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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 15 - Témoignages du 12 juin  2008


OTTAWA, le jeudi 12 juin 2008

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, auquel est renvoyé le projet de loi S-22, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé (conseil d'administration), se réunit aujourd'hui à 8 heures pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous, honorables sénateurs, notre témoin et toutes les personnes qui sont branchées sur les travaux de notre comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Aujourd'hui, le comité poursuit son étude du projet de loi S-228, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé (conseil d'administration).

Comme vous le savez, le Parlement se penche actuellement sur plusieurs projets de loi touchant la CCB. Il y a notamment le projet de loi S-228, qui a été déposé par l'honorable Grant Mitchell, sénateur de l'Alberta. Le projet de loi en question propose d'accroître les pouvoirs du conseil d'administration concernant les changements de politiques touchant la Commission canadienne du blé. Il s'agit de ramener de cinq à trois le nombre de personnes nommées par le gouvernement au conseil d'administration. Il s'agit également de modifier le processus électoral et la question qui doit être posée au moment de la consultation, là où le gouvernement souhaite modifier les compétences de la Commission canadienne du blé.

Par vidéoconférence, nous accueillons ce matin Peter W. Hogg, professeur émérite à l'Osgoode Hall Law School, qui viendra éclairer certains des aspects du projet de loi. Nous sommes très heureux de l'accueillir.

Peter W. Hogg, professeur émérite, Osgoode Hall Law School, à titre personnel : Comme le savent les membres du comité, je suis appelé à commenter un tout petit segment du projet de loi S-228, soit l'article 22. L'article est la disposition qui vient remplacer l'article 47.1 de la loi. Elle y substitue une disposition un peu différente, mais il faut dire que les deux dispositions sont très semblables.

Essentiellement, l'article 47.1 vise à faire en sorte qu'il ne puisse être déposé au Parlement aucun projet qui a pour effet de soustraire le blé ou l'orge de la Loi sur la Commission canadienne du blé ou d'étendre l'application de la Loi à tout autre grain à moins que deux conditions soient d'abord réunies. Sur ce point, l'alinéa 47.1c) prévoit la première étape que doit respecter le ministre ou quiconque dépose le projet de loi au Parlement. Il doit avoir « consulté la Commission au sujet de la mesure et obtenu son approbation ». L'approbation de la Commission représente donc la première condition à respecter.

Voyons maintenant l'alinéa 47.1d), qui énonce la deuxième étape, soit que les producteurs du grain touché « ont voté de façon claire et démocratique, par scrutin secret, en faveur de la mesure ». Ensuite, la disposition précise la marche à suivre pour organiser le scrutin auquel participent les producteurs.

J'aurais dû dire plus tôt que j'ai préparé un mémoire en bonne et due forme, que j'imagine avoir été traduit et remis à chacun. Je vais me contenter d'en tirer la substantifique moelle.

Suivant l'idée générale donnée à l'article 22, personne ne pourrait présenter au Parlement un projet de loi du type précisé — pour ajouter ou soustraire à la liste un grain donné — à moins que la personne n'ait obtenu l'approbation de la Commission canadienne du blé et d'une majorité des producteurs du grain touché. L'intention est donc d'empêcher le Parlement d'apporter tout changement de cette nature à moins que les parties touchées en dehors du Parlement — la Commission canadienne du blé et les producteurs — y consentent.

La question qu'il faut se poser, à mon avis, est la suivante : une disposition de cette nature, qui limite la capacité du Parlement sous cet aspect-là, est-elle constitutionnelle? Pour répondre brièvement à la question, et je donnerai des précisions par la suite, procéder ainsi, suivant le libellé choisi à l'article 47.1, est bel et bien constitutionnel.

Pour comprendre le point que je fais valoir, il faut songer d'abord et avant tout au fait que les restrictions prévues à l'article 47.1 quant au dépôt d'un projet de loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé ne s'appliquent pas à l'article 47.1 lui-même. Le Parlement pourrait modifier l'article 47.1 sans obtenir au préalable l'approbation de la Commission et sans obtenir au préalable l'approbation des producteurs de grain. Ainsi, le pouvoir du Parlement n'est pas vraiment restreint.

Je vais vous donner un exemple d'une situation qui est très semblable — je suis rendu à la page 3 de mon mémoire, au dernier paragraphe. Il y a un précédent qui a été établi en Ontario. Les sénateurs se rappelleront que le gouvernement conservateur, sous la direction du premier ministre Harris, a adopté la Loi de 1999 sur la protection des contribuables, qui interdisait à tout membre du conseil exécutif de présenter un projet de loi qui impose une nouvelle taxe sans d'abord tenir un référendum sur la proposition et obtenir l'approbation de la majorité des votants.

Vous vous rappellerez que le gouvernement a alors changé de mains en Ontario. Après avoir été porté au pouvoir, une des premières choses qu'a faites le gouvernement libéral du premier ministre McGuinty, celui qui est en place aujourd'hui, c'est d'instaurer la contribution-santé de l'Ontario, qui est une taxe relative à la santé. Il l'a fait sans tenir de référendum sur la proposition comme l'exigeait la Loi sur la protection des contribuables.

Voici comment le gouvernement libéral s'y est pris : il a d'abord présenté et fait adopter un projet de loi pour créer une exception à la loi, en vue d'instaurer la contribution-santé qui allait être implantée plus tard au cours de la législature. Dès que le premier projet de loi est entré en vigueur et que l'exception à la Loi sur la protection des contribuables a eu force de loi, le gouvernement a présenté le deuxième projet de loi, qui imposait la contribution- santé. Ni l'un ni l'autre des projets de loi n'a fait l'objet d'un référendum.

La Fédération des contribuables canadiens — qui avait aussi, vous vous en souviendrez, obtenu du premier ministre la promesse solennelle qu'il respecterait les dispositions de la Loi sur la protection des contribuables — a entamé devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario une procédure pour faire valoir que la taxe était invalide, parce que ses concepteurs l'avaient imposée sans tenir d'abord de référendum sur leur proposition.

Le tribunal a déterminé que l'exigence référendaire s'appliquait à l'imposition d'une nouvelle taxe, mais qu'elle ne s'appliquait pas à la disposition imposant l'exigence référendaire. Par conséquent, le premier projet de loi, qui créait une exception à la Loi sur la protection des contribuables en vue de l'instauration d'une nouvelle taxe relative à la santé, avait été présenté et adopté de manière valable, sans référendum. Une fois l'exception enchâssée dans la loi, l'exigence référendaire ne s'appliquait plus au second projet de loi, celui qui a instauré la nouvelle taxe relative à la santé. Il s'ensuivait que la démarche en deux étapes, en l'absence d'un référendum, avait permis d'implanter la nouvelle taxe de manière valide.

L'affaire montre que, pour constituer vraiment une restriction des pouvoirs du Parlement, la disposition doit renvoyer à elle-même ou être doublement inscrite. Elle doit s'appliquer à elle-même, pour que l'on ne puisse modifier la procédure en recourant à la filière parlementaire ordinaire. Si la disposition n'est pas ainsi doublement inscrite, il devient facile de contourner l'exigence de procédure en procédant de la façon qu'a utilisée l'assemblée législative de l'Ontario face à la Loi sur la protection des contribuables.

Voilà ce qu'il en est de l'article 47.1. Il en va de même de l'article 47.1 sous sa forme existante et c'est ce qu'il en est de l'article 47.1 proposé. Le nouveau libellé resserre l'article sous de nombreux aspects, mais il ne s'applique pas lui- même. Il n'empêche pas le Parlement de modifier directement l'article 47.1 s'il souhaite modifier la loi sans obtenir l'approbation de la Commission et des producteurs.

À la page 4 de mon mémoire, je cite un extrait d'une cause entendue récemment à la Cour d'appel fédérale, soit Canada v. Friends of the Canadian Wheat Board Act (2008). Ce n'est pas pour régler l'affaire particulière dont nous discutons qu'elle a dû se prononcer, mais la Cour d'appel fédérale affirme, à propos de l'article 47.1 sous sa forme connue, « n'empêche pas le Parlement de promulguer toute loi qu'elle (sic) juge à propos de promulguer, y compris une loi qui modifie ou abroge l'article 47.1 même ». Il me semble que le dernier segment est celui qu'il faut retenir. Tant que le Parlement est libre de modifier ou d'abroger l'article 47.1, la souveraineté parlementaire ne fait l'objet d'aucune restriction anticonstitutionnelle.

Le sénateur Segal : Monsieur Hogg, merci d'avoir pris le temps de nous parler ce matin. Nous apprécions toujours les lumières et les conseils que vous allez nous apporter.

Pouvez-vous me dire si vous êtes d'accord ou non avec la conclusion que je vais tirer, à partir de votre mémoire et de l'exposé oral que vous venez de présenter ce matin? Premièrement, n'est-il pas possible qu'un seul et unique texte de loi, à moins de s'inscrire plus largement dans un projet d'amendement constitutionnel — que d'autres assemblées législatives auraient obligatoirement entériné — entame la capacité pour le Parlement de légiférer à l'avenir, étant donné qu'il pourrait toujours être modifié par un autre Parlement si les partis y consentent à ce moment-là? Ai-je bien interprété ce que vous avez dit?

M. Hogg : Non, cela ne me paraît pas être une bonne interprétation, sénateur Segal. Votre propos recèle deux points. À propos du dernier, quant à l'idée que cette exigence particulière ne s'applique pas à l'exigence elle-même, pour remédier à la situation, il s'agirait de modifier le libellé du texte de loi. Autrement dit, l'article 47.1 pourrait établir que « aucune modification de l'article 47.1 ne peut être promulguée, sauf de la manière et de la forme prescrites pour ajouter ou soustraire un grain au champ d'application de la loi ». Il serait donc possible de corriger le tir, du point de vue de la rédaction.

Le sénateur Segal : Ce que je veux saisir vraiment, c'est en quoi l'idée qu'un projet de loi quelconque, présenté par un Parlement ou un gouvernement quelconque, puisse, du fait d'une disposition légale, viser à limiter la capacité future du Parlement de le modifier et de s'engager dans une autre voie. Je crois que le principe dépasse le cadre du seul projet de loi dont il est question ici et qu'il soulève une difficulté grave concernant la souveraineté du Parlement.

Présumons pour un instant que le projet de loi est adopté, pour quelque raison que ce soit; or, le point de vue sur la question et la majorité au Parlement en viennent à changer; au moment de notre législature, on souhaite modifier la loi. Le Parlement aurait-il alors le devoir d'agir autrement qu'en présentant un projet de loi renfermant une disposition modifiant la disposition de ce texte de loi-ci, avec laquelle il n'est pas d'accord? Cela suffirait-il?

L'adoption d'un texte de loi ne modifie jamais la Constitution ou les droits du Parlement. Y a-t-il quelque chose que je ne saisis pas?

M. Hogg : Vous saisissez tout. Vous articulez un point de vue qui est classique au Royaume-Uni et qui est défendu ici par certains constitutionnalistes.

