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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 3 - Témoignages du 5 février 2008


OTTAWA, le mardi 5 février 2008

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour à 19 h 1 afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir, chers collègues, et bonsoir également aux téléspectatrices et aux téléspectateurs qui suivent les audiences du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts sur le thème de la pauvreté rurale et du déclin des régions rurales au Canada.

Nous sommes ravis d'accueillir ce soir le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, l'honorable Gerry Ritz; ainsi que l'honorable Christian Paradis, secrétaire d'État à l'Agriculture.

En mai 2006, le comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. Depuis lors, nous avons publié un rapport intérimaire, sillonné toutes les provinces du Canada, visité 17 collectivités rurales et rencontré plus de 250 particuliers et organismes, ce qui ne revient pas à dire que notre travail est terminé. Le mois dernier, plusieurs membres de notre comité se sont rendus dans les Territoires du Nord-Ouest afin de prendre le pouls des particuliers et des organisations de cette région.

Lors de nos visites dans les provinces, nous avons été profondément touchés par les groupes de Canadiennes et de Canadiens, des personnes merveilleuses, d'horizons variés, qui sont venues nous faire partager leur passion, leurs connaissances et leurs préoccupations au sujet du Canada rural. Nous nous sommes sentis très humbles face à leur générosité et à la façon dont elles nous ont accueillis, à bras ouverts, au sein de leur collectivité et parfois même au sein de leur foyer.

Le comité en est à la dernière phase de son étude et il est donc très important que nous recueillions à présent l'avis du ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire qui est aussi ministre responsable du Secrétariat rural, groupe qui a été à l'avant-garde de la stratégie rurale du gouvernement fédéral et qui est chargé de sensibiliser la population et le secteur d'élaboration des politiques au sujet des préoccupations du Canada rural.

Nous disposons d'une heure ce soir et je pense que le ministre de l'Agriculture a ajouté 15 minutes à cette période, ce dont nous lui sommes très reconnaissants. J'invite mes collègues à être le plus brefs possible dans leurs questions afin de permettre à nos invités de leur donner des réponses complètes.

L'honorable Gerry Ritz, C.P., député, ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire et ministre de la Commission canadienne du blé : Je suis très heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui. Je précise que les 15 minutes que je vais ajouter à mon intervention concerneront le début de mon témoignage et pas la fin.

Je me réjouis de cette occasion de rencontrer votre illustre comité. Votre excellent travail vous vaut une réputation qui vous précède.

Comme je l'ai dit dans le premier discours que j'ai prononcé il y a quelques mois de cela, je me trouve, pour reprendre une terminologie agricole, à passer la herse dans un terrain qui a été labouré par Chuck Strahl. Il a fait un excellent travail pour faire passer les questions agricoles à l'avant plan des préoccupations des Canadiens.

J'apprécie le travail réalisé par votre comité. Vous avez, par le passé, su gratter sous la surface des dossiers qu'on vous a confiés et celui de la pauvreté rurale en est un bon exemple. Je vous en félicite. Votre étude intervient à point nommé et elle s'adresse au cœur du problème.

Comme vous le savez — comme vous le précisiez tout à l'heure, en rappelant que vous avez rencontré les représentants de quelque 17 collectivités rurales au Canada — l'esprit de pionnier est encore bien vivant au Canada. Nous sommes les descendants de gens qui étaient animés du désir de bouger et d'innover dans le secteur agricole.

J'ai eu le bonheur de connaître mes grands-parents. C'était des pionniers. C'était des « homesteaders ». Ils ont foncé, défriché la terre et fait un travail que tout le monde aujourd'hui considère avec bienveillance. Ils ont travaillé très fort et vécu dans des baraques faites de terre et de branches, dont le toit fuyait quand il pleuvait, où il faisait froid en hiver et chaud en été.

J'ai eu le grand bonheur de lire les journaux de mon grand-père. Quand il est devenu agriculteur en 1917-1918, il a commencé à tenir un journal quotidien de ses activités. Il est très intéressant de prendre connaissance de ces recueils qui font état de toutes ses tribulations et interrogations dont beaucoup portaient exactement sur les mêmes questions que celles auxquelles nous nous heurtons aujourd'hui : accès au marché, coût du transport, prix des graines et de l'insémination du bétail afin d'obtenir des races résistantes.

J'ai eu l'occasion extraordinaire de prononcer le discours d'ouverture de la conférence de BioNorth Biotechnology and Life Sciences à Ottawa, l'automne dernier. D'impressionnants progrès ont été réalisés en biotechnologie, en ce qui concerne l'agriculture dans toutes les régions industrialisées du Canada. J'ai déclaré, en plaisantant, qu'à l'ère de mon grand-père, les pionniers avaient les mains posées sur la charrue, tandis qu'aujourd'hui, on les retrouve dans les laboratoires, en blouse blanche et l'œil rivé sur l'objectif des microscopes. Les pionniers d'aujourd'hui se trouvent en science, dans les secteurs de l'innovation et de la technologie et ce sont ceux qui vont changer le visage du Canada rural.

Je suis heureux que mon secrétaire d'État, qui s'occupe de la ruralité au Canada, m'accompagne aujourd'hui. C'est en effet Christian Paradis qui se charge de tout ce qui concerne les coopératives et le côté rural de notre activité. Il a eu, à cet égard, d'excellentes idées que nous avons pu mettre en pratique et nous allons voir ce qu'elles donnent.

J'ai été particulièrement ravi de pouvoir passer toute ma vie dans une région rurale du Canada. Je n'imagine pas meilleur endroit où passer sa vie. J'ai eu l'incroyable occasion de sillonner le monde et je n'imagine pas de meilleur endroit où vivre, élever une famille, bâtir des fondations et installer sa succession. Je vois d'ailleurs que beaucoup d'entre vous acquiescent d'un signe de tête. Beaucoup pensent comme moi.

Si l'exploitation agricole n'est pas rentable, les autres secteurs ne le seront pas non plus, pas plus les fournisseurs que les transformateurs. Tout commence par des exploitations agricoles solides et dynamiques. Depuis ma nomination à l'agriculture le 14 août, je cherche à faire passer les agriculteurs avant tout, dans tous les dossiers que je traite au nom du gouvernement et dans tout ce qui concerne les programmes agricoles. Tout ce que j'accepte de promouvoir doit être essentiellement destiné à améliorer le rendement agricole.

La diversification des exploitations est très prometteuse. Les initiatives relatives aux biocarburants que nous avons annoncées reposent principalement sur la participation des producteurs afin de leur permettre de remonter la chaîne alimentaire, pour ainsi dire. En l'espèce, il s'agit davantage de remonter l'échelle de l'énergie.

J'estime que les mesures prises par mon gouvernement au cours des deux dernières années, d'abord par le ministre Strahl, puis par moi-même, vont dans le sens du soutien au revenu agricole. Nous avons annoncé de nombreux programmes qui sont essentiellement destinés à assurer la survie de l'agriculture. Nous appuyons aussi la recherche scientifique et l'innovation, ce que vous savez bien sûr.

À ce stade, nous essayons, en collaboration avec les provinces et les territoires, d'offrir des programmes agricoles négociables et prévisibles, et nous y parvenons. J'ai toujours eu un problème, d'abord en tant que producteur, puis en tant que politicien, face aux programmes improvisés destinés à régler certaines situations, mais qui mettaient toujours à côté de la cible. Ces programmes mettent à côté de la plaque et ne parviennent jamais tout à fait à aider les agriculteurs.

Les biocarburants sont une partie de la réponse pour aider l'économie rurale. On assiste à la constitution de réseaux dans l'Ouest du Canada et je vais m'y arrêter un instant. Ces réseaux sont construits autour de pivots.

J'ai constaté une véritable redynamisation des régions rurales de mon coin de pays. Grâce au secteur des hydrocarbures, on assiste à la revitalisation d'emplacements agricoles qui étaient abandonnés depuis quelques années. On y voit pousser de nouvelles maisons ou s'y installer des remorques. On assiste donc à la relance de la région rurale de la Saskatchewan et du centre-ouest. Les secteurs du pétrole et du gaz sont en train de relancer cette région et, grâce au secteur des céréales et des oléagineux, l'agriculture connaît aussi une bonne année.

Tout cela augure donc bien pour les écoles de la région, pour les bureaux de poste et pour tous les secteurs d'ancrage autour desquels les populations gravitent habituellement. N'oublions pas non plus le secteur commercial et les autres.

Ces initiatives, ainsi que les secteurs des biocarburants et des hydrocarbures, qui se portent fort bien, donnent de bons résultats et vont de pair avec un excellent développement des infrastructures qui profite à tout le monde. Quand on pense infrastructure, on pense routes et réseaux d'adduction d'eau et d'égout, mais il ne faut pas oublier les infrastructures que tout le monde veut voir dans sa ville ou son village : tout ce qui touche au côté social, comme les musées, les bibliothèques et les centres récréatifs où les enfants peuvent aller jouer au hockey ou faire du ballet. Nous assistons précisément à une renaissance de ces infrastructures dans les régions rurales du Canada et nous nous réjouissons d'être associés à ce phénomène.

Il a toujours été très intéressant d'essayer de régler le problème des liquidités à la ferme. Ceux d'entre vous qui habitent dans des régions rurales savent que la réalité agricole évolue. Les exploitations sont de plus en plus grosses.

J'ai eu l'occasion extraordinaire de sillonner le Nord du Canada et je crois d'ailleurs savoir que votre comité va bientôt s'y rendre. Je vous le recommande, parce que c'est un coin fantastique. Lors de mes déplacements au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, en juin dernier, les résidants du Yukon m'ont dit à quel point ils étaient emballés de pouvoir compter maintenant 7 000 acres en culture. Je leur ai répondu que c'est fantastique, mais que c'est à peu près la superficie que mon frère et moi cultivions en Saskatchewan. C'est effectivement fantastique de voir ce qui se passe là-bas. L'être humain est un cultivateur par nature et les résidants du Nord sont, sur ce plan également, en train de faire œuvre de pionnier.

Nous avons une nouvelle suite de programmes agricoles et je suis certain que vous aurez des questions à me poser à leur sujet. Cette suite de programmes offerte aux agriculteurs s'appuie sur quatre piliers. Nous avons élargi notre perspective afin que le bétail donne également droit à l'assurance-récolte qui, pour cela, a été rebaptisée assurance- production. Voilà de bonnes nouvelles pour les électeurs qui sont actuellement confrontés à certains problèmes. Nous avons aussi ajouté un volet au programme Agristabilité, axé sur les marges, que nous avons baptisé Agri- investissement. Ce nouveau volet donne essentiellement droit à l'ancien CSRN, soit le compte de stabilisation du revenu net pour les 15 p. 100 supérieurs, et il y a bien sûr également un pilier distinct pour l'aide en cas de catastrophe.

