Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 12 - Témoignages du 6 mai 2008
OTTAWA, le mardi 6 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 19 h 7 pour examiner l'état actuel de l'agriculture et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir, mesdames et messieurs. Je salue également toutes les personnes qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts à la télévision. Aujourd'hui, le comité poursuit son examen de la question de la hausse des prix des intrants agricoles au Canada. Les agriculteurs canadiens ont été touchés par des hausses considérables du prix des intrants au cours des dernières années. Par exemple, l'Indice du prix des entrées dans l'agriculture de Statistique Canada indique que les prix des engrais et des carburants ont augmenté en moyenne de 7,6 p 100 et de 13,9 p. 100 par an entre 2002 et 2006.
Bien que les prix des grains soient à la hausse depuis l'année dernière, des prix d'intrants plus élevés ont eu des incidences directes sur la rentabilité des exploitations agricoles. Outre les motifs qui sont derrière cette hausse des prix des intrants, le comité portera une attention toute particulière aux prix des intrants au Canada par rapport à ceux qui sont pratiqués aux États-Unis.
Nous accueillons ce soir Mme Colleen Ross, présidente de la Section des femmes agricultrices, et M. Nigel Smith, président des jeunes agriculteurs du Syndicat national des cultivateurs. Nous sommes très heureux que vous soyez ici. Nous passerons une heure ce soir avec ce groupe de témoins, heure au cours de laquelle nous examinerons un large éventail de questions. Honorables sénateurs, je vous encourage par conséquent à faire en sorte que vos questions soient brèves afin de donner aux témoins l'occasion de donner une réponse complète et à vos collègues celle de participer aux discussions.
Colleen Ross, présidente, Section des femmes agricultrices, Syndicat national des cultivateurs : Je vous remercie pour cette occasion de témoigner ce soir. Je suis agricultrice. J'ai une exploitation agricole pas très loin au sud d'Ottawa où, avec l'aide de ma famille, j'élève du bétail et je cultive plusieurs variétés de céréales et de soja. Si vous pensez avoir dû faire un effort pour venir ici par une belle journée comme celle-ci, pour Nigel Smith et moi, qui sommes agriculteurs et administrons une exploitation agricole, ça exige vraiment beaucoup d'efforts de partir de chez soi pour rouler une heure ou deux pour se rendre à Ottawa, en pleine période de semis des céréales; nous apprécions toutefois cette occasion de prendre la parole au nom du Syndicat national des cultivateurs et, bien sûr, au nom des agriculteurs canadiens.
Comme vous le savez, au cours des 20 dernières années, les agriculteurs ont adopté de nombreuses technologies nouvelles; un grand nombre de ces technologies nous ont d'ailleurs aidés à être plus productifs. Ces technologies ne nous ont malheureusement pas enrichis en retour; en effet, l'accroissement de la production n'a pas rapporté beaucoup aux agriculteurs, car les puissants fabricants d'intrants agricoles se sont positionnés pour pomper toute la richesse que les agriculteurs produisent en adoptant ces technologies.
Nous constatons en outre les pertes encourues par les agriculteurs en raison des accords commerciaux et de la mondialisation. Par exemple, grâce à l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA, et en particulier grâce au chapitre 11, le pouvoir du gouvernement a été transféré aux multinationales agro-industrielles dominantes. Ces entreprises ont acquis une protection accrue de leurs brevets dont elles ont tiré grand profit, car cette protection a permis de prolonger la durée et d'élargir la portée des brevets sur les médicaments, les produits chimiques agricoles et les semences, ce qui a entraîné une diminution de la concurrence et une hausse des profits de ces entreprises.
Une autre conséquence importante des accords de libre-échange et de la déréglementation est l'élargissement considérable des mécanismes corporatifs en ce qui concerne le contrôle des monopoles et la création d'une bureaucratie mondiale gigantesque chargée de faire respecter les brevets des entreprises. Par exemple, en ma qualité d'agricultrice, j'ai actuellement le choix entre deux fabricants de tracteurs qui dominent le marché mondial : John Deere et New Holland. Avant l'ALENA et avant l'Organisation mondiale du commerce, ou OMC, le nombre d'intervenants sur le marché était beaucoup plus élevé. Par le biais de fusions et de prises de contrôle sans restriction, les fabricants de tracteurs et les courtiers en grains se sont restructurés pour former ce qui est devenu un duopole dans l'industrie du tracteur. Cette réduction considérable de la compétition et ce fort accroissement du pouvoir sur le marché ont été facilités et encouragés par la mondialisation et par les accords commerciaux.
Les compagnies céréalières ont fusionné pour diminuer la concurrence et posséder non seulement les intrants mais aussi vendre et faire du négoce aux deux extrémités de la chaîne de valeur. La société Cargill, par exemple, vend des semences, des produits chimiques et des engrais. Elle fabrique et vend des aliments pour bétail et possède certaines des plus grosses usines de conditionnement du grain au Canada. La filiale de transformation de la viande est connue sous le nom de Cargill Meat Solutions. La société Cargill possède des entreprises et les exploite sous plusieurs noms différents, comme le font d'autres entreprises semblables intégrées horizontalement et verticalement. Les agriculteurs ne s'en rendent même pas compte lorsqu'ils font affaire avec une entreprise ou un fabricant portant un nom différent mais qui appartient à Cargill. Cargill achète et vend des grains, des oléagineux et des cultures spéciales à l'échelle nationale et les commercialise à l'échelle mondiale.
Il y a en outre Cargill Power and Gas Markets, ou CPGM, son entreprise nord-américaine de négoce du gaz naturel qui a son siège à Calgary, en Alberta. Outre le gaz naturel, CPGM fait également le négoce de l'électricité, de dérivés météorologiques — de quelque type que ce soit —, du charbon et d'autres produits.
La concentration et la puissance des grandes entreprises sont manifestes dans le cas de Cargill, et il existe de nombreuses autres entreprises semblables.
La chaîne agroalimentaire canadienne dans laquelle les agriculteurs tentent de travailler va des entreprises pétrolières et gazières, à une extrémité, jusqu'aux épiceries et aux restaurants à l'autre extrémité, en passant par les fabricants d'engrais, de produits chimiques et de semences et par les agriculteurs.
J'aimerais signaler un document publié par le Syndicat national des cultivateurs il y a deux ans, intitulé The Farm Crisis, Bigger Farms, and the Myths of ``Competition'' and ``Efficiency.'' Il y est question de concurrence et des profits que ces entreprises, les fournisseurs d'intrants, les transformateurs et les détaillants réalisent et aussi des profits record et quasi records qui ont été faits au détriment des agriculteurs.
Tous les chaînons, à l'exception de celui des exploitations agricoles, sont dominés par de deux à dix entreprises transnationales multimillionnaires. La taille des entreprises qui dominent chaque chaînon augmente et le nombre d'entreprises diminue. Les entreprises agro-industrielles dominantes ont adopté des stratégies de croissance rapide et d'élimination tout aussi rapide de la concurrence. Ce faisant, elles ont décuplé leur puissance sur le marché avec l'approbation des gouvernements, y compris le nôtre. En outre, les accords commerciaux qui ont été passés simultanément ont accru la puissance de ces entreprises et réduit les pouvoirs des gouvernements nationaux. Tous ces événements réunis ont produit des hausses vertigineuses de la puissance et des bénéfices des entreprises.
C'est maintenant le moment pour le gouvernement de réorienter sa politique agricole et de faire d'une politique qui était axée sur les produits une politique visant à reconstruire des systèmes alimentaires locaux durables. Des études et une politique gouvernementale qui favorisent des intrants de remplacement écologiques et aident les agriculteurs à se libérer de la routine des intrants doivent être mises en place et soutenues. Des mesures encourageant les agriculteurs à créer des modèles agricoles efficaces et rentables avec une législation et une infrastructure de transformation et de vente au détail raisonnables serviront les intérêts des agriculteurs, des collectivités et des consommateurs, à l'échelle nationale.
J'aimerais signaler un rapport produit par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture qui préconise un remplacement de l'agriculture industrielle par une agriculture plus durable et mieux adaptée à son milieu. Le communiqué de l'IAASTD, l'International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development, signale que le vieux paradigme de l'agriculture industrielle à forte consommation d'énergie et toxique est un concept du passé. Pourtant, on continue d'appuyer ce modèle au Canada.
Je vous implore d'envisager la souveraineté alimentaire comme une stratégie agricole qui fera passer l'aspect humain avant les profits et qui élaborera des systèmes alimentaires assurant la justice pour tous.
La Fédération canadienne de l'agriculture a fait un commentaire aujourd'hui. Ce commentaire est semblable aux résultats de certaines études que nous avons signalées au comité et au comité permanent de la Chambre des communes au cours des dernières années. Ce commentaire explique que, bien que les prix des céréales semblent avoir battu des records de tous les temps, les agriculteurs ont eu des faibles revenus pendant des dizaines d'années parce que leurs coûts de production ont été pendant des années plus élevés que leurs revenus. Nous avons accumulé une dette considérable. Nous sommes heureux d'obtenir de très bons prix pour les céréales, mais nous constatons qu'au cours de cette campagne agricole, de 45 p. 100 à 50 p. 100 de nos revenus serviront à payer les factures pour le carburant et les engrais.
En outre, en raison de la pénurie de céréales, il y a une pénurie de semences, car les agriculteurs font de la capitalisation et retirent beaucoup de parcelles de terre, des jachères ou des pâturages de la production pour y cultiver du maïs, du blé et d'autres cultures lucratives. Il y a actuellement une forte pénurie de semences et les semences sont coûteuses cette année. Tous les gains que nous pourrions faire grâce à ces prix élevés seront, une fois de plus, mangés par les fournisseurs d'intrants.
Je m'arrêterai là pour demander à M. Smith de prendre le relais.
Nigel Smith, président, Section des jeunes agriculteurs, Syndicat national des cultivateurs : Je remercie le comité de nous avoir invités ce soir. Je suis heureux de pouvoir raconter mon histoire.
En ma qualité de jeune agriculteur, j'ai connu une grande partie des contraintes financières qui sont indissociables d'un secteur comme celui-ci, à forte intensité de capital. Il faut investir des centaines de milliers, voire des millions de dollars pour se lancer dans l'agriculture. Ce ne sont pas de petites sommes pour ceux qui ont peut-être beaucoup moins que ça à leur disposition ou qui ont même des dettes.
Je voudrais rappeler ce qui est déjà écrit dans le document qui vous a été remis : les prix des engrais et la concentration d'entreprises sur ce marché d'intrants contribuent apparemment, avec la concurrence et les marchés mondiaux, à faire monter considérablement les prix et à rendre les engrais inabordables pour certains agriculteurs.
