Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 14 - Témoignages du 3 juin 2008
OTTAWA, le mardi 3 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, qui a été saisi du projet de loi S-228, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé (conseil d'administration), se réunit aujourd'hui à 18 h 59 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir chers collègues sénateurs; je salue également les témoins et tous ceux qui regardent les délibérations du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Aujourd'hui, notre comité entame l'examen du projet de loi S-228.
Le Parlement a été saisi de plusieurs projets de loi relatifs à la Commission canadienne du blé. Le projet de loi S-228, qui a été présenté au Sénat par l'honorable Grant Mitchell, sénateur de l'Alberta, propose d'augmenter les pouvoirs du conseil d'administration relativement aux changements de politiques concernant la Commission canadienne du blé. Il propose notamment de réduire de cinq à trois le nombre des administrateurs nommés par le gouvernement. Il modifie également le processus d'élection des administrateurs, ainsi que la question qui doit être posée lors de la consultation requise en cas de modification, par le gouvernement, des pouvoirs de la Commission.
Nous avons le plaisir d'accueillir ce soir l'honorable Gerry Ritz, ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire et ministre de la Commission canadienne du blé. Comme le ministre ne peut rester qu'une heure, j'encourage mes collègues à être aussi concis que possible dans leurs interventions afin que le ministre puisse répondre au maximum de questions.
L'honorable Gerry Ritz, C.P., député, ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire et ministre de la Commission canadienne du blé : Merci, sénateur Fairbairn. C'est toujours avec un grand plaisir que je comparais devant votre illustre comité. Vous avez fait un travail exceptionnel dans le passé, et je sais que vous aller continuer. Comme vous l'avez dit, le Parlement a été saisi de plusieurs projets de loi sur la Commission canadienne du blé, et, ce soir, je me réjouis d'avoir l'occasion de me prononcer sur ce projet de loi S-228, qui modifie la Loi sur la Commission canadienne du blé et qu'a présenté le sénateur Mitchell, de l'Alberta. Je dois vous dire cependant que la lecture du projet de loi ne m'a procuré aucun plaisir.
Notre gouvernement déploie beaucoup d'efforts pour offrir le libre choix du mode de commercialisation à nos producteurs de blé et d'orge de l'Ouest, de façon à ce qu'ils puissent tirer parti des nouveaux débouchés et prendre les bonnes décisions commerciales pour leurs entreprises. Or, le projet de loi fait exactement le contraire. Pour s'en convaincre, il suffit de le comparer à un projet de loi vraiment efficace qui devrait être porté à votre attention sous peu. Il s'agit du projet de loi C-33. Le projet de loi C-33, qui habilite nos objectifs de production de biocarburants, est avantageux pour les agriculteurs, bon pour l'environnement et bon pour les collectivités rurales.
Par contre, le projet de loi à l'étude aujourd'hui ne crée aucun débouché pour nos producteurs. En fait, à long terme, il constitue plutôt une entrave à leurs activités. Les agriculteurs veulent du changement et plus de latitude, alors que ce projet de loi favorise le statu quo et la lourdeur bureaucratique.
Il est intéressant de constater que le parrain du projet de loi vient de l'Alberta, une province où le libre choix du mode de commercialisation pour les agriculteurs a la faveur populaire. En fait, le plébiscite de l'an dernier sur l'orge a révélé que près de 80 p. 100 des producteurs de l'Alberta étaient en faveur d'un système de commercialisation mixte. Le ministre albertain de l'Agriculture, M. George Groeneveld, a affirmé récemment que :
Chaque journée où la CCB exerce son monopole est une autre journée de débouchés perdus pour les producteurs de l'Alberta...
[...] Le système actuel de la CCB ne fonctionne pas.
Il est désavantageux pour les agriculteurs...
Pour la province et pour le Canada.
Jeff Nielsen, qui a une exploitation agricole en Alberta et qui est président de la Western Barley Growers Association, a affirmé récemment ce qui suit :
De toute évidence, notre gouvernement est à l'écoute des producteurs et conscient de la nécessité d'aller de l'avant pour que nous puissions décider à qui, où et comment vendre tel ou tel type d'orge.
Nous ne pouvons attendre plus longtemps une solution au refus de la CCB de respecter la volonté que les agriculteurs ont exprimée démocratiquement.
Notre gouvernement s'efforce de donner une voix plus forte aux producteurs commerciaux qui sont à l'origine du succès du secteur des grains du Canada. Notre vision de la Commission canadienne du blé est celle d'une commission forte et rentable, à laquelle l'adhésion est facultative. Une commission qui peut offrir aux agriculteurs un choix viable en matière de commercialisation.
Aux termes de ce projet de loi, le conseil d'administration devrait être consulté sur la plupart des décisions relatives à la Commission canadienne du blé. Entendons-nous, notre gouvernement consulte déjà régulièrement la CCB, et le fait de consulter son conseil d'administration n'est pas une mauvaise chose. Cependant, ce qui est mauvais, c'est de tenir le ministre juridiquement obligé de consulter le conseil d'administration pour la plupart des décisions, sans lui permettre d'utiliser son pouvoir discrétionnaire. Alors que les agriculteurs réclament changement et souplesse, ce projet de loi leur apporte statu quo et lourdeur administrative.
Comment la CCB peut-elle fonctionner dans un marché dynamique et changeant lorsque le moindre petit détail est bloqué par des tracasseries administratives? C'est impossible. Le processus devient lent et encombrant, et va finir par nuire aux agriculteurs et leur coûter de l'argent. Cela n'a aucun sens. Cela ne marchera pas.
Les agriculteurs de l'Ouest nous ont dit qu'ils voulaient une CCB transparente. Ils veulent que la CCB soit plus comptable envers les producteurs. Or, le projet de loi ne répond à aucune de ces attentes. Le projet de loi propose de donner plus de pouvoirs au conseil d'administration. De plus, il crée de nouvelles formalités qui consolident le pouvoir monopolistique de la CCB sur les produits des agriculteurs.
