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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 28 mai 2008

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-30, Loi constituant le Tribunal des revendications particulières et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 18 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Ce soir, nous entamons notre étude du projet de loi C-30, Loi constituant le Tribunal des revendications particulières.

Nous allons entendre trois groupes de témoins. Le premier est constitué du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et de fonctionnaires du ministère. Nous entendrons ensuite Phil Fontaine, chef national de l'Assemblée des Premières Nations. Nous entendrons, en troisième lieu, Bryan Schwartz, professeur à la faculté de droit de l'Université du Manitoba, et Shawn Atleo, chef régional, Assemblée des Premières nations de la Colombie-Britannique.

C'est pour moi un honneur de présider ce comité. Je suis le sénateur St. Germain, de la Colombie-Britannique. Assise à ma gauche est le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard. Assis à ses côtés est le sénateur Dallaire, du Québec. À côté du sénateur Dallaire, nous avons le sénateur Dyck, de la Saskatchewan. À ma droite, nous avons le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest. Assis à côté de lui est le sénateur Peterson, de la Saskatchewan. Assise à côté du sénateur Peterson est le sénateur Lovelace Nicholas. Est tout juste en train de s'asseoir un bon ami de la Saskatchewan, le sénateur Gustafson.

Le projet de loi C-30 a franchi l'étape de la première lecture à l'autre endroit le 27 novembre 2007. Il modifie le régime actuel de règlement des revendications particulières en constituant un tribunal composé de juges de juridiction supérieure qui ont compétence pour rendre des décisions exécutoires sur le bien-fondé des revendications et sur les indemnités à verser, jusqu'à concurrence de 150 millions de dollars par revendication. Il s'agit du deuxième projet de loi présenté au cours des cinq dernières années pour proposer le type de réforme qui est envisagé depuis longtemps par les Autochtones, le gouvernement, les autres parties intéressées et les observateurs.

Après avoir effectué un examen approfondi du projet de loi au cours de 12 réunions tenues entre le 6 février et le 16 avril, le Comité permanent de la Chambre l'a adopté avec deux amendements de l'opposition le 30 avril. Le 13 mai, le projet de loi a été adopté sans autre modification par l'autre endroit.

Je suis certain que le ministre Strahl nous en dira plus au sujet de projet de loi C-30. Sont ici pour l'aider lui, ainsi que les membres du comité, des fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il s'agit de : Lynne Partel, directrice exécutive intérimaire, Projet de réforme des revendications particulières, et Robert Winogron, avocat-conseil, Revendications particulières, Justice Canada.

Je crois comprendre, monsieur le ministre, que vous avez quelques brèves remarques à nous faire. Une fois terminée votre déclaration, je suis certain que les sénateurs auront des questions pour vous.

Avant que vous ne commenciez, permettez que je souligne que les membres du Comité sont heureux que le gouvernement ait agi si rapidement pour mettre en œuvre les recommandations faites par le Comité dans notre rapport intitulé Négociations ou affrontements : le Canada a un choix à faire. Il nous est très clairement apparu que le premier ministre et, surtout, votre prédécesseur, le ministre Prentice, reconnaissaient les graves injustices commises du fait d'avoir laissé les revendications particulières languir pendant si longtemps dans le cadre d'un processus inefficace de règlement. Il n'est tout simplement pas acceptable de permettre que les responsabilités juridiques du Canada demeurent pendantes durant des décennies.

Monsieur le ministre, vous méritez d'être félicité pour le dur travail que vous avez abattu pour mener à bien le processus de collaboration en matière d'élaboration, d'examen et d'adoption du projet de loi à l'autre endroit, pour comparaître maintenant ce soir devant le comité sénatorial ici réuni. Je sais qu'il y a des préoccupations relativement à certains aspects du projet de loi, et vous pourrez peut-être expliquer au Comité le détail de ce qui est proposé.

Monsieur le ministre, la parole est à vous.

L'honorable Chuck Strahl, P.C., député, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits : Merci. Sénateurs, je vais me reporter à votre rapport et à beaucoup d'autres dans le cadre de ma brève déclaration.

[Français]

Je vous remercie, monsieur le président, de me permettre de m'adresser aux membres du comité dans le cadre de l'examen du projet de loi C-30, Loi sur le tribunal des revendications particulières.

[Traduction]

Comme nous le savons tous, les membres du Comité ont joué un rôle important dans l'élaboration de ce projet de loi. Il y a près de deux ans, vous avez entrepris une étude des questions reliées aux revendications particulières en suspens. Le rapport du Comité, intitulé Négociations ou affrontements : le Canada a un choix à faire, s'est révélé une précieuse source d'information et de conseils. Je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que tous les membres du comité, pour le travail acharné que vous avez accompli sur cette question difficile et complexe. Comme vous l'avez dit, des tentatives de règlement ont été lancées par le passé, mais ont échoué. Nous sommes ici si près de la ligne d'arrivée, que j'en ai presque le goût dans la bouche. Je suis vraiment ravi d'être ici ce soir. J'espère que votre travail d'enquête ce soir se déroulera bien.

Comme vous le savez, j'en suis certain, les recommandations figurant dans votre rapport touchent quelques-uns des principaux éléments du plan d'action du Canada relatif aux revendications particulières que notre gouvernement a déposé l'an dernier. Je crois que le texte de loi soumis à votre examen est important pour deux raisons majeures. D'abord, le projet de loi C-30 propose la mise sur pied d'un tribunal indépendant qui permettra le règlement juste et rapide des revendications particulières et qui apportera de la certitude au processus. Deuxièmement, il constitue une composante essentielle d'un plan plus vaste annoncé par le premier ministre Harper en juin dernier et visant à améliorer le traitement des revendications particulières.

Dès le départ, il importe de reconnaître que le plan d'action et le tribunal n'atténuent en rien l'engagement de notre gouvernement à négocier des règlements. La négociation demeure le meilleur moyen de régler les revendications particulières. La négociation et la conclusion d'accords réunissent les gens et favorisent le respect mutuel. Les règlements négociés permettent de tourner la page et de planifier pour l'avenir. C'est pour cette raison que je suis fier du fait que notre gouvernement ait réglé 54 revendications particulières au cours de la dernière année, battant ainsi tous les records des gouvernements qui l'ont précédé et améliorant grandement la moyenne de 14 règlements par année, la norme qui a prévalu jusqu'ici. Je suis très heureux du fait que ces règlements se multiplient.

Malheureusement, ce ne sont pas tous les requérants des Premières nations qui ont réussi à négocier un accord, en raison de la présence de différents obstacles. De nombreuses études, dont celle réalisée par le comité, ont contribué à cerner et à analyser ces obstacles. Avec la création d'un tribunal indépendant des revendications particulières, le projet de loi C-30 nous permettra de faire un premier pas en vue de remédier à la situation — et la résolution des revendications particulières sera à la fois plus rapide, plus juste et plus transparente.

Le tribunal des revendications particulières créé en vertu du projet de loi C-30 est en quelque sorte un mécanisme à sécurité intégrée, un mode indépendant de règlement des revendications. Le tribunal, combiné aux échéanciers prévus au projet de loi C-30, garantit à toutes les parties un règlement juste et rapide des revendications. Comme le chef national de l'Assemblée des Premières Nations l'a déclaré devant le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord en avril : « Même s'il n'y aura jamais de système parfait, je vous dis que le projet de loi C-30, de concert avec l'accord politique, répond aux critères d'un système efficace et apportera un changement fort nécessaire auquel nous avons travaillé de nombreuses années. »

Je crois que les membres du Comité connaissent déjà assez bien les composantes du projet de loi C-30, à savoir qu'une Première nation est entièrement libre de soumettre sa revendication particulière au tribunal, que les décisions du tribunal sont exécutoires et ne peuvent que faire l'objet d'un examen judiciaire, que le tribunal peut accorder jusqu'à 150 millions de dollars par revendication, et que même si le tribunal ne peut allouer de terres, l'argent peut servir à acquérir des terres de gré à gré. Je crois important de signaler que bien au-delà de 90 p. 100 des revendications valent 150 millions de dollars ou moins, et le tribunal sera donc habilité à en régler la majorité.

Plutôt que de passer ces détails en revue, j'aimerais m'attarder plutôt ce soir sur les répercussions que la loi aura sur les Canadiens. À mon avis, il s'en dégage trois grands avantages. Le premier est qu'elle corrigera les injustices du passé. C'est pourquoi nous disons que justice sera enfin faite; le projet de loi s'attaque aux injustices passées. Le deuxième avantage est que la loi encouragera le développement social et économique. Le troisième avantage est qu'elle resserrera les liens entre les Premières nations et les collectivités avoisinantes.

D'abord et avant tout, notre but est la justice. Les revendications particulières fondées qui ne sont pas réglées divisent les collectivités et nous causent du tort à tous. En réglant ces revendications, le projet de loi C-30 et le plan d'action mettront un terme à des griefs de longue date et favoriseront de meilleures relations.

Un deuxième objectif important consiste à encourager le développement économique et social, surtout au sein des collectivités des Premières nations. Je sais que les membres du comité sont bien informés des répercussions positives que peuvent avoir les revendications réglées sur les Premières nations. Un autre rapport déposé par le Comité l'an dernier et intitulé Partager la prospérité du Canada — Un coup de main, pas la charité, dit que « pour ouvrir des possibilités économiques aux Autochtones, on considère comme essentiel de redistribuer les ressources, par exemple en réglant sans tarder les revendications territoriales ».

Les négociations ont permis le règlement de plus de 280 revendications particulières au cours des 35 dernières années. Chez bien des Premières nations, ces règlements ont stimulé le développement social et économique.

Le succès qui en découle est évident. Par exemple, la Première nation de Sturgeon Lake, en Saskatchewan, a utilisé les fonds que lui a procurés le règlement d'une revendication particulière pour ouvrir une station-service et une épicerie. L'entreprise fournit un travail stable à une douzaine de membres de la Première nation et génère des centaines de milliers de dollars de profits chaque année. La bande réinvestit cet argent dans la collectivité.

[Français]

Tout récemment, je me suis rendu dans la Première nation de Madawaska, au Nouveau-Brunswick, avec qui nous avons conclu un accord de règlement. Elle prévoit actuellement la mise sur pied d'un important projet de développement économique le long de la très fréquentée route 2 de la province.

[Traduction]

Le troisième résultat escompté des revendications réglées est le resserrement des liens entre les Premières nations et les collectivités avoisinantes. Comme nous le savons maintenant, les activités de développement social et économique stimulées par les règlements ne s'arrêtent pas à la limite des réserves : elles s'étendent aux régions tout autour. À l'intérieur comme à l'extérieur des réserves, des entrepreneurs concluent des partenariats d'affaires. Les Premières nations acquièrent des services auprès des municipalités voisines. Les festivals culturels attirent des gens des collectivités à proximité. Toutes ces activités contribuent à générer de la bonne volonté et à créer des liens durables entre les Premières nations et les collectivités non autochtones.

J'ai encore un autre exemple simple, mais éloquent. L'an dernier, un règlement de revendication particulière a été négocié avec Kitigan Zibi, une Première nation située à environ 90 minutes au nord d'Ottawa, près de Maniwaki, au Québec. En vertu du règlement, la Première nation a acquis une petite parcelle de terre près du pont qui mène à la ville. Pendant des dizaines d'années, la question des terres avait fait l'objet de litiges et divisé les habitants de Maniwaki et les membres de la Première nation. Pour faire preuve de bonne volonté, la Première nation a aménagé un parc public sur les terres et aujourd'hui les résidents des deux collectivités en profitent ensemble. Il s'agit d'un geste symbolique formidable qui a fait beaucoup pour rapprocher ces communautés.

Le projet de loi C-30 s'inscrit dans un plan plus vaste en matière de revendications particulières. Je suis certain que les membres du comité connaissent les autres composantes de ce plan — les 250 millions de dollars versés annuellement pour financer le règlement de revendications, la révision des pratiques administratives et l'amélioration de l'accès à la médiation.

Je suis tout aussi convaincu que les membres du comité saisissent les avantages découlant du projet de loi et qu'ils savent l'appui positif que celui-ci a reçu à l'autre endroit. Permettez-moi de citer un extrait d'un témoignage devant le comité et qui figure dans son rapport sur les revendications particulières. Bryan Schwartz a déclaré ceci :

L'argent destiné au règlement des revendications, une fois dans les mains des Premières nations, contribuerait au développement humain, à l'investissement dans le capital humain, à l'éducation et au bien-être, permettrait de développer des communautés plus fortes de gens talentueux qui contribueraient à l'économie locale par leur profession et leur métier.

Comme vous pouvez le constater, le projet de loi C-30 a une portée bien plus vaste que la seule création d'un tribunal. Il s'agit d'un projet qui nous permettra de redresser les torts du passé et de nouer de nouveaux liens avec les Premières nations — des liens fondés sur le respect mutuel, la confiance et le partenariat.

[Français]

Comme vous pouvez le constater, le projet de loi C-30 a une portée bien plus vaste que la seule création d'un tribunal. Il s'agit d'un projet qui nous permettra de redresser les torts du passé et de nouer de nouveaux liens avec les Premières nations, des liens fondés sur le respect mutuel, la confiance et le partenariat. J'encourage donc les membres du comité à appuyer le projet de loi.

[Traduction]

J'encourage donc les membres du comité à appuyer le projet de loi. J'envisage avec plaisir vos délibérations.

Le président : Merci, monsieur le ministre. La justice enfin. C'est merveilleux. Je ne sais pas d'où cela vient, mais ces personnes devraient être reconnues. Cela corrige certainement des injustices.

Le sénateur Sibbeston : Je tiens à vous remercier. Autant nous sommes assis ici aujourd'hui, il y a de cela quelques années, le comité s'est occupé de la question des revendications particulières et des problèmes existant dans notre pays du fait de ne pas nous occuper comme il se devait des revendications particulières. Nous avons rédigé ce rapport intitulé Négociations ou affrontements : le Canada a un choix à faire. Le choix manifeste du Canada est de négocier. Je vous remercie, en votre qualité de représentant du gouvernement, d'avoir élaboré ce projet de loi.

La question d'un organe indépendant, qui est au cœur du projet de loi, en est une qui a toujours été difficile à saisir par le gouvernement et les peuples autochtones. C'est une question dont on discute depuis environ 1947. Un comité spécial mixte de la Chambre des communes et du Sénat s'y est penché. De nouveau, en 1961, un comité mixte a recommandé que soit créé un tel organe, et un rapport indépendant a recommandé l'établissement d'un processus quasi judiciaire pour régler les revendications.

En 2003, nous avons traité du problème et avons adopté la Loi sur le règlement des revendications particulières, qui ne correspondait pas tout à fait à ce qu'avaient demandé les Autochtones. Cela a été toute une quête.

Enfin, nous en sommes arrivés au point où un organe judiciaire indépendant sera créé. Je vous remercie d'avoir fait en sorte que la chose soit possible.

Bien que je pense que ce soit une bonne chose que cet organe soit créé, je me demande si les ressources sont vous disposez relativement aux revendications particulières seront consacrées à ce processus de négociation et à cet organe indépendant que vous allez créer. Le ministère a-t-il des plans visant le passage de ce stade-ci à la nouvelle étape que nous allons enclencher avec cet organe indépendant?

M. Strahl : Il s'agit là d'un des sujets de préoccupation qu'ont soulevés des personnes qui ont comparu et qui nous ont aidés dans l'élaboration du projet de loi. La question des ressources est importante. Nous avons examiné la question des ressources nécessaires pour doter le tribunal — en d'autres termes, les juges dont nous aurons besoin. Le ministre Nicholson a discuté des ressources dont les juges eux-mêmes auront besoin devant un comité sénatorial, un petit peu plus tôt, dans le contexte de l'examen d'un autre projet de loi. Nous avons également abordé la question des ressources dont pourraient avoir besoin les Premières nations en vue de négociations, et cetera.