Je pense que ça présente également des opportunités pour les cultivateurs. Mme Ross l'a mentionné. La solution pourrait être de s'efforcer d'adopter des pratiques agricoles plus durables. Nous pouvons aider les agriculteurs à devenir moins dépendants de certains intrants à coût élevé. Dans mon exploitation, le carburant diesel est le principal intrant; nous n'utilisons pas d'engrais commerciaux. Nous avons pris cette décision en partie à cause des contraintes auxquelles nous sommes soumis. Ce n'était pas faisable pour une petite exploitation agricole comme la nôtre. Nous avons pu bifurquer et trouver des marchés de créneau qui permettent de se passer d'engrais commerciaux. Les autres agriculteurs canadiens ont de bonnes possibilités d'adopter des pratiques durables plus écologiques.
Je pense que les agriculteurs peuvent s'adapter à ces difficultés et qu'ils s'y adapteront. C'est ce que font les agriculteurs depuis toujours — et ce qu'ils continueront de faire; il y a d'excellents agriculteurs au Canada. Je pense que nous avons de réelles possibilités de cultiver de façon différente, avec moins d'intrants. Une telle décision a toutefois des conséquences, comme l'éventualité de rendements moins élevés et diverses autres différences mais, le plus important, c'est la rentabilité de l'exploitation agricole.
Un autre problème qui s'ajoute à cela sur le terrain est qu'au printemps, nous faisons des investissements beaucoup plus importants dans nos cultures et que, par conséquent, les risques pendant la période des semis et des plantations sont plus élevés. Compte tenu de la volatilité actuelle des marchés, les agriculteurs ont de la difficulté à faire un budget en prévoyant les quantités d'engrais qu'ils peuvent s'acheter pour épandre sur les cultures, le type de rendement auxquels ils peuvent s'attendre et le prix qu'ils pourront obtenir.
Ça aggrave une situation qui est déjà très difficile et que certaines personnes qualifient de période de crise pour les exploitations agricoles. Ça pourrait causer de grosses difficultés, et je pense qu'il ne faut pas perdre de vue que ce sont des problèmes très graves.
J'ai fini. Nous avons utilisé les dix minutes dont nous disposions.
La présidente : Merci beaucoup. Je dois signaler qu'un de nos très appréciés membres, le sénateur Gustafson, de la Saskatchewan, est agriculteur, et un véritable agriculteur de surcroît. C'est la raison pour laquelle il n'est pas ici ce soir. Il aurait aimé venir. Il nous a encouragés à entamer cette étude particulièrement difficile sur les coûts des intrants et sur d'autres questions semblables. Il est en Saskatchewan où il travaille d'arrache-pied. Je suis certaine qu'il voudrait que je vous remercie d'être venus ce soir et d'avoir exposé votre point de vue.
Le sénateur Segal : Je vous remercie d'être venus. La période des semis est déjà assez dure, cela dépend du climat et des conditions atmosphériques. Nous apprécions le fait que vous ayez quitté votre ferme pour nous aider à planter quelques graines constructives, et j'espère que nous pourrons tirer profit de votre avis.
Madame Ross, la note à laquelle vous avez fait référence et les problèmes que vous avez signalés portent principalement sur le fait que les grosses entreprises font des profits colossaux alors que l'agriculteur moyen a de la difficulté à joindre les deux bouts. Quelle serait la solution à ce problème? La situation serait-elle meilleure, à votre sens, si les entreprises qui fournissent des intrants coûteux et intégrés à l'échelle mondiale étaient remplacées par des sociétés d'État? Si on poussait le raisonnement jusqu'à son issue logique, on en arriverait au même résultat que nos amis de l'Union soviétique, qui ont bien connu ce système : leur agriculture était inefficace. Le secteur était entièrement étatisé, mais n'avait pas de meilleurs rendements ou ne permettait pas aux agriculteurs russes d'avoir une meilleure qualité de vie.
Par contre, les agriculteurs sont tenus à l'écart de nombreux programmes. Par exemple, ils ne reçoivent pas de prestations d'assurance-emploi lorsqu'ils sont en difficulté parce qu'ils n'arrivent pas à obtenir le rendement ou les revenus nécessaires. Les personnes âgées ont droit à un supplément de revenu annuel garanti si leur revenu tombe en dessous d'un niveau donné. Il n'existe pas de programme équivalent pour les agriculteurs et, pourtant, vos activités sont tout aussi stratégiques et essentielles à notre survie en tant que pays que tous les autres types d'activités.
Quel conseil nous donneriez-vous? Si nous pouvions faire une ou deux recommandations solides pour s'attaquer aux problèmes que vous avez très bien formulés, qu'est-ce qui, d'après vous, serait le plus utile et aurait le plus d'impact? Je ne parle pas d'un processus global, mais de l'entreprise agricole individuelle qu'on essaie de rendre aussi rentable et durable que possible.
J'aimerais poser une autre question portant sur les fruits et légumes locaux et sur la commercialisation de la production locale, mais j'attendrai, si vous le voulez bien. J'aimerais entendre vos opinions et si M. Smith veut y ajouter des commentaires, qu'il n'hésite pas.
Mme Ross : Merci pour la question, sénateur Segal. C'est tout à fait un jugement fait après coup. Il y a une dizaine d'années et une vingtaine d'années, nous avons signé l'ALENA et adhéré à l'OMC et nous avons observé la confrontation des entreprises sur le marché. Nous savions que ce serait désavantageux pour les agriculteurs. Nous avons écrit des mémoires et fait des exposés puis, 10 ou 20 ans plus tard, on nous demande de proposer des solutions à des initiatives que nous avions déjà dénoncées comme étant mauvaises.
En janvier 2005, nous avions rédigé un mémoire puis, en mars 2006, nous avions envoyé une lettre au directeur général des Nations Unies pour l'avertir que les réserves mondiales de produits alimentaires avaient atteint le niveau le plus bas de tous les temps. On n'a pas tenu compte de nos avertissements. Nous avons envoyé une copie de cette lettre au premier ministre et à bien d'autres ministres en insistant sur le fait qu'il était essentiel d'en discuter. Les prix mondiaux des produits alimentaires sont à leur niveau le plus bas; les réserves de céréales aussi, et les prix des céréales sont tenus artificiellement à un faible niveau par les entreprises —elles sont capables de le faire — et personne n'a tenu compte de nos avertissements. On nous demande maintenant ce que nous ferions pour régler la pénurie mondiale de denrées alimentaires. Nous trouvons ça un peu difficile qu'on nous demande comment réparer le chariot alors que nous avions averti qu'il se briserait.
Nous voulons que le gouvernement ouvre les livres du Bureau de la concurrence. Lorsque de gigantesques conglomérats achètent leurs concurrents et que, en tant qu'agriculteurs, nous sonnons la sonnette d'alarme, mais que les autorités laissent faire malgré tout, nous aimerions être pris au sérieux et qu'elles interviennent pour empêcher une telle situation.
Dans le secteur de l'abattage et du conditionnement de la viande, nous avons eu de la difficulté à faire abattre et transformer notre bétail. Nous savions que cette situation se produirait. C'est comme lorsqu'on ferme la porte de l'écurie après que le cheval ait foncé pour s'enfuir. Nous avons besoin d'une nouvelle écurie et aussi de nouveaux chevaux.
M. Smith a recommandé d'édifier des systèmes alimentaires locaux durables. Pour ça, il faut avoir un soutien raisonnable sur les plans législatif, politique et réglementaire. Des mesures incitatives sont essentielles. En raison de la mondialisation, l'infrastructure a disparu à l'échelle nationale. Il n'y a pas de marché. Il ne nous reste plus qu'une infrastructure très restreinte pour la transformation des produits alimentaires cultivés au Canada. Nous cultivons d'excellents produits en Ontario, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan. Il est essentiel de pouvoir les transformer au Canada et les commercialiser à titre de produits cultivés au Canada.
Il faut examiner les dispositions législatives sur l'étiquetage — c'est un autre domaine dans lequel il est essentiel d'ouvrir les livres — pour que les Canadiens qui veulent acheter des produits cultivés au Canada aient la garantie qu'il ne s'agit pas seulement d'un « Produit du Canada » qui n'a pas été cultivé dans notre pays. Nous connaissons la règle des 51 p. 100, n'est-ce pas? Il est essentiel de réexaminer cette question. Ce serait intéressant pour les agriculteurs et pour les consommateurs.
Le sénateur Segal : Quel type de recommandation pourrions-nous faire qui ait des incidences positives sur les difficultés actuelles, en reconnaissant que le Syndicat national des cultivateurs a depuis longtemps une position claire et cohérente et que tous ses conseils n'ont pas été suivis? Ce n'est que juste. Grâce aux efforts du sénateur Gustafson et d'autres personnes, nous pouvons maintenant examiner les coûts des intrants et faire des recommandations susceptibles d'améliorer la situation.
Mme Ross : Il est essentiel d'examiner la question. Un système dans lequel les agriculteurs canadiens génèrent des recettes de 750 milliards de dollars et sont malgré cela touchés par une crise des revenus agricoles doit présenter certaines lacunes fondamentales. On entend un bruit de succion dans les régions rurales du Canada, et c'est celui des revenus des exploitations agricoles qui se font aspirer. Il faut examiner la question.
Comme je l'ai mentionné, il faut ouvrir les livres en ce qui concerne le Bureau de la concurrence; il faut voir où sont ces profits. Ce pompage des profits a un aspect fondamentalement immoral ou, en tout cas, illégal.
En outre, que dirait-on de fixer des prix planchers raisonnables? En économie élémentaire, on apprend que lorsque la demande est forte et que les réserves sont basses, ça déclenche normalement une hausse des prix; or, les stocks mondiaux de céréales sont à leur niveau le plus bas présentement. Ce ne fut pas le cas. Les données en témoignent; elles indiquent que les stocks de céréales sont bas et que la demande est forte, alors que notre revenu, lui, a diminué. C'est insensé. Il est essentiel d'examiner la situation. Serait-il possible d'avoir des prix planchers raisonnables pour les céréales, afin que ces grandes entreprises ne puissent pas aller plus bas que nos coûts de production?
Le sénateur Segal : Si je vous comprends bien, une des recommandations serait d'entreprendre une enquête publique très élargie sur ces mécanismes d'établissement des prix et de déterminer dans quelles proportions ils enlèvent injustement des revenus légitimes aux agriculteurs pour en faire profiter d'autres secteurs auxquels ils ne sont pas destinés.
Mme Ross : Lorsqu'il y a contrôle et intégration verticale sur le marché, il reste très peu de marge de manœuvre. Je ne veux pas nous faire passer pour des victimes, mais les agriculteurs transigent sur les marchés mondiaux. C'est pourquoi un grand nombre d'agriculteurs se démènent pour s'affranchir du marché mondial et misent sur la tendance à établir des systèmes alimentaires locaux et durables. Les Canadiens se mettent à faire beaucoup d'insécurité au sujet du régime alimentaire mondial actuel et à jeter un regard en arrière en se demandant où ils peuvent acheter localement. Ils veulent connaître un agriculteur. Ils veulent savoir où ils peuvent acheter des produits alimentaires locaux. Ils font de l'insécurité au sujet du système alimentaire local. De nombreux agriculteurs canadiens misent sur cette tendance. Nous aimerions avoir de l'appui dans cette démarche.
