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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 12 - Témoignages du 8 mai 2008


OTTAWA, le jeudi 8 mai 2008

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 5 afin d'étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, honorables sénateurs et témoins. Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Aujourd'hui, le comité sénatorial poursuit l'étude du coût des intrants agricoles au Canada. Depuis quelques années, les agriculteurs canadiens ont été confrontés à des hausses importantes du prix des intrants et cette hausse a eu un impact direct sur la rentabilité des activités agricoles, malgré une augmentation du prix des céréales. L'augmentation de la demande en provenance des pays asiatiques en développement et la multiplication des activités de production de biocarburant semblent avoir été les principaux facteurs qui ont entraîné une augmentation de la demande en matière de céréales.

Nous accueillons ce matin les experts suivants qui vont aider le comité à se faire une idée de la perspective globale de l'évolution de l'offre et de la demande mondiales en matière de produits et d'intrants agricoles : Guy Debailleul, professeur à l'Université Laval; Sylvain Charlebois, professeur agrégé, Faculté d'administration, Université de Regina; et un ancien professeur, Al Loyns, président de Prairie Horizons Ltd.

Nous vous invitons à présenter quelques observations à notre groupe qui est fort intéressé à connaître votre point de vue, puis nous aurons une période de questions. Nous disposons de deux heures et nous allons commencer immédiatement.

[Français]

Guy Debailleul, professeur, Université Laval, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Vous avez dû recevoir un document qui s'intitule « La flambée des prix agricoles mondiaux 2007-2008 », une reproduction d'un document Power Point. Dans un premier temps, j'illustrerai certains éléments de cette flambée des prix agricoles mondiaux depuis un an, ensuite j'invoquerai certains facteurs qui me paraissent avoir contribué de manière significative à cette hausse internationale des prix.

On peut parler effectivement depuis 18 mois et, en particulier depuis un an, d'une hausse généralisée des matières premières agricoles. Vous avez une illustration sur la première diapositive, à la page 2. Si l'on prend la période janvier 2007 à avril 2008, on a observé une augmentation du prix du blé américain de 99 p. 100, du maïs de 51 p. 100, du riz de 159 p. 100, du soja de 75 p. 100, du tourteau de soja de 83 p. 100, du lait gras en poudre de 67 p. 100 et du beurre de 106 p.100. Je serai amené juste après la période des questions à mentionner que certains de ces produits obéissent à des logiques, à des conditions d'augmentation des prix qui peuvent être relativement spécifiques, en particulier si on considère la question du lait ou du riz.

Par contre, on observe dans le même temps que d'autres produits agricoles ont connu une évolution de leur prix beaucoup plus modérée. La viande bovine congelée, 13 p. 100 seulement — je dis « seulement « en comparaison avec d'autres produits. Pour la viande porcine, on a même observé une diminution qui est évidemment provisoire. La viande ovine a subi une hausse de huit p. 100, la viande de poulet Brésil, 36 p. 100 ainsi que le coton, 16 p. 100, le café, 26 p. 100 et le cacao, 16 p. 100.

On a des logiques qui opposent deux types d'évolution assez contrastées. Les produits en forte hausse sont les céréales et les oléagineux.

On verra que l'enchaînement de ces hausses pour les céréales et les oléagineux sont reliés.

Par contre, pour le lait, mentionnons qu'un lien peut exister dû au fait que le lait constitue à la fois une source de protéines et de matières grasses.

Le phénomène est la conséquence d'une dynamique peut-être plus européenne. L'évolution des prix relatifs, des prix de soutien dans la politique agricole commune, au cours des dernières années, a semblé plus défavorable au prix du lait. De ce fait, un certain nombre de producteurs ont abandonné la production laitière, ce qui a provoqué une diminution de l'offre du lait dans l'Union européenne au point où les industriels du secteur de la transformation ont dû proposer des prix plus incitatifs aux producteurs pour renverser la tendance. La logique est donc tout à fait particulière.

Cette hausse, conjuguée à un certain nombre de matières agricoles, se combine aussi à celle du prix de l'énergie. Elle est en partie alimentée par l'augmentation des coûts de production.

Ce rapport entre la hausse des prix agricoles et celle des prix de l'énergie n'est pas nouveau dans notre histoire. On a connu le même type de situation au début des années 1970, soit en 1972, 1973 et 1974. À l'époque, la hausse des prix agricoles fut alimentée par des achats massifs de l'ex URSS. Un certain nombre de mauvaises récoltes avait entraîné un déficit en produits céréaliers. L'URSS était donc intervenue sur les marchés mondiaux pour acheter de grandes quantités, ce qui avait provoqué une hausse des prix agricoles. À cette occasion, les États-Unis avaient senti la nécessité d'émettre un embargo sur leurs propres exportations de soya de façon à maintenir les prix intérieurs à un seuil acceptable pour les utilisateurs. J'estime qu'il est important de rappeler ce fait. Récemment, on a pu constater qu'un certain nombre de pays ont adopté la même politique.

À présent, mettons ces hausses en perspective. En regardant l'illustration figurant à la page 5 du document, on constate que les hausses auxquelles on assiste ne sont pas d'une ampleur, jusqu'à présent, plus grande que celles qu'on a précisément observées au moment de cette crise du début des années 1970. En termes réels, le prix du maïs demeure inférieur au sommet qu'il avait atteint en 1973-1974. Nous verrons plus tard s'il y a lieu de penser que l'évolution ultérieure sera la même.

Si l'on se reporte maintenant à l'illustration figurant à la page 6 du document, il est à signaler que, mis à part cet événement du début des années 1970, cette augmentation des prix agricoles, et par la suite des prix alimentaires, rompt avec une tendance longue de plusieurs décennies de baisses régulières et continues des prix alimentaires. Si vous comparez les matières premières agricoles, les produits alimentaires, vous observez que, effectivement, depuis 1980 jusqu'à il y a deux ou trois ans, on avait assisté plutôt à une baisse tendancielle de ces prix alimentaires.

Les facteurs qui ont contribué à cette hausse sensible des prix des matières agricoles, en particulier au cours des 18 derniers mois, sont multiples. Comme économistes, on sera porté à vouloir distinguer les causes qui agissent, d'une part, de la demande, et d'autre part, de l'offre. Parmi les causes liées à la demande, on a l'augmentation de la production de biocarburant. Dans la mesure où elle constitue un élément de demande supplémentaire, cela agit sur les marchés. La hausse de la consommation alimentaire des produits est associée à la poursuite de la croissance démographique, à l'élévation du niveau de vie et à la transformation des habitudes alimentaires. Ces éléments ont été largement commentés par les médias. Ce sont des facteurs à long terme, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas appelés à se renverser dans les années qui viennent.

Sur une période plus courte, on a remarqué dans la demande une spéculation financière qui, progressivement, prend un caractère relativement massif. Dans cette foulée, il s'est produit une spéculation de la part des commerçants proprement dits — je distingue évidemment celle des commerçants et des fonds financiers.

Parlons maintenant des causes considérées comme étant liées à l'offre. On a remarqué des baisses de production. On peut les associer à des calamités naturelles. On peut penser aux périodes de sécheresses importantes qui ont affecté l'offre de blé en Australie. À l'inverse, on peut penser aux pluies excessives et aux perturbations climatiques qui ont affecté la production du riz. Par contre, tendanciellement, outre ces phénomènes aléatoires, on observe aussi un ralentissement des hausses de productivité — ces données seront illustrées un peu plus loin à l'aide d'un graphique. La concurrence à laquelle certains pays du Sud font face dans les importations peut avoir des effets de distorsion du commerce associés à certaines politiques agricoles menées dans les pays du Nord. L'ensemble de ces éléments ont provoqué ce que j'appellerais une crise des agriculteurs vivrière, dans la mesure où elles ont du mal à trouver un processus de développement, de modernisation et de croissance de leur productivité.

Les causes liées à l'offre s'illustrent aussi avec la flambée du prix du pétrole, qui a une répercussion sur les coûts de production. Qu'il s'agisse du transport ou de la production agricole, l'énergie est un élément important. On peut penser également à la production des engrais, puisque la fabrication de certains engrais, tel l'azote, est assez intensive en énergie.

À court terme, on remarque des conséquences liées à des restrictions que certains pays ont apportées à leurs propres exportations pour essayer de maintenir les prix intérieurs à un niveau considéré comme raisonnable.

Revenons sur quelques-uns de ces points. On a évoqué la hausse de la consommation, dans certains pays, comme étant un élément perturbateur ou favorable à la hausse des prix agricoles. Deux pays ont été pointés du doigt, notamment la Chine et l'Inde. La Chine consomme actuellement un cinquième du blé, du maïs, du riz et du soja produits à l'échelle mondiale.

La consommation de viande a atteint, en 2003, 36 kilos par personne. Ce chiffre a plus que doublé en l'espace de 15 ou 20 ans. Bien que l'on remarque une très forte disparité entre les milieux urbains et ruraux, en termes de calories animales, le citoyen chinois moyen consomme actuellement 609 kilocalories animales. Ce chiffre comprend l'ensemble des produits animaux, dont la pêche. Pour la période entre 2003 et 2005, aux États-Unis et au Canada, on consommait 1 063 kilocalories. Pour mettre les choses en perspective, en Allemagne on en consomme 1 100 et en France 1 250.

La consommation moyenne de kilocalories animales en Chine est la moitié de celle des pays du Nord.

Un autre facteur important dans l'équilibre alimentaire est la consommation d'huile végétale. Le Chinois moyen consomme à peu près 19 kilos d'huile végétale contre 50 kilos pour un citoyen américain ou européen. En parallèle à ces constats, il faut signaler que la balance commerciale agricole est toujours excédentaire et que la Chine est encore actuellement un pays exportateur net de céréales. En revanche, il y a une importation très importante de produits oléagineux. Je signale au passage, car c'est un élément du débat, que dans le contexte, la Chine a estimé judicieux de réduire de 60 p. 100 ses objectifs de production de bioéthanol, qui était de cinq milliards de litres à l'horizon de 2010; ces objectifs ont été réduits à deux milliards.

Donc même si, en tendance à long terme, la Chine devient un élément important dans l'équilibre alimentaire mondial, ses habitudes alimentaires actuelles ne sont pas directement responsables de la hausse récente. En revanche on peut s'occuper du poids qu'elle va représenter dans les années à venir et du défi que représente pour elle la capacité à maintenir un développement de son agriculture en relation avec ses besoins.

C'est le même problème, d'ailleurs, qui va se poser de façon encore plus aiguë pour l'Inde qui, elle aussi, est actuellement exportatrice nette de produits agricoles. Elle a, comme vous le savez, apporté des restrictions à ses exportations de céréales en 2007. Elle est, comme la Chine, un très gros importateur de produits oléagineux et en même temps un très gros exportateur de tourteaux d'oléagineux. Elle est exportatrice nette de viande et de produits laitiers et, comme on peut le penser, c'est aussi lié au fait que la consommation moyenne par personne de viande en Inde reste très modérée et est probablement appelée à évoluer moins vite que celle la Chine pour des raisons culturelles.

L'Inde est le quatrième producteur mondial de bioéthanol mais, dans le contexte, un certain nombre des déclarations des dirigeants indiens amènent à penser qu'ils vont remettre en cause une partie de ces orientations de production de biocarburant. À la différence de la Chine, je dirais que la préoccupation est encore plus grande, dans l'avenir, concernant la capacité de la Chine à développer rapidement son agriculture pour faire face à la croissance de ses besoins, étant donné que l'agriculture n'a pas été un secteur prioritaire dans les dernières années du point de vue du développement économique.

Je veux maintenant présenter quelques points sur les biocarburants dont on a fait un élément important de la croissance des prix. Il est vrai que, aux États-Unis, les objectifs de production d'éthanol sont intervenus à un moment où on observait une baisse de la production. Cette baisse de la production, combinée avec une hausse de l'utilisation énergétique, s'est traduite notamment par une baisse des stocks. Or vous savez que le niveau bas des stocks est un élément qui joue beaucoup sur certains aspects de la spéculation. La hausse du prix du maïs, favorisée par cette utilisation de biocarburant a eu un effet, incontestablement, de contagion à l'échelle mondiale pour le prix du maïs, puisque les États-Unis sont un pays « faiseur » de prix en la matière; par voie de conséquence, il y a des possibilités de substitution importante entre céréales ou un effet sur les autres céréales.

On retrouve la même dynamique pour l'Union européenne, sauf qu'il y a deux dynamiques différente qui se conjuguent; celle de la production d'éthanol qui est à base de maïs mais aussi de betterave sucrière, en Europe; et puis la fabrication de biodiesel, puisque le diesel est un élément important des carburants automobiles en Europe et le biodiesel rejoint la problématique des oléagineux.

