Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 8 - Témoignages du 6 mars 2008
OTTAWA, le jeudi 6 mars 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 5 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour honorables sénateurs et chers téléspectateurs. Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts sur la pauvreté rurale et le déclin rural. Nous sommes arrivés aux dernières étapes de nos audiences.
Ce fut un long parcours. En décembre 2006, le comité a publié un rapport provisoire qui a, il faut le reconnaître, suscité un degré d'attention étonnamment élevé. Depuis lors, nous avons sillonné les provinces et territoires du Canada; nous nous sommes rendus dans 20 collectivités rurales et avons eu des discussions avec environ 300 particuliers et porte-parole d'organisations. Ce faisant, nous avons entendu de nombreux récits concernant les difficultés et les espoirs des habitants des régions rurales. Un grand nombre de témoins ont préconisé des changements dans la façon dont le Canada aide ses citoyens les plus défavorisés.
Le témoin que nous recevons aujourd'hui est très bien placé pour nous aider à réfléchir aux aspects que pourraient revêtir ces changements. M. Ken Battle est président du Caledon Institute of Social Policy, un groupe qui est au premier plan de la réflexion sur les possibilités de restructurer les programmes sociaux du Canada. Je dois signaler que M. Battle s'intéresse à cette question depuis de nombreuses années et qu'il est en tête de liste des personnes à la recherche de solutions à ce problème.
Par exemple, l'année dernière, cet institut a publié un document de travail indiquant que c'était un moment opportun pour mettre en place une nouvelle architecture de prestations destinées aux adultes. Plus récemment, le Caledon Institute préconisait une hausse de la Prestation fiscale canadienne pour enfants, un programme à l'élaboration duquel il avait contribué.
Nous disposons d'une heure avec M. Battle pour examiner les multiples questions. Comme toujours, j'invite mes collègues à poser des questions aussi brèves que possible pour lui permettre de répondre de façon complète et donner à chacun l'occasion de participer aux discussions.
Soyez le bienvenu, monsieur Battle. Nous nous réjouissons d'entendre votre témoignage. Vous avez la parole.
Ken Battle, président, The Caledon Institute of Social Policy : Merci beaucoup, madame la présidente. Je distribue quelques graphiques auxquels je ferai référence.
Comme vous l'avez mentionné, je fais des exposés devant des comités sénatoriaux depuis des dizaines d'années. Comme je l'ai également signalé la semaine dernière, j'ai déjà comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Le travail que j'ai fait en 1990 avec le comité sénatorial portait notamment sur la pauvreté infantile et était en fait un précurseur de la réforme de la Prestation nationale pour enfants. Le Sénat a joué un rôle important dans l'évolution de tout un pan du système de sécurité du revenu au Canada.
Mes commentaires porteront sur un éventail très large de mesures, et surtout de programmes de sécurité du revenu, mais je ferai également quelques observations sur les services sociaux. En 1992, à la création de l'institut, nous avons collaboré avec M. Lloyd Axworthy alors qu'il était le premier ministre du Développement des ressources humaines. Depuis, nous avons collaboré dans différents autres domaines.
Je vous entretiendrai aujourd'hui des possibilités de concevoir une vaste réforme des programmes de sécurité du revenu pour les adultes en âge de travailler. Il existe des programmes de sécurité du revenu pour les enfants, pour les personnes âgées, et il est question d'en instaurer pour les adultes.
Je sais que je n'arriverai pas à faire un exposé complet. Cependant, je signale à l'intention de ceux d'entre vous qui voudraient suivre nos activités dans ce domaine qu'il y a environ deux ans, nous avons publié un document intitulé Towards a New Architecture for Canada's Adult Benefits (pour une nouvelle architecture de prestations destinées aux adultes au Canada). Ce document contient beaucoup d'informations à ce sujet. Vous pouvez nous consulter sur notre site web, et je vous recommande d'ailleurs de le faire. Ce document condense, sous une forme lisible, les résultats des nombreuses études et les informations glanées au fil des années.
J'aimerais en outre mentionner le cadre que je présenterai ce matin. Nous en discutons avec d'autres personnes depuis deux ou trois ans et nous avons consulté de hauts fonctionnaires fédéraux et provinciaux. Nous avons rencontré plusieurs ministres et, naturellement, les représentants de différents groupes sociaux. Nous sommes en train d'exposer nos idées en matière de réforme pour voir l'intérêt qu'elles suscitent chez les personnes s'intéressant à une réforme dans les mêmes domaines.
Je ferai aujourd'hui des commentaires sur l'architecture, qui est un terme recherché que nous utilisons tout simplement à la place du terme « structure ». Au lieu d'axer notre attention, comme nous le faisons normalement au Caledon Institute, sur des programmes précis — conception, options, coûts, exécution et rouages de la politique sociale qui est en fait ce qui importe pour les Canadiens —, je voudrais prendre un certain recul et faire un examen global des structures et des fonctions des programmes destinés aux adultes en âge de travailler.
C'est cette notion d'architecture; c'est un regard plus panoramique. Nous omettrons volontairement, contrairement à notre habitude, d'entrer dans des détails d'ordre pragmatique. Nous voulons examiner comment fonctionnent les éléments constitutifs des programmes de sécurité sociale pour les adultes actifs ou pourquoi ils sont inefficaces et quelles sont leurs interactions. Il s'agit d'une perspective plus large.
C'est frustrant et nécessaire. La question frustrante que l'on pose souvent est « Combien cela coûtera-t-il? » ou « Comment le programme en question pourrait-il aider une personne qui se trouve dans cette situation? ».
Nous n'examinerons pas cet aspect pour le moment. Nous jetterons un regard plus général sur les programmes qui seraient adaptés à cette structure. Nous omettrons volontairement de tenir compte du coût. Nous mettrons en œuvre différentes options en ayant recours au design architectural. Je le mentionnerai à mesure que nous avancerons. Nous tenons maintenant compte des questions de coûts, mais je voudrais adopter ce matin un point de vue plus général.
Le Caledon Institute a été créé en 1992. L'argument fondamental qui motive nos travaux est extrêmement simple. C'est ce que nous appelons l'impératif de la modernisation. Le système de sécurité sociale canadien pour les adultes en âge de travailler, pour les enfants et pour les personnes âgées a été conçu dans une large mesure dans les années 1930 et dans les années 1940; il a été mis en œuvre dans les années 1950, dans les années 1960 et au début des années 1970. La plupart des mesures dont les réformateurs des programmes sociaux avaient rêvé avaient été mises en place, mais pas toutes. Nous n'avions pas développé l'État-providence à grande échelle que préconisaient certains réformateurs canadiens. Le Canada n'est jamais allé jusque-là. À l'échelle internationale, notre système de sécurité sociale se situe en quelque sorte dans la moyenne. Il est plus élaboré que dans certains pays, mais moins que dans les pays d'Europe, par exemple.
Il est assez efficace à certains égards, mais j'essaie d'y apporter des améliorations. Par exemple, les programmes sociaux destinés aux personnes âgées nécessitent certaines améliorations quoiqu'ils soient assez efficaces et, en fait, un modèle pour les pays industriels occidentaux. Le Canada est un chef de file en matière de système de revenu de retraite.
D'autres volets de notre système sont toutefois moins performants, notamment les programmes de revenu et les services d'emploi pour les Canadiens d'âge actif. C'est là-dessus que porteront mes commentaires aujourd'hui.
Nous avons invoqué l'argument suivant : le système de sécurité sociale que nous avons mis en place est de plus en plus suranné. C'est la conséquence des profonds changements survenus dans notre société : des changements démographiques, des changements touchant notre économie, voire notre système politique.
Il est essentiel que nous mettions nos programmes sociaux à jour. Il est impératif de mieux les adapter aux besoins actuels. C'est la notion d'architecture en question. Nos travaux actuels portent sur l'analyse à faire des programmes en place pour déterminer ceux qui sont efficaces et voir lesquels ne le sont pas, afin d'élaborer un meilleur plan pour l'avenir.
Le domaine des prestations pour enfants est un domaine connu du sénateur Fairbairn. Nous en avons discuté la semaine dernière au Comité des affaires sociales. C'est un domaine dans lequel j'ai fait beaucoup de travail au cours de ma carrière.
Nous avons amorcé l'élaboration de cette architecture il y a deux ans. J'avais alors signalé que les programmes en place pour les familles avec des enfants, autrement dit la politique de la famille, avaient fait des progrès considérables, notamment en ce qui concerne la garde des enfants, les prestations pour enfants et les congés parentaux. Ironiquement, je ne suis plus aussi optimiste qu'il y a deux ans.