Les agriculteurs ne veulent pas vivre d'aumônes. Nous travaillons à plein temps et d'arrache-pied. Nous ne voulons pas faire 80 heures ou plus par semaine et obliger nos familles à supporter ce qu'elles ont dû supporter, tout cela pour finir par aller chercher un chèque dans notre boîte aux lettres. Nous voulons que nos revenus viennent du marché et soient équitables, comme les autres travailleurs reçoivent un salaire pour leur travail. Ce n'est pas une demande extravagante.
Le sénateur Segal : Monsieur Smith, nous n'avons pas eu souvent l'occasion d'entendre le témoignage de jeunes agriculteurs, et nous sommes par conséquent enchantés que vous ayez trouvé le temps de venir. Que pensent les jeunes agriculteurs que vous connaissez et qui sont vos collègues dans ce secteur? Sont-ils découragés? Ont-ils de la détermination? Reste-t-il assez de jeunes agriculteurs pour prendre la relève? Je sais que les données démographiques sont aussi préoccupantes en agriculture que dans les autres secteurs. Dans certains endroits du comté de Leeds, moins de 7 p. 100 des exploitations agricoles ont été reprises par des descendants des propriétaires précédents. C'est un exemple qui n'est pas très éloigné d'ici. Pouvez-vous nous expliquer la situation?
M. Smith : Je ne suis pas sûr que vous le saviez, mais je viens du comté de Leeds.
Le sénateur Segal : Je le savais.
M. Smith : Ce n'est donc pas une coïncidence. Comme vous l'avez signalé, dans le comté de Leeds, il n'y a plus personne. Quelques producteurs laitiers arrivent à tenir le coup. À part ça, tous les agriculteurs sont forcés d'aller chercher du travail dans les champs pétrolifères. C'est là que vont travailler les jeunes de ma région. Tous les jeunes doivent s'en aller l'hiver en Alberta pour y extraire du pétrole, et quelques-uns seulement arrivent à rester cultivateurs, mais ça devient de plus en plus difficile. Comme il faut davantage d'argent, les cultivateurs songent à aller en gagner en Alberta pour l'investir dans une exploitation agricole. Ce n'est pas une façon de construire une industrie ou d'en maintenir une en vie.
Vous avez fait allusion à la chute démographique prévue. Je sais qu'elle touche tous les secteurs dans notre pays, mais on dirait qu'elle ne reçoit pas la même attention dans l'agriculture que dans les autres secteurs. Si nous avons besoin d'un plus grand nombre d'infirmières, je parie que tout le monde en entendra parler, car tout le monde attache de l'importance aux soins de santé, et c'est normal. En ce qui concerne l'agriculture, cependant, le fait que personne ne veuille plus s'engager dans ce secteur semble échapper à l'attention. Les raisons pour lesquelles les gens ne se lancent plus en agriculture, et celle pour laquelle nous sommes ici en fait partie, sont les suivantes : les coûts élevés et les faibles revenus d'un marché qui n'est apparemment pas favorable aux agriculteurs.
La présidente : C'est précisément la raison pour laquelle nous tenons ces audiences; c'est pour entendre des personnes comme vous qui travaillent dans ce secteur. Merci beaucoup.
Le sénateur Campbell : Je suis un citadin, de la ville de Brantford, mais pendant près de 20 ans j'ai semé et aidé à récolter deux sections de terre en Saskatchewan. Il n'aurait pas été possible de cultiver ces terres sans un revenu de l'extérieur, sans la présence d'un enseignant dans la famille. Je sais ce que sont vos extrants.
J'ai fait une observation intéressante, et vous pourriez peut-être faire des commentaires à ce sujet. Alors que des familles de la Saskatchewan quittaient leurs terres, des agriculteurs de l'Alberta venaient s'y établir et racheter de la terre qui est riche pour le canola, le blé, la graine à canaris et toutes sortes d'autres cultures; nous avons cultivé de tout. Nous avons clôturé des terres et y avons mis du bétail. Nous avons connu une période au cours de laquelle on considérait qu'il était préférable d'avoir la plus grosse exploitation possible. Les entreprises achetaient par conséquent de très vastes étendues de terre. Elles ont ensuite constaté que ce n'était pas nécessairement la solution idéale et qu'il n'y avait pas d'économies d'échelle à faire dans ce domaine.
Les Canadiens accepteront-ils de payer davantage pour des produits cultivés localement?
M. Smith : Je ne suis pas certain que nous leur demandions nécessairement de payer davantage.
Le sénateur Campbell : Voici à quoi je pense. À supposer que j'exploite une entreprise. Mes intrants coûtent une certaine somme et mon produit se vend à un certain prix; on ne peut tout de même pas le vendre à un prix inférieur au coût des intrants. On ne peut même pas le vendre pour récupérer tout juste le coût des intrants. Je trouve que les produits alimentaires sont bon marché au Canada. Vous recommandez d'acheter des produits canadiens mais, pour ça, ne faudrait-il pas faire payer un supplément aux Canadiens pour les produits cultivés localement? Nous ne devons pas payer de frais d'entreposage ni de frais de transport, ni payer tous les autres frais qu'on a pour les produits venant de l'extérieur. Le problème se pose-t-il au niveau des entreprises qui transforment les produits alimentaires?
Mme Ross : En ce qui concerne le blé, par exemple, on peut faire 40 ou 50 pains avec un boisseau de blé. Un agriculteur recevra environ 11 ¢ par pain. L'agriculteur ne gagne pas beaucoup sur un boisseau de blé. Les prix des produits alimentaires augmentent considérablement. On pourrait avoir l'illusion qu'une partie de cette hausse des prix revient à l'agriculteur. Les prix des produits alimentaires augmentent, mais les agriculteurs ne reçoivent pas le supplément que paient les consommateurs. Il faut voir où va l'argent. On ne peut pas transférer le coût au consommateur. On peut augmenter le prix du pain en fonction de la hausse de coût du blé. Ça ne signifie toutefois pas nécessairement que l'agriculteur touchera cet argent. Faut-il examiner le prix des produits alimentaires? Oui. Bien que ces prix augmentent au Canada, il faut voir quel pourcentage de cet argent revient aux agriculteurs.
Avec des systèmes alimentaires locaux et durables, qui permettent d'éliminer certains intermédiaires, transformateurs et détaillants et qui permettent aux consommateurs d'acheter directement aux agriculteurs, les consommateurs reçoivent un produit de meilleure qualité et un pourcentage plus élevé de l'argent revient aux producteurs. Ça permet à des cultivateurs comme M. Smith de continuer à exercer son métier et aux consommateurs d'avoir confiance dans les produits alimentaires qu'ils achètent. C'est aussi de la sécurité et de la souveraineté alimentaires pour les Canadiens. C'est très important. Un pays qui n'a pas de sécurité ou de souveraineté alimentaires n'est pas en sécurité.
Le sénateur Campbell : C'est bien si le producteur vend directement au consommateur. Nous récoltions 36 000 boisseaux par an sur cette terre. Les prix ont maintenant augmenté, mais ils n'étaient pas aussi élevés en ce temps-là. Si je cultive des tomates ou des légumes ou autres produits semblables, je peux aller les vendre au marché mais, à cette époque, je ne pouvais pas vendre moi-même 36 000 boisseaux sur le marché. Je peux toutefois le faire maintenant.
Ma deuxième question concerne spécifiquement le blé. On transforme actuellement des produits alimentaires en carburant. On utilise du blé et pratiquement toutes les autres plantes que l'on peut cultiver. Est-ce intéressant pour le producteur?
Est-ce que cette nouvelle utilisation entraînera un retour à la production d'un plus grand pourcentage de nos terres? Est-ce qu'en Saskatchewan, le bétail disparaîtra et les terres serviront à nouveau à ce pourquoi elles étaient exploitées, la culture des céréales?
M. Smith : Le Syndicat national des cultivateurs a toujours été sceptique au sujet du plan concernant les biocarburants. C'est un sujet très délicat, car ceux-ci sont actuellement très populaires sur le plan politique. La question de déterminer si c'est une démarche responsable est toutefois reléguée au second plan. Alors que ça absorbe les cultures et que ça fait en partie monter les prix — et c'est indéniablement positif pour les agriculteurs —, je ne sais pas si j'aime beaucoup ça en tant que remède aux bas prix des céréales.
Mme Ross : Les prix des intrants suivent depuis toujours les prix des céréales; vous le verrez dans le document que vous avez en main. La question de savoir si les biocarburants sont une bonne initiative et quels sont les ratios de conversion mise à part, dès que les prix des céréales augmentent, tous les gains que tireront les agriculteurs de la culture de céréales pour la fabrication de biocarburants seront avalés par les fournisseurs d'intrants. Pour que les agriculteurs cultivent des céréales pour la fabrication de biocarburants afin de capter ce marché — il s'agit en réalité d'un accroissement de la demande sur le marché —, le créneau que l'on a pour faire des profits intéressants est très restreint et se fermera très rapidement. Il en a toujours été ainsi.
Les pouvoirs publics sont devenus impuissants en raison d'accords commerciaux comme l'ALENA et l'OMC. Au Canada, il est essentiel d'examiner le commerce qui est redondant. Quelles quantités de céréales cultivées dans notre pays peut-on consommer et transformer ici? Nous faisons souvent le commerce du blé pour le blé, de l'orge pour l'orge, du porc pour le porc, des poulets pour la volaille. Il est essentiel que nous nous débarrassions du commerce redondant. Ce serait non seulement une sage décision de notre part pour des raisons de sécurité et de souveraineté, mais ce serait en outre plus responsable sur le plan économique de déterminer — et ce principe ne s'applique pas seulement aux Canadiens, mais à toute l'humanité — pourquoi nous pratiquons ce commerce redondant. C'est du commerce pour le commerce.
Le sénateur Campbell : Un argument en faveur des biocarburants est que les agriculteurs n'ont pas besoin d'un aussi grand nombre d'intrants que pour les céréales destinées à l'alimentation.
Mme Ross : Oui, car on n'a pas besoin de la même qualité.
Le sénateur Campbell : En effet, on veut en extraire la fibre. On ne doit pas utiliser un aussi grand nombre d'intrants.
Je ne désapprouve aucun de vos commentaires. Je n'ai pas de réponse et il faut voir directement ce que ça donne. Dans l'exploitation agricole où j'ai travaillé, il y avait quatre enfants intelligents. Ils ont tous fait des études universitaires; ils ont tous obtenu leur diplôme et aucun d'entre eux n'est revenu travailler à la ferme. Ils se tiennent volontairement à distance.
L'exploitation agricole est payée. Tout ce qui est nécessaire, c'est de travailler. Je souhaiterais que ce soit seulement 80 heures par semaine pendant la récolte et les semis. Ce serait une bonne semaine.
Mme Ross : Si vous me permettez de répondre à votre dernier commentaire, je signale que, bien que la même qualité ne soit pas nécessaire, les agriculteurs sont des gens fiers. Je suis cultivatrice depuis 26 ans; j'ai épousé un cultivateur et je vis dans une collectivité agricole.
