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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 10 - Témoignages du 16 avril 2008


OTTAWA, le mercredi 16 avril 2008

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-292, Loi portant mise en œuvre de l'Accord de Kelowna, se réunit aujourd'hui, à 18 h 20, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil

[Traduction]

Le président : Nous continuerons, ce soir, notre étude du projet de loi C-292, Loi portant mise en œuvre de l'Accord de Kelowna. Nous entendrons deux groupes de témoins. Le premier sera composé de représentants du Ralliement national des Métis et de l'Assemblée des Premières Nations. Le second sera composé de représentants de l'Association des femmes autochtones du Canada et de l'Association nationale des centres d'amitié.

J'aimerais d'abord présenter les sénateurs qui sont avec nous ce soir.

Il y a le sénateur Hugh Segal, le sénateur Robert Peterson, le sénateur Larry Campbell, le sénateur Sandra Lovelace Nicholas, le sénateur Elizabeth Hubley et le sénateur James Cowan.

Je vous demande de vous joindre à moi pour accueillir M. Clément Chartier, président du Ralliement national des Métis, et M. Phil Fontaine, chef national de l'Assemblée des Premières Nations.

Messieurs, nous avons hâte de connaître votre point de vue sur l'Accord de Kelowna. Quand vos déclarations seront terminées, les sénateurs vous poseront des questions.

Clément Chartier, président, Ralliement national des Métis : J'aimerais, au nom de la nation métisse, remercier le comité d'avoir organisé le débat important qui a lieu aujourd'hui et de s'être admirablement acquitté de la tâche consistant à soutenir les peuples autochtones du Canada en tenant compte des points de vue des deux parties.

J'aimerais commencer par donner au comité un bref aperçu de la situation actuelle de la nation métisse, et de la situation dans laquelle elle se trouverait peut-être s'il n'y avait pas eu l'impasse relative à la mise en œuvre de l'Accord de Kelowna. Cet accord a été élaboré au terme de 14 mois de dur labeur et de négociations, et grâce, au bout du compte, à un consensus entre les peuples autochtones, le gouvernement fédéral et tous les gouvernements des provinces et des territoires.

Selon le recensement de 2006, la population métisse compte près de 400 000 membres, qui comptent pour 34 p. 100 de la population autochtone en général, et près de neuf Métis sur dix vivent dans les provinces de l'Ouest et en Ontario. J'ai fourni aussi des données provenant du recensement de 2001 qui représentent le nombre de membres de la population autochtone qui s'identifient comme métis dans certaines régions métropolitaines.

Vous trouverez un tableau dans notre déclaration écrite. Essentiellement, dans les huit villes pour lesquelles on donne la population autochtone totale, qui est en moyenne de 25 000 personnes, on en compte en moyenne 11 000 qui s'identifient comme métisses, ce qui signifie que les Métis représentent environ 44 p. 100 de la population autochtone. Je vous fais part de ces statistiques uniquement pour illustrer le fait que notre pays compte une population métisse importante.

Les conditions sociales et économiques dans lesquelles nous vivons se comparent à celles des autres peuples autochtones. Selon la Société canadienne d'hypothèques et de logement, les ménages métis dans les Prairies représentaient, en 2001, 50 p. 100 des ménages autochtones hors-réserve ayant un besoin impérieux de logement, puisque plus de 20 000 ménages métis avaient un tel besoin impérieux, soit un sur cinq.

À Winnipeg, des milliers de Métis sont inscrits sur les listes d'attente pour des unités de logements sans but lucratif destinées aux Autochtones en milieu urbain. La prévalence des problèmes de santé chez les Métis, chez qui le taux de diabète de type 2 est de trois à cinq fois plus élevé que dans la population en général, est comparable à la prévalence chez les autres peuples autochtones.

Depuis la défaite militaire de la nation métisse à la suite de la résistance du nord-ouest en 1885 et l'exécution de notre chef vénéré, Louis Riel, nous n'avons pas cessé de lutter pour défendre notre place à titre de nation fondatrice de la fédération canadienne. Au cours des dernières décennies, cette lutte a pris la forme d'efforts visant à mettre sur pied un gouvernement autonome afin que nous puissions participer à la fédération à titre de nation et de peuple distinct et trouver des façons de régler efficacement les nombreux problèmes qu'éprouve notre peuple.

Il y a eu quelques réussites importantes, plus particulièrement la reconnaissance constitutionnelle des Métis à titre de l'un des trois peuples autochtones du Canada, en 1982, la décision Powley de la Cour suprême du Canada, en 2003, qui reconnaissait les Métis comme véritable peuple protégé par les droits autochtones prévus par la constitution, et l'accroissement des pouvoirs de nos organismes publics en matière d'exécution de programmes sociaux et de programmes de développement économique au profit de notre peuple.

Pourtant, et c'est déplorable, les Métis sont toujours, en 2008, exclus de la sphère de compétence du fédéral et de tous les processus qui visent à régler la question des droits des peuples autochtones, y compris les processus de revendications territoriales globales et particulières. Même le financement limité des causes types, qui nous avait été accordé pour préciser nos droits devant les tribunaux, nous a été retiré.

Nous avons décidé d'appuyer l'Accord de Kelowna parce que l'ancien premier ministre Paul Martin s'était engagé à éliminer les obstacles historiques dans les relations entre le gouvernement fédéral et la nation métisse. L'Accord-cadre entre le Canada et la nation métisse, conclu le 31 mai 2005 par le Ralliement national des Métis et le gouvernement du Canada, constitue un point tournant dans les relations entre les parties, puisqu'il permet des négociations fondées sur les droits des parties afin d'« instaurer un nouveau partenariat entre le Canada et la nation métisse basé sur le respect, la responsabilité et le partage mutuels. »

L'accord a été précédé d'un processus de négociations de plus de cinq ans entre les parties, qui a permis de régler, sans recours à un litige, des problèmes de longue date entre la nation métisse et le Canada concernant les droits des Métis, et de renforcer les pouvoirs des organismes publics de la nation métisse de façon à ce qu'ils assument la responsabilité de programmes et de services fédéraux qui pouvaient leur être transférés. L'Accord-cadre entre le Canada et la nation métisse a donc ouvert la voie à notre appui ferme de l'Accord de Kelowna, qui aurait d'ailleurs incorporé par renvoi l'accord-cadre.

Dans le respect de l'esprit de l'Accord-cadre entre le Canada et la nation métisse, l'Accord de Kelowna a adopté une méthode qui fait la distinction entre les divers peuples autochtones de façon à garantir à ceux-ci que l'accord traitera adéquatement des sujets qui les préoccupent en priorité. En ce qui concerne la nation métisse, le Canada s'est engagé à mettre fin aux programmes « panautochtones », qui servaient essentiellement de stratagèmes aux gouvernements fédéraux successifs pour éviter de négocier avec les Métis à titre de nation et de peuple distinct.

La moitié de l'Accord de Kelowna est consacrée à des engagements généraux en matière de soins de santé et de développement économique, mais on mentionnait de façon distincte les cadres de la nation métisse, des Inuits et des Premières nations. L'autre moitié de l'accord est consacrée à des engagements particuliers avec chacun des peuples autochtones dans les secteurs du logement, de l'éducation et des relations intergouvernementales.

Dans la section sur les Métis, le document définit le statut de la relation entre les Métis et le gouvernement du Canada :

Les droits des Métis, en tant que peuple autochtone du Canada, sont reconnus et confirmés à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les premiers ministres et les dirigeants métis reconnaissent le rapport particulier qui existe entre les Métis et la Couronne.

Dans la section du plan d'action qui porte sur les Métis, Ottawa et les cinq provinces sur lesquelles s'étendent les terres d'origine des Métis — soit l'Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, l'Alberta et la Colombie-Britannique s'engagent à collaborer avec le Ralliement national des Métis et ses dirigeants dans le but d'améliorer les résultats des Métis en matière d'éducation et de revitaliser les logements des Métis grâce à diverses initiatives qui doivent être entreprises par des organismes métis consolidés.

Le cadre de responsabilisation énoncé dans l'accord-cadre avec la nation métisse et l'Accord de Kelowna, constitue un véritable engagement de la part de toutes les parties à atteindre des résultats grâce à la mesure du rendement, à l'utilisation de pratiques exemplaires, et à la prestation d'un financement adéquat aux parties pour qu'elles soient en mesure d'accomplir le travail requis. De plus, le cadre exige de toutes les parties signataires qu'elles soient responsables des résultats. On est loin de la situation rigide et dysfonctionnelle dans laquelle des bureaucrates fédéraux ont le contrôle de programmes que leurs ministères n'exécutent même pas, et où des organismes métis exécutent des programmes dont ils n'ont pas le contrôle. Dans cette situation, personne n'est responsable des résultats.

Je parle au nom d'un gouvernement métis qui se targue d'assumer ses responsabilités financières, et j'ai peine à croire que le gouvernement canadien actuel souhaite perpétuer des pratiques qui ont échoué par le passé. Personne ne devrait agir ainsi. C'est pourquoi je demande expressément au Parlement du Canada d'adopter la Loi portant sur la mise en œuvre de l'Accord de Kelowna.

Phil Fontaine, chef national, Assemblée des Premières Nations : Merci beaucoup de donner à l'Assemblée des Premières Nations l'occasion de se prononcer sur le projet de loi C-292.

Comme vous le savez, l'Assemblée des Premières Nations est l'organisme politique national qui représente les membres des Premières Nations, hommes et femmes, de partout au pays, qu'ils vivent dans des réserves ou hors réserve. Je vais me prononcer aujourd'hui en faveur du projet de loi C-292. Je vais vous expliquer pourquoi, mais j'aimerais d'abord dresser un portrait du contexte.

Le moment auquel je me présente devant vous, ce soir, est particulier. Il est particulier parce que je viens juste de prononcer un exposé devant le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord à la Chambre des communes, et je me suis prononcé en faveur du projet de loi C-30, Loi constituant le Tribunal des revendications particulières.

Je me suis prononcé en faveur de la législation présentée par le gouvernement du Canada non seulement parce qu'il s'agit d'un grand pas en avant pour notre peuple, mais aussi en raison du processus qui a mené à son élaboration. Le projet de loi C-30 est le seul projet de loi qui touche les droits et les intérêts des Premières nations qui a été élaboré par le gouvernement en collaboration avec les Premières nations, par l'entremise de l'Assemblée des Premières Nations.

Selon nous, ce processus est un acte de respect. Les Premières nations ont le droit légal d'être consultées au sujet des textes législatifs qui les touchent directement. Le processus de collaboration qui a mené à l'élaboration du projet de loi C-30 reconnaît pour la première fois ce droit. C'est pourquoi nous appuyons le projet de loi. Le respect de nos droits revêt une grande importance.

Nous appuyons aussi le projet de loi C-292 parce que, pour nous, une entente est une entente. Nous avons entrepris des discussions de bonne foi avec tous nos partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux, et en sommes arrivés à une entente.

Quand le gouvernement du Canada conclut un accord public connu de tous avec nous — et il y a un exemple d'un tel accord — et cherche ensuite des façons de casser cette entente, il déshonore la Couronne. Il échoue dans sa tentative de traiter notre peuple avec respect. Les éléments sur lesquels nous nous étions entendus dans le cadre de l'Accord de Kelowna n'ont fait l'objet d'aucune mesure, mais ils n'en demeurent pas moins importants pour l'avenir des citoyens canadiens membres des Premières nations, comme ils l'ont toujours été.

Il faut que le gouvernement du Canada reconnaisse les droits inhérents des Autochtones et les droits découlant d'un traité de notre peuple. Le gouvernement actuel, qui a, en fait, voté contre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, contrairement à plus de 100 États qui l'ont adoptée à l'Assemblée générale des Nations Unies, et maintenant son propre parlement, ne respecte pas, de toute évidence, nos droits.

Le vote contre un instrument international fondamental des droits de la personne constitue une tache sur le dossier du Canada en matière de droits de la personne, en plus d'être un signal envoyé à la communauté internationale et aux processus de collaboration internationale qui veut dire que, en ce qui concerne les peuples autochtones, le gouvernement actuel n'a pas l'intention de respecter les normes internationales ni les pratiques exemplaires.

Ce qui est encore plus troublant, c'est que les chercheurs, les experts et les juristes spécialisés en politique et en droit à l'échelle nationale et internationale affirment que la déclaration des Nations Unies ne contrevient pas à la Constitution canadienne. En fait, la déclaration respecte la règle de droit et renforce les principes, les valeurs et les droits enchâssés dans la Constitution.

J'aimerais, à ce sujet, profiter de l'occasion pour remercier le Parlement d'avoir adopté la motion visant la mise en œuvre de la déclaration des Nations Unies. J'encourage les sénateurs à suivre l'exemple de la Chambre basse.

Je souligne aussi qu'il y a actuellement un processus régional en cours concernant l'élaboration d'une déclaration des droits des peuples autochtones qui s'inscrirait dans le système interaméricain de protection des droits de la personne.

