Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 13 - Témoignages du 5 juin 2008
OTTAWA, le jeudi 5 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 3 pour examiner le projet de loi S-228, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé (conseil d'administration).
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour honorables sénateurs, messieurs les témoins et vous tous qui assistez à cette rencontre du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Aujourd'hui, le comité poursuit son étude du projet de loi S-228. Le Parlement étudie actuellement un certain nombre de projets de loi concernant la Commission du blé. L'un d'entre eux, le projet de loi S-228, a été présenté au Sénat par l'honorable Grant Mitchell, de l'Alberta.
Le projet de loi propose d'augmenter les pouvoirs du conseil d'administration à propos des changements de politiques. Il propose de ramener de cinq à trois le nombre de personnes nommées par le gouvernement au conseil d'administration. Il propose aussi de modifier le processus électoral et la question à être posée lorsqu'une consultation a lieu parce que le gouvernement souhaite apporter un changement aux compétences de la Commission canadienne du blé. Ces enjeux sont très complexes et exigent un débat.
Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui Larry Hill, président du conseil d'administration de la Commission canadienne du blé, qui viendra nous faire part du point de vue de la Commission sur le projet de loi. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Hill. Nous sommes heureux de vous compter parmi nous.
Larry Hill, président du conseil d'administration, Commission canadienne du blé : Bonjour. J'aimerais remercier les membres du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts de m'avoir invité ce matin pour faire connaître les points de vue de la Commission canadienne du blé, la CCB, sur le projet de loi S-228.
J'ai une exploitation agricole dans la région de Swift Current, dans le Sud-Ouest de la Saskatchewan, et je suis aussi le président du conseil d'administration de la CCB. J'ai commencé à occuper ce poste en mars et j'ai pris le relais de Ken Ritter, qui était le président depuis 10 ans. Je suis élu par les producteurs du district 3 de la Commission du blé, qui regroupe le Sud de l'Alberta et le Sud-Ouest de la Saskatchewan, et je représente ces producteurs.
Pour des raisons évidentes, le projet de loi S-228 suscite un grand intérêt au sein de la CCB. Nous avons examiné le projet de loi et formulé un certain nombre de réflexions que je vous transmettrai ce matin.
D'abord, à titre d'agriculteur et de membre de la CCB élu par les producteurs, je n'ai pas peur d'admettre mon parti pris en faveur de toute mesure qui vient renforcer le contrôle exercé sur cette organisation par les producteurs de grain. Je l'ai appris par des conversations privées avec des producteurs ou en étudiant les résultats de notre enquête auprès des producteurs : de toute évidence, les producteurs de grain veulent avoir le dernier mot quand il est question de la façon dont la CCB est dirigée et de la façon dont elle dépense son argent.
Je crois que c'est leur droit. Les agriculteurs fournissent les récoltes que vend la CCB, paient les dépenses de la CCB et s'exposent à des pertes ou à des gains selon la façon dont la CCB est gérée. La CCB n'achète pas de grain. Elle vend du grain au nom des producteurs. C'est un organisme de commercialisation du grain contrôlé par les agriculteurs puisque ce sont eux qui élisent les membres du conseil d'administration.
Cependant, je ne dis pas que le gouvernement fédéral n'a aucun intérêt dans cet organisme de commercialisation du grain. Étant donné que le mandat de la CCB est établi par une loi fédérale et que le gouvernement du Canada offre encore et toujours des garanties financières pour les emprunts et les paiements de la CCB, il est juste et raisonnable qu'Ottawa conserve un certain pouvoir lui permettant de s'assurer que la CCB est gérée adéquatement.
À titre de président du conseil d'administration, l'une de mes priorités est de trouver des façons constructives de collaborer avec le gouvernement fédéral et avec le ministre Ritz dans le but commun d'améliorer la rentabilité et la viabilité des exploitations agricoles de l'Ouest. Le résultat est que la CCB est une société à gouvernance partagée et que la Loi sur la Commission canadienne du blé doit trouver des façons de tracer la limite entre les pouvoirs des deux parties, soit les agriculteurs et le gouvernement, afin que nous sachions où commencent et où finissent ces pouvoirs.
Les changements apportés à la Loi sur la Commission canadienne du blé en 1998 ont été un tournant décisif dans cette relation. Ils ont permis aux agriculteurs de jouer un rôle plus actif dans la supervision de l'organisme et dans la détermination de son orientation stratégique. J'ai eu le privilège de faire partie du conseil d'administration de la CCB depuis les tout débuts.
Je suis fier de dire que, grâce au leadership des agriculteurs qui font partie du conseil, l'organisme et les membres du conseil ont pu prendre d'importantes initiatives, comme l'évaluation des activités de la CCB effectuée par la vérificatrice générale du Canada, l'adoption de modalités pour les paiements aux producteurs, et diverses mesures de défense des intérêts, y compris des interventions au nom des agriculteurs concernant des enjeux importants en matière de transport.
De façon générale, dans l'ensemble, la CCB soutient l'orientation générale du projet de loi S-228 parce qu'il permet aux agriculteurs d'exercer un plus grand contrôle sur un certain nombre d'aspects. Par exemple, l'article 21 du projet de loi propose de modifier le paragraphe 47(1) actuel de la Loi sur la Commission canadienne du blé afin de resserrer les exigences concernant la façon dont des cultures peuvent être ajoutées au mandat de la CCB ou en être retirées. L'article doit aussi modifier le processus de nomination des administrateurs de façon à ce que les administrateurs élus par les producteurs jouent un plus grand rôle. Il exige aussi que le gouvernement consulte le conseil de la CCB et, même, obtienne son approbation avant d'entreprendre certaines mesures visées par la Loi.
Nous avons toutefois certaines préoccupations qui viennent limiter l'appui que nous donnons au projet de loi, et nous décelons certaines faiblesses que nous aimerions voir corriger. Je vais maintenant examiner plus en détail chacun de ces aspects.
Grâce aux changements proposés dans l'article 21 du projet de loi S-228, on saurait clairement que la consultation avec le conseil d'administration devrait avoir lieu avant l'adoption d'une mesure législative qui viendrait faire en sorte qu'une culture soit assujettie ou non au pouvoir de la CCB. Pour qu'il y ait ajout ou exclusion d'une culture, il faudrait obtenir l'approbation du conseil. Les producteurs touchés devraient voter par scrutin secret, et le libellé de la question devrait refléter le plus précisément possible le libellé de la question qui figure dans une nouvelle annexe de la Loi.
De façon générale, la CCB est en faveur de ces changements, surtout du fait que la question proposée dans l'annexe utilise à peu près le même libellé que la question proposée par divers groupes d'agriculteurs avant la consultation sur l'orge menée par le gouvernement en 2007. Les agriculteurs tiennent à voir une question claire qui entraîne un résultat exécutoire.
En ce qui concerne le processus de nomination des administrateurs non élus de la CCB, on propose, dans le projet de loi S-228, que deux d'entre eux soient nommés par les dix administrateurs élus. Il s'agit certainement d'un pas dans la bonne direction. Nous pensons toutefois que la mesure législative devrait aller plus loin. La CCB a entre autres proposé au gouvernement actuel que tous les administrateurs nommés soient choisis à partir d'une courte liste de candidats qualifiés recommandés par la CCB. Cela permettrait d'accroître le contrôle exercé par les agriculteurs en plus d'envoyer un message clair selon lequel les producteurs sont plus que jamais responsables de leur organisme de commercialisation.
Les changements proposés à l'article 2 du projet de loi exigeraient aussi que les administrateurs nommés par le gouvernement apportent au conseil « des connaissances spécialisées de l'extérieur qui pourraient ne pas être autrement disponibles. » À l'heure actuelle, les personnes que proposent les administrateurs élus par les agriculteurs n'ont pas à satisfaire à cette exigence.
Pour la CCB, ce libellé pose problème. Nous aimerions que le libellé dise plutôt que des administrateurs supplémentaires « devraient être nommés afin d'apporter au conseil des connaissances spécialisées de l'extérieur que ne posséderaient peut-être pas autrement les administrateurs élus. » Nous pensons simplement que cette solution permettrait d'éviter de se retrouver avec deux catégories d'administrateurs : les administrateurs élus par les agriculteurs et ceux qu'ils nomment, et les personnes nommées par le gouvernement. Nous ne sommes pas certains, non plus, que ce soit essentiel de préciser que les deux personnes nommées par le gouvernement doivent être nommées par le ministre plutôt que par le Cabinet, comme c'est présentement le cas.
Finalement, si le projet de loi S-228 devait être adopté, un grand nombre de dispositions de la Loi sur la Commission canadienne du blé exigeraient que le gouvernement fédéral consulte le conseil d'administration de la CCB avant de prendre certaines mesures, par exemple avant d'adopter un règlement ou de prendre un décret. Il y a eu cinq ajouts concernant le fait que le ministre ou le Cabinet devait obtenir l'approbation du conseil avant de prendre des mesures. Je n'essaierai pas de commenter chacun de ces ajouts.