Le gouvernement actuel a apporté des changements à la garde des enfants et aux prestations pour enfants qui, d'après nos estimations, nous ont fait régresser. Il est très difficile de réaliser des progrès dans une politique publique, et ce sont des progrès qui avaient pris une vingtaine d'années pour se concrétiser. Ce sont des changements regrettables et, en deux années à peine, les progrès réalisés au chapitre de la politique familiale ont été anéantis. On peut très facilement faire régresser une politique publique. C'est ce que le gouvernement fédéral a fait.
Je ne peux pas faire de commentaires à ce sujet ce matin, alors que ce n'est pas l'envie qui me manque. J'ai un exemplaire de l'exposé que j'ai fait la semaine dernière devant le Comité des affaires sociales. Je le laisserai à la présidente; j'invite les membres du comité à l'examiner. C'est un volet très important de la politique sociale.
Les commentaires que je ferai ce matin porteront sur les programmes pour adultes en âge de travailler. Ils ne porteront pas uniquement là-dessus, mais en grande partie.
De quoi s'agit-il? Nous avons adopté l'expression « prestations destinées aux adultes » il y a environ deux ans car il n'existait pas de termes généraux pour décrire les questions que j'aborderai aujourd'hui. Il n'existe pas de termes pour désigner les programmes de sécurité du revenu destinés aux adultes d'âge actif. On a tendance à les associer aux principaux programmes constitutifs comme l'assurance-emploi, l'aide sociale, la prestation fiscale pour le revenu gagné, et cetera.
J'aborderai tout d'abord la question du remplacement du revenu pour les Canadiens qui n'ont pas d'emploi. Il y a les piliers jumeaux de l'assurance-emploi et de l'aide sociale pour ceux qui sont censés avoir un emploi. D'autres programmes aident certains Canadiens qui sont au chômage ou touchent de petits salaires. Il s'agit notamment des prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada et du Régime de rentes du Québec, des congés parentaux payés, du Régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de l'aide sociale pour les personnes qui ne sont pas tenues de travailler.
Une autre série de programmes pour adultes sont des mesures pour « rendre le travail payant » pour les petits salariés. Il s'agit d'une expression britannique que nous avons importée au Canada. Plusieurs provinces instaurent des suppléments de salaire pour les travailleurs à faible revenu, autrement dit, elles complètent les bas salaires. Dans le cadre d'une initiative positive, il y a deux ans, le gouvernement fédéral a instauré une nouvelle Prestation fiscale pour le revenu gagné qui aide certains petits salariés canadiens. C'est un programme encore beaucoup trop modeste, mais c'est un progrès important.
Une troisième série de prestations pour les adultes d'âge actif sont une gamme de services et de soutiens assujettis à la condition de participer à un des programmes de revenu. En d'autres termes, quand on est assisté social, on est admissible à certains services; c'est valable également en ce qui concerne l'assurance-emploi. Ça comprend des programmes d'emploi comme des programmes de formation et d'orientation et des mesures de soutien pour les personnes handicapées. Celles-ci incluent des appareils techniques, de l'équipement, des mesures d'aide personnelle et d'accessibilité qui permettent aux personnes handicapées de faire des études et de travailler. D'autres services importants incluent des services de garde et des soins de santé supplémentaires comme de l'assistance sanitaire, du soutien pour les soins dentaires et de l'aide pour les médicaments. Vous pouvez constater que je veux couvrir un champ très vaste.
Quelles sont les difficultés auxquelles est confronté ce groupe de programmes pour les adultes d'âge actif? Au cours des années, on a apporté des changements ayant pour objet de rétrécir l'assurance-emploi et de diminuer considérablement l'aide sociale. Le dédale des de prestations pour adultes actuelles ne permet pas du tout de s'adapter aux profonds changements survenus sur le marché du travail. En voici quelques-uns, que vous connaissez probablement. Il s'agit notamment de changements au niveau de l'éducation et des compétences, qui sont la grande ligne de partage dans notre économie du savoir, de l'augmentation du nombre d'emplois atypiques, comme le travail autonome, le travail à forfait, les emplois à temps partiel et les emplois cumulés, de l'explosion de la participation de la main-d'œuvre féminine, de la rupture des mariages et de l'augmentation du nombre de familles monoparentales, de l'immigration de masse, surtout vers les plus grandes villes canadiennes, du faible taux de natalité obligeant le Canada à compter largement sur l'immigration pour sa main-d'œuvre disponible, de la pauvreté persistante dans le contexte de laquelle la moitié des pauvres travaillent et du chômage chronique dans certaines régions et dans certaines collectivités.
Je reconnais que le taux national de chômage est peut-être à son niveau le plus bas depuis des dizaines d'années. Cependant, des îlots de chômage, officiels et concrets, où le taux est beaucoup plus élevé que la moyenne nationale, subsistent. Le chômage n'est pas du tout un problème qui a disparu. Ce sont là quelques-uns des défis qui se posent dans le contexte des programmes sociaux.
Quelles sont les difficultés dans la capacité de nos programmes de s'adapter à ces changements? Je commencerai par l'aide sociale.
Essentiellement, l'aide sociale n'est pas efficace. Elle aide en réalité très peu les assistés sociaux à réintégrer le marché du travail. Les personnes qui ont été assistés sociaux à plusieurs reprises ou qui le sont depuis des années risquent d'être « rouillées » en ce qui concerne leurs compétences et leurs aptitudes sociales; elles pourraient aussi avoir perdu confiance. L'aide sociale demeure un programme très stigmatisant, qui manque de légitimité publique et est souvent une tête de turc politique. Elle n'est pas en mesure de procurer aux personnes qui ne peuvent pas travailler un revenu adéquat et de leur permettre de vivre dans la dignité. Les règles qui obligent les assistés sociaux à révéler la totalité de leurs avoirs et des prestations qu'ils touchent les plongent en fait dans une pauvreté encore plus profonde qu'avant. De nombreux chômeurs non admissibles à l'assurance-emploi sont pris dans le piège de l'aide sociale et ne peuvent plus en sortir. Elles ne sont pas admissibles à l'assurance-emploi. Leur seul recours est l'aide sociale, et c'est un très mauvais endroit où échouer.
Au Canada, de nombreuses personnes handicapées aptes au travail sont forcées de faire appel à l'aide sociale pour obtenir les différentes formes de soutien dont elles ont besoin pour demeurer autonomes. Les travailleurs sociaux perdent du temps et gaspillent de l'énergie à faire de la répression et de la paperasserie plutôt que d'aider réellement les prestataires. L'aide sociale est un dédale de règles difficiles à comprendre. C'est un système très complexe et, comme vous le savez, étant donné qu'il s'agit d'un programme provincial ou territorial, il accuse des différences d'une région à l'autre.
La Prestation nationale pour enfants que j'ai mentionnée tout à l'heure a permis de réduire en partie le piège de l'aide sociale pour les familles avec des enfants. Nous avons fait quelques progrès à cet égard, mais le piège de l'aide sociale persiste à d'autres égards, par exemple avec la perte de prestations de santé supplémentaires qui ne sont généralement pas accessibles aux petits salariés. En renonçant à l'aide sociale pour aller sur le marché du travail, on renonce au soutien des prestations de santé supplémentaires auxquelles ce programme donne droit; on perd notamment l'accès aux mesures de soutien pour les personnes handicapées et autres services que j'ai mentionnés. Les dépenses associées à un emploi, comme les vêtements, les transports et la garde des enfants, ne sont pas subventionnées dans le cas de la plupart des petits salariés canadiens, même maintenant. Les petits salariés paient de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales. L'aide sociale représente toujours, dans une large mesure, un piège et, par conséquent, les prestataires ont de la difficulté à faire la transition vers le marché du travail.
L'assurance-emploi est l'autre programme majeur pour les adultes d'âge actif. Elle a diminué dans des proportions phénoménales depuis une dizaine d'années. Pour de nombreux chômeurs canadiens, l'assurance-emploi n'apporte pas du tout la sécurité du revenu qu'elle devrait procurer. Les Canadiens versent des contributions à l'assurance-emploi. Ils paient leurs primes, mais 60 p. 100 des Canadiens sans emploi n'y sont pas admissibles. Dans le premier graphique que j'ai fait circuler, sous le pourcentage de chômeurs canadiens recevant des prestations d'emploi régulières, vous verrez des données remontant jusqu'à 1976 et aussi récentes que pour 2006. Je pense que le graphique est significatif. Le resserrement extrême des règles d'admissibilité à l'assurance-emploi vers la fin des années 1980 et au début des années 1990 a entraîné une forte baisse du taux d'admissibilité à l'assurance-emploi. Voici le pourcentage des chômeurs canadiens qui reçoivent des prestations d'assurance-emploi. D'après le dernier relevé, il était de 44 p. 100.
