors de la Loi sur les Indiens, il y a les peuples métis qui forment une partie des membres du CPA. Pour votre information, je ne suis pas devenu un Indien, tel que vous comprenez l'expression, avant 1985.
Grâce à l'imbroglio législatif créé par la Loi sur les Indiens, le groupe que je représente est la cause de beaucoup de conflits et de débats en matière de compétence entre les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux, et les conseils de bande des Premières nations partout au Canada. Je suis douloureusement conscient que mes observations aujourd'hui me placeront dans une position minoritaire par rapport aux exposés que vous avez entendus de nombreux autres commentateurs de la scène autochtone. Franchement, le groupe que je représente est tellement habitué d'être traité comme une minorité gênante par les gouvernements que je suis fier de faire bande à part et de représenter une position différente, plus pragmatique, sur l'Accord de Kelowna et sur la loi proposée par M. Martin à cet égard.
Je vais répéter certaines des observations que j'ai partagées avec vos collègues de l'autre endroit parce qu'il est important que les gens comprennent comment notre position actuelle sur l'Accord de Kelowna a évolué.
Initialement, le Congrès des Peuples Autochtones était enthousiasmé par l'intention du processus de tables rondes qui a mené à l'Accord de Kelowna. Nous avons participé pleinement. Au départ, l'entreprise de Kelowna était une offre d'inclusion et d'accommodements, une quête visant à dépasser la politique partisane tant au niveau des parlementaires qu'au niveau de l'appareil gouvernemental et au sein de cinq organismes autochtones nationaux reconnus.
Pour aider à baliser notre discussion, il est nécessaire de répéter des chiffres importants. La publication récente des données du recensement de 2006 par Statistique Canada a confirmé ce que nous savions depuis des années. Seulement 26 p. 100 des Canadiens autochtones vivent sur des réserves. Une nouvelle donnée statistique a été publiée par Statistique Canada la semaine dernière : la population autochtone dont la croissance est la plus rapide au Canada est constituée des Indiens non inscrits. On s'attend à ce qu'à lui seul, ce groupe augmente de 77 p. 100 d'ici 2026. Ces chiffres sont importants parce qu'ils devraient forcer le gouvernement à repenser ses priorités en matière de dépenses. J'insiste sur ce point, pour les fins du compte rendu, pour que ce soit plus clair : nous ne voulons pas diminuer les arrangements faits pour nos frères et nos soeurs qui vivent sur les réserves. Il est clair qu'il faut relever des défis. Toutefois, nous ne sommes pas convaincus que l'argent, et beaucoup d'argent, soit la réponse au défi auquel sont confrontés tous les peuples autochtones, peu importe le lieu de résidence.
Au cours des dernières semaines du processus de tables rondes, le CPA était profondément découragé et démoralisé de voir que le gouvernement du jour avait abandonné une composante importante du processus de tables rondes traitant de la responsabilisation. Ce n'était pas la première fois que le gouvernement libéral avait renoncé à la question de la responsabilisation dans le cas des programmes et des services aux Autochtones.
Le député, qui était l'auteur de ce projet de loi, alors qu'il briguait la direction de son parti en 2003, a caractérisé une initiative importante de son propre gouvernement en matière de responsabilisation comme ayant empoisonné le puits des relations autochtones. C'était un jour triste pour le Canada et ses citoyens des Premières nations. J'ai participé directement à l'initiative du gouvernement libéral visant à amener de la responsabilisation et des structures de base à cet effet dans les collectivités des Premières nations. Beaucoup de gens ont vu ce projet de loi comme une source d'espoir pour un avenir meilleur.
Au moment où la Loi sur la gouvernance des Premières nations a été abandonnée, M. Martin et l'Assemblée des Premières Nations nous ont promis un meilleur moyen pour traiter des questions de responsabilisation. Nous attendons toujours. À la lumière de ce besoin, est-ce que Kelowna était la réponse? Il est clair que non.
En ce qui concerne les investissements fédéraux dans les programmes autochtones, le CPA a publié une analyse des dépenses fédérales dans un rapport intitulé Où va l'argent? En l'absence d'un bulletin clair et facilement accessible des dépenses de programmes autochtones, nous avons pris l'initiative d'examiner des milliers de subventions et contributions fédérales dans le but de mieux comprendre l'environnement du financement. Au cours de notre examen, nous avons recensé plus de 6 000 subventions et contributions faites par 30 ministères fédéraux à plus de 2 000 récipiendaires. Nous avons constaté au cours de notre examen que le système de déclaration du gouvernement est profondément déficient. En conséquence, nous n'avons pu retracer que 5,6 milliards de dollars sur les 10 milliards de dollars annoncés en dépenses pour les programmes et services aux Autochtones. Peut-être que la tendance la plus fondamentale qui est apparue à la suite de cet examen, c'est que cet examen a soulevé plus de questions qu'il n'en a pas résolues.
Toutes les questions soulevées sont pertinentes aux délibérations actuelles du comité sur le projet de loi C-292. Pour économiser du temps, j'ai joint ces questions à une annexe du présent exposé que vous recevrez plus tard cet après-midi des mains de la greffière. Je m'en excuse. Ces questions et réponses constituent la substance de notre opposition à la version finale du soi-disant Accord de Kelowna. En termes simples, toute la question tourne autour de l'absence fondamentale de responsabilisation. Malheureusement, beaucoup de mes homologues d'autres organismes autochtones nationaux rejettent mes appels en faveur d'une plus grande responsabilisation et d'une plus grande transparence.
