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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)


Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme

Fascicule 7 - Témoignages du 2 juin 2008


OTTAWA, le lundi 2 juin 2008

Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme se réunit aujourd'hui à 13 h 32 pour étudier les dispositions relatives au processus de délivrance des certificats de sécurité figurant dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, modifiée récemment par la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, L.C. 2008, ch. 3, et à examiner le fonctionnement de ce processus dans le cadre du dispositif canadien de lutte contre le terrorisme.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Le 11 mars 2008, après son étude du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial), et une autre loi en conséquence, qui est entré en vigueur le 22 février, le comité a reçu un ordre de renvoi du Sénat portant sur l'étude des nouvelles dispositions relatives au processus de délivrance des certificats de sécurité de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et l'examen du fonctionnement de ce processus dans le cadre du dispositif canadien de lutte contre le terrorisme.

[Français]

L'étude a été effectuée à la suite des préoccupations exprimées par le comité relativement au projet de loi C-3, dans les observations annexées à son rapport sur le projet de loi et conformément à une lettre que le comité a reçue, le 12 février 2008, du ministre de la Sécurité publique indiquant qu'il accueillerait l'étude continue, par le comité, des dispositions sur les certificats de sécurité de la LIPR, et demandant au comité de présenter son rapport et ses recommandations au gouvernement avant le 31 décembre 2008.

[Traduction]

Le comité entend des témoins qui traitent des sujets suivants. Le premier, ce sont les principes sous-jacents du processus de délivrance des certificats de sécurité. Le deuxième est la comparaison entre la délivrance des certificats de sécurité aux termes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ou LIPR, modifiée par le projet de loi C-3, et d'autres systèmes ou processus au Canada ou ailleurs, dans lesquels des renseignements confidentiels recueillis par les services de renseignement servent de fondement à une grande partie de la preuve opposée à une personne. Nous verrons également où il y a lieu de faire des efforts pour garantir que la personne en cause recevra des renseignements suffisants pour connaître le dossier monté contre elle, et quels sont les avantages et inconvénients des différents systèmes.

Aujourd'hui, honorables sénateurs, nous entendrons deux représentantes du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ou CSARS. Il s'agit de Susan Pollak, directrice exécutive, et de Marian McGrath, avocate principale. Vous pouvez présenter votre exposé, après quoi nous passerons aux questions et réponses.

Susan Pollak, directrice exécutive, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité : Bonjour à tous. Merci de nous avoir invitées à comparaître.

Je tiens d'abord à vous transmettre les salutations de notre président, l'honorable Gary Filmon, qui ne pouvait malheureusement pas être ici aujourd'hui. Je suis accompagnée de Marian McGrath, avocate principale du CSARS. Nous nous ferons toutes les deux un plaisir de répondre à vos questions.

À titre de cadres supérieurs qui conseillent et appuient le Comité de surveillance, nous sommes très honorées d'adresser la parole au Comité sénatorial spécial. J'espère que nos observations seront utiles à son étude des dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Nous sommes ici aujourd'hui pour donner un aperçu sur ce qu'on a appelé le « modèle du CSARS », et notre intervention se situe dans le cadre de votre étude du processus de délivrance des certificats de sécurité aux termes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et du dispositif des avocats spéciaux chargés de faire en sorte que le processus soit juste pour les personnes visées par les certificats de sécurité.

Je voudrais pour commencer tirer au clair certains termes qui ont été employés à propos du modèle du CSARS. Il n'y a pas d'avocat spécial, pas de conseiller spécial, pas de conseiller indépendant qui intervienne dans notre processus. Je vais discuter de ce modèle de façon plus détaillée. Il n'y a que l'avocat du CSARS, et il agit au nom du CSARS.

Il est arrivé que le CSARS retienne les services de mandataires choisis parmi les avocats en pratique privée pour se faire représenter soit à cause de la lourdeur de la charge de travail, soit pour offrir les compétences juridiques particulières dont le Comité de surveillance avait besoin. Toutefois, ces mandataires agissent au nom du CSARS. Tout à l'heure, je vais décrire un peu plus en détail le rôle de l'avocat du CSARS.

Je sais que vous connaissez bien les activités du CSARS, mais il pourrait être utile, avant d'aborder ce que nous considérons comme le modèle du CSARS, de décrire brièvement ses deux fonctions principales, décrites dans la Loi sur le Service canadien de renseignement de sécurité. La première est de surveiller les activités du SCRS et d'en faire rapport au Parlement chaque année. La deuxième est de faire enquête sur les plaintes.

Le Comité de surveillance peut faire enquête sur quatre types de plaintes.

Le premier, prévu à l'article 41 de la Loi sur le SCRS, comprend les plaintes formulées contre le SCRS au sujet de toute activité du Service ou de tout geste qu'il aurait fait.

Le deuxième type, prévu à l'article 42 de la Loi sur le SCRS, regroupe les plaintes relatives au refus ou à la révocation d'habilitations de sécurité. Ces plaintes peuvent viser aussi bien le ministère employeur que le SCRS.

Le troisième type porte sur des questions qui sont renvoyées au CSARS en vertu de l'article 45 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et soulèvent des problèmes de sécurité nationale. Ces plaintes peuvent concerner le ministère ou l'entité du gouvernement fédéral contre lesquels une plainte de discrimination a été portée et le SCRS.

Le quatrième type comprend les rapports soumis au CSARS aux termes de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté.

Autrefois, comme vous le savez, le CSARS faisait des enquêtes sur des rapports produits aux termes des articles 39 et 81 de la Loi sur l'immigration. Cette fonction lui a été retirée lorsque la Loi sur l'immigration a été abrogée et remplacée par la LIPR, en 2001.

Aux articles 41 à 52 de la Loi sur le SCRS, le Parlement a offert un recours aux personnes qui croient que le SCRS a porté atteinte à leurs droits et libertés. Le Parlement a prévu un dispositif de recours pour ceux qui ont perdu des possibilités d'emploi dans l'appareil gouvernemental parce qu'une habilitation de sécurité a été refusée ou révoquée.

De plus, la Loi canadienne sur les droits de la personne reconnaît le CSARS comme cadre sécuritaire dans lequel une pratique discriminatoire alléguée qui donne lieu à des préoccupations en matière de sécurité nationale peut faire l'objet d'une enquête de la même façon qu'une plainte formulée aux termes de l'article 42 au sujet de la révocation d'une habilitation de sécurité.

Le CSARS fonctionne comme un tribunal administratif dans ses enquêtes sur les plaintes. Aux termes de l'article 50 de la Loi sur le SCRS, il a pouvoir d'assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous serment et à produire les pièces qu'il juge indispensables pour instruire et examiner à fond les plaintes, de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives. Il peut également faire prêter serment et recevoir des éléments de preuve ou des informations par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu'il estime indiqué.

Ces pouvoirs correspondent à ceux d'une commission d'enquête mise sur pied en vertu de la Loi sur les enquêtes. Le modèle du CSARS se distingue donc de celui d'un avocat spécial dans la mesure où celui-ci n'a pas le pouvoir législatif de convoquer des témoins et d'exiger la production de documents.

Étant donné les conséquences graves que l'enquête sur une plainte peut avoir pour les parties, et plus particulièrement celles qui ont perdu leur habilitation de sécurité et donc leurs moyens de subsistance, le CSARS doit veiller à ce que le processus soit conforme aux règles d'équité en matière de procédure.

Les enquêtes sur les quatre types de plaintes sont soumises aux mêmes procédures — ce que je vais appeler ici le modèle du CSARS. Par le passé, lorsque le CSARS faisait des enquêtes relatives à des certificats de sécurité aux termes de l'ancienne Loi sur l'immigration, il suivait des procédures identiques à celles qui sont actuellement suivies pour les autres types de plaintes.

Les quatre types de plaintes concernent tous des renseignements confidentiels. L'article 37 de la Loi sur le SCRS prévoit ceci :

Les membres du comité de surveillance et les personnes qu'il engage se conforment aux conditions de sécurité applicables aux employés en vertu de la présente loi et prêtent le serment de secret mentionné à l'annexe.

Il est évident que le défi, pour le CSARS, est de mener des enquêtes sur les plaintes en respectant les règles d'équité en matière de procédure, d'une part, et, d'autre part, en tenant compte de la nécessité de protéger des renseignements très confidentiels.

Au cours d'une enquête, le plaignant a la possibilité de présenter des instances et des éléments de preuve, et de se faire entendre personnellement ou par l'entremise d'un avocat, conformément aux règles de procédures du CSARS, qui sont prises en vertu de l'article 39 de la Loi sur le SCRS.

Toutefois, il peut être nécessaire, pour des raisons de sécurité nationale, de restreindre la participation du plaignant au processus d'examen de la plainte et de faire entendre la preuve par le membre chargé de l'enquête dans une instance à huis clos. Les Règles de procédure du CSARS tiennent compte de cette éventualité.

Le paragraphe 48(2) de ces règles dispose que :

Sous réserve de l'article 37 de la Loi, lesdits membres ont discrétion, en tenant compte à la fois des exigences de la sécurité du Canada et du droit de la personne concernée à un traitement équitable, pour déterminer si les faits de l'affaire justifient qu'on permette à une partie de contre-interroger des témoins appelés par d'autres parties.

De la même façon, le paragraphe 48(4) des Règles de procédure prévoit :

Sous réserve de l'article 37 de la Loi, quand ils n'ont pas permis à une partie d'assister à toute l'audience, lesdits membres ont discrétion, en tenant compte à la fois des exigences de la sécurité du Canada et du droit de la personne concernée à un traitement équitable, pour déterminer si les faits de l'affaire justifient que la substance des témoignages ou des observations d'autres parties doit être divulguée à la partie qui a subi l'exclusion.

S'il y a lieu d'exclure le plaignant de l'audience, le membre du CSARS qui préside l'enquête fait appel à l'avocat du CSARS pour interroger les témoins du gouvernement — soit du SCRS, soit d'un ministère — et examiner les éléments de preuve sur papier. Le membre qui préside doit rester indépendant et impartial. De la même manière, l'avocat du SCRS doit être indépendant du gouvernement, représenté par le SCRS ou tout autre ministère ou organisme du gouvernement, et du plaignant.

Pour plus de clarté, disons que l'avocat du CSARS n'est pas celui de la personne concernée. Il n'y a pas de relations procureur-client entre lui et la personne concernée. Le rôle de l'avocat du CSARS se rapproche davantage de celui du conseil d'un commissaire qui préside une commission d'enquête.

Néanmoins, dans la mesure où l'intérêt du CSARS consiste à chercher la vérité en vérifiant la crédibilité des témoins du gouvernement et la fiabilité de sa preuve en faisant contre-interroger les témoins par l'avocat du CSARS, l'intérêt du plaignant recoupe celui du CSARS. Aux termes de l'article 39 de la Loi sur le SCRS, le CSARS a accès à toute information relevant du SCRS, à l'exception des documents confidentiels du Cabinet, à l'information relevant de l'administrateur général dans le cas d'un refus d'habilitation de sécurité et à l'information relevant d'un ministre pour ce qui est des questions renvoyées au CSARS aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L'avocat du CSARS doit examiner les renseignements confidentiels pour conseiller le Comité de surveillance relativement aux questions qui sont de son ressort et préparer l'audience. Cet examen comprend le contre- interrogatoire des témoins dans les audiences à huis clos.

L'avocat du CSARS communique avec le plaignant qui n'a pas d'avocat ou avec l'avocat du plaignant pour lui expliquer la marche à suivre, fixer les dates des audiences et régler toute autre question préliminaire avant l'audience ou toute autre question de procédure qui peut surgir pendant l'audience.

Avant une audience à huis clos, le plaignant peut soumettre des questions à l'avocat du CSARS, qui, à son tour, peut les poser aux témoins à l'audience à huis clos.

Il arrive, au cours d'audiences où le plaignant est présent, qu'un témoin du SCRS ou du gouvernement — par exemple, l'agent du SCRS qui a fait l'entrevue avec le plaignant pour évaluation en matière de sécurité — se fasse poser par le plaignant une question qui soulève des préoccupations sur le plan de la sécurité nationale. À ce moment, l'avocat du SCRS élève une objection contre la question, et le président demande au plaignant de quitter la salle d'audience. Il invite l'avocat du CSARS à poser la question en l'absence du plaignant. Il peut aussi poser lui-même la question.

