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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 2 - Témoignages du 4 décembre 2007


OTTAWA, le mardi 4 décembre 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 19 h 11, pour examiner, en vue d'en faire rapport, la question de la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir, honorables sénateurs et mesdames les témoins, et bienvenue à tous ceux et celles qui regardent les travaux du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts sur la pauvreté et le déclin du monde rural.

Les témoins que nous recevons ce soir nous parleront d'éducation, thème qui a été abordé lors de toutes les audiences de notre comité, de Corner Brook à Terre-Neuve-et-Labrador à Prince George en Colombie-Britannique, en passant par Lethbridge en Alberta.

Comme l'indiquait le rapport provisoire produit par notre comité en décembre dernier, les niveaux de scolarisation et d'alphabétisation des habitants des collectivités rurales sont généralement inférieurs à ceux des habitants des villes. Dans un monde où des compétences de base en lecture et en écriture sont de plus en plus nécessaires, tout comme une instruction de niveau secondaire ou supérieur, le faible niveau d'éducation des Canadiens des collectivités rurales pose un sérieux problème.

C'est avec grand plaisir que je souhaite la bienvenue aux représentantes de deux organisations qui œuvrent sur la ligne de front en vue d'améliorer le niveau d'éducation dans les collectivités rurales du Canada. Nous recevons Mme Terry Anne Boyles, vice-présidente de l'Association des collèges communautaires du Canada, et Mme Anna Sawicki, secrétaire-trésorière du Réseau canadien pour l'innovation en éducation. Nous sommes très heureux de vous compter parmi nous ce soir.

Madame Boyles, la parole est à vous.

Terry Anne Boyles, vice-présidente, Association des collèges communautaires du Canada : Je vous remercie. C'est un honneur d'être parmi vous en tant que représentante de l'Association des collèges communautaires du Canada, l'ACCC, organisation nationale qui représente plus de 150 collèges, instituts de technologie, écoles polytechniques, collèges universitaires et cégeps de toutes les régions du pays. Notre organisation regroupe des campus et des centres d'apprentissage situés dans au moins 1 000 communautés, et nous rejoignons des membres de plus de 3 000 communautés, dont la plupart se trouvent dans des régions rurales et éloignées ou dans le nord du Canada. La question dont nous discutons ce soir nous tient vraiment à cœur. Le développement économique des communautés, la réduction de la pauvreté et la viabilité des collectivités rurales sont au coeur des activités des collèges et des établissements d'enseignement.

Il me fera plaisir d'aborder d'autres questions au cours de la discussion qui suivra. Le point de vue que je ferai valoir n'est pas seulement celui de la vice-présidente de l'Association. En effet, j'ai également été présidente d'un collège à Saskatoon, dans une grande région rurale. Avant cela, j'ai travaillé au Red Deer College, dans le centre de l'Alberta. De plus, je siège au conseil d'administration du Conseil des ressources humaines autochtones, et j'ai participé aux travaux du Comité consultatif sur l'alphabétisation de la ministre Bradshaw, comité qui s'est penché sur les questions de l'alphabétisation et de la pauvreté en milieu rural.

Bien entendu, les collèges et les établissements d'enseignement sont solidement enracinés — pour employer une métaphore agricole — dans leurs communautés. Dans un grand nombre de collectivités rurales, éloignées et du nord du Canada, ces établissements sont la principale source d'emploi et ils travaillent de concert avec les hôpitaux, les conseils scolaires et les municipalités. Ils sont considérés comme une source de capacités pour ce qui est du développement socio-économique des communautés, et comme un moyen d'obtenir que des ressources des grands centres soient transférées dans les régions rurales, éloignées ou nordiques du pays.

La situation démographique se transforme avec l'augmentation de la population de jeunes Autochtones, en particulier dans les Prairies, et avec l'arrivée d'immigrants qui bénéficient du programme des travailleurs étrangers temporaires. Certains d'entre eux travaillent dans le secteur des services dans des endroits comme Whistler, en Colombie-Britannique, ou dans le Nord. Par suite des changements apportés à la stratégie d'immigration, certains de ces travailleurs deviennent des résidents permanents, et une partie d'entre eux exerceront des emplois peu rémunérés et joindront ainsi les rangs de la population pauvre des régions rurales et éloignées. Nous voulons tenir compte de ce fait à l'avenir. On a observé un déplacement des habitants des petites localités vers de plus grands centres urbains. Nous savons bien que le Canada urbain ne désigne pas les 80 p. 100 de la population regroupés dans 20 grandes villes. En fait, lorsque nous employons l'adjectif « urbain », nous parlons de communautés d'environ 1 000 personnes, situées dans tout le Canada.

Il y a un certain nombre d'années, l'ACCC a créé un groupe de travail chargé de fournir des services aux collèges des collectivités rurales et éloignées ainsi qu'à d'autres collèges, comme le Collège Algonquin — dont le campus principal est situé à Ottawa et qui a des campus dans d'autres villes, comme Pembroke — pour servir également la région métropolitaine d'Ottawa. Nous essayons de voir ce qui peut être fait dans l'ensemble du réseau.

Le groupe de travail a contribué à différents projets, par exemple au cadre stratégique national en matière d'agriculture. Nous avons collaboré étroitement avec le Secrétariat rural et nous sommes reconnaissants à Agriculture et Agroalimentaire Canada d'avoir mis à notre disposition un de ses gestionnaires principaux pour trois ans. Avec l'aide de M. Lynden Johnson, ancien conseiller spécial de l'Association des collèges communautaires du Canada dans le cadre de l'Initiative pour les collectivités rurales et éloignées, nous avons géré conjointement la mise en œuvre d'un plan du gouvernement fédéral pour les collèges. Notre collaboration avec M. Johnson, qui est maintenant terminée, n'a pas été un échange de cadres typique. Pendant ces trois années, nous avons travaillé en étroite collaboration avec divers ministères fédéraux, et nous continuons de le faire pour offrir nos services aux collectivités rurales du Canada. Nous assurons en outre la liaison entre les collèges et les établissements d'enseignement, d'une part, et les équipes du fédéral, des provinces et des organismes qui travaillent en milieu rural, d'autre part, afin de voir comment nous pouvons aider à régler le problème de la pauvreté et à renforcer la viabilité des communautés rurales du Canada.

Mme Sawicki nous parlera des incidences de la technologie dans les collèges des collectivités rurales et éloignées, alors je ne ferai qu'un bref commentaire à ce sujet. Nous faisons face à un certain nombre de défis dans ce domaine. L'année dernière, nous avons organisé un symposium sur les services aux collectivités autochtones rurales et éloignées, qui s'est tenu à Burns Lake, en Colombie-Britannique; nous en avons organisé un autre cet automne à Timmins, en Ontario. Nous avons vu les efforts qui ont été faits pour tenter de mettre sur pied des mécanismes de financement. Il peut y avoir 20 personnes intéressées par un programme proposé, par exemple un programme en santé communautaire; le financement pour ce programme peut provenir de la bande, de l'aide sociale ou d'une entente sur les ressources humaines autochtones. Cependant, compte tenu du manque d'uniformité des mécanismes de financement, il n'est aucunement garanti que les personnes inscrites à un programme en tirent des avantages. On pourrait parler de financement ponctuel ou récurrent, parce qu'on considère souvent que le financement est destiné à des projets pilotes. Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas de financement prévisible, durable ni à long terme. Dans ce contexte, il est difficile pour les collectivités et leurs partenaires de se figurer ce qu'ils peuvent faire pour remédier à la pauvreté de façon stratégique.

Nous avons effectué certains travaux le long de la frontière Manitoba-Saskatchewan — qui ne se caractérise pas par la prospérité de son agriculture — pour déterminer comment il convenait d'évaluer les besoins en tutorat et en mentorat d'agriculteurs de sexe masculin âgés de 30 à 40 ans. Nous devions évaluer de manière respectueuse leurs habiletés d'après leur travail à la ferme ou au sein de leurs communautés, l'étape suivante étant de développer ces habiletés puis de s'appuyer sur ces compétences accrues pour faire progresser le développement économique des collectivités.

Nous avons connu du succès avec une initiative similaire menée auprès de pêcheurs de la Nouvelle-Écosse, en particulier de pêcheurs qui exploitaient des bateaux. Nous avons analysé les habiletés qu'ils possédaient en tant qu'exploitants de bateaux et avons déterminé les compétences nécessaires pour travailler à bord des bateaux ravitailleurs qui approvisionnent les plateformes de forage pétrolier. Le collège a ensuite collaboré avec l'entreprise pour permettre aux pêcheurs d'acquérir les habiletés manquantes, y compris les compétences en lecture et en écriture. Nous sommes toujours à la recherche d'exemples illustrant ce qui peut être fait, mais pas seulement dans le cadre de programmes pilotes.

