Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 1 - Témoignages du 22 novembre 2007
OTTAWA, le jeudi 22 novembre 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 8 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour et bienvenue à cette première réunion de notre comité depuis le début de la nouvelle session parlementaire. Elle commence au moment où le secteur de l'élevage vit une période difficile. Le prix des céréales fourragères a bondi alors que le prix du bétail et des porcs a diminué. D'après ce que rapportent les médias, les éleveurs de bétail perdent environ 400 $ par bête vendue. Voilà pourquoi nous avons décidé d'amorcer cette nouvelle séance en donnant la parole aux représentants du secteur de l'élevage. Nous commencerons aujourd'hui par les éleveurs de bovins. Nous entendrons aujourd'hui des représentants de la Canadian Cattlemen's Association, M. Hugh Lynch- Staunton, qui en est le président, et M. John Masswohl, le directeur des Relations gouvernementales et internationales de cette association. Ensuite, nous donnerons la parole au représentant de la Fédération des producteurs de bovins du Québec, MM. Michel Dessureault, président, et Vincent Cloutier, secrétaire adjoint. Nous leur avons demandé de nous parler de la crise à laquelle font face les éleveurs de bovins au Canada. Cette crise sévit depuis un certain temps et il se peut que la population canadienne oublie qu'elle n'est pas terminée.
Nous disposons de deux heures et demie pour aborder un grand nombre de questions. J'invite donc mes collègues à poser des questions le plus brèves possible afin de permettre aux témoins d'y répondre complètement et pour que tout le monde puisse prendre part à cette discussion. Monsieur Lynch-Staunton, à vous.
Hugh Lynch-Staunton, président, Canadian Cattlemen's Association : Merci de nous donner l'occasion de vous faire part de la situation difficile que nous vivons en ce moment. Nous vous remercions de l'aide que vous nous avez donnée lors de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine; votre comité nous a aidés au bon moment et cela nous a été très utile.
Permettez-moi d'expliquer tout d'abord ce qu'est la Canadian Cattlemen's Association. Nous sommes un regroupement d'associations provinciales d'éleveurs dont font partie toutes les provinces, à l'exception du Québec et de Terre-Neuve. Nous représentons un peu moins de 90 000 éleveurs de bovins et notre mandat consiste à faire valoir les intérêts de notre secteur à l'échelle nationale et internationale.
La situation liée à la maladie de la vache folle n'est pas terminée mais s'améliore grandement. Nos marchés semblent s'ouvrir. Nous avons reçu de bonnes nouvelles cette semaine, même si elles risquent de ne pas durer. Nous pensons que les Américains nous ouvriront complètement leurs frontières bientôt ou lorsque les poursuites seront réglées. Quoi qu'il en soit, les choses s'améliorent et certains signes laissent croire qu'il en va de même de nos marchés étrangers. Les événements de cette semaine aux États-Unis sont à nos yeux un pas important vers la reprise d'échanges commerciaux normaux.
Cela dit, notre industrie fait face à une combinaison inouïe de facteurs défavorables. Fait ironique, le plus important de ces facteurs, soit l'appréciation du dollar canadien, est celui sur lequel nous avons le moins de contrôle et avec lequel nous avons le moins d'expérience. La hausse du dollar canadien a été catastrophique pour nous, surtout voilà plusieurs semaines. Cela s'explique par le fait que, dans le passé, le prix des bovins gras canadiens équivalait aux prix d'Omaha, moins le coût du transport. C'est ce marché qui établissait les prix en Amérique du Nord et, d'après certains, dans le monde entier. Chaque fois que notre dollar s'apprécie, un montant équivalent est soustrait de nos rentrées brutes pour des bovins gras, et cette diminution se répercute sur tous les maillons de la chaîne.
Le prix des céréales fourragères a grimpé par rapport aux dernières années. Les politiques gouvernementales du Canada et des États-Unis en matière de biocarburant ont eu un puissant effet psychologique sur ce marché. Au Canada, le volume de céréales destinées aux biocarburants ne justifie probablement pas les prix qui ont cours, mais l'effet psychologique se manifeste.
J'aimerais ajouter quelque chose à ce qui figure dans mon mémoire. Il y a beaucoup de gens de mon âge qui sont frustrés parce que normalement, ils auraient quitté l'industrie pendant la crise de la vache folle, mais ils n'ont pas été capables de le faire. Par conséquent, il y a un peu plus de départs actuellement. De plus, il y a des gens qui quittent l'élevage, délaissant la culture de plantes fourragères pour revenir à la production céréalière, qu'ils avaient toujours préférée.
Tous ces phénomènes surviennent en même temps, ce qui a provoqué un effondrement des prix. De plus, comme vous l'avez signalé, nous essuyons de lourdes pertes avec le bétail; la valeur de toutes nos bêtes, qu'elles soient vendues ou non, a baissé.
Nous essayons tant bien que mal de comprendre ce qui se passe. Nous pensons que le dollar va encore fluctuer mais qu'il ne reviendra pas à 70 cents avant bien longtemps. Nous aimerions bien revenir à ce niveau, mais c'est improbable. L'influence des biocarburants se fera de plus en plus sentir sur le marché des céréales fourragères. Dans l'Ouest, et probablement dans le reste du Canada également, il y aura un problème de main-d'œuvre, étant donné les facteurs démographiques et notre économie, entre autres.
Bien entendu, il est essentiel pour nous d'avoir accès aux marchés. Nous exportons grosso modo la moitié de notre production. Si nous sommes limités au marché canadien, il faudra probablement couper notre industrie en deux.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, il semble que nous ayons accès a une plus grande diversité de marchés. Il y a aussi un autre facteur : les règles sur l'étiquetage du pays d'origine aux États-Unis. C'est un autre facteur difficile à évaluer parce qu'on ne sait pas vraiment où cela va mener. Les dispositions législatives reliées à la loi canadienne sur l'agriculture qui devraient être adoptées ou qui le seront l'automne prochain sont bien meilleures que celles en vigueur auparavant. Cependant, nous ne savons pas si ce projet de loi sera adopté ni comment ses règlements seront appliqués. La difficulté que nous aurons à percer certains segments du marché américain dépendra des règlements sur l'étiquetage indiquant le pays d'origine.
Dans un autre ordre d'idées, nous discutons depuis des années de l'importance pour notre industrie d'étiqueter nos produits. Il semble maintenant que ce seront les Américains qui vont les étiqueter pour nous; nous verrons alors si c'était une bonne idée.
Il n'y a pas que des ombres au tableau, cependant. Nous vivons une conjoncture apparemment épouvantable, et c'est le cas, alors nous avons essayé de voir ce que nous pourrions faire à court terme, avec l'aide du gouvernement du Canada et des gouvernements provinciaux. Nous savons que le gouvernement a peu d'influence sur la Banque du Canada, mais à notre avis, une baisse des taux d'intérêt permettrait d'abaisser la valeur relative de notre dollar.
Nous souhaitons des changements au Programme canadien de stabilisation du revenu agricole. Nous trouvons un peu inquiétant qu'il soit appliqué différemment dans les différentes provinces car nous avons toujours estimé que toutes les provinces devraient être sur un pied d'égalité. Ce programme a certaines lacunes qu'il faudrait corriger et nous avons des solutions à proposer.
Depuis la rédaction de ce mémoire, nous avons tenu des consultations ici et partout au Canada. Nous avons parlé aux représentants du Conseil canadien du porc qui partagent nombre de nos points de vue; ils se trouvent dans la même situation que nous, mais ils sont frappés encore plus durement que nous en ce moment. Ils ont demandé au gouvernement du Canada d'avoir accès rapidement à des avances du PCRSA assez importantes, pour nous donner le temps de tracer et de peaufiner d'autres plans pour aider nos industries. Nous devons collaborer avec nos divers secteurs et avec tous les ordres de gouvernement pour élaborer ces initiatives.
Dans notre mémoire, au point 4, il est question d'une nouvelle direction du commerce. Lorsqu'on songe aux mesures qui peuvent être prises pour améliorer l'accès au marché, pour être plus efficace et pour réduire nos coûts, ça nous ramène presque dans tous les cas à l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Nous pensons depuis déjà longtemps que cet organisme a une culture de réglementation. Évidemment, c'est un aspect très important de son rôle, mais nous ne croyons pas qu'il ait les ressources nécessaires pour faire tout ce qu'il faut pour notre industrie. L'agence a beaucoup d'influence lorsqu'il s'agit de faire valoir nos intérêts commerciaux et elle compte de bons éléments dans ce domaine, mais en nombre insuffisant. Le commerce n'est pas sa priorité. Pour que nous puissions prospérer, il est essentiel de travailler davantage sur ce plan avec l'industrie.
Notre cinquième recommandation porte sur les coûts de réglementation non compétitifs qu'affronte l'industrie, y compris l'interdiction des aliments pour bétail améliorés et les frais d'utilisation pour l'inspection des viandes. Ce qui est très clair en ces temps difficiles pour notre industrie de la transformation, c'est que les abattoirs américains assument moins de coûts que nous. On peut toujours se consoler en pensant que les abattoirs américains perdent également de l'argent, mais pas autant que les nôtres. La situation nous inquiète et après nous être débattus pendant la crise de la vache folle pour augmenter notre capacité d'abattage, nous risquons maintenant de la perdre. Différents facteurs contribuent au problème : les frais d'inspection sanitaire, le coût de l'inspection des viandes et l'interdiction frappant les aliments du bétail. Tous ces coûts sont faciles à déterminer.
Que nous réserve l'avenir? Nous ne savons pas comment évolueront les choses. Le dollar semble perdre du terrain et s'il baisse davantage, cela nous aidera beaucoup, évidemment. Nous pouvons nous adapter aux fluctuations normales du prix des céréales fourragères. Les producteurs céréaliers du Canada ont vécu plusieurs années désastreuses et nous sommes heureux de voir que leurs entreprises redeviennent rentables.
Nous avons signalé d'autres facteurs au niveau de la recherche et de la production. Notre pays n'a pas entrepris la recherche nécessaire à la production d'aliments pour le bétail à base de céréales. Divers facteurs ont entravé la réalisation de cette recherche, notamment l'accent mis sur les céréales destinées à l'alimentation du bétail et à l'exportation. Plusieurs types de blé pourraient être d'excellents aliments pour bétail mais n'ont pas été homologués parce qu'ils sont impossibles à distinguer visuellement d'autres céréales préférables pour faire la farine. On pourrait facilement modifier les exigences relatives à la distinction visuelle des grains. Le gouvernement et l'industrie doivent investir dans la recherche sur l'alimentation pour le bétail afin d'avancer au même rythme que les Américains au chapitre de la production de maïs. Nous ne pouvons pas convertir le blé en maïs mais nous pourrons faire beaucoup grâce à la recherche sur le blé, l'orge et d'autres céréales fourragères.
J'ai évoqué la question de la main-d'œuvre. Il y a de bonnes nouvelles en ce qui concerne les programmes de travail temporaire des immigrants que nous recrutons pour nos usines de transformation. On a apporté des changements positifs qui nous seront utiles. Nous expliquons dans notre document comment la politique améliorée sur l'alimentation du bétail a alourdi les coûts de nos usines de transformation. Nos prix ont été coupés sur certains marchés et nous ne croyons pas que cela soit nécessaire. Il s'agit d'intervenir à court terme. Nous sommes en train d'élaborer des plans à long terme avec d'autres secteurs de l'industrie mais il faudra un certain temps pour les mettre au point et pour en négocier les divers aspects.
