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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 12 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 29 avril 2008

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 37, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, chers collègues, bonjour, mesdames et messieurs.

De temps à autre, notre comité invite des organisations à venir nous parler des défis particuliers auxquels elles sont confrontées et de la façon dont le comité peut les aider. Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui des représentants de deux organisations, le Manitoba Keewatinook Ininew Okimowin et la nation gitxsan de la côte Ouest du Canada.

Je vais présenter les sénateurs qui sont là aujourd'hui. Voici le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard, le sénateur Gustafson et le sénateur Peterson, tous deux de la Saskatchewan, et moi. J'ai l'honneur de présider le comité. Je viens du Manitoba, mais j'ai été nommé sénateur de la Colombie-Britannique.

Pendant la première partie de notre réunion d'aujourd'hui, nous entendrons les témoignages des représentants du Manitoba Keewatinook Ininew Okimowin : le grand chef Sydney Garrioch; Shirley Castel, chef de la nation crie de Mathias Colomb; Kevin Carlson, l'adjoint du grand chef; et Louis Harper, le conseiller en droit et en politique. Avec un titre comme celui-là, ce doit être un bon conseiller.

Je vous remercie de votre présence aujourd'hui. Nous avons hâte d'entendre votre exposé, grand chef. Votre exposé sera consigné au compte rendu à Ottawa, et nous espérons pouvoir vous aider à faire face à certains des défis auxquels vous êtes confrontés.

Sydney Garrioch, grand chef, Manitoba Keewatinook Ininew Okimowin : Je remercie les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de nous avoir invités et de nous permettre de comparaître. Je suis heureux de présenter un exposé concernant l'étude des responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Nous remercions le comité de nous permettre de faire un exposé qui porte sur notre mémoire. Shirley Castel, chef de la nation crie de Mathias Colomb, parlera de la contamination du sol. Kevin Carlson prendra la parole lorsque j'aurai terminé, puis ce sera au tour de Louis Harper et de Shirley Castel.

Tansi, Boozhoo, Edlanet'e. Bonjour. Au nom des 53 000 citoyens des 30 Premières nations du Nord du Manitoba représentés par le Manitoba Keewatinook Ininew Okimowin, le MKO, je suis heureux de présenter le point de vue du MKO au sujet des obligations conventionnelles, politiques et juridiques du Canada à l'égard des Premières nations et des citoyens des Premières nations.

Le MKO souhaite faire valoir quatre principes que le comité devrait prendre en considération dans son étude des relations découlant des traités et des relations politiques et juridiques que nous entretenons avec Sa Majesté la Reine du chef du Canada : la relation découlant des traités et l'engagement conjoint en faveur de l'édification d'une nation; nos lois qui sont dans notre langue; Keewatinook Ininew Okimowin; et la consultation, la justification, l'accommodement et le consentement.

Le processus d'établissement de traités permet de reconnaître la souveraineté et les pouvoirs que nous a conférés le Créateur au sein de nos terres traditionnelles. Mis ensemble, les terres traditionnelles et le territoire des Premières nations du MKO couvrent environ les trois quarts des terres et des eaux de la province du Manitoba et comprennent des terres qui se trouvent en Ontario, en Saskatchewan, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut.

Les Premières nations du MKO ont conclu les traités suivants : le traité no 4 (1874), dit traité de Qu'Appelle; le traité no 5 (1875-1910), dit traité de Winnipeg; le traité no 6 (1876), soit les traités de Fort Carlton et de Fort Pitt; et le traité no 10 (1908).

Ces traités établissent une relation qui vise à concilier notre titre ancestral, les Premières nations du MKO, et nos propres terres et territoires traditionnels. La médaille commémorative de ces traités qui, de nos jours, symbolise le MKO est une preuve de notre engagement conjoint en faveur de l'édification d'une nation, engagement auquel nous sommes liés par nos promesses de partage, de paix et de bonne volonté. Il est fondé sur des principes de confiance mutuelle, de reconnaissance, d'honneur et de respect.

Les principes qui guident notre gouvernement, l'organisation de notre communauté et l'ordre social que nous respectons sont formulés en cri, en oji-cri et en déné. Nos lois sont donc réellement dans les langues que parlent les Premières nations du MKO.

Chaque Première nation du MKO continue d'exercer son autorité et de mener son processus législatif conformément à ses coutumes, ses traditions, ses principes et ses croyances. Les Premières nations du MKO ont également conclu d'autres traités et accords avec différents gouvernements, y compris le traité plus récent, qu'on connaît sous le nom de Convention sur l'inondation des terres du Nord du Manitoba. Les Premières nations du MKO et le MKO travaillent à réaliser pleinement le but de ces traités et accords, à faire appliquer toutes leurs modalités et dispositions et à établir les structures et les processus directeurs prévus par ces traités et ces accords.

Je passe la parole à M. Carlson.

Kevin Carlson, adjoint du grand chef, Manitoba Keewatinook Ininew Okimowin : Les Premières nations du MKO exercent leur pouvoir décisionnel à l'échelle communautaire selon leur droit coutumier, leur culture et leurs croyances. Par exemple, la nation crie de Pimicikamak et d'autres Premières nations du MKO ont adopté des lois exhaustives sur les élections, l'élaboration et l'adoption de lois avec participation directe de la communauté, la gestion des terres et de la faune et d'autres éléments.

Collectivement, les Premières nations du MKO exercent leur autorité en tant que Keewatinook Ininew Okimowin, ce qui signifie en cri « gouvernement des peuples du Nord ».

Les Premières nations du MKO n'accepteront sous aucun prétexte que Sa Majesté la reine ou le gouvernement du Canada ait actuellement ou ait déjà eu la possibilité de modifier ou de supprimer unilatéralement notre relation sacrée au moyen de mesures législatives et constitutionnelles qui seraient adoptées ultérieurement à l'échelle nationale. Les Premières nations du MKO ne reconnaissent pas que le gouvernement du Canada ait pu acquérir des droits par l'entremise des traités ou de la Constitution du Canada qui lui permettent d'élaborer un système de lois étrangères et de l'imposer à notre peuple, que ce soit par l'intermédiaire de commissions ou de tribunaux.

Sa Majesté a consulté nos nations afin de concilier nos titres ancestraux et a essayé d'obtenir notre consentement pour le partage de nos terres et de nos ressources ancestrales avec les colons. La consultation est nécessaire, et nous devons donner notre consentement avant qu'on ne puisse modifier les dispositions de nos traités ou nous imposer l'application de lois canadiennes. Les traités reposent sur la consultation et l'obtention d'un consentement. On peut agir sur la relation découlant des traités ou la modifier seulement à la suite de consultations et une fois qu'on a obtenu le consentement des signataires de ces traités.

Afin de concrétiser cette relation et de voir à ce que la Couronne respecte ses engagements, le MKO conseille ce qui suit au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Selon le MKO, le Canada doit : reconnaître la souveraineté naturelle de chaque Première nation du MKO; tenir compte de la relation sacrée et conjointe établie par les traités qui ont été conclus par les Premières nations du MKO et le gouvernement de Sa Majesté; respecter et reconnaître les systèmes de gouvernement et d'organisation communautaire ainsi que les processus décisionnels contemporains des Premières nations établis conformément au droit coutumier, aux principes, aux valeurs et aux croyances des Premières nations du MKO, qui sont des systèmes que nous continuons à utiliser, à développer et à mettre en œuvre selon nos propres conditions; reconnaître l'autorité des gouvernements des Premières nations et les laisser exercer et développer cette autorité, qui se manifeste dans nos systèmes actuels de droit coutumier et dans les lois établies par chaque Première nation du MKO au moyen d'accords passés entre les gouvernements avec la participation des Premières nations du MKO et au moyen du développement continu de Keewatinook Ininew Okimowin; enfin, s'assurer que les mesures et les décisions du Canada n'enfreignent pas sans raison les droits des Premières nations du MKO, qui sont reconnus et conférés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, en veillant, entre autres, à ce que le Canada assume pleinement le devoir de la Couronne de mener des consultations conformément à la doctrine établie par la Cour suprême du Canada.

Afin de mettre en pratique, de préserver et de soutenir la doctrine de consentement et d'arrangement mutuels qui découle de la relation scellée par traité, le Canada ne doit pas imposer sa propre vision de cette relation ni ses propres normes pour concilier cette relation avec les projets gouvernementaux ou privés; le Canada ne doit pas imposer arbitrairement des délais courts que les représentants élus des Premières nations doivent respecter lorsqu'ils répondent aux demandes du gouvernement, comme lorsqu'ils doivent répondre aux avis sur les décisions en instance du gouvernement fédéral; le Canada ne doit pas créer d'incertitude quant à l'autorité des Premières nations et au processus décisionnel des communautés en imposant l'autorité du gouvernement ou d'institutions fédérales pour régler des questions qui, autrement, relèveraient des représentants élus des Premières nations et seraient traitées au sein des communautés; le Canada ne doit imposer aucun examen du droit coutumier, des croyances, des valeurs et des principes des Premières nations, qu'il soit mené par le gouvernement fédéral ou des institutions fédérales, si le gouvernement n'a pas à tenir compte de son côté de la façon dont les Premières nations du MKO perçoivent les droits inhérents, conventionnels, constitutionnels, individuels et collectifs, de même que les concepts de transparence, d'accès et de responsabilisation des Premières nations; enfin, le Canada doit reconnaître que l'origine de nombreux problèmes concernant la relation fondée sur les traités est directement liée aux politiques du gouvernement fédéral, ce qui comprend l'importante et persistante insuffisance de fonds alloués à l'éducation, aux services sociaux, au logement et aux infrastructures relevant des gouvernements des Premières nations qui, pour la plupart, n'ont pas le pouvoir de corriger la situation.

L'approche du MKO consiste à trouver des solutions permettant aux gouvernements des Premières nations et à nos citoyens d'élaborer et de mettre en œuvre des systèmes pour protéger les droits des citoyens des Premières nations dans le respect de leurs coutumes, traditions, principes et croyances; pour atténuer et vaincre les inégalités persistantes entre les Premières nations et les Canadiens non autochtones qui ont trait à l'accès aux services communautaires de base et peuvent donner lieu à des plaintes de la part des citoyens des Premières nations; et pour veiller à ce que les relations établies par les traités et les accords soient honorées, maintenues et renforcées.

Pour ce qui est de nos recommandations, je vais céder la parole à notre conseiller juridique, Louis Harper.

Louis Harper, conseiller en droit et en politique, Manitoba Keewatinook Ininew Okimowin : Les recommandations du MKO se trouvent à la page 6 du document se rapportant à notre exposé.

Comme il est écrit dans ce document, nous considérons que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones devrait conclure et recommander que le gouvernement du Canada s'acquitte de ses obligations aux termes de la Constitution et des traités, en préservant l'honneur de la Couronne, en reconnaissant que le lien distinctif entre le Canada et les Premières nations repose sur les droits et vise à assurer le respect des titres ancestraux, en veillant à la réconciliation véritable des titres ancestraux par le respect des promesses et des engagements issus des traités conformément à l'esprit et à l'objectif des traités, en agissant de bonne foi et en faisant des compromis, et enfin, en reconnaissant les pouvoirs inhérents des gouvernements et des institutions des Premières nations qui sont établis selon le droit coutumier, les valeurs, les principes, les convictions et les langues des Premières nations.

