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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 3 - Témoignages du 13 décembre 2007


OTTAWA, le jeudi 13 décembre 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 3 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je souhaite le bonjour aux honorables sénateurs, aux témoins et à tous les téléspectateurs qui écoutent les délibérations du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Nous sommes réunis tôt en ce matin frisquet pour discuter d'inquiétants développements aux États-Unis qui risquent d'avoir des répercussions profondes sur l'industrie canadienne de la betterave à sucre.

L'année dernière, l'administration américaine a proposé des changements à la réglementation en ce qui concerne les règles d'importation applicables au jus concentré de betterave à sucre qui, s'ils s'étaient concrétisés, auraient sans doute eu pour effet d'éliminer la capacité du Canada d'exporter ce produit au sud de la frontière. De concert avec le gouvernement fédéral, notre comité a communiqué aux dirigeants américains des observations au sujet de ces deux propositions de réglementation, et l'une d'elles a été rejetée plus tôt cette année.

Toutefois, la donne a changé récemment. La version 2007 du Farm Bill présentée en juillet par la Chambre des représentants proposait des changements similaires au programme sucrier américain. Les changements proposés auraient un effet dévastateur sur la seule usine de transformation de la betterave située à Taber, en Alberta, ainsi que sur le sort des cultivateurs de betterave qui dépendent de la poursuite de ses opérations.

Pour nous informer sur la situation et ces développements inquiétants, nous avons ce matin des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, M. Martin Foubert, directeur adjoint, Accès aux marchés multilatéraux et Mme Kendal Hembroff, directrice adjointe, Accès aux marchés bilatéraux; et du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, M. Steve Lavergne, directeur, Division de la politique commerciale de l'hémisphère occidental et M. Frédéric Seppey, directeur, Division des négociations régionales et de l'accès aux marchés.

Comme nous avons une heure à consacrer à ces témoins, j'invite mes collègues à poser des questions aussi brèves que possible afin de permettre à leurs interlocuteurs de leur fournir des réponses des plus complètes. Ainsi, tous les participants pourront contribuer à la discussion ce matin. Il s'agit là d'une discussion très importante et nous voulons que chacun puisse s'exprimer librement et nous communiquer le plus d'information possible.

Qui veut commencer?

Steve Lavergne, directeur, Division de la politique commerciale de l'hémisphère occidental, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Je vais commencer et je demanderai peut-être ensuite à mes collègues d'ajouter quelques mots.

Tout d'abord, je vous remercie, madame la présidente et membres du comité, de m'avoir invité à m'adresser au Comité permanent de l'agriculture et des forêts. On nous a demandé d'exposer au comité certains enjeux commerciaux relatifs aux modifications proposées au programme du sucre des États-Unis, qui font partie intégrante du nouveau Farm Bill américain et qui pourraient avoir des répercussions sur l'industrie canadienne de la betterave à sucre. Je ferai d'abord un exposé à partir de notes et ensuite, je répondrai volontiers à toutes les questions que pourraient avoir les membres du comité.

La présidente : Mes collègues et moi-même sommes impatients d'entendre ce que vous avez à dire et de vous interroger.

M. Lavergne : Merci. Comme vous le savez pour la plupart, le Sénat et la Chambre des représentants des États-Unis s'affairent à élaborer un nouveau Farm Bill qui servira de fondement aux programmes agricoles de ce pays, y compris le programme du sucre, au cours des cinq prochaines années, de 2008 à 2012. La période d'application des dispositions du Farm Bill de 2002, qui devait devenir caduc à la fin de septembre, a été prolongée jusqu'au 14 décembre et nous prévoyons qu'elle le sera de nouveau afin de maintenir le pouvoir nécessaire pour continuer à financer les programmes aux niveaux de 2007 pendant la durée du débat sur le nouveau Farm Bill de 2007.

Il n'est pas certain qu'un nouveau Farm Bill puisse être adopté avant le 31 décembre, ni qu'un tel projet obtienne l'appui de l'administration. Cela dit, j'aimerais faire quelques observations sur la version du Farm Bill adoptée par la Chambre des représentants et sur la version à l'étude au Sénat américain.

Comme vous le savez peut-être, la Chambre des représentants des États-Unis a adopté sa version du Farm Bill le 27 juillet dernier. Même si le projet de loi de la Chambre a reçu des appuis des deux partis au comité, à la Chambre, cependant, les gens ont voté en suivant la ligne de leur parti en raison de l'ajout, à la dernière minute, de dispositions touchant les impôts de sociétés qui visaient l'obtention d'un financement supplémentaire pour les priorités en matière de dépenses. Le comité du Sénat pour l'agriculture a adopté sa version le 25 octobre 2007. Cependant, le débat au Sénat a abouti à une impasse en raison d'un différend en matière de procédure entre Républicains et Démocrates quant au nombre de modifications et à la nécessité ou non d'un lien étroit avec la loi. L'impasse a été dénouée lorsqu'une entente a été conclue sur le processus de modification. Le débat qui s'est amorcé le 10 décembre au Sénat pourrait se poursuivre jusque dans la semaine du 17 décembre. Des votes sur les 40 modifications auront lieu à compter du 11 décembre.

En vertu de l'entente conclue, chaque parti était autorisé à présenter 20 modifications. Après l'adoption du Farm Bill par le Sénat, on procédera à un rapprochement, en commission mixte, des projets de loi du Sénat et de la Chambre des représentants avant que chaque Chambre vote sur un projet de loi commun définitif. Des négociateurs de la Chambre des représentants et du Sénat pourraient rédiger la version finale en 2008 en vue de l'adoption par la Chambre et le Sénat. La version définitive du projet de loi sera ensuite envoyée au président Bush aux fins de signature.

Le secrétaire intérimaire à l'agriculture des États-Unis, M. Chuck Conner, a signalé que l'administration américaine estime que les dépenses prévues dans les versions du Farm Bill adoptées par la Chambre et le Sénat sont trop élevées, que les propositions ne prévoient pas de véritable réforme des programmes agricoles et qu'elles modifient le soutien d'une façon qui risque de fausser davantage les échanges. Au début décembre, M. Conner a fait savoir que l'administration opposerait son veto au Farm Bill tel qu'il est rédigé actuellement. À ce stade-ci, il est trop tôt pour savoir si la version du Farm Bill qui émergera de la commission mixte comportera des modifications qui apaiseraient les inquiétudes de l'administration américaine.

Les versions du Farm Bill adoptées par la Chambre des représentants et par le Sénat renferment des dispositions qui modifieraient le programme du sucre des États-Unis d'une manière qui pourrait réduire les exportations canadiennes de jus concentré de betterave à sucre vers ce pays. Le premier changement important modifierait le programme de façon à ce que le sucre fabriqué à partir de jus concentré de betterave à sucre, dont le Canada est l'un des premiers fournisseurs, soit pris en compte dans les contingents de mise en marché de sucre raffiné des transformateurs. Actuellement, le sucre produit à partir de jus concentré de betterave à sucre importé n'est pas compté dans le contingent de mise en marché des transformateurs américains. Or, si un tel changement était adopté, il rendrait le jus concentré de betterave à sucre canadien moins intéressant pour les raffineurs américains.

Le deuxième changement important modifierait la façon dont le programme du sucre des États-Unis affecte l'administration du contingent tarifaire pour l'importation de sucre de canne brut et de sucre raffiné. Bien que cette mesure n'affecte pas le contingent tarifaire du Canada, qui est actuellement de 10 300 tonnes de sucre raffiné, elle aurait une incidence sur les ajustements du contingent tarifaire en périodes de graves pénuries de sucre. Plus spécifiquement, si une pénurie survenait en automne ou en hiver, soit entre le 1er octobre et le 31 mars, le Canada ne pourrait exporter de sucre raffiné vers les États-Unis qu'une fois épuisées la production intérieure et les importations de sucre de canne brut de ce pays. Toutefois, si une pénurie survenait au printemps ou en été, soit entre le 1er avril et le 30 septembre, le Canada ne pourrait aucunement exporter de sucre raffiné vers le marché américain. En effet, cela dépasserait le contingent tarifaire actuel.

Ces changements sont proposés suite à l'inquiétude exprimée par les producteurs de sucre américains qui craignent une augmentation subite des importations de sucre du Mexique dans l'année qui vient, dans la foulée de l'application intégrale des dernières dispositions de l'ALENA à compter du 1er janvier 2008. Les propositions sur le sucre du nouveau Farm Bill sont semblables aux modifications réglementaires recherchées l'an dernier. À l'époque, le Canada avait réussi à persuader l'administration américaine de ne pas prendre d'autres mesures concernant ces deux règles. Le Canada poursuit son lobbying sur ces questions dans le contexte du processus d'élaboration du nouveau Farm Bill.

J'ajouterai que nous comprenons les inquiétudes de l'industrie canadienne de la betterave à sucre concernant les dispositions proposées dans l'ébauche du Farm Bill; le point de vue de l'industrie reçoit des appuis de la part d'Ottawa et de l'ambassade canadienne à Washington. Ainsi, dans le cadre du programme de défense des intérêts commerciaux, Agriculture et Agroalimentaire Canada a offert un soutien à l'Institut canadien du sucre et à la Canadian Sugar Beet Producers Association dans le but de promouvoir des projets d'accès aux marchés aux États-Unis.

À Washington, des fonctionnaires de l'ambassade du Canada et d'Ottawa ont fait valoir les préoccupations du Canada au sujet du Farm Bill auprès d'acteurs clés du Capitole, et d'autres interventions sont prévues. Selon les fonctionnaires canadiens, le projet de loi à l'étude aurait des répercussions au-delà des frontières des États-Unis.

Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole devant vous. Cela met fin à mon exposé.

Frédéric Seppey, directeur, Division des négociations régionales et de l'accès aux marchés, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Je n'ai rien à ajouter. Merci, madame la présidente.

Martin Foubert, directeur adjoint, Division de l'accès aux marchés multilatéraux, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Je ne souhaite pas prendre la parole pour l'instant, merci.

La présidente : Notre comité compte des sénateurs enthousiastes qui ont appris à connaître l'industrie de la betterave à sucre de vos collaborateurs, des agriculteurs eux-mêmes et d'intervenants aux États-Unis. Nous sommes disposés à faire tout ce qui pourrait être jugé utile dans cette nouvelle lutte à mener.

Le sénateur Gustafson : Quel pourcentage de notre production est exporté vers les États-Unis?

M. Seppey : En 2006, nous avons exporté tous les types de sucre. Si on les prend tous en compte, qu'il s'agisse de sucre brut, de betterave à sucre ou de sucre raffiné, nous avons exporté 73 000 tonnes de sucre au total, dont 68 000 tonnes aux États-Unis. Il s'agit surtout de sucre raffiné, mais une partie de nos exportations prend d'autres formes, comme les mélasses ou les betteraves à sucre.

Le sénateur Gustafson : Quel pourcentage de notre production est consommé au Canada?

M. Lavergne : Je crois savoir que des représentants du secteur doivent comparaître devant le comité. C'est peut-être à eux qu'il vaudrait mieux poser ces questions.

Le sénateur Gustafson : Ma question s'écarte peut-être un peu du sujet, mais l'approvisionnement en eau ou l'irrigation font-ils problème dans ce secteur?

M. Lavergne : Non, pas à ma connaissance.

Le sénateur Gustafson : On nous dit qu'il n'y a pas suffisamment d'eau pour irriguer la région sud de l'Alberta.