La répartition du financement entre le fédéral et les provinces, normalement de 60-40, varie selon l'ampleur de la catastrophe. Plus la catastrophe est importante et plus le fédéral intervient, jusqu'à hauteur de 80 ou 90 p. 100, et moins elle est importante et plus le volet régional est présent au point qu'on retrouve la répartition 60-40.

Nous avons annoncé également différents programmes d'assistance financière. Nous collaborons avec les provinces et les territoires afin d'offrir ces programmes le plus rapidement possible. La situation internationale a évidemment d'énormes répercussions sur les régions rurales du Canada. Il y a ceux qui sont d'accord avec l'Accord de libre-échange nord-américain et avec l'Organisation mondiale du commerce, et il y a ceux qui ne sont pas d'accord. Cela dit, les statistiques prouvent que l'ALENA a été une manne fantastique pour l'agriculture et, bien sûr, aussi pour l'aquaculture, ce que le sénateur Baker n'ignore sûrement pas, lui qui vient de Terre-Neuve. Notre secteur de l'aquaculture a en effet accès à de nombreux marchés grâce à l'ALENA et peut-être même à l'OMC. À l'OMC, nous espérons que les négociations donneront des résultats qui bénéficieront à tous les secteurs de l'agriculture. Nous ne voulons pas dresser un secteur contre l'autre : celui des exportations et celui de la régulation de l'offre, tous deux implantés au Canada et qui ont fonctionné en harmonie jusqu'ici, ce que nous espérons continuer. Nous cherchons donc à atteindre ce genre de résultat à l'OMC.

Nous sommes également en train d'élargir nos marchés. Nous dépendons énormément du marché américain. Beaucoup disent que quand les Américains s'enrhument, nous éternuons, ce qui est malheureux parce que ce pays est prêt à tomber en récession et qu'il pourrait nous entraîner dans sa chute. La valeur de notre dollar a grimpé en flèche au point d'être supérieur à celle du billet vert. Notre monnaie a un peu régressé, mais, en attendant, cette situation a fait grand tort au Canada rural et au secteur de l'élevage qui commerce beaucoup avec les Américains.

Nous cherchons à atténuer ce phénomène en concluant d'autres accords avec des pays comme la Russie et l'Union européenne. Il y a peu de temps, je me trouvais au Mexique. Nous nous tournons vers les pays de la ceinture du Pacifique qui comptent une très importante population désireuse de mettre la main sur le type d'aliment de qualité que nous produisons ici au Canada. Nous allons également vous parler de ces déplacements.

Le secrétaire d'État rentre juste d'un voyage en France et en Espagne où il a eu amplement l'occasion de promouvoir la structure canadienne et il va d'ailleurs vous en parler davantage.

Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps et je vais m'en remettre à vos questions. Je suis vraiment très heureux de me trouver parmi vous ce soir, car c'est toujours un plaisir que de comparaître devant votre comité et d'avoir la possibilité de vanter ce que l'on fait de bien.

La présidente : Merci. Vous ne nous ennuyez certainement pas. Vous avez déjà donné un tour très positif à ces échanges, grâce à des nouvelles que nous aimons à entendre.

Monsieur Paradis, voulez-vous nous dire quelques mots avant que ne passions aux questions? Ce pourrait être utile.

[Français]

L'honorable Christian Paradis, C.P., député, secrétaire d'État (Agriculture) : Madame la présidente, c'est un plaisir pour moi d'être ici avec vous ce soir, je vous remercie de l'invitation. C'est avec beaucoup d'intérêt que j'écouterai vos points de vue sur les enjeux de la pauvreté rurale et vos idées sur la façon dont nous pouvons résoudre certains défis importants auxquels nous faisons face. Je félicite le sénateur Segal d'avoir mis de l'avant cette question. Je suis bien d'accord avec lui, la ruralité au Canada interpelle tous les niveaux de gouvernement.

Le 27 mai 2007, on m'a confié la responsabilité des initiatives de développement rural et coopératif du gouvernement du Canada. Lorsque le ministre Ritz est entré en fonction au mois d'août, il m'a réitéré ce mandat. Je suis moi-même natif d'une région rurale et j'en suis très fier. Plus important, j'ai choisi ce milieu pour y vivre, pour gagner ma vie et élever ma famille.

À titre d'ancien président de la Chambre de commerce de ma région, je peux vous dire que c'est possible de surmonter des défis importants et d'accomplir de belles réalisations en région, mais ce n'est jamais facile à faire.

Je suis heureux d'avoir la chance de travailler avec tous les niveaux de gouvernement et les intervenants du milieu, afin d'améliorer la qualité de vie des gens dans nos régions. Je me réjouis également d'avoir l'occasion de travailler étroitement avec le secteur coopératif — car je suis responsable également du secrétariat aux coopératives, qui est du ressort du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire.

Beaucoup de travail a déjà été accompli sur la question de la pauvreté rurale. Le rapport intérimaire que vous avez réalisé sur ce sujet en est un bel exemple. Tel que vous le mentionnez dans ce rapport, la pauvreté rurale est le résultat d'un enjeu beaucoup plus large : le déclin économique et démographique du Canada rural. Nos défis sont importants. La population diminue et vieillit, et je peux en témoigner, c'est le cas dans ma circonscription. Le secteur primaire de l'économie a besoin de moins en moins de main-d'œuvre. L'accès aux services diminue. Nos jeunes partent pour étudier et, trop souvent, ne reviennent pas. Les efforts pour attirer plus d'immigrants ne donnent pas toujours les résultats voulus, et j'en passe.

Trouver des solutions à tous ces défis n'est pas une mince affaire. Surtout, j'y reviendrai, je suis convaincu que cela ne peut pas se faire du haut vers le bas avec des politiques nationales sectorielles qui s'appliquent à tout le monde de la même façon; c'est impossible.

J'ai toujours été fier de ma région et fier de me considérer comme un gars de région. Ces enjeux m'ont toujours intéressé. Comme beaucoup, je me suis déjà senti désarmé devant les énormes défis auxquels ma région était confrontée. Il arrive qu'on ne sache pas à quelle porte frapper, à qui parler, les ressources étant parfois trop éloignées de nos régions.

Maintenant, à titre de secrétaire d'État, j'ai l'honneur et la fierté d'assumer la responsabilité du développement rural au sein de mon ministère. C'est une responsabilité que je prends très au sérieux.

Lorsqu'on parle de développement rural, on pense immédiatement à l'agriculture. Mais le développement rural, c'est bien plus. Chez nous, par exemple, ce sont aussi les mines, la foresterie, le tourisme, le secteur manufacturier et j'en passe, et ce, seulement dans mon comté. Ailleurs, c'est autre chose.

Lorsque je suis entré en fonction au mois de mai dernier, le président de Solidarité rurale, M. Jacques Proulx, ancien président de l'UPA, n'a pas tardé à me rappeler cette réalité. Pour s'attaquer aux défis du Canada rural, on ne peut pas avoir une approche sectorielle. Il faut voir large, il faut regarder une région dans son ensemble, avec toutes ses forces et faiblesses. Le défi est de travailler ensemble, dans un effort commun. C'est là où le secrétariat rural, dont j'ai la responsabilité, joue un rôle significatif.

Le travail du secrétariat consiste à créer des partenariats afin d'agir. Son action cible tous les ministères fédéraux qui ont une emprise sur les enjeux touchant la ruralité.

Tel que vous le mentionniez dans votre rapport intérimaire, il n'y a pas de solution unique pouvant résoudre le problème de la pauvreté rurale. Aucun ministère ou agence n'a la capacité ou la responsabilité de résoudre seul cette problématique. Toutefois, la capacité du secrétariat rural de regrouper autour d'une même table des partenaires internes et externes, constitue certainement un élément clé de la solution.

Un autre dossier qui exige que tous les ordres de gouvernement collaborent est celui des infrastructures. Il est capital que le Canada ait des infrastructures sécuritaires et efficaces. C'est précisément l'objectif de la politique Chantiers Canada qu'a élaboré mon collègue le ministre Cannon. Son plan de 33 milliards de dollars sur sept ans stimulera la croissance économique, améliorera la qualité de l'environnement et renforcera les collectivités dans l'ensemble du pays.

On ne peut pas parler des efforts de développement rural du gouvernement du Canada sans parler de Chantiers Canada. En région rurale en particulier, je suis persuadé que ces investissements auront un impact majeur positif et c'est le cas, je peux vous le dire. Dans la vie de tous les jours, lorsque je vais dans mon comté, on me parle souvent des lacunes au niveau des infrastructures en eau et autres; vous êtes tous au courant de ces problématiques et on en entend parler souvent dans les régions rurales.

Un autre élément clé est le nouveau fonds en fiducie nationale pour le développement communautaire annoncé récemment par le premier ministre.

Ce matin, nous avons déposé le projet de loi qui a été adopté à l'unanimité et qui aura force de loi lors de la sanction royale. Grâce à cette initiative, le gouvernement du Canada fournira un milliard de dollars en nouveaux financements. Nous permettrons donc aux provinces et aux territoires d'aider les collectivités et les travailleurs touchés par des difficultés économiques en raison de l'instabilité actuelle des marchés mondiaux financiers et des produits de base.

J'en parlais plus tôt, je suis persuadé que cette approche est la bonne. Les solutions pour les régions rurales ne viendront pas d'Ottawa; elles viendront du terrain, de la base.

Dans les derniers mois, j'ai beaucoup réfléchi sur ces questions. Je me suis rendu en Europe pour étudier le programme Leader qui a beaucoup en commun avec l'approche du premier ministre. J'ai aussi fait le tour du Canada pour voir ce qui se faisait sur le terrain, chez nous. Chaque province et chaque région a ses propres défis. Les industries sont différentes, les groupes démographiques sont différents, les économies sont différentes et, souvent, les façons de faire et les philosophies le sont aussi. À mon avis, le rôle du gouvernement central n'est pas d'élaborer une ou des solutions pour tout le monde. Le rôle du gouvernement du Canada est d'être un partenaire.