Un résumé vérifié de la preuve ou une version éditée de la transcription de l'audience à huis clos est remis au plaignant. Celui-ci ne sait pas toujours si toutes les questions qu'il a demandé à l'avocat du CSARS de poser ont été effectivement posées, et il ne connaît pas toujours les réponses qui ont été reçues.

Le résumé vérifié des témoignages et les documents expurgés présentés comme pièces aux audiences sont communiqués par le CSARS au plaignant pour qu'il puisse comprendre suffisamment bien le fond des allégations retenues contre lui, notamment en cas de perte de l'habilitation de sécurité. Le résumé permet à la personne concernée de répondre.

Après avoir lu le résumé ou la transcription, le plaignant peut vouloir faire convoquer un témoin différent du SCRS et le faire contre-interroger par l'avocat du CSARS. Il fait cette demande à ce dernier. Il arrive donc que les plaignants et l'avocat du CSARS doivent discuter, même si l'avocat a eu accès à des renseignements confidentiels. Il n'est jamais arrivé qu'un avocat du CSARS, tenu de respecter le secret, communique par inadvertance des renseignements confidentiels à un plaignant.

L'avocat du CSARS ainsi que le président, les membres et le personnel du CSARS ont reçu une formation poussée au sujet des précautions à prendre avec les renseignements confidentiels. Ils ont aussi reçu une formation au sujet de la conservation, du transfert et de la communication de ces renseignements : les locaux sont sûrs, tout comme le sont les réseaux informatiques et la salle d'audience.

Tous les résumés de preuve, documents et lettres ou messages qui contiennent des renseignements du SCRS sont vérifiés par le SCRS avant que le CSARS ne les communique à la personne concernée de façon à faire respecter l'article 37 de la Loi sur le SCRS.

Le modèle du CSARS repose sur une institution qui existe depuis les débuts du SCRS, en 1984. Le CSARS a des locaux dotés d'ordinateurs à l'administration centrale du SCRS. Il a aussi une entente avec le SCRS pour avoir accès sur place aux renseignements confidentiels du SCRS et les examiner.

Les membres du Comité de surveillance et l'avocat du CSARS peuvent compter sur une mémoire institutionnelle. Ils ont aussi l'appui d'analystes en recherche qui ont reçu une formation sur les questions de renseignement de sécurité. Le personnel du CSARS a de vastes connaissances et beaucoup d'expérience concernant les directives ministérielles et la politique opérationnelle — par exemple, les politiques opérationnelles visant les personnes qui sont des sources de renseignements, les ententes avec des organismes étrangers de renseignement et de sécurité au sujet de la mise en commun de l'information et des dispositions prises avec des organismes à l'intérieur du pays.

La fonction de surveillance, alliée à celle des enquêtes sur les plaintes, ajoute une certaine profondeur à la compréhension que le CSARS peut avoir des questions de renseignement de sécurité. L'avocat du CSARS a accès aux recherches réalisées par le CSARS sur les questions soulevées par les enquêtes sur les plaintes. De la même façon, une plainte donne un nouvel aperçu sur les activités du SCRS et peut fournir un nouveau point de vue pour entreprendre une étude de recherche. Elle peut même donner lieu à une révision.

Voilà qui met fin à ce que j'avais à dire du modèle du CSARS ainsi qu'il existe aujourd'hui et qu'il a été tout au long de son existence. Si vous avez des questions à poser, Mme McGrath et moi nous ferons un plaisir d'y répondre.

Le vice-président : Madame McGrath, attendrez-vous les questions ou avez-vous quelque chose à ajouter tout de suite?

Marian McGrath, avocate principale, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité : Je vais attendre vos questions, sénateur.

Le vice-président : Avant de passer aux questions des sénateurs, je vais vous demander si vous accepteriez que nous vous fassions parvenir des questions écrites, des questions différentes de celles qui vous seront posées cet après-midi. J'espère que vous y répondrez.

Mme Pollak : Certainement.

Le sénateur Baker : Je souhaite aux témoins la bienvenue au comité. L'un d'eux a parlé de mémoire institutionnelle. Certains d'entre nous, autour de cette table, en ont une qui remonte beaucoup plus loin que celle des témoins en ce qui concerne cette question et le fonctionnement du modèle du CSARS avant 1988.

Selon votre témoignage, le processus que vous avez défini comme le modèle du CSARS est en place depuis le début, soit depuis 1984-1985 environ, est toujours prévu par la loi et toujours respecté.

La Cour suprême du Canada, dans son jugement qui a entraîné la révision de la Loi antiterroriste, a dit que le processus du CSARS — ainsi que la Loi sur la preuve au Canada — était un autre modèle auquel le gouvernement pouvait recourir pour régler le problème. Elle a parlé de l'avocat spécial et dit, comme vous l'avez fait, qu'il n'avait pas le même pouvoir que vous, par exemple pour convoquer des témoins.

Quel autre avantage y a-t-il entre le modèle CSRAS et le modèle créé par le gouvernement du Canada lors de la modification de la Loi antiterroriste? Quelle autre différence importante y a-t-il à part le fait que, dans le modèle CSRAS, l'avocat peut convoquer des témoins det ils ont les ressources voulues poru assurer une défense presque complète quand, dans le système actuel tel qu'indiqué dans la loi, ces ressources n'existent pas? Y a-t-il une autre différence?

Mme McGrath : Sénateur Baker, l'une des distinctions, comme Mme Pollak l'a expliqué, est que, lorsque j'ai eu accès à des renseignements confidentiels pour me préparer à l'audience, je peux toujours avoir des contacts avec le plaignant ou son avocat, alors que, sauf erreur, dans le système d'avocat spécial maintenant prévu dans le projet de loi C-3, l'avocat spécial ne peut plus avoir ces communications. Je crois comprendre aussi que, entre avocats spéciaux, il n'y a pas de réseau, pas de moyen de communiquer entre eux.

Il n'y a pas de secret professionnel entre moi et un plaignant. Il arrive que je doive parler en son nom pour fixer une date d'audience ou établir le nombre de témoins qu'il veut appeler. Il arrive même que, au milieu d'une audience, je doive lui demander comment il veut que je formule une question.

Pour des raisons d'ordre pratique, je dois pouvoir communiquer. D'autre part, j'ai fait serment de respecter le secret, et nous avons reçu une formation très poussée en matière de protection des renseignements confidentiels. Je crois donc que c'est là un élément de notre modèle qui n'existe pas dans le cas des avocats spéciaux.

Je ne suis pas une spécialiste du modèle des avocats spéciaux, mais je crois qu'il y a un autre élément : nous avons une sorte de secrétariat qui appuie le Comité de surveillance dans ses enquêtes et ses audiences. Nous avons des avocats, du personnel de soutien et des attachés de recherche, alors que je ne crois pas que ces installations et ce personnel aient été mis en place pour appuyer les avocats spéciaux. Je suis au courant de deux distinctions, en plus de ce qui n'a peut-être pas été expliqué.

Le sénateur Baker : Comme vous l'aurez probablement appris en écoutant la télédiffusion de nos audiences sur le projet de loi, au cours de cette courte période, le gros problème a consisté à se conformer à ce qu'a dit la Cour suprême du Canada : une personne qui est en détention, emprisonnée, doit savoir pourquoi elle l'est. Elle doit avoir des renseignements assez précis; elle doit savoir, au moins pour l'essentiel, la raison qui motive son incarcération.

Dans votre système, que vous avez décrit, un résumé ou une version éditée de la preuve — lorsqu'il y a des éléments qui sont considérés comme d'intérêt national et qui ne peuvent pas être divulgués — est remis à l'accusé ou à la personne qui institue l'enquête pour vous. Est-ce exact?

Mme McGrath : Oui, sénateur.

Le sénateur Baker : C'est là une autre différence majeure par rapport à ce que la loi prévoit maintenant.

Il me semble incroyable que vous ayez cerné exactement les points par lesquels votre système se distingue de celui des avocats spéciaux que nous avons institué — les trois points que la Cour suprême du Canada a signalés et que les Communes britanniques ont fait remarquer dans leur rapport, les trois points qui ne vont pas dans leur système d'avocats spéciaux. Le problème a été signalé par les Communes britanniques et la Cour suprême du Canada avant l'institution du régime des avocats spéciaux au Canada.

Nous avons étudié une partie de la jurisprudence qui concerne votre modèle, mis en place dans les années 1980 et 1990, ainsi que les appels qui ont été interjetés. Il semble y avoir eu une évolution plutôt sensée. D'une part, le plaignant communique avec le procureur ou le bureau du procureur général pour savoir en quoi le problème consiste, mais, d'autre part, dès votre entrée en scène, vous fournissez un résumé détaillé au plaignant sur votre rôle et ce que vous allez faire. Vous le tenez au courant de l'évolution de votre enquête, de ce que vous avez découvert et de l'aide que vous pouvez lui apporter. Pour tout ce qui est déclaré d'intérêt national, vous fournissez un résumé de la preuve.

Il me semble qu'il s'agit d'un modèle solide, presque analogue à celui de la Loi sur la preuve au Canada, et il s'écarte certainement de l'actuel système des avocats spéciaux. Concluez-vous que votre modèle est quelque peu différent, un peu plus libéral, au sens général, comme réponse aux remises en question que la Cour suprême du Canada a faites dans sa décision et qui ont entraîné des modifications législatives?

Croyez-vous que votre modèle a beaucoup à offrir aux personnes qui se retrouvent dans ce genre de situation? Voilà ce qu'on appelle une question tendancieuse.

Mme McGrath : Très juste. Sénateur Baker, à propos des questions qui concernent précisément la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, vous pourriez peut-être les poser à M. Cameron, qui témoignera après nous.

Le sénateur Baker : Il est votre avocat de l'extérieur, n'est-ce pas?

Mme McGrath : Oui, mais il est aussi avocat spécial. Je crois savoir que, aux termes de la LIPR, la personne désignée dans le certificat reçoit un résumé, et que les résumés sont affichés sur le site de la Cour fédérale. Je ne crois pas qu'on puisse dire catégoriquement que cette personne ne reçoit pas de résumé, mais vous voudrez peut-être lui poser des questions précises à ce sujet.

Je voudrais ajouter, pour répondre à votre question, que notre modèle se rapproche davantage de celui d'une commission d'enquête en ce sens que nous représentons la commission d'enquête. J'ignore s'il est possible de faire un parallèle exact ou d'offrir une solution parfaite. Je crois qu'on remet des résumés et, maintenant que l'avocat spécial pourra contester les éléments de preuve ou les renseignements que le gouvernement possède à l'encontre de la personne...

Le sénateur Baker : Je suis désolé, madame McGrath...

Le vice-président : Pourquoi ne pas inscrire votre nom pour intervenir au deuxième tour?

Le sénateur Baker : Désolé.

Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir sur un point que le sénateur Baker a soulevé, soit le fait que l'avocat du CSARS peut rester en contact ou maintenir les communications avec le plaignant. Permettez-moi de vous lire le paragraphe 85.4(2) du projet de loi C-3. Avez-vous un exemplaire du projet de loi?

Mme McGrath : Non, nous n'en avons pas.

Le sénateur Joyal : Le greffier pourrait-il remettre un exemplaire du projet de loi C-3 au témoin?

L'article 85.4 de la LIPR qui est proposé concerne l'avocat spécial et les restrictions expresses qui lui sont imposées. Une fois qu'il a pris connaissance des éléments d'information remis au juge, l'avocat spécial est soumis à des restrictions dans ses communications. Elles sont décrites au paragraphe 85.4(2) :

Entre le moment où il reçoit les renseignements et autres éléments de preuve et la fin de l'instance, l'avocat spécial ne peut communiquer avec qui que ce soit au sujet de l'instance si ce n'est avec l'autorisation du juge et aux conditions que celui-ci estime indiquées.

Je crois comprendre, d'après votre témoignage, que ce genre de procédure n'existe pas, lorsque l'avocat du CSARS s'occupe de la procédure de plainte. Est-ce exact?

Mme McGrath : Oui.

Le sénateur Joyal : Cela veut-il dire que nous avons besoin de cette disposition pour préserver le caractère confidentiel et la sécurité des renseignements protégés, dans le contexte de la procédure de l'avocat spécial, si nous voulons suivre l'expérience de l'avocat du CSARS? C'est une question digne du barreau.