Nous recommandons au gouvernement du Canada de n'adopter aucune loi qui imposerait le pouvoir du gouvernement fédéral et de son institution pour qu'il ait prépondérance sur le droit coutumier, les lois et les décisions des gouvernements des Premières nations, ou les décisions de leurs représentants ou de leurs employés, et de réviser la législation canadienne de manière à établir clairement que l'autorité des gouvernements des Premières nations ne doit pas être enfreinte ni affectée quand il s'agit de questions ayant une incidence sur le pouvoir inhérent ou sur l'application du droit coutumier d'une Première nation.

Nous recommandons que le Canada remplisse consciencieusement ses devoirs et ses obligations en tant que fiduciaire, aux termes de l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Loi sur les Indiens, jusqu'à ce que les Premières nations et le Canada s'entendent sur le mécanisme constitutionnel et législatif nécessaire pour abroger ou remplacer la Loi sur les Indiens actuelle. Il faudrait établir des ententes et des relations financières qui permettront d'assurer la viabilité opérationnelle de l'infrastructure, des installations et des services communautaires, sociaux et en matière de santé et d'éducation des Premières nations conformément aux normes reconnues par la société canadienne d'aujourd'hui.

Nous recommandons que le gouvernement du Canada fasse participer les Premières nations à un processus de consultation, de justification et d'accommodement conforme à la doctrine établie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Sparrow et les décisions ultérieures, en ce qui a trait à toute loi ou décision ayant une incidence ou empiétant, ou susceptible d'avoir une incidence ou d'empiéter sur les droits des Premières nations reconnus et confirmés en vertu des articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. De plus, nous recommandons que la portée du processus de consultation, de justification et d'accommodement comprenne toutes les lois et tous les règlements adoptés par le Parlement ou par les assemblées législatives provinciales en l'absence de pouvoirs fédéraux clairs depuis au moins 1982 qui continuent d'avoir une incidence ou d'empiéter sur les pouvoirs des gouvernements des Premières nations et sur les droits des citoyens des Premières nations, y compris les lois qui définissent le statut des citoyens des Premières nations ou qui nuisent au pouvoir exercé par les Premières nations sur la protection et le soin de leurs enfants et de leurs familles; et toutes les autorisations, les allocations et les désignations émises par le gouvernement fédéral avant 1982 qui continuent d'avoir une incidence ou d'empiéter sur les droits des Premières nations depuis 1982, y compris celles qui sont liées au développement des ressources naturelles comme les projets hydroélectriques, miniers et forestiers.

En principe, le MKO approuve certaines des recommandations présentées par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles dans son rapport final de décembre 2007, Prendre au sérieux les droits confirmés à l'article 35. Ces recommandations sont les suivantes : la recommandation 1, selon laquelle le gouvernement du Canada devrait prendre des mesures législatives immédiates pour ajouter une disposition de non-dérogation dans la Loi d'interprétation fédérale; la recommandation 2, selon laquelle la loi visant à modifier la Loi d'interprétation doit aussi prévoir l'abrogation de toutes les dispositions de non-dérogation concernant les droits ancestraux et issus de traités existants des peuples autochtones énoncés dans la législation fédérale depuis 1982; une directive sans équivoque selon laquelle toute disposition de non-dérogation dans la Loi d'interprétation doit être considérée comme liant la Couronne dans toutes les lois fédérales; une disposition claire selon laquelle toute disposition de non-dérogation dans la Loi d'interprétation servira de façon constructive à établir, mettre en place, surveiller et appliquer certains processus et mécanismes — on ne pourra pas présumer que les mesures ou les décisions prises par le gouvernement fédéral conviennent. Enfin, on a recommandé l'élaboration d'un code de conduite exécutoire et assujetti à un examen par les tribunaux ainsi que d'une politique et des procédures applicables dans l'ensemble du gouvernement du Canada pour concrétiser l'application de la disposition de non-dérogation dans la Loi d'interprétation fédérale.

Voilà qui conclut notre exposé. Le grand chef va maintenant vous présenter la chef Castel.

M. Garrioch : Nous avons joint d'autres documents à notre dossier de présentation. Shirley Castel, chef de la nation crie de Mathias Colomb, parlera de l'un de ces documents traitant de la contamination des sols.

Les deux autres pièces jointes expliquent que le gouvernement fédéral ne s'est pas acquitté de son obligation en omettant de s'attaquer à ces problèmes plus tôt. Ce sont les trois seuls exemples que nous avons, mais nous sommes en train de travailler sur d'autres secteurs.

La pièce jointe de la nation crie de Fox Lake porte sur les revendications territoriales. Les membres de la nation crie de Fox Lake ont été forcés d'abandonner leurs terres en raison du développement hydroélectrique dans la région de Gillam. On a demandé au ministre Chuck Strahl d'intervenir dans ce dossier à maintes reprises, de même qu'aux ministres qui l'ont précédé, en ce qui concerne le territoire en question. Nous tentons toujours de régler ces revendications territoriales.

L'autre pièce jointe concerne la revendication de réinstallation des Dénés Sayisi. En 1956, entre les mois d'août et de septembre, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a forcé les Dénés Sayisi à se réinstaller en les transportant par avion de leur communauté, Little Duck Lake, jusqu'à North River, au Manitoba, et plus tard au campement situé à Churchill, au Manitoba. Ces gens attendent toujours l'acceptation de leur revendication et la tenue de négociations à cette fin, et ce cas n'est pas inclus dans la recommandation.

Je cède maintenant la parole à la chef Shirley Castel, qui vous donnera de l'information sur la contamination des sols.

Shirley Castel, chef, nation crie de Mathias Colomb, Manitoba Keewatinook Ininew Okimowin : Je vous remercie de me donner la chance de présenter un exposé sur notre communauté. Les préoccupations de la nation crie de Mathias Colomb remontent à loin. Je veux parler ici du remplacement d'urgence des logements et de l'infrastructure essentielle du gouvernement.

Entre 1953 et 1989, le sol du centre de la réserve crie de Mathias Colomb à Pukatawagan, au Manitoba — y compris les établissements scolaires, gouvernementaux, communautaires et commerciaux — a été contaminé par les fuites et le déversement accidentel d'une quantité de carburant diesel et d'huile de chauffage estimée à 570 000 litres. Ce carburant diesel contient du BPC, un agent cancérigène.

Le Canada a assumé l'entière responsabilité de la contamination des sols dans une entente conclue en avril 1997 avec Manitoba Hydro. Depuis 1996, plusieurs maisons évaluées à 3 millions de dollars, ainsi que des établissements gouvernementaux, communautaires et commerciaux de la nation crie de Mathias Colomb, dont le coût initial de construction atteignait plus de 15 millions de dollars, ont été démolis en conséquence directe ou indirecte de la contamination du sol.

Selon la nation crie de Mathias Colomb, le retard que le Canada accuse dans le règlement de ce problème de contamination des sols, son inaction quant au remplacement des maisons, des bureaux et de l'infrastructure, la réduction du financement accordé aux activités de fonctionnement et d'entretien pour rayer des biens endommagés ou démolis de la liste des sites contaminés, de même que l'utilisation par le Canada de 7,5 millions de dollars de fonds d'immobilisations destinés aux bandes pour assumer les coûts du remplacement de la Saskatew School sont à l'origine de la cogestion de la nation crie de Mathias Colomb; de la perte de l'accès à bon nombre d'initiatives, garanties de prêt et programmes fédéraux; et de la dégradation marquée de la gouvernance communautaire, de la sécurité publique, de la santé et de la qualité de vie qui en résulte.

Contrairement à l'entente conclue le 1er avril 1997 au sujet de la restauration des sites contaminés au diesel, le Canada n'a pas prévu de mesures correctives à faire approuver par la nation crie de Mathias Colomb en vue de remplacer les maisons et les 1 839 mètres carrés d'installations gouvernementales et d'établissements communautaires et commerciaux qui ont été touchés. Le Canada a utilisé 12 des 18 millions de dollars en activités de restauration prévues dans un rapport datant de 2000 par le Toxcon Health Sciences Research Centre, bien que l'étendue de la contamination et le coût total de la restauration évalués par Toxcon aient augmenté en raison de l'intervention tardive du Canada.

L'incapacité du Canada de remplacer les maisons, les bâtiments et l'infrastructure gouvernementale essentielle a donné lieu à la situation d'urgence actuelle pour ce qui est de la gouvernance communautaire, de la sécurité publique et de la santé. La nation crie de Mathias Colomb a tenté de remplir les fonctions gouvernementales, par exemple offrir les programmes et services obligatoires et gérer les documents gouvernementaux et financiers, à partir de deux caravanes ayant déjà été condamnées par les représentants des syndicats provinciaux, et qui présentement ne sont pas raccordées aux réseaux d'égouts et d'approvisionnement en eau.

La nation crie de Mathias Colomb n'a ni bureau de sécurité publique, ni centre d'intervention d'urgence, ni capacités en matière de protection civile à titre d'autorité locale dans ce domaine. Notre nation n'a construit aucune unité d'habitation financée par la bande depuis 1989, et aucune unité d'habitation avec le soutien de la SCHL depuis 1995.

Les citoyens de la nation crie de Mathias Colomb vivent dans des conditions de surpeuplement qu'un journaliste du Globe and Mail a décrites dans un article du 21 décembre 2005 en disant que les gens étaient : « ... entassés dans une réserve toxique du Manitoba ».

Le cabinet comptable Myers Norris Penny s'est démis de ses fonctions de cogestionnaire de la nation crie de Mathias Colomb.

Il y a des marques sur les bâtiments qu'on peut voir à la deuxième page de l'annexe. Les bâtiments marqués d'un X rouge sont ceux qui ont été condamnés, ainsi que l'école qui a été remplacée. Cette image correspond au centre de Pukatawagan. Des maisons ont été construites des deux côtés de la communauté, et les enfants traversent cette zone chaque jour. C'est un centre désolé, où il n'y a pratiquement rien. Cela fait maintenant plus de 20 ans que nous endurons cette situation.

Nous avons formulé deux recommandations. D'abord, pour faire face aux urgences en matière de gouvernance communautaire, de sécurité publique et de santé qui sévissent actuellement au sein de la nation crie de Mathias Colomb, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien doit élaborer un plan de mesures correctives, qui devra être approuvé par la nation crie de Mathias Colomb, afin que soient remplacés des maisons ainsi que des immeubles — infrastructures gouvernementales essentielles et installations communautaires et commerciales de la nation crie de Mathias Colomb — qui couvraient une superficie totale de 1 839 mètres carrés et dont la démolition a été une conséquence directe ou indirecte de la contamination du sol. En deuxième lieu, un accord de contribution portant sur le plan de mesures correctives approuvé devra être conclu le 31 décembre 2007 au plus tard. C'était l'année dernière... Ce document est en fait un autre exposé, qui a été présenté à d'autres ministres.

