Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 15 - Témoignages du 10 juin 2008
OTTAWA, le mardi 10 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, auquel est renvoyé le projet de loi S-228, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé (conseil d'administration), se réunit aujourd'hui à 19 h 4 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir à vous, honorables sénateurs, monsieur le témoin, mesdames et messieurs les téléspectateurs des travaux du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Aujourd'hui, le comité poursuit son étude du projet de loi S-228, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé (conseil d'administration). Le Parlement est actuellement saisi de plusieurs projets de loi portant sur la CCB. L'un d'entre eux, le projet de loi S-228, propose d'augmenter les pouvoirs du conseil d'administration à propos des changements de politiques touchant la Commission canadienne du blé. Il propose de ramener de cinq à trois le nombre de personnes nommées par le gouvernement au conseil d'administration de la CCB. De même, il modifie le mode d'élection et la question à poser au moment de la consultation en rapport avec les changements touchant les compétences de la Commission canadienne du blé.
Nous accueillons ce soir l'honorable Grant Mitchell, sénateur provenant de l'Alberta. Il est le parrain du projet de loi S-228. Il vient nous expliquer le raisonnement sous-tendant les diverses dispositions du projet de loi.
Nous avons prévu de passer une heure avec le sénateur ce soir. J'encourage mes collègues à s'en tenir à des questions concises, pour que le sénateur puisse donner des réponses pleines et entières et pour que tous aient la possibilité de participer aux discussions.
L'honorable Grant Mitchell, parrain du projet de loi : Merci, madame la présidente. C'est pour moi un plaisir d'être de retour ici, au Comité de l'agriculture. C'est peut-être le premier comité auquel j'ai siégé au Sénat; c'est certainement le premier comité où je me retrouve de l'autre côté de la table.
Je suis heureux qu'il y ait tant de monde ici. C'est une question intense et importante à la fois du point de vue des agriculteurs. C'est un de ces débats qui ont captivé l'intérêt des gens dans l'Ouest.
Je tiens d'abord à remercier les membres du gouvernement et les dirigeants du gouvernement au Sénat d'avoir permis que le projet de loi progresse comme il l'a fait de lecture en lecture et de comité en comité. Je sais que le camp gouvernemental n'appuie pas ce projet de loi. J'apprécie donc le fait que, là où il aurait pu faire en sorte que le projet de loi s'enlise, il a choisi de le laisser progresser et, voilà, nous en sommes à en débattre aujourd'hui. Je tiens à remercier le sénateur Bert Brown d'avoir exposé l'autre côté de la médaille. J'ai apprécié pour moi-même son exposé bien ficelé, comme d'autres personnes qui portent un vif intérêt à ce débat.
On peut affirmer sans craindre de se tromper que, souvent, au Parlement, les débats qui ont lieu sur les politiques gouvernementales par les temps qui courent sont plutôt tranchés. Les positions semblent être bien définies. Ce projet de loi ne fait pas exception à la règle.
Il est bien connu que je défends une position personnelle, politique, sur la Commission canadienne du blé. J'appuie tout à fait le travail qu'elle fait. Je n'aime pas cela quand quelque chose vient peut-être menacer, sinon miner sa capacité d'abattre le travail si fructueux qu'elle a pu abattre au nom des agriculteurs de l'Ouest canadien. Je peux énumérer une série de raisons pour défendre mon point de vue.
Premièrement, la CCB est source de valeur ajoutée. Il existe des études convaincantes qui donnent à voir sa grande utilité du point de vue des agriculteurs. Je crois que la Commission canadienne du blé répond très bien aux exigences des agriculteurs. Sans nul doute, elle fait l'objet de grandes pressions. Je crois qu'elle réagit bien dans le contexte. J'ai noté, par exemple, qu'il existe maintenant sept façons d'acheter des céréales par le truchement de la Commission. Cette palette de modes d'achat qui se calquent directement sur certains mécanismes du marché est peut-être bien plus grande que ce que proposent aux agriculteurs les entreprises céréalières du secteur privé.
Je crois qu'il faut analyser avec beaucoup d'attention l'argument qui est avancé en faveur d'une plus grande concurrence. Si la Commission canadienne du blé devait échouer, si elle devait être exclue du processus, je ne crois pas que cela donnerait une concurrence accrue. À mon avis, cela aurait pour effet de limiter encore le nombre d'acteurs, déjà très limité, qui évoluent dans cette industrie particulière où un quasi-oligopole est à l'œuvre.
Certains font valoir que le débat n'est pas si tranché, que ça n'a pas à être tout l'un ou tout l'autre, que la Commission canadienne du blé pourrait pratiquer un régime mixte. Je suis d'accord avec M. Midgie, que le gouvernement a recruté directement pour diriger sa propre commission d'examen. Il a déclaré que le régime de commercialisation mixte fera long feu; ça ne peut pas fonctionner.
À mon avis, si ça ne peut pas fonctionner, c'est du fait des moyens dont disposent les entreprises qui seraient les rivales de la Commission canadienne du blé. La Commission possède la capacité, l'expertise, l'expérience et la motivation pour rivaliser avec les autres. Ce qui lui manque, c'est le capital nécessaire pour rivaliser. Depuis de nombreuses années, la CCB remet aux agriculteurs des sommes d'argent qui, autrement, seraient enregistrées comme bénéfices. Pendant ce temps-là, ces concurrents ont gardé une part de ces bénéfices et mis en place des éléments d'infrastructure.
Si la Commission canadienne du blé devait vraiment rivaliser directement avec les Cargill de ce monde, il lui faudrait recourir à l'infrastructure de ses concurrents. C'est ce qu'elle fait en ce moment, mais pas dans une situation où il y a concurrence. Ce serait mettre la Commission canadienne du blé ou quelque autre organisme dans une situation intenable. Il me semble que ça ne fonctionnerait tout simplement pas.
Voilà certains des éléments de ma position. En fin de compte, mes convictions à propos de la Commission canadienne du blé ne sont pas vraiment pertinentes. Je ferais valoir aussi que l'avis des sénateurs sur ce que la Commission canadienne du blé devrait être ou sur ce qu'elle est devenue n'est pas pertinent non plus. La position du gouvernement n'est pas vraiment pertinente.
Ce qui est pertinent, c'est ce que les producteurs veulent faire. Les producteurs devraient pouvoir prendre cette décision-là. Nous sommes probablement tous d'accord sur ce point-là.
Le projet de loi ne penche pas d'un côté ou de l'autre. S'il penche de quelque façon, c'est en faveur d'une démarche démocratique et ouverte qui fait obstacle à une intervention indue de la part de l'État dans ce processus décisionnel. Il interdit ce que certains qualifieraient de manipulation indue du processus en question de la part de l'État.
La façon dont le débat sur cette question évolue depuis quelques années suscite nombre de préoccupations. Je peux énumérer certaines de ces préoccupations. Le projet de loi n'existe nullement en dehors de toute autre considération.