Si cette crise a eu un effet positif, c'est de rallier tous les segments de l'industrie, y compris les abattoirs, qui sont désormais prêts à collaborer pour trouver des solutions communes, ce que le climat actuel rend possible. Par exemple, nous essayons d'améliorer la circulation de l'information à tous les maillons de la chaîne de valeur ajoutée, à partir de l'abattoir jusqu'aux producteurs d'animaux reproducteurs et aux généticiens. Nous cherchons les moyens d'ajouter de la valeur à nos produits. Une bonne partie du travail de base est déjà fait; ainsi, notre système d'identification et de traçabilité est presque fonctionnel. Nous avons d'excellents produits à offrir.
La semaine dernière, nous sommes allés rencontrer des gens et j'ai été étonné d'entendre dire que tout cela fait partie de la vie, que notre industrie est trop grosse et qu'on ne pourra rien y changer. Je ne suis pas d'accord. Nous entendons trop souvent ce genre de propos auxquels nous ne souscrivons absolument pas. Le potentiel de développement de notre industrie est excellent, puisque l'offre de viande rouge diminue dans le monde tandis que la prospérité augmente; notre secteur peut et doit donc prendre de l'ampleur. Il pourra assurément se maintenir au niveau actuel pourvu que nous puissions surmonter cet obstacle majeur.
Voilà tout ce que je dirai pour l'instant, bien que je sois sûr d'avoir oublié quelque chose. Je serai heureux de répondre à vos questions.
[Français]
Michel Dessureault, président, Fédération des producteurs de bovins du Québec : Madame la présidente, vous me permettrez que je fasse ma présentation en français. Tout d'abord, j'aimerais indiquer que plusieurs éléments sont semblables à ceux de la Canadian Cattlemen's Association. La Fédération des producteurs de bovins regroupe 20 000 producteurs au Québec, divisés en cinq groupes de production, où l'industrie du veau est une industrie dominante au Canada et où l'industrie du bœuf est semblable à ce qui se passe ailleurs au Canada.
Depuis mai 2003, l'industrie bovine canadienne traverse une crise importante, celle de l'ESB. Cette crise aura surtout mis en lumière deux faiblesses structurelles de la filière bovine. La double dépendance face aux abattoirs et au marché américain. Cette crise aura également mis en évidence un sérieux déséquilibre dans le rapport de force entre les différents maillons de la filière.
Dans ce contexte, encouragés par le gouvernement canadien, les producteurs de bovins du Québec se sont montrés proactifs et ont acquis, collectivement, les deux plus grands abattoirs du Québec. Levinoff-Colbex, dans les bovins de réforme et l'abattoir Billette qui est à 10 p. 100 la propriété des producteurs, améliorant ainsi leur position concurrentielle. Malheureusement, la conjoncture économique défavorable aura eu raison de l'abattoir Billette, qui a dû fermer ses portes en août 2007.
Bien que les États-Unis aient ouvert lundi dernier la frontière aux animaux de plus de 30 mois et à leur viande, ainsi qu'aux bovins de reproduction, la conjoncture, c'est-à-dire la réglementation non harmonisée pour les MRS; l'inspection accrue aux frontières américaines; le dollar canadien élevé; le coût important des grains et de l'énergie, laisse présager un futur sombre pour l'industrie bovine canadienne et, par conséquent, pour les producteurs de bovins du Canada et du Québec.
La levée complète de l'embargo américain, sur la base des principes prescrits par l'OIE, était attendue et nécessaire. Toutefois, après plus de quatre années d'absence chez nos voisins du Sud, la reconquête du marché de la viande ne pourra se réaliser que graduellement, alors que présentement le bétail traverse très facilement la frontière, pénalisant encore davantage nos abattoirs.
Le gouvernement du Canada doit agir rapidement pour empêcher l'érosion progressive du secteur de l'abattage, la diminution considérable de l'engraissement des bovins et le déclin du cheptel vache-veau. À cet effet, nous suggérons les actions suivantes : premièrement, sur le plan du taux de change, l'appréciation trop rapide du dollar canadien face à la devise américaine, menace la survie de l'industrie manufacturière canadienne et également celle du bœuf. Elle met aussi en péril la production et la transformation des viandes de bœuf et de veau au Canada. La Fédération des producteurs de bovins du Québec préconise une baisse rapide du taux directeur de la banque, d'autant plus que les pressions inflationnistes dans l'Ouest canadien s'atténuent.
La réglementation sur MRS et la compétitivité des abattoirs. Depuis le 12 juillet dernier, l'utilisation des farines animales contenant des matières à risque spécifiées, les MRS, est interdite dans les aliments de tous les animaux d'élevage. Le MRS sont les tissus de bovins qui peuvent partiellement contenir l'agent infectieux responsable de l'encéphalopathie spongiforme bovine. Au Québec, se sont quelque 50 000 tonnes de MRS qui sont générées annuellement tant aux abattoirs qu'à la ferme.
Les États-Unis n'ont pas l'intention d'adopter une réglementation similaire. Les MRS des bovins américains peuvent toujours être transformés en farine animale servie aux volailles et aux porcs. L'absence d'harmonisation réglementaire entre le Canada et les États-Unis affaiblit considérablement la compétitivité des abattoirs canadiens et de l'ensemble de la filière bovine canadienne. En effet, cette nouvelle réglementation entraîne des coûts importants, car les abattoirs et les usines d'équarrissage doivent investir des montants importants et subir des frais d'exploitation récurrents afin de ségréger les MRS des autres sous produits d'abattoir. Les farines animales issues des MRS n'ont plus de valeur commerciale, pire, au Québec, on doit payer pour les enfouir.
La gestion des MRS représente un coût supplémentaire de 30 à 35 dollars par tête pour les abattoirs de bovins et de réforme. Ainsi, pour Levinoff-Colbex, le plus important abattoir de bovins de réforme de l'est du Canada, ces mesures entraînent des coûts supplémentaires de quatre à cinq millions de dollars par année comparativement à ses concurrents américains. Notre abattoir n'est aucunement en mesure d'absorber ces frais additionnels.
Si rien n'est fait, l'absence d'harmonisation réglementaire à l'échelle nord-américaine entraînera une diminution rapide de l'abattage au Canada et par ricochet un accroissement de la dépendance des producteurs canadiens face aux abattoirs américains. Pourtant, la crise de l'ESB a clairement démontré que la dépendance aux abattoirs américains représente un risque majeur pour la filière bovine canadienne. Rappelons que cette crise a déjà fait entre huit et 10 milliards de dollars de perte aux producteurs de bovins du Canada.
En ce qui a trait au soutien gouvernemental à deux niveaux, afin d'aider l'industrie à se conformer aux nouvelles exigences, Agriculture et Agroalimentaire Canada, en collaboration avec les provinces, a mis en place un programme d'aide financière de 80 millions. Quelque 10 millions ont été attribués au Québec. Cette somme s'ajoute aux 10 millions déjà prévus par la province. Malheureusement, les sommes initialement prévues par le gouvernement du Canada ne sont pas suffisantes pour soutenir les investissements nécessaires par l'industrie. À titre d'exemple, les investissements requis pour Levinoff-Colbex sont de plus de cinq millions de dollars, alors que le programme ne prévoit qu'une compensation maximale d'un million de dollars pour l'entreprise. En outre, d'autres sommes importantes sont requises pour couvrir la perte de valeur des sous produits d'abattage, les frais additionnels des dispositions des MRS et les coûts de main-d'œuvre supplémentaire dans les entreprises.
La Fédération des producteurs de bovins du Québec demande au gouvernement du Canada d'ajouter des sommes additionnelles aux 80 millions prévus pour l'industrie bovine à se conformer à une nouvelle réglementation sur les MRS afin que notre compétitivité ne soit pas indûment affectée. Les sommes requises devraient être suffisantes pour couvrir réellement 75 p. 100 des coûts encourus pour la ségrégation des MRS dans les abattoirs et pour leur traitement par les équarrisseurs. Également, de créer un programme d'aide de 50 millions versés aux producteurs sur 2 ans pour combler le manque à gagner pour nos bovins à la suite des coûts additionnels encourus par l'industrie pour gérer et disposer des MRS.
Au sujet d'une harmonisation réglementaire nord-américaine, nous reconnaissons que le gouvernement ne peut financer de façon continuelle une industrie dont la compétitivité est diminuée en raison des facteurs réglementaires. Particulièrement dans un contexte d'ouverture des marchés. Des solutions doivent donc être mises de l'avant, d'une part, de poursuivre l'éradication rapide de l'ESB au Canada et d'autre part, de minimiser les conséquences négatives pour l'industrie canadienne.
Depuis le 19 novembre 2007, la frontière américaine est rouverte aux bovins qui sont nés après la mise en place effective à l'interdiction alimentaire, soit le 1er mars 1999. Cette réouverture est basée sur l'analyse de risques réalisée par le USDA. Cette analyse démontre clairement que le risque de propagation de l'ESB est négligeable pour les bovins canadiens qui sont nés après le 1er mars 1999. Le Canada aurait grandement intérêt à utiliser une approche équivalente au gouvernement américain pour effectuer son renforcement de l'interdiction sur les aliments du bétail. La Fédération des producteurs de bovins du Québec propose que seuls les MRS issus de bovins canadiens qui sont nés avant le 1er mars 1999 soient interdites dans l'utilisation des aliments des animaux d'élevage. Une telle approche permettrait de maintenir l'éradication rapide de l'ESB au Canada en diminuant radicalement le risque de contamination croisée; de réduire le volume de MRS sans valeur commerciale et ainsi atténuer les conséquences négatives pour l'industrie et l'environnement; de maintenir le statut du Canada comme pays à risque maîtrisé à l'OIE, d'autant plus que notre principal partenaire commercial est également un pays considéré à risque maîtrisé et reconnaît que le risque est clairement distinct selon que les bovins canadiens soient nés avant ou après le 1e mars 1999.
Une telle approche nous apparaît sensée. Elle permettrait d'atténuer considérablement l'impact de la réglementation sur la filière bovine canadienne, tout en maintenant son objectif à savoir l'éradication rapide de l'ESB au Canada au fait de systèmes obligatoires d'identification de traçabilité au Québec permet de gérer facilement cette mesure.
En ce qui concerne l'accès aux marchés, les frontières de plusieurs pays sont encore fermées aux bovins canadiens et à leur viande, en particulier pour les bovins de plus de 30 mois. La situation est pire encore dans le cas des sous produits comestibles et là encore, ce sont les bovins de plus de 30 mois qui sont davantage pénalisés. Pourtant, il s'agit là d'une importante source de revenus pour les abattoirs de bovins de réforme. La Fédération des producteurs de bovins du Québec demande au gouvernement du Canada d'assumer un grand leadership et de mettre en commun les efforts des différents ministères et agences concernés pour obtenir rapidement l'accès complet à tous les marchés dans le respect des règles de l'OIE aux bovins canadiens, à leur viande et aux sous produits d'abattage comestibles.