M. Lavergne : Je ne suis pas au courant que ce secteur ait des problèmes additionnels, outre les défis liés à l'agriculture dans cette région.

Le sénateur Gustafson : Si le Farm Bill américain est adopté avec les mêmes dispositions proposées l'an dernier, s'il n'y a pas de changement, quelles seront les conséquences?

M. Lavergne : Advenant l'adoption des dispositions que renferment actuellement la version de la Chambre du projet de loi et celle du comité de l'agriculture du Sénat, il ne serait plus possible pour le Canada d'exporter du sirop de betterave aux États-Unis. En outre, cela limiterait la capacité de l'industrie canadienne d'acheminer dans ce pays du sucre raffiné en quantité supérieure à ce qui est autorisé en vertu du contingent tarifaire actuel spécifique pour le Canada.

Le sénateur Gustafson : La situation est très grave.

M. Lavergne : En effet, elle l'est, particulièrement pour le sirop de betterave, mais il n'y aurait aucune possibilité de croissance, une perspective limitée de croissance pour l'industrie du sucre raffiné également.

Le sénateur Gustafson : Que peut faire notre comité, à part écrire une lettre de soutien à l'industrie?

M. Lavergne : Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, deux scénarios sont possibles. Le Sénat adoptera sa version et les deux versions du projet de loi seront soumises à une commission mixte des deux Chambres du Congrès américain, créée pour résoudre les différends. Il serait peut-être utile que le comité sénatorial écrive aux présidents des deux comités de l'agriculture pendant la période où siégera la commission mixte, ou avant, pour exposer les préoccupations du gouvernement du Canada et du secteur concerné ainsi que les répercussions potentielles du projet de loi pour le Canada.

J'ai évoqué brièvement dans mon exposé le second scénario. Le secrétaire intérimaire Conner, et son prédécesseur avant son départ, ont tous deux fait savoir que si la commission mixte, après étude des projets de loi dont elle a été saisie, accouchait d'une mesure à peu près inchangée, ils recommanderaient au président de ne pas signer le projet de loi en question. On ignore si les Chambres pourraient renverser un veto sur cette question. En l'occurrence, si l'administration opposait son veto, on peut s'attendre à ce que le Congrès américain trouve un moyen de prolonger la version actuelle du projet de loi de façon à ce que les changements proposés n'entrent pas en vigueur. Pour les producteurs de sirop de betterave à sucre, cela serait la meilleure chose qui pourrait arriver. Dans le contexte du premier scénario, il serait sans doute bon au moins d'écrire une lettre aux présidents des deux comités.

Le sénateur Gustafson : La situation est-elle plus difficile maintenant à la frontière? Il semble qu'en rapport avec la frontière, on ait énormément parlé de terrorisme. Est-il plus difficile de communiquer de part et d'autre de la frontière?

M. Lavergne : Assurément, depuis le 11 septembre 2001, le gouvernement américain a concentré ses efforts sur le resserrement de la sécurité intérieure. Depuis 2001, les États-Unis ont mis en oeuvre un ensemble de mesures visant à rehausser la sécurité. Sans que cela soit intentionnel, certaines de ces mesures ont eu pour effet de nuire aux échanges de part et d'autre. La circulation des personnes est aussi touchée. L'une de ces mesures est l'Initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental. En vertu de cette initiative, on exige maintenant des voyageurs qui se rendent aux États-Unis par avion qu'ils soient munis d'un passeport. Après 2008, on exigera un passeport ou un document plus pointu pour traverser la frontière par la route. Voilà ce qu'il en est pour la circulation des personnes.

Plus tôt cette année et à la fin de l'année dernière, les États-Unis ont imposé de nouveaux frais d'inspection à l'égard des fruits et légumes en provenance et à destination du Canada. L'inspection est plus sévère à la frontière. Agriculture et Agroalimentaire Canada, l'Agence canadienne d'inspection des aliments et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ont uni leurs efforts pour sensibiliser les États-Unis à bon nombre de ces problèmes. Nous partageons l'objectif de maintenir ou d'accroître la sécurité, mais nous devrions nous concentrer sur les moyens de faciliter le flux des échanges légitimes et dépourvus de risques et la circulation des personnes entre les deux pays. Nous exerçons des pressions à plusieurs niveaux et dans de nombreux dossiers pour faire en sorte que la frontière continue de fonctionner en douceur.

Le sénateur Gustafson : D'aucuns ont dit au comité qu'il faudrait que nous ayons un Farm Bill « fait au Canada ». Comment réagissez-vous à cette suggestion?

M. Lavergne : Comme je ne participe pas au processus d'élaboration du cadre ou de la prochaine génération de la politique agricole, je ne peux pas trop m'avancer. Dans mes conversations avec divers interlocuteurs, certains ont dit souhaiter que le Canada ait son propre projet de loi sur l'agriculture alors que d'autres estiment qu'il ne serait pas opportun de s'immiscer dans les discussions qui ont cours à l'heure actuelle aux États-Unis. À mon avis, cette mesure, d'une grande portée, aborde des sujets qui ne se limitent pas au secteur agricole.

M. Seppey : Puis-je intervenir au sujet de votre question sur l'opportunité d'avoir notre propre version du Farm Bill? Il y a un aspect qui nuit énormément à l'agriculture canadienne et aux exportateurs agroalimentaires, soit les subventions qui faussent les échanges, qu'il s'agisse de soutien intérieur ou de subventions à l'exportation. Aux États- Unis, les agriculteurs bénéficient depuis très longtemps de subventions considérables. Dans le cas du Canada, compte tenu de notre taille et de nos caractéristiques, nous devons pouvoir compter sur des règles codifiant les subventions que l'on peut autoriser pour assurer l'égalité des chances pour tous. Voilà pourquoi à l'OMC, nous préconisons vivement l'adoption de règles sur les subventions intérieures et sur l'interdiction des subventions à l'exportation. Nos exportateurs du secteur agricole seront en mesure d'être concurrentiels si les règles du jeu sont équitables.

Voilà pourquoi nous avons dénoncé le niveau des subventions agricoles aux États-Unis. Ces dernières années, les Américains ont outrepassé les sommes qu'ils étaient autorisés à dépenser en vertu de leurs engagements auprès de l'Organisation mondiale du commerce. Nous avons plaidé notre cause contre leurs pratiques car nos exportateurs de céréales, de boeuf ou de porc subissent les contrecoups de ces mesures.

Nous espérons qu'en plaidant notre cause auprès des autorités américaines et en ayant recours à des tribunaux commerciaux pour s'assurer que les États-Unis respectent leurs engagements internationaux, nous pourrons exercer une influence sur le contenu de la prochaine mouture du Farm Bill. De plus, nous espérons nous assurer que les États- Unis honorent leurs engagements. Nous voulons aussi contribuer à rééquilibrer les conditions du commerce dans l'intérêt des exportateurs canadiens.

La présidente : Merci. Sénateur Peterson, vous êtes le prochain sur la liste, suivi du sénateur Callbeck.

Le sénateur Peterson : Je remercie les témoins. Quand nous avons discuté de cette question l'année dernière, il a été établi que la quantité de ce produit que nous exportons aux États-Unis est très petite : la moitié de 1 p. 100 de leur marché. Je présume que cela n'a pas changé; c'est probablement encore du même ordre de grandeur.

Voici ma question : qu'est-ce qui fait que cette question revient sur le tapis? Est-ce à cause des producteurs des États- Unis, du ministère de l'Agriculture des États-Unis, ou y a-t-il d'autres facteurs?

Vous avez dit dans votre mémoire qu'une grande quantité de produits entre aux États-Unis en provenance du Mexique. Je crois savoir qu'il en arrive également beaucoup d'Amérique du Sud. Cela cause-t-il des distorsions, compte tenu de la petite quantité que nous envoyons au Sud, au point que nos voisins du Sud tenteraient de mettre fin à ces importations?

M. Lavergne : Je répugne à faire trop de conjectures. Comme vous l'avez signalé, dans notre cas, notre contribution actuelle ou notre part du marché américain est très minime, en comparaison de la taille totale du marché.

Nous croyons comprendre que cette initiative est impulsée par l'industrie américaine, à cause des inquiétudes quant à la possibilité d'importations de sucre du Mexique. Cela fait suite à la mise en oeuvre, le 1er janvier 2008, des éléments finals de l'Accord de libre-échange nord-américain. Je n'ai pas de chiffres précis sur les importations mexicaines aux États-Unis, mais on s'attend à l'ouverture d'un marché supplémentaire et c'est un fait que le Mexique aura un accès accru au marché américain. Les Américains cherchent à fermer toute porte d'entrée, aussi minime soit-elle.

Le sénateur Peterson : Par conséquent, ils fermeraient le marché au Canada pour permettre une certaine souplesse à l'égard des produits venant du Mexique? Ils ne savent pas quelle sera cette part pour l'instant, mais ils pensent qu'elle sera considérable?

M. Lavergne : Je crois savoir que l'industrie américaine a un mouvement de lobbying très fort.

La présidente : C'est le moins que l'on puisse dire.

M. Lavergne : J'ai perdu le fil de ma pensée. Pourriez-vous répéter votre question?

Le sénateur Peterson : Je demandais qui est à l'origine de cette initiative. Ils pensent que les importations en provenance du Mexique auront un impact et ont donc décidé de se tourner vers quelqu'un d'autre et de claquer la porte aux Canadiens. Est-ce qu'ils s'imaginent que cela va régler cette question nébuleuse du marché potentiel?

M. Lavergne : Les États-Unis soutiennent qu'ils ne font qu'actualiser les règles sur les importations de jus concentré de betterave à sucre au Canada pour les mettre en ligne avec la manière dont le système traite un produit de cette nature fabriqué intérieurement. Je partage vos préoccupations quant à l'impact potentiel des entrées de sucre du Mexique.

Le sénateur Peterson : Si nous voulons être utiles, je suppose que nous ne devons pas nous en prendre aux producteurs parce que, comme vous le dites, ils sont très forts. Vers qui donc devrait-on se tourner? Le Département de l'agriculture? Faudrait-il invoquer le libre-échange et l'ouverture des frontières?

M. Lavergne : Notre stratégie quant à notre engagement auprès des États-Unis ou de tout autre pays est de nous faire des alliés potentiels aux États-Unis. Dans cette affaire, je suis sûr que les représentants du secteur pourraient vous donner leurs points de vue de manière plus détaillée. Le secteur des utilisateurs de sucre et ceux qui utilisent le sucre dans le cadre de procédés industriels seront des alliés potentiels. Nous croyons savoir que le gouvernement américain est sympathique à la cause du Canada. Les Américains soutiendront qu'ils donnent seulement suite à ce qui émane du processus législatif.

Dans notre travail de défense d'une cause, nous essayons de rejoindre les membres du Congrès qui peuvent avoir des commettants qui s'intéressent à maintenir l'accès au sucre canadien : par exemple, des entreprises américaines pourraient être intéressées à conserver l'accès aux produits canadiens. Il s'agit d'identifier des alliés aux États-Unis avec lesquels nous pouvons travailler. C'est bien d'avoir de bonnes relations, mais c'est important de pouvoir identifier les intervenants américains qui sont sympathiques à notre cause.

Le sénateur Peterson : Estimez-vous que les élections imminentes là-bas ont une incidence sur la situation? Autrement dit, est-il difficile d'obtenir que des décisions soient prises ou d'amener les gens à dire quoi que ce soit, à cause des élections qui s'en viennent? Cela rendra-t-il les négociations plus difficiles?