Dans le coin de la deuxième page, vous pouvez voir les réservoirs qui étaient en place à l'époque et qui sont à l'origine du déversement de diesel. Le déversement continue de s'étendre aujourd'hui parce que la décontamination n'a pas été complétée. Nous faisons encore face aujourd'hui aux dommages subis par notre communauté. Ces dommages nous ont contraints à la cogestion et nous ont obligés à adopter des solutions de rafistolage au fil des ans.

Des travaux de construction ont été effectués dans notre communauté mais, encore une fois, les dommages nous ont contraints à la cogestion. C'est à ce genre de situation que nous devons faire face. On a également parlé dans tout le pays du feu qui s'est propagé et qui a causé la mort de trois de mes petits-enfants. Ce drame est lié à la contamination par le diesel, à la cogestion, et au fait que le gouvernement dans son ensemble n'a pas apporté un appui soutenu à la nation crie de Mathias Colomb. Il est lié au surpeuplement qui est aujourd'hui le lot de ma communauté, et je crains pour la sécurité des gens de ma nation parce qu'ils vivent dans des maisons surpeuplées. Cela fait 20 ans que nous sommes incapables de bâtir des maisons.

Tout cela correspond à la réalité des gens de la nation crie de Mathias Colomb. Les gens de notre communauté souffrent. Et ce n'est pas que nous sommes incapables de nous prendre en main : nous avons mis sur pied des entreprises au sein de notre communauté pour tenter d'y réduire la pauvreté en fournissant autant d'emplois que nous le pouvons grâce à notre créativité et à une offre de travail accrue.

Je remercie le ministère des Ressources humaines et du Développement social, qui soutient l'University College of the North et d'autres programmes. Nous avons des projets conjoints avec des organisations de l'extérieur, mais nous ne disposons que d'un financement limité, et ce financement n'est pas dédié aux vrais problèmes qui découlent de la contamination et de la cogestion qui nous a été imposée. Bientôt, nous devrons traiter avec des tierces parties en raison de ce problème, ce qui fera encore plus de tort à notre communauté.

Je présente ce cas au comité sénatorial dans l'espoir que vous soutiendrez les recommandations qui figurent dans notre document. Nous aimerions obtenir ce qui a été promis à la nation crie de Mathias Colomb par le Canada ainsi que par Manitoba Hydro : le remplacement de ce que nous avons perdu. Nous ne leur demandons rien de plus que de remplacer ce qu'ils ont endommagé.

La contamination continue de s'étendre, et nous sommes entourés par une étendue d'eau qui est notre source d'eau potable. J'ai la certitude que l'eau que nous buvons est désormais contaminée. Le taux de cancer est élevé dans notre communauté. Il est indispensable, au point où nous en sommes, que le Canada intervienne et qu'il nous apporte son soutien. La nation crie de Mathias Colomb n'est pas la seule communauté qui doit faire face à de telles difficultés. De mon point de vue, d'autres communautés ont également été abandonnées par notre gouvernement.

Notre grand chef parle de ces traités, mais où sont-ils? Je vous le demande aujourd'hui : où sont-ils? Où est le soutien? La seule chose que je peux voir, c'est la souffrance des membres de ma communauté.

Oui, nous sommes de fiers membres des Premières nations, mais il nous est impossible de continuer ainsi, vu l'importance des préjudices financiers subis par notre communauté. Dans le monde d'aujourd'hui, il nous sera impossible de survivre sans ce soutien financier. Si nous ne le recevons pas, nous serons contraints à une cogestion faisant intervenir des tierces parties, et la nation crie de Mathias Colomb verra son avenir lui glisser entre les doigts.

Nous avons besoin que vous souteniez nos recommandations concernant le remplacement des bâtiments et des maisons et la réparation des dommages environnementaux survenus dans notre région. Le nettoyage ne doit plus se faire sans plan d'ensemble, car la contamination par le diesel continue de s'étendre. Les taux de cancer s'accroissent, et il y a des maladies cutanées, d'autres problèmes de santé et une proportion élevée de fausses couches. Les chiffres augmentent chaque jour parce que des BPC cancérigènes enfouis sous la terre contaminent le sol, et le déversement a ajouté à cette contamination.

Je remercie le comité de m'avoir écoutée. J'espère que quelqu'un communiquera avec nous au cours des prochains jours ou du prochain mois. Je décris cette situation à différents auditoires depuis longtemps.

Voilà de nombreuses années que je suis une dirigeante politique au sein de ma communauté; j'y ai exercé des fonctions de conseillère et de chef. Il est difficile d'être un dirigeant lorsqu'on se trouve dans l'impossibilité de faire quoi que ce soit pour la communauté, notamment lorsqu'il s'agit de remplacer des habitations. Chaque jour, de 20 à 30 personnes se présentent à mon bureau et demandent qu'on leur fournisse une habitation, mais je sais que je ne peux rien faire à cause des difficultés financières de notre communauté, qui résultent des dommages environnementaux qui nous ont été infligés et de la cogestion à laquelle nous sommes forcés.

Il y a des tas d'autres dossiers — par exemple les services de santé, les programmes de services sociaux et l'éducation — pour lesquels le financement est censé être assuré à parts égales. Actuellement, le dossier environnemental est le plus important pour la nation crie de Mathias Colomb. Nous voulons que la situation soit corrigée afin de mettre le point final à cette affaire. Nous avons été incapables de le faire jusqu'à présent parce que le gouvernement n'a pas assumé ses responsabilités, en dépit de son engagement écrit.

Brenda Kustra, directrice générale de la gouvernance à Affaires indiennes et du Nord Canada, et Bob Brennan, président-directeur général de Manitoba Hydro, ont signé une entente selon laquelle ils s'engageaient à assumer entièrement la responsabilité des dommages environnementaux survenus sur notre territoire. Cependant, ils n'ont pas respecté cet engagement. Jusqu'à ce jour, la décontamination s'est soldée par une série de mesures ponctuelles.

Chaque année, le gouvernement investit un million de dollars dans cette décontamination, mais la situation se dégrade toujours parce que la contamination continue de s'étendre. Nous sommes entourés par un plan d'eau, comme je l'ai dit, et la contamination se poursuit. Vous devez voir tout cela de vos propres yeux pour bien comprendre ce dont je parle. Je vous invite donc à venir dans notre communauté afin que vous puissiez constater la situation. Vous pouvez vous faire une idée des dégâts à partir de photographies, mais en les constatant de vos propres yeux, vous comprendrez mieux l'ampleur du problème.

Je vous remercie de m'avoir écoutée et j'ai bon espoir, pour les membres de ma communauté, ses enfants et les générations à venir, que vous prendrez ces recommandations au sérieux.

Le président : Combien d'habitants y a-t-il dans votre communauté, chef Castel?

Mme Castel : Notre population s'établit à 3 000 habitants, dont environ 2 600 vivent dans la réserve.

Le président : D'un point de vue géographique, où êtes-vous situés au Manitoba?

Mme Castel : Nous nous trouvons à environ 100 kilomètres des zones urbaines les plus rapprochées, soit The Pas et Flin Flon. En allant vers le nord, le voyage dure environ 12 heures en train ou environ 45 minutes en avion.

Le président : Vous devez prendre le train ou l'avion pour vous rendre dans les zones urbaines?

Mme Castel : Nous pouvons prendre le train ou l'avion, ou emprunter des routes d'hiver.

Le sénateur Hubley : Il est important que vous puissiez vous exprimer à des tribunes comme celle-ci afin de faire connaître aux Canadiens les conditions de vie de votre communauté et les problèmes auxquels vous faites face. Chef Castel, pourriez-vous m'en dire un peu plus au sujet de la contamination qui s'étend et de la manière dont vous procédez pour rebâtir et déménager certaines de vos installations dans des endroits moins pollués, si naturellement de tels travaux sont effectués? Ou peut-être êtes-vous toujours obligés d'utiliser ce territoire?

J'aimerais également que vous nous parliez de la façon dont les gens de votre communauté ont géré la situation, et que vous nous disiez si une partie de la destruction leur a enlevé leurs sources de revenus et a nuit au développement économique. La question de l'eau est également cruciale si votre peuple dépend du réseau hydrographique pour sa subsistance, sa nourriture et j'en passe.

Pouvez-vous nous décrire encore une fois les problèmes auxquels vous êtes confrontés au quotidien?

Le président : Mon commentaire ne vise pas la présente question. Cependant, je demande aux sénateurs de poser des questions courtes et aux témoins de répondre le plus brièvement possible. Je veux que nous puissions poser le plus de questions possible parce que l'étendue des sujets à couvrir est énorme.

Mme Castel : Comme je l'ai dit, l'école a été remplacée. La contamination a d'abord été détectée sous l'école. Une annexe avait été ajoutée à l'école, et une poutre n'avait pas été bien fixée. La poutre est tombée et a traversé le plancher du gymnase. Heureusement, personne n'y était. Lorsque la poutre a traversé le plancher du gymnase, nous avons trouvé la source des émanations.

Avant cet événement, les enfants, les enseignants et le personnel enseignant se plaignaient de maux de tête et de nausées et des employées ont fait des fausses couches. Il y a eu beaucoup de problèmes de santé au cours de l'année en question. À l'époque, j'étais directrice des services de santé. Il y a eu deux fausses couches cette année-là, ce qui est beaucoup dans notre communauté. J'ai demandé à un médecin d'effectuer une enquête. Malheureusement, elle a été mutée dans les Territoires du Nord-Ouest et n'a donc pas pu terminer son enquête.

Au cours de ces années, tous les bâtiments marqués d'un X sur la photo ont été détruits; ils ne sont plus là. Les X jaunes représentent l'école qui a été remplacée. Quand on parle de développement économique, comme vous pouvez le voir, notre bureau principal a été détruit. Nous avions un restaurant, un bureau de poste, un dépanneur, un motel et une buanderie. Ils ont tous été détruits et n'ont toujours pas été remplacés à ce jour.

Vous voyez également le poste d'infirmières. Nous avons utilisé nos propres ressources pour le remplacer. Lorsque j'étais directrice des services de santé, notre communauté a obtenu un prêt bancaire pour remplacer le bâtiment. À l'époque, Santé Canada avait dit non, mais nous l'avons fait quand même. Nous savions que nous avions besoin de cet établissement pour servir notre population. Quelques années plus tard, Santé Canada est revenu sur sa décision et nous a versé la somme de 800 000 $ pour payer une partie du remplacement du bâtiment. Cependant, il en coûtait davantage pour le centre de santé à lui seul ainsi que pour l'équipement.

Certaines unités d'enseignants ont été remplacées. Ici aussi, ce sont des maisons mobiles; en fait, elles ne sont pas construites directement sur le terrain. Ces maisons se détériorent rapidement. Elles n'ont pas une longue durée de vie.