Voici ce qui m'apparaît être l'avis de la majorité, si tant est qu'il est possible de parler d'un avis majoritaire chez les constitutionnalistes. Ce que vous affirmez est essentiellement juste. Il ne convient pas du tout que le Parlement puisse dire, d'abord, voici la TPS, par exemple, puis de déclarer qu'aucun autre Parlement ne pourra jamais modifier cette mesure-là, de quelque manière que ce soit, quoi qu'il en soit de ses politiques, quelle qu'ait pu être l'évolution de l'opinion publique. Ça ne se fait pas.

Tout le monde est d'accord sur ce point. C'est ce que vous disiez en partie. Là où ça achoppe, c'est quand il s'agit de savoir si le Parlement peut imposer de futures contraintes à sa capacité d'action.

Par exemple, en Nouvelle-Zélande — d'où je viens —, la Loi électorale prévoit des dispositions qui ne peuvent être modifiées sauf sur l'avis d'une majorité particulière, dans le cas qui nous occupe, une majorité des deux tiers. Il est possible de modifier la loi électorale, mais il faut pour cela une sorte de collaboration entre les partis qui permet d'en arriver aux deux tiers des voix. J'ose croire que la plupart des constitutionnalistes jugeraient une telle démarche valide, bien qu'il y en ait qui ne soient pas d'accord.

Le sénateur Segal : Vous avez affirmé le premier point avec beaucoup d'éloquence. Vous avez dit que le projet de loi n'empêche nullement le Parlement de modifier à l'avenir quelque modification future de certaines des dispositions du texte de loi en question, étant donné que l'article 22, qui modifie l'article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé et énonce les conditions à réunir pour le faire, n'est pas protégé contre une modification future.

M. Hogg : C'est ce que j'ai dit.

Le sénateur Segal : À ce moment-là, si, à l'avenir, un Parlement ou un gouvernement vient à penser que les dispositions de l'article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé sont condamnables ou déficientes pour quelque raison que ce soit, il pourrait adopter une disposition législative qui modifie l'article 47.1. À ce moment-là, le Parlement pourrait soit accepter la proposition, soit la rejeter. Cette option-là existerait encore, si je saisis bien.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Segal : Puis-je poser une question qui n'a pas tant trait à la Constitution, mais qui soulève des points intéressants au sujet de la délégation des pouvoirs?

Il y a une loi de portée générale qui établit le rôle de la Commission canadienne du blé. Il y a dans la loi actuelle des dispositions en matière de gouvernance qui existent depuis de nombreuses années et qui fixent le rôle de la Commission, sa composition, la façon de choisir ceux qui s'y trouvent. Cependant, je trouve cela très intéressant que le Parlement puisse, par ce projet de loi, limiter sa propre capacité d'agir en s'en remettant au titulaire d'un pouvoir autrement délégué, par une autre loi.

C'est comme si on disait dans un projet de loi qu'il n'est pas possible de modifier la Loi sur la radiodiffusion sans obtenir d'abord l'approbation du conseil d'administration de la Société Radio-Canada. Je ne veux pas dire que quelqu'un proposerait jamais cela — je devrais faire attention ici. Je peux imaginer quelques personnes qui le feraient. Cependant, ça se ressemble; et c'est une notion qui me trouble. Le Parlement doit déjà vivre avec suffisamment de contraintes — sans que cela soit condamnable —, soit la Constitution, la Charte des droits et libertés et les décisions rendues par les tribunaux au fil du temps.

Seriez-vous inquiet à l'idée qu'un Parlement trépassé puisse affirmer sa volonté de gouverner au détriment des futurs élus en liant la liberté d'action des futurs parlements à l'approbation d'organismes qui ont été créés par le Parlement, mais qui, de fait, sont des organismes indépendants?

M. Hogg : Oui, en principe, cela me paraît être un problème très grave. Si vous croyez comme moi que le Parlement pourrait — et je crois qu'il devrait le faire — établir une majorité particulière. Cela m'apparaît très différent d'exiger que l'approbation du Parlement tienne à l'approbation de la CCB, qui n'est pas un organisme parlementaire, ou au vote des producteurs, qui ne représentent pas la population dans son ensemble.

Même si la disposition référendaire de la Loi sur la protection des contribuables de l'Ontario est valide — et c'est là une question intéressante — tout au moins, le référendum s'adresse au même ensemble de personnes que celui qui a élu les députés à l'assemblée législative. Par contre, dès que vous délaissez le Parlement et que vous délaissez la population générale, à mon avis, les restrictions touchant la souveraineté parlementaire en question sont probablement anticonstitutionnelles, pour les raisons que vous avez invoquées justement.

Tout ce que j'ai à dire à propos de l'article 47.1 de la Commission canadienne du blé, c'est que nous n'avons pas à en arriver à ce point-là.

Le sénateur Peterson : Merci de votre exposé, monsieur Hogg. Je crois que nous avons affaire ici à un dilemme qui tient à un gouvernement minoritaire par opposition à un gouvernement majoritaire. Si la situation n'était pas la même, le résultat ne serait pas le même.

Si le projet de loi S-228 est adopté, faut-il encore respecter les conditions propres aux modifications proposées de l'article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé en ce qui concerne le plébiscite et la majorité des producteurs qu'il faut obtenir? Cela s'applique-t-il encore?

M. Hogg : Pour éviter de devoir se demander si cela est anticonstitutionnel ou non comme le sénateur Segal m'a invité à le faire, et c'est peut-être bien le cas, vous pouvez imiter la démarche en deux étapes que l'Assemblée législative de l'Ontario a empruntée en rapport avec sa loi sur la protection des contribuables. À ce moment-là, le Parlement adopterait d'abord une loi modifiant ou abrogeant l'article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, sans organiser de référendum ou demander d'approbation. Ensuite, il serait libre de promulguer la loi qu'il veut sans devoir obtenir l'approbation de la Commission ou des producteurs.

Le sénateur Peterson : Si le Sénat adopte le projet de loi S-228 et que celui-ci est renvoyé à la Chambre, faut-il penser que ça s'arrêterait là et que la disposition dont vous parlez serait prise en compte avant que le projet de loi ne chemine davantage?

M. Hogg : Non, le projet de loi sous sa forme actuelle pourrait être promulgué, dans la mesure où aucune modification n'est proposée aux grains relevant du champ d'action de la CCB. Puis le texte de loi serait là — et c'est ce qui ennuyait le sénateur Segal à juste titre — comme une tentative de restriction visant, justement, la capacité des futurs parlements à modifier la Loi sur la Commission canadienne du blé. Le Parlement pourrait éviter cette restriction à condition de se plier à la démarche en deux étapes qui a été décrite. Alors, il pourrait toujours modifier la loi.

Le sénateur Mercer : Monsieur Hogg, avant de poser ma question, je dois vous donner une bonne nouvelle et une mauvaise nouvelle : je ne suis pas avocat.

Je ne comprends pas tout à fait en quoi cette restriction des futurs parlements tient si on met en œuvre les deux étapes simples que le gouvernement de l'Ontario a utilisées en rapport avec la loi dont vous parliez.

M. Hogg : Vous avez tout à fait raison de dire cela. Si la démarche en deux étapes est employée, la restriction est inopérante. Ceux parmi nous qui ont été témoins de la chose en Ontario l'ont constaté : il n'a pas été aussi facile d'imposer la contribution-santé que cela aurait été le cas en l'absence de la Loi sur la protection des contribuables. D'un point de vue politique, le premier ministre McGuinty a pris là une mesure controversée, n'ayant pas organisé de référendum comme il avait promis de le faire. Il a été vertement critiqué à ce sujet d'ailleurs. Tout de même, il vient d'être réélu récemment. Les difficultés politiques engendrées par la situation ont donc fini par s'évanouir. C'est quand même une mesure qui rend la chose plus difficile d'un point de vue politique, mais vous avez tout à fait raison : c'est une restriction valide d'un point de vue juridique.

Le sénateur Mercer : D'un point de vue politique, les politiciens ne devraient jamais faire de telles promesses en pleine campagne électorale. Cela peut revenir les hanter. Vous avez parlé d'une majorité des deux tiers qu'il faut obtenir en Nouvelle-Zélande en rapport avec des modifications équivalant à celles qui touchent notre loi électorale.

En droit canadien, outre la cause ontarienne que vous avez citée, y a-t-il une affaire à laquelle se reporter où il est question de restrictions imposées à un organe législatif dans un contexte pareil à celui dont il est question dans le projet de loi S-228?

M. Hogg : Ces cas sont rares, à mon avis. La Loi sur la protection des contribuables de l'Ontario a fait l'objet d'une cause pertinente, qui est toujours citée. Je me rappelle que le gouvernement libéral a présenté une loi sur les vetos régionaux à la suite de l'échec de l'Accord de Charlottetown. Il n'y a pas une correspondance parfaite entre les deux situations, mais elles sont semblables. Essentiellement, la Loi sur le veto régional dit qu'aucun ministre ne peut présenter au Parlement une résolution visant à modifier la Constitution à moins d'avoir obtenu d'abord le consentement de diverses provinces. Tout de même, il y a une sorte de procédure de modification par région qui est venue se substituer à la procédure de modification existante. Par exemple, si un premier ministre devait proposer une modification ayant pour effet d'ajouter le droit de propriété à la Charte des droits et libertés, il lui faudrait non seulement respecter les procédures de modification prévues dans la Constitution, mais également les exigences de la Loi sur le veto régional qui l'obligeraient à obtenir en plus le consentement d'une certaine combinaison de provinces. C'est une restriction de nature semblable.

Le sénateur Mercer : N'y a-t-il pas une exception à cette règle-là, dans la mesure où la modification en question touche un seul organe législatif? Je songe à la modification qui a été apportée à la Constitution en ce qui concerne les écoles de Terre-Neuve.

M. Hogg : Oui, les dispositions qui font entièrement exception à la règle sont celles qui touchent une seule et unique province. Vous avez adopté plusieurs modifications de façon bilatérale — par une entente entre le Parlement fédéral et une province donnée. Terre-Neuve en compte trois, le Québec en compte une. Cette disposition-là ne s'y applique pas. Par contre, elle s'appliquerait à une modification de plus grande portée.

Le sénateur Mercer : Je n'ai jamais vu dans quelque loi une disposition prévoyant l'obligation d'obtenir une majorité particulière, comme vous en avez parlé dans le cas de la Nouvelle-Zélande, autrement qu'une vague mention figurant dans la Loi sur la clarté, qui parle d'une majorité claire. Je ne crois pas que la notion soit vraiment définie dans la loi, pour des raisons politiques, évidemment. Ai-je raison?

M. Hogg : Je ne connais aucune disposition qui prévoit une majorité particulière, mais il est difficile de dire cela avec confiance, car il y en a peut-être une qui est tapie quelque part dans quelque loi. Je n'ai pas essayé de faire de recension complète, mais je me dis que je serais au courant si ça existait. Les constitutionnalistes aiment bien parler de ces choses- là, et la question aurait probablement été soulevée à un moment donné. Je suis enclin à croire que vous avez raison sur ce point, qu'il n'y a pas de dispositions prévoyant une majorité particulière.