L'Organisation des États américains est un organisme régional essentiel voué aux objectifs et principes des Nations Unies. L'OEA élabore actuellement un instrument des droits de la personne visant à protéger les droits des peuples autochtones de l'Amérique du Sud et du Nord et des petits États insulaires de la région.

Je suis au regret de vous annoncer que le gouvernement du Canada a refusé de se joindre à d'autres nations pour accepter le texte de la déclaration des Nations Unies comme point de départ ou comme résultat minimum pour une première version de la déclaration de l'OEA. Je n'ai pas le temps de vous fournir d'autres explications, mais, en réalité, les actes et la position du Canada au sein de l'OEA risquent de nuire grandement au principe de collaboration internationale qui fait partie intégrante de la charte des Nations Unies et de la charte de l'OEA.

Nous devons améliorer la collaboration. Le gouvernement du Canada doit se réconcilier avec les peuples autochtones du pays. Le gouvernement du Canada doit respecter la règle de droit. Les gouvernements présents au Canada n'ont pas cessé de faillir à leur devoir de consulter les Premières nations avant de prendre des décisions qui touchent leurs droits. Le gouvernement doit nous consulter au sujet de l'élaboration de dispositions législatives qui nous touchent et des décisions qui touchent les ressources sur nos terres et dans nos territoires traditionnels. C'est la loi. Le fait de ne pas s'acquitter de ce devoir peut être perçu par bien des gens comme un manque de respect envers la règle de droit, ce qui peut entraîner des points de conflits partout au pays. Les actes qui ont mené à l'emprisonnement de chefs des Premières nations ont été commis directement en réaction au manque de respect pour la règle de droit dont font preuve les gouvernements quand ils cèdent les droits d'exploitation des ressources qui se trouvent sur nos terres et dans nos territoires sans s'être d'abord acquittés de leur devoir de consulter les Premières nations et de tenir compte de leurs droits et intérêts, comme l'exige le droit canadien.

Lorsque j'évoque une meilleure coopération et quand j'évoque la confiance et le respect des engagements, je renvoie à deux problèmes importants qui révèlent, à mon avis, que le climat de confiance, la bonne volonté du monde politique et les engagements ne sont pas respectés. Je parle ici des excuses qui ont été promises à notre peuple pour les événements tristes et tragiques des pensionnats, et de la Commission de vérité et de réconciliation.

Nous avons signé, le 30 mai 2005, une entente politique qui établissait les fondements de négociations qui ont eu lieu et qui ont mené à l'accord de principe, puis à l'adoption officielle de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Dans cet accord politique, le gouvernement du Canada s'engageait à faire rédiger les excuses promises dans le discours du Trône d'octobre par l'Assemblée des Premières Nations, ce qui voulait dire, entre autres, que l'Assemblée s'assoirait avec le gouvernement pour choisir, ensemble, l'endroit où se déroulerait ce moment très important de l'histoire canadienne. Nous n'avons eu, à ce jour, aucun échange officiel avec le gouvernement fédéral, comme le précise l'accord politique.

Il y a présentement des rumeurs selon lesquelles des excuses devraient être présentées à la nation le 21 ou le 23 mai. J'aimerais vous rappeler, honorables sénateurs, que ce qui pourrait arriver de pire concernant les excuses, c'est que le gouvernement s'excuserait, mais que ses excuses seraient refusées. Nous ne voulons pas que ça finisse comme cela.

Nous demandons avec insistance au gouvernement de respecter l'engagement qu'il a pris dans l'accord politique du 30 mai 2005. Nous voulons participer, et nous voulons le faire de la bonne façon. Nous voulons que ces excuses soient importantes non seulement pour les survivants des pensionnats, mais pour le pays en entier. En fait, nous voulons que le monde entier soit au courant. Il s'agit d'une occasion, pour le Canada, de donner de lui-même l'image d'un pays qui reconnaît véritablement l'importance des peuples autochtones, qui reconnaît toutes les injustices et tous les torts qui ont été infligés à notre peuple, et qui est prêt à s'excuser, par l'entremise de son gouvernement, auprès de notre peuple.

Il faut aussi que le gouvernement du Canada élimine l'injustice fondamentale à laquelle font face les membres des Premières nations chaque jour. Cette injustice découle de politiques comme le plafond de 2 p. 100 imposé à l'augmentation du financement des programmes et des services essentiels, comme le logement et l'infrastructure, le développement social et économique, et le progrès scolaire. Ce plafond existe tandis que l'augmentation des services offerts aux autres Canadiens par l'entremise des transferts sociaux et relatifs à la santé est trois fois plus rapide. Ce n'est pas un problème mathématique théorique. Cela signifie que, pendant que l'inflation atteint un niveau semblable à ce plafond de 2 p. 100 et que notre population est celle qui croît le plus rapidement au pays — 3,5 fois plus vite que la moyenne nationale —, nos collectivités tirent de plus en plus de l'arrière. Au cours des 12 années qui se sont écoulées depuis la mise en place de ce plafond, les gouvernements des Premières nations ont connu une diminution de leur pouvoir d'achat réel de plus de 25 p. 100.

Indépendamment de ce qu'a annoncé le gouvernement hier, plus de 100 collectivités des Premières nations continueront de vivre sans eau potable. Nous ne pouvons pas affirmer, pour l'instant, que la nouvelle stratégie réglera le problème puisque l'investissement semble représenter des sommes qui ont été inutilisées et reportées dans le récent budget. Selon notre analyse, nous pensons que le financement de l'infrastructure diminuera plutôt, et qu'il sera réduit de 250 millions de dollars au cours des deux prochaines années.

Le plafond signifie que 27 000 de nos enfants se retrouvent sous la garde de l'État, privés de leurs familles et de l'amour auquel chaque enfant est en droit de s'attendre. Ce chiffre est trois fois plus élevé que le nombre d'enfants qui se sont retrouvés dans des pensionnats à l'époque la plus active des pensionnats.

Cela signifie que le développement est contrecarré et que la détresse se poursuit pendant que des gens essaient de se sortir de cette pauvreté qui les écrase et qui leur enlève tout espoir.

Le gouvernement actuel a pris la décision de créer des prêts pour le logement du marché privé, décision que nous approuvons avec vigueur, mais il n'a rien fait pour le logement social. Cela signifie que 90 000 membres des Premières nations n'ont pas de logement, et que 90 000 autres vivent dans des logements qui ont besoin de réparations majeures si l'on veut se débarrasser de la moisissure, de l'amiante et de la vermiculite qu'on y trouve à cause de la façon bâclée dont ils ont été construits à l'origine.

Un trop grand nombre d'enfants et de familles des Premières nations vivent dans des remorques. Ces remorques présentent un grand risque d'incendie. Le décès de trois enfants des Premières nations et de leur oncle dans l'incendie d'une roulotte survenu le 11 mars dans le nord du Manitoba fait ressortir l'urgence de régler la crise du logement pour les collectivités des Premières nations. Je suis allé aux funérailles. C'était un événement très triste pour cette collectivité parce qu'il n'y avait pas de raison pour qu'un tel incendie tragique ait lieu. La grand-mère des trois garçons, qui avaient cinq, quatre et trois ans, est la chef de la collectivité et s'appelle Shirley Castell.

À cause du plafond de 2 p. 100, dans 39 collectivités réparties partout au pays, des enfants n'ont pas d'école, et dans les autres collectivités, les écoles n'ont pas suffisamment d'outils pour offrir un enseignement moderne et manquent d'argent pour payer les enseignants. À une époque où tout le monde s'entend pour dire que l'éducation est le facteur unique qui a le plus d'importance dans la mise en place d'un avenir positif et rempli d'espoir, le gouvernement vient refuser ce droit aux enfants des Premières nations en versant, pour chacun d'entre eux, un financement inférieur de plus de 2 000 $ au financement versé pour les autres élèves canadiens.

Vous avez une copie écrite de mon texte. Je vais maintenant me rendre jusqu'à la fin de mon document écrit et parler plus particulièrement de Kelowna et de l'accord que nous avons conclu avec le gouvernement du Canada et les 13 autres gouvernements, de même qu'avec cinq organismes nationaux.

Nous reconnaissons que l'Accord de Kelowna n'était pas une panacée, mais il représentait une première étape importante de la mise en œuvre du plan détaillé, fruit de 18 mois de long et dur labeur auquel ont participé environ 1 000 personnes. Ce plan était le résultat direct du défi que nous avait lancé, à M. Chartier et à moi, ainsi qu'à trois autres leaders autochtones du pays, le Conseil de la fédération quand nous lui avons demandé de nous apporter son soutien. Les représentants du conseil nous ont dit : « Si vous pouvez nous présenter un plan pour nous convaincre du soutien dont vous avez besoin, et si votre plan comprend des objectifs et des résultats réels, nous vous appuierons. » Ce processus, qui a duré 18 mois et qui a mobilisé 1 000 de nos membres, a donné des objectifs réels et des résultats réels. Nous avons obtenu un plan.

Nous avions placé, au cœur du plan, les questions de la responsabilisation et de la gouvernance, parce que nous avons compris que la responsabilisation constitue une préoccupation importante pour bon nombre de personnes. Nous voulions être en mesure de prouver que nous tenions résolument à la responsabilisation, à la transparence et à la saine gestion des affaires publiques. Nous avons insisté pour que le plan prévoie la mise sur pied d'une institution qui s'exprimerait sur la question de la responsabilisation. Nous avons proposé de nommer notre propre vérificateur général, proposition qui a été appuyée par la vérificatrice générale du Canada, Sheila Fraser. Nous avons aussi recommandé la création d'un poste d'ombudsman. Je m'excuse de ne pas faire preuve de rectitude politique. À notre avis, ces deux institutions importantes, si elles sont structurées adéquatement, auraient servi de garantie pour bien des gens qui souhaiteraient que nous leur prouvions que nous tenons résolument à la responsabilisation et à la gouvernance.

Maintenant, nous nous demandons ce qui va arriver puisque le gouvernement nous avait promis, aux dernières élections, de mettre Kelowna en route. On nous avait aussi dit clairement que le gouvernement était d'accord avec les objectifs et les résultats. Il n'était pas nécessairement d'accord avec le processus, mais on nous a dit que le gouvernement collaborait avec les gouvernements provinciaux et territoriaux pour mettre le plan en vigueur. Nous continuons de croire que le plan était et est toujours une bonne solution pour nous — un processus qui permettrait à notre pays de tourner la page en ce qui concerne cette question qui a hanté les gouvernements les uns après les autres. C'est la pauvreté des Premières nations qui est en cause. Nous sommes, évidemment, très déçus que le plan n'ait pu être mis en vigueur. Nous ne savons pas s'il le sera un jour. Nous espérons que vous ferez votre devoir et que vous appuierez le projet de loi C-292.

Le président : Merci, chef national. Avant que nous passions aux questions des sénateurs, j'aimerais vous remercier, chef national. Je vous ai vu, à la rencontre sur le projet de loi C-30, à l'autre endroit. Vous avez tenu parole, et la parole d'un homme engage son honneur. Je crois que c'est important. J'espère que, à mesure que nous irons de l'avant, la Couronne et toutes les personnes engagées se montreront aussi intègres que vous. Vous avez conclu un pacte, et vous l'avez respecté.

Le comité a joué un rôle plutôt actif dans l'étude des revendications particulières. Je n'ai certainement pas de mérite à moi seul, mais la plupart des sénateurs présents aujourd'hui ont participé au processus. J'aimerais vous féliciter des mesures que vous avez prises, chef national.

Le sénateur Campbell : Chef Fontaine, l'un des témoins que nous avons entendus, Patrick Brazeau, a affirmé que les libéraux avaient sabordé le cadre de responsabilisation à Kelowna. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Fontaine : J'ai dit que le plan qui a donné naissance à l'Accord de Kelowna et qui a été appuyé par 14 provinces et territoires et cinq organismes nationaux avait, parmi ses caractéristiques principales, la responsabilisation et la gouvernance. En fait, nous avons réussi à convaincre les 14 provinces et territoires du fait qu'il fallait mettre de côté 120 millions des 5,1 milliards de dollars promis pour s'occuper des questions de responsabilisation et de gouvernance.

Nous avons entrepris un travail gigantesque à ce sujet, travail qui s'est poursuivi jusqu'en 2006. Il s'appuyait sur l'analyse qu'avait faite la vérificatrice générale sur la question de la responsabilisation. Vous vous rappelez sûrement que, dans son rapport, Mme Fraser avait souligné que les gouvernements des Premières nations traînaient un lourd fardeau parce qu'ils doivent fournir, en moyenne, 168 rapports par année, plus quatre vérifications trimestrielles, y compris la vérification finale.

Je m'éloigne un peu du sujet, mais je n'ai pas le choix. Les gens disent que les gouvernements des Premières nations ne rendent pas de comptes. Quatre-vingt-dix-sept pour cent des gouvernements des Premières nations du pays respectent les règles. Cela signifie que, selon les vérifications, ils respectent toutes les exigences juridiques et comptables. Seulement 3 p. 100 d'entre eux ne respectent pas toutes les règles.

