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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)


Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme

Fascicule 2 - Témoignages du 28 janvier 2008


OTTAWA, le lundi 28 janvier 2008

Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, auquel a été référé le projet de loi S-3, Loi modifiant le Code criminel (investigation et engagement assorti de conditions), se réunit aujourd'hui à 13 heures pour étudier le projet de loi.

Le sénateur David P. Smith (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue. La réunion d'aujourd'hui sera enregistrée par CPAC pour être diffusée à une date ultérieure.

Nous accueillons aujourd'hui trois groupes différents de témoins. Le premier représente les trois paliers de corps policiers canadiens sous la conduite Dewar M. Mike McDonell, commissaire adjoint, Enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale, Gendarmerie royale du Canada. M. William Blair, qui est chef des Services de police de Toronto, représente l'Association canadienne des chefs de police et M. Vince Hawkes, commandant provincial, Police provinciale de l'Ontario.

Nous allons d'abord permettre au commissaire adjoint McDonnell de prendre la parole puis nous passerons aux autres témoins.

Commissaire adjoint Mike McDonell, Enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale, Gendarmerie royale du Canada : J'aimerais remercier les honorables sénateurs du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme de nous offrir l'occasion de nous entretenir avec vous aujourd'hui. Je comparais à deux titres, non seulement comme gendarme de la GRC responsable des Enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale à l'échelle du Canada mais également comme coprésident du Comité sur l'antiterrorisme et la sécurité nationale de l'Association canadienne des chefs de police. À ce titre, je suis accompagné du chef William Blair, l'autre coprésident, et du commandant provincial Vince Hawks, qui est membre de notre comité.

J'aimerais aujourd'hui vous présenter la perspective de la GRC à l'égard du projet de loi S-3 et les raisons pour lesquelles nous appuyons ce projet. La GRC a toujours assumé un rôle dans le maintien de la sécurité nationale. Si le cadre législatif entourant ce rôle a évolué avec le temps, nous avons toujours eu la responsabilité d'enquêter sur les infractions à la sécurité nationale aux termes de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Aujourd'hui, nous effectuons ces enquêtes de façon intégrée en collaborant avec nos partenaires policiers municipaux et provinciaux, comme en témoigne la composition du groupe qui comparaît aujourd'hui devant vous.

La menace du terrorisme n'a pas débuté avec les attaques du 11 septembre 2001. Le pire attentat terroriste qu'ait connu le Canada remonte au 23 janvier 1985 avec l'attaque à la bombe contre le vol 182 d'Air India. La menace a existé de tout temps. La question, c'est de savoir comment réagir face à celle-ci.

[Français]

Permettez-moi de reprendre un cliché : la question n'est pas de savoir si l'attaque surviendra mais quand cela va arriver. La menace est là, tapie au cœur de nos sociétés. La radicalisation locale existe bel et bien au Canada. On l'a observé chez les 18 individus arrêtés à Toronto en juin 2006. On l'avait aussi observé chez Momim Khawaja qui avait été arrêté à Ottawa en 2004.

[Traduction]

La Loi antiterroriste de 2001 n'a pas modifié le mandat de la GRC à l'égard de la sécurité nationale. Cette loi n'a fait qu'élargir l'éventail d'options dont disposent les forces policières pour contrer la menace terroriste. Parmi ces options, on compte les audiences d'investigation et les engagements assortis de conditions. La GRC a participé à la révision de la Loi antiterroriste et a pris connaissance du rapport intérimaire du sous-comité de la Chambre chargé de cette révision, qui recommandait la prorogation des mesures d'audiences d'investigation et d'engagement assorti de conditions.

Nous avons été déçus de voir que le Parlement n'a pas renouvelé ces mesures lorsqu'il en a reçu la recommandation. Le Canada demeure toujours sous la menace du terrorisme, comme en témoignent les récentes arrestations à Toronto dont j'ai parlé. La menace qui se pose à nous est en évolution constante. Comme personne ne peut prédire avec précision la nature de la menace que nous affronterons demain ou dans cinq ans, il est important de disposer d'autant d'instruments pragmatiques possibles pour aborder de manière efficace les menaces actuelles et futures. Comme le ministre de la Justice, Robert Nicholson, l'a mentionné lors de sa comparution devant votre comité en décembre dernier, ces dispositions s'inspirent en partie des pouvoirs analogues en vigueur dans d'autres pays, comme la procédure de grand jury aux États-Unis et la Loi sur le terrorisme de 2000 au Royaume-Uni. Cela dit, les mesures d'audiences d'investigation et d'engagement assorti de conditions dont dispose le Canada sont d'une portée et d'une implication beaucoup plus limitées. De plus, elles sont assorties de précautions dans la mesure où elles nécessitent l'autorisation du procureur général avant de pouvoir être exercées, et elles peuvent être assujetties à une révision judiciaire.

On a longuement insisté sur le fait que la GRC n'a jamais appliqué aucune de ces mesures. Il y a plusieurs raisons à cela. Et la première est la plus importante. Elle tient au fait que la GRC reconnaît le caractère extraordinaire de ces mesures, qui devaient à l'origine n'être appliquées que dans des circonstances exceptionnelles. C'est pourquoi nous avons toujours fait preuve de retenue à leur égard. S'il y avait une autre façon d'aborder une menace terroriste sans recourir à ces dispositions, il était évident que nous privilégions cette autre méthode. C'est parce que la GRC prend ces mesures très au sérieux que nous n'avons pas demandé d'y recourir plus fréquemment.

Une autre raison expliquant que nous n'ayons jamais recouru à ces mesures tient au fait qu'à notre avis, elles ont des visées très spécifiques. Elles ont trait à des circonstances très précises pour lesquelles aucun autre recours ne serait efficace. Nous n'avons jamais eu l'intention de les appliquer dans chaque enquête sur la sécurité nationale ou de les envisager comme des mesures ordinaires. Nous ne nous sommes pas souvent trouvés dans des situations où il nous semblait que ces dispositions étaient le seul recours.

La dernière raison pour laquelle ces dispositions n'ont jamais été appliquées est que le Procureur général du Canada doit donner son consentement préalable à leur recours. Dans la pratique, un dialogue intensif a lieu entre la police et l'avocat de la Couronne lorsqu'on envisage l'application de l'une ou l'autre de ces dispositions. En fin de compte, la décision ultime revient au procureur général, pas à la police.

Si aucune de ces dispositions n'a été appliquées jusqu'à maintenant, cela ne veut pas dire que nous n'avons pas envisagé un tel recours. Dans nos enquêtes relatives à la sécurité nationale, la question de savoir s'il faut y recourir ou non revient régulièrement. Elles constituent l'une des options que nous évaluons quant au bien-fondé, au même titre que les autres mesures d'enquête. Comme les membres de votre comité le savent probablement, on a demandé une ordonnance pour une audience d'investigation dans le cadre de l'enquête sur l'attentat contre le vol d'Air India, mais en définitive, l'audience n'a pas eu lieu. Les audiences d'investigation, en particulier, sont importantes pour la police dans la mesure où elles peuvent nous aider à inciter des témoins récalcitrants à se manifester. Comme aucune audience d'investigation n'a eu lieu, il est trop tôt pour conclure qu'elles seraient toujours efficaces. Mais il est également trop tôt pour conclure qu'elles ne le seraient jamais. Nous ne saurons pas à quoi nous en tenir d'ici à ce qu'on y ait recours.

Dans le débat entourant la prorogation de ces dispositions, on a beaucoup insisté sur le fait que les audiences d'investigation ne devraient servir qu'à des fins préventives. D'après nous, il y a lieu de nuancer. Si un enquêteur a des raisons de croire qu'une personne sait quelque chose au sujet d'un attentat terroriste antérieur, et que durant une audience d'investigation le témoin implique plusieurs personnes qui complotent un attentat futur, l'audience sert à la fois à des fins d'enquête et de prévention. L'investigation sur des incidents terroristes antérieurs peut nous aider à prévenir des attentats à venir.

La GRC et l'Association canadienne des chefs de police appuient la prorogation des dispositions sous leur forme modifiée tel que précisé dans le projet de loi S-3. Comme je l'ai mentionné plus tôt, je suis persuadé que la GRC ne demanderait jamais la tenue d'une audience d'investigation si elle pensait être en mesure d'obtenir les renseignements d'une autre façon. Par conséquent, les nouvelles exigences précisées dans le projet de loi sont conformes à la façon dont nous considérons le recours aux audiences d'investigation.

La fonction fondamentale du gouvernement est le maintien de la sécurité de ses citoyens. Ces dispositions ne sont qu'un instrument dont dispose la police pour aborder la menace terroriste, mais ce sont des outils importants. Comme je l'ai mentionné, le fait que nous n'y avons jamais eu recours jusqu'à maintenant ne signifie pas que nous n'en aurons pas besoin à l'avenir. Sans elles, nous avons moins de souplesse pour répondre aux menaces actuelles et émergentes.

Je cède maintenant la parole à mes collègues, qui ont d'autres remarques à formuler.

William Blair, chef, Service de police de Toronto, Association canadienne des chefs de police : Au Canada, du moins en Ontario et à Toronto, les services de police fédéraux, provinciaux et municipaux travaillent en étroite collaboration en vertu d'un modèle d'intervention intégré dirigé par la GRC et nos équipes intégrées de la sécurité nationale. Je ne peux pas parler pour mes collègues provinciaux, mais les services municipaux présentent une position unifiée parce que la réaction de la société à la menace terroriste est également unifiée.

Le président : Monsieur Hawkes, avez-vous des observations à ajouter?

Vince Hawkes, commandant provincial, Police provinciale de l'Ontario, Association canadienne des chefs de police : Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a déjà été dit; il est vrai que nous fonctionnons de façon complètement intégrée. Aucune de ces enquêtes sur la sécurité nationale n'est menée sans l'aide de la GRC et de l'équipe intégrée de la sécurité nationale. Nous appuyons fortement le projet de loi S-3, du point de vue de la PPO et de la province.

Le président : La première question sera posée par le sénateur Baker, de Terre-Neuve.

Le sénateur Baker : Ma question s'adresse à M. McDonell, et porte sur son affirmation de tout à l'heure, selon laquelle il appuie le nouveau projet de loi afin d'inclure les mots « par d'autres moyens » au sous-alinéa 83.28(4)a)(iii). Il est bref, et dit ce qui suit : « que des efforts raisonnables aient été déployés pour obtenir par d'autres moyens les renseignements visés au sous-alinéa (ii) ».

M. McDonell a par la suite dit qu'il appuie cet amendement parce que la police ne demanderait pas une ordonnance à un juge en vue d'obtenir une audience d'investigation si elle avait pu obtenir les renseignements par d'autres moyens.

En incluant les mots « par d'autres moyens » dans le projet de loi, qui ne s'y trouvaient pas auparavant, on force les autorités policières à tenter de trouver d'autres moyens. Comme M. McDonell le sait sans doute grâce à son expérience des poursuites intentées en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, cette phrase exige également que les policiers qui souhaitent obtenir une ordonnance d'un juge pour tenir une audience d'investigation, prouvent dans leur affidavit, dans leur demande d'ordonnance, qu'ils ont bel et bien considéré l'utilisation d'autres moyens et qu'il est impossible d'obtenir les renseignements nécessaires par d'autres moyens.

Selon le projet de loi initial, les renseignements ne pouvaient pas être obtenus par la personne. C'est maintenant complètement différent. Ici, il faut que les renseignements n'aient pas pu être obtenus de la personne mais par d'autres moyens.

Ma question comporte deux aspects : la nouvelle exigence prévue dans le projet de loi est-elle lourde, puisqu'il existe une importante jurisprudence contenant ces mêmes mots dans le cas de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et de certains autres articles du Code criminel portant sur les autorisations demandées, par exemple, pour fouiller les cabinets d'avocats?

À quel point cette exigence est-elle lourde, « par d'autres moyens », et comment pouvez-vous appuyer une disposition qui pourrait ainsi mener à des appels à l'encontre des ordonnances rendues?

M. McDonell : Sénateur, vous avez employé l'adjectif « lourd ». C'est le mot qui m'est venu à l'esprit lorsque vous posiez votre question. Si je me mets à la place d'un enquêteur, et j'aime penser que je le suis encore — je ne considère pas cette exigence comme étant lourde parce qu'il s'agit d'une pratique qu'appliquent couramment les services de police. Avant de mettre en oeuvre une mesure radicale, si on veut, nos propres politiques mentionnent cette exigence, de même que nos pratiques, en vertu desquelles nous choisissons le moyen le plus simple d'obtenir les renseignements. Pendant des années, lorsque nous tentions d'obtenir une autorisation pour intercepter des communications privées — pour faire de l'écoute téléphonique — nous devions toujours prouver aux juges que d'autres moyens avaient été éprouvés et avaient échoué; puis, la loi a changé et indique que ces autres moyens peuvent aussi échouer.

Lorsqu'on emploie une technique spécialisée, et en particulier lorsqu'il s'agit d'une loi comme celle-ci, nous l'avons l'habitude de préserver la loi en l'étoffant de politiques, pour garantir qu'on ne l'utilise que lorsque les circonstances le justifient.

Dans le cas de la menace terroriste, nous voulons être certains d'en avoir absolument besoin. Le libellé de la loi nous aide à exprimer ce besoin, si on veut, et à le prouver devant les tribunaux. Nous devrons éventuellement démontrer devant un tribunal tous nos motifs raisonnables et probables tout au long de l'enquête. À défaut d'autre chose, ce besoin constitue une autre étape de la prise de décision indiquant comment nous en sommes arrivés à ce point-là de l'enquête. Nous sommes extrêmement prudents vu toutes les contestations actuelles et en particulier dans le cas de la Loi antiterroriste, nous n'en sommes pas encore arrivés au point où toutes nos décisions se comprennent et sont explicables. Je considère que cette disposition précise un processus de prise de décision dont nous disposions déjà auparavant.

Le sénateur Baker : En situation d'urgence, désormais il vous faudra prouver à un juge, dans une déclaration assermentée, comme vous l'avez dit il y a un instant... et c'est pourquoi je pose la question. Pendant votre carrière à la GRC, et vous l'avez confirmé, vous avez acquis une vaste expérience des autorisations accordées en vertu des dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et de la Loi sur les stupéfiants. Vous avez évoqué l'obligation de prouver, non seulement qu'il est impossible d'user d'autres moyens, mais que les autres moyens ont été tentés. Autrement dit, en l'occurrence, il fallait prouver que vous aviez suivi l'individu ou encore qu'un agent de la GRC lui avait tendu un piège, ou encore que quelqu'un avait offert à l'individu de lui acheter des drogues, et cetera. En d'autres termes, il fallait que des mesures concrètes aient été prises. C'est ce que le libellé vous impose en tant que force policière : vous devez prendre des mesures précises et les décrire dans votre demande d'autorisation à un juge. Cette exigence n'existait pas auparavant dans la loi.

Désormais, la situation d'urgence est un facteur. Quels seront, selon vous, les autres moyens qu'il vous faudra décrire? Selon la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, vous pouvez décrire les mesures prises avant l'interception de communications privées, mais je voudrais savoir quelles sont, selon ces dispositions proposées, les mesures supplémentaires que vous vous attendez à devoir décrire pour obtenir l'autorisation d'un juge de procéder à une investigation?

M. McDonell : En toute déférence, je ne vois pas pourquoi la pratique courante actuelle ne suffirait pas. Il me faudrait expliquer la décision prise, particulièrement en situation d'urgence, compte tenu de mon évaluation de la menace, de ma connaissance des menaces précédentes, de mon expérience du milieu terroriste et de mon expérience d'enquêteur en matière de terrorisme. Il me faudrait donner une analyse circonstancielle de la situation et les raisons motivant ma demande d'autorisation d'utiliser l'investigation en situation d'urgence, à la différence que désormais il faudra que je le fasse dans une déclaration assermentée. Selon moi, c'est la seule chose qui change.