[Français]
En particulier, mes collègues des Premières nations s'empressent de rejeter les efforts du gouvernement visant à assurer une plus grande imputabilité, s'appuyant plutôt sur les critiques de la vérificatrice générale sur les régimes de rapports existant des programmes et des services aux Autochtones. Mais s'appuyer uniquement sur cet aspect de l'imputabilité revient à faire abstraction à la question des 10 milliards de dollars. Pratiquement, tous les rapports du vérificateur général comprennent un commentaire soulignant un problème courant des programmes et services aux Autochtones, c'est-à-dire le manque de clarté des rôles, des responsabilités et des mandats d'exécution de ces programmes et services.
[Traduction]
L'Accord de Kelowna a promis beaucoup d'argent. Il a créé des attentes chez les organismes autochtones nationaux, dans les provinces, chez les Premières nations et chez les fonctionnaires fédéraux. Toutefois, avons-nous fait nos devoirs pour nous assurer que l'argent est affecté aux priorités, aux programmes et aux services qui reflètent adéquatement les réalités véritables des peuples autochtones à partir des données existantes? Soyons francs : nous ne l'avons pas fait. Honorables sénateurs, il n'en demeure pas moins que tous les intervenants de Kelowna ont commencé à découper et à consommer la tarte avant qu'elle soit cuite.
En l'absence d'un cadre de responsabilisation, l'absence de clarté concernant les rôles, les responsabilités et les mandats, et les attentes démesurées quant à savoir qui recevra combien d'argent et pourquoi ont engendré une concurrence malsaine pour l'obtention de ces ressources et ont permis qu'il y ait clairement des gagnants et des perdants au sein des collectivités autochtones.
Permettez-moi, s'il vous plaît, de poser une question des plus pertinentes. Vingt-six ans après que l'article 35 a été enchâssé dans la Constitution du Canada, permettant au gouvernement du Canada de reconnaître les Métis comme des peuples autochtones du Canada, il n'y a toujours pas de définition fonctionnelle permettant de dire qui est et qui n'est pas un Métis au Canada. Puisqu'il en est ainsi, comment le gouvernement du Canada peut-il savoir que le financement accordé pour les peuples dans le cadre de l'Accord de Kelowna est la somme d'argent appropriée pour répondre aux besoins de cette population? La réalité, c'est que les Métis et les Indiens non inscrits sont au coeur du conflit fédéral- provincial concernant les programmes et les services aux Autochtones.
Le CPA est actuellement en train de débattre devant les tribunaux le travail inachevé entourant cette question dans l'affaire Daniels c. Canada. Le but de cette poursuite judiciaire est la reconnaissance des Métis et des Indiens non inscrits comme une responsabilité fédérale en vertu de l'article 91.24 de la Constitution du Canada. Nous espérons ainsi que des tribunaux mettront un terme aux querelles de compétence entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux concernant les Métis et les Indiens non inscrits et les programmes et les services qui s'adressent à eux. Nous le faisons à causes des promesses non tenues et des engagements ignorés des architectes de Kelowna. Dans son adresse en réponse au discours du Trône en février 2004, un ancien premier ministre a dit :
De concert avec nos partenaires, nous nous attaquerons aux problèmes particuliers auxquels font face les Autochtones, qui sont de plus en plus nombreux à vivre en milieu urbain, et les Métis. Nous ne nous laisserons pas enliser dans d'interminables disputes sur les compétences, où on refile les problèmes aux autres et où on contourne les besoins de ces populations.
Si Kelowna a donné des fruits qui ont permis de réaliser cette noble promesse, je n'arrive pas à les voir. J'étais là et aucune mesure de ce genre n'est sortie de la réunion des premiers ministres pour réaliser ce noble objectif. Rappelez- vous : seulement 26 p. 100 de la population autochtone du Canada vit dans les réserves. D'après notre examen des subventions et contributions fédérales, nous estimons que 92 p. 100 du financement est attribué aux conseils de bande et à leurs organismes de prestation de services et à leurs organismes représentatifs. Nous n'avons pas la moindre idée des sommes d'argent que les provinces dépensent pour répondre aux besoins des Canadiens autochtones. Si le système de déclaration des dépenses du gouvernement fédéral est mauvais, on peut dire que les systèmes de déclaration provinciaux semblent inexistants.
En ce qui concerne l'appareil gouvernemental, les politiques et les lignes directrices du Conseil du Trésor regorgent d'instructions adressées au gouvernement concernant la nécessité de la diligence requise, de la prise de décision fondée sur les faits et de l'allocation des ressources en fonction des priorités et des besoins. Le public canadien est devenu ouvertement hostile et méfiant à l'égard des dépenses de programmes qui placent l'opportunisme politique au-dessus des principes régissant le bon gouvernement. À notre point de vue, Kelowna a évolué non pas comme une occasion d'inclusion et d'accommodements, mais comme un opportunisme politique.
