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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 2 - Témoignages du 6 décembre 2007


OTTAWA, le jeudi 6 décembre 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 05, pour étudier, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada, ainsi que l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je souhaite le bonjour aux honorables sénateurs, ainsi qu'à tous ceux qui regardent les délibérations du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts sur la pauvreté et le déclin du monde rural. Bonjour, monsieur Douglas. M. Douglas est ici pour nous aider à mieux comprendre l'impact des changements climatiques sur les régions rurales du Canada et, je l'espère, pour nous donner de bons conseils sur la façon dont les Canadiens qui vivent dans les régions rurales peuvent se préparer et s'adapter aux changements climatiques.

Les changements climatiques sont devenus la question déterminante de notre époque. Les Canadiens qui vivent dans les régions rurales et éloignées sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques parce que leur subsistance dépend de la santé et de la durabilité de notre secteur des ressources naturelles. Ce secteur est tout spécialement sensible aux changements biophysiques dans l'atmosphère. Certains soutiennent que le mal est déjà fait, citant les dommages causés par le dendroctone du pin ponderosa, en Colombie-Britannique, ou la fréquence plus élevée des sécheresses et des inondations dans les Prairies. Les conditions météorologiques extrêmes mettront à rude épreuve l'infrastructure rurale existante, qui est déjà soit vieillissante soit insuffisante. Beaucoup de collectivités rurales ne disposent pas d'une assiette fiscale suffisante pour remplacer ou réparer leurs infrastructures.

Les collectivités nordiques éloignées sont particulièrement vulnérables parce que le dégel du pergélisol menace les pipelines, les routes et les édifices et nuit aux réseaux d'aqueduc et aux canalisations d'égouts.

Nous sommes heureux d'accueillir Al Douglas, chercheur en changements climatiques au Centre de surveillance environnementale. Bienvenue à Ottawa en cette journée froide et venteuse.

Al Douglas, chercheur en changements climatiques, Centre de surveillance environnementale, à titre personnel : C'est tout à fait comme chez moi, ici, avec ce froid et ce vent.

Je suis heureux d'être ici, ce matin, pour vous parler des changements climatiques et de leur impact sur les collectivités rurales. Il s'agit d'une question importante et, en parcourant le rapport, j'ai observé des similitudes entre les choses que vous essayez d'accomplir et certains des renseignements que je vous transmettrai aujourd'hui. Au fur et à mesure de mon exposé, j'aborderai quelques-unes de ces questions et je soulignerai les similitudes.

L'une de ces similitudes est le terme « adaptable ». Je commencerai en paraphrasant une citation du Fonds international de développement agricole. De façon générale, les changements climatiques sont certainement réels et se produisent en ce moment. Cela se confirme par plusieurs signes dans l'ensemble du pays. Le climat se réchauffe à une vitesse alarmante, surtout dans le Nord du pays. On s'attend à ce que cela continue à l'avenir quels que soient les efforts que l'on déploie pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce sont les régions pauvres du monde qui devraient ressentir le plus les effets des changements climatiques, et ce sont ces régions, y compris les pays en développement, qui sont les moins responsables des concentrations élevées de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Il s'agit certainement des groupes les plus vulnérables, et nous pouvons établir des similitudes entre eux et les groupes ruraux pauvres de notre pays.

Les changements climatiques ne connaissent pas de frontières. Les effets des changements climatiques se feront ressentir par-delà les limites géographiques. Tous seront touchés, y compris les populations urbaines et bien nanties.

Les changements climatiques nous obligent à réagir de deux façons différentes, et j'ai déjà effleuré ce sujet. La première façon, soit la réduction, consiste à contrôler la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère et la mesure dans laquelle nous contribuons à l'émission de ces gaz. Cela comprend également la séquestration du carbone. Aujourd'hui, je me concentrerai sur l'autre partie de l'équation : l'adaptation — l'adaptation planifiée. Que pouvons- nous faire pour nous adapter de façon proactive aux conditions changeantes auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui et auxquelles nous continuerons à être confrontés demain? En outre, quels sont les défis liés à cette approche? Ce sont là les deux réponses stratégiques aux changements climatiques.

Ce graphique montre certains des changements survenus au cours des 50 dernières années. On observe des écarts de température importants dans le Nord, notamment dans le nord-ouest du pays. L'Ontario, le Québec et certaines parties des Maritimes sont moins touchés par ces changements.

Ces modèles proviennent du groupe canadien de modélisation climatique de l'Université de Victoria. À l'avenir, les changements de température seront courants dans le Nord, mais à la hausse dans l'ensemble du pays. Des changements de l'ordre de deux, trois ou quatre degrés semblent insignifiants, mais cela a de graves répercussions sur l'écosystème.

Le graphique des précipitations montre une augmentation des précipitations dans le Nord, en Ontario, au Québec et dans les Maritimes, et de légères diminutions dans les provinces des Prairies.

Le premier domaine que j'aborderai est l'agriculture.

Les changements dans les conditions présenteront des avantages. Les agriculteurs pourraient peut-être tirer profit de certains de ces avantages. Cependant, d'autres facteurs doivent être pris en considération au-delà de la hausse des températures. De plus longues saisons de croissance sont importantes. En outre, il faut tenir compte des précipitations, du régime des eaux, de l'humidité du sol et des changements dans l'évaporation et l'évapotranspiration.

Les configurations des pluies varient selon l'endroit et le temps dans l'ensemble du pays. De légères hausses sont anticipées en Ontario, dans l'Est et en Colombie-Britannique, mais les Prairies et le Nord recevront moins de précipitations. La variabilité du climat, les changements dans les conditions extrêmes, les sécheresses et les précipitations abondantes sont également des variables dans l'équation. De même, le gel et les maladies sont des facteurs importants dans le secteur agricole.

Il est important de comprendre que les agriculteurs ont du ressort. Ils ont fait face à de nombreuses difficultés au fil des ans et ils ont su s'adapter. Le problème, c'est que les conditions que nous observerons à l'avenir ne seront pas nécessairement celles que nous avons connues par le passé. Il est probable que nous serons confrontés à de tout nouveaux défis associés aux changements climatiques. Cela s'accompagne d'un certain niveau d'incertitude.

Le domaine de la foresterie est déjà en butte à des problèmes, tels que la sécheresse et les infestations, et les risques accrus d'incendies de forêts que cela entraîne. Ces problèmes auront des effets négatifs sur l'économie et les conditions sociales dans les collectivités rurales du Nord. Ces collectivités dépendent de l'industrie forestière. En Ontario, beaucoup de collectivités rurales du Nord subissent les contrecoups de ces changements. Je ne parle pas nécessairement des changements climatiques, mais des changements économiques et des conditions difficiles du marché.

Dans le cadre de leur stratégie d'adaptation, les collectivités rurales doivent apprendre comment tirer parti de ces changements. Les planificateurs forestiers et les personnes qui connaissent le mieux l'industrie devront également comprendre ce qui se passe dans les forêts et bien s'en occuper. La forêt boréale est un élément crucial de l'équation mondiale de séquestration du carbone.

Le contrôle des mouvements des organismes nuisibles est essentiel pour prévenir certains de ces changements dans le domaine de la foresterie.

En ce qui concerne les pêches, un certain nombre de collectivités rurales des provinces de l'Atlantique et du Nord du Canada dépendent de la pêche pour leur survie et la production de richesse. On observe des changements dans la température des eaux, et cela a un impact sur les espèces qui vivent dans ces eaux et sur la dynamique des poissons. Là où l'on retrouvait auparavant des espèces de poissons d'eau froide, on retrouve maintenant des espèces de poissons d'eau fraîche et d'eau chaude. Nous observons une transformation complète des espèces dans divers endroits du Canada. Cela a des répercussions sur les industries de la pêche récréative et commerciale.

Au Canada, il faut certainement tenir compte des espèces envahissantes et non indigènes. Un certain nombre d'espèces envahissantes pénètrent les eaux des Grands Lacs et la Voie maritime du Saint-Laurent et perturbent la chaîne alimentaire des espèces aquatiques indigènes. Elles influent sur divers échelons de la chaîne alimentaire et compromettent la survie de différentes espèces. La moule zébrée en est un exemple.

Je connais bien les retombées du tourisme sur les collectivités rurales. Certaines de ces collectivités dépendent du tourisme saisonnier. Les changements climatiques auront un impact sur l'écosystème naturel et, par conséquent, sur le fondement économique d'un certain nombre de collectivités.

En ce qui concerne le tourisme d'été, il y aura des changements dans les espèces et les populations de poissons et dans les niveaux d'eau. Par exemple, un faible niveau d'eau dans les Grands Lacs rend la navigation difficile. Si les températures augmentent, nous pouvons nous attendre à un accroissement du nombre de visiteurs dans les zones et les parcs naturels. Par conséquent, ces systèmes gérés seront davantage éprouvés, ce qui présentera également des défis.

Dans le cas de la saison hivernale, on pense au ski alpin et à la façon dont les faibles précipitations de neige affecteront les centres de ski. L'hiver dernier, une situation incroyable s'est produite en Ontario : l'un de nos principaux centres de ski a dû renvoyer plus de mille employés parce que la pénurie de neige l'empêchait d'exercer ses activités. Nous pouvons nous attendre à d'autres situations de ce genre à l'avenir. Certains des plus gros centres ont investi dans l'achat d'équipement de fabrication de neige artificielle. Les plus petites organisations ne peuvent se le permettre. Cependant, l'équipement de fabrication de neige artificielle est inutile si les températures ne sont pas suffisamment froides pour conserver la neige. Les industries du ski de fond et de la motoneige n'ont pas cette chance. Elles ne peuvent pas fabriquer de neige.

J'ai parlé des infrastructures au début de mon exposé. Nous devons être conscients que les situations extrêmes auront des répercussions sur nos infrastructures essentielles, dont les systèmes d'eau potable. Des incidents sont déjà survenus à North Battleford, en Saskatchewan, et à Walkerton, en Ontario. Le cas de Walkerton, bien qu'il ne soit pas directement lié aux changements climatiques, s'est produit à la suite de précipitations abondantes qui ont favorisé l'introduction de la bactérie E. coli dans le système d'eau potable.

Il faut également parler du transport dans les régions nordiques. Je ne sais pas quelle est la situation dans le reste du pays, mais dans le Nord de l'Ontario, nous avons un réseau de routes d'hiver très développé, et si les températures se réchauffent, il est difficile de garder ces routes ouvertes. Cela comprend également les pistes d'atterrissage pour les avions. L'impossibilité d'acheminer des marchandises à ces collectivités constitue un problème. Les répercussions de la baisse des niveaux d'eau dans les Grands Lacs sur la navigation et le transport des marchandises sont aussi liées à ce problème.