Pour ce qui est du réseau d'aqueduc et d'égouts, on a nettoyé l'eau. On a effectué la purge du système d'aqueduc, je crois, en 1998. Toutefois, il serait temps de le nettoyer de nouveau. Il faut également prolonger le réseau d'aqueduc et d'égouts. Le réseau n'a pas été prolongé pour desservir toute la communauté. Nous utilisons des fosses septiques et des réservoirs d'eau. J'espère que j'ai répondu à votre question.

Le sénateur Hubley : Oui. Merci.

Le sénateur Peterson : Pendant combien de temps ont duré la fuite et le déversement? C'est beaucoup — environ 3 000 barils de mazout. Est-ce qu'il s'agissait de réservoirs hors terre ou enterrés?

Mme Castel : C'était des réservoirs hors terre. Avant la construction de l'école ou du quartier, la centrale diesel de Manitoba Hydro était située à cet endroit. Les lignes terrestres de Manitoba Hydro sont ensuite arrivées. Par après, on a construit l'école à cet endroit, et on avait la même chose, des réservoirs diesel. Vous voyez ces barils à côté ici. Les réservoirs de Manitoba Hydro ont fui pendant de nombreuses années. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a ensuite pris en charge la direction de l'école, et les réservoirs fuyaient encore. Le sol était pour ainsi dire saturé.

Le sénateur Peterson : Par conséquent, pour effectuer l'assainissement, il fallait retirer tout le sol contaminé?

Mme Castel : Retirer tout le sol contaminé et remplacer les bâtiments. Cependant, à l'exception de l'école, les bâtiments n'ont pas été remplacés.

Le sénateur Peterson : Pourtant, les travaux ont commencé : sur les 18 millions de dollars prévus pour l'assainissement, 12 millions ont déjà été utilisés. Pourquoi a-t-on arrêté? Est-ce que les travaux étaient terminés? Est-ce que tout le sol contaminé a été retiré? Votre photo montre que le sol a été transporté ailleurs. Est-ce exact?

Mme Castel : Tous les bâtiments que vous voyez n'y sont plus. Ils ont été condamnés ou démolis. Il n'y a plus de bâtiments à cet endroit. La contamination est survenue à la fin des années 1960 et au début des années 1970 lorsque Manitoba Hydro est arrivé dans notre communauté. Si les frais d'assainissement ont atteint 12 millions de dollars, c'est que le nettoyage s'est fait graduellement chaque année : 1 million de dollars par-ci, 1,5 million de dollars par-là. Le nettoyage dure depuis plus de 20 ans, et ça continue. Le sol n'a pas été complètement nettoyé.

Le sénateur Peterson : Vous ne pouvez pas ou ne devriez pas construire de nouveaux édifices si le sol est encore contaminé. N'auriez-vous pas encore le même problème?

Mme Castel : Une partie de la zone a été nettoyée, par exemple l'emplacement de l'ancienne école. Je vais vous montrer d'autres photos. À la deuxième page des photos, vous voyez les travaux d'excavation qui ont eu lieu. On a creusé jusqu'au fond rocheux. À cet endroit, on a nettoyé le roc, retiré le sol contaminé et comblé le trou avec de la terre propre.

La majeure partie de la zone que vous voyez ici a été nettoyée, mais notre communauté est établie sur une pente descendante des deux côtés parce que nous sommes entourés par un plan d'eau. La contamination s'est donc étendue et a finalement atteint les quartiers résidentiels. Pour pouvoir continuer l'assainissement, nous devons décider de détruire les maisons ou de les déplacer. Ces maisons ont un sous-sol. Nous devons les relocaliser, mais la question du financement se pose toujours. Que devons-nous faire? Nous ne pouvons pas démolir les maisons où des personnes vivent si nous n'avons pas d'autres endroits où les loger. Nous devons prendre la décision de les déménager dans une ville voisine comme Flin Flon.

Nous n'avons pas la place nécessaire dans la communauté pour les héberger. Les gens de notre communauté n'ont pas le choix. Ils vivent dans des maisons contaminées dans cet environnement. C'est injuste, surtout envers les enfants, parce qu'ils n'ont pas le choix. Où dois-je envoyer les gens si je n'ai pas de place pour eux?

Le président : Dans votre exposé, grand chef, vous avez parlé d'abroger la Loi sur les Indiens. Vous avez également remis en question l'honneur de la Couronne dans son respect des termes des traités.

Selon moi, le problème auquel nous faisons face, c'est l'incapacité du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien de respecter les conditions des traités et de concrétiser la position de la Couronne. Je ne crois pas que ce soit parce que les gens à AINC ne veulent pas respecter les dispositions des traités; c'est plutôt parce que le ministère ne peut pas bien les gérer en raison de sa structure ou de son évolution en tant qu'organisation.

Nous avons des problèmes avec l'eau potable. À un certain moment, on comptait près de 200 cas, mais on a réussi à réduire ce nombre de façon considérable. Cependant, nous constatons ensuite la situation de la nation crie de Mathias Colomb, qui est un désastre. Les administrations provinciales ne semblent pas être capables de faire mieux que AINC ou que l'administration fédérale. C'est un exemple flagrant d'une situation où les Premières nations n'ont manifestement pas participé au problème. C'est Manitoba Hydro qui est à l'origine du problème.

À peu près combien de communautés autochtones font partie du MKO?

M. Garrioch : Trente communautés autochtones dans le Nord du Manitoba sont membres de Manitoba Keewatinook Ininew Okimowin.

Le président : Combien de communautés ne sont pas membres?

M. Garrioch : Au sens de la Manitoba Municipal Act, il y a probablement 25 autres communautés autochtones ou plus au-delà des communautés industrielles urbaines comme Flin Flon, Thompson et Le Pas.

Le président : Est-ce qu'il s'agit essentiellement d'un groupe linguistique? Est-ce que vous diriez que la majorité de ces communautés sont cries?

M. Garrioch : Les autres communautés autochtones font partie de l'Association des conseils communautaires du Nord sous l'égide du ministère des Affaires autochtones et du Nord. La plupart des personnes dans ces communautés sont cries.

Le président : AINC n'est pas en mesure de s'occuper de 611 communautés autochtones à l'échelle du pays. Je crois que, tôt ou tard, nous devrons envisager de faire affaire avec des groupes de traités. Le pouvoir d'action augmente en fonction du nombre. L'organisation d'AINC au fil du temps devait lui permettre de s'occuper de ces 611 communautés, ou quel que soit le nombre, établies partout au Canada.

Vous avez l'expérience, la sagesse et les connaissances. MKO est partie aux traités 4, 5 et 6. Croyez-vous qu'il serait avantageux que le gouvernement négocie avec les groupes visés par les traités au lieu de le faire avec les petites communautés?

M. Garrioch : Il y a différentes façons d'aborder la question. Les traités ont des structures diverses. Par exemple, les communautés visées par le traité 4 se trouvent en Saskatchewan et au Manitoba. Il est difficile de travailler avec deux provinces, étant donné la séparation des pouvoirs dans l'AANB. C'est compliqué de travailler de cette façon. Trois provinces sont parties au traité 5, soit la Saskatchewan, le Manitoba et l'Ontario. Il serait donc difficile d'envisager une collaboration avec ces groupes.

J'ai mentionné que MKO est partie à 4 traités regroupant 30 communautés. Il serait peut-être préférable d'aborder les problèmes communs, comme les différends non réglés concernant les terres et les ressources, par le biais des traités.

Vous avez mentionné la Loi sur les Indiens et vous vous demandiez s'il serait pertinent de l'abroger ou de la remplacer. Comme nous l'avons mentionné, il y a certains éléments que nous voulons protéger, aux termes de la Constitution, notamment l'article 35. Les dispositions de la Loi sur les Indiens doivent également tenir compte de l'obligation de fiduciaire de la Couronne. Cependant, ces questions doivent faire l'objet de discussions entre les divers groupes autochtones et le gouvernement fédéral, afin d'être traitées de manière concertée.

L'objectif de l'article 37 n'a pas été atteint non plus, mais nous devons continuer d'essayer de trouver des solutions. Nous ne pouvons cesser de discuter. Nous devons faire face aux problèmes du mieux que nous pouvons pour les régler.

Voilà mon commentaire sur la question.

Le président : En ce qui concerne le partage des recettes de l'exploitation des ressources, les Premières nations dans le Nord du Manitoba reçoivent-elles une partie des recettes? Il y a là différentes ressources comme l'énergie hydroélectrique et les mines.

Je vais donner comme exemple le Manitoba parce que la grande partie de votre territoire se trouve au Manitoba. Le gouvernement du Manitoba est-il prêt à faire en sorte que votre peuple devienne autosuffisant grâce au partage des recettes qui proviennent de la terre?

Je ne connais pas très bien vos traités, mais certains traités énoncent clairement que les Premières nations doivent recevoir leur part des ressources des terres ancestrales qui leur sont dévolues.

M. Garrioch : Actuellement, je dirais que le système ne prévoit aucun partage des ressources. C'est pourquoi nous soulevons la question. Le gouvernement fédéral a une obligation fiduciaire de par notre relation fondée sur les traités, selon laquelle nous partageons nos ressources. Cependant, le gouvernement fédéral a adopté une autre loi pour régir cela, soit la Loi concernant le transfert des ressources naturelles. En tant que Premières nations, nous soutenons que cette loi est inconstitutionnelle. Le gouvernement fédéral n'a pas discuté avec nous du transfert de ces ressources et de ces terres aux provinces, et nous n'avons pas pris part au processus.

Nous continuons de dire que le gouvernement fédéral doit intervenir en sa qualité de chef de file et traiter avec les provinces et les territoires. Nous essayons de conserver le partage des ressources comme titre ancestral. Nous affirmons que nous avons droit au partage des ressources.

La seule chose qui existe concerne les zones de piégeage qui ont été divisées en 1945. Une subvention inconditionnelle a été accordée aux provinces en fonction des ressources fauniques qu'elles exploitaient.

Manitoba Hydro verse environ 110 millions de dollars par année à la province du Manitoba à titre de frais d'utilisation des ressources hydrauliques. Les Premières nations ne profitent pas de cet argent. Il en va de même des ressources minérales et forestières. On trouve beaucoup de minéraux dans le Nord du Manitoba, de même que du bois qui est récolté et envoyé aux usines de pâtes et papiers. Nous n'y avons pas accès. Nous soutenons que nous devrions avoir le droit de profiter des recettes provenant de l'exploitation des ressources naturelles.

Le sénateur Gustafson : Vous avez dit que le cabinet comptable Myers Norris Penny avait démissionné. Pour quelles raisons ces personnes ont-elles démissionné?

Mme Castel : Elles ont démissionné parce qu'elles n'arrivaient pas à gérer l'entente de cogestion; elles étaient nos cogestionnaires. Il n'y avait pas suffisamment de financement pour administrer la nation crie de Mathias Colomb cette année-là. Il n'y a pas suffisamment d'argent pour les cogestionnaires qui travaillent pour nous en vertu de l'entente de cogestion appliquée par AINC.