En terminant, la notion d'autonomie gouvernementale est importante pour les Canadiens autochtones. À l'heure actuelle, notre organisme travaille à élaborer des systèmes de gouvernement et des organismes de prestation de programmes et de services partout au pays. Je ne vous le cacherai pas, c'est une véritable bataille pour y arriver et pour y arriver correctement, mais nous sommes déterminés à réussir. Alors que nous nous efforçons d'établir un équilibre entre les notions de gouvernance traditionnelle et moderne, le gouvernement du Canada demeure non seulement notre principal bailleur de fonds, mais également un exemple de norme en matière de pratiques de gouvernance acceptables et, peut-être, un exemple de pratique exemplaire.
Je vous invite, à titre de parlementaires, à prendre en considération ce que les Canadiens autochtones apprendront de l'exemple que vous leur donnerez si ce projet de loi est adopté en l'absence d'une résolution honnête des questions liées à l'absence de mesures de responsabilisation.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Bonjour, Monsieur Brazeau. À quel endroit demeurez-vous?
M. Brazeau : Dans l'Outaouais.
Le sénateur Dallaire : Votre présentation est très claire. Les Autochtones habitent en général dans les réserves mais d'autres non. Il y a également le statut de Métis et aussi celui de non-étatique. Parmi toutes ces situations de vie, laquelle est la plus criante quant aux besoins essentiels des populations autochtones pour ce qui est de la santé, l'éducation, les services sociaux et la stabilité socioéconomique?
M. Brazeau : Premièrement, tous les Autochtones au Canada sont à risque. Toutefois, seulement les Autochtones vivant dans les réserves relèvent de la compétence du gouvernement fédéral et ce, depuis plusieurs années. Pour chaque 8 dollars que le gouvernement fédéral dépense pour les réserves, seulement un l'est à l'extérieur des réserves. C'est à cause des politiques du gouvernement fédéral, qui a imposé différentes classes aux Autochtones. Le fait que je vive hors réserve ne devrait pas m'empêcher d'avoir accès à moins de ces services, mais c'est la position que le gouvernement fédéral a prise dans l'Accord de Kelowna et même avant cela.
Le sénateur Dallaire : Si vous vivez hors réserve, comme tout autre citoyen canadien, croyez-vous tout de même être en mesure d'établir votre autodétermination? Pouvez-vous choisir plus librement ou avec plus de flexibilité l'orientation de votre nation dans ce contexte plutôt que celui des réserves?
M. Brazeau : C'est difficile simplement du fait qu'on vive hors réserve, même si on a fait ce choix individuellement pour des raisons socioéconomiques. D'une part, c'est plus difficile parce qu'on est traité différemment par les différents paliers de gouvernement. D'autre part, les gouvernements fédéral et provinciaux se renvoient la balle pour savoir de quelle compétence chacun de nous relève. De ce fait, on n'a pas un accès égal aux occasions, car le gouvernement fédéral offre moins de ces occasions pour le bénéfice des gens qui vivent dans les réserves.
Le sénateur Dallaire : L'argument concernant la faiblesse de l'Accord de Kelowna est que, suivant sa philosophie qui semble quasiment paternaliste ou colonisatrice, on donne des fonds à des gens sans nécessairement bâtir leur autosuffisance et leur capacité de s'autodéterminer.
Vous avez pris la décision de vous autodéterminer et d'établir votre gouvernance en vivant hors de la réserve. Est-ce un principe de base, dépendamment de ma deuxième question, qui portera sur les ressources?
M. Brazeau : Nous sommes tous d'accord sur le fait que l'exercice de Kelowna, pour réduire le taux de pauvreté entre les Autochtones et le reste de la population canadienne, est un effort auquel nous voulons tous aboutir. Mettre un tas d'argent dans les mains des chefs, des communautés et des organisations sans aucun régime d'imputabilité, qui assurerait des résultats ultimement, de sorte que tous les Canadiens puissent les voir de leurs yeux, n'est pas la bonne façon d'agir.
Ces problèmes sont survenus aussitôt que la Loi sur les Indiens a été imposée aux Autochtones. Mettre un paquet d'argent dans les communautés sans aucun régime d'imputabilité ne réduit pas le taux de pauvreté. Il faut avoir un système d'imputabilité qui nous permettra de voir, en termes d'individus, s'il y a progrès ou non.
Le sénateur Dallaire : Mais le débat de fond, c'est qu'on veut pouvoir débattre de nation à nation. On veut que les Autochtones soient capables de s'autogérer; cela fait tout de même 150 ans que la loi a été établie. Ils n'ont peut-être pas toutes les compétences, les méthodologies, la bureaucratie et la paperasse que nous avons. Ne considérez-vous pas cela un peu paternaliste de présumer que si nous leur donnons de l'argent, ils vont le flamber, s'enivrer, feront des fêtes et ne feront plus rien par la suite? Cela ne fait-il pas partie du processus de prendre des risques à investir, sachant fort bien qu'ils n'auraient pas nécessairement tous les outils? Cela ne fait-il par partie de l'apprentissage? C'est ce qui est fait dans les pays du tiers-monde, comment se fait-il que nous ne soyons pas capables de le faire ici?