Mme McGrath : Il faudrait que j'y réfléchisse. Il est évident que le Parlement tient à ce que les renseignements confidentiels soient protégés. C'est un sujet de préoccupation sérieux.

Le sénateur Joyal : Vous vous en préoccupez également.

Mme McGrath : Oui. Toutes nos dispositions sur la communication des renseignements sont assujetties à l'article 37 de la Loi sur le SCRS, article que Mme Pollak a lu. Tous nos documents et toute notre correspondance sont vérifiés par le SCRS de façon à garantir la protection des renseignements confidentiels. Toutefois, je n'ai pas besoin de m'adresser à la présidence du CSARS si le plaignant me demande quand l'audience aura lieu. Je peux le lui dire sans demander l'autorisation au juge ou au président.

Si quelqu'un croit savoir que l'audience est terminée et demande quand on peut espérer recevoir le rapport, je peux lui dire qu'il a été signé à tel moment et que le SCRS est en train de le vérifier. Dans la loi proposée, le juge doit autoriser l'avocat spécial avant que celui-ci ne puisse communiquer de quelque façon que ce soit avec la personne concernée, même s'il ne s'agit que de procédure.

Le sénateur Joyal : L'avocat spécial peut recevoir des renseignements qu'il voudrait vérifier ou au sujet desquels il voudrait présenter des renseignements complémentaires afin de mieux équilibrer l'interprétation du risque. Dans le modèle du CSARS, l'avocat du Comité de surveillance peut-il demander au plaignant des renseignements complémentaires?

Mme McGrath : Dans le modèle du SCARS, comme commission d'enquête, s'il y a enquête sur une allégation de faute, par exemple, et si le président, le membre qui préside ou moi disions qu'il serait utile à l'enquête, pour comprendre la faute alléguée — et peut-être n'y a-t-il pas eu faute —, nous pourrions demander à la personne si d'autres témoins étaient présents lorsque le SCRS l'aurait harcelée, selon les allégations. Nous pourrions proposer à la personne d'appeler celui qui se trouvait dans la pièce au même moment. Aux termes de l'article 1, la charge de la preuve repose sur la personne concernée, qui doit, selon le critère de la prépondérance des probabilités, montrer qu'il y a eu faute. Le président peut, de son propre chef, demander le nom du témoin, et nous pourrions communiquer avec lui. Nous avons cette possibilité.

Oui, il peut arriver qu'il soit dans l'intérêt du Comité de surveillance d'avoir un témoin de plus, une lettre ou un autre document qui peuvent être probants dans un sens ou dans l'autre. Tout cela fait partie de la détermination des faits.

Le sénateur Joyal : Je vais vous poser la question un peu différemment. Vous avez dit que l'avocat du CSARS a prêté serment et qu'il prend ce serment au sérieux. À ce jour, il n'y a eu aucun manquement à la sécurité de l'information, comme Mme Pollak l'a dit dans son exposé liminaire.

Pourquoi voudrions-nous imposer des limites plus contraignantes que celles du CSARS à l'avocat spécial pour ce qui est des contacts avec la personne visée par un certificat de sécurité? Y a-t-il un risque plus grand de laisser échapper des renseignements dans le modèle de l'avocat spécial que dans celui de l'avocat du CSARS?

Mme McGrath : Sénateur, vous me demandez d'exprimer une opinion personnelle. Il est certain que la culture du CSARS est fondée sur la protection des renseignements confidentiels. Nous nous occupons de ces renseignements, nous avons de l'expérience dans ce domaine et nous sommes très sensibles à cette question. Tous les membres du personnel sont aux aguets lorsqu'il s'agit de communiquer avec des plaignants, par exemple au sujet d'un retard en matière d'immigration. Le SCRS peut dire qu'il n'y a pas de problème de fond et qu'il a déjà donné son avis. Je ne vais pas communiquer ce renseignement au plaignant, à moins que le SCRS ne m'autorise par écrit à dire qu'il a déjà communiqué son avis à Citoyenneté et Immigration Canada. Cela peut sembler banal, mais nous savons qu'il faut agir de la sorte parce que c'est ce qu'on nous a enseigné, c'est la formation que nous avons reçue, et nous la respectons.

Je ne peux rien dire des membres du barreau en pratique privée qui ont été nommés. Du reste, je ne sais pas au juste de qui il s'agit. Il peut arriver qu'ils ne soient pas aussi sensibilisés que nous le sommes, puisque nous travaillons dans ce domaine depuis fort longtemps.

Le sénateur Joyal : Votre observation est liée au fait que l'avocat du CSARS s'occupe plus régulièrement de procédure que ne le fait l'avocat spécial, qui a pu être choisi et être moins sensible aux questions de sécurité.

Mme McGrath : C'est fort possible, sénateur. Ils sont des avocats plaidants alors que nous venons d'un monde différent. Notre contexte est unique en son genre, et il va de pair avec des compétences uniques également.

Le sénateur Andreychuk : J'espère que nous explorons tous les mêmes questions. Je voudrais des précisions sur le projet de loi de 2001 sur l'immigration. Votre rôle a-t-il changé? Celui du SCRS a-t-il changé?

Mme Pollak : C'était notre rôle.

Le sénateur Andreychuk : Vous n'avez plus aucun rôle en ce qui concerne l'immigration. Est-ce exact? D'après mon souvenir, le projet de loi sur l'immigration n'avait pas une aussi grande portée.

Mme Pollak : Vous avez raison.

Le sénateur Andreychuk : Si quelqu'un n'est pas admis au Canada pour une raison ou l'autre, peut-il vous adresser une plainte? Dans ce cas, il ne pourrait s'agir que d'une plainte qui vise l'activité du SCRS, n'est-ce pas?

Mme Pollak : Oui, c'est exact.

Le sénateur Andreychuk : Combien de fois cela est-il arrivé au cours des cinq dernières années?

Mme McGrath : Vous voulez parler de gens qui n'ont pas pu obtenir la résidence permanente, par opposition au certificat de sécurité?

Le sénateur Andreychuk : Les deux. Dans quelle mesure y a-t-il un recoupement entre les processus des certificats de sécurité et les autres processus liés à l'immigration, où les demandeurs estiment n'avoir pas pu faire valoir leur cause? Ont-ils recours au CSARS pour poursuivre leur démarche et faire avancer leur cause?

Mme McGrath : Nous n'avons reçu aucune plainte au sujet des certificats de sécurité.

Nous en avons toutefois reçu au sujet de la qualité des avis que le SCRS a pu communiquer à Citoyenneté et Immigration Canada. Il y en a eu une au cours de la dernière année.

Nous avons aussi reçu des plaintes nombreuses au sujet des retards qui, selon les allégations, auraient pu être causés par le SCRS parce qu'il aurait tardé à communiquer ses évaluations de sécurité à Citoyenneté et Immigration Canada. Les retards peuvent être le fait de Citoyenneté et Immigration Canada, mais le plaignant ne sait pas qui freine le processus de son immigration. Nous avons donc eu beaucoup de plaintes au sujet des retards.

Le sénateur Andreychuk : Dans le cas du certificat de sécurité, que le projet de loi C-3 a modifié récemment, il y a une meilleure possibilité d'examen du processus du certificat de sécurité, pour s'exprimer dans une langue de profane. Est-il possible à quelqu'un qui fait l'objet de cet examen devant un tribunal de s'adresser en même temps au SCRS? Est-il possible d'utiliser en cour les renseignements obtenus dans votre instance, et vice-versa, sous réserve des précautions à prendre en matière de sécurité?

Mme McGrath : La Loi sur le SCRS est très générale. L'article 41 dit que toute personne peut se plaindre de toute activité du SCRS. Si une personne veut se plaindre de la qualité de l'avis fourni par le SCRS aux ministres pour délivrer le certificat de sécurité, oui, elle peut présenter une plainte en même temps. Cela ne s'est jamais produit, mais c'est possible.

Le problème, c'est que nous ne sommes qu'une instance qui fait enquête. Nous sommes un tribunal administratif. Mme Pollak a décrit nos pouvoirs. Nous ne pouvons pas assurer une réparation ni prendre ou faire respecter des ordonnances. Nous faisons seulement enquête sur les faits qui justifient la plainte pour voir si, selon la prépondérance des probabilités, la plainte est maintenue ou rejetée. Nous pouvons seulement nous prononcer sur les faits et formuler des recommandations.

Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas exécutoire.

Mme McGrath : Exactement. Il s'agit seulement de donner des indications.

Le sénateur Andreychuk : Dans l'application de votre processus, communiquez-vous avec le plaignant au sujet de questions de fond, en plus des questions de procédure?

Les commissions reconnaissent maintenant un statut spécial au plaignant. A-t-il droit à un avocat? A-t-il droit à un statut spécial chez vous?

Mme McGrath : Madame le sénateur, votre question comprend environ quatre éléments. Je voudrais donner une réponse complète.

Pour ce qui est des questions de fond, comme je l'ai dit, il pourrait s'agir d'une question de droit et de fait : il faut voir si un autre témoin était présent ou si quelqu'un d'autre a observé la faute alléguée. Nous pourrions donc communiquer pour discuter de cette question particulière.

Une question de fond peut également être une question de droit. Si nous essayons de prouver qu'il y a eu discrimination, nous voudrons savoir comment, aux termes de l'article 45 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, on prouve qu'il y a eu discrimination. Nos communications ne sont pas limitées à la procédure. Nous pouvons poser des questions pour aider le Comité de surveillance.

Quelle était la question suivante?

Le sénateur Andreychuk : La personne concernée a-t-elle un statut spécial pour votre commission et votre enquête? A-t-elle droit à un avocat? Si oui, quel est le rôle de l'avocat?

Mme McGrath : Les règles désignent le plaignant comme une partie. La partie a le droit d'être présente sauf lorsque la sécurité nationale est en cause. Elle est donc partie à l'instance.

La Loi sur le SCRS dit que le plaignant a droit à un avocat, mais nous ne payons pas ces frais juridiques. Le plaignant doit lui-même retenir les services de son avocat. La plupart du temps, les plaignants ne sont pas représentés.

S'il est présent, l'avocat interroge directement le plaignant et les éventuels témoins. Lorsqu'un témoin du SCRS ou du gouvernement ne donne pas de renseignements confidentiels dans son témoignage, l'avocat du plaignant peut contre-interroger les témoins. Il peut aussi faire un plaidoyer ou présenter un mémoire.

Le sénateur Andreychuk : Je crois toutefois comprendre que, dès que votre enquête porte sur des renseignements confidentiels, le plaignant et son avocat ne peuvent être présents.

Mme McGrath : Vous avez raison. Même l'avocat qui représente le plaignant ne peut alors être présent. Les mêmes règles s'appliquent aux communications avec le plaignant ou son avocat. L'avocat qui représente un plaignant n'a aucun statut spécial. Je ne pourrais pas lui dire quelque chose que je ne peux dire au plaignant.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez dit que vous n'aviez à consulter personne lorsqu'il s'agit de communiquer avec le plaignant ou son avocat et qu'il s'agit là d'une règle. Est-ce exact?

Mme McGrath : Non, c'est l'opposé. Aux termes du projet de loi C-3, l'avocat spécial doit avoir l'autorisation du juge. Il n'y a pas de disposition correspondante dans la Loi sur le SCRS.

Le sénateur Andreychuk : Je croyais que vous aviez dit que vous étiez autorisés par les règles.

Mme McGrath : Nos règles de procédure ne limitent pas nos contacts.

Le sénateur Andreychuk : Par conséquent, comme il n'y a pas de restriction sur les communications, vous avez adopté comme position que vous pouviez communiquer, et personne ne l'a contesté.

Mme McGrath : C'est exact.

Le sénateur Andreychuk : Je vais demander à un autre témoin si, aux termes des règles judiciaires, le tribunal peut établir des procédures et des règles qui permettraient à l'avocat de communiquer dans un sens et dans l'autre — ce que vous semblez faire — en matière de communications. Je vais m'arrêter là pour l'instant afin de laisser du temps aux autres sénateurs.

Le sénateur Segal : Je voudrais tirer les choses au clair, en ce qui concerne le rôle du SCRS au sujet de l'admission d'une personne au Canada et de l'incapacité du CSARS d'intervenir dans le processus, sauf en ce qui concerne l'article général sur l'ensemble des activités du SCRS. Si j'ai bien compris votre témoignage, le CSARS n'est plus un recours normatif auquel peuvent faire appel les personnes qui sont exclues.