En travaillant auprès des populations démunies, j'ai constaté que les services de consultation, de tutorat et de mentorat sont souvent insuffisants. La majorité des collèges ruraux et de leurs partenaires qui œuvrent au sein de la communauté n'offrent pas de services de ce genre.

En 2001, en collaboration avec le Secrétariat rural, notre association a élaboré le concept, des groupes fondés sur les connaissances rurales. Pendant trois ans, le gouvernement fédéral a financé divers projets de recherche sur le Canada rural.

Dans le cadre de notre partenariat, nous avons collaboré avec des établissements de trois communautés. Nous avons fait des recherches sur la géomatique en collaboration avec le Nova Scotia Community College de la vallée de l'Annapolis, sur les produits forestiers renouvelables et les changements dans le secteur de la foresterie au Canada avec le Collège Boréal du Nord de l'Ontario, et sur les connaissances en tourisme avec le College of the Rockies de la région de Kootenay-Est, en Colombie-Britannique.

Ces projets pilotes sont pratiquement terminés et des leçons importantes en ont été tirées. Puisqu'il s'agit de projets de recherche, les suites à donner n'ont pas été définies. L'objectif était de tirer des leçons qui nous permettraient de voir ce qui peut être fait dans le cadre d'autres programmes afin de favoriser le développement économique des collectivités rurales, que ce soit avec l'aide d'autres ministères, comme Pêches et Océans Canada ou Ressources naturelles Canada, ou avec l'aide du Secrétariat rural du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire lui-même. Cela concerne les collèges, de même que les municipalités où ils sont situés, les responsables du développement économique — s'il y en a dans ces collectivités —, les entreprises, le secteur forestier et le secteur de la géomatique. Nous voulons voir ce qui peut être amélioré et déterminer comment les habiletés des gens qui vivent dans ces régions peuvent être accrues afin de susciter de nouvelles perspectives de développement.

Le programme a été une réussite. Le processus d'évaluation se poursuit, mais le Secrétariat rural et d'autres organismes nous ont demandé de le faire connaître en France, en Islande, aux États-Unis et dans l'ensemble du Canada. Il présente un réel potentiel.

Les questions que nous devons maintenant nous poser sont les suivantes : que faut-il faire ensuite? Comment les autres collectivités rurales du pays peuvent-elles tirer des leçons de cette approche? Comment peut-on renforcer l'ensemble du développement socioéconomique des collectivités à partir de l'éventail de leurs compétences et de l'inventaire de leurs ressources, et comment peut-on faire progresser ce développement plus avant?

Mme Sawicki abordera la question du recours à la technologie, mais l'un des problèmes qui se posent dans les collectivités rurales du Canada est l'accès limité aux services à large bande. Et même s'il était possible d'y avoir accès, la question suivante continuerait de se poser pour les populations pauvres : est-il possible d'avoir accès à un ordinateur ou d'en posséder un? Nous avons fait mention des ordinateurs distribués aux enfants africains dans le cadre de l'initiative de l'éducation pour tous. Nous discutons souvent de la possibilité d'une approche visant à fournir à chacun un ordinateur ou un lecteur DVD, ce qui nous permettrait de présenter aux apprenants des contenus grâce auxquels ils développeraient leurs compétences tout en se familiarisant davantage avec la technologie.

Vous trouverez dans votre trousse différents numéros de notre magazine Collège Canada dans lesquels sont présentés des exemples qui illustrent comment les collèges et les communautés travaillent de concert pour remédier à la pauvreté et assurer la viabilité des collectivités. Vous y trouverez également un modèle illustrant le fonctionnement de l'initiative de regroupement des connaissances rurales.

Au chapitre des recommandations principales, nous croyons qu'il y a lieu d'établir un fonds à long terme et non fragmenté qui permettrait de rassembler les institutions et les partenaires communautaires. Il est essentiel de travailler conjointement pour contribuer à l'évaluation des compétences, pour élaborer des programmes de préparation à l'emploi et des initiatives d'encadrement et de consultation, et pour mettre au point une méthode d'apprentissage qui repose sur la technologie et qui soit adaptée au niveau d'alphabétisation. Tous ces éléments devraient être liés aux ensembles de compétences de la collectivité visée.

Il faut se pencher sur les programmes fédéraux en tenant compte de la fragmentation avec les provinces, les territoires et les gouvernements autochtones, et envisager la mise en œuvre d'approches concertées. Cela permettrait d'éviter que les apprenants soient désavantagés et leur assureraient un accès équitable aux programmes. Par exemple, l'adhésion des apprenants à un programme n'entraînerait pas la perte de prestations de soins de santé pour leurs enfants et pour eux-mêmes. C'est là un aspect crucial.

Nous croyons que l'initiative de regroupement des connaissances rurales apporte des bénéfices aux collectivités rurales éloignées. On a tiré des leçons du projet pilote et nous espérons qu'elles seront prochainement mises à profit au Canada, comme elles l'ont été ailleurs dans le monde.

La présidente : L'alphabétisation au Canada est au cœur d'à peu près tout ce que j'ai fait depuis que j'ai été nommée sénateur. Au cours de nos voyages, nous avons constaté les problèmes qui existent dans les villes, mais ce que vous nous avez expliqué est de bon augure et je vous remercie de votre témoignage.

Anna Sawicki, secrétaire-trésorière, Réseau canadien pour l'innovation en éducation : Je tiens à remercier le comité de nous avoir invités à parler de la pauvreté et du déclin dans le monde rural.

Le Réseau canadien pour l'innovation en éducation, ou RCIE, est un organisme national sans but lucratif composé de professionnels qui visent l'excellence et se vouent à l'innovation dans le domaine de l'éducation au Canada. Il a été créé au mois de mai dernier, à la suite d'une fusion entre l'Association canadienne de l'éducation à distance et l'Association des médias et de la technologie en éducation au Canada. Notre but premier est de combler l'écart entre la culture et les pratiques de l'éducation sur les campus et celles de la pédagogie institutionnelle et de l'éducation à distance. Compte tenu de la rapidité à laquelle l'éducation évolue à tous les niveaux, le Réseau joue un rôle important en offrant des possibilités d'apprentissage à ceux qui en ont besoin et au moment opportun.

Les gens que nous représentons travaillent dans les secteurs public et privé, de la maternelle à la douzième année, dans les établissements d'enseignement postsecondaire, ainsi que dans les domaines de la technologie de l'éducation, de l'éducation à distance et de la pédagogie institutionnelle, de la technologie appliquée, de l'administration et des politiques ainsi que de la recherche. Nous avons des membres partout au Canada et dans le monde entier.

Pour donner suite aux préoccupations du comité concernant l'exode des apprenants des collectivités rurales vers les centres urbains en vue de poursuivre leurs études, notre organisation considère l'accessibilité aux études au sein de ces localités comme un élément clé des perspectives d'avenir pour les régions rurales du Canada.

Notre organisation veut mettre l'accent sur deux questions. Nous nous pencherons sur les écarts sur le plan de l'infrastructure et nous allons expliquer brièvement en quoi l'infrastructure des services à large bande permet d'offrir une éducation de grande qualité dans les régions rurales et éloignées.

En ce qui concerne les écarts sur le plan de l'infrastructure, je vous renvoie au Rapport du Groupe de travail national sur les services à large bande, qui présente un plan visant à combler ces écarts. Ce groupe de travail a été créé il y a six ans par le ministre de l'Industrie. Je vais citer le rapport en question :

[Le] principal mandat [du Groupe de travail] consistait à élaborer une stratégie pour que les entreprises et les habitants de toutes les collectivités canadiennes aient accès d'ici 2004 aux services à large bande, conformément à l'objectif que s'est fixé le gouvernement du Canada [...]

La possibilité de réduire grandement et même d'éliminer le facteur de coût attribuable à la distance et au temps — dans l'activité économique et dans la prestation des services publics — constitue l'aspect le plus révolutionnaire des services à large bande.

Le Groupe de travail a trouvé des données probantes montrant qu'il existe un écart systématique entre la qualité de vie des Canadiens qui vivent à l'intérieur ou à proximité des régions urbaines du pays et ceux qui habitent dans les régions rurales, éloignées et nordiques. De la même façon, il y a un écart important entre la qualité de vie des Autochtones et des non-Autochtones canadiens [...]

Le Groupe de travail est convaincu que l'utilisation des services à large bande pour aider à combler les écarts d'ordre socioéconomique entre les collectivités canadiennes ne résume pas à un simple impératif stratégique; il s'agit d'un nouveau rêve national qui pourrait procurer à tous les Canadiens des avantages considérables [...]

Ce rêve, qui rappelle celui du réseau ferroviaire du XIXe siècle, a grandement bénéficié à tous les Canadiens. Nous exhortons le comité à examiner les chapitres du rapport du Groupe de travail intitulés « Principes », « Plan d'action pour assurer l'accès de tous les Canadiens aux services à large bande de base d'ici 2004 », et « Cap sur l'innovation et l'utilisation ».