On veut obtenir un bon rendement et, pour cela, il faut encore des intrants. Les biocarburants sont de très gros consommateurs d'intrants. Le maïs est un gros consommateur d'azote et le prix de l'azote augmente de façon astronomique. Je ne vois pas comment on peut faire des économies. Pensez-vous que ces agriculteurs resteront à ne rien faire pendant que leurs cultures seront envahies par les mauvaises herbes, sous prétexte qu'ils n'ont pas besoin de cultures propres? C'est impensable.
Le sénateur Campbell : Je ne dis pas que c'est bien; j'explique que c'est le commentaire que j'ai entendu.
Mme Ross : Je voudrais voir la première culture sale.
Le sénateur Campbell : Il faut bien faire disparaître un jour les mauvaises herbes du champ.
Mme Ross : Les agriculteurs ne veulent pas une culture sale. En outre, nous ne vendons pas nous-mêmes. Les agriculteurs ne savent pas à qui ils vendent. Ils vendent au plus offrant. Ils continueront d'être payés en fonction de la qualité du produit, car il pourrait être utilisé aussi bien dans le circuit alimentaire que pour la fabrication de biocarburants. On ne le sait pas; par conséquent, les agriculteurs veulent continuer à cultiver un produit de qualité alimentaire, car ils en tireront un meilleur prix.
Le sénateur Campbell : Je n'en disconviens pas. Je ne cultiverais pas une culture sale, moi non plus.
Mme Ross : Non.
Le sénateur Mahovlich : On ne fait jamais passer les personnes avant les profits.
Mme Ross : Ce n'est pas payant.
Le sénateur Mahovlich : On ne peut pas faire passer les personnes avant les profits; je ne connais pas une entreprise qui le fasse. Quand on y pense, que ce soit dans les sports ou dans n'importe quel autre domaine, il est essentiel de réaliser un profit, sinon, il n'y a pas de gains. On ne fait pas d'affaires ou ce n'est pas intéressant.
Comment provoquer un revirement d'attitude? Comment le gouvernement peut-il le faire? Le gouvernement peut-il faire passer les personnes avant les profits?
Mme Ross : Je l'espère. Quand j'élis mon député, j'espère qu'il se préoccupe davantage de ses électeurs que des considérations financières.
Le sénateur Mahovlich : C'est ce qu'il vous dira.
Mme Ross : Voulez-vous dire que le gouvernement du Canada et que la politique qu'on élabore pour l'agriculture...
Le sénateur Mahovlich : Nous avons élaboré l'ALENA et vous avez dit que ce n'était pas satisfaisant.
Mme Ross : Non; pourquoi dans ce cas maintenons-nous cet accord? Pourquoi continuons-nous à creuser un trou? On ne se sort pas d'un trou en le creusant davantage. Il faut se mettre à faire passer les personnes avant les profits et voir ce que ça donne.
Le sénateur Mahovlich : Bien, essayons de faire ça. Faites-moi savoir quand vous le faites.
Mme Ross : Je ne suis pas un membre élu du Parlement.
Le sénateur Mahovlich : Moi non plus, mais ça m'intéresse vraiment. C'est ce qu'il faudrait faire et c'est ce qu'on ne fait jamais.
Mme Ross : Veut-on faire disparaître la pauvreté et la famine dans le monde? Veut-on se mettre à réfléchir à nos objectifs de développement pour le millénaire?
Le sénateur Mahovlich : Êtes-vous allée en Afrique?
Mme Ross : Oui.
Le sénateur Mahovlich : Avons-nous supprimé la pauvreté?
Mme Ross : Non, nous ne l'avons manifestement pas fait, car nous sommes...
Le sénateur Mahovlich : Exactement; donc dites-moi comment on peut faire. C'est très difficile.
Mme Ross : Commençons ce soir. Mettons-nous à réfléchir à la souveraineté alimentaire et à voir ce que ça signifie. Mettons-nous dès ce soir à placer les priorités là où il faut, à faire passer les personnes avant les profits et à alimenter les populations, en cessant d'utiliser des produits alimentaires pour fabriquer du carburant. Cessons de remplir les poches de Cargill et de Archer Daniels Midland.
Nous ne serions pas ici ce soir si nous avions commencé à faire passer les personnes avant les profits. Soyons les têtes d'avant-garde et les chefs de file dans le monde actuel plutôt que d'être des pions de l'OMC et de l'ALENA. Le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité — la sécurité pour qui? La prospérité pour qui? Je ne veux pas être partenaire dans ce partenariat — fait passer les profits avant les personnes.
Le sénateur Mahovlich : Vous présenterez-vous aux prochaines élections sous la bannière du Parti libéral? Je serai là avec vous.
Mme Ross : Vous venez de me dire que je ne pourrais pas être élue.
Le sénateur Campbell : Vous pourriez être élue pour le Parti libéral.
La présidente : Il faut s'en tenir au sujet.
Le sénateur Mahovlich : Je voudrais expliquer à M. Smith que mon père était un homme intelligent. Il travaillait dans une mine d'or et nous nous sommes lancés en agriculture; nous l'avons fait pendant six mois, c'est tout. Il s'est rendu compte qu'il ne pourrait pas s'en sortir. Il ne lui a fallu que six mois pour abandonner l'agriculture; c'était donc très difficile.
Avez-vous hérité de votre exploitation agricole?
M. Smith : J'ai passé ma jeunesse à la ferme, puis j'ai poursuivi mes études après les études secondaires.
Le sénateur Mahovlich : Vos parents étaient-ils agriculteurs?
M. Smith : Oui, ils exploitaient une ferme laitière. Ma passion n'a en fait jamais fléchi depuis lors. J'aimerais continuer à mener ce type de vie pendant un certain temps, mais ça devient de plus en plus difficile, étant donné la façon dont les choses évoluent.
Les chances sont de plus en plus qu'on n'y arrive pas. Il faut de plus en plus de capitaux. Nous nous faisons concurrence tout le temps entre nous, contrairement aux autres producteurs. Ce sont seulement les agriculteurs qui sont constamment en concurrence, qui font baisser les prix et en font monter certains alors que leurs revenus ne semblent pas changer.
Le sénateur Mahovlich : Pendant des années, nous avons entendu beaucoup de plaintes au sujet de la faiblesse du prix du blé. Il a maintenant augmenté, et nous avons encore un problème, car le coût des engrais est trop élevé.
Mme Ross : Les prix des engrais, du carburant et des semences.
La présidente : Merci. Nous comprenons ce que vous avez expliqué aujourd'hui. C'est une des raisons pour lesquelles nous tenons ces discussions. Vous pouvez être assurés que nous tiendrons compte de vos réflexions profondes dans la préparation de notre rapport.
Le sénateur Segal : Madame Ross, vos commentaires sur la souveraineté alimentaire et les prix planchers nous amènent à discuter des produits soumis à la gestion de l'offre, y inclus les produits laitiers, pour lesquels la situation est relativement favorable. La situation est plus intéressante que pour certains des produits non assujettis à la gestion de l'offre; le revenu de base y est plus durable.
Insinuez-vous que la situation s'améliorerait si nous appliquions le système de la gestion de l'offre à d'autres produits? Recommandez-vous de ne pas se préoccuper de l'OMC ou des mesures prises contre nous en invoquant les dispositions américaines 301 qui étaient en place avant la Loi sur le libre-échange et d'instaurer une certaine stabilité par la gestion de l'offre qui donne une certaine garantie au niveau de l'exploitation agricole? Je voudrais m'assurer que c'est une des orientations que vous recommandez.
Mme Ross : Tout à fait. Nous devrions envisager ça. Il y avait un système de gestion de l'offre dans le secteur de l'élevage du porc, il y a des années. Ce secteur a été déréglementé au Canada et il est maintenant complètement détruit. Les secteurs soumis à la gestion de l'offre qui subsistent au Canada sont les SM5, y inclus le secteur laitier, celui du dindon, celui de la volaille et celui des œufs. Une partie de cela a été mis en danger par les accords commerciaux.
Ces accords sont intelligents. Ils peuvent contourner la gestion de l'offre et l'office qui nous protège en contournant le système par l'introduction de produits transformés. On ne peut pas importer des poulets, par exemple, mais on peut importer des poitrines de poulet. On ne peut pas importer des produits laitiers, mais on peut importer des huiles de matières grasses avec du sucre et les ingrédients pour la cuisson. On contourne les règlements, mais il faut être prudent quant à la manière de se protéger. Dans le cadre de la souveraineté alimentaire, un pays a le droit de protéger ses frontières et ses producteurs contre la concurrence déloyale et contre ce que l'on appelle le dumping. Il faut examiner cette question.
M. Smith peut faire des commentaires plus pertinents à ce sujet. Je ne suis pas dans un secteur soumis à la gestion de l'offre. M. Smith est producteur laitier, avec sa famille. Dans le secteur laitier, la gestion de l'offre était une excellente idée au début. Le système permettait de gérer l'offre tout en garantissant les coûts de production des agriculteurs, ce qui était très intéressant. J'envie certains des producteurs laitiers qui ont prospéré. Le système des quotas en a fait maintenant un secteur exclusif et les jeunes agriculteurs ont de la difficulté à s'y engager. Il est essentiel d'envisager le système de gestion de l'offre, mais en le réoutillant pour qu'il soit plus équitable et plus raisonnable, afin que les jeunes agriculteurs puissent se lancer dans ces secteurs. Il est essentiel d'obtenir un prix raisonnable pour que le système remplisse les fonctions pour lesquelles il avait été mis en place à l'origine, à savoir réguler l'offre et garantir un coût de production. On s'est malheureusement éloigné de ce principe.
Je vous recommande de permettre à M. Smith de faire des commentaires, car il en fait actuellement l'expérience, puisqu'il est jeune agriculteur.
Le sénateur Segal : Allez-y.
M. Smith : J'ai l'impression de m'éloigner quelque peu du sujet en faisant uniquement des commentaires sur la gestion de l'offre. Mme Ross a raison quand elle dit que le principe de la gestion de l'offre est efficace dans ces secteurs quand les agriculteurs ne se font pas concurrence. C'est la même chose à tous les niveaux. Nous sommes très nombreux et le nombre d'acheteurs est très limité. C'est le problème en économie. Compte tenu de la façon dont la situation a évolué, nous nous faisons tous concurrence pour acheter des quotas. Nous faisons monter les prix à tel point que c'est devenu hors de portée pour toute personne qui ne peut pas disposer de certaines liquidités chaque mois pour acheter des quotas. Qui dépensera 30 000 $ pour ajouter une vache à son cheptel? C'est ce que ça coûte maintenant.
Il semblerait que de nombreux aspects différents dans chaque secteur aient évolué de façon incontrôlable. Il faut absolument faire un examen général de la situation dans le secteur agricole ainsi que de certains des enjeux et problèmes qui y sont associés.
Le sénateur Segal : Nous avons examiné le problème du dépeuplement des régions rurales du Canada. À l'heure actuelle, moins de 4 p. 100 de la population canadienne vit dans les régions rurales. L'absence de travailleurs sur le terrain engendre toute une série de risques stratégiques pour le Canada.