Le projet de loi comporte également un processus de révision. Au bout de cinq ans, si nous parvenons à fournir la preuve que nous pourrions faire mieux ou plus, il ne nous est pas nécessaire d'attendre encore 60 ans pour améliorer les choses. Il est prévu un processus de révision au fur et à mesure du processus.

Les mesures de sauvegarde sont là. Les ressources sont en place. Je suis convaincu qu'il y a des discussions en cours avec les fonctionnaires du ministère que je dirige. L'une des mesures de sauvegarde est la révision qui est prévue dans le projet de loi. Cela assurera aux gens la garantie que nous ferons ce qu'il faut.

Le sénateur Sibbeston : Nous devrions nous concentrer sur le projet de loi et ses dispositions, notamment pour ce qui est de la partie centrale, soit cet organe indépendant. En novembre dernier, il avait également été annoncé qu'en dehors de l'entente quant aux dispositions contenues dans le projet de loi, il allait également y avoir un accord politique sur d'autres aspects et préoccupations ne s'inscrivant pas forcément dans le projet de loi. Comment les choses se passent- elles sur ce plan et quelles sont les conditions de cet accord?

M. Strahl : Il était important que nous ayons ces accords politiques accessoires, comme on les appelle. Ils ne figurent pas dans le corps du projet de loi, mais ont été cosignés par le chef national Phil Fontaine et moi. Ces accords ont été négociés sur la base des mêmes principes que ceux qui nous ont guidés en ce qui concerne le projet de loi. Un accord politique énonce les différentes choses que le chef national et moi-même sommes censés faire ensemble.

Par exemple, une conférence sur les traités historiques a été tenue à Saskatoon, il y a de cela quelques mois. C'est là un élément de l'accord que l'on n'avait jamais vu auparavant. Quelque 700 ou 800 personnes étaient présentes. Les discussions se sont appuyées sur ce document politique.

Il y a plus à faire en ce qui concerne la mécanique de la mise en œuvre des traités et des revendications d'une valeur de plus de 150 millions de dollars. Il nous faut faire du travail au niveau politique pour discuter de la façon de traiter d'autres questions en suspens ne s'inscrivant pas dans les paramètres du projet de loi. Cependant, ces questions étaient et sont importantes pour toutes les raisons que vous avez données plus tôt et qui ont été énoncées dans mon discours au sujet de la réconciliation à long terme, des possibilités économiques et des efforts à mettre en œuvre pour veiller à ce que rien ne soit oublié.

Si un projet de loi couvre 90 p. 100 de la liste des choses à faire, il n'en demeure pas moins que les 10 p. 100 restants doivent se réaliser. Nous voulons travailler ensemble avec le chef national et je lui ai parlé de ces questions. Les premières mesures ont déjà été prises. Nous allons élaborer un plan de travail pour veiller à couvrir nombre des autres questions.

C'est pourquoi l'accord politique a été créé et c'est pourquoi nous lui accordons autant d'importance. Le chef national pourra en parler lui-même. Cependant, nous tenons à veiller à obtenir des réponses pour les personnes qui disent, à juste titre, que le projet de loi ne couvre pas tout. Ces personnes ont raison. Le projet de loi couvre 90 p. 100 de ce que nous voulons faire. Les 10 p. 100 restants demeurent importants et nous tenons à nous en occuper également.

Le sénateur Peterson : Nous nous trouvons ici véritablement à une étape clé quant au respect de nos obligations envers les Premières nations.

J'ai trois courtes questions. Vous dites que les décisions du tribunal ne seront assujetties qu'à une révision judiciaire. Pourriez-vous nous en donner un exemple?

M. Strahl : Je vais demander à notre spécialiste des affaires juridiques de vous expliquer la situation en la matière.

Robert Winogron, avocat-conseil, Revendications particulières, Justice Canada : La révision judiciaire est essentiellement un mécanisme tel que, si le tribunal a débordé à un point tel de son domaine de compétence, de son mandat, que ses conclusions sont manifestement déraisonnables, alors ce type d'examen judiciaire est déclenché. Ce n'est que dans de telles circonstances que les décisions sont réexaminées, sans quoi les décisions du tribunal sont finales et exécutoires.

Le sénateur Peterson : Je pensais que les 150 millions de dollars étaient le seul plafond. Êtes-vous en train de dire qu'il pourrait y avoir d'autres choses?

M. Winogron : Non, il s'agit de deux aspects différents. Les 150 millions de dollars sont la limite juridictionnelle quant à l'envergure des revendications qui peuvent être réglées par le tribunal. La révision judiciaire a pour objet d'examiner les décisions dans le contexte de circonstances limitées et très étroites.

Le sénateur Peterson : Une aide financière pour aider les Premières nations à préparer leurs mémoires au tribunal est-elle prévue?

M. Strahl : Oui, il y a en la matière des dispositions. Cette aide se présente pour la plupart sous forme de prêt consenti aux Premières nations. Mme Partel aimerait peut-être vous entretenir de l'augmentation. Des augmentations sont probables, et Mme Partel pourrait peut-être en traiter.

Lynne Partel, directrice exécutive intérimaire, Projet de réforme des revendications particulières, Affaires indiennes et du Nord Canada : Je n'ai pas de chiffres pour vous, mais il y en aura certainement. Nous envisageons d'augmenter le financement. Le financement sera un mélange de subventions et de prêts. Les Premières nations bénéficieront de subventions pour préparer et déposer leurs revendications dans le cadre du processus d'évaluation. Une fois entamé le processus de négociation, seront alors consentis des prêts, et des subventions couvriront leur travail auprès du tribunal si leurs revendications aboutissent en définitive devant ce dernier.

Le sénateur Peterson : Où le tribunal sera-t-il situé? Aura-t-il une présence physique quelque part, et ce quelque part sera-t-il là où se trouvent les clients, par opposition à ici?

Mme Partel : Le tribunal aura un registre, qui sera l'organe qui assurera l'appui administratif dont il a besoin. Celui- ci se trouvera dans la région de la capitale nationale, et cela est explicité dans le projet de loi. Cependant, il reviendra certainement au tribunal lui-même de décider où il souhaite siéger. Il y a, bien sûr, des revendications particulières d'un bout à l'autre du pays.

M. Strahl : Il ne s'agit pas d'un tribunal permanent. Le tribunal sera constitué de juges d'expérience et il y aura donc tout un mélange de personnes, en fonction de la charge de travail des juges en chef et des autres. Il s'agira sans doute principalement de juges doyens du fait que ces affaires tendent à être très complexes. Comme l'a dit Mme Partel, ils pourraient siéger là où cela est le plus souhaitable, et ils pourraient se réunir dans différentes régions du pays, selon les besoins. En d'autres termes, il y aura une certaine flexibilité. Ce n'est pas comme s'il vous fallait vous présenter à la Cour suprême du Canada et comparaître devant les sept mêmes juges. Il y aura un panel de trois juges, choisis selon des critères optimaux, et qui seront en mesure de traiter de ces questions dans les différentes régions du pays. Pour faciliter les choses pour tous les intéressés, je devine qu'ils effectueront une part importante de leur travail sur le terrain, mais le registre lui-même sera là.

Mme Partel : C'est exact.

Le sénateur Hubley : J'aimerais vous poser une question au sujet de votre déclaration. Vous y dites qu'il est important de souligner qu'au-delà de 90 p. 100 des revendications correspondent à 150 millions de dollars ou moins, et que le tribunal sera donc habilité à traiter de la majorité de ces revendications.

Établira-t-on des délais précis pour les étapes de négociation initiales, puis pour l'audition et le règlement ultérieur de ces revendications par le tribunal?

M. Strahl : L'une des personnes qui m'ont accompagné ici me reprendra si je fais erreur, mais je pense qu'il est prévu deux périodes de trois ans. Il y a une période de trois ans au cours de laquelle déposer vos renseignements. En d'autres termes, les Premières nations ont pour obligation de préparer un dossier aussi complet que possible, prêt à être déposé devant le tribunal. En d'autres termes, vous ne pouvez pas dire : « J'ai un dossier et le voici », pour ensuite commencer à y ajouter des éléments au fil du temps. Il vous faut réunir toutes les pièces, faire votre recherche, puis présenter vos arguments.

Puis il y a une période de trois ans au cours de laquelle le tribunal en fait son analyse.

Ai-je raison?

Mme Partel : Vous avez raison jusqu'à votre explication au sujet du tribunal. Une fois la revendication considérée comme déposée par le ministre, il peut y avoir quelques aller-retour pour veiller à ce que les exigences minimales en matière de dépôt soient remplies, et ces exigences seront déterminées conjointement avec l'APN, l'Assemblée des Premières Nations, par le biais du Comité de liaison et de surveillance. C'est ce que l'on appelle l'accord politique.

Puis, il y aura trois années aux fins d'une évaluation, pour déterminer si la revendication est ou non acceptable en tant que revendication particulière. À partir de là, si la revendication est rejetée, alors elle devient admissible pour dépôt devant le tribunal. Bien sûr, ce sera à la Première nation concernée qu'il reviendra de décider si elle veut ou non faire appel au tribunal.

Il y a cependant encore une autre période de trois ans à laquelle songeait probablement le ministre Strahl. Il s'agit de la période de trois ans pour la négociation de la revendication, car il ne faut pas oublier que 90 p. 100 des revendications qui sont versées au processus de négociation débouchent sur un règlement.

S'il n'intervient aucun règlement au bout de trois ans, la Première nation peut alors soumettre sa revendication au tribunal. Cependant, si les parties à la négociation parviennent à s'entendre, les délais aux fins des négociations peuvent être prolongés. C'est au choix des parties intéressées, si les négociations se déroulent bien.

Puis, si le dossier est porté devant le tribunal, alors c'est celui-ci qui décide des délais. Il n'y a pas de délai de trois ans. Cependant, vous constaterez que le préambule du projet de loi renferme un certain nombre d'articles visant l'examen des revendications par le tribunal dans les meilleurs délais. Nous ne nous attendons pas à ce que ces affaires s'éternisent.

M. Strahl : Le fait que le tribunal soit composé de juges veillera à ce que ce soit bien le cas. Les juges que je connais — mais je ne prétends pas du tout être expert en la matière — ne laisseront pas les gens faire du tricotage avec la rondelle, comme on dit.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma question concerne les Premières nations qui ne sont pas en faveur de ce projet de loi visant la création d'un tribunal. Qu'adviendra-t-il de leurs revendications territoriales, et existe-t-il pour elles quelque recours?

M. Strahl : Si vous parlez des Premières nations ayant des revendications particulières, c'est entièrement à la Première nation de décider si elle veut ou non faire appel au tribunal. Elle souhaitera peut-être poursuivre un règlement négocié. Notre espoir est que la plupart de ces revendications seront réglées par voie de négociation. Vous avez d'assez bons antécédents.

Le fait que le tribunal soit là comme option indique à tous les négociateurs qu'il leur faut se mettre sérieusement et rapidement au travail, car il y a des délais à respecter. Les négociations deviendront plus urgentes pour nous tous, car les gens sauront que, s'ils ne parviennent pas à négocier, il y a un risque que le dossier soit renvoyé à cet autre tribunal. Cela va tout naturellement accélérer les choses.

Des représentants d'une Première nation qui sont récemment venus me rencontrer dans mon bureau m'ont dit qu'ils n'aimaient pas ce projet de loi et qu'ils ne voulaient pas s'en servir. Je leur ai dit : « C'est parfait. Ne l'utilisez pas. » Ils ont insisté pour dire qu'ils ne voulaient vraiment s'en servir et je leur ai dit que le choix leur appartenait à eux seuls. Cette assurance doit être donnée aux gens, car en bout de ligne, il y en a peut-être certains qui voudront se livrer aux tribunaux là-dessus. C'est pourquoi nous disons que c'est leur choix. Cela leur donne confiance, du fait de savoir qu'il y aura de sérieuses négociations. Il est également question de services de médiation, mais, ultimement, c'est à la discrétion de la Première nation.

Cela concerne la question générale des revendications territoriales, et non pas les revendications particulières, mais d'autres questions, comme par exemple les revendications territoriales en suspens, qui sont nombreuses en Colombie- Britannique, du fait que beaucoup de tout cela n'est pas couvert par des traités. Ce projet de loi ne vise pas ces questions-là. Il n'intéresse que les revendications particulières, ce qui recouvre quantité de griefs historiques concernant l'obligation du gouvernement fédéral de redresser des torts passés, mais il ne s'agit pas de questions de traités ou de titres fonciers à proprement parler.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Qu'en est-il des revendications territoriales dont la valeur monétaire dépasse le plafond des 150 millions de dollars? Celles-ci doivent-elles être renvoyées devant une cour?

M. Strahl : Il s'agit là d'une question dont le chef national et moi-même avons traité. L'Assemblée des Premières Nations estime qu'il y a au pays une vingtaine de cas du genre, mais qu'il pourrait y en avoir d'autres. L'on ne peut jamais savoir avec ce genre de choses. Nous allons discuter de processus afin que cela fonctionne aussi bien que possible.

Encore une fois, la voie à privilégier est la négociation. Je me suis rendu il y a quelques mois dans le nord de l'Alberta pour signer une entente en principe avec la nation crie Bigstone. L'entente concerne 300 millions de dollars et 140 000 acres de terres. Sont également prévus toutes sortes de transferts d'écoles et de bâtiments. Il s'agit d'une revendication complexe qui ne cadrerait pas dans cette structure-ci. Il est possible de négocier ces revendications; il suffit de s'asseoir avec des partenaires sérieux et de négocier. J'ai bon espoir que c'est la façon de procéder. L'Assemblée des Premières Nations et moi allons nous asseoir pour discuter de moyens d'accélérer le règlement des revendications particulières de grande envergure.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Merci.

Le sénateur Dyck : C'est un honneur pour moi d'être présente ce soir. J'espère que ce sera encore un autre moment historique dans l'histoire des négociations avec les peuples des Premières nations.

J'aimerais revenir à la question qu'a posée le sénateur Hubley au sujet de l'échéancier. Comme vous l'avez dit dans vos remarques, l'un des objets de l'établissement d'un tribunal est de veiller à ce que ces dossiers soient réglés dans les meilleurs délais. Si je comprends bien, mais peut-être que je me trompe, la Première nation dépose sa revendication particulière auprès de votre bureau d'abord, et vous disposez de trois ans pour décider si elle doit être transmise au tribunal, et il y a encore trois années à attendre avant qu'elle ne parvienne véritablement au tribunal. Il peut s'écouler six années avant que la Première nation ne voie s'enclencher le processus.

Avez-vous la conviction que le gros de ces revendications ne vont pas rester dans votre bureau pendant la totalité de cette période de trois ans? Pensez-vous que votre bureau pourra les traiter rapidement?

M. Strahl : Cela nous ramène, encore une fois, sénateur, à la question des ressources. La question est pertinente. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, le projet de loi prévoit une révision si les choses ne se déroulent pas comme prévu. Nous croyons que les ressources sont en place. Si cela devait s'avérer plus complexe ou si l'évaluation demandait davantage de temps, un processus d'examen est prévu dans le projet de loi.

Je reviens à l'idée que même six ans, c'est la vitesse de la lumière par rapport à certains dossiers d'un peu partout au pays et sur lesquels j'ai eu le privilège d'apposer ma signature. Il y a des gens qui m'ont dit qu'ils attendent depuis 40 ans, que leur grand-père est l'auteur de leur revendication particulière. Ils ont des photos de personnes qui y ont travaillé et qui sont mortes depuis longtemps.