Pourquoi? La principale raison est que les règles d'admissibilité sont extrêmement strictes et que la majorité des chômeurs canadiens n'arrivent pas à remplir les conditions. Il s'agit de nouveaux arrivants sur le marché du travail, de travailleurs autonomes, d'emplois mal rémunérés, d'emplois à temps partiel ou cumulés. Il s'agit en outre de nouveaux immigrants et de chômeurs de longue date. Généralement, si ces personnes sont au chômage, elles ne sont pas admissibles à l'assurance-emploi. Non seulement elles ne sont pas admissibles aux prestations en espèces, mais elles ne sont pas non plus admissibles aux congés parentaux ni à certains services d'emploi associés à l'admissibilité à l'assurance-emploi.
La couverture de l'assurance-emploi est très différente d'une région à l'autre du pays. Le transparent suivant indique que le pourcentage de chômeurs canadiens recevant des prestations régulières d'assurance-emploi, par province, dépeint une situation assez catastrophique. Pour le Canada, en moyenne, 44 p. 100 des chômeurs sont admissibles à l'assurance-emploi. On constate toutefois des différences très marquées d'une province à l'autre. Au Canada atlantique, la grosse majorité des chômeurs — et à Terre-Neuve, tous les chômeurs — sont admissibles à l'assurance- emploi. Au Manitoba, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique, en Ontario et en Alberta, un pourcentage minime des chômeurs sont admissibles à ce programme national alors qu'ils paient tous des primes pour être couverts. L'assurance-emploi couvre moins de la moitié des chômeurs en Ontario et dans l'Ouest; les proportions vont de 28,4 p. 100, en Alberta, à 41,3 p. 100, au Manitoba.
Une autre façon d'examiner l'assurance-emploi est de le faire par le biais de la différence entre les hommes et les femmes. Le graphique suivant indique le pourcentage des hommes et des femmes en chômage qui sont admissibles à l'assurance-emploi. Depuis le milieu des années 1990, on constate un écart croissant entre les hommes et les femmes sur le plan de l'admissibilité. Un plus grand nombre d'hommes que de femmes y sont admissibles.
En ce qui concerne les grands programmes que je viens de mentionner, à savoir l'aide sociale et l'assurance-emploi, celle-ci a été détrônée par l'aide sociale dans la majorité des provinces. En d'autres termes, l'aide sociale dans l'ouest de l'Ontario est devenue le principal programme de sécurité du revenu pour les adultes d'âge actif, alors que ce devrait être l'assurance-emploi. L'aide sociale n'a jamais eu pour objet d'être autre chose qu'un petit programme résiduel pour les personnes non admissibles à d'autres programmes comme l'assurance-emploi. Cependant, en raison du rétrécissement de l'assurance-emploi, de l'accroissement du nombre de petits salariés et de la main-d'œuvre atypique, dans plusieurs provinces, l'aide sociale est en fait devenue le principal système de soutien du revenu pour les personnes handicapées et pour les autres adultes d'âge actif. Ce n'est pas normal.
Si vous voulez bien passer au graphique suivant, une autre façon d'examiner les problèmes de l'assurance-emploi est le pourcentage de chômeurs recevant des prestations d'assurance-emploi par région métropolitaine de recensement, c'est-à-dire par ville. C'est un tableau assez catastrophique également. Ça concerne la grosse majorité des Canadiens dont nous discutons, car nous sommes une société très urbanisée.
À Kingston, 17 p. 100 des chômeurs sont admissibles à l'assurance-emploi. À l'autre extrême, environ la moitié des chômeurs de la région du Saguenay, au Québec, sont admissibles. Dans les grandes villes canadiennes, un très faible pourcentage seulement des chômeurs y sont admissibles. Nous dépensons beaucoup plus pour l'aide sociale dans la plupart des provinces que pour l'assurance-emploi.
Le graphique suivant indique qu'en Ontario en particulier, les dépenses d'aide sociale sont astronomiques par rapport aux dépenses associées à l'assurance-emploi. Il ne faut pas oublier que l'Ontario a instauré quelques changements draconiens à l'aide sociale il y a une dizaine d'années, qui ont considérablement réduit les chances d'admissibilité dans cette province. Malgré cela, en raison du rétrécissement de l'assurance-emploi, l'aide sociale est de loin le programme de sécurité du revenu le plus important pour les adultes d'âge actif dans la plus grande province canadienne.
L'assurance-emploi n'atteint pas du tout ses principaux objectifs. Elle avait été conçue pour une autre époque. Elle avait été conçue pour des emplois industriels à vie présentant de faibles risques de chômage. Elle est maintenant devenue un obstacle plutôt qu'un soutien au bon fonctionnement et à la flexibilité du marché du travail. L'assurance- emploi ne remplit pas du tout ses promesses. C'est un programme discutable sur le plan politique, comme vous le savez certainement. Une réforme de ce programme présente beaucoup de difficultés. Sous sa forme actuelle, il est totalement inefficace pour la grande majorité des Canadiens.
Quelle décision faudrait-il prendre à son sujet? Tournez la page pour arriver au transparent relatif à ce que devrait être le programme : que devrait apporter un système moderne de prestations destinées aux adultes? Que devrait-il apporter aux petits salariés et aux chômeurs canadiens?
Il devrait avant tout être un système de remplacement temporaire du revenu pour tous les Canadiens au chômage. C'est en fait l'objectif actuel de l'assurance-emploi. Nous estimons que celle-ci devrait atteindre l'objectif principal qui ne l'a pas été au cours des dernières années. En d'autres termes, si vous êtes au chômage, vous devriez obtenir un remplacement du revenu pour la période pendant laquelle vous êtes au chômage, dans certaines limites. Les prestations ne devraient pas être versées pendant une période de cinq ou dix ans. Cependant, elles devraient aider temporairement tous les Canadiens au chômage. Le système actuel ne le fait pas.
Un système moderne de prestations pour adultes devrait en outre apporter un soutien du revenu de longue durée aux personnes ayant de lourds handicaps et aux autres personnes dont on ne peut raisonnablement s'attendre à ce qu'elles tirent la majeure partie de leur revenu d'un emploi. Il faut tout simplement être réalistes. Certains adultes d'âge actif qui ne peuvent trouver qu'un emploi à temps partiel, quand ils en trouvent un, ne seront pas capables de vivre décemment de leur revenu. Nous estimons que le système devrait aider ces personnes également.
Nous estimons en outre qu'un système moderne de prestations pour adultes devrait donner accès aux services nécessaires pour faire des études, faire de l'apprentissage, travailler ou se recycler. Il s'agit de services d'emploi, des soins de santé supplémentaires et des mesures de soutien aux personnes handicapées. Nous avons en outre besoin de politiques et de programmes ayant pour objet de s'assurer que le travail est payant. C'est le principe qui consiste à compléter les salaires des petits salariés pour leur permettre plus facilement de continuer à faire partie de la population active et éviter qu'ils ne soient tentés de compter sur l'aide sociale et qu'ils ne soient pris au piège dans son cercle vicieux. Ce sont les objectifs généraux que le système devrait atteindre mais n'atteint pas.
Comment faire? Passez à l'avant-avant-dernier transparent intitulé « Vers une nouvelle architecture de prestations destinées aux adultes ». Il montre trois niveaux. Veuillez faire preuve de patience à mon égard; ça deviendra plus clair quand j'arriverai à la fin.
Nous proposons un système de prestations pour adultes à trois niveaux. C'est le système actuel d'assurance-emploi auquel on ajoute un nouveau programme, dit « de revenu temporaire », faute d'un terme plus approprié. Le deuxième niveau serait la préparation à l'emploi : de l'aide financière et des services d'emploi pour les chômeurs canadiens de longue date. Le troisième niveau, nous l'appelons « revenu de base » : soutien du revenu pour les personnes lourdement handicapées et les autres personnes dont on ne peut pas s'attendre à ce qu'elles puissent vivre de façon décente de leur travail. Il s'agit donc d'un système à trois niveaux.
Nous ne pensons pas que la solution aux lacunes de l'assurance-emploi soit de revenir en arrière jusqu'aux années 1970, pour faciliter considérablement les conditions d'admissibilité à l'assurance-emploi. Nous estimons plutôt qu'un système d'assurance-emploi financé par les primes versées, comme il l'est actuellement, reste nécessaire. Cependant, nous avons besoin d'un programme supplémentaire, un programme « de revenu temporaire », qui serait financé à même les recettes générales. Il ne s'agirait pas d'un programme d'assurance sociale contributif. Nous instaurerions un nouveau programme pour que les personnes au chômage qui ne sont pas admissibles à l'assurance-emploi n'échouent pas dans l'aide sociale. Nous voulons tenir les personnes aptes à un emploi qui sont au chômage à l'écart de l'aide sociale, car c'est un système très dangereux. Nous voulons les maintenir dans le système fédéral d'assistance-chômage.
