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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 1 - Témoignages du 29 novembre 2007


OTTAWA, le jeudi 29 novembre 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 3 afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, honorables sénateurs et témoins.

En mai 2006, ce comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. Depuis ce temps, le comité a publié un rapport intérimaire faisant un survol de la pauvreté rurale et du déclin des régions rurales. Le comité s'est déplacé dans toutes les provinces, a visité 17 localités rurales, a parlé à plus de 250 personnes et organismes de diverses régions du pays. Nous avons été vraiment touchés par les groupes merveilleux et variés de Canadiens qui ont accepté de partager leurs connaissances, leur passion et leurs inquiétudes avec nous. Nous avons été impressionnés par leur générosité et par leur accueil. Ils nous ont en effet accueillis à bras ouverts dans leurs localités et parfois même chez eux.

Le comité en est aux dernières étapes de son étude. Par conséquent, il est important pour nous d'entendre les représentants clés des organismes afin de s'assurer de bien comprendre les problèmes auxquels font face les Canadiens des régions rurales. C'est pourquoi, nous sommes heureux d'entendre aujourd'hui les témoignages d'organismes de commercialisation du secteur de la gestion de l'offre au Canada. La gestion de l'offre a pour but d'assurer un approvisionnement stable, à un prix raisonnable, des produits laitiers, de la volaille et des œufs pour les consommateurs canadiens et l'industrie agroalimentaire.

J'ai le plaisir de souligner aujourd'hui que la gestion de l'offre est un mécanisme qui permet de garantir un revenu stable aux agriculteurs.

Nous accueillons ce matin Gyslain Loyer, président des Producteurs d'œufs d'incubation du Canada; Wayne Kroeker, vice-président de l'Office canadien de commercialisation du dindon; Jacques Laforge, président des Producteurs laitiers du Canada; Mike Dungate, directeur général des Producteurs de poulet du Canada; et Laurent Souligny, président de l'Office canadien de commercialisation des œufs.

Nous disposons aujourd'hui de deux heures pour couvrir un éventail très varié de questions. J'invite donc les honorables sénateurs à poser si possible des questions brèves et concises, afin de permettre à nos témoins d'y répondre de façon complète. De cette manière, chacun contribuera ce matin au bon déroulement de cette très importante réunion.

Bienvenue à tous. Qui veut commencer?

Laurent Souligny, président, Office canadien de commercialisation des œufs : Je veux bien commencer. Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. Au nom des producteurs canadiens du lait, des œufs et de la volaille, j'aimerais vous remercier, madame la présidente et tous les membres du comité de nous avoir invités ici aujourd'hui pour vous entretenir de la question extrêmement cruciale qu'est la pauvreté rurale au Canada.

Ensemble, nous représentons les intérêts des producteurs de partout au Canada qui produisent et commercialisent conformément aux principes de la gestion de l'offre nationale. Les producteurs de nos cinq produits ont choisi de faire affaire en vertu de ce système propre au Canada qui consiste à faire correspondre la production à la demande des consommateurs canadiens tout en permettant aux producteurs de tirer un prix équitable du marché, sans avoir à compter sur les subventions des contribuables.

La gestion de l'offre relève des autorités législatives fédérales et provinciales. Les allocations de la production sont établies et les producteurs versent un droit pour leur production pour permettre la commercialisation coopérative par des organismes nationaux et des offices provinciaux.

Puisque nous produisons en fonction de la demande, nous évitons les surplus dispendieux et nos producteurs tirent leur revenu du marché, et non pas des subventions gouvernementales.

C'est avec un grand intérêt que nous avons suivi les activités du comité du Sénat consacrées à l'étude de la pauvreté rurale. Cette question est un sujet crucial et nous félicitons le comité de s'y attaquer. Nous espérons que notre présence aujourd'hui contribuera à vos efforts soutenus vers la production d'un rapport final.

Aujourd'hui, nous sommes heureux de vous faire part de la perspective de l'industrie agricole soumise à la gestion de l'offre en ce qui a trait à la pauvreté rurale. Il est important de contribuer à la résolution de ce problème et de définir le rôle que le gouvernement devrait jouer pour relever le défi. Notre message d'aujourd'hui est clair : un appui constant et vigoureux par le gouvernement en faveur de la gestion de l'offre aux tables de négociation de l'OMC est une composante cruciale pour aborder la situation économique actuelle et future du Canada rural.

Si la gestion de l'offre était limitée au Canada, les répercussions sur les économies rurales seraient sérieuses et profondes. La gestion de l'offre est un programme de gestion clé des risques commerciaux qui s'appuie sur trois piliers : la discipline de la production, les prix à la production et le contrôle des importations. Il est reconnu en tant que programme de gestion des risques opérationnels par les ministères fédéraux et provinciaux de l'agriculture, puisqu'il aide les producteurs de lait, de volaille et d'œufs à gérer les risques du marché sans faire appel aux deniers des contribuables.

L'appui soutenu de la gestion de l'offre est une composante essentielle de toute stratégie gouvernementale visant la pauvreté rurale. En fait, nous croyons que la gestion de l'offre est un modèle qui peut servir à réduire la pauvreté rurale dans le monde entier. Le Canada continue d'être un leader à cet égard.

Une industrie agricole vigoureuse est essentielle pour des collectivités rurales fortes qui répondent aux besoins sociaux et économiques d'une partie importante de la population du Canada. Ensemble, les industries du lait, de la volaille et des œufs contribuent une somme nette de 12,3 milliards de dollars au PIB, génèrent 7 milliards de dollars en recettes monétaires agricoles, soutiennent plus de 39 milliards de dollars d'activités économiques et emploient plus de 214 000 personnes dans l'ensemble du pays. La majorité de cette activité a lieu au sein du Canada rural, ce qui fait de la gestion de l'offre le pivot économique des collectivités rurales.

Nos producteurs, leurs employés et les fournisseurs appuient financièrement les collectivités locales rurales par des activités telles que l'achat d'un sandwich au restaurant du coin ou de fournitures à la quincaillerie locale. Nous appuyons socialement nos collectivités en inscrivant nos enfants dans des équipes de hockey aux arénas locales ou en siégeant à des conseils locaux pour les hôpitaux ou les écoles. De nombreuses usines d'aliments pour nos animaux et installations de transformation pour nos produits sont également situées dans les régions rurales du Canada. À mesure que les populations rurales diminuent, l'assiette fiscale est de plus en plus réduite et peine à soutenir l'infrastructure rurale de base. La gestion de l'offre demeure un pilier de l'assiette fiscale rurale. Par ailleurs, le Canada rural est un endroit agréable à visiter et où il faut bon vivre.

La gestion de l'offre a des avantages positifs, de la ferme jusqu'à la table du consommateur. Nous représentons une réussite dans l'agriculture du Canada; nous sommes une réussite dans le Canada rural.

Les producteurs soumis à la gestion de l'offre reçoivent un prix équitable pour les aliments qu'ils produisent et, de ce fait, ne dépendent pas des subventions gouvernementales ni des deniers des contribuables pour gagner leur vie. Cette stabilité permet aux producteurs d'investir en vue d'améliorer l'industrie, notamment dans le secteur de la génétique, de la salubrité des aliments, de la recherche et des soins à long terme aux animaux, ce qui aide ainsi à assurer l'avenir de nos industries et du Canada rural.

Les entreprises de transformation sont assurées de la quantité et de la qualité des aliments qu'elles recevront sur une base annuelle, leur permettant ainsi de planifier de manière précise leurs activités commerciales et leur croissance.

La gestion de l'offre permet également de répondre à la demande des consommateurs canadiens qui recherchent des produits locaux, frais et de qualité pendant toute l'année, et à des prix raisonnables. Un nombre impressionnant de Canadiens apprécient le rôle que joue la gestion de l'offre dans notre économie. Selon un récent sondage de Léger Marketing, 83 p. 100 des répondants conviennent que la gestion de l'offre est une meilleure approche que les subventions financées par les contribuables pour assurer un revenu stable aux producteurs. Par ailleurs, 85 p. 100 conviennent que le gouvernement doit appuyer la gestion de l'offre pendant les négociations de l'OMC.