M. Blair : Pour moi, cette responsabilité est lourde. Comme mon collègue l'a expliqué, le projet de loi, dans sa forme actuelle, reprend nos pratiques d'enquête actuelles mais y ajoute une obligation. Les lois que je connais bien et auxquelles je me suis référé fréquemment sont les lois pénales et les lois sur les stupéfiants dont vous avez parlé. En l'occurrence, nous sommes tenus de faire la preuve que les autres méthodes d'enquête ont été appliquées et qu'elles ont échoué, ou qu'elles ont peu de chances de réussir. Nous connaissons cette obligation et elle est intégrée à nos pratiques d'enquête, comme mon collègue l'a expliqué. Toutefois, je pense que cette nouvelle responsabilité est lourde et qu'elle est indiquée car elle exige des forces de l'ordre de faire la preuve que des moyens moins intrusifs ont été utilisés et qu'ils ont échoué ou encore qu'ils ont peu de chances de réussir. Ces autres méthodes d'investigation peuvent comporter nombre des éléments que vous avez évoqués, comme l'utilisation d'agents d'infiltration, ou d'autres accès légaux, ainsi que la perception de communications et l'exécution de mandats de perquisition. Il y a d'autres moyens de réunir des preuves et il incomberait aux forces de l'ordre de les mettre en œuvre et de les expliquer le plus en détail possible dans les motifs présentés pour justifier l'autorisation. Cependant, le libellé actuel du projet de loi décrit nos méthodes d'enquête actuelles. De toute façon, c'est ainsi que nous procéderions avant de présenter une demande d'autorisation.

Le président : Commandant Hawkes, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Hawkes : Non, je suis tout à fait d'accord.

Le sénateur Baker : En appuyant l'inclusion des mots « par d'autres moyens » dans le projet de loi, avec éventuelle atteinte à la vie privée, ou exceptionnellement...

Le président : C'est « autres moyens légaux ».

Le sénateur Nolin : Non, c'est « autres moyens ».

Une voix : Il n'est pas question de « légaux ».

Le président : Je sais que ce n'est par précisé mais...

Le sénateur Baker : Autrement dit, si la personne est en prison, vous pourriez mettre là un agent qui bavarderait avec elle sans expliquer qu'il s'agit d'un policier. Voici donc ma question : plus on avance, quelles seraient les circonstances qui nécessiteraient la preuve que d'autres moyens ont été utilisés? Vous avez fait allusion à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et, avant cela, à la Loi sur les stupéfiants qui contient ces termes exacts. Vous avez expliqué en détail comment la loi était interprétée par les tribunaux : non seulement que l'on avait essayé d'autres moyens mais aussi que d'autres moyens risquaient de ne pas donner de résultats.

En insérant ces mots ici dans ce projet de loi plutôt extraordinaire, même plus extraordinaire en ce qui concerne les droits de la personne que la Loi sur certaines drogues et autres substances, supposez-vous que les autres moyens auxquels vous faites ensuite allusion, pourraient par exemple inclure de mettre les téléphones sur table d'écoute?

Vous voyez où je veux en venir?

Le président : Parlez-vous de table d'écoute non autorisée?

Le sénateur Baker : Non, autorisée. Autrement dit, en insérant ce libellé, croyez-vous que cela obligera les forces de police à recourir aux autres moyens, et notamment aux moyens extraordinaires cités dans le Code criminel et dans d'autres lois telles que la Loi sur le contrôle de certaines drogues et autres substances qui l'exigent parce qu'ils sont extraordinaires? Autrement dit, croyez-vous que vous devez prouver à un juge que vous avez tout fait — que vous avez mis le téléphone de cette personne sur table d'écoute et que vous avez fait tout ce que vous pouviez faire en vertu de la loi pour obtenir ces renseignements — parce que c'est ce que signifie ce nouvel article. Il élimine la personne et la remplace par les renseignements.

M. McDonell : Il faudra que j'explique ma décision à un moment ou à un autre et, de toute façon, je l'aurais fait. Nous ne tenons pas compte là du temps. De quels délais dispose-t-on? Quand va réellement se manifester cette menace? Ceci devrait être expliqué. Alors que j'explique les moyens que j'ai essayés, je devrais évidemment pouvoir expliquer, que, si j'avais eu le temps d'obtenir une autorisation pour intercepter des communications privées, je l'aurais fait. J'indiquerais alors dans l'affidavit les fruits de cette investigation.

Là encore, il faut un certain temps pour monter un dossier. C'est la raison pour laquelle ce projet de loi parle aussi de circonstances exigeantes et des pouvoirs de l'agent de police dans ces circonstances. Il s'agit d'affronter les possibilités que j'ai envisagées pour luter contre cette menace terroriste visant le Canada et c'est là un outil. J'estime que si je dois expliquer cela à un juge avant de recourir à cet outil, c'est la même chose qu'avant. Quand je vais expliquer mon intention et donner mes explications, cela me décharge du fardeau de la preuve puisque c'est la cour qui s'en charge. C'est le juge qui a donné l'autorisation de recourir à cet outil. J'ai dû donner mes explications au départ.

Le sénateur Baker : Autrement dit, si votre autorisation consiste à obtenir des informations auprès, mettons, d'un enseignant de la personne pour laquelle vous avez des motifs raisonnables de croire qu'elle participe à une activité terroriste, ou auprès du curé de la paroisse, ou de quelqu'un qui, d'après vous, pourrait savoir où se trouve cette personne, aux termes de ce projet de loi, la police est-elle maintenant tenue de mettre le téléphone de cet enseignant ou de ce prêtre sur table d'écoute avant de recourir à cette mesure extraordinaire et avant que vous ayez prouvé au juge que vous avez utilisé tous les autres moyens possibles pour obtenir ces renseignements.

M. McDonell : Cette personne est un témoin, donc je ne le placerais pas sur table d'écoute.

Le sénateur Baker : C'était là ma question initiale.

M. McDonell : Chaque cas est unique. Je devrais prouver au juge que j'ai essayé tous les moyens légaux à ma disposition pour obtenir cette information, et que j'ai été incapable d'y parvenir. Donc, j'en suis venu à la conclusion que cette audience d'investigation me permettrait d'obtenir l'information que détient d'après moi cette personne.

Le sénateur Joyal : Vous vous souvenez sans doute que les membres de notre comité ont passé de nombreuses heures à examiner les deux articles du Code criminel que le gouvernement voudrait voir rétablir par le Parlement afin de vous donner, comme le sénateur Baker l'a mentionné, des pouvoirs extraordinaires dans des circonstances exceptionnelles suite à une procédure particulière.

Cependant, notre comité a recommandé l'an dernier de rétablir ces deux articles, mais en y attachant un certain nombre de conditions. L'une d'elles — je m'adresse à vous monsieur McDonell —, concerne la GRC. C'est la recommandation 38 à la page 118. Si vous avez notre rapport, je vous demanderais de le consulter. Je vais le lire. Est-ce que vous l'avez, monsieur?

M. McDonell : Non, je ne l'ai pas.

Le sénateur Joyal : Je vais lire la recommandation lentement, elle ne fait que trois lignes.

Que le gouvernement mette en œuvre des mesures de surveillance de la GRC qui soient plus efficaces, d'un niveau et d'une nature semblables à la surveillance exercée par le SCARS à l'égard du SCRS, notamment en ce qui concerne l'accès à l'information et la capacité de contrôler les activités quotidiennes intéressant la sécurité nationale.

Lorsque nous avons fait cette recommandation, nous ne savions pas que notre commission, dirigée par le juge O'Connor, ferait une recommandation semblable dans son rapport de décembre 2006. Ce rapport du juge O'Connor recommandait la création d'une agence indépendante d'examen des plaintes et de la sécurité nationale afin de surveiller les activités de sécurité nationale de la GRC qui pour le moment ne font l'objet d'aucune surveillance ou responsabilité. Le commissaire a déjà témoigné devant notre comité lorsque nous avons présenté la première loi antiterroriste, et il était clair qu'il y avait des lacunes dans la Loi sur la GRC.

Nous sommes inquiets. Je cite notre rapport à la page 117.

À notre avis, il est évident que les pouvoirs de la GRC en matière de la lutte contre le terrorisme et ses activités en matière de sécurité nationale doivent faire l'objet d'une surveillance plus globale.

Maintenant, nous vous redonnons la responsabilité de mettre en application deux articles extraordinaires du Code criminel. Quel type d'initiatives ont été prises par la GRC depuis les recommandations du rapport Arar et depuis la publication de nos recommandations qui soient susceptibles de nous convaincre aujourd'hui que nous aurions raison de vous redonner ces pouvoirs extraordinaires parce que vous mettez en application ou recommandez au gouvernement un plan afin qu'il y ait une meilleure surveillance de vos activités liées à l'antiterrorisme?

M. McDonell : Cette question traite spécifiquement de la deuxième partie des recommandations du juge O'Connor, et elle est entre les mains du gouvernement. Nous ne pouvons pas nous surveiller nous-mêmes. Il y a un système de poids et contrepoids, et les tribunaux agissent à cet égard. Notre commissaire a dit que nous appuyons sans réserve, et continuerons à le faire, tout organisme de surveillance et d'examen mis en place par le gouvernement. J'ai entendu dire que le gouvernement travaillait à élaborer en particulier des mécanismes de surveillance destinés à la GRC et à d'autres organes de renseignement de sécurité.

Le sénateur Joyal : En d'autres mots, on vous a consultés à ce sujet ou vous participez en ce moment à un groupe de travail qui comprend un certain nombre d'organismes liés ou intéressés à la capacité de surveillance en matière de sécurité nationale des activités antiterroristes de la GRC?

M. McDonell : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Savez-vous quand les conclusions des groupes de travail seront présentées?

M. McDonell : Non, je ne le sais pas.

Le sénateur Joyal : En d'autres mots, vous ne pouvez pas nous dire aujourd'hui si nous adoptons ce projet de loi tel quel, —on décidera peut-être de l'amender —, si l'on pourra s'attendre dans un délai raisonnable, que le Parlement adopte une loi qui améliorera la capacité de surveillance de la GRC?

M. McDonell : Je ne peux pas répondre à cette question. Cette surveillance relève du gouvernement. Nous avons simplement été consultés et on nous a permis d'offrir des commentaires.

Le sénateur Joyal : Donc, vous n'avez aucune idée d'un échéancier; cette année, l'an prochain ou plus tard?

M. McDonell : Je n'ai aucune idée à ce sujet.

Le sénateur Joyal : Qu'avez-vous à dire au sujet des recommandations de notre rapport? J'établis un lien entre cette partie de notre rapport et les objectifs de ce projet de loi, surtout la partie qui indique que le Parlement pourrait mener un examen, lorsqu'il le jugera nécessaire, après le cinquième anniversaire de l'entrée en vigueur de ces deux pouvoirs.

Si vous me dites aujourd'hui que vous êtes incapable de nous informer d'un délai raisonnable pour mettre en application un meilleur mécanisme de surveillance, en tant que parlementaire, je me demanderai si nous ne devrions pas recommander au Parlement d'être plus strict dans l'examen de la mise en application de ces deux articles si nous ne pouvons pas nous fier à tout autre mécanisme qui, en réalité, surveillerait vos actions liées à ces deux pouvoirs particuliers.

M. McDonell : Je pense que le premier mécanisme d'examen doit être notre système juridique lui-même lorsque nous nous présentons devant le juge et demandons à utiliser ses pouvoirs. Je crois que cette exigence est en soi un examen, et nous devrons en répondre à ce juge.

Le sénateur Joyal : Les activités antiterroristes de la GRC sont beaucoup plus vastes que la seule utilisation de ces deux pouvoirs extraordinaires, comme vous l'avez mentionné plus tôt. Comme mon collègue le sénateur Baker l'a mentionné, vous conclurez peut-être que vous pourriez obtenir l'information que vous désirez par d'autres moyens que celle de ces deux pouvoirs extraordinaires. Ce que vous avez fait en tant qu'organisation policière pour obtenir cette information doit tout autant être sujette à la surveillance, tout comme ces deux pouvoirs extraordinaires.

M. McDonell : Oui; nous devons garder à l'esprit lorsque nous nous présentons devant les tribunaux, que le procureur général nous a donné l'autorisation d'aller devant les tribunaux. Ces exigences sont deux poids et contrepoids. Et au bout du compte, il y a le dossier que nous présentons lors du procès.

Le sénateur Joyal : Je comprends cela. Vous décrivez la procédure que vous devez suivre pour utiliser ces deux pouvoirs extraordinaires. Cependant, la recommandation que nous avons faite suite à notre propre examen, et la recommandation du juge O'Connor, traitent du besoin d'une meilleure capacité de surveillance des activités antiterroristes de la GRC.

Je pense que ces deux pouvoirs extraordinaires sont deux outils particuliers dans votre boîte à outils, comme vous l'avez mentionné. Cependant d'autres outils à votre disposition doivent faire aussi l'examen d'une surveillance par l'organisme approprié. Cet organisme devra être constitué en accord avec une loi du Parlement et en accord avec votre propre expérience de collaboration avec les autres organismes de surveillance responsables de la sécurité au gouvernement fédéral.

Voilà le contexte général dans lequel je place ces deux pouvoirs dans le cadre de vos responsabilités liées à la sécurité nationale.

M. McDonell : Je suis d'accord avec ce que vous dites. Cependant, c'est la responsabilité du Parlement, — et je sais qu'il est en train d'agir, — de prévoir un mécanisme approprié d'examen pour la GRC. Je ne suis qu'un fonctionnaire. Ce n'est pas moi qui décide des échéanciers.

Le sénateur Joyal : Je comprends. Je ne vous demande pas d'imposer quoi que ce soit, mais comme responsable des opérations générales en matière de sécurité nationale, vous avez à mon avis un pouvoir décisionnel. Vous êtes commissaire adjoint, Enquêtes criminelles relative à la sécurité nationale — vous n'êtes pas au bas de l'échelle. Si vous voulez maintenir la crédibilité de la GRC, ses bonnes relations avec le public et la confiance qu'il a en la GRC, vous devez tenir à ce que les Canadiens sachent que vos activités font l'objet d'une surveillance appropriée, surtout à la suite d'enquêtes comme celle menée par le juge O'Connor. D'après les conclusions de cette enquête, on reconnaît généralement qu'il faut améliorer la surveillance de la GRC.

Je ne pense pas que vous puissiez prendre vos distances par rapport à cette conclusion, en disant que cela relève de quelqu'un d'autre, alors que vous avez fait l'objet d'une importante recommandation de deux sources : l'une qui a mené une enquête après un cas précis et nous-mêmes, qui avons pour mandat général d'étudier la façon dont ces activités sont menées.

M. McDonell : Je ne veux pas m'écarter de cette question, au contraire, c'est quelque chose que nous souhaitons. Ce n'est toutefois pas nous qui décidons, ni qui mettons en œuvre la décision. Je crois vraiment que nous agissons avec intégrité, et que tout organisme de surveillance se porterait à la défense de nos efforts.

Le sénateur Joyal : Je ne doute pas de votre intégrité. Une commission d'enquête a conclu qu'après que vous ayez mené certaines opérations, des correctifs devaient être apportés au fonctionnement quotidien. C'est essentiellement ce que j'ai compris du rapport O'Connor et ce que je retiens du nôtre.

Si les honorables sénateurs ici présents ont recommandé clairement et simplement que soit améliorée la capacité de surveillance de votre mandat relatif aux enquêtes en matière de sécurité nationale, cette recommandation doit être mise en œuvre bientôt, surtout si vous nous dites maintenant que vous êtes en faveur des pouvoirs supplémentaires que vous conférera ce projet de loi.

M. McDonell : C'est exact. Je suis pour la surveillance. Je ne donne ni les pouvoirs supplémentaires, ni la surveillance.

Le sénateur Joyal : Revenons à un passage de votre déclaration. Les pages ne sont pas numérotées mais c'est à l'avant-dernière page. Je vous le lis :

Dans le débat entourant la prorogation de ces dispositions, on a beaucoup insisté sur le fait que les audiences d'investigation ne devraient servir qu'à des fins préventives.

Je poursuis :

D'après nous, il y a lieu de nuancer. Si un enquêteur a des raisons de croire qu'une personne sait quelque chose au sujet d'un attentat terroriste antérieur, et que durant une audience d'investigation le témoin implique plusieurs personnes qui complotent un attentat futur, l'audience sert à la fois à des fins d'enquête et de prévention.

De cette citation, je déduis que vous avez suivi le débat. Quelle source vous a fait conclure que notre interprétation des fins préventives était trop étroite?

S'agit-il d'une observation générale faite à partir des débats sur les deux articles qui ont eu lieu à l'autre endroit et ici, pour la première version de ces deux articles, ou est-ce une analyse objective que vous faites vous-même des incidences juridiques de ces deux dispositions?

M. McDonell : Les deux. Ma connaissance des débats, que j'ai lus et étudiés, puis ma propre analyse de la nécessité d'appliquer les dispositions également aux événements passés.

Le sénateur Joyal : En d'autres termes, l'idée est non seulement de prévenir une activité terroriste, mais aussi de se pencher sur les activités terroristes passées auxquelles la personne a participé, d'après vos conclusions?