Je dirais cependant, de façon générale, que le but est de dire clairement que le gouvernement ne devrait pas agir de façon unilatérale quand vient le temps de traiter avec la CCB. Cela dit, l'incidence de ces modifications varie d'une disposition à une autre, et ce n'est pas toujours facile de comprendre ce qui motive ces changements.
Par exemple, le terme « consultation » signifie seulement que le gouvernement doit tenir compte du point de vue du conseil. Ça ne signifie pas que le gouvernement doit prendre sa décision en fonction de ce point de vue. C'est ce qu'on constate quand on voit l'obligation d'obtenir l'approbation du conseil exprimée dans un certain nombre de dispositions du projet de loi. Par exemple, le paragraphe 9(1) du projet de loi traite de l'ajout de l'expression « après consultation du conseil » au paragraphe 18(1) de la Loi, dans lequel les pouvoirs du gouvernement sont décrits de la façon suivante :
[...] donner des instructions à la Commission sur la manière d'exercer ses activités et ses attributions.
Si la modification vise à rendre plus clair le pouvoir du gouvernement de donner des instructions à la CCB, je dirai seulement que, selon nous, il y aurait de meilleures façons de modifier cette partie du projet de loi.
En résumé, la CCB peut soutenir l'esprit des modifications proposées dans le projet de loi S-228. C'est un projet de loi qui permettrait aux agriculteurs d'exercer un plus grand contrôle sur l'organisme de commercialisation du grain qui leur appartient. Toutefois, ce serait sûrement possible d'améliorer de nombreux aspects du projet de loi.
Ma déclaration d'ouverture est terminée. Je serai heureux de répondre aux questions que vous pourriez me poser.
Le sénateur Peterson : Selon le ministre, le projet de loi C-46 — un autre projet de loi actuellement en cours d'examen — a été introduit à la suite d'un plébiscite mené récemment. Pensez-vous que c'est ce que souhaitaient vraiment les participants? Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Hill : Quand le ministre Strahl a procédé à ce vote, il a parlé de « consultation », et non de plébiscite. Il n'y avait donc pas d'obligation. Si vous examinez les résultats — et je sais qu'ils révèlent que 62 p. 100 des producteurs veulent du changement — vous devez essayer de les voir sous un autre angle. Pendant tout le processus, la CCB a été mentionnée comme une bonne deuxième solution. Cela signifie que 86 p. 100 des producteurs qui ont voté aimeraient que la CCB joue un rôle important dans la commercialisation de l'orge.
Nous, les administrateurs, avons examiné les résultats, et ce que nous avons compris, c'est que les producteurs veulent du changement, veulent que la CCB participe et veulent une certaine liberté sur le plan de la commercialisation. La question, c'est comment pouvons-nous leur offrir ce qu'ils veulent?
Le conseil d'administration et les employés ont donc créé le programme CashPlus à la suite du plébiscite afin de donner aux producteurs le pouvoir de traiter directement avec les entreprises de maltage et les sélectionneurs. Des sondages récents ont permis de révéler que 73 p. 100 des producteurs estiment que CashPlus tient ses promesses. On peut voir que nous avons tenté d'agir. Le conseil d'administration est composé d'agriculteurs, et nous voulons répondre aux besoins des agriculteurs.
Le sénateur Peterson : Pensez-vous que la Commission canadienne du blé pourrait demeurer efficace et opérationnelle si on devait retirer l'orge de ses responsabilités?
M. Hill : Je pense qu'il faut plutôt se demander si la CCB pourrait offrir une valeur ajoutée. La raison d'être de la CCB, c'est d'accroître dans la mesure du possible la valeur du grain pour les agriculteurs. Si la CCB réussit à offrir une telle valeur ajoutée, c'est beaucoup grâce au comptoir unique.
Si on devait retirer l'orge, son efficacité serait grandement réduite. La Commission ne possède pas d'installations. Elle se retrouverait donc dans une position peu enviable pour faire concurrence à d'autres entreprises. Je préfère penser que la meilleure solution pour la commercialisation serait de permettre une certaine souplesse tout en passant par un comptoir unique. De cette façon, la Commission pourrait offrir une valeur ajoutée.
Le sénateur Peterson : Vous avez parlé des garanties du gouvernement. Ont-elles déjà été mises à contribution par le passé?
M. Hill : Les garanties du gouvernement ont été mises à contribution à quelques occasions, quand nous avons fait face à des situations dramatiques. De mémoire, la dernière fois que nous y avons recouru, c'est quand le dollar a connu une augmentation de près de 16 p. 100 en une année pendant que les prix des grains chutaient d'environ 30 p. 100. Cette fois-là, le rendement total pour le blé de printemps — la seule culture de la CCB qui affichait un déficit — faisait en sorte que le rendement était inférieur à ce qui avait été avancé aux producteurs, et le gouvernement a accepté d'offrir le soutien.
Je crois que c'est arrivé à seulement trois occasions, et il ne s'agissait pas de montants importants par rapport au total de ce qu'ont reçu les producteurs de la CCB.
Le sénateur Peterson : Si la Commission canadienne du blé devait être abolie, comment feraient les producteurs pour commercialiser leurs produits?
M. Hill : Ils devraient commercialiser toutes leurs cultures sur le marché libre, comme nous le faisons avec d'autres grains. C'est possible. Mais est-ce une bonne idée? Les agriculteurs auraient-ils autant d'argent? Je ne le crois pas. Je pense qu'ils n'auraient pas autant d'argent. Ce qui est essentiel, selon moi, c'est le profit des producteurs.
Le sénateur Peterson : Seraient-ils obligés de vendre à de grandes entreprises?
M. Hill : C'est exact. Je dirais que nous nous retrouverions dans une situation semblable à ce qui se passe aux États- Unis, où les grandes entreprises céréalières achètent la majorité des récoltes. Ces entreprises sont déjà présentes au Canada. Elles seraient prêtes à prendre le marché.
Le sénateur Callbeck : Le projet de loi S-228 augmente véritablement les pouvoirs de la Commission canadienne du blé à propos des changements de politique et réduit les pouvoirs du gouvernement.
J'aimerais avoir quelques exemples de ces pouvoirs, comme ceux dont vous nous avez fait part concernant les changements de politique qui, actuellement, pourraient avoir lieu seulement à condition que le gouvernement consulte le conseil auparavant.
M. Hill : La Loi sur la Commission canadienne du blé, dans sa forme actuelle, traite de la collaboration entre le gouvernement et le conseil d'administration. Le terme « consultation » est toutefois très général. Ça peut vouloir dire que vous allez appeler le président du conseil d'administration pour lui dire que vous pensez faire quelque chose ou que vous ferez quelque chose, ou que vous allez lui demander ce qui arrivera, à son avis, si vous faites quelque chose en particulier. C'est vraiment difficile de définir exactement le terme « consultation ».
J'espère qu'on parle de véritables consultations, où il y a des échanges et des compromis sur une question avant que des mesures ne soient prises.
Le sénateur Callbeck : Pouvez-vous nous donner des exemples de changements de politique que le gouvernement pourrait actuellement apporter sans consulter le conseil, mais qui exigeraient la consultation du conseil si le projet de loi S-228 devait être adopté?
M. Hill : Eh bien, par exemple, le ministre peut apporter des changements au règlement qui régit les procédures du vote. Nous procéderons à l'élection d'administrateurs cet automne. Le ministre peut apporter des changements au règlement qui régit le vote. En fait, cela s'est produit au moment de la dernière élection de la CCB puisque le ministre a apporté des changements à la procédure électorale concernant les personnes qui se voyaient accorder un bulletin de vote admissible. Ces changements ont été apportés à la demande du ministre.
Le sénateur Callbeck : Ça a été fait. Mais est-ce que ça ne serait pas aussi possible avec les nouvelles mesures législatives?
M. Hill : D'après moi, les nouvelles mesures législatives changeraient radicalement les choses. Je ne sais pas exactement quelles conséquences auraient ces dispositions sur le plan juridique. C'est souvent difficile d'interpréter en détail des dispositions législatives tant qu'elles n'ont pas été en vigueur pendant un certain temps, mais je pense qu'elles entraîneraient des changements.
Le sénateur Callbeck : Le ministre était ici mardi soir, et on lui a demandé si la CCB aurait de la difficulté à faire concurrence aux grandes multinationales dans un marché libre. Il a répondu que non. Qu'en pensez-vous?