M. Brazeau : C'est un argument valable de parler de nation à nation, mais nous n'en sommes pas là. Je suis un fier membre de la nation algonquienne, mais telle qu'elle était avant la Loi sur les Indiens. Nous n'en sommes plus là. En effet, nous sommes fracturés en neuf différentes communautés dont la population de certaines est de moins de 300 habitants. À mon avis, il ne s'agit pas d'une nation. C'est une question à part qui devrait être traitée dans le futur et il faut reconstituer nos vraies nations : la nation crie, micmac, algonquienne, ainsi de suite. Nous n'en sommes pas là parce que nous avons un système de réserve qui a fracturé nos nations, alors l'Accord de Kelowna ne puisera pas à même l'argent qui devait être investi dans l'initiative pour aider les communautés à reformer leurs nations.
[Traduction]
Le sénateur Sibbeston : Bonjour, monsieur Brazeau. Je suppose que vous avez participé à la réunion des premiers ministres à Kelowna et que vous étiez d'accord. Cependant, à un moment donné, plus tard, vous avez fait savoir que vous n'étiez pas d'accord. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'idée?
Dans votre déclaration, vous avez mentionné à plusieurs reprises l'absence de responsabilisation et la nécessité d'investir plus d'argent dans la population hors réserve. Voulez-vous faire des observations sur ce changement?
M. Brazeau : Vous avez raison, sénateur. Nous attendions avec impatience la réunion des premiers ministres de novembre 2005. Toutefois, la même semaine qu'a eu lieu la réunion des premiers ministres, l'ancien gouvernement libéral a retiré le cadre et les structures de responsabilisation sur lesquels nous avions travaillé au cours d'un processus de 18 mois menant à la réunion des premiers ministres.
Le premier jour de la réunion des premiers ministres, nous ne savions pas quelle serait la somme d'argent. Ce n'est qu'à la conclusion de la réunion que la somme de 5,1 milliards de dollars a été annoncée par l'ancien gouvernement libéral.
Le président : Pour plus de précision, s'agit-il du projet de loi Nault?
M. Brazeau : Non, il s'agit de l'Accord de Kelowna.
Le président : Est-ce que vous faites allusion au projet de loi Nault concernant la responsabilisation?
M. Brazeau : Non. Dans le cadre du processus de tables rondes, il y avait des tables rondes sur les négociations, le logement, l'éducation, le développement économique et la responsabilisation. Cependant, c'était au cours de la semaine de la réunion des premiers ministres que l'ancien gouvernement libéral a retiré les cadres portant sur la responsabilisation. Les cinq organismes autochtones nationaux, les provinces et le gouvernement fédéral ont au moins eu des discussions sur la question et se sont entendus, mais cela a été retiré la même semaine.
Nous avons eu des réunions avec l'ancien ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, Andy Scott, jusqu'à la onzième heure de la réunion des premiers ministres pour nous assurer que la majorité des Canadiens autochtones ne soit pas exclue de ce processus, ceux qui vivent hors réserve. La seule chose que le ministre a pu faire à ce moment-là, c'était de signer une lettre précisant que nous serions traités non pas de manière égale, mais de manière équitable. Et puis, trois jours après la conclusion de la réunion des premiers ministres, où l'on nous avait dit que nous serions traités de manière équitable, une entente a été signée entre l'Assemblée des Premières Nations et le gouvernement du Canada de l'époque pour régler les questions de gouvernance.
Nous avons été laissés de côté, mais on nous avait dit qu'on ne nous laisserait pas de côté. C'est ce qui a laissé un goût amer dans la bouche des membres du congrès — les dirigeants du congrès et les représentants de la population autochtone —, qu'ils aient été laissés de côté.
Le sénateur Sibbeston : Voyez-vous quelque chose dans les politiques ou dans les dépenses du gouvernement actuel qui porterait sur vos préoccupations? Avez-vous vu un changement dans les actions du gouvernement, dans la façon dont il aborde ces questions, particulièrement avec votre groupe des Indiens et des Métis vivant hors réserve? Êtes-vous optimiste face à la situation maintenant? Est-ce que le gouvernement s'occupe de vos préoccupations?
M. Brazeau : D'abord et avant tout, il y a toujours cette question de compétence pour les gens que je représente, question dont j'ai parlé plus tôt. La querelle se poursuit toujours. Nous avons engagé des poursuites contre le gouvernement fédéral sur cette question de compétence; alors, sur ce front, j'espère qu'il y aura au moins une résolution de cette question dans l'avenir.
En ce qui concerne les investissements précis du gouvernement actuel, de toute évidence, pour ce qui est de la population hors réserve, il y a eu un investissement de 300 millions de dollars pour le logement hors réserve. Si je ne m'abuse, c'était une première dans l'histoire canadienne — des investissements réels pour la population hors réserve en matière de logement.
C'est un exemple particulier. Toutefois, si nous voulons régler les problèmes autochtones et l'élément négatif qui vient hanter les peuples autochtones, nous devons regarder les questions systémiques — le coeur du problème —, c'est- à-dire la Loi sur les Indiens.
Je pense qu'il y a eu des tentatives faites par d'anciens gouvernements, y compris l'ancien gouvernement libéral et le ministre Robert Nault, pour apporter des changements à la Loi sur les Indiens qui amèneraient une plus grande responsabilisation et une plus grande transparence. Encore une fois, l'ironie, c'est que c'est l'ancien premier ministre du pays qui a tué ce texte législatif. Par conséquent, je ne vois pas beaucoup d'espoir à partir de maintenant, sauf pour dire que si nous ne réglons pas les problèmes systémiques qui hantent nos peuples — la Loi sur les Indiens et la question de la responsabilisation —, nous n'offrirons aucun espoir à nos gens. C'est pourquoi il est important de cibler ces problèmes maintenant.