M. McDonell : C'est bien cela. Se pencher sur le passé est également préventif, selon moi. La menace aujourd'hui est constituée par des réseaux au sein de réseaux, des organisations au sein d'organisations. Elle est mondiale. Elle se poursuit. Je dirais même qu'elle s'accroît.

C'est pourquoi, faute d'investigation et de conclusions quant aux suspects et aux auteurs de l'événement, on encourage d'autres personnes au sein de cette organisation et au sein d'autres organisations à commettre d'autres actes terroristes aussi. Il faut identifier les organisations, les arrêter, les prévenir. La meilleure façon d'y parvenir, quand on a à faire à une organisation terroriste, est d'identifier, d'arrêter et de poursuivre ceux qui ont commis des infractions, en espérant dissuader ainsi d'autres personnes et affaiblir l'organisation. Mais, surtout, les renseignements obtenus sur les modalités de fonctionnement et les réseaux peuvent servir à empêcher une autre attaque.

Le sénateur Joyal : En d'autres termes, quand vous amenez un suspect ou plutôt un témoin devant un juge, pour une audience d'investigation, vous estimez que l'article vous autorise à interroger le suspect sur un événement terroriste passé — je reprends ce que je vous avais dit — dont vous n'avez pas été en mesure d'identifier les auteurs ou les responsables.

M. McDonell : Ce témoin, qui n'est pas un suspect, devrait comparaître lors d'une audience d'investigation. Je doute que je le ferais dans le cas d'un suspect.

Le sénateur Joyal : C'est pourquoi je me suis repris et j'ai parlé de témoins. En d'autres termes, les interrogateurs auraient deux séries de questions : une sur un événement terroriste passé que vous n'auriez pas été en mesure d'élucider; et, bien sûr, l'autre sur les activités ou les préparatifs auxquels vous soupçonnez la personne de se livrer, en rapport avec un événement terroriste potentiel à venir.

M. McDonell : Sénateur, l'audience s'effectuerait au cas par cas et les questions dépendraient de l'affidavit soumis au juge quant aux renseignements que je cherche. Dans le système juridique canadien, je doute fort que moi ou la Couronne ayons licence pour nous lancer dans une chasse aux sorcières. D'après mon expérience, j'estime que nous devrions préciser exactement le type de renseignements ou de preuves que nous recherchons et tâcher d'obtenir directement ces renseignements ou cette preuve lors de l'audience d'investigation. Je doute fort qu'un juge ou un avocat de la défense nous permette de procéder à l'aveuglette.

Le sénateur Joyal : Ce sont donc seulement les réponses fournies par le témoin à vos questions qui vous permettraient de poser des questions ayant trait à un événement terroriste passé?

M. McDonell : D'après mon expérience, c'est ainsi que les choses se passeraient.

Le sénateur Joyal : Monsieur Blair, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Blair : Permettez-moi de souligner que l'idée est de nous permettre d'avoir des témoins susceptibles d'être au courant d'une activité terroriste, afin d'en empêcher qu'elle ne se produise. Notre but, au bout du compte, est d'empêcher qu'ait lieu une activité terroriste.

Nous estimons qu'il peut y avoir des circonstances où il serait utile de poser des questions sur des activités passées, afin d'obtenir la preuve permettant d'empêcher que ces activités passées se reproduisent. Telle est notre intention, ici. Notre but, au bout du compte, est d'empêcher que d'autres actes soient commis. C'est notre optique, selon moi, c'est aussi celle du Parlement en légiférant. Nous reconnaissons aussi, toutefois, qu'il peut être approprié d'obtenir des renseignements sur des actes antérieurs, si ces renseignements peuvent nous aider à empêcher d'autres de se produire à l'avenir.

Le sénateur Joyal : Il est difficile d'établir une ligne de démarcation entre une série de questions posées à un témoin pour élucider un événement terroriste passé et l'éventualité d'un autre événement terroriste, lié à d'autres types de témoins ou à d'autres types de suspects possibles. C'est là que je trouve difficile d'imaginer comment l'audience d'investigation fonctionnerait dans la pratique.

M. McDonell : Ce serait pour déstabiliser le réseau, sénateur.

Le sénateur Joyal : Je comprends que si vous faites comparaître une personne devant un juge, pour une audience d'investigation, c'est dans un but de déstabilisation ou, pour appeler un chat un chat, de prévention d'attaques terroristes à l'avenir.

M. McDonell : Prenez l'exemple du 7 juillet 2005 et des attaques quasi-identiques qui ont suivies, deux semaines plus tard, le 21 juillet, ou plutôt des tentatives d'attaque. Ce jour-là, les bombes n'ont pas éclaté; les chimistes n'étaient pas aussi doués que ceux du 7 juillet. Or, des renseignements sur la façon dont l'attaque avait eu lieu, sur la réflexion qui l'avait précédée, aurait peut-être évité la seconde attaque. Le réseau s'était maintenu. Ce qui s'était produit le 7 juillet à Londres a été copié le 21 juillet, sauf que ça n'a pas fait « boom ».

Le président : Il nous reste seulement 15 minutes.

Le sénateur Andreychuk : J'avais essentiellement deux questions, mais voudrais enchaîner sur un point qui me tracasse, maintenant. Vous dites que, si vous utilisez l'outil de l'audience d'investigation et que vous obtenez la preuve d'une accusation passée, vous utiliseriez la preuve uniquement comme outil de prévention? Est-ce bien cela? N'utiliseriez-vous pas la preuve pour porter une accusation contre l'incident passé également? D'après la façon dont vous avez répondu à la question, j'ai cru comprendre que vous pouviez l'utiliser uniquement pour une tentative à venir et que vous ne pouviez pas intenter de poursuites pour le soi-disant crime commis selon vous par le passé, à en juger par le témoignage.

M. McDonell : Excusez-moi si je vous ai induite en erreur. Le but, au bout du compte, est toujours d'empêcher un autre acte de terrorisme. Toutefois, si nous cherchions à obtenir des renseignements sur un événement terroriste passé, ce serait dans l'intention d'obtenir une preuve ou des renseignements susceptibles de prouver cet événement passé, mais aussi d'utiliser ces renseignements et cette preuve pour prévenir des attaques futures. Indubitablement, nous utiliserions tout renseignement, toute preuve ou toute information menant à une preuve au sujet d'une attaque passée. Nous chercherions à l'utiliser.

Le sénateur Andreychuk : Plusieurs des personnes présentes autour de la table aujourd'hui étaient déjà membres du comité en 2001, notamment quand le projet de loi a été déposé, six semaines après les attentats. Si ces deux articles ont été ajoutés, c'est parce que les menaces terroristes d'aujourd'hui étaient si horribles qu'elles exigeaient ce type d'outil. C'est un outil qui n'avait pas été pleinement employé auparavant dans notre droit criminel ou ailleurs. Je pense que nous hésitions tous à y recourir. Je pense que je continue à hésiter. À l'époque, on nous a dit que c'était presque un dernier recours, que vous l'utiliseriez en dernier recours. Or, d'après ce que je vous entends dire maintenant, ce n'est pas un dernier recours mais plutôt une ressource importante que vous êtes susceptibles d'utiliser avant d'avoir épuisé toutes les autres possibilités. Quand vous comparaissez, vous devez prouver que vous avez essayé d'autres moyens, ce qui est difficile, j'en suis convaincue; mais adoptez-vous l'autre approche, selon laquelle les autres moyens disponibles ne le seraient pas en temps opportun, si bien que vous ne pouvez pas vous en prévaloir et que vous avez recours à l'audience d'investigation? En d'autres termes, il y a selon moi deux types de preuve : la première c'est que vous avez essayé d'autres méthodes, sans succès, ce pourquoi vous avez recours à l'audience d'investigation; l'autre c'est que, si vous essayiez d'autres outils, cela prendrait trop longtemps et le risque qu'une une attaque terroriste se produise serait trop important. La pondération du juge serait alors différente. Pensez-vous qu'il vous faudrait établir une liste de toutes les possibilités, pour le juge, et soit les éliminer comme étant inopportunes ou explorées, mais sans résultat?

M. McDonell : Madame le sénateur, vous avez répondu à ma question : cela se fait au cas par cas et selon les échéances. Il peut arriver que nous ne cherchions pas à intercepter des communications privées, parce que nous croyons que l'événement va se produire demain. Le temps d'obtenir l'autorisation d'intercepter des communications privées, quatre ou cinq jours se seraient écoulés. Nous aurions alors la possibilité d'invoquer l'urgence de la situation et de dire qu'il faut que cela se fasse immédiatement. Il peut arriver, par contre, que nous estimions que l'événement se produira dans sept mois et sur un autre continent, si bien que nous avons le temps d'enquêter. En tout cas, les obstacles sont là et c'est pour cela que cela ne fonctionnerait pas. C'est au cas par cas que le recours à l'investigation se ferait, avec comme assurance l'expérience de la Couronne, le discernement du procureur général, puis celui du juge.

Le sénateur Andreychuk : C'est ce que j'allais dire. Nous nous en remettrons aux juges pour comprendre quels seront les outils nécessaires. Je me souviens de m'être efforcée de décider quels pourraient être les types de preuves, à l'époque où nous avons évoqué toutes les affaires de drogues, et cetera. Il faut sensibiliser le juge à tous les outils possibles ou l'amener à en prendre conscience lui-même ou elle-même.

M. McDonell : Effectivement.

Le sénateur Andreychuk : C'est placer un lourd fardeau sur le juge.

M. McDonell : Effectivement. La loi précise toutefois à quels juges nous pouvons nous adresser ce qui, me semble-t- il, définit leur expérience.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez dit ne pas avoir utilisé les outils des audiences d'investigation ou des engagements assortis de conditions. Mais, reprenez-moi si je me trompe, la possibilité que vous puissiez y avoir recours a peut-être eu des répercussions sur vos enquêtes nationales dans le domaine de la sécurité. Tout au long des audiences de notre comité, des témoins ont dit qu'on avait fait peser le poids de ces outils sur certaines personnes pour qu'elles coopèrent, en leur disant que c'était soit cela, soit une audience d'investigation, donc qu'il valait mieux qu'elles parlent tout de suite.

Utilisez-vous l'outil pour intimider ou l'utilisez-vous comme une technique d'enquête?

M. McDonell : Je n'ai pas connaissance de cas où on ait fait peser le poids de ces outils, mais il y en a peut-être eu. Sur ce point, je suis complètement dans l'ignorance. J'y vois un outil d'enquête. C'est ce que je retire de mon expérience, en poste au sein de la GRC.

Le sénateur Andreychuk : Ce sont des commentaires que le comité a entendus mais dont vous n'avez pas connaissance.

M. McDonell : Je n'ai pas connaissance de ces déclarations-là.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez mentionné que la technique était nouvelle et qu'elle devait être réintroduite, afin de pouvoir se poursuivre. Gardez-vous l'esprit ouvert et procéderez-vous à une évaluation dans cinq ans pour savoir s'il vous faut cet outil? Peut-être est-ce un outil approprié pour empêcher les terribles pertes qu'à entraînées le terrorisme dans d'autres pays, mais, si l'outil devient trop répandu, il risque d'envahir d'autres domaines du droit pénal. Aurez-vous les moyens, au sein de la GRC, de faire le point, dans cinq ans, et de décider si l'outil est adéquat et nécessaire pour empêcher le terrorisme?

M. McDonell : Oui, ce sont des moyens qui font partie intégrante de mon domaine de responsabilité, un Bureau des normes et pratiques d'enquête. On effectue au fur et à mesure un examen de chaque enquête majeure, afin de veiller à ce qu'il n'y ait aucun glissement, à ce que l'on respecte la politique et la loi et à ce qu'on travaille de notre mieux pour prévenir toute infraction terroriste. L'examen aurait lieu de façon quasiment concomitante avec l'enquête. On effectuerait cet examen sans attendre à plus tard. La menace est si présente et si grave que nous suivons de très près non seulement la menace mais nos propres actions, afin qu'elles puissent être présentées au tribunal dans la plus grande intégrité possible. Afin de ne pas être enterrés par l'accumulation des dossiers, nous avons fait venir au bureau des enquêteurs criminels chevronnés provenant de toutes les forces de police au Canada.

Nous faisons un examen le lendemain de son utilisation et nous poursuivons l'examen à mesure que l'affaire avance.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez besoin du consentement du procureur général avant de procéder à une investigation, mais auparavant la demande doit d'abord passer par le procureur et d'autres avocats dans certains ministères. Êtes-vous au courant de l'existence de guides des politiques ou d'outils d'information pour ces gens?

M. McDonell : Pas que je sache, sénateur.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, des membres du comité ont fait remarquer qu'une partie du projet de loi S-3, soit plus précisément l'engagement assorti de conditions proposé au paragraphe 83.3(7), est calquée sur l'article 515 du Code criminel sur la mise en liberté sous caution, communément appelé Disposition sur la mise en liberté provisoire par voie judiciaire.

Le sénateur Andreychuk : De quel article s'agit-il?

Le sénateur Baker : À la page 6 du projet de loi, paragraphe 83.3(7) proposé stipule : « Dans le cas où la personne est conduite devant le juge [de la Cour provinciale] au titre du paragraphe (6), [...] » Je ne comprends pas pourquoi on ne parle que d'un juge de la Cour provinciale puisqu'il était question d'un juge de la Cour supérieure dans la définition au début. Quoi qu'il en soit, les paragraphes suivants sont calqués sur les dispositions sur la mise en liberté sous caution contenu dans le Code criminel.

Il est question ici d'une personne qui n'a pas été mise en liberté et qui comparaît devant un juge à des fins d'engagement. Conformément aux exigences en matière d'engagement, un policier ferait valoir que si la personne était mise en liberté, une activité terroriste s`ensuivrait, la sécurité publique serait menacée et il y aurait une probabilité marquée que la personne nuise à l'administration de la justice. Il s'agit des trois exigences des dispositions sur la mise en liberté sous caution — risque d'évasion, menace à la sécurité publique et validité des motifs raisonnables présentés par la police. Monsieur McDonell, vous avez dit que vous acceptiez totalement les dispositions du projet de loi S-3. Toutefois, ne trouvez-vous pas bizarre qu'après une évaluation et la reconnaissance d'un réel danger par un juge, une personne soit automatiquement mise en liberté après 48 heures? L'article suivant stipule que si la personne n'a pas été mise en liberté au titre du sous-alinéa 7b)(i), il sera ordonné qu'elle soit mise en liberté, sous réserve, le cas échéant, de l'engagement imposé conformément à l'alinéa A).

Ce qui est bizarre, c'est que des milliers de Canadiens détenus en attente de leur procès pour divers infractions ne sont pas mis en liberté pour de telles raisons. Pourtant, pour une infraction de terrorisme, vous convenez qu'ils devraient être mis en liberté après 48 heures. J'ai trouvé que c'était étrange lorsque j'ai lu le projet de loi, et je me suis dit que si vous l'appuyez, vous deviez avoir examiné ce scénario. Peut-être pourriez-vous nous justifier votre position.

M. McDonell : J'en ai parlé avec mes homologues d'autres pays qui ont adopté une loi similaire. Je ne peux me prononcer pour chacune des milliers de personnes incarcérées dans l'attente de leur procès, mais je suppose qu'elles ont toutes été accusées d'une infraction par un tribunal après que celui-ci eut pris connaissance des faits. Dans le cas de ces mises en liberté après 48 heures, aucune accusation n'a été portée.

Le sénateur Baker : Toutefois, et vous avez la déclaration sous serment, la même formulation est utilisée dans le projet de loi et à l'article 515 du Code criminel. Il me semble que le ministère de la Justice aurait pu faire preuve de plus de créativité et proposer une formulation différente. Vous parlez de la probabilité qu'une activité terroriste s'ensuive, et c'est pourquoi la personne est incarcérée. Pourtant, si ces allégations sont prouvées au juge, la personne est mise en liberté 48 heures plus tard.

Vous avez dit que la différence tient au fait que selon l'article 515 du Code criminel, l'intéressé est accusé d'une infraction. Il se peut que son profil d'évaluation du risque soit très chargé et il est maintenu en détention parce qu'il pourrait commettre un autre crime advenant qu'il soit mis en liberté. Selon la déclaration assermentée, les autorités policières ont des motifs raisonnables de croire qu'une activité terroriste va se dérouler. Les mots clés sont « de croire ». Pourtant, la personne en détention est mise en liberté sous 48 heures. Je m'étonne qu'on utilise ce libellé et je pense que, peut-être, on aurait dû utiliser un autre libellé étant donné que la personne détenue est mise en liberté sous 48 heures. Quant à vous, voyez-vous les choses autrement?