Et cela, à un moment où les agriculteurs ont voté en faveur de la solution tout à fait opposée. À un moment où la majorité des agriculteurs ont manifesté la volonté d'avoir leur mot à dire dans la façon de vendre leur orge. Dois-je rappeler au comité ce que les agriculteurs nous ont dit voilà plus d'un an, lorsque 62 p. 100 des producteurs d'orge ont voté pour le libre choix du mode de commercialisation?
Nous avons déjà perdu trop de temps en rhétorique, campant fermement sur nos positions. Nous risquons de laisser s'évanouir cette occasion. Nous devons à nos producteurs d'agir, et vite. Ce projet de loi n'est qu'une autre tactique pour ralentir le processus démocratique. Une tactique pour créer des retards. Une tactique qui fera perdre des débouchés à nos agriculteurs de l'Ouest.
Notre gouvernement a doté le secteur agricole canadien de solides fondations dans l'ensemble du pays. Nous avons honoré nos engagements envers les agriculteurs comme envers les Canadiens. En décembre, nous avons apporté des modifications à la Loi sur les grains du Canada en adoptant le projet de loi C-39 qui simplifiera la réglementation afin de réduire les coûts du secteur des grains et en améliorer la compétitivité.
Les agriculteurs nous ont dit vouloir l'accès à des cultures nouvelles et améliorées. En février, nous avons annoncé l'élimination du critère de la distinction visuelle des grains pour l'enregistrement des variétés de blé. Ainsi, nos céréaliculteurs pourront disposer de nouvelles variétés de blé, y compris certaines mieux adaptées à l'alimentation du bétail et à la production de biocarburants.
Le transport est un facteur de production coûteux pour les agriculteurs. En février, l'Office des transports du Canada a annoncé qu'il réduisait le plafond des recettes des chemins de fer de 72 millions de dollars par année, soit d'environ 2,60 $ par tonne. Cette mesure a été possible grâce à notre appui au projet de loi C-11, qui donne à l'Office des transports du Canada le pouvoir d'harmoniser le coût de l'entretien des wagons-trémies compris dans le plafond des recettes avec le coût réellement assumé par les chemins de fer pour cet entretien.
En février, nous avons annoncé l'adoption du projet de loi C-8 qui fournit de nouveaux outils aux agriculteurs de l'Ouest canadien pour accroître leur pouvoir de négociation avec les sociétés de transport ferroviaire. Le gouvernement a entrepris l'examen des services ferroviaires qui a été promis aux expéditeurs après l'adoption du projet de loi C-8. Nous continuons de militer en faveur du libre choix du mode de commercialisation pour les producteurs de grains de l'Ouest.
En mars, nous avons présenté le projet de loi C-46 modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, qui dégagera la voie vers un système de commercialisation mixte de l'orge et instaurera une exigence concernant le règlement des différends commerciaux.
En mai, nous avons proposé des modifications à la Loi sur la Commission canadienne du blé pour nous assurer que les membres du conseil d'administration sont élus exclusivement par les agriculteurs de l'Ouest qui produisent des grains commercialement. Le gouvernement fait en sorte que la Commission canadienne du blé écoute les véritables agriculteurs en proposant un texte législatif qui donne aux exploitants qui produisent au moins 120 tonnes de grains un plus grand poids dans l'élection des administrateurs.
Bref, nous avons pensé aux agriculteurs d'abord. Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour donner une voix aux producteurs, nous avons écouté cette voix et nous avons agi en conséquence. Nous demeurons déterminés à défendre les intérêts des agriculteurs. Nous demeurons déterminés à accorder aux producteurs de blé et d'orge de l'Ouest les mêmes droits qu'ont leurs homologues du reste du pays : celui de choisir la façon et le moment de vendre leurs produits. À titre de gouvernement, nous sommes tenus d'agir et déterminés à le faire face au mandat clair que nous ont donné nos producteurs. Nous voulons que les agriculteurs aient la liberté de faire leurs propres choix en matière de commercialisation de l'orge. Nous savons que les agriculteurs ont la volonté et le savoir-faire pour prendre des décisions intelligentes et pertinentes sur la façon de vendre leurs produits. Ils nous l'ont prouvé avec les industries émergentes du canola et des légumineuses.
La Commission canadienne du blé a été créée voilà plus de 70 ans, à une époque où le Canada, le secteur des grains et le monde entier étaient très différents de ce qu'ils sont aujourd'hui. Je demande avec insistance aux honorables sénateurs de se joindre à nos céréaliculteurs de l'Ouest et de suivre, et même de précéder, l'évolution des choses. Les producteurs agricoles du Canada veulent et doivent avoir la chance de réussir et la liberté de faire leurs propres choix en matière de production et de commercialisation de leurs cultures. Ils prennent tous les risques, et font tous les investissements. Ils méritent d'avoir la possibilité de rechercher les meilleurs prix possibles pour leurs propres produits, comme ils le feraient avec du canola, des légumineuses ou encore des bovins ou d'autres produits agricoles du pays.
La raison qui pousse d'autres membres du comité à se dresser fermement sur le chemin de nos agriculteurs me dépasse, et en plus, cela les vexe. Mais nous avons aujourd'hui l'occasion de poser le bon geste, d'écouter ce que les agriculteurs nous ont dit, de leur donner la liberté de faire leurs propres choix en matière de commercialisation de l'orge, de soutenir leur esprit entrepreneurial. Honorables sénateurs, je vous le dis respectueusement, un pas dans cette direction consiste à voter contre ce projet de loi. Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Merci. Honorables sénateurs, comme le ministre ne peut rester que jusqu'à 20 heures, je vous demande d'être aussi concis que possible. C'est une question importante, et tout le monde va vouloir poser des questions.
Le sénateur Callbeck : Merci, monsieur le ministre, de comparaître devant notre comité ce soir. Vous avez parlé d'un plébiscite sur l'orge. J'aimerais vous poser une question à ce sujet car les chiffres me laissent un peu perplexe. Lors d'un discours prononcé au Sénat, on nous a dit que les résultats du plébiscite sur l'orge avaient été divulgués en mars 2007. Seulement 13,8 p. 100 des répondants ont voté pour une quelconque réduction du rôle de la Commission canadienne du blé. Les 87 p. 100 restants ont voté pour le maintien de la structure actuelle de cette Commission.