Le sénateur Peterson : Acceptez-vous la prémisse qu'il faudra une approche faisant intervenir plusieurs paliers de gouvernement pour régler les problèmes que vous avez soulevés? En d'autres mots, il faudra la participation du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux, des territoires et des peuples autochtones pour apporter ce changement.
M. Brazeau : Absolument. Nous savons que le gouvernement fédéral a dépensé beaucoup d'argent pour les peuples autochtones. Et la même chose est vraie des gouvernements provinciaux et municipaux. Cependant, nous devons régler cette question de compétence. Il importe peu de savoir qui fait quoi, tant et aussi longtemps que chacun connaît sa propre sphère de compétence pour ce qui est d'être en mesure, ultimement, d'offrir les services.
Que ce soient les gouvernements fédéral, provinciaux, des Premières nations ou les municipalités qui offrent les services, il faut que les différents paliers de gouvernement qui fournissent ces services comprennent bien les rôles, les responsabilités et les mandats et, pour le moment, il n'existe aucune synchronisation dans ce sens entre les différents paliers de gouvernement.
Le sénateur Peterson : Ne croyez-vous pas que cela était prévu dans l'Accord de Kelowna? L'ancien gouvernement avait réuni les parties et cette question a été débattue pendant 18 mois. Bien sûr, certaines personnes ont été déçues par des éléments de cet accord, mais la perfection n'est pas de ce monde. Au fond, le gouvernement a réuni les décideurs chargés de cette question.
Croyez-vous que la mise en œuvre de l'accord aurait permis cette responsabilité, cette transparence et les questions de compétences? À mon avis, cela ne devait pas se faire, et voilà où nous en sommes. La procédure ne devait-elle pas être permanente?
M. Brazeau : Malheureusement, je ne le pense pas. Je ne crois pas qu'un seul premier ministre ou qu'une seule province pourraient vous dire le montant d'argent qu'ils étaient supposés recevoir en vertu de l'Accord de Kelowna. Si vous demandiez à n'importe quel dirigeant national autochtone le montant qui devait être versé à son organisation ou collectivité, il ne pourrait pas vous le dire.
N'oublions pas que les 5,1 milliards de dollars ont été annoncés le dernier jour de la première réunion des ministres à l'approche des élections fédérales. Il est aussi important de rappeler que le Parlement n'a pas voté sur les 5,1 milliards de dollars qui devaient être investis dans cette initiative.
Au sujet de la responsabilité, je pense que la plupart des provinces — qui ont participé pleinement, tout comme les organisations nationales autochtones — ont rejoint cette initiative croyant que le gouvernement fédéral allait assumer la totalité des coûts. Aucun des premiers ministres que j'ai entendus à cette réunion n'a dit qu'il allait faire des investissements. Ils croyaient que le gouvernement fédéral allait tout payer.
Par conséquent, je ne suis pas très sûr que l'on aurait les questions de responsabilité si le processus avait été entamé. Il aurait été préférable d'avoir, dès le départ, des principes directeurs qui nous auraient guidés vers l'avenir.
Le sénateur Peterson : Les provinces pensent que le gouvernement fédéral devrait payer pour tout, pas seulement pour les problèmes qui touchent les Autochtones.
Si ce n'est pas Kelowna, quel est le modèle alors?
M. Brazeau : Comme je l'ai dit, il faut commencer par examiner la Loi sur les Indiens. Il y a plus de 130 ans que nous sommes régis par la Loi sur les Indiens et aujourd'hui, en 2008, nous nous heurtons encore aux mêmes problèmes socioéconomiques qu'il y a 130 ans. Nous cherchons toujours à avoir les mêmes chances qui sont offertes aux autres Canadiens. Nous essayons encore d'offrir à notre peuple un enseignement similaire à celui que reçoivent les Canadiens non autochtones.
C'est le problème essentiel pour les Autochtones. Ce problème accompagne tout Autochtone de sa naissance à sa mort. Il offre peu de possibilités en termes de développement économique ou de capacité autosuffisante. Peu de ressources naturelles peuvent être lucrativement exploitées par les Autochtones des collectivités des réserves. Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous devons chercher le moyen de reconstituer nous-mêmes les véritables Premières nations historiques.
Je suis Algonquin. La nation algonquine existait avant l'entrée en vigueur de la Loi sur les Indiens — une nation, un chef, un seul ensemble de règles, une constitution et des lignes directrices. Aujourd'hui, nous sommes dispersés dans neuf collectivités ayant chacune leur propre volet de financement. Neuf dirigeants contrôlent les fonds et décident de la façon dont ils seront dépensés, où ils seront dépensés et qui en profitera.
Cela ne fait pas partie de notre tradition. Ce système a été imposé et il a divisé notre peuple et nos collectivités. Nous devons supprimer la Loi sur les Indiens et mettre en place un système qui nous permettrait de reconstituer nos véritables Premières nations historiques telles qu'elles existaient avant l'arrivée du grand Satan.
Le sénateur Peterson : Je vous rejoins tout à fait sur ce point. Ce qui m'inquiète, c'est qu'en attendant ce système nous n'avançons plus, et c'est aussi une préoccupation. Nous devrons régler tous ces problèmes.