M. Lavergne : Je ne suis pas certain de vouloir faire des conjectures là-dessus.

La présidente : Merci.

Nous avons envoyé des lettres, avec l'aide des fonctionnaires gouvernementaux et avec l'approbation des ministres, au Département de l'agriculture et, sauf erreur, au Département de la sécurité intérieure.

Le sénateur Callbeck : Merci beaucoup, madame la présidente. Je remercie les témoins d'être venus ce matin.

Vous avez mentionné la quantité que nous exportons aux États-Unis. Qu'en est-il des autres pays? Vers quels pays exportons-nous?

M. Seppey : La quasi totalité de nos exportations de sucre vont vers les États-Unis. Quand vous entendrez les représentants du secteur, je pense que ceux-ci vous confirmeront qu'il y a très peu de débouchés ou de pays où la situation concurrentielle est telle que nous pouvons exporter. Par exemple, en 2006, la Jamaïque s'est classée très loin au deuxième rang pour l'exportation de sucre. En comparaison des 68 000 tonnes exportées aux États-Unis, nous envoyons quelque 1 300 tonnes en Jamaïque. Cela vous donne une idée de l'ampleur ou de l'importance du marché américain pour nos exportateurs. Bien sûr, sur le plan de la production de sucre, la plus grande partie est produite et consommée au Canada.

Pour les exportations, nous dépendons tout à fait des États-Unis, d'où la gravité des problèmes relativement à l'accès au marché américain. C'est pourquoi, de concert avec le secteur, nous essayons d'obtenir un accès plus ouvert au marché américain, que ce soit en faisant des instances ou bien en s'assurant que les États-Unis respectent leurs obligations internationales. Par exemple, dans le cadre des actuelles négociations commerciales multilatérales à l'OMC, la Ronde de Doha, nous ne sommes pas le seul pays intéressé à ouvrir le marché américain. Cependant, nous voulons qu'ils ouvrent leur marché au sucre raffiné là où nous avons des intérêts en jeu.

À part cela, nous travaillons avec le secteur du sucre pour identifier d'autres débouchés potentiels qui pourraient être ouverts aux produits canadiens de sucre au moyen d'ententes commerciales bilatérales. J'ai dit par exemple que la Jamaïque se classait très loin au deuxième rang comme destination de nos exportations de sucre. Nous sommes sur le point d'entamer des négociations avec le CARICOM, c'est-à-dire la communauté des Caraïbes. Nous avons là un petit créneau et il y a des possibilités dans cette région précise. Nous tenterons donc d'ouvrir le marché le plus possible à nos exportateurs de sucre. C'est une approche sur de multiples fronts, mais nous mettrons l'accent sur les États-Unis.

Le sénateur Callbeck : Est-il juste de dire que nous cherchons très énergiquement à prendre pied sur d'autres marchés?

M. Seppey : En terme d'agriculture, la réponse est oui, en général. Nous sommes un important exportateur de produits agricoles et agroalimentaires. Nous cherchons énergiquement à faire aboutir une stratégie d'ALE dictée par deux facteurs : le premier est le fait que dans bien des marchés, nous sommes en concurrence avec les États-Unis. Par conséquent, quand les États-Unis concluent un accord de libre-échange, il y a toujours le risque que nous perdions notre part de marché.

Pour vous donner un exemple, le Congrès américain vient de ratifier la semaine dernière l'accord de libre-échange que les États-Unis ont signé avec le Pérou. Le Pérou est un marché important pour les céréales, les haricots et les lentilles. Par conséquent, si les États-Unis obtiennent l'accès en franchise de douane pour ces produits, il est important que nous y exportions nous aussi. Ensuite, c'est une question de compétitivité. Si nos céréales sont assujetties à un tarif douanier de 20 p. 100 au Pérou tandis que les États-Unis y exportent les leurs en franchise de douane, ce sera problématique. Nous cherchons notamment à maintenir la parité de l'accès au marché avec nos principaux concurrents, surtout les États-Unis.

Le deuxième élément de nos efforts dans le cadre des accords de libre-échange consiste en l'ouverture de nouveaux marchés. Les États du Golfe comme les Émirats arabes unis ou le Qatar sont petits, mais ce sont des marchés en pleine croissance. Ils cherchent des produits agricoles transformés. Les États-Unis n'ont pas d'ALE dans cette région, mais nous pensons avoir la chance non seulement de maintenir mais aussi d'accroître notre marché là-bas. Nous poursuivons des stratégies de ce type de manière généralisée.

Le sénateur Callbeck : Ma question concerne la raffinerie de betterave à sucre Rogers, à Taber. Si le Canada perd sa capacité d'exporter ce jus de betterave concentré, quelles sont les options pour la raffinerie de Taber? Pourrait-elle servir à la production d'éthanol ou de sirop de betterave?

M. Lavergne : Je pense que nos collègues qui connaissent bien l'industrie sont mieux placés pour répondre à cette question.

M. Seppey : Je crois savoir que l'on fait des études à ce sujet. Je pense que M. Lafrance, de la société Rogers Sugar Canada, connaît bien ce domaine. Il existe un certain potentiel, mais on commence seulement à examiner ces questions. C'est une possibilité, mais il faut pousser l'examen plus loin.

Le sénateur Callbeck : Merci.

Le sénateur Mahovlich : Je n'ai qu'une seule question. Où sont situées les raffineries aux États-Unis? Dans quels États?

M. Lavergne : Je pense qu'elles sont disséminées un peu partout aux États-Unis. Je crois savoir que la production de jus de betterave concentré est localisée dans les États du centre-nord, comme le Minnesota.

Le sénateur Mahovlich : L'usine de Taber livre-t-elle concurrence à ces raffineries?

M. Lavergne : Certains voient la chose de cette façon, oui.

Le sénateur Mahovlich : Ont-elles à Washington des lobbyistes qui se plaignent au sujet de l'usine de Taber?

M. Lavergne : Assurément. Ce serait des acteurs du secteur qui expriment le point de vue de l'industrie américaine. L'autre défi, c'est que le président du comité de l'agriculture de la Chambre, le congressman Peterson, est originaire du Minnesota.

Le sénateur Mahovlich : Dans le contexte du commerce international, l'Asie s'intéresse-t-elle au sirop de betterave? Y a-t-il une demande pour ce produit en Asie?

M. Seppey : Il y a une certaine demande. Toutefois, il existe sur la scène internationale des poids lourds dans le secteur de la betterave à sucre. Par exemple, l'Australie est un exportateur très agressif de ces produits. J'ai été affecté à Genève pendant plusieurs années, et je me souviens d'avoir négocié l'accession de nouveaux membres à l'OMC. L'Australie souhaitait vivement obtenir des nouveaux venus des concessions concernant la betterave à sucre, là où la concurrence est féroce à l'échelle internationale.

L'exportation de jus concentré de betterave risque de poser des problèmes en matière de transport. Les relations d'affaires à long terme jouent un rôle. Par conséquent, notre proximité et nos liens naturels avec les États-Unis font qu'il est attrayant d'y exporter nos produits et d'exploiter ces occasions d'affaires. L'idéal est de garder ouvert ce marché.

À l'heure actuelle, la structure de nos échanges dans le domaine du sucre, qui est sans doute très similaire pour la betterave à sucre, est très concentrée vers les États-Unis et un ou deux marchés secondaires. Les tarifs applicables au sucre sont assez élevés dans divers pays et les ententes bilatérales interviennent. Nous sommes en négociation avec la Corée et Singapour, mais nous ne sommes guère présents en Asie.

Le sénateur Mahovlich : Le Canada exporte-t-il depuis peu du jus concentré de betterave aux États-Unis? Quand a-t- il commencé à le faire?

M. Lavergne : Je m'excuse, mais un représentant de l'industrie pourrait vous préciser mieux que moi le moment où la production a commencé. Pour ce qui est du jus concentré de betterave, c'est un produit intermédiaire du processus de raffinage.

Le sénateur Peterson : Vous avez mentionné un accord bilatéral avec le Pérou. Combien d'autres accords bilatéraux les États-Unis ont-ils avec des pays producteurs de sucre?

M. Seppey : Un accord a été négocié avec la Colombie, un pays producteur très compétitif à la fois pour ce qui est du sucre brut et raffiné. La Colombie investit en vue d'accroître sa capacité de raffinage du sucre et sa production de biocarburants à partir du sucre. Sa situation fait qu'il est très facile pour ce pays de devenir concurrentiel dans ce domaine. L'adoption de cet accord se heurte à des obstacles au Congrès.

Les négociations de l'accord États-Unis-Pérou ont pris fin il y a plusieurs mois. Toutefois, il n'a été approuvé que la semaine dernière. L'accord avec la Colombie essuie de nombreuses critiques aux États-Unis. Une bonne partie de ces critiques émanent de lobbys de diverses industries qui risquent de subir les contrecoups de cet accord, mais des préoccupations concernant les droits de l'homme entrent également en jeu.

D'autres accords avec des pays producteurs de sucre sont regroupés sous l'appellation CAFTA-DR. Ils ont été conclus entre les États-Unis et la République dominicaine ainsi qu'avec cinq pays d'Amérique centrale : le Costa Rica, le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et le Salvador.

Le sénateur Peterson : Ont-ils également un accord avec le Brésil?

M. Seppey : C'est tout un défi de négocier avec le Brésil, compte tenu de sa taille. C'est l'un des pays les plus compétitifs du monde dans le domaine de l'agriculture en général et du sucre en particulier.

Il y a eu une initiative appelée la Zone de libre-échange des Amériques, qui visait à créer une zone de libre-échange de l'île d'Ellesmere à la Terre de feu. Ces négociations ont été mises en veilleuse indéfiniment il y a quelques années à cause de difficultés, principalement entre les États-Unis et le Brésil. Le Brésil fait partie d'une union douanière appelée MERCOSUR avec l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay. Par conséquent, ces pays négocient habituellement comme un bloc, et il est très compliqué de conclure des ententes avec ce bloc. L'Union européenne est en négociation avec cette entité depuis cinq ans et elle n'a guère fait de progrès. La perspective de négociations bilatérales entre les États-Unis et le Brésil s'inscrirait dans la catégorie des objectifs de moyen à long terme.

Le sénateur Peterson : Lorsque des accords bilatéraux sont signés, les pays signataires bénéficient de conditions commerciales préférentielles. Le Canada a-t-il négocié des accords bilatéraux quelconques?

M. Seppey : Oui, nous avons négocié une série d'accords bilatéraux. Le premier a été négocié avec les États-Unis dans les années 80 et il a évolué par la suite pour devenir l'ALENA. Au cours de l'année qui a suivi l'ALENA, nous avons conclu deux séries de négociations avec Israël et le Chili. Cela a été suivi d'une pause de plusieurs années à la suite de la conclusion d'autres négociations. Nous avons ensuite conclu un accord de libre-échange avec le Costa Rica en 2001 ou 2002. L'été dernier, nous en sommes venus à un accord avec les pays de l'Association européenne de libre- échange, soit l'Islande, la Suisse, la Norvège et le Liechtenstein.

En outre, nous sommes présentement engagés dans une série de négociations bilatérales avec un certain nombre de pays. Pour ce qui est des producteurs de sucre, nous sommes en négociation avec la Colombie, le Pérou et les pays d'Amérique centrale que l'on appelle les CA4.