Le sénateur Callbeck : Dans le projet de loi S-228, il est dit que le ministre doit consulter la CCB. La Commission doit-elle donner son accord ou faut-il simplement qu'elle soit consultée?

M. Hogg : Dans la version qui est actuellement à l'étude au Comité, la Commission doit donner son accord. Selon le libellé, le ministre « a consulté la Commission au sujet de la mesure et obtenu son approbation ».

Le sénateur Callbeck : Vous parlez du projet de loi S-228.

M. Hogg : Oui, c'est le projet de loi S-228, pas la version précédente.

Le sénateur Callbeck : La version précédente dit qu'il faut consulter la Commission.

M. Hogg : Je vais vérifier, mais je suis presque certain que vous avez raison.

Oui, dans la version précédente, il est simplement question de consulter.

Le sénateur Callbeck : Dans la version précédente, il faut consulter et obtenir l'approbation des producteurs. C'est bien cela?

M. Hogg : Oui, c'est cela. Selon la version précédente, les producteurs doivent voter en faveur de la mesure, mais la Commission elle-même n'a pas à donner son approbation.

Le sénateur Callbeck : Vous dites que si le projet de loi S-228 devait être adopté, le Parlement pourrait contourner l'obligation d'obtenir l'approbation de la Commission en faisant ce qui a été fait en Ontario en rapport avec la Loi sur la protection des contribuables.

M. Hogg : Oui.

Le sénateur Callbeck : Le Parlement pourrait proposer une modification de l'article 47.2, sinon l'abroger carrément, ou proposer ce que bon lui semble.

M. Hogg : C'est cela, oui.

Le sénateur Gustafson : C'est en tant qu'agriculteur que je parle de la situation qui existe dans l'Ouest du Canada. Comme chacun le sait, cette question est devenue une grande préoccupation pour les agriculteurs. Je crains que ce projet de loi ne fasse qu'ajouter à la confusion qui existe déjà.

Les agriculteurs sont très chatouilleux sur ce point : il semble que tout le monde souhaite décider à leur place de la façon dont les choses vont se dérouler. Je ne vois pas en quoi ceci serait utile. À mes yeux, cela ne fera qu'ajouter de la confusion à la situation que nous connaissons déjà dans les Prairies.

Nombreux sont les agriculteurs qui cherchent à pouvoir choisir le mode de mise en marché des céréales. Nous arrivons dans une société mondialisée, surtout dans l'industrie des céréales, étant donné le lien qu'il y a avec les aliments et ainsi de suite. À mon avis, le moment est mal choisi pour compliquer une situation déjà difficile que vivent les agriculteurs de l'Ouest du Canada. Franchement, ils ont l'impression que c'est tout le Canada qui leur imposerait sa volonté. Je prends l'exemple des producteurs de blé ontariens, qui ont le droit de vendre le grain en passant par la Commission ou encore de le vendre directement aux États-Unis ou ailleurs.

Les agriculteurs sont nombreux à croire qu'ils ont ce droit-là. Compliquer la chose comme ce dont il est question ce matin... c'est devenu un débat d'avocats, que vous et le sénateur Segal saisissez parfaitement. À mes yeux, le moment est simplement mal choisi pour lancer un tel débat.

Le sénateur Segal : Je voudrais m'expliquer sur un fait personnel. Ma mère aimerait bien que le sénateur Gustafson ait raison et que je sois avocat. Elle aimerait bien mieux que je sois avocat et médecin à la fois, mais je ne suis ni l'un ni l'autre. Je voulais faire inscrire cela au compte rendu.

Le sénateur Gustafson : Je n'ai pas d'autres observations à formuler; je crois que le moment est mal choisi pour adopter cette mesure, étant donné les considérations stressantes auxquelles font déjà face nos agriculteurs. Personne n'affirme que nous devons nous débarrasser de la CCB. Les agriculteurs affirment qu'ils veulent avoir le choix.

La présidente : Monsieur Hogg, vous avez certainement stimulé l'esprit de tous les membres du Comité. Nous sommes heureux que vous ayez pris le temps de nous faire part de votre sagesse. Nos meilleurs vœux vous accompagnent.

M. Hogg : Merci, sénateur. C'est avec plaisir que j'ai pu témoigner.

La présidente : Nos prochains témoins proviennent du collectif Grain Growers of Canada. Jeff Nielsen, qui en est vice-président, et Richard Phillips, directeur exécutif, vont nous présenter leurs vues sur le projet de loi.

Jeff Nielsen, vice-président, Grain Growers of Canada : Honorables sénateurs, bonjour et merci de nous permettre d'adresser la parole au Comité aujourd'hui. Il s'agit d'une question qui me touche de très près et qui touche de très près mon entreprise.

Je suis propriétaire-exploitant d'une ferme de 1 350 acres près de Olds, en Alberta. J'y cultive des céréales et des oléagineux. À part le fait d'être vice-président des Grain Growers of Canada, je suis également président de la Western Barley Growers Association. Comme expérience en agriculture, je dirais que j'ai déjà été élu par les agriculteurs au conseil d'administration des United Grain Growers et au conseil d'administration d'Agricore United.

Au nom des Grain Growers of Canada et de la Western Barley Growers Association, je vous dirai que nous ne sommes pas d'accord avec le projet de loi S-228. Avec tout le respect que nous vous devons, nous soulignons que le Parlement se penche déjà sur les projets de loi C-46 et C-57, qui ajouteront de la clarté à la situation et modifieront la Loi sur la Commission canadienne du blé en fonction de la volonté des producteurs des Prairies. Le sondage réalisé par la Commission canadienne du blé auprès des producteurs l'a démontré récemment : les agriculteurs souhaitent pouvoir choisir leur mode de mise en marché.

La production d'orge dans l'Ouest du Canada représente 10 millions de tonnes par année et plus. De cette production-là, il y en a environ 44 p. 100 qui proviennent de l'Alberta, 43 p. 100, de la Saskatchewan, 8 p. 100, du Manitoba et 3 p. 100, de la région de Peace, en Colombie-Britannique. L'Alberta et la Saskatchewan produisent presque toute l'orge brassicole, étant donné les problèmes de maladie qu'il y a au Manitoba.

Pour mettre mon orge sur le marché, je suis obligé de passer par la Commission canadienne du blé et d'assumer les frais de transport jusqu'à Vancouver, même si, là où j'ai ma ferme, il y a deux malteries canadiennes dans un rayon de 100 milles. La volonté des producteurs d'orge se fait l'écho des appels de l'Association de l'industrie brassicole du Canada, soit que les producteurs et malteurs doivent pouvoir traiter directement les uns avec les autres en ce qui concerne les variétés brassicoles, la qualité, la quantité et les prix. Les contrats fixés à cet égard permettraient alors aux producteurs de s'appuyer sur un contrat utile et aux malteurs d'accéder à l'orge qu'il leur faut pour exercer leurs activités.

Depuis dix ans, la Commission canadienne du blé réalise des sondages. Depuis dix ans, les producteurs d'orge se prononcent en faveur du choix du mode de mise en marché. Pour chacune des dix années en question, les appuis en faveur d'une emprise totale de la Commission canadienne du blé sur l'orge n'ont jamais dépassé 36 p. 100.

CashPlus est la solution de la Commission canadienne du blé à la demande que présentent les producteurs d'orge depuis dix ans en faveur du choix du mode de mise en marché. La majorité des producteurs d'orge brassicole et notre industrie brassicole ont rejeté catégoriquement le programme CashPlus. Le programme permet toujours à la Commission canadienne du blé de s'immiscer dans les affaires des agriculteurs, de jouer les intermédiaires dont on ne veut pas.

À l'heure actuelle, ce qui empêche d'abord et avant tout les malteurs d'obtenir l'orge qu'il leur faut, c'est l'incapacité pour la Commission canadienne du blé de donner aux producteurs des signaux clairs et adéquats en matière de prix. Cela menace les activités des malteurs, car l'orge est le seul produit dont ils peuvent se servir. Je noterai que dans le seul cas de l'Alberta, il y a plus d'un million d'acres d'orge pour lesquelles les producteurs n'ont pas les carnets de livraison de la Commission canadienne du blé. Cela veut dire un million d'acres d'orge de première qualité sur lequel notre industrie brassicole ne peut mettre la main.

Le besoin d'orge brassicole croît dans le monde. Un des plus gros transformateurs d'orge brassicole au Canada a fait une déclaration sans équivoque fin janvier, ici même, à Ottawa : il prend de l'expansion et accroît ses activités. Néanmoins, à cause de la Commission canadienne du blé, il n'investira pas au Canada. Un nombre accru de malteries ici permettrait d'ajouter encore de la valeur et d'obtenir de plus importants rendements économiques pour l'ensemble du Canada, mais nous constatons que les projets qui auraient dû voir le jour dans l'Ouest du Canada sont allés plutôt aux États-Unis.

En tant que producteur d'orge fourragère, sur le marché intérieur, j'ai un choix. Je peux vendre mon orge directement à un utilisateur final, par exemple un élevage. Si nous étions vraiment en mesure d'agir librement pour mettre en marché l'orge, nous pourrions réagir plus rapidement devant toutes les options possibles et profiter de la valeur que cela procure à la ferme même. Citons en exemple les 800 000 tonnes de céréales canadiennes vendues à l'étranger le printemps dernier suivant l'idée que le monopole de la CCB prendrait fin le 1er août l'an dernier. En même temps, la Commission canadienne du blé refusait de participer à ce marché-là.

En tant que producteur de l'Ouest canadien, cela me frustre d'être obligé de recourir à ce monopole, tandis que mes compatriotes en Ontario, au Québec et dans les Maritimes peuvent exporter leurs produits sans frais. À la décharge de la Commission canadienne du blé, je crois qu'elle peut devenir une entité qui permettra à ceux qui le souhaitent de passer par elle pour vendre leurs produits. Peut-être faut-il envisager une coopérative de nouvelle génération.

Nous sommes tous conscients des changements internationaux qui s'amènent peut-être, et ce, rapidement. S'il y a un consensus qui se dégage à l'OMC durant les mois à venir, la Commission canadienne du blé perdra les garanties que lui procure l'État en 2013.

L'expertise en marketing de la Commission canadienne du blé et sa réputation internationale lui permettront de devenir une entité viable, même sans monopole. Pour ce qui est du choix en matière de mise en marché, les producteurs d'orge ont l'appui de trois provinces — la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et l'Alberta —, de la Market Choices Alliance, de l'Association de l'industrie brassicole du Canada, d'Ice Futures Canada, de la Western Canadian Wheat Growers Association, de la Alberta Barley Commission, des Grain Growers of Canada, de la Western Grain Elevator Association et de l'Association des brasseurs du Canada.