Le sénateur Gustafson : Vous avez mentionné le problème des désaccords entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour déterminer qui est responsable. J'ai été pendant 14 ans, député représentant Souris—Moose Mountain, qui compte cinq réserves. Le plus gros problème était de mettre d'accord le gouvernement fédéral et les provinces sur la question de savoir qui était responsable.
Par exemple, environ 10 p. 100 de la population d'une municipalité ont déménagé dans un établissement agricole. Ils ignoraient qui allait assumer les coûts de différents travaux effectués par les municipalités, comme le nivellement des routes, le déneigement, et cetera. Ils ne savaient pas qui était responsable. Ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement provincial ne voulaient assumer cette responsabilité. Je ne sais plus le nombre d'appels téléphoniques faits, de lettres rédigées et de réunions. Je ne sais pas si ce problème a été résolu.
Ces problèmes surgissent et les Autochtones n'ont aucune responsabilité. Ils sont coincés entre les deux gouvernements.
Vous avez mentionné ce problème, j'aimerais que vous me disiez à quel point il est grave.
M. Brazeau : C'est un grave problème. En gros, tout le monde veut avoir le pouvoir mais personne ne veut la responsabilité. Les organisations nationales autochtones se trouvent dans une situation on ne peut plus difficile. Nous sommes constamment confrontés à cette question de compétence à cause de nos électeurs. Même les Indiens inscrits vivant à l'extérieur des réserves sont touchés par ce débat de compétence entre les deux paliers de gouvernement.
Nous devrons, toutefois, établir un dialogue avec les différents paliers de gouvernement sur les questions de compétences. Nous savons tous que le gouvernement fédéral, ainsi que les gouvernements provinciaux et les autorités municipales, dépensent beaucoup d'argent pour les Autochtones. Cependant, si l'on pouvait dire de manière ouverte et transparente combien d'argent est dépensé et dans quels domaines, alors nous pourrions au moins avoir une conversation éclairée sur la façon d'utiliser au mieux ces ressources afin de maximiser les profits et les résultats. Pour l'heure, si les différents paliers de gouvernement ne règlent pas ce problème de responsabilité, il y aura alors probablement un dédoublement des services fournis et le travail des différents paliers de gouvernement ne sera pas aussi efficace qu'il aurait pu l'être.
Le président : Avant de donner la parole au sénateur Lovelace Nicholas, j'aimerais poser une question. Quel pourcentage de la totalité des Premières nations représentez-vous? Êtes-vous élu par les membres ou par les chefs?
M. Brazeau : Tout d'abord, 79 p. 100 de l'ensemble de la population autochtone, y compris les Métis, les Inuits et les peuples des Premières nations, vivent à l'extérieur des réserves. Cinquante-quatre pour cent des Indiens inscrits vivent aussi à l'extérieur des réserves. Les 79 p. 100 de la population vivant à l'extérieur des réserves sont les électeurs que j'ai mentionnés.
Je suis fier de dire, qu'à la dernière assemblée de 2006 à laquelle j'ai été élu, que parmi environ 200 personnes, seulement dix ayant le titre de président ou de chef ont pu voter pour moi. Par conséquent, des Autochtones qui vivent dans toutes les régions du Canada, qui se portent bénévoles, qui travaillent dans des organismes de prestation de services et qui sont vraiment des gens de la base peuvent voter. Ce sont eux qui m'ont élu.
Le sénateur Lovelace Nicolas : Premièrement, mes ancêtres étaient aussi des Algonquins.
Vous avez dit que les gens qui vivent dans les réserves sont les seuls qui reçoivent tous ces fonds. Pourtant, les gens qui vivent dans ces collectivités sont pauvres. Je ne crois pas qu'ils aient la possibilité de déménager hors des réserves.
Un grand nombre d'entre eux déménageraient s'ils avaient la possibilité et les ressources. C'est la raison pour laquelle il faut plus de ressources pour les aider à déménager au lieu de les laisser vivre dans les réserves. Je suis sûre qu'ils ne veulent pas y vivre en raison de la pauvreté des réserves.
M. Brazeau : Vous soulevez un point intéressant pour lequel je me suis battu pendant plusieurs années. J'ai entendu des chefs de toutes les régions du pays demandaient plus d'argent. Je ne dis pas qu'ils ont raison ou tort, mais en tant qu'Autochtone, je veux être sûr que le financement investi dans ces collectivités est dépensé à bon escient et bien utilisé par les dirigeants partout au pays.
Je ne qualifierais pas tous les dirigeants d'irresponsables, mais les statistiques du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien indiquent qu'un tiers des collectivités des réserves éprouvent des difficultés financières, même si ces difficultés sont gérées par un tiers ou au moyen de mesures de remédiement.
Par conséquent, je sais pertinemment qu'un grand nombre d'ententes de financement calculé en fonction de la population est versé à ces collectivités. En tant qu'Indien inscrit vivant à l'extérieur de la réserve, j'entre en compte dans le financement calculé en fonction de la population versé à ma réserve. Étant donné qu'un grand nombre de personnes vivent à l'extérieur des réserves — et j'ai entendu cela directement de citoyens des Premières nations partout au Canada —, elles n'ont pas accès aux programmes et services financés pour leur collectivité. Si ces personnes ne peuvent pas avoir accès à ces services, alors où est dépensé cet argent et pour qui?