Comme vous l'avez sans doute attentivement observé, la pérennité du Canada rural est une composante clé de toute stratégie à long terme sur la pauvreté rurale. Votre comité doit s'assurer que les solutions qu'il propose aujourd'hui et qui visent à réduire la pauvreté rurale sont durables afin d'assurer la viabilité à long terme des économies rurales. La gestion de l'offre, en tant que système de production et de commercialisation qui permet aux producteurs de retirer un revenu équitable entièrement du marché, est un modèle de durabilité rurale. Les producteurs soumis à la gestion de l'offre peuvent compter sur une tarification uniforme pour leurs produits, ce qui leur permet d'investir en toute confiance pour améliorer la durabilité de leurs activités de façon continue.

[Français]

Gyslain Loyer, président, Canadian Hatching Egg Producers : Madame la présidente, nous croyons comprendre que vous avez entendu de la part de nombreux témoins pendant votre étude, que l'un des défis de la viabilité économique future du Canada rural est le haut niveau de migration des jeunes vers l'extérieur de nos régions rurales. Dans les groupes non soumis à la gestion de l'offre, les jeunes ont vu leurs parents se battre constamment contre les difficultés financières afin de joindre les deux bouts sur la ferme tout en ayant souvent un deuxième emploi à l'extérieur de la ferme. Ce n'est pas toujours un avenir intéressant pour la prochaine génération.

Les occasions économiques sont nécessaires pour attirer et garder les jeunes dans les régions rurales. Les activités de la gestion de l'offre présentent des possibilités financières fiables pour la prochaine génération et les jeunes ont vu leurs parents contribuer avec succès à la collectivité rurale. Un grand nombre de nos producteurs sont jeunes, par exemple, dans le secteur de la volaille, 34 p. 100 ont entre 30 et 44 ans.

Dans un sondage, Ipsos-Reid de 2003, 75 p. 100 des producteurs soumis à la gestion de l'offre ont déclaré qu'ils encourageraient les jeunes à s'intéresser au domaine agricole, et 63 p. 100 d'entre eux ont répondu qu'ils s'attendaient à ce que leurs enfants prennent la relève. Par contre, seulement 59 p. 100 des producteurs non soumis à la gestion de l'offre ont déclaré qu'ils encouragent les jeunes à devenir des producteurs agricoles et 46 p. 100 d'entre ont déclaré qu'ils s'attendaient à ce que leurs enfants prennent la relève. Pourtant, sans la certitude que le gouvernement défendrait avec succès le modèle de la gestion de l'offre aux tables de négociations à l'OMC, il se peut que nous soutenions une jeune génération qui hésite à investir son avenir dans l'agriculture et, par conséquent, dans l'avenir du Canada rural.

Les Canadiens, tant dans les régions urbaines que rurales conviennent que la salubrité des aliments à l'échelle nationale devrait être prioritaire. Dans le sondage Léger que nous avons mentionné plus tôt, 98 p. 100 des Canadiens conviennent qu'il est important d'avoir accès à un approvisionnement stable d'aliments salubres produits au Canada et 98 p. 100 veulent maintenir de solides communautés agricoles dans notre pays. La gestion de l'offre aide à répondre à ces demandes.

Le marché national est le marché principal pour l'ensemble de toute l'agriculture canadienne. Les revenus de la production canadienne des produits agroalimentaires et de l'agriculture, c'est-à-dire 71 p. 100, proviennent du marché national. Cela démontre que l'agriculture canadienne porte déjà une attention particulière à répondre aux besoins du Canada en premier lieu. Lorsque vient le temps de la gestion de l'offre, la grande majorité de nos demandes de lait, d'oeufs et de volailles au Canada est assurée par la production canadienne.

J'aimerais prendre quelques minutes avant de conclure pour clarifier les étapes qui, selon nous, sont nécessaires pour défendre l'importante contribution de l'industrie, soumise à la gestion de l'offre. Il est essentiel que toute entente négociée à l'OMC tienne compte de la flexibilité requise au point de vue du maintien de la gestion de l'offre et de ses trois piliers au Canada : la discipline de la production, les prix à la production et le contrôle des importations. Ces trois piliers sont tous aussi importants les uns que les autres et tout affaiblissement de l'un des trois compromet le système en entier.

Pour maintenir la gestion de l'offre, le Canada doit négocier un texte qui n'entraînera pas de pertes économiques dans nos secteurs. Si nos secteurs assument des pertes, il en ira de même pour le Canada rural. Les politiques nationales et internationales doivent respecter le maintien de nos programmes de gestion de l'offre. Nous devons défendre la gestion de l'offre à l'échelle internationale en nous assurant que les ententes commerciales prévoient les outils et mécanismes assurant la continuité de nos activités. Nous avons également besoin de politiques plus rigoureuses à l'échelle nationale, qui reconnaissent l'importance de la gestion de l'offre à réduire les risques opérationnels. Les systèmes de gestion de l'offre, qui se fondent sur les trois piliers décrits ci-dessus, sont comme le tabouret à trois pattes utilisé pour traire — retirer un pied détruit le tabouret. Nous sommes confiants qu'ayant écouté notre présentation, vous conviendrez avec nous que la survie du modèle de la gestion de l'offre est un élément de la stabilité rurale qui ne peut pas et ne doit pas être retiré par voie de négociations.

En terminant, j'aimerais remercier à nouveau les membres du comité d'avoir invité nos organisations à vous présenter notre perspective sur la question de la pauvreté rurale. Les recommandations que nous formulons aujourd'hui sont cruciales. Nous demandons respectueusement au comité qu'il énonce clairement dans son rapport final que la stabilité et la viabilité économiques des collectivités rurales sont intimement liées à un système de gestion de l'offre vigoureux. Nous renouvelons également notre demande que le gouvernement canadien préserve les trois piliers de la gestion de l'offre dans leur entièreté aux tables de négociations à l'OMC.

Je vous remercie de l'intérêt que vous avez porté à notre présentation d'aujourd'hui et nous anticipons avec plaisir le dépôt du rapport final du comité sur cette étude.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. J'aimerais souhaiter la bienvenue à Don Boudria, qui est assis en arrière. M. Boudria est député depuis longtemps à la Chambre des communes; sans lui, je sais que nous n'aurions pas pu avoir cette réunion. Nous remercions sincèrement notre ami.

Le sénateur Callbeck : Merci d'être venus ce matin nous présenter votre exposé.

Vous avez présenté d'excellents arguments en faveur de la gestion de l'offre et je partage votre point de vue. Je pense que ce mécanisme garantit aux producteurs un prix basé sur la production. De son côté, le consommateur obtient un produit sûr et de bonne qualité.

Ayant moi-même grandi dans une région rurale de l'Île-du-Prince-Édouard, je connais beaucoup de producteurs agricoles qui ont bénéficié de la gestion de l'offre. Je pense que ce mécanisme est extrêmement bénéfique pour les régions rurales du Canada. Dans le cadre de ses déplacements dans le pays, le comité a tenu diverses assemblées au cours desquelles nous avons entendu le témoignage de personnes favorables à la gestion de l'offre. Je dois dire que je partage le point de vue de ces personnes.

Cependant, certains témoins ont affirmé que la gestion de l'offre était devenue au fil des années un système qui favorise les grandes entreprises agricoles et profite aux grandes usines de transformation. Je vous donne l'occasion de vous exprimer à ce sujet. Je ne pense pas que ce soit vrai, mais voilà ce que certains critiques reprochent au système; j'aimerais entendre votre point de vue à ce sujet.

Jacques Laforge, président des Producteurs laitiers du Canada : Sénateur Callbeck, voilà une question qui mérite réflexion. Au niveau de la production agricole par opposition à la transformation, les producteurs ont opté pour des choix différents. L'adhésion à une coopérative pourrait passer pour une forme d'intégration, mais ces choix sont faits dans une perspective commerciale.

Dans le cas de l'industrie laitière plus particulièrement, environ 14 500 à 15 000 producteurs au Canada ont opté pour la commercialisation collective de leur lait. Dans le secteur de la transformation, la rationalisation a été assez forte. Trois grandes sociétés assurent le traitement de 75 à 80 p. 100 du lait, mais leur cas n'est pas différent. Ce type de rationalisation n'est pas différent de celui des autres industries agricoles. Il vise à répondre à certaines pressions financières en permettant à chacun de réduire ses coûts de production grâce aux économies d'échelle. Voilà exactement comment nous l'interprétons.