La présidente : La production de betterave à sucre existe depuis longtemps dans le sud-ouest de l'Alberta; depuis mon enfance. Une fois la récolte terminée, c'était comme une grosse montagne que mon père nous amenait voir. Les agriculteurs exploitent cette culture depuis longtemps, et cela a bien servi nos concitoyens. Ce serait un coup dur si cette production devait s'arrêter.

Nous demeurerons en contact avec vous et s'il faut écrire aux deux ministères que vous avez mentionnés, nous le ferons avec votre aide et votre soutien.

M. Lavergne : Merci. Nous allons continuer à déployer nos efforts à partir d'Ottawa et de Washington pour promouvoir les intérêts canadiens dans ce dossier. Nous sommes prêts à aider le comité dans son intervention.

La présidente : Il faudrait choisir le moment opportun, et c'est un aspect à propos duquel vous pourriez nous conseiller.

M. Lavergne : C'est juste.

La présidente : Merci. Nous vous sommes reconnaissants de tous les efforts que vous faites pour tenter de garder cette frontière ouverte.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre des représentants du secteur.

Je souhaite le bonjour aux honorables sénateurs, aux témoins et à tous les téléspectateurs qui écoutent les délibérations du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

Nous sommes de nouveau réunis ici ce matin pour discuter de développements inquiétants aux États-Unis qui risquent d'avoir des répercussions sérieuses sur l'industrie canadienne de la betterave à sucre. L'année dernière, l'administration américaine a proposé des changements aux règles d'importation du jus concentré de betterave qui, s'ils devaient entrer en vigueur, risqueraient de supprimer la capacité du Canada d'exporter ce produit au sud de la frontière.

De concert avec le gouvernement fédéral, notre comité a communiqué des observations à l'administration américaine au sujet de ces deux propositions de règlement. L'un des changements proposés a été rejeté plus tôt cette année.

Cette année, cependant, il y a eu un fait nouveau. Dans la version 2007 du Farm Bill présentée en juillet, la Chambre des représentants a de nouveau proposé des changements analogues au programme du sucre des États-Unis. Les changements proposés auraient un effet dévastateur pour la seule raffinerie canadienne de betterave à sucre située à Taber, en Alberta, ainsi que pour les agriculteurs qui dépendent de la poursuite de ses opérations.

Nous accueillons ce matin, pour nous communiquer la perspective de l'industrie au sujet de ces développements inquiétants, des gens qui sont des habitués. En fait, nos témoins en sont venus à être de très bons amis, ce qui est bon et inquiétant à la fois. Je vous présente Sandra Marsden, présidente de l'Institut canadien du sucre; Bruce Webster, directeur général des Producteurs de betterave à sucre de l'Alberta; et Daniel Lafrance, vice-président et directeur financier de Rogers Sugar.

Nous avons une heure à consacrer à ces témoins ce matin, honorables sénateurs. Je vous demanderais de poser des questions aussi brèves que possible pour permettre aux témoins d'y répondre de façon détaillée et pour permettre à tous les participants de participer à la discussion ce matin.

Je pense qu'on peut dire sans contredit qu'il s'agit d'une réunion d'affaires, mais c'est aussi une rencontre entre amis. Nous tenons autant que vous à trouver un moyen de maintenir notre association avec les États-Unis dans l'intérêt du Canada, de Rogers Sugar et, tout particulièrement, des agriculteurs eux-mêmes.

Sandra Marsden, présidente, Institut canadien du sucre : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. C'est un plaisir d'être ici aujourd'hui pour vous communiquer notre perspective au sujet du U.S. Farm Bill et de ses répercussions sur notre secteur.

Tel que proposé au Congrès par la Chambre des représentants et le Sénat des États-Unis, le U.S. Farm Bill préconise un soutien accru aux producteurs de sucre américains, qui sont déjà fortement subventionnés et propose davantage de restrictions à l'importation, dont certaines visent le Canada. Et tout cela survient à un moment où se déroulent à l'OMC des négociations en vue de libéraliser le commerce international.

Nos exportations vers les États-Unis sont minuscules; elles représentent moins de 0,1 p. 100 du marché américain tant pour le sucre raffiné et les exportations de jus concentré de betterave à sucre. Toutefois, cela est très important pour l'industrie du sucre. Notre secteur est relativement modeste en comparaison à celui de nos voisins, nous opérons près d'un marché fortement réglementé et nous faisons face à des barrières à l'exportation importantes aux États-Unis et dans d'autres pays. Des changements, même mineurs, au programme du sucre des États-Unis peuvent avoir de lourdes conséquences pour notre secteur.

J'ai entendu de multiples questions tout à l'heure, et je pourrais sans doute répondre à certaines d'entre elles. Notre secteur produit plus de 1,3 million de tonnes de sucre raffiné par année dans quatre provinces. Nous avons des installations de raffinage de canne à sucre à Vancouver, Montréal et Toronto. En outre, il y a une raffinerie de betterave à sucre à Taber, en Alberta. Au fil des ans, l'industrie s'est consolidée. Jusqu'en 1980, le Canada comptait 10 raffineries. Il n'y en a maintenant plus que quatre.

Nous nous heurtons à une vive concurrence de produits importés, d'autres agents édulcorants comme le sirop de glucose à haute teneur en fructose et nos débouchés d'exportation sont limités. À terme, nous espérons que les négociations qui se déroulent à l'Organisation mondiale du commerce déboucheront sur la libéralisation du commerce du sucre, mais c'est une perspective à long terme. Compte tenu de l'accent mis sur les produits à caractère délicat au cours de la présente ronde, on ne peut vraisemblablement pas s'attendre à ce que des débouchés commerciaux débloquent dans un avenir prévisible.

Permettez-moi de souligner à quel point notre situation est unique dans le monde. Le marché du sucre canadien n'est soutenu par aucune subvention; contrairement aux États-Unis, aux pays d'Europe et à bien d'autres pays, le Canada n'a ni quota, ni contingent tarifaire. Nous n'avons pas de subventions à l'exportation. Cela contraste fortement avec les États-Unis, qui imposent des contingents stricts sur le sucre raffiné et de nombreux produits contenant du sucre. Toutes les exportations qui dépassent ces quotas sont assujetties à des tarifs prohibitifs de l'ordre de 150 p. 100. Notre tarif est d'environ 8 p. 100.

Comme je le disais, la libéralisation des échanges à l'instigation de l'Organisation mondiale du commerce est cruciale pour notre industrie. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'Alliance mondiale du sucre, les grandes nations exportatrices ainsi que l'Alliance canadienne du commerce agroalimentaire. Toutefois, la perspective de la libéralisation du commerce a un horizon à long terme. Dans l'intervalle, nous tentons de tirer notre épingle du jeu avec nos ventes sur le marché canadien et les débouchés d'exportation limités que nous avons. Voilà pourquoi les restrictions proposées par les États-Unis dans le Farm Bill revêtent beaucoup d'importance. Nous devons lutter pour conserver notre part du marché.

En 1982, les États-Unis ont d'abord imposé des restrictions contingentaires. Ce n'est pas d'aujourd'hui que nous faisons face à de telles restrictions. Leurs caractéristiques ont changé, mais non leur substance. Chaque accord de libre- échange nous a apporté non pas moins mais plus de restrictions en matière d'accès aux États-Unis. Je ne vous ennuierai pas avec tous les détails techniques. Néanmoins, les difficultés surgissent des menus détails, et nous devrons nous accrocher pour ne pas perdre nos maigres débouchés d'exportation.

Par exemple, dans la version 2002 du Farm Bill, le programme du sucre a été modifié pour permettre aux producteurs américains d'exporter du sucre de betterave raffiné au Canada, ce qui leur était interdit auparavant selon les conditions de leur programme spécial de réexportation. Dans le passé, ils devaient se limiter à importer du sucre de canne brut et à exporter du sucre de canne raffiné en vertu de ce programme. Le programme a été modifié, et notre opposition à ce changement a été vaine.

Encore une fois, nous sommes aux prises avec d'autres changements proposés qui limiteront notre capacité d'exporter en vertu de la nouvelle mouture du Farm Bill. Permettez-moi de vous citer quelques chiffres. Notre part représente 10 300 tonnes du contingent américain de sucre raffiné. À l'échelle internationale, le contingent représente 22 000 tonnes depuis 2005. L'année 2006 s'est démarquée en ce sens que nous avons exporté environ 70 000 tonnes à cause des dommages causés par les ouragans aux cultures de canne et aux raffineries aux États-Unis. Normalement, nous acheminerions environ 10 000 tonnes de sucre de betterave raffiné aux États-Unis et une petite quantité de sucre de canne raffiné en vertu de leur contingent global. C'est une goutte d'eau dans le marché américain, mais c'est très important pour nous.

Daniel Lafrance pourra vous expliquer plus longuement la valeur du jus concentré de betterave pour Rogers Sugar.

Deux amendements au Farm Bill ont été évoqués : l'un d'eux rendrait très difficile l'exportation canadienne de sucre raffiné en cas de pénurie. Il était très important pour les fabricants de produits alimentaires américains d'avoir accès à une source de sucre raffiné en 2005 et 2006 après le passage de l'ouragan Katrina. Au plan régional, les États-Unis n'avaient pas la capacité de raffiner suffisamment de sucre brut. Nous ne perturbions pas le marché, nous fournissions un produit nécessaire. Cette occasion potentielle disparaîtra.

Le jus concentré est l'un des multiples produits vendus par Rogers Sugar dans l'ouest du Canada. Les accords commerciaux dictent les règles et les lignes tarifaires. Ils ne doivent pas dicter les produits spécifiques vendus par une entreprise. Par conséquent, Rogers Sugar est libre de choisir sa gamme de produits. La demande varie selon les consommateurs, tant au Canada qu'aux États-Unis, et nous ne voulons pas voir disparaître un débouché pour un produit en particulier. M. Lafrance peut vous donner davantage de détails sur les répercussions financières d'une telle situation.

Par l'entremise du Farm Bill, les États-Unis créent des restrictions commerciales qui constituent une modification de leur programme intérieur. Toutefois, cela est contraire à leurs obligations internationales. Nos exportations de jus concentré de betterave ne perturberont pas leur marché; pourtant, ce marché est très important pour nous. Nous devrions continuer d'avoir la possibilité d'améliorer nos exportations de sucre raffiné, compte tenu de la nature statique de ce marché.

Nous souhaitons obtenir l'appui des membres du Sénat et de tous les hauts fonctionnaires représentant le Canada pour contrer ces restrictions. Nous pourrons discuter plus précisément de ces interventions au cours de la période des questions.

La présidente : Merci.

Daniel Lafrance, vice-président et directeur financier, Rogers Sugar : Merci, madame la présidente. Il va de soi que ce dossier est très important pour nous. J'ai rédigé un bref mémoire que je vais vous laisser. J'en reprendrai quelques pages et j'aborderai certains points abordés à la séance précédente.

Notre marché représente 1,2 ou 1,3 million de tonnes. Il se situe principalement dans l'est du Canada. Rogers Sugar est une entreprise nationale. Elle compte deux raffineries, l'une dans l'est et l'autre dans l'ouest du Canada. Nous avons une raffinerie de canne à sucre à Vancouver et une raffinerie de betterave à sucre à Taber. Dans l'ouest du Canada, notre volume de production a chuté au fil des ans. C'est indéniable. L'an dernier, la raffinerie de Vancouver a produit 100 000 tonnes alors qu'elle dispose d'une capacité de 250 000 tonnes. Elle a fonctionné 28 semaines sur 52.