Au début, le gouvernement a rencontré un groupe de personnes, mais a invité seulement ceux qui s'opposaient à la Commission canadienne du blé. Il a fini par inclure les représentants de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan et du Manitoba en raison des critiques qui ont été formulées, mais les représentants de ces provinces-là étaient seulement présents à la réunion à titre d'observateurs. L'Alberta, qui était d'accord avec le gouvernement, était officiellement présente.
Le gouvernement a réaménagé les listes de personnes appelées à élire les administrateurs et a éliminé de ce fait 16 000 noms. Il a bâillonné la Commission canadienne du blé. Le plébiscite comportait une question en trois parties qui était controversée, qui n'était pas claire et qui, à mon avis, n'a pas abouti à un résultat clair.
Nous avons mis au point un projet de loi qui vise à pallier essentiellement à cette lacune-là. Nous voulons que la démarche relève des producteurs. De fait, à l'occasion d'une enquête récente tenue en avril, cette année, par la Commission canadienne du blé, 77 p. 100 des producteurs ont déclaré qu'ils ne souhaitent pas que le gouvernement prenne les décisions. Ils veulent prendre eux-mêmes les décisions par le truchement de leur Commission canadienne du blé.
Vous pouvez voir à la lecture du projet de loi qu'il ne s'agit pas d'orienter la démarche ou d'imposer un résultat. Visiblement, il y a tout un fossé entre les deux camps à propos de cette question-là. Il s'agit de permettre aux producteurs d'avoir leur mot à dire, d'une façon claire et équitable, pour que le résultat soit tout à fait clair. Puis, la décision peut être implantée légitimement.
Le projet de loi comporte essentiellement trois parties.
Premièrement, le gouvernement doit procéder à une consultation. Ça peut ne pas sembler être un élément central ou fondamental d'un projet de loi de cette nature, mais le projet de loi original reposait sur l'hypothèse d'une coopération. À mon avis, on ne se trompe pas en affirmant que cette coopération-là n'est pas au rendez-vous. Il nous faut donc renforcer, rendre nécessaire l'obligation de consulter pour le gouvernement et la Commission canadienne du blé.
Deuxièmement, nous avons restructuré la sélection des cinq administrateurs nommés au conseil. Étant donné la nature très technique du commerce des céréales, il est concevable que les dix membres élus ne possèdent pas toute l'expertise exigée de la part d'un administrateur. Par conséquent, il a été établi que cinq d'entre eux seraient nommés. Pour l'instant, c'est au gouvernement qu'il revient de les nommer. Selon le projet de loi, les dix membres élus du conseil d'administration auraient pour tâche de nommer deux des cinq administrateurs en question. Essentiellement, nous rendons la démarche plus démocratique — pour ce qui est du but et de l'impact à la fois — en étoffant les pouvoirs et les compétences des représentants élus.
Troisièmement, nous tenons à une question qui soit très claire. La question posée à l'occasion du plus récent plébiscite comportait trois parties. Aucune des trois réponses possibles ne permettait d'en arriver à une majorité de 50 p. 100 plus un vote. Par conséquent, le résultat était sujet aux diverses interprétations, dont aucune n'était concluante.
Le projet de loi exige que la question posée soit claire et simple, pour que les agriculteurs sachent ce qui leur est demandé. La question comporterait deux options. Soit que vous optez pour que toutes les ventes intérieures et exportations de tels types de céréales soient exclues entièrement du régime de commercialisation à comptoir unique de la Commission canadienne du blé et confiées au marché libre, soit que vous optez pour l'autre possibilité : la Commission canadienne du blé devrait demeurer le comptoir unique qui met en marché toutes les céréales choisies à l'exception, comme toujours, des aliments du bétail vendus au Canada même.
Voilà pour ma déclaration d'ouverture. Je suis fin prêt à réagir aux questions et idées formulées par mes ex-collègues du comité. Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
Le sénateur Mercer : Merci, sénateur Mitchell, d'être là et de présenter ce projet de loi. Moi aussi je défends très vivement la Commission canadienne du blé. La CCB a effectué un très bon travail pour les agriculteurs dans l'Ouest du Canada. J'appuie également ce qu'affirment certains de mes collègues de l'autre côté, soit qu'il faut écouter ce que les agriculteurs de l'Ouest ont à dire.
Dans votre préambule, vous avez évoqué le tripatouillage des votes qu'il y a eu récemment. Cela me préoccupe aussi. Nous devons discuter de cette question-là, mais ce n'est probablement pas ici qu'il faudrait le faire.
La CCB a fait les manchettes récemment pour avoir congédié sa vice-présidente ou directrices des communications. Je ne me souviens plus du nom de la jeune femme. Êtes-vous au courant du vote qu'il y a eu en faveur du congédiement de cette femme à la Commission canadienne du blé?
D'après mes sources, ce sont les représentants nommés par le gouvernement à la CCB qui ont voté en faveur de son licenciement. Il y en avait quatre dans la salle à ce moment-là. Étaient aussi présents quatre représentants élus par les agriculteurs. Les membres élus ont voté pour qu'elle demeure vice-présidente des communications, porte-parole principale de la CCB. Le scrutin a donc donné lieu à une égalité, de sorte qu'il revenait au président de la Commission, qui est nommé par le gouvernement en place, de trancher. Il s'est rangé dans le camp des représentants du gouvernement plutôt que dans celui des représentants des agriculteurs.
C'est simplement que j'ai de la difficulté à entendre les responsables du gouvernement dire qu'ils sont à l'écoute des agriculteurs de l'Ouest. Je suis à l'écoute des agriculteurs de l'Ouest. Je crois que tous sont d'avis qu'il s'agit de la chose la plus sensée. Tout de même, arrive l'occasion d'être à l'écoute des représentants des agriculteurs de l'Ouest. Les quatre représentants présents souhaitent garder l'employée en question, mais la majorité, constituée par des personnes nommées à l'organisme, fait échec à la volonté des représentants des agriculteurs.
En quoi croyez-vous que le projet de loi permettra de remédier quelque peu à cette situation?
Le sénateur Mitchell : Je partage certainement votre préoccupation, sénateur Mercer. Comme je l'ai dit pendant ma déclaration d'ouverture, il y a eu ce que je qualifierais d'intervention indue de la part de l'État.
J'hésite à entériner tout ce que vous dites. Je comprends votre point de vue, étant donné que le gouvernement a exercé d'énormes pressions sur le conseil d'administration en faveur du licenciement d'Adrian Measner, le président de la commission. Selon le gouvernement, il défendait les intérêts de la Commission canadienne du blé, ce qui paraît être la chose naturelle à faire pour le président de la Commission canadienne du blé.
D'après ce projet de loi, dix administrateurs seraient élus, comme c'est le cas en ce moment, et deux seraient nommés sous une influence plus grande exercée par les membres élus. Cependant, il n'est pas inconcevable d'en arriver à un partage égal des voix, comme vous l'avez fait voir. Dans notre projet de loi, le gouvernement aurait toujours le droit de nommer le président du conseil.