Au Québec, nous avons une grande coopérative qui appartient à la majorité des producteurs. Elle est très prospère, mais elle est tout à fait indépendante du secteur de la production. Tous les agriculteurs du Québec sont membres de leur fédération et vendent leur lait à Agropur aussi bien qu'aux Aliments Saputo, à Kraft ou à Parmalat. Voilà pour la structure.

M. Souligny : Dans le secteur avicole c'est vrai qu'il existe des exploitations plus grandes à certains endroits. Cependant, si l'on prend le cas de l'Ontario qui concentre près de 40 p. 100 de la production, le producteur moyen dispose d'environ 20 000 pondeuses. Ce n'est pas une grande exploitation.

Dans les provinces de l'Ouest, les chiffres sont encore plus bas. Au fil des ans, nous avons perdu quelques producteurs, mais dans l'ensemble, le système atteint l'objectif qui a présidé à sa création.

Je ne pense pas que les grandes entreprises deviennent de plus en plus grandes; c'est tout simplement qu'il y a des règlements qui nous permettent de conserver le nombre d'exploitants existant.

Mike Dungate, directeur général, Producteurs de poulet du Canada : Dans le secteur du poulet, les exploitations appartiennent à des producteurs individuels, aussi bien dans les secteurs de l'exploitation que dans celui de la transformation. Certains entrepreneurs ont développé les entreprises à ce niveau et c'est toujours la situation qui prédomine, tant dans le secteur de la production que celui de la transformation. Il existe quelques coopératives. Je crois qu'il n'existe que deux usines de transformation qui soient des sociétés dûment constituées et cotées en bourse.

Depuis une dizaine d'années, on compte 2 800 exploitants avicoles au pays et nous n'avons constaté aucune diminution. La production et la taille de ces exploitations ont augmenté, étant donné que nous avons réussi à augmenter la consommation de poulet de plus de 50 p. 100 au cours de la dernière décennie. Par conséquent, toutes les exploitations ont grandi. Cependant, il n'y a pas eu un nombre disproportionné de fusions et de regroupements dans l'industrie; il s'agit tout simplement d'un phénomène de croissance qui s'avère positif pour l'ensemble de l'économie.

Le sénateur Callbeck : Je voulais également vous parler de l'agriculture biologique. Est-ce que vous encouragez ce type d'agriculture et de quelle manière? Quel est à peu près le pourcentage de la production globale que représente l'agriculture biologique?

M. Souligny : Pour ce qui est de la production biologique, l'OCCO a pour mandat de fournir aux consommateurs les produits qu'ils demandent. Par exemple, nous commercialisons des œufs de plein air, des œufs de poule élevée au sol, des œufs de poule biologique, des œufs Oméga-3.

Oui, nous avons constaté une croissance, mais celle-ci n'est pas débridée. Elle est assez bien gérée. C'est surtout en Colombie-Britannique que la production biologique est la plus grande, c'est là que la demande est la plus forte. Toutefois, à l'OCCO, nous nous penchons sur cette situation.

Le sénateur Callbeck : Pourquoi la demande est-elle plus forte en Colombie-Britannique que dans les autres provinces?

M. Souligny : Je ne peux pas répondre à cette question. Je n'en ai aucune idée.

M. Laforge : Les conditions sont différentes.

M. Souligny : Le climat est un facteur. Comme vous le savez, les poulets biologiques doivent avoir accès à l'extérieur. En Ontario, les poulets de plein air ne seraient pas très tentés d'aller dehors à la mi-janvier. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles les producteurs biologiques sont plus nombreux dans des endroits comme la Colombie- Britannique.

Le sénateur Callbeck : En gros, quel est le pourcentage de la production biologique?

M. Souligny : Au Canada, environ 3 à 5 p. 100. Ce n'est pas un gros pourcentage.

Le sénateur Callbeck : Et, quel est le pourcentage en Colombie-Britannique?

M. Souligny : Il est d'environ 10 p. 100.

Le sénateur Callbeck : La différence est si grande?

M. Souligny : Oui.

Le sénateur Peterson : Merci aux témoins. Dans votre exposé, vous avez souligné à plusieurs reprises l'importance pour le gouvernement fédéral de défendre la gestion de l'offre à l'OMC. Est-ce une simple déclaration ou avez-vous l'impression que ce soutien s'affaiblit?

M. Laforge : L'OMC est un groupe assez imposant. Je crois que tous les partis politiques canadiens ont précisé clairement qu'ils sont favorables à la gestion de l'offre.

Nous voulons défendre la gestion de l'offre en utilisant la bonne stratégie et la bonne approche et, dans le cas de négociations aussi intenses que celles-ci, il faut vraiment veiller à ce que tous les éléments nécessaires à la gestion de l'offre — les trois piliers dont a parlé M. Souligny — soient bien compris et protégés. Voilà pourquoi nous nous intéressons parfois à la stratégie. Chaque gouvernement a sa propre stratégie qu'il ne peut pas exposer publiquement, étant donné qu'il est en négociation avec d'autres pays. C'est dans ces secteurs que nous souhaitons que le gouvernement fasse un maximum d'effort pour défendre ces trois piliers.

Le sénateur Peterson : Vous avez parlé des coûts de production qui, comme vous le savez, font partie intégrante de tout le processus d'exploitation. Dans l'Ouest du Canada, les producteurs de céréales, les producteurs de porc et les producteurs de bétail sont extrêmement touchés. Pensez-vous qu'il serait possible d'utiliser un modèle en matière de coûts de production dans l'industrie agricole au Canada?

M. Laforge : C'est un bien grand mot. Bien souvent, c'est un simple guide pour aider les agriculteurs à obtenir un bon rendement. Une certaine efficience est indispensable pour que tous les exploitants agricoles du Canada parviennent à récupérer leurs coûts de production. En matière de gestion de l'offre, la formule prévoit un certain niveau d'efficience pour déterminer ces éléments. Il est juste de dire que nous devrions tous récupérer nos coûts de production. Pour obtenir un bon rendement, la gestion de l'offre doit discipliner la production. C'est un des éléments clés sur lequel les opinions varient selon le type de produit. Nous ne cherchons pas à imposer la gestion de l'offre à ceux qui n'en veulent pas. La gestion de l'offre a été créée avec l'appui de la majorité des producteurs dans chaque secteur. Voilà comment le gouvernement l'a créée.

Dans le cas des céréaliculteurs du Canada, je ne pense pas que la gestion de l'offre soit utile, étant donné que le grain est un produit axé sur l'exportation. La plupart des grains sont des produits écoulés sur la scène internationale. Chaque produit a une valeur sur un marché. Pour certains produits, il faut faire appel à des outils différents. Nous n'avons pas la prétention de dire aux autres secteurs agricoles ce qu'ils devraient faire ou ne pas faire. Ils choisissent eux-mêmes l'avenue qu'ils souhaitent prendre.

Le sénateur Peterson : Comment la gestion de l'offre se répartit-elle dans le pays? Quels sont les pourcentages dans les différentes régions?

M. Laforge : Il y a de grandes différences entre la production de volaille et la production laitière. Dans le secteur laitier, les deux plus importantes provinces sont l'Ontario et le Québec qui produisent environ 68 à 70 p. 100 du lait. Elles sont suivies des provinces de l'Ouest, de la Colombie-Britannique et de l'Alberta. Dans toutes les autres provinces, les pourcentages sont à peu près les mêmes. Il y a des variations et la capacité de transformation suit les mêmes schémas.

M. Souligny : Dans le cas de la production d'œufs, l'Ontario et le Québec sont les plus grands producteurs — l'Ontario représente 38 p. 100 et le Québec environ 18 p. 100. Le Manitoba, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont à peu près le même nombre de pondeuses que les provinces de l'Atlantique. Les Territoires du Nord-Ouest sont aussi producteurs d'œufs. Cette production est soumise à la gestion de l'offre. Ils ont une allocation d'environ 125 000 pondeuses.

C'est en Ontario et au Québec que se fait la plus grande partie de la production. Le côté positif de la gestion de l'offre est que tous les producteurs bénéficient du même traitement, quel que soit le pourcentage produit par la province.