M. Hill : Je ne suis pas d'accord; pas du tout. Les ventes des grandes sociétés multinationales représentent plusieurs fois celles de la CCB. Les ventes de la Commission canadienne du blé atteignent de six à huit milliards de dollars par année. Ce n'est pas beaucoup par rapport aux grandes sociétés. Le comptoir unique est ce qui permet à la Commission de faire face à ces grandes organisations et à assurer une place sur le marché mondial aux agriculteurs canadiens afin qu'ils vendent leurs grains à bon prix. J'ajouterais aussi que le système canadien de commercialisation du grain a, sans hésitation, la meilleure réputation au monde. Si nous devions adopter un système semblable à celui des Américains, je crois que nous jouirions de la même réputation que les Américains. Nous n'aurions plus une aussi bonne réputation.
Si on devait éliminer le comptoir unique, le pouvoir dont jouissent les producteurs sur le marché changerait de façon marquante.
Le sénateur Segal : Dans votre déclaration d'ouverture, vous avez mentionné que la CCB avait fait un sondage auprès des producteurs de l'Ouest. Est-ce que ce sondage incluait une question au sujet de la possibilité de retirer l'orge et, le cas échéant, quelles ont été les réponses à cette question?
M. Hill : Oui, il y avait une question au sujet de la commercialisation de l'orge. Selon les résultats, 43 p. 100 des répondants préconisaient un comptoir unique, ce qui signifie, apparemment, que 57 p. 100 d'entre eux préféreraient un marché libre.
Le sénateur Segal : Vous avez dit que vous avez une exploitation agricole près de Swift Current. Pourquoi certains agriculteurs souhaitent-ils un marché libre? Pourquoi y a-t-il une majorité — minime, mais néanmoins une majorité — d'agriculteurs en faveur d'un marché libre?
M. Hill : Les programmes qui ont existé par le passé ont entraîné de la frustration chez les agriculteurs. Au départ, les acomptes à la livraison étaient peu élevés. Nous avons envoyé au gouvernement nos recommandations concernant les acomptes à la livraison. Nous faisons des affaires au sein d'un marché en effervescence. Nous ne pouvons pas demander au gouvernement de nous garantir l'intégralité du rendement que nous prévoyons. Nous devons donc tenir compte d'un facteur de risque.
Pour ce qui est de l'orge, le facteur de risque était élevé, et l'acompte à la livraison, peu élevé. Dans l'Ouest du Canada, il y a un marché libre intérieur concernant les aliments pour les animaux. C'est à Lethbridge que l'on trouve le marché le plus important au monde pour l'orge destiné aux aliments pour les animaux. C'est un exemple de marché où les prix sont très élevés. Le prix initial que vous pouvez obtenir pour de l'orge de malterie de première qualité est bien souvent inférieur à celui que vous pouvez obtenir pour de l'orge destiné aux aliments pour les animaux. Pour un agriculteur qui a besoin de liquidités, le libre marché des aliments pour les animaux constitue un choix intéressant.
À titre d'administrateurs, nous tentons d'atténuer tout cela grâce à des options de tarification de façon à ce que les producteurs puissent obtenir plus d'argent à la livraison et ainsi être en mesure de faire concurrence. Il s'agit toutefois d'options récentes, et bon nombre de producteurs n'y ont pas encore eu recours. Malgré tout, ils sont nombreux à l'avoir fait, et ils sont satisfaits, surtout à cause de la frustration qu'ils ressentent parce que les acomptes à la livraison sont peu élevés.
Le sénateur Segal : J'aimerais savoir si, à titre de président, vous êtes satisfait de la transparence envers les agriculteurs dont fait preuve la Commission dans ses activités. Vous avez des obligations en matière de communication, et il semble, à ce que je sache, que vous vous en acquittez très bien. Vous avez mentionné que la vérificatrice générale a été invitée. C'est une excellente décision. Publiez-vous maintenant les chiffres sur vos activités à l'intention des agriculteurs chaque année ou chaque trimestre? Comment procédez-vous à l'heure actuelle?
M. Hill : Les chiffres sont fournis dans la version détaillée du rapport annuel, mais nous présentons aussi des résultats préliminaires dans notre publication, Info-Céréales. Mais on attend habituellement le rapport annuel pour présenter l'essentiel des renseignements. Ils doivent évidemment faire l'objet d'une vérification. À cause de la clôture de l'exercice et de ce genre de choses, les résultats sont fournis seulement plusieurs mois après la fin de l'année de récolte.
C'est la transparence dont nous faisons preuve dans nos publications. Les membres du conseil d'administration ont accès aux journaux des ventes, qui se trouvent dans le coin de notre salle de réunion. Ainsi, si nous recevons de nombreux appels de personnes qui nous disent que le prix du blé dur est de 14 $ le boisseau aux États-Unis, je me rends à la salle du conseil et je regarde les dernières ventes pour connaître le prix de vente du blé dur par la Commission canadienne du blé aux États-Unis. Tous nos administrateurs peuvent connaître ces données en tout temps, ce qui signifie que le conseil d'administration jouit d'une transparence totale. C'est notre travail, de transmettre ces renseignements aux producteurs, dont nous sommes responsables. C'est pour cela que nous tenons une série de rencontres tout au long de l'année.
Le sénateur Segal : Étant donné que vous vivez en Saskatchewan et que vous y avez une exploitation agricole, vous vous souviendrez des événements qui ont eu lieu il y a quelques années et que bon nombre de Canadiens ont trouvés plutôt perturbants, quand des agriculteurs se sont retrouvés en mauvaise posture parce qu'ils avaient tenté, entre autres, d'apporter leur propre blé de l'autre côté de la frontière. J'aimerais connaître vos impressions à titre d'agriculteur et à titre de président : avez-vous l'impression que la tension monte, actuellement? Faisons-nous tout en notre pouvoir pour que ce type de tension ne cause pas des difficultés aussi grandes qu'à l'époque, pour éviter que les gens se sentent lésés, comme c'était le cas à l'époque?
Ça a été, semble-t-il, une période de divisions et de problèmes pour la collectivité agricole. Si le sénateur Gustafson, qui est lui-même producteur de céréales et d'oléagineux, était ici, il parlerait du coût des intrants, qui augmente de façon radicale. Il en coûte maintenant presque 1 000 $ pour remplir le réservoir du tracteur le matin. Compte tenu, comme vous l'avez dit plus tôt, de l'instabilité des marchés, pensez-vous que ces tensions pourraient entraîner une situation que nous ne pourrions pas maîtriser comme nous le souhaiterions?
M. Hill : Il y aura toujours des tensions transfrontalières quand les prix augmenteront de façon radicale, comme ils l'ont fait. À l'heure actuelle, il n'y a pas de tensions transfrontalières en ce qui concerne l'orge. En fait, dans les conditions actuelles, ce serait plus difficile d'exporter du grain aux États-Unis.
Pour vous donner un petit aperçu du contexte du marché, je peux vous dire que nous vendons environ de 10 à 15 p. 100 de notre grain aux États-Unis. N'oubliez pas qu'il s'agit aussi d'un pays exportateur net de grain.
Le sénateur Segal : C'est grâce à leurs subventions et à la demande.
M. Hill : C'est exact. Mais ils ont malgré tout une importante base de production. Il vous faudra des jours pour traverser en voiture la zone de culture du grain aux États-Unis. Si nous voulons vendre dans ce marché, nous devons prendre certaines mesures. Nous devons faire preuve de discipline et nous devrons respecter leur façon de faire du commerce. Il n'y a pas d'autre solution permanente, si nous voulons vendre beaucoup de grain aux États-Unis, que de faire preuve de discipline. À l'heure actuelle, si vous voulez envoyer votre grain aux États-Unis, vous pouvez obtenir un permis d'exportation par l'entremise de la CCB en utilisant l'une de nos options de tarification, une option de vente directe des producteurs, et la CCB s'occupe des questions administratives pendant que vous transportez votre grain de l'autre côté de la frontière.
Si vous êtes capable de vendre votre grain aux États-Unis à un prix supérieur à celui qu'obtient la CCB, vous pouvez garder la différence. Donc, si vous réussissez à trouver un propriétaire de silo de collecte qui aimerait obtenir quelques chargements, et qui est prêt à payer votre grain à bon prix, vous pouvez garder l'écart entre les deux prix. En ce qui concerne les prix dont j'ai parlé plus tôt, quand les propriétaires de silo américains offraient 14 $ pour un boisseau de blé dur, la CCB vendait le boisseau de 16 $ à 18 $. C'est comme ça. La Commission ne vend pas aux exploitants de silo aux États-Unis; elle vend aux exploitants de moulins. Nous sautons cette étape, et nous vendons des trains entiers, ou plusieurs wagons, de grains à des transformateurs aux États-Unis à des tarifs beaucoup plus élevés que ceux que pratiquent les exploitants de silo.