Par exemple, nous avons dû licencier du personnel récemment. Les emplois diminuent en raison de la cogestion et des questions environnementales. La liste est longue. Notre communauté s'affaiblit économiquement.

À l'heure actuelle, j'ai cinq employés au service d'une communauté de 2 500 personnes, pour administrer les programmes. C'est difficile. Je suis ma propre secrétaire. Je suis une femme à tout faire qui administre tout ce qu'elle doit administrer en tant que chef.

Le sénateur Gustafson : Tenez-vous votre propre comptabilité?

Mme Castel : Oui, cette entente de cogestion est la raison pour laquelle Myers Norris Penny a démissionné. Le cabinet comptable ne pouvait gérer la situation parce que nous étions en voie d'enregistrer un déficit. D'après l'entente de cogestion, le cogestionnaire devrait constater un surplus dans la communauté, mais la seule façon d'y arriver est de licencier des employés. Très bientôt, nous mettrons à pied nos gens des travaux publics et, pourtant, nous en avons besoin.

Le président : La situation est complexe. Il est question de l'honneur de la Couronne à l'égard des stipulations d'un traité et du partage des recettes provenant de l'exploitation des ressources. L'éducation a également été mentionnée. Il y a tant de questions à examiner.

Je remercie la chef Castel. Il est évident qu'elle a un urgent besoin de régler certaines de ces questions, car elles concernent l'eau potable et la santé des membres de la communauté.

Je ne peux rien vous promettre, madame la chef, si ce n'est que nous garderons assurément votre dossier en tête. Nous vous remercions de votre invitation à nous rendre dans votre communauté. Je ne suis pas certain que nous pourrons y aller, mais maintenant que nous avons l'invitation, nous en parlerons en comité. Je vois les membres du comité hocher la tête en signe d'approbation.

Nous avons beaucoup de travail à faire et nous avons également besoin de votre appui. Ce qui arrive souvent lorsque nous collaborons avec les Premières nations, c'est que divers groupes concluent de petites ententes particulières qui nuisent à la situation dans son ensemble. Nous devons nous élever au-dessus de cela. C'est pourquoi le Sénat est la tribune idéale pour permettre ces démarches, parce que nous travaillons, la plupart du temps — sénateur Gustafson, vous ne serez peut-être pas d'accord — de manière non partisane. Toutefois, il arrive certains jours que nous éprouvions des difficultés.

Nous nous ferons un plaisir de travailler avec vous. Tenez-nous au courant. S'il y a quelque chose que nous pouvons faire au comité, n'hésitez pas à communiquer avec notre greffière. Vous avez devant vous des sénateurs chevronnés : le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, qui possède une compréhension approfondie de la question; le sénateur Hubley, qui fait partie du comité directeur et a toujours été un excellent sénateur; ainsi que le sénateur Peterson et le sénateur Gustafson, qui viennent de la Saskatchewan et comprennent bien tous deux les défis que doivent relever les Premières nations. Unissons nos efforts de façon concrète et nous pourrons, je l'espère, régler certaines de ces questions.

Le sénateur Sibbeston : Les Premières nations qui se présentent devant nous sont habitées par l'espoir que quelque chose va arriver. Elles nous ont raconté leur histoire, et c'est une triste histoire à bien des égards. Elles s'adressent au Sénat, mais nous n'avons pas de pouvoir. Elles doivent parler au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et aux représentants du ministère. C'est là que les décisions se prennent au gouvernement.

Nous pouvons aider leur cause en rédigeant ou en préparant un rapport, et en formulant des recommandations au gouvernement pour qu'il réagisse à la situation, pour qu'il prenne au sérieux les récits et les appels que nous avons entendus, et fasse quelque chose. Voilà le genre de choses que notre comité peut faire.

Peut-être pouvons-nous nous engager, si les membres sont d'accord, à la suite de cette réunion, à rédiger un rapport et à le présenter au Sénat en vue de porter l'ensemble de vos préoccupations à l'attention du gouvernement fédéral — particulièrement le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ainsi que et le premier ministre — et à faire de notre mieux pour nous assurer que votre cause soit entendue. Dans une modeste mesure peut-être, nos actions peuvent amener le gouvernement à s'occuper de ces questions, à les examiner de plus près et à leur prêter attention.

Monsieur le président, êtes-vous d'accord?

Le président : Je ne l'ai jamais dit ici, mais je parlerai au ministre à ce sujet, et peut-être au premier ministre. Je peux vous assurer que je parlerai au ministre responsable d'AINC, Chuck Strahl. Nous discuterons plus en détail de ce que le sénateur Sibbeston a recommandé ce matin.

Je souhaite la bienvenue à notre prochain groupe de témoins de la Gitxsan Nation, en Colombie-Britannique : Elmer Derrick, Gordon Sebastian et Catherine Palmer.

Monsieur Derrick, la parole est à vous.

Elmer Derrick, négociateur en chef, nation gitxsan : Merci, monsieur le président. Avant de faire mon exposé, je demanderais à mes collègues, Gordon Sebastian et Catherine Palmer, de se présenter.

Gordon Sebastian, directeur exécutif, nation gitxsan : J'espère que vous aurez des questions qui vous aideront dans votre travail. J'ai une question pour vous. Avez-vous un mandat pour travailler avec les chefs héréditaires gitxsans? Si vous en voulez un, nous aimerions vous aider à l'élaborer.

Je m'appelle Simooghet Ludkudzeewus. Mon groupe est formé de 571 membres. Nous possédons une vaste bande de terres reconnues comme étant des terres publiques. Il ne s'agit pas d'une réserve. Elle fait environ 300 kilomètres carrés et est située dans la vallée de la Suskwa. L'objectif des chefs héréditaires gitxsans est de prendre le plein contrôle des ressources se trouvant sur notre territoire de 33 000 kilomètres carrés. Notre stratégie consiste à prendre des décisions concernant le développement de nos ressources. Nous disposons de neuf bassins hydrologiques et nous avons de nombreuses politiques. Il est clair que le mandat du gouvernement fédéral en ce qui concerne les relations avec les chefs héréditaires gitxsans doit être modifié. Nous considérons que les 33 000 kilomètres carrés de territoire sont des terres visées par le paragraphe 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867, et non des réserves.

Je vous remercie et je vous demande maintenant de bien vouloir écouter attentivement ce que M. Derrick a à vous dire aujourd'hui. Il a un bon plan.

Catherine Palmer, analyste de recherche, nation gitxsan : C'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui comme membre de la délégation des chefs héréditaires gitxsans. Je suis une consultante indépendante qui travaille à Vancouver, en Colombie-Britannique, pour diverses communautés autochtones, le gouvernement et l'industrie. Au cours des dix dernières années, j'ai eu la chance d'être associée avec les chefs gitxsans. J'ai été négociatrice de traités pour la Province de la Colombie-Britannique et j'étais en poste en 1998 lorsque les Gitxsans ont amorcé des négociations bilatérales avec la province pour essayer d'en arriver à une conciliation, comme il en a été question dans l'arrêt Delgamuukw en 1997. J'étais en poste lorsqu'ils ont entrepris d'autres négociations de traités en 2001.

Cela fait plus de dix ans qu'ils négocient des traités. Il est clair que le mandat est limité du côté des gouvernements fédéral et provincial. J'ai eu la chance d'être témoin du fonctionnement de leur structure de gouvernance et d'en apprendre à ce sujet. J'ai toujours été étonnée de constater à quel point elle est bien organisée. Il existe deux mandats limités pour concilier les intérêts des Gitxsans et ceux de la Couronne. J'espère que nous serons en mesure de parler de la façon dont cela pourrait être corrigé aujourd'hui.

M. Derrick : J'ai demandé à des membres du personnel de photocopier l'exposé que j'avais l'intention de lire. Je suis désolé de ne pas l'avoir fait traduire dans l'autre langue officielle, mais j'espère qu'il sera distribué une fois traduit.

Je suis heureux que ce comité sénatorial ait accepté de nous rencontrer aujourd'hui. Nous avons eu une occasion semblable de rencontrer des représentants de votre comité à Prince George il y a quelques années. Nous constatons que les doléances formulées par les Gitxsans ont été prises en compte dans vos travaux sur les revendications particulières, et nous vous en remercions. C'est un plaisir de vous rencontrer une fois de plus. Nous savons que le comité entreprend beaucoup de travaux importants qui devraient permettre aux dirigeants autochtones au niveau local de répondre davantage à nos besoins sociaux et économiques. Nous remercions le comité de prendre le temps de comprendre nos problèmes et de voir ce qui peut être fait en collaboration les uns avec les autres.

Les problèmes auxquels font face nos communautés peuvent sembler insurmontables mais, si nous travaillons de pair et mettons en jeu nos ressources collectives, nous pouvons y arriver. Dix ans se sont écoulés depuis que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire Delgamuukw. Les questions et les problèmes soulevés dans notre contestation judiciaire étaient clairs. Les réponses des tribunaux étaient tout aussi claires. La Cour suprême du Canada a ordonné la tenue d'un nouveau procès sur la question du titre aborigène. Le tribunal nous a également ordonné de concilier notre présence antérieure avec l'affirmation de la souveraineté de la Couronne.

Nous cherchons explicitement aujourd'hui à inciter ce comité à relever le défi d'établir un processus de conciliation avec les Gitxsans qui respecterait l'ordonnance du tribunal et qui permettrait aux Gitxsans et à la Couronne de négocier les questions fondamentales que sont le droit de propriété, les compétences et la gouvernance.

Selon nous, les processus actuels ne fonctionnent pas. La Couronne consacre des milliards de dollars chaque année à des programmes, à des négociations et à des projets destinés aux Autochtones, tandis que les questions fondamentales du droit de propriété, des compétences, du titre aborigène et de la gouvernance demeurent irrésolues. Nous savons que les coûts associés aux démarches devant les tribunaux sont exorbitants.

Les groupes de contribuables nous rappellent que le Canada dépense quelque 10 milliards de dollars pour s'assurer de respecter ses obligations en vertu du paragraphe 91.24 de la Constitution. Où va cet argent? Si ces largesses étaient distribuées équitablement, les Gitxsans seraient en droit de recevoir plus de 90 millions de dollars. Actuellement, nos organisations reçoivent moins du tiers de ce montant. Je sais que les territoires gitxsans se trouvent à très grande distance d'Ottawa et des bureaux fédéraux de Vancouver, mais l'injustice ne devrait pas être aussi flagrante. Si nous recevions la part qui nous revient, nos organisations pourraient peut-être répondre aux besoins fondamentaux des Gitxsans.

La Couronne doit cesser de lutter contre les Autochtones. Lorsque nous nous sommes adressés à la Cour suprême du Canada, un des juges a demandé au passage à ses collègues si l'un ou l'autre d'entre eux pouvait se rappeler d'une instance où la Couronne avait appuyé les peuples autochtones devant les tribunaux. Ils ont tous répondu non. Il y a là quelque chose qui cloche. Respecter les obligations qui découlent du paragraphe 91.24 de la Constitution du Canada doit signifier autre chose que lutter contre les Indiens.