Le sénateur Gustafson : Nous nous dirigeons rapidement vers une économie mondiale. Le commerce du Canada, simplement avec les États-Unis, atteint près de 1,5 milliard de dollars quotidiennement. Ce commerce permet d'améliorer la qualité de vie au Canada et de renforcer l'économie de notre pays, et cela a même eu des répercussions sur notre dollar, comme nous avons pu le voir ces jours derniers.

Est-ce que la gestion de l'offre renforce ce secteur et de quelle manière? Il y a deux éléments à examiner. Combien le sénateur Mahovlich devrait-il débourser s'il voulait se lancer dans l'élevage de poulets ou dans la production laitière pour acheter un contingent? Est-ce qu'il lui serait impossible de se lancer dans ce type d'activité puisqu'il ne vient pas du milieu agricole? Par exemple, quel est le quota qui s'applique à une vache laitière?

M. Laforge : Vous posez une question assez précise et nous pourrions sans doute parler de ses différents aspects pendant quatre heures.

Le sénateur Gustafson : Il vaut autant évoquer les questions véritables.

M. Laforge : Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas éluder votre question. Vous faites allusion aux échanges qui sont vraiment très réduits entre producteurs. Dans le secteur laitier, lorsqu'un producteur est dans l'impossibilité de respecter ses contingents de production une année, en raison de certains problèmes d'élevage, par exemple si ses vaches vêlent trop tard, il existe un système qui permet aux éleveurs d'échanger des quotas entre eux. C'est ce que nous appelons la « valeur d'échange ». Il est possible d'échanger de 4 à 5 p. 100 du contingent total au cours d'une même année. Pour une vache, le contingent total aurait une valeur d'échange d'environ 22 000 à 25 000 $. Cependant, un producteur qui dispose de 100 vaches laitières n'échangera que l'équivalent de la production de deux vaches s'il ne peut pas respecter ses contingents de production, et un autre producteur laitier achètera ce contingent de production, si l'on choisit l'exemple du secteur laitier.

La gestion de l'offre n'a aucune incidence sur la capacité d'une personne à se lancer dans l'exploitation agricole. Mais il faut savoir qu'une telle démarche est coûteuse et intensive.

Laissez-moi prendre un exemple pour expliquer comment cela se passerait dans le cas d'une personne qui n'est pas du milieu agricole. Si aucun de mes enfants n'était intéressé à reprendre mon exploitation et que je souhaitais la vendre, je créerais une structure comportant un certain nombre d'actions que pourrait acheter petit à petit un de mes employés intéressé à reprendre l'exploitation. Cela pourrait lui prendre 15 ans pour acquérir l'ensemble des actions. Voilà le genre de choses qui se passe actuellement dans le secteur laitier.

Pour ce qui est de la valeur des contingents, vous pouvez me croire que tous les intervenants du milieu agricole souhaiteraient qu'ils soient gratuits. Cependant, pour des raisons de stabilité, les contingents ont une valeur accumulée. Un producteur laitier qui doit vendre son contingent laitier parce qu'il n'a personne pour reprendre son exploitation, peut en retirer une assez belle somme. Habituellement, l'exploitant vend son contingent, mais ses terres et ses bâtiments perdent de leur valeur, à moins qu'ils soient situés à proximité de la ville. C'est la même chose dans tous les secteurs de production.

La perspective de la valeur d'un kilogramme de matière grasse que représente un contingent n'est pas facile à saisir. Dans l'industrie laitière, nous avons mis en place depuis quelques années certains dispositifs qui empêchent l'escalade de la valeur des contingents, afin qu'ils demeurent abordables pour les producteurs qui continuent à exercer. C'est une des composantes du système qui fait l'objet de critiques. Nous en avons bien conscience et nous tentons de répondre à ces critiques afin de faire comprendre le système le plus clairement possible.

Le sénateur Gustafson : Aujourd'hui, nous parlons de la pauvreté rurale et, comme vous l'avez dit vous-mêmes, elle sera en régression si les habitants des régions rurales s'intègrent au système. Cela se produira automatiquement.

De nos jours, il est impossible pour une personne habitant dans une région rurale de se lancer dans l'élevage de poulets ou de vaches. Vous avez souligné que c'est vrai dans l'industrie du grain également, où les coûts sont si élevés, mais cela pose vraiment problème.

Autrefois, il était possible d'élever quelques poules et de vendre des œufs au marché. À l'heure actuelle, je crois que c'est interdit. Pouvez-vous me donner des précisions à ce sujet?

M. Souligny : Dans le secteur de la production des œufs, il y a environ un million de poules pondeuses qui ne sont pas soumises à la réglementation. Il est possible en effet d'élever une centaine de poules pondeuses. Cependant, si les œufs ne sont pas calibrés, il est impossible de les vendre à des détaillants.

Nous voulons nous assurer que les œufs qui arrivent sur les tablettes d'un magasin soient de la meilleure qualité possible. C'est pour des raisons de contrôle de la qualité plutôt que pour d'autres raisons que les producteurs ne peuvent pas vendre directement leurs œufs à des détaillants. Nous ne les empêchons pas de les vendre à l'entrée de leur ferme. Cependant, nous ne pouvons pas accepter qu'ils les vendent dans des magasins, car nous ne pouvons tolérer qu'une partie de nos producteurs pose un risque pour l'ensemble du secteur.

Puisque vous avez posé une question sur le coût du lancement dans la production agricole, permettez-moi de préciser que je pratique moi-même une culture industrielle afin de compléter ma production d'œufs. De nos jours, il faut beaucoup d'argent pour se lancer dans les cultures industrielles, peu importe la région où l'on se trouve. Le coût du terrain, du matériel, des graines, du carburant, et cetera, a considérablement augmenté.

Il est très coûteux de se lancer aujourd'hui dans la production agricole, que le produit soit soumis ou non à la gestion de l'offre. C'est extrêmement difficile, à moins que ce soit un employé ou un membre de votre famille, comme l'a dit M. Laforge, qui serait prêt à se lancer dans ce genre d'entreprise.

Certaines provinces ont mis sur pied des programmes d'aide aux agriculteurs débutants. C'est un aspect auquel nous nous intéressons. Nous avons conscience qu'il est difficile pour certains jeunes de se lancer dans le secteur agricole et nous nous penchons sur le sujet.

Le sénateur Gustafson : L'expression « exploitation familiale » n'est plus une réalité de nos jours. L'exploitation familiale est en voie de disparition. C'est la même chose dans le secteur céréalier et dans celui de la commercialisation. Il suffit d'examiner les statistiques des dix dernières années pour s'en rendre compte.

Cependant, le fait que les personnes qui profitent de l'agriculture sont de moins en moins nombreuses ne contribue en rien à réduire la pauvreté rurale. Cela nous ramène à nouveau au défi mondial. Où en sommes-nous à ce sujet?

Le défi mondial est une question très importante à laquelle le Canada ne peut échapper. Je me trouvais à Seattle au moment de la réunion de l'OMC. Vous vous souvenez sans doute de la commotion que cela avait causé. Depuis, selon moi, il ne s'est pas passé grand-chose à l'OMC. Il semble que les discussions stagnent. J'ai l'impression qu'un jour il va se passer quelque chose et je me demande si le Canada sera prêt à faire face à la situation.

M. Dungate : Vous avez posé au début une question concernant nos exportations. Dans le domaine de l'agriculture, le Canada est certainement une nation exportatrice, mais je pense qu'il faut remettre cela en perspective.

Globalement, 10 p. 100 de la production agricole est exportée. Le Canada exporte 30 p. 100 de sa production et joue un rôle important sur le plan commercial. Toutefois, cela signifie que 70 p. 100 de notre marché se trouve sur place. Même si nos exportations sont trois fois plus importantes que la moyenne mondiale, nous avons encore ici un marché pour tous nos produits. Il faut bien comprendre cela. Où est notre meilleur marché? Notre meilleur marché est ici même. C'est ici en effet que nous sommes les plus avantagés, étant donné que nous pouvons produire localement toutes sortes de denrées fraîches.

Nous offrons nos produits sur le marché mondial où la concurrence incite les entreprises à se regrouper. Dans nos secteurs, nous avons réussi à réduire le taux de regroupement. Nous continuons à produire des poulets dans toutes les provinces — nous avons une production commerciale active dans toutes les régions du pays.