La réinspection aux frontières et le principe de réciprocité : depuis la mi-novembre, les autorités américaines — FSIS — ont augmenté le nombre de tests sur les produits (bœuf, porc et volaille) en provenance du Canada. Cette décision a été prise à la suite d'une enquête conjointe des États-Unis et du Canada, qui a identifié une entreprise canadienne ayant exporté aux États-Unis de la viande contaminée par E. coli 0157. Le FSIS mène actuellement des audits dans plusieurs abattoirs canadiens. L'augmentation du nombre d'examens sur la viande se poursuivra jusqu'à la fin de l'enquête. L'analyse des audits des abattoirs ainsi que des tests sur la viande déterminera si la USDA maintiendra à la hausse le nombre de tests aux frontières.
La fédération est déçue de ces nouvelles mesures protectionnistes qui constituent une entrave supplémentaire au commerce de la viande au Canada. La Fédération des producteurs de bovins demande au gouvernement du Canada d'intervenir auprès du gouvernement des États-Unis pour manifester sa désapprobation face à la nouvelle mesure américaine de réinspection des viandes à la frontière, d'exiger son retrait immédiat et d'appliquer systématiquement le principe de réciprocité pour les viandes importées afin de rendre le commerce équitable.
Une aide financière pour l'acquisition de Colbex par les producteurs : en annonçant le 10 septembre 2004 sa stratégie pour repositionner l'industrie canadienne des animaux d'élevage, le gouvernement du Canada invitait les groupes de producteurs à investir dans l'augmentation de la capacité d'abattage au Canada. Malheureusement, le budget de dix millions de dollars réservé à cette fin dans le cadre du programme d'aide financière annoncé pour les abattoirs de ruminants, un an plus tard, soit le 25 octobre 2005, s'est avéré nettement insuffisant. En fait, les producteurs de bovins du Québec qui ont acquis collectivement 100 p. 100 des actions de Levinoff-Colbex, qui ont fait accroître sa capacité d'abattage — c'est le plus important abattoir dans les fermes de l'est du Canada — n'ont rien reçu de ce programme.
La Fédération des producteurs de bovins du Québec demande au gouvernement du Canada de participer au capital des producteurs de bovins dans l'acquisition de Levinoff-Colbex à la hauteur de cinq millions de dollars, ce qui représente la contribution gouvernementale maximale prévue par le programme d'aide financière pour les abattoirs de ruminants.
Une véritable politique agricole canadienne : nous nous réjouissons que les ministres fédéraux et provinciaux de l'Agriculture aient finalement reconnu le 17 novembre dernier que la meilleure approche consiste à répondre aux besoins des producteurs agricoles et de l'ensemble du secteur. La situation financière des producteurs est critique, plusieurs sont en manque de liquidités et les créanciers sont à nos portes. La Fédération des producteurs de bovins demande au gouvernement du Canada de donner suite rapidement aux solutions maintes fois proposées par les producteurs pour doter le Canada d'une politique agricole compétitive, flexible à l'échelon provincial, simple, transparente et efficace, qui tient compte à la fois des fluctuations des prix du marché et du coût des intrants.
[Traduction]
Le sénateur Gustafson : Merci d'être des nôtres ce matin. Je vais plonger dans le vif du sujet.
Je n'ai jamais connu d'époque plus difficile que la situation actuelle pour les éleveurs de bovins. En règle générale, ils sont autonomes et se débrouillent seuls. Ils ne demandent pas grand-chose. J'ai l'impression que les conséquences de cette situation seront graves parce que beaucoup d'éleveurs dans ma région ont 100 ou 150 bêtes, et certains moins que cela. Lorsqu'on considère le prix de l'équipement, il n'y a pas de rapport. Étant donné le coût des céréales, beaucoup d'entre eux achèteront des terres, dont les gouvernements subventionnent l'achat, et se lanceront dans la culture des céréales.
Quand je regarde ce qui se passe à partir de Moose Jaw est, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup plus de camions de bétail qui prennent la direction de Garden City, au Kansas, que je n'en ai vus depuis longtemps. Quel pourcentage de notre bétail est exporté aux États-Unis? Si ces exportations disparaissaient, nous aurions de sérieux ennuis.
M. Lynch-Staunton : Je n'ai pas le pourcentage exact des bovins d'engraissement qu'on achemine au sud, mais il est incontestablement important. C'est une des raisons qui explique les difficultés de nos usines. Vous savez sans doute que les gros abattoirs, au moins, tâchent de réduire leurs coûts unitaires par un gros volume, et ils n'ont pas réussi à le faire.
Par ailleurs, il est important que nos bovins d'engraissement et nos bovins gras puissent être exportés aux États-Unis pour favoriser la concurrence.
En ce qui concerne les céréales, je vous dirais que ma famille en vit depuis longtemps et, bien sûr, on entend davantage parler des années de vaches maigres que des années de vaches grasses. Les producteurs ont naturellement tendance à dramatiser un peu. Toutefois, la plupart des gens qui veulent rester dans ce domaine l'ont fait, du moins historiquement.
Vous reconnaîtrez aussi que les producteurs céréaliers connaissent leur métier et qu'il ne leur faut pas bien des années pour arriver à avoir de grosses récoltes. Par conséquent, je ne sais pas comment la situation évoluera mais nous croyons être en mesure de nous adapter.
Nous n'avons pas les moyens de résister à des crises comme celle qu'on a connue il y a deux semaines, au moment où le dollar bondissait de 3 ou 4 ¢ par semaine. Lorsque cela arrive, les gens ont tendance à prendre une certaine distance face au marché.
M. Masswohl vient de me refiler une note indiquant que nous expédiions normalement de 2 000 à 3 000 têtes de bovins d'engraissement vers les États-Unis chaque semaine, alors que maintenant, nous en envoyons de 15 000 à 20 000.
Le sénateur Gustafson : C'est évident.
M. Lynch-Staunton : On en vient à se demander si c'est une bonne chose ou une mauvaise chose. Si nous pouvions les vendre à meilleur prix ici, nous ne les exporterions pas. Les produits prennent le chemin des marchés offrant les meilleurs prix.
Le sénateur Gustafson : Les réserves de céréales dans le monde entier sont dans un creux historique et il faudra un certain temps pour que cela change. Le prix des céréales pourrait se maintenir pendant longtemps.
Dans notre région, on envoie des camions pleins d'orge vers les parcs d'engraissement de l'Alberta. Du côté ouest de la province, la sénatrice Fairbairn m'a dit qu'ils déversent les céréales directement sur le sol et que les camions les ramassent pour les transporter vers les parcs d'engraissement. C'est tout un changement. Il est difficile de remplacer l'orge à moins d'importer du maïs aux États-Unis et certains en parlent.
M. Lynch-Staunton : Beaucoup de maïs entre dans le sud de l'Alberta parce qu'il coûte moins cher que l'orge. Ça peut sembler étrange, mais je n'ai rien contre, tant que nous avons des règles équitables et harmonisées des deux côtés de la frontière, comme l'a signalé mon collègue. C'est un des objectifs que nous poursuivons depuis longtemps.
Le sénateur Gustafson : Quels pays, à part les États-Unis, achètent notre bétail? Il y en aurait-il d'autres? Quelle est la situation?
M. Lynch-Staunton : Nous sommes aux prises avec un vrai dilemme parce qu'évidemment, nous connaissons la difficulté de faire des affaires avec les États-Unis, mais ils sont notre principal client. Les États-Unis sont le plus grand importateur de viande rouge au monde, d'après la valeur en dollars. C'est le marché le plus riche pour nous et il est notre voisin immédiat. Cela va de soit mais, évidemment, il est préférable de diversifier notre clientèle, et nous le faisons autant que possible.
Le marché dont on entend le plus parler est celui du Japon, et il est important pour certaines coupes de viande. Nous ne pourrons probablement pas exporter des carcasses entières au Japon, mais nous aimerions pouvoir le faire. En ce moment, nous pouvons vendre les produits de bovins de moins de 20 ou 21 mois s'ils sont identifiés et si leur âge est vérifié.
Ce marché nous entrouvre ses portes, mais pour l'instant, cela ne nous donne pas grand-chose. S'il s'ouvre aux bovins de 30 mois, ce qui à notre avis devrait se produire sous peu, cela nous aidera beaucoup.
La Corée offre probablement un meilleur potentiel de commerce que le Japon car elle importe une plus grande variété de nos produits. Les négociations se poursuivent, mais avec des hauts et des bas. La situation fluctue.
Beaucoup de nos produits passent par Hong Kong et Macau; c'est un marché d'un potentiel énorme. Si nous pouvions percer le marché chinois continental, cela nous apporterait beaucoup.
Nous exportons des bêtes de moins de 30 mois à Taiwan. C'est bien, mais nous avons besoin de plusieurs ouvertures pour pouvoir utiliser tous nos produits.
Encore une fois, il y a un potentiel énorme si nous nous y prenons de la bonne façon et si nous pouvons avoir accès à ces marchés. Nous n'avons pas réussi à le faire parce que nous n'avons pas procédé de la bonne façon. Voilà certaines des questions que j'ai mentionnées.
Je pense qu'il faut considérer le marché nord-américain comme notre principal client. Vient ensuite le Mexique.
Excusez-moi de parler à bâtons rompus, mais nous avons collaboré étroitement avec la National Cattlemen's Beef Association des États-Unis et avec la Confederación Nacional Ganadera du Mexique. Nous avons signé un accord avec les trois organisations d'éleveurs qui ont des échanges commerciaux en Amérique du Nord; nous voulons que nos industries soient harmonisées et que les protocoles sanitaires reposent sur des données scientifiques.
Cet accord témoigne de la valeur que nous attachons à un marché et à un système de production intégré.
Le sénateur Gustafson : Cela vaut la peine d'aller à Garden City, au Kansas, pour voir comment on fonctionne là- bas. C'est sans égal dans n'importe quelle industrie.
M. Lynch-Staunton : Il y a des choses impressionnantes aux États-Unis et au Mexique, mais nous n'avons pas grand- chose à leur envier. Nous, les Canadiens, n'avons pas l'habitude de nous vanter, par exemple de la « Feedlot Alley » près de Lethbridge et d'autres entreprises partout au pays. Nous ne devrions pas nous déprécier.
Le sénateur Gustafson : Vous avez mentionné des avances d'argent. De quoi votre secteur a-t-il besoin pour survivre en ce moment? Vous avez déjà évoqué le PCSRA.
M. Lynch-Staunton : Nous nous sommes posé la question et un de nos groupes de travail en est arrivé à un chiffre dont nous doutons un peu. Nous n'allons pas le rendre public tant que nous n'aurons pas reçu l'autorisation du conseil d'administration, mais il s'agit, en toute franchise, d'une approximation. Notre industrie a besoin de liquidités, à court terme puisqu'elle en manque.
Vous avez dit que bien des gens veulent quitter l'industrie et le feront réellement. Or, nous voulons permettre à ceux qui veulent continuer à travailler dans le secteur de le faire. Les liquidités sont importantes. Sur le plan psychologique, il est important de savoir que le reste du pays veut qu'on continue à travailler dans le domaine. Travaillant avec le gouvernement, nous sommes persuadés que l'industrie pourra élaborer des plans emballants qui nous permettront de soutenir la concurrence à l'échelle mondiale.
Je ne crois pas qu'il faudra attendre très longtemps. Je pense qu'on peut y arriver.