L'Écosse a très bien réussi à renverser cette tendance; elle y est notamment parvenue en faisant une ouverture vers l'Europe de l'Est ou vers d'autres pays et en faisant venir des familles qui voulaient cultiver la terre pour repeupler les régions rurales. Nous l'avons fait au Canada il y a plusieurs décennies. En Europe, le cas de l'Écosse est remarquable, car c'est le seul pays qui a inversé la marée de l'exode rural.
Est-ce que ça serait bon ou mauvais pour vos exploitations s'il y avait davantage d'agriculteurs? Est-ce que ce serait bien ou cela exercerait-il des pressions concurrentielles qui ne seraient pas constructives et n'aideraient pas à régler les problèmes?
M. Smith : Je pense que ce serait bien qu'il y ait davantage d'agriculteurs. Ce pourrait même être plus efficace. À l'heure actuelle, étant donné que le nombre d'agriculteurs a diminué, nous avons besoin d'un équipement plus lourd et nous cultivons de vastes étendues de terres, ce qui nécessite des coûts d'intrants plus élevés, davantage d'engrais et de produits chimiques; c'est précisément ce dont nous discutions. Si on réduisait quelque peu l'échelle des exploitations agricoles et certains coûts d'intrants, il faudrait davantage d'agriculteurs, mais l'agriculture pourrait devenir en fin de compte plus rentable.
La présidente : Merci beaucoup. Plus vous faites de commentaires et plus nous sommes enchantés que vous soyez là. On peut lire des articles à ce sujet, mais nous avons parcouru tout le pays au cours des 12 derniers mois; nous sommes allés dans le Nord et dans toutes les provinces, car nous avons besoin d'entendre parler de la situation réelle. C'est ce que vous avez fait ce soir, et nous vous en remercions. Nous vous souhaitons bonne chance.
Plusieurs témoins se joignent maintenant à nous pour discuter de l'évolution des prix agricoles et des activités bancaires agricoles au cours des dernières années et expliquer de quelle façon ces tendances ont été touchées par l'évolution de la situation en agriculture. Nous accueillons, pour l'Association des banquiers canadiens, M. Peter Brown, de la Banque Scotia, M. David Rinneard, de la BMO, M. Brian Little, de la Banque Royale du Canada, M. Denis Boudreau, de la Banque Nationale, Mme Michelle Harvey, de TD Canada Trust, M. Darryl Worsley, de la CIBC et M. Marion Wrobel, directeur de l'Évolution des marchés et de la réglementation.
Nous disposons d'une heure ce soir et voulons exploiter chaque seconde au maximum. Nous avons des témoins spéciaux. Nous voulons couvrir un large éventail de questions. J'encourage mes collègues à poser des questions brèves pour donner l'occasion à nos témoins d'y répondre de façon complète et donner à tous une chance de participer aux discussions.
Je pense que c'est M. Wrobel qui fera un exposé et que les autres témoins sont ici pour l'aider à répondre aux questions. Vous formez un groupe apparemment très intéressant. Nous avons hâte d'entendre vos commentaires.
Marion Wrobel, directeur, Évolution des marchés et de la réglementation, Association des banquiers canadiens : Une des raisons pour lesquelles nous sommes ici en aussi grand nombre est que nous voulons démontrer que la concurrence est vive sur ce marché. La concurrence est forte dans le secteur bancaire, et les différentes banques adoptent des points de vue différents sur toute une série de questions. Nous espérons que cette diversité du secteur bancaire transparaîtra dans les réponses que nous donnerons aujourd'hui.
Au nom de l'Association des banquiers canadiens, de ses 51 banques membres et de ses 250 000 employés au Canada, je tiens à vous remercier de cette invitation à prendre la parole devant le comité, sur le sujet du prix des intrants dans l'agriculture au Canada. Nous répondrons volontiers à vos questions sur le crédit bancaire à la collectivité agricole. J'aimerais d'abord mettre en contexte le secteur bancaire et son association avec le milieu agricole.
Les banques du Canada jouent un rôle important dans le soutien du secteur agricole. Nous reconnaissons qu'une relation de collaboration et de symbiose entre nos membres, le secteur agricole et les collectivités rurales est nécessaire pour assurer la force de ce secteur. Nous reconnaissons aussi qu'une relation de collaboration avec les gouvernements fédéral et provinciaux constitue une composante essentielle de ce travail. Le secteur bancaire maintient un dialogue soutenu avec le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, et d'autres ministères des gouvernements fédéral et provinciaux, afin de contribuer à la mise en œuvre et à l'offre de programmes agricoles à l'intention de ce secteur.
C'est toutefois la relation des banques avec leurs clients qui a une importance primordiale. Nous travaillons avec nos clients, en temps de prospérité comme en temps de crise, pour leur fournir des comptes d'opérations et de gestion de trésorerie, ainsi qu'un accès à des fonds pour assurer le maintien, la croissance et la diversification de leurs fermes, que ce soit par des prêts hypothécaires, des prêts à terme ou des marges de crédit à l'exploitation. C'est de notre relation avec nos clients dont nous parlerons aujourd'hui.
Il y a beaucoup de concurrence et de choix dans le marché du crédit au secteur agricole, chaque concurrent s'efforçant d'accroître sa part de marché. En plus des banques, il y a les coopératives de crédit et les caisses populaires, Financement agricole Canada, les sociétés de financement et des organismes gouvernementaux provinciaux. Dans ce contexte, les banques ont autorisé près de 29 milliards de dollars en financement à ce secteur. Quand je parle d'autorisations, il s'agit du montant que nous avons mis à la disposition de nos clients. Selon Statistique Canada, en 2006, les banques à charte étaient responsables de 42 p. 100 de l'encours de la dette agricole.
Il importe aussi de tenir compte du type de financement que les banques fournissent. Elles sont les plus importants fournisseurs de l'encours de la dette agricole non hypothécaire. Elles ont consenti 55 p. 100 de ce crédit, soit plus de 14 milliards de dollars. Comme ce type de crédit est plus complexe que le simple crédit garanti par des biens, la banque doit vraiment comprendre ses clients et travailler en étroite collaboration avec eux au fil du temps.
Cette collaboration étroite avec les clients se reflète dans le fait que le secteur agricole et, de façon plus générale, les entreprises en milieu rural, reçoivent un service d'une qualité à tout le moins aussi élevée que celui offert aux entreprises en zone urbaine. D'après l'enquête de Statistique Canada, les petites entreprises en milieu rural ont accès à du financement commercial qui est comparable à celui des zones urbaines. Par exemple, 88 p. 100 des demandes de financement par emprunt ont été autorisées dans le cas des entreprises en milieu rural. Les entreprises en milieu rural et en zone urbaine ont payé des prix comparables pour une grande variété de produits de crédit commercial, incluant des prêts à demande et à court terme, des prêts hypothécaires et des marges de crédit.
Ce travail en étroite collaboration avec les clients se reflète aussi dans notre engagement à aider les petits agriculteurs et les collectivités rurales par l'entremise de banquiers voués au secteur agricole et par des innovations du service. Par exemple, afin de permettre aux producteurs de consacrer plus de temps à leur exploitation et à leur famille, nous avons recours à des banquiers agricoles mobiles. Ces derniers utilisent voitures et ordinateurs portatifs pour rencontrer les clients à leur ferme, et non en succursale. Cet engagement envers les collectivités rurales et les petites et moyennes fermes qui les sous-tendent transparaît aussi dans les chiffres.
La fourniture de services à la collectivité agricole et rurale est une part importante de nos activités en tant que banques. Notre engagement envers les petites entreprises rurales et agricoles constitue une part majeure de la clientèle des petites et moyennes entreprises des banques. Par exemple, pour le segment des petites entreprises, 17 p. 100 des fonds autorisés et 18 p. 100 de l'encours sont consacrés au secteur agricole. Ça représente entre un sur six et un sur cinq dollars consacré spécifiquement à ce secteur. C'est beaucoup. De plus, afin de tenir compte du fait que le secteur agricole est fortement axé sur les immobilisations et la terre, les montants autorisés aux producteurs agricoles et aux services connexes ont tendance à être supérieurs à la moyenne applicable aux autres segments industriels.
Tout ceci ne veut pas dire qu'il n'y a aucun défi à relever. À l'heure où les céréales et les oléagineux bénéficient d'une forte demande, les secteurs du bœuf et du porc souffrent de l'augmentation des prix des intrants et d'une chute des prix du bœuf et du porc. Pour relever ces défis, la solide relation que nos banques membres entretiennent avec leurs clients agricoles leur permet de travailler au cas par cas, en tenant compte de leur situation individuelle pour trouver des solutions durables, au besoin.
Comme nous le savons tous, les chocs temporaires dans le secteur agricole sont chose courante. En effet, au cours de la présente décennie, ce secteur a résisté à l'encéphalopathie spongiforme bovine, à la grippe aviaire, à la sécheresse et aux inondations. Tout comme par le passé, le secteur bancaire travaillera avec le secteur agricole afin de contribuer à sa viabilité à long terme.
Nous vous remercions de nous rencontrer dans le cadre de votre étude. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Segal : Merci de vous être joints à nous ce soir pour nous faire profiter de vos conseils et de vos points de vue. Je dois de l'argent à différentes organisations représentées à cette table et je me contrôlerai en conséquence.
Je voudrais poser une question qui est peut-être plus fondamentale. Au fil des années, j'ai vu les banques prendre des décisions difficiles pour leurs actionnaires au sujet des entreprises et des secteurs d'activité avec lesquels elles continuent de faire affaire. Elles sont parfois très engagées dans les prêts commerciaux et se retirent parfois de ce secteur. Elles se lancent parfois dans les prêts aux petites entreprises. Il y a quelques années, les banques ont décidé que, peu importent leurs autres activités, elles ne financeraient pas de restaurants, pour des raisons légitimes liées aux risques associés au crédit et à la difficulté d'obtenir des garanties suffisantes.
Ce n'est peut-être pas politiquement correct, mais si le retrait de ce secteur ne posait pas de problème, contrairement à ce que je pense, et si en leur qualité d'entreprises commerciales, dans leurs activités, les banques n'avaient pas l'obligation fiduciaire envers leurs actionnaires de produire des revenus raisonnables, pensez-vous que, d'une façon générale, les établissements pour lesquels vous travaillez voudraient rester actifs dans ce secteur? S'ils avaient la liberté de s'en retirer et d'investir les capitaux dans un segment plus rentable en ce qui concerne les prêts, pensez-vous qu'ils le feraient ou estimez-vous que les revenus sont suffisants pour que la plupart des membres de votre association estiment être dans ce secteur de façon durable?