Il est nécessaire de mettre au point des mécanismes permettant aux établissements d'enseignement d'avoir rapidement accès à l'infrastructure et au financement qui leur permettront de s'adapter aux conditions économiques changeantes. Mme Boyles l'a également mentionné dans son témoignage.

À titre d'exemple, on assiste actuellement à une explosion des activités minières dans le Nord de l'Ontario, alors que l'industrie forestière connaît un ralentissement important. L'éducation doit être adaptée à la nature cyclique de ces industries et permettre de diversifier les compétences des collectivités afin de réduire la dépendance à une industrie unique qui caractérise certaines économies régionales.

Nous estimons que les établissements d'enseignement, qu'il s'agisse d'universités, de collèges communautaires, d'établissements privés ou d'organismes, ont un rôle à jouer lorsqu'il s'agit, d'une part, de combler les écarts en vue de mettre à niveau l'éducation de ceux qui ont besoin d'un recyclage et, d'autre part, de favoriser le développement économique en procurant aux travailleurs de nouveaux ensembles de compétences.

La région de l'Atlantique compte la population rurale la plus importante au Canada, devant la Saskatchewan. Je voudrais profiter du temps qu'il me reste pour présenter un bref aperçu des efforts qui sont actuellement déployés en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan et pour décrire les écarts observés.

L'accessibilité est un enjeu important en Nouvelle-Écosse, depuis la maternelle jusqu'à la 12e année. La situation de l'enseignement postsecondaire s'est quelque peu améliorée en raison de la densité géographique relative de la province et de l'abondance — certains diront la surabondance — d'établissements d'enseignement de premier cycle.

L'École virtuelle de la Nouvelle-Écosse est l'une des initiatives visant à diversifier la gamme des logiciels pédagogiques conçus pour le perfectionnement professionnel et les études secondaires de deuxième cycle dans les régions éloignées et défavorisées sur le plan économique. On a dénombré 440 établissements, y compris des écoles et des bureaux administratifs au niveau du conseil scolaire, qui contribuent dans une certaine mesure à l'apprentissage distribué partout où ce type d'enseignement est dispensé.

Le ministère de l'Éducation de la Nouvelle-Écosse négocie activement une connexion plus rapide et à coût modique pour des établissements scolaires répartis sur un territoire plus vaste. Cela s'inscrit dans le cadre d'un appel d'offres à l'échelle du gouvernement visant à obtenir des services de télécommunications pour les municipalités, les organismes municipaux, les établissements universitaires, les écoles ainsi que les organismes de services de santé et de services sociaux.

Toutes les écoles en Nouvelle-Écosse disposent d'une connexion Internet d'au moins 512 kilo-octets. La connexion standard actuelle est la connexion DSL, dont la vitesse de téléchargement vers le serveur est généralement inférieure à la vitesse de téléchargement vers l'ordinateur personnel. Ceux parmi nous qui utilisent une connexion de ce type savent exactement de quoi je parle.

Le ministère de l'Éducation encourage les conseils scolaires régionaux à procurer aux écoles une connexion T1, dans la mesure du possible. Dans certaines zones situées à proximité du réseau de fibres optiques qui traverse la province, les grandes écoles peuvent se connecter à 10 mégaoctets, et parfois même à 100 mégaoctets. Il existe des différences marquées tout le long du continuum de la connectivité.

Sur ces 440 sites, 91 — ou environ 21 pour 100 — ont une connexion de 512 kilo-octets. Dans la plupart des cas, soit 76 pour 100, les connexions à basse vitesse se trouvent dans des écoles en milieu rural. Bien qu'il y en a un nombre sensible dans les villes et villages, elles se trouvent presque toutes sont dans des écoles de niveau élémentaire et non secondaire. Le fossé rural-urbain est manifeste, ici aussi puisque, parmi ces sites, 62 sont concentrés le long du corridor de fibre optique allant de Halifax, la capitale provinciale, à la région industrielle du Cap-Breton en passant par les zones les plus densément peuplées et les plus industrialisées.

Examinons maintenant la Saskatchewan, une province en transition. Cette province principalement rurale connaît une migration de sa population — des milieux ruraux vers les grands centres urbains. Vu l'important territoire à desservir, le gouvernement de la Saskatchewan reconnaît le rôle que la technologie peut jouer pour accroître pour tous les occasions d'apprentissage, soutenir l'éducation rurale et aider à assurer l'équivalence des cours dispensés. Voici quelques exemples de ce qui se fait dans cette province.

CommunityNet est un réseau provincial de télécommunications à haute vitesse et à large bande qui permettra de connecter entre eux plus de 800 écoles et collèges régionaux, y compris ceux situés dans des réserves des Premières nations, ainsi que 310 établissements de santé, 162 bibliothèques publiques et 256 bureaux du gouvernement, le tout dans un réseau privé qui est distinct de l'Internet mais permet néanmoins d'accéder à l'Internet. Cette formule de réseau est plus rentable, parce qu'elle s'appuie sur un grand nombre de fournisseurs.

Permettez-moi de vous donner un exemple. La technologie de la voix par IP, ou VoIP, permet une réduction considérable du coût — voire la gratuité — des appels interurbains, surtout dans les districts peu peuplés. Cette technologie permet aussi aux utilisateurs dans d'autres sites de CommunityNet d'accéder à des réseaux de recherche spécialisée provinciaux, nationaux et internationaux, et ce, dans un environnement protégé et contrôlé.

CommunityNet compte trois réseaux privés virtuels, ou RPV, distincts, chacun étant doté de son propre pare-feu et servant à la santé et à l'apprentissage des cadres.

Le réseau satellitaire d'apprentissage en ligne de la Saskatchewan se sert de divers modes de technologie — dont l'éducation en ligne, la télévision interactive, les audioconférences, les vidéoconférences et la lecture en transit de fichier visuel — pour soutenir et dispenser des cours d'enseignement secondaire, des cours à unité de niveau postsecondaire, ainsi que d'autres activités d'apprentissage. Ce réseau utilise l'infrastructure du réseau satellitaire, un réseau par satellite de télévision en circuit fermé qui dessert plus de 250 sites de formation à distance et de CommunityNet.

Le réseau satellitaire d'apprentissage en ligne consiste principalement en trois canaux de télévision satellitaire en circuit fermé que les établissements d'enseignement utilisent pour télédiffuser en direct, dans plus de 200 établissements pourvus du matériel requis et répartis dans toute la province, des cours à unité de niveau postsecondaire aux apprenants qui bénéficient de ce service. La lecture en transit de fichier visuel, qu'il s'agisse de fichiers archivés ou en direct, sert à bonifier l'utilisation de la technologie de radiodiffusion. On trouve les centres de réception de signaux par satellite ou les sites de formation à distance aussi bien dans des écoles, des établissements d'enseignement postsecondaire, des collèges régionaux que dans des établissements communautaires répartis dans toute la province, et ces centres ou sites sont identifiés pour la programmation par l'organisme chargé du programme et sont affiliés à un collège régional.

Mme Boyles a aussi mentionné, je crois, que le lien entre les établissements et les communautés est crucial dans les milieux ruraux.

En Saskatchewan, la Direction de l'éducation française se sert abondamment de la formation à distance pour dispenser des cours. Elle a conçu et mis en place un programme d'ordinateurs portatifs pour chaque étudiant du secondaire et prévoit faire en sorte que chaque étudiant suive au moins un cours de formation à distance. Il y a aussi eCOLE, une école secondaire virtuelle de cours de français en immersion, sous l'égide de la Direction de l'éducation française du ministère de l'Apprentissage de la Saskatchewan.

Il est difficile pour les étudiants en milieu rural d'obtenir une mention à ce chapitre, ces programmes ayant été supprimés entièrement au niveau postsecondaire ou n'offrant qu'un nombre limité de cours à ces étudiants. En outre, ces régions ont souvent de la difficulté à recruter des enseignants ou, dans certains cas, à les remplacer. Pour combler cette lacune et fournir l'accès à un plus grand choix de cours, eCOLE offre des cours asynchrones de français en immersion de niveau secondaire.

Comme vous l'avez entendu ce soir, il existe des programmes permettant aux communautés rurales d'avoir accès à des activités de formation. Le problème, c'est qu'il y a de nombreuses lacunes en matière d'infrastructure un peu partout dans les provinces et les territoires qui empêchent d'avoir des chances égales d'accès. Pour reprendre ma métaphore de tout à l'heure au sujet du réseau ferroviaire, nous avons besoin, pour le XXIe siècle et plus loin encore dans l'avenir, d'un réseau nouveau et amélioré.

Pour terminer, un appui fort en matière d'infrastructure et d'éducation sera des plus bénéfiques pour les communautés rurales, car cela permettra aux jeunes et aux moins jeunes de ces communautés de continuer à y vivre tout en pouvant profiter d'une vaste gamme d'occasions d'apprentissage.