Nous avons vendu 100 000 tonnes de sucre fabriqué à Taber. La capacité de la raffinerie est d'environ 150 000 tonnes. Nous avons deux usines qui fonctionnent à faible capacité dans l'Ouest. L'une des principales raisons, c'est que nous avons perdu du terrain au profit du sirop de glucose à hauteur teneur en fructose. C'est uniquement dans l'ouest du pays que l'industrie de l'embouteillage continuait d'acheter du sucre liquide de Rogers Sugar. Dans l'est du Canada, cette part du marché a été accaparée par le secteur du maïs depuis les années 1980. En Ontario, les usines Casco approvisionnent l'est du Canada. C'est la même chose aux États-Unis : l'industrie de l'embouteillage a opté pour le sirop de glucose à haute teneur en fructose depuis le début des années 1980. Il n'y a pas d'usine de transformation du maïs dans l'ouest du Canada. Par conséquent, le sirop de glucose à haute teneur en fructose devrait provenir du Midwest américain. En 2006, le prix du sucre, qui oscillait normalement autour de 10 cents la livre, a connu une forte hausse sur le marché. En l'espace de trois ou quatre mois, il est passé d'environ 10 à 20 cents la livre, ce qui était inhabituel. Aujourd'hui, le prix du sucre est de retour dans la fourchette des 10 à 11 cents.

En 2006, les deux usines d'embouteillage qui continuaient d'approvisionner l'ouest du Canada ont opté pour le sirop de glucose à haute teneur en fructose. Le sirop de maïs provient du Midwest des États-Unis. Nous avons perdu des commandes d'environ 60 000 à 70 000 tonnes au profit du sirop de glucose à haute teneur en fructose. En conséquence, les deux usines en question fonctionnent maintenant à très faible capacité, ce qui met en péril leur survie dans l'ouest du Canada.

Lorsque nous avons agrandi la raffinerie à Taber, en 1998, nous voulions approvisionner les provinces des Prairies et respecter le contingent que nous avions aux États-Unis. Il y avait une raffinerie de betterave à sucre à Winnipeg, mais elle a fermé ses portes en 1997. Avant cela, nous acheminions habituellement quelque 40 000 tonnes de betterave à sucre vers les États-Unis. Comme Mme Marsden l'a mentionné tout à l'heure, ce contingent a été réduit à 10 000 tonnes. Nous n'avons pas eu d'autre choix que de fermer l'usine de Winnipeg.

En même temps, dans le but d'approvisionner toutes les provinces des Prairies, nous avons agrandi la raffinerie de Taber, ce qui a nécessité des investissements de plus de 55 millions de dollars. Comme madame la présidente le disait, au moment de la récolte, lorsque toutes les expéditions de betterave arrivent, il y a des montagnes de betteraves près de l'usine de Taber. Cependant, ces betteraves doivent être transformées sept jours par semaine, 24 heures sur 24, car plus elles restent empilées, plus elles se détériorent. L'usine fonctionne donc sans interruption jusqu'à ce que toutes les betteraves aient été transformées.

Il y a une chose que nous ne pouvons pas faire, soit transformer toutes ces betteraves en sucre raffiné immédiatement. Comme il serait coûteux d'agrandir la raffinerie pour une campagne d'une durée de trois mois et demi ou quatre, nous mettons en application un processus intermédiaire appelé le jus concentré. Nous transformons en moyenne 6 000 tonnes de betteraves par jour dont les deux tiers seront transformés en sucre immédiatement; un tiers servira à la fabrication de jus concentré que nous conservons dans divers réservoirs à l'usine pour le transformer ultérieurement lorsque nous avons besoin de sucre granulé.

Depuis 1998, nous tirons parti d'un processus intermédiaire qui donne le jus concentré de betterave, un mélange de mélasse de betterave et de sucre granulé. Nous avons trouvé un moyen de vendre une partie de ce jus concentré à un client américain à compter de 2004. Comme nos statistiques le montrent, nous en avons vendu 20 000 tonnes. En 2005, nous avons haussé ce volume à 32 000 à 35 000 tonnes pour revenir à 19 000 à 20 000 tonnes en 2006. Comme Mme Marsden l'a mentionné, cette baisse s'explique par le fait que les États-Unis ont connu certains problèmes et autorisé certains contingents spéciaux. Nous avons transformé une partie de notre production en sucre granulé afin d'honorer les divers contingents disponibles aux États-Unis.

Dans l'intervalle, le client qui achetait le jus concentré a subi des pressions de la part des Américains pour qu'il cesse ses achats. On lui a dit qu'on lui refilerait une facture pour le sucre produit grâce à cette importation en vertu de son allocation. Aux États-Unis, les cultivateurs, les agriculteurs et les usines de transformation ont une allocation de commercialisation. Ils peuvent vendre un volume déterminé de sucre à chaque usine. On a menacé notre acheteur d'imputer la part de ses importations à sa propre allocation, s'il devait continuer de faire affaire avec nous. En conséquence, il n'aurait pas été en mesure de produire autant dans ses propres usines. L'entreprise a donc arrêté d'acheter chez nous en 2007 car elle continuait de connaître des difficultés. Qui plus est, elle ne savait pas si ses importations seraient imputées à son allocation et ce que contiendrait le nouveau Farm Bill. Par conséquent, nous avons perdu cette commande.

La situation a été encore plus douloureuse en 2007 car nous avons reçu une récolte généreuse à Taber. Normalement, une récolte volumineuse nous aurait réjouis énormément, mais cette année-là, nous n'étions pas très heureux étant donné que nous avions besoin d'environ 100 000 tonnes de sucre pour approvisionner le marché des Prairies et satisfaire le contingent que nous avions aux États-Unis. Nous avons produit plus de 125 000 tonnes de sucre dans un marché privé de croissance et de tout débouché d'exportation, comme nous l'avons expliqué. Qu'avons-nous fait? Nous avons déniché des débouchés d'exportation au Mexique. En 2007, comme notre année financière se termine en septembre, nous avons expédié 12 000 tonnes de sucre au Mexique. La marchandise a été versée dans de grands sacs d'une tonne et acheminée par wagons couverts au Mexique.

Le Mexique est un grand producteur de sucre, mais il a aussi des programmes de subvention et vend son sucre à un prix élevé. Le problème est le suivant. De nombreuses industries — les fabricants de friandises et de produits à forte teneur en sucre — ont déménagé une partie de leur production au Mexique. Ils ont besoin de sucre de qualité. À l'heure actuelle, le sucre mexicain est offert en deux catégories. Premièrement, un sucre plus coloré dont le grain est plus gros, qui n'est pas consommé au Canada ou aux États-Unis. Les grands fabricants, pour leur part, préféreraient un sucre de meilleure qualité. Environ 20 p. 100 de la production mexicaine fournit un sucre de bonne qualité, de sorte que le pays peut répondre à une partie de cette demande. Il y avait donc là un marché créneau disponible là-bas. Cela représentait une marge bénéficiaire minime pour nous, mais comme nous avions des quantités de sucre à vendre, nous en avons vendu 12 000 tonnes.

Nous avons encore une petite commande pour 2008, mais elle va disparaître. En vertu de l'accord de l'ALENA négocié au début des années 1990, le Mexique et les États-Unis ouvriront leurs frontières à compter du 1er janvier 2008. Tout le sucre produit aux États-Unis pourra être vendu sur le marché mexicain; et le Mexique pourra vendre son sucre aux États-Unis. Le sucre de bonne qualité dont le Mexique a besoin proviendra des États du Sud car le transport sera moins coûteux. Autrement dit, il n'y aura plus de débouchés pour nous au-delà de l'an prochain. Essentiellement, ce débouché n'existera plus. Nous avons examiné cela.

Cette année, nous avons emmagasiné dans un entrepôt près de Taber, Lethbridge et Calgary environ 20 000 tonnes de sucre. Nous avons réduit la surface cultivée d'environ 10 p. 100. Encore une fois, nous avons eu une très bonne récolte, encore meilleure que prévu. Nous nous attendions à 90 000 tonnes approximativement. Selon nos calculs, c'est 115 000 tonnes de sucre que nous aurons en main à la fin de janvier une fois le processus de transformation terminé. C'est une bonne nouvelle pour les cultivateurs, mais pas tellement pour nous en un sens car nous devrons entreposer encore plus de sucre. À la fin de la saison, nous aurons sans doute 35 000 tonnes de sucre environ en entrepôt.

J'ai rencontré les cultivateurs après avoir pris connaissance des premiers résultats de la récolte. Je leur ai dit que l'an prochain, il nous faudra réduire encore davantage la superficie en acre. Nous envisageons une réduction d'environ 25 p. 100. Nous négocions un nouveau contrat, puisque le contrat actuel vient tout juste de prendre fin. Nous n'avons pas d'autres débouchés pour ce sucre, si ce n'est l'entreposage à un coût assez substantiel de 2 millions à 2,5 millions de dollars que nous devrons continuer d'assumer. Il nous faudra négocier cela avec les cultivateurs.

Et ce n'est pas tout. Nous avons aussi un problème avec le jus concentré de betterave. En vertu des accords bilatéraux qui ont été signés — par exemple, celui signé avec le Costa Rica en 2002, qui a débuté en 2003 —, le Costa Rica était autorisé à vendre du sucre blanc dans l'ouest du Canada. C'est un coup dur pour nous. Notre marché est restreint. Lorsque des accords bilatéraux sont conclus, ils nous entrouvrent la porte de ces pays, mais nous ne sommes tout simplement pas en mesure de livrer concurrence. Ce sont les pays producteurs. Ils produisent du sucre brut sur place. Ils peuvent le transformer en sucre blanc. Leur main-d'oeuvre et leurs coûts environnementaux sont moins coûteux qu'au Canada. Il faudrait faire venir du sucre du Costa Rica, le transformer ici en sucre raffiné et le renvoyer là-bas. Comment pouvons-nous être compétitifs? C'est impossible.

Le gouvernement négocie un autre accord bilatéral avec les pays andains, comme le Pérou et la Colombie, ce qui n'est pas sans nous inquiéter. La Colombie est l'un des plus grands fabricants de sucre blanc au monde à l'heure actuelle. On ne se soucie guère des droits de la personne en Colombie. Les travailleurs sont mal rémunérés, mais ils produisent du sucre blanc à très faible coût. Si la Colombie obtient une entrée en franchise ou un contingent quelconque exempt de droits de douane au Canada, c'est le secteur de la vente au détail qui sera attaqué, et c'est de ce secteur d'où nous tirons notre plus grande marge bénéficiaire. L'ensemble des commandes dans l'ouest du Canada s'élève à 220 000 tonnes, dont 60 000 à 70 000 sont vendues au détail. Comme la vente au détail représente un tiers de notre chiffre d'affaires, elle revêt beaucoup d'importance pour nous. C'est là où nos concurrents porteront le premier coup.

Si nos débouchés continuent de décliner, il nous faudra prendre une décision sous peu. Le Canada est un pays producteur de betteraves, mais le coût de la vie ici est plus élevé que dans de nombreux pays producteurs dans le monde, comme l'Inde, le Brésil et la Colombie. Notre structure de coûts est plus élevée. Cela ne fait aucun doute. Il est pratiquement impossible pour nous de livrer concurrence à l'étranger.