Vous nous avez donné un chiffre au début de votre déclaration, et vous avez dit ensuite que 62 p. 100 des producteurs d'orge voulaient avoir le libre choix pour ce qui est de la commercialisation de leurs produits.
M. Ritz : En effet.
Le sénateur Callbeck : Les deux chiffres sont contradictoires.
M. Ritz : Il faut se reporter aux questions qui étaient posées. La première était : « Voulez-vous un comptoir unique? ». Cela revient au statu quo. C'est ce que nous avons maintenant. La deuxième question était : « Êtes-vous en faveur d'une commercialisation mixte? ». La troisième question était : « Êtes-vous en faveur de la disparition de la Commission canadienne du blé? ».
On peut amalgamer les questions 2 et 3, mais vous, vous avez amalgamé les questions 1 et 2. Vous ne pouvez pas dire que vous voulez un comptoir unique et en même temps une commercialisation mixte. Les deux sont absolument incompatibles. Ceux qui prétendent que 80 p. 100 des agriculteurs appuient la Commission dans sa structure actuelle sont malhonnêtes. Les agriculteurs qui sont en faveur du choix représentent 48 et 14 p. 100, ce qui donne, grosso modo, un total de 62 p. 100.
Et ces chiffres sont en évolution constante. Je me suis rendu compte, au cours de mes discussions avec les producteurs l'an dernier et récemment, depuis que je suis ministre, que ces chiffres évoluent constamment et qu'il y a encore plus de producteurs qui sont en faveur du changement.
Le sénateur Callbeck : Vous avez dit qu'il y avait trois questions : le comptoir unique, le libre choix, et la suppression de la Commission. Avez-vous des pourcentages des réponses à chacune de ces questions?
M. Ritz : Le comptoir unique, c'est-à-dire le statu quo, avait la faveur d'environ 37 p. 100 des répondants au moment du plébiscite. À l'heure actuelle, ce chiffre n'est plus que de 26 p. 100, si j'en crois les dernières statistiques que j'ai reçues de plusieurs sources différentes.
La deuxième question portait sur une commercialisation mixte, ce qui signifiait qu'on maintenait la Commission canadienne du blé et que les producteurs avaient accès au marché libre, comme ils l'ont déjà pour d'autres produits, notamment l'orge destinée à la consommation intérieure. Quarante-huit pour cent des répondants ont appuyé cette solution, et ce chiffre est resté relativement le même depuis.
C'est à la troisième question, celle qui consiste à supprimer la Commission, que les chiffres ont beaucoup changé. À l'heure actuelle, 24 p. 100 des producteurs appuient cette solution, alors qu'ils n'étaient que 14 p. 100 au moment du plébiscite. Cela signifie que 10 p. 100 des producteurs qui appuyaient au départ le comptoir unique appuient maintenant un système complètement libre, sans commission.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais maintenant poser une question au sujet du projet de loi C-57, dont la Chambre a été saisie et qui porte sur les critères d'admissibilité de ceux qui élisent les membres du conseil d'administration de la Commission canadienne du blé. Si je comprends bien, à l'heure actuelle, il faut avoir un carnet de livraison pour pouvoir voter. Comment l'obtient-on?
M. Ritz : Quiconque exploite 160 acres de terrain, en son propre nom, peut recevoir un carnet de livraison. Cela lui permet de vendre son produit, si c'est un produit de la Commission canadienne du blé, par l'intermédiaire du système.
Il y a deux définitions dans la Loi sur la Commission canadienne du blé. La première est celle de « producteur », et c'est celle que nous utilisons aujourd'hui. Elle permet à quiconque est propriétaire des grains cultivés sur une terre de voter au moyen d'une déclaration solennelle. Théoriquement, le fournisseur d'engrais, de pesticides et de semences aussi bien que le banquier du producteur pourraient recevoir un bulletin de vote, car ils ont investi de l'argent dans la production.
Dans le projet de loi C-57, nous remplaçons cette définition par celle de « propriétaire-exploitant », qui est la deuxième définition de la loi actuelle et qui s'applique uniquement à celui qui exploite la terre. Dans le projet de loi C- 57, le propriétaire de la terre ou celui qui détient une part dans la propriété peut encore recourir à une déclaration solennelle. On répartit un tiers — deux tiers, mais celui qui participe aux décisions de gestion et d'exploitation de la terre en question peut encore faire une déclaration solennelle.
Nous passons donc de la notion de « producteur », qui est vaste par définition, à celle de « producteur-exploitant », qui se limite à celui qui exploite vraiment la terre.
Le sénateur Callbeck : Dans le projet de loi C-57, on dit qu'il faut avoir produit au moins 120 tonnes de grains pendant l'une des deux campagnes agricoles précédentes. En 2005, le comité d'examen avait recommandé 40 tonnes.
M. Ritz : En effet.
Le sénateur Callbeck : Pourquoi le gouvernement propose-t-il une production de 120 tonnes?
M. Ritz : Il y a eu plusieurs recommandations. Le comité d'examen a recommandé 40 tonnes, mais d'autres ont recommandé jusqu'à 500 tonnes. Nous avons choisi arbitrairement ce chiffre de 120 tonnes, qui correspond à la production moyenne historique d'une terre de 160 acres, ce qui est le minimum pour avoir un carnet de livraison. En fait, c'est un peu moins, et nous avons arrondi le chiffre un peu à la baisse.
Le sénateur Gustafson : Il est manifeste que la liberté de choix a aujourd'hui la faveur d'un plus grand nombre de producteurs, surtout, comme vous l'avez dit, des producteurs d'orge. La majeure partie de l'orge produite dans les Prairies est destinée aux parcs d'engraissement et aux fermes d'élevage.