Six années, c'est peut-être long, mais il s'agit souvent d'un processus d'évaluation complexe pour veiller à ce que le Canada comprenne son obligation. La dernière chose que nous voudrions faire c'est prévoir des délais si serrés qu'il faille rendre une décision dans les six mois. Cela ne laisserait pas suffisamment de temps pour un examen ou une analyse par le ministère de la Justice. Il nous faut tout de même un peu de temps, et une période de six ans, cela paraît bien court au total par rapport à ce que nous avons connu par le passé.

Et même dans ce contexte, il y a possibilité de révision s'il se dessine de notre côté une tendance générale d'insuffisance sur quelque plan. Je suis convaincu que nous disposons des ressources, et le délai est relativement court comparativement au statu quo.

Le sénateur Dyck : Si vous constatez d'ici moins de cinq ans qu'il vous faut des ressources supplémentaires, pourrez- vous en ajouter avant la fin de la période de cinq ans?

M. Strahl : Une partie de notre accord politique vise le traitement des revendications particulières et la présentation de recommandations aux fins d'améliorations. Il est prévu un examen permanent. L'une des raisons pour lesquelles l'accord politique figure ici est que cela nous permet de ne pas attendre pendant cinq ans. Les parlementaires ont jugé qu'en inscrivant cela dans le projet de loi, si je devais changer de portefeuille, ce ne serait pas abandonné. Cela continuerait de se faire, et c'est pourquoi cela figure dans le projet de loi. Une partie de l'accord politique que j'ai signé pour le compte du gouvernement vise à effectuer exactement le genre d'examen que vous avez décrit.

Le sénateur Dyck : Puisque vous avez soulevé la question des accords politiques, cela couvre-t-il la participation des Premières nations quant au choix des personnes nommées au tribunal?

M. Strahl : Oui. Le chef national sera engagé dans un processus de recommandation de candidats pour le tribunal. Le tribunal est composé de juges, bien sûr, et les juges sont nommés par décret en conseil à partir d'un bassin, conformément à la loi, mais le chef national est consulté relativement aux recommandations. En bout de ligne, sur la base de cet accord, le gouvernement doit nommer des juges et consulter le chef national, mais le libellé de l'accord fait état de consultation et de recommandations.

Le sénateur Dallaire : Nous avons plusieurs fois entendu de la bouche de témoins que la Couronne n'agit pas forcément toujours de bonne foi. Même s'il existe peut-être une responsabilité juridique, celle-ci n'est pas forcément appliquée ni interprétée de cette manière. Le problème, dont il est souvent fait mention, serait que la Couronne décide qu'elle ne veut pas participer aux négociations et attend simplement qu'il arrive quelque chose ou qu'il y ait une crise à laquelle il lui faille réagir. Nous pourrions remonter plusieurs gouvernements en arrière et en trouver des preuves.

Le titre dans la marge à côté de l'article 30 est « Retrait d'une question », et j'aimerais comprendre. Le paragraphe 30(1) dit :

Toute partie peut retirer la question qu'elle a présentée au Tribunal tant que ce dernier n'a pas statué sur celle- ci. Le Tribunal en est alors dessaisi.

Que se passe-t-il si le gouvernement fait cela? Y a-t-il un instrument qui s'enclenche et qui empêche la paralysie? Ce qui me soucie le plus est que la Couronne soit pleinement responsable, étant donné qu'elle est l'autorité ultime. Peut- elle stopper quelque chose qui ne lui convient pas et tout simplement se croiser les bras?

M. Strahl : M. Winogron est ici pour expliquer le texte juridique.

M. Winogron : Cette disposition a pour objet d'être une mesure de sauvegarde pour la Première nation demanderesse. C'est la Première nation demanderesse qui est autorisée à retirer sa revendication jusqu'à l'étape de la décision. Le demandeur fait la revendication. Le gouvernement ne serait certainement pas autorisé à en retirer quelque partie que ce soit, étant donné que ce n'est pas une revendication du gouvernement. Le gouvernement ne serait autorisé à intervenir que dans le cadre de son propre rôle, qui est celui de sa défense. Si la Couronne a soulevé une défense et veut la retirer, elle a le droit de le faire. L'intérêt de cet article est que si une Première nation juge que c'est dans son intérêt de retirer sa revendication à un moment donné avant la décision, alors elle a le droit de le faire sans répercussion aucune sur sa capacité de représenter sa revendication ultérieurement. Il y aurait peut-être des répercussions sur le plan des coûts, mais c'est tout.

Le sénateur Dallaire : C'est ce que signifie le libellé actuel de ce paragraphe?

M. Winogron : Oui.

M. Strahl : Le terme « partie » renvoie à la Première nation. Le gouvernement ne peut pas tronquer le processus en se retirant à la dernière minute parce que les choses ne lui plaisent pas. Nous devons tous les deux être liés par la décision du tribunal. S'il y avait à une autre table une décision établissant un précédent, une Première nation pourrait dire qu'elle souhaite revoir sa position. Cet article lui offre un droit de retrait. Il s'agit là d'encore une autre mesure de protection pour les Premières nations.

J'appuie votre thèse, sénateur. Lorsque vous décidez si vous aimez le dossier et la façon dont il sera négocié, vous êtes juge, juré, bourreau et quantité d'autres choses. Cela crée un sentiment d'injustice pour les Premières nations. Le gouvernement ne fonctionne plus ainsi. Une fois l'affaire renvoyée au tribunal, le gouvernement dit « Cela n'est plus entre nos mains. Nous ne faisons plus ces choses ».

Le sénateur Dallaire : Pourrais-je trouver ici un autre article qui suscite chez moi ce même sentiment rassurant que vous venez à l'instant de décrire, étant donné que cela ne ressort pas clairement dans l'article 30? Est-ce si clairement établi dans le projet de loi que c'est ainsi que le gouvernement perçoit ses activités, ou bien parvient-on par déduction à cette conclusion?

M. Winogron : Je pense que c'est le fait d'une structure cumulative. Premièrement, les demandeurs sont autorisés à déposer leurs revendications par voie statutaire. Ce texte de loi permettrait aux demandeurs de déposer des revendications. Il n'y a rien que le gouvernement puisse faire pour empêcher cela; la loi autorise la chose. L'article 30 du projet de loi établit qu'une partie peut retirer une question. S'il s'agit cependant d'une question du demandeur, alors le gouvernement ne peut pas la retirer.

Le sénateur Dallaire : Je craindrais davantage que le gouvernement, par mesure défensive, retire ou retienne ses arguments, le processus, et ainsi de suite. Je ne sais pas très bien.

M. Winogron : Il est vrai que le gouvernement pourra donner ses arguments. S'il estime qu'il lui faut recourir à une défense donnée, alors il la mettra de l'avant. Le gouvernement a ce choix. En bout de ligne, si le gouvernement ne souhaite pas employer une défense donnée, alors il peut la retirer. Cependant, cela n'empiète ni n'a d'incidence sur le dossier du plaignant. En fait, cela viendrait davantage encore le renforcer, car une partie de la défense ne serait plus.

Le sénateur Dallaire : Advenant que le gouvernement se retire, y a-t-il un délai à l'intérieur duquel il lui faudrait retourner à la table avec sa défense, selon ce que les juges eux-mêmes considéreraient comme approprié, ou bien y a-t-il un autre article portant là-dessus?

M. Winogron : La partie a le droit de se retirer jusqu'à l'étape de la décision. Par exemple, avant la clôture de la preuve, la Couronne pourrait se lever et déclarer que le gouvernement s'appuie sur une défense donnée mais souhaite la retirer et reconnaître le bien-fondé d'un point donné — revenant à dire, nous ne sommes pas responsables pour tel motif. L'affaire se poursuit sur cette base et cette défense ne s'applique plus.

Le sénateur Dallaire : Ce n'est pas parce que notre défense n'a pas été appropriée dans l'exposé de notre position; tout simplement nous nous retirons.

M. Winogron : Ce pourrait être pour quantité de raisons.

Le sénateur Dallaire : Il n'intervient aucune limite temporelle lorsque cela survient?

M. Winogron : Le délai limite est le moment de la décision.

Le sénateur Dallaire : Oui, mais cela pourrait être reporté. Il y a cette conviction que la Couronne peut jusqu'à un certain point manœuvrer. J'essayais de rattacher cela à quelque chose qui dise que la Couronne ne va plus bricoler. Il y a derrière cela un esprit qui n'est pas forcément très bien explicité — notamment que nous voulons jouer franc jeu et régler tout cela. C'est mon sentiment. Lorsque j'ai lu « partie » au lieu de « Premières nations », par exemple, cela a suscité chez moi une certaine inquiétude.

Je laisse cela à vos soins. Vous avez expliqué la position du gouvernement; la question était simplement de savoir si cette intention a ou non été bien couverte.

M. Strahl : C'est une bonne question, que vous pourriez poser à certains des autres témoins que vous avez ici en vue de savoir pourquoi ils trouvent que cela était important. Je considère qu'il s'agit d'encore une autre mesure de sauvegarde pour les Premières nations.

Le sénateur Dallaire : Oui, tant et aussi longtemps que c'est à elles que cela est destiné.

M. Strahl : Ce pourrait être pour l'un ou pour l'autre. Il s'agit d'un argument juridique. D'après ce que je peux voir, jusqu'au moment même de la décision, quelqu'un peut dire : « Je viens tout juste de voir une affaire qui a été réglée en cour la semaine dernière. La cour leur a fait passer un de ces savons! » La Première nation pourrait alors dire : « Alors attendez. Il me faut revoir ma position ici. La décision n'a pas encore été rendue, alors j'aimerais retrancher quelque chose. Je ne veux pas qu'il soit décidé de tel ou tel élément. » Il se pourrait que le gouvernement dise la même chose — en d'autres termes « Je ne veux pas aller de l'avant avec l'argument que j'étayais, car il ne tient plus, ou bien il n'appuie pas ma thèse. » C'est à la Première nation qu'il revient de dire si elle veut faire marche arrière. C'est à elle de décider.

Le sénateur Dallaire : Les Premières nations se sont déjà fait malmener.

Disons que nous sommes aussi expéditifs ici que nous le sommes d'habitude et que nous adoptons le projet de loi d'ici la fin de la session. Le compteur commence alors à tourner pour son entrée en vigueur dans les 120 jours, ce qui nous mène en octobre. Avez-vous à l'heure actuelle dans votre budget les fonds nécessaires pour bâtir cette infrastructure? Je songe aux gens et à l'exploitation et à l'entretien, et cetera, et pas simplement aux six juges, mais à tout ce qui les entoure. Avez-vous dans votre budget, en plus de votre entrée budgétaire de 150 millions de dollars, à compter de l'exercice financier — peut-être pas celui-ci, mais l'exercice financier 2009-2010 —, de nouveaux crédits pour couvrir ce besoin ou bien allez-vous absorber cela à même vos moyens actuels?

M. Strahl : Pour raison de détail technique, si vous voulez — et c'est ce que je dis publiquement, parce que ce n'est pas un détail technique —, je parle d'un engagement de 2,5 milliards de dollars en crédits nouveaux pour cette initiative au cours des dix prochaines années. La vérité est que, pour pouvoir mettre la main sur cet argent, il faut passer par le processus du Conseil du Trésor. Ce processus du Conseil du Trésor est ce qu'il est — ce qui veut dire que l'argent est alloué et qu'il fait partie du cadre financier, mais pour que le Conseil du Trésor approuve véritablement les fonds, c'est son processus qui doit être suivi. Le budget a été approuvé par le Parlement et l'argent est là. Par exemple, nous avons déjà entrepris le travail de transformation de l'ancienne commission elle-même, ce afin de tendre davantage vers un processus de médiation, car c'est ce que nous anticipons.

Les choses sont déjà en route et je ne prévois aucun problème. Cependant, je tiens à ce que le contexte soit reflété fidèlement : il faut la signature du Conseil du Trésor pour que cela se fasse. Cependant, le projet de loi n'a pas encore été adopté, alors je ne peux pas passer à l'étape suivante.

Le sénateur Dallaire : Nous sommes devant le but. Ce que je dis, cependant, c'est que le Conseil du Trésor ne vous regardera pas si cela n'est pas déjà inscrit dans vos postes budgétaires. Les années-personnes, ou l'argent ou les nouveaux crédits figurent dans votre poste budgétaire et il vous faut suivre le processus. Si tel est le cas, alors c'est bien.

M. Strahl : Nous sommes sur la même longueur d'onde. Je tenais simplement à être très clair quant à l'aspect technique. Je ne peux pas dire que l'argent est là tant et aussi longtemps que le projet de loi n'a pas été adopté, mais les fonds sont là, juste de l'autre côté de la porte, qu'il suffit d'ouvrir, et le plus tôt sera le mieux.

Le sénateur Gustafson : J'ai une petite question à poser, mais j'aimerais au préalable féliciter le ministre et le président du comité. Je pense que le comité a fait un excellent travail face à une situation très difficile.

J'ai une question. Le tribunal peut accorder jusqu'à 150 millions de dollars par revendication. Cela signifie-t-il que plusieurs revendications pourraient être inscrites sous un seul et même titre?

M. Strahl : Non, certaines revendications se chiffrent à elles seules à plus de 150 millions de dollars. Si quelqu'un disait : « Mes terres m'ont été prises de manière irrégulière lorsque le lac a débordé », vous ne pourriez pas dire : « Le lac a inondé mes terres, je n'ai pas été dédommagé et je veux faire cinq revendications de 100 millions de dollars chacune. » Il n'y aurait qu'une seule revendication. Vous ne pouvez pas vous adonner à ce genre de jeu. Les terres inondées, par exemple, valent ce qu'elles valaient. Vous ne pouvez pas prétendre qu'il devrait y avoir cinq revendications.

D'un autre côté, une Première nation pourrait avoir cinq revendications distinctes visant des éléments distincts, mais vous ne pouvez pas diviser pour conquérir, si vous voulez. Cela pourrait avoir une incidence sur ce que d'aucuns revendiqueront. Certains se diraient peut-être : « Je pense que cela vaut 152 millions de dollars et des poussières, mais je veux que le tribunal en soit saisi, alors je vais dire 150 millions de dollars. Cela me garantira un résultat plus rapide. » Cela est à la discrétion de la Première nation.

Le sénateur Sibbeston : Je voulais dire au ministre qu'avec ce projet de loi nous aurons réglé un problème de longue date entre les Premières nations et le gouvernement fédéral. Cela est vraiment très bien.

Je constate que l'article 18 du projet de loi exclut les revendications globales contemporaines. Le projet de loi ne s'appliquera donc pas aux revendications territoriales contemporaines qui ont été renégociées depuis les années 1970.

Il me faut vous dire que notre comité se penche sur la question des revendications territoriales. Il s'agit là d'encore un autre gros dossier. Il s'agit un petit peu de la version moderne de toutes ces revendications particulières. Le comité vient tout juste de faire adopter hier au Sénat un rapport intitulé Respecter l'esprit des traités modernes : éliminer les échappatoires.

Étant donné l'esprit tout à fait positif et éclairé qui vous habite en abordant ces choses, pourriez-vous, en votre qualité de ministre, parler un petit peu de votre désir de traiter de ce problème? Il importe que l'on s'occupe également de cette émergence de revendications territoriales modernes.

M. Strahl : Je n'ai pas encore eu l'occasion de regarder le rapport. Je ne peux pas me prononcer sur le rapport lui- même. Je devine qu'il doit être approfondi, comme c'est le cas du gros de vos travaux.

Les revendications globales modernes sont une question en suspens. Dans l'accord politique, nous voulions parler des traités. J'ai mentionné la conférence sur les traités historiques que nous avons eue, et ces questions surviennent régulièrement. Par exemple, que signifie « accès à une armoire à médicaments » dans le monde moderne?