Le sénateur Callbeck : Au Canada, l'industrie de la transformation est dominée par deux grands abattoirs, et pourtant nous n'avons pas une capacité de transformation suffisante. Dans ma province, l'Île-du-Prince-Édouard, au cours des deux dernières années on a mis sur pied une usine de transformation du bœuf qui a l'appui des éleveurs de bovins des Maritimes et de la Coop Atlantique. C'est la seule usine accréditée par le gouvernement fédéral dans la région.
L'usine éprouve de graves difficultés financières, même si la situation s'est un peu améliorée. Je crois comprendre que plusieurs petites entreprises du pays sont dans la même situation.
Autrement dit, l'abattage est dominé par deux multinationales qui ne suffisent pas à la demande. Par ailleurs, nous avons beaucoup de petites usines qui luttent pour survivre. Que devrions-nous faire pour favoriser la diversification du secteur de la transformation de la viande au pays, qui assurerait de meilleurs revenus aux producteurs?
[Français]
M. Dessureault : Nous sommes concernés. Nous sommes propriétaires d'un abattoir au Canada. La première des choses, c'est qu'il faut une harmonisation de la réglementation. On ne peut pas donner à l'industrie canadienne une réglementation plus coûteuse qu'à nos compétiteurs. La réglementation actuelle coûte entre 35 $ et 50 $ par tête à notre industrie. Nos employés peuvent être aussi compétents que les employés d'autres pays, mais la réglementation canadienne elle-même vient nuire à l'abattage. Dernièrement, les grands abattoirs canadiens indiquent que si la situation perdure avec cette réglementation, ils vont complètement déménager leurs installations aux États-Unis.
Deuxième élément, cela prend de l'argent. On a demandé aux producteurs d'investir dans l'abattage et la transformation, mais on ne nous pas apporté de soutien au Québec. On a laissé faire tout cela par les producteurs, au Québec et peut-être dans les autres provinces aussi. Le gouvernement canadien annonce un programme, le libelle deux ans après en ne mettant pas d'argent dedans. Pour le dossier de Rancher's Beef, dans l'Ouest, le dossier de l'abattoir Colbex ou celui de Billette au Québec, c'est la même chose; l'aide gouvernementale annoncée ne s'est jamais concrétisée.
Si on est capable d'acquérir des abattoirs avec un niveau d'équité dans l'abattoir comparable à l'industrie canadienne, je pense qu'il y a de la place pour garder des petites unités d'abattage et de transformation, ne serait-ce que pour approvisionner le marché domestique. Car il me semble que la crise de l'ESB a dû nous apprendre quelque chose. On devrait cesser d'être dépendant d'un seul grand marché et travailler à développer d'autres marchés. Mais le développement des marchés, c'est coûteux, cela prend de l'argent, et en plus, il faut rester compétitif vis-à-vis du marché.
L'industrie canadienne, sur des bases régionale et nationale, est aux prises avec des problèmes que les multinationales n'ont pas à subir.
L'entreprise québécoise Levinoff-Colbex est une entreprise à caractère multinational. Il s'agit d'un des grands abattoirs de vaches de réforme du Canada. Cette entreprise était présente dans tous les marchés, un peu partout dans le monde. Toutefois, avec l'harmonisation, la réglementation, la réouverture des différents marchés, on permettra à nos entreprises de se développer en régions.
Un des principaux problèmes au Canada est l'accès au marché. Il est possible de faire de l'abattage de façon rentable. Cependant, le marché domestique étant contrôlé par quelques acheteurs à haut volume, c'est très difficile pour les petits abattoirs et les petits intervenants locaux.
En ce moment, la chaîne de distribution alimentaire ne se préoccupe pas des entreprises à proximité. Son seul souci est le prix des produits. Par conséquent, il faudrait se pencher sur cette question de façon un peu plus large au Canada.
Toutefois, la situation n'est pas que négative. Le Canada a la possibilité de prendre une position importante sur le marché mondial du bœuf. Au Québec, depuis 2001-2002, on travaille avec l'identification permanente. L'identification du bétail se fait à la ferme jusqu'à la sortie de l'abattoir.
La loi américaine sur l'étiquetage pourrait être appliquée au Québec sans difficulté. Grâce à la qualité du bœuf canadien, il serait possible de se faire une image de marque en traçant nos produits.
Amener les producteurs du Québec à accepter cette réalité ne fut pas chose facile. Le chantier était d'envergure. Toutefois, on l'a fait, on le gère aujourd'hui, et même en 2008 on resserre encore les règles au Québec.
Le système existe au Canada, mais il n'est pas fonctionnel. Actuellement, un producteur du Québec ne peut obtenir de l'information sur son animal alors que celui-ci est enregistré dans la banque canadienne. Cette situation est aberrante. Nous avons beaucoup de difficulté à amener l'industrie canadienne à se doter d'outils de distinction dans le marché international.
Je mentionnais récemment, lors d'une table ronde, que l'industrie canadienne est réputée pour sa qualité. La masse de notre produit se compose de bœufs âgés de moins de 20 mois. Nous avons donc un produit de qualité, reconnu par les pays les plus exigeants. Or, faute d'identification, faute de traçabilité, nous ne sommes pas en mesure de nous faire une marque de commerce.
On demande beaucoup de nos producteurs, qui vivent déjà dans un contexte difficile à la ferme. Toutefois, nous estimons que la production bovine canadienne a de l'avenir. Assurons-nous de donner les moyens à l'industrie de l'abattage de demeurer compétitive. Pendant un an ou deux, il faudra apporter une aide ponctuelle à la ferme, à différents niveaux, pour lui permettre de s'adapter à cette nouvelle réglementation.
[Traduction]
M. Lynch-Staunton : Je suis d'accord avec tout ce que M. Dessureault a dit, mais j'aimerais ajouter certaines choses.
Qu'il puisse exister localement certains endroits, comme dans les Maritimes, un manque de capacité de transformation, la triste vérité est qu'il y a aujourd'hui une surcapacité au Canada. Nos usines tournent à 60 ou 70 p. 100 de leur capacité.
L'avantage, c'est que ces usines livrent concurrence à leurs homologues américains et nous croyons qu'en règle générale, la concurrence est une bonne chose. Cependant, l'inconvénient, c'est que les usines éprouvent beaucoup de difficultés à l'heure actuelle pour des raisons dont nous convenons tous.
Un des problèmes tient à ce que nous considérons comme un excès de réglementation. Évidemment, nous avons besoin de bons règlements, mais plus on impose d'exigences à une usine de transformation, moins les petites installations seront en mesure de soutenir la concurrence. Les grosses seront capables de s'adapter et de répartir leurs coûts sur un plus grand nombre de têtes de bétail. Cependant, dès qu'on applique des normes ou des règlements plus stricts, on rend la vie plus difficile aux abattoirs situés dans les petites villes ou aux usines provinciales, ce qui est inquiétant.
Je ne m'inquiète pas autant que d'autres du fait que les deux grands abattoirs appartiennent à des sociétés multinationales étrangères. Je me souviens des difficultés que nous éprouvions par le passé à obtenir un juste prix des abattoirs canadiens qui existaient à l'époque. Je fais de meilleures affaires avec Cargill qu'avec Burns ou Canada Packers. Cependant, mon cas personnel est un cas isolé et j'espère qu'on ne va pas me poursuivre pour libelle diffamatoire.
L'autre avantage des multinationales, c'est qu'elles ont déjà un réseau de commercialisation internationale. Cargill Foods — High River est probablement l'un des meilleurs débouchés pour vendre certaines coupes de viande au Japon en ce moment. Tout fonctionne sans problème et ils ont investi énormément au Canada. Évidemment, s'ils trouvent un jour un meilleur endroit pour investir, ils partiront.
Je pense que nous devrions tacher d'attirer des investissements d'autres pays pour ce genre d'activités également. Les Australiens ont bénéficié d'importants investissements du Japon dans le secteur de l'abattage et cela n'a pas nui à leur accès au marché japonais.
Il a fallu beaucoup d'argent pour appliquer l'interdiction frappant les aliments du bétail, lorsqu'on a traité des matières à risque spécifiées, ce qu'on appelle les MRS; et une bonne partie des sommes prévues pour l'infrastructure n'ont pas été utilisées. L'industrie, ou du moins notre secteur, s'est empressée de demander que cet argent soit consacré à la destruction des MRS plutôt qu'aux frais d'immobilisation. On ne nous a pas écoutés et on peut encore faire beaucoup pour détruire ces matières.
Nous essayons de faire respecter certaines règles relatives à la maladie de la vache folle dans une mesure de 99,9 p. 100, même si 99 p. 100 c'est déjà bien. Je ne connais pas le pourcentage précis, mais il est élevé. Ce 0,9 p. 100 ou 1 p. 100 de plus coûte cher.
Comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas certain que nous devrions y renoncer. Il nous fallait la classification de l'Organisation mondiale de la Santé animale, anciennement l'OIE, et les négociations sont peut-être fragiles pour l'instant. Il nous faudra peut-être attendre un peu avant d'apporter des changements à ce processus.
[Français]
M. Dessureault : Permettez-moi un petit complément sur la capacité d'abattage au Canada, sans vouloir contredire ce que vient de dire M. Lynch-Staunton sur la capacité d'abattage au Canada. Oui, il y a surcapacité d'abattage au Canada dans certaines régions. Je vais donner un exemple; au Québec, il n'y a aucune structure d'abattage, donc il n'y a pas de surcapacité, on est en sous-capacité. Dans les dernières semaines, plus de 50 p. 100 des animaux, des bouvillons et autres, qui sont produits au Canada sont abattus aux États-Unis, faute de structure d'abattage. Quand ce n'est pas aux États-Unis, c'est dans d'autres provinces canadiennes. On en a même eu qui sont allés à Atlantic Beef et d'autres en Ontario.
Il faut regarder sur une base nationale, certes, mais il faut s'attarder aussi sur certaines spécificités régionales où on n'a même pas d'abattage avec des abattoirs approuvés en qualité par le Canada dans des petits marchés canadiens. Avec la proximité d'un marché, si vous voulez maintenir un nombre de fermes intéressant au Canada, il faudrait que ces structures d'abattage soient présentes dans toutes les provinces canadiennes. C'est dans cet esprit que les producteurs on fait un effort au Québec et c'est dans cet esprit que les producteurs du Québec se sont dit : s'il n'y a pas de grands investisseurs, car ils ont de grandes structures ailleurs, que fait-on pour se donner des structures?
Oui, il y a surcapacité d'abattage au Canada, et oui, il y a sous-capacité d'abattage dans certaines provinces canadiennes.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Nous avons ce problème au Canada atlantique. Il est important que l'usine de transformation de la viande de bœuf soit une réussite dans l'intérêt des éleveurs. Autrement, ils seront grandement désavantagés.
Le sénateur Peterson : J'aimerais revenir à la question des liquidités à court terme où il faut verser des avances en espèces tant qu'une nouvelle structure n'aura pas été mise en place. Je ne sais pas quelle sera cette nouvelle structure et c'est peut-être d'ailleurs là où le bât blesse.
Pour ce qui est des fluctuations du dollar au cours de l'année qui vient, je ne crois pas qu'il aille plus bas que la fourchette de 85 ¢ à 90 ¢.