Si quelqu'un s'interroge sur la qualité, l'équité, l'exactitude ou l'opportunité des avis donnés par le SCRS à Citoyenneté et Immigration Canada ou sur toute activité du SCRS — au sujet de l'exclusion d'une personne, par exemple —, il peut s'adresser au CSARS. Il pourrait en principe s'adresser au CSARS dans le cadre de ce processus, n'est-ce pas?

Mme McGrath : Oui, c'est vrai.

Le sénateur Segal : Si je comprends bien les distinctions utiles que Mme Pollak a faites entre le processus des avocats spéciaux et celui du CSARS, ces questions sont traitées selon des règles différentes. Vos règles sont un peu plus généreuses, du point de vue des droits du plaignant dans le contexte de la dynamique d'une audience, que celles qui sont envisagées dans le texte législatif à l'étude aujourd'hui.

Vous semble-t-il troublant que nous ayons deux séries de règles différentes qui permettent de traiter différemment les droits des plaignants? Vous avez eu l'obligeance de dire que le Parlement se préoccupe de protéger la sécurité nationale. Le Parlement se soucie également de la protection des droits de la personne, du principe d'équité et de l'égalité en droit.

À titre de spécialistes au service d'un organisme, vous inquiétez-vous de la différence dans les règles qui existent aux deux endroits? Je ne mets aucunement en doute la motivation de la Couronne à l'égard de vos règles ou des autres règles. Est-ce préoccupant de vous retrouver dans un contexte où vos règles donnent au plaignant plus de latitude que ce qui est envisagé dans le projet de loi à l'étude?

Mme McGrath : Je peux me reporter à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Chiarelli. Cette décision a précédé d'un bon nombre d'années l'arrêt Charkaoui. La Cour suprême du Canada a analysé le processus en place au CSARS, celui-là même dont nous avons discuté dans notre champ de compétence actuel.

Le modèle est équitable. À mon avis, les rédacteurs de la Loi sur le SCRS, qui a été mise en place en 1994, étaient des visionnaires. Il s'agit d'un modèle juste et équilibré. Selon moi, la LIPR tente d'aller dans le même sens.

Des juges de la Cour fédérale interviennent, et je leur voue un grand respect. Il peut y avoir un compromis, permettant d'avoir un juge de la Cour fédérale plutôt qu'un membre du comité.

Je ne suis pas sûre de répondre à votre question. La réponse est simple : la décision Chiarelli, si vous la connaissez bien, énonce bien ce que le tribunal a reconnu. L'article 7 de la Charte était également en cause. On a jugé que le processus du CSARS conciliait les intérêts de la sécurité nationale et la question de l'équité de la procédure, qu'il respectait les divers intérêts.

Le sénateur Segal : Je crois donc comprendre que, en vous appuyant sur l'arrêt judiciaire, vous acceptez l'idée que quelqu'un contre qui une plainte a été formulée ou un plaignant peuvent être priés de sortir de la salle lorsqu'on donne une réponse qui met en cause la sécurité nationale. Il leur est interdit d'entendre ce qui se dit.

Mme McGrath : Oui.

Le sénateur Segal : En dépit de la Grande Charte, vous acceptez cela, n'est-ce pas?

Mme McGrath : Absolument. Ce n'est pas une solution élégante. Toutefois, les membres du CSARS, grâce à leur intégrité, à leur impartialité et à leur indépendance, et moi-même vérifions la crédibilité et la fiabilité des renseignements. Et nous le faisons de façon énergique.

Vous voudrez peut-être poser la question au SCRS, qui peut probablement en témoigner également. Je crois que, d'une certaine façon, nous avons circonscrit les faits et activités en question pour que les intérêts du plaignant soient respectés, dans la mesure où le Comité de surveillance parvient également à la vérité. Je dirai par conséquent que, effectivement, c'est aussi juste que possible.

Le sénateur Segal : Enfin, pour passer de la théorie à la pratique, y a-t-il eu des cas, selon votre souvenir, où des personnes visées par un certificat, devant une instance, ont invoqué la disposition générale sur la remise en question des activités du SCRS devant le CSARS pour se prévaloir des règles un peu plus généreuses du CSARS? À votre connaissance, ce genre de situation s'est-elle déjà produite?

Mme McGrath : Non, pas que je sache.

Le vice-président : Avant de passer au deuxième tour, il faut rappeler aux témoins que, après les audiences d'aujourd'hui, ils recevront la transcription de leurs témoignages. Ils ne peuvent y apporter que des corrections mineures. Toutefois, s'ils veulent compléter leur témoignage au moins d'une lettre, ils peuvent le faire. Cela leur donnera le temps de réfléchir à des questions ou à des réponses qui leur donnent des difficultés, étant donné qu'il faut faire vite. Ils pourront faire des observations après coup.

Le sénateur Baker : Je n'ai pas d'autres questions. Je voudrais obtenir des précisions sur un point, celui de la communication d'un résumé édité de la preuve, une version corrigée ou dont des passages sont masqués des éléments qui, selon les allégations, concernent la sécurité nationale et sont donc exclus.

Dans votre modèle particulier, le demandeur a accès à ces éléments, de même que, il va sans dire, à tous ceux qui ne sont pas jugés d'intérêt national. Toutefois, il a accès soit à un résumé, soit à une version éditée des éléments qui, selon les allégations, sont d'intérêt national. Est-ce exact?

Mme McGrath : Oui, sénateur.

Le sénateur Baker : C'est très différent de...

Mme McGrath : Même aux termes de la Loi sur le SCRS, lorsque, par exemple, on refuse ou révoque un certificat d'habilitation — non, pas un certificat, mais une habilitation de sécurité —, avant le début de l'audience, il faut remettre à la personne en cause un énoncé des circonstances pour qu'elle comprenne les motifs du refus. De la même façon, dans le cas de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lorsqu'une question est soumise au CSARS, une disposition exige de lui qu'il remette au plaignant un résumé ou un énoncé des renseignements pour que le plaignant puisse comprendre pourquoi il s'agit d'une question de sécurité nationale.

Le sénateur Baker : Ce que vous désignez comme un énoncé des circonstances peut parfois être très important, n'est- ce pas?

Mme McGrath : C'est possible. Il peut être fort difficile de se mettre sur la même longueur d'onde. Il est également possible d'en arriver à un point où nous recevrions du procureur général, aux termes de l'article 38.01 de la Loi sur la preuve au Canada, un avis disant que, si nous communiquions toute l'information ou ce résumé, il nous traduirait devant la Cour fédérale en vertu de l'article 38.

J'ai vu ce genre de situation. Nous avons toujours pu négocier et parvenir à une entente négociée ou à une version des documents qui pouvait être communiquée.

Le sénateur Baker : Comme il s'agit d'un tribunal administratif, vous n'êtes pas assujettis à la Loi sur la preuve au Canada, ai-je raison?

Mme McGrath : Il est question d'« instance » à l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, et il s'agit d'instances dans notre cas. Nous avons reçu des lettres disant que nous serions traduits devant la Cour fédérale. Je m'en remets à cela.

Le sénateur Baker : Notre problème, étant donné tous les témoignages que nous avons entendus, c'est que la personne en détention, dans notre cas — qui est différent de celui d'un tribunal qui prend des décisions d'ordre administratif —, a besoin de connaître les détails des gestes allégués. Dans votre modèle propre, la personne en cause a davantage accès aux détails que ce ne serait le cas dans le cadre envisagé dans le projet de loi. C'est intéressant. Merci.

Le sénateur Joyal : Je voudrais me reporter à l'arrêt Charkaoui de la Cour suprême du Canada. Avez-vous le texte?

Mme McGrath : Non, je ne l'ai pas.

Le sénateur Joyal : Je me reporte au paragraphe 66 de l'arrêt. Le paragraphe porte sur le modèle du CSARS. Les paragraphes 70 à 80 de l'arrêt vous sont peut-être familiers.

Le paragraphe 76 dit ceci :

Certains éléments du processus du CSARS peuvent être inadaptés au contexte du terrorisme. Devant un risque d'actes de violence catastrophiques, il serait téméraire d'exiger un long processus d'examen avant qu'un certificat soit délivré. Mais on n'a pas laissé entendre devant notre Cour que la procédure faisant appel à un avocat spécial du CSARS n'avait pas bien fonctionné pour l'examen des certificats sous le régime de la Loi sur l'immigration, ni expliqué pourquoi le recours à un avocat spécial n'a pas été retenu dans le nouveau processus d'examen des certificats et de contrôle de la détention.

Il semble que les seuls arguments retenus par la Cour suprême, à propos du modèle du CSARS, aux fins de son application à l'examen des certificats de sécurité, est la longueur des procédures. Elle dit qu'il serait imprudent d'exiger un long processus d'examen avant qu'un certificat ne soit délivré. Quelle est la durée normale de la procédure, du début à la fin?

Mme McGrath : Dans le contexte de la Loi sur l'immigration, je crois que, lorsque le CSARS remettait son rapport, il était sujet à révision par la Cour fédérale. Il y avait donc un palier de plus. Selon moi, c'est notamment à cause de cette autre étape que la procédure était longue. Le CSARS n'intervient plus dans ces questions. Il n'y a plus que la Cour fédérale. C'est probablement parce que, bien des fois, il y avait révision judiciaire à la Cour fédérale de toute manière.

Quant à la durée de la procédure concernant par exemple l'habilitation de sécurité aux termes des articles 41 ou 42...

Le sénateur Joyal : L'une de vos quatre...

Mme McGrath : Oui, il peut falloir deux ans. Lorsque nous pensons à tenir une audience sur une question, il faut réunir dans la même ville, au même moment, des avocats très occupés et des membres du Comité de surveillance qui le sont tout autant. Ces délais font partie de la réalité. C'est la discipline des instances.

Il y a aussi la vérification et l'approbation des documents, qui ne se font pas du jour au lendemain. Il peut falloir des mois pour obtenir l'examen d'un résumé ou d'une transcription. C'est la nature de la bête, lorsqu'il faut s'occuper de renseignements classifiés. Avant qu'un plaignant n'ait un rapport en main, il peut s'écouler deux ans.

Le sénateur Joyal : Dans le modèle envisagé dans le projet de loi C-3, le processus sera-t-il plus rapide?

Mme McGrath : Il n'y aura certainement pas de révision judiciaire. Cet élément du processus a été éliminé.

Les juges peuvent, contrairement à nous, ordonner à des personnes de faire telle ou telle chose, mais ils ont davantage de moyens d'imposer une discipline. Il y a toujours les procès pour outrage, si les choses ne se font pas assez rapidement. Je dirais qu'ils peuvent faire vérifier les documents et faire comparaître les personnes plus rapidement que nous ne pouvons le faire.

Le sénateur Joyal : Par ailleurs, la cause peut se retrouver en Cour suprême. Alors combien de temps faut-il, en fin de compte?

Mme McGrath : C'est vrai.

Le sénateur Joyal : Vous pouvez toujours vous retrouver à poursuivre la lutte devant le tribunal de la même façon. Vous avez déjà vu cela par le passé.

Le temps nécessaire pour mener une démarche à son terme a-t-il jamais été un élément de votre activité qui vous dérangeait?

Mme McGrath : Nous cherchons des moyens d'améliorer l'efficacité. Nous avons des conférences préalables à l'audience pour essayer d'écarter les problèmes de procédure, pour faire en sorte que l'audience se déroule plus efficacement et plus rapidement. Toutefois, comme je l'ai dit, il faut faire vérifier les documents. Je ne fais de reproches à personne. Il faut que le SCRS soit minutieux dans son examen des documents. Je ne voudrais jamais communiquer un document qui risque de nuire à la sécurité nationale. C'est donc nécessaire.

Le sénateur Andreychuk : Nous comparons votre façon de faire au nouveau processus. Il m'apparaît clairement que, même s'il y a des similitudes et des différences entre les deux, les objectifs dans les deux cas sont différents.

Ai-je raison de dire que l'objet de vos enquêtes est de vous assurer de la véracité de l'information du SCRS? Autrement dit, fait-il son travail correctement? Utilise-t-il des sources dignes de foi? Peut-on dire que ce sont des renseignements de bonne qualité qui permettent de conclure que la sécurité nationale est en cause?