Le sénateur St. Germain : Merci pour cet exposé. Vous possédez très bien votre sujet, mieux que la plupart d'entre nous — du moins en ce qui me concerne.

Si je comprends bien, vous êtes toutes les deux membres du corps enseignant. Madame Sawicki, vers la fin de votre exposé, vous dites : « En outre, ces régions ont souvent de la difficulté à recruter des enseignants ou, dans certains cas, à les remplacer. » Dans votre mémoire, vous précisez, entre crochets, qu'il s'agit d'enseignants non spécialisés en mathématiques.

Or, il se trouve que je fais partie, avec certains de mes collègues ici, du comité chargé des questions concernant les peuples des Premières nations. L'un des éléments que nous avons pu constater est que l'absence de conditions favorables est souvent liée au manque de compétences en mathématiques. Comment toute cette haute technologie peut- elle s'avérer profitable s'il n'y a pas d'enseignants sur place pour s'occuper des élèves?

Je me souviens que, quand j'étais enfant, il n'y avait pas de technologie; nous n'avions que d'excellents professeurs. Avec un peu de chance, il nous arrivait d'avoir un professeur porté davantage vers les mathématiques. Je crois toujours que les mathématiques et les sciences sont les meilleurs outils pour accéder au bien-être économique, aux emplois, et atteindre l'excellence.

Croyez-vous que l'approche technologique que vous adoptez comblera cet écart? Je me servirai d'un exemple : quand le sénateur Peterson et moi-même étions de passage à Thunder Bay, nous avons participé à des audiences sur le développement économique. Wasaya Airlines, une compagnie aérienne appartenant en totalité à des membres des Premières nations dans la région, comptait plus de 100 pilotes. Comme je suis moi-même pilote, j'ai demandé au propriétaire combien de ces pilotes provenaient de la communauté autochtone. Un seul de leurs pilotes était issu des Premières nations, et quand j'ai demandé pourquoi, on m'a répondu que les Autochtones n'avaient tout simplement pas les connaissances requises, en mathématiques et en sciences, pour apprendre ce métier.

Bien que les gens puissent étudier dans bon nombre de domaines, ils auront beaucoup de difficulté à tirer profit du développement économique et des emplois disponibles au pays, s'ils ne possèdent pas cette formation de base en mathématiques et en sciences. Corrigez-moi si je fais erreur.

Mme Sawicki : Vous avez absolument raison. Quant à cet écart, on ne pourra aider personne s'il n'y a pas de professeurs de mathématiques dans une région rurale ou à l'intérieur d'une réserve des Premières nations. Par contre, si la technologie permet d'avoir accès à des cours de mathématiques et de sciences à distance, que ce soit par diffusion en temps réel ou par vidéoconférence à partir d'une réserve des Premières nations par exemple, c'est mieux que rien.

Le sénateur St. Germain : Je suis d'accord, mais avez-vous des statistiques montrant que c'est la voie de la réussite? Est-ce que ce que nous faisons fonctionne réellement, et sinon, que faudrait-il faire pour que ça marche?

Mme Sawicki : Je crois que ça marche. Sur le plan des statistiques, beaucoup plus d'établissements — écoles secondaires, établissements postsecondaires, collèges, universités ou établissements d'enseignement privés — ont en fait davantage recours à la technologie. Cela permet d'accroître l'accessibilité non seulement en milieu urbain, mais également en milieu rural.

Le problème se pose quand la localité n'est pas située dans le corridor d'un réseau à large bande. J'ai donné l'exemple de la Nouvelle-Écosse, où la localité peut être située à proximité du corridor allant de Halifax au Cap-Breton, à défaut de quoi, les cours ou programmes ne seront pas accessibles, que ce soit en raison de leur nature, de leur nombre restreint ou de leur non-disponibilité. D'où l'importance de ramifier l'infrastructure pour desservir le reste du pays.

Le sénateur St. Germain : Mme Boyles a signalé que certains ajustements étaient apportés en foresterie — c'était son exemple, je crois. À l'heure actuelle, nous connaissons une véritable période de prospérité dans l'industrie pétrolière. Comment peut-on réussir à prévoir les changements plutôt qu'être à leur remorque?

On peut constater cela dans l'industrie forestière, par exemple en Colombie-Britannique, où l'infestation du dendroctone du pin des montagnes fera disparaître la grande majorité des emplois dans les terres intérieures de la province. Est-il possible de prévoir ces situations? Ce boom pétrolier ne durera qu'un temps. Beaucoup de gens formés pour travailler dans ce secteur particulier devront se recycler, si cette industrie vient à s'effondrer.

Comment votre profession fait-elle pour prévoir ces situations, ou est-ce même possible? De façon générale, vous contentez-vous de réagir plutôt que d'être proactifs?

Mme Boyles : L'une de nos responsabilités consiste à assurer la planification pour les établissements. Nous cherchons également comment combiner les programmes d'emplois à temps plein et d'emplois à temps partiel, et nous essayons de voir quels seront les transferts de compétences possibles entre types d'emplois. À l'échelle nationale et dans le secteur des industries primaires, nous travaillons en collaboration avec le Conseil sectoriel des mines et l'Association minière du Canada. Nous avons invité M. Avrim Lazar, chef de la direction de l'Association des produits forestiers du Canada, à notre congrès annuel qui se tiendra le printemps prochain à Prince George. Nous essayons de rencontrer les dirigeants de l'industrie qui réfléchissent aux secteurs appelés à connaître une croissance dans l'avenir. Quand nous voulons discuter de l'impact d'un moratoire sur l'exploitation des sables bitumineux, nous parlons aux gens qui oeuvrent dans ce secteur. Dans les circonstances, quelles sont les perspectives pour un établissement comme le Northern Alberta Institute of Technology ou le Keyano College à Fort McMurray? Quelles seraient les répercussions dans ce secteur si on imposait un moratoire ou qu'on connaissait une croissance accélérée entraînant une demande subite de compétences qui ne seraient peut-être pas encore reconnues mais qui correspondraient aux besoins de l'industrie? Comment aider ces personnes qui retournent sur les bancs d'école à acquérir en permanence de nouvelles connaissances, à chercher constamment à mettre en valeur le savoir qu'elles ont acquis et à l'appliquer à un autre domaine de travail?

Quand on s'occupe de normes professionnelles à l'échelle nationale, on peut avoir une vue d'ensemble du régime d'apprentissage au Canada. Toutefois, où trouve-t-on des compétences communes qui permettent aux employés de passer d'une profession à une autre? Il est extrêmement difficile de faire des projections en ce qui concerne le marché du travail. Même si le Canada est considéré comme un chef de file dans ce domaine, les gens qui travaillent sur le terrain trouvent que le problème est très complexe. L'approche par scénarios fonctionne très bien, notamment dans le cas des industries en plein essor ou des industries en déclin ainsi que des programmes d'adaptation au marché du travail.

Le sénateur Callbeck : Madame Boyles, vous connaissez certes le sujet.

Vous avez parlé de grappes, et vous avez mentionné la Nouvelle-Écosse, puis vous nous avez parlé de l'initiative concernant les grappes de connaissances en milieu rural. Ce projet était-il en cours au Nova Scotia Community College?

Mme Boyles : Le Nova Scotia Community College, situé dans la région de la vallée de l'Annapolis, est l'un des trois sites pilotes au Canada. Le campus Annapolis Valley du Nova Scotia Community College possède des compétences hors du commun, étant un chef de file mondial en géomatique et en systèmes d'information géographique, de même que dans leur application aux pêches, aux collectivités agricoles, et le reste. On s'est penché sur le déclin de l'industrie de la pêche, et on a essayé de voir comment on pouvait contribuer à la création et à l'essor de petites et moyennes entreprises dans ce milieu grâce à la technologie de l'information en géomatique. On voulait en outre savoir comment transmettre ces connaissances à d'autres collectivités en aval; relier ensemble ces entreprises, ces agents de développement économique communautaire ainsi que les programmes de formation du Nova Scotia Community College — en l'occurrence, les écoles secondaires locales — afin d'amener stratégiquement toute une collectivité à améliorer son bagage de compétences ou à puiser des compétences dans d'autres domaines pour les appliquer dans cette région.

Le sénateur Callbeck : Ces projets pilotes doivent-ils se terminer bientôt?

Mme Boyles : Oui, ils se terminent à la fin de mars. Il est à espérer que ces collectivités poursuivent sur leur élan, mais certes, une inquiétude subsiste. Il en va toujours ainsi des projets pilotes. Dans le cas présent, il s'agissait d'un projet pilote mûrement réfléchi et visant à tirer des leçons de la mise en commun des efforts au sein de la collectivité. Voilà pourquoi on a mis en place des mécanismes de suivi rigoureux. De plus, on a interrogé les entreprises et les partenaires locaux sur ce qui fonctionnait, ce qui ne fonctionnait pas, ce qu'il faudrait changer et ce qu'ils recommanderaient à d'autres collectivités pour la suite des choses.