Brian Little, directeur national, Agriculture et Agroalimentaire, Banque Royale du Canada, Association des banquiers canadiens : Pour notre part, nous préférerions rester dans ce secteur de façon durable. Un grand nombre de banques y sont depuis pas mal de temps; cela a commencé avec les services spécialisés pour l'agriculture et le recrutement de spécialistes pour remplir les fonctions d'agronome afin de donner des conseils à nos gérants de succursales et à nos clients. Nous nous sommes spécialisés davantage en décidant que ces gestionnaires de comptes agricoles se déplaceraient à travers le pays pour travailler avec les clients; même dans nos équipes chargées de prendre les décisions en matière de risques nous nous sommes organisés pour avoir des personnes compétentes dans chaque secteur. Nous avons également cette spécialisation dans ces équipes.
Les banques resteront actives dans ce secteur pendant des années. C'est un secteur intéressant. Ce sont des relations très agréables. Tout repose sur les relations. Il est important d'établir ces bonnes relations pour aider les générations montantes à prendre la relève.
Le sénateur Segal : Y a-t-il d'autres commentaires à ce sujet?
Michelle Harvey, gestionnaire de groupe, Produits agricoles, politiques et processus, TD Canada Trust, Association des banquiers canadiens : Toutes les banques sont les mêmes. Elles recherchent la rentabilité des capitaux propres dans divers secteurs et prennent des décisions sur cette base. Je pense que nous sommes tous dans ce secteur pour y rester. Nous y investissons davantage et y affectons un plus grand nombre d'employés. Nous pensons qu'il y a de l'avenir là- dedans pour nous.
Le sénateur Segal : Est-il juste de conclure, en se basant sur les deux réponses, que la combinaison des risques et de la rentabilité en font un secteur durable pour les banques, dans lequel elles voudront rester au cours des prochaines années?
A-t-on mis en place des dispositions réglementaires ou des politiques gouvernementales qui rendent votre situation de prêteurs plus difficile ou qui restreignent votre capacité d'investir dans ce secteur? Par exemple, est-ce que Financement agricole Canada, ou FAC, est vraiment un prêteur de dernier recours? On entend souvent dire que ce n'est pas le cas. Cet organisme est en concurrence avec les autres pour des prêts qui pourraient être négociables dans une banque, d'après les critères permettant de déterminer si un actif est acceptable comme garantie bancaire. À ce titre, il ne contribue pas beaucoup à l'étendue du choix qu'ont les agriculteurs. Il contribue seulement à la compétitivité. On aurait tendance à penser que la mission initiale de FAC était d'être un bailleur de fonds de dernier ressort qui intervient quand, pour différentes raisons, les banques ne peuvent plus accepter un risque.
Comme je le dis souvent à mes amis, les banquiers ont des décisions difficiles à prendre, mais ce n'est pas leur argent qui est en jeu. C'est l'argent des actionnaires et des déposants. Par conséquent, elles doivent être prudentes. Y a-t-il toutefois des mesures que le gouvernement pourrait prendre pour accroître votre capacité de consacrer plus de 17 p. 100 de vos liquidités à ce marché, au lieu de la restreindre? Je pose cette question dans le contexte de la conjoncture agricole actuelle. Je suis certain que vos gestionnaires des risques travaillent d'arrache-pied pour évaluer la situation et la prévoir.
Peter Brown, directeur, Agriculture, Banque Scotia, Association des banquiers canadiens : J'ai un commentaire à faire au sujet de Financement agricole Canada. Nous considérons cet organisme comme un concurrent sur le marché et pas comme un prêteur de dernier recours. Tous les concurrents sont les bienvenus sur le marché s'ils sont soumis aux mêmes règlements. C'est un aspect important de leur participation.
Ce que nous apprécions dans nos contacts avec la clientèle agricole, c'est que nous pouvons lui offrir une gamme complète de services. Nous ne faisons pas seulement des prêts. Nous fournissons des services d'investissement, des services bancaires courants, des cartes de crédit et toute la gamme de produits et de services. C'est un aspect important des relations que nous entretenons avec notre clientèle agricole.
Il est en outre important que l'on joue sur le même terrain que les autres concurrents. Ce n'est pas intéressant lorsqu'un concurrent se limite à un seul aspect et n'offre pas certains des autres services.
M. Wrobel : Pour parler de façon plus générale, l'Association des banquiers canadiens et ses membres ont toujours préconisé un contexte réglementaire et fiscal concurrentiel. Le gouvernement a pris certaines mesures pour lesquelles nous lui sommes reconnaissants. Nous avançons dans la bonne direction, mais notre secteur est très réglementé : nos charges fiscales sont très lourdes et le contexte réglementaire dans lequel nous exerçons l'est aussi.
De nombreuses initiatives ont un impact sur les banques qui doivent s'adapter en même temps à Bâle II, pour lequel nous avons dû mobiliser des ressources importantes. C'est du temps et des efforts qui ne peuvent être consacrés à la fourniture de produits à notre clientèle. Et si l'on peut faire en sorte que le contexte réglementaire et fiscal demeure, d'une manière générale, satisfaisant, ça nous aidera beaucoup.
Le sénateur Segal : Une des questions fascinantes qui m'a toujours intéressé en ce qui concerne les activités bancaires est le mélange entre ce que j'appellerais les prêts reposant sur l'actif et les prêts fondés sur les liquidités. Le président d'une banque m'a expliqué un jour dans un autre contexte la différence entre la solvabilité et la liquidité. De nombreux agriculteurs qui se trouvent à l'occasion en difficulté ne pensent pas avoir un problème de solvabilité. Ils ont des actifs — des terres, de la machinerie — et des capitaux propres dans leur exploitation. Ils n'ont pas d'argent liquide parce que le prix d'une denrée s'est effondré ou à cause d'un événement comme la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine. On estime d'une façon générale que, lorsqu'il y a espoir que ça se termine bien, les banquiers essaieront de ne pas les abandonner, parce que tout le monde a intérêt à ce qu'ils survivent, y compris les banques.
Est-ce que le mécanisme qui détermine cette relation entre les prêts reposant sur les liquidités et les prêts fondés sur les actifs a changé au cours des cinq dernières années? Est-ce que la dynamique sur le marché a forcé les banques à réfléchir à des formules différentes et à des combinaisons différentes en termes d'évaluation et d'analyse des risques?
Il serait intéressant pour le comité de comprendre certaines dynamiques. Je ne demande pas qu'on révèle des renseignements exclusifs d'intérêt commercial, mais j'aimerais que vous communiquiez l'information que vous pouvez partager avec nous sur l'évolution de ces dynamiques dans votre secteur, en votre qualité de bailleurs de fonds et de fournisseurs de la gamme complète de services financiers.
David Rinneard, directeur national, Agriculture, BMO, Association des banquiers canadiens : Toutes les banques ont offert des programmes pendant la crise de l'ESB, à l'occasion des inondations, des sécheresses et d'autres catastrophes, pour veiller à ce que les différentes exploitations puissent traverser ces crises, en tenant compte du fait qu'il s'agit la plupart du temps de crises temporaires. Nous en sommes très conscients et estimons avoir fait un travail louable pour aider les producteurs à traverser ces crises.
Ces programmes reposent sur le fait que le secteur agricole est de nature cyclique. Dans la plupart des cas, nous aidons nos clients à traverser ces crises en prévision de l'arrivée probable d'une nouvelle période faste pendant laquelle ils pourront se remettre et prospérer à nouveau.
Le sénateur Segal : S'il y avait un domaine dans lequel vous auriez voulu être plus efficace au cours des 36 derniers mois, duquel s'agirait-il? Personne n'est parfait, mais avec le recul, estimez-vous que certaines choses pourraient changer dans le secteur ou que certaines mesures auraient pu être prises?
M. Rinneard : La plupart de nos clients ont trouvé le meilleur équilibre possible, compte tenu des circonstances dans lesquelles ils se trouvent. Certains sont dans une situation plus préoccupante que les producteurs du secteur des céréales, qui est actuellement très dynamique. Cependant, les difficultés qu'ils endurent actuellement sont en grande partie liées à un phénomène dont on n'avait pas encore pris conscience jusqu'à présent.
M. Brown : J'aimerais expliquer par un exemple ce que nous faisons pour aider les agriculteurs à traverser une période de faibles revenus. Je suis allé dernièrement dans la région de l'Atlantique pour examiner le secteur de la pomme de terre. Comme un grand nombre d'entre vous le savent, les producteurs de pommes de terre du Canada Atlantique ont eu des difficultés financières au cours des deux ou trois dernières années. Nous avons plusieurs comptes. À l'Île-du-Prince-Édouard, en particulier, nous avons dû refinancer des dettes. Nos agents de prêts commerciaux ont probablement refinancé les dettes de 50 à 60 p. 100 de leurs clients au cours des 12 derniers mois pour libérer suffisamment de capitaux pour leur permettre de faire leurs semis cette année.
Nous procédons ainsi parce que nous avons confiance dans nos relations. Nous croyons en outre en l'avenir du secteur et pensons qu'il redeviendra un jour rentable.
[Français]
Denis Boudreau, directeur principal, Agriculture, Banque Nationale, Association des banquiers canadiens : J'aimerais remercier mes collègues d'avoir répondu à ces questions. Je pourrais rajouter que ce qui pourrait nous aider serait de pouvoir prévoir le futur. Cela nous aiderait beaucoup, un peu comme pour la météo.
Nous avons des équipes spécialisées qui se penchent sur les situations difficiles. Par exemple, nous sommes une banque assez impliquée dans le domaine de la production porcine au Québec. Nous avons des équipes spécialisées qui vont trouver des solutions pour répondre aux besoins des deux parties, afin de voir à la situation. Combien de temps cela va durer? C'est un peu comme la météo. Si vous avez la réponse, cela nous fera plaisir de l'entendre.
[Traduction]
Le sénateur Campbell : Étant donné que je ne fais pas partie d'une communauté agricole, j'ai toujours été stupéfait de ne jamais entendre un agriculteur faire des reproches à la banque, même pendant les pires crises. Ça m'a toujours très étonné, car à la ville, c'est toujours la banque qu'on accuse la première. Ce fait témoigne de la qualité des relations dont vous avez fait état. Les agriculteurs ne changent pas continuellement de banque. Ils aiment continuer de faire affaire avec la même banque que leurs parents. Ça en dit long sur votre secteur.
Je ne suis pas un grand partisan du retrait de Financement agricole Canada. C'est peut-être un concurrent, mais il offre un produit qui pourrait être différent des vôtres. Une banque est un guichet unique pour un très grand nombre de services différents.
Tous les témoins pourraient peut-être répondre à la question suivante : pensez-vous qu'un plus grand nombre de jeunes se lanceront dans l'agriculture ou s'agit-il bien d'un exode rural tel que nous le percevons? Est-ce qu'un plus grand nombre de jeunes se lancent en agriculture en restant dans l'exploitation familiale ou en rachetant des exploitations?
Darryl Worsley, conseiller principal, Agriculture, CIBC, Association des banquiers canadiens : On constate une augmentation du nombre de jeunes agriculteurs qui veulent rester dans le secteur et perpétuer la tradition. Les banques aident ces familles à faire la planification de la succession pour s'assurer que les jeunes soient capables de reprendre l'exploitation de leurs parents et de réussir.