On doit mentionner le Brésil puisqu'il est le deuxième producteur mondial de bioéthanol. Comme vous le savez l'éthanol est produit à partir des cannes à sucre et il n'y a pas eu d'augmentation significative du prix du sucre, à l'échelle mondiale, associée à une éventuelle croissance de la production d'éthanol.

J'avais évoqué le rôle nouveau, relativement important et récent, de la spéculation financière. C'est même un point qui semble avoir surpris la Commodity Futures Trading Commission qui récemment observait que ces fonds spéculatifs contrôlaient environ un cinquième des contrats à terme pour le maïs, le blé et le bétail vif aux Etats-Unis, notamment, sur le marché de Chicago, pour les contrats à long terme, 47 p. 100 des porcs en vif, 40 p. 100 du blé, 36 p. 100 des contrats à long terme en bétail vif et 21 p. 100 en maïs. C'est un phénomène relativement nouveau dont il faudra examiner — on n'a pas de recul pour le moment — les conséquences possibles sur la stabilité ou l'instabilité des prix agricoles internationaux à plus long terme. On peut craindre effectivement que leur rôle soit associé à une volatilité des prix beaucoup plus élevée.

Je mentionnerai au passage qu'il ne faut pas en déduire que ces fonds spéculatifs créent la hausse, dans le sens où ils n'interviennent que s'ils anticipent une hausse; en revanche, ils peuvent exacerber ou précipiter un certain nombre de mouvements et donc accroître la volatilité de l'ensemble. Mais ils ne vont pas créer une hausse dans un contexte où les facteurs seraient plus favorables à une baisse, naturellement.

Quelques autres points encore; à la page 10, vous avez un ralentissement des hausses de productivité. Ce que vous avez sur ce graphique, c'est l'évolution sur une quarantaine d'années des augmentations annuelles de rendement pour trois grandes cultures. C'est à l'échelle internationale, donc cela mêle les pays développés et ceux en développement. Vous pouvez observer que, en tendance, vous avez une diminution de ces hausses. On pourra s'interroger sur les raisons de cette tendance. Là encore, on pourra renvoyer au récent rapport mondial sur le développement qui a consacré son rapport 2008 à l'agriculture et qui constate un sous-investissement dans le secteur agricole.

Toujours du côté de l'offre, on observe évidemment, à la page 11, une évolution différenciée des rendements entre les pays dits développés et ceux en voie de développement. Vous voyez les rendements en céréales, il s'agit des rendements moyens en céréales, toutes céréales confondues. Ces écarts sont assez sensibles et c'est particulièrement le cas lorsque l'on regarde l'évolution des rendements sur le continent africain; c'est la courbe qui est la plus en bas de l'échelle des rendements et ces rendements ont pratiquement stagné. Cela appelle un effort particulier de ce côté.

J'avais évoqué d'autres facteurs qui sont défavorables à l'offre, en particulier à l'augmentation de l'offre dans les pays en développement. Parmi eux les mécanismes commerciaux, dans le sens où il peut y avoir des distorsions qui ont été reliées à des politiques directes ou indirectes de subventions à partir des pays du Nord.

La faiblesse de l'offre s'explique aussi comme j'y ai fait allusion récemment par la faiblesse du soutien à l'agriculture dans un certain nombre de ces pays en développement. On aura peut-être l'occasion d'y revenir. Voilà les quelques observations que je voulais soumettre à votre attention en début de cette séance.

[Traduction]

La présidente : Merci. Qui aimerait prendre la suite?

Sylvain Charlebois, professeur agrégé, faculté d'administration, Université de Regina, à titre personnel : Bonjour. Il est bien évident que ma province, la Saskatchewan, a bénéficié de la situation qui règne actuellement sur les marchés mondiaux. Nous produisons beaucoup de céréales, nous avons du pétrole en abondance et nous avons de l'uranium. Nous disposons de quantités importantes de produits et de ressources. Nous bénéficions de la situation, mais je pense que le Canada devrait se préoccuper de la situation qui sévit dans le monde.

En guide d'introduction au débat de ce matin, j'ai préparé un bref texte afin de m'assurer de ne pas dépasser les dix minutes qui me sont imparties.

Je vais parler de la crise alimentaire mondiale, des négociations du Programme de Doha pour le développement et des politiques agricoles canadiennes.

La crise alimentaire actuelle qui touche des millions de personnes dans le monde entier nous invite à renouveler nos efforts afin d'assurer le succès du Cycle de Doha. Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU, a tenu les propos suivants à l'occasion de la 12e session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, au Ghana, le 20 avril :

À l'évidence, le Cycle de Doha doit aboutir. Par aboutir, j'entends au minimum permettre aux pays en développement à faible revenu d'exporter leurs biens et services agricoles et non agricoles sur des marchés nouveaux et importants. Il est temps que les pays les plus riches revoient leurs programmes obsolètes de subventions agricoles. Les économistes s'accordent à dire que ces programmes entravent les échanges commerciaux et pénalisent les pays les plus pauvres de façon disproportionnée, contribuant ainsi à la crise actuelle. Si nous ne pouvons nous débarrasser aujourd'hui de ces vestiges d'un autre temps, alors même que les prix sont élevés, quand le pourrons-nous?

Nous devons aider les pays les plus pauvres à tirer parti de ces nouveaux débouchés en orientant l'aide, notamment l'aide au développement, vers des projets propres à renforcer les capacités industrielles et de production locales, qu'il s'agisse de construire des routes ou des écoles ou encore de bâtir des systèmes de santé. Les Initiatives d'aide au commerce peuvent être un puissant catalyseur.

Le Programme de Doha pour le développement a vu le jour en novembre 2001 à Doha, au Qatar, et se poursuit jusqu'à ce jour. Son objectif principal est d'abaisser les obstacles au commerce mondial et de faciliter le libre-échange entre des pays connaissant des niveaux de prospérité divers.

L'agriculture occupe une place de premier plan à la Conférence de Doha, comme ce fut le cas lors des négociations du Cycle d'Uruguay qui se sont terminées en 1994. Parallèlement, le Cycle d'Uruguay a apporté au système de commerce mondial sa réforme la plus importante depuis la création de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le GATT, adopté à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

L'Accord de Marrakech qui avait conclu le Cycle d'Uruguay comportait divers engagements visant à rouvrir les négociations sur l'agriculture et les services au tournant du siècle. Ces négociations ont commencé au début de l'an 2000 et ont été inscrites à l'ordre du jour du Programme de Doha pour le développement, à la fin de 2001.

Nombreuses sont les négociations commerciales mondiales qui ont frôlé l'échec avant d'aboutir au tout dernier moment. À ce sujet, le Kennedy Round, le Cycle de Tokyo et le Cycle d'Uruguay sont tous de bons exemples. Cependant, la plupart des observateurs ne se montrent pas très optimistes quant au succès des négociations actuelles de Doha sur le commerce multilatéral, menées sous l'égide de l'OMC.

La France et le Canada en particulier se livrent à d'intenses pressions politiques en vue d'exclure les marchés agricoles des négociations de Doha afin de les remplacer par un accord distinct qui serait plus facile à gérer par les parties intéressées dans les pays en développement.

De nombreux pays ont déjà annoncé de nouvelles mesures protectionnistes afin de faire face à la crise alimentaire actuelle. La France a réclamé un appui plus ferme de la politique agricole commune de l'Union européenne afin de protéger ses agriculteurs contre une concurrence internationale plus intense qui sera la conséquence logique d'une conclusion heureuse du Cycle de Doha. Sans l'agriculture, Doha n'existe pas.

Cela peut paraître contre-intuitif, mais la crise alimentaire actuelle invite toutes les nations à s'entendre collectivement sur des politiques favorables au commerce.

La crise alimentaire actuelle qui frappe plus directement les pays relativement pauvres, a plusieurs causes et facteurs sous-jacents. Le plus important d'entre eux est l'augmentation de la demande mondiale en matière de produits alimentaires, particulièrement la demande croissante de viande dans les pays émergents — avec l'Inde et la Chine au premier rang — ainsi que les conditions météorologiques défavorables qui ont touché d'importants pays producteurs.

Le deuxième facteur est lié à l'augmentation du prix du pétrole et des engrais, comme l'a signalé M. Debailleul, au développement de la production des biocarburants à partir du maïs, ainsi qu'à la panique qui s'est emparée des acheteurs, à la volonté de constituer les réserves et à la spéculation, et cetera.

Les politiques protectionnistes des pays développés et les règles commerciales chaotiques que ces politiques instaurent dans le secteur de l'agriculture sont les facteurs fondamentaux qui s'opposent à l'ajustement de la production et de la distribution alimentaire mondiale afin de répondre à une demande accrue en provenance des pays émergents et causée aussi par les mauvaises conditions météorologiques qui perturbent l'approvisionnement.

La libéralisation des règles commerciales accorderait plus de souplesse et d'innovation dans l'adaptation, comme dans tout autre secteur ou industrie. Aujourd'hui, rien ne semble indiquer que la capacité alimentaire soit insuffisante. Cependant, de nombreux indices révèlent l'existence de politiques publiques mal conçues qui nuisent aux incitatifs et aux mécanismes d'équilibre, empêchant ainsi l'utilisation efficace de la capacité de production alimentaire mondiale existante.

En conclusion, le Canada peut se développer, innover et prospérer dans le secteur agroalimentaire. L'application de tarifs protectionnistes et le fait de miser sur une économie de marché à industrialisation ancienne mène tout droit à la catastrophe.

La demande de produits agricoles augmente rapidement dans de nombreuses régions du monde et le Canada devrait tirer parti de ces débouchés. La crise alimentaire qui prend actuellement de l'ampleur est l'occasion pour le Canada de prouver sa volonté d'éliminer les mécanismes qui entraînent une distorsion du commerce. Le Canada aurait grand intérêt à agir en ce sens en prenant des engagements concrets à l'égard d'un commerce plus libre et plus équitable qui permettra l'éclosion d'un secteur agricole plus efficient et plus concurrentiel pour le mieux-être de tous.

Il est nécessaire d'adopter une entente préconisant l'élimination unilatérale des tarifs; l'abolition du monopole de la Commission canadienne du blé sur l'orge et le blé; et un engagement à libérer le commerce multilatéral, étant donné que le Cycle de Doha demeure la meilleure option pour des pays de libre-échange de taille moyenne comme le Canada.

Malgré les mesures très protectionnistes dont il bénéficie, le secteur agricole du Canada est en perte de vitesse. Une mentalité de fixation des prix règne au Canada depuis de nombreuses années et il est grand temps que le secteur agroalimentaire développe activement des produits à valeur ajoutée.

La gestion des approvisionnements, même si elle reçoit l'appui de tous les partis politiques au Canada, nuit au commerce mondial, ainsi qu'à l'efficience. Le Canada devra inévitablement s'adapter lorsque le Cycle de Doha aboutira à une conclusion favorable au libre-échange comme semblent l'indiquer les récentes ébauches d'accords potentiels.

Lorsque ce sera fait, le Canada devra abolir ses programmes de soutien des prix. Nous devons nous préparer dès à présent, car le changement est inéluctable, que le Canada le veuille ou non. En tant que grand exportateur de produits agricoles, l'enjeu est énorme pour le secteur des céréales, des oléagineux, de la viande ainsi que pour les industries non agricoles du Canada.

C'est le moment d'agir.

Al Loyns, président, Prairie Horizons Ltd., à titre personnel : Bonjour et merci de me donner l'occasion de venir témoigner. Le sujet est important et je suis heureux de partager avec les sénateurs et le comité mon point de vue sur le processus en cours.

Mon exposé est beaucoup moins complet que celui des deux témoins précédents que j'ai l'honneur de côtoyer aujourd'hui. Mon exposé est plus terre à terre. Je l'ai voulu ainsi, car, en tant que professeur à la retraite, c'est comme cela que je conçois les choses actuellement; j'essaie de garder un peu plus les pieds sur terre. Cela signifie aussi que je suis probablement moins analytique et plus introspectif, mais telle est la nature de l'exposé que je vais vous présenter.

Je vais parler rapidement de la hausse des prix par opposition à l'inflation, de la situation dans le secteur de l'énergie, et comparer ce dernier au secteur agroalimentaire. Je vais vous présenter deux cas particuliers que j'aborde de manière introspective — ce sont deux situations qui me touchent personnellement de près ou de loin — afin de décrire la situation de l'agriculture des Prairies sur le terrain. Enfin, j'aborderai deux questions essentielles qui s'avéreront, je crois, pertinentes pour le comité lors de la rédaction du rapport qu'il va produire.