Le sénateur Callbeck : Publierez-vous un document sur les résultats de ce projet?

Mme Boyles : Une évaluation en profondeur est actuellement en cours. Nous avons réuni passablement d'informations préliminaires en vue de présenter l'évolution des modèles à la grandeur du pays. En Nouvelle-Écosse, le projet fait également partie d'une initiative pilote menée sous le patronage du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le CRSNG, en ce qui a trait au rôle que jouent les collèges et les établissements d'enseignement dans la recherche appliquée au pays. Il y a des leçons à tirer de ce projet de recherche appliquée dans le cadre duquel des collèges collaborent avec des entreprises en matière de commercialisation, d'adoption et de transfert de nouvelles technologies dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse en vue de favoriser le développement économique.

Le sénateur Callbeck : Madame Sawicki, vous avez parlé de différentes initiatives mises en œuvre en Nouvelle-Écosse et dans certaines régions de la Saskatchewan. S'agit-il d'initiatives fédérales ou provinciales, ou les deux?

Mme Sawicki : Celles dont j'ai parlé étaient des initiatives provinciales.

Le sénateur Callbeck : Qu'est-ce que le gouvernement fédéral fait actuellement en ce qui concerne l'apprentissage à distance? Est-ce que de nouvelles initiatives ont été lancées?

Mme Sawicki : Non, pas que je sache.

Mme Boyles : Il y a CANARIE, une initiative assez importante qui vise à mettre au point un réseau à large bande à la grandeur du pays. Cette initiative est tout à fait cruciale. Les centres d'accès communautaires reliés au réseau Rescol par Industrie Canada ont donné des résultats concrets dans bon nombre de régions rurales au Canada et cette initiative a contribué à la conclusion de certains partenariats. La prolongation du financement de CANARIE est une nouvelle relativement récente. Bien sûr, il y a une marge entre le fait d'annoncer une entente et celui de signer un contrat et d'obtenir le financement.

Mme Sawicki : Le projet CANARIE est en cours depuis un bon moment déjà. En fait, ce projet a vraiment donné un élan à de nombreuses initiatives de services à large bande partout au Canada. L'Île-du-Prince-Édouard, par exemple, a bénéficié de sa participation au réseau CANARIE. Il y aurait davantage à faire sur le plan de la technologie. L'infrastructure que nous évoquons, si on utilise la métaphore d'un réseau ferroviaire national, relierait le Canada d'un bout à l'autre, ce qu'un groupe de personnes ou d'organismes en particulier n'aurait pas les moyens de se payer à lui seul. Le Groupe de travail national sur les services à large bande a coûté des milliards de dollars, et c'était au début des années 2000. Vous pouvez vous imaginer à quel point ces coûts iront en augmentant, vu l'intérêt que l'on porte à la possibilité d'accroître davantage la capacité des services à large bande.

Si c'est l'égalité d'accès des zones rurales et urbaines que nous voulons, l'argent nécessaire ne viendra pas d'un seul gouvernement.

Le sénateur Callbeck : Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Peterson : Vos programmes sont très souples, avez-vous dit, de façon à pouvoir répondre aux besoins de vos clients, soit les étudiants. Quel est votre degré d'autonomie et de quelle marge de manœuvre disposez-vous? Vous avez dit, par exemple, qu'il fallait répondre aux besoins en ce qui concerne les compétences requises pour le travail sur les installations de forage au large de la côte est.

Mme Boyles : Dans les années 1960, de nombreux collèges et établissements ont été créés grâce au financement du gouvernement fédéral et à la Loi sur l'assistance à la formation technique et professionnelle. Ces établissements, conformément aux cadres législatifs, ont le mandat d'être des agents de développement socioéconomique et communautaire. Selon la région où vous vous trouvez, vous disposez donc de plus ou de moins de ressources et de flexibilité pour répondre aux besoins.

La plupart des fonds alloués aux études postsecondaires, y compris les transferts, dont ceux qui se cachent dans le Transfert canadien en matière de programmes sociaux, mais ça, c'est une autre question à régler... la plupart de ces fonds, donc, sont destinés aux programmes à temps plein, en fonction de certains critères et d'une certaine enveloppe. Les programmes destinés aux localités rurales et éloignées, en particulier pour les adultes défavorisés, sont financés de différentes façons, ce qui donne aux établissements une bonne marge de manœuvre quant aux programmes qu'ils offrent. Le défi, c'est de trouver les mécanismes de financement pour pouvoir les offrir.

Là où l'on bénéficie d'une plus grande marge de manœuvre, c'est lorsque l'on travaille directement avec l'industrie, comme dans le cas des sables bitumineux, et que cette industrie a les moyens de financer la formation, une partie des recherches appliquées, le transport et l'aide pour la garde des enfants. Par exemple, c'est l'industrie qui a payé la construction de la route qui relie La Loche, en Saskatchewan, à l'Alberta pour que les Autochtones puissent aller travailler dans les carrières de sables bitumineux. La souplesse est un aspect important et une sorte d'impératif moral quand vient le temps pour les collèges et les conseils d'administration d'envisager de collaborer avec l'industrie. La souplesse constitue l'un des principes de fonctionnement des établissements. Le nombre de programmes à temps plein dépend des fonds disponibles pour les études postsecondaires.

Mme Sawicki : Lorsque des subventions sont accordées dans le cadre de programmes d'une durée déterminée, le problème est de savoir dans quelle mesure ce financement peut être renouvelable après la phase pilote, ou après une phase de deux ou trois ans.

Au bout de trois ans, beaucoup de projets tombent à l'eau parce qu'ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins. D'excellents programmes qui étaient souples et qui répondaient aux besoins de l'industrie et des gens ont été perdus de cette façon.

Le sénateur Peterson : Vous travaillez à la fois avec le gouvernement fédéral et avec les gouvernements provinciaux, et l'éducation relève du provincial. Vous combinez les deux, en quelque sorte?

Mme Boyles : L'éducation relève effectivement du provincial, mais certains programmes sont passés tour à tour d'un ordre de gouvernement à l'autre. C'est arrivé souvent au cours de ma carrière dans le milieu des collèges. Je me rappelle avoir donné des cours de chercheur d'or pour financer des programmes d'alphabétisation en Alberta, parce qu'à ce moment-là, il n'était pas clair à qui revenait la responsabilité de l'alphabétisation.

Il est également important de se rappeler que de nombreux domaines sont la responsabilité du gouvernement fédéral. L'aviation, les communications et les domaines régis par le droit maritime international, par exemple, sont tous sous la responsabilité du gouvernement fédéral, puisqu'il est nécessaire d'y appliquer des normes professionnelles. Il existe des programmes et des cours de formation et de perfectionnement pour les employés de la Défense nationale, de la GRC et de la fonction publique fédérale qui travaillent en milieu rural et dans des régions éloignées, ainsi que dans certains laboratoires de recherche, comme celui de Lethbridge en Alberta. Pour ce qui est des Autochtones, c'est le gouvernement fédéral qui en est responsable, comme vous le savez. Nombre d'Autochtones sont sur une liste d'attente pour pouvoir entreprendre des études postsecondaires parce qu'ils n'ont pas accès aux ressources nécessaires, alors qu'ils ont leur diplôme d'études secondaires et les préalables en mathématiques et en sciences. Il existe également des programmes fédéraux pour les Métis et les Inuits.

Des efforts sont déployés par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, et des fonds sont aussi accordés par les gouvernements autochtones.

Le sénateur Peterson : Vous avez mentionné des lacunes dans l'infrastructure. Quel est le pourcentage de gens qui ont accès aux services à large bande en Saskatchewan, par exemple?

Mme Sawicki : Je n'ai pas de statistiques exactes à vous donner à ce sujet, mais c'est évident que dans les régions du Nord les possibilités sont moins nombreuses que dans les régions du Sud.

Le sénateur St. Germain : Pardon, j'aimerais que l'on m'éclaire sur un point.

Avez-vous dit, madame Boyles, que des membres des Premières nations qui ont terminé leur cours secondaire ne peuvent pas poursuivre leurs études par manque de ressources financières?

Mme Boyles : Oui. L'Assemblée des Premières nations, d'après des données compilées entre 2001 et 2006, a dénombré plus de 10 000 personnes admissibles qui se sont vu refuser l'accès aux études postsecondaires. Nous nous sommes penchés sur cette question et nous avons procédé à des échantillonnages pour connaître les différences entre les régions. Depuis la première étude, près de 3 000 autres personnes ont été ajoutées à la liste de gens qui n'ont pas accès aux études postsecondaires.