Par ailleurs, nous avons les 168 rapports en question. De toute évidence, nous avons pris un engagement réel et solide en matière de responsabilisation. Le gouvernement précédent n'a jamais sabordé le navire. Il y avait eu un engagement, qui était de fournir 120 millions de dollars pour permettre aux organismes nationaux de collaborer avec les gouvernements provinciaux et territoriaux afin de mettre en place les mesures de responsabilisation appropriées.

Le sénateur Campbell : Nous avons entendu Rod Bruinooge, secrétaire du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il s'est révélé un témoin respectueux et crédible, et j'ai bien aimé l'entendre. Il a affirmé que les 3,7 milliards de dollars accordés dans le budget de 2006 étaient supérieurs à ce qui avait été offert à Kelowna. J'aimerais que vous réagissiez à cette affirmation.

M. Fontaine : Je crois qu'il faut faire une distinction. Sur les 3,7 milliards de dollars, 2,2 milliards de dollars concernaient la Convention de règlement relative aux pensionnats. Cette convention de règlement n'a aucun lien avec les programmes et les services. Cet argent est destiné à un règlement. Il s'agit d'une obligation juridique devant les tribunaux de la part du gouvernement.

Je veux souligner que 2,2 milliards de dollars étaient destinés à la Convention de règlement relative aux pensionnats, et que 600 millions de dollars étaient destinés aux gouvernements provinciaux et territoriaux et devaient servir, essentiellement, aux logements hors des réserves. Dans le budget de 2006, le gouvernement prévoit 150 millions de dollars la première année et 300 millions de dollars en financement continu pour les programmes des Premières nations.

Dans ce budget, on fait référence à 600 millions de dollars pour les programmes autochtones; de ce montant, 270 millions de dollars étaient de l'argent frais. Cela correspond à 135 millions de dollars par année, pendant deux ans. Le reste était de l'argent redistribué. Il s'agissait d'argent qui n'avait pas été dépensé et qui était versé de nouveau. Il ne s'agissait pas, dans ce cas, d'argent frais.

Si on examine le plan de dépenses énoncé dans le budget, on constate que le gouvernement prévoit dépenser environ 633 milliards de dollars sur trois ans. De ce montant, environ 100 millions de dollars seront consacrés à de nouvelles priorités en matière de financement, et 37 milliards de dollars serviront au remboursement de la dette.

Cette année, le gouvernement s'est engagé à nous verser 270 millions de dollars d'argent frais, et le reste des 600 millions de dollars sera du financement réaffecté.

Le sénateur Segal : Je veux remercier les deux témoins d'avoir trouvé un moment, dans leur horaire, pour venir aider le comité à examiner la question qui lui est soumise.

J'aimerais dire au chef national Fontaine, si vous le permettez, que je me souviens d'un discours qu'il avait prononcé à l'Université Queen's à titre de conférencier au gala, il y a quelques années. Il avait parlé du temps qu'il avait consacré, en tant que grand chef, à visiter régulièrement des réserves et à assister aux funérailles de jeunes hommes autochtones. Il avait dit que cette tâche occupait une trop grande part de son travail au quotidien comme grand chef à l'époque.

J'aimerais, dans ce contexte, que nos deux invités répondent à la question suivante : est-ce que, même si nous mettons beaucoup l'accent sur Kelowna, et malgré les divisions partisanes qui existent à ce sujet, un projet pluriannuel de cinq milliards de dollars est suffisant, si l'on tient compte du fait que, compte tenu de l'écart actuel entre le niveau de vie, l'espérance de vie et les possibilités pour les jeunes, cela ne permet absolument pas de régler la question?

Serait-il justifié de craindre que l'engagement envers l'Accord de Kelowna nous éloigne du véritable problème? Le véritable problème, c'est le refus des gouvernements canadiens qui se sont succédé depuis plusieurs décennies de reconnaître les droits des Premières nations à posséder leurs propres terres, leur propre territoire et leurs ressources, et de profiter de l'argent que cela leur apporterait, puisque c'est ce que le droit constitutionnel a toujours véritablement prévu.

Je crois que le débat concernant un instrument particulier adopté par un gouvernement puis rejeté par un autre gouvernement est un débat important, mais je crains qu'il nous éloigne d'un problème beaucoup plus fondamental, soit l'écart considérable qui existe entre les membres des Premières nations et les autres Canadiens. Je crains que la question nous empêche de voir que rien ne prouve que cet écart s'amenuise, malgré tout l'argent dépensé et la bonne volonté de bien des gens.

Je me demande si nous ne devrions pas, d'une certaine façon, réfléchir au problème fondamental plutôt que de nous demander si le gouvernement A a eu une bonne idée, ou si le gouvernement B ne respecte pas suffisamment ce qu'avait prévu le gouvernement A à l'époque. La question à laquelle il faut s'attarder, c'est que la qualité de vie des gens diminue et que certaines personnes voient leur vie gênée, limitée, déroutée et détruite pendant que nous discutons d'instruments de financement pluriannuel qui n'ont pas beaucoup de répercussions sur la vie quotidienne de la plupart des gens.

M. Chartier : Je vais tenter de répondre à cela. Il s'agit d'une question très vaste et très importante. C'est l'une des questions auxquelles nous nous sommes butés pendant des années.

J'aimerais établir que nous voulons obtenir le droit à l'autodétermination en tant que peuple, et que nous voulons que la Constitution reconnaisse les droits de la nation métisse. Nous avons beaucoup de difficulté à y parvenir, comme je l'ai dit dans ma déclaration d'ouverture.

Nous obtenions près de 300 000 $ par année pour nous aider à défendre nos droits devant les tribunaux, mais ce financement nous a été retiré l'an dernier. Nous tentons encore de régler la question sur le plan politique.

En 1992, nous avons malheureusement connu un échec avec les discussions à Charlottetown et avec le référendum. Nous avons perdu un accord sur la nation métisse que nous avions négocié, à l'époque, sous la direction du très honorable Joe Clark avec les cinq provinces où vivent des membres de la nation métisse. Cet accord aurait réglé la question des droits territoriaux; il ne nous accordait pas un droit constitutionnel, mais il jouait le rôle de compromis et accordait à la nation métisse une assise territoriale, l'autonomie gouvernementale et du financement.

Cet accord aurait donné lieu à un cadre général et aurait préparé le terrain à une modification de la Constitution, où il est dit que tous les peuples autochtones sont visés par l'article 91.24 sous le terme « Indiens », article selon lequel l'autorité législative du gouvernement fédéral s'étend à nous.

Nous avons tenté de revenir à cette étape. Cet accord de 1992, négocié avec le gouvernement Mulroney, était la solution idéale pour nous, mais il a échoué. Nous n'avons pas encore pu retourner à ce point, et je ne sais pas si nous réussirons un jour.

L'Accord de Kelowna élaboré avec le gouvernement Martin nous donnait de la matière pour commencer à travailler pendant les mois qui ont mené à la signature, le 31 mai 2005 de l'Accord-cadre entre le Canada et la nation métisse. Nous avions accès à un mécanisme nous permettant de régler les graves problèmes qu'éprouve notre peuple au quotidien. Cela est très important aussi pour nous : nous voulons défendre les droits de notre peuple et répondre à ses besoins.

L'accord-cadre nous aurait poussés dans cette direction. Il n'est pas allé aussi loin que nous l'aurions souhaité, mais il aurait pu servir d'assise et nous aurait permis de nous occuper de questions juridiques et constitutionnelles non résolues dans le cadre d'un dialogue à l'extérieur du système judiciaire.

L'Accord de Kelowna est important parce qu'il nous faisait sentir comme les plus grands gagnants de tous les peuples autochtones. Non pas parce que nous avions obtenu plus d'argent ou plus de programmes, mais simplement parce que l'accord nous reconnaissait le statut de peuple et de nation. Nous pouvions maintenant aborder les enjeux en établissant une distinction entre la nation métisse, les Premières nations et les Inuits. Nous aurions été débarrassés de l'approche panautochtone que certains leaders s'entêtaient à favoriser parce que cela les tenait en vie.

Nous nous retrouvions avec des gouvernements des Premières nations, un gouvernement de la nation métisse et des gouvernements inuits. Au bout du compte, cela nous aurait emmenés à destination. Il s'agit de peuples et de nations qui ont droit à l'autonomie gouvernementale, et ce ne sont pas simplement des statistiques qui précisent le nombre de personnes, le sexe, entre autres. Nous étions sur la bonne voie en 1992, et nous étions de nouveau sur cette voie avec l'Accord de Kelowna, qui prévoyait des institutions propres à la nation métisse, ce qui constitue une étape importante vers l'autonomie gouvernementale.

Je ne sais pas si vous vous souvenez de l'ancien premier ministre de la Saskatchewan, Grant Devine, qui affirmait, dans les années 1980, qu'il ne voulait pas agir à l'aveuglette. Nous avons donc procédé à une consultation tripartite pour expliquer la forme que prendrait l'autonomie gouvernementale. L'initiative de M. Martin à Kelowna nous aurait permis d'avancer dans cette direction. Elle nous aurait permis de montrer ce que nous pouvons faire si on nous donne les moyens d'élaborer nos propres programmes et services et de nous occuper nous-mêmes de les gérer et de les exécuter.

Cette initiative aurait été importante pour la nation métisse parce qu'elle aurait permis une consultation multilatérale avec les cinq provinces et le gouvernement fédéral.

Elle était donc très importante pour nous même si elle n'était pas l'idéal ni parfaite à l'égard de ce que nous voulons obtenir. Elle nous aurait permis de recevoir les mêmes avantages que ceux que nous aurait procurés l'accord relatif à la nation métisse de 1992. Il s'agissait d'un nouveau pas dans cette direction.

M. Fontaine : Avant de répondre à votre question, sénateur Segal, je voulais remercier le sénateur St. Germain, qui est le président du comité, et lui dire que j'apprécie ses bonnes paroles sur le travail conjoint du gouvernement du Canada et de l'Assemblée des Premières Nations. J'aimerais vous remercier de votre bon travail et du travail du comité.

Plus tôt aujourd'hui, j'ai fait remarquer au comité que les deux parties ont engagé le processus malgré les risques considérables qu'il supposait. Nous devions nous faire confiance, avoir à cœur la réussite du processus et être pleins de bonne volonté. Nous avons fait preuve de tout cela au cours de chaque étape du processus.

C'est pourquoi nous avons réussi à obtenir des résultats aussi importants, non seulement pour notre peuple, qui réclame la justice dans le cadre des nombreuses demandes particulières qui demeurent en suspens, mais également pour le pays. Le Canada tirera profit du succès de cette entreprise.

En ce qui concerne la question du sénateur Segal, le plus grand défi auquel notre pays fait face est, selon moi, la pauvreté des Premières nations. Notre peuple est tout simplement trop pauvre.

Si on me demandait ce que je veux dire par là, je mettrais en lumière la crise du logement dans les collectivités des Premières nations comme l'a fait la vérificatrice générale, Sheila Fraser, il y a quelques années. Cette crise est grave, et nous devons faire quelque chose.

Nous n'avons pas accès à des soins de santé d'aussi grande qualité que les Canadiens ordinaires. Par exemple, il y a quatre collectivités de 10 000 personnes dans le nord-est du Manitoba, où chaque mère qui donne naissance doit quitter la collectivité par avion parce qu'il n'y a pas d'installations pour les accouchements.

Nous avons l'un des taux de suicide les plus élevés au monde. Je suis allé rendre visite au Conseil tribal de Matawa, et l'un des chefs m'a dit qu'il y a eu 26 suicides dans cette petite collectivité de 600 personnes au cours des dernières années et que, pendant la même période, il y en a eu 278 dans tout le nord de l'Ontario. Nous perdons nos jeunes en nombres beaucoup trop grands, et il s'agit habituellement de jeunes hommes âgés de 14 à 24 ans. Cependant, au Manitoba, ce sont maintenant les enfants qui se suicident. Deux frères, âgés de 8 et 11 ans, se sont suicidés. Cette situation reflète le désespoir de notre collectivité, et plus particulièrement de nos jeunes.

Un trop grand nombre de nos collectivités ont de mauvaises écoles. Je suis allé à Atawapascat il y a quelques mois. Plus de 400 enfants d'âge scolaire vivent dans cette collectivité, et leur école a été condamnée il y a huit ans. On leur a dit de ne pas s'attendre à avoir une nouvelle école avant encore cinq ans, au moins. Au moment où le gouvernement a condamné l'école, le coût de construction d'une nouvelle école était de 17 millions de dollars; aujourd'hui, ce montant s'élève à 30 millions de dollars. Combien coûtera une nouvelle école dans cinq ans ou plus, 40 millions de dollars?

Quand j'étais dans la collectivité, les enfants sont venus me voir au bureau du conseil de bande pour me supplier de leur obtenir une nouvelle école. Quand je suis revenu dans le Sud, j'ai appelé les fonctionnaires du ministère pour leur parler de ma visite et de ce dont j'avais été témoin. Ils m'ont dit que la situation de la collectivité, bien qu'elle soit mauvaise, ne se comparaît pas à celle d'un grand nombre de collectivités de l'Ontario.