Je demande respectueusement à tous les sénateurs de voter contre le projet de loi S-228 et d'adopter promptement le projet de loi C-46 et le projet de loi C-57 lorsqu'ils les auront devant les yeux.

Richard Phillips, directeur exécutif, Grain Growers of Canada : Je suis actuellement directeur exécutif des Grain Growers of Canada. Ma femme Sally et moi, nous sommes propriétaires d'une petite ferme semencière en Saskatchewan, où je produis des semences depuis plus de 20 ans. Par ailleurs, je suis propriétaire avec mon père de quelques centaines de bovins d'engraissement.

Avant de faire ce métier-là, j'ai fait un travail œcuménique à la Banque de céréales vivrières du Canada et j'ai travaillé auprès de l'ex-ministre responsable de la Commission canadienne du blé, monsieur Reg Alcock.

Le projet de loi C-228 touche à la question de la gouvernance; je veux en aborder un aspect moi-même, rapidement, soit la réduction de cinq à trois du nombre d'administrateurs nommés.

Au moment où je siégeais au conseil d'administration des United Grain Growers, nous formions une grande coopérative qui connaissait des déboires financiers. Avant de lancer un appel public à l'épargne, tous les membres de notre conseil d'administration étaient agriculteurs. Une fois en bourse, nous avons fait appel à des administrateurs externes. Je ne saurais trop insister sur l'importance de faire profiter son conseil d'administration de renforts externes.

L'histoire nous le montre : même avec les syndicats du blé, une des difficultés de certaines des organisations en question réside dans le fait qu'il s'y trouve trop d'agriculteurs. Je dis cela en ayant le plus grand respect possible pour l'agriculteur. C'est que nous n'avons pas forcément au sein du conseil d'administration les éléments experts en évaluation des ressources humaines et des risques liés aux devises. Il y a aussi d'autres facteurs qui entrent en jeu et dont nous n'avons pas une connaissance directe à la ferme. Par conséquent, nous croyons que le projet de loi chemine dans le mauvais sens. Il vous faut ces renforts-là si vous voulez être compétitifs dans le commerce mondial des grains.

Essentiellement, le débat sur la CCB et les projets de loi dont il est question porte sur deux aspects clés que M. Nielsen a mentionnés. Premièrement, les agriculteurs ont-ils exprimé clairement leur volonté de changement tel que précisé dans la loi? Deuxièmement, la CCB peut-elle réussir sur un marché libre?

J'ai fait circuler les questions mêmes qui ont été posées au moment du plébiscite ainsi que les résultats obtenus. Je donne suite à ce que la Commission canadienne du blé et le ministre ont évoqué. Les gens affirment que les questions n'étaient pas claires et que, même si elles avaient été claires, la CCB ne peut fonctionner sur le marché libre. J'aimerais prendre quelques minutes pour me pencher sur cette question-là.

Selon la première option, la Commission canadienne du blé devrait demeurer l'unique comptoir de commercialisation de l'orge destinée à la consommation humaine et aux marchés d'exportation. Sur ce point, il est très clair que c'est un vote en faveur du monopole de la Commission canadienne du blé. La deuxième option me donnait la possibilité de commercialiser mon orge en passant par la Commission canadienne du blé ou encore en trouvant d'autres acheteurs au Canada ou à l'étranger. Encore une fois, cela est clair aux yeux des agriculteurs. C'est un marché libre, mais où nous souhaitons que la CCB joue un rôle. La troisième option consiste à rejeter entièrement la Commission canadienne du blé.

Les résultats obtenus font voir que 37,8 p. 100 des répondants souhaitaient préserver le monopole, 48,4 p. 100 souhaitaient l'avènement d'un marché libre où la Commission canadienne du blé joue un rôle et 13,8 p. 100 ne voulaient plus rien avoir avec la CCB. Ce que le ministre a regardé, ce que nous avons regardé de notre côté, c'est l'idée de combiner l'option 2 et l'option 3. Ainsi, 62 p. 100 des agriculteurs ne veulent pas de la CCB, sinon ils tiennent à ce que ce soit une option parmi d'autres. Il est clair que la majorité des agriculteurs de l'Ouest canadien souhaitent pouvoir vendre leur orge directement sur le marché ou encore avoir la possibilité de recourir à la CCB dans les cas où celle-ci obtient des prix concurrentiels.

La question de savoir si l'option deux est même valable représente un autre problème encore. C'est ce que disent les gens de la CCB et d'autres personnes : nous ne pouvons rivaliser et nous ne pouvons ajouter de la valeur sur un marché libre. Je les ai entendus moi-même faire valoir ce point-là ici devant le Comité.

Nous sommes convaincus qu'ils peuvent ajouter de la valeur et fournir un grand service aux agriculteurs, même en l'absence du monopole. Si vous regardez les statistiques à nouveau, et je crois que le sénateur Callbeck a soulevé ce point-là, vous verrez que 80 p. 100 des agriculteurs souhaitent garder la CCB.

Si vous oeuvrez dans l'immobilier comme le sénateur Peterson à Regina et que vous constatez que 40 p. 100 des gens souhaitent traiter en exclusivité avec vous et que 50 p. 100 d'entre eux veulent vous garder comme possibilité, vous seriez empli de joie à l'idée d'avoir une telle part du marché, même si ce n'est pas 100 p. 100.

Environ 86 p. 100 des agriculteurs souhaitent soit un monopole de la CCB, soit la possibilité de recourir à une CCB efficace. La CCB dispose d'énormes appuis provenant de gens qui souhaitent déjà traiter avec elle. Néanmoins, ses responsables affirment qu'ils ne peuvent rivaliser ou ajouter de la valeur. Quant à nous, nous croyons pouvoir traiter avec eux. Quarante pour cent des agriculteurs traiteront encore avec les gens de la CCB et, probablement, en exclusivité. Cela représente un volume de grain énorme.

Il y a la commission du blé à laquelle il est possible de recourir sur une base volontaire en Ontario. Là-bas aussi, la commission prend en charge un fort pourcentage du grain tous les ans, puisqu'elle ajoute de la valeur.

Autre question soulevée par les responsables de la CCB et d'autres observateurs : la Commission canadienne du blé ne possède pas d'installations, alors comment peut-elle rivaliser avec les commerçants de grain privés. Si la Commission canadienne du blé faisait un appel d'offres et demandait qui veut prendre en charge toute l'orge qu'elle va acheter cette année, les entreprises céréalières joueraient du coude pour pouvoir acheter le produit en question. C'est une activité qui fonctionne au volume, et les gens veulent stocker le plus de grain possible dans les élévateurs. C'est un domaine très concurrentiel. Il y aurait Cargill, Viterra et des entreprises canadiennes comme Parish et Heimbecker, Paterson Grain et James Richardson International qui feraient des pieds et des mains pour attirer chez eux ce volume- là. La propriété de l'installation est un faux problème. Ils sont nombreux à vouloir prendre en charge le grain de la CCB.

J'ai siégé au conseil d'administration d'une entreprise céréalière pendant plusieurs années. Une autre chose que la CCB ne comprend pas, c'est que les marges sont extraordinairement minces dans le commerce des grains. Si ses responsables croient que le fait de posséder une installation pour prendre en charge uniquement les grains qui lui reviennent est une idée rentable, ils se trompent. Ils vont perdre des sommes d'argent extraordinaires à faire cela.

Vous devez être en mesure de prendre le canola, les pois, les lentilles, le lin et je ne sais quelle autre récolte qui est demandée au port. Vous devez avoir la souplesse voulue pour prendre tout cela en charge et ne pas accepter seulement les grains de la CCB. Ma prédiction, c'est qu'ils couleraient en un temps record. Les responsables de la CCB protesteraient peut-être. Tout de même, il faut être souple dans ce domaine-là pour gagner sa vie.

Pour résumer, d'abord, nous sommes convaincus que les agriculteurs ont envoyé un message clair. Ils veulent du changement et ils veulent des choix. Deuxièmement, nous croyons que la Commission canadienne du blé peut ajouter de la valeur et faire figure de concurrence solide sur un marché libre.

Le sénateur Mahovlich : Dans le projet de loi S-228, il est proposé que deux des cinq administrateurs nommés soient choisis par les 10 administrateurs élus, plutôt que par le gouvernement. Est-ce qu'ils seront élus par les producteurs?

M. Phillips : Oui.

Le sénateur Mahovlich : Autrement dit, c'est une façon juste de procéder.

M. Phillips : Pour évoquer un compromis à cet égard, je dirais qu'il faudrait une sorte d'approbation conjointe des cinq administrateurs externes en question. La Commission pourrait recommander les gens, le gouvernement pourrait le faire aussi et, ensemble, ils pourraient trouver un terrain d'entente. Je crois que ce serait la méthode à retenir. En ce moment, le gouvernement nomme les cinq membres. Il peut nommer des personnes que le conseil apprécie ou pas. De même, un nouveau parti peut être porté au pouvoir; il s'appuierait alors sur un point de vue différent en vue de nommer les cinq administrateurs. Nous croyons que la décision conjointe serait la meilleure façon de régler la question.

M. Nielsen : À propos de l'élection, les agriculteurs élisent 10 membres. En ce moment, le règlement prévoit la marche à suivre pour obtenir un bulletin de vote, et le projet de loi C-57 traite aussi de cette question-là. Les producteurs sont nombreux à ne pas voter aux élections à la Commission canadienne du blé du fait de ne pas cultiver actuellement des grains pris en charge par la Commission. Par conséquent, le ministre envisage de modifier la donne à ce sujet dans le projet de loi C-57.

Le sénateur Mahovlich : En quoi est-ce que cela améliorerait la gouvernance de la Commission canadienne du blé?

M. Phillips : Tout ce qui permet de compter sur des administrateurs externes qui sont vraiment compétents dans leur domaine d'expertise serait bon. Selon moi, ce que les administrateurs élus pourraient le mieux établir, aux côtés de la haute direction de la Commission canadienne du blé, c'est les domaines d'expertise sur lesquels il faut compter au sein du conseil d'administration. Cela vaut mieux que le fait de choisir les administrateurs nommés. À ce moment-là, le gouvernement peut rechercher des candidats qualifiés.

Par exemple, si la CCB affirme que les compétences en comptabilité et en vérification font défaut à notre conseil d'administration, le gouvernement peut alors aller chercher chez Deloitte & Touche ou ailleurs l'expertise en question, ce qu'il a fait récemment dénichant un ex-directeur des finances de l'une des plus grandes entreprises céréalières du Canada. Autre exemple : s'il faut une expertise en gestion des avoirs en devises pour tenir la direction responsable des actes posés à cet égard, je crois que les administrateurs devraient cerner le champ d'expertise plutôt que de choisir les gens. Il est perçu que certains des membres du conseil d'administration voudraient seulement arrêter leur choix sur des gens qui ont la même pensée politique et que le gouvernement choisirait les gens animés du même esprit. Par conséquent, une démarche conjointe m'apparaît être la meilleure solution.