Nous observons déjà des changements dans nos écosystèmes. Les habitats qui conviennent aux différentes espèces d'animaux ne sont plus ce qu'ils étaient. Des changements se produisent dans les territoires qui sont propices à la survie et à l'épanouissement de ces espèces.

Au chapitre de la santé humaine, nous pourrions voir apparaître des maladies à transmission vectorielle et d'origine hydrique.

Je terminerai en parlant des impacts socioéconomiques des changements climatiques. Les collectivités rurales dépendent souvent des ressources naturelles; par conséquent, les changements dans ces ressources peuvent avoir de graves conséquences sur leur économie. Nous devons nous adapter aux changements auxquels nous assistons actuellement et à ceux auxquels nous assisterons à l'avenir.

Barry Smit a cité quelques exemples en 2001. Les systèmes naturels réagissent aux changements qui se produisent autour d'eux — ce sont les changements qui touchent la composition et la situation géographique des écosystèmes. Les espèces peuvent modifier leurs habitudes migratoires et aller dans d'autres régions.

Dans les systèmes humains, l'adaptation peut être classée selon deux types : privé et public. On peut diversifier les cultures en prévision des changements, et on énumère les stratégies d'adaptation réactives. En ce qui concerne la stratégie d'adaptation publique, la question des codes de bâtiment est intéressante. Le Conseil canadien des ingénieurs mène actuellement une étude nationale sur la vulnérabilité des infrastructures aux conditions changeantes. Leurs codes s'appuient sur des données climatiques historiques qui ne sont plus valides; les codes doivent donc être changés.

Par le passé, nous avons vu des exemples de primes à la réinstallation et de secours en cas de catastrophe. Ce sont là des façons de réagir à certains des changements auxquels nous assistons.

En conclusion, les changements climatiques ne devraient pas nécessairement être perçus comme un problème distinct, mais plutôt comme quelque chose qui avivera les vulnérabilités actuelles. Notre système comporte déjà des facteurs de stress. Les changements climatiques influeront sur ces facteurs et pousseront plus loin les limites. Comme je l'ai mentionné au début de mon exposé, les changements climatiques ne connaissent pas de frontières géographiques. Tous seront touchés. En outre, on observe des écarts régionaux importants : les changements climatiques ne toucheront pas tout le monde de la même façon d'un bout à l'autre du pays.

Nous devons nous préparer au pire, mais également tirer parti des possibilités. Il faut comprendre que nous devons élaborer des stratégies pour faire face aux changements et nous adapter, afin de percevoir les changements sous un angle positif. Nous devons nous regrouper, ce qui est le propre des collectivités rurales, qui sont très unies. De même, nous devons envisager des solutions locales et essayer de trouver des collectivités qui font des choses semblables et, peut-être, une occasion de passer à une économie verte se présentera-t-elle.

La présidente : Merci beaucoup. Vous nous avez donné beaucoup d'information et vous nous avez exposé de façon générale les problèmes qui surgissent déjà dans différentes régions du pays.

Le sénateur Gustafson : Le grand public est plutôt cynique à propos des changements climatiques. Il croit que beaucoup de ces changements sont cycliques. Je me souviens que, dans les années 1940, il nous est arrivé de ne pas pouvoir nous rendre en ville avec un attelage de chevaux et un traîneau, et que les bancs de neige dépassaient les câbles téléphoniques. Dans un cas particulier, la neige avait recouvert une maison au point d'asphyxier les gens qui y vivaient. Nous vivions à un mille de la ville, et ils avaient téléphoné à mon père pour lui demander d'aller les chercher avec un attelage de chevaux et les conduire au train qu'on avait fait venir pour les sauver. Une personne est morte, mais une femme a survécu. C'est vous dire combien de neige il y avait. En comparaison, la quantité de neige que nous avons ici, à Ottawa, est dérisoire. À l'heure actuelle, dans les Prairies, tout est noir; il n'y a pas de neige. Les changements commencent déjà à se faire sentir.

Un climat plus chaud est propice à certaines récoltes. Le canola n'a jamais été cultivé au sud de l'autoroute 1 parce que le climat y était trop chaud; les récoltes n'arrivaient donc pas à maturité. Maintenant, il existe toutes sortes de nouvelles variétés. On fait pousser du canola dans le Dakota du Sud, ainsi que de la moutarde et d'autres plantes. Comme vous l'avez dit, il y a des avantages. Je me demande si je devrais mentionner cela, mais dans la Bible, on dit qu'aux derniers jours, les hommes rendront l'âme de terreur dans l'attente de ce qui surviendra pour la terre. Il me semble que ces temps sont arrivés.

Tout le monde s'inquiète des changements climatiques. Nous ne pouvions pas cultiver la terre dans notre région parce que le climat y était jugé trop sec. La vérité, c'est que la plupart des céréales sont cultivées à moins de 100 milles de la frontière américaine.

J'aimerais savoir ce que vous pensez des changements cycliques. Vous êtes-vous déjà penché sur cette question?

M. Douglas : Oui. La variabilité naturelle a certainement quelque chose à voir avec les changements que nous observons aujourd'hui. On a examiné cette composante en remontant jusque vers la moitié des années 1800, autour des années 1850 ou 1860, au moment où les températures commençaient à être enregistrées. On observe beaucoup de variations dues aux forces naturelles. C'est certainement un facteur, mais je crois que cela n'explique pas tout. Un certain nombre de scientifiques partout dans le monde s'entendent là-dessus. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat et les rapports qu'il a publiés soulignent ces facteurs. Avec le temps, les scientifiques sont de plus en plus capables de déterminer si les changements que nous observons dans notre environnement sont causés par les forces naturelles ou par l'homme. Ils savent distinguer entre les deux.

Comme je l'ai mentionné auparavant, je crois que nous avons une influence sur les concentrations de gaz à effet de serre dans le monde entier. Cela affecte l'énergie de tout le système. Certains des changements que nous observons se poursuivront à l'avenir. L'industrie des assurances vous dira certainement qu'il y a une augmentation appréciable du nombre de catastrophes naturelles dans le monde entier, et que ces catastrophes ont entraîné des pertes assurées. L'influence de l'homme est réelle et importante.

Le sénateur Gustafson : Si le Canada reste « pur » face aux changements climatiques, et si beaucoup des pays ne font rien, qu'est-ce qui se passera?

M. Douglas : En ce qui concerne la mesure de la réduction des gaz à effet de serre, les répercussions seront faibles au regard de notre contribution totale aux émissions de gaz. Ce qui importe davantage, c'est le rôle de chef de file que le Canada peut jouer auprès des autres pays en allant de l'avant et en faisant quelque chose de positif en ce qui concerne nos émissions. Cela est plus important encore. Il s'agit manifestement d'une situation de nature politique qui est aussi très délicate.

Le sénateur Mahovlich : Entre Sarnia et Port Huron, au Michigan, il y a un chenal. Pour permettre l'accès à de plus grands navires, on a dû le creuser davantage, ce qui a eu pour résultat de baisser le niveau du lac Huron et du secteur supérieur des Grands Lacs d'environ cinq à dix pieds à certains endroits. Le Centre de surveillance de l'environnement aurait-il pu avertir le gouvernement avant qu'on ne commence à creuser? Étiez-vous au courant de ces travaux?

M. Douglas : Non.

Le sénateur Mahovlich : Auriez-vous averti le gouvernement? Élargir le chenal est une initiative humaine. Nous aurions pu prévenir cette situation d'une façon ou d'une autre.

M. Douglas : J'ose espérer que le gouvernement a fait preuve de diligence raisonnable et qu'il a réalisé des recherches avant que les travaux de dragage du chenal soient amorcés. Il est difficile de bien saisir les conséquences d'un projet comme celui-là. Je suppose qu'il serait difficile de mesurer les résultats futurs des travaux de dragage. Par conséquent, il est important de comprendre l'impact que les travaux auront dans deux, cinq ou dix ans.

Le sénateur Mahovlich : Même l'impact des travaux sur les poissons aurait dû être pris en compte.

M. Douglas : Absolument. On aurait dû prendre en considération non seulement le niveau des eaux, mais également l'impact des travaux sur les espèces aquatiques. Si j'avais participé au projet, j'aurais certainement pensé à cela.

Le sénateur Mahovlich : Des situations comme celles-là peuvent être évitées si nous avons les choses bien en main.

M. Douglas : Tout à fait.

Le sénateur Mahovlich : Je viens du Nord de l'Ontario, à la frontière de la forêt boréale. C'est le pays des orignaux, là-bas. Avec la hausse des températures, est-ce que les arbres vont croître davantage? Je pose la question parce qu'il est très rare de voir un arbre de plus de 20 pieds dans cette région. Ce sont surtout des terrains marécageux. Est-ce que la forêt va changer?

M. Douglas : La composition de la forêt et les essences vont changer, mais cela prendra énormément de temps. Il y a plusieurs raisons à cela, notamment la migration des espèces vers le nord et le maintien de températures propices à différentes essences. Il y aussi d'autres facteurs, comme l'humidité et la consistance adéquates du sol.

Le sénateur Mahovlich : Le sol pourrait se dessécher sous l'effet de la chaleur, et on pourrait voir apparaître une autre essence.

M. Douglas : Peut-être bien, mais les essences ne migrent pas simplement vers le nord. Cela prend beaucoup de temps. Il y a des obstacles là-bas qui pourront ou non être surmontés au fur et à mesure que les essences migreront vers le nord. En ce qui concerne la taille des arbres, peut-être que des niveaux supérieurs de CO2 dans l'atmosphère auront un impact. Je ne crois pas, toutefois, que cet impact sera considérable; il n'y aura pas de changements majeurs dans la taille des arbres.

Le sénateur Mahovlich : Les tempêtes sont également plus violentes. Je crois que la dernière grande tempête qui a frappé Toronto était l'ouragan Hazel, en 1954. Je l'ai vécu. Je jouais une partie de hockey à Guelph. L'ouragan nous a surpris une demi-heure plus tard à notre retour à Toronto, alors que nous traversions le pont qui enjambe la rivière Humber. La tempête a fait 81 victimes. Le prochain ouragan sera-t-il plus puissant et dévastateur?