Ce sont des enfants. Ces enfants représentent notre avenir. Nous nous attendons bien sûr aux mêmes choses de ces enfants que de ceux qui vont à l'école à Ottawa, à Toronto ou dans toute autre ville du pays. On s'attend d'eux qu'ils réussissent aussi bien que les enfants des collectivités urbaines. Il y a peu de chance que ça arrive, et pourtant, s'ils ne réussissent pas, nous les tiendrons responsables, eux et leurs collectivités. Cela est complètement injuste.

J'ai parlé de l'eau potable et du fait qu'il y a plus de 100 collectivités des Premières nations qui vivent avec des avis d'ébullition de l'eau. Comment réagit-on à cette situation? On blâme le chef et le conseil. Nous n'avons pas pollué ni contaminé nos sources d'eau. Quelqu'un d'autre est responsable, mais on s'attend à ce que nous rectifiions la situation. On s'attend de nous que nous garantissions que nos opérateurs d'installations sont formés, qu'un régime de réglementation est mis en œuvre et que nous avons la capacité, au sein de nos collectivités, de nous assurer que nous avons de l'eau potable.

Il s'agit de la santé et de la sécurité des enfants, de leurs parents et de leurs grands-parents, c'est-à-dire des gens de la collectivité. Nous ne pouvons pas garantir ce genre de chose à notre peuple parce que les logements sont en mauvais état, parce que la prestation des services de santé est irrégulière, parce que l'état des écoles est lamentable, parce que nous n'avons pas d'eau potable et parce qu'un si grand nombre de personnes sont en chômage. Ce sont les manifestations de la pauvreté.

Malgré cela, nous avons accompli des choses extraordinaires. Je suis toujours confronté à un dilemme. Quels sujets dois-je aborder quand on me demande de parler? Est-ce que je parle des défis considérables portant atteinte au Canada en tant que pays qui croit aux droits de tous les humains ou est-ce que je parle des réussites? Ces dernières sont nombreuses. Il y a 20 000 petites entreprises appartenant à des membres de notre peuple et gérées par eux; près de 30 000 des nôtres fréquentent l'université. Nous avons des médecins et des avocats. Nous avons des gens qui font du bon travail et qui contribuent de manière importante à la prospérité du Canada dans toutes les professions et les disciplines. Cependant, nous pouvons en faire davantage.

Je sais qu'un plus grand montant d'argent ne réglerait pas tous les problèmes, mais ce serait une solution parmi tant d'autres. Prenez l'exemple des forces armées. Nous aurions pu maintenir qu'un plus grand montant d'argent ne suffirait pas, mais ils ont soutenu le contraire, et nous avons accepté. L'opinion que les Canadiens se font des forces armées a subi une transformation radicale, et un grand nombre de personnes ont maintenant une opinion beaucoup plus saine à ce sujet.

Nous devons tenter de créer le même genre de changement radical en ce qui concerne les peuples autochtones et des Premières nations afin que tous les Canadiens soient fiers de nous et qu'ils sachent que nous sommes traités avec respect et de manière équitable. Je me présente devant vous ce soir en tant que chef national de l'Assemblée des Premières Nations. Je représente les Premières nations, qui sont constituées de peuples distincts jouissant de droits qui leur sont uniques. Nous sommes les seules personnes au Canada qui ont signé des traités avec la Couronne fédérale. Toutefois, je dois convaincre le gouvernement fédéral, année après année, de la légitimité des collectivités que je représente, de la légitimité et de la validité de cet organisme en tant que représentant de tous les membres des Premières nations. Si je parle sans en avoir la permission, je serai puni.

Je représente une organisation qui est tout aussi légitime que le Sénat, que les partis de l'opposition, que le gouvernement, qui est formé de députés, et que nos institutions publiques. On m'a dit, peut-être parce que je n'ai pas été assez gentil, que notre financement serait réduit de 5 millions de dollars au cours des cinq prochaines années, mais que les choses qu'on attend de nous seront tout aussi astreignantes qu'elles le sont présentement. Pourquoi devons- nous composer avec de telles conditions?

Parlons de langues et de culture, qui sont des choses importantes pour tout le monde. Si vous perdez votre langue, vous perdez une très grande partie de ce que vous êtes. Le gouvernement précédent s'était engagé à verser 172 millions de dollars sur dix ans pour la préservation et la mise en valeur des langues autochtones. Cette mesure a été annulée d'un coup de crayon parce qu'on avait besoin de l'argent ailleurs. Cet ailleurs est la réduction de la dette, à laquelle on a consacré 37 milliards de dollars dans les trois derniers budgets.

Je ne pense pas que cette situation est juste. Elle est tout simplement injuste. Je ne veux pas me battre contre le gouvernement, sénateur Segal, mesdames et messieurs. Ce n'est pas mon travail. Je suis chef national, et mon rôle est non pas de me battre contre les gouvernements, mais de travailler en collaboration avec eux, malgré les conflits politiques, pour améliorer la qualité de vie des gens que je représente, pour faire du Canada un meilleur endroit, pour rappeler au Canada et aux Canadiens qu'ils doivent respecter les droits de la personne de tous les citoyens et qu'ils ne peuvent pas décider de privilégier certains droits au détriment des autres.

Pourquoi nos droits auraient-ils moins de valeur? Pourquoi les représentants du gouvernement disent-ils aux Canadiens que les chefs et les conseils de bande, ainsi que l'Assemblée des Premières Nations, ne croient pas aux droits de la personne parce que nous tentons de retarder l'abrogation de l'article 67? Ce n'est pas vrai. Nous demandons seulement la même chose que ce qu'on a accordé à tous les gouvernements quand la Charte est entrée en vigueur — c'est-à-dire trois ans. On nous a offert six mois. Pourtant, notre capacité de satisfaire aux exigences et aux dispositions de la Charte est moindre que celle de tous les autres gouvernements du pays. Regardez-nous. Qui tente-t-on de dépeindre comme l'ennemi? Ce sont les chefs et les conseils.

Au total, 109 femmes agissent en tant que chefs, et environ 800 agissent à titre de conseillères. Pensez-vous que ces femmes s'opposent à l'abrogation de l'article 67? Bien sûr que non, mais elles veulent également que leurs gouvernements soient traités de manière juste afin que ces dispositions s'appliquent aux citoyens des Premières nations de la manière la plus positive possible.

C'est là le défi que nous devons relever ensemble. Nous n'en voulons pas plus que les Canadiens ordinaires, mais nous voulons bien sûr recevoir ce que les Canadiens ordinaires s'attendent à recevoir et reçoivent effectivement de leurs gouvernements.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je ne sais pas si je puis parler après cela, mais je vais tenter de le faire.

Selon vous, le gouvernement remplit-il ses obligations juridiques envers les Premières nations?

M. Fontaine : Il le fera, si vous parlez de revendications territoriales particulières dont il est question dans le projet de loi C-30. Ce dernier reflète un engagement très clair. J'ai déjà dit que le projet de loi C-30 constitue une amélioration importante en ce qui concerne le système existant. Cependant, dans d'autres contextes, la réponse à votre question est moins claire.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Serait-il possible de poursuivre le gouvernement?

M. Fontaine : Vous voulez parler du Sénat? Bien sûr que vous le pouvez.

Le sénateur Lovelace Nicholas : J'y pense parce que rien ne se passe et que le gouvernement ne tient toujours pas ses promesses. Selon mes souvenirs les plus lointains, le gouvernement n'a jamais tenu ses promesses envers notre peuple, et, en tant que sénateur, je fais des efforts considérables. Je pense seulement que l'on doit faire quelque chose.

Le sénateur Hubley : J'aimerais vous demander de nous parler d'un des éléments de votre exposé, à la deuxième puce de la page 8, où on dit que le plafond fait en sorte que 27 000 de nos enfants aboutissent sous la garde de l'État, séparés de leur famille et de l'amour auquel chaque enfant a droit.

M. Fontaine : Il y a deux entités juridiques qui sont responsables de nos enfants quand ils sont retirés de leur famille et de leur collectivité. Nous avons les services provinciaux d'aide à l'enfance existants et les services d'aide à l'enfance des Premières nations, qui sont mandatés par les gouvernements des provinces. Mon bon ami, Clément Chartier, peut vous dire que le Manitoba Métis Council comprend un organisme d'aide à l'enfance métis. Il y a 27 000 enfants des Premières nations qui ont été pris en charge par des organismes provinciaux ou par des organismes d'aide à l'enfance des Premières nations mandatés par les gouvernements provinciaux.

Parmi ces 27 000 enfants, 9 000 ont été pris en charge par des organismes d'aide à l'enfance des Premières nations; il s'agit d'un nombre trois fois plus élevé que celui des enfants qui ont été envoyés dans des pensionnats au moment où l'expérience des pensionnats atteignait son paroxysme. Cette situation est le résultat direct de la pauvreté. Elle existe parce que les parents ne peuvent pas prendre soin de leurs enfants. Ils sont tout simplement trop pauvres.

En passant, l'une des causes les plus importantes de cette situation est que les enfants ont besoin de soins spécialisés, et que ces soins ne sont pas offerts dans un grand nombre de foyers et de collectivités. Les organismes d'aide à l'enfance sont donc obligés de s'assurer que des soins adéquats leur sont fournis.

Le sénateur Cowan : Je vous souhaite la bienvenue, messieurs et je vous remercie de vos exposés. Je voulais revenir sur la question que le sénateur Segal vous a posée. Il a laissé entendre que l'attention que l'on porte à ce mécanisme ou à ce véhicule particulier — j'ai oublié le terme exact dont il s'est servi — était une distraction qui nous éloignait des problèmes sous-jacents beaucoup plus graves. Nous sommes tous d'accord pour dire que ces problèmes sont très graves.

Si je comprends bien votre exposé et votre position, vous ne pensez pas que le montant de 5,1 milliards de dollars est négligeable, mais ce à quoi vous accordez une plus grande importance en ce qui concerne l'Accord de Kelowna est le processus qui a mené à sa signature. Je lis les pages 12 et 13 de votre exposé, où vous parlez d'un processus respectueux qui reconnaît les droits et les intérêts des Premières nations, ainsi que leur rôle approprié en tant que partenaires à parts égales au sein de la Confédération. L'Accord de Kelowna venait également appuyer les changements fondamentaux apportés au cadre redditionnel des programmes et des services pour les Premières nations et il fixait des objectifs pour combler l'écart.

J'aimerais que vous nous donniez plus de détails sur la nécessité de ne pas négliger l'importance de l'argent. Est-ce que j'ai tort si je dis que, selon vous, le processus qui a mené à l'élaboration de l'accord et à une nouvelle relation entre les Premières nations du Canada, le peuple canadien et les gouvernements du Canada était plus important?

M. Fontaine : M. Chartier et moi pouvons tous deux répondre à cette question. Je vais me lancer en premier.

Vous avez absolument raison. Le processus avait une importance considérable parce que nous étions assis à la table de négociation en tant qu'égaux de tous les autres représentants des divers gouvernements. Toutes les idées qui ont subséquemment été intégrées dans le plan sont ressorties du millier de personnes qui ont participé au processus au cours de 18 mois.

L'importance du processus est reflétée par le fait que nous avons été capables d'élaborer un plan. Vous ne pouvez pas tout simplement en faire abstraction en laissant entendre qu'il s'agit d'une distraction parce que les 5,1 milliards de dollars viennent financer le plan. Il s'agit d'un plan sur dix ans visant à combler l'écart dans la qualité de vie en matière d'enseignement, de santé et de logement, et à garantir que nous sommes en mesure de revitaliser nos économies. J'applaudis tous les gouvernements qui ont appuyé le processus et qui ont fini par donner leur aval à notre plan. À ce que je sache, c'était la première fois dans l'histoire du Canada qu'on a travaillé ensemble pour produire quelque chose qui aura des effets positifs sur tout le pays.

Le sénateur Cowan : Les 5,1 milliards de dollars devaient financer le plan, pas régler le problème.

M. Fontaine : Non.

M. Chartier : Je ne répéterai pas ce que j'ai dit à la suite de l'intervention du sénateur Segal, mais j'aimerais dire que l'expérience des Métis en est davantage une d'exclusion en ce qui concerne le gouvernement fédéral. Je suis satisfait et heureux des progrès accomplis par l'Assemblée des Premières Nations sous la direction du chef national, M. Fontaine, relativement à ce projet de loi particulier portant sur les revendications territoriales particulières. Les Métis sont toutefois de nouveau exclus, pour diverses raisons, de ce projet de loi et de la revendication territoriale globale. Des excuses relatives à l'expérience des pensionnats sont imminentes. Je suis content qu'on soit parvenu à un règlement, mais les Métis sont encore une fois exclus parce que le gouvernement fédéral affirme : « Nous n'étions pas responsables de vous. Nous ne financions pas l'Église qui dirigeait les écoles pour les Métis. Même si vous avez subi les mêmes conséquences, laissez tomber. Nous ne traiterons pas de votre cas. »

Nous faisons face à un certain nombre d'autres problèmes. Nous recevons environ 60 millions de dollars au total pour des programmes et services du gouvernement fédéral, ce qui n'est pas beaucoup compte tenu des besoins de notre collectivité. Je ne m'attarderai pas à cela. Je ne voudrais pas qu'on croie que nous voulons empiéter sur le peu de ressources que reçoivent les Premières nations. Des efforts plus considérables doivent être déployés dans ce domaine aussi.