M. McDonell : Je ne me suis pas arrêté au libellé mais selon mon interprétation, je dispose de 72 heures pour réunir des preuves.

Le sénateur Baker : Oui, c'est juste, mais l'intéressé est mis en liberté au maximum 48 heures plus tard.

M. McDonell : Je dispose de 24 heures pour le traduire devant le tribunal.

Le sénateur Baker : Oui, mais vous avez déjà déclaré sous serment que vous avez des motifs raisonnables de croire.

M. McDonell : Cependant, je n'ai pas de preuves à l'appui, pas de renseignements.

Le sénateur Baker : Dans ce cas-là, vous ne devriez pas déclarer sous serment que vous avez des motifs raisonnables de croire puisque vous n'avez pas de preuves.

M. McDonell :Ce sont des motifs raisonnables et probables de croire.

Le président : C'est une question de foi.

M. Blair : Je ne suis pas avocat de droit pénal mais selon moi ce n'est pas la même chose. La police déclare sous serment qu'elle a des motifs raisonnables de croire que la détention est nécessaire pour empêcher une activité terroriste. Selon moi, cela s'apparente aux dispositions du Code criminel concernant la violation de la paix, par exemple. Un agent de police peut procéder à une arrestation pour violation de la paix mais quand cette violation cesse d'être imminente, la menace n'existe plus et l'individu est mis en liberté sans qu'on porte d'accusation. Je pense que le parallèle est plus évident dans ces circonstances car la mesure prise est préventive et n'exige pas de renseignements sur une infraction qui en fait aurait été commise.

Le sénateur Oliver : À la question du sénateur Baker, M. McDonell a répondu qu'il était conscient du problème et qu'il en avait discuté avec certains de ses homologues dans d'autres pays. Ses collègues vous ont-ils dit si cette clause de 48 heures dont le sénateur a parlé, existait chez eux?

M. McDonell : Elle n'existe plus. J'ai travaillé avec le Specialist Operations Counter-Terrorism Command, connu sous le sigle SO15, en Grande-Bretagne. Là-bas, c'est 28 jours.

Le sénateur Oliver : C'est précisément là où le sénateur voulait en venir.

M. McDonell : Je peux vous citer un cas où on a laissé s'écouler 27 jours.

Le sénateur Joyal : Dans la foulée de la réponse donnée par le témoin à notre collègue, le sénateur Oliver, j'ajouterai qu'il y a quelques semaines, j'ai lu qu'on envisageait une prolongation de cette période.

Le président : En effet, je me souviens d'avoir lu la même chose.

Honorables sénateurs, au nom de nous tous, je tiens à remercier nos trois témoins. La séance a été fort enrichissante.

Nous accueillons maintenant Craig Forcese de l'Université d'Ottawa. Il est déjà venu témoigner et il a acquis une vaste expérience des questions dont nous sommes saisis. Merci, monsieur, d'être venu et je vous cède la parole.

Craig Forcese, professeur, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci de m'avoir invité aujourd'hui. En cinq minutes, je vais vous donner quelques réflexions sur le projet de loi S-3. D'emblée, je reconnais que je suis plutôt agnostique face au projet de loi S-3. D'une part, je comprends les conséquences du projet de loi S-3 sur les libertés civiles et le fait que le projet de loi propose deux mesures qui sont étrangères à notre tradition juridique. D'autre part, je me rends compte que là où des mesures préventives n'étaient pas intégrées aux dispositions de la loi à des moments où des crises se sont produites, les autorités ont déployé des règles normatives de telle sorte qu'elles font échec à l'objectif recherché. Je songe ici à la pratique américaine, par exemple. Les lois sur les témoins essentiels et les lois sur l'immigration sont utilisées d'une manière bien plus poussée que ce que leur conception d'origine prévoyait et c'est ainsi que des individus sont détenus à des fins antiterroristes.

C'est dangereux d'utiliser des lois ordinaires comme celle-ci à des fins préventives, parce que quand on élabore une loi préventive, on prévoit des freins et contrepoids. Par contre, quand on élabore une loi ordinaire, on n'y inscrit pas nécessairement les mêmes freins et contrepoids, et je crains donc qu'en temps de crise, si l'on a recours à des dispositions équivalentes de notre droit canadien, nous n'aurons pas les freins et contrepoids qui font partie intégrante du projet de loi S-3.

Je vais m'en tenir à quatre observations. La première série d'observations porte sur l'article proposé 83.3, qui traite de ce que je vais appeler, conformément à la tradition, la détention préventive, — en fait, cela s'appelle bien sûr l'engagement assorti de conditions —, après quoi je ferai quelques observations sur l'investigation.

Comme nous l'avons entendu il y a quelques instants, l'objet ultime de l'article 83.3 est de permettre aux forces de l'ordre d'intervenir pour démanteler des complots imminents et des réseaux terroristes naissants. Comme vous le savez, l'article 83.3 comporte deux éléments, d'abord la détention préventive en amont, et ensuite l'engagement assorti de conditions en aval, ou ce qu'on appelle couramment l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Je ferai des observations sur les deux.

Premièrement, au sujet de la détention préventive, comme vous le savez, dans les circonstances voulues, la police peut détenir une personne pendant 72 heures. Cette disposition a influencé une disposition semble en Australie.

En Australie, la loi fédérale permet la détention pendant 48 heures, mais si l'on y ajoute la loi des États membres de la fédération d'Australie, on peut obtenir jusqu'à 14 jours de détention, de sorte que ce n'est pas aussi léger qu'on pourrait le croire à première vue. Au sujet de la loi australienne, il y a lieu de noter qu'elle comporte l'interdiction de l'interrogatoire pendant la période de détention préventive; c'est-à-dire que les autorités de renseignement et d'application de la loi d'Australie ne peuvent pas interroger la personne qui est détenue préventivement. Cette interdiction a pour but d'empêcher la possibilité que la détention préventive ne soit pas transformée en détention d'investigation; c'est-à-dire que la personne serait détenue aux fins de mener une enquête.

Je pense que c'est une innovation notable de la part de l'Australie. En fait, les apparences sont trompeuses parce qu'aux termes de l'équivalent australien de nos investigations, il est possible de détenir une personne de toute façon. Les Australiens ont donc repris d'une main ce qu'ils avaient donné de l'autre, mais c'est une idée intéressante.

J'invite le comité à se pencher sur cette idée, c'est-à-dire d'assortir la détention préventive de règles qui empêchent de la transformer en investigation. En Australie, c'est interdit par la loi. En fait, c'est une infraction de la part de la police d'interroger des personnes qui sont assujetties à la détention préventive. Pour les interroger, il faut d'abord lever la détention préventive dont elles font l'objet.

Au sujet de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, à savoir la partie en aval de l'article 83.3, certains ont tourné en ridicule cette idée d'un engagement de garder la paix; c'est-à-dire l'idée que l'élargissement assorti de conditions puisse être un outil efficace pour lutter contre le terrorisme. Je ne trouve pas cet argument convaincant. On peut croire que l'engagement de garder la paix n'aurait aucun effet sur un candidat à l'attentat suicide. Par contre, il importe de bien comprendre l'étendue de la disposition relative à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public; en effet, étant donné qu'il est lié à la définition de l'activité terroriste, qui est un concept très large, il est théoriquement possible d'imposer un tel engagement à des personnes qui sont très loin de commettre ou même d'envisager de commettre des actes de violence. Encore une fois, l'objet est de démanteler des réseaux terroristes naissants ou existants.

Il est important de reconnaître que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public pourrait constituer une contrainte importante et notable à la liberté. La seule limite aux conditions, à ma connaissance, dans notre droit pénal conventionnel ou dans notre jurisprudence — les engagements de ne pas troubler l'ordre public se trouvent en effet ailleurs dans notre Code criminel — sont qu'un tel engagement ne peut pas constituer une forme de détention ou d'emprisonnement. Aucun engagement, sauf s'il constitue une forme de détention ou d'emprisonnement, n'a encore été déclaré incompatible avec notre tradition juridique au Canada.

Je songe notamment aux conditions imposées aux personnes qui sont libérées sous condition aux termes de notre processus de certificat de sécurité prévu par la loi sur l'immigration. Ces personnes ont été libérées, mais à des conditions très sévères, plus sévères que n'importe quelle disposition relative au cautionnement ou à l'engagement de garder la paix, à ma connaissance, dans la pratique canadienne. Si ce processus est révélateur des mesures que nous imposerions à des gens soupçonnés de terrorisme, c'est une contrainte dramatique à leur liberté.

Deux observations découlent de cette conclusion. La première est que le libellé de l'article 83.3 proposé est laconique quant aux conditions que le juge peut imposer dans le cadre de cet engagement. Si l'on compare à l'instrument analogue qui s'en rapproche le plus au Royaume-Uni, à savoir le système d'ordonnance de contrôle, celui-ci comprend un grand nombre de restrictions à la liberté qui peuvent être imposées et qui sont énumérées. Les parlementaires britanniques se sont penchés sur ce qu'il serait possible d'imposer à une personne dans le cadre de l'équivalent de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Nous n'avons rien de tel dans nos lois. Les contraintes à la liberté sont à déterminer par un juge, lequel doit être persuadé par un procureur au cas par cas. Je pense qu'il serait utile que les parlementaires se penchent sur la question et établissent exactement à quoi les mesures envisagées sont censées servir.

La deuxième conséquence, conclusion ou observation que je ferai, et peut-être la plus grave, est que le Code criminel comprend à la fois une ceinture et des bretelles, pour ainsi dire. Je veux dire par là que l'article 83.3 proposé permet d'imposer une obligation relativement à des activités terroristes soupçonnées. L'article 810.01 du Code criminel comporte une disposition équivalente.

Il est possible, aux termes de l'article 810.01 du Code criminel, d'imposer un engagement de ne pas troubler l'ordre public, et pas seulement à une personne liée à des activités terroristes, mais à une personne liée à une infraction de terrorisme. Or j'insiste sur le fait que l'infraction de terrorisme est un concept beaucoup plus étendu que l'activité terroriste, selon la définition du Code criminel. D'après mes calculs, aux termes de l'article 810.01, il serait possible d'imposer un engagement de ne pas troubler l'ordre public à une personne dont on aurait des motifs raisonnables de croire qu'elle conseille à une personne de donner des instructions à une autre personne en vue de renforcer la capacité d'un groupe terroriste de conseiller à une autre personne de se livrer à l'un des actes énumérés dans la définition d'activité terroriste. On se trouve ainsi à empiler les infractions inchoatives, pour reprendre la terminologie du droit pénal.

Tout ce vaste ensemble de personnes pourrait être visé par l'article 810.01. Je m'inquiète davantage de l'article 810.01 que de l'article proposé 83.3, car l'article 810.01 ne comporte aucune disposition abrogative et aucune exigence de rapport, ce qui veut dire qu'il pourrait avoir été utilisé cent fois sans que nous le sachions.

Je ferai une dernière observation au sujet de la détention préventive. Je ne suis pas convaincu que la détention préventive pourrait être utilisée de la même manière que les ordonnances de contrôle l'ont été au Royaume-Uni. Les ordonnances de contrôle sont essentiellement de sérieuses contraintes à la liberté qui peuvent être imposées au Royaume-Uni, mais les règles qui régissent cet instrument permettent de recourir à des éléments de preuve secrets. Ce n'est pas le cas de nos règles. Dans les cas où le procureur ou les services de police seraient obligés de prouver à un juge qu'on a des motifs raisonnables de craindre une activité terroriste, sur la foi de renseignements fournis par un service de sécurité allié ou d'autres renseignements secrets, on ne pourrait pas nécessairement empêcher que cette information soit divulguée à l'autre partie si l'affaire se déroule ouvertement devant les tribunaux. J'imagine que cet aspect dissuaderait d'utiliser régulièrement les dispositions relatives à la détention préventive et à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public.

Je ferai en terminant une ou deux observations sur l'investigation. Comme vous le savez, en 2004, la Cour suprême a examiné de près l'investigation et a conclu qu'elle était inconstitutionnelle. La Cour suprême a fondé sa conclusion sur certaines exigences relatives à l'utilisation de l'investigation, la plus importante étant l'immunité contre l'utilisation d'éléments de preuve découlant de la procédure, laquelle est garantit par le paragraphe 10, c'est-à-dire qu'aucun élément de preuve découlant de la procédure ne peut être utilisé contre la personne en cause. Le libellé actuel du paragraphe 10 stipule que de tels éléments ne peuvent être utilisés dans le cadre de poursuites criminelles.

La Cour suprême a déclaré qu'il fallait aller plus loin. Les éléments de preuve en question ne peuvent pas être utilisés dans quelque procédure que ce soit, y compris l'extradition et l'immigration. Pourquoi cela n'a-t-il pas été inscrit dans le nouveau projet de loi? C'est une exigence constitutionnelle, alors pourquoi ne pas simplement la codifier dans le projet de loi pour que ce soit plus transparent? La primauté du droit dépend de la transparence dans nos dispositions législatives. C'était l'occasion de faire en sorte que la loi soit conforme aux exigences de notre Charte, et cela n'a pas été fait.

L'autre observation est connexe. Dans une affaire parallèle datant aussi de 2004 appelée Vancouver Sun (Re), la Cour suprême a déclaré que les audiences d'investigation elles-mêmes doivent être présumées ouvertes. Elles peuvent être tenues à huis clos dans certaines circonstances et les tribunaux sont censés appliquer un critère pour ce faire, mais on doit présumer qu'elles sont ouvertes. Encore une fois, ce nouveau projet de loi ne codifie pas cette présomption d'ouverture; il est muet sur la question. Je me demande pourquoi ces deux aspects n'ont pas été ajoutés au projet de loi.

Le président : Pour revenir sur votre observation au sujet de la ceinture et des bretelles, je précise que je porte des bretelles, mais pas de ceinture.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, avant de poser mes questions au témoin, je signale que son témoignage est intéressant. Il me semble que le témoin que nous entendons aujourd'hui a vu sa définition de la sécurité nationale utilisée dans une récente décision de la Cour fédérale mettant en cause le procureur général du Canada contre la Commission d'enquête sur l'affaire Arar. Je vois que le témoin hoche la tête. Le juge s'est reporté au dictionnaire juridique Black's pour y trouver des définitions tirées de la Loi sur la défense nationale, et c'est là qu'il a trouvé la partie portant sur la sécurité nationale et son interprétation. Il a dit que pour cette définition, il fallait s'adresser à un juriste expert et il a donc consulté les travaux publiés par notre témoin d'aujourd'hui. Cette décision est récente, je pense qu'elle date d'environ six mois. Je vois encore le témoin hocher la tête.

Le témoin peut-il nous préciser comment il envisage l'élaboration de nouvelles lois dans ce domaine précis, relativement à la question à l'étude aujourd'hui?

M. Forcese : Je ne peux pas m'attribuer le mérite d'avoir exercé une influence dans cette affaire. Le passage cité qui était repris de l'un de mes articles était au départ une citation d'un autre article, conformément à la grande tradition universitaire. Ce n'est pas comme si j'avais inventé quoi que ce soit.

La raison pour laquelle le juge Simon Noël s'est peut-être senti obligé de passer du temps à soupeser le sens de la sécurité nationale, c'est qu'il s'agit là d'un concept extraordinairement adaptable. Tout dépend de la personne qui en fait une interprétation. Une affaire peut mettre en cause la sécurité nationale ou exclure complètement celle-ci, selon la personne à qui on s'adresse.

Cette décision portait sur l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, qui est essentiellement notre loi qui régit le secret en matière de procédure judiciaire. On y invoque le concept de sécurité nationale sans pour autant le définir. Je sais que votre comité, dans son rapport sur le projet de loi C-36, s'est penché sur la question de l'article 38 et a formulé des réserves, pas seulement au sujet de la définition ou de l'absence de définition de la sécurité nationale, mais aussi au sujet du sens que l'on donne aux relations internationales, ce qui est un autre motif permettant d'imposer le secret dans une procédure judiciaire.

Le juge Noël s'est senti obligé d'examiner sa définition de la sécurité nationale. Ultimement, il l'a rendu une décision importante, à mon avis, qui a donné lieu à la publication d'environ 1 000 des 1 500 mots que le gouvernement souhaitait faire retrancher du rapport de la commission Arar. Comme vous le savez, cela a déclenché un éditorial sévère du Globe and Mail, à savoir si ce texte présentait un intérêt en matière de sécurité nationale. Le texte en question portait sur la question de savoir si la GRC avait informé les décisionnaires de la provenance de l'information qu'ils avaient utilisée, notamment que l'information provenait de la Syrie et aurait très bien pu être obtenue sous torture.