L'une des questions qu'on peut se poser est de savoir qui seront les nouveaux acheteurs, si on a un système entièrement libre. Archer Daniels Midland, Cargill et ConAgra sont des conglomérats de blé qui approvisionnent les marchés internationaux et qui sont tous de grandes sociétés internationales qui peuvent vendre sur les marchés étrangers. Pensez-vous que ce changement va causer des problèmes?
M. Ritz : Je ne le pense pas. Comme vous le savez, il y a environ un an, les agriculteurs ont eu, pendant une brève période, la possibilité de vendre leurs propres produits. Pendant cette période, environ 800 000 tonnes d'orge fourragère ont été expédiées sur les marchés d'exportation. À l'heure actuelle, vous pouvez commercialiser vous-même votre production d'orge fourragère sur les marchés intérieurs, sans passer par la Commission. C'est un changement qui a été décidé il y a plusieurs années, et ça marche très bien. Comme vous l'avez dit, la majeure partie de la production pour la consommation intérieure est destinée aux parcs d'engraissement.
Pendant cette courte période, donc, environ 800 000 tonnes d'orge fourragère ont été exportées. Près de la moitié ont été vendues à l'Arabie saoudite, marché que nous n'avions plus depuis un certain nombre d'années. Cela a rapporté pas mal d'argent aux agriculteurs, qui étaient donc très contents.
Ce qui va vraiment changer, c'est que les producteurs vont pouvoir vendre directement aux malteurs, qui représentent le gros de la demande à l'heure actuelle. Quand j'exploitais une ferme, je me trouvais à environ 40 milles d'une grande malterie. Pour faire parvenir mon orge à cette malterie, et j'avais de la chance qu'elle ne soit pas loin, je devais payer autant de frais de transport et d'élévation que si je les expédiais à Vancouver. C'est un vestige du tarif du Nid-de-Corbeau, mais ce tarif n'existe plus. La subvention n'existe plus, mais je suis toujours obligé de payer comme si ma production était entreposée au port. Je la transportais moi-même par camion, avec mon camion et sur mon propre temps, en payant mon essence, pour la vendre à la grande malterie par l'intermédiaire d'un exploitant de silos- élévateurs. J'étais toujours obligé de faire cela.
Le projet de loi permettra aux agriculteurs de vendre directement leur production à de grandes malteries, lesquelles peuvent signer des ententes contractuelles de commercialisation. Il y a actuellement une pénurie d'environ 500 000 tonnes de malt dans le monde entier. Le Canada produit le meilleur malt qui soit. Nous le vendons à Anheuser-Busch, aux États-Unis. Dorénavant, les producteurs pourront vendre leur malt directement ou par l'intermédiaire d'un courtier, de la même façon qu'ils commercialisent leur canola ou leurs légumineuses. Ils ont créé des entreprises capables de faire face à la concurrence internationale, et ils réclament la même chose pour l'orge.
Le sénateur Gustafson : Si le libre choix est accepté, pensez-vous qu'il y aura un problème lorsque la Commission canadienne du blé fera concurrence à ces entreprises sur les marchés internationaux?
M. Ritz : Absolument pas. Il y aura toujours des agriculteurs qui iront y chercher refuge. L'un des grands principes de la Commission canadienne du blé, c'est la mise en commun de la production. Tout le monde prend les mêmes risques, et c'est la coopérative qui perd ou qui gagne. Ça existera toujours. Ce sera toujours une option que la Commission offrira et que, pour l'instant, elle est la seule à offrir. Même aujourd'hui, malgré le prix de l'orge fourragère, il y encore des gens qui préfèrent vendre à la coopérative plutôt que de suivre de près les fluctuations de prix, ce qu'ils seraient obligés de faire s'ils devaient assumer la totalité des pertes, car ils pensent que la coopérative les protège contre les aléas du monde réel.
La Commission est un excellent vendeur. Elle est représentée dans le monde entier et dispose d'une liste de clients sans pareille. Il n'y a vraiment aucune raison qu'elle ne survive pas sur un marché à la fois mixte et libre.
Le sénateur Gustafson : Ma question ne porte pas directement sur la Commission canadienne du blé, mais pensez- vous que les prix élevés des céréales vont se maintenir pendant encore quelques années? À votre avis, comment va évoluer la conjoncture internationale?
M. Ritz : J'aimerais bien avoir une boule de cristal. J'espère que personne n'écrit cela?
Je pense que nous entrons dans une nouvelle ère, sénateur Gustafson. Vous vous en êtes probablement rendu compte dans votre région, les gens sont dans l'expectative. Nous savons tous qu'il y a une crise alimentaire mondiale, c'est à la une des journaux. Ce n'est pas parce que nous ne produisons pas assez, mais parce que les gens n'ont pas accès à ce que nous produisons. Il y a aussi les conditions météorologiques, qui peuvent varier considérablement. C'est ce qui a fait augmenter les prix l'an dernier, en raison de la sécheresse en Australie et en Amérique du Sud. En ce moment, il y a des inondations dans les États du centre, et une grande partie des surfaces cultivées ne donneront aucune production cette année. Nous vivons dans un monde planétaire, et tous ces facteurs ont une influence sur le produit canadien.
Nos produits sont parmi les meilleurs au monde, et peut-être les meilleurs. Le Rouge no 1 est mélangé à proportion de neuf pour un, et ils réussissent quand même à en faire du pain. Notre orge brassicole est mondialement réputée; nous n'avons personne à envier. J'ai toujours pensé que plus les gens se battent pour acheter votre produit, plus les prix augmentent.
Malheureusement, la part de marché de la Commission canadienne du blé s'est rétrécie. En dollars, elle n'a plus que la moitié de ce qu'elle avait avant. Il y a plusieurs raisons à cela. L'agriculture s'est diversifiée, comme vous le savez. Avec la technique du semis sur sol nu, on commence par planter du canola ou des légumineuses, et ensuite, on passe aux céréales secondaires pour la paille. La culture des légumineuses apporte beaucoup d'azote au sol, et l'orge et le durum sont d'excellentes cultures secondaires sur ce genre de terrain. On ne plante plus de céréales secondaires sur des terres en jachère, comme avant, car il n'y a plus de jachère. Tout le monde fait de la culture en continu, et l'environnement ne s'en porte pas plus mal, bien au contraire.