Dans la première question, je me demande si les récentes augmentations des prix et des coûts représentent la nouvelle économie. Est-ce vers là que nous nous dirigeons? Est-ce la nouvelle situation que nous devons accepter? Si c'est le cas, que devons-nous faire pour réagir aux augmentations; et si ce n'est pas le cas, comment devons-nous nous adapter à la situation qui risque de se produire?

Voyant mes notes, une personne m'avait reproché d'être trop académique en abordant des notions telles que les prix et l'inflation, mais je pense qu'il est important de souligner que l'augmentation des prix, ce n'est pas nécessairement la même chose que l'inflation. J'avais présenté cette proposition à la Commission des prix et des revenus lorsque je travaillais pour elle, en 1970, je crois, et j'avais eu probablement autant de difficulté à convaincre mes collègues que j'aurai à vous convaincre aujourd'hui que ma proposition est logique. Cependant, la Commission des prix et des revenus avait fini par adopter l'idée que l'inflation est différente de la hausse des prix et cette différence se remarque d'ailleurs de nos jours dans la façon dont les statistiques sont présentées.

L'inflation est un processus de changement des prix; ce n'est pas simplement le changement des prix. L'inflation est générale et persistante. Elle est cumulative, ce qui signifie qu'elle s'autoalimente et qu'elle a de vastes impacts économiques. Je dirais que nous avons déjà atteint ce niveau dans le secteur de l'énergie.

Cette situation se différencie de celle qui nous intéresse aujourd'hui et qui concerne le prix des intrants et l'augmentation des coûts dans le secteur de l'agriculture. La hausse des prix peut être uniquement sectorielle et, comme c'est le cas de nos jours dans l'agriculture, elle porte essentiellement sur les sous-secteurs agricoles des céréales et des oléagineux. Il faut souligner surtout qu'une simple augmentation des prix dans un secteur peut être un phénomène autocorrecteur. Cette façon de traiter le sujet n'est pas tout à fait adéquate, mais c'est tout le temps que je peux lui consacrer ce matin.

L'augmentation du prix des intrants est-elle équivalente à l'augmentation des coûts? Pas nécessairement. Mais surtout, la hausse des coûts peut ne pas avoir un impact négatif au niveau du producteur, de l'industrie ou du secteur lui-même. Nous en avons un exemple important que je vous présenterai dans quelques minutes.

Le mot clé est le verbe « peut »; la hausse des coûts « peut » être dommageable. En général, la hausse des coûts est dommageable, mais il faut souligner que le prix des intrants ne représente qu'une partie des coûts. Logiquement, pour qu'une activité ou une industrie soit rentable, il faut que le coût des intrants soit, par définition et sur le plan comptable, moins élevé que les recettes.

Le dommage dépend en grande partie des recettes réalisées. Voilà qui résume mon raisonnement. Cela signifie que nous devons examiner la rapidité de la hausse du prix des intrants et des denrées afin de déterminer la portée des dommages et la gravité du problème.

Voici quelques faits importants. Le meilleur rendement des prix sur un an, tant sur le plan de l'augmentation générale des prix à la consommation que sur celui de l'augmentation des prix des denrées alimentaires, est nettement meilleur au Canada qu'aux États-Unis. Cela s'explique tout simplement par le taux de change relatif entre le Canada et les États-Unis. Dans tout ce débat, il est impossible de ne pas tenir compte de l'impact des taux de change. Ils ont une incidence extrêmement importante sur la situation qui règne dans le secteur.

Deuxièmement, la hausse des prix a eu des effets nettement différents selon les secteurs agricoles et les secteurs alimentaires. Cela s'explique facilement et je vous donnerai des détails plus tard. Cela peut s'expliquer également à partir de l'indice des prix à la consommation, l'IPC.

La situation touche différemment le secteur des céréales et celui du bétail. Les coûts de l'énergie ont augmenté considérablement et partout au cours de l'année écoulée. Mais surtout, on a noté une hausse considérable du risque dans le secteur agricole, compte tenu de ce qui s'est passé au cours de l'année écoulée, au cours d'une période relativement brève, moins d'un an quand on y pense bien.

Enfin, comme je l'ai déjà dit, les taux de change ont eu un impact profond sur lequel nous devons nous pencher.

L'étude des coûts de l'énergie dans le secteur agroalimentaire nous montre clairement que tous les prix de l'énergie sont à la hausse. Je n'aurais pas pu être aussi affirmatif il y a seulement deux mois, parce que les prix du gaz naturel étaient stables. En l'espace de deux à trois mois, les prix du gaz naturel ont grimpé de 6 à 7 $ l'unité jusqu'à 11 $ sur le marché à terme, selon ce que rapportait hier le Globe and Mail.

L'énergie occupe une part plus grande parmi les intrants, surtout pour les productions végétales. Cette augmentation est due au carburant des machines, au carburant diesel, surtout au gaz naturel; à tous les transports; aux engrais; aux pesticides, aux produits à base de pétrole; et aux coûts de chauffage importants du secteur agricole.

Selon ma définition, l'inflation sévit déjà dans le secteur de l'énergie. L'économie canadienne se trouve au premier stade de l'inflation, en raison de la hausse des prix de l'énergie.

Enfin, il est important de noter que la situation aurait pu être pire. Si le cours du dollar canadien était demeuré à 85 cents, tous ces impacts auraient été beaucoup plus forts qu'ils l'ont été.

Dans le secteur de l'agriculture et des denrées, la situation est différente. Les cours et les recettes des céréales devraient compenser la hausse des intrants en 2008 et probablement en 2009. Cela démontre que l'augmentation des coûts, quelle que soit leur ampleur, pourrait ne pas avoir d'incidence négative. Il s'avérera probablement que les années 2008 et 2009 seront assez bonnes sur le plan de la situation nette de l'agriculture, mais nous laisserons ce débat pour une autre fois, si nous souhaitons y revenir.

Le coût des aliments à base de céréales est à la hausse et continuera à augmenter. Dans le cas des céréales, le taux de change a eu un effet négatif net en grande partie à cause de l'impact sur les recettes, frappées dans une proportion de 100 p. 100, alors que l'incidence sur les coûts a été moindre. L'élevage est durement et doublement touché. Le prix des produits est à la baisse et le prix des intrants à la hausse, étant donné que les céréales représentent le plus gros intrant.

Le taux de change a eu un impact négatif et a entraîné la réduction du cheptel, notamment les porcs et peut-être les bovins. La réduction du cheptel aura pour conséquence de faire diminuer le prix de la viande dans un premier temps, puis d'entraîner une hausse une fois que les ajustements se seront produits.

Cette situation augmentera les risques de différends commerciaux avec les États-Unis. Il est question d'imposer un étiquetage indiquant le pays d'origine, ÉPO, ce qui pourrait aggraver la situation, selon ce que les Américains décident d'en faire.

Voici deux instantanés de la situation de l'agriculture dans les Prairies. Le premier présente mon exploitation, une petite exploitation de céréaliculture dans la région de la rivière Rouge, exploitation qui n'est pas représentative mais qui peut donner, je crois, certaines indications. Cette année, je ne produis rien dans cette exploitation — à l'heure où nous parlons, le terrain est vendu — mais j'ai préparé les données que j'aurais obtenues si j'avais été en activité.

La location des terres dans la vallée de la rivière Rouge — situation qui est probablement la même partout au Manitoba, voire dans l'ensemble des Prairies — est passée d'environ 45 $ à environ 60 $ l'acre. Cela représente une augmentation d'au moins 35 p. 100. Le blé semé, deux boisseaux et demi par acre, est passé de 6 $ à 9 ou 10 $. Cela représente une augmentation de 35 p. 100. L'engrais azoté est passé d'environ 45 à 70 cents environ. Cela représente une augmentation de près de 55 p. 100. Le service commercial d'épandage est passé de 5 à 7 $ l'acre. C'est une augmentation de 40 p. 100. Le camionnage commercial a augmenté. Ce sont des chiffres qui correspondent à mon exploitation, mais je pense qu'ils sont représentatifs. Le carburant est passé de 70 cents à environ 1,15 $ le litre aujourd'hui.

Le coût total avant la main-d'œuvre et la gestion dans une exploitation de céréaliculture de la vallée de la rivière Rouge s'élevait à 180 $ l'acre. Aujourd'hui, ce coût atteint 240 $. Cela représente une augmentation d'environ 30 p. 100. En revanche, les recettes prévues ont augmenté, passant de 210 $ pour atteindre jusqu'à 350 $ et peut-être 400 $ l'acre lorsque la récolte est bonne. Les recettes ont augmenté d'au moins 50 p. 100. La marge brute a augmenté, de 20 à 30 $, jusqu'à 200 $ l'acre. Cela représente une augmentation importante qui démontre encore une fois que par leur nature même, ces intrants ont un impact mais ne nuisent pas aux recettes puisque ces dernières ont augmenté suffisamment pour compenser.

Dans le secteur porcin, la situation est totalement différente. Les grains de provende ont augmenté de 50 p. 100. Le coût de ces grains est passé de 45 à 55 p. 100 du coût total. Le prix du porc a chuté de 38 p. 100. Les prix se sont actuellement stabilisés et la chute n'est plus que d'environ 20 p. 100, mais, même à ce prix, je ne pense pas que les élevages de porc du Canada et surtout pas ceux des Prairies puissent prétendre être rentables. La vente des porcs représente 100 p. 100 des recettes dans le secteur porcin.

Dans les exploitations du Manitoba, le prix du porcelet est généralement à la baisse. Ce prix est fixé d'après une formule prédéterminée qui accuse une baisse d'environ 25 p. 100 actuellement.

Tous ces facteurs ont eu pour effet de faire passer la rentabilité de raisonnable à négative en moins d'un an. Les producteurs obtiennent de 5 à 8 $ par porc. Une exploitation comme la mienne ne peut pas être très rentable avec une marge de 8 $ par porc. La situation est passée de légèrement positive à largement négative. Dans beaucoup d'exploitations, cet écart est de 50 $ et certains producteurs porcins affirment perdre 50 $ par porc aujourd'hui.

Les chiffres du cheptel et des provendes commencent à s'équilibrer. Le prix du porc est faible et ne couvre pas les coûts de production. Les chiffres sont loin d'être gonflés à l'EPO! Cela veut dire qu'ils ne tiennent même pas compte de l'impact éventuel de l'ÉPO, le système d'étiquetage indiquant le pays d'origine qui s'appliquera bientôt.

Quelle sera la tendance des prix à l'avenir? Je l'ignore, mais je vous propose les commentaires suivants. Les prix de base en agriculture ont augmenté. Le coût de l'énergie devrait continuer à augmenter, mais plus lentement. Les intrants liés à l'énergie vont augmenter et nous avons noté que le gaz naturel est à la hausse actuellement. C'est mauvais signe pour le coût de l'engrais azoté. Le secteur de l'élevage doit diminuer.

Le prix du grain dépend d'un certain nombre de facteurs. La situation varie selon qu'il s'agit du maïs, du blé ou des oléagineux. De nos jours le contexte est différent pour ces différents types de grains. Le maïs est lourdement tributaire de la politique des États-Unis et des autres pays à l'égard de la production d'éthanol. Au Canada, il faut tenir compte de l'incidence du taux de change.

Nous avons parlé des biocarburants. Je ne tiens pas à parler de l'impact des biocarburants sur la production de maïs. Il y a deux points de vue sur la question. Il ne fait aucun doute que de grandes quantités de maïs et de blé entrent de nos jours dans la fabrication du biocarburant au Canada.

C'est le prix qui influencera notre décision d'accepter ou non et déterminera le choix de ce que nous accepterons et la variété des applications biotechnologiques. Actuellement, on recherche des matières premières autres que les céréales pour la production des biocarburants. Les substituts proviendront probablement des procédés de modification génétique qui permettront de digérer et d'extraire les éléments glucidiques et les sucres de matières premières telles que l'herbe, la paille, les écales et les autres produits cellulosiques fabriqués par d'autres industries.

Et il ne faut pas oublier Dame Nature dans son ensemble, ni les différentes politiques et interventions du gouvernement, par exemple le contrôle des prix, les contrôles à la frontière, et cetera.

On ne sait pas exactement si le prix du blé a déjà commencé à descendre. Les points de vue varient à ce sujet. Je peux vous montrer un bulletin en provenance de Winnipeg indiquant que les prix du blé ont commencé à descendre, alors que ce n'est pas nécessairement le cas pour le maïs et les oléagineux. Je peux vous montrer un autre document affirmant que les prix du blé retrouveront leur niveau de décembre dernier d'ici 10 ou 15 ans. Les avis sont partagés à ce sujet.

Les deux dernières diapositives concernent les autres questions que nous devons examiner. J'ai soulevé ce point dans le contexte que votre personnel et votre comité retiendront, je l'espère dans le cadre de votre étude.