M. Douglas : Peut-être. Les changements climatiques devraient se traduire par une augmentation de la fréquence et de l'intensité de tels événements. La période de retour peut nous aider à comprendre la situation. La période de retour pour une tempête comme celle que vous avez mentionnée pourrait être de 100 ans. Si les conditions climatiques changeaient, cette période pourrait être de 50 ans ou même de 25 ans.

Le sénateur Mahovlich : Donc, la prochaine tempête de cette envergure pourrait avoir lieu en 2054.

M. Douglas : Ça pourrait certainement être le cas. L'ampleur des tempêtes change aussi, bien sûr. En août 2005, une grosse tempête a balayé Toronto et englouti une partie de l'avenue Finch. Ce fut tout un désastre. Le pavé s'est effondré, et tous les services publics sont aussi tombés en panne — les câbles et lignes téléphoniques — enfouis sous le pavé ont été sectionnés. Les dommages ont été considérables.

Le sénateur Mahovlich : Je pense que la ville devrait examiner les ponts et les autoroutes.

M. Douglas : Ce sont certainement des éléments à examiner, oui.

Le sénateur Mahovlich : Le moment est venu de le faire. Je vous remercie.

Le sénateur Callbeck : Comme je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, je voudrais vous parler des régions côtières. Sans aucun doute, les changements climatiques modifient nos niveaux d'eau. Nous le constatons déjà à l'Île-du-Prince- Édouard. Nous avons eu des ondes de tempête au cours des deux dernières années qui ont causé de sérieux dommages.

Dans, disons, 25 ans, quelles seraient d'après vous les conséquences des changements climatiques pour les régions côtières? Allons-nous avoir plus souvent ces ondes de tempêtes? Seront-elles plus violentes? Quels autres changements prévoyez-vous?

M. Douglas : Je crois que les ondes de tempêtes seront plus fréquentes, et je crois qu'elles seront plus violentes. Pour ce qui est des effets sur les régions côtières, les ondes de tempête érodent le littoral. Ces régions et localités côtières sont certainement inquiètes et risquent de perdre leurs terrains et leurs maisons. Cela se produit déjà ailleurs dans le monde. Il faut prendre des mesures d'adaptation pour protéger ces localités et ces maisons.

Dans l'avenir, ces collectivités seront certainement exposées aux ondes de tempête. On a de bons exemples de mesures que des collectivités ont prises pour se protéger de telles ondes de tempêtes. En fait, le pont de la Confédération a été construit en fonction de l'augmentation des niveaux de la mer.

Le sénateur Callbeck : Pensez-vous que nous verrons des changements majeurs dans 25 ans ou plutôt dans 50 ans ou 100 ans?

M. Douglas : Je pense que les changements majeurs pourraient intervenir dès demain. Ça pourrait être cette année ou dans cinq ans.

Il y a deux éléments. D'abord, la hausse graduelle des températures. Ensuite, ces événements extrêmes, comme ceux que vous venez de mentionner : les ondes de marée que nous avons et la hausse du niveau de la mer. Cette hausse est certainement préoccupante. Le niveau de la mer continuera de monter au cours des cinq, dix, 25 prochaines années. Il continuera de monter, particulièrement en raison de la fonte de la calotte glaciaire. En même temps, ces tempêtes et événements intenses se produiront plus fréquemment et avec plus de puissance.

Le sénateur Callbeck : Les effets seront-ils plus graves dans l'Est ou dans l'Ouest?

M. Douglas : Je pense que les effets seront graves, où que l'on soit au Canada. Les effets seront toutefois différents. Dans les Prairies, on pourrait avoir de la sécheresse ou des organismes nuisibles. Dans les Maritimes, c'est le littoral qui est un sujet de préoccupation, comme vous venez de le mentionner. En Ontario et au Québec, les conséquences sont liées au niveau de l'eau dans les Grands Lacs et aux problèmes de navigation et de transport. Les effets seront différents partout au pays.

Le sénateur Baker : Monsieur Douglas, je constate que vous avez fait des études en chimie et en administration des affaires. C'est un agencement assez spécial. D'après les notes d'information qu'on nous a fournies, vous enseignez à l'université et vous travaillez au Centre for Environmental Monitoring. Les notes disent aussi que vous étiez coordonnateur pour l'Ontario du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation. C'est du passé. J'aimerais que vous nous disiez pourquoi c'est du passé.

Ma question, cependant, concerne ce réseau de recherche au Canada, parce que c'était un réseau de recherche pour tout le Canada, si je me souviens bien, qui était présent dans toutes les provinces. Ce qui m'a intéressé et pourrait intéresser le comité, je pense, c'est une sorte de symposium au cours duquel on a examiné les programmes d'assurance- récolte au Canada, avec des propositions de changements d'ordre opérationnel pouvant être apportés à la lumière de la recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation. Je me souviens que des conférenciers ont proposé que le programme d'assurance-récolte qui est financé à 50 p. 100 par le gouvernement et à 50 p. 100 par le producteur pourrait peut-être changer de manière à s'assortir d'un programme d'encouragement à la diversification des cultures dans les périodes de crise. En tout cas, la discussion a porté sur la prestation d'un meilleur programme d'assurance pour les producteurs de l'industrie agricole. Je me demande souvent ce qui est advenu de cet excellent symposium que vous avez tenu.

M. Douglas : Voilà d'excellentes questions. Pour commencer, le Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation, dont j'étais le coordonnateur pour l'Ontario, a terminé son mandat.

Le sénateur Baker : Vraiment?

M. Douglas : Nous avions un mandat de cinq ans, et une année supplémentaire s'est ajoutée à la fin, puis le Réseau est arrivé au bout de son mandat.

Le sénateur Baker : Je dirais que cela demande une explication, mais continuez.

M. Douglas : Quand il existait, le Réseau comptait 13 bureaux répartis dans tout le pays. Nous avons organisé un certain nombre de symposiums, d'ateliers et de conférences utiles et, à mon avis, le Réseau a fait un très bon travail de sensibilisation, de vulgarisation et d'établissement de ponts entre les chercheurs et les intervenants dans les domaines des impacts des changements climatiques et de l'adaptation à ceux-ci. Ce fut un réseau des plus utiles.

Je ne suis pas spécialiste de l'agriculture, mais j'estime que l'assurance-récolte était perçue comme une stratégie d'adaptation en vigueur depuis un certain nombre d'années pour la communauté agricole. Je ne me souviens pas très bien des changements que l'on avait proposés au système, mais il semble que cela a pu être une possibilité.

Je ne crois pas, toutefois, que l'on veuille compter uniquement sur l'assurance-récolte, particulièrement si nous devons connaître des conditions changeantes et des problèmes de sécheresse dans l'avenir. Vous ne voulez pas compter uniquement sur l'assurance-récolte. D'autres formes d'adaptation ou de changements à la politique ou au mécanisme d'assurance pour améliorer les choses pour le monde agricole seraient certainement positifs. Ce serait une bonne chose.

Le sénateur Segal : Ne vous en faites pas si vous n'êtes pas spécialiste de l'agriculture. Je ne le suis pas non plus. Je fais partie de ce comité parce que je suis un consommateur enthousiaste de son produit.

La présidente : Ça va plus loin que ça.

Le sénateur Segal : Monsieur Douglas, j'aimerais savoir si vous pensez qu'il va y avoir un équilibre. Vous avez abordé judicieusement les impacts positifs et négatifs, mais vous n'avez pas, comme je suppose qu'il est souhaitable de le faire dans une optique scientifique, indiqué si les choses allaient s'équilibrer, si le positif allait l'emporter sur le négatif, si, en dernière analyse, on arrivera à un match nul entre les avantages nets et les coûts nets.

J'aimerais bien avoir votre opinion là-dessus. Je sais que c'est difficile à prévoir, mais lorsque vous avez parlé de productivité accrue à cause des températures plus élevées, de nouvelles cultures, de saisons de croissance plus longues, d'une productivité accrue grâce à l'augmentation du dioxyde de carbone, de maturation accélérée, de diminution de la tension hydrique, ce sont des avantages potentiels considérables, particulièrement pour de grandes parties du nord du pays, comme la région du sénateur Mahovlich, où certaines cultures n'ont pas toujours été possibles.

J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet, en sachant que c'est difficile de répondre. Pour ce qui est de l'équilibre, d'ici 25 ans, pour reprendre le cadre de référence du sénateur Callbeck, croyez-vous que nous serons nettement avantagés ou nettement défavorisés ou pouvons-nous prendre des mesures pour arriver à des résultats neutres en termes d'agriculture et de viabilité de l'agriculture au Canada?

M. Douglas : En ce qui concerne l'agriculture, c'est difficile à dire. La science nous permet de comprendre les changements potentiels qu'apportera l'avenir. Nous savons quelles pourraient être les conséquences pour nous, mais il est difficile de prédire les pertes économiques.

Si le monde agricole connaît et comprend ce que réserve l'avenir, il peut s'adapter et tirer profit de tout changement potentiellement avantageux. Parallèlement, s'il est capable de s'adapter et de résister aux conditions extrêmes et aux périodes de sécheresse et d'infestation, il connaîtra de nouveau la prospérité et renforcera sa capacité d'adaptation.

En ce qui a trait aux pertes ou aux avantages nets, c'est encore plus difficile à déterminer. Je sais que les cultivateurs de raisins de l'Ontario qui produisent du vin sont curieux de savoir ce qui se produira. Je crois qu'ils s'attendent à un avantage net si la saison dure plus longtemps. Toutefois, comme il y a toujours risque de gelée précoce, il faut penser produire du vin de glace.

Le sénateur Segal : Permettez-moi de vous demander votre opinion sur les stratégies d'adaptation que notre pays pourrait promouvoir et financer de façon plus importante qu'il ne l'a fait jusqu'ici. Par exemple, d'autres régions du monde sont beaucoup plus avancées que nous sur le plan de l'utilisation de l'énergie solaire et éolienne sur les fermes. D'autres régions ont depuis longtemps recours aux techniques de micro-irrigation et les utilisent beaucoup plus efficacement que les agriculteurs canadiens, étant donné que leur climat l'exige. L'adaptation de ces technologies à nos conditions est-elle simplement une question d'argent? Ou est-ce une question de mentalités si on s'oppose aux changements technologiques, parce qu'on a toujours fait les choses d'une manière et qu'on refuse de les faire autrement?

Je suis plutôt d'avis que les agriculteurs canadiens font preuve d'une grande capacité d'adaptation, comme votre exposé le souligne. Chaque année, la météo ne convient pas pour une raison ou pour une autre. Elle est trop ceci ou trop cela, tout survient trop tôt ou trop tard. Néanmoins, les fermes produisent des récoltes abondantes qui, il faut dire, dépassent régulièrement les prévisions.