J'aimerais que la responsabilité et la transparence au plan des investissements actuels fassent l'objet d'un plus grand débat, car la Loi sur les Indiens ne favorise pas cette responsabilité et cette transparence. Beaucoup d'experts dans tout le pays ont dit que cette situation nourrissait la corruption. Est-ce le cas? C'est à chacun de juger, mais nous pourrions au moins avoir cette discussion. Malheureusement, de telles situations se produisent.
Le sénateur Hubley : Est-ce que le mandat du vérificateur général est limité pour ce qui est de l'examen du financement à l'intérieur et à l'extérieur des réserves et de la façon dont il est dépensé?
M. Brazeau : Je crois comprendre que le vérificateur général a le mandat et l'autorité d'examiner les livres de toute collectivité des réserves ou organisation autochtone, à l'intérieur ou à l'extérieur des réserves.
Cependant, je crois que la vérificatrice générale a dit, il y a quelques années, qu'elle ne ferait pas de son pouvoir de vérification des livres des collectivités une pratique normale.
Le sénateur Hubley : Est-ce que la vérificatrice générale vérifie annuellement le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ou l'un de ses services? J'essaie de savoir si ce serait avantageux pour le Bureau du vérificateur général ou un organisme similaire.
M. Brazeau : Oui, ce serait avantageux. Je crois que l'annonce du gouvernement relatif à l'ajout d'une annexe à ces accords de contributions pour donner le pouvoir de vérifier toute organisation autochtone ou collectivité des Premières nations est un pas dans la bonne direction. Ce pouvoir n'existait pas auparavant.
Même si la vérificatrice générale a le pouvoir de vérifier ces groupes et collectivités, elle ne l'a pas forcément fait. Au moins, les accords de contributions contiendront ce pouvoir à partir du premier juillet. Je pense que ce pouvoir est un signe positif et un pas dans la bonne direction, et ce, dans l'intérêt des particuliers.
Le sénateur Dallaire : Je suis étonné par la dimension de la responsabilité. Si nous allons jusqu'au bout de cet argument, nous ne verserons pas un seul sou pour le développement international, car nous n'arriverons jamais à ce type de situation. Pourtant, nous versons encore des milliards à des pays en développement et nous comprenons la nécessité d'aider des pays à sortir de l'extrême pauvreté, à devenir autosuffisants, des États de droit, et cetera.
Au Canada, l'argent est versé aux Autochtones et, pour cette raison, il faut soudainement établir des règles qui sont, presque oppressives. Je pense que si la vérificatrice générale ne vérifie pas les livres de ces nations, elle le fait par respect. Elle ne les traite pas comme une bande de gamins ni comme un autre ministère du gouvernement.
Je n'ai pas le même point de vue que vous concernant la responsabilité ou les niveaux de financement. Ce pays compte un million d'Autochtones. Le budget pour un million de personnes que nous sommes supposés aider s'élève à 9,7 milliards de dollars. Proportionnellement, ce budget est loin d'égaler celui que nous investissons pour la population blanche du pays. Ces gens sont dès le départ en position désavantageuse dans des régions comme le Nord où le financement est calculé en fonction de la population, ce qui est stupide puisque le coût de la vie dans le Nord est considérablement plus élevé que n'importe où ailleurs.
Êtes-vous aigri parce que nous n'avons pas donné à vos amis Indiens inscrits vivant à l'extérieur des réserves la même responsabilité pour gérer ce financement que celle que nous avons donnée aux gens qui vivent dans les réserves? Cette responsabilité est comparativement plus grande que l'attitude paternaliste que vous voudriez voir élargie dans les réserves indiennes. Je ne veux pas vous mettre sur la sellette.
M. Brazeau : Pas du tout. Tout d'abord, je ne suis pas aigri.
Vous avez raison. Au Canada, environ 10,1 milliards de dollars sont dépensés annuellement pour les Autochtones. Cependant 92 p. 100 de ce financement est directement versé aux collectivités des Premières nations dans tout le pays. Faire un lien avec la population de un million ou de 1,3 million d'Autochtones est quelque peu...
Le sénateur Dallaire : Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien est payé avec cet argent, qui est un montant considérable et dont ne profitent pas les Autochtones. Il se peut aussi que la gestion ne soit pas efficace.
M. Brazeau : Avec tout le respect que je vous dois, j'ai eu l'occasion de rencontrer beaucoup d'Autochtones, et vous aussi probablement, qui ont assisté à nos réunions, surtout depuis octobre dernier. Nous vous avons eu des séances d'information sur la responsabilité avec des Autochtones de la base, vivant à l'intérieur et à l'extérieur des réserves, venus partager les expériences de manque de responsabilité qu'ils ont vécues.
Ils ont mentionné des décisions discriminatoires à leur égard prises par leur conseil de bande, des gens de chez eux. Ils ont demandé pourquoi on ne leur offrait pas les mêmes possibilités que celles offertes à leurs frères et sœurs vivant dans les réserves. Peut-être n'ont-ils pas voté pour le chef qu'il fallait ou peut-être ne sont-ils membres des familles importantes dans ces réserves. De telles situations se produisent et les gens me les rapportent.