Nous créerions un programme qui serait en fonction du revenu. En d'autres termes, il serait semblable à la Prestation fiscale canadienne pour enfants. Une personne serait admissible selon son niveau de revenu. Le montant reçu dépendrait du niveau de revenu de la personne concernée. Ce serait un programme à délai fixe. Nous envisageons un délai d'environ six mois ou, tout au plus, d'un an. On resterait admissible à l'assurance-emploi pour un an.
Un des gros changements que nous apporterions à l'assurance-emploi consisterait à mettre un terme au système des taux de chômage régionaux. Ça comblerait une des pires lacunes du système actuel. Comme vous le savez peut-être, l'admissibilité à l'assurance-emploi — ainsi que la durée maximale pendant laquelle on peut recevoir des prestations de chômage — diffère d'une région de chômage à l'autre. Prenons deux cas extrêmes : il est possible qu'une personne soit admissible à l'assurance-emploi pour une pleine année alors que l'autre chômeur, habitant une autre région, n'y soit pas admissible du tout. Ces deux personnes sont des chômeurs. Elles ont versé toutes les deux leurs primes. L'une d'entre elles obtient des prestations et l'autre pas, car nous avons un système ridicule basé sur des régions de chômage. Nous proposons de supprimer ces zones de chômage régionales.
Le deuxième niveau est celui de la préparation à l'emploi. Il remplacerait l'aide sociale par un programme de soutien intensif aux personnes aptes au travail. On leur donnerait un soutien du revenu, mais celui-ci serait fourni d'une façon beaucoup plus simple que maintenant dans le contexte de l'aide sociale. Il s'agirait d'un système semblable à des salaires, probablement d'une prestation à taux uniforme pour tous les bénéficiaires. L'aide sociale actuelle est très complexe avec ses différents montants de prestation, ses différents niveaux et ses différences en matière d'admissibilité.
Ce serait un système beaucoup plus simple. Il aurait pour objectif de faire réintégrer le marché du travail à des chômeurs de longue date. Ce serait un système de soutien de l'emploi très intensif qui apporterait tout ce dont les personnes concernées ont besoin en termes de formation, de recyclage, d'emploi, d'amélioration des compétences, de retour aux études, d'obtention du diplôme d'études secondaires et de lutte contre le problème de l'analphabétisme fonctionnel. Ce niveau aurait beaucoup plus pour objectif de tenir les prestataires à l'écart des systèmes de soutien du revenu et de leur faire réintégrer le marché du travail.
Notre raisonnement au sujet de ce niveau est très influencé par un rapport paru il y a une vingtaine d'années en Ontario, le rapport Thompson. Certains d'entre vous s'en souviennent peut-être. On y exposait la notion de planification des perspectives d'emploi et de formation. Sur une base individuelle, les travailleurs sociaux aidaient les assistés sociaux à réintégrer le marché du travail. Ce serait un système semblable; il serait axé sur l'emploi.
Le troisième et dernier niveau, celui du revenu de base, serait un système consistant à offrir un soutien du revenu décent aux Canadiens dont on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils travaillent pour gagner leur vie. La plupart de ces personnes ont de lourds handicaps. Environ la moitié des assistés sociaux actuels sont des personnes handicapées qui recourent à l'aide sociale parce que c'est pour elles la seule façon d'obtenir un revenu de base et de recevoir le soutien dont elles ont besoin pour survivre au quotidien. Le fait que la moitié des prestataires d'aide sociale sont des personnes handicapées est révoltant. Nous instaurerions un nouveau système de soutien du revenu pour ces personnes.
On peut également penser aux travailleurs d'âge mûr qui ont perdu leur emploi. Leur entreprise a peut-être fait la culbute et il n'est plus possible pour eux de se recycler complètement pour réintégrer le marché du travail. Ce programme aiderait ces personnes qui ont grand besoin d'aide.
Je reviendrai au troisième niveau dans une minute, car nous faisons maintenant un calcul plus détaillé des coûts des différents modèles et des différentes options.
Veuillez enfin passer au dernier transparent. Il s'agit d'une tentative de se ressaisir, de discuter du système du revenu à trois niveaux et de la possibilité de l'harmoniser avec d'autres programmes et services importants.
Le premier niveau est le soutien à court terme pour les adultes aptes au travail qui sont sans emploi. Il s'agit en l'occurrence d'un système d'assurance-emploi et du nouveau programme de revenu temporaire. Ce sont des programmes de soutien du revenu pour les chômeurs temporaires qui sont activement à la recherche d'un emploi.
Dans notre architecture, il s'agirait de programmes fédéraux. L'assurance-emploi est un programme fédéral. Le nouveau programme de revenu temporaire serait, à notre avis, un programme fédéral également. Ce n'est pas impératif. Les provinces pourraient s'en charger, si elles le voulaient. Nous préférerions toutefois que ce soit un programme fédéral, et j'en expliquerai les raisons dans quelques instants.
Le deuxième niveau est le soutien à moyen terme pour les chômeurs adultes aptes au travail. Nous avons appelé ce niveau celui de la « préparation à l'emploi ». Ce serait la nouvelle forme d'aide sociale et il s'agirait d'un programme provincial-territorial. Il s'agit d'un soutien intensif ayant pour objet de permettre aux chômeurs de longue date de se passer de l'aide sociale et de réintégrer le marché du travail.
Enfin, le troisième niveau est le soutien à long terme pour les adultes normalement inaptes à trouver un emploi. Il s'agit d'un programme de revenu de base que nous considérons comme une responsabilité fédérale.
Au sommet du graphique, l'accent mis sur le soutien pour les petits salariés représente un autre volet des prestations pour adultes qu'il est également important d'examiner. Cela inclut des salaires minimums qui sont à la fois des programmes provinciaux-territoriaux et fédéraux, une législation sur les normes d'emploi, des crédits d'impôt et des suppléments du revenu.
Plusieurs provinces ont différents suppléments de salaire pour les petits salariés. Le Québec a un programme semblable depuis 20 ans; la Saskatchewan a un programme récent et l'Alberta, la Colombie-Britannique et le Nouveau- Brunswick en ont un également.
Dans le budget 2007, le gouvernement fédéral a présenté la Prestation fiscale pour le revenu gagné, ou PFRG, qui est le supplément fédéral de salaire pour les petits salariés canadiens. C'est aussi un volet important des prestations pour adultes.
Sur la droite du graphique, vous pouvez voir d'autres aspects de prestations importantes pour adultes. Elles incluent la Prestation fiscale canadienne pour enfants du gouvernement fédéral, les prestations pour enfants provinciales et deux nouvelles prestations fédérales pour enfants, la Prestation universelle pour la garde d'enfants et le crédit d'impôt pour enfants, non remboursable.
Il y aurait également des prestations pour soins de santé supplémentaires, des prestations d'invalidité et d'autres types de soutien, actuellement accessibles aux assistés sociaux, mais pas aux petits salariés. On instaurerait également un Fonds social d'urgence que nous envisageons comme un programme provincial-territorial. Il apporterait de l'aide d'urgence aux personnes dans le besoin, comme le fait actuellement l'aide sociale. Il accorderait par exemple une aide d'urgence en cas d'effondrement d'un toit ou dans d'autres circonstances semblables.
Nous examinons un modèle d'architecture comprenant un assez grand nombre d'éléments. Cependant, les piliers de ce système seraient les trois niveaux en question : assistance-emploi, soutien à court, à moyen et à long terme.
Nous nous appliquons à étoffer la conception du niveau du revenu de base en y ajoutant des éléments plus concrets. Nous proposerons que le gouvernement fédéral crée un nouveau programme, très semblable au Supplément de revenu garanti pour les personnes âgées, qui soit axé sur le revenu. Nous l'appellerons revenu de base. Ce programme serait destiné aux personnes ayant de lourds handicaps, qui dépendent actuellement de l'aide sociale. La moitié de l'aide sociale provinciale serait remplacée par ce nouveau programme administré par le gouvernement fédéral.
La Prestation fiscale pour invalidité serait également modifiée. C'est actuellement une prestation fiscale fédérale non remboursable. Elle deviendrait remboursable pour permettre à tous les Canadiens lourdement handicapés d'obtenir également le soutien de la Prestation fiscale pour invalidité, même s'ils ont un très faible revenu. En effet, il y aurait un programme fédéral de prestations de base pour les personnes ayant une invalidité de longue durée.