Vos observations me portent à entrevoir l'avenir avec une bonne dose d'optimisme, tout d'abord parce que ma mère m'a appris que de mauvaises manières et une attitude négative n'amélioraient rien dans ce monde, mais nuisaient à tout coup, et ensuite parce que je crois que les agriculteurs canadiens ont toujours su bien s'adapter et surmonter les difficultés, parfois avec un coup de main du gouvernement au besoin. Votre exposé mentionnait des problèmes sérieux et spécifiques auxquels nous devrions nous attaquer, mais j'en retire une vision assez positive de l'avenir de l'agriculture et une meilleure conception de ce que pourraient apporter les changements climatiques si nous réussissons à nous adapter. Est-ce que je me trompe

M. Douglas : Non, pas du tout. Je crois que c'est juste. Nous devons penser et agir positivement lorsque nous élaborons des politiques en vue de tirer profit des occasions offertes et prendre conscience que nous pouvons nous préparer si nous agissons rapidement et si nous mettons en place des stratégies d'adaptation. Nous pouvons renforcer notre capacité d'adaptation à l'échelle du pays, dans les zones rurales et urbaines.

Pour répondre à votre question sur les technologies, solaire ou éolienne par exemple, le potentiel est énorme au Canada. Le coût est un facteur important puisque, comme vous l'avez dit, ces technologies sont déjà utilisées dans d'autres régions du monde. Elles prennent très lentement de l'expansion au Canada, mais il nous en faut absolument davantage pour combler nos besoins grandissants en énergie. Il s'agit là de bonnes occasions dont l'industrie agricole peut tirer profit.

Le sénateur Segal : Quel est votre point de vue sur l'éthanol? Votre expression me dit que c'est un sujet que vous souhaiteriez éviter. Cependant, de nombreuses personnes pensent réellement que l'éthanol pourrait apporter une sécurité et une diversité considérable sur le plan de l'énergie. Ce serait également une source de revenu supplémentaire pour les producteurs de maïs et de semences. L'éthanol a par contre des répercussions négatives sur le coût de l'alimentation. Nous en entendrons probablement parler dans quelques minutes. Cependant, il semble que ce soit une option à portée de la main. Y a-t-il quelque chose qui nous échappe à ce sujet? La question est-elle plus complexe, à votre avis?

M. Douglas : Elle est un peu plus complexe. Je crois qu'il y a certainement des avantages à se servir de l'éthanol et à le mélanger à l'essence, et à progresser dans cette voie.

Le problème que soulève un éventail de groupes dans le monde entier est que de précieuses récoltes qui pourraient servir à nourrir la population sont prises pour être transformées en carburant pour des véhicules. Il est compréhensible que cela pose problème à certaines personnes. L'éthanol a une certaine valeur, mais c'est par ailleurs le marché qui dicte les prix et qui fait en sorte que la vente des récoltes pour produire de l'éthanol plutôt que nourrir la population profite davantage au monde agricole.

Le sénateur Peterson : Mises à part les catastrophes naturelles que vous avez mentionnées, comme les tempêtes et les ouragans, croyez-vous que la Terre se réchauffera à un rythme normal ou exponentiel au fil du temps?

M. Douglas : Nous observons en ce moment une hausse accélérée de la température moyenne à l'échelle planétaire. Ici encore, nous examinons la situation dans son ensemble. En 2001, au moment du dépôt du troisième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le réchauffement était de 0,6 degré Celsius. Cette année, il a atteint 0,74 degré Celsius. Il semble y avoir accélération. À mesure que le temps passe, nous prenons conscience que les conditions changent, et que le rythme des changements s'accélère de plus en plus.

Le sénateur Peterson : En ce moment, la population se montre sceptique à l'égard des changements climatiques et du réchauffement planétaire. À ce jour, les mesures prises le sont sur une base volontaire; les gens sont censés tenter de réduire leur empreinte écologique. Les pays développés tendent à essayer de se soustraire aux efforts en promettant de l'argent. Croyez-vous que les efforts volontaires suffiront, ou devrons-nous imposer des mesures plus sévères?

M. Douglas : Je suis d'avis qu'il nous faut des mesures plus sévères, un genre de combinaison de la carotte et du bâton qui nous permettrait de progresser dans la bonne voie. Il faut créer des incitatifs pour encourager les gens à conserver l'énergie, à agir de manière responsable et à réduire leur empreinte écologique. Parallèlement, il devrait y avoir une façon de pénaliser ceux qui décident de ne pas s'engager dans cette voie.

Nous devrions adopter une approche positive. Nous devons inciter les industries du monde à réfléchir de manière responsable et à déployer les efforts nécessaires pour réduire leurs émissions et, essentiellement, leur empreinte écologique.

Le sénateur Peterson : Qui, selon vous, devrait assumer le rôle de chef de file à cet égard? Votre Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation a fermé ses portes — peut-être en raison de ses résultats ou de son orientation — et les gouvernements ont tendance à craindre ce genre de projets.

M. Douglas : Peut-être. Il y a aussi les coûts associés à ces initiatives. Je crois qu'il incombe au gouvernement non seulement de prendre conscience de la situation et de l'avenir qui nous attend et de faire des efforts pour réduire les émissions au pays, mais aussi de jouer un rôle de chef de file pour encourager d'autres pays, développés ou non, à faire de même.

Le sénateur Mahovlich : Suivons-nous la situation des ours polaires? Quels sont les résultats? Comment s'adaptent- ils aux changements climatiques? Sont-ils devenus de meilleurs nageurs? J'imagine qu'ils n'ont pas le choix.

M. Douglas : Ils doivent certainement devenir de meilleurs nageurs.

Le ministère des Ressources naturelles de l'Ontario effectue des recherches aux environs de la baie d'Hudson et de la baie James pour étudier la situation des ours polaires à ces endroits.

Je n'ai pas une vaste connaissance de la situation des ours polaires, mais d'après ce que je sais, l'habitat qui leur convient se trouve de plus en plus au nord. Les ours ne sont plus en mesure de chasser en raison de la diminution de la couche de glace. Pour survivre, ils doivent donc migrer vers le nord, où il y a plus de glace.

Le sénateur Mahovlich : Les changements climatiques se répercutent-ils davantage sur les ours polaires que sur tout autre animal?

M. Douglas : Pas nécessairement, non. Je pense que d'autres espèces pourraient être dans la même situation.

Le sénateur Mahovlich : Comme le caribou?

M. Douglas : Bien sûr. Les situations créent des milieux qui ne sont pas propices à leur mode de vie, alors ces animaux sont forcés de se déplacer et de s'adapter.

Le sénateur Mahovlich : Ils sont tous touchés?

M. Douglas : Oui.

Le sénateur Gustafson : Ma question porte sur l'éthanol. L'Allemagne prévoit dans une loi que 10 p. 100 de son carburant doit être à base d'éthanol. J'ai rencontré par hasard des Allemands qui étaient ici et qui essayaient de conclure des marchés avec des agriculteurs qui se servaient de l'éthanol de façon à respecter leurs obligations.

Les Américains, encore plus que les Canadiens, se trouvent maintenant coincés. Ils ont construit de nombreuses usines, mais au Kansas, il n'y a pas assez de maïs pour faire fonctionner les parcs d'engraissement et les usines. Cela créera un problème majeur. Un professeur d'université qui a comparu devant le comité il y a un an ou plus, a dit que le problème de l'approvisionnement se poserait bientôt.

Les Allemands essayaient de conclure des marchés avec des agriculteurs canadiens pour cinq années de récolte de canola. Je leur ai dit qu'ils ne réussiraient pas à en conclure avec aucun agriculteur. Je leur ai indiqué qu'ils feraient mieux de s'adresser à la Commission canadienne du blé, à la Commission du grain de la Saskatchewan et aux gros joueurs pour voir ce qu'ils diront à propos de la situation. À ce jour, je ne sais pas ce qu'il en a résulté. L'approvisionnement est un facteur et un grave problème.

Mon autre question a trait aux crédits d'impôt. Il me semble que les agriculteurs sont laissés pour compte dans cette question. Ils devraient probablement être le facteur le plus important, car ils sont les gardiens de la terre. Il semble que nous parlions de tout sauf des agriculteurs et de la terre. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Douglas : Lorsque vous parlez de la situation en Allemagne, faites-vous allusion à l'approvisionnement de produits du Canada ou des États-Unis vers l'Allemagne pour la production d'éthanol?

Le sénateur Gustafson : Le fait est que leur production pourrait ne pas suffire à répondre à leurs propres besoins. En conséquence, ils viennent au Canada pour tenter de s'y approvisionner.

M. Douglas : J'imagine que l'Allemagne n'a pas la capacité de produire ce dont elle a besoin et c'est la raison pour laquelle elle se tourne vers nous.

Le sénateur Gustafson : La hausse des prix des céréales a été très positive pour l'agriculture. Cela soulève également la question de l'offre. Que réserve l'avenir? On commence tout juste à s'engager dans cette voie.

M. Douglas : C'est juste. C'est un enjeu : l'offre et la demande feront grimper le prix à un point tel que, s'ils le veulent vraiment, ils paieront.

Le sénateur Gustafson : Cela met les gouvernements, en règle générale les gouvernements provinciaux, dans une situation difficile. On demande au gouvernement d'accorder une subvention pour lancer l'usine. Ensuite, on leur demande de subventionner le produit. Mettez-vous à la place des premiers ministres du Manitoba, de la Saskatchewan ou de l'Alberta. Ils diront : « Si je soutiens l'industrie pétrolière, cela amène de grosses sommes d'argent au Trésor. Si j'appuie l'industrie de l'éthanol, qu'arrive-t-il? Je dois la soutenir. » Cependant, ils pourraient ne pas s'exprimer clairement à ce sujet, mais prendre une décision.

M. Douglas : C'est certainement un problème. Je comprends ce que cela implique pour les gouvernements provinciaux et également pour le gouvernement fédéral. Ils doivent pouvoir faire un suivi de l'aide qu'ils accordent à ces groupes et comprendre comment évoluera le prix à l'avenir, car le marché fait baisser le prix selon les conditions de l'offre et de la demande.

La présidente : Merci. Vous avez une expérience et des connaissances différentes qui sont difficiles à trouver dans ce pays. Nous sommes tous préoccupés, moi y compris, qui habite au pied des Rocheuses, où nous avons des sécheresses et nous voyons maintenant nos glaciers disparaître de notre vivant. Ce sont des temps difficiles.