Si vous pensez que je suis aigri à cause de cela, alors j'assume cette responsabilité et je vais faire de mon mieux pour fournir des explications et informer le public canadien. Il est faux de dire que cette responsabilité n'est pas importante alors que des gens veulent seulement avoir un toit, être aidés financièrement pour avoir accès aux études postsecondaires et assurer une meilleure qualité de vie pour leurs jeunes familles. C'est un problème de responsabilité et il est important d'en parler.
Le sénateur Dallaire : Je n'ai jamais dit que la responsabilité n'est pas importante. Cependant, elle ne peut pas avoir la priorité sur la possibilité que des gens fassent des erreurs alors qu'ils œuvrent dans le but d'avoir un gouvernement responsable envers les électeurs.
Le sénateur Peterson : Les enveloppes ont été calculées à des fins précises : éducation, enfance, soins de santé, logement et infrastructure. Il me semble aussi que la responsabilité et l'établissement de rapports nets ont été discutés. Cela a été jugé essentiel entre le gouvernement et les Autochtones et c'est une question qui fera l'objet d'un suivi. Il serait tragique que tout le travail fait pour régler cette question ne serve à rien.
Le président : Je ne pense pas que tout ne servira à rien. Ces questions font l'objet d'un débat vigoureux dans tout les pays et les résultats de ce débat ne seront que positifs.
Monsieur Brazeau, vous avez dit qu'ils ont retiré la responsabilité juste avant Kelowna. Je crois que la responsabilité est au cœur du vrai problème, je veux dire que le MAINC n'a ni les structures ni le système en place pour assurer cette responsabilité.
Vous êtes en face d'un comité où tous les membres se sont engagés à améliorer la circonscription qu'ils représentent. D'après vous, comment devrions-nous procéder, en tant que comité, ou n'importe quel groupe de parlementaires, pour apporter des changements systémiques importants afin que les choses se fassent plus facilement à l'avantage de tous, à l'extérieur et à l'intérieur des réserves? Comment tirer un meilleur rendement de toutes ses opérations avec les peuples Premières nations?
M. Brazeau : C'est une bonne question et je ne suis pas sûr d'avoir suffisamment de temps pour y répondre complètement. Je vais essayer d'être bref.
La Commission royale sur les peuples autochtones a abordé cette question, donc je ne réinvente pas la roue. Il faudrait avoir un ministère des Affaires autochtones au lieu de l'actuel ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Le mot « Indien » est rarement utilisé aujourd'hui. Nous l'avons remplacé par Première nation. Par conséquent, vous pourriez envisager un ministère des Affaires autochtones doté de différents secrétariats qui s'occuperaient des Autochtones vivant dans les réserves, à l'extérieur des réserves, des Inuits, des femmes, des Métis, et cetera.
Je ne saurais trop assister, qu'en tant que jeune Autochtone ayant connu cette situation, la question de la responsabilité ou du manque de responsabilité est la plus importante pour moi. Je pense qu'un peu trop souvent, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien verse un chèque à une collectivité pour qu'elle ferme les yeux et ne s'interroge pas sur la façon dont l'argent est dépensé.
Je ne dis pas que tout le ministère se conduit de cette façon, mais des gens m'ont dit qu'ils croient que c'est bien le cas. Si nous n'attaquons pas le fond du problème de la responsabilité, nous progresserons lentement et n'offrirons aucun espoir aux personnes de mon âge ou à celles de la prochaine génération, y compris mes enfants. Il a toujours été politiquement incorrect de soulever ce sujet.
Nous ne disons pas que tout le monde est pareil, il y a des problèmes systémiques en ce qui concerne la responsabilité. Les dirigeants responsables ne devraient pas craindre ce message. Mais, les irresponsables devraient avoir peur, car il y a quelque chose qui cloche.
S'ils remplissent leurs fonctions de manière irresponsable ou s'ils dépensent l'argent des contribuables à mauvais escient, nous devrons alors corriger la situation dans l'intérêt de notre peuple parce que le Canada nous en offre la possibilité. Si nous réglons cette question, nous donnerons l'espoir et les possibilités que méritent les Autochtones de ce pays.
Le président : En conclusion, Joe Shirley, le chef de la nation navajo, l'a très bien dit. Il a dit qu'il n'était pas un Indien. Ce sont des hommes blancs qui se sont perdus en allant aux Indes qui ont appelé les Premières nations des Indiens. Je n'habite pas dans une réserve. Ce sont des animaux qui vivent dans des réserves. Je vis sur mes terres traditionnelles.
J'ai une petite annonce à faire. Le sénateur Lovelace Nicholas fête son anniversaire aujourd'hui et aussi Jean-Pierre Morin, notre préposé aux communications. Je vous souhaite à tous les deux un joyeux anniversaire.
Chef national Brazeau, merci pour votre exposé et merci d'être venu ce matin. Je sais que vous avez un calendrier chargé. La présentation que vous avez faite de vous-mêmes était excellente et vous avez répondu aux questions franchement et directement. Nous vous en remercions. Nous espérons collaborer avec vous à l'avenir en vue d'apporter les changements nécessaires.
Le sénateur Dallaire : Je veux mentionner que nos dépenses annuelles pour l'assurance-emploi sont le double des dépenses faites pour les Autochtones.
Le président : C'est un point intéressant pour le compte rendu.
La séance est levée.