Le sénateur Peterson : Croyez-vous qu'il y a déjà eu une époque où les producteurs d'orge voulaient faire partie de la Commission canadienne du blé?

M. Nielsen : Le sondage réalisé sur 10 ans fait voir que cela n'a jamais été le cas et que, en Alberta, c'est depuis près de 20 ans, probablement, que les producteurs se prononcent en faveur du choix en matière de commercialisation. Je me souviens de l'époque où je devais vendre toute mon orge par l'entremise de la Commission.

C'est tout le régime de commercialisation et tout le milieu de la mise en marché qui ont évolué et qui sont devenus quelque chose d'entièrement différent de ce qu'il y avait là il y a 10 ou 30 ans. C'est en évolution constante. Nos marchés évoluent, et nous voyons les occasions qu'il y a de faire une mise en marché plus rapide dans de nouveaux milieux. Malheureusement, la Commission canadienne du blé ne peut saisir aussi rapidement ces occasions-là. Nous avons vu ce qui est arrivé des 800 000 tonnes de grains au printemps dernier.

M. Phillips : La situation a beaucoup évolué. Si vous remontez 20 ou 30 ans dans le temps — je suis assez vieux pour le faire —, vous verrez que, en tant qu'agriculteurs, nous n'avions pas accès à cette information-là. Nous n'avions pas Internet ou quelque moyen de savoir quel était le prix des céréales. Il y a eu une époque où les gens chargeaient le grain dans leur camion et se rendaient en ville, puis les responsables des élévateurs à grain leur offraient un prix modeste. Ils acceptaient le prix offert parce qu'ils n'allaient pas refaire tout le chemin du retour chargés. Aujourd'hui, l'agriculteur téléphone, il envoie une télécopie, sinon il vérifie sur Internet le prix du grain. Nous sommes en mesure d'obtenir un meilleur prix pour nos récoltes, et cela vaut aussi pour le lin, l'avoine, les pois et les lentilles. À ses débuts, la CCB avait un bon rôle à jouer parce que les agriculteurs se faisaient arnaquer par les entreprises céréalières. Cependant, cela a évolué grâce au passage à l'ère de l'information. Les agriculteurs ne se trouvent plus dans cette situation de dépendance face aux entreprises céréalières.

Le sénateur Peterson : À propos du récent plébiscite, qui comportait les trois questions dont vous nous avez remis copie, croyez-vous qu'il y a eu une grande confusion au moment du vote? Les gens ont-ils cru que c'était un plébiscite sur l'orge davantage qu'un plébiscite sur la Commission canadienne du blé dans son ensemble?

M. Phillips : Je ne crois pas, certaines personnes ont allégué que c'était un premier pas fait sur une pente glissante, que le blé finirait par être inclus. Il était clair que le plébiscite portait uniquement sur l'orge. D'après les annonces faites dans les médias et les lettres envoyées aux journaux, il était clair qu'il s'agissait de l'orge.

Le sénateur Peterson : N'aurait-il pas mieux valu poser moins de questions? L'interprétation des résultats dépend du camp que vous choisissez et du fait d'ajouter ou non un ou deux pourcentages pour obtenir votre résultat, sinon deux ou trois. Il est malheureux que nous en arrivions à cela.

M. Phillips : Je ne dirais pas le contraire, sénateur. Poser une seule question, sinon deux, aurait été plus clair. Les gens qui ont voté en faveur de l'option 3 auraient probablement voté en faveur du numéro 2; à ce moment-là, cela aurait été soit la Commission canadienne du blé, soit un marché libre.

Le sénateur Peterson : Pour essayer de régler cette question, croyez-vous qu'il aurait mieux valu traiter l'orge de manière distincte plutôt que de parler de la CCB dans son ensemble? Est-ce que cela aurait été la bonne façon de procéder?

M. Phillips : Avec le respect que je vous dois, je dois dire que c'était clair à nos yeux : il était question d'orge. Peut- être ai-je mal compris votre question.

M. Nielsen : Il s'agissait clairement d'orge. Comme il y avait trois questions, il faudrait vérifier cela auprès du ministre Ritz, mais le ministre Strahl était obligé d'offrir les trois options. Il faudrait obtenir la précision auprès du ministre Ritz. Sur le total de 10 à 12 millions de tonnes d'orge produites dans l'Ouest du Canada, 2,8 millions de tonnes seulement passent par la CCB. Il y a dans l'Ouest du Canada un secteur de l'engraissement qui vit certaines difficultés, mais qui demeure dynamique. La seule orge que la Commission canadienne du blé a jamais prise en charge est celle qui était destinée au marché brassicole. L'an dernier, il y avait une occasion à saisir du côté du marché de l'engraissement; les acteurs privés du commerce des grains ont vu cette occasion-là et en ont tiré parti, mais ils ont passé par la Commission canadienne du blé pour faire transporter les tonnes d'orge en question. La Commission canadienne du blé ne prend en charge que 10 à 20 p. 100 de l'orge récoltée. Traiter avec elle est une véritable peine pour les producteurs d'orge, car il s'agit d'un si faible pourcentage de leur volume.

Le sénateur Mercer : Je reviens à un cours de sciences politiques auquel j'ai assisté il y a de nombreuses années de cela à l'université. À ce moment-là, un professeur m'a dit : les chiffres ne mentent pas, mais les menteurs leur font dire ce qu'ils veulent. Comme le sénateur Peterson l'a dit, les résultats dépendent des deux chiffres dont vous décidez de faire la somme. Je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites que l'élimination de la question 3 rendrait les choses plus claires. L'élimination de la question 2 permettrait de voir plus clairement ce que souhaitent les producteurs. Dans les médias, il y a eu des allégations fondées selon lesquelles un grand nombre de votants ont été éliminés de la liste tout juste avant le plébiscite.

M. Nielsen : Oui, c'est ce qui est arrivé au moment de la dernière élection d'administrateurs, et je crois que le projet de loi C-57 vise à régler ce problème-là. Il y a de nombreux producteurs qui votent à l'élection des administrateurs sans avoir de liens réels avec la production du grain, et le ministre, à l'époque, essayait de tirer la chose au clair. Nous voulons que le terme « producteur » soit défini. Comme le ministre Ritz l'a dit, vous ne voulez pas que votre banquier ou quelque autre intérêt particulier dispose d'un vote s'il n'a pas de lien direct avec la façon dont vous gérez votre entreprise. De nombreux agriculteurs ont besoin de terre et traitent avec de multiples propriétaires. Ceux-ci concluent une entente de fermage et louent leur terre en échange d'argent. Même si je verse de l'argent à un propriétaire pour lui louer sa terre, il n'a pas le droit de me dire comment diriger mes affaires. Si nous avons conclu un contrat de métayage qui fait qu'il assume une part du coût de la production de la récolte et qu'il est appelé à recevoir un revenu en contrepartie, il peut peut-être donner son avis, mais c'est délicat, ça aussi.

Pour dire les choses clairement, disons qu'il faut que ce soit de véritables producteurs qui figurent dans la liste des votants. Avec tout le respect que je vous dois, on ne veut pas d'un retraité qui, depuis l'Arizona ou la Floride, envoie son bulletin de vote à la CCB par la poste. Il n'est pas ici au pays à transporter son grain à un élévateur.

Le sénateur Mercer : C'est peut-être vrai, mais je ne sais pas si je suis chaud à l'idée que le ministre de l'Agriculture prenne lui non plus certaines de ces décisions-là. Il faut tirer la chose au clair. Ça vaut ce que ça vaut, mais je vous donnerai mon avis là-dessus. Il faut tirer la situation au clair dans la suite du débat sur la Commission canadienne du blé : ça va brasser en ville si nous ne sommes pas sûrs que chacun a son mot à dire.

J'ai apprécié que vous ayez parlé de l'idée de recruter des administrateurs de qualité. L'agriculture n'est pas une activité simple. Certains des meilleurs entrepreneurs qui soient dans le monde sont agriculteurs. Vous devez être brillant, étant donné que vous courez de plus grand risques financiers que quiconque. Vous courez plus de risques que n'importe quel type de Bay Street, tous les printemps, au moment d'ensemencer. Vous courez le risque toute l'année durant, dans un environnement qui échappe à votre volonté : on ne sait jamais à quoi va ressembler la météo. Nous avons déjà parlé à maintes reprises du fait que les choses peuvent très bien aller puis il y a une tempête de grêle à la mi- août, et, voilà, c'est fini. Les agriculteurs sont les administrateurs de qualité que vous recherchez, mais la présence de quelques personnes dûment nommées permettra de combler des lacunes. Ayant siégé à de nombreux conseils d'administration durant ma carrière, je sais que l'expertise additionnelle qui se trouve à la table ne provient pas forcément des administrateurs élus, qu'il s'agisse d'agriculteurs ou de personnes nommées. Ce sont les hauts dirigeants de l'entreprise et dans la mesure où vous faites un bon recrutement et versez un bon salaire, vous aurez droit à de bons conseils. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire que tous ces gens-là votent, mais le fait qu'ils soient présents, à donner des conseils de qualité, est inestimable. Je m'excuse d'avoir fait un discours.

Je m'inquiète de ce pas fait sur la pente qui mène au démantèlement de la Commission canadienne du blé, même si vous dites que ce n'est pas que ce soit perçu de cette façon-là, étant donné qu'il s'agit d'un domaine où jouent les perceptions. Combiner les résultats des questions deux et trois et s'en tenir à ce chiffre-là nous mènerait à la frange de la pente glissante menant au démantèlement de la CCB, qui a très bien servi les agriculteurs canadiens dans le passé. Certes, la Commission doit se muer en quelque chose, mais je ne suis pas spécialiste de ce domaine-là.

Vous attendez vos récoltes en ce moment. Qu'est-ce qui arrive s'il n'y a pas de Commission canadienne du blé et que, du fait d'une surabondance de grain et d'orge, le prix s'effondre? Le sénateur Gustafson m'a appris l'évolution du prix du blé. Quand je suis arrivé au comité, le prix d'un boisseau de blé s'élevait à 1,50 $. Il n'est plus à 1,50 $ aujourd'hui.

Qu'est-ce qui arrive si le prix de l'orge chute étant donné qu'il y a surabondance mondiale d'orge ou de blé? Qu'est- ce qui arrive si les producteurs partout dans le monde ont de bonnes récoltes?

M. Phillips : Avec ou sans la CCB, je ne crois pas que ce serait très différent. La Commission canadienne du blé vend le grain sur un marché mondial où nombreux sont ceux qui vendent le même produit. Qu'il y ait une Commission canadienne du blé ou une surabondance mondiale, la marée montante soulève tous les bateaux et, de même, lorsque le prix du blé baisse, tout le monde baisse ensemble.

Nous avons diversifié notre production pour ne pas produire que des récoltes prises en charge par la CCB, de manière à pouvoir gérer notre risque et avoir une activité plus rentable. La situation ne diffère en rien de celle qui se présenterait s'il y avait surabondance d'oléagineux avec mon canola, mon lin, mes pois, mes lentilles ou n'importe quelle autre de nos récoltes. Nous gérons tout ce risque-là nous-mêmes, en suivant les signaux en matière de prix, et nous mettons tout ce grain-là sur le marché nous-mêmes.