Honorables sénateurs, au cours des dernières semaines, nous avons entendu des représentants de l'industrie bovine et porcine qui nous ont décrit la crise qu'ils subissent. L'industrie des productions animales fait face à des conditions économiques défavorables depuis quelques mois. Les prix du bœuf et du porc ont diminué considérablement cette année tandis que les prix du fourrage ont augmenté en raison notamment de la hausse de la demande de biocarburants, ce qui favorise des prix céréaliers élevés.

Nous avons parmi nous aujourd'hui Don Raymond, directeur, Réglementation et commerce du Conseil des viandes du Canada, et Jeff Rosgen, président de Lakeside Farm Industries — Tyson Foods. Ils nous donneront les points de vue des entreprises de transformation des productions animales sur cette question. Nous sommes heureux de vous accueillir. Nous savons que ce n'est pas une période facile.

Don Raymond, directeur, Réglementation et commerce, Conseil des viandes du Canada : Merci de nous avoir invités à témoigner ce matin. D'autres membres nous auraient accompagnés si notre comité exécutif n'était pas en réunion à Toronto aujourd'hui.

J'aimerais faire un bref exposé au comité et lui communiquer quelques renseignements généraux sur notre industrie et quelques-uns des problèmes auxquels nous faisons face.

L'industrie canadienne de la transformation de la viande de bœuf, de veau, de porc, d'agneau et de volaille est le plus important secteur agroalimentaire, avec des ventes annuelles estimées à plus de 20,3 milliards de dollars, et elle assure un emploi à plus de 67 000 personnes.

Le secteur canadien de la transformation de la viande subit la pression d'importants désavantages concurrentiels attribuables à plusieurs facteurs. Bien des gens qualifient les événements des six derniers mois « de tempête parfaite ». Les difficultés ont été et sont toujours énormes. Quatre membres du Conseil des viandes du Canada ont demandé la protection de la loi sur les faillites au cours des six derniers mois.

Le dollar canadien s'est apprécié de 65 cents à plus d'un dollar américain en à peine un peu plus de trois ans et a monté en flèche de 21 p. 100 depuis le début de l'année. Les prix élevés du pétrole de plus de 98 $ le baril ont fait augmenter les coûts de l'énergie et de l'emballage de plastique. Les céréales fourragères, le fondement de notre industrie des productions animales, ont atteint des niveaux de prix historiques.

Nos épiceries renferment beaucoup plus de produits alimentaires et de viandes en provenance des États-Unis. Dans notre industrie de la viande et de l'élevage diversifiée, tributaire des échanges commerciaux et essentielle à l'échelle régionale, la perte de liquidité, de rentabilité et de confiance des investisseurs a été rapide et profonde à tous les niveaux de la chaîne de valeur. Pour les quelques usines de transformation de la viande cotées en bourse, la baisse significative du cours de leur action durant les six derniers mois est révélatrice.

Les entreprises canadiennes de transformation de la viande ont annoncé des plans de restructuration importants, y compris l'annulation de nouveaux projets de construction. Elles redéfinissent leurs modèles d'entreprise et prennent des mesures dans le cadre de fusions, de ventes et de fermetures et tentent de maximiser la productivité de leurs usines au moyen du double quart de travail pour répartir leurs frais indirects.

Parallèlement, les pénuries de main-d'œuvre et le maintien en emploi sont devenus des problèmes majeurs pour notre secteur de la transformation de la viande. La concurrence pour obtenir de la main-d'œuvre est devenue particulièrement difficile dans l'Ouest du Canada où les usines de transformation de la viande ne sont pas en mesure de payer les salaires offerts par les secteurs en plein essor de la construction et du pétrole. Cela a entraîné également une utilisation beaucoup moins grande de la capacité de production des usines et des taux annuels de roulement des employés de 95 p. 100 dans certaines usines.

De récents différends commerciaux portant sur des ingrédients de l'alimentation destinée aux porcs et leurs limites maximales de résidu ont ajouté aux risques d'exportation et font ressortir la nécessité d'une adoption immédiate de normes internationales par l'ensemble des pays.

La transformation de la viande est un sujet sérieux, comme nous l'avons vu avec les rappels liés à la bactérie E. coli l'été dernier. Les malheurs d'une entreprise peuvent avoir des effets dévastateurs sur toute l'industrie. Nous en avons été témoins plus récemment quand le 9 novembre dernier, le Food Safety and Inspection Service du département de l'Agriculture des États-Unis a ajouté une inspection très onéreuse « analyse et retenue » à la frontière américaine de la viande et des produits avicoles canadiens. Heureusement, il a annulé la portion retenue des nouvelles règles, mais les conséquences de ces nouvelles mesures seront profondes. Certains estiment que le coût des analyses additionnelles exigées portant sur la bactérie E. coli au Canada et aux États-Unis pourrait facilement dépasser 50 millions de dollars par année.

Après que l'ESB — l'encéphalopathie spongiforme bovine ou la maladie de la vache folle — a touché le marché canadien en 2003, les abattoirs de bœuf ont réagi en augmentant la capacité d'environ 70 000 animaux par semaine à plus de 100 000 animaux par semaine. En novembre dernier, moins de 60 000 animaux étaient tués par semaine.

En juillet, le renforcement de l'interdiction sur les aliments du bétail est entré en vigueur, ce qui a entraîné des coûts énormes que n'ont pas eu à subir nos concurrents américains au sud. Nous estimons que cette interdiction nouvelle coûte aux entreprises de transformation de la viande inspectées par le gouvernement fédéral canadien, 23 millions de dollars de plus par année, soit beaucoup plus que ce que prévoyaient au départ les organismes gouvernementaux de réglementation et que tout ce qui avait été indiqué dans le résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui accompagnait l'interdiction.

Nous savons que notre industrie a besoin de produire à plus grande échelle et d'améliorer sa productivité, le monde ayant changé. Il faut agir immédiatement et aider l'industrie à survivre à cette série d'événements incroyables.

Nous avons quelques suggestions pour alimenter votre réflexion, réparties dans diverses catégories. Nous commencerons par les recommandations fiscales.

Nous sommes reconnaissants au gouvernement de la déduction pour l'amortissement accéléré sur l'achat de machines et d'équipement industriels qui figure dans le budget de 2007. Nous croyons que la déduction devrait se prolonger au-delà de l'exercice 2008 étant donné que dans de nombreux cas, la période de deux ans n'est pas suffisamment longue pour établir un budget pour les principales pièces de nouvel équipement, les commander en ligne, se les procurer et les installer.

Nous devrions faire davantage. Le Canada et les provinces devraient diminuer immédiatement le taux moyen total d'imposition des sociétés à 24 p. 100 qu'elles soient concurrentielles au niveau international et qu'elles attirent et retiennent les investissements de l'étranger. Nous saluons le minibudget du ministre des Finances, M. Flaherty, qui a été adopté il y a quelques semaines et qui promettait de commencer à réduire l'impôt des sociétés, et nous devons agir rapidement.

La Banque du Canada devrait, si possible, continuer à réduire les taux d'intérêt à court terme pour ralentir le rythme de la hausse du dollar. Je remarque aujourd'hui qu'il est de nouveau en baisse, alors c'est positif.

Le Canada devrait élargir les remboursements de crédits d'impôts pour la recherche et le développement afin de permettre aux plus grandes entreprises de bénéficier des mêmes avantages fiscaux que ceux consentis aux plus petites entreprises canadiennes.

Dans le domaine de la gestion des risques opérationnels, les programmes d'Agriculture Canada se limitent actuellement au producteur primaire. Il existe de nombreux programmes dans lesquels le gouvernement du Canada pourrait investir et qui bénéficieraient à tout le secteur de la viande et de l'élevage. Le financement intégral du projet de zonage de West Hawk Lake à la frontière entre l'Ontario et le Manitoba constitue un exemple de ce que l'industrie doit actuellement cofinancer. Le secteur de la viande à lui seul doit financer l'opération courante de ce projet à hauteur de 100 000 dollars par année pour les cinq prochaines années.

Le Conseil national pour le soin des animaux d'élevage, une organisation importante qui sert les intérêts de l'ensemble de l'industrie de l'élevage, en est un autre exemple. Il a perdu récemment l'aide financière annuelle de 80 000 dollars que lui accordait le gouvernement. Voilà un autre exemple d'un programme de gestion des risques opérationnels qui correspondrait clairement à la catégorie de la boîte verte.

À titre d'entreprises de transformation de la viande, nous avertissons le gouvernement de surveiller le risque de mesures compensatoires associées aux programmes gouvernementaux, en particulier les programmes provinciaux spéciaux comme l'ASRA au Québec et l'Alberta Farm Recovery Plan, qui s'élève à 165 millions de dollars. Nous savons, par exemple, que le nombre croissant d'exportations de porcs vivants vers les États-Unis, attribuable aux pertes liées à l'engraissement des porcs au Canada, attire l'attention de l'industrie américaine, et il se peut qu'il y ait une nouvelle pétition portant sur l'antidumping et le droit compensateur.

Les programmes du Canada qui aident les producteurs primaires en leur offrant des prêts sans intérêt devraient inclure les entreprises de transformation de la viande afin de leur permettre d'apporter des améliorations sur les plans de l'environnement et des immobilisations. Les usines canadiennes de transformation de la viande devront investir davantage à grande échelle et dans l'automatisation pour maintenir leur position concurrentielle, mais les retombées ne se produiront pas rapidement, et l'absence actuelle de profits rend de telles décisions en matière de dépenses en immobilisations très difficiles. D'un point de vue environnemental, les usines canadiennes de transformation de la viande doivent se plier à des normes provinciales de qualité de l'eau plus sévères dans de nombreuses provinces, comme le Manitoba et le Québec, et sont tenues de faire des investissements considérables dans le traitement des eaux usées contrairement à leurs concurrents américains.

Le gouvernement devrait également faciliter ce qui touche aux coûts de formation. Pour attirer et conserver la main- d'œuvre dans un marché du travail très concurrentiel, les entreprises de la transformation de la viande doivent investir massivement dans des programmes de formation pour tous les niveaux de compétence. Dans bien des cas, les entreprises sont obligées de fournir des cours de formation d'anglais langue seconde pour les travailleurs temporaires étrangers et les néo-Canadiens qu'ils emploient en grand nombre.