Le programme de revenu de base que nous proposons permettrait aux provinces et aux territoires d'avoir beaucoup plus d'argent à leur disposition. Ils ne devraient plus payer pour les programmes destinés aux personnes ayant des invalidités de longue durée. Nous proposons qu'en contrepartie, les provinces et les territoires réinvestissent leurs économies dans des soutiens et des services aux personnes handicapées.
C'est un domaine qui relève de la compétence provinciale-territoriale. Il n'existe pas de système décent. Les systèmes diffèrent d'une région du Canada à l'autre. Quand on consulte les personnes handicapées et les organisations qui les défendent, outre la nécessité d'un système de revenu décent, la seule autre chose sur laquelle elles insistent est qu'elles ont besoin de soutien pour la vie au quotidien, afin de leur permettre de faire des études et d'avoir un emploi. Selon le régime que nous préconisons, les provinces auraient beaucoup d'argent à leur disposition du fait qu'elles ne devraient plus fournir un soutien du revenu aux personnes handicapées. Elles réinvestiraient ces fonds dans l'édification d'un système plus efficace de mesures de soutien aux personnes handicapées.
Ce mécanisme de réinvestissement d'un palier de gouvernement à un autre est ce qu'on a fait avec la Prestation nationale pour enfants. Le gouvernement fédéral a augmenté la Prestation fiscale canadienne pour enfants et les provinces et territoires ont pu réduire le montant des prestations pour enfants qu'ils versaient par le biais de l'aide sociale pour autant qu'ils réinvestissent les économies ainsi réalisées dans d'autres programmes et services pour les familles à faible revenu avec enfants. Ce mécanisme s'est avéré efficace au cours des dix dernières années dans le contexte de la réforme des prestations pour enfants. Nous espérons qu'il serait également efficace dans la réforme des prestations destinées aux adultes.
J'ai un dernier commentaire à faire au sujet de la question de compétence. Le nouveau programme fédéral de revenu temporaire que nous proposons réduirait en outre les coûts pour les provinces qui fournissent actuellement un soutien du revenu par le biais de l'aide sociale à des personnes qui, d'après nous, devraient être couvertes par un programme fédéral différent. Cela exigerait une architecture dans laquelle des changements à un niveau du système permettraient d'en apporter à un autre niveau. C'est le type de réforme fédérale-provinciale-territoriale qui est essentielle au Canada. Comme vous le savez certainement, la pauvreté, les bas salaires et le chômage sont des problèmes qui ne respectent pas les limites de compétence. Ils franchissent les limites de compétence des différents paliers de gouvernement.
L'architecture que nous proposons vise à établir une répartition plus raisonnable du travail entre les deux paliers de gouvernement. En effet, par le biais du nouveau programme de revenu temporaire et du programme de revenu de base, le gouvernement fédéral assumerait un rôle plus important qu'à l'heure actuelle dans le domaine de la sécurité du revenu. Il est actuellement l'associé principal dans les programmes de revenu. Dans le contexte du système que nous proposons, il jouerait toutefois un rôle encore plus important, car il en a la capacité financière. Les provinces et les territoires disposeraient de ressources plus importantes pour fournir des services qui relèvent de leur compétence. C'est une division plus rationnelle du travail entre les deux principaux paliers de gouvernement. Nous pensons que ça nous permettrait d'avoir un système décent.
Aucun système comme tel n'est en place à l'heure actuelle. Il y a bien l'assurance-emploi et l'aide sociale. Ce sont l'un et l'autre de vastes programmes coûteux qui ne sont pas harmonisés. Dans la langue des bureaucrates, ils ne communiquent pas entre eux. Ils sont seulement parallèles. Si elles ont un peu de chance, certaines personnes sont couvertes par un programme et d'autres par l'autre. Il n'existe pas de système adéquat de soutien du revenu et de services aux Canadiens d'âge actif. C'est ce que nous proposons.
Après tous ces commentaires, je suis enfin prêt à répondre à vos questions. Je vous recommande encore d'examiner le document que j'ai mentionné; je n'ai pu en faire qu'un très bref survol. Ce document contient des informations beaucoup plus détaillées et il est très bien écrit. Il est destiné au grand public.
Nous apprécierions toute suggestion. Si vous avez des idées dont nous n'avons pas le temps de discuter aujourd'hui, faites-le-moi savoir au Caledon Institute, car nous espérons recevoir des commentaires sur nos suggestions. Nous savons que celles-ci ne sont pas encore parfaitement au point. Elles nécessitent beaucoup de travail supplémentaire, mais ce ne sera possible que si nous obtenons des réactions.
Le sénateur Mercer : Monsieur Battle, merci d'avoir accepté notre invitation. C'était très intéressant. Ça représente beaucoup d'informations. Les 40 minutes qu'il reste ne seront pas suffisantes, mais j'ai essayé d'élaguer mes questions.
Le gouvernement actuel propose d'établir une société d'État indépendante pour le programme d'assurance-emploi. J'aimerais avoir votre opinion. Pensez-vous que ça aiderait les adultes qui vivent dans la pauvreté? Certaines personnes se demandent s'il existe réellement un excédent de l'assurance-emploi. Dans ce cas, devrait-il être versé au Trésor ou être conservé à part?
La deuxième question importante concerne votre suggestion de supprimer les différences régionales en matière d'assurance-emploi. Combien cela coûterait-il et comment la financerions-nous? Cela ferait-il baisser le montant des prestations pour les habitants de l'Est du Canada qui sont les principaux bénéficiaires de l'assurance-emploi? Je suis originaire de Nouvelle-Écosse et, par conséquent, cette question m'intéresse tout particulièrement.
Enfin, le système que vous proposez est-il à fort coefficient de main-d'œuvre, à savoir qu'il nécessiterait un grand nombre de travailleurs sociaux et d'agents de traitement des cas pour la gestion des dossiers des personnes que nous voudrions aider?
M. Battle : Ce sont trois questions difficiles mais pertinentes.
Je ne peux pas encore faire de commentaires sur la proposition qui se trouve dans le budget. Nous l'examinons, mais nous n'avons pas eu l'occasion de nous en faire une opinion. Elle nous paraît prometteuse, mais je ne l'ai pas mentionnée dans l'exposé. Dans nos suggestions pour la réforme de l'assurance-emploi, nous avons recommandé qu'elle devienne un véritable fonds d'assurance sociale pour pouvoir y trouver l'argent nécessaire, plutôt que de la financer par le biais des recettes générales.
On peut dire que l'excédent de l'assurance-emploi nous a aidés à juguler le déficit, mais nous estimons que, puisqu'il s'agit d'un programme permanent, il devrait être associé à un fonds identifiable spécifique. Je pense que c'est le but de la proposition faite dans le budget. En ce sens, nous la voyons d'un œil favorable. Je ne suis toutefois pas encore en mesure de faire des commentaires sur les aspects très précis de la proposition budgétaire.
En ce qui concerne la question de l'assurance-emploi régionale, je suis entièrement d'accord avec vous. L'assurance- emploi a toujours été une question embarrassante sur le plan politique. Toute proposition de réforme du système se heurte invariablement à une vive opposition de la part de certaines personnes. Nous pourrions nous débarrasser du volet régional du système d'assurance-emploi. Le nouveau programme de revenu temporaire que j'ai mentionné tout à l'heure serait plus efficace, surtout si l'on estime qu'il faut faire des distinctions entre les différentes régions de chômage. Quant à savoir si un chômeur canadien vivant dans une région à taux de chômage élevé mérite davantage d'aide qu'un chômeur d'une région à faible taux de chômage, c'est discutable. Il s'agit là d'une discussion au niveau des principes. Faudrait-il établir différents niveaux de prestations de chômage pour les différentes régions d'emploi malgré qu'un chômeur reste un chômeur?
Si on décidait de maintenir ce type de système parce qu'il avantagera certaines personnes par comparaison avec d'autres — et c'est inévitable dans le contexte du système actuel —, nous estimons qu'il serait préférable de rattacher cette différence au volet revenu temporaire du programme plutôt qu'au volet assurance-emploi. Nous voulons que le programme d'assurance-emploi demeure surtout un programme d'assurance. C'est un objectif qui a du mérite. Il rend le programme plus légitime et plus durable sur le plan politique. Je ne pense pas que le principe qui consiste à établir différentes régions de chômage qui influent sur l'admissibilité et sur la durée des prestations soit particulièrement sain en matière d'assurance sociale. Cet aspect pourrait être intégré au programme de revenu temporaire.
Le programme de revenu temporaire serait un programme axé sur le revenu. Il serait donc possible que l'on fasse à l'intérieur de ce programme des distinctions selon la province ou le territoire concernés.