Il faudrait donc qu'un producteur trouve un exploitant de silo prêt à payer ce prix. C'est possible, et c'est déjà arrivé. Maintenant, si une telle situation se présente, le producteur peut en profiter.
Comme il est difficile de faire entrer un produit aux États-Unis, une personne qui voudrait y vendre du grain devrait obtenir un permis d'exportation.
Le sénateur Segal : Pouvez-nous dire dans quelle mesure, selon vous, nos capacités de manutention et d'expédition du grain sont suffisantes pour répondre à la demande?
Je pense au port de Vancouver, au port de Thunder Bay et au réseau de chemin de fer. Réussissez-vous à atteindre vos objectifs en temps voulu, ou il y a-t-il des retards fâcheux qui entraînent, pour vous ou pour les agriculteurs, des surestaries ou d'autres problèmes?
M. Hill : Il y a des obstacles, c'est certain. C'est une impasse qui nous renvoie à la question du sénateur Peterson.
Si nous voulons commercialiser nos produits, notre système doit fonctionner à plein régime tout au long de l'année. Nous ne pouvons pas simplement arrêter la production, vendre tout l'orge ce mois-ci et n'expédier que de l'orge. Si nous agissions de cette façon, nous aurions un grave problème. Notre système doit fonctionner de façon ordonnée de façon à ce que nous puissions utiliser au maximum les installations dont nous disposons.
La côte ouest est très sollicitée, c'est vrai. Il n'y a pas de doute à ce sujet. Toutefois, nous disposons d'un excellent port, à Prince Rupert, qui est probablement sous-utilisé. C'est aussi un problème.
La question des surestaries est aussi un enjeu grandement méconnu. De notre point de vue, au conseil d'administration, nous commettrions une erreur si nous nous contentions de mesurer le personnel en fonction des surestaries. Si nous ne voulons pas créer de surestaries, nous ralentissons le rythme afin de nous protéger et d'éviter tout problème de capacité. Nous voulons qu'ils fassent fonctionner le système à plein régime.
L'autre aspect des surestaries, c'est l'acheminement. Si un navire arrive à Vancouver et qu'il est chargé peu après, la CCB reçoit une prime d'exécution. Depuis que je suis directeur, soit depuis neuf ans, les surestaries ont excédé les primes d'exécution seulement une année.
Pour les agriculteurs, il faut que le système fonctionne à plein régime. Nous devons accepter un peu de surestaries. Ce n'est pas mauvais en soi.
Le sénateur Segal : Si vous deviez classer nos marchés en fonction des activités actuelles, quels seraient les cinq marchés d'exportation les plus importants pour le grain canadien?
M. Hill : Ce n'est pas un marché d'exportation, mais le meilleur marché est, bien sûr, le marché intérieur canadien. Les États-Unis, le Japon, la Chine et l'Inde sont tous d'excellents marchés. Ce sont des marchés importants et en croissance.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Hill, vous avez parlé de permis d'exportation. Si un producteur a l'occasion de vendre aux États-Unis à bon prix, la CCB s'occupera des aspects administratifs, et il devra obtenir un permis d'exportation. Est-ce que cela arrive souvent, et est-ce qu'il est difficile d'obtenir ce permis d'exportation?
M. Hill : Cela arrive souvent. C'est fréquent chez les agriculteurs biologiques puisqu'une grande part de notre grain biologique est envoyée aux États-Unis et que les producteurs s'occupent eux-mêmes de l'expédition. Le permis d'exportation ne coûte pas cher. C'est certainement une possibilité. L'agriculteur court plus de risques de cette façon puisque c'est lui qui perd si l'acheteur aux États-Unis ne paie pas. Compte tenu de l'instabilité des marchés depuis quelque temps, de nombreux exploitants de silos aux États-Unis connaissent certaines difficultés.
Dans d'autres transactions, la Commission du blé vend souvent à des prix plus élevés que les exploitants de silos américains situés près de la frontière. Il n'y aura donc pas vraiment de possibilité d'aller chercher des primes.
Le sénateur Callbeck : Ce permis d'exportation a-t-il un coût?
M. Hill : Certainement. Un des aspects qui créent de la controverse, c'est que la Commission canadienne du blé applique son prix de vente aux États-Unis habituel au permis d'exportation. Le producteur doit donc obtenir un prix supérieur au prix de vente de la CCB sur le marché américain s'il veut faire un profit. C'est pourquoi ce permis est très prisé par les producteurs biologiques, parce que les produits biologiques s'assortissent d'une prime importante.
Le sénateur Mahovlich : À cause du prix du blé, qui est actuellement très élevé, de nombreux agriculteurs se demandent pourquoi ils auraient besoin de la CCB. Ils peuvent vendre leur blé sur le marché libre.
Ils changeraient toutefois peut-être d'idée dans cinq ans si le prix du blé devait diminuer de 30 ou 40 p. 100, non?
M. Hill : Cela renvoie, en quelle que sorte, à la réponse que j'ai faite au sénateur Segal concernant la frustration.
Quand le prix du grain augmente, le rendement est toujours inférieur au prix du jour. Les prix sont fondés sur une moyenne des prix antérieurs. C'est comme ça. C'est la vie.
Regardez ce qu'ont fait les agriculteurs aux États-Unis. La Commission du blé du Dakota du Nord dit que ses agriculteurs ont vendu toute leur récolte à environ la moitié du prix que le blé a atteint sur le marché.
Au Canada, grâce à la CCB et au grain qui est resté en réserve, les producteurs qui sont restés sur le marché recevront beaucoup plus que les producteurs américains. Les agriculteurs qui cultivent du blé dur dans ma région recevront environ 12 $ le boisseau selon nos perspectives de rendement. Selon la Commission du blé du Dakota du Nord, la plupart de leurs agriculteurs ont vendu à 8 $ le boisseau ou moins.
Les rendements peuvent être très intéressants, mais c'est toujours frustrant, quand les prix augmentent rapidement, de voir que vous n'obtenez pas autant que le prix du jour.
Le sénateur Mahovlich : Le dollar est aussi un facteur.
M. Hill : Pas de doute; c'est un facteur énorme. Nous avons passé la phase d'adaptation au cours de laquelle les prix du grain canadien ont chuté de façon dramatique par rapport aux prix du grain américain avec la hausse du dollar canadien.
Le sénateur Mahovlich : Il faut faire attention. C'est un peu comme dans le secteur des transports, où nous avons supprimé nos voies ferrées et que, si les trains devaient recommencer à être utilisés, comme c'est possible, nous nous retrouverons à avoir tout jeté à la poubelle.
Le sénateur Peterson : La Loi actuelle sur la Commission canadienne du blé permet de traiter bon nombre des enjeux dont nous discutons aujourd'hui. S'il y a un problème, on peut consulter les producteurs, organiser un plébiscite pertinent puis s'adresser au Parlement pour que la loi soit modifiée. La possibilité est là. Pourquoi ne suit-on pas ce processus?
M. Hill : Le processus existe, c'est vrai. Nous préférerions que, si un changement devait être apporté, un plébiscite obligatoire soit organisé afin que les producteurs répondent à une question claire, puis que nos législateurs s'occupent ensuite de la question.
Le sénateur Peterson : Quelles seront les répercussions, pour les producteurs, de l'élimination du système actuel de distinction visuelle?
M. Hill : Ça fera une grande différence à certains égards.
J'ai eu l'occasion d'assister à de nombreuses rencontres de producteurs de grain américains. Ils craignent que leur grain soit perçu comme inférieur au grain canadien sur les marchés mondiaux, et ils voient cela comme un défi. Ils n'ont pas la distinction visuelle des grains, la DVG. C'est une méthode peu coûteuse et plutôt simple qui permet aux producteurs et les sociétés céréalières de reconnaître leur grain.
Maintenant, les producteurs devront signer une déclaration et connaître la nature de leurs graines. Cette déclaration viendra confirmer qu'ils ont livré une variété de grains en particulier. Je suppose que ça veut dire que les producteurs devront conserver des échantillons puisque ce sera la seule façon, pour eux, de s'assurer qu'on ne pourra pas revenir contre eux, ce qui leur coûterait de l'argent et causerait des préjudices.
À l'heure actuelle, il n'y a pas de façon simple de garantir la pureté d'une variété à un exploitant de silo au moment de la livraison. C'est là la difficulté. Nous nous sommes débarrassés de tous les petits silos et les petites cellules à grain. Il n'y a plus, maintenant, que de gros terminaux. De nombreux camions viennent décharger leur cargaison en même temps aux terminaux, et le grain se mélange. Si mon grain cause un problème dans la grosse cellule, toute la cellule devient un problème par ma faute. Si on peut remonter jusqu'à moi, je peux être tenu responsable. C'est là une nouvelle réalité qui n'existait pas auparavant.