Dans la catégorie de la réglementation et du commerce, nos entreprises de transformation de la viande ont besoin d'une aide immédiate au moyen d'un financement temporaire d'urgence de 50 millions de dollars sur deux ans aux fins d'élimination et d'entreposage des matières à risque spécifiées de ruminants. Malheureusement, le programme actuel à frais partagés avec les provinces finance les coûts en immobilisations, mais pas les coûts d'élimination, ce qui devrait être le cas selon nous.

L'industrie canadienne de la transformation de la viande, qui fait l'objet des inspections des autorités fédérales, est la plus réglementée des secteurs de la transformation des aliments. Selon les estimations, les entreprises de transformation de viande soumis aux inspections fédérales versent plus de 20 millions de dollars par année en droits — droits pour les services d'inspection, les certificats d'exportation, l'approbation des étiquettes et ainsi de suite. Cela représente un inconvénient majeur pour elles. Les droits en question s'ajoutent aux coûts croissants du personnel qu'il faut engager pour respecter les programmes comme l'inspection fondée sur l'analyse des risques et la maîtrise des points critiques, qui transfèrent davantage de responsabilités aux empaqueteurs eux-mêmes. C'est très différent des entreprises américaines et des entreprises canadiennes soumises aux inspections provinciales, qui n'ont pas à assumer les mêmes coûts supplémentaires. Pour créer des règles du jeu équitables partout dans le monde, il faudrait supprimer ces frais immédiatement. Cependant, nous remercions le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire d'avoir adopté récemment une motion où il demande à l'Agence canadienne d'inspection des aliments de revoir les droits qu'elle impose à l'industrie.

Les modifications du règlement et les projets de modernisation touchant certains aspects du domaine, par exemple les allégations concernant la santé et la nutrition, les normes d'enrichissement, les allergènes, les allégations concernant les méthodes de production, l'approbation des ingrédients, les approbations de l'étiquetage et ainsi de suite sont bloqués depuis des années. Nous demandons expressément que le gouvernement fédéral accélère l'approbation de l'utilisation des lactates dans les viandes cuites et crues. Le gouvernement doit également accélérer le processus pour permettre aux entreprises de transformation de recourir à l'irradiation des viandes comme autre mesure touchant la salubrité des aliments.

L'Agence canadienne d'inspection des aliments devrait prévoir davantage de ressources pour l'examen de la conformité avec le règlement des importations et l'application des règles à cet égard, surtout depuis que les fabricants canadiens ont à supporter des normes plus strictes de conformité et d'approbation de l'étiquette. Nous observons une croissance rapide des importations en sol américain de produits de viande à ingrédient unique et de certains produits transformés, avec peu d'obstacles ou de mesures réglementaires de la part de l'ACIA.

Nous savons tous que les règles obligatoires d'étiquetage concernant le pays d'origine s'appliqueront aux États-Unis en 2008. Cela sera un fardeau financier de plus pour l'industrie.

En dernier lieu, je dirais que les provinces et les territoires devraient éliminer tous les obstacles interprovinciaux au commerce, surtout ceux qui restreignent le mouvement des travailleurs.

Au cours des derniers jours, nous avons rencontré des représentants de l'industrie du bœuf et discuté d'un certain nombre de questions à la Table ronde sur la chaîne de valeur de l'industrie du bœuf, qui comprend tous les secteurs de cette industrie. Elle a été établie par Agriculture et Agroalimentaire Canada pour discuter des problèmes de l'industrie. Un document préparatoire a été présenté mardi au comité. Il s'agit de l'aboutissement de la rencontre du 17 novembre des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux au cours de laquelle il a été question des problèmes touchant l'industrie.

Lors de la rencontre du 17 novembre, les ministres ont convenu d'un ensemble de principes, et une équipe de travail chargée d'étudier les questions ayant trait au bétail a été créée. Le Conseil des viandes du Canada en fait partie, à l'instar des ministères gouvernementaux et d'autres secteurs de l'industrie. Ce document souligne également la nécessité de fonds de transition, les 50 millions de dollars liés à l'étude d'impact de la réglementation des matières à risque spécifiées ou à l'interdiction sur les aliments du bétail qui a été adoptée.

La présidente : Merci beaucoup. Devrions-nous passer immédiatement aux questions? Cela vous convient-il?

Jeff Rosgen, président, Lakeside Farm Industries — Tyson Foods : D'accord.

Le sénateur Gustafson : Je m'intéresse à vos commentaires sur le mouvement des bovins et des porcs aux États-Unis. J'ai l'impression que les agriculteurs ne vendent plus leurs animaux d'élevage comme avant. Dans notre région, une vache qui rapportait 1 200 $ il y a quelque temps en rapporte maintenant entre 600 et 700. À mon avis, les agriculteurs garderont ces bovins et parallèlement, les veaux vont au sud — au moins ils franchissent nos frontières dans des camions. Cela devrait avoir une incidence sur votre entreprise d'emballage.

M. Rosgen : Nous savons que le coût des céréales au Canada est très élevé en comparaison des États-Unis, mais il est encore beaucoup plus élevé maintenant. Il faut donc envoyer ces bovins d'engraissement aux États-Unis où ils sont nourris, et je présume que c'est aussi le cas pour les porcs d'engraissement.

Dans l'Ouest du Canada, le coût du grain cet hiver se situera probablement entre 90 et 95 cents la livre; dans le Mid West américain, il atteindra probablement 70 cents la livre. Mettre 500 livres de gain sur un animal représentera 100 à 125 $ par tête; les Américains ont un avantage sur les Canadiens en ce qui a trait à l'engraissement. C'est la raison pour laquelle nous constatons que les bovins d'engraissement sont envoyés aux États-Unis pour y être nourris.

Le sénateur Gustafson : Vous avez parlé du déplacement des porcs vers le sud.

M. Rosgen : Ce sera la même chose pour les porcs. Il est beaucoup moins cher d'engraisser un porc aux États-Unis qu'au Canada en ce moment.

Le sénateur Gustafson : Est-ce que vos usines reçoivent une part des 165 millions de dollars que le gouvernement de l'Alberta a investi? C'est la somme dont j'ai entendu parler.

M. Rosgen : Non. Cette somme était destinée aux producteurs primaires. Les usines de conditionnement de la viande ne sont pas admissibles à ces fonds.

Le sénateur Gustafson : Cet argent permettra-t-il de garder le bétail sur les fermes?

M. Rosgen : Seul le temps le dira. C'est sans doute le but, mais je ne crois pas que quiconque ait touché de l'argent à ce jour. Je crois que la somme a été versée au PCSRA, le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole. Le but est d'aider les producteurs à faire en sorte que le bétail reste au pays et que l'industrie prospère. À ce que je sache, aucun versement n'a été effectué à ce jour.

Le sénateur Gustafson : Vous avez abordé le commerce entre les provinces. C'est un aspect important de l'industrie du bétail. L'argent que l'Alberta investit dans l'industrie contribue à enlever celle-ci à la Saskatchewan et au Manitoba. Si nous remontons dans le temps, à l'époque où le bouvillon gras valait 70 $ l'unité en Alberta, nous ne pouvions nous permettre de nourrir les bouvillons en Saskatchewan. Il fallait les nourrir en Alberta. Comme je le disais plus tôt, à l'époque où j'étais jeune, tout notre bétail allait à Winnipeg, mais l'Alberta a fini par acheter l'industrie avec l'argent du pétrole. Cette situation se produira de nouveau. C'est probablement une bonne chose pour votre industrie, parce que l'Alberta possède de plus grandes usines. J'aimerais connaître vos commentaires à ce sujet.

M. Raymond : Notre préoccupation en matière de commerce interprovincial concerne le secteur de transformation de la viande. En vertu des lois fédérales, un produit inspecté dans une province ne peut être expédié dans une autre province. Il y a environ un an, nous avons recommandé au gouvernement de l'Ontario dans le cadre de son examen budgétaire d'envisager de fermer les usines et de réinvestir l'argent consacré à l'inspection des viandes dans l'amélioration des usines provinciales afin que les produits puissent être expédiés d'une province à l'autre. C'est là notre préoccupation en ce qui a trait au commerce entre les provinces. Je crois savoir que le gouvernement proposera un concept qui éliminera certains de ces obstacles dans l'avenir.

Le sénateur Callbeck : Je désire poser une question au sujet des produits de bœuf et de porc de valeur supérieure. Dans ma province, l'Île-du-Prince-Édouard, nous avons une petite usine de traitement du porc qui vient de passer aux mains d'un nouveau propriétaire. Elle commence à traiter des produits spécialisés comme le porc biologique, le porc naturel ou le porc enrichi aux oméga-3. Nous avons aussi une usine offrant des produits de bœuf de très haute qualité. Ces deux usines éprouvent des difficultés en raison des problèmes soulevés dans votre exposé, M. Raymond.

En faisons-nous assez sur le plan de la conception et de la commercialisation des produits, non seulement au pays mais aussi à l'étranger? Sinon, que devrions-nous faire? Le gouvernement fédéral peut-il jouer un rôle?

M. Raymond : Le gouvernement fédéral joue bel et bien un rôle dans la commercialisation des produits. En fait, j'ai mentionné l'une des mesures en place dans l'industrie du bœuf. Une organisation similaire, la Table ronde sur la chaîne de valeur de l'industrie du porc, se penche sur l'avenir du porc canadien. Sa dernière rencontre s'est tenue à la mi- novembre.

En ce qui a trait à l'industrie du porc, il y a Canada Porc international, dont le mandat est la commercialisation du porc canadien à l'échelle internationale. Environ 50 p. 100 de la production canadienne sort de nos frontières. Ces initiatives existent. Les difficultés qu'elles éprouvent actuellement sont occasionnées par la valeur du dollar, qui a des répercussions certaines.

Le sénateur Callbeck : Permettez-moi de préciser la question, car je savais déjà que le gouvernement fédéral jouait un rôle. Ma question aurait dû être : « Devrait-il jouer un rôle accru? » Le gouvernement fédéral en fait-il assez?

M. Raymond : Nous travaillons très étroitement avec nos homologues gouvernementaux. Nous faisons de notre mieux, et je suis convaincu qu'ils le font également. Cependant, en ce qui a trait à l'entrée d'argent dans le système, la situation est difficile à analyser.

M. Rosgen : Je crois que le gouvernement doit nous aider à éliminer tous frais ou règle additionnels que n'ont pas nos principaux compétiteurs aux États-Unis. Dans ses commentaires, M. Raymond a mentionné que l'Agence canadienne d'inspection des aliments examine les coûts qu'elle impute à l'industrie afin de vérifier si elle pourrait réduire une partie de ceux imputés aux conditionneurs.