On l'a dit à plusieurs reprises — et c'est tout à fait vrai — on constate un déficit grave et croissant de la recherche agroalimentaire au Canada. Le marché des intrants et des services agricoles subit l'influence d'importantes tendances à la concurrence et à la concentration dans le secteur des engrais, des pesticides, de la machinerie, surtout en région et localement; de la manutention et du transport des céréales; et de l'abattage et de la transformation du bétail.

Aucune de ces situations n'est facile à résoudre, mais nous ne leur prêtons aucune attention sous l'angle des politiques. Elles influencent l'évolution des prix et la structure des coûts auxquels sont confrontés les agriculteurs. Je serais ravi d'en parler au cours de la période des questions.

On assiste à la disparition des mécanismes de détermination des prix. Cela ne paraît probablement pas important. Pourtant, un producteur agricole n'a aucune idée de la valeur de son blé ou de son lin et ne peut se servir des mécanismes du Chicago Board of Trade ni d'autres mécanismes des marchés à terme pour protéger sa production. Les producteurs doivent faire face à des risques et à une incertitude supplémentaires auxquels leurs entreprises ne devraient pas être soumises d'un point de politique publique et ces facteurs ont une incidence sur leur capacité de production normale.

J'insiste pour dire que ce secteur connaît actuellement des risques qui n'existaient pas il y a seulement un an. Il y a par exemple le risque de la dépréciation du dollar canadien. Le mot clé est dépréciation. La baisse du dollar canadien à 90 ou 85 cents dans des délais systématiques et organisés serait positive pour le secteur céréalier. Il serait positif aussi pour le secteur de l'élevage.

Cependant, si la chute est aussi rapide que l'ascension qu'il a connue récemment, cela entraînera beaucoup plus de problèmes que le secteur n'en a connus à la suite de la hausse du taux de change. Que peut faire le gouvernement sur le plan de la politique publique? Je l'ignore, mais il pourrait par exemple se livrer à un inventaire des risques dans l'industrie.

À mon avis, il est très probable que les recours commerciaux des États-Unis vont augmenter. L'ÉPO est une des mesures qui occasionneront de tels recours. Nous ne savons pas quelles seront les répercussions de ces mesures, mais aussi vrai qu'il pleut à Indianapolis et que Dieu a créé la pomme, nous verrons les Américains s'opposer à l'entrée du bétail aux États-Unis. Il ne serait pas étonnant non plus que les Américains contestent les livraisons de blé.

Par ailleurs, dans le cas des politiques sur les biocarburants, par exemple, que se passerait-il si les États-Unis supprimaient les subventions qu'ils accordent aux usines de transformation du maïs en éthanol? Certains pensent que cela contribuerait à une chute rapide du prix du maïs. Personnellement, je n'en suis pas convaincu, mais nous ne savons pas ce qui se passerait. Par conséquent, cela constitue un risque.

La généralisation du contrôle des prix et des contrôles frontaliers pourrait aussi s'avérer désastreuse pour l'industrie. Faut-il une autre commission? C'est une avenue que beaucoup de Canadiens envisagent pour régler de tels problèmes. Selon moi, ce ne serait pas vraiment nécessaire, mais nous devons disposer d'un plan politique ciblé qui s'appuie sur une recherche sérieuse. La nécessité de poursuivre les recherches rejoint ce que j'ai dit un peu plus tôt.

Mon dernier point porte sur le manque d'efficacité de la politique de concurrence de notre pays. Nous avons besoin de mesures structurelles. Beaucoup de problèmes que j'ai mentionnés ont leur source dans la structure; à savoir la concentration du marché et les questions d'énergie dans les secteurs des intrants et des produits. Nous avons besoin de mécanismes pour administrer cette structure.

La politique de concurrence qu'applique actuellement notre pays n'est pas suffisante. L'honorable Wayne Easter a signalé des problèmes au niveau de la concurrence dans le rapport qu'il a présenté à la Chambre des communes il y a un an et demi. Je ne partage pas la vision de M. Easter sur de nombreux points concernant la politique agricole, mais la plupart de ses commentaires concernant la définition des problèmes engendrés par la politique de concurrence et la structure de l'industrie me paraissent très justes.

Nous devrions nous inspirer des modèles européen et australien qui accordent une beaucoup plus grande importance à la politique de concurrence. Je pense que ces pays obtiennent de meilleurs résultats que le Canada.

Enfin, les responsables des politiques de concurrence auraient sans doute besoin de ressources plus nombreuses.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à cette question ainsi qu'à toutes les autres questions que vous souhaiterez me poser.

La présidente : Merci. Ce fut vraiment très instructif de vous écouter tous les trois.

Le sénateur Mahovlich : En parlant de concurrence, les agriculteurs américains sont-ils mieux protégés que les agriculteurs canadiens vis-à-vis de la concurrence mondiale?

M. Loyns : L'aspect de la concurrence que j'ai soulevé est différent de la notion de protection des agriculteurs. Permettez-moi cependant de commenter brièvement ces deux aspects.

Il est certain que les producteurs américains bénéficient de diverses mesures de soutien public bien plus efficaces qu'au Canada. Les producteurs américains bénéficient de programmes agricoles beaucoup plus vastes qui leur assurent une protection en vertu du Farm Bill. Les producteurs américains jouissent également d'une plus grande protection frontalière, mais cela varie selon les secteurs. Il est difficile de donner rapidement une réponse précise.

Je faisais plutôt allusion à la concurrence que se livrent les entreprises qui exercent dans le secteur des intrants, par exemple celui des engrais ou des machines. Aux États-Unis, la concurrence est plus grande puisque ce pays est plus compact et qu'il dessert une plus grande population dans tous les secteurs géographiques. Un des problèmes qui se pose au Canada au niveau de la concurrence est sans aucun doute les grandes distances qu'il faut parcourir pour livrer les produits et créer des institutions chargées de gérer les marchés commerciaux.

Mes collègues ne partageront peut-être pas mon point de vue, mais je pense qu'en fait de concurrence, de manière générale, les producteurs américains bénéficient d'une plus grande concurrence que les producteurs canadiens dans bon nombre de ces marchés. Je vais prendre en particulier l'exemple du secteur de la manutention et du transport des céréales. Nous avons deux lignes de chemin de fer qui assurent le transport d'environ 95 p. 100 des céréales destinées à l'exportation. Les distances à parcourir sont énormes. Les deux lignes de chemin de fer ne se font pas vraiment concurrence. Depuis des siècles, elles desservent confortablement les régions qui bordent leurs routes et n'ont pas à affronter la concurrence. Une partie de cette concurrence est soumise à la réglementation, mais la plus grande partie ne l'est pas.

Pour la même population aux États-Unis, la plupart des lignes de chemin de fer desservent le Sud, l'Ouest et l'Est et le corridor hautement subventionné du Mississippi assure le transport d'une bonne partie de la production des céréaliculteurs. On voit bien par cet exemple que les Américains bénéficient d'une meilleure situation qu'au Canada sur le plan de la concurrence.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que le port de Churchill serait d'une certaine utilité dans ce domaine? J'ai entendu dire qu'un bateau russe y était venu.

M. Loyns : La question est intéressante et je suis content que vous l'ayez posée. La concurrence est insuffisante dans le secteur des engrais. J'ai apporté la photocopie d'un article préparé par un représentant de l'industrie des engrais dans l'Ouest canadien. Il y est question du prix des engrais et je ne pense pas que l'auteur avait l'intention de donner cette impression, mais pour un économiste, cela indique que le secteur occupe une position dominante sur le marché. Les fabricants d'engrais établissent les prix de leurs produits, qu'ils soient vendus entre le Kansas et la frontière américaine, ou entre Edmonton et Winnipeg, comme s'ils étaient fabriqués à la Nouvelle-Orléans. Or, la plupart des engrais azotés utilisés en Amérique du Nord sont fabriqués à Edmonton. Par conséquent, c'est à Edmonton que les prix devraient être les plus bas si l'on en croit les principes de l'économie et de la concurrence. C'est entre ici et le Kansas, Minneapolis et autres que les deux sources d'approvisionnement devraient se rejoindre et que les prix devraient être les plus élevés. C'est là que devrait se trouver la limite où se rejoignent les fournisseurs d'engrais.

Quel est le lien entre l'engrais et le port de Churchill? La Nouvelle-Orléans est le point de référence du système d'approvisionnement en engrais. Si la plus grande partie de l'engrais était distribué à partir de Churchill, le point de référence serait différent et c'est dans le Sud du Manitoba que l'engrais serait le moins cher. Cela forcerait les fournisseurs qui vendent leurs produits au prix fort à Edmonton à baisser leur prix afin de faire concurrence aux livraisons en provenance de Churchill. Je crois que l'essai a été fait et qu'il s'est avéré concluant. Il est clair que l'on a noté un léger impact sur les prix dans le Sud du Manitoba pendant quelque temps.

Toutefois, la question est de savoir comment en tirer parti. Quelle pourrait être l'influence de la politique publique? Je ne me sens pas capable de répondre à cette question, surtout ici, mais, sénateur Mahovlich, vous avez mis le doigt sur une question importante.

M. Charlebois : J'aimerais ajouter quelque chose au commentaire présenté par M. Loyns au sujet de la concurrence avec les Américains. Que l'on soit en faveur ou non, le Farm Bill définit une certaine vision de l'agriculture américaine. Je crois malheureusement qu'au Canada, nous n'avons pas de vision. Nous prenons de nombreuses mesures pour différentes raisons et à certains moments, les diverses politiques entrent en conflit.

Le récent programme de réforme appliqué dans l'industrie du porc en fournit un exemple. Nous accordons 50 millions de dollars à l'industrie du porc pour gérer nos approvisionnements, ce qui se traduit par l'élimination de certaines bêtes. Bien entendu, ces porcs sont éliminés parce que la plupart des producteurs porcins ne peuvent pas assumer les coûts de leur alimentation en raison d'importantes augmentations du coût des intrants. En revanche, les politiques de certaines provinces appuient l'implantation d'usines de fabrication d'éthanol qui ont une incidence sur le prix du maïs. Au Canada, nombreux sont les facteurs qui ne contribuent pas à améliorer la situation. Nous consacrons des fonds à divers programmes, sans aucune vision réelle.

M. Loyns a également parlé de la concurrence et de l'approvisionnement mondial, un des défis qui comptent probablement parmi les plus importants auxquels l'Ouest canadien est confronté. C'est sur l'initiative actuelle de la porte et du corridor que repose la plus grande partie de notre espoir d'améliorer la position concurrentielle du Canada. Au Canada, la densité de la population n'est pas très élevée. Pour pouvoir soutenir la concurrence, notre secteur agricole doit être doté d'une efficacité logistique.

Cette semaine, le Conference Board du Canada a publié une étude montrant que nous sommes à la traîne dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. Nous sommes incapables de tirer parti des débouchés qu'offrent les marchés de l'Asie du Pacifique et nous devons passer par l'intermédiaire des États-Unis. Les États-Unis ont établi des portes et des corridors extrêmement efficients par comparaison à ce dont nous disposons. Nous devons investir plus dans l'infrastructure afin d'améliorer la compétitivité de notre agriculture.

Le sénateur Mahovlich : On dirait que nous ne sommes pas bien orchestrés.

M. Charlebois : Pas nécessairement; M. Loyns vient du Manitoba, je viens de la Saskatchewan et nos deux provinces rivalisent pour avoir l'honneur d'être la plaque tournante — le nouveau Kansas City ou Chicago — du Canada pour les céréales et les transports. Il faut également prendre en compte Winnipeg, Regina, Calgary, Saskatoon, Edmonton, et cetera. On crée des corridors en direction de Prince Rupert ou de Vancouver, mais de nombreuses administrations municipales, régionales et provinciales se font concurrence. Contrairement à ce que vous avez dit, sénateur, il n'y a pas de manœuvres orchestrées.

[Français]

M. Debailleul : Comme vous voyez, nous sommes trois économistes, ce qui veut dire que nous représentons au moins trois opinions différentes sinon plus, mais en même temps, on peut se rejoindre sur un certain nombre de points. M. Loyns soulignait effectivement le manque de concurrence dans le secteur de l'approvisionnement de l'agriculture en disant qu'il est peut-être encore plus net au Canada qu'aux Etats-Unis. Or, aux États-Unis, on sait que les agriculteurs se plaignent aussi de ce manque de concurrence, notamment dans un certain nombre de secteurs dont celui des engrais. Pour les engrais, il suffit de noter que l'action de Potash Corp. a triplé de valeur en moins d'un an et que les résultats de John Deer sont en augmentation d'environ 60 p. 100. On a une idée de la dynamique de report de l'augmentation des prix sur un certain nombre de fournisseurs quand ils sont en situation de monopole ou de quasi monopole. Je voulais souligner que pour les agriculteurs américains, c'est aussi un grand sujet de préoccupation au point où des groupes de réflexion sont menés sur le sujet.