Dans le cas des Autochtones, il existe un autre problème, soit le rôle et le soutien des établissements postsecondaires autochtones, ou le manque de soutien. Nous encourageons les intervenants à soutenir ces établissements autochtones, particulièrement ceux situés dans des régions rurales ou éloignées, parce qu'ils constituent un tremplin vers les établissements généraux, avec lesquels ils pourraient collaborer pour s'assurer un avenir florissant.

En ce qui concerne l'alphabétisme, pensons que de nombreuses personnes qui ont leur diplôme d'études secondaires et possèdent donc des compétences en mathématiques, en sciences et en communication, ne peuvent pas les mettre en pratique. Elles « désapprennent » ce qu'elles savent et doivent remédier à la situation en suivant une formation d'appoint avant d'accéder à des programmes spécialisés.

Le sénateur Peterson : Il y a plusieurs stations de radio FM dans les localités du nord de la Saskatchewan. Est-ce qu'on pourrait y recourir pour ce dont nous discutons?

Mme Sawicki : Absolument.

Le sénateur Peterson : Elles sont déjà en place. Que faudrait-il faire pour s'en servir?

Mme Boyles : Ron Faris, qui vient de la Saskatchewan, a écrit un livre sur l'impact que les tribunes radiophoniques agricoles ont eu par le passé sur l'apprentissage, ainsi que sur le potentiel que présente l'utilisation de la radio au pays. Aux Philippines, par exemple, on a utilisé un système de radiodiffusion pour communiquer avec les collectivités. Je sais que ça se fait, mais je n'en sais pas plus en ce moment.

Mme Sawicki : Dans les années 1960, à l'Île-du-Prince-Édouard, des cours étaient donnés à la radio. Le nombre de personnes qui écoutaient et qui suivaient ces cours était phénoménal. Rien ne nous empêche de nous servir aussi de la radio.

Mais il est possible que les gens trouvent la radio désuète comparativement aux autres technologies disponibles aujourd'hui.

Le sénateur Peterson : Lorsqu'il n'y a rien d'autre, on pourrait s'en servir.

Mme Sawicki : Vous avez raison. C'est mieux de faire quelque chose que de ne rien faire.

Le sénateur Mahovlich : Il y a un sérieux manque de professionnels de la santé en milieu rural au Canada, ce qui comprend les personnes qui sont formées au niveau collégial — par exemple, les techniciens en imagerie et en radiologie, les technologues de laboratoire et les infirmières auxiliaires. Que peut-on faire dans les collèges communautaires pour augmenter les chances que les diplômés de ces programmes viennent s'établir et travailler en milieu rural? Existe-t-il des mécanismes pour les encourager à s'installer et à travailler en milieu rural?

Mme Boyles : J'ai donné l'exemple de Burns Lake, en Colombie-Britannique, où on a combiné différents mécanismes pour financer un programme de formation d'agents de santé communautaire. Le but était de trouver des personnes, principalement d'origine autochtone, qui vivaient dans ces collectivités et qui voulaient suivre une formation pour devenir, entre autres, des travailleurs de la santé et des aides à domicile.

Le collège communautaire de Red River offre une formation pratique d'infirmière auxiliaire aux Autochtones. Le Langara College, même s'il n'est pas situé en milieu rural mais dans la région de Vancouver, a reconnu la compétence d'un premier groupe de diététiciens et de nutritionnistes formés à l'étranger. Un programme vise à encourager ces diplômés à travailler dans des collectivités rurales et éloignées.

Le problème dans les collectivités rurales et éloignées, c'est la fermeture des hôpitaux et des installations médicales. Les stratégies d'emploi s'en trouvent affectées parce qu'il y a de moins en moins d'endroits pour faire un stage. Dans le secteur de la santé, des programmes pour 37 des 52 professions sont offerts dans les collèges et les instituts. On essaie de créer des liens entre les milieux en plus d'encourager les professionnels formés à l'étranger à venir s'établir dans les collectivités.

Le sénateur Mahovlich : Je viens de la localité rurale de Timmins. Dans les années 1940, quand j'étais enfant, nous avions d'excellents enseignants, médecins et hôpitaux. Qu'est-ce qui incitait les gens à travailler dans une région aussi éloignée dans le Nord?

Mme Boyles : On m'a déjà offert un poste à Buffalo Narrows, en Saskatchewan, en tant que travailleuse sociale. Il y avait une prime ajoutée au salaire à ce moment-là, mais je n'ai pas accepté le poste. Je n'en sais pas plus.

Il y a des avantages et des inconvénients. Des endroits comme Fort McMurray ou n'importe quelle autre localité du nord de l'Alberta ou de la Saskatchewan éprouvent de grandes difficultés à attirer des gens dans le secteur primaire.

L'industrie recrute des personnes qui toucheraient un salaire beaucoup moins élevé comme professeurs ou doyens dans un collège. La question déterminante est de savoir comment maintenir le même niveau de compétence si nos collèges et les commissions scolaires ne trouvent pas les professeurs qu'il faut. Cette situation créera un problème économique de taille dans l'avenir.

Burns Lake a justement éprouvé ces problèmes. On y trouve maintenant des gens qui veulent travailler et rester dans la collectivité.

Il existe d'autres programmes dans les universités du pays, comme le Programme de formation d'enseignants dans le Nord. L'Université du Manitoba gère un de ces programmes en partenariat avec certains collèges du nord du Manitoba et des territoires. Je crois que l'Université Dalhousie et l'Université de la Saskatchewan ont aussi de tels programmes.

On tente de trouver des personnes prêtes à suivre des programmes d'études postsecondaires dans leur localité, autant que possible. On crée ensuite des liens avec des universités ou des collèges de l'extérieur, en espérant que ceux qui y obtiennent un diplôme vont revenir vivre chez eux vu le système de valeurs en milieu rural.

Mme Sawicki : On offre aussi des cours à distance.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce qu'une province se démarque dans le domaine, comme Burns Lake en Colombie- Britannique?

Mme Boyles : Je n'ai pas examiné les provinces en détail. L'endroit où il y a le plus d'argent, c'est en Alberta. Dans le secteur des métiers, il existe des programmes à intégration progressive : les liens avec les programmes de métiers sont faits dès le secondaire afin d'intégrer les jeunes plus tôt à la profession. Le programme de métiers des jeunes Autochtones nous vient de l'Alberta et a fait des petits dans tout le pays.

C'est évident que le fait d'allouer des budgets plus importants aux études postsecondaires, à l'alphabétisme et aux cours préparatoires à l'exercice d'un métier ou d'une profession dans le domaine de la technologie fait une différence, et permet d'offrir des services dans les régions rurales et éloignées.

Mme Sawicki : Depuis les 20 ou 30 dernières années, Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que la Colombie-Britannique et l'Alberta sont reconnues pour offrir des cours à distance. Si on voulait choisir une province, ce serait Terre-Neuve-et- Labrador. Par exemple, on y trouve la télémédecine. Comme la plupart des localités de la province sont éloignées, on a dû leur offrir l'accès à l'université et aux collèges communautaires. Dans bien des provinces, les établissements postsecondaires s'associent de plus en plus parce qu'il est souvent impossible de faire cavalier seul.

Le sénateur Callbeck : Au cours de cette étude, certains témoins ont parlé du fait que dans les 20 à 30 dernières années, les efforts relatifs à l'enseignement visaient à préparer les étudiants pour l'université plutôt que pour le collège. Nous nous retrouvons donc avec un manque d'ouvriers qualifiés dans les métiers et d'autres types de professions qui ne nécessitent pas d'études universitaires.

Croyez-vous que cette situation change? Est-ce que la société commence à revaloriser les études collégiales?

Mme Boyles : Absolument, et c'est logique. Par exemple, pendant le ralentissement de l'activité économique dans le secteur du pétrole, les gens étaient beaucoup moins intéressés à travailler dans l'industrie pétrochimique que maintenant. Ils voient quels sont les secteurs créateurs de richesses au pays et font le lien avec les compétences acquises à la suite d'études collégiales ou d'une formation pratique. De plus, les gens voient que les diplômés collégiaux se trouvent un emploi, et les annonces qui figurent dans les magazines comme Maclean's ont réellement de l'impact.

Il y a aussi le fait que l'industrie recherche ces compétences. La semaine dernière, l'association de l'industrie de la construction a annoncé qu'elle aurait besoin de 250 000 travailleurs au cours des sept prochaines années. Ce genre de déclaration aide à accélérer le processus de réflexion au sujet des programmes.

L'autre explication, c'est que dans plusieurs cas — c'est sans doute plus fréquent en milieu urbain qu'en milieu rural —, le nombre d'étudiants inscrits dans un collège ou un institut augmente principalement parce que des détenteurs d'un diplôme universitaire combinent les deux formations. Par exemple, ces personnes peuvent avoir une formation générale et la combiner avec un programme spécialisé, ou vice-versa. Cela fait une grande différence pour ce qui est des demandes d'admission.