Les usines américaines n'ont pas à supporter certains de ces coûts. Pour être compétitif, nous devons nous assurer que le fardeau réglementaire n'est pas trop lourd.

Les éleveurs de bovins et le Conseil des viandes du Canada ont demandé au gouvernement de créer un fonds de transition de 50 millions de dollars pour surmonter le renforcement de l'interdiction frappant les aliments du bétail. Il en coûte à l'industrie environ 5 $ par jeune bovin et jusqu'à 15 $ par vache pour traiter et retirer les matières à risques spécifiées. Ce sont des dépenses que n'a pas l'industrie américaine, et cela nous rend non compétitif. C'est l'une des raisons pour lesquelles les conditionneurs canadiens ne peuvent offrir davantage pour les animaux vivants qui sont envoyés aux États-Unis se faire abattre.

Si le gouvernement se penchait sur la question et aidait à éliminer ces coûts, ou tout coût réglementaire que n'a pas l'industrie américaine, cela nous aiderait énormément.

Le sénateur Callbeck : En faisons-nous assez par contre pour commercialiser les produits spéciaux de bœuf et de porc?

M. Rosgen : Certains des programmes spécialisés visent des marchés ciblés. Je ne crois pas que de grandes usines pourraient être adaptées aux marchés spécialisés, car ces marchés ne sont pas encore assez gros. Davantage pourrait être fait en vue de commercialiser certains produits spécialisés, sans doute, mais je crois que cela s'améliorera au fil du temps. Investir dans la publicité et dans la commercialisation aiderait peut-être. Je ne crois pas que nous puissions convertir toute l'industrie aux produits naturels ou spécialisés.

Le sénateur Callbeck : Ce n'est pas ce que je propose. Qui a donc la responsabilité de verser de l'argent pour la publicité et la promotion des produits spécialisés?

M. Raymond : Dans certains cas, des obstacles réglementaires nationaux ou internationaux empêchent de faire la promotion des produits spécialisés. Comme l'a dit M. Rosgen, une étude, et surtout une modification des exigences réglementaires dans l'ensemble du domaine, pourrait s'avérer utile.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que les États-Unis ferment la frontière chaque fois que nous demandons du financement pour aider nos agriculteurs? Qui établit les règles du jeu? Est-ce le marché?

M. Rosgen : Je peux parler du cas du bœuf. L'industrie américaine du bœuf est beaucoup plus importante que l'industrie canadienne, et le prix du bétail et du bœuf sont libellés en dollars américains. Les prix sont ajustés en fonction du taux du Canada et des marchés locaux. Nous faisons concurrence sur le marché nord-américain, qui est dominé par l'industrie américaine.

Lorsqu'il est question, par exemple, de l'expédition transfrontalière, il est évident que les Américains contrôlent leur propre frontière.

Le sénateur Mahovlich : D'accord.

M. Rosgen : Il y a eu des problèmes avec le contrôle frontalier. C'est bien sûr l'ESB qui a le plus posé problème. Heureusement, en septembre 2003, les États-Unis ont partiellement réouvert la frontière après quatre mois, pour laisser entrer une partie de notre bétail.

Nous avons eu des problèmes dernièrement avec les analyses additionnelles que les États-Unis imposent à la frontière pour la bactérie E. coli, la salmonelle et le listéria. Ils ont assoupli les exigences liées à la salmonelle et au listéria la semaine dernière, mais ils continuent de procéder à des inspections poussées pour détecter la bactérie E. coli. Notre industrie en souffre beaucoup. Les produits examinés sont le bœuf paré et haché, qui ont une durée de conservation moins longue que les coupes moins travaillées. Les produits sont examinés puis retenus à la frontière ou libérés. Une fois que le Animal and Plant Health Inspection Service a établi si le produit contenait ou non la bactérie E. coli, les consommateurs ne sont déjà plus intéressés à l'acheter. Notre industrie a comme tant d'autres des exigences au plan de la fabrication et des délais. Si le produit est retenu à la frontière pour être examiné, il parvient trop tard aux consommateurs, qui ne peuvent plus l'utiliser.

Nous devons soit fournir le produit lorsqu'il a très peu de valeur ou le mettre en boîte et le congeler. Un produit congelé a une durée de conservation plus longue. Cette méthode a été très coûteuse à notre industrie.

Le sénateur Mahovlich : Les coûts des services d'inspection, des certificats d'exportation, des approbations des étiquettes, par exemple constituent un désavantage concurrentiel. Les agriculteurs américains ont-ils à supporter certains coûts pour exporter leurs bovins aux États-Unis? Doivent-ils supporter leurs propres coûts ou le gouvernement s'en charge-t-il?

M. Rosgen : M. Raymond faisait référence au coût rattaché à l'industrie de conditionnement au Canada. Je ne sais pas s'il existe des usines aux États-Unis qui auraient la même structure de coûts en ce qui concerne les homologations et les documents. N'oubliez pas qu'une partie plus importante de notre industrie dépend de l'exportation, contrairement à l'industrie américaine. Je pense qu'ils écoulent entre 90 et 95 p. 100 de leur production à l'intérieur de leurs frontières, tandis qu'environ la moitié de la production canadienne est exportée, qu'il s'agisse de viande de bœuf ou d'animaux vivants. Les exportations jouent un rôle bien plus important dans notre vie que dans celle des usines américaines.

Le sénateur Mahovlich : Nous devons traiter avec les Américains : par conséquent, lorsque le gouvernement prend une décision, il devrait s'enquérir auprès des Américains pour voir si les règles du jeu sont équitables.

M. Rosgen : Dans un environnement de l'ALENA, ces produits peuvent circuler librement au-delà de la frontière, ce qui est bon, mais nous devons veiller à ne pas surcharger l'industrie avec des coûts qui ne sont pas absorbés par nos concurrents de l'autre côté de la frontière.

Le sénateur Mahovlich : Vous dites que le gouvernement doit aussi accélérer la demande visant à permettre l'irradiation de la viande en tant qu'option pour assurer la salubrité des aliments à l'intention des transformateurs. Les transformateurs américains ont-ils cette possibilité?

M. Raymond : Oui, ils l'ont. L'irradiation de la viande aux États-Unis est...

Le sénateur Mahovlich : Par conséquent, cela ne devrait pas causer de difficulté.

M. Raymond : C'est une question qui est abordée depuis un certain temps par Santé Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada et l'Agence canadienne d'inspection des aliments.

Le sénateur Mahovlich : Se penchent-ils sur la question?

M. Raymond : Ils s'y intéressent, mais les choses n'ont pas beaucoup changé.

Le sénateur Segal : J'aimerais poser deux petites questions techniques d'entrée de jeu pour être certain de comprendre certains éléments des problèmes sur lesquels vous vous êtes arrêtés.

Est-il juste de dire qu'indépendamment de l'obligeance de la Commission canadienne du blé, le problème relatif aux coûts plus bas des aliments aux États-Unis est attribuable essentiellement au mélange des subventions, du volume et de la différence actuelle du dollar dans ce pays? Est-ce la raison pour laquelle il est moins coûteux de nourrir nos bovins aux États-Unis plutôt que d'en faire l'élevage jusqu'à maturité chez nous? Ou y a-t-il quelque chose qui m'échappe?

M. Rosgen : Non. L'année dernière, en raison de la situation de l'éthanol, les agriculteurs américains ont récolté beaucoup plus de maïs qu'auparavant. Au Canada, la récolte d'orge s'est située juste dans la moyenne. De plus, d'autres régions productrices d'orge ailleurs dans le monde ont eu de piètres récoltes, à titre d'exemple l'Australie et certains pays de l'ancienne Union soviétique. Une récolte moyenne vient de prendre fin et nous avons réalisé des exportations d'orge supérieures à la moyenne en raison des mauvaises récoltes à l'étranger. De leur côté, les Américains ont eu une récolte très abondante de maïs.

Le sénateur Segal : Je veux m'assurer de bien comprendre. Jusqu'à présent, j'ai compris que la concurrence suscitée par d'autres utilisations comme la production d'éthanol est un facteur qui fait grimper les coûts des aliments. Cependant, vous dites que ce problème ne concerne pas l'élevage des bovins, en soi?

M. Rosgen : L'orge n'entraîne pas ce genre de problème parce que cette céréale ne sert pas à produire de l'éthanol. Au Canada, le blé sert à la production d'éthanol, et aux États-Unis, c'est le maïs. L'orge quant à lui n'a rien à voir avec la production d'éthanol.

Le sénateur Segal : Dans le meilleur des cas, quelle serait la principale préparation alimentaire pour nos bovins?

M. Rosgen : Dans l'Ouest canadien, c'est l'orge; dans l'Est, ils utilisent le maïs.

Le sénateur Segal : J'ai une question concernant le règlement sur le renforcement de l'interdiction frappant les aliments pour ruminants qui a été adopté; j'aimerais connaître les interdictions relatives à ces produits. Les Américains peuvent-ils encore nourrir le bétail avec des aliments contenant des restes de ruminants? Pourquoi le problème de concurrence se pose-t-il pour nous et pas pour eux? Pourquoi sommes-nous désavantagés? Pourquoi n'y a-t-il pas de parité de l'autre côté si nous sommes tenus de travailler à l'intérieur du même cadre de réglementation en matière d'alimentation du bétail?

M. Rosgen : Depuis 1998, le Canada et les États-Unis sont soumis à une interdiction frappant l'alimentation du bétail selon laquelle il est illégal de nourrir le bétail avec des aliments contenant des restes de ruminants. En juillet 2007, le Canada s'est écarté des États-Unis lorsqu'il a adopté une interdiction améliorée qui a défini les produits à risque spécifiés. Ces produits ont été isolés pour être ensuite traités et enlevés de la transformation extrême. Les Américains ne sont pas allés jusque là.

Le sénateur Segal : Nous savons ce que nous faisons avec ces produits, mais que font-ils des leurs?

M. Rosgen : La majorité des Américains poursuivent le processus de transformation sans avoir de coûts associés.

Ils enlèvent des substances comme la moelle épinière, et dans certaines usines américaines, on se contente d'enlever le cerveau. Je pense que ces substances se retrouvent dans des sites d'enfouissement sans subir d'autres traitements. Aux États-Unis, la quantité de matériel et d'équipement nécessaires, ainsi que le nombre de travailleurs affectés à cette tâche sont très faibles en comparaison de ce que nous devons faire.