Devant les tribunaux, la question de la sécurité nationale doit être conciliée avec les droits du prévenu et sa capacité d'obtenir sa liberté, qu'il s'agisse d'engagement ou d'autre chose. Pour ce qui est des objectifs, le tribunal tente de voir s'il faut que la personne soit détenue en vertu d'un certificat parce qu'elle serait une menace pour la sécurité, alors que, de votre côté, vous étudiez les activités du SCRS.

Ai-je raison, ou vous intéressez-vous aux droits de l'accusé? Je ne veux rien court-circuiter. De toute évidence, si vous avez de bons renseignements — de bonnes sources dignes de confiance et fiables —, cela favorise les droits de l'accusé, mais vous n'êtes pas là pour vous prononcer sur son innocence ou sa culpabilité.

Mme McGrath : Nous devons travailler dans tous les sens. D'habitude, les gens s'adressent à nous pour des fautes que le SCRS aurait commises. Nous voulons savoir s'ils ont des preuves pour étayer leur plainte, selon la prépondérance des probabilités. Et, bien entendu, le SCRS a la possibilité de réfuter la plainte.

Dans le cas d'un refus d'habilitation de sécurité, il s'agit de l'avis donné par le SCRS. Nous considérons la qualité de cet avis pour voir s'il reposait sur des faits lorsqu'il a été communiqué à l'administrateur général.

Nous ne considérons pas les droits de la personne de la même façon que les droits de l'article 7 de la Charte — la liberté et la sécurité de la personne. Toutefois, lorsque ce sont les moyens de subsistance d'une personne qui sont en cause, nous prenons la question au sérieux. Il faut que le processus soit équitable avant qu'on ne retire son emploi à une personne. Il ne s'agit pas d'un droit protégé par la Charte, mais les conséquences pour la personne sont graves.

De la même façon, si la question relève de la Loi canadienne sur les droits de la personne, si c'est une question de discrimination, l'affaire peut être analogue à un problème d'égalité aux termes de l'article 15. Tout rapport que nous pouvons produire à des conséquences graves pour le ministère employeur ou la personne. Il faut donc, là encore, que le processus soit équitable.

Le sénateur Andreychuk : Il est très bien que les processus soient justes, j'en suis certaine; autrement, nous n'en aurions pas. Ce que nous cherchons à avoir, c'est le meilleur processus qui soit pour atteindre les deux objectifs.

Il me semble qu'il est dans l'intérêt supérieur de la personne qui vous présente une plainte et dans l'intérêt bien compris du public que les sources d'information soient fiables et exactes et aient toutes les qualités propres à donner aux Canadiens un milieu favorable et sûr. Il faut que les responsables utilisent leurs meilleures compétences pour parvenir à une conclusion — une conclusion qui est lourde de conséquences pour les Canadiens et peut-être aussi pour la personne soumise à un examen.

Quand une personne s'adresse aux tribunaux, elle compte énormément sur le SCRS pour savoir si l'information est exacte, mais les tribunaux ont d'autres sources, et ils peuvent utiliser toutes les techniques habituelles de collecte d'information que l'avocat du gouvernement ou de la personne peut proposer.

Pour tirer vos conclusions, faites-vous autre chose qu'examiner les documents du SCRS? Avez-vous recours à des sources extérieures, à des sources différentes?

Mme McGrath : Oui, sénateur. Si nous croyons qu'il existe un autre document ou d'autres témoins qui sont pertinents, il est certain que nous utilisons ce document ou convoquons des témoins.

Le sénateur Andreychuk : Combien de fois allez-vous à l'étranger pour recueillir le point de vue d'un témoin dans un autre pays ou obtenir de l'information sur d'autres services de sécurité?

Mme McGrath : Nous ne l'avons jamais fait. Des plaignants ont fait venir des non-Canadiens de l'étranger pour témoigner dans nos instances, mais nous n'avons pas payé les déplacements de ces personnes.

Le sénateur Joyal : Le sénateur Andreychuk a soulevé une question : y a-t-il une différence dans les objectifs du processus de l'avocat spécial? Je regarde le paragraphe 71 de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Charkaoui, avant les modifications de la LIPR, en 2001. Le CSARS avait le pouvoir de vérifier les décisions sur l'inadmissibilité fondées sur des menaces présumées à la sécurité nationale. On ne pouvait pas émettre de certificat ministériel sans une enquête du CSARS.

Cette décision répond à la question du sénateur Andreychuk. Vous avez déjà eu une procédure permettant de vérifier l'admissibilité d'un certificat, ce qui veut dire que les procédures d'avant fonctionnaient bien. Nous avons modifié la LIPR en 2001. La Cour suprême a conclu, dans l'affaire Charkaoui, que cela n'était pas acceptable.

La question qui se pose est la suivante : devrions-nous revenir à la procédure antérieure, conformément au paragraphe 71 de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Charkaoui?

Le sénateur Andreychuk : Ce n'est qu'une partie de la réponse. Sauf votre respect, je comprenais l'article 71. Ne devrions-nous pas, cependant, examiner les objectifs, maintenant que nous avons l'expérience des deux procédures?

Le sénateur Joyal : Tout à fait d'accord. Tout ce que je veux dire, c'est que la Cour suprême a jugé le processus trop long, avant la délivrance du certificat. C'est le seul élément sur lequel la Cour suprême s'est prononcée, à propos de l'ancienne procédure qu'on suivait avant de délivrer un certificat de sécurité. Elle a estimé qu'il fallait agir immédiatement en raison du risque d'un acte de violence catastrophique. Selon moi, c'est là le point essentiel de l'arrêt de la Cour suprême.

Mme Pollak : Nous comprenons.

[Français]

Le vice-président : Mesdames, au nom du comité, je vous remercie pour vos témoignages très intéressants. Comme je vous l'ai mentionné plus tôt, une transcription de vos témoignages vous sera remise et vous pourrez y apporter des corrections mineures. Aussi, si vous désirez ajouter à votre témoignage par écrit, nous vous invitons à le faire. Nous allons également vous écrire pour vous poser quelques questions qui pourraient avoir été omises par mes collègues et moi-même.

[Traduction]

Je souhaite la bienvenue au prochain témoin, Gordon Cameron, de Blake, Cassels & Graydon. Monsieur Cameron, veuillez faire votre déclaration d'ouverture, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.

Gordon Cameron, associé, Blake, Cassels et Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l., à titre personnel : Je n'ai pas de déclaration d'ouverture à proprement parler. J'ai déjà comparu devant le comité et j'ai exposé mon opinion sur ce que j'estimais être les faiblesses du projet de loi C-3 d'alors. Depuis, j'ai beaucoup discuté avec d'autres gens. Je parle des « autres gens » parce que je suis sur la liste des avocats spéciaux. Un premier groupe d'avocats spéciaux a été formé rapidement de façon à respecter les délais fixés par la Cour suprême et à avoir un système en place et qui marche bien dans l'année suivant la décision. Les avocats spéciaux ont travaillé d'arrache-pied, même pendant leur temps libre, pour échanger leurs opinions et voir si leurs premières impressions au sujet des difficultés du projet de loi C-3 étaient partagées par les autres. Fait étonnant, dans un groupe d'avocats où il peut être parfois difficile de s'entendre, même sur l'heure qu'il est, il y avait un accord presque unanime : il fallait corriger les problèmes relevés par Craig Forcese, Lorne Waldman et moi-même au cours d'une audience antérieure si on voulait que la loi fonctionne comme la Cour suprême l'a souhaité dans l'arrêt Charkaoui.

Depuis, j'ai participé à la formation du deuxième groupe d'avocats spéciaux, car j'estime qu'on n'a jamais assez d'information sur ce type de travail. Encore une fois, les avocats spéciaux étaient fortement convaincus qu'il fallait régler les problèmes à l'un des deux niveaux : ou bien il faut modifier le texte législatif ou bien, et je crois que c'est un second choix médiocre, les avocats des personnes concernées et les avocats spéciaux devront s'adresser au juge pour chaque ordonnance afin de régler les problèmes que présente le texte législatif.

Je participe à deux affaires de certificat de sécurité à titre d'avocat spécial désigné. Nous avons déjà travaillé à l'élaboration de l'ordonnance dont nous avons besoin de la part du juge pour corriger les erreurs du texte législatif. Autrement dit, la première chose que nous faisons en entrant dans la salle du tribunal, c'est demander la permission pour que l'avocat spécial discute de l'instance avec les avocats du gouvernement.

Je ne peux pas appeler les avocats du gouvernement pour leur demander s'ils sont disponibles la semaine suivante pour l'audition d'une motion. La loi m'interdit de communiquer avec eux. Je ne peux pas dire à ma secrétaire que je vais participer aujourd'hui à une instance à huis clos. L'avocat spécial et l'avocat général ou indépendant, l'avocat de la personne concernée ne peuvent pas se parler. Je ne peux pas dire à l'avocat de la personne concernée que l'audience débute la semaine prochaine ni que nous avons entendu des témoignages pendant cinq jours cette semaine.

Je ne peux m'empêcher de croire qu'une erreur s'est produite au cours de la rédaction précipitée du projet de loi pour qu'on impose une restriction aussi excessive que celle qui se trouve au paragraphe 85.4(2) — il interdit à l'avocat spécial, une fois qu'il a pris connaissance de l'information confidentielle, de communiquer avec qui que ce soit au sujet de l'instance. Selon moi, les rédacteurs de ce texte avoueraient que ce n'est pas ce qu'ils voulaient dire. Ils expliqueraient : nous voulions dire qu'il ne faut pas divulguer le contenu des renseignements reçus, qu'il ne faut pas éventer le secret, qu'il ne faut laisser personne prendre connaissance des renseignements secrets. Ce qui existe, c'est une restriction qui porte sur toutes les communications.

Mon opinion sur le projet de loi n'a pas vraiment changé depuis ma dernière comparution. À certains égards, je l'exprime avec plus de confiance, car j'ai eu la possibilité d'en discuter avec d'autres avocats spéciaux. Je n'ai entendu aucun d'entre eux prendre position en faveur des deux éléments que M. Forcese, Lorne Waldman et moi avons cernés comme des problèmes.

Le premier problème est celui de l'accès restreint à la documentation qui est accordé à l'avocat spécial. Alors que le CSARS fait une enquête, l'avocat spécial ne voit que ce que le gouvernement décide de montrer au juge.

Deuxièmement, après avoir pris connaissance des renseignements, l'avocat spécial ne peut communiquer avec la personne concernée ni avec quelque autre personne, à moins d'obtenir du juge une ordonnance autorisant ces communications.

Comme je l'ai dit la dernière fois, il y a une solution législative facile à ces deux problèmes, et elle tient compte de la préoccupation légitime au sujet du risque qui peut exister lorsqu'une personne qui connaît des renseignements confidentiels communique avec quelqu'un d'autre. On peut craindre qu'il n'y ait dans le dossier du gouvernement des éléments que l'avocat spécial ne doit pas connaître.

La solution législative consiste à faire le choix par défaut inverse. Au lieu que l'avocat spécial n'obtienne que ce que le gouvernement décide que le juge devrait voir, on pourrait adopter comme principe que l'avocat spécial prend connaissance de tout le dossier du gouvernement à moins que celui-ci ne convainque le juge qu'il y a des éléments que l'avocat spécial ne doit pas voir. Il suffit d'inverser la charge.

Je ne devrais pas avoir à dire au juge : je n'ai jamais vu ce dossier, mais j'ai l'impression qu'il y a quelque chose là- dedans. C'est une affirmation qu'il est difficile de faire, et on nous accuserait de chercher n'importe quoi à l'aveuglette. La loi dirait que l'avocat spécial prend connaissance de tout, à moins que le juge ne décide que, selon la preuve établie par l'avocat du gouvernement, tel ou tel élément n'est pas pertinent et doit rester caché à l'avocat spécial.

La même inversion du principe vaudrait pour les communications avec la personne concernée, c'est-à-dire que l'avocat pourrait communiquer avec elle après avoir pris connaissance des renseignements confidentiels à moins que le gouvernement n'établisse que cette communication présente un risque.

J'ai fait une vingtaine d'audiences pour le CSARS sans être soumis à aucune de ces contraintes que le projet de loi C- 3 m'imposera comme avocat spécial. Sans entrer dans les détails, je puis dire que l'accès à l'ensemble du dossier et la possibilité de communiquer avec la personne concernée après avoir pris connaissance du dossier ont eu un effet marquant dans le travail que j'ai fait comme avocat indépendant du CSARS.