Il s'agit d'une question dont il nous faut nous occuper. Je me sens généreux ce soir, mais j'hésiterai à me prononcer sur votre rapport même. Cependant, j'envisage avec plaisir de le lire et il s'agit d'une question qui est en partie identifiée dans l'accord politique. Cependant, je n'ai aucun doute que votre rapport renfermera des recommandations que j'ai bien hâte d'examiner.

Le sénateur Sibbeston : Ce n'est pas une question d'interprétation des choses. C'est vraiment une question d'exécution. Dans tous les traités modernes, il y a des dispositions visant le règlement de différends. Cependant, le gouvernement fédéral n'a pas vraiment voulu mettre à profit ces dispositions. En conséquence, c'est bien souvent une question d'interprétation et de mise en œuvre d'éléments modernes.

Notre rapport renfermera toutes les mesures qu'il vous faudra prendre pour régler ce problème. Nous vous encourageons à faire en l'espèce ce que vous avez fait avec ce rapport-ci : vous l'avez suivi et nous avons ce beau résultat. De la même manière, nous avons une ébauche de rapport que vous pourriez prendre. L'automne prochain, nous vous verrons déposer ou un projet de loi ou une politique qui aidera à régler ce problème. Si nous travaillons ensemble, nous pourrons accomplir énormément de choses pour notre pays.

M. Strahl : Merci. J'envisage avec plaisir de lire le rapport. Je ressens le désir de crier tout à coup « Débat! Débat! », car j'éprouve le besoin d'en aborder les rouages. Je vais examiner le rapport. Je sais que c'est une question, bien sûr. J'ai hâte de voir votre rapport. Je suis certain qu'il est réfléchi. La question est déjà identifiée en tant que telle dans l'accord politique. Ce dont vous traitez est tout à fait opportun.

Le président : Merci, honorables sénateurs. Le sénateur Gustafson a parlé de vous et moi mais, monsieur le ministre, je tiens à ce que vous sachiez que tous les membres autour de cette table ont participé et contribué. Cet effort n'a pas été le mien, mais le « nôtre », nous qui avons œuvré ensemble mus d'un désir de régler cette énorme injustice qui a tant perduré.

Comme vous l'avez dit, « la justice enfin ». L'honneur de la Couronne est en jeu et vous nous avez fourni le véhicule pour ressusciter cet honneur dans ces domaines particuliers. Je tiens à vous remercier d'être venu ce soir en dépit du court préavis que vous avez eu. Vous avez livré votre message avec excellence, comme vous le faites toujours.

En tant que Britanno-Colombien moi aussi, je suis vraiment fier de vous. Merci également aux autres témoins qui sont venus ce soir. Si vous aimeriez dire quelque chose, monsieur le ministre, vous pouvez avoir le dernier mot.

M. Strahl : J'aimerais dire deux choses pour conclure. J'ai été agréablement surpris dans le cadre de ce portefeuille — surpris par la manière dont non seulement ce comité-ci, mais celui de la Chambre des communes, ont travaillé fort et bien pour faire avancer les choses. L'on ne peut jamais savoir ce qui va se passer dans le cas d'un gouvernement minoritaire. Cependant, bien que les dossiers soient difficiles, complexes et chargés d'émotion, les comités des deux endroits ont fait leur travail. Je rends hommage à tous ceux et celles qui ont pris cette question au sérieux. Ce qui a été fait s'inscrit au-dessus de la partisanerie, si vous voulez. Ce sera un magnifique triomphe historique pour le Parlement canadien et pas simplement pour un parti politique, vous, moi ou quelqu'un d'autre. Je félicite les deux comités des deux Chambres.

J'aimerais conclure en vous disant ceci. L'un des autres avantages de ce travail est que cela montre ce qui peut arriver lorsque nous œuvrons étroitement avec les Premières nations, dans ce cas-ci, et notamment l'Assemblée des Premières Nations, dans l'élaboration d'un projet de loi. Je leur tire mon chapeau. Je pense que vous l'avez mentionné, sénateur : nous avons été découragés, nous avons vu des tentatives, nous avons été malheureux, mais ils ont dit : « Très bien; nous ferons cela et nous essaierons. » Nous leur devons à eux l'aboutissement de ce projet de loi, presque inchangé à l'issue du processus de son examen en comité, le travail ayant été si bien fait au niveau des organisations et du gouvernement, dans le cadre d'une relation de gouvernement à gouvernement.

J'ai parlé du fait de bâtir des relations, mais l'un des merveilleux bienfaits de cet exercice a été de montrer ce qui était possible aux critiques qui disaient : « Vous ne pourrez jamais réussir. » Les Premières nations attendent depuis 60 ans la bonne solution. Comme l'a déclaré le chef Lawrence Joseph : « Dans toutes ces années passées à travailler au gouvernement et en tant que chef de Première nation, c'est sans doute l'un des plus beaux exemples de ce qui peut se passer lorsqu'on travaille ensemble. »

Il y a là-dedans une leçon pour nous tous. J'y vois, personnellement, une leçon, et nous tous, gouvernements et dirigeants, devons convenir, encore une fois, que travailler ensemble livre de meilleurs résultats que l'antagonisme ou la confrontation.

Le président : Lorsque vous retournerez à l'autre endroit, remerciez-les. Nous les remercions tous, du premier ministre jusqu'au tout dernier député de la Chambre des communes.

M. Strahl : Merci beaucoup.

Le président : Notre deuxième témoin revient devant le comité après avoir récemment comparu au sujet du projet de loi C-292, l'Accord de Kelowna. Nous sommes toujours très heureux d'accueillir parmi nous Phil Fontaine, chef national de l'Assemblée des Premières Nations. Il vient du Manitoba, l'un des plus beaux endroits du monde. Il est certain que nous tous qui sommes originaires de là ou qui y vivons toujours faisons d'énormes contributions; c'est le cas du chef Fontaine.

M. Fontaine est ce soir accompagné de Candice Metallic, avocate-conseil. Chef Fontaine, je crois comprendre que vous avez un horaire très chargé, car vous avez beaucoup de pain sur la planche pour les jours qui viennent.

Honorables sénateurs, nous allons passer une demi-heure avec le chef national.

Phil Fontaine, chef national, Assemblée des Premières Nations : Nous voulons tout d'abord remercier le comité sénatorial de son invitation à venir vous parler d'un sujet de la plus haute importance pour les Premières nations.

Je veux exprimer ma reconnaissance à votre président, le sénateur St. Germain, ainsi qu'à tous les membres du comité qui ont travaillé avec tant de diligence au rapport qui a amorcé le processus qui nous amène ici aujourd'hui pour parler du projet de loi C-30, arrivé à l'étape finale. Je veux parler du rapport intitulé Négociations ou affrontements : le Canada a un choix à faire. Sans ce rapport, je ne suis pas du tout certain que nous serions réunis ici ce soir.

Je suis accompagné de Tonio Sadik, l'un de nos analystes principaux à l'Assemblée des Premières Nations.

J'aimerais ce soir vous faire lecture in extenso du mémoire que j'ai présenté au comité permanent de l'autre endroit. Nous tenons à ce que notre position soit uniforme. Nous l'avons exprimée très clairement à l'autre comité et nous voulons nous en écarter en rien ici. Ainsi, les gens ne pourront venir plus tard nous demander : « Pourquoi avez-vous dit ceci sur tel sujet et dit autre chose au comité sénatorial? »

Au nom de l'Assemblée des Premières Nations, je remercie le comité et les membres de leur invitation à comparaître.

Comme vous le savez, l'Assemblée des Premières Nations est la première organisation nationale des Premières nations, représentant plus de 630 gouvernements des Premières nations au Canada.

Les chefs des Premières nations et les dirigeants de l'Assemblée des Premières Nations sont démocratiquement élus. Notre organisation tire son mandat et ses instructions des chefs qui se rassemblent lors des réunions de l'assemblée qui se tiennent régulièrement. Nous représentons tous les membres des Premières nations, hommes et femmes, qu'ils vivent dans une réserve ou non.

Dans le cadre du nouveau processus qui a donné lieu à la création du projet de loi C-30, nous avons été clairs et fermes avec le gouvernement sur un point important : si nous respectons son processus politique et tout ce qu'il comporte, le gouvernement doit en faire autant et respecter le nôtre.

C'est dans cet esprit que j'ai demandé de comparaître, comme je l'ai demandé à la fin de ces autres audiences, et accepté votre invitation à venir ce soir. Je voulais m'assurer que tous les représentants des Premières nations qui voulaient témoigner devant vous pourraient le faire librement et sans tenir compte de la position adoptée par l'Assemblée des Premières Nations, étant donné que nous avons participé directement à l'élaboration du projet de loi C-30, ainsi que le ministre Strahl l'a décrit pour vous dans son témoignage plus tôt ce soir.

Si les Premières nations ont chacune exprimé le désir que des amendements soient apportés au projet de loi, c'est leur droit. Cela ne devrait pas être considéré comme une dissension, mais plutôt comme la démocratie à l'œuvre. L'Assemblée des Premières Nations respecte totalement les opinions des chefs et des membres des Premières nations des quatre coins du pays.

En me préparant pour cette déclaration, j'ai réfléchi à notre engagement actif de longue date à l'égard de cette question avec les gouvernements successifs. Au cours des délibérations, nous demandions à nos interlocuteurs de ne pas oublier que l'objectif ultime du projet de loi C-30 est d'améliorer le système de règlement des revendications particulières au Canada.

Le mécanisme actuel est marqué par des conflits d'intérêts, des délais excessifs, l'absence d'indépendance et un sous- financement caractérisé. Tout cela a donné lieu à un énorme arriéré de plus d'un millier de revendications non réglées. Un système efficace doit être juste, indépendant, efficient, rapide et bien doté en ressources. Même s'il n'y aura jamais de système parfait, je vous dis que le projet de loi C-30, couplé à l'accord politique, répond aux critères d'un système efficace et apportera le changement très nécessaire auquel nous avons travaillé de nombreuses années.

Avant la création de la Commission des revendications particulières des Indiens au début des années 1990, l'Assemblée des Premières Nations avait joué un rôle actif en vue d'essayer d'améliorer le système fédéral qui s'occupe de régler les revendications particulières.

En 1996, le Canada a lancé un processus fondé sur un groupe de travail mixte. Ce processus a permis de regrouper des représentants régionaux pour formuler des recommandations à l'égard de système en place, qui a abouti à l'adoption d'un projet de loi type qui créait un système amélioré fondé sur des recommandations clés, notamment — et je vais en citer cinq — l'élimination de la situation de conflit d'intérêts dans laquelle se trouve le Canada, grâce à un mécanisme législatif indépendant; la création d'une commission pour faciliter les négociations; la mise sur pied d'un tribunal pour régler les litiges dans les cas de négociations avortées qui aurait le pouvoir de prendre des décisions exécutoires; l'octroi d'un financement indépendant pour la recherche et les négociations des Premières nations; la réalisation d'un examen conjoint après cinq ans pour inclure l'étude des questions en souffrance telles que les obligations légales découlant des droits ancestraux.

Malheureusement, le rapport publié en 1998 n'a jamais reçu de suites. En 30 ans, d'autres tentatives ont été faites pour s'attaquer à des problèmes liés au système actuel, avec plus particulièrement le projet de loi C-6, Loi sur le règlement des revendications particulières, et les tentatives subséquentes pour améliorer ce texte.

En décembre 2006, comme je l'ai déjà rappelé, vous avez déposé votre rapport. Ce rapport marquant a été un élément important qui a permis au ministre des Affaires indiennes d'alors, Jim Prentice, de lancer de grandes réformes relativement aux revendications particulières.

Il faut souligner que l'Assemblée des Premières Nations n'a pas participé à la définition des paramètres ayant présidé à l'élaboration du projet de loi. Nous avons toutefois été invités par la suite à prendre part à l'annonce faite en juin dernier et à collaborer avec le Canada pour mettre au point conjointement une mesure législative basée sur les paramètres énoncés dans « La justice, enfin », une proposition du Canada pour réformer le système des revendications particulières.

Même si le processus qui a suivi doit être considéré comme un succès dans le contexte de cette initiative, il n'a pas engendré une approche ou relation nouvelle en matière d'élaboration des lois et des politiques dans d'autres domaines touchant les Autochtones.

Le projet de loi C-30 est le fruit d'un immense effort de collaboration entre les Premières nations et le gouvernement fédéral pour parvenir à une entente sur la création, l'établissement et le mandat d'un tribunal indépendant des revendications particulières. Pour assurer le succès de ce projet conjoint, il fallait dans un premier temps que le processus de rédaction législative intègre des intérêts qui avaient déjà été ciblés comme essentiels à son succès, principalement grâce au travail qui avait été effectué depuis de nombreuses années, y compris le rapport de 1998 du groupe de travail mixte. Vu sous cet angle, la ligne conductrice de cette initiative intégrait un objectif commun.

Deuxièmement, avec un objectif commun, l'approche retenue pour faire avancer cette initiative supposait une collaboration et une coopération constructives. Le mécanisme comprenait une représentation de l'APN à tous les niveaux et était guidé par une instance politique de haut niveau et un comité technique de haut niveau également.

Nous avons toujours maintenu que cet engagement sérieux et direct auprès des Premières nations est plus efficace et efficient que les processus unilatéraux descendants imposés. Le projet de loi C-30 et l'accord politique en sont des exemples. De fait, malgré les diverses propositions d'amendement, la majorité des témoins qui ont comparu devant vous ont reconnu que ce projet de loi améliorera le système de règlement des revendications.

L'Assemblée des Premières Nations possède une vaste expérience de la facilitation des discussions entre les Premières nations et l'État sur la refonte des lois et des politiques, facilitation qui est distincte de l'obligation fédérale de consulter les Premières nations sur les questions mettant en jeu nos droits et intérêts.

Il ressort clairement de la jurisprudence et de notre position clairement énoncée que l'Assemblée des Premières Nations ne peut pas servir d'agent de l'État pour mener des consultations, ni de substitut à des consultations directes des Premières nations. Toutefois, notre expérience avérée sur le plan de la défense des intérêts, de la communication et de l'analyse peut contribuer aux efforts de l'État et des Premières nations de se consulter efficacement. Cela dit, l'APN ne s'est jamais engagée à assumer la responsabilité du gouvernement à consulter les Premières nations sur le projet de loi C-30. Cela demeure une responsabilité juridique fédérale.

Nous nous sommes plutôt engagés à veiller, premièrement, à ce que le point de vue des Premières nations soit au cœur du processus de rédaction législative et, deuxièmement, à aider à informer les Premières nations et à engager un dialogue avec nos citoyens sur la teneur du projet de loi et de l'accord politique.

Nous n'avons ménagé aucun effort pour honorer nos obligations tout en respectant, sur l'insistance répétée du gouvernement fédéral, la confidentialité des discussions. Tout en tenant compte de ce souci de confidentialité, nous avons fait tout en notre pouvoir pour informer nos citoyens. Nous avons mis au courant les membres des Premières nations aussi souvent que nous le pouvions durant le processus, toujours dans le respect total de la confidentialité exigée par le gouvernement.

Dès que le projet de loi a été rendu public, nous avons mené une vaste campagne nationale d'information des Premières nations. Nous avons visité chaque région du Canada dans un créneau d'opportunité de moins de deux semaines et avons envoyé un résumé complet de nos réalisations le jour même où le projet de loi a été rendu public.

Les Premières nations réclamaient plus d'information et de dialogue tout au long de notre collaboration avec le gouvernement, mais nous avons respecté la confidentialité qui était une condition du mécanisme fédéral. Nous avons honoré notre promesse de confidentialité tout comme nous escomptons bien que les membres du Comité honorent le droit des Premières nations à comparaître devant eux pour proposer des amendements. Cela ne signifie pas que les choses ont mal tourné, bien au contraire.