Le sénateur Segal : En ce qui concerne la protection du cycle des aliments du bétail, de toute évidence, la structure réglementaire va dans le sens de l'intérêt public. Est-ce que vous avancez — et je sais que vous êtes très diplomate à ce sujet — que nous avons imposé un niveau de tolérance au règlement qui n'est pas favorable à l'intérêt public, et qui accroît simplement les coûts de production?

M. Rosgen : Des études ont été menées. Ainsi, la Canadian Cattlemen's Association vient d'effectuer une étude qui donne à penser que le travail supplémentaire accompli ne permettra pas d'obtenir l'éradication. Nous réussirons à réduire un peu le délai d'élimination de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) au Canada, en comparaison avec la situation qui aurait prévalu si nous n'avions pas effectué ces étapes supplémentaires.

Le sénateur Segal : J'aimerais m'informer de la structure des usines. Tyson Foods est une grande entreprise. Je suis certain que les Canadiens sont ravis que la société Tyson ait investi au Canada et qu'elle soit bien établie chez nous.

De nombreuses multinationales doivent prendre des décisions difficiles relativement à leurs fournisseurs, en se fondant sur l'efficience du processus de fabrication. Cela est vrai, entre autres, des usines de fabrication d'automobiles. Je ne veux pas mettre mon nez dans les affaires de la société Tyson's mais, en général, les multinationales en exploitation chez nous soumissionnent-elles, en quelque sorte, à l'intérieur d'un mandat général, quant à savoir qui peut transformer un produit à base de viande à meilleur prix pour les besoins du marché nord-américain ou vos marchés se situent-ils plutôt à l'échelle nationale et s'étendent-ils un peu à l'exportation parce que notre marché est trop petit pour absorber toute notre capacité de production?

M. Rosgen : Notre usine et l'usine de Cargill qui est située au Canada ont été agrandies parce qu'il y a un cheptel bovin dans l'Ouest canadien, principalement dans le Sud de l'Alberta, là où se trouvent les parcs d'engraissement. Et c'est là que les usines finissent par s'installer. Un peu plus de la moitié de notre production est écoulée au Canada; le reste est expédié aux États-Unis, au Mexique, à Taïwan, à Hong Kong et à Macao. Je suppose que nous cadrons avec la base de production nord-américaine de la société Tyson's parce que le bétail est chez nous et que nous abattons des bovins canadiens.

Le sénateur Segal : Je comprends. Je pense à l'ensemble de l'industrie, et j'aimerais interroger M. Raymond sur l'équilibre entre l'efficience et la consolidation d'une part, et vos préoccupations à l'égard de la pénurie de main- d'œuvre d'autre part. À première vue, cela semble un peu contradictoire. La consolidation consiste habituellement à réduire le nombre d'employés et les coûts, et à avoir une exploitation à plus grande échelle qui permet de réaliser de meilleures économies d'échelle. Je me demande comment on parvient à un équilibre et comment vous percevez les perspectives d'avenir de l'industrie. Lorsque vous allez répondre, pouvez-vous faire des commentaires sur le niveau d'automatisation de l'industrie, à savoir s'il est ce qu'il devrait être ou si nous aurions intérêt à augmenter nos dépenses d'équipement pour être moins touchés par la pénurie de main-d'œuvre probable sur certains marchés? C'est une simple question.

M. Raymond : C'est une question intéressante. En ce qui concerne l'aspect de la main-d'œuvre et de sa diminution, je pense qu'il est juste de dire que l'industrie, dans l'ensemble, s'est efforcée d'embaucher et de maintenir en poste des travailleurs au fil des ans. La situation est devenue bien plus difficile, notamment en Alberta, avec l'essor de l'industrie pétrolière qui a attiré les travailleurs.

M. Rosgen aimerait peut-être faire des observations à propos des immobilisations.

M. Rosgen : Du côté des travailleurs, les choses ont été également très difficiles. Au début, nous avions des doubles quarts de travail et notre simple installation d'abattage a été agrandie et transformée en usine complète qui inclut la transformation et le bœuf en caisse. Ces changements sont survenus à la fin des années 90. Nous avons recruté d'un bout à l'autre du Canada. Nos recruteurs se rendaient dans les provinces de l'Atlantique et en Ontario, et lorsqu'ils revenaient, nous avions embauché entre 30 et 40 personnes.

Nous poursuivons dans cette voie, mais le rendement diminue. Nous nous sommes rendus dans les collectivités déjà visitées à la fin des années 1990 ou au début des années 2000, et nous sommes revenus avec cinq à dix personnes. La main-d'œuvre est limitée partout au pays.

L'année dernière, nous sommes allés recruter à l'étranger avec l'aide des gouvernements de l'Alberta et du Canada. Nos efforts ont été couronnés de beaucoup de succès. À l'heure actuelle, nous employons près de 200 travailleurs étrangers à notre usine. Nous prévoyons en embaucher d'autres au cours de la nouvelle année. Il faut que le programme se poursuive. Il a contribué à stabiliser notre main-d'œuvre. Sans ce programme, j'ignore de quelle manière nous aurions pu conserver notre volume de production.

Le sénateur Segal : Lorsque vous avez recours à des travailleurs étrangers, ils ont le statut de travailleurs invités. Je pense qu'ils reçoivent, entre autres, une protection locale en matière de santé pour qu'ils n'aient pas de problèmes à titre personnel. Les encouragez-vous à demander la résidence permanente et, tôt ou tard, la citoyenneté?

M. Rosgen : Oui. Au départ, le programme devait durer une année, mais il a été prolongé sur deux ans. Vers la fin de la deuxième année, si un bon nombre des exigences sont satisfaites, c'est-à-dire si les travailleurs ont obtenu une recommandation de l'entreprise et du gouvernement provincial, s'ils maîtrisent l'anglais et s'ils ont un bon comportement dans la collectivité, ils peuvent être désignés comme candidats à la citoyenneté canadienne. Ces gens sont réellement encouragés à venir chez nous, à travailler fort, à s'intégrer à la collectivité, à apprendre l'anglais comme langue seconde et à choisir le Canada comme lieu de résidence permanente.

Quant à votre commentaire sur l'automatisation, l'industrie du bœuf a été difficile à automatiser. La taille des bovins varie d'un animal à l'autre. Nous éprouvons de la difficulté à passer d'un dollar faible à un dollar fort aussi rapidement. La plupart de l'équipement est vendu en dollars américains. Lorsque le dollar était faible, il était très coûteux d'acheter des biens aux États-Unis.

La main-d'œuvre était bon marché en termes de dollars américains : par conséquent, notre usine, et probablement beaucoup d'autres, a simplement fourni plus de main-d'œuvre. En trois ans, nous sommes passés d'un dollar américain qui valait 1,60 $ canadien au pair, et nous essayons désormais de rattraper le retard. Nous devrions probablement nous intéresser davantage à l'automatisation. Il est possible que d'autres industries soient entièrement automatisées, mais nous ne le pouvons pas. La faiblesse du dollar canadien a nuit à l'automatisation massive pendant un certain temps.

Le sénateur Peterson : En résumé, le coût des intrants continue d'augmenter et les revenus des producteurs continuent de diminuer. Cette situation va-t-elle finir par évoluer? Comment pouvons-nous changer les choses?

Je présume que nous sommes confrontés à un phénomène nord-américain ou le problème se résume-t-il au fait que le consommateur doive accepter de payer un prix plus élevé pour une chaîne alimentaire fiable et sécuritaire?

M. Rosgen : Du point de vue des producteurs, nous avons désormais un écart parce qu'historiquement, les céréales fourragères étaient moins chères dans l'Ouest canadien qu'aux États-Unis. J'ignore combien de temps cela prendra avant que la situation ne soit normalisée ou s'il se peut qu'elle ne le soit pas.

Si la situation n'est pas normalisée, le secteur de l'élevage au Canada est probablement à risque. Il est possible que quelques bonnes années agricoles chez nous, et à l'échelle mondiale, permettent de normaliser le prix des grains. Dans ces conditions, l'histoire serait complètement différente. Il est difficile de prédire quel sera le prix des grains dans un an ou deux.

Du point de vue du traitement et du conditionnement, il s'agit en quelque sorte de production. Nous sommes plus concurrentiels lorsque nos coûts sont sous contrôle, que nos règlements sont comparables à ceux des Américains et que nous pouvons traiter de grands volumes à notre usine. Si l'industrie de naissage-élevage ou même l'industrie porcine continue de rétrécir, nous n'aurons pas les volumes nécessaires pour permettre aux grandes usines de fonctionner, et nos coûts ne seront pas concurrentiels à ceux de nos homologues américains.

Le sénateur Gustafson : Si les coûts des intrants relatifs à l'agriculture continuent de grimper, il y a peu de chance que la situation ne se redresse dans l'industrie bovine ou porcine. Les coûts du carburant et des engrais doublent. Les engrais sont passés de 300 $ à 600 $ la tonne. Le prix des grains risque peu de descendre. Il va être absorbé par le coût des intrants.

M. Rosgen : Au Canada, nous devrions avoir accès à diverses variétés de blé et d'orge ayant un rendement plus élevé que celles qui sont semées à l'heure actuelle, et nous devrions être encouragés à poursuivre ce genre de production. Le rendement du maïs continue son ascension au fil des ans, tandis que celui de l'orge a atteint un palier. Les modifications génétiques sont telles que le rendement du maïs à l'acre va écraser celui de l'orge. Si le Canada est limité à ne produire que certaines variétés, nous aurons des problèmes si aucune de ces variétés ne permet d'être concurrentiels en matière de production. La Commission canadienne du blé entre autres y fait obstacle.

Le sénateur Gustafson : Il existe des variétés de blé tendre aux États-Unis qui permettent d'obtenir un plus grand nombre de boisseaux à l'acre. Cette culture n'est pas autorisée au Canada, et elle est surveillée de très près.

M. Rosgen : Bien. Là encore, le milieu de la réglementation défavorise notre industrie.

La présidente : M. Hugh Lynch-Staunton, président de l'Association canadienne des éleveurs de bétail, et M. Michel Dessureault, président de la Fédération des producteurs de bovins du Québec, sont également avec nous. Nous espérons rédiger un petit rapport intérimaire sur cette question. Nous apprécions beaucoup que vous vous soyez joints à nous aujourd'hui.

Honorables sénateurs, si vous pouvez rester encore quelques minutes, nous allons poursuivre la réunion à huis clos.

La séance se poursuit à huis clos.


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