Le sénateur Peterson : Si on devait supprimer la Commission canadienne du blé, j'ai cru comprendre qu'on ne pourrait revenir en arrière compte tenu des modalités de l'ALENA.
M. Hill : C'est ce que j'ai compris. C'est une décision sans retour.
Le sénateur Segal : Monsieur Hill, dans votre déclaration d'ouverture, vous avez réussi à aborder certaines des dispositions du projet de loi devant le comité.
Vous arrive-t-il d'être inquiet au sujet de la paralysie? En d'autres termes, si un processus de consultation obligatoire est structuré, mais qu'il n'est pas défini en détail, il pourrait y avoir un différend au sujet de ce qu'est une consultation efficace. Je suppose qu'une personne qui estimerait que le ministre ou la Couronne a agi de façon cavalière pourrait s'adresser aux tribunaux.
D'une certaine façon, les producteurs de grain et d'oléagineux, et les autres, ont certainement intérêt à ce qu'il y ait une certaine vivacité — et de la part du conseil aussi, de façon à ce qu'il puisse prendre ses propres décisions selon sa vision du marché, et aussi au nom de la Couronne. Les agriculteurs, tout comme les membres de cette grande coopérative que l'on appelle la Commission canadienne du blé et les participants au groupe sont aussi des électeurs et des contribuables. Ils ont des droits sur le plan politique puisque les personnes qui doivent leur rendre des comptes sur le plan politique sont obligées de tenir compte de leurs points de vue.
Est-ce que vous craignez que le projet de loi fasse pencher la balance du mauvais côté, ou si vous estimez qu'il permet de conserver un certain équilibre?
M. Hill : C'est difficile à dire. Des actions en justice sont actuellement en cours parce que nous n'étions pas d'accord avec le gouvernement. Cela se produit déjà.
L'important ici, c'est que, peu importe la loi en vigueur, il doit y avoir un esprit de collaboration. C'est ce que sous- entend la loi actuelle. À mon avis, les changements proposés supposent que cette coopération subsiste. Pour qu'une consultation soit fructueuse, on doit la tenir d'avance et être ouvert aux propositions, et non imposer nos idées. On devrait préconiser cette façon de faire, peu importe la loi en vigueur. Pour ce qui est de la paralysie, je ne sais pas si l'adoption du projet de loi aurait une quelconque incidence. L'essentiel, c'est qu'il y ait de la collaboration.
Le sénateur Segal : Il y a quelque temps, certains gouvernements en Amérique du Nord et en Europe ont adopté des dispositions de temporisation à l'égard de nouveaux organismes ou d'organismes existants qui fonctionnent différemment, car le fait de présumer qu'un organisme gouvernemental donné existera pour toujours parce qu'il est déjà en place ne donnerait pas nécessairement aux gens concernés la liberté de déterminer la meilleure approche à adopter.
Si l'on tient compte des préoccupations du sénateur Peterson à l'égard d'organismes protégés comme la Commission canadienne du blé, qui jouit d'un statut spécial sous le régime de l'ALENA, qu'elle ne voudrait certainement pas perdre, est-ce que vous ou vos collègues du conseil avez parfois ce type de discussion? Je ne parle pas seulement de la façon dont vous administrez l'organisme et de ce que vous faites pour les agriculteurs qui en sont membres, car il s'agit- là de votre obligation principale. Vous arrive-t-il de vous demander si c'est la meilleure façon de procéder dans le marché mondial d'aujourd'hui? Devrait-on avoir une conception plus fondamentale des meilleures façons de faire?
Est-ce que les contraintes de temps, les questions de nature opérationnelle et la situation à l'égard des ventes sont telles que, en pratique, il est impossible pour vous de tenir une telle discussion?
M. Hill : En fait, on organise bel et bien des séances de planification. Lorsque chacun de nos 10 administrateurs élus rencontre ses commettants, il reçoit des conseils. C'est une démarche directe. Parmi les rencontres que j'ai organisées au cours des huit dernières années, six ont eu lieu à Lethbridge.
La présidente : C'est une ville merveilleuse.
M. Hill : C'est une ville très agréable. Elle fait partie de mon district, et je suis heureux de représenter les producteurs qui habitent là-bas.
J'ai remarqué que les conseils provenant des producteurs de cette région ne sont pas différents de ceux que me donnent les producteurs de ma région natale, Swift Current, qui se trouve dans le Sud-Ouest de la Saskatchewan. Dans les deux endroits, on est au cœur du pays du blé dur, et les producteurs veulent qu'on maximise les profits.
Nous devons constamment prendre part à des discussions de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, et nous demander quelle sera leur incidence sur notre mandat. Nous tenons des débats sur cette question. J'ai d'ailleurs représenté le conseil d'administration de la CCB devant l'OMC.
Nos concurrents ne portent pas particulièrement la CCB dans leur cœur. Ils ont présenté de nombreuses contestations. Comme administrateurs, nous avons dû décider si nous allions nous défendre ou non. Pour se défendre, ça coûte de l'argent. Lorsque la North Dakota Wheat Commission a porté plainte contre la Commission canadienne du blé, nous avons dû décider si nous allions dépenser l'argent des producteurs. Nous avons analysé la situation et conclu que le marché nous était précieux et que nous devions nous défendre. Nous ne pouvions accepter que nos produits fassent l'objet de droits.
On mène constamment ce genre d'activités de planification. Nous commençons justement à envisager l'utilisation d'une nouvelle génération de produits pour que les producteurs disposent d'une certaine souplesse au sein du guichet unique qu'est le nôtre. Nous continuerons d'être à l'affût de nouvelles idées qui permettront à la CCB d'être utile.
En fait, compte tenu de la situation actuelle, la CCB est plus utile que jamais. Lorsqu'on regarde ce qui se passe dans le monde, on voit que la cadence des fusions et des acquisitions est alarmante. Il faut sept trains pour remplir un navire Panamax. Quelle que soit l'augmentation de la taille des exploitations agricoles, sept trains équivalent à beaucoup de grains. Le client achète tout ce grain à la fois.
Aujourd'hui, une organisation qui peut réunir autant de grains et faire monter les producteurs dans la chaîne de valeur est très précieuse. Et c'est justement ce qu'accomplit la Commission canadienne du blé : elle s'organise pour que le grain reste la propriété de l'agriculteur jusqu'à ce qu'il passe aux mains du client. Aux États-Unis, il n'y a pas de commission du blé, et le grain devient la propriété de l'entreprise dès qu'il franchit le seuil de l'installation de réception.
Je crois que nous avons la capacité de donner une plus-value aux produits, ce qui est, évidemment, notre but comme administrateurs et agriculteurs.
Le sénateur Segal : Je vais vous poser une dernière question pour profiter de vos nombreuses années d'expérience dans, selon ce que j'en déduis, la culture du blé dur.
Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur la flambée des prix des aliments qui survient actuellement partout dans le monde? À votre avis, est-ce dû à l'offre, au déplacement de l'offre, au transport ou à la mise en réserve au profit d'intérêts commerciaux? Selon vous, quelle en est la cause?
M. Hill : Dans certaines régions, des conditions climatiques défavorables ont entraîné une réduction de la production. Toutefois, le phénomène est attribuable à nos réserves : notre excédent par rapport à la demande est en baisse. Cela ne fait aucun doute. Le marché est de plus en plus tendu.
Nous sommes passés à un système de livraison juste-à-temps, où les clients savent que, s'ils commandent du grain, ils ne le recevront que lorsqu'ils en auront besoin.
Sauf que nous arrivons presque au point où ce n'est pas si facile à faire. Nous arrivons également au point où les fonds sont très présents sur le marché : la participation y est très élevée. Ils y entrent non pas pour consommer du grain, mais pour faire fructifier l'argent de leurs investisseurs. Il faut comprendre la situation. Nous avons besoin de liquidités.
L'ensemble de ces facteurs ont provoqué une hausse marquée des prix des aliments. Je ne crois pas qu'il y ait une pénurie de produits. Toutefois, pour faire en sorte qu'il y ait suffisamment de grains, on doit permettre aux agriculteurs d'être rentables.
Au cours des dix dernières années, le pays n'a pas vraiment produit moins de blé. La consommation mondiale a bondi, de sorte que notre part du marché mondial a quelque peu chuté. Par ailleurs, notre production n'a pas vraiment connu de croissance, mais, c'est sur un marché où les prix sont bas. Si on proposait un bon prix aux producteurs, je parie que la production augmenterait.
Le sénateur Segal : Et bien, supposons que vous avez le goût du risque, et je suis persuadé que vous ne l'avez pas.
M. Hill : Je suis un agriculteur.
Le sénateur Segal : Personne ne risque plus gros qu'un agriculteur. Diriez-vous, compte tenu des prix actuels, qu'il y a des chances que la production augmente et que le nombre de producteurs s'accroisse?