Nous devons reconnaître que les meilleurs acteurs pour relever les défis des régions sont les gens qui les habitent. Dans cette optique, le nouveau fonds en fiducie nationale pour le développement communautaire est le parfait outil. Personne n'est mieux placé que les acteurs locaux pour identifier les besoins et évaluer leur volonté d'agir dans une région donnée. La fiducie nationale pour le développement communautaire permettra donc certains investissements, incluant la formation et le développement des compétences dans les secteurs confrontés à une pénurie de main-d'œuvre locale ou régionale, des mesures pour aider les ouvriers qui doivent s'ajuster, des fonds pour développer les plans de transition communautaire, le développement de projets d'infrastructure pour stimuler la diversification économique et d'autres initiatives de développement économique et de diversification qui aideront les collectivités à mettre en place des mesures d'ajustement ou de transition.

En conclusion, je continuerai de travailler avec l'ensemble de mes collègues ministres et leurs ministères pour développer les solutions et les outils nécessaires pour épauler nos compatriotes en région. Nous devons tous collaborer et bâtir sur les mesures concrètes déjà mises en place par notre gouvernement afin d'offrir de meilleures conditions de logement, de meilleurs services et plus d'argent dans les poches de tous les Canadiens et Canadiennes. Nous devons continuer de reconnaître que le gouvernement du Canada doit seconder les régions et non pas leur imposer ses politiques.

Encore une fois, je tiens à remercier tous les membres du comité pour leurs efforts et l'attention donnés à cet enjeu souvent trop invisible, mais maintenant très important.

[Traduction]

La présidente : Merci pour vos exposés accrocheurs. Ils ont porté sur le genre de problèmes que nous avons constatés dans le travail que nous avons effectué l'année dernière.

Sénateurs, je vous invite à poser des questions qui soient les plus brèves possible afin de dynamiser nos échanges auxquels nous voulons que vous participiez tous.

Le sénateur Segal : Bienvenue, monsieur le ministre et monsieur Paradis. Je dois vous dire que, moi qui suis un rat des villes, un arbre de béton, j'ai été transporté par l'engagement et l'enthousiasme du ministre et du secrétaire d'État. Faisant fi de leurs éventuelles divisions politiques, les sénateurs des deux côtés de cette Chambre travaillent d'arrache- pied pour faire en sorte que l'équité soit appliquée au milieu agricole en tant que principe général. Je vais vous poser deux questions.

Le ministre nous a indiqué que des programmes doivent changer et faire l'objet d'évaluations. Certains seront abandonnés, parce qu'ils ne sont plus aussi valables, et d'autres seront refondus et mieux orientés. Il s'agit là d'un processus permanent. Je vais vous poser une question au sujet du Programme canadien d'options pour les familles agricoles qui est antérieur à votre arrivée. Ce programme ratissait très large. Comme vous le savez, un seuil de revenu était fixé pour les agriculteurs qui pouvaient prétendre à un complément destiné à porter le revenu à environ 25 000 $ par an pour les familles agricoles et à quelque 15 000 $ pour les particuliers. Quand votre prédécesseur a annoncé ce programme, il a indiqué que celui-ci serait doté d'un budget de 500 millions de dollars, puis cette enveloppe a été réduite au point que quelque 142 millions de dollars seulement ont été dépensés. Je soupçonne que le reste a été réaffecté à cause d'un changement de situation. Quel jugement portez-vous sur ce programme et pourquoi a-t-il été interrompu? Il est possible que vous ayez dû répondre à d'autres priorités.

Selon vous qui possédez une véritable expérience de la vie en milieu agricole, est-ce que le programme de stabilisation du revenu, qui s'adressait aux familles agricoles, était meilleur que le programme de soutien du revenu en fonction du produit qui vise à niveler les rentrées agricoles en s'affranchissant les aléas des prix des denrées, à moins de recourir à une assurance-récolte ou à d'autres instruments? Les mouvements agricoles sont divisés sur cette question. Certains ne veulent pas qu'on offre aux agriculteurs un soutien au revenu, parce qu'ils veulent pouvoir jouer la carte commerciale, être rentables quand ils le peuvent, dégager des revenus et avoir des rendements permettant à l'exploitation d'être viable. Ils ne veulent pas de béquilles au point que la viabilité de l'entreprise serait moins importante. D'un autre côté, il y a les résidents des régions rurales du Canada, qui ne sont pas agriculteurs, mais dont les niveaux de pauvreté sont incontestables. Ces gens-là sont plus mal lotis que les résidants des villes. Que pensez-vous qu'il faudrait faire afin de répondre à tous ces besoins?

Ma seconde question concerne les infrastructures qui sont fondamentales. Dans nos villes, les enfants peuvent rapidement télécharger des informations sur leurs ordinateurs et donc être de plus en plus experts en informatique. Le ministre a parlé de l'importance de cette technologie pour l'agriculture. Dans de nombreuses régions rurales du Canada, il n'existe pas d'Internet à haute vitesse. Il faut télécharger à partir d'une ligne téléphonique, ce qui est très lent et qui désavantage énormément les enfants dans leur apprentissage. Ce genre d'infrastructure est très important pour leur avenir. Est-ce que, par le truchement du Secrétariat rural ou d'un autre programme administré au nom des régions rurales du Canada, vous ne pourriez pas intervenir chaque fois que les choses changent du côté de l'industrie des télécommunications pour que le Canada rural puisse en profiter? J'aimerais entendre vos commentaires à cet égard.

M. Ritz : Je vais commencer par répondre à votre dernière question, soit l'accès à Internet à haute vitesse dans les régions rurales du Canada. Je peux vous parler au sujet de ce qui se passe chez moi, en Saskatchewan. SaskTel, société d'État, se taille la part du lion de ce marché à cause de la façon dont elle s'est implantée dans la province. Cela s'est transformé en handicap. Sa conception de la haute vitesse, c'était le passage du téléphone à cadran au téléphone à touches. Nous en sommes bien plus loin et nous comptons à présent un certain nombre de petits exploitants qui offrent des liaisons Internet par satellite. C'est d'ailleurs ce que j'ai chez moi, dans ma région rurale de la Saskatchewan. Mes enfants n'ont jamais souffert d'un manque d'accès à l'Internet à haute vitesse. D'ailleurs, quand je veux faire régler mon VCR, c'est mon petit-fils qui s'en occupe, parce qu'il est bien plus au courant de ce genre de chose que moi. Nous avons envisagé de mettre en œuvre certains programmes et avons exercé beaucoup de pressions pour que l'Internet à haute vitesse soit offert partout, ce qui est essentiellement le cas. Il y a bien des régions qui ne sont pas encore desservies, mais cela dépend sans doute de la population, du taux d'abonnements et ainsi de suite. Industrie Canada, où je me suis formé pendant six mois en tant que ministre — à l'époque c'était le ministre Bernier qui était en poste et à présent c'est le ministre Prentice — s'intéresse de très près à ce genre de chose. Nous sommes en train de proposer la tenue d'une vente aux enchères portant sur d'autres genres d'Internet à haute vitesse. Ce programme comporterait un volet rural imposant aux fournisseurs de desservir les régions périphériques, ce qui est une bonne chose. Dans l'économie actuelle, le savoir est synonyme de pouvoir.

Pour en revenir à la première partie de votre question, je dirais que l'agriculture est une activité commerciale. C'est en fait une activité commerciale de grande envergure. Pas question de s'en tenir ou de revenir à la bonne vieille ferme MacDonald. Moi, je suis né et j'ai été élevé dans une exploitation familiale, mais on n'en trouve plus des comme ça. Les corvées à 5 heures du matin avant d'aller à l'école ou à 17 heures par -30 degrés avant d'aller jouer au hockey ne me manquent pas. Cela dit, c'était le bon temps. Le problème, c'est qu'une exploitation agricole doit être une entreprise viable que l'on peut faire évoluer. Ainsi, si c'est une entreprise, on ne voit pas quelle place pourrait avoir un programme de stabilisation du revenu, sinon on passe à côté des signaux du marché. La qualité de la gestion est importante. Le style et la qualité de la gestion sont les clés du succès de certains agriculteurs et les causes d'échec des autres. L'idée, c'est que le gouvernement doit créer des règles du jeu équitables. Personnellement, je préfère ne plus intervenir pour que tout le monde ait les mêmes chances de réussite. C'est ce que chacun va faire de son côté qui fera la différence. Les exploitations ne se ressemblent pas. Durant toutes les années où j'étais exploitant agricole, j'avais un voisin — je ne vous donnerai pas son nom, mais il se reconnaîtra — qui avait toujours de meilleurs rendements que les miens, mais qui touchait aussi une assurance-récolte supérieure à la mienne. Quelle gestion incroyable! Vous entendrez toujours ce genre d'histoires.

Ce sont les grands échecs qui font la nouvelle. La taille des exploitations a changé sous l'effet des économies d'échelle. Les quincailleries et les épiceries, et même les petits dépanneurs du coin, offrent beaucoup plus de produits qu'il y a quelques années. L'agriculture a changé et les programmes gouvernementaux n'ont pas évolué en conséquence. Avant, nous étions restrictifs et nous ne permettions pas aux agriculteurs de s'adapter en fonction des signaux du marché et de prendre des décisions de gestion susceptibles de leur permettre d'évoluer. Le pire que l'on puisse faire à quelqu'un, c'est de le tirer vers le bas. L'application du plus petit commun dénominateur ne marche pas plus pour une exploitation agricole que pour une quincaillerie. Pire encore, car la différence c'est que si je m'en sors pas avec ma quincaillerie à East Overshoe en Saskatchewan, je peux toujours tout liquider, vendre le bâtiment et déménager ailleurs. Ce n'est pas la même chose en agriculture.

Cela dit, on a assisté à d'importants mouvements au rythme de l'évolution des exploitations agricoles. Dans certaines régions, l'élevage s'est mis à prospérer. Ailleurs, ce secteur s'est écroulé à cause du retrait de la production de terres d'excellente qualité. Cependant, nous devons adopter des programmes qui permettent aux familles agricoles de prendre les décisions qu'il faut au niveau de la ferme.

J'entends toujours parler des grandes fermes constituées en société. Moi aussi, j'étais constitué en société, mais mon exploitation était loin d'être une grosse ferme. L'exploitation céréalière moyenne dans ma circonscription fait 6 000 à 8 000 acres. Dans le secteur de l'élevage, elle est sans doute plus grosse encore à cause des prairies et des champs de foin dont elle a besoin. Ce sont donc de grandes entreprises.