Ces mots laissaient par ailleurs entendre que le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, savait très bien ce que signifiait pour M. Arar son renvoi en Syrie. Pour citer ce que l'on révélait dans ces 1 000 mots, les Américains ont envoyé M. Arar en Syrie pour que les Syriens fassent « ce qu'ils voulaient de lui », ce qui encore une fois démontre que le SCRS était conscient des conséquences.

Le sénateur Baker : En ce qui concerne les amendements que vous proposez au projet de loi — et vous en avez proposé deux — les membres de notre comité au fil des ans ont fait référence à ces deux mêmes amendements que vous avez proposés à la suite de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vancouver Sun (Re). Les membres de notre comité ont laissé entendre que la décision finale, la décision de la majorité, que l'on retrouve dans un paragraphe bien rédigé, disait que le principe de l'audience publique s'appliquerait à ces procédures, que les procédures ne continueraient pas de se faire ex parte après que l'ordonnance initiale a été rendue et que tout appel qui serait entendu à partir de ce moment-là serait entendu lors d'une audience publique. Les principes de procédures qui s'appliquent à toutes les causes devant un tribunal s'appliqueraient dans ce cas en particulier.

Il s'agit là d'un arrêt de la Cour suprême du Canada qui, à votre avis, devrait se retrouver dans le projet de loi. L'autre arrêt de la Cour suprême du Canada est incorporé au projet de loi par le gouvernement, et c'est le retrait des mots « pour tout autre motif valable » dans un article qui traite de la détention. C'est le troisième motif de mise en liberté sous caution à l'article 515 qui est incorporé dans cette mesure législative. Le gouvernement a annoncé qu'il allait éliminer ce motif en raison de l'arrêt Hall de la Cour suprême du Canada.

L'autre recommandation que vous avez faite, c'est que la Cour suprême du Canada a dit que la preuve présentée lors de cette audience ou découlant de cette audience ne peut pas être utilisée lors de procédures futures. Pourtant, dans le projet de loi, cela se limite à une procédure pénale.

Avez-vous une idée des raisons pour lesquelles le ministère de la Justice limiterait cela à une procédure pénale?

M. Forcese : Je n'en ai aucune idée. Tout d'abord, il est clair que la loi va au-delà des procédures pénales en raison de l'arrêt de la Cour suprême. Il n'y a aucune question de droit qui est en jeu ici. On n'est pas en train de légiférer à nouveau quelque chose qui serait interprétée aussi étroitement que la loi laisse entendre qu'elle serait, en se fondant sur le libellé. La Cour suprême s'est prononcée sur la question.

Du point de vue de la transparence de la loi que je préconise, il aurait été utile que l'immunité soit utilisée de façon dérivative, car nous savons que cela va au-delà des procédures pénales passées, et soit codifiée fermement dans le projet de loi de façon à ce qu'il ne soit pas nécessaire d'être un expert dans le domaine pour savoir qu'on ne peut pas interpréter cette loi littéralement. Le projet de loi à l'étude donnait l'occasion de le faire car de toute façon la loi doit être décrétée de nouveau. Pour une raison ou une autre, on a décidé de ne pas faire cela. Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question lorsque vous me demandez les raisons. Cela n'a aucun sens pour moi.

Le sénateur Baker : Pouvez-vous nous donner une raison pour laquelle le gouvernement n'intègrerait pas à cette loi le principe des audiences publiques reconnues dans la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vancouver Sun (Re)?

M. Forcese : Je suppose que le gouvernement a estimé que la disposition actuelle accordant au tribunal le pouvoir discrétionnaire de prendre les ordonnances nécessaires pour assurer l'équité du processus a été jugée suffisante pour que le tribunal décide de tenir des audiences publiques ou de siéger à huis clos.

C'est peut-être le cas, mais je suis d'avis qu'il serait bon que le projet de loi soit transparent à cet égard et précise clairement que, conformément à la décision de la Cour suprême, les audiences d'investigation sont présumées avoir lieu en public. Si elles ont lieu à huis clos, elles doivent respecter le critère établi par la Cour suprême dans la décision qu'elle vient de rendre dans l'affaire Vancouver Sun (Re).

La règle de la primauté du droit, règle d'une grande importance, exige que la loi soit aussi précise que possible à l'intention de ceux qui seront chargés de l'interpréter.

Le sénateur Baker : J'ai appris récemment que les tribunaux se demandent toujours si la déclaration sous serment et toute contestation de son contenu doivent demeurer confidentielles. Autrement dit, il s'agit de savoir si cette information s'apparente au paquet scellé, c'est-à-dire à l'information que les autorités policières veulent conserver secrète.

La question de savoir si la déclaration sous serment initiale doit être rendue publique se pose toujours. La suggestion que vous avez faite, à savoir que la loi intègre le principe qu'a reconnu la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vancouver Sun (Re), permettrait peut-être de trancher la question.

M. Forcese : Peut-être, mais il existe deux étapes à l'audience d'investigation. Le début du processus ressemble davantage à celui qui consiste à obtenir un mandat lorsqu'on présente une demande ex parte visant à convaincre le juge qu'il n'y a aucune raison de ne pas permettre que l'audience soit publique. La deuxième étape est l'audience elle-même.

Si je ne m'abuse, la cour s'est demandé si l'audience elle-même devait avoir lieu en public. Quant à la question de savoir si l'information sur laquelle se fonde tout le processus, et qui ressemble à celle qui figure dans un mandat, doit être rendue publique, c'est une question qui n'a pas encore été tranchée. À ma connaissance, ce n'est que dans de très rares cas que les tribunaux ont obligé les autorités à divulguer l'information figurant dans les affidavits.

Le sénateur Baker : Ne convenez-vous pas que même s'il y a atteinte à la vie privée sous diverses formes, la procédure normale est de ne pas permettre la divulgation du contenu du mandat, mais que lors du procès, cette information devient publique. Il est toujours possible de censurer les parties de l'information qu'on veut protéger.

La raison pour laquelle je soulève la question, c'est que le projet de loi, aux termes duquel les autorités doivent montrer qu'elles ont cherché à obtenir l'information par d'autres moyens mais n'y sont pas parvenues, risque de donner davantage lieu à des contestations de la part des avocats de la défense. L'avocat de la défense peut alléguer que l'autorisation n'aurait jamais dû être accordée et que le juge n'aurait jamais dû délivrer l'ordonnance. Plus la procédure est complexe, plus il existe des motifs d'invalidation de l'ordonnance.

L'information figurant dans un paquet scellé n'est pas censurée, mais seulement scellée. La défense peut en prendre connaissance par la suite, mais pas le public. Nous tiendrons cependant certainement compte de votre suggestion, à savoir d'intégrer dans la loi la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vancouver Sun (Re).

Le sénateur Joyal : J'ai consulté un rapport que l'un de vos collègues, le professeur Ken Roach, a publié en septembre 2007. Connaissez-vous ce rapport? J'aimerais vous lire ce qui y figure à la page 16 concernant les deux questions que vous avez soulevées cet après-midi, à savoir les audiences d'investigation et la détention préventive.

Ni l'un ni l'autre des comités —

— il est question ici des comités de la Chambre des communes et du Sénat —

— ont examiné les raisons militant en faveur d'une modification des critères s'appliquant à la détention et à l'engagement préventif même si certains sont d'avis que comme la loi australienne, notre loi devrait préciser les conditions de détention et établir si une personne faisant l'objet d'une arrestation préventive approuvée par un tribunal peut être interrogée pendant jusqu'à 72 heures [...]

Dois-je conclure de ce que vous avez dit au début que vous voudriez que nous imposions des conditions plus strictes que celles qui sont prévues dans le projet de loi à l'égard de l'arrestation préventive?

M. Forcese : C'est ce que je souhaiterais. Je répète que la loi prévoit deux outils. Le premier, c'est l'enquête d'investigation et le second, la détention préventive. Je ne voudrais pas que la détention préventive remplace les audiences d'investigation. Les conditions en vertu desquelles la détention est permise sont beaucoup moins strictes dans le cas de la détention préventive par rapport aux audiences d'investigation. Si l'on interdit l'interrogatoire des témoins ou des détenus pendant la détention préventive, cela élimine la possibilité que la police maintienne une personne en détention dans des circonstances où elle ne pourrait pas le faire en vertu du Code criminel et l'interroge pendant 72 heures, ce qui est très long. Je suis favorable à la loi australienne qui précise avec sagesse les conditions dans lesquelles la détention préventive est permise.

Le sénateur Joyal : Vous voudriez que la loi précise que la police ne peut pas recourir à la détention préventive pour poser à une personne des questions qu'elle ne pourrait pas poser lors d'une audience d'investigation.

M. Forcese : À l'heure actuelle, une personne qui est en détention préventive n'est pas tenue de répondre à des questions mais elle peut être détenue pendant 72 heures. La police pourrait lui poser des questions pendant ce temps. Il conviendrait de limiter la capacité des organismes d'application de la loi à poser des questions aux détenus au cours de ces 72 heures. Comme c'est le cas en Australie, on pourrait notamment interdire totalement l'interrogatoire pendant ce temps. On pourrait aussi à tout le moins limiter le temps pendant lequel une personne peut être interrogée. Même si la détention est de 72 heures, il conviendrait peut-être de limiter à 12 heures le temps pendant lequel une personne peut être interrogée ou de poser des restrictions quant à ce qui peut se passer pendant ces 72 heures de manière à tenir compte des préoccupations exprimées par les défenseurs des libertés civiles.

Le sénateur Joyal : Le professeur Roach soulève un autre point dans son rapport :

Il n'a pas été non plus question du fait que la Cour suprême a estimé que l'un des motifs prévus dans la loi qui permet à un juge de refuser de libérer une personne, à savoir « un motif valable », était vague sur le plan constitutionnel dans le contexte du cautionnement normal.

Qu'en pensez-vous?

M. Forcese : C'est ce que disait le sénateur Baker. La réflexion de la Cour suprême a évolué à l'égard des circonstances dans lesquelles un cautionnement peut être refusé et a demandé à ce que ces circonstances soient plus précises. Le projet de loi reflète l'évolution du droit depuis 2001. Je présume que le professeur Roach parlait des délibérations des comités parlementaires et de la mesure dans laquelle ils ont abordé cette question. La présente version du projet de loi tient sans doute compte de cette préoccupation.

Le sénateur Joyal : Le sénateur Baker a parlé de l'arrêt The Vancouver Sun (Re), et le professeur Roach, de l'arrêt Hall, en 2002. Je comprends que ces deux arrêts doivent être lus dans le contexte de la détermination de ce qui constitue un motif valable relativement au cautionnement.

M. Forcese : J'ai tendance à lire les deux arrêts de la Cour suprême de 2004 sur l'investigation (c'est-à-dire Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) et Vancouver Sun) conjointement. Hall a des répercussions relativement à la détention préventive, mais il ne soulève aucune question sur les audiences d'investigation.

Le sénateur Joyal : Ma troisième question porte également sur un point soulevé par la professeure Roach :

Les deux rapports n'ont pas tenu compte non plus du fait que la Loi antiterroriste a amendé la disposition normale d'engagement de ne pas troubler la paix dans le Code criminel afin de permettre que des conditions soient imposées à des personnes sur la base de craintes raisonnables qu'elles commettraient une infraction de terrorisme. Ces dispositions habituelles relativement à l'engagement de ne pas troubler la paix n'étaient pas assujetties à la disposition de réexamen après cinq ans ni à l'exigence spéciale de rendre des comptes pour les arrestations préventives. Bien qu'on ait conclu que les engagements ne pas troubler la paix respectaient la Charte lorsqu'ils étaient fondés sur des craintes raisonnables —

— par exemple —

— qu'une personne commette une infraction sexuelle, leur effet ou leur utilité dans le contexte du terrorisme sont inconnus.

Que pensez-vous du fait qu'on ait étendu les engagements de ne pas troubler la paix relativement aux activités terroristes bien au-delà de leur utilisation normale en vertu du Code criminel?

M. Forcese : Dans ce passage, le professeur Roach renvoie à l'article 810.01 du Code criminel, que j'ai mentionné précédemment. L'article 810.01 traite non seulement des infractions de terrorisme, mais aussi des infractions d'organisations criminelles. Cette disposition, qui est relativement nouvelle, traite de ces deux catégories assez uniques dans notre Code criminel.

Ce qui est unique relativement à l'engagement de ne pas troubler la paix dans le contexte des articles 810.01 ou 83.3, c'est qu'il n'implique pas autant de discrétion que les cas classiques de l'engagement de ne pas troubler la paix. Ces engagements sont imposés, par exemple, à des personnes que l'on soupçonne d'être des prédateurs sexuels, auquel cas on limite leur accès ou leur proximité aux cours d'école. Les restrictions en matière de liberté sont axées sur des craintes pour la sécurité publique.

Pour ce qui est des infractions de terrorisme, les craintes peuvent être beaucoup plus vagues et beaucoup moins définies. Les restrictions que le gouvernement peut imposer en matière de liberté au moyen d'un engagement de ne pas troubler la paix seraient donc davantage absolues et moins ciblées. Citons en exemple les conditions imposées aux personnes libérées sous condition dans le cadre de notre système de certificat de sécurité en matière d'immigration. Les conditions sont draconiennes, au point où il est interdit d'entrer une salle dotée d'une connexion Internet chez soi, ou il faut informer l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC, lorsqu'on quitte la maison, et il faut obtenir une permission pour sortir d'une zone désignée. Ces limites strictes en matière de liberté vont bien au-delà des limites beaucoup plus personnalisées imposées dans d'autres cas d'engagement de ne pas troubler la paix, comme dans les cas liés aux infractions d'ordre sexuel.

Le sénateur Joyal : Proposez-vous que nous examinions cet article du code relativement aux activités terroristes afin de tenir compte des limites normales imposées par les tribunaux dans le cadre de ces engagements de ne pas troubler la paix?

M. Forcese : Absolument. J'ai deux recommandations. Je recommande au comité et au Parlement de réfléchir aux articles 83.3 et 810.01 et aux conditions qui selon eux sont appropriées, un peu comme le Royaume-Uni a fait avec ses mesures de contrôle. Selon la législation de ce pays, il existe une liste d'options. Je ne suis pas d'accord avec tout ce qui figure sur cette liste, mais au moins le Parlement a réfléchi à la question. Dans notre système, les juges sont libres d'imposer des conditions, dont les limites n'ont pas été testées par nos tribunaux, s'ils sont persuadés par la Couronne de le faire.

Contrairement à l'article 83.3, l'article 810.01 ne comporte pas d'obligation de rendre compte ni d'exigence de temporarisation. Les freins et contrepoids qui sont si importants à l'article 83.3, soit l'obligation de rendre compte et la temporarisation, n'existent pas pour l'article 810.01. J'invite donc le comité, si possible, à assortir l'article 83.3 des mêmes exigences que l'article 810.01 en matière d'obligation de rendre compte. Je ne sais aucunement si l'article 810.01 a été utilisé. Je n'ai aucun moyen de le savoir.

D'ailleurs, une personne peut être arrêtée en attendant une décision en matière d'engagement de ne pas troubler la paix. Si la Couronne veut procéder conformément à l'article 810.01, la jurisprudence indique qu'une personne peut être arrêtée en vertu d'un mandat mais pas en vertu d'un mandat urgent, puis détenue en attendant la décision relative à l'engagement de ne pas troubler la paix. L'article 810.01 comporte des aspects de détention. Il s'agit d'une disposition qui me préoccupe.

Le sénateur Baker : Quand avons-nous adopté cette disposition?

M. Forcese : En même temps que vous avez adopté la Loi antiterroriste.

Le sénateur Joyal : Il faudrait à tout le moins demander un mécanisme d'obligation de rendre compte afin que nous puissions être au courant.

M. Forcese : Certainement, c'est le minimum.

Le sénateur Joyal : En vertu des deux articles sur l'arrestation préventive et les audiences d'investigation, il existe un mécanisme de rapport qui fournit une capacité de surveillance au besoin, surtout si nous réexaminons les dispositions après cinq ans telles que proposées par le gouvernement. Ce devrait être une obligation, mais c'est un autre débat. Si nous avons la capacité d'examiner l'utilisation de ces deux articles, nous devrions aussi avoir la capacité de tenir toute l'information sur d'autres aspects de la loi. Ils ne peuvent être isolés des autres aspects de la loi. Si des engagements de ne pas troubler la paix sont utilisés dans le contexte d'activités terroristes, le Parlement devrait être au courant dans le cadre de la même approche appliquée relativement à la capacité d'information. Comme vous l'a dit le témoin précédent, cet aspect nous préoccupe énormément, et la notoriété publique est une façon de surveiller le recours à ces pouvoirs exceptionnels fournis aux forces policières et aux autres organismes d'application de la loi et de la sécurité au Canada en vertu de cette loi.