À ce propos, la Prestation fiscale pour le revenu gagné que j'ai déjà mentionnée, qui est une nouvelle prestation importante destinée aux adultes, laisse aux provinces et territoires une certaine latitude de modifier la conception de ce programme. Au cours de la première année de la PFRG, le Québec, la Colombie-Britannique et le Nunavut ont accepté l'offre fédérale, mais ont adopté une conception différente de celle des autres provinces pour leurs petits salariés. Je le signale parce qu'on pourrait adopter le même principe en ce qui concerne le programme de revenu temporaire. Ce programme pourrait avoir une conception différente d'une province à l'autre, bien qu'il serait préférable que ce soit un programme fédéral.
La question sur le fort coefficient de main-d'œuvre est excellente. Pour être honnête avec vous, nous n'avons pas examiné de près cet aspect. Ce sera toutefois essentiel pour élaborer cette architecture.
Les programmes du premier niveau, l'assurance-emploi et le programme de revenu temporaire que nous proposons sont relativement faciles à administrer. Les frais généraux administratifs sont peu élevés. L'efficacité du soutien à moyen terme pour les adultes aptes au travail qui remplacerait l'aide sociale serait assujettie à deux conditions. Il faudrait en premier lieu que les travailleurs sociaux qui consacrent actuellement beaucoup de temps à surveiller les assistés sociaux pour s'assurer qu'ils n'enfreignent pas les règles sciemment consacrent beaucoup moins de temps à cette activité parce que la structure des prestations serait simplifiée. Par conséquent, ils pourraient consacrer plus de temps à la planification essentielle des perspectives d'emploi et de formation. Il serait toutefois nécessaire de recruter un plus grand nombre d'agents de traitement des cas pour que ce système individuel soit efficace, et ça entraînerait des coûts supplémentaires. Ces coûts dépendraient de la façon dont le programme a été conçu dans chaque province.
Le troisième niveau que j'ai mentionné, celui du revenu de base, s'adresserait principalement aux personnes atteintes de lourds handicaps. Son administration serait beaucoup moins coûteuse que celle du système actuel, dans le cadre duquel ces personnes reçoivent leurs prestations par le biais de l'aide sociale, car il s'agirait d'un programme axé sur le revenu comme le Supplément de revenu garanti. Son administration serait peu coûteuse.
Vous voyez juste : certains volets de l'architecture nécessiteraient de plus grosses dépenses alors que d'autres en exigeraient moins.
Le sénateur Mercer : Vous avez dit que vous estimiez que l'excédent de l'assurance-emploi ne devrait pas être versé au Trésor.
M. Battle : Je pense en effet que cet excédent devrait être dans un fonds spécifique à l'assurance-emploi.
Le sénateur Mercer : Voici ma dernière question : que se passe-t-il lorsque la conjoncture économique s'y prête mieux, lorsque la demande est plus forte et que le programme est déficitaire? Si les fonds sont bloqués dans le programme proprement dit et que celui-ci est censé s'autofinancer, que faudrait-il faire alors?
M. Battle : Je ne suis pas actuaire, mais j'aurais tendance à croire qu'il faudrait un système d'ajustement actuariel intégré pour que, sur deux ou trois ans, il y ait assez...
Le sénateur Mercer : On augmenterait les primes.
M. Battle : C'est cela : il faudrait rajuster les primes.
Le sénateur Mercer : C'est facile à faire passer sur le plan politique.
M. Battle : N'oubliez pas que les primes d'assurance-emploi sont extrêmement modiques au Canada par comparaison avec d'autres pays. Elles sont très peu élevées. Il faudrait un fonds de prévoyance suffisant pour être capable d'administrer le système de cette façon. En période de chômage aigu, je présume qu'il faudrait augmenter le montant des primes ou aller puiser dans les recettes générales.
Nos primes ne sont pas une taxe lourde; c'est à peu près la plus légère de toutes nos taxes. Les primes diminuent chaque année depuis probablement une douzaine d'années.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Battle, vous travaillez depuis longtemps sur ces questions. Nous apprécions vos commentaires.
Je voudrais d'abord vous poser une question sur le Régime de pensions du Canada. Il y a actuellement environ 26 000 Canadiens qui devraient recevoir une pension de vieillesse. Nous avons leur nom et leur adresse. Ils ont versé des cotisations au Régime de pensions du Canada et, par conséquent, ils y sont admissibles. Cependant, ces personnes ne reçoivent pas leur pension de vieillesse parce qu'elles ignorent qu'elles doivent remplir une demande ou pour d'autres raisons.
La situation est différente au Québec. Je pense que le nombre de personnes admissibles au Régime de rentes du Québec et qui ne touchent pas leur pension est presque nul.
Estimez-vous que le gouvernement fédéral devrait être plus proactif et inciter ces 26 000 personnes âgées ou plus à présenter une demande au Régime de pensions du Canada?
Ma deuxième question porte sur la rétroactivité. La période de rétroactivité est d'environ un an. Au Québec, elle est de cinq ans, bien que nous payions à peu près la même prime. Pensez-vous que le gouvernement fédéral devrait allonger cette période de rétroactivité? Votre institut a-t-il fait des études à ce sujet, incluant les coûts?
M. Battle : Non. Pour que tout soit bien clair, votre question concerne-t-elle les personnes qui ont versé leur contribution au Régime de pensions du Canada et qui ne touchent pas les prestations? Nous ne parlons pas de la Sécurité de la vieillesse.
Le sénateur Callbeck : Non, pas du tout.
M. Battle : Je n'étais pas au courant de ces 26 000 cas. C'est la première fois que j'en entends parler et je dois avouer que je suis étonné.
Lorsqu'il s'agit de programmes axés sur le revenu comme le crédit pour TPS, la Prestation fiscale canadienne pour enfants et certains autres programmes provinciaux, il se pose parfois des problèmes d'inscription, parce que, pour une raison ou pour une autre, des personnes admissibles ne sont pas au courant du programme et ne reçoivent pas la prestation.
Je suis étonné que ça se produise dans le contexte d'un programme d'assurance sociale comme le Régime de pensions du Canada. D'une part, on fait parvenir chaque année un relevé des contributions versées. Je ne comprends donc pas d'où vient ce chiffre de 26 000. Je trouve ça terrible et étonnant.
Le sénateur Callbeck : Ce chiffre a été cité à différents endroits. En fait, le comité des finances a tenu des audiences sur cette question. Les hauts fonctionnaires étaient là et l'ont confirmé.
M. Battle : S'agit-il bien du RPC et non du SRG? Un problème a été soulevé au sujet de l'admissibilité au SRG.
Le sénateur Callbeck : Non, il s'agit du RPC.
M. Battle : Je présume que c'est un problème qui devrait être corrigé. Je suis désolé de ne pas pouvoir donner une réponse précise.
Le sénateur Callbeck : Je voudrais un éclaircissement. Le deuxième graphique de votre exposé est intitulé « Pourcentage de chômeurs recevant des prestations régulières d'assurance-emploi, par province, 2006 ». Le pourcentage indiqué pour Terre-Neuve est de 100,5 p. 100. Cependant, en ce qui concerne les villes, il n'est que de 51,4 p. 100 pour St. John's, par exemple.
M. Battle : C'est dû à deux facteurs. On a toujours de la difficulté à faire des calculs comme ceux-ci du fait que l'assurance-emploi est un programme extrêmement complexe. C'est la raison pour laquelle on obtient ce type de résultats.
Je ne vois que deux explications à cela. L'une concerne la nature de la main-d'œuvre dans les différentes régions du pays, dans les différentes villes et les différentes provinces. Cela dépend en partie de la population active. Le pourcentage de chômeurs peut être plus élevé dans les groupes qui ne répondent pas aux conditions d'admissibilité. Par exemple, il est possible que le pourcentage de personnes comme les immigrants récents ou les nouveaux venus sur le marché du travail ou les personnes occupant des emplois atypiques soit plus élevé. Il faut en outre tenir compte des différences au niveau des taux de chômage, car l'admissibilité à l'assurance-emploi et la durée des prestations différeront d'une région de chômage à l'autre. On obtient ce type de résultats quand les taux de chômage sont très élevés, comme dans certaines régions de Terre-Neuve où les chômeurs auront plus de facilité à être admissibles à l'assurance-emploi. Dans certaines régions de la province, comme à St. John's, le taux de chômage est plus bas, ce qui explique qu'on y soit plus difficilement admissible.
L'autre facteur est tout simplement lié aux différences que l'on trouve dans la composition de la population active.