M. Lynch-Staunton : Ce niveau serait bon.
Le sénateur Peterson : Nous avons parlé du PCSRA. L'ancien PCSRA ne fonctionnait pas et la nouvelle mouture n'est guère meilleure. Faudrait-il imaginer quelque chose de tout à fait nouveau qui serait une politique nationale sur l'agroalimentaire qui reposerait sur des variables ou les mesures de soutien du revenu seraient fonction des coûts de production? Les variables seraient le prix reçu pour le produit, le prix payé pour les aliments du bétail, le taux de change et l'impact de la réglementation. Tenir compte de l'incidence de la réglementation ferait en sorte que le modèle montrerait comment les changements de réglementation se répercutent sur les producteurs tout en montrant, pour ce qui est de leur production, où en sont les choses. Au lieu de choisir un chiffre pour cette année et de dire il vous faut X millions de dollars actuellement pour vous en tirer, est-ce que le nouveau modèle ne serait pas une façon plus logique de présenter les choses?
M. Lynch-Staunton : Il faut espérer que l'on parviendra à établir des prévisions plus fiables mais nous ne l'avons pas fait et c'est une faiblesse. Le taux de change nous a pris par surprise malgré sa tendance à la hausse. Il nous faudrait peut-être élaborer un modèle de ce genre mais je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que nous n'avons que de vagues espoirs quant à ce que peut faire l'industrie. La table ronde qui étudie la chaîne de valeur de l'industrie du bœuf a très bien réussi à mobiliser tous les intéressés et nous avons des idées qui me semblent tout à fait réalistes.
Si le dollar peut baisser en deçà de 90 ¢, nous pourrons nous en tirer mieux, indépendamment de toute intervention du gouvernement. Nous sommes d'accord avec vous dans un certain sens parce que la question des liquidités nous intéresse dans le sens où elle nous permettra de mieux cerner les pistes de solution. Nous avons de bons plans mais, à mon avis, nous ne sommes pas actuellement en mesure de tirer des conclusions raisonnées sur la part de financement public requise, ni même de savoir si elle est nécessaire.
John Masswohl, directeur des relations gouvernementales et internationales, Canadian Cattlemen's Association : Beaucoup d'autres détails suivront et il y aura aussi des discussions avec les analystes et autres choses du genre. Je veux vous donner des exemples de mesures que nous devons prendre pour améliorer à court terme la situation des liquidités.
Ce programme d'avances en espèces pour les céréales existe depuis quelque temps mais il est nouveau pour le secteur de l'élevage. Le programme a été créé rapidement et la loi habilitante a été adoptée très rapidement. C'est la première fois que les éleveurs, de bétail et de porc, utilisent ce programme d'avances en espèces pour obtenir des fonds avant d'avoir à brader leurs bêtes. Ils veulent pouvoir tenir sans vendre leurs bêtes, jusqu'à ce que la situation s'améliore. Ils ne veulent pas agir précipitamment et prendre ainsi de mauvaises décisions.
Le système leur permet d'obtenir une avance équivalant à un maximum de 50 p. 100 de la valeur des bêtes, jusqu'à concurrence de leur niveau autorisé dans le cadre du PCSRA. En vertu des règles du PCSRA, s'ils ont une série de mauvaises années l'une après l'autre, le montant qu'ils reçoivent diminue. Malheureusement, puisque le nouveau système est lié au PCSRA, nous constatons que le montant de l'aide est limité par ce plafond en vertu du PCSRA. Nous demandons que la loi soit modifiée pour qu'il n'y ait plus de lien entre l'avance en espèces et la marge du PCSRA. Le lien qui existe visait à faire en sorte que l'avance soit garantie par le soutien possible dans le cadre du PCSRA. Nous aimerions que ce soit le bétail lui-même qui serve de garantie.
Dans le secteur des céréales, ce sont les céréales qui sont données en garantie. Ce lien avec PCSRA est inutile dans le cas des céréales et c'est aussi ce que nous devrions prévoir pour le bétail. C'est un exemple d'un petit changement d'ordre technique que nous pourrions apporter et qui améliorerait grandement les liquidités des éleveurs.
Le sénateur Peterson : Vous avez beaucoup de bonnes idées et vous déployez de grands efforts mais quand vous arrivez à la table de négociation, vous devez avoir un plan qui annonce ce que vous comptez faire, ce que sont vos besoins et ce que seront les résultats. Si les chiffres changent légèrement, vous devez pouvoir chiffrer l'incidence au lieu de dire tout simplement que vous subissez les contrecoups et que vous avez été pris de court par l'appréciation du dollar. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que la situation est mauvaise et qu'elle échappe à votre contrôle. Il ne suffit pas de dire voici le prix que nous recevons pour notre produit et voici ce qu'il nous en coûte pour le produire. Vous devez trouver le mécanisme approprié. Je sais que le PCSRA fonctionnait mal mais vous devez pouvoir proposer un mécanisme qui fonctionnera. L'une des pistes de solution serait de rompre le lien entre les deux programmes ou de l'axer sur le coût de production ou une autre variable qui permettrait de corriger le problème. C'est une idée.
M. Lynch-Staunton : J'admets volontiers que nous n'avons pas fait notre travail préparatoire aussi bien que nous le souhaitions mais, à notre décharge, nos producteurs nous disent que la situation est urgente et qu'ils n'ont pas le temps d'attendre que nous trouvions mieux.
[Français]
M. Dessureault : J'aimerais réagir à des programmes d'appui à la ferme aux producteurs. Pour une industrie qui vise un avenir, il faut que l'environnement soit prévisible; dans les 25 dernières années, les programmes d'appui du gouvernement fédéral ont changé tous les deux ou trois ans.
Ils ont toujours démontré certaines forces et certaines faiblesses. Au Québec, on a un programme prévisible. C'est même très difficile dans des périodes où il y a une variation du dollar parce qu'elle n'était pas prévue dans ces programmes, c'était plutôt la variation du coût des intrants qui était prévue, mais au moins, elle est prévisible.
Est-ce qu'on peut faire migrer nos programmes canadiens vers des programmes prévisibles en fonction du coût des intrants? Je mettrais le dollar dans une autre catégorie. Le coût de l'énergie a beaucoup augmenté au Canada, celui des aliments et des engrais aussi. Depuis de nombreuses années, les producteurs du Québec réclament la mise en place par le gouvernement canadien.
Vous demandez aux producteurs canadiens d'être en compétition avec les gouvernements des autres pays. Le gouvernement américain vient de ressortir un « farm bill » très généreux pour ses producteurs à la ferme. L'Europe maintient de très généreux programmes. On pense qu'ici au Canada, en ne laissant rien sur la table que la production bovine canadienne se développera. C'est une utopie. Il faut revenir à notre réflexion et se dire que nous avons des forces et des compétences au Canada. Mais peut-on entrer en compétition avec le gouvernement américain? Il faut se poser cette question. On a de la difficulté à convaincre les gens au Canada et dire : « Écoutez, l'industrie bovine canadienne ira vers son déclin si nous n'avons pas une réglementation semblable et de l'aide comparable à celle de nos compétiteurs ».
Cela ne veut pas dire exactement les mêmes programmes, mais des choses prévisibles nous permettant de réagir. En plus, nous sommes en période de crise depuis 2003. En ce moment, le découragement règne sur les fermes du Québec et il faut que le gouvernement canadien envoie un message clair.
Les ministres de l'Agriculture, réunis à Toronto il y a quelques jours, ont exprimé leurs préoccupations au sujet de l'industrie du bœuf et du porc au Canada, deux industries les plus touchées actuellement.
Il faudra se pencher sur la situation et permettre aux producteurs de bénéficier de programmes prévisibles. Il faut cesser de fonctionner à l'aveugle en ayant à concurrencer les marchés américains du maïs ou de l'orge. Le Québec a fait des propositions et est prêt à les refaire.
Je suis content lorsque j'entends dire que dans l'Ouest canadien on peut se démarquer sans l'aide gouvernementale. Malheureusement, la réalité est tout autre aujourd'hui et il est de plus en plus difficile de se démarquer sans l'aide gouvernementale.
Il se passe des choses dans les provinces. L'Alberta vient d'annoncer un programme extra PCSRA de 165 millions. Avec une telle annonce, comment les autres provinces peuvent-elles s'ajuster à l'intérieur même du pays? On vit pourtant dans le même pays. Nous allons connaître de réelles difficultés et il est temps que le gouvernement canadien appuie les producteurs.
Il faut se demander si toutes les provinces pourront supporter le fameux 40 p. 100 exigé par le gouvernement canadien. C'est bien beau de légiférer, mais les provinces pourront-elles le supporter? Peut-être que certaines pourront le supporter et d'autres non, mais il faudra nécessairement en arriver à une vision commune.
Le prochain cadre stratégique sur l'agriculture parle de l'avenir de l'agriculture, mais les moyens sont les mêmes que ceux d'il y a 10 ans, soit un PCSRA amélioré. Ce n'est certainement pas ce qui constitue un avenir pour l'agriculture.
[Traduction]
Le sénateur Gustafson : Pour ce qui est du financement, il me semble que nous avons permis aux banques de s'en tirer à bon compte. À une certaine époque, quiconque possédait des bovins pouvait obtenir un prêt pour n'importe quel montant de la banque qui le défendait. Je constate maintenant que les banques ont cessé dans une grande mesure d'assurer le financement et qu'elles veulent refiler au gouvernement la responsabilité d'assurer la garantie. J'aimerais savoir ceci : est-ce bien le cas? Je pense que c'est le cas dans de nombreux secteurs.
M. Lynch-Staunton : Oui. J'espère que ma banque continuera de m'appuyer parce qu'elle est pour moi un partenaire important par les temps qui courent.
Je pense que les banques se montrent plus sélectives pour ce qui est des comptes agricoles. La banque avec laquelle je fais affaire prend au sérieux ses clients du secteur agricole. J'admets toutefois que cela varie de l'une à l'autre.
Je me permets d'ailleurs de mentionner que quand nous partirons d'ici, nous allons rencontrer l'Association des banquiers canadiens. Nous leur parlons régulièrement. Vous vous imaginez bien qu'ils sont curieux de savoir ce que nous faisons.
Le sénateur Peterson : Je suis tout à fait d'accord avec ce que dit notre témoin. Voilà pourquoi il nous faut une politique nationale sur l'agroalimentaire. Nos producteurs peuvent soutenir la concurrence des producteurs d'autres pays. Toutefois, ils ne peuvent pas soutenir la concurrence des gouvernements d'autres pays qui adoptent des politiques qui créent des distorsions sur le marché. Il faut que nous nous donnions des atouts, une politique nationale sur l'agroalimentaire, qui nous permettra de régler ces problèmes à l'avenir. Nous sommes une fédération. Nous ne pouvons avoir un programme pour l'Ouest et un autre pour l'Est. Il faut que ce soit un programme national.
M. Lynch-Staunton : Notre association n'a pas fait de lobbying auprès des gouvernements provinciaux pour qu'ils bonifient le PCSRA ou d'autres programmes. Nous sommes d'avis que les programmes doivent être nationaux et s'appliquer de façon uniforme dans tout le pays.
Le président : Cela me rappelle le rapport que nous avons rendu public récemment — et les agriculteurs ont bien aimé le titre Les agriculteurs d'abord! — nous avions formulé une recommandation qui allait dans le sens de ce que suggère le sénateur Peterson.