J'ai l'expérience concrète d'un régime dans lequel je n'ai été soumis à aucune des restrictions que le projet de loi C-3 imposera aux avocats spéciaux, et cela a fait toute la différence. J'ai trouvé des documents importants que, en toute bonne foi, on ne croyait pas pertinents lorsqu'ils ont été fournis au CSARS. J'ai eu des communications avec des personnes concernées au sujet d'allégations qui pesaient contre elles, des communications que j'ai pu avoir sans divulguer de renseignements secrets. Et ces communications m'ont permis de réfuter les allégations.

À propos des documents importants, je souligne que nous pouvons présumer que le gouvernement agira avec la plus grande bonne foi pour décider de l'information à soumettre au juge. Toutefois, comme vous l'aurez entendu dire par M. Kent Roach, celui qui cherche à convaincre quelqu'un d'autre du fait qu'une personne constitue une menace à la sécurité du Canada peut avoir sur la pertinence des divers éléments un point de vue différent de celui de la personne qui conteste cette position. Chacun peut avoir une perception différente de la pertinence de différents renseignements. Pourquoi ne pas donner à l'avocat spécial la totalité du dossier, à moins que le ministère public ne puisse convaincre le juge que tel ou tel élément ne doit pas être communiqué à l'avocat spécial?

Ainsi, le juge conserve la possibilité de protéger la sécurité de ces renseignements. Toutefois, l'avocat spécial peut prendre connaissance de l'ensemble de l'information et remarquer quelque chose que, en toute bonne foi, les avocats du gouvernement n'ont pas jugé pertinent et que l'avocat spécial — et le juge sera peut-être d'accord — estime important dans l'instance.

Je m'apprête à assumer le rôle d'avocat spécial alors qu'il me manque deux outils importants que j'aurais si je faisais une enquête au CSARS.

Je répondrai volontiers aux questions.

Le sénateur Baker : Votre exposé a été fascinant, monsieur Cameron. Vous possédez une vaste expérience de ces questions, dans des affaires similaires.

Vous avez souligné deux problèmes que le projet de loi présente en ce qui concerne le rôle de tout avocat spécial. Vous attribuez ces problèmes à une erreur et vous dites que les législateurs n'avaient certainement pas l'intention d'adopter ces deux mesures particulières qui ont maintenant un effet sur votre travail.

M. Cameron : Puis-je faire une rectification? Je ne voudrais pas que nous nous engagions dans la mauvaise voie au départ.

Selon moi, l'erreur de rédaction porte sur la restriction qui m'empêche de communiquer avec qui que ce soit au sujet de l'instance. J'estime que l'énoncé est trop général. Quant aux deux problèmes, soit la restriction au sujet de la documentation et la restriction des communications avec la personne concernée, il s'agit de choix délibérés qu'ont fait les rédacteurs de ce texte.

Le sénateur Baker : Je cherchais la décision de la Cour suprême du Canada, aux paragraphes 79 ou 80. La voici, le sénateur Joyal me l'a remise.

À propos de la loi britannique, la Cour suprême du Canada souligne ce point au paragraphe 83 de son jugement. Le comité a énuméré trois inconvénients importants pour les avocats spéciaux de Grande-Bretagne. Le jugement est antérieur à cette loi :

Le Comité a énuméré trois désavantages importants avec lesquels les représentants spéciaux doivent composer : 1) après avoir pris connaissance des renseignements secrets, ils ne peuvent plus, sous réserve de rares exceptions, recevoir d'instructions de l'appelant ou de son avocat [...]

Vous dites donc que la loi que nous avons adoptée interdit aux avocats spéciaux de les rencontrer et, à plus forte raison, de recevoir des instructions. C'est ce que vous voulez dire?

M. Cameron : Oui. Il est exact qu'une difficulté que les avocats spéciaux britanniques ont signalée dans leur régime est qu'ils ne peuvent pas prendre les instructions de la personne concernée, une fois qu'ils ont pris connaissance du dossier non public. Même si la Cour suprême du Canada a signalé cette lacune du modèle britannique, nous avons repris ce modèle dans le projet de loi C-3.

Le sénateur Baker : Comment pouvez-vous conclure qu'il s'agit d'une erreur de rédaction?

M. Cameron : C'est sur ce point que j'ai essayé de vous corriger. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une erreur de rédaction. Je crois que les restrictions sur les documents à remettre à l'avocat spécial et sur ses communications avec la personne concernée ont été des décisions de fond que le Parlement a prises au moment de légiférer.

J'ai parlé d'erreur de rédaction à propos de l'interdiction draconienne qui est faite à l'avocat spécial de dire quoi que soit à quiconque sur ce qu'on appelle l'« instance », une fois qu'il a pris connaissance des renseignements. Cette interdiction me frappe comme si absurdement excessive qu'il doit s'agir d'une erreur de rédaction.

Le sénateur Baker : Vous dites « absurdement excessive ». Ma question va porter sur ces mots, à propos de Loi antiterroriste.

Le juge en chef de la Cour fédérale du Canada a employé le même mot. Il a qualifié d'absurde » le libellé de la Loi antiterroriste. Dans un jugement, il a adressé une missive à ce comité-ci, disant que les observations de son post- scriptum au sujet de l'expérience de la cour à cet égard pouvaient intéresser ceux qui participaient à l'examen de la Loi antiterroriste.

Monsieur Cameron, vous avez été l'un des avocats qui se sont occupés de cette affaire à propos de laquelle le juge en chef de la Cour fédérale du Canada a employé le titre suivant : « Post-scriptum : trop d'opacité??? » Puis, il a ajouté, au paragraphe 35, à propos de nos modifications de la Loi antiterroriste — appliquées au moyen de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada : « Cette règle peut entraîner des conséquences imprévues, sinon absurdes... »

Le juge explique ensuite de façon assez détaillée ce qui ne va pas dans les modifications qui ont été apportées et les problèmes qu'elles lui ont occasionnés. Puis, il a donné ses conseils à ce comité-ci dans son étude de la Loi antiterroriste.

Pouvez-vous me dire pourquoi le juge a utilisé dans ses observations un terme aussi fort que « absurde »? Êtes-vous d'accord sur les propos du juge en chef de la Cour fédérale du Canada?

M. Cameron : Oui, je suis d'accord.

Le vice-président : Avant d'entendre la réponse, pourrions-nous avoir des copies de cet intéressant document?

Le sénateur Baker : Oui. Il va sans dire que Gordon Cameron, qui est notre témoin, a également participé à cette instance.

M. Cameron : Comme le juge en chef le signale, dans cette affaire, nous étions tous soumis aux contraintes de l'article 38 de la Loi sur la preuve : nous ne pouvions pas faire savoir que l'instance avait lieu.

Le juge en chef fait remarquer que, paradoxalement, lorsque l'affaire a été soulevée pour la première fois en cour provinciale, on a dit en pleine salle d'audience que l'affaire ferait l'objet d'une instance aux termes de l'article 38 en Cour fédérale. Par contre, lorsque l'affaire s'est retrouvée devant la Cour fédérale, celle-ci ne pouvait même pas reconnaître qu'elle était saisie du dossier. Les avocats ne pouvaient pas dire qu'ils y travaillaient, par exemple, parce que nous ne pouvions pas reconnaître l'existence de cette instance. C'était kafkaïen.

Ce qu'il importe de comprendre, dans ce post-scriptum, c'est que le juge en chef n'était pas saisi d'une motion tendant à invalider les dispositions de l'article 38 sur le secret. De son propre chef, il a fait un exposé détaillé aux paragraphes 34 et suivants pour montrer que les exigences de l'article 38 en matière de secret étaient excessives. Tout en admettant qu'il pouvait arriver qu'un certain niveau de secret s'impose, il a dit que, de façon générale, ces exigences ne devaient pas être imposées.

Autrement dit, le juge n'avait pas à faire cette intervention. Il ne s'agissait pas d'un enjeu qu'une des parties lui demandait de trancher. C'est délibérément qu'il a fait cette observation.

Le sénateur Baker : Étant donné que le juge ne peut pas comparaître devant un comité sénatorial, tout ce qu'il pouvait dire, c'est que ses propos s'adressaient à ceux qui s'occupent de l'examen de la Loi antiterroriste.

Le vice-président : Pouvez-vous rappeler au comité la date de cette décision?

Le sénateur Baker : La décision remonte au 30 juillet 2004. La loi n'a pas changé.

Le sénateur Segal : Merci d'avoir pris le temps de comparaître. Je tiens à tirer quelques éléments au clair. Dois-je comprendre, puisque nous en sommes à étudier la loi en raison d'un engagement pris par le ministre de la Sécurité publique, que si le comité adopte la loi avec...

Le vice-président : Sous une certaine pression.

Le sénateur Segal : ... avec une certaine célérité pour éviter de créer un vide législatif pour la Couronne, vous seriez ravi que nous fassions une analyse plus poussée?

Si je comprends bien vos propos — et je crois que vous avez traduit également les préoccupations d'autres avocats spéciaux —, diriez-vous au comité que, au bout d'une certaine période d'application de la loi, vous et peut-être d'autres avocats spéciaux pourriez présenter un mémoire d'avocat?

Cet après-midi, vous avez parlé expressément de modifications précises. Toutefois, il y a d'autres difficultés ou d'autres circonstances et résultats non voulus qui émergent sur le plan pratique dans le travail de l'avocat spécial. Vous voudrez peut-être avoir la possibilité de comparaître de nouveau, à un moment donné, pour nous faire part de certains de vos points de vue.

Dois-je comprendre que vous faites implicitement cette proposition? Je ne voudrais pas empiéter sur votre temps.

M. Cameron : J'ai déjà consacré beaucoup de temps à cette loi, et je suis prêt à le faire encore. Si cela veut dire que je reviendrai ici rendre compte de ce qui s'est passé dans les instances qui ont eu lieu, ce sera un plaisir de le faire. Je sais que d'autres avocats spéciaux veulent que le système fonctionne correctement et qu'ils ont consacré bénévolement du temps à nos réunions. Je suis persuadé qu'ils se joindraient à moi.

Le sénateur Segal : Je voudrais citer des propos que vous avez tenus au cours d'audiences antérieures du comité. Je ne le fais que pour vous aider à nous expliquer ce que vous avez dit. Par exemple :

Vous avez demandé tout à l'heure au ministre Day pourquoi le modèle du CSARS n'avait pas été adopté pour ce projet de loi. Franchement, cela est un mystère pour nous trois [...]

Il s'agit de vous et des deux autres témoins.

[...] car ce modèle est là; il a fonctionné pendant longtemps; l'infrastructure est en place; et les compétences sont elles aussi établies. Au lieu de cela, on a adopté un modèle du Royaume-Uni qu'ont examiné MM. Waldman et Forcese et qu'ils ont jugé inférieur à celui du CSARS.

Vous êtes un praticien du droit fort occupé, et une foule de gens sollicitent votre opinion et vos conseils. Malgré tout, vous avez accepté d'être avocat spécial. Vous avez accepté d'être régi par un régime au sujet duquel vous avez été plus que franc et direct. À certains égards, ce régime vous préoccupe profondément. Aidez-moi à comprendre.

M. Cameron : J'ai travaillé avec MM. Waldman et Forcese en prévision de leur rapport et je me suis joint à eux lorsque nous sommes allés au Royaume-Uni. Là-bas, j'ai été frappé par le nombre de personnes qui refusaient d'avoir quoi que ce soit à voir dans le processus des avocats spéciaux, estimant qu'il ne faisait que masquer un système injuste.

Lorsque ce système a été mis en place, je me suis posé la même question : est-ce que je veux participer à l'application d'un système qui me semble imparfait? Ma réponse? Le système prévu par le projet de loi C-3 est tellement supérieur à celui qui l'a précédé que je préfère y travailler, quitte à essayer de le corriger, sur les points où il n'est pas l'idéal, et de l'améliorer.

Le sénateur Segal : Je voudrais aborder une question précise, celle de l'accès au dossier. D'après mes observations — et je m'en remets aux personnes ici présentes qui ont été ou sont des membres du Conseil privé et qui ont une expérience plus riche —, je ne crois pas que les hommes et femmes politiques en général cherchent à imposer des restrictions à la liberté des gens. Ce qui se passe plutôt, c'est que les responsables de la protection de la sécurité nationale, agissant selon une bonne foi irréprochable, prennent des règlements techniques pour établir les meilleurs moyens d'atteindre leur objectif. Il s'agit ensuite de convaincre les politiques de la façon dont ils peuvent au mieux servir l'intérêt public.