C'est d'autant plus intéressant à signaler que lorsqu'on parle de l'agriculture, on a tendance à dire que le manque de concurrence à l'intérieur du secteur agricole est lié à des effets de distorsion des politiques agricoles. Dans le secteur des approvisionnements, des intrants, ce sont les mécanismes spontanés du marché qui ont conduit à ce niveau de concentration. Je tenais à souligner cet aspect.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : J'ai entendu dire que la situation allait continuer à empirer aux États-Unis. Si le dollar américain poursuit sa chute, quelles seront les conséquences pour nous?

M. Loyns : L'écart qui se creuse entre nos deux monnaies a eu quelques-uns des impacts que j'ai indiqués. Si le dollar américain continue à chuter, les exportations en provenance des États-Unis augmenteront la pression sur notre économie. Cela pourra, dans certains cas, entraîner une augmentation de nos prix.

Il y a deux aspects à votre question : le dollar américain peut chuter par rapport à la devise européenne, par exemple — c'est-à-dire par rapport au reste du monde — ou par rapport à la monnaie canadienne. Les impacts seront différents.

Les impacts que j'ai évoqués dans le secteur de l'élevage et dans celui des céréales seront négatifs sur le plan des relations entre les États-Unis et le Canada. La plupart des ventes de bétail et de céréales sont chiffrées en dollars américains. Permettez-moi de me limiter à ces deux secteurs.

Si le dollar américain poursuit sa chute, je pense que la situation va continuer à empirer. Cette chute occasionnera une augmentation du dollar américain qui, comme je l'ai indiqué, ne peut que nuire aux secteurs du bétail et des céréales.

Le sénateur Mahovlich : Compte tenu de la chute du dollar américain, je ne pense pas que le dollar canadien se soit apprécié par rapport à l'euro. Le dollar américain a tellement baissé par rapport à l'euro que cette chute a donné l'impression que notre dollar était en hausse. Pourtant, lorsque je suis allé en Europe, je n'ai pas eu l'impression que notre dollar plus fort me procurait un avantage quelconque.

M. Loyns : Vous avez tout à fait raison. Je ne connais pas particulièrement bien ces chiffres, mais votre remarque est pertinente. Étant donné que la plupart des prix de vente du bétail et des céréales sont calculés en dollars américains et que la plupart du bétail est destiné aux États-Unis, l'impact a été plus grand dans le secteur de l'élevage.

Bien entendu, cette faiblesse du dollar nous a probablement été favorable pour la vente de céréales canadiennes à d'autres pays. Cependant, je suis toujours convaincu que l'impact a été négatif et que toute baisse supplémentaire du dollar américain aurait un impact encore plus négatif. Cela dit, mes collègues universitaires ne seront peut-être pas d'accord.

La présidente : Je rappelle à tous, à mes collègues et aux témoins — en particulier à M. Charlebois — que notre comité a entrepris en 2006 une étude brève mais ciblée de la situation du secteur agricole. Nous avions produit un rapport intitulé La politique agricole et agroalimentaire au Canada : Les agriculteurs d'abord! Ce rapport ne présentait qu'une seule recommandation : l'instauration d'une nouvelle politique agricole. Nous espérions que cette nouvelle politique ferait peut-être progresser les choses plus vite.

Je ne prétends pas que le gouvernement ne se soucie guère d'une nouvelle politique agricole, mais je crois que la priorité va à d'autres initiatives. Cependant, je crois que notre effort a été très apprécié dans les milieux agricoles.

Le sénateur Oliver : Merci, madame la présidente. Je tiens tout d'abord à remercier nos trois témoins. Vous avez tous les trois présenté d'excellents exposés sur une question pertinente, difficile et importante pour l'ensemble des Canadiens, des agriculteurs et des consommateurs.

Vos perspectives sont différentes, mais vous avez tous souligné des éléments importants. Je veux vous poser des questions à tous les trois, mais la question qui m'intrigue le plus se rapporte à l'exposé présenté par M. Charlebois au sujet de l'OMC, du Cycle de Doha, de la libéralisation du commerce et des mécanismes ayant un effet de distorsion du commerce.

Plusieurs de nos prémisses de départ sont les mêmes, mais je ne partage pas vos conclusions. Toutefois, si j'ai bien compris, nous devons trouver des moyens d'éliminer beaucoup de ces mécanismes ayant des effets de distorsion du commerce. La libéralisation du commerce permettrait d'éviter les pénuries de produits alimentaires et autres, parce que le Canada possède une capacité formidable et qu'il pourrait profiter d'une plus grande libéralisation des échanges commerciaux afin d'écouler plus librement ses produits.

Vous vous êtes ensuite penchés sur un de nos mécanismes entraînant une distorsion du commerce, à savoir la gestion des approvisionnements. Vous avez recommandé d'examiner attentivement ce mécanisme. En bout de ligne, le Cycle de Doha dira au Canada s'il doit éliminer ce mécanisme et s'il doit se débarrasser de tous les mécanismes de ce genre. Vous avez également évoqué l'abolition des monopoles dans le secteur de l'orge et du blé. Le gouvernement actuel travaille en ce sens.

Je vais revenir à la gestion des approvisionnements. Notre petit programme de gestion des approvisionnements paraît bien modeste en comparaison de la politique agricole des États-Unis au cours des dernières années et de l'ampleur qu'elle a prise, et également en comparaison des subventions de la communauté européenne qui ont un effet de distorsion du commerce. Ce programme semble être la dernière chose qu'il faudrait supprimer.

Si l'on supprimait aujourd'hui la gestion des approvisionnements et que les Européens et les Américains conservaient leurs subventions dans l'état actuel, nous ne pourrions absolument pas accéder au commerce, car nous ne serions pas concurrentiels. Nous ne pourrions même pas vendre un seul grain.

Comment envisagez-vous la libéralisation du commerce et selon quel calendrier?

M. Charlebois : Vous posez une question à plusieurs facettes. Je vais y répondre de la manière la plus brève possible. Pour ce qui est de l'OMC, permettez-moi tout d'abord de vous dire que, selon moi, le Canada n'est pas nécessairement un pays axé sur le commerce. C'est plutôt un pays dépendant du commerce.

Le sénateur Oliver : Nous exportons beaucoup de nos produits agricoles.

M. Charlebois : En effet, mais je pense qu'une grande partie de ces exportations sont rendues possibles parce que nous sommes voisins des États-Unis; une grande partie de notre commerce se fait avec les États-Unis et nous sommes extrêmement tributaires du marché américain. Nous sommes touchés par les moindres fluctuations de la monnaie américaine.

Ce facteur en lui-même est un grave problème. Voilà pourquoi nous devons augmenter nos relations commerciales avec d'autres pays. Je suis certain que mes collègues seront d'accord avec moi sur ce point. Nous devons être moins tributaires des États-Unis et développer d'autres marchés. Voilà qui nous ramène à une notion que j'ai évoquée un peu plus tôt au sujet de l'approvisionnement mondial.

Le sénateur Oliver : C'est la raison pour laquelle notre ministre du Commerce a conclu un grand nombre d'ententes commerciales bilatérales. C'est la direction que prend notre gouvernement.

M. Charlebois : Oui, de nombreux pays concluent des ententes de ce type, surtout les États-Unis. Depuis deux ans, les Américains ont signé une quinzaine d'ententes bilatérales différentes. Et nous sautons nous aussi dans le même train. Pas plus tard que le mois dernier, nous avons signé une entente bilatérale avec le Pérou. C'est un indicateur positif.

Cependant, nous devons appliquer notre stratégie commerciale avec prudence. C'est pourquoi nous devons consacrer beaucoup d'énergie à nos négociations multilatérales. Pour commencer, de nombreux analystes ne sont pas très optimistes relativement aux négociations de Doha.

Je ne partage pas ce point de vue. Je pense qu'elles progressent bien, qu'elles suivent tout simplement le cours normal des choses. Les négociations ont commencé en 2001. Nous sommes actuellement en 2008. Elles sont donc en cours depuis sept ans. Je pense que le Cycle de Doha durera au moins le double de celui de l'Uruguay qui a duré lui- même sept ans. Il faut donc prévoir une quinzaine d'années.

Le sénateur Oliver : Comme vous l'avez dit un peu plus tôt, le Cycle de Doha porte sur l'agriculture, et à moins que les Américains et les Européens acceptent d'éliminer leurs subventions à effet de distorsion du commerce, aucun progrès ne sera réalisé à Doha.

M. Charlebois : Ils ont déjà commencé à évoluer un peu. L'Inde et la Chine se montrent également prêtes à bouger, ce qui est un bon signe.

Cependant, je crois que les négociateurs canadiens sont hautement compétents et très respectés à Genève. Leur problème, c'est qu'ils sont aux prises avec un ordre du jour politique impossible. Ils se penchent sur le commerce, mais ils cherchent également à conserver les vertus de la gestion des approvisionnements, mécanisme qui est en fait une mesure hautement protectionniste.

Le sénateur Oliver : J'aimerais connaître votre point de vue sur la gestion des approvisionnements.

M. Charlebois : Nous devons réviser ce système. De nombreux pays tels que l'Angleterre et l'Australie l'ont déjà fait.

Par exemple, 80 p. 100 de l'industrie laitière est soumise à la gestion des approvisionnements. Par conséquent, on parle inévitablement du secteur laitier lorsqu'il est question de la gestion des approvisionnements. L'industrie laitière a été très florissante dans ces pays. Elle a développé de nouvelles technologies et de nouveaux marchés. L'industrie laitière est très intégrée et elle est partie à la conquête de nouveaux marchés afin d'apporter de nouvelles richesses au pays.

Nous mettons principalement l'accent sur la gestion des approvisionnements et les agriculteurs en bénéficient. J'ai grandi à Farnham, au Québec, la région de production laitière par excellence du Québec. J'ai travaillé pour des agriculteurs. Ce sont des gens sympathiques à qui je ne veux pas de mal, mais ils seraient horrifiés de m'entendre dire qu'il faut modifier la gestion des approvisionnements.

La consommation de lait est à la baisse. Il y a 20 ans, un Canadien moyen buvait environ 100 litres de lait par an. Actuellement, la consommation est passée à 85 litres de lait par an et ne cesse de descendre chaque année.

Nous mettons essentiellement l'accent sur la gestion des approvisionnements et non pas sur l'augmentation de la demande. Voilà essentiellement ce que je pense de la gestion des approvisionnements. Nous pouvons nous tourner vers la demande intérieure et internationale. Cependant, nous devons d'abord et avant tout développer le produit et les marchés.

La gestion des approvisionnements fait que les consommateurs canadiens subventionnent indirectement nos producteurs laitiers. Le prix du gallon de lait a augmenté de 38 à 40 p. 100 aux États-Unis depuis six mois, mais il est encore inférieur au prix que nous payons au Canada.

Dans la plupart des provinces, le prix du lait, des œufs et de la volaille est plus élevé. Ces trois produits bénéficient des mesures de gestion des approvisionnements. En bout de ligne, ce sont les consommateurs canadiens qui contribuent indirectement à l'entretien de notre programme de gestion des approvisionnements.

[Français]

M. Debailleul : Sylvain et moi avons des perceptions un peu différentes en ce qui concerne les mérites du système de gestion de l'offre. Je le rejoins sur certains points en disant qu'on a des problèmes avec le fonctionnement actuel du système de gestion de l'offre dans la mesure où il génère des rentes qui sont notamment cristallisées dans le prix du quota, et c'est problématique. On essaie de trouver des mesures. L'abandon du système de gestion de l'offre ouvre-t-il la porte à une prospérité plus grande dans le secteur laitier? Je n'en suis pas entièrement convaincu. Quant au développement de la production, Sylvain faisait référence à l'Australie où on n'a pas observé une augmentation de la consommation des produits laitiers là-bas. À moyen terme, on a plutôt observé une diminution de consommation des produits laitiers. Si la production s'est développée en Australie, c'est à cause de l'accès à des marchés extérieurs. Un des problèmes associés à la gestion de l'offre est le fait de considérer le lait comme une matière première. Cela ne donne pas suffisamment d'espace pour essayer de trouver des moyens de le valoriser, de lui apporter plus de valeurs ajoutées, soit à la ferme, soit dans certaines transformations.