Le sénateur Campbell : Est-ce un phénomène régional uniquement ou l'observe-t-on dans toutes les régions du pays?
M. Worsley : Dans toutes les régions du pays.
Le sénateur Campbell : C'est encourageant.
Le sénateur Mahovlich : Pendant la crise de l'ESB, combien d'exploitations agricoles ont fermé leurs portes au Canada?
M. Wrobel : Ça s'est passé en mai 2003. Nous avons généralement opté pour la stratégie consistant à collaborer avec notre clientèle sur une base personnelle afin de l'aider à traverser la crise. Nous avons tous pris des mesures, en adoptant le principe du report et en ne réclamant que les intérêts pendant une certaine période, ou en élaborant un plan. J'ai été stupéfait par la créativité de nos producteurs. Ils étaient confrontés à une situation difficile, et ils ont bien réagi. Grâce à l'aide de tous les intervenants — les gouvernements, les banques, les producteurs et les organisations —, très peu de fermiers ont fait la culbute à la suite de la crise de l'ESB.
Le sénateur Mahovlich : Certains d'entre eux ont probablement été forcés de vendre leur exploitation à de grandes entreprises.
M. Little : Certains l'ont fait, mais la plupart ont été capables de traverser la crise et de tenir le coup.
Le sénateur Mahovlich : C'est une bonne nouvelle. La crise actuelle est liée à la hausse des coûts des intrants. Les agriculteurs seront-ils confrontés à un gros problème dans un avenir proche en raison de ces coûts? Ouvrirez-vous les portes?
Mme Harvey : Nous travaillons avec nos clients au cas par cas. Nous examinons les liquidités, les plans d'entreprise et la rentabilité de chaque client et producteur. Nous travaillons avec eux et, si c'est raisonnable, nous les soutenons.
Le sénateur Mahovlich : Les coûts augmentent et, par conséquent, ils viendront certainement frapper à votre porte.
Mme Harvey : Il est encore trop tôt pour le dire, car c'est seulement le début et tout dépend de la date à laquelle l'argent est dû aux fournisseurs. Il n'y a pas encore eu beaucoup de problèmes jusqu'à présent. L'année dernière était une bonne année et, par conséquent, de nombreux agriculteurs ont payé leurs coûts d'intrants d'avance. Je pense qu'il est un peu trop tôt.
Le sénateur Segal : J'aimerais avoir le point de vue des témoins sur la question des économies d'échelle. Dans d'autres secteurs, il est fréquent qu'un banquier ait deux clients, l'un qui aurait une franchise mais pas beaucoup de capital et l'autre qui aurait beaucoup de capitaux et qui pourrait donner de l'expansion à la franchise. Des banquiers constructifs aideraient ces deux clients à fusionner de façon avantageuse pour l'un et l'autre. Ça aide en outre à faire un client plus solide et plus important pour la banque. Est-ce que ça se fait beaucoup dans le secteur agricole, entre producteurs? Des témoins ont signalé au comité que de nombreux petits agriculteurs disparaissent parce qu'il n'y a pas d'enfants qui prennent la relève ou parce que c'est plus raisonnable de faire de l'agriculture industrielle. Est-ce que c'est fréquent dans le secteur et dans quelle mesure est-ce motivé par la réalité financière plutôt que par des questions de relève d'une génération à l'autre?
M. Rinneard : Je n'ai pas vu cela souvent. À titre anecdotique, en ma qualité d'ex-gestionnaire des comptes, on voit généralement dans des situations semblables différentes exploitations apporter différents éléments et peut-être partager leurs ressources pour la récolte ou d'autres aspects de l'infrastructure ou de la main-d'œuvre afin de pouvoir continuer à administrer des exploitations rentables avec des ressources plus limitées.
M. Brown : Nous n'intervenons pas souvent pour provoquer des rencontres entre deux entités qui pourraient être compatibles. Nous intervenons naturellement dans le transfert intergénérationnel et aidons nos clients à mener à bien cette procédure. Par le biais d'un programme très détaillé, la génération suivante peut prendre la relève. Ce n'est pas toujours une situation rentable pour les parties concernées, mais elles peuvent du moins se lancer dans l'aventure en toute connaissance de cause.
Nous voyons par contre la taille des exploitations augmenter, mais nous constatons aussi une croissance assez importante dans le marché des petites exploitations spécialisées. C'est très intéressant de voir des agriculteurs se lancer dans la production de produits biologiques ou d'autres produits à valeur ajoutée, cultivés localement ou de les voir participer à des marchés agricoles parce qu'ils sont à proximité d'un grand centre urbain. C'est de plus en plus courant, et nous les aidons.
Le sénateur Segal : De nombreux témoins ont signalé qu'il était essentiel de prendre ses distances avec le négoce agricole à l'échelle industrielle, dans le cadre duquel les produits sont transportés sur de longues distances, pour encourager davantage les entreprises agricoles locales. Il est, naturellement, souvent essentiel de rééquiper l'exploitation et de trouver du nouveau financement. Il est possible que ça nécessite des capitaux à investir dans la commercialisation locale, alors que ce n'eût normalement pas été nécessaire dans le contexte de la chaîne alimentaire précédente.
Avez-vous connu des cas semblables? Les banques ont-elles été capables de réagir au cas par cas, selon les mérites? Une telle transition ne peut pas se faire sans risques. L'agriculteur finance les risques, mais la banque doit fournir les liquidités nécessaires pendant la durée du risque. Avez-vous un programme pour ces situations-là?
M. Brown : Oui, ça se voit assez souvent, à grande échelle et à petite échelle. C'est uniquement une question de planification de l'entreprise. Nous aidons notre clientèle à faire la planification pour qu'elle puisse amorcer un virage dans ce secteur. L'exercice de planification est beaucoup plus important dans le secteur agricole à l'heure actuelle qu'il ne l'était pour la génération précédente.
[Français]
M. Boudreau : En ce qui concerne les nouvelles entreprises ou les petites entreprises, oui, j'ai vu une préférence pour cette entreprise. Pourquoi? Par choix personnel aussi. Au lieu de faire un choix d'aller dans des entreprises plus grandes, pas nécessairement plus profitables, certains décident de faire la production et la transformation et/ou la mise en marché.
Comme l'ont dit nos collègues tout à l'heure, ce sont des cas par cas, mais le financement est disponible pour ce genre d'entreprise. J'ai déjà vécu plusieurs cas très intéressants. Il y a un avenir prometteur, surtout dans les régions près des grands centres.
Le sénateur Segal : Vous avez dit qu'il y a des spécialistes qui travaillent avec votre organisation pour faire des analyses. Est-ce que, à l'occasion, on suggère aux familles de changer de produits ou de façon de travailler?
M. Boudreau : C'est sûr qu'il y a un volet consultation dans les recommandations puisqu'on développe beaucoup d'étroites relations avec notre clientèle, surtout en agriculture. On négocie autour de la table de la cuisine. C'est plus facile de bâtir des relations étroites et c'est certain que quelquefois nous utilisons notre expérience et nos connaissances pour aiguiller les gens.
[Traduction]
Le sénateur Segal : En ce qui concerne la planification d'entreprise et les compétences dans ce domaine, pourriez- vous communiquer au comité l'information que vous auriez sur les cas de collaboration des banques avec des établissements comme celui de Guelph ou celui de Kemptville, où l'on donne une formation aux agriculteurs? Les fabricants de produits chimiques, par exemple, financent souvent des programmes de formation pour que les agriculteurs soient bien au courant des précautions à prendre dans la manipulation d'un nouveau produit chimique. Les banques ont-elles des activités semblables? Vous donnez, naturellement, des conseils personnels judicieux et aidez vos clients de votre mieux mais, sur un plan général, est-ce que les banques participent d'une façon ou d'une autre à l'acquisition des compétences professionnelles et des compétences en gestion des risques de leurs clients ou laissent-elles cette tâche à l'Université de Guelph et à d'autres établissements qui mettent l'accent sur la formation générale de l'agriculteur et sur l'acquisition d'aptitudes générales en agriculture?
M. Little : Les banques s'impliquent généralement beaucoup dans ce type d'événements en qualité de participantes ou en faisant des exposés, dans les collectivités locales, ou encore par l'intermédiaire de l'Association des banquiers canadiens et de l'école annuelle des banquiers organisée par le Olds College. Les banques participent activement à l'élaboration d'un programme de cinq jours pour les producteurs et les banquiers. Ce programme concerne les principaux ratios, les informations clés, les plans financiers, l'élaboration d'un plan d'entreprise, et cetera. Nous participons très activement, de façon formelle ou informelle, en faisant des exposés et en prenant directement part à certaines activités tout au long de l'hiver.
Le sénateur Segal : J'aimerais poser une question sur la valeur des terres et sur l'importance qu'elle a dans l'évaluation globale de la rentabilité d'une exploitation agricole. Les terres ont naturellement une valeur intrinsèque qui change avec le temps. Cependant, lorsqu'il y a transfert intergénérationnel ou que l'exploitation agricole change de main, la valeur des terres est, sur le marché, un des critères sur lesquels on se base pour le financement. Lorsqu'une province comme l'Ontario ou une autre province crée, pour les meilleures raisons qui soient, une ceinture verte et décrète que certaines terres ne peuvent être utilisées qu'à des fins agricoles, ce qui change la dynamique concernant la valeur de ces terres — je ne pose pas un jugement de valeur, mais je me contente de signaler que c'est un changement —, quelles sont les conséquences de cette initiative sur la valeur de vos terres que vous mettez en garantie pour financer les fonds de roulement ou d'autres activités pour votre exploitation agricole? De nombreuses personnes avaient fait un plan de retraite et doivent maintenant en faire un autre; j'en ai rencontrées. Que faites-vous en votre qualité de gestionnaires des risques? Comment réglez-vous la question? Quelles incidences cette situation a-t-elle pour vous?
M. Rinneard : Quand nous évaluons des terres agricoles pour du financement, nous les considérons comme des terres agricoles et nous ne tenons généralement pas compte de leur valeur spéculative. Par conséquent, nous espérons que s'il y a changement de la valeur, ça n'aura pas de conséquences néfastes dans nos relations avec l'agriculteur concerné ni pour sa capacité d'obtenir du crédit dans l'avenir.
Le sénateur Segal : Un changement comme la création d'une ceinture verte n'aurait généralement pas de répercussions très importantes sur le portefeuille de prêts qu'on pourrait avoir sur ce marché, sauf des différences au cas par cas, n'ayant aucun rapport avec la valeur des terres, si j'ai bien compris votre commentaire.
M. Rinneard : Oui. Je ne peux pas citer de cas précis où ça a posé un problème.
Le sénateur Segal : Le comité a constaté que la grosse majorité des exploitations agricoles canadiennes sont dépendantes d'un revenu extérieur. Quelle importance ce revenu a-t-il dans le calcul du montant de crédit et des liquidités que vous êtes disposés à avancer à un de vos clients? Ce revenu entre-t-il en ligne de compte? Quand vous devez assurer votre position en regard de différents actifs, tenez-vous compte du revenu en provenance d'autres sources? Chaque cas est particulier et différent — et je respecte ça —, mais quelle est votre approche générale dans ce domaine? Il est maintenant clair que la valeur des terres est basée sur leur valeur comme terres agricoles et pas sur leur valeur spéculative. Avez-vous une approche aussi claire en ce qui concerne le revenu extérieur et comment est-il évalué dans la procédure que vous suivez pour déterminer la solvabilité d'un de vos clients?