Il y a des problèmes fondamentaux. L'Accord de Kelowna a donné lieu à de grands espoirs et à de grandes attentes dans nos collectivités. Son issue a été une grande déception pour les gens de la collectivité parce que, en tant que Métis, nous avons longtemps souffert de l'exclusion et de la marginalisation. Le fait d'être reconnus aux plus hauts échelons politiques du pays était quelque chose de très poignant pour nos collectivités. Je répète que ça a été une grande déception.

Je voudrais vous dire, à vous, sénateur Segal et sénateur Cowan, que si le gouvernement est prêt à convoquer une conférence constitutionnelle sur nos droits en tant que peuple, je suis certain que le chef national et moi-même serons heureux d'y participer parce que nous devons également régler la question des droits constitutionnels. Les conditions économiques et sociales actuelles qui empoisonnent nos collectivités sont aussi une priorité pour nous. J'aimerais qu'on accomplisse des progrès dans ces deux domaines parallèlement, et qu'on n'en laisse pas un de côté au profit de l'autre.

J'aimerais souligner que, dans son discours de clôture à l'occasion de la conférence de presse sur l'Accord de Kelowna, Paul Martin, qui était alors premier ministre, a affirmé que le gouvernement fédéral était prêt à aller de l'avant, en collaboration avec les Métis, relativement à l'article 91.24 et à la question de compétence, et que le gouvernement fédéral, sous son leadership, était prêt à assumer cette responsabilité. Il a dit cela même si ce n'était pas mentionné dans l'accord. Pour nous, il s'agissait d'une partie très importante du processus. Nous attendions avec impatience ces mesures et avions hâte d'être inclus, plutôt qu'exclus, et de progresser jusqu'à ce que nous puissions occuper la place qui nous revient au sein de la société canadienne.

Le sénateur Peterson : Certains des exposés précédents donnaient à penser qu'il y avait des doutes entourant l'Accord de Kelowna, qu'il s'agissait en quelque sorte d'un mythe, qu'il ne constitue pas véritablement une entente, mais qu'il a été concocté rapidement pendant les derniers jours de vie d'un gouvernement. Comment réagissez-vous à cela, messieurs?

M. Fontaine : Je ne comprends pas comment l'on peut soutenir que l'Accord est un mythe. Il est le résultat d'une rencontre des premiers ministres qui comprenait cinq organisations nationales. Nous nous sommes tous adressés à la nation. À la fin de la rencontre, nous nous sommes de nouveau adressés à la nation. Nous avons convenu de mettre en œuvre notre plan sur dix ans. Si la télévision peut mentir, l'accord est un mythe. Quiconque maintient cela manque de respect et donne une image inexacte du processus.

Comme je vous l'ai déjà dit deux fois et comme je le répéterai, ce processus a duré 18 mois, et 1 000 personnes y ont participé. Nous avons travaillé en collaboration avec tous les gouvernements du pays. Nous avons fait part de nos meilleures idées à nos meilleurs représentants et avons abouti à un plan que nous avons présenté au pays par le truchement des premiers ministres. Notre plan comprenait des objectifs et des résultats réels.

Je me rappelle que l'honorable Jim Prentice, qui était alors ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, a affirmé que son gouvernement acceptait les objectifs et les résultats. Il n'appuyait pas entièrement le processus parce que certaines personnes se sentaient exclues, mais il commencerait immédiatement à prendre des mesures pour discuter avec les gouvernements provinciaux et territoriaux en vue de déterminer comment ils pourraient appliquer l'accord.

Cela ne ressemble pas à un mythe; ça confirme plutôt tout ce qui sous-tend l'accord : les engagements, les objectifs et les résultats.

M. Chartier : Tout comme le chef national, je ne sais pas comment on peut faire ce genre de commentaire.

En mars 2004, le chef national, le président de l'Inuit Tapiriit Kanatami, Jose A. Kusugak, et moi-même avons assisté à un petit déjeuner-causerie avec Paul Martin, qui était premier ministre à l'époque. Nous avons discuté de la direction à adopter.

Cette rencontre s'est déroulée dans la plus grande sincérité. Nous avons convenu d'amorcer un processus. Nous avons participé à une série de tables rondes qui a abouti à la rencontre de mai 2005, où nous avons signé des accords- cadres. Ce processus comprenait la participation du Congrès des Peuples Autochtones et de l'Association des femmes autochtones du Canada, qui sont tous deux des groupes de pression qui œuvrent pour leurs nations et leurs gouvernements respectifs.

Nous avons subséquemment poursuivi le processus et avons abouti à Kelowna. Il y a eu un grand nombre de rencontres multilatérales et à l'échelle des représentants, et finalement, il y a eu la rencontre des premiers ministres. Il y a eu beaucoup de rédaction et de rencontres, et, au bout du compte, nous avons abouti à un résultat qui convenait à toutes les parties.

J'en aurais aimé davantage, mais nous nous sommes entendus sur quelque chose. Je répète que, pour nous, c'était positif. Ce n'était pas une décision de dernière minute. Le processus a été long et pénible, et nous avons travaillé fort.

Il s'agissait de ce que nous pouvions faire de mieux. Selon moi, les résultats étaient bons.

Le président : Merci. J'ai une question.

Je siège à ce comité depuis plusieurs années. Je ne me considère certes pas comme un spécialiste, mais je crois que nous devons progresser d'une manière ou d'une autre. J'ai écouté attentivement l'exposé du très honorable Paul Martin, quand il s'est présenté devant nous. Il semblait accorder beaucoup d'importance à l'enseignement. Il rattachait l'enseignement à la croissance économique. Toutefois, il a parlé avec passion de l'écart en matière d'enseignement entre les Premières nations et les autres Canadiens.

Je suppose que le gouvernement actuel a adopté la position selon laquelle il faut immédiatement régler le problème des 200 collectivités qui n'ont pas d'eau potable, et que l'on devait aborder les injustices qui existent — les injustices horribles imposées aux Premières nations par l'intermédiaire de revendications particulières.

Je ne comprends pas comment on peut accorder la priorité à ces problèmes, mais ce qui m'intéresse, c'est de savoir comment on va de l'avant.

Peu importe ce qui arrive ici ce soir ou les projets de loi qui sont adoptés, c'est la bonne volonté dans le cœur des gens qui fait avancer les choses. Ce sont la compassion et l'engagement qui nous permettent de progresser.

Le plus gros problème que j'ai eu — je ne suis pas certain si ces chiffres sont exacts —, c'est que seulement 44 p. 100 des dollars qui sont accordés à AINC pour les Premières nations se rendent jusqu'aux gens. Les 56 p. 100 restants sont perdus quelque part.

Nous venons de revenir des États-Unis, où nous avons entendu un discours du grand chef Joe Garcia, qui représente 300 000 personnes. Il considère la croissance économique et l'enseignement comme la voie vers l'autosuffisance.

Voudriez-vous nous dire ce que vous pensez de cela? En tant que comité, nous sommes déterminés. Je peux vous garantir que chacun de nous qui siège au comité est déterminé à améliorer la vie de tous les Autochtones. J'aimerais savoir ce que vous pensez du fait qu'on a accordé une si grande importance à l'enseignement.

M. Fontaine : Je pense qu'il s'agit d'un bon point de départ. Cela ne veut pas dire que nous pouvons détourner notre attention des traités et des droits des Autochtones, ainsi que des obligations très importantes qui découlent de nos traités. Ces dernières sont très importantes.

Malheureusement pour nous, nous devons souvent faire appel aux tribunaux pour obtenir réparation. Depuis que je suis chef national, nous avons comparu devant la Cour suprême du Canada 11 fois. Nous savons que le gouvernement dépense des millions de dollars pour contester les causes des Premières nations. Il s'agit de coûts énormes pour nous. C'est un de nos problèmes.

En 1952, il n'y a pas si longtemps de cela — dans tout le Canada, il y avait seulement dix étudiants des Premières nations qui fréquentaient l'université. Aujourd'hui, ils sont près de 30 000. Je crois avoir déjà dit qu'il y a des membres des Premières nations dans toutes les professions et dans toutes les disciplines : nous avons des professeurs, des juges, des avocats, des dentistes, et cetera. Il s'agit de réussites énormes. Ces personnes réussissent malgré les nombreux obstacles auxquels notre peuple fait face.

Toutefois, nous pouvons absolument en faire davantage. En fait, l'Accord de Kelowna visait justement à combler l'écart en matière d'enseignement. Le plan nous aurait permis de combler cet écart en dix ans afin que le taux de nos enfants qui obtiennent leur diplôme soit équivalent à celui des autres enfants canadiens.

Nous ne pouvons pas atteindre cet objectif tout de suite parce que chacun de nos enfants reçoit en moyenne 2 000 $ de moins que les autres élèves canadiens. Il s'agit d'une proposition problématique. Nous appuierons à 100 p. 100 tous les efforts déployés pour combler l'écart en matière d'enseignement et pour revitaliser nos économies.

J'aimerais aborder une dernière question, monsieur le président. Vous vous souvenez sans doute de la crise déclenchée par l'inondation de Kasetchewan et du débordement d'activités et d'engagements qui ont suivi. On a promis 500 millions de dollars pour reconstruire les collectivités à l'extérieur des zones inondables. Puis, il y a eu un changement de gouvernement. On a commandé une étude, dans laquelle on nous a dit : « Voici comment vous devez procéder. »

On s'est alors engagé à verser 250 millions de dollars, soit 50 p. 100 de moins que l'engagement original. Je ne sais pas jusqu'où ils sont allés, mais l'important, c'est qu'un grand nombre de membres de la population, de députés, et de grands noms dans le domaine de la politique ont posé la question : pourquoi des gens habitent-ils dans des lieux isolés où il n'y a ni espoir pour l'avenir, ni activité économique; n'y a-t-il rien pour ces gens?

Que font-ils là-bas? Ils devraient s'installer dans les villes et les villages. Eh bien, nous devons maintenant faire face au pic pétrolier, et on détourne notre attention du pétrole. La situation pétrolière nous inquiète et nous inquiétera pendant encore longtemps, mais ce n'est pas là ce qui m'intéresse. Ce qui m'intéresse, ce sont les minéraux. Les régions qu'on décrivait comme isolées il y a deux ans et qui semblaient peu accueillantes sont devenues l'emplacement de certains des biens immobiliers les plus onéreux au pays, voire au monde. L'activité économique dans ces régions est fulgurante. La prospection et l'exploitation minière ne sont que la pointe de l'iceberg.

Il y a une région qu'on appelle l'Anneau de feu et dont la valeur économique estimée est deux fois supérieure à celle de Voisey's Bay. On ne se demande plus pourquoi ces gens sont là. Le défi qu'on doit surmonter consiste maintenant à déterminer comment faire participer ces collectivités à l'exploitation de ces incroyables richesses qui sont dans le sol tout en garantissant la protection de l'environnement. C'est un endroit vraiment incroyable. Ce qui se passe là-bas est extraordinaire, et j'espère que les gens ont changé d'idée parce qu'il s'agit d'une occasion en or.

C'était une longue réponse à une question courte.

M. Chartier : Ce sont deux domaines dans lesquels la nation métisse a enfin fait du chemin avec le gouvernement fédéral. En ce qui concerne les études dans le domaine de la santé, nous recevons actuellement des bourses par l'entremise de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits; c'est la première fois que nous recevons de tels avantages. Pour nous, il s'agit d'une percée considérable. Nous félicitons le gouvernement de cette initiative et nous voulons prendre appui sur elle parce qu'elle permet à nos jeunes et à certains membres plus âgés de notre nation de recevoir une formation ou un enseignement dans quelque 29 domaines liés à la santé. C'est formidable, et nous espérons que ce financement sera renouvelé.

Depuis dix ans, nous participons au Programme de développement des ressources humaines autochtones, qui permet à ses participants d'obtenir une formation ou un enseignement. Particulièrement dans le volet formation, il y a un grand nombre de Métis qui ont pu être formés et exercent maintenant un emploi rémunéré. Ce programme devrait être reconduit en 2009, et il s'agit d'une question dont je discuterai demain avec le chef national. Nous discuterons entre autres de la façon dont nous pouvons garantir que ce programme est renouvelé. Il s'agit d'un programme positif qui nous a aidés, et je crois que le gouvernement devrait s'engager à le maintenir.