L'année dernière, nous avons vendu 3 600 tonnes de sucre à Israël avec une faible marge bénéficiaire, mais c'était une exception. Tout le sucre vendu dans le monde repose sur le marché du sucre blanc, marché qui est plus avantageux par rapport au sucre brut. Habituellement, c'est un marché qui est inondé par les pays fabricants, les pays d'origine. À cause d'une pénurie de trois mois l'an dernier, le prix du sucre a atteint un sommet, soit 140 $ la tonne. Nous avons sauté sur l'occasion car, à ce prix, nous pouvions faire un léger profit. Nous avons vendu 3 600 tonnes. Toutefois, le prix est retombé aux environ de 60 $ la tonne, et il devrait continuer de tourner autour de 60 à 70 $ la tonne. Il n'y a pas de possibilité pour nous de faire des transactions à ce niveau.

Je sais que vous aurez des questions à nous poser. Encore une fois, la situation est critique pour nous. Les exportations vers les États-Unis représentent des ventes potentielles de 20 000 à 25 000 tonnes. Comme on l'a dit, nous pourrions probablement produire 35 000 tonnes par année. Dans un marché de 10 millions de tonnes, comme celui des États-Unis, cela n'est pas beaucoup, mais c'est très important pour notre industrie dans le sud de l'Alberta.

La présidente : Merci.

Bruce Webster, directeur général, Producteurs de betterave à sucre de l'Alberta : Merci encore une fois d'avoir accepté de nous écouter au sujet de l'industrie de la betterave à sucre dans le sud de l'Alberta. C'est un secteur très important pour les cultivateurs de notre région. Il y a environ 250 cultivateurs de betterave à sucre et le revenu tiré de la vente de cette denrée représente habituellement de 30 à 40 millions de dollars pour quelque 35 000 acres de production, entièrement sur des terres irriguées. L'irrigation dans le sud de l'Alberta est rationnelle uniquement si nous produisons des cultures que l'on ne peut produire ailleurs. Nous pouvons faire pousser du blé dur et du canola et de multiples autres denrées grâce à l'irrigation, mais la betterave à sucre peut pousser sur des terres arides sans les coûts d'intrant associés à l'irrigation. L'investissement public énorme dans l'irrigation est justifié uniquement si nous pouvons produire des cultures spéciales. Voilà pourquoi nous revenons plaider notre cause sur la nécessité de conserver notre accès au marché américain; cela est très important pour les familles d'exploitants agricoles du sud de l'Alberta. Cette activité leur permet de payer leur terre et leur équipement et assure la croissance des collectivités.

Il importe de maintenir cette diversification de notre gamme de denrées car dans la foulée de l'appréciation récente du dollar canadien par rapport au dollar américain, il faut oublier toute croissance d'autres cultures spéciales qui sont surtout vendues aux États-Unis. Si la production de betteraves à sucre diminue ou disparaît carrément — ce qui ne se produira pas, je l'espère — nous ne nous tournerons pas vers les patates, les haricots secs ou d'autres cultures vendues aux États-Unis car ces débouchés commerciaux se sont évaporés rapidement au cours des derniers mois à cause de la vigueur de l'économie canadienne. Nous avons respecté les limites de nos finances publiques et de multiples raisons font que cette tendance se poursuivra en notre faveur pendant longtemps.

Le marché local où nous écoulons notre sucre est vigoureux, mais la raffinerie de Taber a été construite pour desservir le marché local et les marchés découlant de traités commerciaux négociés et approuvés en bonne et due forme. Notre entente avec les États-Unis fait maintenant l'objet d'un débat. Nous sommes reconnaissants au comité de son aide. L'an dernier, votre comité a envoyé au Département de l'agriculture des États-Unis et au Département de la sécurité intérieure des lettres d'appui. Vous vous souviendrez que grâce à vos efforts, le Département de l'agriculture et le gouvernement américain ont fait volte-face en disant : « Oui, les traités sont interprétés et appliqués comme il se doit. Il n'est pas nécessaire d'appliquer des restrictions au jus concentré de betterave. Notre intention n'a jamais été de l'inclure dans le contingent de sucre raffiné, et il faisait l'objet d'échange juste et équitable. »

Il est important que le Canada mette l'accent là-dessus. Si l'on compare les secteurs de la betterave à sucre canadien et américain, il n'y a pas deux industries agricoles du sucre qui soient plus semblables. Nous avons une main-d'oeuvre, des normes techniques et environnementales et des pratiques agricoles qui sont les mêmes et nous collaborons en matière de recherche. L'une des critiques liées à la libéralisation du commerce, c'est qu'elle avantagera certains exploitants. Nous avons fonctionné dans un marché libre, pratiquement sans protection tarifaire, pendant des générations. Les cultivateurs de l'Alberta ont fait face à la concurrence pendant des générations et ils ont survécu à ces coûts de main-d'oeuvre et à de multiples autres désavantages.

À notre avis, le fait que nous ayons accès aux États-Unis n'aide pas uniquement nos exploitations agricoles, mais aussi l'économie américaine. Ils commandent du jus concentré ou du sucre raffiné uniquement si c'est avantageux pour eux également. Le programme de promotion du commerce avec les États-Unis nous a beaucoup plu. Nous avons fait quelques voyages aux États-Unis nous-mêmes. Dans le cadre de ce programme, nous nous sommes déplacés à quelques reprises pour essayer de nouer des contacts et d'expliquer la nature de notre industrie à la fois aux cultivateurs et aux consommateurs de sucre américains. C'est un exemple des efforts que nous déployons et que nous continuerons de déployer. Il est très important pour nous d'obtenir l'aide de votre comité sénatorial, du gouvernement du Canada et de la province de l'Alberta pour continuer à communiquer ce message.

Il y a un succès remarquable que j'aimerais mentionner, soit les commentaires de l'Alliance mondiale du sucre quant aux répercussions du U.S. Farm Bill sur notre petite industrie de la betterave à sucre. L'alliance a rédigé un paragraphe distinct sur les effets négatifs qu'aurait le U.S. Farm Bill sur les expéditions de jus concentré. Ce n'est pas qu'il y ait quelqu'un d'autre qui expédie cette denrée là-bas. Toutefois, même des industries sucrières géantes d'Australie, de Thaïlande et du Brésil ont donné leur accord à l'insertion de ce commentaire au sujet de cet aspect du Farm Bill. Ils trouvent ridicule de s'en prendre à de petits secteurs comme le nôtre qui répondent aux besoins des consommateurs américains, surtout que nous n'avons nullement la capacité d'influer sur les prix ou les tendances du marché aux États- Unis. Nous rendons un précieux service aux clients américains et nous voulons poursuivre dans la même voie.

Nous tenons à dire encore une fois que cette initiative sera cruciale au cours de l'année prochaine. Nous avons vendu de 5 à 10 p. 100 de notre production sous forme de sucre raffiné aux États-Unis et nous avons eu deux très bonnes récoltes. Dans l'optique de cet accès au marché américain où nous pourrions vendre l'équivalent de 20 000 tonnes de sucre, le jus concentré est très important pour nous.

Nos agriculteurs veulent vendre de la betterave à sucre en 2008. Heureusement, les prix des céréales et des oléagineux sont tels que nous pouvons cultiver autre chose pendant une année. Cependant, si les gens délaissent cette production pendant trop longtemps, ils n'y reviendront peut-être pas. Ce ne serait pas bon pour Rogers Sugar parce que, comme M. Lafrance l'a dit, la société éprouve des difficultés et pourrait avoir des problèmes plus graves si elle n'arrive pas à trouver des cultivateurs pour que la capacité revienne à son niveau antérieur.

C'est important pour nous de continuer à faire porter nos efforts sur notre accès au marché américain. Le gouvernement des États-Unis a dit que nous avons scrupuleusement respecté les règles telles qu'elles ont été négociées. Hier, le sénateur Lugar traitait du Farm Bill et, s'adressant à d'autres sénateurs, il a dit : « Vous devez tenir compte des répercussions commerciales possibles de certaines particularités du projet de loi ». Et le sucre est l'un des produits visés. Nous tenons absolument à collaborer avec le gouvernement du Canada pour faire progresser cette situation. Et nous ne restons pas les bras croisés. M. Lafrance a parlé du marché mexicain qui est devenu accessible l'année dernière, mais il sera très difficile de maintenir cette situation. Nous avons examiné d'autres possibilités. Rogers Sugar a des projets d'éthanol à l'étude. Le ministère de l'Industrie de l'Alberta et nous-mêmes travaillons en étroite collaboration depuis deux ans pour essayer d'obtenir qu'une compagnie américaine de biotechnologie vienne s'établir dans le sud de l'Alberta pour fabriquer des produits non alimentaires à partir de la betterave à sucre. Cette compagnie dépense plusieurs millions de dollars pour établir une usine à Taber, mais son marché ne sera pas établi avant 12 ou 24 mois. C'est pourquoi nous devons pouvoir continuer à vendre du jus concentré pour utiliser notre capacité dans l'intervalle. Les agriculteurs peuvent faire de l'argent et il faut espérer que d'ici cinq ou dix ans, si certaines autres possibilités se matérialisent, nous n'aurons plus à nous inquiéter. Pour l'instant, nous sommes toutefois inquiets et c'est pourquoi nous comparaissons devant vous aujourd'hui.

La présidente : Vous savez tous que vous n'êtes pas seuls dans cette situation. Non seulement nous, au Sénat, vous appuyons et tenons à rester en contact avec vous, mais par ailleurs, il y a aussi sur la colline du Parlement un groupe qui s'intéresse au secteur du sucre. Comme vous le savez, depuis un peu plus d'un an, nous étudions la pauvreté rurale au comité, pour la toute première fois. Nous avons tenu des audiences publiques dans toutes les provinces. Nous mettrons la dernière main à cette étude au début du printemps en nous rendant dans les trois territoires. Ensuite, nous publierons ce qui, espérons-le, sera un excellent rapport. À chaque fois que nous entendons parler de difficultés où que ce soit au pays, cela ravive notre inquiétude. Votre dossier est pour nous une préoccupation croissante depuis un certain temps et nous allons assurément faire tout notre possible pour vous venir en aide.

Le sénateur Peterson : À titre d'information, vous avez dit qu'il y avait quatre raffineries de sucre au Canada. D'où provient la matière première?

M. Lafrance : À l'heure actuelle, la plus grande partie de la matière première vient du Brésil et de l'Amérique centrale.

Le sénateur Peterson : Je suppose que vos clients aux États-Unis ne signent pas de commandes actuellement.

M. Lafrance : Nous n'avons actuellement aucune commande de notre unique client aux États-Unis.

Le sénateur Peterson : Est-ce à cause de l'incertitude?

M. Lafrance : C'est bien cela.

Le sénateur Peterson : Cela a-t-il déjà touché la campagne agricole de 2008?

M. Lafrance : Dans le cas de ce client, oui, et il serait impossible de se lancer dans un autre secteur quelconque. À cause du Farm Bill à l'étude, les agriculteurs hésitent beaucoup à se lancer. C'est pourquoi nous nous attendons à ce que la récolte de l'année prochaine soit encore plus faible.

Le sénateur Peterson : En la diminuant d'un tiers, à peu près, ou de 25 p. 100 comme vous l'avez dit, cela vous place- t-il dans une position équilibrée, ou bien allez-vous stocker le produit?