Aucune mesure législative politique d'ordre public ne s'attaquera à toutes les préoccupations ou questions des personnes qu'elle touche. Toutefois, en faisant participer nos citoyens à cette élaboration et en permettant que les divers intérêts des Premières nations soient entendus, le gouvernement aura pris les mesures pour parvenir à un résultat plus positif.

Nous avons constaté — et cela découle du processus qui a donné lieu à la Loi sur le Tribunal des revendications particulières — que des processus d'élaboration conjointe des politiques et des lois constituent le meilleur moyen pour parvenir à un développement durable, responsable et novateur sur des questions qui touchent directement les Premières nations.

Nous encourageons le gouvernement à s'inspirer du succès de ce processus et à l'appliquer à d'autres domaines mettant en jeu nos droits et nos intérêts — par exemple, l'eau potable, la présentation d'excuses aux survivants autochtones des écoles résidentielles et le projet de déclaration de l'OEA, l'organisation des États américains, sur les droits des peuples autochtones, entre autres.

Cependant, jusqu'à présent, nous n'avons pas pu reproduire ce processus de collaboration très réussi du projet de loi C-30 dans des domaines autres, tels que les biens immobiliers matrimoniaux, l'abrogation de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et la refonte de la Loi sur les pêches. Il est dommage et regrettable que nous n'ayons pas encore été capables de nouer des relations ouvertes, continues, fiables et stables avec le gouvernement actuel reflétant et respectant véritablement les rapports d'égal à égal entre les Premières nations et le gouvernement fédéral.

Je relève que le ministre vous a indiqué dans son témoignage, au sujet de cette relation, que c'en est une d'égal à égal. Cette notion est absolument primordiale, voire essentielle, pour la réussite de tout ce que nous entreprenons avec le gouvernement, dans n'importe quel domaine, qu'il s'agisse d'élaboration ou de mise en œuvre des politiques. Nous réussirons dans la mesure où nous collaborerons et respecterons cet important principe d'égalité, une relation où le gouvernement ne nous impose pas sa volonté.

Le président : Merci, chef national. Avez-vous le temps de répondre à des questions?

M. Fontaine : Oui, monsieur.

Le sénateur Dallaire : Je n'éprouve pas la même affection pour le Manitoba, car j'ai passé la plus grande partie du mon temps à Shilo, qui est un désert glacial en hiver. En état, il y fait plutôt chaud. Clear Lake est pas mal.

Le président : Sénateur Dallaire, c'est là où nous envoyons les Québécois. C'est ce que nous avons de mieux.

Le sénateur Dallaire : Au cours de notre examen, nous avons souvent entendu dire que vous n'obtenez pas la reconnaissance des revendications territoriales, vous n'obtenez pas la recherche de règlements, qu'il y a des retards. Il est censé y avoir un examen après cinq ans, et certaines revendications sont en souffrance depuis 30 ans, et cetera.

Je me suis penché plus particulièrement sur le mécanisme d'examen ici. Vous avez cinq ans, puis un an au maximum pour faire l'examen, puis un an au maximum pour rédiger le rapport d'examen, puis 90 jours pour les déposer à la Chambre des communes et au Sénat pour étude en comité. Cela fera presque sept ans et demi et l'on est seulement rendu en comité.

N'y avait-il pas une volonté d'imposer un mécanisme législatif pour modifier la loi si elle ne donne pas satisfaction, plutôt qu'un mécanisme de rapport, puis un examen, puis peut-être des études en comité avant que soit mise en marche une refonte de la loi? Vous pourriez devoir attendre dix ans avant que cela arrive. Pourquoi les cinq années devraient- elles être le point de référence? Est-ce que trois ans n'auraient pas suffit pour pouvoir tirer les leçons de l'expérience?

M. Fontaine : Premièrement, il importe de comparer ce que le projet de loi vise à faire et ce que nous avions dans le passé. Nous n'avions pas dans le passé le luxe d'un délai de cinq ans ou dix ans. Nous étions dans un système qui était incapable de régler, de manière juste et équitable, les revendications particulières en souffrance depuis 60 ans. Il y a eu des tentatives successives, comme vous le savez, pour tenter de rectifier ce problème.

Nous avons maintenant cette loi. Elle résulte d'une collaboration. Nous avions conscience que ce texte, tel que rédigé, n'allait pas pouvoir résoudre tous les problèmes — par exemple, les revendications de grande envergure. C'est pourquoi nous avons insisté sur un accord politique qui s'inscrit, en pratique, en parallèle avec la loi, pour régler les problèmes imprévus. Nous pensons que le point de référence de cinq ans devrait être le délai maximum autorisé pour les résoudre. Il ne s'étend pas au-delà.

Le sénateur Dallaire : Sans insister sur des modifications de cette loi, vous leur demandez des comptes au bout de cinq ans. Le texte est clair : « Au cours de l'examen, il donne aux Premières nations la possibilité de présenter leurs observations », et plus loin : « Les observations présentées par les Premières nations ». Cela suffit-il pour les contraindre à produire quelque chose en concertation avec les Premières nations?

M. Fontaine : Nous pensons que cela nous donne les assurances que nous recherchons. Les contrepoids sont nombreux. Il y a des comités comme le vôtre. Il y a le comité des communes. Il y a divers mécanismes politiques auxquels nous sommes partie prenante.

Ce qui importe ici c'est que tous les engagements donnés, ceux exprimés dans le texte de la loi, ceux exprimés dans des déclarations comme celle qui a précédé la mienne, font tous partie du dossier public. Je pense qu'un gouvernement aurait bien du mal à dénoncer ces engagements très publics.

Le sénateur Dallaire : J'ai une remarque à faire sur ce projet de loi. Étant donné les délais incontournables, lorsque le projet de loi sera adopté, le gouvernement aura 120 jours pour le mettre en vigueur. Je pense que nous devrions rappeler le ministre au bout des 120 jours afin qu'il nous démontre que la soumission au Conseil du Trésor a été présentée, que les ressources ont été allouées et les crédits débloqués pour mettre les choses en train, parce qu'ils n'ont que six mois après la prise d'effet pour commencer à régler les revendications.

Lorsque le gouvernement arrive avec un projet de loi qui a de bonnes chances d'être adopté, à preuve l'optimisme du ministre, et sachant que cette mesure requiert que le Conseil du Trésor débloque des crédits, son ministère devrait déjà avoir toute prête la présentation au Conseil du Trésor, sans attendre l'adoption. Je fais ressortir cela, car cette mesure comporte des échéances rigoureuses.

Le président : Notre comité possède un mandat suffisamment large, sénateur Dallaire, pour faire cela si nous le voulons. C'est noté au procès-verbal. Je suis sûr que vous nous rafraîchirez la mémoire le moment venu.

Le sénateur Dallaire : Je le ferai, avec votre permission, monsieur.

Le sénateur Hubley : Ma question porte sur le coût de la présentation d'une revendication pour une Première nation et je me demande si des ressources sont offertes à cet égard.

M. Fontaine : Si nous parlons du système actuel, car c'est tout ce que nous avons pour le moment — ce projet de loi n'a pas reçu la sanction royale ni été promulgué — cela a toujours été l'une des plus grosses difficultés du mécanisme des revendications : trouver les ressources nécessaires pour dresser le dossier, rémunérer des conseillers juridiques requis pour défendre les intérêts juridiques et assuré d'être traité équitablement.

Il y a un manque de moyens à toutes les étapes du processus. Le mécanisme interne du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien lui-même souffre d'un grave manque de moyens. À tous les niveaux ce processus a été sous-financé, et il ne faut donc pas être surpris que près de 1 300 revendications particulières restent en souffrance. Ce chiffre diffère du nombre de 800 environ avancé par le ministère. Nous savons que le nombre est bien plus élevé. C'est un problème énorme.

Le sénateur Hubley : Est-ce que le nouveau projet de loi va apporter un remède à cela?

M. Fontaine : Oui. Pour réitérer ce que j'ai dit en réponse au sénateur Dallaire, nous avons un accord politique. Il existe un mécanisme d'examen. C'est un problème qui doit être réglé politiquement entre le ministre des Affaires indiennes et les autres ministres, s'il faut faire appel à eux, et bien entendu nous-mêmes et les groupes revendicateurs.

Le sénateur Hubley : Au sujet des coûts, je lis au paragraphe (2), page 7 :

Le Tribunal déduit des dépens adjugés au revendicateur les sommes que celui-ci a reçues de Sa Majesté pour lui permettre de saisir le Tribunal de sa revendication.

Comprenez-vous cela?

Le sénateur Dallaire : Oui. Cela signifie que les dépenses qu'ils ont engagées pour se défendre seront déduites des montants dont ils obtiendront le paiement.

M. Fontaine : Sénateur, j'aimerais compléter ma réponse à votre première question et demander à Candice Metallic de répondre à votre question plus récente.

L'accord politique est très précis sur le sujet du financement. La référence spécifique est un examen de l'accès aux fonds, notamment aux fonds fédéraux alloués aux revendicateurs aux divers stades du processus. La conclusion qui se dégage de cela est que les ressources requises pour le traitement des dossiers jusqu'à leur examen par le tribunal sont en place. Le gouvernement a l'obligation de veiller à ce que les groupes revendicateurs aient accès à des ressources équitables pour défendre leur dossier.

Candice Metallic, conseillère juridique, Bureau du chef national, Assemblée des Premières Nations : Je vais traiter de la question des coûts. À l'heure actuelle, les Premières nations ont accès à des fonds fédéraux pour présenter une revendication à la Commission des revendications particulières des Indiens, qui représente le mécanisme non contraignant actuel. Nous voulions faire en sorte que les revendicateurs autochtones aient accès à des ressources similaires à l'intérieur du nouveau cadre, et nous avons reçu cette assurance du gouvernement fédéral. Lorsque nous discutions de cette disposition particulière, le gouvernement fédéral tenait à ce que, lorsque le tribunal rend une décision finale, le revendicateur ne puisse pas réclamer des dépens qui avaient été couverts par le gouvernement fédéral au départ pour permettre au revendicateur de préparer et défendre son dossier. C'est de cela qu'il s'agit en substance. Le paragraphe fait en sorte que la Première nation ne puisse réclamer des dépens qui ont été payés par le gouvernement fédéral.

M. Fontaine : Il existe un autre aspect important dont j'aimerais demander à Tonio Sadik de traiter.

Tonio Sadik, agent principal des politiques et de la planification, Assemblée des Premières Nations : Dans le contexte des délibérations du groupe de travail mixte a également été adopté un document énonçant les principes de financement qui guideront les discussions ultérieures sur l'octroi des fonds aux Premières nations aux fins de ce processus, ainsi que le jugement sur l'adéquation dont le chef national a parlé.

Le sénateur Dyck : Le sénateur Dallaire a parlé avec les témoins précédents de l'article 30, qui dit qu'une partie peut retirer une question au tribunal. Le ministre a répondu que cela ne s'appliquait qu'à une Première nation. Cependant, la définition dans le projet de loi dit qu'une « partie » peut être Sa Majesté ou toute province ou Première nation. Le paragraphe 23(2) stipule que :

Si Sa Majesté allègue que les pertes à l'origine de la revendication particulière sont imputables en tout ou en partie à la province...

... la province peut devenir une partie.

Êtes-vous assuré qu'en l'occurrence « partie » signifie Première nation exclusivement, ou faudrait-il plutôt écrire « la Première nation peut retirer »? Est-ce une question d'interprétation, ou bien l'accord politique précise-t-il que ni Sa Majesté ni la province ne peuvent enrayer le processus?

Mme Metallic : Au cours des négociations, l'intention des parties était que cela ne s'applique qu'à la Première nation revendicatrice. Si, par exemple, la Première nation souhaitait dessaisir le tribunal au profit de négociations, et si l'État exprime le désir de négocier, quelles que soient les circonstances, la Première nation pourrait retirer la question du tribunal.

J'ai entendu la question posée par le sénateur Dallaire au ministre. Après examen, il m'apparaît que l'intention aurait pu être exprimée plus clairement. Cependant, l'intention des parties à la négociation était que la Première nation revendicatrice aurait le droit de retirer une question. Je souligne qu'il ne s'agit pas là du retrait de la revendication, simplement d'en dessaisir le tribunal. La Première nation peut choisir de retirer toute la revendication si elle le choisit, mais il s'agit là uniquement de la question présentée au tribunal.

Le sénateur Dyck : Pourrais-je vous demander de suggérer un amendement? Pensez-vous qu'il faille amender cette disposition pour la rendre plus claire? Il me semble que ce paragraphe prête à interprétation. Faudrait-il l'amender pour le rendre plus clair? Si oui, quel devrait être l'amendement?

M. Fontaine : Monsieur le président, nous avons travaillé avec diligence au sein de ce mécanisme coopératif. Nous pensons avoir couvert tous les points majeurs et qu'ils sont incorporés dans les divers articles du projet de loi. Nous considérons cette affaire comme urgente. Nous souhaitons faire avancer ce texte jusqu'à la sanction royale. Je ne sais pas si un amendement retarderait la sanction royale.

Le président : Cela ne fait aucun doute, monsieur Fontaine.

M. Fontaine : Nous référons tous les aspects qui ne sont pas explicitement couverts ici à l'accord politique. C'est l'accord politique qui détermine réellement tous les points qui ne peuvent être couverts dans le texte de la loi. Si un problème se posait à cause de cette ambiguïté, et si une interprétation était donnée qui en fasse un obstacle, je renverrais la question au processus politique pour règlement.

Le président : Est-ce satisfaisant?

Le sénateur Dyck : Je suis certainement rassurée d'entendre que le ministre a déclaré officiellement que l'interprétation à donner de cette clause est qu'elle ne s'applique qu'aux Premières nations.

M. Fontaine : La position de repli est l'examen quinquennal. S'il se pose un problème, celui-ci facilitera un règlement.

Le sénateur Sibbeston : Tout comme j'ai félicité le ministre Strahl de ses efforts et de ceux du gouvernement pour aboutir à ce projet de loi, je tiens à vous féliciter, monsieur Fontaine, du rôle que vous avez joué. Cela a été un travail accompli en collaboration entre vous-même et le gouvernement fédéral. Je tiens à vous remercier et à souligner que ce projet de loi n'aurait pas été possible sans vous. Je vous remercie d'avoir eu foi dans le système que nous suivons au Canada. Il est très facile pour les dirigeants des Premières nations de se méfier du gouvernement fédéral, car il a agi de façon déshonorante si souvent au cours de notre histoire. Je vous félicite de votre ouverture d'esprit et de votre disposition à coopérer avec le gouvernement à ce stade.

Je veux vous féliciter également de l'initiative et du leadership dont vous avez fait preuve concernant la question des écoles résidentielles. Je sais que c'est grâce à votre initiative que vous avez fini par obtenir que le gouvernement fédéral accepte les solutions que vous proposiez. C'est en partie grâce à vous que nous avons ce règlement du problème des écoles résidentielles. Je tiens à vous en remercier, ainsi que de votre excellent leadership.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma question porte sur les terres domaniales réservées pour les Autochtones dans l'éventualité d'une revendication territoriale. Des terres domaniales ont été réservées pour les Premières nations au Nouveau-Brunswick, mais je ne sais pas si c'est le cas aussi ailleurs. Si la Première nation Tobique, par exemple, présentait une revendication territoriale, pourrait-elle englober dans celle-ci les terres domaniales réservées aux Autochtones?

M. Fontaine : Je ne vois aucune raison qu'il ne puisse pas en être ainsi.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma préoccupation tient au fait que toutes ces terres existent et que nous n'y avons pas accès. Elles sont réservées pour les Premières nations et, s'il n'y a pas d'accès à ces terres, est-ce qu'une certaine bande serait empêchée de les englober dans sa revendication territoriale?