Enfin, la croissance économique est quelque chose qui nous tient à cœur. Elle permet à notre peuple de travailler pour établir un fondement économique solide, et nous espérons pouvoir assurer la croissance de l'économie dans les limites du budget de cette année. La semaine dernière, nous avons rencontré Chuck Strahl, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il est prêt à collaborer avec la nation métisse afin de déterminer comment nous pouvons assurer une croissance économique. Nous n'avons pas véritablement fait de progrès dans ce domaine au cours des dix dernières années. Nous avons maintenant l'occasion de le faire et nous sommes prêts à la saisir. Nous espérons que quelque chose de bon en ressortira cette année.

Je répète que nous devons travailler en vue de surmonter tous les défis auxquels nous faisons face dans notre vie. L'enseignement et la croissance économique sont à coup sûr des domaines dans lesquels nous tirerions profit de programmes et de services, mais nous voulons également faire des progrès dans le domaine des droits. Toutes les initiatives entreprises dans ces autres domaines seraient vues d'un bon œil par la nation métisse.

Le président : Chers collègues, je vous remercie. Je vous remercie d'avoir témoigné.

J'ai découvert quelque chose au cours de mes voyages, et je crois que d'autres sénateurs, comme les sénateurs Hubley et Peterson, qui ont beaucoup voyagé, ainsi que les sénateurs Lovelace Nicholas, Campbell et Segal, ont constaté la même chose; le leadership est essentiel à la réussite des Premières nations de toute l'Amérique du Nord. Je suis certain que nous avons de bons leaders.

Je sais que le travail est difficile. Grand chef Fontaine, je ne sais pas comment vous faites pour parcourir tout le pays, car je trouve le trajet entre la Colombie-Britannique et Ottawa difficile, mais je vous encourage tous les deux à poursuivre votre bon travail. Nous sommes heureux que vous soyez venus témoigner et nous sommes impatients de travailler avec vous à l'avenir en vue d'améliorer le sort des Autochtones du Canada. Merci.

Mesdames et messieurs, notre deuxième groupe de témoins est constitué de Claudette Dumont-Smith, directrice administrative intérimaire de l'Association des femmes autochtones du Canada, et de Peter Dinsdale, de l'Association nationale des centres d'amitié.

Je vous remercie tous les deux d'avoir accepté l'invitation du comité d'offrir vos témoignages relatifs à l'Accord de Kelowna. Nous sommes impatients d'entendre vos exposés, qui seront suivis des questions des sénateurs. Vous pouvez commencer.

Claudette Dumont-Smith, directrice administrative intérimaire, Association des femmes autochtones du Canada : Je suis membre de la nation des Algonquins et je viens de la collectivité de Kitigan Zibi, qui est située à environ 90 milles directement au nord d'ici.

Je voudrais commencer par vous remercier de l'occasion de m'adresser au comité sur cet enjeu important. Notre présidente, Beverly Jacob, regrette de ne pouvoir être là. Elle participe à des rencontres importantes à l'étranger.

L'Association des femmes autochtones du Canada est une organisation politique qui représente, à l'échelle nationale, 13 associations membres. Ces organisations sont présentes dans toutes les provinces et dans tous les territoires du pays. Notre objectif collectif est de promouvoir, d'améliorer et de favoriser le bien-être économique, social, culturel et politique des femmes autochtones au sein des Premières nations, de la nation métisse et du Canada.

L'AFAC vise à garantir qu'on répond aux besoins uniques des femmes autochtones dans le cadre de tous les processus engagés à l'échelle nationale. Le fait d'investir les femmes autochtones d'un pouvoir en facilitant leur participation aux réformes législatives et stratégiques est une manière de favoriser l'égalité des chances et de garantir que l'utilisation d'approches pertinentes en ce qui concerne la culture et le sexe donne lieu à une démarche plus équilibrée et holistique relativement aux questions à l'étude.

Nous connaissons tous le processus historique qui a mené à l'Accord de Kelowna. L'AFAC souligne l'importance de notre présence aux rencontres préparatoires de la Table ronde Canada-Autochtones de 2004, laquelle a permis aux autres participants de mieux comprendre la nécessité de faire participer les femmes autochtones à la recherche conjointe de solutions équilibrées et holistiques. Même si notre participation à la rencontre de Kelowna en 2005 n'a pas été aussi importante que nous l'espérions, il s'agissait tout de même de la première fois que nous étions invitées à participer à une rencontre des premiers ministres. Nous considérions que nous faisions encore des progrès, si lents et minimes soient-ils, en ce qui concerne notre objectif d'être reconnues et incluses de manière égalitaire dans ces processus nationaux.

L'AFAC appuyait à l'époque et continue d'appuyer un certain nombre de principes exprimés dans l'Accord de Kelowna. Premièrement, les relations qui ont été créées entre les organisations autochtones nationales qui ont participé au processus continuent d'influer sur notre travail jusqu'à ce jour. L'élaboration d'une vision et d'objectifs communs, ainsi que d'une stratégie conjointe pour atteindre ces objectifs, étaient un résultat important du processus de Kelowna.

Deuxièmement, l'AFAC appuyait à l'époque et continue d'appuyer le plan qui est ressorti de l'Accord de Kelowna. L'AFAC a formulé un grand nombre de recommandations, qui ne touchaient pas toutes exclusivement les femmes. Nous avons demandé au gouvernement de respecter nos droits constitutionnels et nos droits de la personne, y compris les droits des Autochtones et ceux découlant d'un traité, et de combler les écarts considérables en matière de santé et de bien-être qui touchaient les Autochtones et qui continuent aujourd'hui à leur faire du tort.

Un troisième résultat important aurait découlé de l'Accord de Kelowna; j'ai nommé l'amélioration de la relation entre les Autochtones et le gouvernement fédéral. L'AFAC regrette que cette occasion d'aller de l'avant dans l'union et l'harmonie n'a pas été saisie par les organisations autochtones nationales et le gouvernement fédéral.

L'AFAC voit bien que l'occasion de mettre en œuvre l'Accord de Kelowna tel qu'on l'avait envisagé à l'origine ne s'est pas concrétisée. Il y a toujours la possibilité, cependant, de mettre en œuvre les principes et les mesures bénéfiques qui étaient contenues dans l'accord.

L'AFAC demande instamment au gouvernement fédéral d'honorer les engagements de la Couronne et d'assumer la responsabilité pour les conditions abominables qui caractérisent le quotidien de tant d'Autochtones. L'Accord de Kelowna témoigne de notre capacité de convenir collectivement d'un programme d'action et de créer un plan complet et exhaustif qui vise les problèmes socioéconomiques auxquels sont confrontés les peuples autochtones. Une démarche fragmentée qui ne traite que de certaines questions et en exclut d'autres n'entraînera pas de changements efficaces à long terme. Malheureusement, il semble que le plan actuel du gouvernement fédéral se limite à la démarche désordonnée que nous voyons à l'heure actuelle. Nous ne croyons pas qu'elle sera efficace devant les problèmes socioéconomiques enracinés dans la réalité des peuples autochtones d'aujourd'hui.

Le projet de loi C-292 présente au gouvernement fédéral une occasion de passer à l'action et de mettre fin au cycle de la pauvreté et de la violence qui afflige les peuples autochtones, y compris celui des personnes les plus marginalisées au Canada, soit les femmes autochtones. Le projet aiderait à rétablir la relation entre le gouvernement fédéral et les organismes autochtones nationaux et les gens que nous représentons. Il reflète une image particulièrement complète du concept de « besoin », car il comprend la santé et le bien-être sur le plan social, culturel, économique et spirituel.

L'AFAC est toujours préoccupée par les mesures qui sont utilisées pour évaluer les progrès réalisés pour ce qui est de combler l'écart entre les peuples autochtones et le reste de la population. Les indicateurs statistiques couramment utilisés pour mesurer la qualité de vie, comme le niveau de scolarité et le revenu, sont importants, mais ils ne mesurent pas d'autres facteurs qui ont un impact négatif sur la vie des femmes autochtones, comme les conséquences de la violence sur leur santé et leur bien-être.

Nous avons toujours insisté sur le fait que tous les changements de politique et de programme doivent respecter les cultures, les traditions et les langues distinctes des peuples autochtones. Ces traditions comprennent le respect et l'égalité de la femme. Il ne suffit pas d'examiner ou d'analyser l'incidence des décisions stratégiques sur les femmes autochtones. Les femmes autochtones et leurs représentants doivent avoir voix au chapitre et prendre part à ces processus au fur et à mesure que nous allons de l'avant et que nous ciblons ce segment de la population autochtone pour y apporter des changements favorables. Nous croyons fermement que, si les femmes autochtones sont en sécurité et en santé, leurs enfants, leur famille, leur collectivité et leur nation le seront également.

La population autochtone du Canada est jeune; le tiers est âgé de moins de 25 ans. Sans un plan complet et ciblé visant à combler l'écart entre les peuples autochtones et le reste du Canada, nos jeunes n'auront pas d'avenir.

Deux ans et demi ont passé depuis que l'Accord de Kelowna a été appuyé par 19 parties; il nous reste donc sept ans et demi pour réaliser les objectifs établis dans le cadre de cette réunion et combler l'écart une fois pour toutes.

L'AFAC a été constituée, entre autres, pour éradiquer la discrimination qui touche les femmes autochtones dans le pays et la discrimination inhérente aux lois et politiques fédérales à l'égard des femmes autochtones. Nous croyons que la prise de mesures visant à promouvoir l'égalité des femmes autochtones sera profitable à l'ensemble des collectivités autochtones autant qu'à la société canadienne. Nous n'avons pas relevé ce défi, mais nous croyons que les mesures comprises dans l'ancien Accord de Kelowna, maintenant intégrées dans le projet de loi C-292, constituent une démarche importante pour atteindre ce but.

[Le témoin a parlé dans sa langue maternelle.]

Le président : Merci.

Peter Dinsdale, directeur général, Association nationale des centres d'amitié : Je vous remercie, honorables sénateurs, de m'avoir invité à comparaître devant le comité. Notre présidente, Vera Pawis Tabobondung, ne pouvait malheureusement pas venir aujourd'hui; elle m'a donc envoyé à sa place, et je vous transmets ses meilleurs vœux et ses excuses de ne pas avoir pu se présenter.

Tout d'abord, je voudrais préciser que, malgré nos préoccupations au sujet de l'Accord de Kelowna et des mesures qu'il comprend, que je m'apprête à vous exposer, nous appuyons totalement le projet de loi C-292 et encourageons le Sénat à l'adopter.

La démarche maintenant connue sous le nom d'« Accord de Kelowna » peut être perçue comme le processus politique le plus important depuis la Commission royale sur les peuples autochtones. Les événements qui ont mené à l'Accord de Kelowna sont connus de tous, j'irai donc droit au but.

Les centres d'amitié ont manifesté à l'extérieur de l'édifice où se sont réunis les ministres la première fois; c'est une question non résolue qui a provoqué notre manifestation. Nous estimons que l'Accord de Kelowna et ses documents ne prévoyaient pas de discussion plus large au sujet des Autochtones des centres urbains et de la façon de combler leurs besoins en matière de scolarité. Quels services de logement sont nécessaires? Quel ordre de gouvernement est responsable de ces gens? Quel est le rôle des entités qui les représentent? Quel est le rôle général des fournisseurs de services?

Nous voulions souligner l'importante conversation qu'il manquait. C'était une journée froide et bruineuse, mais nous croyions que nos voix devaient être entendues, ne serait-ce que sous la forme d'une protestation. En nous tenant à distance et en nous réduisant au silence, on a raté une occasion historique de renforcer l'Accord de Kelowna. Les mesures envisagées dans l'accord étaient généralement favorables, et nous croyons cela fermement, mais elles n'allaient pas assez loin. L'urbanisation des peuples autochtones est un fait démographique bien établi, provoqué par une période d'urbanisation relativement rapide au cours de la dernière génération. Aujourd'hui, environ 54 p. 100 de tous les Autochtones vivent dans les centres urbains. On a négligé de prendre des mesures adéquates visant la majorité des membres des Premières nations, des Métis et des Inuits qui vivent dans ces centres urbains. On n'a pas pris d'engagement clair visant à fournir les programmes et les ressources nécessaires pour réagir de façon significative aux problèmes quotidiens des Autochtones en milieu urbain.

Les centres d'amitié, contrairement aux cinq organismes autochtones consultés et présents durant la première réunion des ministres, ne sont pas un corps de représentants. Nous sommes un organisme de prestation de services. Nous ne prétendons pas représenter un segment particulier de la population autochtone. Nous les servons tous : les membres des Premières nations, inscrits ou non, les Métis de toutes les régions du Canada et les Inuits. Il y a centres d'amitié dans 116 collectivités d'un océan à l'autre, et ils possèdent une capacité impressionnante de joindre les populations autochtones des centres urbains, souvent laissées pour compte. Nous avons remarqué que des témoins qui ont comparu ont apporté des arguments convaincants et passionnés en faveur des politiques, des programmes et des investissements adaptés à la culture enchâssés dans l'Accord de Kelowna, les présentant comme la meilleure façon d'aller de l'avant, voire la seule. Certains ont affirmé qu'il faudrait offrir des programmes distincts aux Premières nations, aux Métis et aux Inuits. Dans bien des cas, lorsqu'une nation évolue et construit son histoire, une telle mesure est tout à fait appropriée.