M. Forcese : Je suis entièrement d'accord.

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais dire quelques mots sur les engagements et les conditions. Je sais que les Anglais ont de telles conditions compte tenu de leur histoire relativement à l'armée républicaine irlandaise, aux audiences pertinentes et à la question de savoir qui doit être mis en liberté, et au dilemme relativement au fait de dresser une liste de ces conditions. Ils peuvent détenir une personne qui peut être mise en liberté en vertu de nouvelles façons novatrices auxquelles nous n'avons pas pensé. Le fait de dresser une liste des conditions nous éloigne de la philosophie du pourquoi et du comment de la mise en liberté parce qu'une personne est habituellement mise en liberté en attente de quelque chose. Il est entendu qu'une personne qui est remise en liberté et qui se conforme aux conditions ne présentera pas une menace, en vertu du Code criminel ou de la Loi antiterroriste. Je n'ai aucune objection à ce qu'une personne ne puisse se servir de la technologie informatique, puisqu'il s'agit de la façon de communiquer dans le monde de nos jours. Ce n'est pas le téléphone ni le courrier, et c'est justement le problème avec le terrorisme. Nous savons que les terroristes communiquent ensemble de façon sournoise parce que tout le monde peut passer d'un serveur à l'autre et faire ce qu'il veut. Dans certains cas, la condition de ne pas utiliser un ordinateur a du sens. Toutefois, lorsque d'autres personnes dans la maison utilisent un ordinateur, on ne peut pas leur demander de s'en défaire, bien qu'on puisse interdire à la personne de ne pas aller dans cette salle. Est-ce une condition déraisonnable pour ravoir sa liberté? Certaines personnes disent qu'elles veulent avoir leur liberté et qu'elles sont donc prêtes à respecter ces conditions, mais une fois remises en liberté, elles trouvent que les conditions sont difficiles à respecter. Ne revient-il donc pas à un juge de soupeser les enjeux des deux parties et de déterminer si les conditions sont raisonnables?

M. Forcese : Mon exemple de l'ordinateur vise simplement à démontrer à quel point les conditions peuvent être floues, par rapport à l'utilisation conventionnelle qui peut être faite dans certains cas de l'engagement à ne pas troubler l'ordre public. Je ne suis pas en mesure de déclarer de façon finale si la condition est déraisonnable ou non. Ce que je veux, c'est que le Parlement examine la limite ultime. Autrement dit, jusqu'où pourrait-on aller dans l'utilisation de l'engagement à ne pas troubler l'ordre public et l'imposition de limites à la liberté d'une personne. Même s'il ne s'agit pas d'énumérer tout ce qu'une personne peut faire, j'estime qu'il serait justifié de ne pas réduire la marge de manœuvre dont le juge dispose. Il faudrait que la limite ultime soit clairement énoncée, et j'ai ma propre idée quant à ce que devrait être cette limite. Je suis d'accord avec la jurisprudence selon laquelle on ne peut utiliser l'engagement à ne pas troubler l'ordre public comme moyen détourné de détenir une personne en application des dispositions sur la détention à domicile. Les limites imposées à la liberté devraient être moins importantes que cela, entre autres parce qu'elles sont imposées sur la foi de soupçons, foncièrement, sans que leur bien-fondé soit évalué en fonction d'une norme de preuve reconnue dans le contexte pénal. Je veux qu'on ajoute des dispositions par lesquelles le Parlement prescrit qu'il existe des limites au recours à l'engagement à ne pas troubler la paix et à la détention à domicile. Cela serait utile. Ce ne serait pas l'ajout le plus important que l'on puisse faire à ce projet de loi, mais cela vaut la peine qu'on y réfléchisse.

Le sénateur Baker : En d'autres mots, vous demandez au Parlement de préciser ce pouvoir. Évidemment, si l'on examinait suffisamment de cas, on verrait que la jurisprudence actuelle précise la gamme de ces utilisations. Les conditions de libération sont dictées par les dispositions de la jurisprudence. Votre autre proposition en ce qui a trait à la détention et à la suspension des enquêtes se trouve déjà clairement énoncée à l'alinéa 515(10)b) du Code criminel, ainsi que dans la jurisprudence, dans l'affaire Canada c. Prosper, de la Cour suprême du Canada. Dans ce jugement, on indique que les agents ne peuvent interroger une personne qui a déclaré attendre de consulter son avocat. Vous proposez que le Parlement élabore des directives afin qu'une décision judiciaire ne puisse complètement déroger au principe de la justification, dans son application aux dispositions de cautionnement.

M. Forcese : Oui, c'est en grande partie exact. Je suis également motivé par le problème que nous avons actuellement pour ce qui est de retracer l'utilisation de telles mesures. Il n'est pas toujours facile de déterminer quelles conditions sont imposées dans le cadre d'un engagement à ne pas troubler l'ordre public. Par exemple, on ne trouve pas de sous- résolution relative à la teneur des engagements à ne pas troubler l'ordre public que dans les cas où les dispositions de cet engagement posent un risque manifeste de contestation en vertu de la Constitution. Il est impossible de gérer la libre imposition de conditions que permet actuellement le Code criminel si on n'exige pas une plus grande divulgation de ces conditions. Il est bien difficile de surveiller ce qui se fait, puisqu'il n'existe ni frein ni contrepoids. Chaque juge, au Canada, décide lui-même des mesures qui lui semblent raisonnables en l'espèce. Compte tenu du caractère extraordinaire de ces dispositions, je souhaiterais qu'il y a ait une continuité mieux garantie.

Le sénateur Baker : Vous nous avez demandé d'appliquer cette disposition à l'article 810 du Code criminel, qui ne fait pas l'objet de notre discussion. Il semble que cette question vous préoccupe grandement. Vous inquiétez-vous également du sort des personnes qui sont détenues avant leur procès et qui ne sont pas remises en liberté?

M. Forcese : Tout d'abord, je souhaite que ces dispositions s'appliquent à l'article 810.01 et à l'article 83.3 proposés. Dans une affaire ordinaire relevant du Code criminel, le prévenu est détenu en attendant son procès, procès au cours duquel la Couronne doit démontrer au-delà de tout doute raisonnable que le prévenu a commis un acte criminel. Dans une telle procédure pénale, il existe des freins et contrepoids. Mais dans ce cas-ci, il s'agit d'imposer des limites importantes à la liberté d'une personne sur la foi de soupçons, foncièrement. Le libellé est plus complexe, mais on se fonde foncièrement sur des soupçons. Il ne faut pas oublier que le non-respect de ces conditions constitue un acte criminel passible d'une peine d'incarcération de 12 mois. En imposant des conditions trop serrées, on fait en sorte qu'un mécanisme préventif — une condition qui vise à éliminer les possibilités qu'une personne constitue une menace ou à réduire ces possibilités — transforme en acte criminel une activité qui serait autrement considérée banale, comme entrer dans une pièce avec l'intention visée, si cette pièce contient une connexion informatique. Cette condition peut être nécessaire, et je comprends dans quel cas elle pourrait l'être. Je voudrais cependant qu'il y ait plus de transparence quant aux conditions qui peuvent être imposées, au signalement des conditions qui sont imposées et aux circonstances dans lesquelles elles le sont.

Le sénateur Joyal : J'ai une question à propos de la terminologie à utiliser qui placera de limites sur l'emploi et l'ampleur des engagements à ne pas troubler l'ordre public. Une solution raisonnable serait-elle de donner un exemple de ce qui n'est pas envisagé comme contrainte quand nous voulons imposer des « lignes directrices ». Par exemple, vous avez dit plus tôt : « assignation à résidence ». Alors nous pourrions préciser la limite dans l'article, comme assignation à résidence ou l'équivalent de l'assignation à résidence. Autrement dit, nous pourrions signaler aux tribunaux une limite que la cour ne pourrait pas outrepasser et qui signalerait au juge qu'il y a des limites à ce que le juge peut imposer à une personne qui est assujettie à cet article du code.

M. Forcese : Il y a deux façons de faire. La première est d'énumérer tout ce qui peut être fait, ce qui est essentiellement ce que le Royaume-Uni a fait. Cette option crée des difficultés pour les raisons qui ont été exprimées ici. L'autre est de tracer un cadre, c'est-à-dire fixer la limite extérieure au-delà de laquelle ils ne peuvent pas aller, ce qui pourrait être plus facile à faire.

Le sénateur Joyal : C'est ce que je pensais. C'est pourquoi je vous propose cela comme solution qui atteindrait votre objectif mais éviterait le piège que le sénateur Andreychuk a soulevé avec le problème de les énumérer.

Le sénateur Andreychuk : Il faut aussi faire confiance au juge, qui doit tenir compte des faits en espèce. Sinon, on essaie d'anticiper ce que pourra être le scénario et je ne pense pas que nous avons ce qu'il faut pour le faire au Parlement.

Le sénateur Joyal : Personne ne peut tout prévoir.

Le président : Est-ce que ça va, sénateur Nolin?

Le sénateur Nolin : Oui, vous avez répondu à ma question. Vous avez dit que nous énumérons tout ou que nous ne le faisons pas. C'aurait été ma question.

M. Forcese : Ou vous tracez le cadre; vous fixez les limites extérieures.

Le sénateur Nolin : Ce n'est pas la tradition ici. Donnez-nous un exemple de cas où nous avons tracé un cadre comme celui-là : « pas plus que ceci ou moins que cela »? Dans notre tradition, la tendance est de donner aux juges le pouvoir de se servir de leur jugement et de rendre une décision raisonnable.

M. Forcese : Je crois au pouvoir d'appréciation des juges. Je crois également, toutefois, en la souveraineté du Parlement et je pense qu'il est important pour votre assemblée de songer à ce que pourrait être la limite extérieure d'un pouvoir qu'elle a accordé aux forces policières pour limiter la liberté dans des cas où plus que des soupçons pèsent sur quelqu'un. Je suis donc tout à fait à l'aise avec l'idée que le Parlement songe à une limite et envoie des signaux. Certains de ces signaux font sans doute déjà partie de la loi. Par exemple, placer quelqu'un en détention sous forme d'assignation à résidence est sans doute anticonstitutionnel de toute façon. Je pense toutefois qu'il serait utile que votre assemblée ou d'autres entendent des témoins pour discuter de la question, que ce soit dans ce contexte-ci ou dans un autre.

Le président : Au nom du comité, je vous remercie, professeur, d'avoir apporté votre contribution à l'examen de ce texte en comité.

Nous allons maintenant entendre le dernier témoin d'aujourd'hui, Mr. Denis Barrette, porte-parole de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles et de la ligue des droits et libertés. Soyez le bienvenu, maître Barrette; vous avez la parole.

[Français]

Denis Barrette, avocat, porte-parole de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles et de la Ligue des droits et libertés : Monsieur le président, la Coalition internationale de surveillance des libertés civiles ne vous a pas remis de documents, malheureusement elle n'en a pas eu le temps, mais il est possible qu'elle vous envoie un document plus tard, en lien avec notre intervention.

D'abord, je dois vous dire que nous avons déjà témoigné devant les comités de la Chambre des communes et le comité du Sénat. Notre position n'a pas changé quant à la Loi antiterroriste, y compris quant aux deux clauses dont nous parlons aujourd'hui.

Pour la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles et la Ligue des droits et libertés, les clauses concernant les investigations judiciaires et les arrestations préventives ayant pour objet d'imposer des engagements assortis de conditions sont dangereuses et trompeuses.

Les débats du Parlement sur cette question doivent s'appuyer sur un examen rationnel et éclairé de la Loi antiterroriste, une loi adoptée à la hâte après les événements du 11 septembre 2001, dans un climat, on s'en souvient, de peur et sous une très grande pression de la part de États-Unis.

Six ans plus tard, la menace terroriste existe toujours. Ce n'est cependant pas la seule ni la plus importante menace à laquelle l'humanité fait face.

Par ailleurs, il est devenu évident que ces dispositions de la Loi antiterroriste ne sont pas nécessaires pour faire face au terrorisme. Les dispositions régulières du Code criminel se sont avérées amplement suffisantes jusqu'ici pour mener les enquêtes policières dans les cas de présumés complots terroristes. Ce point de vue a été étayé dans des dizaines de mémoires présentés lors des différents examens parlementaires traitant de la Loi antiterroriste.

Les deux dispositions reposent sur la définition très large de l'activité terroriste et de la participation à une activité terroriste. Elles permettent donc d'arrêter préventivement et de forcer à témoigner des personnes qui participent à des activités de contestation et de dissidence et qui n'ont rien à voir avec ce qu'on entend normalement par « terrorisme ».

La première disposition permet d'obliger une personne à comparaître devant un juge et à témoigner, lorsque le juge a des motifs raisonnables de croire qu'elle possède des informations concernant un acte terroriste qui a été commis ou qui va être commis. Le refus de coopérer peut entraîner l'arrestation et l'emprisonnement pour une période d'un an. Même si l'information obtenue lors de l'investigation ne pourra pas être utilisée pour incriminer le témoin lors d'un procès ultérieur, cette information pourra être utilisée et servir à la police pour trouver des informations dérivées qui pourront, elles, être utilisées plus tard.

La disposition qui concerne l'investigation judiciaire octroie à l'État un pouvoir de perquisition qui évacue les exigences usuelles dans le domaine des perquisitions. De plus, elle introduit la notion d'une justice inquisitoire qui devient un nouveau paradigme entre l'État, la police, la magistrature et les citoyens. On sait que, au Canada, comme dans tous les pays de common law, lorsqu'on parle de droit criminel, on parle de justice accusatoire, autrement dit de processus accusatoire, contrairement à la France où on est dans un processus inquisitoire.

Plus spécifiquement, je vous soulignerai quelques problèmes ici, puisque je ne veux pas prendre trop de temps. On se rappelle, et le sénateur Joyal l'a souligné, la nécessité d'un mécanisme de surveillance des activités de la GRC, son absence actuelle et la dangerosité que peuvent représenter ces deux dispositions.

On sait, surtout suite à l'enquête Arar, qu'une simple enquête peut détruire des réputations, une carrière, l'avenir d'une personne qui est innocente et qui n'est même pas accusée. On sait que ces dispositions pourraient prêter à une utilisation qui, pour nous, est abusive, et je pense au cas de Air India.

Nous sommes aussi d'opinion que la disposition de l'investigation judiciaire risque de déconsidérer l'indépendance de la magistrature et, par-là même, le système de justice. Avec le concept d'investigation judiciaire, on évacue tout le concept des débats contradictoires.

Je vous rappellerai aussi que, un peu partout dans ces deux positions, on renforce encore — le professeur Forcese en a parlé tantôt — le critère du soupçon pour agir contre le citoyen.

Je soulignerai de plus que la disposition, qui traite des mises sous condition pour des personnes envers qui on aurait des craintes, devient aussi un moyen indirect de ficher des innocents.

Je soulignerai également que, par le nouveau pouvoir de perquisition que l'investigation judiciaire donne aux policiers, on passe par-dessus les critères habituels qui permettent le respect de la vie privée.

Finalement les Canadiens seront mieux servis et protégés, d'après nous, en ayant recours aux dispositions usuelles du Code criminel. L'utilisation de pouvoirs arbitraires et d'un rabaissement du niveau de preuve ne peut pas remplacer le travail du policier fait selon les règles de l'art. Au contraire, ces pouvoirs ouvrent la porte au déni de justice et à la probabilité marquée d'entacher la réputation d'individus innocents comme Maher Arar.

Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Je remercie le témoin de son exposé. Le témoin dit que les dispositions actuelles du Code criminel suffisent à régler ce problème particulier, ou le problème qui est perçu, que vient corriger le projet de loi.

Selon vous, y a-t-il quoi que ce soit qu'on ne puisse faire en matière d'enquête aux termes du Code criminel? Vous avez probablement raison de dire que, en vertu du Code criminel, la police peut enquêter à peu près sur tout, n'est-ce pas?