M. Fontaine : Ce mécanisme-ci concerne les revendications particulières résultant d'une violation de traité, soit l'aliénation irrégulière, illégale, d'une parcelle de territoire. La question que vous soulevez, me semble-t-il, devrait faire l'objet d'une revendication globale.

Le sénateur Lovelace Nicholas : D'accord, merci.

M. Fontaine : Me permettez-vous un commentaire sur vos aimables paroles, sénateur Sibbeston?

Vous avez tout à faire raison : c'est là un processus qui a exigé un acte de foi de notre part. Comme je l'ai déjà indiqué, nous courions tous deux un risque dans cette entreprise. Cependant, les deux parties ont apporté la confiance à la table et, grâce à cela, nous avons remporté un réel succès ici, un succès important pour l'avenir du Canada.

Ce ne sont pas mes efforts seuls qui ont rendu cela possible. J'avais de très bonnes personnes travaillant pour moi. Je veux nommer les personnes qui étaient membres du groupe de travail mixte ainsi que du groupe de travail technique, du groupe de travail sur la transition et du groupe de travail sur le processus. Ainsi, ceux qui se pencheront sur cet épisode sauront qui étaient ces gens.

Le Groupe de travail mixte était coprésidé avec grande compétence par le chef régional Shawn Atleo, secondé par le chef régional Lawrence Joseph, de la Saskatchewan, et le chef régional Willie Littlechild, de l'Alberta. Roger Augustine était mon chef de cabinet. Le groupe de travail technique comprenait Tonio Sadik, le conseiller juridique Brian Schwartz, l'avocat Roger Jones et Candice Metallic, ici présente. Dans le groupe de travail sur la transition nous avions Kathleen Lickers et Jaime Benson.

Le groupe de travail sur le processus comprenait Ralph Abramson, Peter Di Gangi et Ken Malloway. Bien entendu, Jerome Slavik a toujours donné des conseils très avisés.

C'était là notre équipe et une grande partie du crédit revient à ces personnes hautement compétentes et capables.

Le président : Je pense qu'il est important que leurs noms figurent au procès-verbal, en reconnaissance de la contribution qu'ils ont apportée.

Le sénateur Peterson : Je remarque que si des indemnités vous sont octroyées, la Couronne possède l'option d'étaler le paiement sur cinq ans. Je ne sais pas si cela vous convient ou, surtout, si vous pourrez obtenir des documents que vous pouvez présenter à une banque pour recevoir du crédit? De toute évidence, si vous visez le développement économique, il faut que cet argent travaille.

Je suppose que vous obtiendrez un document quelconque que vous pourrez remettre à la banque pour obtenir votre argent tout de suite.

M. Fontaine : Vous parlez ici d'une décision qui appartient au tribunal. Le tribunal établit le calendrier des paiements. Je ne sais pas s'il existe une condition disant que l'argent doit être versé sur cinq ans, et seulement sur cinq ans.

Le sénateur Peterson : Aux termes de la loi, le gouvernement peut échelonner les paiements sur cinq ans, à sa discrétion. Il peut aussi décider de payer tout de suite. Cependant, s'il choisit d'échelonner le paiement, j'imagine que la Première nation sera impatiente de recevoir l'argent. Je suppose que le gouvernement fournira alors un document quelconque qu'elle pourra présenter à la banque pour dire : « Voici. Nous voulons les 50 millions de dollars tout de suite et voici le calendrier des paiements. »

Mme Metallic : Je pense que la décision écrite du tribunal suffirait à prouver à une banque que le gouvernement fédéral a une dette envers la Première nation.

Si vous regardez la loi, la décision du tribunal est contraignante pour le gouvernement fédéral. Par conséquent, il ne fait aucun doute que l'argent sera versé. Il me semble que ce serait une garantie suffisante pour une banque.

En ce qui concerne l'étalement du versement, les cinq années sont un maximum. Étant donné que les indemnités peuvent aller jusqu'à 150 millions de dollars, le gouvernement fédéral avait besoin de la latitude de planifier le règlement d'un nombre donné de revendications au cours de tout exercice. Bien sûr, le gouvernement peut opter de verser la totalité de la somme en une fois.

Cependant, nous voulions aussi assurer que les Premières nations toucheraient des acomptes, que le gouvernement ne pourrait pas attendre la fin des cinq années pour tout payer en une seule fois. Nous voulions que les Premières nations aient accès à des ressources chaque année, jusqu'à un maximum de cinq ans.

M. Fontaine : Le document dont vous faites état, sénateur, est similaire à une lettre de confort. En dernière analyse, il appartient à l'institution financière de décider d'accepter ou non la « lettre de confort » ou la décision du tribunal.

Le sénateur Peterson : Le gouvernement a la flexibilité. J'espère que vous êtes satisfaits de votre propre flexibilité et qu'il n'y a rien là-dedans disant que vous ne pouvez faire cela.

Le président : L'autre point à signaler au public qui nous regarde est que la portion impayée de l'indemnité porte intérêt au taux de financement à un jour de la Banque du Canada majoré de 2,5 p. 100, cet intérêt étant payable à la Première nation.

Collègues, je viens de parcourir cet accord politique. Nous avons focalisé jusqu'à présent sur le projet de loi. Cet accord est-il lui-même historique? A-t-on jamais signé un document comme celui-ci avant l'introduction d'une loi corollaire?

M. Fontaine : C'est sans précédent. Il est lié directement à une loi visant à assurer un règlement juste et équitable des revendications particulières. L'accord nous donne les assurances que nous recherchions parce que nous savions que la loi ne serait pas parfaite. Nous savions tous cela. Il nous fallait anticiper les situations imprévues.

Dans certains cas, il vaut mieux régler les problèmes au niveau politique, celui d'un gouvernement interagissant et dialoguant avec d'autres gouvernements. En l'occurrence, nous parlons d'un groupe distinct de personnes qui méritent d'être reconnues.

Je prends très au sérieux ce que le ministre a dit; je l'ai écouté attentivement lorsqu'il a parlé de ce processus. Il a bien dit que c'était une relation de gouvernement à gouvernement. Cela est extrêmement important pour le travail que nous avons à effectuer. J'ai été très heureux de l'entendre.

Le président : Honorables sénateurs, moi aussi je voudrais mettre en exergue le leadership et la confiance dont le chef national Fontaine a fait preuve dans ce processus. Nous vivons un moment historique, un moment dont notre comité est fier. C'est le fruit de notre rapport Négociations ou affrontements : le Canada a un choix à faire.

Je ne pense pas avoir jamais vu un projet de loi refléter aussi fidèlement un rapport que celui-ci. À vous et aux vôtres, je dis merci, et je salue leur diligence et l'énorme travail coopératif qu'ils ont abattu pour cela. Le sénateur Sibbeston en a fait état en des termes différents et vous aussi. Je ne pense pas qu'il faille jamais laisser le mieux devenir l'ennemi du bien. Aussi, je pense que l'accord négocié qui est à l'origine du projet de loi et le texte de l'accord politique corollaire représentent un gain énorme pour les Premières nations d'un bout à l'autre de ce pays. Il était grand temps et nous vous remercions du fond du cœur. Bonne chance, et Dieu vous bénisse.

Mesdames et messieurs, notre dernier panel de témoins comprend Bryan Schwartz, titulaire de la chaire Asper de commerce international, à l'Université du Manitoba, et Shawn Atleo, chef régional de l'Assemblée des Premières nations de la Colombie-Britannique. Nous apprécions que vous ayez fait le déplacement à si court préavis. Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à dire. Je pense qu'il était convenu que le chef régional Atleo commencera. Vous avez la parole, monsieur.

Shawn Atleo, chef régional, Assemblée des Premières nations de la Colombie-Britannique : Merci. C'est véritablement un honneur et un privilège que de comparaître devant vous ce soir. Nous allons passer rapidement à mon exposé. M. Schwartz et moi allons partager l'exposé au cours de cette soirée dont j'espère qu'elle fera date.

Je comparais aujourd'hui en ma capacité d'ancien coprésident, comme le chef national l'a indiqué, du groupe de travail mixte que j'ai eu l'honneur de coprésider avec Bruce Carson, du cabinet du premier ministre. J'ai participé de très près au processus qui a conduit à la rédaction de ce projet de loi ainsi que de l'accord politique parallèle. Je vais donc concentrer mon propos sur le processus.

Premièrement, je tiens à saluer l'important travail accompli par votre comité et son importante contribution sous la forme du rapport de décembre 2006 intitulé Négociations ou affrontements : le Canada a un choix à faire. Comme on l'a déjà dit ce soir, j'espère que les Premières nations, votre comité, le gouvernement et les Canadiens comprennent, ensemble, que nous nous trouvons aujourd'hui devant une occasion historique qu'il nous faut saisir. Tout le succès que nous avons rencontré est aussi le vôtre.

Le projet de loi C-30 représente une recherche sincère de consensus en vue d'établir un mécanisme équitable de règlement des revendications particulières au sein de ce nouveau tribunal. Si le projet de loi C-30 n'est certes pas parfait, le Tribunal des revendications particulières proposé sera un outil important et une institution qui permettra d'accélérer le règlement des revendications particulières. Il subsiste des insuffisances dans la politique et le processus global des revendications particulières, mais nombre d'entre elles trouveront des solutions par le biais de l'accord politique parallèle déjà décrit ici. Il faut souligner à quel point il est crucial que non seulement le projet de loi C-30 soit promulgué mais aussi que l'accord politique soit pleinement mis en œuvre sans délai. Les deux fonctionnent en tandem et doivent être considérés comme des efforts parallèles.

Ce type d'approche globale ne pouvait aboutir que grâce à un dialogue coopératif et constructif entre les Premières nations et le gouvernement fédéral. Il a été la condition d'un résultat fructueux. Vous avez eu des discussions concernant son potentiel dans d'autres domaines. Le débat sur les revendications globales m'apparaît en être un exemple, tout comme les délibérations que votre comité a tenues sur la mise en œuvre des traités contemporains. Il y a des leçons à tirer de ce processus qui trouve sa conclusion aujourd'hui.

Le travail sur le projet de loi C-30 représente un énorme effort de collaboration entre les Premières nations et le gouvernement fédéral en vue de dégager un accord sur la conception, la composition et le mandat d'un tribunal des revendications particulières indépendant. Les deux parties ont su mettre à profit les connaissances et leur expérience et la rédaction du projet de loi a incorporé des intérêts qui avaient déjà été identifiés comme indispensables à la réussite, sur la base du travail effectué au fil de nombreuses années, notamment le rapport de 1998 du groupe de travail mixte.

Sur cette base, l'initiative a poursuivi un objectif commun. La démarche utilisée pour réaliser cette initiative comprenait une collaboration et coopération constructives, avec une représentation de l'APN à tous les niveaux et la participation régionale à un certain nombre de groupes de travail, guidés par un forum politique de haut niveau et un comité technique dont le chef national a fait état.

L'APN a toujours maintenu qu'un dialogue véritable, dès le début, avec les Premières nations est plus efficace que des décisions unilatérales imposées d'en haut. Nous pouvons voir avec le projet de loi C-30 et l'accord politique que cette démarche peut produire des résultats réels pour régler des problèmes restés sans solution pendant des décennies.

Il importe que nos peuples et nos dirigeants, en particulier ceux des Premières nations comme moi, étudient l'histoire de ces relations, car elles remontent loin dans le temps. Pour nous, en Colombie-Britannique, le décès récent de Frank Calder a été marquant, car c'est avec la cause Calder de Colombie-Britannique que cette problématique a pour la première fois été mise en lumière.

En mars 2005, les dirigeants des Premières nations ont adopté le rapport intitulé Nos nations, nos gouvernements : Choisir notre propre voie. J'ai été l'un des auteurs de ce document dans le cadre de mon travail de chef régional à l'Assemblée des Premières Nations. Ce rapport a été le point culminant d'un dialogue national entre les Premières nations sur le gouvernement des Premières nations, l'exécution des traités et le règlement des revendications, tant particulières que globales.

Ce rapport contient une foison de renseignements et de bonnes idées. Deux principes importants énoncés dans le rapport et concrétisés dans le fonctionnement du Tribunal des revendications particulières sont que les politiques et mesures législatives touchant les Premières nations doivent être élaborées de concert entre l'État et les Premières nations et, deuxièmement, que la réconciliation passe par un développement institutionnel, comme dans le cas du tribunal des revendications particulières.

En mai 2005, les Premières nations et la Couronne ont conclu un accord politique par lequel les parties s'engageaient à travailler de concert à un programme d'action convenu, englobant les revendications particulières. Du point de vue de l'APN, le rapport de 2005 et l'accord politique établissaient le cadre et, ce qui était important pour nous, donnaient le mandat d'accepter l'invitation du premier ministre et de l'ancien ministre Prentice à ouvrir le dialogue avec la Couronne en vue de la rédaction d'un projet de loi sur les revendications particulières.

En tant que membre du groupe de travail mixte, je fais mien le processus que nous avons engagé pour rédiger cette loi et l'accord politique, rappelant bien entendu que ni l'un ni l'autre ne sont parfaits.

Par exemple, l'invitation du premier ministre et du ministre Prentice reposait sur un mandat fixe du Cabinet, dont le chef national a fait état, exprimé dans l'annonce « La justice, enfin » du 12 juin 2007, avec une prédéfinition du cadre et l'énoncé d'un grand nombre des principes devant présider à la création d'un tribunal des revendications particulières et à d'autres travaux préalables à notre accord mutuel.

Il vaut la peine de signaler que la majorité des amendements proposés par les Premières nations au comité permanent de la Chambre des communes, devant lequel j'ai eu le privilège de comparaître, portaient sur des aspects ayant échappé aux négociations du fait du mandat gouvernemental limité adopté sans notre participation.

Il aurait donc évidemment mieux valu commencer le travail conjoint à partir de zéro, mais nous étions contraints de choisir entre entamer un processus qui, bien que limité, était néanmoins significatif et substantiel et ne pas négocier du tout. En outre, il nous semble que certains principes importants ont été énoncés dans le mandat du Cabinet qui étaient nécessaires pour donner quelques assurances au ministre relativement au risque calculé inhérent à la mise en place d'un mode substitutif de règlement des différends. L'un de ces principes se traduit par le fait que les membres du tribunal doivent être des juges de juridiction supérieure ayant la formation et l'expérience voulue pour trancher de manière sage et responsable.

Le deuxième principe a été l'établissement de la limite de 150 millions de dollars. À notre sens, il s'agit là d'un plafond pécuniaire général, une mesure globale applicable dans toutes les circonstances afin d'éviter la délivrance au tribunal d'un chèque en blanc.

Comme vous le savez, les tribunaux administratifs n'observent pas nécessairement toutes les contraintes en matière de preuve, de procédure et ainsi de suite applicables aux tribunaux judiciaires. La Couronne a utilisé ces contraintes lors des litiges pour rejeter ou minimiser les réclamations d'indemnités coûteuses introduites par des parties ayant été lésées de quelque manière par une action, une loi ou une politique du gouvernement. Tout cela pour dire que, en dépit des diverses propositions d'amendement présentées au comité permanent de la Chambre des communes, la majorité des témoins ayant comparu ont admis que, même avec ces limites, le projet de loi représente une amélioration par rapport au mécanisme de règlement existant.

Le processus conjoint a commencé par l'élaboration du mandat du groupe de travail mixte et d'un plan de travail. Les parties ont convenu de s'inspirer de certains documents fondateurs, tels que le rapport de 1998 du groupe de travail dont j'ai déjà fait état. Cela a été une condition très importante de notre progrès et de notre succès. Le premier rapport du groupe de travail mixte, par exemple, a produit le projet de loi modèle dont nous nous sommes inspirés.