Toutefois, dans une collectivité urbaine, où règne une grande hétérogénéité, il est peu probable que cet argument soit valable en pratique. Selon notre expérience — plus de 50 ans —, la collectivité autochtone en milieu urbain, soit les Premières nations, les Métis et les Inuits, croit uniformément au bien-être de la collectivité lorsqu'elle vit dans les centres urbains. Notre force et notre réussite, ancrée dans notre démarche consistant à servir les gens « sans égard au statut », a aidé beaucoup de personnes au fil des années. Nous offrons des services à tous les groupes canadiens reconnus dans la Constitution; pourtant, le rôle que nous, ou d'autres fournisseurs de services en milieu urbain, pourrions jouer dans le cadre d'une démarche en vertu de l'Accord de Kelowna n'est pas clair, car l'accord ne prévoit aucune démarche faisant abstraction du statut.

Nous craignons qu'en raison de la définition trop étroite d'un volet de programme, certaines personnes, dont des femmes, passeront entre les mailles du filet; des mères et leurs enfants seront négligés. Comment cela peut-il profiter à qui que ce soit?

On a avancé que les démarches où l'on ne tient pas compte du statut font fi de l'histoire distincte de chaque groupe et perpétuent les échecs actuels. Cette distorsion de la réalité est souvent délibérée. Nous ne croyons pas que les collectivités autochtones sont homogènes. L'adoption d'une démarche faisant abstraction du statut ne signifie pas qu'on offre des services sans tenir compte de l'identité. Une personne qui fait partie de la grande famille des collectivités autochtones — Premières nations, Métis, Inuits, Indiens non-inscrits — sera respectée et honorée. L'intégration est une croyance fondamentale reflétée dans tous les centres d'amitié, d'un océan à l'autre.

Nous nous sommes regroupés et avons misé sur nos croyances, nos visions respectives et notre compassion afin de créer des politiques en matière de santé et de bien-être qui comblent les besoins de nos collectivités diverses et complexes.

Nous tirons tous une fierté de notre engagement collectif envers la vision d'une collectivité saine pour tous. Nos portes sont toujours ouvertes aux centaines et aux milliers de peuples autochtones — Premières nations, Métis et Inuits — qui arrivent à nos portes à la recherche de chaleur, de bonté et de sollicitude. Les peuples autochtones viennent chercher un soutien et un esprit communautaire auprès de nos 116 centres d'amitié depuis plus de 50 ans. L'histoire des centres d'amitié, des plus grandes villes canadiennes jusqu'aux plus modestes centres urbains, continue d'être caractérisée par la résilience, l'espoir, le dévouement et le travail acharné. Puisque la population autochtone est le segment de la population urbaine canadienne qui croît le plus rapidement, notre réseau continuera de grandir.

Nous espérons que les honorables sénateurs qui se trouvent ici appuieront l'Accord de Kelowna, malgré nos préoccupations. Il s'agit d'une occasion historique, et on ne doit pas laisser passer. Nous avons trop perdu de temps depuis que l'Accord de Kelowna a été ratifié. On parlait de « donner suite à l'Accord de Kelowna », mais il semble qu'on entendait par cela qu'on n'allait pas faire progresser l'accord du tout, et c'est tragique. L'heure est venue de mettre fin au cycle des promesses brisées et à l'exclusion des Autochtones en milieu urbain; il faut s'engager, entre autres, à mettre en œuvre l'Accord de Kelowna.

Le président : Merci à vous deux; nous avons maintenant des questions, à commencer par celles du sénateur Hubley, puis du sénateur Segal.

Le sénateur Hubley : Je vous remercie beaucoup, tous les deux, d'avoir témoigné ce soir.

Ma question s'adresse à Mme Dumont-Smith. En tant que femme, avez-vous senti que certains des principes et des mesures bénéfiques contenus dans l'accord étaient particulièrement importants pour les femmes autochtones?

Mme Dumont-Smith : J'ai surtout travaillé sur le plan directeur pour la santé. Dans le cadre de ce plan, nous avons insisté sur le fait que chaque élément présenté devait refléter un processus d'analyse sexospécifique adapté à la culture pour toutes les stratégies de mise en œuvre de l'accord; c'était donc un point très important pour nous. C'est ce que nous voulons, et c'est ce que nous tentons encore d'accomplir aujourd'hui, parce que nous estimons qu'un tel mécanisme permettra de réagir à nos préoccupations.

Le sénateur Segal : Tout d'abord, je tiens à remercier les deux témoins de leur exposé très réfléchi et très simple, qui s'est révélé utile à nombre d'égards. J'aimerais particulièrement souligner mon appréciation de la distinction qu'ils ont établie entre leur soutien général de l'accord et leurs préoccupations relatives à des lacunes particulières qui persistent peut-être. Je voudrais entendre votre point de vue à ce sujet.

Chaque gouvernement fait les choses à sa façon, c'est pourquoi il n'est pas étonnant, selon moi, qu'un gouvernement qui n'était pas à l'origine de l'Accord de Kelowna préconise une démarche différente de celle du gouvernement qui a participé à la négociation, pour le meilleur ou pour le pire. L'un des problèmes de la démocratie tient au fait que les gouvernements changent, et chaque personne a une vision différente.

Je m'inquiète des conséquences dont vous faites état concernant nos frères et nos sœurs des Premières nations qui vivent dans les villes. J'ai bien du mal, comme parlementaire, à soutenir une proposition qui, de fait, écartera au moins 54 p. 100 de la population. Je suis bouleversé par cette proposition qui, si bien intentionnée et si bien financée soit-elle, pourrait en fait se limiter — et je crois que le chef Brazeau l'a déjà fait valoir au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes — à verser de l'argent dans un système déjà en place qui n'offre aucune mesure efficace visant à combler les besoins des peuples des Premières nations qui vivent dans nos villes.

Je crains aussi que, sur certains plans, le système des conseils de bande traditionnels n'ait pas toujours respecté autant que nous le souhaiterions tous les droits constitutionnels légitimes des femmes autochtones à titre de citoyennes canadiennes. La dernière chose que je voudrais faire, même inconsciemment, est de soutenir une proposition qui aurait entraîné le versement de 5 milliards de dollars dans un système qui ne respecte pas les femmes des Premières nations et qui exclut les citadins. Je ne veux pas laisser entendre que les 5 milliards de dollars n'auraient pas été utiles si on les avait dépensés autrement, mais je suis troublé par l'exclusion d'une si grande partie de la population des Premières nations. J'aimerais que vous m'aidiez à comprendre, s'il-vous-plaît, pourquoi vous affirmez que, malgré tout ce que vous avez souligné avec brio dans votre exposé, vous croyez toujours que l'adoption de l'Accord de Kelowna serait la bonne chose à faire.

Je m'inquiète, parce que, en fait, l'accord pourrait exacerber certaines injustices et en créer de plus grandes, ce qui ne refléterait pas l'intention de tous ceux qui y ont participé. Tous ces gens avaient l'intention d'entreprendre une démarche constructive, utile, respectueuse et visant réellement le soutien. D'après ce que j'en déduis de certaines parties de votre exposé, vous soutenez l'adoption de l'accord, mais vous craignez qu'on néglige de prendre en main, par quelque moyen que ce soit, des composantes importantes.

Mme Dumont-Smith : D'emblée, l'avis de l'AFAC, c'est que toutes les femmes autochtones; qu'elles soient Métisses, Inuites ou membre des Premières nations, de quelque courant que ce soit doivent participer à ces travaux à titre de partenaires égales. Ainsi, nous surmonterons nos préoccupations à l'égard des femmes. Oui, nous sommes en faveur de l'Accord de Kelowna, sur la foi de ses objectifs énoncés; mais nous voulons assurer une pleine participation à titre d'intervenantes égales à ces travaux, et c'est pourquoi nous nous acharnons tant sur la mise en œuvre d'un processus sexospécifique adapté à la culture, parce qu'il est fondé sur des principes d'égalité.

Le sénateur Segal : Sur ce point, serait-il souhaitable que le comité, dans le cadre de ses travaux sur l'accord, présente également des observations qui reflètent les préoccupations que vous avez soulevées? C'est-à-dire que, dans nos observations, nous dirions officiellement que nous voulons que le principe de parité et d'égalité entre les hommes et les femmes autochtones soit respecté dans toutes les discussions tenues au sujet de l'accord, s'il est adopté.

Mme Dumont-Smith : Ce serait très utile. L'AFAC lutte pour cette cause depuis des années. Cela a toujours été notre position, et c'est la position que nous adoptons à l'égard de l'Accord de Kelowna. Il en était ainsi par le passé, et il en sera toujours ainsi.

M. Dinsdale : Lorsque nous rédigeons ces commentaires, nous tentons toujours de concilier notre opinion sur la démarche à adopter et nos inquiétudes sincères. Nous ne voulons surtout pas être perçus comme des diviseurs qui interviennent invariablement dans les problèmes qui nous sont parfois présentés.

Si vous demandez à l'Assemblée des Premières Nations ou à l'Inuit Tapiriit Kanatami s'ils offrent des services à leurs citoyens des centres urbains, ils vous diront que oui. Nous ne nous entendons pas pour affirmer que l'accord ne reflète pas totalement les besoins, parce que je suis sûr qu'ils sont bien représentés.

Une partie de la difficulté est d'adapter le concept de « droit à l'éducation » — de droit à un cadre pédagogique et à un contenu autochtone — aux besoins que nous voyons dans les collectivités, comme les femmes autochtones célibataires, au centre-ville de Winnipeg, qui tentent d'obtenir leur diplôme d'études secondaires. On en a beaucoup parlé dans le cadre de notre discussion; on se demande notamment quelle forme prendront les mesures qui nous ont été présentées et le dispositif de mise en œuvre, et comment cela influera sur nos clients au quotidien.

Je crois qu'il faudrait établir la distinction entre l'importance accordée à l'argent et l'importance accordée aux résultats. Nous voulons nous concentrer sur les résultats. Un montant de 5,1 milliards de dollars, ce n'est qu'un chiffre. Peut-être aurait-il encore fallu dépenser davantage au bout du compte. Ce n'est pas clair. Il est plus important de s'attacher aux résultats en ce qui concerne les gens vivant en milieu urbain qui obtiennent leur diplôme et le nombre de personnes vivants dans la pauvreté, et ainsi de suite, et de penser à réduire ce nombre.

La première fois que nous avons manifesté, le 31 mai, à l'extérieur de la réunion de réflexion stratégique, parce que notre participation au processus était limitée, nous avons brièvement rencontré le premier ministre Paul Martin pour lui parler de nos préoccupations et lui expliquer la raison de notre manifestation en marge de la signature d'accords stratégiques historiques. Nous avons parlé de la frustration provoquée par notre exclusion de la table ronde et des discussions relatives à l'orientation. Le premier ministre a alors tenté de trouver un moyen de s'intégrer au processus menant à l'Accord de Kelowna, mais il n'a pas pu convaincre ses représentants officiels.

Durant les jours qui ont mené à l'Accord de Kelowna, nous avons tenu des réunions de dernière minute avec Andy Scott, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, et avec notre ministre, entre autres, pour tenter de trouver une façon de tenir compte des préoccupations liées aux Autochtones des centres urbains. À l'époque, on reconnaissait que l'accord, sous sa forme actuelle, comportait des lacunes. On proposait de créer un processus axé sur les centres urbains après la prochaine élection.

Lorsque nous avons manifesté à l'extérieur de la réunion à Kelowna, Jim Prentice s'est joint à nous et a exprimé son soutien à l'égard de nos préoccupations, de la pertinence du processus axé sur les centres urbains et de ce que nous incarnions. Pour donner suite à l'Accord de Kelowna, il fallait se pencher sur les aspects urbains du développement.

Le nouveau gouvernement n'a pas relevé le défi, et c'est là une grande partie du problème. Il n'a pas non plus adopté de processus de rechange visant à accomplir les mêmes résultats, selon nous. Nous sommes prêts à tout plutôt que d'être des diviseurs. Nous souhaitions souligner des aspects que nous jugions préoccupants dans l'accord. Les gens qui étaient là vous diront peut-être qu'ils représentent leurs citoyens. Nous croyons que des mesures visant à combler les besoins des personnes que nous servons chaque jour devraient également être prévues, mais nous n'avons rien vu à cet égard dans le texte.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Merci d'être ici.

Ma première question va à Mme Dumont-Smith. Votre financement a été réduit l'année dernière ou celle d'avant, n'est-ce pas?

Mme Dumont-Smith : L'Association des femmes autochtones du Canada n'est pas sur le même pied que les autres organismes autochtones nationaux. Nous obtenons notre financement de sources gouvernementales différentes. Nous n'obtenons aucun financement opérationnel comme tel, contrairement aux autres organismes. Nous misons beaucoup sur le financement de projets offert par Santé Canada, par exemple. Condition féminine Canada nous a octroyé beaucoup d'argent pour mettre en œuvre l'initiative Sisters in Spirit, liée aux 500 femmes assassinées ou portées disparues. Obtenir des fonds ou du financement est toujours une lutte pour notre organisme. Nous touchons beaucoup moins de financement que d'autres organismes autochtones.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Oui, je le sais, mais il fallait que je vous pose la question.