Les attitudes auxquelles nous sommes confrontés, en tant que chefs de la collectivité autochtone, sont difficiles à comprendre. La seule chose qui permet de nous distinguer est la couleur de notre peau. Cette distinction n'est pas très marquée pour bon nombre d'entre nous, mais nous nous heurtons encore à des fonctionnaires hostiles. L'attitude selon laquelle la Couronne est la seule à connaître la solution est très répandue. Les négociateurs de la Couronne que nous rencontrons rejettent nos propositions, en affirmant simplement qu'elles ne sont pas viables. C'est à se demander s'il n'y aurait pas des gens qui se lèvent chaque matin en cherchant des façons de nous dire non.

J'ai pris l'habitude de demander aux gens pourquoi ils sont si irrités. Est-ce que quelqu'un, quelque part dans le système, leur dit qu'il faut se mettre en colère contre les peuples autochtones? Pourquoi les fonctionnaires passent-ils autant de temps à trouver des moyens de nous empêcher de collaborer? J'ai entendu dire que des étages entiers d'avocats au 10, rue Wellington, à Gatineau, passaient tout leur temps à élaborer des stratégies pour faire obstacle aux efforts que nous déployons pour améliorer notre sort. Il existe certainement une meilleure façon de faire.

Les mandats de la Couronne en vertu des processus existants sont restreints et rigides. Les Gitxsans se font dire que la Couronne ne reconnaîtra que les pouvoirs et les droits associés aux terres qui leur seront attribuées dans le futur, soit essentiellement des réserves indiennes à peine plus grandes que les terres que nous détenons actuellement. La Couronne ne dispose d'aucune politique sur la façon de répondre aux besoins d'un système de gouvernance héréditaire. Les Gitxsans se font dire par la Couronne qu'ils doivent accepter une constitution semblable à celle d'un conseil de bande pour être reconnus en tant que gouvernement.

Mon allocution portera principalement sur les grandes questions suivantes. Tout d'abord, je présenterai un court historique de la nation gitxsan, en plus de vous donner quelques renseignements sur nos terres et nos ressources et sur la façon dont nous nous gouvernons. Je brosserai ensuite un bref tableau des relations entre les Gitxsans et la Couronne au cours des 200 dernières années, et je vous donnerai des exemples de partenariats privés viables conclus par les Gitxsans pendant cette même période. Troisièmement, j'expliquerai brièvement pourquoi les politiques et les mandats actuels du gouvernement ne permettront pas de concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Gitxsans. En dernier lieu, je proposerai une solution et demanderai au comité du Sénat sa collaboration en vue de mettre sur pied un projet pilote qui mènera en bout de ligne à la conciliation.

L'histoire, ou l'adaawk, des Gitxsans remonte à la dernière période glaciaire. Notre histoire fait mention d'événements qui se sont produits il y a 10 000 ans. Notre histoire témoigne d'événements comme le déluge, évoquée également dans la bible. Notre histoire renvoie à des époques où le saumon était introuvable et le peuple gitxsan affamé. Notre histoire relate comment les Gitxsans ont eu à s'adapter aux influences d'autres peuples. Certains ont envahi nos territoires dans le but évident de perturber notre mode de vie. Nous avons appris à composer avec les intrus et les envahisseurs. Notre histoire nous rappelle avec quel empressement nous avons accueilli les visiteurs qui respectaient notre identité ainsi que les terres et les ressources qui sont les nôtres.

Les lois, ou ayookw, qui ont contribué à façonner notre civilisation au fil des millénaires continuent de guider chaque jour les Gitxsans. Nos lois ne sont pas écrites et ne sont pas modifiées avec l'arrivée au pouvoir de nouveaux gouvernants. Nos lois nous permettent de nous adapter aux changements que nous imposent à tous les nouvelles valeurs sociétales. Notre population est mise en présence de ces lois chaque fois que nous célébrons nos fêtes. Les responsabilités personnelles et communautaires de nos citoyens leur sont rappelées régulièrement.

J'aborderai maintenant la question des terres et des ressources. Le lax'yip, ou les terres et les ressources visées par l'affirmation de la souveraineté gitxsan, a été confirmé par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'arrêt Tysoe de 2002 portant sur le Yal. Les Gitxsans n'ont pas été conquis et n'ont pas renoncé volontairement à leurs droits reconnus et affirmés en 1982 dans la Constitution du Canada. Nous continuons d'appliquer les lois que différents tribunaux ont clarifiées pour nous. Nous croyons en la primauté du droit et nous nous attendons à ce que le Canada respecte les lois.

Notre lax'yip est géré par de nouvelles unités pour permettre aux détenteurs de titre aborigène de travailler de façon plus efficace avec la Couronne. Nous avons plus de 100 territoires distincts qui appartiennent à des groupes de maisons gitxsans et qui sont gérés par eux. Toutefois, au cours des dernières années, nous avons réorganisé ces territoires en neuf unités regroupées autour de bassins hydrologiques. Les neuf unités aident actuellement les détenteurs de titre à déterminer à quels usages réserver les terres.

Les plans élaborés par les groupes de maisons sont axés sur des projets qui permettront à la nation gitxsan d'assurer sa pérennité. Cette responsabilité de gestion est reconnue dans le jugement Delgamuukw comme faisant partie de la compétence des Gitxsans Le processus ayant pour but d'habiliter nos unités de gestion à travailler efficacement contribuera à alléger le fardeau que les processus de consultation et d'accommodement semblent imposer à la Couronne et aux détenteurs de titre.

Les unités de gestion disposent actuellement de budgets restreints, étant donné qu'aucun soutien financier ne nous est consenti par des organismes qui, pourtant, devraient investir dans ce travail de grande valeur. Le processus visant à déterminer à quels usages réserver les terres nécessite beaucoup de temps et d'efforts de la part des détenteurs de titre gitxsan. Toutefois, une fois que les cartes et que les données justificatives auront été réunies, le processus de consultation et d'accommodement sera davantage significatif et productif.

Le lax'yip gitxsan englobe plus de 33 000 kilomètres carrés dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. La Cour suprême du Canada a déterminé en 1997 que le titre gitxsan n'était pas éteint. Nous ne croyons pas que la conciliation nécessite de renoncer au titre gitxsan en faveur de la Couronne. La Couronne n'a pas conquis les Gitxsans et la Couronne n'aura jamais assez de perles et de colifichets à offrir pour nous inciter à renoncer à notre titre.

Les terres et les ressources que nous continuons de chérir ont assuré notre survie pendant 10 000 ans, et nous sommes ici pour rester. Les terres et les ressources sont une partie vitale de notre gwelx'yeinsxw, ou de notre héritage, ce qui a été reconnu par les tribunaux au paragraphe 166 du jugement Delgammukw. Notre lax'yip doit continuer d'exister, tout comme les Gitxsans de ce pays. On ne peut pas goudronner arbitrairement nos territoires pour en faire des terrains de stationnement pour taxis.

Le système de gouvernance gitxsan existe toujours et se porte bien. Le système qui permet à nos différents groupes de maisons de collaborer entre eux est guidé par des principes de gestion et par un cadre qui ont été transmis de génération en génération. Les valeurs auxquelles ont adhéré nos ancêtres sont les mêmes que celles que défendent aujourd'hui nos décideurs. Ces valeurs qui nous inspirent font maintenant partie de politiques officielles couchées sur papier pour permettre à la Couronne et aux promoteurs de comprendre en quoi consiste le cadre de gestion gitxsan. Je tiens à souligner que les Gitxsans disposent de politiques qui régissent l'eau, le saumon, les forêts, les crédits de carbone ainsi que le pétrole et le gaz. Nous sommes en train d'élaborer des politiques qui régiront la faune et les minéraux.

L'évolution du système de gouvernance des Gitxsans s'étend sur plusieurs siècles. Notre conception évoluée de la façon de veiller aux destinées de notre collectivité ne repose pas simplement sur un texte de loi. Les ayookw, c'est-à-dire les lois traditionnelles qui guident le peuple gitxsan, sont solidement enracinées dans des valeurs comme l'équité, l'honneur, le respect, la vérité, l'ouverture, l'appartenance et la responsabilisation. Le principe fondamental de la démocratie, si cher à J.S. Mill, Aristote, Platon, Machiavel et autres grands philosophes, est le même que celui que défendent Delgamuukw, Guxsan, Sagemhiigookw, Denimghet, Gitludahlth et beaucoup d'autres penseurs gitxsans.

Le système de gouvernance des Gitxsans est constamment enseigné à tous. On inculque à tous les enfants le sens de la responsabilité qu'ils ont envers eux-mêmes, envers leur famille et envers la collectivité. Quand un enfant gitxsan naît, on dit qu'il s'agit d'un invité, et on le traite comme tel. Chez les Gitxsans, tous apprennent qu'ils ont des responsabilités à l'égard de la famille. Quand les enfants franchissent certaines étapes, on s'attend à ce qu'ils exercent leur libre arbitre et qu'ils assument une plus grande part de responsabilité ou laissent cette responsabilité à d'autres.

À mesure qu'ils progressent dans le système de gouvernance gitxsan, ils apprennent à mettre de côté leurs intérêts personnels. Ceux qui deviennent Simghiighet et assument des responsabilités leur conférant un titre n'ont plus d'intérêts personnels. Les Simghiighet se voient confier la responsabilité de préserver la légende, les lois, les coutumes, les appellations, les territoires, les ressources, les chants et autres trésors. C'est leur principale mission dans la vie. Vous comprendrez tous ce concept, puisque vous avez pris le même engagement en prêtant serment envers le Canada.

Tous les citoyens gitxsans paient des impôts quand on organise des festivités. Cette contribution est volontaire, mais elle se fait au grand jour. Tous les autres membres de la collectivité sont témoins de cet engagement public. Les gens défendent et protègent leurs intérêts patrimoniaux en payant des impôts. Les femmes, les hommes, les anciens et les enfants ont tous voix au chapitre dans le système de gouvernance des Gitxsans. Personne n'est laissé pour compte en raison de sa couleur, de son sexe, de son âge ou de ses croyances. Les gens qui appartiennent à la collectivité mais vivent dans d'autres territoires conservent leurs droits et leurs responsabilités. Ils ne sont pas privés de leurs droits. Le processus de renouvellement est évolué. Il n'y a pas de remplacement majeur des gouvernants qui soit livré aux caprices d'un électorat imprévisible et mal informé. Le processus de renouvellement survient quand un gouvernant quitte ce monde. Son successeur est choisi en fonction de son savoir et de son attachement à la collectivité. Les personnes aux moyens limités ne sont pas exclues des fonctions de responsabilité. Le système de gouvernance n'est pas réservé aux privilégiés.

Les chants et les danses que nous exécutons sont rattachés à des faits historiques qui nous rappellent que nous sommes liés à d'autres formes de vie. La place que nous occupons dans ce monde ne nous rend pas supérieurs aux autres entités vivantes. Nous devons toujours nous efforcer de garder un équilibre entre notre existence et les besoins d'autres formes de vie. Nous ne devons pas exister au détriment des autres formes de vie, qu'il s'agisse des plantes ou des animaux.