Le sénateur Gustafson : En cas de sécheresse ou d'absence de récolte, et ça arrive, comment l'agriculteur peut-il s'en sortir, vu le coût élevé des intrants? Le prix du carburant a plus que doublé. Le prix des engrais est passé, dans notre région, de 350 à 700 $ la tonne. Semer une autre culture n'est pas une solution facile.
M. Ritz : C'est un défi chaque année, et cela nous amène aux économies d'échelle. Comme vous le savez, dans votre région et dans la mienne, la taille moyenne d'une exploitation agricole est d'environ 5 000 ou 6 000 acres. Un certain nombre d'exploitations dans ma région s'étendent sur 20 000 acres et même plus. Mes jeunes frères, qui exploitent maintenant ma ferme, ont ensemencé 28 000 acres cette année, et encore, ils n'ont pas ensemencé la totalité des terres. Ils exploitent environ 32 000 acres en tout. Voilà le genre d'économies d'échelle que vous pouvez faire, quand on parle du coût élevé des intrants. Quand vous avez une ferme de cette superficie, il est impossible que la grêle ou la sécheresse affecte la totalité des terres. Il y en a qui sont épargnées, et cela compense.
Tout le monde est bien conscient du coût des intrants. J'étais tout à fait sincère quand j'ai fait des commentaires sur les chiffres de Statistique Canada. Les revenus des agriculteurs sont en nette hausse, de 13 à 14 p. 100 par rapport à l'an dernier, ce qui est fantastique. Mais une année ne suffit pas. Il nous faut au moins trois ou quatre bonnes années consécutives pour compenser les difficultés que nous avons eues au cours des dix dernières années. Le coût des intrants augmente également.
Votre production vous rapporte davantage, mais le coût des intrants augmente également. Sans compter les impôts fonciers, et le coût des équipements et des réparations. J'ai dû remplacer le deuxième roulement à billes de ma moissonneuse-andaineuse l'an dernier, et ça m'a coûté 140 $, alors que le remplacement du premier roulement à billes m'avait coûté 70 $ l'année d'avant. Voilà le genre de problème auquel fait face le monde agricole.
Le sénateur Segal : Monsieur le ministre, je n'ai pas de racines rurales. J'ai toujours habité la ville, et je suppose que, si les responsables du parti m'ont affecté à ce comité, c'est parce que je donne l'impression de consommer le produit en grande quantité, ce qui est rassurant pour le producteur.
J'aimerais vous poser une question plus fondamentale et vous demander ce que vous pensez de l'évolution du marché international des céréales et comment cela influe sur notre capacité de commercialisation. Je ne suis peut-être pas d'accord avec le sénateur Mitchell et son projet de loi, mais il est manifestement convaincu qu'il sert l'intérêt public, qu'il ne faut pas changer le système trop rapidement, que ce n'est pas bon. Je suppose que si le sénateur essaie de donner à la Commission canadienne du blé davantage d'autonomie, et de la soustraire à la tutelle du ministre, qui est en fait la tutelle de la Couronne, c'est parce qu'il redoute le changement.
D'un autre côté, je me souviens, bien avant de devenir sénateur, d'avoir été indigné de la façon dont certains agriculteurs de l'Ouest avaient été traités, parce qu'ils voulaient vendre eux-mêmes leur blé et leurs céréales, en dehors de la Commission canadienne du blé. Certains avaient été poursuivis et emprisonnés. Je me souviens avoir vu de grandes manifestations à la télévision, et de m'être indigné que des Canadiens soient traités de cette façon par un gouvernement. La situation a-t-elle changé? Pourquoi, à votre avis, les agriculteurs veulent-ils aujourd'hui une plus grande liberté de choix?
M. Ritz : Je vais commencer par votre dernière question, et ensuite, vous me rafraîchirez la mémoire.
Les agriculteurs veulent du changement parce qu'ils se rendent compte, pour la majorité d'entre eux, qu'ils peuvent désormais commercialiser leurs propres produits. Même les agriculteurs qui ne veulent pas que la Commission soit modifiée cultivent beaucoup de canola, de légumineuses et d'autres cultures en dehors de la Commission. Je me souviens d'en avoir discuté avec Nettie Wiebe quand elle dirigeait l'Union des agriculteurs du Canada. Elle exploitait une ferme dans le même coin que nous jadis. Je lui avais dit : « Je suis passé par chez vous et j'ai constaté que vous avez planté du canola sur beaucoup d'acres, cette année. Pourquoi? ». Elle m'avait répondu : « C'est ma culture commerciale. » Alors je lui avais dit : « Pourquoi avez-vous besoin d'une culture commerciale puisque la Commission canadienne du blé s'occupe de tout? ». Elle n'avait rien répondu, la discussion était close.
Je pense que les agriculteurs se sont prouvé à eux-mêmes et au monde entier qu'ils étaient capables de le faire. Ils sont branchés sur Internet et ils suivent les cours du marché quotidiennement; ils achètent leurs intrants et ils ne voient pas pourquoi ils ne pourraient pas s'occuper aussi de la vente de leurs produits. Certes, tout le monde ne va pas se lancer là-dedans, car certains ne veulent pas ou ne peuvent pas relever le défi. C'est la raison pour laquelle la Commission et le système de mise en commun sont là. C'est une protection, et ça le restera.
L'orge fourragère a été retirée à la Commission il y a quelques années, et beaucoup d'agriculteurs cultivent davantage d'orge fourragère. Depuis quelques saisons, il est plus avantageux pour l'agriculteur de vendre son orge brassicole comme plante fourragère, car ça lui rapporte à peu près 1 $ de plus. Bien sûr, les prix fluctuent, selon le jour et l'acheteur. Mais pour faire des bénéfices, l'agriculteur doit être capable de vendre son produit quand il a besoin de le vendre. Beaucoup d'entreprises essaient de profiter de la situation. Lorsqu'elles s'aperçoivent que les productions d'orge, de blé et de durum ne sont pas vendues, elles savent que les producteurs vont être obligés de vendre leur canola, et à ce moment-là, le prix du canola diminue jusqu'à ce que le blé se vende. Si les agriculteurs contrôlent l'ensemble du système, ils ne chercheront pas à se nuire les uns aux autres.