Il m'apparaît important que le gouvernement ait encore son mot à dire; il assume la garantie des paiements versés aux agriculteurs, par exemple. On ne saurait en faire entièrement abstraction. Tout de même, nous approcherions d'une situation où les agriculteurs élus auraient plus d'impact et plus de pouvoir; le lien avec le producteur serait donc plus direct.
Il n'est pas garanti qu'il ne pourrait y avoir de désaccord sur une question liée au personnel. Je ne connais pas les aspects particuliers de cette affaire-là.
Le sénateur Mercer : J'ai rencontré Adrian Meisner. J'ai beaucoup de respect pour lui. Je l'aurais congédié moi- même s'il n'avait pas défendu la Commission canadienne du blé. Il me semble que c'est pour cela qu'on lui offre un salaire.
Le sénateur Mitchell : Ce que nous aurions dû faire, c'est de laisser à la Commission le soin de traiter avec lui. Comment pouvez-vous avoir un employé qui dirige votre organisation, mais qui échappe à votre emprise? Comment gérer une telle situation?
Le sénateur Mercer : Pendant votre exposé, vous avez évoqué les bénéfices. Si les bénéfices étaient ceux de Cargill et des Cargill de ce monde, l'entreprise les réinvestirait dans l'infrastructure, par opposition à ce qu'il advient des bénéfices de la Commission, qui sont redistribués aux gens.
Quels sont les dangers sur ce point? Quels sont les dangers qui nous guettent? Il me semble que l'un des pires tient au fait que, si la CCB disparaît et que nous nous lançons sur ce marché libre, nous savons que les Cargill de ce monde sont tous assez puissants. Ils viennent immédiatement combler le vide qui s'est créé et, une fois le vide comblé, ce sont eux qui ont la situation en main. Or, nous savons que, une fois qu'ils ont la situation en main, les deux dernières personnes auxquelles ils pensent sont l'agriculteur et le consommateur. La première personne à laquelle ils pensent est l'actionnaire.
Selon vous, qu'est-ce qui arrivera si nous perdons la CCB, particulièrement en ce qui concerne la question de l'infrastructure?
Le sénateur Mitchell : Je viens tout juste de m'entretenir aujourd'hui avec un membre de la CCB, qui a confirmé certains des chiffres que j'ai vus. Selon une solide estimation qui a été faite, c'est entre 550 et 650 millions de dollars d'argent supplémentaire tous les ans que reçoivent les agriculteurs de l'Ouest du Canada en raison du travail de la Commission.
Ce chiffre-là résulte d'un calcul cohérent. Si on pense au fait que la Commission brasse pour six milliards à huit milliards de dollars d'affaires pendant une année, 600 millions de dollars représentent une tranche d'environ 10 p. 100. Est-ce que ce serait une marge de bénéfice raisonnable du point de vue de Cargill? Probablement. Dans une entreprise comme Cargill, il y a une part des bénéfices qui va à l'entreprise elle-même et une autre aux actionnaires et ainsi de suite, et voilà comment fonctionnent les marchés. Dans ce cas, les bénéfices sont remis aux agriculteurs.
Ce que cela a donné après de nombreuses années, c'est que la Commission canadienne du blé n'a simplement pas bâti d'infrastructure. Il y a quelques possibilités qui se présentent. Un, elle pourrait recourir à l'infrastructure des multinationales, comme elle le fait en ce moment, mais, en ce moment, elle ne rivalise pas avec les multinationales. Si elle devait entrer en concurrence avec elles, comme ce serait le cas si l'ouverture préconisée se réalisait, elle se trouverait à la merci des entreprises en question, qui pourraient exiger d'elle n'importe quel prix. Ce ne serait pas de bon augure.
L'autre chose qu'on peut affirmer sans craindre de se tromper, c'est que la Commission canadienne du blé a à cœur les intérêts des agriculteurs. C'est son point d'ancrage. C'est son objectif. Je ne critique pas du tout les Cargill ou Bungee ou Dreyfus de ce monde; ils sont là pour faire des bénéfices. C'est que l'intérêt de l'agriculteur ne viendrait certainement pas au premier rang de leurs intérêts à eux.
Je crois que, tout à coup, il y aurait bien des entreprises agricoles, petites et grandes, mais qu'aucune d'entre elles, ou encore très peu d'entre elles, aurait l'envergure nécessaire pour affronter ces grandes multinationales. Il n'y en a pas beaucoup et il n'y a pas là beaucoup de concurrence. Je crois que les agriculteurs seraient vulnérables à une telle situation.
Cela dit, mes idées sur le sujet importent peu. Ce qui importe, c'est ce qu'en pensent les agriculteurs. Nous devons avoir une démarche qui permet aux agriculteurs de prendre cette décision-là. Ce sont des gens d'affaires très futés; ils savent à qui ils ont affaire; ils sont en mesure de trancher.
Je suis simplement d'avis qu'ils n'ont pas eu l'occasion de trancher pour eux-mêmes. Comme la Commission canadienne du blé a été bâillonnée, le débat a été partial.
La présidente : Je regarde l'heure, honorables sénateurs. Si vous accélérez un peu et donnez dans la concision, nous allons pouvoir achever la séance et passer aux divers rapports que nous devons produire.
Le sénateur Peterson : Sénateur Mitchell, merci de l'exposé que vous avez présenté. En ce moment-même, tandis que nous sommes là aujourd'hui, la Loi sur la Commission canadienne du blé s'applique. Dans cette loi, il y a des dispositions qui portent sur les questions dont nous discutons. En d'autres termes, dans la mesure où vous voulez changer quelque chose, dans la mesure où vous voulez apporter des modifications ou des améliorations ou je ne sais quoi, vous avez le devoir de consulter. Puis, si vous obtenez le consensus, vous préparez un plébiscite, organisez un scrutin — qui comportera, l'espère-t-on, une question claire donnant une réponse claire — et, si le résultat se confirme, le Parlement en est saisi. Le Parlement prend alors la décision, étant donné qu'il s'agit d'une loi.
Bon, nous avons toutes sortes de projets de loi — le projet de loi C-46, le projet de loi C-57 et le projet de loi S-228. À quoi cela va-t-il tout aboutir selon vous? Qu'est-ce qui se passe?
Le sénateur Mitchell : Un des paradoxes qu'il faut noter, c'est que le système, tel qu'il a existé, a très bien fonctionné. Le problème, du point de vue du gouvernement en place, c'est qu'il n'a pas fonctionné d'une façon qu'il juge convenable vu sa position, son idéologie, sa philosophie.