L'eau existe en quantité limitée sur terre, et il nous incombe à tous d'en assurer la protection. Au Canada, l'eau qui coule dans les ruisseaux, les lacs et les rivières devrait suffire à répondre à nos besoins. Toutefois, en l'absence d'une véritable politique officielle, beaucoup de Canadiens doivent compter sur l'eau embouteillée. Les Gitxsans ne veulent pas inventer des chants et des danses qui parlent de ce nouveau phénomène. Les Gitxsans sont vivants et bien vivants en territoire gitxsan.

En ce qui concerne leurs relations avec l'État, disons que les Gitxsans ont été des Gitxsans jusqu'à ce que soit adoptée la dernière Loi sur les Indiens, en 1951. Ceux d'entre nous qui sont nés avant 1951 n'ont pas toujours connu les numéros de bandes indiennes. Nous étions des Gitxsans vivant en Colombie-Britannique et au Canada. Nous vivions heureux.

Les agents de sauvages ont commencé à imposer leurs règlements à nos communautés peu après l'adoption de la Loi sur les Indiens de 1951. Je me souviens de la réaction de la communauté quand l'agent des sauvages a commencé à parler d'élections. Il a dit que nous avions besoin de dirigeants. Les gens l'ont écouté poliment. Ils ne voulaient pas offenser ce pauvre ignorant.

Plus de dix ans se sont écoulés avant que les gens n'envisagent la possibilité d'élections. Des siècles durant, nos gouvernants ont été entraînés à gouverner. Le choix des gouvernants ne se résumait pas à un concours de popularité. Quels que soient leur âge, leur couleur, leurs croyances ou leur sexe, les Gitxsans étaient appelés à contribuer au bien de la collectivité et s'y prêtaient de bonne grâce. Tous les Gitxsans avaient un rôle à jouer et des responsabilités à assumer, et ils devaient veiller les uns sur les autres. Or, l'imposition de la Loi sur les Indiens leur a enlevé cette responsabilité.

D'autres personnes, venues de l'extérieur, se sont installées à proximité de nos communautés. Ces gens ont travaillé avec nous et festoyé avec nous jusqu'à ce qu'on leur dise que cela allait à l'encontre de la loi. La plupart d'entre eux travaillaient pour des commerçants comme la Compagnie de la Baie d'Hudson, mais d'autres travaillaient pour le chemin de fer, dans des écoles ou dans des hôpitaux.

Le comité est bien au fait des pages d'histoire qui ont été écrites en ce qui concerne les relations entre les Autochtones et l'État. Beaucoup de ces pages témoignent de l'absence de progrès ou de réalisations dont quiconque puisse tirer fierté. Nous connaissons tous les lacunes de la politique gouvernementale passée et les efforts fournis par quelques personnes bien intentionnées qui ne souhaitaient que de voir une politique gouvernementale efficace apporter ses bienfaits aux peuples autochtones.

En ce qui a trait aux échanges économiques, disons que les Gitxsans ont entretenu maints rapports fructueux avec différents partenaires depuis 200 ans. Ces partenariats témoignent de la capacité et du désir des Gitxsans de tisser des liens solides. Les commerçants venus de l'Est ont suivi essentiellement ceux qui étaient venus de Chine et de Russie. Les commerçants qui ont conclu des ententes avec le peuple gitxsan étaient, pour la plupart, des gens honorables.

Les commerçants ont conclu des marchés avec les titulaires de droits gitxsans qui chassaient les animaux à fourrure sur leurs propres territoires. Toutes les activités étaient régies et réglées en fonction des lois des Gitxsans existantes quant à l'utilisation des terres.

Pendant de nombreuses décennies, le commerce des fourrures a assuré le dynamisme de l'économie en territoire gitxsan. Quand la demande de produits du saumon s'est accrue, les Gitxsans et d'autres nations jouissant de la générosité de la rivière Skeena et de la rivière Nass se sont convertis à la production et à la pêche commerciales. À ce moment-là, la nation gitxsan ainsi que ses partenaires, les Nisga'as et les Tsimshians, possédaient la majorité des permis de pêche au saumon de la côte Nord. La situation en ce qui concerne la pêche commerciale sur la côte Ouest est telle que ce secteur requiert notre attention et doit faire l'objet d'une révision en profondeur. Notre investissement en bateaux et en permis de pêche n'est plus rentable pour notre collectivité et notre nation.

Quand la demande de produits du bois du nord-ouest de la Colombie-Britannique s'est mise à croître, les Gitxsans ont réagi en alimentant le marché. Le commerce des poteaux de cèdre que chaque chef exploitait était régi par les lois des Gitxsans. Les chefs coupaient les arbres sur leurs propres terres et livraient les produits à Terrace et à Smithers, où ils étaient chargés à bord de wagons. Le bois était coupé dans des scieries appartenant à des entrepreneurs gitxsans et exploitées par eux. Dans le secteur de l'exploitation minière, les premières activités à se dérouler en territoire gitxsan ont été celles de mineurs provenant de la communauté.

Notre économie a commencé à péricliter quand les droits de la Couronne de la Colombie-Britannique ont commencé à s'opposer au système de tenure forestière. Le premier permis d'exploitation forestière à grande échelle, soit le permis d'exploitation de concession forestière 1, a été instauré dans le Nord-Ouest de la Colombie-Britannique. Il a alors pris la place de tous les permis et de tous les droits de coupe dont jouissaient les chefs gitxsans depuis des décennies.

Nous avons été évincés de l'industrie forestière vers la fin des années 1970, et les grandes sociétés ont pris en charge toutes les activités forestières dans la région. Elles avaient accès à une matière brute gratuite et ont été largement subventionnées par le Canada et la Colombie-Britannique pour exploiter tous les arbres sains jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible de réaliser un profit. La dernière multinationale a rendu l'âme il y a 15 ans et, aujourd'hui, tous les entrepreneurs forestiers et les bûcherons gitxsans vivent de l'aide sociale. Les politiques gouvernementales du Canada et de la Colombie-Britannique n'ont pas été profitables pour les Gitxsans.

En ce qui a trait à la conciliation, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire Delgamuukw, le 11 décembre 1997. Cette affaire a été portée devant les tribunaux par les Gitxsans et les Wet'suwet'ens dans le but de faire reconnaître nos droits sur plus de 57 000 kilomètres carrés de terres. Dans l'affaire Delgamuukw, la cour a conclu que le titre ancestral s'appliquait non seulement au droit de chasser, de pêcher et de faire la trappe, mais également au droit à la terre elle-même. Pour des questions de procédures, la cour n'a pas tranché sur les faits de l'espèce, mais a plutôt ordonné aux parties de négocier en vue d'en arriver à concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de la Couronne.

Quand la Cour suprême du Canada a ordonné aux Gitxsans de concilier notre présence antérieure avec l'affirmation de la souveraineté de la Couronne, nous nous en sommes réjouis. La traduction du terme « conciliation » dans notre langue, miin hugii ganst, signifie littéralement « se rencontrer au milieu ».

Il nous a semblé que le juge en chef Lamer et ses collègues avaient donné un avis judicieux. Nous nous sommes vite attelés à la tâche d'amener la Couronne à discuter avec nous. Il a fallu neuf mois pour ramener la Colombie- Britannique à la table de conciliation. Nous avons travaillé avec la province pendant plusieurs mois à élaborer un programme de conciliation, avant que le Canada ne se joigne à nos discussions pour manifester à grands cris sa désapprobation.

Ces discussions s'avèrent futiles parce que nous continuons d'exercer des mandats qui ne respectent pas la primauté du droit. Dans l'intervalle, nous continuons de dépenser de l'argent emprunté et d'adopter une attitude de fuite en avant.

Je propose donc les étapes qui suivent. Le gouvernement du Canada doit prendre le temps d'examiner le sens que donne la Cour suprême du Canada au mot « conciliation ».

Du point de vue des Gitxsans, cela ne veut pas dire que nous devons être des Indiens. Cela ne veut pas dire que nous devons nous appauvrir. Cela ne veut pas dire que nos familles et nos communautés doivent être dysfonctionnelles. Cela ne veut pas dire que les fonctionnaires fédéraux doivent être supérieurs à nous. La conciliation ne veut pas dire que nous devons renoncer à nos droits sur les terres et les ressources qui ont assuré la pérennité de notre peuple depuis 10 000 ans.

La seule façon d'en arriver à la conciliation serait que les Gitxsans et l'État en viennent à parler des questions fondamentales du droit de propriété, des compétences et de la gouvernance. La Couronne n'a pas à craindre de s'engager dans ces discussions. Les Gitxsans ne veulent pas être un fardeau pour l'État. Nous voulons vivre libres, comme des Gitxsans en territoire gitxsan. Nous voulons jouer un rôle à part entière dans la société canadienne.

La nation gitxsan propose de s'engager dans un processus de conciliation avec la Couronne dans le cadre de nos négociations tripartites actuelles. Un tel processus pourrait servir de modèle pour d'autres négociations en Colombie- Britannique et ailleurs au Canada, et permettre de résoudre enfin les questions en litige entre la Couronne et les Autochtones.

Les Gitxsans demandent au comité du Sénat de se joindre à eux et aux négociateurs du gouvernement fédéral pour mettre sur pied un projet pilote d'une durée minimale d'un an en fonction des conditions qui suivent.

Premièrement, prévoir des fonds pour l'embauche d'un médiateur qui assure la direction du processus de conciliation. Cette personne devrait connaître à fond les aspects juridiques et les questions liées aux négociations, tout en faisant preuve d'impartialité dans le processus.

Deuxièmement, prévoir des ressources qui permettent la tenue, à la table de conciliation, de discussions allant au- delà des mandats actuels exercés dans le cadre du processus de négociation de traités.

Troisièmement, fournir un cadre qui permette de conclure au moins trois accords à l'intérieur du processus de conciliation. Ces accords pourraient vraisemblablement porter sur la gouvernance, la politique sociale et la politique économique.

Voilà qui conclut notre présentation. Merci de m'avoir écouté.

Le président : Merci, monsieur Derrick. Je poserai la première question.

D'après nos rencontres antérieures, et si je comprends bien le problème qui existe dans la province que je représente, je crois que la véritable question réside dans le fait que la Couronne impose des conditions si strictes aux négociateurs fédéraux que ceux-ci ne négocient pas vraiment. Ils se sont présentés à la table pratiquement pour dire à la Première nation ce qu'ils peuvent faire et, une fois leur exposé terminé, qu'il s'agit d'une offre à prendre ou à laisser.

En quoi l'embauche d'un médiateur changerait-elle les choses si la situation actuelle devait perdurer?