J'ai eu l'occasion de voyager au Wisconsin l'automne dernier. Le Wisconsin était le premier État producteur de lait aux États-Unis et il a l'ambition de le redevenir. Lorsque je me suis rendu au Wisconsin, c'est la première chose qu'on m'a dite au ministère et dans les organisations professionnelles : on ne pourra acquérir une nouvelle prospérité que si on abandonne l'idée que le lait est une matière première et que l'on s'oriente essentiellement vers la valorisation, la valeur ajoutée à travers des tas de transformations. Aujourd'hui, le Wisconsin s'enorgueillit d'avoir 800 fromages de spécialité, autrement dit, deux fois plus qu'au Québec.

Permettez-moi, sénateur Oliver, de revenir sur la question des négociations commerciales internationales. Là aussi, j'ai une petite divergence avec Sylvain. Je ne considère pas que c'est un enjeu stratégique pour la question de la crise alimentaire. J'essaie de me faire un peu l'avocat des agricultures des pays en développement. Je sais que si je devais m'adresser aux producteurs de céréales de l'Ouest du Canada, je ne serais pas forcément populaire si j'expliquais qu'une des priorités pour écarter le spectre de la crise alimentaire, c'est de développer les agricultures du Sud, notamment les agricultures vivrières, parce que comme Canadiens, nous avons un peu l'impression que nous avons une vocation à fournir à un certain nombre de ces pays les céréales dont ils peuvent manquer.

En même temps on considère l'émoi, la panique même qui a été celle des grandes organisations internationales et même de certains dirigeants de pays du Nord, au moment de l'éclatement des émeutes alimentaires. D'ailleurs, je me permets de noter au passage qu'on a accordé beaucoup plus d'attention à ce phénomène parce qu'il était essentiellement un phénomène urbain assez spectaculaire; on avait des manifestations, des vitrines ont été brisées et autres alors que cela fait des années qu'on vit avec 850 millions de personnes qui ne sont pas nourries suffisamment. Le fait est que ces 850 millions sont essentiellement des personnes vivant en milieu rural et qu'ils sont souvent des agriculteurs. Mais elles sont silencieuses.

On s'est bien rendu compte que les émeutes alimentaires étaient directement associées à une instabilité politique et que cela préoccupait les dirigeants de ce monde. Écarter le spectre de ces crises alimentaires ne peut passer que par la reconstruction des agricultures des pays du Sud. Dans ce cadre, une autre petite divergence avec Sylvain, je ne pense pas que la conclusion du cycle de Doha soit un préalable nécessaire. Il est nécessaire de donner aux pays du Sud les moyens de reconstruire leur agriculture. Cela passe par des moyens que les pays du Nord ont mobilisés il y a 50 ans pour moderniser leur propre agriculture, c'est-à-dire des politiques agricoles interventionnistes et, même si ce n'est pas politiquement correct de le dire, une relative protection de leur marché.

M. Charlebois : J'aimerais ajouter quelque chose à ce que le M. Debailleul vient de dire. La gestion de l'offre va demeurer d'abord et avant tout un outil pour les pays pauvres. La gestion de l'offre a été un outil qui a permis à nos régions au Canada de prospérer, de devenir plus riches. Dans les années 1960, si on se souvient, depuis 40 ans jusqu'à aujourd'hui, cela a permis justement aux régions de s'enrichir. Maintenant, je crois sincèrement que le système canadien est obsolète. On doit tout simplement le réformer.

M. Debailleul évoquait le fait que la consommation intérieure en Australie a diminué. C'est vrai. Par contre, on fait maintenant du gin avec du lait en Australie, le saviez-vous? On parle donc d'innovation, de technologie. On en fait ici au Canada avec des produits laitiers, mais pas suffisamment à mon avis. On doit en faire davantage.

[Traduction]

Le sénateur Eyton : Dans ma première question, je vais reprendre un point soulevé par M. Loyns et je dois vous avouer d'entrée de jeu que je crois fermement à la concurrence. Mes autres questions porteront de manière plus générale sur l'offre et la demande mondiales par opposition à l'offre et à la demande locales ou aux préoccupations canadiennes.

Monsieur Loyns, j'ai été intéressé de vous entendre dire que nous avions besoin d'une politique de la concurrence efficace et que nous devrions nous inspirer des modèles européen et australien. Je connais un peu les deux modèles, mais j'ai été surpris par votre commentaire. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par cette recommandation?

M. Loyns : Je ne connais probablement pas ces deux modèles aussi bien que je le devrais pour vous donner une réponse détaillée, mais je sais qu'en Australie, les responsables de la concurrence dans le cadre de la politique agricole sont au premier rang lorsqu'il s'agit d'effectuer des analyses et de donner des conseils au gouvernement et pour décider de la structure de nombreuses institutions. Le cas que je connais le mieux est celui qui concerne les révisions apportées à l'Australian Wheat Board. À ma connaissance, ces révisions de la Commission australienne du blé ont été entamées par les responsables de la politique de la concurrence il y a 15 ou 20 ans. Ces révisions ont entamé un virage vers la déréglementation et l'évolution ultime de la Commission australienne du blé. Au Canada, un tel processus a eu cours pour diverses raisons, mais a également été entravé parce que cette vision particulière du monde de l'organisation économique n'a pas été élaborée de cette manière au Canada. Nous ne nous sommes pas penchés sur les questions de concurrence entourant la Commission canadienne du blé. La commission crée un contexte non compétitif.

Le sénateur Eyton : Je ne voulais pas parler du processus, ni du cheminement emprunté, mais plutôt du résultat final. Pourquoi la politique de la concurrence australienne est-elle meilleure qu'au Canada?

M. Loyns : L'Australie accorde une plus grande priorité à la politique de la concurrence. Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre autrement à votre question. Il y a une dizaine d'années, j'ai étudié les offices de commercialisation en Angleterre. Lorsque le Royaume-Uni est entré dans l'Union européenne, il s'est avéré difficile d'intégrer les offices de commercialisation dans l'Union européenne, étant donné que l'UE souhaitait appliquer des mesures de rendement de la politique de la concurrence. Le Milk Marketing Board en particulier, était le modèle le plus restrictif au Royaume- Uni et ne correspondait pas au modèle européen.

Je crois que le Royaume-Uni a fini par modifier son modèle afin de l'adapter au modèle européen qui est de structure coopérative, il me semble, avec des liens verticaux qui sont plus conformes aux principes d'ouverture commerciale, de libre-échange, et à la structure plus concurrentielle des industries des pays européens.

J'invite le comité à s'intéresser de près aux modèles européen et australien. Je ne possède pas les connaissances nécessaires pour répondre complètement à votre question, mais j'aimerais que le comité oriente un peu ses travaux dans cette direction. L'honorable Wayne Easter est parvenu exactement aux mêmes conclusions dans l'exposé qu'il a présenté il y a environ 18 mois devant le comité permanent de la Chambre des communes. C'est un aspect de l'industrie qui mérite une étude plus approfondie.

Le sénateur Eyton : Essentiellement, nous nous efforçons au Canada de régler nos problèmes du mieux que nous le pouvons. Nous avons tous notre place dans le contexte mondial. Nous pouvons retarder les choses d'un an, de cinq ans ou même de dix ans, mais il faut toujours s'adapter à l'offre et à la demande mondiales.

Dans ce contexte, les commentaires de M. Debailleul et d'autres commentaires que nous avons entendus laissent à penser que les marchés internationaux, les spéculateurs, les fonds de placement spéculatifs, le New York Commodities Exchange, le COMEX, le Chicago Mercantile Exchange, et cetera, constituent des menaces et n'exercent pas une influence positive sur la fixation globale des prix. La possibilité d'ajustements plus radicaux des prix à la hausse et à la baisse a été évoquée. J'aurais pensé que c'était le contraire et que par exemple, le COMEX exerçait un rôle positif en anticipant et en aplanissant les fluctuations des prix des marchandises, en particulier celles dont nous avons parlé aujourd'hui. Pourquoi attribue-t-on une influence négative aux marchés mondiaux, y compris aux bourses de marchandises comme le COMEX?

[Français]

M. Debailleul : Si j'ai laissé croire que les mouvements de spéculation auxquels on a assisté depuis quelques mois ont un aspect positif sur la régularisation, alors j'ai été mal compris. Je voulais distinguer deux choses; si un certain nombre d'acteurs interviennent sur les marchés des produits en achetant des options, en achetant des contrats à long terme, c'est qu'ils font des anticipations sur le fait que les prix de ces matières premières vont évoluer dans un sens ou dans un autre, donc leur action ne fait qu'anticiper. Cela ne crée pas le mouvement mais cela l'accélère. En l'accélérant, en l'exacerbant, cela accroît la volatilité. De ce point de vue, je pense que cela n'a pas un rôle positif.

En même temps, on pourrait me demander si cela veut dire qu'il faudrait réglementer. Je pense qu'on doit se poser la question aujourd'hui, parce que c'est un phénomène relativement récent. Comme vous le savez, les marchés des grands produits agricoles font l'objet d'anticipations et d'options, qui étaient essentiellement le fait des agriculteurs ou des commerçants qui cherchaient à se couvrir éventuellement contre des fluctuations qui pourraient interférer avec leurs propres décisions de production. Dans ce sens-là, cela a un rôle très utile. En revanche, le jeu des fonds spéculatifs vient perturber leur propre fonctionnement, et cela me préoccupe si on voit se confirmer cette tendance. Effectivement, il s'est créé un certain nombre de fonds spéculatifs. On a créé dans les derniers mois, et même dans les dernières semaines, des divisions « fonds agricole » en disant que c'était le dernier domaine où on pouvait faire de grosses opérations d'argent. Je trouve que c'est assez préoccupant si cela doit se confirmer à long terme.

Quant à la façon de contrôler cela, j'avoue que je ne suis pas en mesure de vous le dire, qu'il s'agisse de la possibilité de le faire ou de la pertinence. Mais cela peut être préoccupant. Indépendamment des débats que l'on peut avoir sur le bien-fondé et les bienfaits d'une plus grande libéralisation des échanges des produits agricoles, la plupart des économistes sont quand même d'accord sur le fait qu'une plus grande libéralisation des échanges serait associée à une plus grande volatilité des prix. Mais cette possibilité d'intervention des fonds spéculatifs va accroître encore plus cette volatilité et c'est une de mes préoccupations.

[Traduction]

Le sénateur Eyton : Nous ne sommes probablement pas tout à fait d'accord. Ce type de mécanisme de fixation des prix fondé sur le commerce international sans restriction, est nettement préférable à l'intervention d'un office de réglementation tentant d'établir le prix en tenant compte de tous les détails complexes qui entrent dans l'établissement des prix à l'échelle mondiale.

Je vais maintenant passer à ma deuxième question qui aborde des notions beaucoup plus précises se rapportant aux ressources mondiales disponibles et à leur utilisation. Par exemple, nous avons tendance à adopter une perspective statique vis-à-vis des terres arables et des récoltes précises qu'elles peuvent produire.

Je connais un peu le Brésil, pays dont il a été brièvement question dans les exposés présentés ce matin, au sujet de la production de la canne à sucre. Si j'ai bien compris, le Brésil possède environ 25 p. 100 de toutes les terres arables du monde, dont une grande partie ne sont pas cultivées. C'est un facteur important, car le Brésil représenterait, sur les marchés mondiaux des exportations, au moins 40 p. 100 des céréales dont on parle aujourd'hui.

Globalement, j'aimerais établir l'inventaire des ressources mondiales dont nous disposons et définir la meilleure façon de les utiliser.

Si l'on commence par les ressources mondiales, est-ce que le Brésil — et je pense que d'autres pays en développement ont eux aussi un énorme potentiel — serait un important producteur des céréales dont nous parlons afin de remédier aux pénuries qui semblent se dessiner aujourd'hui?

Les opinions divergent quant à la durée de ces pénuries, mais il me semble que nous disposons d'un important potentiel de ressources nouvelles et d'une capacité de production de céréales plus grande qu'actuellement. Cette contribution est importante.

Deuxièmement, à l'échelle mondiale, il serait intelligent de faire l'inventaire de toutes les ressources dont nous disposons afin de déterminer, par exemple si nous nous intéressons à la production d'éthanol, quelles sont les céréales ou les matières premières qui conviennent le mieux à ce type de production. D'après ce que j'ai lu, je crois que la canne à sucre est une source nettement meilleure pour la production d'éthanol et que le maïs est nettement moins rentable tant sur le plan des coûts de fabrication que sur celui des coûts environnementaux.

Tout d'abord, vos commentaires n'ont pas tenu compte du potentiel offert par les ressources mondiales et l'augmentation de ces ressources, et, deuxièmement, vous n'avez absolument pas abordé la question de l'évolution de la production céréalière dans la perspective d'une utilisation partielle de cette production pour la fabrication d'éthanol. Quelles sont les meilleures matières premières pour la fabrication de l'éthanol et comment devons-nous les utiliser?