Le sénateur Mahovlich : D'abord, j'aimerais dire que le frère de M. Lynch-Staunton a laissé un grand vide au Sénat.
Le président : Ils sont cousins. Il me manque à moi aussi.
Le sénateur Mahovlich : John Lynch-Staunton : il me manque parce qu'il me tenait au courant de tout ce qui se passait à Montréal. Il était étonnant.
J'ai beaucoup voyagé et je sais que le dollar américain se porte mal. Ce n'est pas que notre dollar s'apprécie mais plutôt que le dollar américain se déprécie. Quand je suis allé en Europe, notre dollar se maintenait mais le dollar américain perdait de la valeur.
Par conséquent, étant donné la dépréciation du dollar américain, est-ce que leurs exportations de bétail ont augmenté, en direction de la Chine, par exemple? Je sais que pendant de nombreuses années, le Canada était le principal partenaire commercial des États-Unis mais que la Chine a pris le relais l'an dernier. Le marché principal des États-Unis est-il en Chine? Les États-Unis ont-ils augmenté leurs exportations de bétail en Chine?
M. Lynch-Staunton : Je ne crois pas que les États-Unis peuvent à l'heure actuelle expédier du bœuf en Chine. Je crois que la Chine a fermé ses frontières lors de la crise de l'ESB et qu'elle ne les a pas encore rouvertes non plus à la viande en provenance des États-Unis.
Le sénateur Mahovlich : Il n'y a pas d'échange de bétail entre la Chine et les États-Unis?
M. Masswohl : Tout comme nous, les États-Unis n'ont pas encore réussi à retrouver l'accès à tous les marchés depuis la crise de la vache folle. Cela concerne une multitude de pays et nous faisons des progrès dans certains de ces pays. Le marché de la Chine reste fermé au Canada aussi bien qu'aux États-Unis pour ce qui est des produits du bœuf. Ni eux ni nous ne pouvons expédier de bœuf en Chine.
A propos de votre commentaire sur le taux de change, les États-Unis gagnent des parts de marché dans certains pays. Les gains ne sont pas encore dramatiques mais cela se produit.
Le sénateur Mahovlich : Le taux de change a donc une incidence sur le marché. L'Argentine est au premier rang en Amérique du Sud pour ce qui est du secteur du bœuf. Est-ce bien cela?
M. Lynch-Staunton : C'est maintenant le Brésil. L'Argentine occupait déjà le premier rang mais le Brésil a énormément augmenté sa production et joue les trouble-fêtes, du moins dans notre imagination. Ils détiennent une part énorme du commerce mondial. Nous croyons toutefois savoir que leur production plafonne et qu'ils convertissent une partie de leur production à la culture de céréales, d'oléagineux et de biocarburants.
Le sénateur Mahovlich : Je vois.
M. Lynch-Staunton : L'Argentine a un énorme potentiel mais chaque fois que les choses semblent être au beau fixe, ils décident par exemple d'interdire les exportations, comme ils l'ont fait il y a quelques années, pour faire baisser le prix intérieur du bœuf. Cela a donné des résultats.
Le sénateur Mahovlich : Je suis allé en Russie en 1972 et en 1974. C'était à l'époque un pays communiste et il était difficile de trouver un beefsteak à se mettre sous la dent. Je me souviens que dans les restaurants nous mangions du caribou ou une autre viande analogue. Le marché est maintenant libéralisé. Exportons-nous du bétail à la Russie ou a- t-elle une production suffisante pour répondre à ses besoins?
M. Lynch-Staunton : Curieusement, nous leur exportons du bétail sur pied. Je ne sais pas si nous leur exportons des produits du bœuf ou non.
M. Masswohl : Nous sommes à un moment critique dans nos relations avec la Russie. Nous avons fait des progrès au cours des derniers mois. Techniquement, la Russie a autorisé la reprise des exportations canadiennes de bœuf mais maintenant ils doivent envoyer des inspecteurs dans l'usine. Cette vérification technique est bien engagée.
Il y a eu deux grandes expéditions de bétail sur pied en Russie récemment. Surtout des vaches laitières au printemps mais aussi des bovins reproducteurs expédiés il y a trois ou quatre semaines.
Le sénateur Mahovlich : Ce serait une bonne idée de ne pas dépendre autant des États-Unis parce que chaque fois qu'il y a un incident c'est tout de suite une crise. Ce serait bien pour nous d'avoir d'autres débouchés.
M. Masswohl : Même si la valeur de nos exportations sur certains marchés n'est pas élevée, il importe néanmoins d'avoir des marchés diversifiés puisque certains achètent les morceaux et les coupes que ne prisent guère les Américains, tels la langue, l'estomac et le foie. Les gens ne veulent pas faire cuire du foie sur le BBQ. Or, bon nombre de ces marchés sont prêts à payer plus cher ces produits. On nous dit souvent : « Pourquoi, si le prix du bœuf est si bas, ne voyons-nous pas la même réduction du prix du bif steak à l'épicerie? ». La réponse tient au fait qu'au Canada nous ne vendons plus l'animal entier. Si nous pouvons retrouver les débouchés pour ces abats de boucherie, comme nous les appelons, cela contribuera à nous rapprocher du prix que l'on pourrait obtenir pour l'animal entier.
Le sénateur Mahovlich : J'aimerais poser une question au sujet des sociétés multinationales qui ont fait l'acquisition des petites entreprises agricoles au Canada. Quand nous sommes allés en Alberta, nous avons visité quelques éleveurs et, sur une parcelle d'une acre, nous avons vu quelque 9 000 têtes de bétail.
Avons-nous moins d'éleveurs que dans le passé ou y a-t-il plus d'entreprises multinationales?
M. Lynch-Staunton : Il y a moins d'exploitations agricoles. Les fermes sont plus grandes et cela semble être la tendance. Toutefois, il y a peu de multinationales ou d'entreprises qui trouvent l'agriculture rentable. L'entreprise agricole typique ressemble à celle dont je suis propriétaire et qui est une société agricole appartenant à notre famille. Nous nous sommes constitués en société pour gérer notre croissance et cela pour toutes sortes de raisons.
Je ne crois pas qu'il y ait de nombreuses sociétés dans le secteur agricole. Cela dit, Tyson Foods à Brooks, en Alberta a un parc d'engraissement qui faisait partie de Lakeside Packers quand Tyson Foods a racheté l'entreprise il y a quelques années. Elle a conservé le parc d'engraissement.
Le sénateur Mahovlich : Les risques sont-ils plus grands pour les grandes exploitations agricoles? Je sais que dans le cas de la pisciculture, les maladies peuvent se répandre et avoir un effet catastrophique. Les agriculteurs subissent-ils des conséquences comparables en cas de problème?
M. Lynch-Staunton : Je ne peux parler qu'en mon nom mais oui, quand les fermes se spécialisent, leurs risques augmentent. Si leurs opérations sont spécialisées, ils enregistrent davantage de profits ou, dans le cas des agriculteurs, moins de pertes.
Quand nous étions jeunes, l'exploitation agricole mixte était une bonne chose mais rapportait peu. Il y avait toujours de quoi manger mais sans plus. Si nous retournions à ce type d'exploitation agricole, nous pourrions certainement produire assez pour manger mais nous n'irions pas très souvent en Europe.
M. Masswohl : Cela nous ramène à ce que disait le sénateur Gustafson. Dans sa région, les électeurs passent de l'élevage à la production céréalière. S'ils peuvent se diversifier de la sorte, ils sont mieux à même de gérer le risque. Tous les éleveurs du pays n'ont pas la même possibilité. D'ailleurs, il se fait énormément d'élevage sur les terres de qualité marginale. Si la saison des cultures n'est pas suffisamment longue, cela explique qu'on y fasse de l'élevage. Bon nombre des éleveurs ont en général peu d'autres choix.
[Français]
M. Dessureault : Un des grands atouts de la production bovine canadienne se situe au plan des fermes naisseurs. Ce travail doit aussi être accompli en harmonie avec l'environnement. Pour ce faire, nous avons besoin de terres et de pâturages. On retrouve en moyenne au Québec quelque 42 vaches par ferme naisseur. C'est à peu près similaire à la moyenne de l'Ouest canadien où l'on compte environ 50 têtes par ferme. Bien sûr, il y a des écarts, certaines fermes sont plus petites et d'autres plus grandes.
Les producteurs québécois ont décidé de se regrouper pour mieux se positionner dans le marché des grandes entreprises. Les producteurs élaborent des plans et des mises en marchés conjoints. Ils sont ainsi capables de se donner des structures équivalentes à une grande entreprise.
Les fermes finisseurs modèles du Québec, qui ont des parquets d'engraissement, comptent environ 700 têtes. On pense que ces fermes ont des chances de doubler leur production d'ici l'an prochain. Certaines fermes comptent huit à neuf mille têtes tandis que d'autres 100 têtes. Il y a 4 000 bouvillons par semaine à vendre et il n'y a qu'un lieu pour les vendre actuellement, c'est le marché américain. Les acheteurs américains sont présents parce qu'il est facile pour eux d'avoir accès à ce bétail.
Faire le tour des petites fermes pour se procurer du bétail représente une contrainte additionnelle pour les grandes entreprises. Les producteurs doivent donc trouver d'autres moyens s'ils veulent garder leurs fermes et rester productifs. Il faut leur donner des moyens équivalents, qui respectent leurs décisions, afin qu'ils aient accès aux marchés de façon compétitive.
Si, par exemple, 50 producteurs contactent Cargill un matin, parce que c'est la seule grosse entreprise dans le domaine au Canada, les résultats obtenus seront 50 orientations différentes. Toutefois, s'il y a qu'un seul représentant qui vend pour tout le monde, les chances sont meilleures que chacun obtienne le juste prix pour sa marchandise. Il faut bien sûr tenir compte des grilles d'écart de prix établies en fonction de la qualité à respecter. Les producteurs devront user de stratégie s'ils veulent maintenir leurs fermes qui ont des caractéristiques plus intéressantes qui sont réparties sur tout le territoire.
Au Québec comme au Canada, une des grandes forces de l'industrie bovine est sa présence partout sur le territoire, qu'il s'agisse des provinces maritimes ou du Québec. On trouve des vaches à bœuf partout sur le territoire québécois. C'est un peu différent pour les parquets d'engraissement, mais dans toutes les régions de l'Alberta, il y a presque toujours des fermes bovines. C'est une richesse pour le Canada de maintenir cette production bovine un peu partout sur le territoire, mais donnons aux producteurs les moyens de rester en place.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Il y aura bientôt des élections aux États-Unis. Cela pourrait avoir un effet sur le dollar.
Est-ce que vous considérez ces effets, ou faites-vous des prévisions?
M. Lynch-Staunton : Je peux vous faire part de mon point de vue personnel qui vaut sans doute ce qu'il vaut.
Nous croyons que lors des prochaines élections, les gagnants seront vraisemblablement plus protectionnistes. Nous ne savons pas ce qui en résultera. Nous espérons que les échanges commerciaux pourront reprendre sans heurts; il n'y aura peut-être pas de reprise du protectionnisme.