M. Sebastian : Le médiateur s'attaquerait aux questions en litige en commençant par la Constitution, soit la séparation des pouvoirs aux articles 91 et 92. Les Gitxsans estiment que le paragraphe 91(24) s'applique à l'ensemble des 33 000 kilomètres carrés de territoire plutôt qu'aux 70 kilomètres carrés de la réserve. L'autre question consiste à se pencher sur la prise en compte des intérêts des Gitxsans dans la législation actuelle, qu'il s'agisse de l'article 91 dans le cas du gouvernement fédéral, ou de l'article 92 dans celui du gouvernement provincial.

Cette prise en compte de nos intérêts repose sur la common law actuelle au Canada, de sorte que le médiateur peut recourir à ces outils pour en assurer la mise en œuvre. Avec un peu de chance, si le Canada accepte de s'engager dans cette voie, le médiateur pourra coordonner ce processus qui est déjà en place. Il ne reste qu'à s'y engager.

Le président : Est-ce que vos négociations étaient encadrées par la Commission des traités de la Colombie- Britannique? J'ai été informé par les Premières nations de la position du gouvernement fédéral, mais nous n'avons pas connu tellement de succès jusqu'à maintenant. Ils ont dépensé un milliard de dollars et je crois qu'un traité de base a été ratifié, pour la Première nation Tsawwassen. Ce traité pose certains problèmes en raison du recoupement et de différentes formules qui sont contestés par d'autres Premières nations en Colombie-Britannique.

Vous avez fait des suggestions. Croyez-vous que ces suggestions s'appliquent à la plus grande partie de la Colombie- Britannique? Nous nous trouvons devant un dilemme, car dans le cas de bien des Premières nations, rien n'a été signé; des négociations sont en cours pour la conclusion d'un traité.

M. Derrick : Nous croyons que si nous trouvons la bonne façon de procéder pour nous réconcilier, selon les directives des tribunaux, la réconciliation représente une bien meilleure solution pour tous ceux d'entre nous qui participent à la négociation de traités. Le gouvernement du Canada utilise des mandats qui n'ont pas évolué depuis les années 1980. Les nations qui participent à la négociation de traités en Colombie-Britannique voient les mêmes mandats.

Nous voulons aller de l'avant en tenant compte du concept de réconciliation tel qu'il a été avancé par les tribunaux. L'approche appliquée en cour pour trancher diverses questions montre que les tribunaux tiennent compte du contexte législatif actuel au Canada, en particulier de ce qui est prévu dans la Constitution, comme l'a souligné M. Sebastian. Nous voulons collaborer avec la Couronne pour déterminer comment s'appliquent les articles 91 et 92 dans notre cas et quelles formules sont possibles avec l'article 35 pour prendre des arrangements viables dans ce cadre.

Nous aimerions que le sens de « réconciliation » soit précisé. En collaborant avec un médiateur, un juge à la retraite, peut-être, nous pourrions avoir une meilleure idée. Nous savons que certains aspects sont exclus de la réconciliation, mais nous voulons savoir exactement ce que ce terme signifie pour que nous puissions aller de l'avant et composer avec le cadre législatif, en tenant compte de notre histoire, qui remonte à des milliers d'années.

Nous ne voulons pas nous retrouver dans un cul-de-sac. Nous voulons avancer, en nous guidant sur les décisions de la Cour suprême. Mais pour le moment, on dirait que la Couronne est moins conciliante envers nous que nous envers elle.

Le sénateur Hubley : Premièrement, en ce qui concerne le recours à un médiateur, il est toujours bien de trouver des solutions aux problèmes ou d'avoir des suggestions de solutions. Je crois que le choix du médiateur est déterminant dans toute négociation. Y avez-vous réfléchi?

Deuxièmement, vous nous avez montré que le système actuel ne fonctionne pas, et vous nous avez parlé de certains des obstacles que vous avez rencontrés au cours des négociations. Comment pourrions-nous remédier à cette situation? Est-ce que le problème se situe au niveau du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien? Est-ce qu'il se rapporte à des lois antérieures? Auriez-vous des suggestions à faire quant au type d'organisme qui devrait se pencher sur la situation?

M. Derrick : Nous avons beaucoup réfléchi au type de médiateur à qui nous devrions avoir recours. Comme nous l'avons dit dans notre exposé, il faut que ce soit une personne qui a de l'expérience dans le domaine — peut-être un juge à la retraite qui siégeait auparavant à la Cour d'appel fédérale ou encore à la Cour suprême du Canada — et qui pourrait se pencher sur la façon de concrétiser la réconciliation. Nous avons besoin d'un médiateur qui nous accepte en tant que Gitxsans. Comme je le disais, nous ne voulons pas être un poids pour la Couronne, et nous ne voulons pas que la Couronne représente un poids pour nous, comme c'est le cas actuellement.

On dirait que le mandat ne sert qu'à prendre ce qui existe. La Couronne semble vouloir prendre notre identité de Gitxsans et faire de nous des Indiens. D'autres sont des Indiens, et c'est bien, mais cela ne convient pas aux Gitxsans. On continue à essayer de nous changer, et à faire de nous ce que nous ne sommes pas.

J'en suis rendu au point de demander aux gens partout où je vais, lorsque je m'adresse à des gens de la Couronne qui participent aux négociations, vous levez-vous chaque matin avec l'intention de me donner une bonne raclée — avec l'intention de donner toute une raclée à ces maudits Indiens? Voilà l'attitude à laquelle nous nous heurtons toujours à la table.

Nous ne devrions pas faire face à l'hostilité. Nous ne devrions pas tenter de nous entendre avec les étages entiers d'avocats de la Couronne au 10, rue Wellington, qui semblent être là pour nous mettre toujours des bâtons dans les roues. Je peux me tromper, et j'espère me tromper, quand je dis que quelqu'un, de l'autre côté, donne la consigne aux gens de sortir donner une bonne raclée à ces maudits Indiens ignorants.

Le président : Le problème, chers collègues, c'est qu'on ne peut pas appliquer une seule méthode à l'ensemble des dossiers autochtones. Comme certains d'entre vous qui étiez avec nous à la nation navaho le savez, et j'ai formulé ce même commentaire dans le cadre de séances antérieures du comité, le grand chef Joe Shirley de la nation navaho disait : « Je ne suis pas un Indien. » Il disait que certains hommes blancs ont quitté l'Europe et se sont retrouvés en Amérique du Nord en cherchant l'Inde, et qu'ils ont appelé ses ancêtres des Indiens. Il disait être un Autochtone d'Amérique du Nord ne vivant pas dans une réserve mais sur des terres ancestrales. Les réserves, disait-il, sont pour les animaux.

Nous avons devant nous, ce matin, la structure historique de gouvernance de la nation gitxsan, laquelle crée des frustrations et un certain émoi dans le cadre des négociations, ou de l'absence de négociations. Le concept de la taille unique est un mythe et c'est pourquoi il nous faut traiter avec les nations en tant que gouvernement fédéral plutôt que de traiter avec des bandes une à une parce que le gouvernement les aurait divisées et conquises. Nous avons entendu ce matin des témoignages de gens du Manitoba, province qui est gouvernée par un certain parti politique, selon lesquels il importe peu de savoir quel parti politique est au pouvoir parce que nos Premières nations sont toutes traitées de manière semblable. Nous progressons, mais ce progrès n'est pas satisfaisant. Le négociateur en chef Derrick n'a pas parlé du dilemme économique devant lequel se trouve son peuple ni les problèmes qu'entraîne l'absence de développement économique au sein des collectivités.

Je vous ferai part à huis clos de certaines des histoires d'horreur qui m'ont été racontées et qui sont attribuables à l'absence de développement économique.

Le sénateur Sibbeston : J'apprécie le fait que M. Derrick et que les Gitxsans soient d'avis que le Sénat jouit d'une envergure et d'un respect suffisants pour leur venir en aide. Comment entrevoyez-vous la possibilité de mener à bien ce processus? Nous faudra-t-il aussi participer aux réunions? Nous faudra-t-il convoquer une réunion pour établir des liens et acquérir une compréhension de notre rôle dans le cadre de ce projet d'un an dont vous parlez? Comment envisagez-vous ce processus et à quoi pourrait ressembler la participation du présent comité du Sénat?

M. Sebastian : Je vous remercie de votre question. En essayant d'écrire avec ce crayon je me suis rappelé mes années dans les externats indiens et les crayons qui nous étaient fournis. Ceux-ci viennent peut-être des mêmes stocks. C'est une blague.

En ce qui a trait au processus que nous envisageons, j'aimerais brosser un tableau de ce que les Gitxsans ont proposé aux gouvernements fédéral et provincial. Nous ne voulons pas que notre gouvernement fasse des lois, et nous nous en remettrons aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Nous voulons que notre gouvernance découle de la présente Constitution du Canada. Nous n'avons pas besoin d'établir une sorte de constitution ou de gouvernance de société. Nous souhaitons exister en vertu de la présente Constitution du Canada. Nous avons également explicitement offert au gouvernement fédéral de nous soumettre une proposition s'il veut que nous nous occupions d'administrer la Loi sur les Indiens dans les réserves. Cette offre a surpris le gouvernement, qui croyait qu'il s'agissait là du point de départ de nos négociations.

Voilà donc les trois aspects à l'égard desquels nous souhaitons voir le présent comité du Sénat participer au processus de médiation. Nous sommes d'avis que le comité du Sénat peut véritablement nous aider à exprimer ces idées du point de vue du mandat du gouvernement fédéral.

Les deux traités qui ont été signés récemment en Colombie-Britannique ont ratifié la transformation de terres de réserve, assujetties au paragraphe 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867, en fiefs simples, de juridiction provinciale. Leur autre conséquence a été la renonciation à la protection que prévoit l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Nous nous démenons pour bénéficier d'une protection en vertu de la Constitution, et ces bandes ont signé pour renoncer à ces droits. Je suis préoccupé par la nature des avis juridiques que nous recevons en Colombie-Britannique. Je crois que ces avis sont à l'origine des erreurs que nous avons commises relativement à ces traités.

Nous souhaitons que le comité sénatorial nous aide à atteindre les objectifs que M. Derrick a fixés relativement au médiateur du processus de réconciliation. Nous souhaitons que le comité fasse valoir que les Gitxsans ne cherchent pas à obtenir le pouvoir d'adopter des lois, que nous voulons être assujettis aux articles 91 et 92, et protégés en vertu de l'article 35. En outre, nous voulons que la législation des deux ordres de gouvernement tienne compte de nos intérêts. Nous entrevoyons beaucoup de travail pour le comité, pour peu que les sénateurs décident d'intervenir en ce sens.

Le président : Nous allons étudier sérieusement votre exposé et nous tâcherons de vous aider, dans la mesure du possible. Je vous remercie tous d'avoir participé aux délibérations du comité ce matin. Au nom du comité, je vous souhaite du succès dans vos négociations.

Nous avons mené ces délibérations sur des questions comme les revendications particulières et l'accès à l'eau potable pour les Premières nations sans prendre le parti du gouvernement actuel. Par ailleurs, nous étudions des questions liées à la mise à exécution. Si vous croyez que des renseignements supplémentaires nous aideraient à mieux vous aider, veuillez les faire parvenir à la greffière du comité, qui se chargera de nous les transmettre.

La séance est levée.


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