Si l'Accord de Kelowna était adopté, ne permettrait-il pas de résoudre certains des problèmes auxquels font face les femmes dans les collectivités des Premières nations — pas tous, mais certains des problèmes?

Mme Dumont-Smith : Nous affirmons depuis le début des années 1990 que, si les femmes avaient participé à la prise de décisions, à la création de politiques et à la conception de programmes, surtout ceux destinés aux peuples autochtones, nous ne serions pas dans une situation difficile aujourd'hui.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Pourquoi ne vous invite-t-on pas à ces tables rondes?

Mme Dumont-Smith : Nous avons participé au processus de l'Accord de Kelowna, mais, comme vous le savez, l'élaboration de cet accord a pris une orientation axée sur la distinction entre les états. Voilà comment c'est arrivé.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Qui sont ceux qui disent : « Nous ne voulons pas que les femmes autochtones soient présentes »? Est-ce plus simple? Qui sont-ils? Est-ce l'APN? L'Atlantic Policy Congress ne veut-il pas que vous soyez présentes à sa table?

Mme Dumont-Smith : Non, je ne crois pas que ce soit si flagrant. Nous sommes invitées à participer à ces tables rondes, mais nous n'avons pas la même reconnaissance, j'imagine. Nous avons perçu cette attitude chez le chef national tout à l'heure. Chacun travaille exclusivement pour son groupe d'intérêt.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Ne faites-vous pas partie d'un groupe d'intérêt qu'il représente?

Mme Dumont-Smith : Non. Nous représentons toutes les femmes autochtones au Canada.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Oui, je sais, mais la question que je tente de vous poser est la suivante : il représente le Manitoba ou le Nouveau-Brunswick. Vivez-vous dans l'une des collectivités où il est le chef national?

Mme Dumont-Smith : Je suis membre des Premières nations de Kitigan Zibi, oui.

Le sénateur Lovelace Nicholas : J'ai une question pour M. Dinsdale. Vous avez mentionné qu'on ne laissait aucune place au dialogue sur les Autochtones vivant dans les centres urbains. Selon ce que j'ai compris, un fonds d'aide au logement a été créé exclusivement pour les gens qui vivent dans les centres urbains.

M. Dinsdale : Je suis certain que cela était prévu dans un budget postérieur à l'Accord de Kelowna et qu'il n'est pas question d'une telle chose dans l'accord. On avait évoqué la possibilité de trouver des solutions dans l'entente visant le logement, si c'est là votre question générale.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Oui. Je sais de source sûre que, à Fredericton, beaucoup de personnes qui vivent dans la ville ont présenté une demande et ils ont obtenu un logement pour trois fois rien.

M. Dinsdale : Ils sont chanceux. Je crois que ce qu'on a vécu dans le reste du pays n'approche même pas cette réalité, ce qui explique l'engagement de 200 millions de dollars destinés au logement. Je n'ai pas l'intention de me faire l'apôtre des politiques de logement qu'a maintenues le gouvernement fédéral. Toutefois, si vous observez le pays dans son ensemble, vous verrez dans les centres urbains des disparités incroyables en matière de logement. Parmi les défis que nous a présentés l'Accord de Kelowna, il y a le fait que nous n'avions pas l'occasion de tenir un dialogue significatif. Quel est le rôle approprié de chaque personne qui participe à l'élaboration de la politique en matière de logement? Quel est le rôle des collectivités qui en subissent les contrecoups chaque jour? On parle du droit au logement, mais qui s'occupera des sans-abri? Voilà les questions que nous tentions d'inclure au débat plus large qui entoure l'Accord de Kelowna.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je pose ces questions parce que je ne pense pas que la majorité de mes collègues connaissent cette réalité. Je suis venue au monde et j'ai été élevée dans une collectivité des Premières nations, et on ne peut comprendre ce qui s'y passe que si l'on est sur place.

Le sénateur Campbell : Monsieur Dinsdale, j'étais maire de Vancouver; j'ai donc une connaissance intime de la collectivité autochtone des centres urbains. Je suis troublé par l'idée que vous ne croyez pas que les cinq organismes nationaux représentent les Autochtones en milieu urbain. Peut-être que quelque chose m'échappe. Si c'est le cas, je m'en excuse.

Toutefois, j'ai eu l'impression que vous étiez exclus et qu'ils ne l'étaient pas. Vous croyiez que vous représentiez la collectivité autochtone des centres urbains. C'est bien cela?

M. Dinsdale : Non, monsieur. Selon notre interprétation, l'accord ne comblerait pas les besoins des gens que notre personnel de première ligne sert chaque jour, point dont nous avons discuté pendant le processus de la table ronde où nous avons tenté de travailler avec le premier ministre pour que ces questions soient réglées dans le cadre de l'élaboration des accords. Toutes ces occasions ont été rejetées.

Notre interprétation du texte issu du processus de Kelowna nous a amené à nous inquiéter au sujet de l'impact ultime de l'accord sur les Autochtones des centres urbains; nous craignons non pas que ces organismes ne représentent pas les groupes d'intérêt de leurs régions, mais que l'accord ait une incidence négative.

Le sénateur Campbell : L'Accord de Kelowna comprenait le logement, l'éducation, bref, pratiquement toutes les questions que, en tant que maire, je songerais à aborder auprès du gouvernement fédéral avec, entre autres, le centre d'amitié autochtone de Vancouver en milieu urbain, les chefs, les organismes de femmes autochtones et l'Aboriginal Mother Centre de Vancouver. L'accord prévoyait des mesures qui, si elles avaient été mises en œuvre, auraient provoqué des changements importants dans le paysage de la population autochtone des centres urbains.

M. Dinsdale : Je ne suis pas certain d'être d'accord avec votre évaluation. Je crois que nous avons soutenu l'adoption de l'Accord de Kelowna parce que certains éléments qu'il comprenait auraient eu une incidence importante sur les collectivités des Premières nations et les collectivités métisses et inuites et parce que nous reconnaissions, dans une certaine mesure, que le sort des femmes en milieu urbain s'améliorait.

Dans le cadre de l'élaboration de l'annonce et des accords, nous nous sommes battus pour qu'il soit question de la disposition relative à la prestation de services dans les centres urbains, précisément ce dont vous parlez. Nous n'arrivions pas à obtenir un consensus pour inclure ce texte. Je crois que ce qu'on prévoit pour la mise en œuvre n'est qu'une hypothèse.

Pour notre part, compte tenu de la force de nos relations passées avec les peuples autochtones des centres urbains, nous n'en étions pas convaincus. Notre inquiétude était telle que nous voulions faire la lumière sur ce que nous considérions comme une exclusion importante, en dépit de nos meilleures intentions, à cause de la conjecture même que vous invoquez. Rien ne permettait d'être certain que les choses se dérouleraient ainsi.

Le sénateur Campbell : J'ai deux petites questions. Le ministre Prentice milite à vos côtés, puis devient ministre.

M. Dinsdale : C'est ce que nous avons dit.

Le sénateur Campbell : Ensuite, avez-vous déjà vu un accord idéal, dont toutes les dispositions correspondent à votre volonté?

M. Dinsdale : Certainement pas.

Le sénateur Campbell : J'étais là à titre de maire, et je disais que je pouvais en venir à quelque chose. Je pouvais retourner chez moi et regrouper ces organismes dans la ville. Pourtant, vous pensez que cela est impossible. J'ai vraiment du mal à comprendre votre point de vue, car c'est comme si tout cet argent irait vers les Autochtones en milieu rural et que rien ne parviendrait aux populations urbaines. Vous savez, tout comme moi, que la plupart des gens des Premières nations vivent à l'extérieur des réserves, dans nos collectivités, et j'ai beaucoup de mal à imaginer ces 5 milliards de dollars aller uniquement vers les collectivités rurales.

M. Dinsdale : Lorsque le gouvernement libéral a créé un programme de 360 millions de dollars relatif au syndrome d'alcoolisme fœtal pour combler les besoins des enfants autochtones aux prises avec ce syndrome, pas un sou n'a été dépensé à l'extérieur des réserves. Lorsqu'on a mis au point le financement pour la stratégie de développement des ressources humaines autochtones, pour l'essentiel, 10 p. 100 du financement a été affecté aux réserves, réalisation incroyable pour ces programmes fédéraux. La vaste majorité des programmes de Santé Canada ne sont pas accessibles dans les centres urbains, faute de financement.

Je ne partage pas votre optimisme. Les maires de Regina et d'autres collectivités aux prises avec d'immenses problèmes à l'égard des Autochtones ont, comme vous, tenté de concilier la stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain avec d'autres programmes. Cette mesure réussit plus ou moins à obtenir l'engagement du gouvernement fédéral, pour deux raisons. Premièrement, il y a un consensus limité quant à l'administration responsable des gens des Premières nations lorsqu'ils arrivent dans les centres urbains. L'une des occasions qu'on a ratées à Kelowna était de commencer à examiner et à aller au cœur de ce problème de compétence.

Le sénateur Campbell : Je ne fais pas affaire avec le gouvernement fédéral lorsque je suis maire. Je transige avec les Premières nations, parce qu'il s'agit d'un ordre du gouvernement, comme moi. Par exemple, si je vois qu'il y a un gros problème avec les Haida ou les Gwich'in, par exemple, je consulte les Premières nations et je leur dis : Nous avons un problème. Qu'allons-nous faire?

Une certaine partie de l'argent qui va vers les réserves doit aller ailleurs. Ce n'est pas assez, c'est certain. Vous êtes confrontés à un défi titanesque; je le sais bien. Toutefois, j'ai de la difficulté à croire que tout l'argent irait là-bas. Nous pouvons nous résigner à ne pas être d'accord. Je crois que vous faites un merveilleux travail. J'ai passé beaucoup de temps au centre d'amitié de Vancouver, et c'est un endroit génial. Actuellement, je travaille à la création d'un centre d'amitié autochtone pour les jeunes en milieu urbain. Peut-être que vous pourriez en glisser un mot lorsque vous parlerez au ministre Strahl, des Affaires indiennes et du Nord.

Le sénateur Peterson : Seriez-vous d'accord pour affirmer que l'Accord de Kelowna était un accord-cadre très complet? Je crois qu'il a intégré les éléments que vous avez mentionnés plus tôt quant aux problèmes de compétence, car il a entraîné la participation des ministres provinciaux, ce qui est un début. Je crois que vous devez convenir qu'il s'agissait d'un document évolutif. Il a été élaboré sur un horizon de plus de dix ans.

Ne croyez-vous pas que vos inquiétudes et vos observations auraient été reconnues pendant cette période? L'un de vous deux peut répondre.

M. Dinsdale : Non, nous n'avons pas été entendus, et c'est pourquoi nous avons décidé de manifester à l'extérieur de la réunion de réflexion stratégique. Pendant les mois qui ont suivi notre rencontre du 31 mai avec le premier ministre, nous avons tenté de déposer des mémoires et des documents relatifs à la politique afin de fournir des renseignements sur la façon dont, selon nous, les questions liées à l'éducation, à la santé, à l'apprentissage permanent et au développement économique devraient être traitées dans un contexte urbain. Nous n'étions même pas autorisés à soumettre des documents à l'examen des comités de planification. Cela témoigne bien de l'ampleur de l'opposition à notre participation. Vu notre situation et les rapports que nous avions entretenus par le passé, nous n'avions pas le même regard optimiste que vous aujourd'hui.

Le sénateur Peterson : Où obtenez-vous votre financement actuel?

M. Dinsdale : Nous touchons 16,1 millions de dollars par année en financement de base du ministère du Patrimoine canadien.

Le président : J'aimerais vous remercier, Madame Dumont-Smith et Monsieur Dinsdale, de vos excellents exposés et de vos réponses franches.

[La séance reprend.]

L'heure est venue de parler du projet de loi C-292.

Est-il convenu que le comité entreprenne une étude article par article du projet de loi C-292, Loi portant mise en œuvre de l'Accord de Kelowna?

Des voix : D'accord.

Le président : Nous allons donc procéder.

L'étude du titre est-elle reportée? Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : L'étude du préambule est-elle reportée?

Des voix : D'accord.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : L'étude de l'article 1, qui comporte un court titre, est-elle reportée?

Des voix : D'accord.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : L'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Adopté avec dissidence.

L'article 3 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Segal : Avec dissidence.

Le président : Adopté avec dissidence

L'article 1, qui comporte le court titre, est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Avec dissidence.

Le préambule est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Adopté avec dissidence

Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Adopté avec dissidence

Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Segal : Avec dissidence.

Le président : Adopté avec dissidence

Êtes-vous d'accord pour que je fasse rapport du projet de loi au Sénat?

Des voix : D'accord.

La séance est levée.


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