Voilà mes deux questions.

La présidente : Je vais vous demander d'abréger votre réponse, car deux de nos collègues aimeraient eux aussi intervenir avant la fin de la séance.

[Français]

M. Debailleul : Du côté des ressources, je suis tout à fait d'accord avec vous que, par exemple, des pays comme le Brésil n'ont pas encore atteint leur plein potentiel de production. Ces pays commencent à devenir des acteurs fondamentaux sur les marchés internationaux de produits agricoles.

On doit aussi évoquer d'autres pays, comme ceux qui faisaient partie du bloc de l'Est, notamment l'Ukraine et la Pologne et même la Roumanie. Ces pays ont un potentiel agricole très important et sont loin d'avoir relancé et réinvesti dans leur agriculture. On peut toutefois s'attendre à ce qu'ils le fassent dans les années à venir.

À moyen et long terme, je ne vois pas, pour le moment, de sources de préoccupations importantes de déséquilibre alimentaire à l'échelle internationale compte tenu du fait qu'il existe une possibilité de réponse. Cette solution devrait se manifester au cours des quatre ou cinq prochaines années. Tout dépendra si les prix internationaux demeurent suffisamment incitatifs.

En ce qui concerne le deuxième point sur la question de l'éthanol, il faut reconnaître que les décisions qui ont été prises en quelques années ont constitué un déséquilibre sur le marché des céréales. On est actuellement en train d'encourager le développement d'autres filières d'éthanol qui connaissent des performances tout à fait différentes. Vous avez raison de souligner que la production d'éthanol à partir de sucre est beaucoup plus efficace à maints égards, y compris sur le plan environnemental.

On fonde beaucoup d'espoirs sur la production d'éthanol cellulosique, mais on n'a pas encore de technique de production qui soit commercialement rentable. Il faudra sans doute attendre encore trois, quatre ou cinq ans et le défi sera là.

Comme économistes des questions agricoles, on doit se garder de faire des projections sur les prix au-delà d'un horizon de deux ou trois ans. À Washington, on avait fait des projections sur le prix des céréales sur dix ans. On prévoyait une augmentation à moyen terme de ces prix, sur cinq ou six ans. Or, ces augmentations ont été atteintes et même surpassées en un an.

[Traduction]

M. Charlebois : Sénateur Eyton, j'aimerais répondre à votre première question concernant le Brésil et les marchés émergents. Le G20 joue un rôle important au niveau de l'approvisionnement mondial en produits agricoles.

Nous ne sommes pas favorisés par nos conditions climatiques. Nous sommes un pays nordique et je pense que l'agriculture canadienne devrait à long terme se tourner vers certains créneaux précis du marché. Par exemple, une entreprise de l'Ouest canadien que je ne nommerai pas travaille actuellement sur la génétique porcine et cherche à développer le marché chinois. La Chine est le plus grand marché du monde pour la consommation de viande de porc. Voilà un exemple montrant que le Canada pourrait tirer parti du marché chinois.

Cependant, les conditions climatiques ne nous sont pas favorables. C'est pourquoi le Brésil, l'Inde et d'autres pays ont sur nous un avantage compétitif et disposent d'un plus grand potentiel que le Canada à long terme.

M. Loyns : J'ai trois brefs commentaires. Tout d'abord, je suis convaincu qu'il ne faudrait pas utiliser les céréales pour la fabrication de l'éthanol et je pense qu'à long terme, on se tournera d'ailleurs vers d'autres matières premières. Les céréales ne représentent qu'une solution à court terme. La biotechnologie et d'autres procédés de fabrication feront appel à d'autres matières premières comme la cellulose pour la production d'éthanol. Ces nouveaux procédés permettront de diminuer considérablement l'utilisation des céréales.

Quant à votre deuxième point concernant les ressources potentielles, j'ai une approche traditionnelle. C'est peut-être parce que je suis âgé et que j'en ai vu d'autres. La question des nouvelles ressources est importante, mais nous savons qu'il faut se pencher sur la question des ressources actuellement non utilisées ou mal utilisées. Je pense beaucoup à l'Afrique. Le potentiel agricole de l'Afrique est énorme, mais il n'est pas exploité, pour de nombreuses raisons.

Cependant, mon troisième point est le suivant : si le Canada ne fait pas tout ce qu'il peut pour nourrir la population mondiale, c'est en partie parce que les priorités de l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI, sont désormais axées sur d'autres objectifs plus conformes à la rectitude politique.

Je me suis intéressé à l'ACDI au début des années 1980. L'agence travaillait alors à de grands projets d'infrastructure tels que l'irrigation et l'énergie, en plus de l'agriculture. À la fin des années 1980, l'ACDI concentrait encore ses efforts sur l'agriculture et l'alimentation.

L'agriculture et l'alimentation répondent aux besoins fondamentaux des populations. Nos programmes d'aide internationale ne devraient pas se détourner de ces priorités. Je pense que vous pourriez intervenir à ce sujet.

[Français]

M. Debailleul : Pour illustrer ce que M. Loyns a signalé, j'aimerais avancer ce qui suit. Il y a environ 15 ans, l'agriculture représentait 16 p. 100 de l'aide publique au développement. Aujourd'hui, on parle de 4 p. 100.

[Traduction]

La présidente : Merci. Le débat est intéressant. Il n'est pas encore terminé, mais ces choses devaient être dites et nous sommes heureux que vous soyez ici aujourd'hui pour en parler.

Le sénateur Peterson : Merci, madame la présidente et merci à vous messieurs pour vos exposés.

Monsieur Charlebois, vous avez abordé la distorsion du commerce et d'autres questions sur lesquelles nous devons nous pencher. Il me semble que le Canada a obtenu gain de cause dans la plupart, sinon la totalité, des contestations en vertu de l'OMC. Les contrevenants semblent être les États-Unis et le marché européen.

Vous avez dit également que l'élimination de la Commission canadienne du blé aiderait les producteurs. Pouvez- vous nous expliquer de quelle manière?

M. Charlebois : Sénateur, je n'ai pas recommandé la suppression de la Commission canadienne du blé. J'ai parlé de l'abolition de son monopole sur l'orge et le blé. Il est important de faire cette distinction.

J'aimerais vous demander de répéter votre première question afin d'être certain de bien comprendre.

Le sénateur Peterson : Vous avez parlé des distorsions du commerce, de la contribution du Canada à ces distorsions et des efforts que notre pays doit entreprendre pour ne plus exercer d'influence en ce sens. Nous avons obtenu gain de cause dans la plupart des contestations que nous avons soumises à l'arbitrage de l'OMC. Les États-Unis et l'Europe ont été reconnus coupables d'octroyer des subventions à leurs producteurs, en particulier aux céréaliculteurs. Sommes- nous à l'origine de ces distorsions ou sommes-nous entraînés par d'autres pays?

M. Charlebois : Vous avez évoqué les litiges liés aux céréales et à la CCB. Nous avons eu gain de cause aussi chaque fois que nous nous sommes adressés au tribunal de l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA. À ce sujet, notre dossier est absolument impeccable.

Cependant, cela ne signifie pas que nous ne devrions rien changer. Nous devons faire preuve de plus de dynamisme dans la façon dont nous commercialisons notre orge et notre blé dans le monde.

Je pense que la Commission canadienne du blé est devenue un obstacle stratégique qui s'oppose à l'expansion et à l'innovation d'un secteur précis de notre économie. M. Loyns a parlé des lentilles. Il y a une quinzaine d'années, la production des lentilles était assujettie au monopole de la CCB dans l'Ouest du Canada. De nos jours, des usines de transformation ont été construites dans l'Ouest et l'industrie est très prospère.

Dans le cas de l'orge et du blé, nous avons des producteurs qui se reposent sur la CCB pour vendre et transporter leurs produits. Si nous voulons créer de la richesse dans les régions, les biocarburants représentent une possibilité. L'éthanol n'est pas entièrement mauvais; il a apporté la richesse dans la région.

L'élimination du monopole sur l'orge et le blé permettra sans doute de donner aux régions rurales une prospérité sans précédent. La Commission canadienne du blé est devenue un obstacle à une intégration verticale plus grande.

Le sénateur Peterson : Vous avez dit que la gestion des approvisionnements ne convenait qu'aux pays pauvres. Je ne sais pas dans quel contexte vous l'entendez.

Est-ce que les États-Unis et la manière dont ils manipulent le bois d'œuvre se classent dans cette catégorie?

M. Charlebois : Je suis un spécialiste de la distribution alimentaire. Je connais le dossier du bois d'œuvre, mais je ne peux pas présenter de commentaires sur cette industrie. Comme nous ne mangeons pas de bois, ce n'est pas véritablement mon domaine.

Le sénateur Peterson : Monsieur Loyns, le secteur agricole connaît actuellement une hausse du coût des intrants et une hausse des recettes. La mauvaise récolte est toujours un risque auquel font face les producteurs. Ce risque échappe totalement à leur contrôle. L'assurance-récolte ne prend pas ce risque en compte. Compte tenu du coût élevé des intrants, une récolte déficitaire serait catastrophique pour les producteurs. Devrions-nous nous pencher immédiatement sur l'assurance-récolte?

M. Loyns : Mes commentaires optimistes au sujet de l'année 2008-2009 supposaient au moins une récolte moyenne. Si les récoltes sont meilleures, le tableau est encore plus rose. Cependant, vous avez tout à fait raison et j'aurais dû exposer ce fait de manière explicite, mais je comprends votre question. À l'heure actuelle, toute récolte déficitaire, quelle que soit la compensation de l'assurance-récolte, représenterait vraisemblablement un désastre pour la plupart des producteurs.

De nos jours, les agriculteurs capitalisent rapidement. Ils n'ont pas les moyens d'acheter du nouveau matériel. Les concessionnaires de machines agricoles me disent que l'on ne peut pas trouver de nouvelles moissonneuses-batteuses au Canada ni aux États-Unis, à moins de les commander directement à l'usine en vue d'une livraison à l'automne 2009. C'est vous dire combien ce matériel onéreux n'est plus courant de nos jours.

J'ai parlé de l'augmentation du coût de base de l'agriculture. Une récolte déficitaire ne ferait qu'aggraver les problèmes liés à cette augmentation.

Quant à savoir si l'assurance-récolte est suffisante, je peux vous dire immédiatement qu'elle ne permettrait pas à beaucoup de producteurs d'éviter la faillite en cas de récolte déficitaire. L'assurance-récolte ne couvre qu'un certain pourcentage des coûts. Le prix des produits est en deçà de la valeur marchande réelle. Je crois que l'assurance-récolte accuse un retard d'au moins un an par rapport au montant qui permettrait d'assurer une protection appropriée, si tant est que l'assurance-récolte soit une protection appropriée. Certains le croient, mais d'autres ne partagent pas cet avis.

Le sénateur Peterson : Nous avons parlé de l'éthanol et de sa fabrication. En Saskatchewan, la région d'où je viens, cette production est encouragée essentiellement par les bas prix et les nombreuses subventions et exonérations fiscales.

Oublions l'argument voulant qu'il soit préférable de privilégier l'alimentation plutôt que le carburant. Au niveau des politiques publiques, devrions-nous continuer à encourager la production d'éthanol ou devons-nous en conclure que nous avons réagi trop rapidement pour tenter de trouver une solution au problème? Aurions-nous dû poursuivre les recherches en vue d'utiliser la cellulose, des graminées ou autres?

Là encore, on peut se demander si la fabrication d'éthanol ne nécessite pas plus d'énergie que le produit n'en fournit.

M. Loyns : Je ne suis pas un spécialiste de l'éthanol, mais les questions que vous avez soulevées sont pertinentes. Je remarque que les recherches sur le sujet ne sont pas suffisantes. Dans plusieurs cas, cette décision a été prise au niveau politique, en s'inspirant du modèle américain. Peut-être que nous n'aurions pas dû.

La rivalité entre l'alimentation et l'énergie dans le dossier de l'éthanol ou du biodiesel ne me préoccupe pas particulièrement. Je suis toujours prêt à encourager la transformation de produits agricoles en d'autres produits de consommation.

En revanche, les conditions économiques essentielles ne sont pas réunies dans le cas de l'éthanol. Les fonds publics ne devraient pas servir à appuyer des projets à long terme qui risquent de s'effondrer dans trois ou cinq ans. Je m'attends à beaucoup de changements dans le dossier de la transformation du maïs et du blé en éthanol d'ici quelques années. Je pense que les procédés techniques vont évoluer et que nous utiliserons d'autres matières premières pour la fabrication de l'éthanol.

D'après moi, c'est là que se trouve le risque.