Le principal concurrent de l'agriculteur n'est pas l'exploitant de silos-élévateurs ou le producteur américain, mais son voisin. Dans certains cas, les agriculteurs s'inquiètent si leur voisin a obtenu un meilleur prix, s'il a plu davantage sur ses terres, et cetera. Mais au final, ils savent ce qu'ils font. Ce sont de vrais entrepreneurs. Ils connaissent parfaitement leur travail.
Au cours des dernières années, le rôle de la Commission canadienne du blé et l'influence du gouvernement sur la Commission ont beaucoup changé. Nous ne faisons plus de ventes d'État à État, qui était l'activité principale de la Commission il y a bien longtemps. Nous continuons de faire de la ré-assurance, et je sais que Larry Hill va venir vous en parler jeudi prochain. La Commission est un acheteur à comptoir unique, mais ce n'est pas un vendeur à comptoir unique. Une proportion croissante de ce qu'elle vend passe par des entreprises comme celles dont a parlé le sénateur Gustafson, et par des wagons de producteurs; vous vous occupez vous-même de vendre votre produit, mais vous avez tout de même besoin d'un terminal à l'autre bout pour le réceptionner. C'est ce que font les agriculteurs. Ils sont en faveur de ce changement.
Cela me crèverait le cœur de voir des agriculteurs se ruer vers la frontière et se faire arrêter comme c'est arrivé au milieu des années 1990. Pourtant, il y a des risques, car la frustration est grande. Nous sommes dans une situation minoritaire. Les trois partis de l'opposition ont dit que cela ne sera jamais adopté. Mais il risque d'y avoir d'autres arrestations à la frontière. En tant que ministre, je ne le supporterais pas. Ce serait un grave échec pour notre gouvernement. Les agriculteurs réclament ce changement, ils l'exigent, et nous allons faire en sorte pour que ça se fasse.
Le sénateur Segal : Il n'y a pas très longtemps, les producteurs de céréales et d'oléagineux se plaignaient que les prix étaient bien inférieurs à leurs coûts de production et qu'ils ne pouvaient pas s'en sortir. Aujourd'hui, certains se plaignent que les prix sont à peu près le double de ce qui était insuffisant il y a quelques années. Cela alimente bien sûr la panique qui entoure cette pseudo-crise.
Pourriez-vous nous donner une idée de l'impact que les changements proposés pourraient avoir sur la capacité des agriculteurs à profiter pleinement des augmentations des prix des céréales et des oléagineux? En théorie, lorsque le prix d'une culture augmente, les agriculteurs en sèment davantage, si bien que la production augmente et que cela rétablit l'équilibre tout en atténuant la crise alimentaire. Qu'en pensez-vous?
M. Ritz : Ce sont avant tout les conditions météorologiques et pédologiques qui déterminent ce qui sera semé. J'ai parlé à beaucoup de producteurs cette année et leur ai demandé si, vu les prix de l'orge et du durum cette année, ils allaient en planter davantage. Ils m'ont dit que non, qu'ils allaient poursuivre la même rotation car ils avaient financé le coût des intrants l'automne dernier, ou alors qu'ils avaient eu une bonne récolte de légumineuses l'an dernier et qu'ils allaient donc planter de l'orge ou du durum pour profiter de l'apport d'azote dont je parlais tout à l'heure. Ces décisions ne sont pas prises d'une année sur l'autre, mais à plus long terme. Les agriculteurs savent ce qu'ils veulent et comment ils vont s'y prendre.
Les caractéristiques du sol entrent aussi en ligne de compte. S'il est un tant soit peu alcalin, vous ne pouvez pas cultiver n'importe quoi. S'il est léger, il risque de s'éroder, et vous devez planter des cultures adaptées à ce type de sol.
Le choix des cultures n'est donc pas nécessairement déterminé par le prix des denrées. Certes, on cultivera peut-être un peu plus de durum cette année, mais pour l'instant, les grandes terres de production du durum, en Saskatchewan, sont très sèches. Au fur et à mesure que le temps passe, la récolte risque d'être complètement perdue. Si ces terres restent sèches, il faudra les ensemencer avec de l'orge à cycle plus court ou même avec du canola. Il y aura donc moins de durum cultivé, ce qui contribuera à maintenir les prix à des niveaux élevés, puisqu'il y en aura moins sur le marché.
La grande majorité des agriculteurs ne décident pas en fonction des hausses de prix. Ils ont un plan d'entreprise à plus long terme, de la même façon que celui qui gère une quincaillerie sur la rue principale. À mon avis, le projet de loi du sénateur Mitchell ne va faire que ralentir la phase de consultation et retarder la mise en œuvre du changement, si limité soit-il.
Je suis en contact constant avec la Commission. Nous discutons de toutes sortes de choses. J'ai déjà parlé au président du conseil d'administration et au PDG à plusieurs reprises. J'ai eu l'occasion de m'adresser à l'ensemble du conseil d'administration, qui ne se réunit pas chaque semaine, mais à des dates fixées d'avance. Chaque fois qu'une question a surgi et que j'ai dû les consulter, ils ont organisé soit une réunion soit des appels téléphoniques.
Nous ajustons les prix selon les suggestions de la Commission. Nous évaluons ces suggestions avant de les faire approuver rapidement par le Conseil du Trésor; il ne faudrait pas que ces discussions se poursuivent indéfiniment, car pendant ce temps, l'agriculteur ne peut pas vendre son produit au meilleur moment, et s'il est ensuite obligé de laisser partir son canola ou ses lentilles à un prix moins élevé, c'est un inconvénient.
Je comprends pourquoi le sénateur Mitchell propose ce texte législatif, mais en dernière analyse, je pense que personne ne veut alourdir encore la bureaucratie.