À coup sûr, nombreux sont les agriculteurs qui seraient d'accord avec le gouvernement, qui voudraient ouvrir cela. Ce qui s'est donc produit, c'est que toutes sortes de projets de loi sont nés de ce débat. Plus particulièrement, il y a eu un projet de loi pour permettre au gouvernement de modifier la structure de commercialisation de l'orge, du fait que, selon les tribunaux, les autorités ne pouvaient prendre de règlements à cet égard sous l'égide de la Commission à la suite d'un plébiscite — c'est ce qu'a dit le ministre. Malheureusement, c'est devenu très confus. Nous devons dissiper la confusion; c'est ce que le projet de loi vise à faire.
Le sénateur Peterson : Votre projet de loi vise à accroître les pouvoirs et les responsabilités des producteurs, n'est-ce pas?
Le sénateur Mitchell : Faites table rase : permettez aux producteurs de répondre à une question parfaitement limpide dans le cadre du plébiscite. Ce pourrait être l'équivalent de la Loi sur la clarté, mais pour l'Ouest canadien, avec une question claire qui comporte deux possibilités : « Voulez-vous le marché libre ou encore voulez-vous le comptoir unique? » Il ne devrait pas avoir de solution intermédiaire qui ne fonctionnerait probablement pas et qui altère vraiment le résultat et ne sert pas à montrer le chemin à prendre à la suite du scrutin.
Le sénateur Segal : Je m'en remets à la compétence provinciale du témoin, qui a des racines albertaines. Tout de même, moi qui suis de l'Est, il y a une chose qui me frappe : toute cette notion de choix n'a pas pour source un parti A ou un parti B, ni ce programme politique-ci ou ce programme politique-là. En vérité, ce sont les agriculteurs eux- mêmes — je crois que j'ai vu cela en écoutant les actualités il y a quelques années — qui manifestaient une sainte colère du fait de ne pouvoir aller porter leur propre blé à la frontière, du fait de ne pouvoir vendre leur propre produit.
Je suis allé dans l'Ouest et j'ai siégé aux réunions de la Fédération de l'agriculture et à d'autres rencontres où étaient présents des agriculteurs particuliers, qui sont à la tête d'entreprises efficaces et d'envergure, et qui s'inquiétaient passablement de certains aspects de la Commission. Aucune organisation n'est parfaite, quels que soient les beaux efforts déployés par les gens qui y travaillent, et je suis sûr que les gens de la CCB ont toujours essayé de faire le meilleur travail possible au profit des agriculteurs. N'êtes-vous pas perturbé par la possibilité que toute grande bureaucratie ou coopérative se concentre sur ses propres besoins et acquiert, tout en ayant les meilleures intentions et en étant de bonne foi tout à fait, une mentalité qui fait qu'elle assure sa survie pour l'avenir? Oui, les agriculteurs veulent pouvoir choisir ou se sentent frustrés de ne pouvoir le faire, ou encore n'ont pas encore accès au marché de la façon qui leur paraît sensée, et ils y perdent côté efficience.
J'ai l'impression — et corrigez-moi si j'ai tort — que c'est à ce moment-là que le débat a été lancé, avant les élections de 2004 ou les élections de 2006. C'est comme cela que la question est entrée dans le domaine public, et voici les projets de loi auxquels le sénateur Peterson faisait allusion, qui découlent des différentes façons que l'on conçoit pour aborder le problème.
Je présume toujours que, dans tous les camps, même si je ne suis pas d'accord avec une approche particulière qui est adoptée, les gens essaient de faire ce qu'il y a de mieux pour l'agriculteur. Je m'inquiète de la possibilité que, peut-être involontairement, votre projet de loi paralyse en partie le système.
Un jour, que Dieu nous en préserve, nous aurons en place un gouvernement libéral qui voudra peut-être modifier la politique. La loi obligera qu'il y ait des consultations, qui ralentiront leur travail. Un ministre de l'Agriculture quelconque dira peut-être, si votre projet de loi est adopté : d'où est-ce que cela vient? Si vous faites la petite histoire de la question, vous découvrirez que c'est l'œuvre des Libéraux à un certain moment, à un certain endroit, qui essayaient d'agir correctement. Cela vous pousse-t-il à vous poser des questions, à vous demander s'il n'est pas un peu trop zélé de notre part d'appuyer ce projet de loi? Nous devrions peut-être marquer une pause et laisser évoluer le prix des céréales, la dynamique du marché et les attitudes des agriculteurs, pour régler la question, et ne pas intervenir tout de suite avec des mesures particulières? Ou suis-je déraisonnable de penser ainsi?
Le sénateur Mitchell : Je n'ai jamais vu de cas où vous étiez déraisonnable. Votre argument est légitime, mais il se trouve que je ne suis pas d'accord. Oui, à l'époque dont vous avez parlé, au début, sinon au cours des dix dernières années, il y a eu des agriculteurs qui croyaient que leurs intérêts n'étaient pas défendus. Aujourd'hui, s'il fallait imposer leurs intérêts à la démarche, un grand nombre d'autres agriculteurs seraient d'avis que leurs intérêts à eux ne sont pas défendus. Ce que je veux dire, c'est que personne ne devrait imposer ces intérêts d'une façon ou d'une autre à ces agriculteurs. Plutôt, les agriculteurs devraient pouvoir prendre eux-mêmes leurs décisions.
La consultation s'est faite régulièrement pendant la période allant jusqu'à ce qu'elle se termine il y a deux ans et demi environ, et la démarche n'était pas lourde. La Commission canadienne du blé subit des pressions énormes. Ce ne sont peut-être pas les aléas du marché, mais ça ressemble peut-être aux aléas d'un marché oligopolistique. La CCB est peut-être une bureaucratie, mais je crois savoir que, du fait des pressions du marché, elle ne fait pas d'embonpoint. Vous n'allez pas me dire que Cargill et les autres multinationales n'ont pas aussi quelques problèmes du genre.
S'il est question d'un établissement apte à réagir et à subir correctement la pression en dehors du « marché libre », je dirais que rares sont les établissements capables de surpasser la Commission canadienne du blé à cet égard. La CCB a subi d'énormes pressions, mais elle a réagi à la situation.
Les sept façons possibles d'acheter des céréales sont vraiment ingénieuses; elles représentent tout à fait un marché libre. Il y a le regroupement, le paiement anticipé, le prix cible, le prix fixe, le prix quotidien, il y a le cas de force majeure, et tout cela est complexe et calqué sur les mécanismes du marché libre, avec ceci d'avantageux pour les agriculteurs que personne ne prélève un profit, que tout profit réalisé est remis à l'agriculteur. La CCB met en premier lieu les intérêts des agriculteurs. Je le dis : je crois que vous conviendrez avec moi du fait qu'il faut laisser aux gens qui sont touchés par cette histoire-là le soin de prendre la décision. Nous appuierions une décision claire prise à la suite d'une question claire.