[Français]

M. Barrette : Si je comprends bien votre question, vous me demandez quelles dispositions du Code criminel permettent aux policiers de faire enquête en matière de terrorisme. Je pense d'abord au complot, qui est une arme redoutable tant entre les mains de la police qu'entre celles du procureur de la Couronne. On sait que le complot, qui existe depuis très longtemps, est un crime de common law qui permettait justement d'endiguer des projets criminels. On parle de projet, d'une entente, et on n'a pas besoin d'une infraction avérée pour accuser quelqu'un de complot.

C'est une arme redoutable parce que, non seulement on va accuser des personnes d'avoir commis une entente pour un acte criminel qui n'a pas été commis, mais en plus, dans certains cas, on va accepter des témoignages des coconspirateurs, parce que les règles concernant la preuve sont changées. C'est une des armes redoutables de la Couronne, qui est souvent employée d'ailleurs dans les cas de crimes.

Une autre arme utilisée est l'article 21 sur la participation criminelle. Quant aux investigations, je vous rappellerai que les policiers ont déjà beaucoup d'outils pour faire des investigations de police. Quant aux dispositions touchant les craintes qu'une personne commette un acte terroriste, on a l'article 810.2 du Code criminel qui permet d'imposer des conditions assez larges à une personne qui représente un péril sérieux pour la sécurité publique. C'est là aussi une disposition assez forte du Code criminel, qui existe et qui n'est pas dans la Loi antiterroriste. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Oui, cela répond à ma question. Vous nous avez donné un exemple précis, celui des coconspirateurs dans une affaire de complot. Le coconspirateur est contraint de témoigner contre l'autre auteur du complot allégué.

Vous avez aussi dit qu'il n'est pas tout à fait juste de dire que le projet de loi interdit qu'on utilise contre elle, dans une éventuelle instance criminelle, le témoignage d'une personne. Comme vous l'avez souligné, on pourrait comparer le témoignage donné à un futur procès criminel à celui qui a été donné pendant l'investigation. Les informations pourraient être tirées du témoignage que le témoin aura été contraint de présenter et servir à faire plus tard des allégations.

Il n'y a pas de véritable protection. Vous estimez qu'il n'est pas tout à fait juste de dire que le témoignage donné dans le cadre de l'investigation ne pourra être utilisé contre ce témoin dans une future procédure pénale.

[Français]

M. Barrette : C'est exact. On parle d'une enquête et je comprends que le témoignage de la personne ne sera pas utilisé. La première preuve dérivée peut être mise de côté. Mais il faut comprendre que l'enquête se poursuit et que, comme vous le dites, par d'autres moyens on arrive à une preuve dérivée menant à une autre preuve dérivée, et cetera. Finalement, on monte un dossier contre la personne et on peut utiliser certaines preuves contre elle. Il y a une limite à la protection contre les preuves dérivées.

La Cour suprême a établi une limite pour éviter les preuves dérivées suite à une violation des droits, par exemple. Lorsqu'on parle de preuve dérivée, cela peut faire boule de neige. On est dans un système inquisitoire sans les protections du système inquisitoire. On n'est pas devant un juge d'instruction qui est respecté pour son indépendance, comme il l'est en France, mais devant un juge dans un système de common law, qui pose des questions à la demande de la police. On n'est pas dans un débat contradictoire, c'est le juge — avec tout le respect que je dois aux juges et pardonnez-moi l'expression — qui « ramène » les questions de la police, autrement dit qui donne du poids aux questions de la police. C'est un peu l'écho du corps policier.

C'était un peu ce que le juge Fish disait dans le jugement de la Cour suprême, d'ailleurs. C'est la question de l'indépendance des tribunaux qui est en jeu à ce moment-là.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Permettez-moi de vous demander ce que vous pensez du libellé du paragraphe 83.28(11), à la page 3 du projet de loi. La note marginale dit « Droit à un avocat » et le paragraphe 11 se lit comme suit : « Toute personne a le droit de retenir les services d'un avocat et de lui donner des instructions en tout état de cause ».

Pourriez-vous nous dire si vous avez déjà vu cette expression dans un autre texte législatif? Cela ne limite-t-il pas le droit à un avocat à la durée de l'instance? En l'occurrence, l'instance c'est l'investigation.

Avez-vous réfléchi à cette disposition? Ne craignez-vous pas qu'elle ne confère le droit à un avocat qu'au moment où l'investigation comme telle commence et pas pendant le dépôt et la lecture de l'affidavit?

[Français]

M. Barrette : On est peut-être dans une situation similaire aux mandats de perquisition. Lorsque les policiers entrent chez quelqu'un avec un mandat de perquisition et qu'ils perquisitionnent l'ordinateur, par exemple, il est évident que la personne n'a pas assisté au débat devant le juge permettant le mandat de perquisition. En revanche, il est certain que, s'il contacte un avocat, il pourrait attaquer la solidité ou la légalité du mandat de perquisition.

Selon la disposition 11, l'avocat a peu de moyens pour contester le mandat d'investigation judiciaire déposé contre son client surtout parce qu'on est en matière de sécurité nationale. Une grande partie de la preuve reste secrète. Les problèmes sont similaires à ceux que l'on rencontre avec les certificats de sécurité, comme lors de l'enquête Arar où une grande partie des audiences se sont tenues à huis clos. On devait se présenter en Cour fédérale à plusieurs reprises afin d'obtenir une portion de la preuve accessible aux avocats de M. Arar. C'est une position dans laquelle l'avocat a très peu de moyens.

On peut retenir les services d'un avocat sauf qu'on n'est pas dans un débat contradictoire ici mais dans un débat inquisitoire. Ainsi, l'avocat se retrouve dans la situation d'être l'avocat d'un simple témoin lors d'une commission d'enquête. L'avocat peut soumettre des objections pour la portion du témoignage, mais son mandat est assez limité et même très limité.

[Traduction]

Le sénateur Baker : En résumé, dans vos remarques, vous avez soulevé divers points liés aux droits de la personne. Il va sans dire que, pendant toute la procédure, on se demande si l'autorisation ne viole pas la Charte des droits.

Il n'est pas facile pour un plaidant de faire valoir un argument fondé sur la Charte, mais prenons l'alinéa 11b) ou l'article 11 de la Charte, par exemple. Vous avez, dans votre carrière d'avocat plaidant, invoqué ces dispositions. Quand vous contestez une loi comme celle-ci, est-il difficile de satisfaire aux normes et, disons, d'obtenir un sursis parce que les droits garantis par la Charte ont été violés?

[Français]

M. Barrette : Certainement qu'il y a des jugements de la Cour suprême qui renversent des dispositions législatives. Il y a aussi eu un jugement sur l'article sur les investigations judiciaires, mais en attendant que la Cour suprême puisse trancher sur la constitutionnalité ou pas d'une disposition et qu'un jugement soit renversé, il faut savoir que des victimes jalonnent tout le processus et que cela demande du temps. Il existe toute une série de victimes qui ne contesteront pas des dispositions qui pourraient plus tard être jugées inconstitutionnelles.

C'est pour cela que j'ai souvent l'habitude de dire aux parlementaires, qu'ils soient sénateurs ou députés, d'éviter de renvoyer leurs responsabilités de parlementaires à la Cour suprême en ce qui concerne le respect des principes fondamentaux de la Charte des droits et libertés. La Cour suprême tranchera et annulera des dispositions si jamais elles ne sont pas conformes à la Charte des droits et libertés, mais c'est oublier le but de la Charte des droits et libertés. Le but de la Charte est de protéger les gens avant qu'il n'y ait violation de leurs droits et de laisser aux politiciens leur place pour comprendre le respect et l'appliquer aux droits fondamentaux de la personne.

Il y a également un autre aspect important qu'il ne faut jamais oublier, l'accessibilité à la justice. Il y a actuellement au Québec de plus en plus de cas où le juge doit désigner des avocats pour contre-interroger des victimes d'agressions sexuelles ou de violence conjugale parce que les personnes n'ont pas les moyens de se payer un avocat et qu'ils ne sont pas admissibles à l'Aide juridique. Ces cas sont de plus en plus nombreux au Québec à cause de l'admissibilité à la justice. Cela représente un obstacle sérieux pour les personnes qui veulent s'attaquer à la constitutionnalité d'une disposition.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Je sais que vous avez fait valoir des arguments fondés sur la Charte au nom de vos clients dans le passé. À votre avis, est-il extrêmement difficile de prouver qu'il y a eu violation d'un droit garanti par la Charte?

[Français]

M. Barrette : C'est très difficile parce que les tribunaux ont une obligation de retenue judiciaire envers les lois et règlements adoptés par les parlements. À cause de cette obligation de retenue judiciaire, la loi ou le règlement contesté est d'abord présumé être constitutionnel et respecter la Charte des droits et libertés parce qu'on présume que les députés provinciaux ou fédéraux ou les sénateurs ont réfléchi à la conformité aux droits fondamentaux. C'est à celui qui invoque l'inconstitutionnalité qu'incombe le fardeau de la preuve de démontrer la violation. Souvent même, cette violation ne respecte pas l'article 1, c'est-à-dire qu'elle n'est pas raisonnable dans une société démocratique.

Le sénateur Joyal : Est-ce que je dois comprendre de vos remarques que, selon vous, les dispositions générales du Code pénal, telles qu'elles existent présentement, sont suffisantes pour donner aux forces policières les outils requis pour assurer la sécurité des Canadiens sans avoir recours à ces deux dispositions d'exception?

M. Barrette : Oui, je le crois profondément. D'ailleurs, le simple fait que ces clauses ont été très peu utilisées est en partie une preuve. Une des utilisations d'investigation judiciaire a été l'utilisation dans la cause d'Air India. On sait dans quel contexte cette clause a été utilisée. La Couronne commence un procès, un des témoins est récalcitrant, alors avant de le faire témoigner au procès, on veut le tester grâce à cette clause d'investigation judiciaire. On le fait en secret. C'est par accident qu'on apprend qu'on est en train de tester un témoin relié à la cause. Les journalistes débarquent, puis il y a une série de jugements et la cause se rend à la Cour suprême.

En fin de compte, il faut se rappeler aussi deux choses; malgré que cette clause ait été jugée constitutionnelle, malgré son utilisation dans la cause d'Air India, les accusés principaux ont été acquittés. Alors, on ne peut pas dire que, même dans ce contexte, cette clause a été utile.

Malheureusement, pour ce qui est de l'acte terroriste d'Air India, il y a eu des failles dans le système du SCRS, de la GRC et même de la Sûreté du Québec, car on a su dernièrement que, l'avion ayant atterri à Montréal, un maître-chien avait été réquisitionné pour motifs d'une bombe à bord, mais l'avion n'a pas attendu le maître-chien et est reparti.

À cause de plusieurs failles dans les méthodes d'enquête de l'époque, d'avant la Loi antiterroriste, il est arrivé le malheur qui est arrivé. C'est un exemple triste et malheureux de l'inutilité de ces deux clauses.

Avant que vous arriviez, je parlais du complot et aussi de l'article 810.2 du Code criminel et de l'importance de laisser la magistrature à sa place, c'est-à-dire d'être là pour émettre des mandats de perquisition mais en respectant des conditions très strictes.

Je comprends qu'un mandat de perquisition est émis à huis clos, mais lorsqu'une personne témoigne, que ce ne soit pas fait dans un cadre inquisitoire et que le juge ne se fasse pas le porte-parole du corps policier. C'est un peu la façon dont je vois l'investigation judiciaire, malheureusement. Les policiers peuvent enquêter assez efficacement sans cela, je le crois.

Si M. Arar n'avait pas été envoyé en Syrie, parce qu'on se rappelle qu'il était un sujet d'intérêt, on aurait pu l'amener dans un cadre d'investigation judiciaire, il aurait eu beaucoup de difficulté à refaire sa réputation. C'est un des impacts de l'investigation judiciaire : la personne est innocente, on la libère après. Il reste que la réputation de M. Arar a été entachée pour sa vie, parce que tout le monde l'aurait vu comme quelqu'un ayant des liens avec le terrorisme. Et c'est parce qu'il a été détenu en Syrie et qu'il y a eu une campagne en sa faveur au Canada et une commission d'enquête qu'on a pu savoir la vérité à son sujet. Sinon, on n'aurait pas pu le savoir.

J'ai été très heureux de vous entendre parler d'un mécanisme de surveillance plus tôt. Je crois que c'est, aujourd'hui, une nécessité afin de vérifier tout le comportement de la GRC et des services de renseignements dans les multiples ministères qu'il y a au Canada. Encore là, le débat est à venir parce qu'on n'a pas de projet de loi devant nous, on n'a rien, on n'a pas de projet de loi prêt malgré les conclusions du commissaire. Je crois qu'un mécanisme de surveillance avec respect ne permettrait pas de minimiser les dommages que peuvent faire à l'administration de la justice le fait que les policiers peuvent se servir des juges pour faire avancer leur enquête.

Mais je trouve quand même important que dans le cadre de toute disposition ou de toute enquête de terrorisme, il y ait un mécanisme de surveillance qui permette de faire le suivi des actions des policiers.

Le sénateur Joyal : Si je comprends votre réponse, il y a plusieurs volets à votre argument pour nous demander de rejeter ce projet de loi? Je ne veux pas les répéter comme on disait autrefois en latin, in seriatim, c'est-à-dire en succession, mais vous dites d'abord qu'il y a déjà suffisamment de pouvoirs dans le Code pénal qui sont aussi efficaces que ces dispositions.

Deuxièmement, vous dites — et je le retiens de réponses antérieures que vous avez données au sénateur Baker — que la Charte des droits et libertés offre une protection minimum. Mais d'une certaine façon, même si une disposition satisfait les principes de la Charte des droits et libertés, elle ne tient pas qualité de toutes les implications qu'une personne qui se trouve prise dans le système judiciaire a à supporter et des conséquences qui s'ensuivent pour lesquelles elle ne peut plus, par la suite, rétablir sa réputation ou revenir sur ce qu'elle a perdu dans le processus.

Troisièmement, vous dites que pour des questions également de politique juridique, de faire jouer aux juges un rôle qui les définit en lieu et place de la police est un mauvais principe de politique et de justice pénale.

Est-ce que je résume assez bien la façon dont vous interprétez l'ensemble des implications de ce projet de loi dans le système judiciaire canadien?

M. Barrette : D'une certaine façon, oui. Mais je vais rajouter qu'en plus on doit toujours tenir compte de la définition très large d'activités terroristes donnée dans la Loi antiterroriste et qui est toujours en vigueur. Ceci permet que des enquêtes soient faites, entre autres sur des motifs religieux, politiques et idéologiques. Parce que c'était l'introduction — et Kent Roach le disait à l'époque, comme on l'a tous répété — du mobile comme motif d'enquête policière.

Il ne faut pas oublier que dans l'investigation judiciaire on est au niveau de l'enquête policière et non pas au niveau de l'accusation d'une personne. C'est à ce niveau qu'on pourrait obliger quelqu'un à venir participer à l'enquête par la force ou encore à subir des conditions restrictives de liberté.

Maintenant, je ne sais pas si on parle comme vous dites si bien en latin — que je ne connais pas aussi bien — du principe de l'oignon, c'est-à-dire où le cœur pour nous est le fait qu'il existe déjà des dispositions dans le Code criminel et qu'à chaque fois qu'on ajoute des dispositions uniquement pour en rajouter, il y a un risque de violation des droits et libertés. Il faut toujours être prudent lorsqu'on change le Code criminel à ce niveau. L'autre cœur du problème est aussi la définition très large d'activités terroristes. Il s'agit malheureusement pour nous d'une dynamique qui va accentuer les problèmes plutôt que de les amoindrir.

Le sénateur Joyal : Vous vous souviendrez peut-être que lorsque nous avons fait les recommandations suite à notre étude révisant la Loi antiterroriste, nous avions recommandé, très précisément à la recommandation 3, que l'on procède à la redéfinition d'activités terroristes dans le contexte de cette loi.

Évidemment, le gouvernement ne l'a pas encore complétée et cela nous semble être un manque fondamental dans le contexte de la révision de la loi quand on nous demande des pouvoirs d'exception. Tout comme vous l'avez entendu plus tôt aujourd'hui, nous n'avons pas d'informations suffisantes aujourd'hui pour conclure que le principe de la surveillance civile des activités de sécurité de la GRC sont suffisamment efficaces pour garantir ou pour prévenir des abus comme ceux qu'on a connus au cours des dernières années.