S'il y a surabondance mondiale d'orge, la CCB ne fera pas plus de progrès qu'un autre quand il s'agit d'obtenir un meilleur prix. Elle vend au prix du marché mondial en rivalisant avec l'Australie, le Brésil, l'Argentine, l'Europe et les États-Unis. C'est un marché mondial, même pour elle. Il n'y aurait pas une si grande différence de notre point de vue en tant que producteurs.

J'aimerais revenir aux questions du plébiscite et à l'idée de savoir s'il aurait fallu éliminer l'option deux. Cela a été débattu. Certaines personnes ont demandé justement si l'option 2 était une option valide. D'autres ont demandé s'il ne fallait pas plutôt éliminer la question 3 et ne laisser que les options 1 et 2, ce qui laisserait le monopole à la CCB ou installerait la CCB sur le marché libre avec tous les autres.

La question est de savoir si la Commission canadienne du blé peut évoluer sur un marché concurrentiel et ajouter de la valeur au profit des agriculteurs dans le contexte. Nous croyons qu'elle peut le faire. Il n'y a aucune raison de croire que la Commission canadienne du blé ne peut évoluer sur le marché libre tout comme la Commission australienne du blé. La Commission de commercialisation des producteurs de blé de l'Ontario rivalise avec le secteur privé. Je crois qu'elle a en main près de la moitié du grain en Ontario. Les agriculteurs veulent traiter avec elle parce qu'elle ajoute de la valeur.

Ce ne sont pas tous les agriculteurs qui veulent mettre en marché leur propre grain. Certains affirment : « Je cours suffisamment de risques en ce qui concerne le prix de mon canola, de mes pois et de mes lentilles. J'aime confier certains grains à la CCB pour que celle-ci prenne en charge la commercialisation. » Les agriculteurs qui souhaitent cela sont nombreux. C'est pourquoi nous ne disons pas qu'il faudrait éliminer la CCB. Nous disons que la Commission canadienne du blé doit être forte et qu'elle doit être présente, même sur le marché libre. Les gens veulent traiter avec elle.

La discussion que les responsables de la CCB n'entameront pas, c'est celle qui vise à savoir quels sont les moyens qu'il faut pour s'assurer d'être fort et concurrentiel sur un marché libre. Voilà le débat qui n'a jamais eu lieu. Nous avons demandé à la Commission canadienne du blé : ayons cette discussion-là. Cependant, elle craint que ce soit le début d'une pente glissante; si elle s'engage dans cette discussion-là, c'est comme si elle admettait devoir passer à un marché libre. C'est malheureux.

Le sénateur Mercer : Vous n'avez pas parlé de la question que j'ai soulevée à propos de la qualité des administrateurs et de la qualité des hauts dirigeants, qui aident la Commission à prendre ses décisions.

M. Phillips : Je vais revenir à l'époque où je siégeais au conseil d'administration des United Grain Growers. Nous étions cotés en Bourse et, subitement, il y a eu une offre publique d'achat hostile. En tant qu'agriculteurs- administrateurs, nous apportons beaucoup à l'organisation quant à savoir ce que l'entreprise devrait être, ce que souhaite le client. Nous étions chanceux de compter Jon Grant parmi nos rangs. Je ne sais pas si vous le connaissez, mais il siégeait à notre conseil, et il avait fait échec à une offre publique d'achat hostile de Lac Minerals.

Nous pouvions compter sur cette expertise extérieure, qui était absolument capitale. En tant qu'agriculteurs ancrés à nos fermes, quelle que soit notre attitude face au risque, quelles que soient nos qualités d'entrepreneur, nous n'avons pas cette expertise-là, ces antécédents-là, cette connaissance de certains des enjeux. Il est donc capital de pouvoir compter sur cette expertise-là.

Je vais parler de la haute direction. Si vous recrutez à l'extérieur des administrateurs pour votre conseil, c'est afin de pouvoir pousser vos hauts dirigeants à se remettre en question et de vous assurer qu'ils surveillent bien la situation, qu'ils agissent correctement et qu'ils s'assurent d'avoir en place des outils de gestion du risque appropriés. C'est difficile à évaluer si vous êtes agriculteur membre d'un grand conseil d'administration comme celui-là.

Il y avait un PDG du nom de Brian Hayward au conseil d'administration des United Grain Growers. Il trouvait des excuses pour expliquer pourquoi l'entreprise ne faisait pas d'argent ou ne bouclait pas son budget. Art Mauro, PDG du Groupe Investors, siégeait aussi au conseil. M. Hayward lui a dit : « C'est une entreprise unique. » M. Morrow a répondu : « Foutaises, jeune homme. Si je recevais un dollar chaque fois qu'un PDG dit qu'il ne fait pas d'argent parce que son domaine est unique, je serais riche. »

Il faut pouvoir compter là-dessus. En tant qu'agriculteurs, nous étions outrés. Comment peut-on s'adresser ainsi à un PDG? Tout de même, c'est ce qu'il vous faut à votre conseil d'administration, pour compléter le travail de vos agriculteurs-administrateurs, pour vous assurer que la direction est sur la bonne voie, qu'elle fait ce qu'elle est censée faire et qu'elle atteint les objectifs fixés.

M. Nielsen : Je suis d'accord avec ce que vous venez de dire. Chez Agricore United, nous comptions sur Allen Andreas, PDG d'Archer Daniels Midland à l'époque. Sa riche expérience a permis de faire des merveilles à ce conseil d'administration-là. Il a ajouté de la valeur et il a posé des questions de qualité là où il fallait le faire.

Tous les administrateurs de la Commission canadienne du blé ont assisté à une formation d'administrateur. J'ai pris le cours moi-même à l'époque où j'étais chez Agricore United. Si vous terminez le cours avec succès, vous recevez un « diplôme » qui dit que vous êtes administrateur breveté. C'est une séance très intense où vous êtes initié à la gouvernance d'une société, à la gestion des finances et aux responsabilités sociales. Je trouve cela frustrant, ayant pris le cours moi-même, de constater que certains des administrateurs de la CCB n'appliquent pas les leçons de ce cours-là.

C'est pourquoi il nous faut de solides administrateurs nommés, que ce soit un conseil consultatif conjoint qui choisit les administrateurs ou non. Il vous les faut au conseil, pour que vous puissiez compter sur leur expertise. Le conseil a déjà eu affaire à des questions politisées, et il nous faut de solides administrateurs qui ne s'immiscent pas dans la politique. Nous devons aller vers l'avant, vers l'avenir.

Au dernier sondage du groupe Gandalf, les agriculteurs ont été appelés à répondre à deux questions. On leur a demandé quelle option ils préféraient parmi deux approches de commercialisation de l'orge. Préféreraient-ils que ce soit uniquement la Commission canadienne du blé qui s'en charge ou préféreraient-ils le marché libre? Trois années sur dix, la CCB l'a emporté par une faible marge : cependant, sept années sur dix, y compris l'an dernier, c'est le régime du marché libre qui l'a emporté. L'an dernier, c'est à raison de 52 p. 100. C'est le sondage de la Commission canadienne du blé elle-même.

Le sénateur Callbeck : Vous dites que vous n'êtes pas en faveur du projet de loi S-228, mais que vous êtes en faveur du projet de loi C-56 et du projet de loi C-57, qui se trouvent à l'autre endroit.

Je veux vous poser une question au sujet du projet de loi C-57. En ce moment, d'après ce que j'en sais, pour voter en faveur d'un administrateur, il faut détenir un carnet de livraison. Avec le projet de loi C-57, ce ne serait plus là le critère. Il faudrait plutôt avoir produit 120 tonnes de grains au cours des deux dernières années. Si je vous pose la question, c'est que, en 2005, un comité a recommandé de fixer ça à 40 tonnes. Cent vingt tonnes, c'est trois fois plus que ce que recommandait le comité. Est-ce que cela veut dire que beaucoup de petits agriculteurs ne pourront voter?

M. Phillips : Je vais toucher un mot à propos de quelques questions, dont la suivante : comment voter aujourd'hui? Dans les carnets de livraison, les producteurs sont listés, ce sont des parties intéressées, des propriétaires terriens. Par exemple, si le sénateur Gustafson trépassait demain et laissait sa terre à ses six enfants, les six auraient un bulletin de vote, que ce soit un enseignant à Kelowna, en Colombie-Britannique, ou un producteur local. Tous les noms listés se voyaient attribuer un bulletin de vote.

L'autre façon est la suivante : si vous n'avez pas de carnet de livraison, vous pouvez jurer sous serment que vous êtes agriculteur et obtenir un droit de vote. Par conséquent, quiconque n'a pas de carnet de livraison pourrait toujours voter. C'est ce qui arrive aujourd'hui.

Au cabinet du ministre Alcock, j'ai contribué de manière importante à la mise sur pied du comité qui a recommandé les 40 tonnes. Le cabinet du ministre a recommandé quant à lui 120 tonnes.

Je crois que nous pourrions vivre avec l'une ou l'autre de ces exigences. Les 120 tonnes nous paraissent un peu plus réalistes s'il s'agit de ce que nous appelons un « agriculteur commercial ». En tant qu'organisation, nous essayons de dire : « quiconque gagne l'élection à la Commission canadienne du blé gagne l'élection. Cependant, faisons en sorte que ce soit de véritables producteurs, qui tirent leur subsistance de l'agriculture, qui ont le droit de vote. » Comment en arriver là? Quarante tonnes, c'est très faible. Seule une petite ferme d'agrément produirait une telle quantité.

Nous essayons de nous éloigner d'une situation où il y a des parties intéressées qui n'ont pas de ferme ou qui ont seulement une petite ferme d'agrément, et nous disons : quelle est la quantité de grains minimale qu'il faut produire? Le sénateur Peterson et le sénateur Gustafson proviennent de la Saskatchewan. Ils savent que 120 tonnes de grains représentent grosso modo un quart de section. On peut encore être un agriculteur qui a une activité modeste et produire tout de même 120 tonnes de grains aujourd'hui. Même cela, c'est mettre la barre assez bas, selon les normes d'aujourd'hui.

M. Nielsen : En règle générale, si vous avez produit 120 tonnes sur une période de deux ans, vous n'êtes pas agriculteur : votre activité n'est pas économiquement viable, si vous ne produisez que cela. Il vous faudrait un métier en dehors de la ferme. Dans ce sens-là, vous n'êtes pas vraiment agriculteur.

Le sénateur Callbeck : Cela me semble étrange, qu'un comité recommande 40 tonnes, mais que la loi fixe cela à 120 tonnes.

M. Nielsen : Le comité a entendu toutes sortes d'avis. Je sais que les Grain Growers of Canada ont comparu. Les cultivateurs de blé voulaient fixer cela à 500 tonnes plus un droit de vote pour telle quantité de tonnes une fois les 500 tonnes dépassées. Pour résumer, c'est le chiffre auquel ils sont arrivés à ce moment-là.