Sénateur Callbeck, j'adore votre province de l'Île-du-Prince-Édouard. Ne voyez pas de mal à ce que je vais vous dire, sénateur, parce que si je ne pouvais pas rester en Saskatchewan, c'est dans votre province que j'irais m'installer. Le problème tient aux économies d'échelle. De nos jours, je ne peux plus cultiver qu'une centaine d'acres fourragères. J'ai conservé mon tracteur, une ramasseuse-botteleuse et d'autres équipements. Quand je précise aux gens de l'Île-du- Prince-Édouard que j'exploite 100 acres de champs de foin, ils me disent que je suis un gros exploitant. Mais non, c'est une question d'économie d'échelle. Je peux faire rentrer six fois l'Île-du-Prince-Édouard dans ma seule circonscription. Nous sommes énormes et les exploitations sont diversifiées.

Les agriculteurs, qu'ils exploitent 100 acres à l'Île-du-Prince-Édouard ou 10 000 acres dans ma région, doivent pouvoir prendre les décisions qui s'imposent pour s'agrandir et conclure des contrats au gré des marchés. Je n'ai jamais aimé le principe de la stabilisation des revenus, parce qu'il nous transforme en agriculteurs « programmés ». J'aime l'idée de fonctionner au rythme des marchés et selon les produits pour que je puisse tenir compte des signaux commerciaux et décider de planter ce qui va me rapporter.

La présidente : Chers collègues, nous avons six sénateurs qui trépignent d'impatience de poser leurs questions et d'obtenir des réponses. J'aimerais que nous avancions. Si possible, nous vous donnerons l'occasion de poser une deuxième série de questions. Veuillez être brefs. Jusqu'ici, vous vous en sortez très bien dans vos réponses.

Le sénateur Mitchell : Je serai très bref. Ceux qui sont opposés à l'adoption de mesures pour combattre le changement climatique disent souvent que ce genre d'initiative risque de porter tort à l'économie. Personnellement, j'estime qu'ils ont tort, que si nous savons investir de façon efficace, créative et ciblée, nous pouvons stimuler l'économie en appliquant le protocole de Kyoto et en adoptant des mesures destinées à combattre le changement climatique. C'est particulièrement vrai pour le secteur agricole. Il existe sept façons homologuées d'améliorer l'aménagement des sols et 14 façons d'améliorer la gestion des élevages pour en arriver à des crédits de carbone qui soient véritablement commercialisables.

Monsieur le ministre, je ne sais pas si vous êtes au courant de l'existence d'un groupe appelé Emission Credits Corporation, en Alberta, mais je pense qu'il serait utile que vous vous entreteniez avec ces gens-là. Il s'agit de cinq agriculteurs dont l'activité commerciale consiste à rassembler les crédits de carbone de quelque 1 200 fermiers. Il s'agit de crédits accordés après coup, ce qui veut dire que l'agriculteur doit prouver qu'il a déjà pris les mesures nécessaires. Vous obtenez un certificat et pouvez vérifier à qui votre crédit va bénéficier grâce à GPSit ou à Google. Des tiers dûment reconnus sanctionnent et retracent ce genre de transactions. Ces certificats ont une véritable valeur monétaire. Pour l'instant, il s'agit d'un marché strictement volontaire.

Avez-vous songé au potentiel que représente ce genre d'initiative, pour cette toute nouvelle industrie qui a pour mission de s'attaquer comme il faut au changement climatique afin de rapporter de l'argent aux agriculteurs canadiens et de permettre aux secteurs industrialisés, de partout dans le monde, de bénéficier des crédits dont ils ont besoin? Ce faisant, nous investirions dans des entreprises canadiennes; ce ne serait pas un coût, mais un véritable investissement.

M. Ritz : Je ne nie pas que l'agriculture a d'excellentes chances de ressortir gagnante de tout ce que nous ferons en matière de crédits de carbone. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous sommes reconnus dans le monde pour nos puits de carbone étant donné la façon dont nous replantons et reboisons. C'est ce genre de révolution verte qui permet de retirer du carbone de l'atmosphère et de créer des puits.

Le potentiel est énorme en Saskatchewan où l'on compte 47 millions d'acres arables. Il existe un autre groupe du même genre à Regina, C-Green. Quelques agriculteurs que je connais ont touché des chèques cette année et ils se réjouissent évidemment de cet argent supplémentaire qui leur arrive. Je ne suis pas du tout en désaccord avec cela et je reconnais qu'il y a là un énorme potentiel.

Le gouvernement fédéral doit davantage agir en tant qu'organe de réglementation pour s'assurer que nous ne nous brûlerons pas en cours de route. Ce qui m'inquiète, c'est que l'analyse n'a pas été poussée jusqu'au bout de la logique. Si un agriculteur commence à modifier la façon dont il exploite sa ferme, va-t-il être tenu responsable du carbone qu'il aura séquestré et des crédits qu'il aura reçus en conséquence? Sera-t-il responsable si jamais il cesse d'effectuer la rotation des cultures? Les pays ont donc du travail à faire à cet égard.

L'agriculture pourrait tout aussi bien être la grande perdante si nous nous trompons. Mon principal argument contre Kyoto, c'est qu'il cible les combustibles fossiles. Il concernait essentiellement les industries utilisant les combustibles fossiles un peu comme l'agriculture qui se sert de carburant et de source d'engrais. Les engrais sont essentiellement constitués de gaz naturel. À cause de la façon dont l'accord de Kyoto a été pensé, il risque de porter tort à l'agriculture. Nous avons donc eu un vaste débat à ce sujet. Toutefois, à la façon dont j'interprète les choses, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que les crédits de carbone et la séquestration du carbone sont un élément de la réponse en ce qui me concerne, mais nous devons nous montrer prudents dans la façon dont nous allons nous y prendre pour que les agriculteurs soient les véritables gagnants et pas uniquement des instruments.

Le sénateur Mitchell : Je suis encouragé par vos remarques. S'agissant de créer des marchés, nous ne manquons pas d'expérience. Depuis 200 ans, nous négocions des actions et des obligations. Les crédits de carbone n'ont rien de compliqué par rapport au marché des obligations. La structure de négociation des valeurs boursières peut servir de modèle aux bourses du carbone. Je pense que le Canada est en tête de ce mouvement.

Étant donné l'intérêt que vous portez à la chose et les remarques très perspicaces que vous venez de faire en indiquant que les puits de carbone sont une caractéristique importante du secteur agricole, pouvez-vous me dire pourquoi votre gouvernement a supprimé le financement de la Fondation BIOCAP Canada? BIOCAP est un réseau national d'organismes de recherche qui a son siège à l'Université Queen's et qui rassemble quelque 220 scientifiques qui se consacrent à l'étude de l'amélioration du potentiel que représentent les puits de carbone dans le cas des produits agricoles et des produits de la forêt. Je suis certain qu'ils ont démarché vos prédécesseurs. Ce sont des gens crédibles, puissants, qui sont sur la bonne voie, mais à qui votre gouvernement vient de couper l'herbe sous les pieds. Êtes-vous au courant de cela?

M. Ritz : Non. Je vais noter ce nom et assurer un suivi. Je pourrai vous envoyer une réponse par écrit. Je ne suis pas au courant de cette organisation ni de la raison pour laquelle son budget a été coupé.

Le sénateur Mitchell : Ce serait merveilleux.

M. Ritz : Le problème avec l'ouverture d'une bourse du carbone, c'est qu'elle doit obéir à des paramètres convenus à l'échelle internationale. Vous ne pouvez pas négocier des crédits de carbone et espérer que les autres pays vont automatiquement avaliser ce que vous faites, s'ils n'ont pas d'abord signifié leur assentiment. Nous intervenons à différents niveaux à l'échelle internationale pour parvenir à une entente relative à la valeur à la tonne, sur différents sols et ainsi de suite, parce que toutes les cultures ne séquestrent pas le carbone de la même façon; ce n'est pas uniforme. Tout comme vous, j'ai hâte de voir ce qui va se passer sur ce plan.

Le sénateur Mitchell : Dans le discours du Trône, il était indiqué que votre gouvernement créerait une bourse du carbone. J'ai posé la question au ministre de l'Environnement et à d'autres. Or, il ne semble pas que cela se produise. Savez-vous quand on pourrait avoir une telle bourse?

M. Ritz : Ce ne sera pas tout de suite, mais plus tard. Je ne veux pas vous donner l'impression que nous changeons d'avis, sénateur. J'ai hâte d'assister à la mise en place de tout ce qui est annoncé. Vous devez comprendre qu'il nous est difficile, en tant que gouvernement minoritaire, de réparer les pots cassés dans différents dossiers. Ce n'est pas une excuse, mais bien la réalité.

Le sénateur Mitchell : Vous n'auriez pas de problème à lancer une bourse du carbone, même en tant que gouvernement minoritaire. Tout le monde voterait pour.

Le sénateur Gustafson : Bienvenue, monsieur le ministre. S'agissant de la question du carbone, j'ai une remarque à faire : limitez la paperasserie au minimum. Il y a beaucoup trop de paperasserie pour l'instant. Il ne fait aucun doute que nous en sommes au stade expérimental. Vous devrez peut-être adopter des mesures pour donner une protection aux agriculteurs. Je n'ai rien contre les avocats, mais ce sont des juristes qui mettent sur pied les programmes qu'il faut ensuite administrer.

Je me suis assez plaint des tribulations des agriculteurs et je vais essayer de me montrer positif aujourd'hui. Je vois mon collègue qui applaudit.

Le prix des céréales et le marché mondial pour ce produit sont absolument phénoménaux. J'ai été voir de l'autre côté de la frontière où le blé dur se vendait 16,25 $ le boisseau. J'ai demandé au type du silo-élévateur : « Ce n'est toutefois pas ce qui revient aux céréaliculteurs? » « Eh bien, si », m'a-t-il répondu, « c'est bien ce que l'agriculteur empoche ».

Au Canada, on nous dit qu'un céréaliculteur pourrait récupérer 12 $ pour le blé dur de la Saskatchewan Wheat Pool. Pourquoi une telle différence entre les prix américains et les prix canadiens? Je suis certain qu'on vous a déjà posé cette question à de nombreuses reprises.

La semaine dernière, le lin s'écoulait à 16,25 $ le boisseau. Les deux gros points durs en agriculture sont le porc et le bœuf. Sur la scène internationale — et vous aurez peut-être de meilleurs chiffres que les miens à ce sujet, auquel cas j'aimerais les entendre — la Chine, l'Inde et même la Russie ont cessé leur exportation de céréales. La tendance des prix est très positive pour les céréales. Cependant, le problème concerne le prix des intrants. L'engrais est passé de 300 à 600 $ la tonne. Les prix des combustibles ont doublé. Vous savez combien coûte une machine.