Je suis convaincu que si nous n'avions pas le système actuel, notre secteur serait très concentré, probablement dans deux ou trois provinces. Les exploitations seraient énormes, parce que nous devrions affronter directement la concurrence des États-Unis, le plus grand producteur de volaille au monde.

Je pense que nous sommes capables de relever le défi. Comme l'a dit M. Laforge, nos exploitations deviennent de plus en plus efficientes chaque année parce que nous savons que nous devons encore écouler nos produits sur le marché et soutenir la concurrence. Sur le plan de la consommation, le poulet est en concurrence directe avec le bœuf et le porc. Si nous pratiquons des prix trop élevés, les consommateurs choisissent d'autres sources de protéines. Dans notre travail, nous tenons compte de tels éléments. Nous nous efforçons de devenir plus efficients et nous devenons plus efficients.

Le sénateur Gustafson : Que recommanderiez-vous au comité comme solution à la pauvreté rurale? Le problème a été facile à identifier, mais il ne sera pas aussi aisé de trouver une solution.

M. Laforge : Pour répondre à votre question, on peut dire qu'il y a sans doute deux choix. Il faut faire en sorte que la région rurale conserve sa base de production et que les producteurs agricoles — quelle que soit la taille de leur exploitation — tirent un rendement équilibré pour leur travail.

J'exploite une ferme laitière dans un secteur de production de pommes de terre; j'ai moi aussi cultivé la pomme de terre et je suis en mesure de constater que sur le plan de la rationalisation, le phénomène est le même dans le secteur de la pomme de terre et dans celui de la production laitière. Nous avons remarqué que lorsque la collectivité agricole devient beaucoup plus intensive et rationalisée, les exploitations qui prennent de l'ampleur font appel à plusieurs familles. Elles englobent plusieurs familles ou attirent des familles qui collaborent avec l'exploitant agricole. Si l'exploitant obtient un rendement meilleur ou plus stable, l'ensemble de la collectivité agricole en bénéficie.

Si le niveau de vie augmente dans une région rurale où l'agriculture est prospère, le niveau de vie augmente pour l'ensemble de la population, étant donné que l'économie est prospère. Il y a de l'emploi. Le niveau d'éducation est secondaire, puisqu'il y a des emplois et que les travailleurs mènent une vie plus aisée.

Voilà la dynamique. Si l'on élimine l'agriculture d'une région — on a vu que c'est le cas également dans l'industrie forestière — c'est la catastrophe générale.

Le sénateur Baker : Les contingents dont on a parlé un peu plus haut, sont-ils considérés comme la propriété de celui qui les détient aux termes de la Loi sur la faillite? Autrement dit, est-ce que les contingents sont considérés comme un bien foncier que l'on peut vendre, ou comme un actif lorsqu'un exploitant déclare faillite? Un exploitant qui ferait une demande de prêt à la banque pourrait-il les présenter comme garantie de prêt?

M. Laforge : Je ne peux pas vous répondre pour le secteur de la volaille, mais dans le cas de l'industrie laitière, d'une province à l'autre, c'est la plupart du temps l'office de commercialisation ou l'association de producteurs laitiers qui détient légalement le contingent, mais l'exploitant agricole a le droit de produire le lait visé par le contingent. Dans certaines provinces, le contingent appartient aux producteurs. Le système n'est pas le même partout et a été mis à l'épreuve à plusieurs reprises.

Je ne sais pas si une banque ou une institution bancaire peut considérer un contingent comme un actif à part entière lorsqu'un exploitant fait une demande de prêt en vue d'agrandir son exploitation ou de faire un achat important. Certaines banques consentent des prêts pouvant aller jusqu'à 50 ou 60 p. 100 de la valeur de l'actif, mais elles savent qu'il est volatil. Il s'agit d'un simple bout de papier. Ce qui intéresse la banque, c'est que l'exploitant ait une bonne propriété foncière. Par exemple, si la consommation de lait augmente de 10 p. 100, la valeur du contingent diminue, car tout le monde est satisfait de la hausse. Dans une industrie en décroissance, la valeur monte, mais elle est volatile.

Dans votre question, vous demandiez également s'il était possible de spéculer ou de devenir courtier en quotas. C'est peut-être déjà arrivé par le passé, quoique brièvement, mais depuis quelques années, la plupart des provinces se sont efforcées de présenter le système des contingents comme un outil commercial permettant aux exploitants d'équilibrer leur production. Depuis deux ou trois ans, nous avons établi avec les principales provinces des politiques visant à empêcher ce type de spéculation autour de la valeur des contingents. Depuis un an et demi ou deux ans, la valeur des contingents laitiers a baissé pour deux raisons — à cause de ces politiques et à cause de la croissance de la consommation. La consommation a augmenté de 4 ou 5 p. 100 au cours des six ou neuf derniers mois.

En conclusion, la valeur des contingents est volatile.

Le sénateur Baker : Je continue à me demander toutefois si le contingent est considéré comme un bien en vertu de la loi. Le contingent est attribué par un organisme et n'a de valeur que s'il est attribué. Ma question est la suivante : en cas de faillite ou d'autres situations analogues, l'organisme qui décerne les contingents pourrait-il faciliter le transfert de ce contingent à une autre personne, lui conférant ainsi une valeur dont pourrait bénéficier le détenteur initial?

M. Laforge : La réponse est négative. Je ne pense pas qu'il y ait eu de faillite dans le secteur de la gestion de l'offre des produits laitiers. Avant que la situation ne se dégrade à ce point-là, l'exploitant agricole prend la décision consciente de vendre tous ses actifs. Je ne réponds peut-être pas directement à votre question, mais aucun producteur laitier n'a fait faillite au Canada. N'importe quel producteur laitier commencerait par liquider ses actifs et rembourser ses dettes avant de faire faillite. On peut penser qu'il agirait de même parce qu'il détient un contingent qui a une certaine valeur.

Le sénateur Baker : Mais est-ce que cela serait possible en cas de faillite? Voilà la question que je me suis posée lorsque le sénateur Gustafson a commencé à parler des contingents.

Est-ce qu'une personne ou une banque détenant un privilège grevant une propriété ou une exploitation pourrait exiger de l'exploitant, lorsque ce dernier fait une demande de prêt ou de prolongation de prêt, qu'il lui cède son contingent en guise de garantie de prêt?

M. Laforge : Dans le secteur laitier, le titre de propriété est détenu soit par la commission provinciale, soit par l'exploitant lui-même.

Le sénateur Baker : Oui, mais le contingent a une valeur en tant que bien. C'est ça le problème.

M. Laforge : Prenons le cas d'un exploitant qui déciderait de déclarer faillite. Il ne vend rien : il déclare simplement faillite. Le contingent serait automatiquement retourné à l'office.

Le sénateur Baker : Il ne peut pas être rendu à l'exploitant initial?

M. Laforge : Non, il retourne à l'office. À la fin de l'année ou de la période, il faut émettre des contingents en fonction des marchés. Ce contingent serait réparti entre tous les autres exploitants du système.

Le sénateur Baker : Par conséquent, il a une certaine valeur.

M. Laforge : Non. Il serait attribué; personne ne pourrait l'acheter. Notre rôle est d'équilibrer la production; nous attribuons des contingents aux exploitants lorsque la consommation augmente et nous les reprenons lorsqu'elle diminue. Voilà ce qui se produirait dans le cas que vous décrivez.

Si l'exploitant décide de déclarer faillite, il ne met pas son contingent en vente. L'exploitation terminerait ses activités le jour où le lait ne serait plus livré. Le contingent est caduque et l'office ou la commission provinciale reprend le contingent et rééquilibre la production en fonction de la diminution ou de la hausse nécessaire le mois suivant, selon la consommation. Si le contingent n'est attribué nulle part et que le niveau de production reste le même, il faut attribuer ce contingent. Ce contingent serait réparti entre les exploitants existants.

Le sénateur Baker : Je suis désolé d'insister.

M. Laforge : J'espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur Baker : Je vous dirais franchement que non, mais je vous remercie pour votre réponse.