Cela vaut autant pour l'affaire Arar que dans le cas de l'enquête sur Air India. Je ne veux pas revenir sur les détails de l'enquête, mais vous connaissez toute cette histoire des bandes magnétiques perdues par la GRC, et on ne sait pas pourquoi. J'imagine que s'il y avait eu une surveillance étroite des activités de la GRC reliées à la sécurité, il y aurait probablement eu moins de risques de perdre des documents aussi essentiels pour la conclusion de l'enquête que ces bandes magnétiques. C'est un exemple et je pourrais en nommer d'autres.

Toutefois, à cette étape, l'objectif n'est pas de faire la liste mais bien de comprendre qu'une surveillance efficace des activités de la GRC reliées aux activités terroristes est une garantie de l'efficacité même de la GRC. Je ne les vois pas comme antinomiques, l'un et l'autre; de la même façon que les organismes de discipline dans les ordres professionnels assurent une plus grande efficacité de la prestation des services professionnels.

J'essaie de comprendre les éléments essentiels que nous devrions retenir des témoignages que nous entendons pour arriver à faire en sorte que les failles de ce projet de loi puissent être, d'une certaine façon, colmatées, parfois en temps utile et parfois dans d'autres projets de loi; ou quelles garanties ou quels engagements nous devrions obtenir pour nous assurer que l'on évite les difficultés comme celles que vous avez exprimées cet après-midi.

M. Barrette : Je suis heureux de constater, encore une fois, que la définition d'activités terroristes préoccupe le Sénat. À l'époque, je ne sais pas si on vous avait soumis une préoccupation du Comité des droits de l'homme de 2006.

Lorsque le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a étudié le rapport du Canada en 2006, il notait, et je cite :

Tout en notant l'existence d'une clause de protection de la protestation sociale dans la Loi antiterroriste, le Comité est préoccupé par le fait que la définition du terrorisme donnée dans ce texte est étendue. L'État-partie devrait adopter une définition plus précise des infractions de terrorisme de façon à ne pas cibler d'individu pour des motifs politiques, religieux ou idéologiques dans le cadre des mesures de prévention d'enquête et de détention.

Je pourrais faire parvenir cette citation à votre comité. Pour ce qui est de l'amélioration du projet de loi, je dois vous dire que je remarque beaucoup de failles dans le projet de loi. J'ai cité tantôt la clause 82.28 qui m'a frappé sur le tard. Il s'agit du paragraphe 5 que je vous le lis en français :

L'ordonnance enjoint à la personne désignée dans celle-ci de se présenter au lieu fixé par le juge saisi de la demande ou par celui-ci désigné en vertu de l'alinéa b) de se présenter devant un juge.

Je vous lis ensuite l'alinéa a) :

Enjoindre à cette personne d'apporter avec elle toute chose qu'elle a en sa possession ou à sa disposition et à la remettre au juge présidant l'interrogatoire.

Tout de suite après, je vous invite à lire le paragraphe 12, à la page 3, car c'est là que survient la saisie de la chose :

Si le juge présidant l'interrogatoire est convaincu qu'une chose remise pendant celui-ci est susceptible d'être utile à l'enquête relative à une infraction de terrorisme, il peut ordonner que cette chose soit confiée à la garde de l'agent de la paix ou à une personne qui agit pour son compte.

Lorsqu'on dit « est susceptible de servir à l'enquête relative », je comprends qu'on peut me dire : « Denis Barrette, vous êtes tenu d'aller devant le juge et d'apporter votre ordinateur » puis, après deux ou trois questions de peu d'importance, on peut me dire : « Votre ordinateur est susceptible d'être utile à l'enquête. On va donc le garder pour poursuivre l'enquête. » Me voilà donc en situation de saisie.

C'est assez frappant. On ne décrit pas la chose, rien ne concerne la suite des événements ou ce qu'on fait avec la chose, il n'y a pas de rapport et il n'y a pas de maximum de temps.

On se retrouve dans une saisie qui, à la limite, pourrait s'avérer une expédition de pêche. En anglais on dit : ``will likely be relevant,'' ce qui constitue une expression assez large. La disposition de la période de 72 heures me préoccupe et comme le disait le professeur Forcese plus tôt, questionner quelqu'un pendant 72 heures c'est très long.

Il faut penser que les deux dispositions peuvent être utilisées en même temps. Rien n'empêche les policiers d'utiliser à la fois la disposition préventive et à la fois l'investigation judiciaire. Heureusement on ne l'a pas fait, mais c'est là, la possibilité existe.

Par dessus tout, c'est toute la question de la sécurité nationale qui va rendre le débat presque en majorité à huis clos et qui va rallonger le débat pour celui qui veut défendre ses droits.

Il y a une autre disposition dont je ne vous ai pas parlé. À l'article 83.33(2) qui concerne les conditions préventives, une disposition transitoire permet une application rétrospective des conditions restrictives de liberté. On dit :

Dans le cas où, conformément à 83.32, l'article 83(3) cesse d'avoir effet, la personne qui est mise sous garde au titre de cet article est mise en liberté à la date de cessation d'effet de cet article.

Sauf que les paragraphes qui contiennent des conditions continuent de s'appliquer à la personne qui a été conduite devant le juge au titre du paragraphe 83(3). Autrement dit, il y a une application rétrospective de la disposition même si la disposition n'est plus en vigueur.

Je voudrais vous souligner un autre problème. Contrairement à l'article 810 dont parlait le professeur Forcese, lorsque quelqu'un est convoqué devant un tribunal pour une ordonnance de garder la paix en vertu des articles 810, 810(1) et 810(2), il n'y a aucune prise d'empreintes digitales. Lorsqu'on se réfère à la Loi sur l'identification criminelle, il y a une disposition dans le cas de 83.33, ce qui signifie que la personne qui est soumise à un engagement en vertu de 83.33 est fichée et doit donner ses empreintes digitales. L'exemption existe toujours aux termes de la Loi sur l'identification des criminels.

Je répète qu'il s'agit là d'une personne qui n'est pas accusée, qui est innocente et qui se retrouve fichée. C'est une façon indirecte de ficher quelqu'un. Je crois que j'ai fait le tour des difficultés techniques que je vois avec ce que j'avais dit auparavant.

Le sénateur Joyal : Ces remarques s'ajoutent aux points que vous aviez soulevés antérieurement?

M. Barrette : Oui.

Le sénateur Joyal : J'aimerais exprimer à nouveau la position que le comité avait adoptée au sujet de la définition d'activité terroriste. Je vous lis la recommandation no 2 :

que le gouvernement adopte une définition unique du terrorisme applicable aux lois fédérales;

et la recommandation no 3 :

que l'alinéa c) de la définition de « menace envers la sécurité du Canada » figurant à l'article 2 de la Loi sur le Service canadien de renseignements de sécurité soit modifié par la suppression de la mention « d'un objectif politique, religieux ou idéologique » et son remplacement par une autre disposition afin d'indiquer le type d'activité violente à l'encontre des personnes ou des biens qui constitue une menace pour la sécurité du Canada.

Donc, le comité avait adopté une recommandation extrêmement précise sur une définition unique et ensuite l'exclusion de la mention « d'un objectif politique, religieux ou idéologique ». Le gouvernement n'a pas encore été saisi d'un projet à cet effet, mais c'était la position que le comité avait adoptée eut égard à la définition de l'activité terroriste.

M. Barrette : Je dirais que c'est une évolution marquée par rapport à la disposition actuelle et cela répond en grande partie à ce que je lisais tantôt concernant les préoccupations exprimées au Comité des droits de l'homme à Genève en 2006.

Le sénateur Joyal : En ce qui concerne l'investigation judiciaire dans la décision que la Cour suprême suite aux plaintes qui avaient été déposées, à votre avis, est-ce que les conditions définies par la Cour suprême trouvent écho dans le texte dont nous sommes saisis aujourd'hui, quant au projet de loi S-3?

M. Barrette : En partie oui, mais je crois aussi que les critiques du professeur Forcese à ce sujet sont assez pertinentes quant au jugement de la majorité de la Cour suprême. Il y a des critiques à apporter quant à l'investigation judiciaire. Évidemment, les règles de huis clos et de la portion publiques ne sont pas établies. Je dois dire qu'on nage encore dans l'imprécision à ce sujet.

Pour ma part, je partage l'opinion de la dissidence. À l'époque, le juge Morris Fish s'était prononcé sur la question. Ce dernier trouvait que cette disposition attaquait l'indépendance de la magistrature.

Quant à la conformité, effectivement, il y aurait des précisions à apporter.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais avoir une précision. Une bonne part de votre témoignage relate vos préoccupations quant à la Loi antiterroriste dans son ensemble. Vous avez déclaré que les dispositions du Code criminel étaient suffisantes, et que nous n'avions pas besoin de dispositions spéciales. Vous avez essentiellement dit ce que moi — et, je présume, la plupart des membres du comité — j'ai dit au début. Il fallait déterminer s'il nous fallait un tel projet de loi. Le gouvernement de l'époque a expressément affirmé qu'il lui fallait toutes ces dispositions. De plus, nous tentons de déterminer si on a su trouver le juste équilibre entre les droits des personnes et le droit à la sécurité de la société.

Si je vous ai bien compris, vous continuez de peser le pour et le contre pour déterminer si nous avons trouvé ce juste équilibre. Si j'ai bien compris, vous estimez qu'on a supprimé certains droits individuels et certains processus à tort. Est-ce exact?

[Français]

M. Barrette : Je ne parlerai pas nécessairement en termes de retrait des droits. Il est question plutôt du risque élevé pour les victimes de violation des droits. D'ailleurs, la clause 83.33 n'a jamais été employée. Quant à 83.28, elle fut employée dans un dossier rétrospectif. La catastrophe d'Air India, par exemple, est survenue avant l'entrée en vigueur de la Loi antiterroriste, et le procès a eu lieu par la suite. Il existe donc très peu d'applications tangibles de ces deux dispositions. Toutefois, un risque demeure. Ma préoccupation, comme celle de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, se situe au niveau de la violation des droits et des dangers qu'engendrent ces deux dispositions à ce sujet.

On se souviendra des témoignages devant le comité, en 2001 ou 2002, dans le cadre de l'étude du projet de loi C-36. Le fait de donner aux policiers des pouvoirs qui ne seront pas utilisés ne semble pas, au premier abord, constituer une violation des droits. Les représentants des forces policières sont des gens honnêtes et je ne doute pas de leur intégrité. Ils ont indiqué leur intention d'être très prudents avec l'utilisation de cette loi. Elle ne sera pas utilisée fréquemment, le danger ne se pose donc pas.

Je trouve toujours risqué un tel raisonnement. Une fois la loi adoptée, malgré ses clauses crépusculaires et autres, elle ne demeure pas moins en vigueur. Et même si elle est peu utilisée pendant une certaine période de temps, le public sait que cette loi existe. N'oublions pas que cela donne un pouvoir ancillaire de pression aux policiers dans des situations d'interrogatoire de rue, comme il fut question dans l'arrêt Hall.

Les policiers oeuvrent toujours dans la légalité. Toutefois, lors d'enquêtes, et dans le but de protéger les intérêts de la population, la tendance naturelle est toujours d'aller un peu plus loin que ce qui est prévu dans les dispositions législatives. Voilà un autre risque pour les droits et libertés.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. Malgré le fait qu'on retrouve, en ce moment, peu de victimes de ces deux dispositions, je dirais qu'il serait préférable de s'en passer, compte tenu du risque qu'elles peuvent comporter.

Ces lois sont utilisées dans des cas d'urgence, où règnent la peur et la panique — un peu comme ce qui s'est produit lors des événements du 11 septembre 2001. La crainte n'est jamais bonne conseillère. C'est plutôt dans les moments d'accalmie ou de paix qu'il est temps d'évaluer, de façon rationnelle, l'importance de préserver les droits et libertés. Évidemment, il est important de les défendre en temps difficile, mais il faut prévoir comment les protéger en temps difficiles.

Il est facile de protéger les droits et libertés en périodes de paix. Il faut prévoir l'imprévisible et faire en sorte que, dans un moment de panique, une loi ne fasse pas de victimes innocentes parce qu'elle a été mal conçue ou parce qu'elle est dangereuse ou inutile.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Vous avez fait allusion à l'affaire Arar, mais le projet de loi C-3 ne se serait pas appliqué au cas Arar, n'est-ce pas? Ou croyez-vous que cette cause a eu une incidence sur le projet de loi C-3?

[Français]

M. Barrette : En effet, l'affaire Arar n'a aucun lien direct avec le projet de loi S-3. Toutefois, elle a un impact sur toute matière concernant la sécurité nationale et les enquêtes en découlant. C'est l'une des rares enquêtes, depuis la Commission Mackenzie et la Commission MacDonald, en matière de sécurité nationale. Ce genre d'enquête se déroule environ aux 20 ou aux 40 ans. Elles sont rares et ont des impacts à long terme.

En ce sens, l'affaire Arar aura un impact positif, on l'espère, sur les questions de sécurité nationale. En même temps, elle nous ouvre les yeux — et j'espère qu'elle nous les ouvrira longtemps — sur les risques de législation et de méthodes d'enquête trop abusives, ou d'outils qui semblent inutiles mais qui peuvent être dangereux.

Plus tôt, j'écoutais le témoignage des policiers. Encore une fois, je ne doute pas de leur intégrité. Toutefois, je vous dirais qu'ils tiennent toujours les mêmes propos. Les organisations des droits et libertés ont leurs positions également sur la protection des droits. Les policiers nous indiquent qu'ils avisent sans hésitation lorsqu'ils ont besoin de souplesse, d'outils et de souplesse dans leurs outils. Lorsqu'il se produit des événements comme ceux de septembre 2001, ils sentent l'urgence de beaucoup plus près et la pression, et veulent obtenir des résultats le plus rapidement possible.

En ce sens, l'affaire Arar aura été une leçon quant à l'éthique à appliquer en matière d'enquête. Une autre leçon que l'on peut tirer de l'affaire Arar est en matière de sécurité nationale.

Le juge O'Connor, ne l'oublions pas, qui est juge à la Cour d'appel de l'Ontario, est très respecté. À l'époque, il avait décidé de rendre une bonne portion de l'enquête publique. Le gouvernement, pour sa part, après des mois de négociation avec le procureur général du Canada dans le but d'en arriver à un texte commun, s'était objecté au dépôt du rapport Arar. La cause fut renvoyée en Cour fédérale où est survenue une autre entente.

Maher Arar bénéficiait, à l'époque, de l'appui d'une bonne partie de l'opinion publique.

On peut se demander ce qui se passe pour l'individu convoqué à une séance d'investigation judiciaire, qui ne bénéficie pas des appuis incroyables émanant de l'opinion publique dont a bénéficié M. Maher Arar, qui se retrouve dans une situation difficile, et qui, en bout de ligne, se fait dire qu'il n'a pas accès à la preuve parce que c'est secret et que la séance est à huis clos. C'est dans ce cadre que vont se dérouler les procédures et c'est également dans ce cadre que son avocat aura énormément de difficulté à remettre en cause la « raisonnabilité » de sa présence devant le juge pour répondre aux questions.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, monsieur Barrette.

Cela met fin aux témoignages aujourd'hui. Avant de lever la séance, j'aimerais que nous traitions d'une question. J'ai fait distribuer un modeste budget pour les repas et d'autres dépenses diverses, un budget total de 6 000 $.

Le sénateur Fairbairn propose l'adoption du budget. Y a-t-il des questions? Que tous ceux qui sont pour la motion l'indiquent.

Les sénateurs : D'accord.

Le président : Nous nous retrouvons la semaine prochaine, à la même heure, mais je ne peux pas encore vous donner une liste précise des témoins que nous entendrons. Nous avons fait des invitations, et le greffier m'indique que nous devrions avoir des réponses sous peu. Nous pourrons donc tenir une séance la semaine prochaine.

L'échéancier des Communes pour le projet de loi C-3 est très serré. Il pourrait nous être renvoyé, auquel cas on nous demanderait de l'étudier avant la fin de février en raison de l'échéance imposée par la Cour suprême. Nous devrons peut-être alors partager notre temps entre ces deux projets de loi.

Le sénateur Joyal : Pour ma part, je n'ai pas d'objection à mettre le projet de loi S-3 de côté si nous sommes saisis du projet de loi C-3. Étudier le projet de loi C-3 parce que...

Le sénateur Andreychuk : J'espère que nous pourrons en faire l'étude rapidement.

Le président : Nous ne sommes pas tenus de terminer le projet de loi S-3 avant d'amorcer notre étude du projet de loi C-3.

Le sénateur Andreychuk : Par souci d'efficacité, nous devrions tenter de le faire.

Le président : Nous en convenons tous.

Le sénateur Andreychuk : Bien.

Le président : Merci beaucoup.

La séance est levée.


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