M. Hill : Certainement. J'ai pris une décision ce printemps. J'ai acheté la quantité d'engrais dont j'aurais besoin pour l'automne. J'ai payé environ 600 $ la tonne d'engrais phosphaté. J'ai une huche, et je sème mes légumineuses. Je finis toujours par avoir besoin d'un peu plus d'engrais, alors je me rends en ville en camion pour acheter cinq tonnes d'engrais phosphaté. La pile de sacs n'atteignait même pas le bord de la boîte du camion. L'engrais coûtait 1 350 $ la tonne, mais j'en ai quand même acheté. Je croyais que les lentilles me rapporteraient de l'argent, et je me retrouvais à ajouter ce type d'engrais.
Le sénateur Peterson : Quelle incidence la crise actuelle a-t-elle sur la CCB, tant sur le plan des activités que sur le moral des troupes?
M. Hill : Lorsqu'il y a beaucoup de bruit à l'extérieur, cela vous distrait de votre travail. Nous préférerions nous occuper de la commercialisation du grain et des entreprises agricoles. Si ce n'était de la crise actuelle, nous pourrions nous consacrer plus facilement à ces activités. Nous pourrions examiner tous les moyens susceptibles de donner aux producteurs ce qu'ils veulent.
C'est l'une des façons d'obtenir du changement. Si des contraintes et des remous se font sentir, les gens s'attendent à du changement. Une telle situation favorise le changement. Toutefois, une crise reste un facteur de distraction, ce qui ne manque pas d'avoir des répercussions. J'ignore quelle en sera l'ampleur, mais un effet se fera sentir.
Le sénateur Mahovlich : Les éleveurs de porc vivent de graves difficultés en raison du coût des intrants, et certains abandonnent leurs activités. Ce scénario se produit à l'échelle de la planète. Les éleveurs de porc manifestaient récemment devant le palais de Buckingham. Quand la situation se résorbera-t-elle? Est-ce que les choses reviendront un jour à la normale?
M. Hill : Certainement. Le prix du porc et du bœuf suit des cycles. Je crois que la situation va se rétablir. Les gens ont besoin de manger. Ils voudront du porc. Il faut seulement trouver le moyen d'équilibrer l'offre de porc, l'offre de grain fourrager et le prix. On ne peut se permettre de laisser les producteurs perdre de l'argent chaque fois qu'un porc est vendu. Ce n'est pas un modèle viable. Ils vont se retirer du milieu.
Toutefois, selon moi, les choses vont un jour prendre du mieux. Il reste à savoir quand cela va se produire et ce qu'il adviendra par la suite. J'espère sincèrement que le prix du grain ne connaîtra pas une baisse qui fera de nouveau souffrir les producteurs de grains. On vient tout juste de sortir d'un long cycle où les temps étaient durs pour les agriculteurs. Dans bien des secteurs, les producteurs ont donné la plus grosse subvention à l'agriculture qui soit, c'est- à-dire qu'ils ont injecté des revenus d'appoint dans leur exploitation agricole. Les agriculteurs ont trouvé du travail à l'extérieur de la ferme pour ne pas cesser leurs activités agricoles. De cette façon, ils subventionnent la consommation de grain. Je ne dis pas que c'est la bonne chose à faire ni que c'est normal. Les producteurs ont besoin de toucher un bon prix pour leur produit.
La présidente : Cette discussion était très intéressante. Je vous remercie beaucoup d'être venu témoigner, monsieur Hill.
M. Humphrey Banack, membre du conseil consultatif national de la Fédération canadienne de l'agriculture, se joint également à nous aujourd'hui pour nous donner son point de vue à l'égard du projet de loi S-228. Nous sommes très heureux de vous accueillir ici.
Humphrey Banack, membre du conseil consultatif national, Fédération canadienne de l'agriculture : J'aimerais remercier les membres du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui pour vous faire connaître l'opinion de la Fédération canadienne de l'agriculture sur le projet de loi S-228.
Mon épouse et moi sommes propriétaires d'une exploitation de céréales et d'oléagineux située à une centaine de kilomètres au sud-est d'Edmonton, en Alberta, près du hameau de Round Hill. Je témoigne aujourd'hui au nom de la Fédération canadienne de l'agriculture, la FCA, comme membre du conseil consultatif des citoyens et comme président des Wild Rose Agricultural Producers, organisation agricole générale qui est située en Alberta.
Le projet de loi intéresse grandement tous les membres de la FCA, mais il revêt une importance particulière pour les membres se trouvant dans l'Ouest du Canada. L'un des principaux objectifs de la FCA consiste à promouvoir le renforcement de l'autonomie des agriculteurs sur le marché. En grande partie, le projet de loi vise à accomplir exactement ce que proposent notre mandat et notre conseil d'administration.
À mon avis, la Commission canadienne du blé ouvre la voie au renforcement de la position des producteurs et à l'accroissement de leur influence à l'égard de l'avenir de l'organisme assurant la commercialisation de leurs produits. Nombre des modifications proposées se limitent à l'obligation de consulter le conseil d'administration concernant tout changement relatif au fonctionnement de la CCB. Or, nous croyons que certains changements devraient également recevoir l'approbation du conseil avant d'être mis en œuvre. Le conseil d'administration représente les producteurs; il devrait donc avoir le dernier mot à l'égard de la majorité ou de l'ensemble des changements touchant les politiques.
Certes, le gouvernement a un rôle à jouer au sein de la CCB, notamment en ce qui a trait à la garantie des paiements et des emprunts, de sorte que sa présence au sein du conseil d'administration est requise. Nous croyons que les changements proposés à l'égard de la nomination des administrateurs sont équilibrés et assurent aux producteurs et au gouvernement que leurs intérêts soient pris en compte par la Commission.
Nous sommes heureux de constater que le projet de loi mentionne une question dont le libellé s'approche de celui qu'avait proposé notre organisation lorsque le plébiscite sur l'orge s'est tenu l'an dernier. Nous croyons que la question doit être claire et concise pour que les producteurs comprennent bien quelles pourraient être les conséquences de leur vote.
Enfin, nous pensons que tout changement apporté à la gouvernance de la Commission canadienne du blé qui montre clairement que l'organisme est indépendant du gouvernement permettra de mettre en évidence le fait que la CCB est administrée par des producteurs. Il est très important que tous comprennent cet aspect.
Pour conclure, je suis persuadé que le projet de loi donnera plus de poids aux agriculteurs sur le marché. Comme producteur, j'ai la conviction que ce type de mesure profitera à mon exploitation.
Merci de m'avoir accordé votre temps. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
Le sénateur Callbeck : Le projet de loi S-228 compte trois parties : les pouvoirs du conseil, la nomination des administrateurs et le processus électoral. Je présume que, vous, les électeurs, êtes satisfaits des dispositions du projet de loi; autrement dit, il comprend une question qui est claire.
M. Banack : En effet. Lorsque le plébiscite sur l'orge s'est tenu, la FCA a proposé une question au gouvernement, et le libellé de la question mentionnée dans le projet de loi ressemble beaucoup, sans être exact, au libellé que nous avions proposé. La question doit être claire et concise pour que les producteurs comprennent clairement les répercussions de leur vote.
Le sénateur Callbeck : À cet égard, vous êtes satisfaits du projet de loi.
M. Banack : Certainement.
Le sénateur Callbeck : Les propositions concernant le conseil d'administration vous conviennent-elles?
M. Banack : Oui, car le conseil devrait être représentatif des agriculteurs. Toutes les actions qu'il est possible de mener pour montrer à la population que le conseil est administré par des agriculteurs plutôt que par le gouvernement permettront de souligner aux gens que l'organisme n'affiche aucun lien de dépendance avec le gouvernement. Si un nombre accru d'agriculteurs siègent au conseil et que leur participation se fait davantage sentir à cet échelon, on pourra montrer aux gens qui ne participent pas à la gestion et aux activités quotidiennes de la CCB que l'organisme est indépendant.
Le sénateur Callbeck : Vos préoccupations à l'égard du projet de loi concernent l'augmentation des pouvoirs du conseil. Le projet de loi prévoit que le gouvernement devra consulter le conseil. Croyez-vous que le gouvernement devrait obtenir votre accord avant d'adopter quelque changement que ce soit?
M. Banack : Tout à fait. « Consulter » peut être un terme très vague. Souvent, on organise des consultations pour obtenir l'opinion de la population sur une question en particulier. Sauf que les producteurs ont souvent l'impression que les consultations n'ont été tenues que pour que l'on puisse dire qu'ils ont pu donner leur point de vue.
Je crois que l'administration d'un organisme tel que la CCB doit tenir compte des intérêts des agriculteurs. Les consultations sont très importantes, mais, parfois, ce sont les personnes concernées qui doivent avoir le dernier mot.