Cependant, dans vos remarques préliminaires, il me semble vous avoir entendu dire que sans un contingent de production, une exploitation serait de peu de valeur puisque l'exploitant ne pourrait se livrer à aucune activité agricole. On peut en déduire automatiquement que la possession d'un contingent représente une certaine valeur pour l'exploitant et par conséquent pour les banques. Les banques fonctionnent de telle manière qu'elles chercheraient peut- être à obtenir la garantie de la propriété de cette portion du contingent, ce qui amènerait l'exploitant à l'attribuer à une personne morale, sinon les banques mettraient la main sur ce bien au moment de son transfert ou de sa vente.

M. Laforge : Je ne peux pas me prononcer au nom des autres secteurs, mais je peux vous dire que dans le secteur laitier, les institutions bancaires ne peuvent pas mettre la main sur les contingents. Elles peuvent s'emparer des liquidités de l'exploitation, mais le contingent n'est pas un bien échangeable dans ce contexte. Si une multinationale ou une grande société achète cette exploitation...

Le sénateur Baker : Peut-être de manière indirecte.

M. Laforge : En cas d'achat de l'exploitation, le contingent existant pourrait être considéré comme une unité de production. Cependant, une institution bancaire ne peut pas posséder de quota. Je vous le dis sous toute réserve, mais disons que c'est une chose que je n'ai jamais vue.

Le sénateur St. Germain : J'aimerais poursuivre dans la même direction que le sénateur Gustafson et le sénateur Baker. Je suis surpris, monsieur Laforge, que vous ne soyez pas au courant de la situation de vos collègues. J'ai été moi- même aviculteur et, par conséquent, je connais le système. Il est possible de céder un contingent. La banque n'a peut- être pas le droit de posséder le contingent, mais l'exploitant agricole peut le céder, puisqu'il peut le présenter comme garantie de prêt. N'importe quel agriculteur peut le faire. La banque ne peut peut-être pas posséder le contingent, mais elle peut contraindre l'exploitant agricole à le vendre. Il y a toujours un marché pour ce genre de transaction, puisque la demande est plus forte que le nombre de contingents.

Vous avez dit que les grains et les autres produits sont différents, parce qu'il s'agit de produits d'exportation. L'exportation de vos produits commence à se faire de façon assez courante sur le marché mondial. On exporte des poulets en Chine. Quant aux œufs, je ne sais pas.

Pour répondre à la question du sénateur Gustafson, je ne comprends pas votre raisonnement lorsque vous avez dit que la différence tenait au fait qu'il s'agit de produits vendus sur le marché mondial. Vos propres produits commencent eux aussi à être vendus sur le marché mondial, ce qui met de la pression sur le gouvernement en place. Vous avez raison de dire qu'aucun gouvernement n'a refusé de prendre position en votre faveur.

Cependant, pouvez-vous expliquer ce que vous vouliez dire lorsque vous avez répondu à la question du sénateur Gustafson?

M. Laforge : Premièrement, j'ai fait une distinction entre les offices de commercialisation du lait, de la volaille et des œufs, parce que si nous sommes tous régis par un système de gestion de l'offre, nos systèmes respectifs s'appliquent de manière tout à fait différente. Dans le cas des produits laitiers, nous exportons actuellement environ 2 p. 100 de nos produits, qui sont considérés comme subventionnés depuis qu'un groupe spécial de Nouvelle-Zélande et des États-Unis a fait objection en 1999-2000. Nous avons perdu notre cause, étant donné que le prix à l'exportation a été jugé subventionné par rapport au prix intérieur. Entre aujourd'hui et 2013, si l'accord sur l'OMC est signé, les subventions aux exportations devront être éliminées. Cela empêchera le Canada d'exporter des produits laitiers, ce qui est tout à fait différent. Voilà pour le premier point.

Le système de gestion de l'offre fonctionne bien dans la mesure où on peut le contrôler par des politiques intérieures qui garantissent un rendement équitable pour les producteurs. À partir du moment où une plus grande partie de la production est destinée à l'exportation, vous ne pouvez pas exiger du reste du monde de récupérer les coûts de production; vous acceptez le prix du marché.

Par exemple, l'industrie du grain exporte de 40 à 50 p. 100 de sa production. Il est difficile de récupérer les coûts de production sur les produits exportés, car vous ne pouvez pas imposer vos propres règles aux autres. Voilà pourquoi les décisions varient d'un produit à l'autre. La gestion de l'offre doit tenir compte de tous ces facteurs.

Il y a 25 ans environ, le secteur de l'élevage porcin a également envisagé la gestion de l'offre. Il aurait été possible à l'époque de décider de produire uniquement pour le marché intérieur et de mettre en place un système de gestion de l'offre. Cependant, les producteurs n'ont pas pris cette décision. Dès lors qu'une industrie est tributaire des exportations, la gestion de l'offre ne fonctionne que si les autres pays s'adaptent eux aussi au système.

On pourrait imaginer que, dans le cadre de l'ALENA, les États-Unis décident de ne plus subventionner leur agriculture et d'imposer un système de gestion de l'offre pour permettre à leurs exploitants agricoles de poursuivre leurs activités. C'est déjà plus ou moins le cas dans l'industrie laitière. Les États-Unis ne qualifient pas cette pratique de gestion de l'offre, mais ils mettent en place différents moyens de gérer leurs troupeaux et leur niveau de production pour éviter les surplus. Cela ressemble beaucoup à la gestion de l'offre.

La gestion de l'offre deviendra plus envisageable si le reste du monde accepte de changer.

Le sénateur Gustafson : Le gouvernement est le garant des contingents. S'il fallait modifier la gestion de l'offre, le gouvernement devrait acheter les parts des producteurs et, dans ce sens, il est devenu le garant. Qu'en pensez-vous?

M. Laforge : Cela ne nous intéresse pas. Si le gouvernement achetait nos contingents, il créerait une situation de déficit et ce serait mauvais signe pour tous les autres produits. L'office de commercialisation souhaite discipliner la production, ce qui ne plaît pas toujours aux exploitants agricoles. Certains d'entre eux souhaiteraient avoir les coudées franches. C'est par une décision collective que l'on a choisi de contrôler la production — la mission du gouvernement est de contrôler les importations, pas de les arrêter, mais de les contrôler. À l'intérieur de ces limites, nous planifions la production et nous obtenons un rendement raisonnable pour notre production.

Le sénateur Mahovlich : Je suis certain que d'autres pays membres de l'OMC ont aussi leurs propres systèmes. La Chine n'en fait toujours qu'à sa tête. Comment remédier à cela? L'OMC a-t-elle tenté de résoudre certains de ces problèmes? Les Américains ont-ils leur propre système? Je suis certain que plusieurs États des États-Unis ont des règles différentes.

M. Laforge : Dans la perspective canadienne, l'élément principal concernant l'OMC actuellement se rapporte à la gestion de l'offre des produits sensibles. Le Canada négocie afin d'obtenir une ligne tarifaire sensible qui n'existe pas actuellement, pour permettre la gestion de l'offre. D'autres pays poussent dans la même direction, parce qu'ils ont besoin de protéger certains de leurs produits. Une telle formule est nécessaire pour protéger la production intérieure. Il n'est pas juste d'affirmer que les pays ont instauré des systèmes de gestion de l'offre parce qu'ils veulent protéger de manière générale leurs produits sensibles. Ils souhaitent plutôt disposer d'une ligne tarifaire sensible pour englober la production intérieure qu'ils veulent protéger.

L'Europe dispose d'un système de contingents. Ce n'est pas le même système de gestion de l'offre qu'au Canada, mais c'est un système de contrôle de la production disposant d'un budget permettant d'accorder des fonds aux exploitants agricoles.

Le sénateur Mahovlich : C'est vrai. C'est un système appliqué notamment en France.

M. Laforge : Exact.

Le sénateur Mahovlich : Voilà la situation à laquelle nous devons faire face.

M. Laforge : Je ne pense pas que nous voulions adopter ce type de système, parce que si le budget de l'Union européenne disparaît ou diminue, ces exploitants agricoles n'auront pas grand-chose à espérer.

Le sénateur Mahovlich : Les changements climatiques posent problème. Est-ce que les aviculteurs et les producteurs laitiers s'adaptent ou se sont adaptés au problème du réchauffement climatique?