Vous êtes probablement trop jeune pour vous rappeler l'arrestation de centaines de personnes au Québec en vertu de la Loi sur les mesures de guerre.

M. Cameron : Je m'en souviens. Je ne suis pas si jeune.

Le sénateur Segal : Pas une seule personne n'a été inculpée de quoi que ce soit. Je crois que Pierre Marc Johnson, le fils de l'ancien premier ministre québécois de l'Union nationale, a été arrêté cinq fois au cours de cette semaine. Au Bureau du Conseil privé, des fonctionnaires, encouragés par d'autres fonctionnaires, ont décidé qu'il fallait proclamer la Loi sur les mesures de guerre. Je ne doute aucunement de leur bonne foi.

Il y a un problème dès que nous commençons à imposer des limites. Par exemple, un prévenu ou une personne visée par une mesure gouvernementale n'a plus accès au contenu de son dossier pour des raisons de sécurité nationale. Tout cela est défini avec une parfaite bonne foi par des gens bien intentionnés qui, je présume, adoptent le point de vue dont vous avez parlé cet après-midi. Leur point de vue est que, s'ils s'efforcent de protéger la sécurité nationale, il leur faut voir tout élément d'information sous cet éclairage. Ils ne pensent peut-être pas que c'est leur rôle de veiller sur les droits de la personne — ou oserais-je dire sur quelque chose d'aussi radical que la présomption d'innocence, qui est le fondement de notre civilisation.

Au-delà des détails techniques — vous donnez et avez donné des conseils à ce sujet, et le comité attend beaucoup de vos conseils à venir —, comment pouvons-nous réagir à la violation du principe qui, je pense, est implicite dans cette mesure législative? Il s'agit d'un principe dont la Cour suprême s'est inquiété. Le Parlement a réagi et ce comité-ci a fait de son mieux pour en tenir compte. Il s'agit du principe de la présomption d'innocence qui est toujours sévèrement limité et extrêmement édulcoré. Est-ce que, à un certain niveau, nous renonçons à ce principe? Disons-nous que les risques pour la sécurité nationale imaginés par les fonctionnaires, en toute bonne foi, sont graves au point que nous renoncions à ce principe, ou essayons-nous de voir s'il y a moyen de reconstruire ce principe? Que nous trouvons-nous à dire des lois à venir en ce domaine si nous ne cherchons pas à protéger ce principe maintenant?

M. Cameron : Comme vous l'aurez compris d'après mes propos antérieurs, j'estime que nous ne renonçons pas à ce principe. En fait, je crois que nous réglons ce problème au moyen de ce que j'ai présenté comme une modification simple et facile du texte législatif : elle préserve la capacité du gouvernement d'éviter de communiquer des renseignements à l'avocat spécial si le gouvernement peut convaincre le juge que c'est nécessaire au nom de la sécurité nationale. Autrement, l'avocat spécial prend connaissance de toute l'information.

D'abord, au moyen du travail du comité, nous faisons notre possible — si vous concluez que c'est nécessaire — pour corriger le texte législatif. Comme vous le savez, cette loi fait déjà l'objet d'une contestation constitutionnelle. Les tribunaux agiront peut-être plus rapidement que nous.

Le sénateur Andreychuk : Je ne crois pas que ce soit nécessairement mauvais que les tribunaux se prononcent de nouveau. Ils pourraient jeter un nouvel éclairage.

Si je peux en revenir à un point soulevé par le sénateur Segal, soit que peut-être des éléments de la fonction publique imposent des restrictions à nos libertés, il me semble que c'était une proposition légèrement différente lorsque nous avons examiné le projet de loi antiterroriste — et c'est une notion à laquelle je suis très attachée —, c'est-à-dire la conciliation de droits concurrents. Mon droit à la sécurité et à la vie est aussi important que mon droit à la présomption d'innocence. Il s'agit de concilier ces droits en s'ingérant le moins possible dans la vie de la personne.

Il me semble que nous avons eu du mal à assurer cette conciliation, d'abord dans le projet de loi initial, en 2001, puis dans les modifications aujourd'hui à l'étude. J'ose dire que nous continuerons d'éprouver des difficultés à cet égard, étant donné que la société a évolué. Il faut donc nous interroger sur cet équilibre entre les droits, et les citoyens ne doivent pas en faire abstraction consciemment. Je ne voudrais pas être visée par l'un de ces certificats. C'est une position dans laquelle il n'est pas facile de se défendre.

Je ne suis pas sûre non plus que je voudrais être à la place du gouvernement et dire que les dossiers de sécurité doivent être ouverts et que notre service de renseignement, sur lequel nous nous appuyons, doit être soumis à l'examen public. Ce ne serait plus un service de renseignement; il s'agirait d'information offerte à tous.

Je voudrais revenir sur ce point en ne perdant pas cette préoccupation de vue. Vous avez dit que vous n'aviez aucun problème lorsque vous travailliez à votre poste spécial au CSARS, mais travailliez-vous alors au nom du CSARS, en tenant compte des intérêts de tout le monde? À titre d'avocat spécial, estimez-vous que vous servez d'abord un client? Qui est ce client? Comment conciliez-vous ces deux points de vue contradictoires?

J'ai l'impression que vous aviez des rôles moins nombreux au CSARS, que les rôles étaient plus faciles à définir. Ici, j'ai l'impression qu'il doit être difficile de savoir comment assumer ce rôle.

M. Cameron : Si je puis me permettre une observation, ce que vous soulignez est crucial. Je me permets une légère correction de terminologie, car la loi dit expressément qu'il n'y pas de relation avocat-client entre la personne concernée et l'avocat spécial. Néanmoins, nous savons tous que l'avocat spécial est là pour représenter les intérêts de la personne concernée. Ce n'est pas le cas de l'avocat du CSARS, qui est l'avocat du Comité de surveillance. Cet avocat a des fonctions diverses, car il doit tantôt conseiller des membres du CSARS qui prennent des décisions, tantôt jouer le rôle d'avocat du plaignant dans une audience à huis clos. J'avais un petit paragraphe que je récitais à tous les témoins, le plus souvent des agents du service de renseignement, mais peu importe, et je présume que je m'en servirais toujours si je m'occupais d'une autre plainte. Je disais : je vais maintenant changer de casquette. Vous me connaissez comme la personne qui conseille le président, mais je vais maintenant vous poser des questions comme si j'étais l'avocat du plaignant. Pour jouer ce rôle, je vais être méchant, désagréable et inquisiteur, mais je ne veux pas que vous vous mépreniez. C'est seulement que je porte une casquette différente. Je ne suis pas l'avocat de cette personne, mais celui du président d'audience. Ne prenez pas l'agressivité de mes questions comme une expression de la position du président d'audience.

La situation est délicate. À titre d'avocat spécial, je ne m'occupe que des intérêts de la personne concernée, celle qui est visée par le certificat. Il n'y a rien d'ambigu dans mon rôle au tribunal. Les témoins me perçoivent comme quelqu'un qui est là pour les cuisiner, dans l'intérêt de la personne concernée.

Le sénateur Andreychuk : J'ai été avocate, et je crois que le dilemme se présente lorsque nous avons recours à tout l'arsenal juridique pour aider le client. Je prenais ce rôle au sérieux, et vous aussi, de toute évidence. L'avocat cherche tout ce qu'il peut y avoir dans la loi pour aider son client.

Lorsque vous faisiez partie de la commission, vous agissiez au nom de la commission et, comme nous l'avons appris dans un témoignage antérieur, vous avez acquis une compréhension très fine du rôle de la sécurité, de la protection de la sécurité, de la mise en place d'un bon système de sécurité. Comme avocat spécial, vous nous préoccupez du client. Comment assurez-vous la conciliation avec cette nécessité de maintenir un bon système de sécurité viable, d'assurer la sécurité du public et l'intégrité du service de renseignement? Il s'agit de rôles différents.

M. Cameron : Je conviens que l'avocat spécial, s'il est en mesure de communiquer avec la personne concernée ou quelqu'un d'autre après avoir pris connaissance de renseignements confidentiels, aura un rôle indispensable à jouer pour préserver le caractère confidentiel de ces renseignements. La formation dispensée aux avocats spéciaux comprend trois jours d'interrogation intense par le SCRS précisément au sujet de la responsabilité assumée, de la vulnérabilité et de l'importance essentielle de la protection des renseignements confidentiels.

J'ai entendu l'importante réflexion de Mme McGrath, qui a dit que le personnel et les avocats du CSARS vivaient constamment dans le contexte du renseignement de sécurité. C'est pour cette raison que le SCRS a fait l'effort de bien enfoncer dans la tête des avocats spéciaux l'idée qu'ils entrent dans ce monde particulier. Je voudrais ajouter une chose qui a déjà été dite par un certain nombre de personnes qui se sont exprimées publiquement sur la question, dont Kent Roche, entre autres : le plus souvent, les avocats spéciaux ont une vingtaine d'années de formation dans l'interrogation de témoins. Un élément particulièrement important est le contre-interrogatoire, l'art d'être méticuleux dans la formulation des questions de façon à éviter que la personne interrogée ne puisse déduire aucun renseignement qu'on ne veut pas lui communiquer parce que, si elle le connaissait, elle pourrait induire la cour en erreur. Il s'agit ici de gens qui ont des dizaines d'années d'expérience dans la conduite des interrogatoires. Comparons cette expérience à celle d'un agent du renseignement compétent et brillant et qui a deux ou trois années d'expérience dans la conduite d'entrevues avec des personnes qui arrivent au Canada. Cet agent a pris connaissance des renseignements secrets et essaie de voir s'il est possible d'en tirer un peu plus de la personne interrogée. La démarche est délicate, mais ceux qui mènent l'entrevue ont passé leur carrière à perfectionner l'art de poser les questions avec soin. Ils ont été formés expressément par le SCRS afin d'être extrêmement attentifs au caractère délicat des renseignements et aux inconvénients d'une divulgation non voulue. J'estime que c'est une question d'équilibre, et je suis d'accord avec vous pour dire que cet équilibre est nécessaire. Il est acceptable que l'avocat spécial ait un accès plus libre à la personne concernée une fois qu'il a pris connaissance des renseignements confidentiels.

Le sénateur Andreychuk : Nous avons appris — nous l'avons entendu à la télévision, nous l'avons lu dans les livres et on nous l'a enseigné — que le prévenu a le droit d'être informé. Mais en plus de ce droit, il y a des facteurs de sécurité à prendre en considération : si certains des faits sont divulgués, la sécurité peut être mise en péril. Les prémisses reposent en grande partie sur le droit de savoir, c'est-à-dire que je détermine les faits pertinents. Cela peut apparaître comme un détail, mais ce peut être fondamental au point de me permettre de retrouver ma liberté.

Allons-nous être aux prises longtemps avec ce problème parce que, peu importe comment nous imposons des conditions à un avocat spécial ou à un processus, il y aura toujours l'opinion adverse voulant que l'information ne soit pas limitée?

M. Cameron : Ce n'est pas mon avis. Des séances à huis clos me semblent essentielles à un examen efficace des questions de sécurité par les tribunaux. Ces séances à huis clos violent le principe fondamental qu'est le droit de la personne à connaître les allégations ou les accusations portées contre elle. Nous devons déployer de grands efforts pour faire contrepoids à cette violation d'un principe fondamental, le droit de connaître les allégations dont on fait l'objet. À défaut, nous proposons la meilleure solution possible ensuite : un avocat spécial qui défend la personne concernée. Nous violons un principe tellement crucial que nous devrions donner à l'avocat spécial tous les moyens possibles, sans toutefois manquer à la sécurité, pour instaurer un bon équilibre.

Le sénateur Joyal : Vous m'avez ouvert la porte pour aborder un point que je voulais soulever à propos du paragraphe 85.1(1) du projet de loi. En avez-vous un exemplaire?

M. Cameron : Oui, j'en ai un.

Le sénateur Joyal : Le paragraphe 85.1(1) dispose :

L'avocat spécial a pour rôle de défendre les intérêts du résident permanent ou de l'étranger lors de toute audience...

La notion importante est la protection des intérêts du résident permanent. Le paragraphe 85.1(3) dit quant à lui :

Il est entendu que l'avocat spécial n'est pas partie à l'instance et que les rapports entre lui et l'intéressé ne sont pas ceux qui existent entre un avocat et son client.