Le sénateur Callbeck : C'est votre principale préoccupation à l'égard du projet de loi.
M. Banack : En effet, il s'agit de l'une de nos principales préoccupations.
Le sénateur Callbeck : Et quels sont les autres points qui vous préoccupent?
M. Banack : La question du plébiscite nous convient. Nous n'avons également aucune objection à ce que le nombre d'administrateurs élus passe de deux à quatre. Nous tenons surtout à ce que la CCB renforce la position des agriculteurs. C'est primordial pour nous.
Le sénateur Peterson : J'ai de la difficulté à comprendre ce qu'on entend par « producteur ». Un groupe d'experts s'est penché sur cette question, et il a proposé de faire passer de 40 à 120 tonnes la production rendant un producteur admissible au vote. Selon vous, comment devrait-on définir un producteur dans la loi?
M. Banack : Le projet de loi visant à changer la définition, actuellement à l'étude au Parlement, a soulevé de vives discussions au sein de notre conseil. Nous sommes relativement ouverts à la proposition selon laquelle seuls les producteurs ayant produit au moins 120 tonnes de grains au cours de l'une ou l'autre des deux dernières campagnes agricoles seraient admissibles au vote. Dans ma région, cette production équivaut à une terre d'environ 120 acres; on cultive environ une tonne de grains par acre.
À cet égard, nous avons des gens qui prennent ce genre de décisions et qui participent à la commercialisation du grain; c'est leur gagne-pain. Les Wild Rose Agricultural Producers appuient l'idée selon laquelle on ferait passer la production à 120 tonnes et on donnerait davantage de pouvoirs aux personnes participant à cette activité.
Le sénateur Peterson : Quel est votre avis sur l'abandon de la distinction visuelle des grains?
M. Banack : L'industrie, de même que le gouvernement, avait prévu abandonner la DVG en 2010. La DVG était très importante pour nous. Lorsque je transporte mon grain à l'élévateur, le classificateur peut me dire de quel type de blé il s'agit : blé à farine, blé de printemps des Prairies pour faire des pâtes, et cetera. Jusqu'à ce que nous disposions d'un moyen de protéger l'industrie du grain et d'être certain que le grain distribué aux acheteurs finaux présente la qualité attendue et convient aux fins auxquelles il est destiné, j'estime qu'on devrait se servir de la DVG ou adopter une méthode de remplacement.
Nous collaborons actuellement avec l'industrie pour trouver une solution à cet égard. J'ai été stupéfait d'entendre le ministre Ritz annoncer que la DVG serait abandonnée en 2008. Nous aurions préféré que le retrait se produise en 2010. Nous aurions alors pu bénéficier d'un certain délai.
Les sociétés céréalières avec lesquelles je travaille ne disposent d'aucune solution de rechange pour l'instant. La semaine dernière, je discutais avec le directeur de mon élévateur local, et il n'avait aucune idée de la façon dont il allait procéder à partir du 1er août, qu'il s'agisse d'un système de déclaration du blé ou autre.
Les sociétés céréalières tentent actuellement de trouver une autre méthode, mais elles se sont vraiment fait prendre au dépourvu. Comme producteurs, nous aurions souhaité que cette mesure entre en vigueur après un délai raisonnable plutôt que le plus rapidement possible.
Le sénateur Peterson : Vous croyez que l'abandon de la DVG favorisera la société céréalière au détriment du producteur, ou qu'un tel déséquilibre pourrait se produire?
M. Banack : Ce qu'il faut se demander, c'est, lorsque différents types de blé sont mélangés, jusqu'à quel moment peut-on me tenir responsable de mes produits? Après avoir livré mon blé au terminal, jusqu'à quelle étape suis-je responsable de la variété ou de la classe du blé que j'ai livré?
Certaines personnes profiteront du système comme elles le font pour autre chose. Toutefois, le fait que je sois tenu responsable de mon blé en tout temps est préjudiciable. Comme l'a mentionné M. Hill, le blé d'un seul producteur pourrait contaminer l'ensemble du conteneur, et c'est pour cette raison que les agriculteurs veulent savoir jusqu'où dans la chaîne ils sont responsables de leur produit.
En ce qui concerne les aspects juridiques de la question, l'échantillonnage et les autres pratiques auxquelles doivent se soumettre les producteurs pour ne pas être injustement accusés d'avoir contaminé un conteneur seront très coûteux.
Le sénateur Peterson : Si l'on tient pour acquis que le retrait ira de l'avant, dans quelle mesure a-t-il été difficile pour les producteurs de gérer leurs affaires relativement à ce qu'ils devraient ou ne devraient pas semer?
M. Banack : Selon la conjoncture du marché, il faudrait cultiver beaucoup d'acres cette année. Toutefois, nous devons toujours songer aux coûts. Deux de nos coûts ont connu une hausse marquée au cours des derniers mois.
Si on pouvait prédire l'avenir, on saurait exactement ce qu'il faut planter. Depuis quelque temps, dans le domaine de l'agriculture, on se tourne vers des pratiques plus commerciales, comme le choix de cultures qui donneront le meilleur rendement en fonction des intrants ou des risques les plus faibles. Nous pourrions avoir accès à des cultures qui offrent un très bon rendement, mais, pour certains d'entre nous, les risques pourraient être trop élevés.
Il est très onéreux de procéder à la planification des acres à cultiver, et les maladies, les coûts et la question du rendement viennent s'ajouter au tableau.
Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il des personnes qui décident du type de culture à semer, ou y allez-vous au petit bonheur la chance?
M. Banack : Pour ce qui est de mon exploitation, nous sommes trois : mon épouse, mon frère et moi. C'est essentiellement moi qui prends les décisions. Le producteur décide du type de culture qu'il va semer.
Mais mon épouse a toujours son mot à dire.
Qui décide? C'est toujours le producteur qui choisit ce qu'il va semer. Lorsque, au printemps, je sème du blé roux de printemps, je décide de faire affaire avec la Commission canadienne du blé pour commercialiser mon grain.
Le sénateur Mahovlich : La Commission canadienne du blé vous conseille-t-elle au sujet du choix de la culture?
M. Banack : Non, mais elle met à notre disposition un certain savoir-faire en matière de commercialisation. Elle nous fournit les perspectives de rendement pour la campagne agricole, dans la mesure où elle peut en arriver à un prix, et elle nous transmet les données. Je les compare alors aux données se rapportant à ma production, je soustrais les dépenses et je parviens à un résultat.
Nous examinons tous les types de cultures, les quatre différents types — pois, orge, canola et blé —, et nous considérons les diverses options qui s'offrent à nous et déterminons comment ces cultures s'intègrent dans nos rotations. Nous essayons de maximiser la rentabilité tout en adoptant des pratiques durables sur le plan de l'environnement et de l'économie.
Aujourd'hui, les producteurs agricoles prennent leurs décisions en s'appuyant sur les outils de commercialisation que leur fournissent les directeurs d'élévateurs et la CCB, ou en utilisant une partie des prix fixés et des contrats à terme que les directeurs d'élévateurs mettent à notre disposition pour le grain hors Commission.
La Commission canadienne du blé n'a pas son mot à dire sur ce que je cultive. Elle me donne les perspectives et le signal du marché, et, par cette information, elle tente de me convaincre de planter du blé ou d'autres cultures. Elle ne me transmet que le signal du marché, et, à ce titre, elle ne diffère en rien de toute autre société céréalière.
Le sénateur Mahovlich : Actuellement, la concurrence mondiale est plus vive que jamais. Nombre de pays se mettent à l'agriculture, particulièrement les pays asiatiques. Croyez-vous que, si les agriculteurs accroissent leur influence sur la CCB, ils seront en mesure de concurrencer ces autres pays?
M. Banack : Oui, car la commercialisation représente une large part de nos activités. On doit aussi composer avec le coût élevé des intrants et avec les règlements qui s'appliquent lorsqu'on entre en concurrence avec des pays étrangers.
Je crois que la CCB donne une plus-value à notre grain parce qu'elle défend les intérêts des agriculteurs. Une société céréalière doit rendre des comptes au conseil d'administration et aux actionnaires. La Commission canadienne du blé doit rendre des comptes aux agriculteurs. Je crois que, grâce à la commercialisation coopérative, les producteurs de l'Ouest du Canada, moi y compris, peuvent bénéficier du meilleur rendement.
De nos jours, la coopérative représente un modèle attrayant. À mon avis, la Commission canadienne du blé fait partie intégrante de la commercialisation coopérative, et, comme je l'ai mentionné, les producteurs ne sont pas tenus de faire affaire avec elle. Je peux passer une campagne agricole entière sans cultiver de grains relevant de la CCB. Je peux cultiver tous les grains qui se vendent sur le marché libre. C'est au moment où je sème que je décide si je vais faire affaire avec la Commission canadienne du blé ou non à l'automne.