Je ne recommande pas de réglementer ces entreprises. J'estime que le libre marché constitue la meilleure solution, mais au printemps, ce sont les coûts des intrants et le pouvoir d'emprunt des exploitants qui domineront, parce qu'il leur faut d'abord semer et récolter avant de pouvoir vendre.

J'aimerais entendre vos réactions à ce sujet.

M. Ritz : Je commencerai par les formulaires simplifiés. Nous avons fait des progrès du côté de l'Agence du revenu du Canada. Nous avons maintenant des formulaires simplifiés qui posent une simple question : « Combien avez-vous encaissé l'année dernière? » Il suffit aux agriculteurs d'inscrire leur réponse, un point c'est tout. Nous sommes conscients qu'il faut simplifier les formulaires pour permettre aux agriculteurs de les utiliser plus facilement. Nous l'avons fait pour la dernière année du PSRA, le Programme canadien de la stabilisation du revenu agricole, et nous allons continuer dans cette voie à l'heure où nous passons sous le régime de Cultivons l'avenir avec de nouveaux programmes agricoles que nous voulons plus simples.

S'agissant des intrants, sénateur, je n'ai malheureusement pas de réponse simple à vous donner. Il y a toujours eu un décalage entre ce que les agriculteurs obtiennent et leurs intrants. Quand j'étais exploitant, je commençais par analyser ma situation. Je me demandais comment et pourquoi acheter ce dont j'avais besoin? À la période des semences, il me suffisait de me rendre sous la buse avec mon camion, de faire le plein d'engrais et de transférer tout ça dans le semoir pneumatique. À l'automne, j'achetais par anticipation après avoir négocié les prix en compagnie de 10 de mes voisins pour bénéficier de tarifs anticipés. Désormais, ce n'est plus possible. L'agriculture est très différente du secteur manufacturier qui peut s'approvisionner grâce à la formule du juste-à-temps, même si, dans les deux cas, le temps, c'est de l'argent. Les producteurs agricoles, eux, sont des preneurs de prix à la vente et ils paient le prix nécessaire sur leurs intrants sans se dire qu'ils peuvent négocier. Nous avons conclu un accord, l'ALENA, qui a rendu la frontière transparente. Si l'engrais coûte 300 $ la tonne dans le Dakota du Nord, vous pouvez toujours aller en chercher avec votre camion là-bas. Vous n'avez pas à acheter à Estevan où il coûte 600 $ la tonne. Les agriculteurs estiment qu'ils ne devraient pas avoir à faire cela. Pourtant, c'est leur entreprise qu'ils doivent gérer comme ils l'entendent. Tout le monde doit faire plus pour obtenir de meilleurs prix et s'assurer d'acheter au bon tarif afin de vendre dans de bonnes conditions.

Vous savez, j'ai une bête noire. J'ai dit aux agriculteurs qu'ils sont eux-mêmes leurs pires ennemis. La naissance des coopératives agricoles, des syndicats de mise en marché et des coopératives de crédit dans les années 1930 et 1940 a été une réponse au manque de pouvoir d'achat des exploitants. Ceux-ci se sont donc rassemblés pour se doter de telles structures. Ces entreprises ont grandi et sont devenues énormes. Il est temps de réinventer tout cela, de travailler en collaboration avec les agriculteurs. Il y a des groupes d'agriculteurs, d'éleveurs et de fournisseurs qui ont fait un superbe travail dans le dossier des glycérophosphates génériques et c'est avec plaisir que nous avons apporté certains changements, par l'intermédiaire de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, l'ARLA, à Ottawa, pour permettre à ce groupe d'écouler ce produit générique.

Mon ministère travaille d'arrache-pied pour s'assurer que ces produits chimiques et pesticides génériques sont accessibles pour nos producteurs, d'autant qu'ils sont appliqués sur les produits du voisin. En effet, il est illogique d'interdire l'application de certains insecticides fumigants sur les pommes en Ontario, quand on importe des pommes de l'État de Washington qui ont été fumiguées. Il est illogique de punir nos producteurs et d'importer des produits des États-Unis. Les glycérophosphates sont plus efficaces et moins nocifs pour l'environnement, autant de raisons de les adopter. Or, pour une raison quelconque, notre processus réglementaire concerne davantage l'administration du processus que la production. Nous travaillons pour régler ce genre de situation.

C'est toujours une question d'équilibre, surtout dans l'Ouest du Canada où les exploitants qui pratiquent la monoculture savent quand ils doivent ensemencer et récolter et quand, à une semaine près, selon les précipitations, ils doivent pulvériser. Les prix ont tendance à suivre ce cycle.

Je ne pense pas qu'il incombe aux gouvernements de réglementer ce genre d'activités. En revanche, nous devons créer un climat tel que les agriculteurs puissent prendre les décisions nécessaires et se doter de coopératives pour accroître leur pouvoir d'achat.

Le sénateur Gustafson : Ce sont les coopératives de crédit qui ont sauvé notre pays. Je n'aurais jamais pensé vous dire cela un jour.

M. Ritz : Je ne suis pas du tout en désaccord avec vous, sénateur. Mon activité d'entrepreneur général m'a permis de financer mon exploitation agricole. Nous étions devenus relativement importants, puisque j'avais environ 36 employés et que nous avions pas mal d'équipement. Cependant, vers le milieu des années 1980, les banques ont décidé de rappeler ma marge de crédit de 100 000 $ tandis que j'avais 1 million de dollars de contrats en cours. De façon tout à fait arbitraire, quelqu'un de la banque à Toronto avait décidé que je n'étais plus admissible à cette marge de 100 000 $. Eh bien, essayez donc d'honorer 1 million de dollars de contrats quand vous n'avez plus les liquidités nécessaires. J'y suis parvenu! Je suis arrivé à maintenir mes opérations, à ne congédier personne et à conserver tout mon équipement. Je me suis simplement adressé à la coopérative de crédit d'à-côté avec qui je fais affaires depuis lors. Je ne vous contredirai donc pas au sujet des coopératives de crédit, sénateur.

Aujourd'hui, quand je renégocie mon prêt hypothécaire, je vérifie évidemment auprès d'une banque à charte pour m'assurer que la coopérative de crédit ne me mène pas en bateau. Vous savez, en affaires, il faut avoir l'esprit vif.

Le sénateur Gustafson : C'était une remarque d'Alvin Hamilton, pas de moi.

Le sénateur Callbeck : Comme vous le savez, je viens d'une province productrice de pommes de terre, produit qui rapporte beaucoup à notre économie. Je crois savoir que, lors de votre récente rencontre avec le secrétaire d'État à l'agriculture du Mexique, vous avez notamment parlé de plants de pommes de terre. Avant, le Canada exportait beaucoup de semenceaux au Mexique, mais dernièrement, ce pays a imposé des restrictions très sévères au point qu'il est devenu très coûteux et très exigeant en temps d'exporter les semences et que nos exportateurs y réfléchissent à deux fois. Par exemple, dans ma province, les exportateurs doivent faire venir des inspecteurs du Mexique et payer pour leur déplacement. Ils doivent faire parvenir des échantillons à des laboratoires mexicains et ainsi de suite. Comme je le disais, tout cela prend énormément de temps et revient très cher.

À la suite de votre rencontre avec le secrétaire d'État mexicain, espérez-vous que ces restrictions vont être levées et que la situation de nos exportations de semences de pomme de terre pourrait s'améliorer?

M. Ritz : J'ai eu d'excellents échanges avec le secrétaire Cárdenas, au Mexique. Je suis rentré de ce voyage avec le sentiment que nous avions réalisé des progrès. Nous avons travaillé avec l'équivalent mexicain de l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Cet organisme est très intéressé par le travail scientifique que nous effectuons ici.

Vous savez, nous avons deux icônes canadiens qui sont très connus de par le monde : la Gendarmerie royale du Canada et l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Ces deux icônes sont respectés pour leur travail. Dans le passé, il m'est arrivé de critiquer l'ACIA et j'ai été aussi aux prises avec quelques procès-verbaux que m'avait donnés la GRC, mais je dois dire que ces deux organisations jouissent d'une excellente réputation ailleurs dans le monde pour leur excellent travail. Comme nous sommes en pleine négociation budgétaire avec l'Agence, je ne devrais peut-être pas vous dire ce que je vais vous dire, mais celle-ci fait un excellent travail. Elle jouit aussi d'une excellente crédibilité auprès de groupes comme des groupes mexicains et auprès du Département d'État à l'agriculture.

Régulièrement, mes producteurs et les vôtres, à l'Île-du-Prince-Édouard, se demandent de quel côté se situe l'ACIA, si c'est de celui des exportateurs ou des importateurs, mais il se trouve qu'elle a ouvert ou rouvert certains marchés pour nous. Nous avons bien eu quelques petits pépins, comme le problème de la galle verruqueuse de la pomme de terre à l'Île-du-Prince-Édouard et celui du nématode à kyste au Québec et en Alberta. Le cas échéant, on constate que les portes se referment très vite, mais en lisant entre les lignes, j'ai découvert la nature du problème — et le secrétaire Cárdenas m'en a touché un mot — c'est que nos deux pays couchent au côté du mammouth américain à qui nous sommes très attachés sur le plan économique. Les Mexicains sont conscients du fait que, s'ils faisaient quoi que ce soit qui puisse déranger le voisin américain, ils auraient à en subir les conséquences. Je ne suis pas ici en train de critiquer plus un pays que l'autre. Je n'ai pas l'intention de créer d'incident diplomatique, mais c'est une réalité; nous sommes tous deux confrontés au même problème.

Les Mexicains ont été emballés par le fait que le Canada ait saisi l'organe d'appel de l'OMC au sujet des subventions américaines pour les années-récolte 2002, 2004, 2005 et pour les années suivantes. Pour une raison ou une autre, l'année 2003 n'a fait l'objet d'aucun appel. Les Brésiliens ont signé avec nous et les Mexicains sont près de le faire. Il est temps de lever un peu le pied. Une grande partie de ce qui se dit et se fait au Mexique est attribuable à ce que disent et font les Américains ici, chez nous.

Je suis donc rentré avec le sentiment que nous étions sur le point de conclure la négociation sur les semences de pomme de terre pour la saison prochaine. Les Mexicains nous ont dit qu'ils étaient sur le point de réadmettre nos semences. Nous suivrons tout cela dans une semaine ou une dizaine de jours.