L'administration Clinton était favorable au libre-échange. Espérons que la nouvelle administration le sera aussi. C'est certainement préoccupant. C'est le problème qui se pose aux exportateurs. Ils doivent faire face à tous les aléas et il faut que les accords commerciaux soient aussi solides que possible puisqu' en même temps, ils doivent affronter tous les problèmes dont a parlé M. Dessureault. Ils doivent non seulement se faire concurrence les uns les autres mais ils doivent aussi affronter la concurrence de producteurs plus généreusement subventionnés de l'autre côté de la frontière.
J'ai noté quelques autres commentaires. Notre industrie peut faire l'engraissement du bétail et être rentable en réduisant la quantité de céréales consommées et en nourrissant plus longtemps le bétail avec du fourrage. Par ailleurs, le marché commun européen représente un énorme marché potentiel pour nous mais, pour toutes sortes de raisons, notre accès est limité. Le gouvernement du Canada pourrait nous aider à accroître notre accès à ce débouché. Cela devient de plus en plus complexe parce que les négociations à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, peuvent avoir d'énormes conséquences sur l'accès du Canada au marché et sur la désignation des produits qui sont sensibles ou non.
C'est complexe et j'aimerais que les solutions soient simples. M. Dessureault et moi-même nous entendons sur les problèmes, mais moins sur les solutions. La situation est claire.
Le sénateur Callbeck : J'ai une autre question, monsieur Lynch-Staunton. Vous avez parlé de l'étiquetage obligatoire indiquant le pays d'origine, qui entrera en vigueur aux États-Unis en septembre 2008, je crois. Vous dites qu'il est difficile d'en prévoir l'incidence, tant qu'on ne saura pas comment seront appliqués les règlements. Je me suis laissé dire que cet étiquetage pourrait faire en sorte que certains abattoirs américains n'acceptent plus de bétail canadien, ou alors, seulement à prix réduit. Est-ce que cet étiquetage pourrait avoir un effet majeur sur l'industrie au Canada?
M. Lynch-Staunton : C'est ce que nous craignons, mais pas tant pour les abattoirs que pour les détaillants, qui porteront le fardeau financier de l'étiquetage, ou de l'espace dans les rayons, par exemple. S'il ne s'agit que d'apposer une étiquette sur un emballage, ce ne sera pas grand-chose. Mais s'il faut des comptoirs de viande distincts, pour certains, il sera plus facile de ne pas le faire du tout.
Dans ce genre de scénario, une réduction de prix est à prévoir, du moins théoriquement, parce que nous ne savons pas exactement ce qui surviendra. Si nos produits sont séparés, étiquetés de manière marquée et à prix réduits, il faudra les envoyer ailleurs. Avec une bonne commercialisation, nous devrions pouvoir créer la demande.
Les aléas sont nombreux mais nous pouvons y arriver assez bien.
[Français]
M. Dessureault : Ma perception personnelle, c'est qu'il y a des faits et des réalités. Les Américains sont des importateurs nets de viande. Oui, il y a des purs et durs qui diront « achetez américain » avant tout, mais il existe aussi d'autres acheteurs. Il faut s'en inquiéter et être prêt à réagir sur une base commerciale en offrant un produit équivalent, bien tracé et bien identifié, avec une valeur ajoutée.
Il faut le voir dans cette perspective, car les Américains auront toujours besoin de bœuf, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il faut nous diversifier pour éviter ce qui s'est passé avec la fermeture de 2003. Si nous avions eu des marchés plus diversifiés, cela aurait probablement été moins difficile économiquement pour l'ensemble des fermes canadiennes. Il faut qu'on s'en préoccupe, mais dépêchons-nous d'être prêt au Canada.
Je reviens souvent sur la traçabilité; cela existe au Canada. Travaillons sur ce qui existe au Canada. On est capable de dire que, pour un animal né, abattu, transformé au Canada avec un sceau de qualité de moins de 20 mois, ce qui est à peu près la majorité des animaux, il y aura des demandes, même aux États-Unis, pour ce produit.
Ce qui est curieux, en revanche, dans cette loi, et qui me préoccupe un petit peu, et c'est un peu une manière d'être des Américains, c'est comment il se fait que le poulet n'est pas dans le cours. Toutes les viandes sont là, le porc, le bœuf, mais pas le poulet. Il faut croire que ce n'est pas de la viande, c'est peut-être que le poulet est devenu un végétal, je ne sais pas. Il est vrai qu'on parle de « poulet végétal », mais c'est curieux. C'est là que le gouvernement canadien devrait insister et dire : pourquoi votre poulet n'est pas là? Peut-être que cela nous aiderait.
[Traduction]
Le sénateur Gustafson : Un changement intéressant est en train de se produire dans le secteur de l'élevage, au Canada. Quand j'étais petit, tout notre bétail était envoyé à Winnipeg, au Manitoba. Ensuite, le gouvernement albertain a pratiquement acheté le secteur des aliments pour bétail, mais c'est un point de vue discutable. J'ai fait de l'engraissement de bétail en Alberta quand on nous donnait 70 $ le bouvillon au port. Les éleveurs de la Saskatchewan ne pouvaient pas faire de l'engraissement à ce prix-là. C'est pourquoi ils ont conclu qu'il fallait vendre leurs veaux en Alberta, où ils seraient engraissés.
J'ai entendu l'autre jour que la province de l'Alberta a fait beaucoup d'argent en investissant dans ce secteur. Il me semble que c'était plus de 100 millions de dollars. Connaissez-vous le chiffre?
M. Lynch-Staunton : La province de l'Alberta a annoncé une somme de 165 millions de dollars, pour le PCSRA. Cela s'est fait rapidement et le gouvernement de l'Alberta essaie de trouver une façon de procéder. Nous sommes dans le même cas.
Le sénateur Gustafson : Là où je veux en venir, c'est qu'en Saskatchewan, nous ne pouvons pas rivaliser avec ce genre d'investissement. Nous n'avons d'autre choix que d'envoyer notre bétail en Alberta, et quiconque croit que les parcs d'engraissement de la Saskatchewan peuvent rivaliser avec ceux de l'Alberta rêve en couleur. Il y a bien un ou deux producteurs qui essaient de le faire, mais je n'entrevois pas de changement. Il nous faut plutôt nous adapter au changement. En revanche, la planche de salut de la Saskatchewan, c'est peut-être le grain, parce que nous avons 40 p. 100 des terres arables propices aux céréales, au Canada.
Il me semble que c'est un point de vue plus optimiste que ce qu'on entend depuis des années. Les différences interprovinciales peuvent créer de graves problèmes dans bien des secteurs de commerce, pour l'ensemble du pays, sans aucun doute.
M. Lynch-Staunton : La Canadian Cattlemen's Association doit adopter un point de vue national. Je suis Albertain, et mon interprétation de l'histoire est différente de la vôtre. Je crois que la Saskatchewan avait des programmes d'engraissement généreux, à différentes époques, mais je pense que les compensations relatives au tarif du pas du nid- du-corbeau ont bouleversé les choses. Je ne m'occupais pas des politiques en matière d'élevage à l'époque, et je ne peux m'en attribuer ni le blâme, ni le mérite.
Le sénateur Gustafson : Ça nous coûtait un dollar le boisseau.
M. Lynch-Staunton : Sans aucun doute, l'injection de deniers publics peut tout changer pour un secteur de l'industrie.
Le sénateur Gustafson : J'ai une autre question au sujet de la façon dont les éleveurs disposent de leurs troupeaux. C'est une chose qui arrive normalement, quand l'éleveur vieillit et décide de mettre fin à son élevage, mais il y a actuellement davantage de troupeaux dont on se défait en raison de difficultés en cours. Les éleveurs plus âgés disent : « Ça suffit » et ils vendent. L'autre jour, j'ai entendu dire que pour un marché, il y avait 13 ventes de dépécoration.
Il est intéressant de constater, en effet, qu'il y a plus d'encans que jamais. Ces décisions ne sont pas prises en fonction du prix actuel des céréales, mais en fonction de paramètres permanents comme le coût de l'équipement, par exemple, les moissonneuses batteuses à 300 000 $. Les agriculteurs se disent : « Rien ne sert de continuer. J'aime mieux m'en tirer maintenant, en préservant ce que je peux. »
La dépécoration sera un facteur crucial. Pour certains, ce sera aussi très difficile. Ces éleveurs sont âgés. Dans notre région, les plus jeunes ont décidé d'aller travailler dans les champs pétrolifères, en engraissant le soir 40 à 50 têtes de bétail. Cela devient leur violon d'Ingres, qui s'ajoute à leur emploi, qui devient leur gagne-pain. On constate cela de plus en plus souvent.
M. Lynch-Staunton : J'y ai fait allusion mais j'aurais peut-être dû en parler davantage. Vous dites vrai. L'attrition pour ce secteur est retardée. Ce qui aurait dû se produire sur quatre ans se produira probablement cette année, à cause de l'ESB. Maintenant que l'avenir semble être du côté des céréales, ceux qui gardaient leur bétail et l'engraissait avec leurs céréales se débarrassent maintenant du bétail. Ils veulent sortir du secteur. Ils répugnent à se lever au beau milieu de la nuit quand il fait froid, et je les comprends bien. Ce changement est en train de se produire.
Dans l'Ouest, vous avez raison, les ventes de vaches pleines sont retardées de deux à trois mois. Il faut réserver d'avance. Nous ne savons pas quelle part de ce bétail change de main. Nous avons entendu parler de bon nombre d'agriculteurs éleveurs qui veulent sortir du secteur, mais les vaches pleines coûtent si peu qu'elles ne se vendent pas et sont rachetées. C'est une occasion pour les jeunes éleveurs, qui entrent dans le marché. S'ils peuvent acheter une bonne vache pleine à 400 ou 500 $, tant mieux.
Le sénateur Gustafson : Elle rapportera 1 200 $.
M. Lynch-Staunton : Oui. Ces choses-là se produisent, mais nous ignorons quelle sera la tendance.
Il y a aussi une compression de la demande américaine pour les bovins de reproduction. Leur nombre a baissé à cause de la sécheresse. On dit que nombre de ces éleveurs veulent reconstituer leurs troupeaux, et c'est un autre facteur à prendre en compte. Il y a beaucoup de facteurs en jeu, et nous ne savons pas encore ce que cela donnera.
Le sénateur Gustafson : Je pense que le bon bétail reviendra sur les fermes, et le moins bon disparaîtra. Toute cette situation accroît la pression sur le secteur.
M. Lynch-Staunton : C'est une période de changement, sans aucun doute.
[Français]
M. Dessureault : Il est inquiétant de constater que dans le passé ce secteur d'activités permettait aux producteurs de vivre avec 50 ou 60 vaches, et qu'aujourd'hui il y a des jeunes qui arrivent dans ce secteur de production et qui sont obligés d'avoir un travail à plein temps à l'extérieur.