Le sénateur Peterson : Le changement proposé dans le projet de loi S-228 donne au conseil d'administration de la Commission canadienne du blé, et donc aux producteurs, davantage de pouvoirs pour régler les questions qui concernent leur industrie. Pourquoi, à votre avis, le conseil d'administration ne devrait-il pas avoir de tels pouvoirs?
M. Ritz : Le conseil d'administration a déjà ces pouvoirs. Si je veux apporter des changements à son mandat, je peux procéder par voie de règlement pour des changements mineurs; s'ils sont importants, je dois consulter le conseil d'administration, ce que je fais déjà et c'est très bien. Les producteurs le font aussi.
Dix de ces administrateurs sont nommés par les producteurs des 10 districts de l'ouest du Canada seulement. Cinq sont nommés par le gouvernement. Voilà où on en est. Si la Commission veut réduire le nombre d'administrateurs nommés, comme l'envisage le projet de loi, on pourrait fort bien en discuter ensemble.
Il faut bien comprendre que le gouvernement continue de ré-assurer les ventes de la Commission ainsi que les prix initiaux, sans parler de certaines dépenses de fonctionnement, et cetera. La Commission entreprend parfois des projets pilotes pour lesquels elle n'a pas assez de financement, et si son fonds de prévoyance de 60 millions de dollars ne suffit pas à couvrir l'année, elle nous demande de l'aide. En 2003, si je me souviens bien, il fallait trouver 80 millions de dollars, et c'est le gouvernement de l'époque, les contribuables, donc, qui ont payé l'addition.
Il y a donc un juste milieu à trouver entre une commission contrôlée entièrement par les agriculteurs et le retrait complet de l'aide du gouvernement.
Le sénateur Peterson : D'après vous, les agriculteurs de l'Ouest se sont exprimés clairement dans ce plébiscite; nous savons qu'il y en a largement plus de 80 p. 100 qui ne veulent plus de tout ce secret qui entoure la Commission canadienne du blé. Vous avez dit ce soir qu'une grande majorité d'entre eux était en faveur du changement.
La Loi sur la Commission canadienne du blé ne prévoit-elle pas ce genre de changement? Plutôt que d'avoir à examiner tous ces projets de loi — je crois qu'il y en a trois — ne pourrions-nous pas tout simplement suivre la procédure prévue par la loi, consulter les producteurs, organiser un plébiscite et proposer le changement au Parlement?
M. Ritz : C'est ce que nous faisons, mais nous sommes dans une situation minoritaire. Le projet de loi C-46 est une conséquence du plébiscite.
Le sénateur Peterson : Vous suivez donc la procédure prévue dans la loi, c'est ce que vous voulez dire? Vous avez consulté les producteurs et ils vous ont dit, à une majorité écrasante, qu'ils voulaient que vous fassiez cela. Vous avez organisé un plébiscite, en posant une question claire.
M. Ritz : Je crois qu'elle était claire. Si des producteurs avaient des difficultés à comprendre la question, il leur suffisait de s'adresser à leur petit-fils qui était certainement tout à fait capable de leur expliquer.
Le sénateur Peterson : Si vous aviez eu quatre questions, vous auriez sans doute obtenu un appui encore plus fort. Je ne sais pas comment vous avez pu poser la question en trois parties.
M. Ritz : Nous avons posé des questions qui sont bien comprises dans le milieu. Il n'y avait pas de pièges.
Le sénateur Peterson : Une fois que vous aviez organisé ce plébiscite, l'étape suivante ne consistait-elle pas à en soumettre directement les résultats au Parlement, plutôt que de présenter les projets de loi C-46, C-57 et celui-ci?
M. Ritz : Chaque projet de loi répond à un besoin particulier. Le projet de loi C-57 porte sur l'élection des administrateurs, ce qui est distinct de la façon dont fonctionne la Commission. Il y a plusieurs choses à faire. C'est comme si vous vouliez régler tous les problèmes du système judiciaire avec un seul projet de loi. Il faut présenter les choses de façon ordonnée.
À mon avis, c'est la bonne façon de procéder car il y a des problèmes précis à régler. Le projet de loi C-46 donne suite au plébiscite sur l'orge. C'est ce qu'il faut faire. Le problème vient du fait que les trois partis de l'opposition ont décidé de ne rien accepter. Ils s'opposent donc à ce que veulent les agriculteurs de l'Ouest.
S'il s'agissait d'une commission pancanadienne, plutôt que d'une commission de l'Ouest, l'attitude de certains partis à la Chambre des communes serait certainement différente. L'Ontario a sa propre commission du blé; le Québec aussi. Je suis convaincu que certains changements seraient rapidement approuvés s'il s'agissait d'une commission pancanadienne.
Le sénateur Mahovlich : La Commission canadienne du blé a-t-elle encore un rôle à jouer?
M. Ritz : Absolument.
Le sénateur Mahovlich : La plupart des agriculteurs veulent que la Commission canadienne du blé reste comme elle est, c'est bien cela?
M. Ritz : Non, pas au sujet des questions que nous leur avons posées. Vous pourrez interroger le président Hill, lorsqu'il sera là ce soir, au sujet des résultats de son sondage. Je préfère ne pas en parler moi-même.
J'habite là-bas, et le sénateur Gustafson aussi. Il peut vous dire que les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à réclamer un changement. J'ai fait mes propres sondages, mes petites réunions locales, et j'ai constaté qu'à cause de l'intransigeance de certains groupes et de certains membres du conseil d'administration, le niveau de frustration augmente. Si la Commission ne répond pas aux souhaits des agriculteurs, elle risque de tout perdre car leur patience a des limites. Ils sont prêts à renoncer à tout pour aller de l'avant.
C'est ce que j'entends à l'heure actuelle, et cela m'inquiète un peu. Je ne pense pas que le système puisse s'adapter à un changement soudain. Il faut réagir de façon réfléchie et mesurée, et je crois que c'est ce que nous faisons en retirant l'orge. Comme je l'ai déjà dit, l'orge fourragère destinée à la consommation intérieure est déjà hors-commission. La prochaine étape sera donc de retirer l'orge fourragère destinée à l'exportation et l'orge brassicole.