Avant, l'Île-du-Prince-Édouard avait un marché en Argentine qui a disparu à cause des troubles politiques qui y règnent là-bas. Nous avons eu d'autres problèmes à l'échelle internationale à cause d'une personne peu scrupuleuse qui a modifié les permis de l'ACIA relativement à un chargement de pommes de terre provenant, en partie, du Québec et, en partie, de l'Île-du-Prince-Édouard et qui était destiné à l'Algérie. C'était un marché pour nous, à une époque. Les Algériens disent ne rien avoir à reprocher ni au gouvernement ni à l'ACIA et ils sont maintenant prêts à réexaminer l'importation de nos pommes de terre. Beaucoup de choses se passent... ça va et ça vient. Je suis heureux d'aborder toutes ces questions quand je voyage à l'étranger.

Le sénateur Mercer : Monsieur le ministre et monsieur le secrétaire d'État, j'apprécie votre présence à tous deux. Nous étudions la pauvreté rurale et nous n'avons pas vraiment passé beaucoup de temps à en parler. Nous avons discuté d'autres problèmes, mais pas vraiment de la pauvreté rurale. Malheureusement, je vais poursuivre cette tendance.

Monsieur le ministre, j'ai trouvé très intéressant ce que vous avez dit au sujet des journaux de votre grand-père qui disait éprouver les mêmes problèmes que ceux que nous constatons aujourd'hui. Je crains que vos petits-enfants ne se disent qu'ils connaissent les mêmes problèmes quand ils liront vos journaux ou la retranscription de votre témoignage devant ce comité.

Je me préoccupe de tout ce qui nous distrait des grands problèmes de l'agriculture. Bien des choses se passent. Il y a d'abord la situation de la Commission canadienne du blé, dans l'Ouest, qui fait diversion. Plutôt que de chercher à travailler véritablement pour les producteurs et les consommateurs, nous nous laissons distraire par le congédiement du président de la Commission canadienne du blé et, aujourd'hui, par celui de la vice-présidente de cette commission, Deanna Allen. Je crains que nous ne soyons envahis par des problèmes touchant à l'idéologie politique. Votre gouvernement veut aller dans un sens et les gouvernements précédents suivaient une autre direction. Nous continuons de nous laisser distraire et de détourner la Commission canadienne du blé de l'objectif principal qui est de servir le milieu agricole, surtout dans l'Ouest du Canada, et de s'assurer que nous faisons le meilleur travail possible afin de promouvoir notre blé sur la scène internationale. C'est cela que je pense.

J'ai bien peur que quelqu'un, quelque part — je ne sais pas qui, mais vous allez peut-être me le dire — n'ait demandé à la Commission canadienne du blé de se débarrasser de Mme Allen qui était vice-présidente. Cela nous a distraits énormément au point que nous sommes beaucoup plus préoccupés par des questions d'idéologie et de personnalité que par des questions de programmes à administrer. Votre gouvernement a adopté certaines lois qui, a priori, semblent fort louables, comme la Loi sur les dénonciateurs et la Loi sur la responsabilisation. Ce sont des mesures fort louables, mais, dès que quelqu'un critique le gouvernement, il se fait congédier et cela me préoccupe.

Monsieur le ministre, pouvez-vous me dire comment nous allons parvenir à stabiliser la situation du côté de la Commission canadienne du blé afin de lui permettre de faire ce qu'elle doit faire, si le haut de la pyramide continue à s'ingérer dans ses affaires? Je ne vous reproche rien à vous personnellement, monsieur le ministre. Je ne sais pas du tout à qui cela est attribuable, mais j'aimerais bien le savoir. Si vous avez la réponse, je serais heureux de l'entendre. Comment allons-nous ramener la Commission canadienne du blé à sa vocation première et faire en sorte qu'elle se consacre à sa mission?

M. Ritz : J'ai la réponse au sujet du responsable du congédiement de Deanna Allen. Vous serez peut-être choqué de l'apprendre, mais c'est un collègue de cette personne, Greg Arason, président et pdg par intérim de la Commission canadienne du blé, qui a mis en œuvre une décision du conseil d'administration. Lors d'une rencontre, Greg Arason a indiqué à Mme Allen que ses services n'étaient plus requis à la Commission. Il n'y a eu aucune intervention ni aucune ingérence de la part du gouvernement fédéral dans tout cela. Deanna Allen était vice-présidente des communications. Pour une raison ou une autre, les médias ont affirmé qu'elle était vice-présidente de la Commission, ce qui n'est pas vrai, puisqu'elle était simplement vice-présidente des communications.

Le sénateur Mercer : Mon autre question est la suivante : Comment allons-nous permettre à la Commission canadienne du blé de revenir à sa vocation première? Les céréaliculteurs se sont exprimés et ont dit qu'ils appuyaient les efforts de la Commission. D'autres veulent que l'on sauve la CCB. J'ai l'impression qu'un peu partout dans l'Ouest, on se livre à un tel battage politique au sujet de la Commission canadienne du blé, qu'on a perdu de vue sa mission qui est de faciliter la vente du blé et de l'orge. Il faut débloquer sur ce plan.

M. Ritz : Je nie tout cela catégoriquement et je serais prêt à le soutenir ad infinitum. Comme j'ai été producteur dans une région desservie par la CCB, je suis au courant des antécédents de la Commission. L'agriculture a énormément évolué au fil des ans, mais la Commission canadienne du blé, elle, est demeurée enfermée dans une philosophie vieille de 40 ans. Rien ne l'empêche de continuer d'acheminer les grains des céréaliculteurs.

Tout à l'heure, le sénateur Segal a commencé par parler d'Internet. Les agriculteurs sont branchés sur Internet. Ils savent exactement à quel prix se vend telle ou telle céréale en Australie ou aux États-Unis. Ils savent également combien on paie au Japon pour ces mêmes produits. Nous, nous semblons ne pas avoir le prix du boisseau au Canada. Ce qu'on va faire ici, c'est mettre à la disposition des agriculteurs les outils dont ils ont besoin pour prendre les décisions de commercialisation qui iront dans leur meilleur intérêt. La Commission canadienne du blé, qui a le monopole d'acheteur d'orge, de blé dur et de blé de force roux d'exportation, ne semble pas répercuter tout l'argent qu'elle fait aux agriculteurs et ces derniers prennent donc certaines décisions.

D'après le plébiscite sur l'orge, 62 p. 100 des céréaliculteurs veulent que les choses changent d'une façon ou d'une autre. Ils veulent avoir accès au marché. Dans les rencontres publiques et individuelles, et en ma qualité de ministre régional de la Saskatchewan, je suis bombardé d'appels au sujet de la Commission canadienne du blé, par des gens qui représentent les deux courants de pensée. Il se trouve que la position consistant à maintenir la CCB telle qu'elle est depuis 50 ans, accuse un très net recul. Si nous avions ce vote aujourd'hui, je suis sûr que bien plus de 80 p. 100 des répondants auraient réclamé un changement.

Nous n'empêchons pas la Commission de faire son travail. Elle compte quelque 450 employés. Elle est chapeautée par un conseil d'administration de 15 membres, 10 élus par les céréaliculteurs, cinq nommés par le gouvernement, plus le président et pdg. Nous venons juste d'annoncer la nomination d'un nouveau pdg très dynamique qui a été choisi par le conseil d'administration. Ce n'est pas moi qui l'ai choisi; je ne savais pas qui l'avait été. Je savais que cette personne avait été présélectionnée, mais ce n'est qu'au dernier moment que j'ai su qui avait été finalement choisi quand on m'a contacté pour me demander de lancer le processus du gouvernement et qu'on m'a annoncé le nom du lauréat. Il s'agit de Ian White qui avait travaillé au fédéral avant d'aller mettre sur pied les syndicats de mise en marché du Manitoba et de l'Alberta, et d'en faire des opérations viables.

Je pense que la Commission a un avenir très prometteur. Tout exploitant désirant y avoir recours pourra le faire, que ce soit la semaine prochaine, l'année prochaine ou dans 10 ans d'ici. La Commission existera encore.

Le sénateur Mercer : Monsieur le ministre, je crains que d'ici cinq ans, vous et moi ne ferons peut-être plus ce que nous faisons aujourd'hui, mais qu'il en sera peut-être de même de la Commission canadienne du blé qui ne fera éventuellement plus ce qu'elle censée faire; je crains que les agriculteurs n'aient alors besoin d'une structure semblable à la CCB.

M. Ritz : Eh bien, cette décision appartiendra aux céréaliculteurs, pas à moi.

Le sénateur Mercer : Vous représentez les exploiteurs agricoles. Tous les députés et les sénateurs représentent aussi les gens de leur région respective. Il est de votre devoir de les protéger et je crains que, en dernière analyse, nous ne soyons en train de jeter le bébé avec l'eau du bain.

M. Ritz : Non, nous ne jetons rien. Nous n'avons jamais eu l'intention de voir disparaître la Commission. Si elle a effectivement le poids qu'elle prétend avoir — elle a des bureaux et des vendeurs partout dans le monde, une clientèle à nulle autre pareille et un accès à l'un des meilleurs produits du monde — pourquoi disparaîtrait-elle?

Le sénateur Oliver : Je ne veux pas vous poser une question politiquement chargée, mais je veux traiter de notre étude, soit la pauvreté rurale. Partant de remarques que vous avez tous deux formulées, je vais vous poser une seule question. Que recommandez-vous à ce comité de faire compte tenu de ce que vous nous avez dit?

Monsieur le ministre, vous avez parlé d'une fantastique redynamisation de la région agricole d'où vous venez, c'est- à-dire le centre-ouest. Vous avez enchaîné en disant que cette redynamisation est en partie due au secteur des hydrocarbures. Autrement dit, vos collectivités rurales ont été redynamisées et j'aimerais savoir comment cela s'est produit.

Monsieur Paradis, vous avez dit que, lorsqu'on pense au Canada rural, on pense habituellement à l'agriculture. Cependant, c'est beaucoup plus que l'agriculture qui est concernée, puisqu'il y a aussi la forêt et le tourisme. Les régions sont toutes différentes les unes des autres et il n'existe pas de solution universelle.

Étant donné vos réponses à tous deux relativement à l'étude dont est chargé le comité, auriez-vous des recommandations ou des messages à nous adresser sur les mesures que nous pourrions adopter afin d'essayer de ramener les collectivités rurales partout au Canada pour qu'elles soient de nouveau viables?

M. Ritz : Je commencerai par vous dire qu'il faut insister sur la mobilité de la main-d'œuvre, sur la possibilité, pour les gens, d'aller dénicher un bon travail là où il y en a. Il existe de nombreux obstacles aux échanges interprovinciaux. Nous sommes aux prises avec des barrières au commerce interprovincial qui nous empêchent d'avancer.