Le sénateur Segal : Sénateur, vous avez fait allusion plusieurs fois aux profits des grandes sociétés. Ils ont investi les profits ainsi acquis dans leur infrastructure organisationnelle pour faire un meilleur travail pour l'actionnaire. Le terme « actionnaire » fait penser à une sorte de gnome suisse qui compte ses cents dans un sous-sol. Les actionnaires en question sont les régimes de retraite étatiques; souvent, ils font partie du mouvement coopératif, sinon il s'agit du régime de retraite des fonctionnaires de la Saskatchewan ou de je ne sais quel régime encore; ils font de leur mieux pour s'assurer que leurs rentiers puissent toucher des prestations à leur retraite. Souvent, les actionnaires sont institutionnels, ils se soucient tout autant de l'intérêt public.
Si vous dites que la Commission canadienne du blé remet à son groupe de clients, les agriculteurs, environ 650 millions de dollars, ce pourquoi il faut souligner son bon travail, et comparer cela à un investissement de 650 millions de dollars dans l'infrastructure, n'est-ce pas là une façon de cerner un des problèmes structurels que connaît la Commission canadienne du blé? Présumons que toutes les dispositions que vous proposez entrent en vigueur et que la Commission canadienne du blé va de l'avant sans être remise en question, sans changer, solide, déterminée, tournée vers un effort collectif, mais qu'elle n'a toujours pas d'argent à investir, alors que les autres investissent toujours davantage en raison de leur structure. Cela ne va-t-il pas commencer à poser un problème fondamental, à long terme, à la CCB? Ne faut-il pas trouver une façon quelconque de s'assurer que les agriculteurs canadiens puissent profiter de l'évolution du marché et disposer d'une série de choix, plutôt que d'être limités à une case quelconque?
Le sénateur Mitchell : Sénateur Segal, cela aurait du sens, si ce n'est un problème particulier qui se présente; les agriculteurs qui veulent vraiment renoncer à cette formule-là croient, essentiellement, qu'ils obtiendraient ailleurs un meilleur prix. Ils sont aptes à en décider eux-mêmes. Je ferais valoir qu'ils obtiennent déjà le meilleur prix, du fait que la Commission canadienne du blé est très concurrentielle. J'ai lu récemment que, dans les élévateurs américains, le boisseau se vendait 14 $ l'unité, mais la CCB vend directement aux entreprises brassicoles à 16 et 18 $ le boisseau. Suivant la conclusion logique de votre raisonnement, même si l'argent en question pourrait être investi dans l'infrastructure, la situation des agriculteurs s'aggraverait encore plus. À l'heure actuelle, je dirais qu'ils obtiennent habituellement un meilleur prix et que le système fonctionne très bien.
Encore une fois, il ne nous appartient pas, à vous ou à moi, d'en juger. C'est aux agriculteurs plutôt de le faire.
Le sénateur Segal : Votre point de vue, c'est que le projet de loi accroît les choix à la disposition des agriculteurs.
Le sénateur Mitchell : Oui. La question posée auparavant présentait une difficulté tenant au fait que le débat n'était pas équilibré, vu que la Commission canadienne du blé n'avait pas le droit de présenter l'autre côté de la médaille. Quelqu'un a affirmé que c'était comme si Coca-Cola ne faisait pas de publicité pendant deux ans — l'entreprise perdrait une certaine part du marché aussi. Il est extrêmement important d'avoir un débat équilibré, étant donné que, pour une grande part, la question tourne autour de l'idée qu'on puisse avoir ou non un régime mixte. Il y a des raisonnements solides qui donnent à penser que c'est possible, mais il y a aussi des raisonnements solides qui portent à croire que ce ne l'est pas.
Autre problème : une fois que c'est implanté, si ça ne fonctionne pas, on ne peut revenir en arrière, en raison de l'ALENA. Compte tenu de l'ALENA, on ne peut restructurer. La décision prise est finale. Nous devons en être absolument certains; de ce fait, je voudrais qu'il y ait une question claire et un débat équilibré. Permettez aux gens comme Adrian Measner de se manifester et de traiter de la question. Qu'est-ce qui nous fait peur? Permettez donc à ces gens-là d'expliquer leur point de vue sur la question. Vous provenez d'un parti qui a de solides convictions à cet égard et qui n'apprécie pas l'intervention de l'État. C'est tout ce que je dis et c'est tout ce que ce projet de loi vise à faire.
Le sénateur Callbeck : Sénateur Mitchell, vous avez dit que les producteurs devraient décider d'eux-mêmes et qu'il devrait y avoir une question claire. Certes, je suis d'accord sur ce point : il y a eu tant de confusion entourant le vote qui a eu lieu. Je veux vous demander d'expliquer l'écart entre vos chiffres à vous et ceux du ministre. Pourquoi y a-t-il un tel écart?
Dans votre discours au Sénat, vous avez affirmé que 13,8 p. 100 des électeurs sont en faveur de l'idée de miner la Commission canadienne du blé et que 87 p. 100 d'entre eux appuient la Commission canadienne du blé. Le ministre a témoigné devant notre comité la semaine dernière; à ce moment-là, je lui ai demandé de parler de vos chiffres à vous. Il a cité une statistique, soit que 62 p. 100 des producteurs souhaitaient avoir la possibilité de choisir le mode de mise en marché, et les autres, c'est-à-dire 38 p. 100, souhaitaient recourir à un comptoir unique.
Vous dites qu'environ 87 p. 100 des gens appuient la CCB, alors que le ministre chiffre cela à 38 p. 100. L'écart prête à confusion aux yeux du grand public. J'aimerais que vous nous parliez de cela.
Le sénateur Mitchell : C'est une question centrale qui montre en quoi la question du plébiscite est inadéquate. On aboutit à deux conclusions tout à fait différentes en partant des mêmes chiffres. Les chiffres obtenus pour la mise en marché de l'orge étaient les suivants : 13 p. 100 des agriculteurs ont voté en faveur d'un marché libre — pour qu'il n'y ait pas de CCB; 48 p. 100 ont voté en faveur d'un régime mixte — où la CCB et Cargill à la fois pourraient mettre en marché la céréale; et 38 p. 100 ont voté en faveur d'un comptoir unique — seule la Commission canadienne du blé pourrait alors mettre l'orge en marché. Ceux qui préconisent un marché libre affirment que le régime mixte comporte une part de marché libre et ajoutent le pourcentage établi pour cela aux 13 p. 100 des votes en faveur d'un marché parfaitement libre, ce qui donne 62 p. 100. Ceux qui souhaitent préserver la Commission canadienne du blé prennent les 38 p. 100 en faveur de cela et ajoutent le pourcentage correspondant à l'appui au régime mixte, ce qui donne 86 p. 100.
C'est justement le problème. Il est intéressant d'apprendre que, presque deux ans après la tenue du plébiscite, les chiffres semblent évoluer. La Commission canadienne du blé vient de publier les résultats de l'enquête qui, en fait, mine son intérêt, ce qu'il faut mettre à son crédit; elle a publié l'information. Elle n'essaie pas de cacher les choses. Selon les nouveaux résultats, 52 p. 100 des répondants à l'enquête seraient en faveur d'un marché libre, et 40 p. 100 appuieraient la Commission canadienne du blé.