Je suis désolé pour cette réponse. C'est une question complexe, mais c'est tout ce que je peux trouver comme explication à ces résultats.
Le sénateur Callbeck : En ce qui concerne le deuxième niveau, vous expliquez qu'il remplacerait essentiellement l'aide sociale et, pourtant, il s'agirait d'un montant forfaitaire. Sous un tel régime, est-ce qu'un célibataire recevrait le même montant qu'une autre personne qui a cinq enfants?
Comme vous le savez, le montant des prestations d'aide sociale est d'autant plus élevé que l'est le nombre d'enfants. Quand on vit dans une zone urbaine et qu'on paie 600 $ par mois de loyer, on reçoit davantage qu'un prestataire qui vit à la campagne, pour qui le loyer ne coûte que 400 $. Où trouve-t-on cet argent supplémentaire?
M. Battle : C'est une excellente question.
Il est difficile de simplifier l'aide sociale. C'est un objectif très louable, mais c'est difficile. Certaines provinces — et la Saskatchewan est le chef de file dans ce domaine — simplifient leur régime d'aide sociale de nombreuses façons, ce qui nous amène à préconiser un système plus général : nous aimerions un seul paiement de revenu. On pourrait peut-être le faire varier légèrement, mais il serait probablement le même pour chaque adulte. Ce qui serait versé pour les enfants viendrait de la Prestation fiscale canadienne pour enfants. L'objectif de la réforme de la Prestation nationale pour enfants était précisément de soustraire les prestations pour enfants à l'aide sociale pour qu'elles relèvent du système de la Prestation fiscale canadienne pour enfants du gouvernement fédéral. Une autre façon d'exposer la situation est que l'architecture de prestations destinées aux adultes que nous envisageons repose sur un système de prestations pour enfants décentes, car nous ne voulons pas donner de l'aide au revenu pour les enfants par le biais du système de l'aide sociale. C'est ce qui crée le piège de l'aide sociale : quand on est petit salarié, on obtient en fin de compte moins d'aide financière pour ses enfants que lorsqu'on est assisté social. Une prestation pour enfants décente — la prestation maximale de 5 000 $ que nous recommandons — remplacerait largement la prestation qui était versée par le biais de l'aide sociale. Elle serait maintenant versée par le biais de la Prestation fiscale canadienne pour enfants du gouvernement fédéral.
Le coût du logement est une question complexe. Une allocation de logement variable serait, naturellement, toujours nécessaire. On ne peut pas verser une allocation de logement d'un montant forfaitaire, car le coût du logement diffère d'une région à l'autre.
On pourrait cependant établir une prestation pour adultes unique, pour autant que le montant de la prestation pour enfants soit décent. C'est notre objectif. Nous voulons créer un système beaucoup plus simple. C'est déjà le cas en Saskatchewan.
La Saskatchewan a également un supplément de salaire ayant pour objet d'apporter une aide au revenu aux petits salariés qui font leur entrée dans le système de préparation à l'emploi ou en sortent.
C'est difficile, mais pas impossible. Je pense qu'on peut simplifier le système d'aide sociale.
Le sénateur Callbeck : En ce qui concerne le logement, vous signalez qu'il serait nécessaire de prévoir un supplément au deuxième niveau. Est-ce que les prestations pour soins dentaires seraient les mêmes?
M. Battle : Ce ne serait plus fourni au deuxième niveau. C'est en fait indiqué sur le dernier graphique que j'ai fait distribuer.
Le sénateur Callbeck : Qui se chargera de ces prestations?
M. Battle : Cela relève des prestations de maladie, des prestations d'invalidité et d'autres soutiens et services. Ce programme ne ferait pas partie de l'aide sociale et serait offert par les provinces à tous les petits salariés ou aux bénéficiaires d'un soutien du revenu.
Nous nous appliquons à élaguer le plus possible l'assistance sociale pour qu'elle soit fournie en dehors du système d'aide sociale, dans le contexte d'un programme distinct qui ne fait aucune discrimination contre les petits salariés.
Le sénateur Callbeck : La personne devra s'adresser à deux services alors que, présentement, elle ne s'adresse qu'à un seul.
M. Battle : Ces personnes sont actuellement prises au piège dans un système, appelé l'aide sociale, qui les traite comme des criminels ou comme des enfants. D'après notre proposition, ces personnes feraient une demande de prestations venant d'un programme différent. Ce serait notamment le rôle de l'agent du programme de perspectives d'emploi et de formation de s'assurer que la personne concernée ait accès aux prestations auxquelles elle est admissible.
Je rappelle que la Saskatchewan procède à ce type de changement. Je reconnais que ce n'est pas facile, mais c'est possible.
Le sénateur Peterson : Je présume que dans le contexte de cette nouvelle architecture, vous voulez créer un système entièrement nouveau, qui ne viendrait pas se greffer à des programmes existants, formant ainsi un ensemble de mesures disparates. Si c'est le cas, est-ce que, dans le contexte du soutien du revenu, les agriculteurs y seraient inclus et admissibles?
M. Battle : Oui.
Le sénateur Peterson : Ça ressemble à la mise en place d'un système de revenu annuel garanti. N'y aurait-il pas une façon de procéder plus simple, car je pense qu'il serait difficile de scinder tous ces programmes? Je pense qu'il pourrait y avoir une façon plus directe et plus facile de procéder. Qu'en pensez-vous?
M. Battle : Le revenu garanti est un concept qui revient à la mode régulièrement. Il a été en vogue puis a été abandonné à plusieurs reprises au cours de ma carrière. Nous ne sommes pas totalement dédaigneux du revenu garanti, mais qu'entend-on par là? La question est notamment de savoir en quoi consisterait un revenu garanti.
Nous pensons qu'il existe déjà un revenu garanti au Canada, mais qu'il n'est pas fourni par le biais d'un seul grand programme. Il l'est par l'intermédiaire de plusieurs programmes. Certains volets du revenu garanti sont plus adéquats que d'autres. Nous avons un revenu garanti pour les enfants, la Prestation fiscale canadienne pour enfants. C'est la raison pour laquelle nous militons pour que le montant de la prestation soit porté à 5 000 $ par enfant pour une famille à faible revenu, car c'est à peu près ce que ça coûte d'élever un enfant dans ce type de famille.
Il s'agit d'un programme de revenu garanti. Il est assuré par le biais d'un impôt négatif, par le biais du régime fédéral d'impôt sur le revenu, qui est le même type d'impôt négatif que celui qui avait été suggéré par Milton Friedman, l'économiste conservateur américain à qui l'on doit le concept du revenu garanti.
Nous avons déjà un revenu garanti pour les enfants. Il n'est pas suffisant; en outre, en y ajoutant de nouveaux programmes, à savoir la Prestation universelle pour la garde d'enfants et le crédit d'impôt pour enfants non remboursable, on a reculé d'un pas.
Il existe un revenu garanti pour les personnes âgées, à savoir la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti; en outre, environ la moitié des provinces et territoires accordent des suppléments.
Un revenu garanti est en place également pour les chômeurs. Il s'agit de l'assurance emploi, si on y est admissible, sinon, c'est l'aide sociale. La plupart des gens estiment que c'est un revenu garanti insuffisant.
Ce que je veux dire, c'est qu'il est plus utile de considérer le revenu garanti comme un objectif que comme un moyen. L'objectif est de procurer un revenu de base décent aux Canadiens qui sont inaptes au travail ou qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont pas un revenu suffisant. C'est déjà le cas. Le système n'est pas assez efficace et cette architecture est en fait une tentative de l'améliorer en ce qui concerne les adultes en âge de travailler. Il existe déjà un système de revenu garanti, mais il doit être amélioré.
Pour en revenir à votre première question, si nous voulions nous débarrasser de tout ce qui est indiqué sur mon graphique et instaurer un programme unique appelé « revenu garanti » dans le but de répondre à tous les besoins de tous les chômeurs ou de tous les petits salariés, je pense que ce serait impossible. Nous réinventerions en fin de compte un système semblable à celui-ci, car les besoins diffèrent d'une personne à l'autre.
Il est utile de considérer le revenu garanti comme un but à atteindre. La question est de savoir comment.
Le sénateur Peterson : Je suis d'accord avec vous. Nous procédons peut-être de cette façon, mais nous n'osons pas l'appeler ainsi. C'est très inefficace. On dépense des millions de dollars rien que pour essayer d'y arriver.
M. Battle : Le Canada est un chef de file en matière de recours au régime fiscal pour verser des prestations, et nous pouvons en être fiers. Le système fiscal est le mécanisme qui nous permettra de nous rapprocher de l'objectif d'un revenu garanti. Nous avons un régime fiscal qui touche pratiquement tous les Canadiens, et c'est une façon de verser des prestations.