Le sénateur Mahovlich : Êtes-vous en faveur du projet de loi?
M. Banack : Je le suis, en effet.
Le sénateur Segal : Pouvons-nous mettre de côté la question du projet de loi et parler de façon générale de la Commission canadienne du blé?
Je suis persuadé que, du point de vue de la Fédération et du vôtre, à titre d'exploitant d'une entreprise agricole familiale, la CCB pourrait faire mieux à certains égards, c'est-à-dire qu'elle pourrait être plus attentive à vos besoins et intérêts.
Quelles pourraient être les améliorations? Si nous pouvions utiliser une baguette magique et non seulement ce projet de loi, et si nous pouvions améliorer le travail de la CCB de façon à ce qu'il reflète vraiment les attentes de la Fédération et des agriculteurs, comment pourrait-on la rendre plus utile qu'elle ne l'est actuellement?
M. Banack : La CCB est un organisme assez vaste. Lorsque nous avons affaire à un organisme de cette taille, qu'il s'agisse de fournisseurs d'intrants ou d'autres types d'organisations, nous n'avons pas toujours l'impression de traiter avec la personne qui prend les décisions. La Commission canadienne du blé s'efforce chaque jour d'être sensible aux attentes des agriculteurs, et elle comprend de quoi il retourne.
Elle nous fournit nombre d'outils de commercialisation que nous pouvons utiliser pour vendre notre grain à terme tout au long de l'année. Il peut être difficile de comprendre le fonctionnement de certains de ces outils, et les rouages du libre marché sont également complexes. Généralement, une petite entreprise agricole par année cesse ses activités en raison du fardeau que représentent la paperasserie et les outils de commercialisation. Les gens du milieu doivent maintenant brasser des affaires. Mais il y a des agriculteurs et il y a des gens d'affaires. Certains agriculteurs se retirent maintenant de l'industrie parce qu'ils estiment que la paperasse et le côté commercial se traduisent par un fardeau trop lourd. Il serait très apprécié que la CCB trouve un moyen de réduire ce fardeau. Il est important pour nous de pouvoir disposer de signaux du marché qui sont transparents, sans équivoque et concis. À cet égard, la CCB s'en tire assez bien.
On pourrait assouplir les mécanismes de livraison du grain. Si un agriculteur a rapidement besoin de liquidité, il peut vendre son grain prêt à livrer à un agriculteur voisin. Cette méthode a été d'un grand secours pour certains d'entre nous.
Nous aimerions également avoir accès à diverses options de commercialisation. Toutefois, lorsqu'on se penche sur l'aspect coopératif de la commercialisation par l'intermédiaire de la CCB, il ne faut jamais perdre de vue qu'elle ne peut modifier les principes de la coopérative pour ne satisfaire qu'un seul producteur. Elle a les mains liées.
La CCB en fait beaucoup, et je crois que le projet de loi lui donnera l'occasion d'être davantage perçue comme un organisme administré par les producteurs. Le projet de loi pourrait être un grand pas dans la bonne direction. Nombre de producteurs ont l'impression que le gouvernement s'ingère dans l'administration de la Commission canadienne du blé, et il serait très utile de remettre les pendules à l'heure.
Le sénateur Segal : Depuis combien de temps travaillez-vous dans le milieu de l'agriculture?
M. Banack : Depuis 30 ans.
Le sénateur Segal : Parlons des cinq à dix dernières années. Si vous deviez nommer les plus graves erreurs du gouvernement à l'égard des producteurs d'oléagineux, de grains et de blé, quelles seraient les deux pires? Quels types d'interventions ne voudriez-vous pas que le gouvernement fasse à l'avenir, quel que soit le parti au pouvoir?
M. Banack : Du point de vue des tarifs de fret, puisque les Prairies sont loin des côtes, il est très difficile pour nous de transporter nos produits jusqu'au port et jusqu'au client. La perte d'une partie de notre influence auprès des sociétés ferroviaires, leur attitude monopolistique et la façon dont nous devons traiter avec elles sont pour nous une épine au pied. Au fil du temps, la qualité du transport s'est dégradée, ce qui ralentit le développement économique de l'Ouest du Canada. Nous devons toutefois transporter notre grain jusqu'au port, et il est très difficile de faire affaire avec les sociétés ferroviaires. Il n'y a pas de freins et contrepoids pour faire en sorte qu'elles nous offrent le service dont nous avons besoin pour transporter notre grain à l'extérieur des Prairies.
Personnellement, j'ai reçu du financement lorsque j'ai fondé mon exploitation agricole — on peut constater quelles en sont les répercussions au chapitre de l'habitation —, et, maintenant, trop d'exploitations sont financées et détenues par le gouvernement, ce qui provoque une hausse des prix sur le marché de l'habitation. Lorsque j'ai commencé à pratiquer l'agriculture, le gouvernement de l'Alberta offrait beaucoup d'aide, et cela m'a déjà mené à la faillite. Parfois, nous devons nous mettre à l'écart et laisser le marché suivre son cours. Les tarifs de fret sont une question importante. Parfois, mieux vaut s'en remettre aux forces du marché.
Le sénateur Callbeck : Si nous optons pour le marché libre, la CCB sera-t-elle en mesure de concurrencer les multinationales?
M. Banack : J'ai parlé à des gens de l'Ontario, où il n'y a pas de commission du blé, ou, si c'est le cas, il s'agit d'une commission du blé à participation volontaire. Je suis convaincu que nous cultivons l'un des meilleurs blés du monde dans l'Ouest du Canada. En raison de la qualité supérieure de notre blé, la présence de nombreuses organisations chargées de le commercialiser n'aurait qu'une seule conséquence. Lorsqu'on offre un produit haut de gamme sur le marché mondial, il est possible d'en obtenir un prix supérieur si on le commercialise à partir d'un guichet unique. Si divers guichets vendent le même produit, on perd cette plus-value. Notre produit garde sa valeur grâce à la CCB.
Le sénateur Callbeck : Si de plus en plus de produits céréaliers se vendent sur le marché libre, pensez-vous que la CCB aura encore sa raison d'être?
M. Banack : La CCB trouverait difficilement sa place dans un marché libre parce qu'elle ne dispose d'aucun moyen pour transporter son grain du terminal au port ou au bateau, étant donné que ce sont les sociétés céréalières qui transportent son grain. Il serait difficile pour la CCB de concurrencer les multinationales au chapitre des ventes, quand ce sont elles qui jouent le rôle d'intermédiaires dans la manutention du grain. La concurrence serait féroce. Cela reviendrait à essayer de vendre le produit en échange d'un service ou à diminuer le prix. Personne ne veut que l'on offre un meilleur service, à meilleur prix, ou qu'on offre moins d'argent aux producteurs. Dès qu'un produit de qualité supérieure est vendu par de nombreux guichets, les prix diminuent.
Le sénateur Callbeck : Si la CCB disparaissait, qu'arriverait-il au petit producteur?
M. Banack : Le petit producteur croulerait sous la paperasse. Il y a également des questions d'ordre environnemental qui vont entrer en jeu. Personne ne peut prédire l'avenir. Si nous le pouvions, nous prendrions tous de meilleures décisions. Je crois que le profil démographique des petits producteurs agricoles dans l'Ouest du Canada changerait si la Commission canadienne du blé venait à disparaître. À mon avis, en raison de mes 4 000 acres, j'ai beaucoup plus de pouvoir commercial devant le directeur de l'élévateur que le producteur qui exploite une terre de 400 ou de 500 acres. Sans la CCB, le pouvoir commercial des gros producteurs augmenterait encore plus.
Le sénateur Peterson : Les deux projets de loi à l'étude, soit le projet de loi C-57 et le projet de loi S-228, sont-ils en concurrence ou en complémentarité? Avez-vous une préférence pour l'un ou l'autre?
M. Banack : Le projet de loi S-228 offre aux agriculteurs un plus grand pouvoir sur le marché que le projet de loi C- 57. Or, l'accroissement du pouvoir de commercialisation des agriculteurs est l'une des pierres angulaires de la Fédération canadienne de l'agriculture. À mon avis, le projet de loi C-228 renforce davantage la position des agriculteurs que ne le fait le projet de loi C-57.
La présidente : Je vous remercie, monsieur Banack. Les témoignages que nous avons entendus aujourd'hui nous ont été très utiles. Tout le monde ici présent sait qu'il s'agit d'un enjeu énorme pour certaines régions du pays. Nous essaierons d'en suivre l'évolution. Votre présence aujourd'hui et la discussion que nous avons eue avec vous nous sont très utiles.
Je vous remercie tous de votre présence. C'est toujours un plaisir de vous revoir.
La séance est levée.