M. Phillips : Nous pourrions probablement vivre avec l'un ou l'autre des critères, comme les Grain Growers of Canada. Fixer cela à 40 tonnes a pour effet d'éliminer 30 à 40 p. 100 des noms de la liste des votants, le sénateur Mercer a dit tout à l'heure qu'elle avait été réduite. Je crois que le pourcentage est un peu plus élevé si on fixe le critère à 120 tonnes, mais ce n'est peut-être pas significatif. Le critère permet d'éliminer beaucoup de gens qui s'adonnent vraiment à l'agriculture, qu'il s'agisse de 40 tonnes ou de 120 tonnes.

M. Nielsen : Encore une fois, on permet toujours aux gens, s'ils veulent voter, de faire une déclaration solennelle et d'affirmer qu'ils ont une participation dans la ferme. On ne vous envoie pas le bulletin par la poste, mais vous pouvez demander de l'obtenir.

Le sénateur Callbeck : Si vous produisez moins de 120 tonnes, vous pouvez toujours voter?

M. Nielsen : Je m'excuse, si ce projet de loi-là était adopté, non, mais...

M. Phillips : L'enjeu, c'est les listes de votants. Il n'y a pas vraiment une bonne liste qui existe. La meilleure liste de votants, c'est celle qui recense les gens qui présentent des revenus agricoles, mais Revenu Canada ne veut pas divulguer l'information pour des raisons liées à la protection des renseignements personnels.

Si vous prenez la liste de la Commission canadienne du blé et que vous envoyez un bulletin de vote à tous les gens qui détiennent un carnet de livraison et qui livrent 120 tonnes de grains par année ou plus, il y aura beaucoup de gens qui vont être éliminés, des gens qui ne produisent pas tant de grains. Si Jeff Nielsen n'a pas de carnet de livraison et qu'il produit quand même 120 tonnes de grains, il peut encore obtenir un bulletin de vote en faisant une déclaration devant notaire. Quiconque n'a pas de carnet de livraison pourrait encore obtenir un bulletin de vote et voter, dans la mesure où il répond aux critères minimaux.

Le sénateur Callbeck : Fixer cela à 120 tonnes aura pour effet d'éliminer de nombreux noms de la liste, ce qui aura un effet sur le vote — voilà l'essentiel. J'aurais tendance à croire que ceux qui se trouvent dans la strate la plus basse seraient en faveur de la Commission canadienne du blé.

M. Nielsen : On peut faire valoir cela, mais, en fin de compte, il faut revenir au fait que nous souhaitons avoir une Commission canadienne du blé fructueuse qui travaille pour la majorité des producteurs. Si on songe à ceux que vous avez entendus, le ministre Ritz, M. Banack et le président Hill, il faut dire qu'ils ont tous une grande exploitation — enfin, M. Ritz en a eu une à un moment donné. Pour réussir en agriculture, il faut de grandes terres qui permettent de produire les grains et il faut diversifier les récoltes pour équilibrer le risque couru. Certains agriculteurs choisissent d'élever du bétail pour le faire. Je vais m'aventurer en affirmant qu'on ne peut vivre avec un maigre quart de section.

M. Phillips : À qui voulons-nous laisser le soin de tracer le chemin que nous prenons en agriculture? Je crois que nous voulons que ce soit les entreprises agricoles commerciales. Qui sont les gens qui vont faire en sorte que l'industrie va croître et prospérer? Ce ne sont pas les gens qui produisent moins de 120 tonnes ou 40 tonnes. Les gens qui ne produisent que cette quantité ne feront pas croître l'industrie à l'avenir. Ce ne sont pas des fermes commerciales.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Phillips, vous avez parlé de l'importance d'une solide Commission. Si le gouvernement intègre progressivement des produits du grain au marché libre et qu'il y a moins de gens qui traitent avec la CCB, est-ce que cela ne va pas affaiblir la Commission? Ne sera-t-il pas plus difficile pour la Commission canadienne du blé de rivaliser avec les multinationales?

M. Phillips : Il n'est pas juste d'affirmer que ce sont les petits agriculteurs qui soutiennent la CCB. Nous constatons des appuis à l'égard de la Commission canadienne du blé jusque chez les très gros agriculteurs. Les gens seront nombreux à vouloir traiter avec la Commission. Il faut montrer qu'elle ajoute à la valeur — voici ce que nous pouvons faire pour vous, si vous décidez de traiter avec nous.

La CCB dispose de plusieurs outils que le secteur privé ne possède pas. Elle compte sur certaines garanties de l'État et sur la capacité de mettre en commun les prix, de sorte que l'agriculteur n'a pas à se soucier de cela. Il peut choisir le prix commun.

Elle compte des forces dont beaucoup d'agriculteurs, les petits comme les grands, voudront toujours tirer parti. C'est pourquoi il y a environ 40 p. 100 des agriculteurs qui souhaitent traiter uniquement avec la Commission canadienne du blé. Celle-ci compte toute une clientèle qui continuera de traiter avec elle, de sorte que cette force-là à la Commission ne sera pas transférée au secteur privé.

Il y a des gens qui ne veulent plus traiter avec la CCB; laissez-les donc se tourner vers le secteur privé. Il vous faut encore une Commission qui soit solide et efficace. Elle ne peut essayer de fonctionner et, en même temps, être émasculée dans le monde dans lequel nous vivons. Nous aimerions que la CCB s'engage dans une discussion là-dessus, sur les outils qu'il faudrait peut-être pour s'assurer de demeurer solide même sur un marché libre. Qu'est-ce qu'il faut au juste? C'est cela, le genre de discussion que nous aimerions vraiment avoir.

Le sénateur Callbeck : Croyez-vous que la CCB aura de la difficulté à rivaliser avec les multinationales?

M. Phillips : Nous ne parlons que de l'orge, qui représente 15 p. 100 de son volume. Elle aura encore le monopole sur le blé, qui représente 85 p. 100 de son volume. La Commission canadienne du blé sera une solide entité. La question est : peut-elle rivaliser sur le marché de l'orge?

Je dirais qu'elle a une avance énorme sur les multinationales. Elle a une liste de contacts de tous ceux qui ont acheté de l'orge chez elle depuis 20 ans, ce que le secteur privé n'a pas. Ces ventes bénéficient de garanties de l'État. Dans certaines des cultures où on fait affaire, surtout en Asie, ce sont les relations qui comptent. Il faut du temps avant de réaliser une vente parce qu'il faut nouer une relation. La CCB a déjà toutes ces relations-là. Elle est bien en avance sur le secteur privé, et je crois qu'elle représenterait un très solide concurrent.

M. Nielsen : Du côté de la manutention, les entreprises céréalières jouent du coude. Il faut que ça roule pour elles, que ce soit au port ou ailleurs. Si la CCB annonce qu'elle a une cargaison de 100 000 tonnes à destination d'Arabie Saoudite et demande qui veut soumissionner, vous pouvez savoir que ça ne va pas tarder. L'entreprise qui l'emporte pourra alors aller chercher le grain chez les producteurs et le faire passer par chez elle. La concurrence pour le transport du grain sera phénoménale.

Le sénateur Gustafson : Notre comité sénatorial appuie vivement les agriculteurs. Comme les agriculteurs, nous ne sommes pas d'accord sur toutes les questions, mais, ce matin, je crois que nous avons tous trouvé vos vues rafraîchissantes, surtout celles des jeunes agriculteurs — je ne sais pas où est la limite, mais je vous considère comme de jeunes agriculteurs — et c'est là une chose positive.

Mes questions portent sur la situation mondiale et sur ce que vous y trouvez. Je sais que vous êtes branchés sur les ordinateurs et que vous suivez probablement ces choses-là de plus près que la plupart des gens. Dans l'économie mondiale, nous entendons parler de pénuries alimentaires, de pénuries de grains et de coûts d'intrants élevés. Que voyez-vous dans l'économie mondiale et comment croyez-vous que les choses vont évoluer?

M. Nielsen : C'est une question très intéressante dont je pourrais probablement parler toute la journée. Nous oeuvrons dans un milieu qui évolue à un si grand rythme. Cela peut nous ramener à la question de la Commission canadienne du blé et de l'orge. Nous ne voyons pas les avantages et la croissance, du côté de l'orge, que nous verrions s'il y avait des changements sur ce point-là.

Regardez donc les États-Unis et l'Est du Canada, où il y a beaucoup de maïs qui est cultivé. Vous verrez que la croissance phénoménale qui marque ce secteur est attribuable à la recherche sur les plantes et aux croisements. Ça ne s'est pas fait dans le cas de l'orge.

Ce que nous pouvons faire dans le monde, ce que nous pouvons faire au Canada aussi, c'est cultiver beaucoup plus de grains. Tout de même, comme certains des témoins respectés qui ont passé avant moi l'ont dit, nous sommes bloqués. Il faut dépenser beaucoup d'argent pour en arriver au point où nous pouvons exporter notre produit. Les frais de transport sont élevés et, comme nous devons en tirer notre subsistance, il est difficile pour nous de tenir lieu de grenier au monde entier. Il nous faut obtenir un bon rendement.

Nous essayons d'ajouter de la valeur à nos grains ici même et de diversifier; ensuite, espérons-le, nous pouvons ajouter de la valeur au profit des autres pays, au moyen de la recherche et du développement, et nous devons les encourager à cultiver davantage de leur côté.

M. Phillips : Je veux parler un peu du débat sur les aliments par rapport au débat sur le carburant, qui renvoie à un problème mondial.

À mon avis, et je crois que quelqu'un l'a déjà affirmé, le meilleur remède qu'on puisse trouver au prix élevé des grains, c'est le prix élevé des grains. Cela stimulera la production, de sorte qu'une partie du problème se réglera rapidement. L'industrie du biocarburant l'a affirmé clairement : ce ne sont pas que les biocarburants qui poussent à la hausse le prix du grain, c'est aussi la spéculation sur les pénuries. Nous croyons que le prix de base de la plupart de nos grains sera relativement plus élevé pour des années à venir.

La dernière fois que nous avons témoigné, vous nous avez interrogés à propos du prix du porc. Nous avons eu l'audace de prédire que la situation se renverserait. J'aimerais signaler que le prix du porc a augmenté dès le lendemain.

Le sénateur Gustafson : Dans votre déclaration d'ouverture, vous avez mentionné la Banque de céréales vivrières du Canada, qui envoie des aliments dans les pays du tiers monde et qui abat un travail incroyable. Pouvez-vous faire le point sur sa situation?

M. Phillips : C'est un organisme auquel les agriculteurs font des dons de grain. N'importe quel agriculteur au Canada peut aller à son élévateur à grain et faire don d'une partie de sa récolte. Cette partie-là est alors transférée à la Banque de céréales vivrières, qui s'en sert alors pour recevoir une aide de l'ACDI à raison de quatre parts pour une, en vue de livrer de l'aide alimentaire n'importe où dans le monde.