[Français]

M. Debailleul : J'irais dans le même sens que M. Loyns, c'est-à-dire que si on raisonne à l'échelle d'un pays, on peut penser que c'était des politiques qui apparaissaient tout à fait justifiées dans un contexte de prix du maïs relativement bas et on considérait que s'il était bas, c'est parce qu'il n'y avait pas assez de débouchés pour cette production, donc c'était créer un nouveau débouché.

Le problème, c'est lorsque une série de pays se lance simultanément dans la même stratégie, avec des moyens relativement comparables, mais avec des incitations qui peuvent être plus fortes les unes que les autres. On connaît le niveau d'incitation financière qui existe aux États-Unis. Par ailleurs, je pense que c'est une technologie qui montre qu'il est possible de construire une usine en relativement peu de temps et de la faire fonctionner. Cela a été impressionnant de voir comment, aux États-Unis, en quelques années, on est passé de quelques unités de production à plus de 180 maintenant en opération. Il y en a encore au moins 80 à 100 qui sont en attente d'être terminées. C'est la rapidité de réponse de l'industrie par rapport à un niveau de subvention qui a créé les problèmes devant lesquels on se trouve. Or, déjà il y a deux ans, l'OCDE invitait ses pays membres à être relativement prudents vis-à-vis une telle stratégie quant aux répercussions possibles sur l'ensemble des marchés des produits agricoles.

[Traduction]

M. Charlebois : Moi non plus je ne suis pas un spécialiste de l'éthanol ni de l'énergie, mais pour revenir à ce que disait M. Loyns, on fait de bonnes recherches au Canada, à l'Université de la Saskatchewan, à l'Université de l'Alberta et à l'Université du Manitoba. Pourtant, je ne suis pas sûr que ces recherches soient orientées dans la bonne direction. La plupart des recherches que mènent ces universités et d'autres centres au Canada se situent au niveau microéconomique. Nous apprenons à cultiver mieux et plus rapidement, mais nous ne tenons pas compte de la perspective macroéconomique qui nous amènerait à prendre en compte d'autres éléments et d'autres variables.

L'éthanol est un bon exemple. Nous avons adopté différentes politiques qui encouragent la construction d'usines de production d'éthanol. Cette décision a eu sur les marchés un impact que peu de gens avaient prévu. L'éthanol a de bonnes qualités, malgré les commentaires négatifs que l'on entend à son sujet. Il ne faut pas en rajouter. Je reconnais avec M. Loyns que nous devons réaliser une bonne analyse de rentabilisation de l'éthanol à long terme afin de faire en sorte que l'industrie soit autosuffisante.

Le sénateur Hubley : Les témoignages que nous avons entendus ce matin sont extrêmement intéressants. Ma question porte sur la recherche, un aspect soulevé par M. Charlebois. Monsieur Loyns, vous avez vous aussi abordé plusieurs fois la question de la recherche dans votre exposé. Un de vos titres portait sur l'insuffisance de la recherche en agroalimentaire et un autre proposait un programme ciblé s'appuyant sur des recherches solides. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet? Devrions-nous modifier l'objectif de nos projets de recherche afin de les adapter à l'évolution rapide de la réalité?

M. Loyns : Je peux vous répondre tout de suite par un oui catégorique. Mais évidemment, ma réponse véritable sera un peu plus longue. Au Canada, le secteur de la recherche agroalimentaire a délaissé la recherche traditionnelle pour adopter de nouvelles priorités telles que la valeur ajoutée, l'environnement, les produits nutraceutiques et les aliments fonctionnels, et cetera. Les produits nutraceutiques et les aliments fonctionnels ne représentent à l'heure actuelle et dans un avenir proche qu'une part infime de la production. Pourtant, nous avons rogné sur la recherche agronomique. En fait, on ne fait plus de recherche agronomique, tout au moins dans les Prairies. Nous avons réduit et éliminé les programmes publics de sélection et les programmes de recherche dans tout le secteur agricole. Il vaut mieux ne pas me lancer sur ce sujet, puisque je suis président de la Prairie Oat Growers Association depuis deux ans. Depuis que j'occupe mes fonctions, nous avons demandé à Agriculture et Agroalimentaire Canada d'augmenter les recherches sur l'avoine. Dans les Prairies, nous avons peu de spécialistes de la sélection de l'avoine. Les expéditions d'avoine aux États-Unis rapportent chaque année de 300 à 400 millions de dollars. C'est loin d'être négligeable. Nous ne savons même plus à combien s'élèvent les marges commerciales. Je pense même que mes collègues n'enseignent plus ces termes de nos jours à l'université. D'un autre côté, les consommateurs veulent savoir pourquoi le prix d'une miche de pain a soudainement augmenté de 50 cents alors que l'avoine qu'elle contient ne coûte que huit ou dix cents. On ne peut répondre à cette question sans effectuer une analyse du processus de transmission des prix dans ce secteur. C'est la même chose dans le secteur de l'élevage porcin et dans la commercialisation du porc. Est-il exact que le prix du porc au détail va diminuer à mesure que l'on va continuer à réduire la taille du cheptel? Selon la logique économique, les prix devraient baisser. Tout au long de ma carrière, partout où je voyageais, j'ai été un acheteur professionnel. Je vais dans les magasins d'alimentation et je vérifie les prix. Cependant, le prix du porc a-t-il baissé? Pour répondre à cette question, il faut tenir compte de la concurrence sur le marché, être familier avec le comportement des détaillants de produits alimentaires et connaître le processus de transmission des prix dans ces secteurs.

Ma perspective est légèrement faussée dans ce domaine, puisque j'ai travaillé pour Beryl Plumptre pendant trois ans à la Commission de surveillance des prix des produits alimentaires. Notre travail consistait à analyser ces différents aspects dans une perspective publique et à constituer une documentation qui n'existait pas auparavant au Canada et qui n'existe d'ailleurs plus maintenant, puisque plus personne ne fait ce travail. Mes collègues universitaires ne peuvent plus obtenir des fonds pour effectuer ce type de travail. Les fonctionnaires d'Agriculture et Agroalimentaire Canada qui pourraient financer ce type de travail ne sont plus intéressés par ce genre de questions. Ils ont d'autres priorités qui sont plus conformes à l'ordre du jour politique et ils ne s'intéressent plus à l'évolution de la structure du marché ni au rendement des marchés des produits agricoles et des produits alimentaires. Voilà le type de recherche auquel j'accorderais la priorité et c'est à cela que je faisais allusion dans les diapositives que je vous ai présentées. Je vous prie de m'excuser d'avoir donné une réponse si longue.

[Français]

M. Debailleul : Je pense que la recherche agronomique, la recherche sur l'ensemble des domaines reliés à l'agriculture et à l'alimentation reste un enjeu essentiel. Je l'ai invoqué pour les pays en voie de développement, mais c'est vrai aussi pour les pays développés ainsi que pour le Canada.

Un rapport publié récemment faisait état des travaux d'une équipe de chercheurs. Il y a trois ans, la Banque mondiale, la FAO, le programme des Nations Unies pour le développement ainsi qu'un certain nombre d'autres organismes avaient mis un certain nombre de fonds en commun pour demander à un panel de chercheurs de faire le bilan de la recherche agronomique mondiale depuis 50 ans et pour identifier les défis à relever pour les 50 prochaines années.

Ce groupe de chercheurs avait été constitué à la manière du groupe de chercheurs sur les changements climatiques — et c'était d'ailleurs le secrétaire du groupe de chercheurs du GIEC sur les changements climatiques qui a servi de secrétaire pour ce panel de chercheurs — qui était réparti en cinq équipes. Chaque équipe couvrant une partie du monde. Il se trouve que j'ai eu le privilège de participer à cet effort et pour des raisons qui ne m'ont pas été expliquées, le Canada n'avait pas décidé de demander à beaucoup de chercheurs de participer à cette opération. Cette opération a été validée il y a trois semaines à Johannesburg par un panel intergouvernemental. Je pourrai vous communiquer les sites Internet sur lesquels les premiers éléments de ce rapport seront disponibles.

Ce qui ressort, pour l'ensemble des régions, y compris pour la région sur laquelle je travaillais, c'est-à-dire l'Amérique du Nord et l'Europe, c'est d'abord que l'effort en matière de recherche agronomique doit être renouvelé; il y a des enjeux suffisamment décisifs pour cela, la recherche agronomique publique doit être encouragée. Il y a un enjeu essentiel sur le retour à des efforts dans des disciplines qui ont été progressivement abandonnées. M. Loyns en invoquait, c'est-à-dire l'amélioration génétique y compris par les voies traditionnelles et pas seulement par les biotechnologies. Tout ce qui concerne la diversification des systèmes de production, celles des productions. Le groupe de chercheurs a été relativement sensible au fait que dans un horizon de 20, 30 ou 40 ans, les changements climatiques seront une variable essentielle de l'orientation des systèmes de production agricole et que si on ne travaille pas actuellement à promouvoir des systèmes plus diversifiés qui pourront plus facilement s'adapter aux changements qui surviendront, nous serons relativement démunis. Évidemment, les pays du Sud seront démunis, mais nous le serons également.

Évidemment, les pays du Sud seront démunis mais on le sera également au Nord. Donc cette recherche agronomique redevient un enjeu essentiel.

[Traduction]

M. Charlebois : Monsieur Loyns, permettez-moi de préciser pour le compte rendu que nous enseignons bel et bien la notion de marge commerciale à l'Université de Regina. C'est un domaine que nous n'avons pas oublié.

Je vais répondre à votre question, sénateur Hubley. Comme je l'ai déjà dit, je ne pense pas que nos recherches portent sur les bons domaines. J'ai collaboré avec le Centre Richardson pour les aliments fonctionnels et les nutraceutiques à l'Université du Manitoba. Je faisais partie du groupe d'experts chargé d'examiner les qualités nutritives de l'orge. Le débat actuel sur l'orge nous amène à nous intéresser à de nouveaux marchés et place ce produit sous un jour différent. Par conséquent, nous nous intéressons aux différentes utilisations de l'orge. À part pour la fabrication de la bière, il n'offre pas d'autres possibilités pour la consommation humaine. Les spécialistes examinent les autres possibilités que pourrait offrir l'orge.

J'étais entouré de scientifiques spécialisés dans les produits alimentaires qui avaient accès à de nombreuses subventions de recherche. J'aurais aimé disposer de ce type de fonds, mais malheureusement ce n'est pas le cas. Ces chercheurs ont fait de l'excellent travail et je pense qu'ils ont beaucoup apporté à la science.

Leur objectif était de venir en aide à l'agriculture, mais ils ne se sont pas posé la question fondamentale suivante : Est-ce qu'il y avait un marché pour les produits qu'ils mettaient au point? Ils ne se sont même pas posé cette question. Lorsque moi je leur en ai parlé, ils ont ouvert de grands yeux tout étonnés. Ils n'étaient pas prêts à entendre ce genre de questions.

Cela arrive souvent au Canada. On s'intéresse de façon philosophique à la culture des plantes, à l'approvisionnement et au prix du marché, mais on ne se préoccupe pas des aspects commerciaux de l'acheminement du produit vers le marché où on pourra l'écouler.

C'est un défaut que j'ai noté au Canada. Je regrette de me montrer critique, mais il y a une rupture complète entre l'objectif de la recherche et les besoins actuels du marché.

Par ailleurs, en tant que jeune universitaire, je pratique la course aux subventions. Pour obtenir des subventions actuellement, les chercheurs doivent répondre à des besoins définis de manière précise par certaines personnes qui perçoivent intuitivement que certains aspects sont importants pour l'agriculture. En revanche, je peux vous dire qu'un chercheur qui propose des idées nouvelles et uniques, susceptibles de profiter à l'agriculture au Canada, aura énormément de difficulté à obtenir des fonds de recherche.

M. Loyns : Je partage tout à fait ce point de vue. Je tiens à dire que la situation que M. Charlebois vient de décrire se répète à l'infini dans les divers secteurs de la recherche agronomique. Ce qui fait défaut, c'est une vision descendante, ainsi qu'une perspective tenant compte des priorités réelles. De nos jours, les priorités, c'est « nouveau ». Nous devons trouver le juste milieu entre le traditionnel, l'essentiel et le « nouveau ».

La présidente : Je remercie mes collègues et surtout nos témoins. Nous avons assisté à une séance extrêmement militante aujourd'hui. Je peux vous assurer que c'est la première fois que nous avons eu ce type de débat avec trois spécialistes de premier ordre qui sont vraiment passionnés par leur sujet. Cela nous sera très utile. Nous tiendrons compte des points de vue que vous avez formulés quand viendra le temps de rédiger notre rapport, ce qui sera fait bientôt.

Merci d'être venus et félicitations à mes collègues pour leur excellent travail.

La séance est levée.


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