M. Laforge : Les producteurs laitiers ont pris leurs responsabilités en matière d'émission de gaz et ils ont obtenu des réductions en améliorant la productivité de chaque vache. À l'heure actuelle, une vache est 1,5 fois plus productive qu'il y a 25 ans environ. À l'époque, une vache produisait environ 6 000 litres de lait, alors qu'aujourd'hui, sa production est d'environ 9 000 litres.

Par ailleurs, nous poursuivons les recherches sur l'entreposage du fumier et la formulation des aliments, afin de réduire encore plus les émissions de gaz. Voilà un domaine qui intéresse les exploitants agricoles dans la perspective de la mise en place d'un système d'échange de carbone. Les efforts que font les exploitants agricoles méritent d'être reconnus.

M. Souligny : Dans le secteur avicole, par exemple, nous consacrons une grande partie de nos discussions à l'environnement. Nous réfléchissons à diverses questions telles que l'épandage du fumier, et cetera.

Pour le moment, nous n'avons pas constaté de grandes différences sur le plan des changements climatiques.

Le sénateur Mahovlich : J'ai une question qui sort un peu de l'ordinaire. Depuis une cinquantaine d'années, je me rends régulièrement dans le Nord. Récemment, nous avons observé de grandes compagnies de dindes sauvages. C'est tout un phénomène. Comment expliquez-vous cela? Est-ce que ces volatiles se sont échappés des élevages?

M. Souligny : Je pense qu'il s'agit en fait de gibier. J'habite dans l'Est ontarien et, il y a quelques années, on ne voyait jamais de dindes sauvages.

Le sénateur Mahovlich : Moi, je n'en avais jamais vu.

M. Souligny : De nos jours, il y en a beaucoup. Elles ont été implantées dans la région par le ministère des Richesses naturelles. Voilà ce qui explique la présence de dindes sauvages dans l'Est de l'Ontario. De nos jours, on en voit pas mal et les chasseurs les aiment beaucoup. Dans certains endroits, ces dindes peuvent être une nuisance.

Le sénateur Mahovlich : Dans une propriété à Muskoka, j'ai vu une compagnie qui comprenait une trentaine ou une quarantaine de dindes sauvages.

Le sénateur St. Germain : Messieurs, merci d'être venus ce matin. Nous nous penchons sur la pauvreté rurale. Il fut un temps où je connaissais assez bien le secteur dans lequel vous travaillez. Je ne crois pas que vos industries vont contribuer à l'élimination de la pauvreté rurale, tout simplement parce qu'elles prennent des mesures de rationalisation; dans beaucoup d'endroits, les exploitations agricoles deviennent plus grandes. J'habite dans une ancienne exploitation laitière; il n'y a plus qu'une seule ferme laitière dans les environs. J'habite le long de la frontière américaine, près de White Rock.

Il n'y a pas beaucoup de nouveaux venus dans le domaine et l'automatisation réduit le nombre d'emplois offerts. Dans la région de M. Dungate, il fut un temps où le secteur avicole, dans lequel j'exerçais moi-même, avait un programme de croissance destiné aux nouveaux entrants, comme vous les appelez. Toutefois, ce programme s'est heurté à certaines réticences. Soyons réalistes : il y aura toujours assez pour répondre aux besoins de l'homme, mais jamais assez pour satisfaire sa cupidité. Votre mission consiste à protéger le statu quo.

Selon vous, comment vos industries peuvent-elles s'y prendre pour améliorer le sort des pauvres dans nos régions rurales? C'est le sujet de notre étude. Voilà la question.

Cela fait longtemps que j'ai quitté votre secteur et je ne vous adresse pas de critiques. J'ai très bien gagné ma vie lorsque j'étais exploitant. J'ai l'impression que nous en sommes arrivés là à cause de la cupidité des producteurs et des sociétés d'aliments qui ont procédé à une intégration verticale et causé la perte des exploitants agricoles. C'est ce qui s'est passé en Colombie-Britannique.

Cependant, nous assistons actuellement à un retour du balancier. Que pouvons-nous faire pour profiter du changement afin d'aider les pauvres des régions rurales?

M. Dungate : En Colombie-Britannique et dans la vallée du Fraser, le problème est en partie le suivant : la vallée du Fraser est-elle encore une région rurale? L'expansion de Vancouver a entraîné une concentration de la population dans cette région. Le problème vient du fait que les terres agricoles ont plus de valeur pour la construction que pour autre chose.

À mon avis, c'est sous cet angle qu'il faut examiner le problème. Vous demandez ce que nous pouvons faire pour aider à éliminer la pauvreté rurale. Il faut encourager le secteur rural à garder son dynamisme. Nous sommes un élément dynamique du Canada rural. Notre secteur est profitable et les gens qui y travaillent réinvestissent et bâtissent des collectivités. Qu'arrivera-t-il si les collectivités rurales perdent l'agriculture? Regardez ce qui se passe actuellement dans le secteur de l'industrie porcine. Si l'agriculture disparaît des régions rurales du Canada, une bonne part de la synergie qui existe actuellement disparaîtra avec elle.

Par exemple, lorsque les usines de transformation ont quitté l'île de Vancouver, il a été question de déplacer les exploitations avicoles. Cependant, si les exploitations avicoles s'étaient déplacées, le reste de l'agriculture aurait disparu. Par exemple, l'usine d'aliments n'aurait plus été rentable sans les exploitations avicoles. Nous avons maintenant une plus petite usine de transformation sur l'île de Vancouver.

En Colombie-Britannique, nous avons aussi fait preuve d'innovation. Il y a beaucoup d'exploitants qui élèvent des volailles spéciales ou biologiques. Ces exploitations se sont installées grâce à ce que nous appelons un système de permis. Dans la mesure où ces exploitations poursuivent un même niveau d'activités et payent leurs droits sur les produits qu'elles commercialisent, leur niveau actuel de production deviendra leur quota dans 12 ans — si elles sont encore en activité. Ces exploitants ne sont pas tenus d'utiliser leurs ressources pour faire un investissement en capital afin d'intégrer le système; ils bénéficient de la stabilité du système de commercialisation et s'y intègrent petit à petit. S'ils veulent augmenter leurs activités, ils peuvent acheter des contingents afin d'accroître ceux dont ils disposent déjà, mais cette production autorisée sera considérée comme un droit acquis au bout de 12 ans.

Voilà le type de mesures que nous prenons pour nous assurer de pouvoir demeurer viables en tant qu'industrie et pour permettre à d'autres de demeurer dans les régions rurales du Canada.

Je ne sais pas exactement ce que nous pouvons faire pour trouver une solution aux problèmes qui surgissent dans d'autres secteurs. Je pense qu'il faut réfléchir aux moyens qu'il faut mettre en œuvre pour garder la population des régions rurales du Canada. Nous vous avons présenté un graphique de la population dans lequel le Canada rural est extrêmement sous-représenté par rapport à l'ensemble de la population canadienne dans le groupe des personnes âgées de 20 à 44 ans.

Comme nous l'avons dit, l'âge moyen des exploitants agricoles se situe légèrement au-dessus de 55 ans et beaucoup de ces exploitants conseillent à leurs enfants de ne pas travailler dans le secteur agricole. Cela ne va pas arriver du jour au lendemain, mais que se passera-t-il dans une demi-génération, au moment où ces personnes devraient être des leaders et des investisseurs dans le Canada rural? Il ne s'agit pas uniquement de trouver une solution pour aujourd'hui, mais aussi pour les problèmes auxquels nous serons confrontés demain.

M. Laforge : J'aimerais donner le point de vue d'un producteur de lait. J'entends dire que nous avons l'air riche, compte tenu de la valeur des contingents, et que nous ne faisons pas grand-chose pour soutenir le milieu dans lequel nous vivons.

Lorsque nous achetons un contingent, c'est pour produire plus de lait — soit parce que la production de nos laitières augmente, soit parce que nous voulons ajouter quelques vaches supplémentaires à notre cheptel. C'est une décision commerciale. Tous les exploitants que je connais ont des fils ou des filles qui veulent prendre la relève. Lorsque nous achetons un contingent pour produire plus de lait, ce n'est pas de la spéculation.