Dans l'Ouest du Canada, nous exportons nos matières premières aux États-Unis dont le secteur de la transformation est sans égal. Je dois le leur accorder. Les Américains importent notre porc et notre bœuf en quantités records pour les transformer, ce qui nous empêche de nous lancer dans ce genre d'activités. Dans l'Est du Canada, les importations de porc transformé ont augmenté de quelque 80 p. 100 et celles de bœuf transformé ont bondi de quelque 30 p. 100. Il s'agit là de produits originaires de l'Ouest canadien qui transitent par les États-Unis pour y être transformés avant de revenir chez nous, parce que nous ne sommes pas en mesure d'expédier des côtelettes de porc de la Saskatchewan vers l'Ontario. Il va falloir abattre ces barrières au commerce interprovincial.

Nous avons eu d'excellents échanges à ce sujet lors de la dernière rencontre des ministres fédéraux-provinciaux de l'Agriculture. Nous sommes conscients qu'il s'agit là d'un énorme problème. L'Alberta et la Colombie-Britannique viennent juste de signer un accord relatif aux échanges commerciaux, aux investissements et à la mobilité de la main- d'œuvre, pour qu'il n'y ait plus de frontière entre les provinces. Si vous êtes électricien agréé en Alberta, vous pourrez aller brancher un panneau électrique en Colombie-Britannique. Après tout, l'électricité passe par les fils de la même façon partout au pays.

Pourtant, la Saskatchewan n'a pas encore signé cet accord à cause de ses sociétés d'État et de ses syndicats. Cela ne pose pas de problème, parce que des conventions comme TILMA prévoient une telle latitude. Je crois qu'il est temps que nous regardions plus loin que notre bout du nez et que nous nous rendions compte que les gens sont mobiles.

Les Terre-Neuviens qui gagnent le plus d'argent sont ceux qui travaillent dans les sables bitumineux de Fort McMurray, en Alberta. C'est fantastique. Il y a là-bas un groupe extraordinaire de Terre-Neuviens que j'ai rencontrés. À cette occasion, ils m'ont fait goûter l'orignal mariné et le screech. À Lloydminster, nous avons même un club terre- neuvien. Ces gens-là sont arrivés avec leurs langues de morue et d'autres spécialités, et ils convertissent les autres à leur culture grâce à leur incroyable sens du travail et leur joie de vivre. C'est fantastique de voir ce qui se passe.

Le Canada s'est relâché côté recyclage du personnel. Les gens s'enferment dans un emploi et oublient d'améliorer leurs compétences pour continuer à grimper les échelons. Nous avons encore beaucoup de travail à faire de ce côté-là.

Il y a aussi énormément de travail à réaliser entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Nous devons cesser de nous montrer territoriaux et commencer à travailler main dans la main afin d'améliorer le sort de ceux que nous représentons.

La mobilité de la main-d'œuvre et l'éducation sont les deux grandes réponses au problème de la pauvreté rurale, pour parvenir à sauter par-dessus les obstacles et à permettre aux gens de bouger et d'aller chercher de meilleurs emplois ailleurs. Plutôt que d'avoir peur de déménager dans un nouvel endroit, il faut que les gens sentent qu'ils seront appuyés une fois sur place.

[Français]

M. Paradis : Comme je vous le disais tantôt, je viens d'un milieu où il y a beaucoup de ressources, autant minières, forestières qu'agricoles. On a demandé au Secrétariat rural de former un groupe de travail, parce que le Secrétariat rural veut avoir une lentille rurale. Il y a des ministères importants, comme Ressources naturelles Canada et Pêches et Océans Canada, qui sont des acteurs majeurs dans les collectivités basées sur l'exploitation des ressources. Actuellement, trois ministères travaillent ensemble — Agriculture, Pêches et Océans et Ressources naturelles — afin d'avoir une approche multisectorielle dans certains secteurs. L'autre problème que l'on rencontre souvent c'est que si notre politique sectorielle vient d'Ottawa, la politique s'adapte mal à la région. C'est frustrant. Je l'ai moi-même vécu à titre de président de Chambre de commerce, on avait des projets qui étaient avalisés par la communauté...

[Traduction]

Bon, disons... pas vraiment des projets avalisés par la communauté, mais quand nous nous sommes tournés vers les autorités fédérales, nous n'avons trouvé aucun interlocuteur. Nous avons dû nous rendre à Québec et à Montréal et nous débrouiller.

[Français]

Maintenant, on veut tenter d'apporter une flexibilité, donner des outils aux acteurs locaux, leur dire qu'ils seront informés, qu'il y aura un partenariat, il y aura une flexibilité de la part du gouvernement fédéral.

C'est pour cela que je donnais l'exemple de ce qui avait été annoncé par la fiducie du milliard, c'est dans ce sens-là, on couvre des points plus larges. Le ministre Ritz parlait de la formation et du développement de compétences dans les secteurs confrontés à une pénurie de main-d'œuvre. Il peut y avoir de la mobilité de main-d'œuvre, mais à l'inverse, il y a aussi des emplois disponibles dans les ruralités comme chez nous, mais le problème est qu'il y a une pénurie de main- d'œuvre qualifiée. C'est inacceptable parce que si, à un moment donné, il y a des emplois disponibles, mais personne pour les combler, il y a un problème. Je regardais le cercle vicieux dont vous avez fait état dans votre rapport intérimaire et qui illustre très bien la problématique : on manque de monde, donc on ne va pas que freiner la création d'entreprises, mais encore pire, on va freiner la croissance des entreprises. Certaines entreprises chez nous pourraient croître, mais elles ne le peuvent pas et elles pensent même à mettre la clé dans la porte éventuellement à cause d'une pénurie de main-d'œuvre. Mais à l'inverse, pour attirer de la main-d'œuvre, il faut offrir des services.

Tout cela fait en sorte que l'on doit se demander qui est le mieux placé dans la région pour identifier le problème et faire en sorte d'avoir des investissements intelligents des fonds publics. Et la réponse est sans aucun doute les acteurs locaux. Donc, si on arrive avec une approche concertée, que ce soit les acteurs municipaux ou provinciaux et qu'il y a un partenariat du fédéral, c'est une bonne clé pour le succès, encourager les « community buy-in project ».

Je voudrais en profiter pour répondre à la question du sénateur Segal. Lorsqu'on parle du plan d'infrastructure annoncé au montant de 33 milliards, c'est un peu dans ce sens. Le ministre Cannon cherche de la flexibilité. Ce qu'on nous dit, c'est qu'Internet haute vitesse, serait potentiellement admissible dans Chantiers Canada, mais toujours sous réserve d'avoir un accord avec les provinces. Les provinces, elles, au niveau territorial, pourraient dire si cela les intéresse ou pas. Une chose est certaine, dans les communautés comme la mienne, on voit vraiment qu'il y a un problème à ce niveau. Il y a des endroits ruraux où il n'y a pas Internet; il y a même des endroits semi-ruraux où il n'y a pas Internet. Parfois, on voit que la connaissance du milieu par ceux qui font les politiques publiques n'est pas assez approfondie.

C'est pour cette raison que lorsqu'on parle de flexibilité de partenariats, peut-être que dans le cadre d'un « community buy-in », les montants publics seront investis de façon efficiente et significative.

J'ai vu dans votre rapport qu'il fallait justement avoir une approche qui ne soit pas dictée par les paliers de gouvernement. Je pense personnellement que c'est la clé du succès et c'est dans ce sens que le secrétariat veut se diriger.

On veut faire en sorte que nos acteurs travaillent ensemble dans une approche multisectorielle, qui relève du territoire et non l'inverse.

Le sénateur Chaput : Ma question est brève, car M. Paradis y a déjà répondu en partie. Elle concerne le Secrétariat rural et particulièrement en fonction de la lentille que vous appliquez aux politiques. Existe-t-il une flexibilité dans la lentille que vous appliquez aux politiques lorsque vous en développez de nouvelles? À titre d'exemple, lorsqu'on parle du milieu rural et de problèmes spécifiques, existe-t-il une flexibilité qui ferait en sorte que, lorsque vous venez en aide à ces communautés, si la communauté est plus vulnérable et a des besoins plus pressants, qu'elle reçoive des services en fonction de ses besoins immédiats, pressants, plutôt qu'en fonction de la population?

M. Paradis : Tout d'abord, le Secrétariat rural n'a pas de portefeuille pour la gestion de programmes. Il y a eu des programmes pilotes avec des programmes modèles. Le Secrétariat donnera, comme vous dites, une lentille rurale pour faire en sorte que l'action du gouvernement fédéral soit cohérente avec tous les ministères interpellés dans les dossiers. Actuellement, c'est la direction dans laquelle on travaille lorsque je parle du groupe de travail.

Par exemple, Pêches et Océans Canada, Agriculture Canada et Ressources naturelles Canada sont trois ministères qui couvrent la quasi-totalité des régions rurales du Canada. Le secrétariat rural s'applique à voir quels genres de politiques pourront être efficaces, vers où se tourner, quelles sont les innovations, qu'est-ce qui pourrait rendre nos communautés compétitives en fonction des ressources qui existent sur le territoire. Par la suite, le Secrétariat fera un rapport, et c'est ce qui aidera le ministère responsable à choisir l'orientation de ses politiques. Il s'agit donc d'avoir une action concertée en ce sens.

Le sénateur Chaput : Y a-t-il flexibilité en fonction des besoins particuliers?

M. Paradis : On parle beaucoup d'une orientation vers la bioéconomie et la bioénergie dans ces domaines, il peut y avoir beaucoup de flexibilité. Plusieurs procédés peuvent ressortir dans les domaines de l'agriculture et de la biomasse.

Prenons l'exemple du secteur forestier. Si des projets viables sont avancés au niveau de la biomasse basée sur les résidus forestiers, nous pourrons être en mesure de cibler l'approche par territoire. Nous nous sommes rendu compte, toutefois, que le dialogue était parfois inexistant entre les ministères. Nous avions souvent, à composer avec de la politique en silo. Malheureusement, un territoire qui arrive avec un projet concret et simple, mais qui n'est pas nécessairement à grande échelle, aura de la difficulté à traiter avec le gouvernement fédéral. Nous voulons être en mesure d'offrir de l'information sur les réalités propres à chaque région. Chaque ministère sera alors informé, lorsque quelqu'une proposition innovatrice sera mise de l'avant, et pourra y répondre.