Voilà qui devrait vraiment encourager le gouvernement. Il devrait dire : « Nous devions poser la question de cette façon-là : un marché libre ou la Commission canadienne du blé. » La partie qui traite du régime mixte est vraiment discutable. Si le marché est libre, la Commission canadienne du blé peut apporter sa contribution; rien ne l'empêche de le faire si elle le souhaite. Si elle le fait, c'est merveilleux. Si elle ne peut le faire, cela pourrait être un problème pour certaines personnes.
Tout de même, d'après le même sondage, 77 p. 100 des agriculteurs souhaiteraient pouvoir prendre eux-mêmes la décision, même si la majorité veut un marché libre. C'est une de ces circonstances heureuses qui surviennent en politique : tout le monde y trouve son compte. Le point de vue que je fais valoir dans ce projet de loi bénéficie de l'appui d'agriculteurs qui souhaitent avoir le choix, et le gouvernement devrait être encouragé du fait que les agriculteurs semblent vouloir voter en faveur d'un marché libre, dans ces circonstances-là.
Mon projet de loi ouvre la porte à cela. Faisons cela. Le gouvernement devrait vraiment être encouragé par ce fait, il devrait organiser tout de suite un plébiscite où il y a une question claire et ouverte. Nous ne serions pas empêtrés dans cette confusion que vous venez d'évoquer.
Le sénateur Callbeck : Vous avez demandé ce qu'il arriverait si la Commission canadienne du blé ne pouvait rivaliser avec les autres. Qu'est-ce qui arrive aux petits agriculteurs?
Le sénateur Mitchell : Encore une fois, je ne suis pas agriculteur et j'hésite vraiment à imposer mon point de vue sur la question. Cependant, j'ai parlé à de nombreux agriculteurs et je sais à quel point il est difficile de faire ce métier. En ce moment, fort heureusement, la situation est devenue nettement meilleure et, souvent, ce genre d'initiatives reprend du galon lorsque les prix sont bons. Lorsque les prix ne sont pas bons, parfois ça change.
Tout de même, organisons l'affaire tandis que les prix sont bons. Ce projet de loi permettrait cela, si le gouvernement veut le faire. Cela dit, les petits agriculteurs pourraient en subir les contrecoups. Ils perdraient une part d'influence sur la mise en marché. Un agriculteur seul qui cherche à vendre 120 tonnes de céréales n'a pas autant de pouvoir de négociation que la Commission canadienne du blé auprès des acheteurs.
Il y aurait quelques avantages peut-être dans le sens où ils recevraient leur argent tout de suite. C'est un des grands facteurs : si Cargill vous achète des céréales, vous recevez le paiement. Maintenant, il y a le nouveau système CashPlus, qui fait que les agriculteurs reçoivent leur argent dès le départ. Il y a un programme de paiement anticipé assorti d'un prêt sans intérêt qui fait que les agriculteurs peuvent recevoir une plus grande part de leur argent dès le départ. Soixante-treize pour cent des agriculteurs ayant répondu au sondage affirment que, du fait du système CashPlus, ils sont très heureux du mode de mise en marché de l'orge maintenant.
Je me réjouirais au plus haut point si une question claire venait démontrer cela. Il a fallu tant de temps et d'énergie de la part des agriculteurs et du Parlement pour en arriver-là, et cela a divisé les gens et suscité de l'animosité. Pourquoi ne pas poser une question irréprochable et voter en faveur de ce projet de loi? Nous allons recevoir une réponse, puis nous pourrons aller de l'avant.
Le sénateur Gustafson : Sénateur Mitchell, ce projet de loi émanant du Sénat m'inquiète beaucoup. Je me demande pourquoi le Sénat devrait intervenir dans une situation comme celle-là. Si je devais, si les agriculteurs de l'Ouest devaient dire à Irving ou à McCain — qui vendent tous les deux des pommes de terre partout dans le monde — ou aux producteurs de l'Ontario comment mettre en marché leurs produits, je crois qu'il y aurait une réaction assez forte.
Nous sommes en train de dire aux agriculteurs de l'Ouest du Canada ce qu'ils devraient et ce qu'ils ne devraient pas faire. À mon avis, ça ne passera pas très bien, et je crois que le fait d'intervenir ici, dans cette situation, a même pour effet de ternir la réputation du Sénat.
Nos affaires se portent assez bien dans le secteur agricole. Nous trimons dur et nous essayons de gagner notre vie honnêtement. Puis, arrive quelqu'un qui nous dit ce qu'il faudrait faire et ce qu'il ne faudrait pas faire.
D'abord et avant tout, personne ne dit qu'il nous faudrait nous débarrasser de la Commission canadienne du blé. Les gens affirment qu'ils veulent avoir le choix. À mon avis, la Commission canadienne du blé survivra. La majeure partie de son blé est vendue à Bungee, à Archer Daniels Midland, à ConAgra et aux autres grandes entreprises. Le blé est vendu à l'étranger. Elle va continuer à abattre un bon travail pour les agriculteurs. J'irais même jusqu'à dire que la majorité des agriculteurs, selon moi, va appuyer la CCB. Je ne le sais pas; personne ne connaît ce pourcentage-là.
Je procéderais avec beaucoup de soin. À mon avis, les dés sont jetés, malheureusement, et cela m'attriste. Je siège à notre comité depuis 14 ans; j'ai été membre du Comité de l'agriculture de la Chambre des communes pendant 15 ans. Je ne vois pas comment les agriculteurs accepteraient que le Sénat intervienne, ici, dans leurs affaires. Cela me préoccupe vraiment.
Les agriculteurs veulent une entente comme celle qui a été conclue avec les producteurs de blé de l'Ontario. C'est tout ce qu'ils veulent. Ils veulent pouvoir vendre aux États-Unis ou encore passer par la Commission ontarienne de commercialisation du blé, à leur choix. Ils ont cette liberté-là.
Les agriculteurs sont nombreux à croire que le système en place est archaïque. Même la Russie ne dit plus à ses agriculteurs à qui ils peuvent vendre leurs céréales. Ce qui se produit est de nature historique. Donnez donc aux agriculteurs de l'Ouest la liberté d'agir; permettez-leur d'exercer leur liberté de choix. Je vous dirai : ils sont tout à fait aptes à s'occuper de leurs propres affaires. S'ils n'aiment pas ce qui se produit, ils vous le feront savoir.
Je n'ai pas grand-chose à ajouter à cela. Si nous poursuivons notre étude, j'aimerais que nous convoquions certains des producteurs d'orge de l'Alberta, l'Alberta Grain Commission, la Western Canadian Wheat Growers Association, des agriculteurs biologiques et Viterra — la plus grande entreprise de toutes. Écoutons-les. Peut-être parviendront-ils à nous éclairer.