Il y a un malaise profond quand on est plus capable de vivre de notre entreprise et d'avoir un niveau de vie décent, sans avoir à travailler à l'extérieur. Parmi nos fonctionnaires canadiens, de grands penseurs disent que la production bovine devrait se développer comme cela. Est-ce qu'il y a beaucoup d'industries au Canada qui se sont développées en disant : mes employés doivent travailler ailleurs pour faire vivre d'entreprise. On ne peut plus continuer de fonctionner de cette façon au Canada. On devrait en prendre conscience; ces fermes ont leur place dans toutes nos régions canadiennes. Que faisons-nous pour que ces fermiers puissent en vivre décemment? Je ne parle pas de 50 vaches, c'est peut-être rendu à 70 ou 100 vaches. C'est important que les gens puissent vivre de leur entreprise. Ils chercheront dans la même municipalité pour du travail. Ils veulent que leurs enfants aillent dans les mêmes écoles et aient accès aux études supérieures. Mais si tu n'as pas de revenu. On peut travailler à l'extérieur et travailler sur la ferme, mais à se diviser ainsi, on n'aura pas la qualité du bétail qu'on avait. Il y a des conséquences et un sérieux questionnement de société à faire. Vous êtes dans des situations stratégiques qui peuvent inciter le gouvernement canadien, nos élus, à prendre de bonnes orientations. Cela s'applique aux fermes naisseurs et automatiquement, cela se transposera chez les fermes finisseurs. Il n'y a pas si longtemps, le secteur des céréales était désastreux au Canada et une déstructuration a eu lieu, et la situation des éleveurs de bovins s'en va vers la même direction. Le temps est propice pour donner un coup de barre important au Québec. On a besoin de l'appui des sénateurs pour éclairer correctement les décideurs sur les bonnes orientations à prendre.
[Traduction]
Le sénateur Gustafson : Le problème, c'est qu'il n'y ait pas de retraçage. Je me souviens quand en Europe, on prônait les emplois hors ferme pour les agriculteurs. L'Allemagne privilégiait particulièrement cette idée. C'est maintenant chose courante au Canada. Nous ne saurons pas de quoi aura l'air le secteur des céréales dans trois ou quatre ans, ou même dans deux ans, parce que bon nombre de petits agriculteurs louent leur terre à quelqu'un qui en exploite peut- être 150 quarts de section. C'est généralisé. Ces gens ne reviendront jamais à la céréaliculture, c'est impossible. La situation aura un effet sur la valeur foncière et ce mouvement aura beaucoup de retombés dans le secteur de l'agriculture au Canada.
J'estime que nous n'avons pas envisagé l'agriculture canadienne sous un angle global, ni l'effet du commerce sur les exploitations canadiennes. Le gouvernement doit se pencher sur le secteur agricole et dire : « Voici vers quoi nous allons, voici ce que nous voulons pour le secteur agricole et ce qu'il sera. » Il n'y a plus d'autres choix.
La présidente : Quelqu'un veut-il formuler un commentaire? Bien, je vais donc poser une question. Pendant cette pénible affaire de l'ESB, notre comité comprenait vos difficultés. Qu'il m'en souvienne, au fur et à mesure qu'évoluait la situation, on entendait de plus en plus l'idée audacieuse selon laquelle nous devrions avoir nos propres abattoirs. D'ailleurs je pense qu'il s'est fait quelque chose de ce genre en Colombie-Britannique et au Manitoba, et qu'en Alberta, pendant cette période, de grands efforts ont été déployés. On s'attendait à ce qu'il se produise quelque chose dans votre secteur, monsieur Lynch-Staunton, ainsi qu'à Lethbridge et ailleurs dans la province. Mais rien ne s'est produit. Est-ce à cause de la présence dominante des organisations américaines, ou est-ce à cause du concept de la commercialisation par créneau, avait-on envisagé des abattoirs différents, puis on les a oubliés? Que s'est-il produit?
M. Lynch-Staunton : La capacité de nos abattoirs est passée pendant cette période de 72 000 bovins pas semaine à 105 000. Cette croissance est surtout due à une expansion des grands abattoirs. Ces entreprises avaient la compétence nécessaire et pouvaient s'adapter à l'augmentation de volume.
Beaucoup d'initiatives relevaient des producteurs. Dans une mauvaise passe, les gens collaborent pour essayer de s'en sortir. S'ils pensaient que la frontière américaine ne rouvrirait pas, cela faisait une différence.
Pendant la période où les marges étaient élevées pour les abattoirs, la plupart de ces initiatives n'ont pas été lancées. Il y en a une que je connais bien, c'est celle de Ranchers', qui a été confrontée à toutes sortes de problèmes de réglementation, à commencer par les approbations à obtenir. Son ouverture s'est produite au pire moment, juste après la réouverture de la frontière et le retour de la concurrence des abattoirs américains. Nous savons tous ce que Ranchers' a depuis fermé ses portes. L'entreprise sera sans doute vendue et remise sur les rails par quelqu'un d'autre.
Les deux principaux abattoirs sont des colosses, mais dans l'Ouest, il y a aussi l'achat par Excel de deux abattoirs du Nord-Ouest du Pacifique, tout n'est donc pas noir. Quoi qu'on pense des grands abattoirs, ils font bien leur travail.
Il serait naïf pour un groupe d'agriculteurs d'essayer d'amasser le capital nécessaire. C'est un peu comme si mes amis et moi, nous nous exercions au hockey quelque temps, pour jouer contre le sénateur Mahovlich. Nous ne ferions pas long feu. Nous aurions beaucoup de choses à apprendre de lui, avant de pouvoir rester sur la même patinoire. C'est la vie.
La présidente : Nous espérions que certains de ces nouveaux groupes puissent être compétitifs, mais ce n'était pas possible. Qu'est-il arrivé à l'idée de trouver de nouveaux marchés, des créneaux, ceux dont parlaient ces petites organisations? Est-ce une idée qui est encore enthousiasmante pour certains? Est-ce qu'on s'en tient aux vieilles façons de faire?
M. Lynch-Staunton : Des créneaux sont visés. Un groupe de producteurs locaux de mon coin de pays, Diamond Will, essaie d'entrer dans le marché de la viande biologique. Il a fallu beaucoup d'efforts, mais c'est en train de devenir une réussite. Ce marché semble en pleine expansion, mais il reste que l'abattage et le conditionnement sont confiés à d'autres.
Il y a un potentiel de ce côté. Mais tant que le gros de notre production est une marchandise donnée, il sera difficile de concurrencer les professionnels de ce marché.
Les éleveurs étaient vraiment naïfs parce qu'on avait toujours cru que les abattoirs s'enrichissaient à nos dépens. Pourtant, historiquement, dans le secteur de l'abattage et du conditionnement, les marges étaient faibles et ceux qui s'enrichissaient étaient ceux qui y excellaient.
Le sénateur Mahovlich : Nous parlons de marchés à créneau. Dans l'ouest, nous avons été rendre visite un agriculteur. Apparemment, en Inde, il y a une demande pour les colombes. Il a une ferme porcine, et il va élever des colombes. Je n'en ai plus entendu parler, mais je me demandais s'il se débrouillait bien. Le profit était presque garanti pour lui, ce qui était difficile à croire.
La présidente : Des colombes ou des pigeons?
Le sénateur Mahovlich : Je pense que c'était des colombes, mais c'était peut-être des pigeons.
La présidente : Je n'ai pas eu de nouvelles de cet agriculteur, depuis notre visite.
Le sénateur Mahovlich : Il convertissait toute son exploitation. Ces oiseaux doivent être élevés en milieu fermé et il a donc converti sa ferme porcine en bâtissant des cages pour les colombes.
M. Lynch-Staunton : On voit beaucoup de choses de ce genre, et c'est encourageant; mais si trop de gens élèvent des colombes, le prix baissera éventuellement.
Le sénateur Mahovlich : Oui, en effet.
M. Lynch-Staunton : Je suis optimiste quant aux choses que peuvent accomplir les agriculteurs, mais ils n'y parviendront pas du jour au lendemain.
[Français]
M. Dessureault : J'ai envie de réagir un petit peu sur les nouvelles expériences de production. Souvent, ce sont ceux qui démarrent les nouvelles productions qui, dès le départ, s'en sortent bien. On a l'exemple des autruches au Québec. C'est supposé être un animal où le rapport entre le rendement et la conversion alimentaire est le meilleur au monde. Y a-t-il beaucoup de citoyens qui veulent manger de l'autruche? Ce sont des marchés très segmentés et très pointus. Lorsqu'on parle des marchés de niche, le premier marché à desservir, c'est celui des commodités. Monsieur et Madame Tout-le-Monde, lorsqu'ils vont dans une chaîne de magasins, ils achètent les produits qu'ils ont l'habitude de manger. De temps à autre, ils se laisseront tenter par un produit de spécialité, de niche. Il y a des exemples où cela fonctionne bien, il y a l'exemple Angus, dans le bœuf, un exemple nord-américain qui a sa valeur. Mais développer un marché de niche demande beaucoup d'argent en développement. Quand vous êtes une nouvelle entreprise, que vous vous lancez dans l'abattage de transformation des animaux, le premier marché que vous ciblez, c'est le marché de commodité. On a abattu, on a de la viande à vendre, on travaille avec des produits périssables, sauf si on fait de la congélation, mais l'objectif n'est pas d'entreposer.
Au Québec, on avait un abattoir de bouvillons qui faisait du développement vers un marché de niche. Il a eu des problèmes et il est fermé. Cela ne veut pas dire qu'on n'abattra plus de bouvillons au Québec, mais le premier marché est celui des commodités et après, si on est capable de développer des marchés de niche auxquels le consommateur va adhérer. À cet effet, je reviens au programme Angus, le montant d'argent investi juste dans cette appellation, qui est un marché de niche, constitue, à mon avis, des sommes faramineuses. En même temps, il faut rester compétitif avec le marché de commodité.
Le sénateur Lynch-Staunton parlait de biologique. Il y a des demandes de nombreux acheteurs pour les produits biologiques, mais quand on leur demande quel sera le prix payé à la ferme, la prime aux producteurs, ils se sauvent rapidement; il faut donc être en mesure de faire face à cette réalité. Il y a de la place pour ces marchés de niche, il y a des coûts pour les atteindre, et la réaction d'achat du consommateur est tout le temps en fonction du coût de ce qu'il est capable de payer aujourd'hui. Heureusement ou malheureusement, au Canada, notre consommateur canadien est habitué à avoir des produits alimentaires à prix fort abordables, donc il payera un petit peu plus pour les produits spécialisés dans certaines occasions. On reçoit un ancien collègue avec qui on a joué au hockey, par exemple, c'est dans ces circonstances qu'on pensera en mettre un peu plus. Oui, il y a de la place pour les marchés de niche, mais ce n'est pas la panacée et on a des projets dans certains marchés de niche, mais on sait que les dollars investis en développement de ces marchés ne sont actuellement pas dans nos entreprises.
[Traduction]
La présidente : Sénateurs, avez-vous d'autres questions?
Le sénateur Gustafson : Ce que nous cherchons, ce sont les réponses.
La présidente : Je remercie les témoins d'être venus, malgré le court préavis. Étant donné la provenance des membres du comité, je peux vous dire que nous suivons ce qui se passe dans vos régions. Nous avons jugé qu'il était temps de vous parler, à vous deux qui vivez cela tous les jours.
Nous sommes désolés que la tempête sévisse aujourd'hui, mais nous sommes ravis qu'elle vous ait amenés. Cette séance a été intéressante pour nous, j'espère qu'elle l'a été pour vous. Je pense pouvoir parler au nom du comité en vous souhaitant que vos consultations auprès du gouvernement soient utiles. Nous savons qu'il y a toujours des problèmes à régler, des modifications à apporter pour que nous continuions à être les meilleurs agriculteurs du monde, d'après mon opinion. Notre pays a grandi avec l'agriculture et nous ne voulons pas y mettre fin. Merci pour tout ce que vous faites.
La séance est levée.