M. Worsley : C'est une excellente question, sénateur. En ce qui concerne le revenu extérieur, nous en tenons compte lorsque nous examinons les liquidités globales. Le revenu extérieur est un facteur de plus en plus important, surtout pour certaines petites fermes.
Le sénateur Segal : Je tente de comprendre le mécanisme. La procédure classique pour un non-agriculteur qui doit remplir un état de la valeur nette de ses avoirs pour un banquier, c'est de déclarer ses actifs, son passif et ses sources de revenu liées à sa famille ou à son entreprise. Je présume donc que si la personne la plus proche d'un agriculteur a un emploi d'enseignante ou d'infirmière en ville, on tient compte de ce revenu et il fait partie de la base d'évaluation de la solvabilité de ce client. Quelle place occupe ce revenu dans les liquidités globales de l'entreprise? Est-ce une évaluation juste de ma part?
M. Worsley : Oui; on en tient compte.
Le sénateur Segal : Pour continuer dans la même veine, si on garantissait aux agriculteurs un revenu plancher de base parce qu'ils sont agriculteurs — et pas un revenu garanti lié à la nature de la production, mais plutôt lié au seul fait d'être agriculteur —, au même titre qu'il existe un supplément de revenu garanti pour les personnes âgées dont le revenu est inférieur à un niveau donné, ce type de garantie de l'État faciliterait-il votre tâche de bailleurs de fonds? Un programme sur les opportunités en agriculture a déjà été mis en place, mais il a été supprimé. Il était question de compléter le revenu de toute exploitation agricole canadienne inférieur à 25 000 $ pour lui permettre d'avoir un certain niveau de liquidités. Est-ce qu'une garantie de base dans le système serait un facteur déterminant ou cela serait-il si secondaire que ça n'en vaudrait pas la peine?
M. Little : Je pense que vous décrivez un programme qui serait semblable à tout autre programme gouvernemental, qu'il s'agisse du Programme canadien de stabilisation du revenu agricole ou de tout autre programme provincial dans le cadre duquel il faut traiter cette source de revenu en fonction de la capacité de fonctionnement de l'entreprise agricole. Ce pourrait être considéré comme faisant partie du calcul du service de la dette et comme un indicateur de revenu pour permettre à cette exploitation agricole de soutenir le mode de vie de la famille et de couvrir ses frais de subsistance.
Le sénateur Segal : Quelle est la comparaison, d'une façon générale, avec les types d'avoirs que vous êtes généralement disposés à accepter pour calculer un ratio d'endettement par rapport aux actifs ou au revenu? Avez-vous des normes ou avez-vous un système précis en vertu duquel les producteurs de céréales sont classés dans une catégorie et les producteurs laitiers soumis au régime de la gestion de l'offre dans une autre? Avez-vous des règles qui servent de guide pour calculer ces ratios? Je présume que lorsque les gestionnaires régionaux doivent faire un rapport des résultats de l'ensemble de leur portefeuille, la personne à laquelle ils doivent présenter ce rapport aura une idée de ce que devraient être ces ratios. Vous sentiriez-vous à l'aise de donner cette information?
Mme Harvey : Nous avons des profils d'industrie qui aident nos agents de prêts régionaux à déterminer si c'est une transaction rentable. Ils examinent certains ratios, qui sont différents selon l'industrie, pour déterminer si l'on peut faire affaire.
En ce qui concerne votre question précédente qui porte sur le revenu, je pense que ça dépend en fait de chaque exploitation agricole. Certaines n'ont peut-être pas besoin d'un revenu extérieur pour avoir les liquidités nécessaires alors que d'autres en ont peut-être besoin et le savent. Nous examinons chaque cas en particulier.
Ça dépend également du type d'exploitant. S'agit-il d'un propriétaire unique, d'une société de personnes ou d'une compagnie? Nous examinons toutes ces sources de revenu et traitons chaque cas individuellement.
Le sénateur Segal : Je présume que, dans le cours normal des activités de votre secteur, ces ratios sont des renseignements d'intérêt commercial propres à chaque banque. Vous devriez prendre vos décisions en vous basant sur toute une série de critères. L'Association des banquiers canadiens a-t-elle des normes générales qui pourraient nous aider à comprendre les aspects techniques de la question?
Je ne demande pas des renseignements exclusifs d'intérêt commercial; ça ne nous regarde pas. Avez-vous toutefois des normes générales qui pourraient nous aider dans notre étude sur les coûts des intrants? Quelle incidence cela a-t-il sur le poids de la dette et sur les problèmes de liquidités? Y a-t-il des renseignements techniques que vous pourriez communiquer, pas nécessairement aujourd'hui, mais peut-être dans une note de service qui pourrait nous aider à faire des recommandations constructives pour les prêteurs et les agriculteurs?
M. Wrobel : Notre association prend la défense de ses membres et fait pour eux des études. En ce qui concerne leurs pratiques commerciales, ils administrent leur entreprise comme ils l'entendent. Nous ne recueillons d'aucune façon des renseignements sur leurs pratiques. Nous n'avons pas ce type d'information.
La présidente : Toutes les personnes assises autour de cette table qui sont membres du comité depuis un certain temps savent qu'il n'y a pratiquement pas une année ou un mois qui s'écoule sans qu'un type ou un autre d'incident se produise et cause de très fortes tensions et de vives inquiétudes dans tous les secteurs de l'agriculture canadienne.
Après avoir entendu vos témoignages et après avoir entendu un groupe après l'autre d'agriculteurs critiquer les banques depuis que je fais partie de ce comité, nous n'avions plus été souvent témoins de ce type d'attitude depuis l'affaire de l'ESB. Je viens du sud-ouest de l'Alberta, c'est-à-dire de la région de l'élevage du bétail, et c'était une horreur; ça ne fait aucun doute. C'était effrayant; ça causait des problèmes de santé et toutes sortes d'autres problèmes.
Au cœur de tout cela était toujours la question de savoir si nous reprendrions nos activités. Pouvons-nous reprendre nos activités? Voulons-nous le faire et comment obtiendrons-nous l'aide nécessaire?
Au moment décisif, c'est de vous que vient essentiellement l'aide. D'après vos commentaires, j'ai l'impression que cette crise était en quelque sorte un virage historique qui a suscité des efforts très créatifs pour tenter de maintenir en vie ce secteur et tout ce qui y était rattaché — et, par conséquent, les familles et les agriculteurs aussi.
Avez-vous la même impression? Cette crise était tout à fait inattendue et effrayante et, pourtant, elle a généré des liens entre vous et la collectivité agricole. Vous y avez tous contribué de façon très différente, mais vous avez tous réussi votre coup. Comment appelleriez-vous cela? Cela a-t-il contribué à établir un meilleur contact?
M. Little : Ce fut peut-être un nouveau départ car nous adoptons généralement des pratiques semblables avec les producteurs de porc et de bœuf et avec les naisseurs que celles auxquelles nous avions eu recours avec les producteurs touchés par l'ESB. Nous élaborons avec eux un plan pour les 12 prochains mois et les aidons à apporter à leur entreprise certains changements susceptibles de leur permettre de survivre et de se sortir du pétrin. Je pense que cette crise a peut-être tourné la page. Les relations sont très importantes et la crise de l'ESB a peut-être aidé à établir de meilleures relations.
La présidente : En fin de compte, ce type de contact est important pour tous les Canadiens.
M. Brown : Je pense que ça démontre bien la collaboration dont nous sommes capables. Ça nous a donné l'occasion de montrer que nous pouvions travailler avec notre clientèle. Et il ne s'agissait pas d'une collaboration entre les banquiers et les agriculteurs seulement. Tous les intervenants du secteur se sont mobilisés.
Le gouvernement a agi très rapidement et très vigoureusement. L'Agence canadienne d'inspection des aliments a fait un travail remarquable ainsi que les associations d'éleveurs; tous les intervenants se sont mobilisés en même temps. C'est ce qui explique cette réussite. Cette crise nous a certainement donné l'occasion de faire ce que nous sommes capables de faire dans ce type de situation.
M. Wrobel : Si je peux me permettre de me faire le porte-parole de toute l'industrie, une des principales caractéristiques de cette crise est le fait que l'industrie et les associations ont travaillé en collaboration très étroite avec les gouvernements fédéral et provinciaux, avec les fonctionnaires et avec les parties concernées.
Nous étions en constant contact avec tous les intervenants pour les rassurer et pour faire savoir aux producteurs que, s'ils se sentaient exposés à de nombreux risques et à un grand stress personnel, il fallait qu'ils en discutent avec leur banquier. C'est la première chose à faire. Ils ne devraient pas se dérober devant le banquier, mais lui parler et lui permettre de travailler avec eux pour les sortir de ce mauvais pas.
Comme l'a mentionné tout à l'heure M. Little quand on lui a demandé combien de producteurs avaient fait la culbute, il a dit qu'ils n'étaient pas très nombreux, parce que toutes les parties ont collaboré. En fin de compte, la collaboration avec tous les intervenants a été très efficace et pourrait être un modèle pour des situations semblables.
M. Rinneard : J'aimerais répéter les propos de M. Wrobel. Les producteurs hésitaient alors à prendre contact avec leur banquier. Cependant, après cela et depuis lors, je pense qu'ils se sont rendu compte de l'intérêt que l'on a à faire de la prévention et à avoir des discussions sérieuses dès le début plutôt que de laisser dégénérer la situation. En agissant ainsi, les agriculteurs étaient naturellement beaucoup mieux armés pour traverser cette crise.
Grâce à cette attitude, ils sont encore là aujourd'hui. Certains d'entre eux ont peut-être le même type de conversation avec leur banquier. Ils sont toutefois davantage confiants que nous continuerons de les appuyer au cours de ces difficultés.
La présidente : Ça fait du bien d'entendre ces paroles. Et même dans ma région et, en tout cas, au gouvernement, au Parlement et dans les assemblées législatives, nous étions constamment en contact les uns avec les autres. Dans ce type de situation, je pense même que ça nous a fait aussi beaucoup de bien de savoir qu'au moment décisif, nous nous sommes tous très bien entendus. Nous étions très conscients du rôle du secteur bancaire, et je pense que nous avons également appris à nous connaître.
Sans ces liens étroits, et sans ceux que vous avez établis, nous ne serions pas maintenant en mesure de connaître l'espoir et la réussite à l'issue d'une période particulièrement difficile. Il n'y avait pas que de l'angoisse ou du commerce en jeu; aussi, je vous remercie d'avoir réagi comme vous l'avez fait.
Merci d'être venus ce soir. Ce fut une soirée très intéressante et nous sommes très contents que vous ayez décidé de venir.
La séance est levée.