[Traduction]

Le sénateur Brown : Je tiens à vous dire que je suis tout à fait d'accord avec vous au sujet de la Commission canadienne du blé. Cela fait neuf ans que je suis retiré du milieu agricole, mais il faut dire que j'ai été l'un des exploitants chanceux de la banlieue de Calgary à avoir bénéficié de l'étalement de cette ville et des prix de l'immobilier. J'ai donc pu vendre mon exploitation et prendre ma retraite. J'avais pensé retourner là-bas, mais je crois que je ne le ferai pas.

Vous avez dit que les exploitants agricoles doivent réinventer les coopératives de crédit et qu'ils veulent que la Commission canadienne du blé leur laisse le choix. Vous avez dit qu'ils veulent pouvoir vendre leurs produits de la façon dont ils l'entendent. J'ai assisté à un rassemblement, dans le Sud de l'Alberta où j'ai été témoin de l'arrestation et de l'emprisonnement d'un certain nombre d'exploitants locaux qui avaient osé vendre directement leur blé de l'autre côté de la frontière, aux États-Unis. Je n'oublierai jamais ce que j'ai vu. Je n'aurais jamais imaginé que mon pays puisse avoir une telle attitude dictatoriale dans une région desservie par la Commission canadienne du blé.

En Ontario, on peut vendre son blé comme on le veut, tandis que dans l'Ouest du Canada, nous essayons de maintenir les acquis de l'empire britannique, cette tradition qui consiste à fournir des produits alimentaires en temps de guerre qui, si je ne m'abuse, qui était la raison d'être, à l'origine, de la Commission canadienne du blé.

S'agissant de la captation et de la séquestration du carbone, je sais qu'un projet a été lancé dans le Sud de la Saskatchewan, projet qui consiste à injecter du carbone dans les sous-sols de Weyburn où mon père est né. Ça me semble bien. Qui dit élimination du carbone par captation, dit forcément nécessité de l'entreposer quelque part.

Je suis de près tout ce qui concerne les crédits de carbone et j'ai vu ce qui s'est produit en Europe où les prix ont rapidement monté de 500, voire de 600 p. 100. Ce que je crains, dans le cas du secteur agricole, c'est que, si l'on achète des crédits de carbone qui ne sont pas associés à une réduction effective, tôt ou tard, cela pourrait se transformer en un jeu de passe-passe catastrophique. Si le gouvernement fédéral désire faire quelque chose à cet égard, il devrait réglementer la vente de ces crédits et les garanties qui y sont rattachées, et il devrait prendre des règlements pour protéger les investisseurs.

À l'époque où les prix de l'énergie et des engrais étaient très élevés, dans les années 1980, j'ai fait partie d'un groupe qui a travaillé pour le premier ministre Getty, en Alberta, et qui a mis sur pied le fonds de stabilisation du revenu. Il s'agissait d'offrir des prêts à faible taux fixe et à longue échéance, soit sur 20 ans. Il ne s'agissait donc pas d'un cadeau. Ce programme était administré par les cinq grandes banques qui exigeaient des demandeurs qu'ils présentent un plan de remboursement. Tous les exploitants du secteur agricole y avaient droit : producteurs de bœuf ou de porc, céréaliculteurs et autres. Peu importe votre type d'exploitation, vous deviez présenter un plan de remboursement au taux fixe établi. À cette époque, les 9 p. 100 réclamés semblaient être une bonne affaire pour les agriculteurs, puisque nous venions juste de connaître des taux de 22 7/8 p. 100. Bien sûr, quelques années plus tard, les taux d'emprunt étaient encore à 9 p. 100, mais les taux généraux étaient désormais inférieurs. Les emprunteurs pouvaient contracter un prêt à un taux variable avoisinant le taux de base, selon ce qu'ils pouvaient se permettre ou ce qu'ils envisageaient de faire, mais ces taux auraient pu augmenter de nouveau sous l'effet d'une pression à la hausse des taux généraux. Le programme en vigueur était destiné à aider les agriculteurs en général et on ne faisait aucune différence entre les éleveurs de poulet, les éleveurs de porc ou les céréaliculteurs.

Partant de là, j'aimerais savoir ce que vous penseriez de l'idée de revenir à cette formule. Si je me souviens bien, 14 000 à 17 000 exploitants de l'Alberta s'étaient prévalus de ce programme.

M. Ritz : Sénateur Brown, je crains tout autant que vous que les crédits de carbone échangés sur papier ne donnent lieu à un autre Enron et que les agriculteurs en subissent les conséquences de plein fouet. Toute nouvelle installation, que ce soit dans le secteur de l'exploitation pétrolière ou dans celui des systèmes électriques, est adaptable pour capter et séquestrer le carbone. On est en train de bâtir de telles installations. Vous avez parlé de celle de Weyburn qui sert à pomper le carbone dans le sous-sol. La couche salifère qui forme le sous-sol de cette région de l'Ouest emprisonne le carbone qui ne peut donc plus remonter à la surface.

Nous avons ce qu'il faut dans l'Ouest pour séquestrer le carbone dans le sous-sol et l'on se sert des puits de pétrole abandonnés pour y stocker le carbone. L'industrie de l'exploration pétrolière injecte aussi du méthane et du carbone pour extraire le pétrole. Il s'agit donc d'une grande innovation dans le secteur pétrolier qui vise à réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés en matière de captation du carbone dans les profondeurs souterraines. Je suis donc d'accord avec vous.

Quant au programme agricole dont vous avez parlé, il se trouve que j'exploitais ma ferme en Saskatchewan à l'époque et que je regardais avec envie ce qui se passait en Alberta, parce que nous ne pouvions pas faire ce que le fonds du patrimoine a permis là-bas. Cependant, le Canada a réalisé d'importants changements sur la scène mondiale en signant des programmes comme le GATT, l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce qui ne permet pas la mise en place de tels programmes ponctuels, contrairement à ce qui s'est déjà fait dans le passé. À la façon dont vous décrivez ce programme, celui-ci correspondrait sans doute à la catégorie orange du GATT et il se trouve que nous commençons à épuiser cette possibilité au moment où nous nous apprêtons à signer un nouvel accord à Genève.

Il demeure par ailleurs que nous avons réalisé des progrès du côté du système d'avance de fonds. Chaque producteur du secteur de l'élevage a maintenant droit à 400 000 $, ce qui n'était pas possible avant. Que les exploitants se prévalent des 400 000 $ en totalité ou qu'ils n'en prennent que 160 000 $, ils ne paient de toute façon pas d'intérêt pendant 12 mois sur la première tranche de 100 000 $.

Nous avons ainsi essayé de régler les problèmes du coût élevé des intrants pour permettre aux exploitants d'accéder aux produits dont ils ont besoin sans devoir ployer sous le coût des emprunts bancaires. En outre, ils peuvent avoir une marge de crédit à la banque, garantie par leur stock effectif ou éventuel, et bénéficier de ces avances de fonds, ce qui leur donne une plus grande latitude.

Nous avons essayé de désolidariser ces avances de fonds pour permettre aux exploitants de s'adresser à la Commission canadienne du blé pour leurs céréales et au Conseil canadien du canola pour leur canola. Les avances sont liées aux produits et les exploitants prennent un engagement envers l'organisme prêteur à qui ils doivent vendre leurs produits. Ils peuvent donc décider de ne pas avoir recours à cette formule. Ces nouvelles formes d'avance de fonds sont moins liées que les anciennes et elles donnent davantage de latitude aux exploitants.

La présidente : Je viens de jeter un coup d'œil sur la pendule, monsieur le ministre, et je me rends compte que nous vous avons retenu plus longtemps que prévu. Le sénateur Gustafson souhaite dire un mot et avant que nous ne partiez, j'aimerais également vous dire quelque chose dont vous allez vous souvenir.

Le sénateur Gustafson : Les 250 000 $ supplémentaires en impôt sur les gains en capital sont-ils déjà en vigueur?

M. Ritz : Oui. Ils ont été annoncés au budget de 2007. Le plafond des gains en capital est passé de 500 000 à 750 000 $. Si vous envisagez de vendre, c'est le moment de le faire.

Le sénateur Gustafson : Et l'année dernière?

M. Ritz : Non, ça été annoncé au budget de 2007 qui vient d'être adopté et la mesure entre donc maintenant en vigueur.

La présidente : Je voulais vous dire un dernier mot au sujet de la betterave sucrière. Je viens du Sud-Ouest de l'Alberta, de Taber, capitale de la betterave sucrière du Canada. Or, il est possible que les Américains ferment leur frontière à ce produit très important pour notre secteur agricole. Si tel devait être le cas, ce serait la fin pour le secteur et vous comprenez ce que cela signifierait pour le milieu agricole de la région.

Nous allons lui donner un coup de main. Nous sommes déjà intervenus dans le cas du bœuf. Le comité a écrit aux autorités américaines. S'il y a quoi que ce soit que nous puissions faire, nous le ferons. Ce n'est peut-être pas la plus importante activité agricole au Canada, mais elle n'est pas négligeable et j'espère que vous allez faire tout ce que vous pouvez, monsieur le ministre, pour que cette frontière demeure ouverte.

M. Ritz : Tous les types d'exploitation sont importants. Il n'y en a pas une qui l'est plus que l'autre. J'ai déjà eu des entretiens avec les autorités concernées. J'ai eu mes premiers échanges avec le nouveau secrétaire d'État à l'agriculture, Ed Schafer, qui est l'ancien gouverneur du Dakota du Nord. Il sait où se trouve Taber. Il y a beaucoup de travail à faire dans ce dossier.

Les gens avaient cru que les Mexicains essayaient de négocier avec les Américains un accord qui aurait coupé l'herbe sous les pieds des betteraviers canadiens. Or, il s'est avéré que tel n'était pas le cas. C'est en fait l'industrie de la transformation américaine qui tâtait le terrain ailleurs. Ce n'est pas le gouvernement du Mexique qui a essayé de nous tromper. J'ai donc eu des discussions initiales avec le secrétaire Cárdenas, au Mexique, et je m'entretiendrai avec le secrétaire Schafer. Nous espérons nous rencontrer dans une dizaine de jours ou dans deux semaines.

La présidente : Eh bien, notre comité est prêt à donner un coup de main dans toute la mesure du possible.

Merci beaucoup. Nous avons été ravis de vous accueillir. Vous maîtrisez tous deux parfaitement vos dossiers et nous espérons vous recevoir en d'autres occasions afin que nous nous débrouillions aussi bien que vous. Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite bonne chance et je vous remercie beaucoup de vous être déplacés et de nous avoir consacré tout ce temps.

La séance est levée.


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