Selon un vieux dicton, un producteur laitier qui vit pauvre mourra riche; mais cela ne lui sert à rien de mourir riche, car il ne vendra jamais son exploitation; il continue à produire. S'il n'y a personne pour reprendre l'exploitation, par exemple parce que ça n'intéresse personne, c'est une chose tout à fait différente. Les actifs de l'exploitant sont pratiquement réduits à zéro. C'est le lait qui produit ses liquidités.

Pour toutes les raisons évoquées par M. Dungate, bon nombre de producteurs laitiers ont déménagé, surtout ceux de Colombie-Britannique. Ils ont vendu la totalité de leur exploitation et se sont installés en Saskatchewan, à cause de la valeur foncière et de l'empiétement de la ville, et cetera. En Colombie-Britannique, plus que partout ailleurs au Canada, les exploitants agricoles quittent leur province pour s'installer ailleurs, à un endroit où la terre est moins chère. C'est un phénomène qui se produit également en Alberta.

Il y a trois semaines, j'étais à Regina pour l'assemblée annuelle. Un tiers des membres sont des exploitants laitiers de la région, un tiers proviennent des colonies huttérites et le reste sont des exploitants qui viennent de Colombie- Britannique.

Le sénateur St. Germain : Précisons pour le compte rendu que nous avons des contingents globaux au Canada. Il n'est pas possible de transférer un contingent de l'Alberta à la Saskatchewan.

M. Laforge : C'est exact.

Le sénateur St. Germain : Lorsque les exploitants déménagent, ils ne peuvent pas apporter leur contingent avec eux. Ils se contentent de changer de zone géographique. S'ils veulent continuer à travailler dans le domaine, ils doivent racheter les contingents d'un exploitant de Saskatchewan.

M. Laforge : C'est exact.

Le sénateur St. Germain : C'est un système complexe qui confère certaines protections importantes pour l'économie. Cependant, pour résoudre le problème de la pauvreté, il faut attirer plus de gens dans le secteur.

Dans la région où j'ai grandi, certains enfants n'avaient absolument rien. C'était mon cas. J'ai eu de la chance dans l'immobilier et c'est ce qui m'a permis de devenir aviculteur. Autrement, je n'aurais eu aucun espoir.

Il faut reconnaître que la Colombie-Britannique disposait d'un programme de croissance qui proposait une loterie. Les gens pouvaient s'inscrire et devenir aviculteurs. On leur accordait un contingent de 5 000 volailles. Je me demande s'il y avait l'équivalent dans d'autres secteurs. C'était essentiellement le seul moyen que ces gens avaient de se lancer en affaire.

Actuellement, un contingent de poulet se vend 60 $ l'unité en Colombie-Britannique. Cela représente uniquement le contingent et ne tient pas compte de l'exploitation avicole. C'est tout à fait hors de portée de la population pauvre.

L'objectif n'est pas de vous déprécier. Vous avez gravi les échelons au fil des années. Le but est plutôt de chercher à aider les gens à sortir de la pauvreté. Je pense que j'ai assez parlé.

La présidente : Avez-vous quelque chose à ajouter, chers collègues?

La séance a été très animée. Nous vous remercions d'être venus. Vous nous avez fourni énormément d'informations utiles, et, grâce à votre témoignage, nous avons compris que vous êtes soumis à beaucoup de pressions, comme de nombreux autres secteurs de l'agriculture et de la foresterie. Nous vous souhaitons bonne chance. Je vous remercie d'être venus ce matin.

Le sénateur Gustafson : Je crois qu'il faut rajouter tout de même que la vie des producteurs laitiers, en particulier, n'est pas de tout repos. Ils doivent traire les vaches à je ne sais pas quelle heure du jour — probablement très tôt le matin, et sept jours par semaine. Je crois qu'il est bon de préciser cela. Je tenais à le dire, parce que je ne suis pas certain que nous ayons suffisamment reconnu cette dimension du travail de producteur laitier.

M. Souligny : J'aimerais ajouter une dernière chose. Quelqu'un a demandé comment la gestion de l'offre pourrait servir à réduire la pauvreté en milieu rural. Depuis quelques années, la gestion de l'offre permet — et nous espérons que cela durera — d'associer les membres de notre famille à la production, que ce soit dans le secteur de la production d'œufs, de lait ou de poulet.

Parallèlement, les exploitants du secteur agricole font participer leurs employés à l'entreprise, en leur donnant des actions. C'est gens-là prendront la relève si l'exploitant n'a pas d'enfants qui souhaitent reprendre ses activités.

Voilà ce qui se passe dans notre secteur — je ne connais pas la situation ailleurs. Toutefois, si vous disposez du revenu approprié, vous bénéficiez du soutien dont ont besoin les habitants des régions rurales du Canada. Comme je l'ai mentionné dans mes remarques préliminaires, nous sommes engagés dans notre collectivité et, en tant que producteurs et habitants de régions rurales, nous siégeons aux conseils d'administration des hôpitaux et dans les commissions scolaires. Je crois que nous sommes assez engagés. Je pense que la gestion de l'offre fonctionne assez bien dans les régions rurales du Canada. Voilà ce que je voulais dire.

La présidente : Merci beaucoup encore une fois. Je vous souhaite bonne chance à vous et à tous ceux que vous représentez.

La comité poursuit ses travaux à huis clos.

Le comité reprend ses travaux en public.

La présidente : Nous allons maintenant parler du budget.

Jessica Richardson, greffière du comité : Nous allons peut-être commencer par le budget de législation. J'ai préparé un très petit budget, même si nous ne prévoyons pas intervenir dans ce domaine.

La présidente : Est-ce que tout le monde est d'accord?

Des voix : D'accord.

Mme Richardson : Le budget suivant concerne l'étude de l'état actuel et des perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada. Le comité a déjà tenu des audiences sur ce sujet, en raison de la crise du revenu dans l'industrie des viandes. Le budget prévoit 15 repas de travail et demeure une fois encore inférieur à 10 000 $.

La présidente : D'accord?

Des voix : D'accord.

Mme Richardson : Le dernier budget concerne l'étude de la pauvreté rurale au Canada. Le budget tient compte des travaux qui seront effectués à Ottawa et d'un voyage dans le Nord. J'ai apporté des changements au budget précédent concernant ce déplacement, en raison de la planification que nous avons faite au cours de l'été. J'avais oublié certains postes budgétaires et je voulais m'assurer de tenir compte des coûts de hangar et de déglaçage. Je vais étudier la possibilité de coordonner le déplacement avec celui d'un autre comité qui envisage un voyage semblable, dans le but de partager les coûts entre les deux comités.

Le sénateur Segal : Est-ce que ce sont les chiffres maximum?

Mme Richardson : Oui. J'espère que les coûts seront bien inférieurs à ce budget, mais je dois prévoir le pire des scénarios.

Le sénateur Mahovlich : Quel est l'autre comité auquel vous faites allusion?

Mme Richardson : Je ne sais pas si notre calendrier le permettra, mais le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement envisage de se rendre dans les mêmes endroits, dans le Nord du pays, afin d'examiner l'usage de troisièmes langues dans les assemblées législatives.

Maintenant que nous avons établi les dates, je vais prendre contact avec le greffier de ce comité afin de vérifier si nos calendriers concordent. Le fait de voyager ensemble nous permettra de faire des économies et d'améliorer l'efficience.

Le sénateur Gustafson : Combien de personnes au total seront du voyage?

Mme Richardson : Actuellement, nous savons que seulement quatre membres sont disponibles; je vais à nouveau poser la question aux sénateurs puisque nous avons fixé avec précision la semaine du déplacement.

La présidente : Que savez-vous au sujet du sénateur Mercer?

Mme Richardson : Son bureau a indiqué qu'il serait du voyage.

La présidente : Il a hâte d'être de retour.

Mme Richardson : Pour le moment, je ne sais pas encore combien de personnes seront du voyage. J'essaie toujours de limiter les dépenses. Nous avons besoin d'une motion pour proposer ce budget.

Le sénateur Peterson : Je présente la motion.

Le sénateur Segal : Je voudrais inscrire une abstention relativement au budget.

La présidente : Qui est en faveur du budget de déplacement?

Des voix : D'accord.

La présidente : Je vous remercie pour tout ce que nous avons fait dans ce dossier.

La séance est levée.


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