Selon les données les plus récentes sur la population active, à l'heure actuelle environ 33 p. 100 des gens détiennent un diplôme d'études collégiales, 10 p. 100 ont suivi une formation en apprentissage et 21 à 24 p. 100 ont fait des études universitaires.

Nous avons fait des recherches par code postal pour déterminer où se trouvent les centres d'apprentissage et les campus, et bien des collèges sont situés dans des régions rurales et éloignées du Canada. C'est là que les gens iront pour suivre des cours.

Mme Sawicki : Bien d'autres collèges et universités signent des ententes d'articulation. Si vous fréquentez un collège communautaire pendant deux ans, vos cours seront crédités, puis vous pourrez suivre des cours à l'université qui seront aussi crédités. Bien des universités prennent ces décisions, pas seulement pour des cours suivis dans la province où elles se trouvent mais aussi dans d'autres provinces. Différentes universités auront des ententes de ce genre avec différents collèges pour la raison que Mme Boyles a mentionnée.

Le sénateur Callbeck : C'est ce qui s'est produit entre l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard et le Holland College.

Mme Sawicki : Oui, c'est exact.

Le sénateur Callbeck : Qu'en est-il des frais d'études pour les étudiants en milieu rural? Est-ce que l'Association des collèges communautaires du Canada a fait des recommandations au sujet des modifications qui pourraient être apportées au programme de prêts d'études afin de mieux répondre aux besoins des étudiants en milieu rural?

Mme Boyles : Oui, en effet. Selon nous, les frais de scolarité sont la dépense la moins importante pour quelqu'un qui poursuit ses études au niveau postsecondaire. Les frais de subsistance et de transport sont les plus élevés, et de loin. Dans une région rurale ou éloignée où les moyens de transport sont rares, même si le collège est situé dans la région immédiate, les frais seront beaucoup plus élevés.

Comme nous le disons dans notre exposé, nous croyons que le Programme canadien de prêts aux étudiants repose encore sur un modèle conçu dans les années 1960. Il est clair que ce programme ne répond pas aux besoins actuels de la population étudiante dans nos établissements. Dans le cas des étudiants venant des régions rurales et éloignées, la situation est encore plus grave.

Plusieurs facteurs et plusieurs frais ne sont pas pris en considération par le Programme, mais les choses s'améliorent. Ce problème nous renvoie à certains aspects de la question de la pauvreté dans les régions rurales et éloignées du Canada.

Il y a environ 30 ans, si quelqu'un était propriétaire d'un bateau de pêche ou d'un bien agricole, il était inadmissible à certains programmes de prêts à cause de cet avoir. Au moins, il y a eu une amélioration de ce côté-là. Mais, il se peut quand même que des gens des régions rurales et éloignées ne puissent pas poursuivre la carrière de leur choix parce qu'il n'y a pas de cours dans ce domaine dans leur région, même avec la formation à distance et l'apprentissage assisté par la technologie. C'est aussi un obstacle qui nous empêche de combler les besoins du secteur primaire au pays.

Le sénateur Callbeck : Vous avez une liste de recommandations pour le programme de prêts aux étudiants. Est-ce exact?

Mme Boyles : Oui. D'ailleurs, un groupe de travail national a préconisé la mise sur pied d'un nouveau système de soutien aux apprenants au Canada. Il s'appuie sur certains principes que j'ai déjà mentionnés, notamment l'universalité des programmes et l'équité. Selon nous, tout programme d'aide financière — qu'il s'agisse du programme de prêts aux étudiants, de la Fondation canadienne de bourses d'études du Millénaire, du programme de bourses, des programmes d'assurance-emploi ou encore des programmes à l'intention des Autochtones — doit s'assortir d'un ensemble de principes directeurs, afin que nous ayons une démarche commune, l'égalité d'accès et des solutions de financement supplémentaires pour les personnes comme celles qui habitent en régions rurales et en régions éloignées.

Le sénateur Peterson : Vous avez indiqué au début que vous menez de nombreux projets pilotes. Manifestement, vous essayez d'élaborer des nouveautés. Tous ces efforts visent-ils à créer un modèle vous permettant de dire « Voici notre but » ou bien font-ils simplement partie du mandat que vous poursuivez? Dans cinq ans, où aimeriez-vous être?

Mme Boyles : Les projets pilotes ont évidemment un objectif. Ils nous permettent de mettre à l'essai les idées nouvelles et de vérifier si elles sont applicables ou non. Il y en a que nous voulons adopter et d'autres qui nous permettent de tirer les leçons de ce qui ne fonctionne pas. Cela aussi est utile.

Par exemple, il se peut que nous souhaitions essayer d'adopter une nouvelle démarche avec un partenaire du milieu industriel ou un groupe communautaire. L'argent du projet pilote pourrait s'avérer la seule source de financement disponible qui permettrait d'atteindre certains objectifs sur lesquels veulent s'appuyer le milieu des affaires, les partenaires syndicaux, les groupes autochtones ou d'autres partenaires.

Cependant, que ce soit dans le système des établissements et des collèges ou avec les partenaires du secteur bénévole et communautaire, comme les YMCA-YWCA ou d'autres fournisseurs, nous ne privilégions pas forcément les projets pilotes. En effet, il vaut mieux disposer d'un financement à long terme pour les programmes. Ainsi, dans les paramètres qui sont fixés en matière de responsabilisation et de transparence — les discours à propos des résultats accomplis grâce à l'argent — on examine régulièrement les programmes pour les adapter, les modifier ou les laisser tomber s'ils ne sont plus pertinents.

Lorsqu'il s'agit de formation dans le milieu de l'industrie ou d'élaboration de programmes, il arrive constamment que des programmes ou des cours soient abandonnés parce qu'ils ne sont plus utiles pour l'économie ou encore parce que la population canadienne dans son ensemble progresse. Nous avons besoin des deux volets, mais les projets pilotes apportent leur lot de frustrations.

Le sénateur Peterson : En ce qui concerne l'apprentissage à distance, vous avez la situation plutôt bien en main et vous savez ce qu'il faut faire. Est-ce maintenant juste une question d'argent?

Mme Sawicki : Non, je ne pense pas. Dans les établissements, il faut que tous aient la volonté d'offrir des programmes qui ne se déroulent pas en face-à-face, mais ce n'est pas le cas dans beaucoup d'entre eux. C'est en partie une question d'argent, mais c'est aussi lié au type de ressources dont ils disposent.

C'est en fait, à bien des égards, à la collectivité de déterminer ce qu'elle veut. Nous ne pouvons imposer quoi que ce soit. Pour ce qui est de l'apprentissage à distance, il faut que s'instaurent une association et une communication entre la collectivité et un fournisseur. Sans cela, rien ne fonctionne.

Le sénateur Peterson : Vous essayez donc de développer cet élément afin de susciter la volonté.

Mme Sawicki : C'est bien ça. Peu importe le programme en région rurale, nous devons arriver à parler aux gens pour découvrir ce qu'ils veulent. Nous pouvons faire des propositions mais, si les deux parties ne partagent pas la même volonté ou le même intérêt, ça ne marchera jamais. Il y a probablement de nombreux exemples de telles situations dans nos propres collectivités.

La présidente : Je suis d'accord avec vous; vous avez touché une corde sensible.

Je veux vous faire part d'une situation qui s'est produite à l'échelon fédéral il y a bien des années et qui concernait les travaux des deux Chambres du Parlement dans les premiers temps des programmes d'alphabétisation. On considérait alors que cette question relevait des provinces, et pas de nous. Eh bien, je dirais au contraire que ça nous concerne de très près.

Je me rappelle, à la fin des années 1980 ou au début des années 1990, quand nous savions vraiment ce qu'il y avait dans les collines et les vallées du nord de l'Alberta, c'était grâce au travail manuel — les gigantesques camions, le pelletage, par exemple — que le produit était extrait. L'extraction fournissait des emplois à beaucoup de gens, notamment des Autochtones, mais l'un des problèmes était que le produit n'était pas commercialisable. Tout à coup, la situation a changé avec l'arrivée de la nouvelle technologie.

Eric Newell, à l'époque le président de Syncrude Canada Ltd., a étudié la façon dont la nouvelle technologie pourrait assurer la viabilité de l'industrie. Plutôt que de faire venir des personnes d'autres pays qui avaient dû faire face au problème et qui avaient tenté de le régler de diverses façons, il a persuadé le conglomérat que constituait Syncrude Canada. Il a décidé de mettre en œuvre un programme d'enseignement sur le terrain même de l'industrie. Ce programme devait profiter aux personnes qui étaient sur place et qui comprenaient le processus dans une certaine mesure, mais pour qui tout avait changé avec l'arrivée de la nouvelle technologie.