Deux autres sources d'inspiration importante furent la Loi sur le règlement des revendications particulières et, bien entendu, le rapport de votre comité sénatorial. À partir de là nous avons esquissé un avant-projet de loi et travaillé conjointement, par consensus, à étoffer cette esquisse. L'existence d'un comité politique de haut niveau, ce groupe de travail mixte, pour superviser le travail du groupe de travail technique a été primordiale pour ce qui est de la dimension politique. En outre, la rédaction d'un accord politique parallèle a été un autre instrument qui a permis de dépasser les limites de l'approche législative afin de résoudre des problèmes qui, dans le passé, faisaient obstruction au progrès et au consensus.

L'APN a déployé ses meilleurs efforts pour faire participer les Premières nations tout au long du processus, tout en respectant les paramètres échappant presque entièrement à notre contrôle, en particulier l'impératif de la confidentialité du Cabinet relativement au projet de loi en évolution. L'accès au processus de rédaction du projet de loi a été vital, car il nous permettait de voir le libellé envisagé et de veiller à ce qu'une formulation optimale soit retenue.

Cependant, la rédaction a été rapide, ce qui n'allait pas sans certains défis. Le projet de loi a été rédigé en cinq mois environ, alors que dans le cours normal des choses le délai peut être de 18 à 24 mois. Nous avons organisé des séances de dialogue régionales intensives dans presque toutes les régions du Canada, mais cela n'a clairement pas suffit à informer pleinement les Premières nations sur le travail en cours ni ne répond à l'obligation fédérale de consulter les Premières nations, comme le chef national l'a indiqué.

Bien entendu, il faut bien reconnaître que les facteurs de la politique fédérale interviennent également, comme cela a été dit ce soir : la question des délais, des votes de confiance et du déclenchement éventuel d'une élection sont la réalité quotidienne au Parlement. Il faut en tenir compte, tout comme de l'impact sur les Premières nations. En dépit de ces réalités et de la complexité des questions en jeu, nous avons rempli nos objectifs. Je pense que tant le processus que les produits sont d'importance égale à cet égard et pleins d'enseignements.

Par conséquent, en conclusion, j'exhorte le comité à confirmer son appui au projet de loi. Cela a été un honneur et un privilège insigne que d'avoir été invité par le chef national à coprésider cette initiative. Merci de cette occasion de vous faire part de mes réflexions.

Bryan Schwartz, titulaire de la chaire Asper de commerce international, Faculté de droit, Université du Manitoba : J'ai prononcé il y a quelques semaines, à Vancouver, un discours sur le projet de loi. Comme je l'ai indiqué officieusement à plusieurs membres du comité, il avait pour titre « Revendications particulières : Une réussite inopinée après 60 ans ».

J'en suis à ma troisième ou quatrième comparution devant vous. J'étais ici en 2002 plaidant sans succès pour des amendements au projet de loi C-6. J'ai comparu à l'époque où vous commenciez à réfléchir à la contribution déterminante que votre comité a apportée avec son rapport Négociations ou affrontements. J'ai dit à l'époque, sans posséder aucun renseignement privilégié, qu'il me semblait voir une convergence extraordinaire de raisons historiques permettant d'aboutir cette fois-ci. C'est une grande source de satisfaction que nous ayons maintenant un projet de loi qui est non seulement acceptable mais qui me semble une contribution très solide et une réussite éclatante.

Certes, il n'est pas idéal. Rien de ce qui sort d'un mécanisme politique collaboratif ne sera jamais idéal, mais il est néanmoins une réalisation hors pair dont les mérites intrinsèques témoignent d'un savoir-faire méritant notre profond respect.

Pourquoi les choses ont-elles bien tourné cette fois-ci? On a tendance à autopsier les morts plutôt que les vivants. On tend à moins analyser les succès que les échecs. Cependant, il vaut la peine de tirer les leçons de ce qui a bien marché, afin de pouvoir le reproduire. Parmi les choses qui ont bien marché en est une que j'ai déjà mentionnée implicitement, à savoir la contribution parlementaire au processus. Votre comité a apporté une importante contribution qui a enclenché une dynamique, et nombre de vos concepts et formules se retrouvent dans le préambule du projet de loi, notamment que le règlement des revendications particulières représente un impératif moral et non pas une simple dépense de programme discrétionnaire. L'idée d'un mécanisme de règlement des différends indépendant est aussi reproduite dans le projet de loi. L'idée que ce projet de loi devrait être le fruit de négociations est également de vous et c'est grâce à elle qu'une législation d'aussi grande qualité a pu être produite. L'idée que le règlement des revendications contribuerait au développement économique et à la réconciliation est elle aussi reprise expressément dans le préambule du projet de loi. Par conséquent, on voit là une correspondance extraordinaire entres les contributions de votre comité et le texte tant du projet de loi que de l'accord politique.

L'idée d'une surveillance et d'un engagement continus est attrayante. Le sénateur Dallaire en a fait mention. Nous avons une excellente structure mais elle ne donnera de bons résultats en pratique que si des ressources additionnelles sont engagées et si l'on est prêt à s'asseoir et collaborer avec l'Assemblée des Premières Nations pour régler les détails concrets. Après tout, le projet de loi n'est guère qu'un cadre établissant un tribunal et ne règle pas réellement des questions telles que l'octroi de fonds aux revendicateurs pour la défense de leur cause ni le traitement interne des dossiers. Ce n'était pas le but du projet de loi. Je ne le critique pas pour autant, car l'accord politique précisait bien que des discussions devront se poursuivre et la supervision parlementaire sera utile à cet égard.

Quoi d'autre a bien tourné? Au niveau technique, il y avait une volonté sérieuse de la part du gouvernement fédéral tout comme de l'Assemblée des Premières Nations, tous deux se faisant représenter par des personnes de haut niveau. Une technique intéressante a été de passer directement au stade de la rédaction du texte de loi, plutôt que de s'attarder sur les discussions conceptuelles. En effet, on peut s'accorder sur les principes, mais lorsque on commence à entrer dans les détails on se rend compte soudainement que l'on n'est pas aussi d'accord qu'on le pensait. Le gouvernement fédéral nous a donné accès, chose extraordinaire, au texte lui-même en cours de rédaction et cela a été une expérience très réussie.

Il faut également un lien entre les niveaux techniques et politiques. Cette fois-ci, il y avait un mécanisme de supervision politique qui ramenait les techniciens à la réalité. Bruce Carson en était chargé pour le gouvernement fédéral et le vice-chef Atleo pour l'Assemblée des Premières Nations.

Le rapport du groupe de travail de 1998, auquel j'ai participé, a frayé la voie en ce sens qu'il a introduit des concepts qui sont aujourd'hui reflétés dans le projet de loi. Finalement, il n'a pas abouti parce que la connexion politique faisait défaut. Dans une certaine mesure, les technocrates devançaient la volonté politique.

La conjonction de ce travail technique intensif et d'une supervision politique et parlementaire continue semble avoir été la formule qui a bien marché cette fois-ci et je pense qu'elle pourrait marcher aussi dans beaucoup d'autres domaines de l'élaboration de politiques. Par exemple, en ce qui concerne les clauses des traités, je n'ai pas encore lu votre rapport mais je suis impatient de le faire, et peut-être la même démarche pourrait-elle servir à façonner certaines clauses qui sont communes à de nombreux traités. D'autres domaines encore appellent une élaboration conjointe des grandes orientations.

Pour ce qui est du projet de loi, vous connaissez les détails de toutes les mesures importantes. Elles représentent un progrès substantiel. La question de l'indépendance est réglée par le recours à des magistrats, dont l'accord politique précise qu'ils seront choisis en concertation avec l'APN.

La célérité est absolument essentielle et nous avons les jalons, les échéances à trois ans. Comparé au passé, c'est là un grand progrès. Le projet de loi couvre l'élément de sensibilité culturelle et, pour la concrétiser, il conviendra de rédiger pour le tribunal des règles de procédure appropriées.

Dans l'accord politique, le gouvernement fédéral et l'APN s'engagent à collaborer en vue de l'établissement de ces règles de procédure. Il faut espérer que les résultats seront aussi heureux que ceux de nos autres entreprises conjointes.

Pour ce qui est de la sphère de compétence du tribunal, le plafond de 150 millions de dollars signifie que la plupart des revendications pourront être admises et les critères d'accès ont été considérablement clarifiés. Par exemple, la question des engagements unilatéraux signifie que les revendications des Wewaykum, un grand sujet de préoccupation en Colombie-Britannique, seront maintenant couvertes d'une manière satisfaisante. Nous sommes presque arrivés au but.

Le comité de l'autre endroit a clarifié plus avant le libellé au moyen de l'un des deux seuls amendements qu'il a apportés, et je pense donc que nous sommes arrivés au but.

Il reste encore quelques points à régler, et les membres du comité en ont fait état. Les règles de procédure du tribunal seront cruciales. Si nous reproduisons les règles de la Cour fédérale, cela ne servira à rien. Il ne s'agit pas d'avoir des règles lourdes qui imposent aux parties de grands frais et délais; il faut des règles qui permettent de régler les affaires rapidement et équitablement.

Les conditions de saisine minimales sont importantes. Nous chercherons à les négocier. Il faut un financement adéquat des revendicateurs. C'est absolument crucial. Pour les revendications dépassant 150 millions de dollars, il y a un engagement dans l'accord politique d'ouvrir des pourparlers sur la façon d'assurer qu'elles soient traitées équitablement et reçoivent une attention adéquate.

Ces Premières nations n'auront pas accès à ce processus dans leurs régions si la législation est modifiée. Dans l'intervalle, le seul accès pour les revendications supérieures à 150 millions de dollars est le recours aux tribunaux, qui sont plutôt inaccessibles à bien des égards. Elles n'ont pas accès à un règlement des différends indépendant, et il importe donc que l'engagement de négocier les revendications supérieures au plafond soit pris au sérieux dans les années qui viennent.

Il y a la question des revendications des Premières nations qui n'ont pas le statut de bande. La Cour suprême du Canada s'est prononcée récemment à ce sujet dans la cause Papaschase. L'engagement a été pris de commencer à travailler là-dessus, ce qui est important, en sus des terres réservées, une question implicitement abordée par le sénateur Lovelace Nicholas. Nous sommes censés travailler sur ces points.

J'espère que l'on ne se dira pas : la loi est là, passons à autre chose. Il faudra des ressources et une attention continue pour concrétiser la promesse de cette législation.

Je partage le sentiment d'urgence exprimé par le chef national et le vice-chef Atleo. Tout peut arriver en politique. Je ne m'attendais pas, lorsque le premier ministre Trudeau a annoncé sa démission, que ce serait le prélude à son retour au pouvoir et au rapatriement de la Constitution.

Tout peut arriver. Il serait désolant, pour dire le moins, qu'après 60 années d'effort nous arrivions à un millionième de millimètre de la ligne d'arrivée et que les événements d'un Parlement minoritaire fassent tout déraper — non pas que je sois informé d'une crise imminente, mais tout peut arriver, et plus vite le projet de loi recevra la sanction royale et sera promulgué et moins nous tenterons le sort. C'est comme le vieux dicton voulant qu'il ne faut jamais exprimer son bonheur à voix haute, car Dieu pourrait entendre. Nous tenterions moins la providence si, sauf votre respect, ce texte pouvait être adopté rapidement.

Je me suis spécialisé dans ce domaine et j'ai pris la parole à ce titre à maintes reprises, notamment en comparaissant plusieurs fois devant votre comité. J'ai eu l'honneur de travailler avec un groupe de gens hors pair à l'Assemblée des Premières Nations, en sus de ceux mentionnés par le chef national et auquel je porte la plus grande estime. Jennifer Brennan a participé également à maintes réunions de notre comité.

Du côté fédéral, même si nous n'avons pas toujours été d'accord et avions parfois des divergences assez profondes, nous avons travaillé avec des gens extraordinaires et dévoués, tels que Sylvia Duquette et Diana Watson et, au niveau politique, John Sebastian Rao et Bruce Carson.

Même lorsque toutes les conditions structurelles sont réunies, si que vous n'avez pas affaire à de bonnes personnes, les choses ne vont pas bien marcher. Mais les bonnes personnes ne suffisent jamais, cela a été démontré à maintes reprises. Il faut les conditions structurelles que sont l'engagement politique, la supervision parlementaire et ainsi de suite. Je ne pense pas que nous ayons réussi dans un délai si court si nous n'avions pas eu des gens hors pair des deux côtés.

Bob Winogron et moi-même avons travaillé là-dessus depuis 1997, dans des camps opposés et dans le même camp. Je voudrais faire une mention spéciale de sa contribution.

Cela n'a rien à voir mais j'ai fait un stage au ministère de la Justice fédéral et décidé que je n'avais pas l'âme bureaucratique parce que je n'aime pas devoir demander des autorisations à gauche et à droite. Ce n'était tout simplement pas moi. J'ai exercé mon droit de devenir universitaire et de parler librement et d'exercer mon droit constitutionnel d'être ignoré.

M. Winogron a été celui qui a dû faire approuver les choses par le système. Je suis sûr que cela a été dix fois plus difficile que cela n'en avait l'air, et cela avait l'air réellement difficile. Cela a toujours été un grand honneur que de travailler avec lui.

Je pense que nous vivons un moment historique rare. Ce problème est resté insolvable pendant 60 ans et nous avons réalisé un progrès énorme, dont j'espère qu'il est l'amorce d'un progrès encore plus grand. Il y aura l'examen et les pourparlers au cours des cinq prochaines années. Je considère que c'est un grand honneur et un privilège, l'une des grandes réussites professionnelles de ma vie, d'avoir eu la chance d'être associé à cette tâche.

Le président : Merci, professeur Schwartz.

Le sénateur Dallaire : L'accord politique, qui est un document nouveau pour moi, est daté du 27 novembre 2007 et a été mentionné comme étant le fondement de ce projet de loi. Dans le préambule, je lis que « L'Assemblée des Premières Nations et le gouvernement du Canada ont travaillé conjointement à une proposition législative de celui-ci qui a mené à l'élaboration de la présente loi ».

Je ne vois nulle par ailleurs dans la loi l'expression de cette intention cordiale, ni l'assurance de sa continuité, car l'accord ne mentionne souvent que la rédaction du projet de loi. Cet accord contraint-il les ministres pour l'éternité?

M. Schwartz : C'est un accord politique et il a le statut de tout autre accord politique. Il n'est pas légalement protégé. Par conséquent, vous pouvez faire valoir que si le gouvernement fédéral voulait changer d'avis dans deux ans, il le pourrait. L'accord n'est pas incorporé à une loi.

Le gouvernement fédéral ne voulait pas y faire référence dans la loi, car il craignait que certaines des promesses politiques seraient alors considérées comme contraignantes. Nul doute qu'il y aurait un prix considérable à payer, sur le plan de la crédibilité et des bonnes relations, si la lettre et l'esprit de l'accord politique n'étaient pas honorés.

Bien que certains accords antérieurs n'aient pas été suivis, nous espérons, avec une certaine dose d'optimisme que, vu toute la bonne volonté manifestée jusqu'à présent sur ce dossier particulier, celui-ci sera respecté. Certes, une surveillance parlementaire à cet effet serait tout à fait bienvenue.

M. Atleo : Si je puis ajouter un mot, cela nous ramène à une discussion qui s'est déjà déroulée dans une certaine mesure ce soir, que j'apprécie réellement, à l'effet que votre comité veillerait à la mise en œuvre de l'accord politique, ainsi que des mesures mentionnées précédemment et du projet de loi lui-même

C'est un acte solennel lorsque le chef national et le ministre signent un document disant qu'ils vont poursuivre l'effort et travailleront sur les aspects qui n'ont pu être incorporés au projet de loi. C'est donc un programme plus large qui a été établi.