L'avocat spécial n'est pas l'avocat de la personne visée par le certificat, mais il est là pour la protéger.

La question est la suivante : si on veut que l'avocat spécial protège l'intérêt de cette personne, quelle possibilité de communication doit-il avoir pour pouvoir défendre les intérêts de cette personne? L'avocat spécial doit décider comment ces intérêts doivent se manifester au cours de l'instance.

Si on veut que l'avocat spécial représente les intérêts de la personne concernée, il doit avoir accès aux documents et pouvoir interroger les témoins présentés par le gouvernement. Il peut mener un contre-interrogatoire en vertu du paragraphe 85.2b). S'il peut contre-interroger, il va de soi qu'il peut citer des témoins.

Toutefois, l'article 85.2 n'énonce pas ce droit de citer des témoins, à moins que nous n'invoquions le paragraphe 85.2c qui dit que l'avocat spécial peut :

exercer, avec l'autorisation du juge, tout autre pouvoir nécessaire à la défense des intérêts du résident permanent ou de l'étranger.

Sauf erreur, si des avocats spéciaux veulent faire comparaître des témoins pour défendre les intérêts de leur client, ils doivent obtenir l'autorisation du juge aux termes du paragraphe 85.2c).

M. Cameron : D'après nous, c'est ainsi que le système fonctionne.

Si vous me permettez de revenir à votre premier point, l'avocat spécial a le même rôle qu'un avocat auprès de son client lorsqu'il s'acquitte de ses fonctions en vertu de la loi. Le paragraphe 85.1 (3 est là parce que, s'il s'agissait d'une relation entre avocat et client, l'avocat spécial serait tenu de divulguer à la personne concernée l'intégralité des renseignements.

Le sénateur Joyal : Tout ce qu'il sait.

M. Cameron : C'est exact. Ce qu'on dit, c'est que l'avocat spécial a le même rôle qu'un avocat auprès du client, mais qu'il n'a pas l'obligation de communiquer les renseignements confidentiels.

Je serais plus à l'aise si les pouvoirs de l'avocat spécial comprenaient expressément le pouvoir de convoquer des témoins. Je ne vois pas pourquoi les avocats spéciaux devraient obtenir d'un juge la permission de convoquer des témoins.

On a justifié cette disposition en disant que, si l'avocat spécial commence à convoquer des témoins, l'audience secrète prendra plus d'ampleur qu'elle ne le devrait. À mes yeux, cette justification n'a aucun mérite. Je ne vois pas à quoi cela peut rimer. Le juge peut exercer un contrôle comme il le fait dans n'importe quelle instance.

Le sénateur Joyal : Un avocat de la partie adverse peut aussi élever des objections.

M. Cameron : Effectivement.

Le sénateur Joyal : Le juge est en mesure de décider s'il est possible de répondre à la question. On peut prier le témoin de se retirer, et la question peut être posée devant le juge, avant qu'il ne rappelle le témoin. Il y a bien des moyens de protéger la sécurité d'une personne.

M. Cameron : Un point est revenu constamment dans les discussions entre les avocats spéciaux : les dispositions qui nous obligent à demander la permission pour parler à la personne concernée, obtenir d'autres documents ou convoquer des témoins exigent toutes que nous communiquions avec l'avocat du gouvernement pour lui dire ce que nous allons faire et lui demander la permission. Tous ceux parmi nous qui sont des avocats savent que la dernière chose qu'un avocat veut faire, c'est avertir la partie adverse de ce qu'il veut faire. Les avocats spéciaux n'auraient pas ce problème si, simplement, ils avaient le droit de faire ces choses.

Au cours d'échanges récents avec des avocats spéciaux, j'ai évoqué la possibilité que l'avocat puisse communiquer ex parte avec le juge : j'ai pris connaissance des renseignements confidentiels, j'ai une liste de questions que je veux poser au défendeur, mais je ne crois pas qu'il conviendrait que l'avocat du gouvernement voie les questions que je vais poser à la personne concernée. Une question a surgi : le gouvernement peut-il s'opposer à la tentative de communiquer en privé avec le juge?

Chacune des dispositions qui obligent l'avocat spécial à demander une permission au juge pour faire son travail pose un problème en soi. Et le problème est deux fois plus grave s'il s'en suit un dialogue avec les avocats du gouvernement au sujet de la façon dont l'avocat spécial prévoit défendre les intérêts de la personne concernée.

Le sénateur Joyal : Un autre aspect du travail de l'avocat spécial, ce sont les ressources dont il a normalement besoin pour s'acquitter de ses fonctions.

À cette étape, avez-vous eu des discussions au sujet des ressources juridiques et de l'équipe de recherche dont vous avez besoin comme avocat spécial? Vous est-il interdit de parler à quiconque sans l'autorisation du juge?

M. Cameron : Voilà qui montre bien l'absurdité, pour reprendre le terme du juge en chef, du paragraphe 85.4(2). Le gouvernement a nommé une personne chargée de coordonner les affaires pour les avocats spéciaux dans cadre de la responsabilité du ministre de leur assurer un soutien.

L'une des premières choses que je vais devoir faire, c'est demander au juge la permission de parler à ce coordonnateur. Je dois demander l'autorisation du juge pour parler à la personne même qui a été nommée pour m'aider à remplir ce rôle.

Il est encore tôt, et nous ne savons pas encore quel soutien nous obtiendrons, mais la Cour fédérale a agi avec promptitude et sérieux pour nous accorder un soutien. Elle a prévu de nouveaux locaux, des ordinateurs, et cetera.

La tâche du ministre, dans le soutien aux avocats spéciaux, est moins logistique. Par conséquent, il faudra plus de temps pour que cela se concrétise, et il est trop tôt pour savoir si ce soutien sera au rendez-vous. Il reste que ce sera un vrai problème. Comme avocats, si nous avons une recherche à faire, nous nous adressons normalement à nos avocats les moins expérimentés ou à un stagiaire. Nous ne pourrons pas le faire sans obtenir la permission du juge.

Le sénateur Joyal : Vous ne pouvez pas appeler un autre avocat de vos connaissances qui a l'expérience voulue.

M. Cameron : Ni un autre avocat spécial.

Encore une fois, pour montrer les bizarreries du paragraphe 85.4(2), dans certains de ces cas sinon tous, deux avocats spéciaux seront nommés pour qu'ils se partagent le travail. Cette disposition les empêcherait de discuter du dossier. C'est inepte, et je suis persuadé que des gens à l'esprit pratique trouveront le moyen de contourner cette disposition.

Toutefois, je ne pense pas qu'il faudrait mettre les gens dans une position telle qu'ils devront violer une loi — et surtout une loi sur l'antiterrorisme et la sécurité — en comptant que les autres seront raisonnables et qu'on ne leur reprochera pas telle ou telle communication. Autrement dit, je n'aime pas qu'on me réduise à devoir dire : bien sûr, je vais dire à ma secrétaire que je vais à une audience; bien sûr, je vais appeler l'autre avocat spécial, et cetera; bien sûr, je viole la loi, mais qui va m'intenter des poursuites?

Je ne veux pas être mis dans cette position à l'égard de quelque loi que ce soit, et encore moins lorsque je risque de me faire accuser de compromettre la sécurité nationale.

Le sénateur Joyal : J'en reviens à la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il s'agit de la deuxième proposition que vous avez faite dans votre exposé d'ouverture. Ou bien nous amendons le texte législatif, ce qui est votre solution de prédilection, ou bien nous demandons toutes ces permissions aux juges et attendons leurs décisions.

Il est malsain que le Parlement ne puisse pas rédiger des lois qui maintiennent des objectifs clairs concernant le respect des droits fondamentaux de la personne. Nous nous retrouvons dans une situation telle que nous devons mettre sur pied un comité pour écouter tous les points de vue et, dans les années à venir, nous adresser aux tribunaux chaque fois qu'un problème surgit. Vous avez laissé entendre qu'il y avait des problèmes d'ordre pratique qui devraient normalement se résoudre dans le cadre de la loi pour éviter les déclarations de culpabilité pour manquement à la sécurité nationale.

Je suis sceptique devant cette approche en soi. Je comprends que les juges sont là pour interpréter les lois. Mais ils ne sont pas là pour les rédiger. Nous en sommes presque au point où nous devons renvoyer aux juges ou partager avec eux la responsabilité de rédiger des lois correctes. Je ne suis pas sûr de vouloir ne retrouver dans cette situation.

Si nous donnons cette responsabilité aux juges, nous devons y penser à deux fois avant de conclure que nous devrions privilégier cette option, étant donné les considérations à l'égard de la sécurité nationale du Canada. Je comprends qu'il y a des problèmes difficiles. Nous pourrions nous adresser aux tribunaux pour demander un jugement déclaratoire, pour demander leur interprétation de façon à prévenir une longue procédure. Le système permet cette approche.

Toutefois, procéder étape par étape, contester chaque décision et attendre la décision du tribunal, ce n'est pas une démarche saine pour appliquer un système qui doit protéger les droits de la personne. Mais je ne veux pas caricaturer vos opinions.

Nous ne devrions pas tirer sur l'élastique au maximum, pour reprendre une expression française, et demander au juge si cela tient toujours. Je ne crois pas que le système devrait fonctionner de la sorte. Il devrait reposer sur des notions claires, sur les objectifs de la jurisprudence pour ce qui est de protéger une personne visée par une enquête, lorsque cette enquête peut avoir pour résultat la mise en liberté de la personne, son incarcération pour une période illimitée ou l'expulsion vers un autre pays, ce qui peut avoir certaines conséquences.

Il me semble que nous avons une assez grande expérience de la justice pénale pour savoir ce qu'il y a lieu de faire de ce texte législatif.

M. Cameron : Je suis d'accord, sénateur. J'ajouterais autre chose. Lorsque nous devons constamment recourir au juge pour régler une disposition de la loi qui fait problème, il y a une autre difficulté, en plus de ce que vous avez dit : tous les juges n'ont pas forcément la même idée dans chacune des instances.

S'il s'agit d'une question d'équité fondamentale, la décision ne devrait pas être différente selon qu'on a un procureur ou un avocat spécial plus ou moins convaincant ou un juge dont la position est différente. S'il s'agit d'équité fondamentale, c'est la loi qui devrait trancher. Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Joyal : Vous occupez-vous de la deuxième affaire Charkaoui en Cour suprême? Si oui, j'aurais une question à vous poser.

M. Cameron : Non, je ne m'en occupe pas. Vous voulez parler de l'actuelle contestation que M. Charkaoui a présentée?

Le sénateur Joyal : Il s'agit d'une contestation du résumé de l'information concernant...

M. Cameron : Non, je ne m'en occupe pas.

Le sénateur Joyal : Lorsque cette décision sera rendue, aurons-nous des paramètres à l'intention des avocats spéciaux pour déterminer le type d'information qui sera mis à leur disposition?

M. Cameron : Il y a deux enjeux. D'abord, l'information mise à la disposition de la personne concernée dans le résumé public : ce résumé est-il assez complet? Révèle-t-il toute l'information qu'il faudrait?

L'un des rôles des avocats spéciaux, dès qu'ils ont pris connaissance des renseignements confidentiels, est de convaincre le juge qu'il faudrait communiquer d'autres renseignements à la personne concernée, si telle est leur opinion.

Le deuxième enjeu est celui des renseignements dont l'avocat spécial est autorisé à prendre connaissance. Les opinions que j'ai exprimées portent sur ce deuxième enjeu. Je ne crois pas que l'arrêt Charkaoui aura quelque effet sur ce que l'avocat spécial est autorisé à voir.

Le vice-président : Nous en sommes au deuxième tour.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, on a répondu à mes questions.

Le sénateur Joyal : Monsieur Cameron, notre mandat va jusqu'en décembre prochain. La présidence le sait. Si vous songez à quelque chose d'important ou d'intéressant qui devrait nous être signalé dans les mois à venir, avant la production de notre rapport, nous vous serions reconnaissants de signaler au président de notre comité qu'il y a de nouveaux renseignements que vous voudriez nous communiquer.

M. Cameron : Je vais y penser.

Le vice-président : Monsieur Cameron, nous déciderons peut-être de vous écrire pour fouiller davantage certains éléments. Nous espérons que vous répondrez à ces questions.

M. Cameron : Avec plaisir.

Le vice-président : Merci.

La séance est levée.


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