M. Lafrance : Compte tenu de notre volume au Canada et de ce que nous croyons pouvoir vendre aux termes du contingent de 10 000 tonnes, que nous comblons chaque année, il nous faut environ 100 000 tonnes de sucre. Si nous en avons 35 000 tonnes, nous demanderons probablement entre 70 000 et 75 000 tonnes pour d'autres débouchés et il nous restera 10 000 tonnes de plus que nos besoins normaux. Chose certaine, comme nous avons déjà 35 000 tonnes de sucre de stocké, nous devrons réduire notre superficie ensemencée l'année prochaine.

Le sénateur Peterson : Je suppose que vous signez des contrats avec les agriculteurs pour la livraison du produit. Y a- t-il un danger quelconque que ceux-ci, comme M. Webster l'a dit tout à l'heure, commencent à quitter le secteur, puisqu'ils doivent bien cultiver quelque chose?

M. Lafrance : Vous avez raison. C'est un danger. M. Webster l'a mentionné. Au bout du compte, si nous perdons trop de cultivateurs, la survie de la raffinerie sera menacée car dans la situation actuelle, elle fonctionne environ quatre mois ou quatre mois et demi par année pour transformer toute la récolte de betteraves. Il y a un volet entrepôt et un volet mise en sac qui fonctionnent toute l'année, mais la majeure partie de l'usine fonctionne quatre mois et demi par an.

D'ici la fin décembre, nous aurons terminé. Pour transformer ce qu'il faudra transformer l'an prochain, l'usine fonctionnera sans doute du 1er octobre à la fin décembre. Il ne faut pas oublier qu'au cours de cette période, outre nos employés permanents, nous embauchons environ 200 à 250 travailleurs à temps partiel pour la durée de la campagne. Par conséquent, les gens qui travaillaient quatre mois et demi cette année ne travailleront que deux mois et demi à trois mois l'an prochain. Voilà ce qui se passera dans le sud de l'Alberta. La situation s'aggrave car à mesure que l'on raccourcit la période d'activité, on trouve de moins en moins de personnes disponibles pour travailler pendant deux mois et demi par année. Ce sera un problème et une source de préoccupation. Si l'on reste à ce niveau pendant trop longtemps, comme M. Webster l'a mentionné, si nous avons deux usines qui tournent à une capacité de 40 et 50 p. 100, nous devrons prendre une décision d'affaires.

Le sénateur Peterson : Pendant combien de temps pouvez-vous entreposer le jus concentré? Devez-vous absolument le raffiner pour en faire du sucre?

M. Lafrance : Nous ne pouvons pas l'entreposer très longtemps. Huit, neuf ou dix mois serait la période maximale avant que le jus commence à cristalliser au fond du réservoir. À ce moment-là, nous perdons énormément de sucre car nous ne pouvons pas le récupérer. Le jus concentré doit être transformé en l'espace d'un an. Si l'on produit du jus concentré à l'automne, l'été d'après, il faudrait le transformer en sucre granulé.

Le sénateur Peterson : Quelle est la durée de conservation du sucre granulé?

M. Lafrance : Deux, trois ou quatre ans, s'il est bien entreposé, dans un endroit suffisamment humide.

Le sénateur Peterson : Savons-nous quelle est l'échéance concernant le projet de loi que le Congrès américain étudie présentement? Savons-nous quand une décision sera prise?

M. Webster : D'après l'information émanant du Congrès, de différents journalistes et intervenants, et cetera, cela varie. Le débat sur le projet de loi agricole pourrait se terminer d'ici la fin décembre et ensuite la commission mixte amorcera ses travaux. Il se peut donc que la mesure soit en place au début de la nouvelle année, mais il est aussi possible que l'on en n'ait pas terminé avec les amendements. Les choses pourraient traîner en longueur ou se prolonger. La menace d'un veto présidentiel est toujours là. Nous n'avons pas d'échéancier parce que l'adoption d'un projet de loi sur l'agriculture est un élément fluide dans la politique américaine. Selon la plupart des observateurs, il y en aura un, sauf qu'ils ne savent pas exactement quelle en sera la teneur ni quand il sera adopté. Ensuite, on amorcera la phase des propositions s'il y a des changements et l'on reprendra le même processus que nous avons vu l'an dernier. Par conséquent, il faudra compter un an ou plus avant la rédaction de la réglementation visant à mettre en oeuvre les dispositions de la nouvelle mesure.

Le sénateur Peterson : Je suppose que la carte blanche dans ce jeu, c'est l'arrangement mexicain, qui entre en vigueur le 1er janvier de l'an prochain.

M. Webster : Oui.

M. Lafrance : Ils savaient dans quoi ils s'embarquaient. Au cours des deux premières années, le sirop de glucose à haute teneur en fructose aura facilement accès au Mexique qui a une industrie des boissons florissante. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les États-Unis produisent un sucre de bonne qualité, tout comme nous, alors que le Mexique n'y arrive pas encore, sauf peut-être pour 20 p. 100 de sa production. Ce pays a donc besoin de sucre de bonne qualité. Les premières années, le Mexique aura un bon accès aux États-Unis. Toutefois, on peut voir dès maintenant que les raffineries de sucre américaines investissent au Mexique. La semaine dernière, l'une d'elles a annoncé l'achat d'une usine au Mexique. Un autre producteur a aussi conclu une entente de commercialisation coopérative avec six usines mexicaines. À l'heure actuelle, les raffineries s'alignent.

Le sénateur Peterson : Nous allons continuer de vous offrir notre soutien, tout comme la dernière fois, pour essayer de convaincre le gouvernement américain dans ce dossier.

Mme Marsden : Comme M. Webster l'a dit, le processus est fluide et nous ignorons quel est l'échéancier, mais même si le projet de loi est adopté par le Sénat, il reste tout de même le processus de la commission mixte. Nous réclamons instamment votre appui au cours de ce processus de façon à sensibiliser des sénateurs clés et d'autres députés du Congrès au fait que nous ne sommes pas vraiment un gros joueur sur le marché américain. Nous sommes un acteur mineur et nous offrons un avantage modeste aux usines de transformation en cas de pénurie, mais le Mexique a certainement négocié un accord et les producteurs américains craignent que le marché soit inondé par le sucre mexicain. Le Canada est en dehors de cette équation.

Nous ne devrions pas être mis dans le même panier et susciter la même inquiétude. Toutefois, même si la logique ne prévaut pas toujours lorsque l'on discute avec les Américains, nous devons essayer. Nous ne pouvons pas céder. Dans le passé, nous n'avons pas remporté toutes les escarmouches et les batailles, mais nous avons à chaque fois lutté de pied ferme, et nous avons pu esquiver un grand nombre de restrictions. C'est ce que nous cherchons à accomplir.

Le sénateur Mahovlich : Merci, madame la présidente, et je remercie les témoins d'être venus comparaître. La hausse du dollar canadien s'est fait sentir. Pensez-vous qu'il est trop élevé pour les entreprises? Tiennent-elles compte du dollar?

M. Lafrance : L'appréciation du dollar a eu un effet, particulièrement à cause de ce contingent de 10 000 tonnes. Nous vendons notre produit aux États-Unis en dollars américains. Par conséquent, nous en tirons moins de revenus. C'est une mauvaise affaire pour la raffinerie de Taber. Nous vendons aussi en dollars américains certains sous-produits comme la pulpe de betterave et la mélasse de betterave. Encore là, la hausse du dollar a une incidence négative sur l'usine de Taber.

Aujourd'hui, le marché est fonction du prix mondial du sucre, qui est en dollars américains. Tous nos clients achètent en fonction du prix mondial du sucre. Nous faisons une conversion du dollar américain au dollar canadien. Pour ce qui est de notre usine de canne à sucre, ce n'est qu'un lieu de passage : quel que soit le prix que nous payons, nous facturons exactement la même chose à nos clients. À la raffinerie de Taber, nous payons nos cultivateurs en dollars canadiens. D'autre part, la formule de vente est fondée sur le chiffre international 11, qui est en dollars américains. Présentement, nous faisons moins d'argent. Notre rendement est négatif par rapport à ce que nous avons vendu localement à partir de Taber. L'appréciation de la monnaie a eu un impact net d'un ou deux millions de dollars pour Rogers Sugar avec un dollar à parité aujourd'hui. Voilà ce qu'il en est.

Le sénateur Mahovlich : Les cultivateurs de betterave américains vont-ils se tourner vers d'autres cultures céréalières maintenant, étant donné qu'il y a une demande pour le maïs, par exemple?

M. Webster : En 2007, la culture de la betterave aux États-Unis a subi le contrecoup de la demande de maïs, de fèves, de soja et d'autres denrées. Par conséquent, oui, les coopératives de cultivateurs de betterave à sucre et leur association ont confirmé publiquement l'an dernier que la superficie ensemencée avait diminué en raison de la demande de cultures à usage énergétique.

M. Lafrance : La betterave à sucre demeure une culture subventionnée aux États-Unis. On garantit aux cultivateurs 18 cents la livre pour n'importe quelle culture. À un moment donné, il y a deux ans, on a trop fait pousser de betteraves à sucre et les agriculteurs ont dû détruire une partie de leur récolte. Cette menace a aussi plané l'année dernière. Je ne pense pas qu'ils soient allés de l'avant étant donné qu'il y avait très peu de superficies qui auraient pu être labourées.

Les agriculteurs ont une allocation et si l'on considère le marché américain de 10 millions de tonnes, 8,7 millions sont produites aux États-Unis. De ces 8,7 millions de tonnes, près de la moitié provient de la betterave à sucre et près de la moitié de la canne à sucre. C'est une industrie importante pour les États du Nord, où l'on cultive la betterave à sucre, une activité très lucrative. De l'autre côté de la frontière, les cultivateurs de betterave à sucre gagnent beaucoup moins d'argent que leurs homologues américains pour la même récolte qui est cultivée sur des terres irriguées. C'est une culture très lucrative pour les agriculteurs américains. Même si la valeur du boisseau de maïs et d'autres denrées s'est appréciée l'an dernier, il reste tout de même suffisamment d'agriculteurs pour cultiver ce dont ils ont besoin.

Le sénateur Callbeck : Je m'interroge au sujet de tous les succédanés du sucre que l'on trouve sur le marché maintenant. Ces produits nuisent-ils à votre commerce?

M. Lafrance : Un peu, surtout pour le volet vente au détail. Pour cuisiner, le succédané de sucre n'a pas la bonne formule pour le moment. Si vous cuisinez avec un succédané, votre gâteau ne lèvera pas comme il faut; il a besoin de volume, et le sucre est important pour cela. Il y a sept ans, il y avait très peu d'espace pour les succédanés du sucre sur les tablettes des magasins de détail. Aujourd'hui, cependant, davantage de tablettes sont consacrées à ce genre de produits.

Nos ventes en souffrent un peu. Ce n'est pas majeur pour l'instant, mais tous les ans, la consommation de nos produits de détail rétrécit comme une peau de chagrin. Il ne fait pas de doute que cela a un impact. La consommation de sucre des Canadiens est passée de 36 à 33 kilogrammes, en six ou sept ans. Le succédané du sucre joue un rôle à cet égard.

Le sénateur Callbeck : Par conséquent, la consommation a chuté de 10 p. 100. Avez-vous un chiffre à nous communiquer au sujet de la hausse des ventes de succédané du sucre.

Mme Marsden : Nous n'avons pas de chiffres précis. Une partie de cette baisse est également attribuable au sirop de maïs à forte teneur en fructose.

M. Lafrance : Il y a aussi des considérations liées au poids.

Mme Marsden : Il n'y a pas de corrélation directe. De nombreux consommateurs vont utiliser des succédanés du sucre sans pour autant diminuer leur consommation globale de produits sucrants.