Il est important que des soirées comme celle-ci soient connues du public, lorsque le ministre et le chef national s'expriment. En tant qu'ancien coprésident du groupe de travail, j'encourage tous les intéressés, tout comme M. Carson j'en suis sûr, à s'acquitter immédiatement de leurs responsabilités de supervision, dès que ce projet de loi prendra effet, voire avant.

La question de la confiance est cruciale. C'est un point important à faire ressortir, sénateur. S'il s'agit réellement d'établir une relation nouvelle, alors nous devons asseoir cette confiance ensemble. C'est à quoi devrait aboutir un esprit de collaboration réel.

Étant donné ce que le professeur Schwartz vient de dire sur la légalité de l'accord politique, j'espère que nous pouvons collectivement convenir qu'il y a ici quelque chose de plus large en jeu.

Le sénateur Dallaire : Ce que je vais dire est plutôt une observation.

Ceci n'est pas un bout de papier insignifiant. Il couvre tous les autres angles. Bien que le terme « politique » puisse sembler péjoratif par opposition à « juridique », c'est la Couronne et un ministre de la Couronne qui signent un document officiel avec d'autres nations de ce pays. Il nous incombera de revenir là-dessus périodiquement afin de vérifier, à titre indépendant, ce qui se passe autour de cette loi, à la lumière de ce document.

Le président : Vous voulez nous maintenir au travail, sénateur Dallaire.

Le sénateur Dallaire : Eh bien vous me gardez éveillé largement au-delà de mon heure de coucher habituelle, monsieur le président.

M. Atleo : Ceci est une conversation importante. Néanmoins, comme le ministre l'a déclaré plus tôt, plus de 90 p. 100 des revendications sont couvertes par ce qui a été décrit ici. Mais il y a aussi celles visées par l'accord politique et les revendications de plus de 150 millions de dollars sont toujours des revendications.

À mon sens, l'accord politique signifie que nul ne doit rester en arrière. Nous devons vigoureusement appliquer l'esprit et la lettre de l'accord politique en même temps que le projet de loi. Certaines Premières nations méritent elles aussi d'être entendues et le gouvernement les a entendues à travers les interventions faites dans ce comité.

À mon avis, l'accord politique est un accord solennel et nous devons conjointement veiller à ce qu'il soit vigoureusement suivi.

Le sénateur Hubley : J'ai une question sur le financement. L'annonce du nouveau processus en juin 2007 disait que des fonds seraient réservés pour les règlements des revendications. C'était 250 millions de dollars par an sur dix ans, avec un plafond par revendication de 150 millions de dollars.

Le ministre considère que ce montant sera suffisant. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet, sachant qu'il s'agira de régler chaque année un nombre suffisant de revendications et que le financement devra suffire pour cela. Sur quelle base a-t-on chiffré les fonds annuels réservés?

M. Schwartz : Nous l'avons lu dans Revendications particulières : La justice, enfin. Dans le passé, l'APN et le gouvernement fédéral avaient une conception différente de ce que serait le règlement moyen. Nous n'étions pas d'accord sur cette extrapolation à partir de l'histoire. Si vous demandiez à l'APN combien il faudrait pour régler de 30 à 50 revendications par an, je soupçonne que le chiffre serait supérieur.

Quelques mots au sujet des 250 millions de dollars. Si je comprends bien, cela ne couvre pas les frais administratifs, ce qui est important. Il faut financer les revendicateurs, le système et la machinerie fédérale requise pour traiter les revendications. La somme ne comprend pas non plus les règlements supérieurs au plafond, qui seront financés au titre de mandats distincts du Cabinet.

M. Atleo : Il est important de garder les choses en perspective. Je sais de par mon travail en Colombie-Britannique qu'il existe une petite Première nation sur la côte Ouest de l'île de Vancouver qui estime que la revendication globale qu'elle compte introduire se chiffrera par milliards. Ce n'est que l'une des 633 Premières nations du pays.

Premièrement, il s'agissait ici de dégager une vision commune d'un processus qui avait grand besoin d'amélioration. Deuxièmement, il existe un arriéré énorme qui croît chaque année. Il y a un rattrapage à faire.

La raison pour laquelle je crois qu'il s'agit d'un moment significatif, c'est que nous faisons précisément cela. Il y a la reconnaissance que le statu quo ne suffit pas.

Est-ce la pleine justice, enfin? Les historiens se prononceront là-dessus et diront que c'était une amélioration considérable, une mesure de justice, enfin.

Il importe de garder les choses en perspective et de considérer ceci comme une étape importante d'un long voyage, une étape historique.

Le président : Professeur Schwartz, pourquoi les choses ont-elles bien tourné? Les choses ont bien tourné grâce à des gens comme vous qui avez beaucoup consacré d'efforts à ces problèmes particuliers, et au leadership de personnes comme Shawn Atleo, un grand citoyen de la province de Colombie-Britannique que je représente, et à d'autres encore.

Nous omettons souvent de mentionner les personnes qui entourent ce fauteuil, en commençant par les interprètes : Aline Fontaine, du Manitoba, nièce du chef national; Hayden Trenholm et Stephen Stewart, qui sont mes adjoints et ceux du sénateur Sibbeston; Lisa Patterson; les analystes de la Bibliothèque du Parlement, Tonina Simeone et Mary Hurley; et notre greffière, Marcy Zlotnick. Chacun contribue. C'est un effort commun. Nous avons eu le privilège d'être autorisés à étudier cette mesure. C'est un privilège que nous vaut notre nomination au Sénat.

C'est la démonstration que le Sénat peut faire un magnifique travail, comme il l'a déjà fait par le passé. Je peux vous assurer que vous tous, chacun d'entre vous, y compris les gens du CPM, de l'APN, du cabinet des ministres Prentice et Strahl, ont grandement contribué à cette tâche. Je crois que c'est pour cette raison que les choses ont bien tourné.

Je tiens à vous remercier tous deux d'avoir comparu devant le comité. Vous avez été concis, précis et dans le vif du sujet. C'est ce qu'il faut pour abattre un tel travail. Vous avez clairement souligné l'urgence et tout le monde a mentionné l'urgence d'expédier ce projet de loi afin qu'il ne meurt pas au Feuilleton par suite d'une prorogation. Comme l'a indiqué le professeur Schwartz, tout peut arriver.

J'aimerais l'autorisation du comité de procéder à l'étude article par article : sénateur Sibbeston, sénateur Peterson, sénateur Lovelace Nicholas, sénateur Dyck, sénateur Dallaire, sénateur Hubley et sénateur Gustafson.

Nous ne sommes plus télévisés mais nous sommes en séance publique. Il a été convenu que le comité procède à l'étude article par article du projet de loi C-30, Loi constituant le Tribunal des revendications particulières et modifiant certaines lois en conséquence.

Est-il convenu de grouper les articles par rubrique?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Le titre est-il réservé?

Des voix : D'accord.

Le président : Le préambule est-il réservé?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il réservé?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 2, sous l'intitulé « Interprétation » est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Les articles 3 à 5, sous l'intitulé « Objet et application de la loi » sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Les articles 6 à 38, sous l'intitulé « Tribunal des revendications particulières » sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : Les articles 39 à 41, sous l'intitulé « Dispositions générales » sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : Les articles 42 à 43, sous l'intitulé « Dispositions transitoires » sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : Les articles 44 à 51, sous l'intitulé « Modifications corrélatives » sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 52 sous l'intitulé « Abrogation » est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 53 sous l'intitulé « Entrée en vigueur » est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'annexe est-elle adoptée?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 1, qui contient le titre abrégé est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le préambule est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le Comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport?

Le sénateur Sibbeston : Non. De quoi s'agit-il?

Le président : Vous pouvez faire des observations.

Le sénateur Dallaire : Ce que je vais dire s'inscrit dans notre atmosphère collégiale. Je n'ai pas retiré des paroles du ministre ou de son personnel le sentiment rassurant qu'ils ont bien en main la mise en œuvre de ce projet de loi dans les délais énoncés dans le texte lui-même. Si nous adoptons cette mesure aujourd'hui, elle sera promulguée dans quelques semaines, ce qui signifie que d'ici octobre, lui et ses collaborateurs devraient être prêts à commercer le travail. Je ne réclame pas une observation, monsieur le président, cependant, j'aimerais que nous nous mettions d'accord pour demander au ministre ou au sous-ministre en novembre, soit un mois après la promulgation, de nous indiquer ce qu'ils ont fait pour préparer la mise en œuvre de la loi : organisation, financement, procédures, infrastructure — afin de relever ce défi. Je vais vous faire part de mon expérience personnelle, si je puis. Dans le ministère où je travaillais, lorsque nous avions ce genre de proposition en marche, nous avions en même temps un personnel qui travaillait à une soumission au Conseil du Trésor, parce que sinon vous pouviez être bloqué pendant des mois. Je suis flexible, monsieur le président, et peut-être mes collègues accepteront-ils de mettre cela dans notre programme. Ce n'est pas parce que le ministre est un mauvais gars.

Le président : Même si vous et moi et tous les autres ne sommes plus membres de ce comité, le greffier peut consigner cela et nous pouvons en discuter au niveau du comité directeur, afin de répondre à vos préoccupations.

Le sénateur Dallaire : Ce serait bien. Si le comité directeur pouvait se pencher là-dessus... Et on me dit que, quelle que soit la décision du comité directeur, nous pourrons en discuter ultérieurement.

Le sénateur Sibbeston : Le comité peut adopter une motion à l'effet de revoir toute la question de la mise en œuvre cet automne. En tant que membre du comité directeur, je suis totalement d'accord et j'ai l'impression que le sénateur Hubley partage ce sentiment. Il n'est pas nécessaire de renvoyer cela à un comité directeur si nous adoptons une motion prévoyant un tel examen et une audience avec le ministre cet automne. Cela nous satisferait.

Le sénateur Dallaire : Est-ce contraignant?

Le président : Une prorogation pourrait détruire tout le travail que nous avons fait, mais un changement de session ne le détruirait pas.

Le sénateur Dallaire : Ce serait excellent.

Le sénateur Sibbeston : Peut-être les paroles du sénateur Dallaire pourraient-elles être couchées sous forme de motion sur laquelle nous pourrons voter. Ce sera ainsi au dossier, pour exécution cet automne.

Le sénateur Peterson : Si cela peut vous rassurer un peu, j'ai remplacé un autre sénateur au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, avant cette réunion-ci, qui se penchait sur le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi sur les juges, au sujet de la nomination de juges à ce Tribunal des revendications particulières. Les choses avancent et il n'y avait aucune résistance du tout. Cela peut nous réconforter un peu de savoir qu'ils ont les choses bien en main.

Le président : Le projet de loi C-31 est le compagnon du projet de loi C-30, car les juges viendront s'ajouter à la magistrature du pays. Tout se met en place. Nous pouvons régler cela avec vous lors d'une réunion du comité directeur. Je suis prêt à vous donner l'engagement que nous allons revoir cela avec vous et décider en comité directeur et en comité plénier quand faire cela.

Le sénateur Gustafson : Mon impression est que tout cela a été négocié de bonne foi. Nous demandons quelque chose qui est déjà dans le projet de loi.

Le sénateur Dallaire : L'autre projet de loi, non pas celui-ci, ne reflète pas nécessairement les détails de la mise en œuvre au sein du ministère. L'un de nos problèmes est que maints témoins nous ont dit que le ministère ne possède pas les ressources, parce qu'elles n'ont pas été allouées. Il n'était pas totalement sûr que la ligne budgétaire figurait dans le budget des dépenses de cet exercice. Je ne le lui ai pas demandé si c'était dans le budget de cette année, j'ai plutôt parlé de l'année prochaine. Il ne serait que raisonnable, et à leur avantage, qu'ils puissent démontrer que les bureaucrates font leur travail.

Le président : Un fonctionnaire de Justice Canada vient de m'informer que l'accord politique est public et affiché sur le site Internet et garantit le financement. Si le Comité souhaite annexer des observations, nous pouvons y englober l'accord politique, si c'est possible

Je pense que les observations pourraient retarder les choses, mais nous pouvons y faire référence, d'accord?

Le sénateur Dallaire : Très bien.

Le sénateur Hubley : La seule raison pour laquelle je préférerais ne pas formuler d'observations est que je suis convaincu ce soir que les parties sont sincèrement satisfaites et prêtes à accepter ce qu'elles considèrent comme une mesure peut-être imparfaite, comme ils l'ont dit à plusieurs reprises. Cependant, je ne veux rien faire de plus s'ils sont prêts à l'accepter. Je pense avoir fait mon travail et j'ai grande confiance dans ce qui s'est déroulé. Je ne veux rien mettre en péril. Je pourrais le regretter plus tard.

Le sénateur Dallaire : J'ai employé le terme « observation » uniquement comme l'un des instruments possibles.

Le président : Je promets au sénateur Dallaire que sa demande ne tombera pas sur des oreilles sourdes.

Le sénateur Dallaire : Elle figure au procès-verbal. Merci beaucoup.

Le président : Est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?

Des voix : D'accord.

Le président : Y a-t-il des sénateurs opposés?

Des voix : Non.

Le président : Avons-nous autre chose?

Le sénateur Sibbeston : Que pouvons-nous faire demain pour faire la troisième lecture de ce projet de loi? La dernière fois nous avons eu l'autorisation de la Chambre pour faire la troisième lecture, et ce genre de chose se fait lorsque nous voulons que des projets soient adoptés sans délai au Sénat. Pour ma part, je prendrai langue avec notre leader pour voir s'il accepterait de donner l'autorisation de faire la troisième lecture du projet de loi demain et boucler son adoption.

Le sénateur Gustafson est le seul membre de l'autre parti et si vous, ou bien vous-même, monsieur le président, parliez à votre leader pour voir si nous pourrions avoir le consentement unanime de procéder à la troisième lecture de ce projet de loi demain, peut-être serait-ce possible.

Le président : Comme vous le savez, et je ne le cache pas, je dois être ailleurs et la plupart d'entre vous savent pourquoi. Il n'est pas nécessaire que je sois là. Le sénateur Gustafson — et, s'il n'est pas là, le sénateur Sibbeston ou le sénateur Hubley — peuvent faire rapport du projet de loi au Sénat. Quelqu'un souhaite-t-il prendre la parole en troisième lecture?

Le sénateur Dallaire : Vous ne serez pas de retour à temps?

Le président : Je ne serai pas là demain, mais je serai de retour la semaine prochaine.

Le sénateur Dallaire : Je pensais que la cérémonie se tenait ici, à Ottawa.

Le président : L'APN?

Le sénateur Dallaire : Oui.

Le président : Tout cela est important, mais ma survie est pas mal importante aussi, et nous nous en tiendrons là. Je ne crains pas les foudres de celle qui est ma femme depuis 47 ans, mais cela dit, je dois être quelque part et je n'ai pas le choix.

Le sénateur Sibbeston : Monsieur le président, si vous et le sénateur Gustafson donniez l'engagement de parler à votre leader, j'apprécierais.

Le sénateur Gustafson : Je serai peut-être absent aussi.

Le sénateur Sibbeston : Je serai là demain. Nous allons travailler avec les leaders et nos autres collègues pour obtenir la troisième lecture.

Le sénateur Dallaire : Nous pouvons attendre votre retour. Vous avez présidé les travaux du comité.

Le sénateur Peterson : Mardi serait une option, n'est-ce pas?

Le président : Oui, mardi serait une option. Nous siégeons la semaine prochaine, et nous pouvons donc le faire mardi si vous voulez.

Le sénateur Sibbeston : Le ciel pourrait nous tomber sur la tête pendant la fin de semaine.

Le président : J'espère que non. Nous avons adopté la loi. Y a-t-il autre chose?

Le sénateur Sibbeston : Non.

Le président : La séance est levée.

La séance est levée.


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