Nous aimerions remercier toutes les personnes ayant travaillé pour délier l'aide alimentaire. Les agriculteurs font don de céréales à la Banque de céréales vivrières du Canada, mais le coût de transport du grain à l'étranger de nos jours est trop élevé, et le temps que le grain met à arriver sur place en cas de crise en Éthiopie est trop long. Le fait de délier l'aide alimentaire a profité énormément à tous ceux qui travaillent à cela au sein de la communauté internationale.

Plus nous utilisons de nos moyens en tant que Canadiens pour soutenir les marchés locaux en Afrique, afin de renforcer la situation des agriculteurs africains, leur base agricole, plus nous aidons les gens qui se trouvent au bas de l'échelle. Plus nous faisons cela dans le monde, meilleur sera le monde que nous allons léguer à nos enfants.

Le sénateur Gustafson : Si un agriculteur fait don d'un boisseau, que fournit le gouvernement?

M. Phillips : L'ACDI fournit jusqu'à 20 millions de dollars en dons en raison de quatre parts pour une.

Le sénateur Gustafson : Autrement dit, le gouvernement donne quatre boisseaux pour le boisseau donné par l'agriculteur.

M. Phillips : Oui. Quand j'ai travaillé à la Banque de céréales vivrières du Canada, il y a un agriculteur de l'Alberta qui a fait don d'un quart de section de terre. J'ai dit : c'est généreux, mais pourquoi? Il a dit qu'il avait payé des impôts au gouvernement fédéral pendant toute sa vie et que, de cette façon, selon lui, le gouvernement aurait à remettre tous les ans les impôts à payer en rapport avec ce lopin de terre, et qu'il en ferait bon usage. Si je voulais que les agriculteurs de l'Alberta fassent tous don de leur terre, cet argument-là ferait partie de ma campagne de persuasion.

Le sénateur Gustafson : La Banque de céréales vivrières du Canada est une ONG que le gouvernement précédent tenait en haute estime. Je suis certain que le gouvernement en place aujourd'hui a le même avis sur la Banque de céréales vivrières du Canada.

Le sénateur Peterson : Connaissez-vous la répartition des ventes de la Commission canadienne du blé aux sociétés de transport par rapport aux pays souverains? Vous dites que la CCB vend beaucoup aux sociétés de transport, sinon ce sont elles qui l'achètent lorsqu'il y a une mise aux enchères.

M. Phillips : La CCB n'a pas d'installations à proprement parler. Cependant, s'il y avait un marché libre et qu'elle n'était pas propriétaire d'élévateurs à grain, selon l'estimation, elle prendrait en charge, par exemple, 75 p. 100 du tonnage d'orge destinée aux brasseries. Ce serait donc tant de tonnes. Elle ferait un appel d'offres, et les céréalières soumissionneraient sur le droit de prendre en charge le tonnage de la CCB.

C'est un modèle possible, mais ce n'est pas vraiment là où vous vouliez en venir.

Lorsque le ministre a témoigné, il a parlé du fait que les sociétés de transport vendent des grains de la CCB directement à l'étranger et aussi que la CCB le fait parfois elle-même. Seule la CCB dispose de ces statistiques internes. Par exemple, Parish & Heimbecker, une petite entreprise canadienne, a peut-être des liens avec la General Mills à Minneapolis; elle pourrait vendre directement du blé ou de l'orge provenant de la CCB. Dans un tel cas, elle achèterait le produit à la CCB, puis le vendrait. Je ne sais pas quel est pourcentage des ventes que réalise directement la CCB par l'entremise de ses agents autorisés. Je ne connais pas la répartition.

M. Nielsen : Toutes les céréalières qui vendent du blé et de l'orge de la CCB pour exportation sont des agents de la CCB et sont installées au Canada, qu'elles appartiennent à des intérêts américains ou canadiens. C'est établi comme cela dans la Loi sur la Commission canadienne du blé. Ces entreprises-là ont des vendeurs pour le canola, les légumineuses à grains, l'avoine et ainsi de suite. Si elle fait un marché pour vendre de l'avoine au Japon, l'acheteur peut affirmer qu'il souhaite aussi obtenir telle quantité de blé. L'entreprise travaillerait au nom de la CCB à vendre ce blé-là à l'acheteur. Elle obtiendrait un prix de la CCB et faciliterait la conclusion de l'entente, étant donné qu'elle est un agent agréé de la Commission canadienne du blé.

Le sénateur Peterson : Si la CCB réalise une vente importante à la Chine, de l'ordre de deux millions de tonnes, est-ce elle qui prend les dispositions pour que le transport se fasse?

M. Nielsen : La Commission canadienne du blé peut s'adresser aux producteurs et signer des contrats qui lui permettent d'acheter du blé de certaines qualités. Puis, elle réalise la vente et demande aux responsables des élévateurs de faire acheminer à leurs installations, pour l'exportation, une certaine quantité de blé. Conformément à la Loi sur la Commission canadienne du blé, vous recevez des frais de manutention de la part des producteurs en rapport avec les installations qui prennent en charge le grain au nom de la Commission canadienne du blé.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez affirmé que la Commission australienne du blé est concurrentielle. Y a-t-il d'autres pays dans le monde qui fonctionnent de manière plus sûre que l'Australie, sinon l'Australie est-elle un bon exemple?

M. Phillips : L'Australie est un assez bon exemple. Elle compte un petit marché intérieur aussi bien qu'un marché d'exportation. Il y a des monopoles de types variables dans de nombreux pays. La Nouvelle-Zélande compte une coopérative qui est la propriété des producteurs pour l'exportation des produits laitiers. Elle s'appelle Fonterra. D'autres pays ont des fragments de monopoles, mais il reste encore bon nombre d'entreprises d'État qui s'adonnent au commerce dans le monde.

Tout de même, l'Australie serait un exemple. Fonterra de la Nouvelle-Zélande représenterait une version plus moderne de commission de commercialisation pour les producteurs.

Le sénateur Mahovlich : Qu'en est-il de la Russie?

M. Phillips : Je ne crois pas que la Russie ait un organisme d'État exportateur. Tout de même, il se peut que je me trompe sur ce point.

La présidente : Merci beaucoup. Nous avons eu droit à une très bonne discussion, une discussion très utile. Je crois que vous avez tous les deux un dernier mot à dire.

M. Phillips : Les gens s'inquiètent, et il y a toujours de la peur face au changement. Lorsque l'avoine a été éliminée du champ d'action de la Commission canadienne du blé, cette industrie-là a connu une croissance fulgurante. Nous avons vu des installations de transformation, qui ajoutent de la valeur, naître dans les Prairies. Des agriculteurs ayant l'esprit d'entreprise se sont unis, ont trouvé des marchés et ont ajouté de la valeur au produit. C'est une réussite extraordinaire dans les Prairies.

Nous constatons aussi que, maintenant, trois millions de tonnes ont été ajoutées à la capacité de maltage mondiale dans le cas de l'orge. Il n'y a rien de cela qui se construit au Canada, pas même pour une tonne, étant donné que les malteurs ne veulent pas investir ici tant qu'ils n'auront pas la capacité d'analyser leurs besoins et d'acheter directement le produit à l'agriculteur. Tant que les producteurs ne pourront traiter directement avec les entreprises brassicoles, en dehors de la Commission canadienne du blé, aucune malterie ne sera construite. L'industrie a lancé un message parfaitement clair sur ce point. Le Canada cultive une orge brassicole qui figure parmi les meilleures qui soient dans le monde; il est dommage qu'il ne se fasse pas ici de transformation de l'orge qui est une source de valeur ajoutée.

La Commission canadienne du blé est-elle en mesure d'évoluer sur un marché libre? En regardant les Prairies, je dirais que d'autres coopératives agricoles sont en mesure de le faire. Il y a les United Farmers of Alberta, qui est une très grande organisation, qui vend du carburant et du matériel agricole. Elle rivalise directement avec le secteur privé. La Federated Co-operatives Limited, qui dirige une des grandes sociétés de l'Ouest du Canada, rivalise avec Wal-Mart et Canadian Tire; elle affronte directement ces sociétés-là.

Nous voyons les coopératives de crédit et les caisses populaires qui sont en mesure d'évoluer sur le marché libre. Vous redoutez de pouvoir traiter avec les grandes entreprises céréalières? Essayez donc de traiter avec les grandes banques. Néanmoins, ces organismes réussissent.

Nous pouvons citer l'exemple de coopératives qui évoluent sur le marché libre partout au Canada, dans tous les secteurs, et cela tient au fait qu'elles rendent des services et ajoutent de la valeur. Les gens n'ont pas à traiter avec elles, mais ils choisissent de traiter avec les coopératives.

Selon nous, dans la mesure où la Commission canadienne du blé s'y met, elle pourra abattre le même travail que ces coopératives, et ce, en remportant un franc succès.

M. Nielsen : Je me fais l'écho de M. Phillips, surtout pour ce qui touche l'orge et l'orge brassicole. À l'une de nos malteries en Alberta, l'acheteur de céréales peut s'installer sur le toit et avoir dans sa mire des centaines d'acres d'orge cultivée tout autour, mais il ne peut acheter une seule acre, étant donné que les producteurs en question ne souhaitent pas passer par la Commission canadienne du blé. Or, l'entreprise a construit la malterie au pays de l'orge pour pouvoir s'approvisionner.

Je dois cultiver ma relation avec le malteur, indépendamment de l'entreprise dont il s'agit, et mettre en place les contrats que je veux pour savoir ce que je peux obtenir du point de vue de la qualité, de la quantité et du prix. Je peux remettre ces données-là au banquier, organiser mon financement pour l'année et faire le travail.

Je ne peux travailler en fonction des scénarios possibles donnés quant au prix dans les perspectives de rendement de la CCB. Je négocie les contrats pour la vente de mes légumineuses à grains et de mes oléagineux. Peut-être que je n'obtiendrai pas le prix maximum du marché; souvent, je n'y arrive pas. L'an dernier, j'ai obtenu 8,25 $ le boisseau de canola au moment de le vendre. Quand je suis arrivé à l'élévateur, le boisseau se vendait à 13 $ l'unité. Au moment où je préparais mon plan financier, je voyais que c'était rentable à 8,25 $ le boisseau. Cette année, j'ai négocié la vente d'une part de canola pour plus de 13 $ le boisseau, alors j'ai hâte de m'y remettre.

Je compte sur vous pour soutenir les projets de loi qui se trouvent actuellement à la Chambre des communes, qui reflètent mieux la volonté réelle des producteurs.

Je vous rappellerai que l'orge est une récolte mineure du point de vue de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Elle peut encore y ajouter de la valeur si elle choisit de le faire, mais, en ce moment, elle impose une grande restriction.

La présidente : Merci. Nous avons eu une très bonne discussion aujourd'hui. Nous sommes heureux du fait que vous êtes venus témoigner et que vous nous avez accordé un peu de votre temps. Nous avons beaucoup appris.

La séance est levée.


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