Le sénateur Gustafson : Votre institut est-il subventionné par le gouvernement?
M. Battle : Non. Nous sommes principalement financés par une fondation familiale. Nous obtenons de temps en temps des contrats du gouvernement, mais la plupart des fonds que nous recevons sont privés. Nous sommes une organisation à but non lucratif, mais nous sommes indépendants du gouvernement, Dieu merci.
Le sénateur Gustafson : Si un travailleur touche des prestations d'assurance-emploi et que quelqu'un lui propose un petit emploi pour une semaine, il refuse car ses prestations seraient alors suspendues; par conséquent, le travail ne se fait pas; ça n'aide pas ce travailleur et ce n'est pas intéressant non plus pour le contribuable. Que peut-on faire pour remédier à cela ou est-ce un problème impossible à régler?
M. Battle : Demandez-vous si des emplois de courte durée sont impossibles? Est-ce ce que vous voulez savoir ou est- ce le fait que l'assurance-emploi ne couvre pas les emplois à temps partiel?
Le sénateur Gustafson : Non, j'explique que la personne concernée touche des prestations d'assurance-emploi. Prenons l'exemple d'un agriculteur qui a besoin d'aide pour une semaine. Si ce prestataire va travailler pour l'agriculteur, il perd ses prestations. Cela ne l'aide pas, ça n'aide pas le Trésor et ça n'aide pas non plus l'agriculteur qui veut l'engager.
M. Battle : Dans notre architecture, nous essaierions de mieux répondre à ce besoin par le biais du programme de revenu temporaire que nous préconisons.
Vous évoquez la difficulté associée à un programme d'assurance qui n'a jamais été conçu pour des personnes qui travaillent par intermittence. Il a été conçu pour des personnes qui sont temporairement au chômage. Si elles obtiennent un emploi, elles font de nouveau partie de la population active, un point c'est tout. Cependant, il y a une main-d'œuvre occasionnelle, et de nombreuses personnes sont dans la situation que vous décrivez. Je ne pense pas qu'un programme d'assurance sociale comme l'assurance-emploi, même s'il faisait l'objet d'une réforme, puisse répondre adéquatement à leurs besoins. Par conséquent, le programme de revenu temporaire que nous préconisons serait nécessaire. Il pourrait combler cette lacune en ce qui concerne ce type de personne.
Le sénateur Gustafson : Je reviens à une question qui a été abordée par le sénateur Peterson, à savoir l'assurance- emploi pour les agriculteurs. Nos agriculteurs n'ont jamais très bien compris pourquoi les pêcheurs de l'est du pays touchent des prestations d'assurance-emploi alors qu'eux n'y ont pas droit. Je trouve que c'est une observation intéressante.
M. Battle : Certains groupes, comme les agriculteurs et les pêcheurs, se trouvent manifestement dans une situation particulière et ont des besoins particuliers dont on voudrait tenir compte. Je ne dis pas que c'est la solution à tout. Il faudrait faire quelques accommodements.
Le sénateur Gustafson : Il y a actuellement beaucoup de travail contractuel. Au lieu d'engager des employés comme tels, les entreprises donnent le travail en sous-traitance. Une personne a la possibilité de prendre son camion et de faire un travail quelconque, et ça semble fonctionner très bien.
Les PME nord-américaines créent environ 70 p. 100 des emplois, mais le nombre de travailleurs faisant partie de la classe moyenne diminue. Les riches s'enrichissent davantage et la classe moyenne disparaît. Il sera nécessaire d'instaurer un programme qui enrayera ce processus.
M. Battle : Je suis entièrement d'accord avec vous. C'est très difficile.
J'ai oublié de mentionner les travailleurs autonomes, qui ne sont pas admissibles à l'assurance-emploi. Que faire en ce qui les concerne? C'est un autre groupe.
J'ai mentionné la Prestation fiscale pour le revenu gagné qui a été mise en place l'année dernière et qui est un programme fédéral. Bien que ce soit insuffisant, on commence toujours par mettre en place un programme qu'on étoffe avec le temps, s'il est efficace. Elle peut aider beaucoup de personnes qui travaillent à contrat ou de façon occasionnelle, selon leur revenu. Cette prestation complète leur revenu. Elle peut aider de nombreuses personnes à garder un pied sur le marché du travail, ce qui est extrêmement important.
J'aime beaucoup la Prestation fiscale pour le revenu gagné. Plusieurs provinces ont une version qui leur est propre. Quand cette prestation sera mieux connue et prendra de l'ampleur, avec des prestations d'un montant plus important, ce sera au moins un pas en avant pour aider les petits salariés qui ne sont pas admissibles aux diverses prestations offertes dans les « bons emplois » traditionnels.
Le sénateur Gustafson : Je suis certain que tous les membres de cette assistance sont en faveur d'aider les personnes qui n'arrivent pas à s'en sortir, et même beaucoup plus que dans le cadre des programmes actuels. Cependant, dans le contexte actuel, on a de la difficulté à trouver un plombier, un électricien, un charpentier ou un nettoyeur de tapis. Il y a beaucoup de débouchés dans ces domaines. Ces travailleurs sont très bien rémunérés, du moins dans cette région du monde, mais nos jeunes ne veulent pas de ces emplois. On leur dit que la solution est l'éducation, mais quand ils ont de l'instruction, ils veulent un emploi de col blanc. Ce qu'on produit dans notre pays exige parfois quelques efforts.
J'aimerais entendre vos observations. Y avez-vous réfléchi?
M. Battle : Les économistes examinent la question du point de vue que nous avons privilégié et estiment que la pénurie de main-d'œuvre est en fait un avantage surtout pour les petits salariés au chômage qui sont visés dans l'architecture que nous proposons, dans la mesure où la demande de main-d'œuvre est forte. On aurait tendance à penser que ça augmenterait l'offre d'emplois moins spécialisés pour le type de personnes que nous voulons aider.
Ça ne règle pas le problème des pénuries de main-d'œuvre et ça n'exclut pas le besoin d'élèves dans les collèges communautaires, par exemple. La diminution du taux de chômage est bonne pour notre architecture, car les personnes que nous visons ne sont pas celles qui ont les emplois les plus spécialisés. Ce sont des personnes qui cherchent un emploi. Cela pourrait être intéressant. Je ne pense pas que les pénuries de main-d'œuvre soient une bonne chose mais pour ces personnes, ce serait préférable au chômage massif, contexte dans lequel ce sont les plus démunis qui ont le plus de difficulté à trouver du travail.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez fait des commentaires sur la répression dans le contexte de l'aide sociale. Quel pourcentage de Canadiens abusent du système d'aide sociale?
M. Battle : Je ne peux pas donner de réponse définitive. À l'époque où j'ai examiné la question, le pourcentage de personnes qui abusaient sciemment du système était très faible, d'après les études qui avaient été faites. Il était d'environ 5 ou 6 p. 100. C'est faible comparativement à d'autres programmes.
L'aide sociale est un système complexe assorti de nombreuses règles. Certaines personnes enfreignent ces règles sans même le savoir. En fait, certains travailleurs sociaux commettent des erreurs dans l'application d'une règle et, au sens strict du terme, c'est un type de fraude. C'est vrai dans les deux sens.
Je suis heureux que vous ayez posé la question, car ce problème démontre la nécessité d'un système d'assistance sociale plus transparent et plus simple que le système actuel. En raison de sa complexité, les personnes concernées ont de la difficulté à savoir non seulement quelles sont les prestations auxquelles elles ont droit, mais aussi quelles sont leurs responsabilités et leurs obligations. C'est une des raisons pour lesquelles nous estimons qu'il est essentiel de simplifier le système et de le rendre plus transparent.
Le sénateur Mahovlich : Aux États-Unis, des millions de femmes célibataires ont des enfants uniquement pour obtenir de l'aide sociale. C'est un gros problème. Leurs familles les poussent à avoir des enfants pour qu'elles soient admissibles à l'aide sociale et n'aient pas à travailler.
M. Battle : Je ne peux pas faire de commentaires sur ce qui se passe aux États-Unis. Je ne pense pas que la situation soit la même ici. C'est plutôt le contraire. Il est devenu plus difficile d'être admissible à l'aide sociale. On a abaissé l'âge des enfants pour permettre aux mères célibataires ou seules d'être admissibles, entre autres choses.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Battle. On devra vous réserver une pièce dans cet édifice si vous continuez à venir toutes les semaines. Nous sommes heureux que vous ayez accepté notre invitation.
M. Battle : Merci beaucoup.
La présidente : Vous avec fait des suggestions qui pourraient laisser leur marque. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos entreprises.
La séance est levée.