L'avoine est hors-commission depuis plusieurs années, et ça marche très bien. Toute une industrie s'est développée autour des variétés d'avoine qui sont produites. Cette culture est maintenant utilisée dans la cosmétique et dans bien d'autres secteurs auxquels on n'avait jamais pensé avant.
Le sénateur Mahovlich : Les prix sont élevés pour beaucoup de variétés de blé. Quel impact cela a-t-il sur l'agriculteur? Est-ce la raison pour laquelle il veut commercialiser lui-même son produit? Est-ce la situation actuelle qui l'incite à vouloir se débrouiller tout seul?
M. Ritz : Ça excite les appétits. Chacun pense qu'il est capable de se débrouiller mieux que son voisin. Certains vont y gagner, d'autres vont y perdre. C'est ça le libre marché.
Les agriculteurs ont prouvé qu'ils étaient capables de commercialiser les produits qui sont aujourd'hui hors- commission. Aux termes de sa loi organique, la Commission canadienne du blé a le droit de créer un compte de livraison en commun pour n'importe quelle céréale. Elle a préféré s'en tenir aux céréales secondaires, mais elle a le droit de créer un compte de livraison en commun pour le canola, le lin, ou n'importe quoi d'autre si elle le veut. C'est peut- être ce qu'elle décidera de faire, plus tard. En tout cas, sa loi organique lui permet de le faire.
Par contre, les agriculteurs veulent avoir le droit de choisir quand et à quel prix leurs céréales seront vendues, car ils ne veulent pas être forcés d'accepter un prix inférieur pour leur canola ou leurs légumineuses. Les acheteurs savent qu'ils n'ont pas beaucoup de liquidités.
Le sénateur Gustafson : Votre ministère ou le gouvernement fédéral participe-t-il aux programmes d'assurance des récoltes dans les provinces?
M. Ritz : Nous payons le quart de la facture, plus les coûts d'administration. Toutefois, c'est la province qui détermine, en dernière analyse, les taux en vigueur sur son territoire. Nous payons donc 25 p. 100 de la facture et les frais généraux; la province paie 45 p. 100 de la facture, dont 50 p. 100 sont remboursés par les primes d'assurance versées par les agriculteurs.
Le sénateur Gustafson : J'aimerais revenir sur la question plus générale de la Commission canadienne du blé. Je suis surpris que ce soit devenu un dossier politique. Je ne vais pas dire aux dirigeants de General Motors comment et à quels prix ils doivent vendre leurs voitures. Mais quand il s'agit de la Commission canadienne du blé, on dirait que l'ensemble du Canada veut nous dire comment commercialiser notre produit. C'est devenu très politique. C'est en tout cas mon opinion.
M. Ritz : J'aimerais bien pouvoir vous donner une réponse, car je suis d'accord avec vous, c'est devenu très politique. Je le vois bien dans les questions qui me sont posées à la Chambre des communes, dans les entrevues avec les médias et dans le courrier des lecteurs. C'est toujours les mêmes groupes qui réclament la même chose, mais d'autres personnes se joignent maintenant à eux.
Je n'ai jamais hésité à dire, dans les quatre campagnes électorales que j'ai faites, et je ferai de même dans la cinquième qui se profile à l'horizon, que j'étais en faveur du libre choix en matière de commercialisation. Ce qui ne m'a pas empêché d'être élu avec des majorités très confortables. Dans les assemblées de candidats, il y a toujours des gens qui viennent me provoquer sur ce sujet, mais ce sont toujours les mêmes depuis 20 ans que je tourne sur la scène politique.
Ce qui me réconforte, c'est que depuis un an, ces gens-là sont de plus en plus nombreux à venir me voir et à me dire : « Finalement, vous aviez raison. Le changement est nécessaire. » C'est incroyable.
L'âge moyen des agriculteurs de la région est autour de 65 ans. Ces gens-là ont l'habitude de faire les choses d'une certaine façon, et ils commencent à se rendre compte que le seul moyen d'avoir un produit vendable à la nouvelle génération qui arrive, c'est de présenter un bilan positif. Et ils pensent qu'ils auront plus de chances d'y parvenir s'ils s'occupent eux-mêmes de la commercialisation de leurs produits.
Le sénateur Gustafson : La Commission canadienne du blé a proposé aux agriculteurs trois options de commercialisation : les agriculteurs acceptent le prix qui leur est offert; ils prennent 80 p. 100 du compte de livraison en commun; ou ils prennent tout le compte de livraison en commun. Manifestement, certains agriculteurs n'ont pas fait le bon choix.
M. Ritz : Cela arrivera toujours. Ils l'ont fait à cause des circonstances, parce qu'ils avaient des factures à payer. Ils auraient pu attendre pour toucher 10 $ de plus par tonne, mais les intérêts supplémentaires qu'ils auraient eu à payer auraient été supérieurs à ce gain éventuel. Tout le monde ne peut pas gagner. C'est ça le libre marché. Nous ne sommes pas à la Bourse de Toronto. Il y en a peu qui gagnent et beaucoup qui perdent. C'est toujours comme ça dans un marché libre.
Les agriculteurs savent tout cela, et ils savent comment s'y prendre. Des clubs de commercialisation commencent à s'organiser. Bon nombre de terminaux appartiennent à des agriculteurs de l'Ouest, et ça marche très bien. J'en ai deux dans ma circonscription. Les deux sont en phase d'expansion, et les affaires marchent très bien. Les producteurs qui ont investi en touchent les bénéfices. Ça fait plaisir à voir.
La présidente : Merci. Nous savons que c'est un dossier difficile, et ça l'a toujours été. Nous vous remercions d'avoir comparu devant notre comité. Je sais que si nous avons besoin de vous, vous n'hésiterez pas à revenir nous voir.
M. Ritz : Bien sûr.
La présidente : Merci.
M. Ritz : Merci à vous. Ce fut très agréable.
Le comité poursuit ses délibérations à huis clos.