Il a trouvé quelqu'un dans le nord de l'Ontario qui avait fait ce même type de travail dans l'industrie minière pour des raisons semblables. Il a créé un programme qui a incontestablement permis l'enseignement de connaissances sur le terrain où se trouvent les sables bitumineux. Des gens se sont rendus sur place et ont bel et bien appris. Vous pouvez facilement vous imaginer l'importance qu'un tel projet a eue et qu'il a toujours aujourd'hui. En fait, M. Newell a été la première personne du milieu des affaires à recevoir le Prix d'alphabétisation de Postes Canada.

Pour moi, c'est l'une de ces occasions où quelqu'un a une idée pour aller de l'avant et qui fonctionne. Compte tenu de la rapidité avec laquelle les choses peuvent changer, je me demande de quelle façon nous pouvons aujourd'hui faciliter la mise en œuvre de ce type d'initiatives au pays. L'apprentissage à distance et tout le reste sont très utiles. Vous avez parlé de la contribution des collègues et des universités; dans ma ville natale de Lethbridge, ça a très bien fonctionné.

Dans le travail que vous faites, y a-t-il des innovations en matière de ressources qui peuvent être comparées à ce qui est arrivé à M. Newell? Est-ce que la technologie d'aujourd'hui — qui est probablement plus simple — est utilisée pour élargir les ensembles de compétences plutôt que de tenter de trouver ailleurs des gens qui pourraient être plus aptes à faire le travail exigé? Est-ce que les gens s'assurent que leur entreprise met à la disposition des Canadiens et des Canadiennes et de toutes les régions du Canada des ressources leur offrant une possibilité équitable d'accéder à l'apprentissage et aux connaissances, de telle sorte qu'ils puissent contribuer à cet avenir excitant?

Mme Sawicki : Je dirais que, au cours des 20 ou 30 dernières années, nous avons développé une expertise ici au Canada. À l'échelle du pays, des gens à divers niveaux du secteur de l'éducation effectuent des recherches. De vrais spécialistes travaillant dans certains domaines pourraient aider les gens à « se rendre sur place » et pourraient contribuer non seulement à promouvoir auprès des gens les occasions de perfectionner leur apprentissage et leurs connaissances, mais également à favoriser la participation des membres de la collectivité pour aider.

Je ne sais pas si ça répond à votre question, mais je crois que nous avons appris beaucoup au cours des 20 à 25 dernières années sur ce que la technologie peut et ne peut pas faire. Si nous voulons inclure plus de gens, comme l'a fait le président de Syncrude Canada, et rendre les occasions d'apprentissage accessibles à ceux qui vivent dans les régions éloignées, il y a des gens et des établissements partout au pays qui font exactement ça.

C'est peut-être les technologies qui sont le problème. Je ne crois pas que la technologie soit la réponse à tout; ce n'est pas une fin en soi pour tout le monde et ça ne le sera jamais.

La présidente : Je suis d'accord.

Mme Sawicki : Nous pouvons cependant offrir plus d'occasions d'apprentissage par la technologie. Comme je l'ai dit plus tôt, si absolument aucune occasion d'apprentissage ne s'offre à certaines personnes, nous pouvons leur en offrir grâce à la technologie.

La présidente : Je suis tout à fait d'accord avec vous, et j'espère que ces occasions se multiplieront davantage et encore plus rapidement qu'aujourd'hui.

Grâce à cette nouvelle façon d'offrir des occasions d'apprentissage, et à mesure que les gens les embrassent, en quoi les connaissances des personnes qui habitent dans les zones urbaines diffèrent-elles des connaissances des personnes qui habitent dans les zones rurales? Si possible, même de façon générale, pouvez-vous me dire à quel niveau se situent les différences? Lorsque vous avez l'occasion d'enseigner, peu importe la façon dont vous vous y prenez, y a-t-il un fossé important entre les personnes qui recherchent ce genre d'occasions?

Mme Sawicki : Un tel fossé existe probablement. Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, il y a un accès équitable à l'éducation. Toutefois, certaines écoles dans les zones rurales ne sont pas en mesure d'offrir certains cours, car il n'y a pas assez d'enseignants et, dans certains cas, il n'y a peut-être pas d'instructeur. Grâce à l'équipement de téléconférence, l'école peut offrir les cours à n'importe quel nombre d'élèves même si l'instructeur se trouve à 50 ou 100 kilomètres de là, comme ce serait le cas. Ici aussi, les frais d'interurbain sont minimes selon le fournisseur de service et, dans certains cas, il n'y a aucuns frais d'interurbain. Donc, si on peut trouver un instructeur, tous peuvent avoir la possibilité de suivre des cours, que ce soit au niveau secondaire, collégial ou universitaire. J'aimerais croire que cela se produira de plus en plus.

La présidente : Je suis d'accord. madame Boyles, aimeriez-vous faire un commentaire?

Mme Boyles : J'aimerais revenir sur les répercussions qu'a entraînées le rôle de leadership d'Eric Newell, qui a mené à la création de petites et moyennes entreprises et sur son travail auprès du Conseil des ressources humaines autochtones et auprès d'entreprises qui embauchent des Autochtones. Les entreprises englobent maintenant la RBC Banque Royale partout au pays, Weyerhaeuser, le groupe Irving et Bell Aliant au Canada atlantique. Nous avons convaincu les exploitations de gazoducs administrées par Joffrey de mettre sur pied un laboratoire d'apprentissage à l'extérieur de Red Deer, en Alberta, qui serait ouvert aux gens de la collectivité ainsi qu'aux employés de l'usine. Les programmes d'envergure sur la stratégie d'emploi des Autochtones, comme ceux qui ont cours à Voisey's Bay, à la Diavik Diamond Mine, le gazoduc et les initiatives hydro-électriques à la Baie James, utilisent des stratégies parmi les plus novatrices pour rassembler les partenaires et les outils nécessaires parce qu'ils ont les ressources pour le faire. De cette façon, ces programmes contribuent grandement à atténuer la pauvreté et à favoriser le développement économique, au moins dans les régions du pays où il y a une industrie du secteur primaire et du financement versé aux Autochtones pour y arriver. Il serait bon d'inclure dans ces efforts d'apprentissage des personnes non autochtones qui habitent dans ces régions pauvres.

La présidente : Je me souviens d'un autre moment magique survenu lorsque je rendais visite à mon amie et collègue le sénateur Callbeck, à l'époque où elle était premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard. Elle s'employait à mettre sur pied une importante fondation pour l'alphabétisation. Nous avons travaillé ensemble à ce projet. Plus tard, je suis retournée à l'île et j'en ai fait le tour. Un jeune homme m'a présenté l'un des programmes d'alphabétisation dont les habitants sont très fiers. Il m'a dit qu'il faisait partie du programme. Quand je lui ai demandé ce qu'il faisait maintenant, il a répondu qu'il étudiait pour obtenir son diplôme. J'ai gardé le silence parce que je ne comprenais pas vraiment. Il m'a fait monter l'escalier du vieil édifice branlant jusqu'à une pièce qui avait été aménagée avec de l'équipement à la fine pointe de la technologie. En fait, c'est comme s'il était à l'université dans cette pièce, car il était branché à l'un des collèges en Nouvelle-Écosse ou au Nouveau-Brunswick. Il était sur point d'obtenir son diplôme.

Cela se déroulait dans un petit village de pêcheurs à l'Île-du-Prince-Édouard. Je suppose que c'est monnaie courante aujourd'hui, mais à l'époque, c'était nouveau et peu répandu. Je suis restée pratiquement sans voix en quittant l'endroit, ce qui est rare chez moi. En même temps, j'étais extrêmement touchée que cela n'arrive pas à Toronto, à Calgary ou à Vancouver ou dans toute autre grande ville, mais plutôt dans une petite ville de l'Île-du-Prince-Édouard. Les habitants se servaient des ressources disponibles, et ça fonctionnait.

Ces programmes m'inspirent une grande confiance, particulièrement envers nos collèges et universités. Il faut persuader les gens de faire le saut, alors que l'occasion ne s'est jamais présentée à eux. Vous prenez part à une initiative formidable, et je suis certaine que tout le monde ici présent convient qu'il est extrêmement important que vos efforts portent des fruits.

Les sénateurs ont-ils d'autres questions?

Comme il n'y en a aucune, je remercie les témoins de leur présence ce soir.

Le sénateur St. Germain : Vous avez voyagé d'un bout à l'autre du pays. Vous avez une connaissance pratique des collèges et des endroits où je suis allé avec les Forces canadiennes et en tant que politicien. Si jamais vos ambitions politiques se manifestent, nous serons là, madame Boyles.

La présidente : Je crois, et je m'exprime au nom de tous les sénateurs qui siègent au comité, que la rencontre a été différente de celles que nous avons l'habitude de tenir, mais aussi qu'elle a été très importante. J'ai l'impression que les plans et les améliorations font leurs preuves lentement mais sûrement, et je vous souhaite la meilleure des chances.

La séance est levée.


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