Le sénateur Mitchell : Sénateur Gustafson, merci. Il y avait là beaucoup d'informations.
Le sénateur Gustafson : Je m'excuse d'être si direct.
Le sénateur Mitchell : Je vous apprécie pour cela et pour bon nombre d'autres raisons. Comme je connais vos antécédents, que je sais depuis combien de temps vous pratiquez l'agriculture et ce que représente votre expérience dans le domaine, je ne prends pas à la légère ce que vous dites, je n'écarte pas vos remarques du revers de la main. De fait, je crois que notre désaccord sur cette question n'est pas si grand.
D'abord, permettez-moi de répondre à la question qui vise à établir pourquoi c'est au Sénat que nous avons lancé ce projet de loi. Les projets de loi sont souvent lancés au Sénat. Ce n'est pas comme si le Sénat intervenait. Le Sénat aurait adopté ce projet de loi en premier ou en deuxième. De façon générale, c'est en deuxième qu'il fait cela. De fait, votre premier ministre a déjà lancé des projets de loi au Sénat dans le passé.
Le sénateur Gustafson : En ce moment, le Sénat a suffisamment de défis sur les bras sans devoir affronter les producteurs de blé.
Le sénateur Mitchell : Il arrive souvent qu'un projet de loi soit mis en branle au Sénat, et cela, pour toutes sortes de raisons. À l'époque où nous étions au gouvernement, il y avait tant d'activités, tant de projets de loi, tant de travaux au Parlement que, souvent, un projet de loi était lancé au Sénat. C'est que ça prenait plus de temps. C'était une des raisons.
Fait intéressant, le ministre Ritz a affirmé que nous retardions l'affaire en la présentant au Sénat. Ce n'est pas le cas; nous accélérons le processus. Traitons ce projet de loi en mode accéléré. C'est la raison pour laquelle il a été lancé ici : pour accélérer le processus.
La marché de l'Est du Canada est très différent; il est beaucoup plus proche des marchés. Vous avez raison de le signaler. Ce serait un changement de structure, une modification de la façon dont une commission de commercialisation du blé fonctionnerait peut-être. Il y a tout de même que — et encore une fois, nous sommes d'accord, vous et moi : je veux donner aux agriculteurs la liberté de choix, ce que vous souhaitez faire, vous aussi. Je fais simplement un pas de plus par en arrière et je dis : permettez-leur de choisir en rapport avec le choix qui s'offre à eux. Ne leur imposons pas une vision ou l'autre de l'affaire. Permettez-leur de faire ce choix.
Quant à vous, vous devriez probablement être très encouragé par cela. Il y a ici les résultats d'un sondage qui font voir que votre point de vue a de bonnes chances de l'emporter. Il y a un fait qui nuit à votre point de vue, soit que la question en trois parties limite les possibilités qu'une réponse obtienne 50 p. 100 des voix plus une; le résultat ne sera donc pas parfaitement concluant. Il est très difficile d'obtenir une réponse dont on serait parfaitement certain. La question en deux parties que nous posons est très claire, très concise, très précise, et elle vous permettra d'obtenir en guise de réponse une indication claire qui ne sera pas remise en question.
Je ne crains pas le résultat. Je crois que les agriculteurs devraient pouvoir prendre eux-mêmes cette décision-là. Si vous appuyez le projet de loi, nous allons avoir toutes sortes de choix; et si nous l'appuyons rapidement, il cheminera, et il n'y aura plus de retards.
Le sénateur Gustafson : Je m'excuse, mais je ne suis pas du tout d'accord avec cela. Je ne crois pas que ce sera bien reçu, surtout maintenant que le prix des céréales est un peu meilleur et que les agriculteurs affichent un peu d'optimisme. Je crois que les gens, de façon générale, auront l'impression que la politique s'est immiscée dans cette histoire-là et qu'elle a pris le pas sur tout le reste, qu'elle ne permet pas aux agriculteurs d'en arriver à leur propre appréciation de la situation.
Le sénateur Mitchell : Il y a de nombreux agriculteurs qui appuient la Commission canadienne du blé, qui sont d'avis que la politique a déjà produit des effets qui ne sont pas en leur faveur.
Le sénateur Gustafson : Je veux faire inscrire au compte rendu le fait que les agriculteurs ne demandent pas que la Commission du blé soit éliminée. Ils demandent d'avoir le choix d'agir comme bon leur semble. Je sais qu'il y a des gens qui reviennent et qui affirment qu'un comptoir unique ne survivrait pas. Un comptoir unique survivra. Les responsables vont peut-être devoir réduire les frais généraux et je ne sais quoi encore, mais je serais très étonné qu'ils n'obtiennent pas un pourcentage élevé des affaires.
Mettez-vous à la place d'un agriculteur. L'agriculteur affirme que, maintenant, il faut vendre ses céréales soi-même. Cet agriculteur-là a l'avantage de passer par la Commission canadienne du blé pour le faire. Nous arrivons très rapidement dans une économie mondialisée. Je lisais cela pas plus tard qu'hier. Nous devons suivre le mouvement. Nous devons être prêt à nous engager là-dedans. Cela va de soi, si vous voulez mon avis.
Certes, je n'y serai plus en novembre. Ça ne changera pas grand-chose à ma vie d'une façon ou d'une autre.
Le sénateur Mitchell : Vous aurez encore votre ferme, alors ça changera quelque chose.
Le sénateur Gustafson : Je vous demanderais d'examiner avec beaucoup de soin ce que le comité est en train de faire.
Le sénateur Mitchell : Parmi les questions que vous avez soulevées, il y a celle de l'agriculture biologique, qui soulève, soit dit en passant, la question des produits nouveaux. Et celle-là soulève, à son tour, la question de la distinction visuelle des grains et du problème que ça pose.
La CCB a été critiquée notamment pour le fait qu'elle ne s'adapte pas assez vite à l'avènement des produits nouveaux. La question de la distinction visuelle des grains en est une raison. Le problème a quasiment été réglé, mais le gouvernement veut précipiter l'affaire, avant que n'advienne la technologie qui permettra de distinguer divers grains qui se présentent de la même façon visuellement, mais qui sont génétiquement différents. Si nous pouvions seulement attendre un an ou deux que cela advienne, cela ouvrirait probablement beaucoup le champ à la Commission canadienne du blé aussi.
Le sénateur Mahovlich : J'ai trois questions que j'aimerais vous mettre dans les pattes. Premièrement, la Commission du blé est-elle plus utile au producteur lorsque les prix sont élevés ou lorsque les prix sont bas?
Deuxièmement, vous dites proposer que deux des cinq administrateurs nommés soient choisis par les dix administrateurs élus, plutôt que par le gouvernement. En quoi cela servirait-il à améliorer la gouvernance de la CCB?