Le sénateur Callbeck : Vous dites que vous pouvez entreposer le jus de betterave pendant huit ou neuf mois. Vendez- vous du jus de betterave à d'autres pays que les États-Unis?

M. Lafrance : Non. Il s'agit d'un produit liquide dont le transport est très coûteux. On se trouve à transporter beaucoup d'eau et, au bout du compte, cela coûte cher. Il faut le vendre à proximité.

Le sénateur Callbeck : Qu'en est-il des coûts de production d'une tonne de sucre? Je sais que vous ne pouvez projeter toutes vos expériences dans l'avenir. Toutefois, si vous regardez en arrière, est-il plus coûteux qu'il y a cinq ans de produire une tonne de sucre à partir de la betterave à sucre par rapport à la canne à sucre?

M. Lafrance : C'est plus coûteux. Lorsque l'on reçoit au Canada du sucre brut, il contient 98 à 99 p. 100 de sucre. On n'a qu'à retirer 1 ou 1,5 p. 100 de non-sucre du sucre brut. Avec la betterave à sucre, on commence avec un produit qui contient environ 14 p. 100 de sucre récupérable. Il faut extraire ce sucre de la betterave et il reste ensuite une pulpe. En outre, les coûts associés à la production de sucre à partir de la betterave à sucre sont beaucoup plus élevés qu'à partir de la canne à sucre.

Par ailleurs, nous approvisionnons la collectivité locale avec ce sucre. L'Alberta est au centre du Canada. Il ne serait pas facile d'acheminer le sucre à partir d'un port de l'ouest ou de l'est du Canada jusque dans les provinces des Prairies. Au plan du transport, il est avantageux d'être situé, comme nous le sommes, dans le sud de l'Alberta.

Toutefois, les coûts de transformation du sucre ont augmenté. L'énergie en est un exemple. Dans notre entreprise, nous utilisons énormément de gaz naturel, et les coûts énergétiques ont augmenté considérablement depuis les sept dernières années. Ce coût a rogné notre rentabilité. La situation est difficile car nous pouvons vendre un volume limité au Canada. Nous faisons face à une vive concurrence au Canada de la part des importations, de la compagnie Redpath et d'une autre entreprise qui a essayé de produire du sucre à partir d'une petite raffinerie à Saint-Jean. En conséquence, hausser les prix n'a pas toujours été une option non plus.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Webster, vous avez mentionné qu'une autre usine était en construction à Taber. Avez-vous dit qu'on y utiliserait la betterave à sucre pour la fabrication de produits non alimentaires?

M. Webster : Oui, la compagnie en question est une compagnie américaine inscrite en bourse à New York et à Francfort. Il s'agit de la Flexible Solutions International. Elle appartient à des Canadiens, mais c'est une compagnie américaine. Elle fabrique des produits de conservation de l'énergie et de l'eau et vise à obtenir des contrats en Europe en vue de remplacer un ingrédient présentement utilisé dans le détergent à lessive. La compagnie vend un produit biodégradable non toxique en tant que substitut au détergent à lessive et, nous l'espérons, la réglementation va changer. À l'heure actuelle, elle fabrique de l'acide aspartique à partir d'une charge d'alimentation de carbone qui est extraite de benzène, en Chine, mais ce procédé s'est avéré trop coûteux. Le benzène est une molécule de carbone et la compagnie cherche à la remplacer. Ces experts ont jugé que le sucre était la meilleure solution de remplacement. Ils ont cherché partout dans le monde le sucre le moins cher.

Rogers Sugar a réussi pendant des années à nous fournir une source de sucre à prix modique. Cette compagnie située aux États-Unis a jugé que le Canada était l'endroit où s'établir. Le gouvernement de l'Alberta et notre organisation ont fait des démarches auprès de l'entreprise pendant deux ans pour qu'elle envisage de venir chez nous. Leur banquier m'a fait passer une entrevue avant de consentir un prêt à la compagnie pendant l'été. L'entreprise investit plusieurs millions de dollars et elle a acheté un terrain pour bâtir ses installations à Taber. Elle y implantera une brasserie et une distillerie pour fabriquer de l'acide aspartique au moyen d'un processus de fermentation. Une autre étape de raffinage se fera dans leur usine de l'Illinois. Toutefois, l'entreprise fabriquera aussi des produits finis de conservation de l'eau et de l'énergie à Taber. On espère que la production sera déménagée de Calgary à Taber au début de l'année prochaine.

Il s'agit d'un produit à forte valeur ajoutée qui n'est guère assujetti aux fluctuations du taux de change. C'est un produit de remplacement qui implique l'investissement de capital de risque, ce qui fait peur à certains. Toutefois, alors que nous sommes poussés hors de notre propre marché à cause d'ententes commerciales et que notre accès aux États- Unis est réduit, c'est une option que nous devons envisager.

L'entreprise ne reçoit aucune subvention gouvernementale. Les dirigeants de l'entreprise investissent l'argent de leurs actionnaires et leur banque, qui a examiné les produits en question, investit des millions. Si cela fonctionne, ce sera merveilleux, mais en cas d'échec, le contribuable ne perd pas un sou.

On prendra le jus concentré pour le transformer en quelque chose d'autre. Personne ne sera obligé d'acquérir de nouvelles compétences, et nous continuerons de faire ce que nous faisons déjà. Il faut espérer qu'avec le temps, cette initiative sera plus profitable pour nous. Toutefois, il faudra attendre quelques années pour que cela se confirme et c'est pourquoi les marchés américains du jus concentré sont importants maintenant.

M. Lafrance : En 2008 ou 2009, le volume de production tournera autour de 1 500 tonnes, et si tout se passe bien, il passera à 8 000 tonnes par année. C'est un premier pas important pour nous et si l'on en arrive à un niveau aussi élevé, cette entreprise deviendra un client clé. On est loin des 25 000 à 30 000 tonnes que nous vendons aux États-Unis, mais ce sera un coup de pouce appréciable et un ajout bienvenu pour le sud de l'Alberta.

Le sénateur Callbeck : Y a-t-il d'autres compagnies qui envisagent d'utiliser la betterave à sucre pour fabriquer des produits différents?

M. Lafrance : Nous avons amorcé une étude sur la possibilité de produire de l'éthanol à partir de notre raffinerie de betterave à sucre dans le sud de l'Alberta. Les betteraves seraient l'intrant le plus coûteux dans la production d'éthanol. Nous aurons les résultats au sujet de la viabilité d'un tel projet d'ici six à neuf mois. En Europe, quelques raffineries de betterave à sucre produisent de l'éthanol. Nous en avons visité une pour nous familiariser avec ses opérations et déterminer si l'on prenait des mesures spéciales pour réduire les coûts. Nous pourrions aussi utiliser une autre matière première, outre la betterave à sucre, pour faire fonctionner l'usine 12 mois par année.

Le sénateur Callbeck : À l'Île-du-Prince-Édouard, les cultivateurs ont soumis au gouvernement une proposition visant à cultiver la betterave à sucre pour fabriquer de l'éthanol.

M. Lafrance : Nous avons été étonnés d'apprendre cela. Nous avons communiqué avec les instigateurs du projet, mais nous avons obtenu très peu d'information. Il est possible qu'ils en sachent plus long que nous sur les moyens à prendre pour rentabiliser la culture de la betterave et sa transformation en éthanol. Sans subvention, je pense que cela serait difficile.

M. Webster : En compagnie de l'un de mes directeurs, je me suis rendu à Truro, en octobre, pour rencontrer les promoteurs d'une usine d'éthanol. Ils voulaient en apprendre davantage au sujet de la culture de la betterave. Nous leur avons communiqué cette information, mais nous ignorons quel processus de transformation ils comptent utiliser.

Flexible Solutions International, notre organisation et une autre organisation de développement économique appelée SouthGrow avons ensemble préparé une trousse d'information préliminaire à l'intention d'une autre entreprise de biotechnologie, mais cette démarche n'en est qu'au stade préliminaire. Nous continuons de rechercher des utilisations de rechange. Nous n'avons pas l'intention de rester les bras croisés. Pas question de dire que nous avons fait ce que nous avons fait pendant 83 ans et que cela doit continuer de la même façon. Nous tentons d'être créatifs. Nous ne dépendons pas d'un programme gouvernemental et nous n'espérons pas recevoir un chèque à tout jamais.

Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il déjà eu une raffinerie de sucre à Toronto?

M. Lafrance : Il y en a une, mais elle ne nous appartient pas. Elle appartient à notre principal concurrent, Redpath Sugar, qui est présentement la propriété de l'American Sugar Refining, la plus grande entreprise de raffinage et de production de canne à sucre aux États-Unis depuis mars 2007. Cette compagnie a acheté la raffinerie de la Tate & Lyle Canada. Elle s'est aussi portée acquéreuse récemment d'une petite usine au Mexique. Cette entreprise opère donc à l'échelle de l'Amérique du Nord.

Le sénateur Mahovlich : Il y a déjà eu une entreprise appelée St. Lawrence Starch Company qui fabriquait du sirop de maïs.

M. Lafrance : Il s'agissait de St. Lawrence Sugar, dont nous sommes propriétaires et d'Ogilvie Starch, qui, si je ne m'abuse, était implantée à Montréal. Je ne connais pas très bien la St. Lawrence Starch.

Le sénateur Peterson : En ce qui concerne l'éthanol, un nombre croissant d'États exigent que les entreprises se tournent vers l'éthanol, et le prix du maïs augmente de façon spectaculaire. Vous avez dit que les producteurs de sucre étaient subventionnés. Se pourrait-il que le maïs éclipse le sucre? Si les cultivateurs abandonnaient le sucre pour cultiver le maïs, cela changerait-il la donne? Ou seraient-ils simplement obligés d'en importer davantage?

M. Lafrance : Il est difficile de parler pour les cultivateurs des États-Unis, mais le maïs est aussi une bonne culture pour eux, particulièrement dans le contexte de la hausse du prix du boisseau de maïs l'an dernier. Le maïs est devenu une meilleure culture pour eux, et c'est l'une des plus importantes qui soit aux États-Unis.

Toutefois, il est difficile d'imaginer qu'ils puissent remplacer le sucre par le maïs parce que c'est une culture plus profitable. Les agriculteurs doivent aussi faire une rotation, et la betterave à sucre est une culture résistante. Les cultivateurs ont aussi investi énormément dans les terres, l'équipement, et cetera. L'équipement nécessaire à la culture de la betterave à sucre est coûteux. Ils peuvent aussi compter sur des coopératives de commercialisation compétentes.

Les États-Unis ont dû instaurer un programme de partage du marché car d'une année à l'autre, la production de betteraves à sucre allait sans cesse croissant. Ils investissaient dans des raffineries de sucre et le rendement était à la hausse alors que le marché de la canne à sucre battait de l'aile au pays. Par conséquent, le gouvernement américain a instauré un partage du marché entre les cultivateurs de betterave à sucre et de canne à sucre pour venir en aide à l'industrie de la canne à sucre.

Je serais étonné que le secteur canadien de la betterave à sucre soit ébranlé par la forte demande d'éthanol et de maïs aux États-Unis.

La présidente : Nous sommes aux prises avec ce problème avec les États-Unis depuis un certain temps. Nous comprenons tous que cela représente un tournant pour votre prospérité future. Nous allons faire de notre mieux pour vous soutenir.

La séance est levée.


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