Troisièmement, le projet de loi S-228 aura-t-il pour effet de simplifier ou de compliquer la modification de la réglementation et de la loi en cas de conflit entre le gouvernement et la Commission canadienne du blé?
Le sénateur Mitchell : Il est très difficile de déterminer avec certitude si le travail de la CCB est plus avantageux ou moins avantageux sur un marché à la hausse ou à la baisse. Il faut tenir compte d'un fait : si vous recourez au mécanisme de mise en commun des prix, de fait, vous obtenez une moyenne plus élevée sur un marché à la hausse si vous recourez à la CCB; il y a donc là un avantage. D'après ce que j'en sais, si vous achetez de Cargill, vous paierez le prix d'aujourd'hui; mais si le prix augmente et que vous n'avez pas recouru à la mise en commun, vous n'aurez pas droit au prix de demain ou de la semaine prochaine ou du mois prochain, qui peut être plus élevé; votre moyenne ne suit donc pas le mouvement à la hausse.
C'est une des raisons pour lesquelles les agriculteurs sont en faveur de cette mesure, pour ceux qui le sont.
Le sénateur Mahovlich : Les bénéfices de l'agriculteur sont-ils alors moins importants?
Le sénateur Mitchell : Non, ils sont plus importants. Si j'arrive sur le marché aujourd'hui et que le prix est bas, mais qu'il sera élevé dans cinq mois, la mise en commun me permettra d'en tirer un certain avantage. J'opte pour la mise en commun et, au fur et à mesure que les céréales sont vendues, ma moyenne augmente. C'est un grand avantage.
Il y a une des associations de producteurs de blé — je crois que c'est celle du Dakota du Nord — qui a produit un rapport. Depuis un an, les producteurs ont obtenu environ 50 p. 100 du prix maximal qui a été demandé pour le blé, étant donné qu'ils ont vendu tôt et qu'ils ont tout vendu à ce moment-là; ils n'ont pas eu l'occasion de voir le prix moyen augmenter.
En même temps, cette méthode permet de déterminer un prix qui ne pourra pas baisser; c'est donc un réel avantage du point de vue des agriculteurs dans les cas où le prix diminue. Voilà donc ce que dit l'agriculteur qui souhaite l'avènement du libre marché : je n'aurais pas vendu mes céréales aujourd'hui. J'aurais attendu que le prix augmente, parce que j'ai le choix. Tant mieux pour ces gens-là; peut-être qu'ils y arriveraient, ce qui est merveilleux. Si c'est ce qu'ils veulent, ils peuvent voter en faveur du mécanisme prévu dans ce projet de loi, ils peuvent exprimer leur point de vue sur la question, mais nombreux sont les agriculteurs qui n'arrêteraient pas forcément leur choix sur la meilleure situation.
Le sénateur Mahovlich : Il y a un risque là-dedans.
Le sénateur Mitchell : Oui, mais être agriculteur est risqué de toute façon. Vous fondez votre vie sur deux choses qu'il est très difficile de prévoir — le prix des denrées et la météo — et voilà. Les agriculteurs méritent d'être admirés intensément et immensément.
Quant à savoir si le choix des deux sur cinq servirait à améliorer la gouvernance de la CCB, le sénateur Gustafson ferait peut-être valoir que ça ne l'améliorerait pas du tout. Logiquement, on peut faire valoir que ça ne donnerait qu'une gouvernance différente. Tout de même, la différence réside dans le fait que les représentants élus exerceront une plus grande influence sur la Commission, étant donné qu'ils choisiront deux des cinq personnes en question, alors que, en ce moment, ils n'en choisissent aucune. Il y aura alors une commission qui est davantage tournée vers les représentants élus et, de ce fait, vers ses commettants.
Il y en a parmi nous qui croient que c'est probablement mieux ainsi — l'organisme s'adapte mieux, avec une intervention de l'État qui est moindre. Je ne vois pas en quoi les Conservateurs pourraient se prononcer contre un amoindrissement de l'intervention de l'État, mais je plaisante, bien sûr.
Le projet de loi S-228 aurait-il pour effet de simplifier ou de compliquer les modifications? Je dirais que les choses se sont révélées extraordinairement difficiles jusqu'à maintenant, étant donné que la coopération présumée entre le gouvernement et la CCB, que laisse supposer la loi existante, est rompue. Quelle que soit la façon dont la loi ou la relation est structurée, si les gens ne peuvent se consulter ou coopérer de bonne foi, ce sera toujours difficile. Le projet de loi établit que le gouvernement ne peut agir au mépris de la volonté d'administrateurs qui sont, pour une bonne part, élus qu'il lui faudra consulter.
Il n'y a pas que cela. L'inverse est aussi vrai. Le conseil d'administration devra consulter le gouvernement, de sorte que le gouvernement ne pourra pas être exclu de l'affaire non plus. C'est un avantage qui a été oublié dans tout cela.
Le sénateur Gustafson : Pour mettre ses céréales sur le marché, on peut passer notamment par la CCB. Il y a trois façons de mettre le produit en marché. Premièrement, vous pouvez opter pour le prix au comptant le jour même où vous livrez les céréales. Deuxièmement, vous pouvez prendre 80 p. 100 du prix au comptant et attendre qu'entre en ligne de compte la mise en commun, ce qui a été le choix de nombreux agriculteurs, pour qui l'argent des 80 p. 100 s'est révélé supérieur au prix au comptant payé en entier. Troisièmement, vous pouvez attendre simplement que la mise en commun porte tous ses fruits.
Cette année, pour la plus grande part, ceux qui ont attendu la mise en commun s'en sont les mieux tirés. Au départ, le prix des céréales se situait à environ 5 $ le boisseau; si vous acceptiez le prix au comptant, vous pouviez obtenir 7 $ le boisseau, mais personne ne rêvait qu'on en arriverait à un moment donné à 12 ou à 15 $ le boisseau. Ceux qui ont attendu la mise en commun s'en sont les mieux tirés. Bien entendu, cela illustre le point : pourquoi ne pas leur donner le choix? Il appartient à l'agriculteur de faire ce choix. J'espère que vous allez revenir sur votre position.
Le sénateur Mitchell : Voilà ce qu'il y a intéressant là-dedans : non seulement vous pouvez obtenir un prix initial et prendre vos 80 p. 100, mais vous pouvez également préciser de futurs prix grâce à la mise en commun. Il y a toutes sortes de variations sur le thème. C'est d'une grande subtilité, et ça fonctionne comme un marché libre de produits de base, étant donné que la CCB s'est adaptée à la situation.
Le sénateur Gustafson : On a aussi créé l'occasion d'entrer en scène pour les agriculteurs biologiques, qui en font la demande depuis longtemps. Il serait intéressant d'entendre le point de vue d'un agriculteur biologique sur ce projet de loi.
Le sénateur Mitchell : Ce serait merveilleux.
La présidente : Honorables sénateurs, merci de ce débat animé.
La séance se poursuit à huis clos.