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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 3 - Témoignages du 5 décembre 2007


OTTAWA, le mercredi 5 décembre 2007

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-12, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers de compagnies, la Loi sur le Programme de protection des salariés et le chapitre 47 des Lois du Canada (2005), se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour en faire l'examen, et pour examiner, afin d'en faire rapport, les obstacles au commerce interprovincial et la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour à vous tous, mesdames et messieurs, notamment aux sénateurs qui siègent au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce; nous saluons aussi les Canadiens qui nous suivent sur Internet et sur CPAC, qui, si je ne m'abuse, diffusera cette réunion en différé, si ce n'est pas en direct.

Je suis le sénateur Angus, et je préside ce comité. Mon éminent vice-président, de Montréal, au Québec, est le sénateur Goldstein. Sont également présents le sénateur Meighen, de l'Ontario; le sénateur Tkachuk et le sénateur Gustafson, de la Saskatchewan; le sénateur Eyton, de Toronto; le sénateur Harb, d'Ottawa; le sénateur Moore, d'Halifax; le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Biron, du Québec, et mon bon ami, le sénateur Massicotte, du Manitoba et du Québec. S'agit-il d'une bonne description?

[Français]

Je suis très heureux aujourd'hui de souhaiter de nouveau la bienvenue au ministre des Finances du Canada, l'honorable James M. Flaherty. Sa présence devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce est toujours très importante pour nous.

[Traduction]

Monsieur le ministre, vous avez aimablement répondu à notre invitation de venir discuter aujourd'hui d'un sujet dont nous avons entamé l'étude à la session précédente. Nous avons tenu une table ronde sur les obstacles au commerce intérieur au pays, et sur la façon dont ils freinent la productivité nationale et entravent la compétitivité du Canada par rapport à ses partenaires commerciaux.

Vous avez eu l'obligeance de venir témoigner à ce sujet, et vous serez l'un des derniers à le faire. Nous espérions clore ce dossier avant les Fêtes, mais, étant donné l'importance de la question — et ce qu'en a dit la gouverneure générale dans le discours du Trône —, le comité a convenu de voyager pour entendre ce qu'ont à dire les Canadiens de partout au pays, de l'Ouest comme de Nouvelle-Écosse. Il nous importe donc de connaître votre point de vue.

Le ministre a également accepté d'aborder brièvement l'un des grands obstacles internes au commerce, soit l'absence d'un organisme de réglementation des valeurs mobilières — unique ou commun. Je crois, monsieur le ministre, que vous allez nous parler de la situation houleuse sur les marchés intérieurs et internationaux, laquelle est préoccupante, surtout aux États-Unis. Nous savons que vous avez discuté avec vos homologues, non seulement américains, mais également des autres pays membres du Groupe des Sept, le G7, et du Groupe des Vingt, le G20.

Je vous remercie donc de vous être déplacé. J'ai cru comprendre que vous aviez une heure à nous consacrer, puisque vous devez partir à 17 h 15. Comme vous avez une déclaration à faire, je vous laisse la parole. Nous espérons que vous pourrez ensuite répondre aux questions des honorables sénateurs.

[Français]

L'honorable James M. Flaherty, C.P., député, ministre des Finances : Monsieur le président, je suis ravi de cette occasion de rencontrer le comité pour discuter de l'économie canadienne, de notre réussite, de notre potentiel illimité et des défis qui nous attendent, y compris les besoins de raffermir notre union économique.

[Traduction]

Comme vous le savez, nous vivons dans une économie mondiale, où la concurrence est féroce et l'incertitude, croissante. Il nous faut être ambitieux et novateurs pour garder une longueur d'avance.

Je traiterai d'abord de l'économie dans son ensemble, puis je me pencherai sur les obstacles au commerce à l'intérieur du Canada, de même que sur certaines autres questions, y compris le problème des papiers commerciaux adossés à des actifs. Je ne m'y attarderai pas, parce que je suis convaincu que les questions des sénateurs aborderont ces sujets.

Le président : Pardonnez-moi de vous interrompre, mais il s'agit de questions tout à fait pertinentes — et pas seulement parce que le futur gouverneur de la Banque du Canada témoigne en ce moment même devant le Comité des finances de la Chambre des communes. En effet, demain matin, David Dodge, l'actuel gouverneur de cette institution, viendra nous parler de l'état de l'économie dans son ensemble. Cela s'inscrit dans la même lignée; c'est pourquoi votre comparution ici aujourd'hui suscite un intérêt considérable — non seulement au sein du comité, mais en général.

M. Flaherty : Le gouverneur Dodge et moi nous parlons régulièrement, un devoir que j'accomplis avec plaisir. Le futur gouverneur et moi-même nous entretenons moins fréquemment maintenant qu'il doit se préparer à assumer son nouveau rôle à la Banque du Canada. Évidemment, nous étions souvent en contact lorsqu'il était délégué du ministère des Finances auprès du G7, jusqu'à ce qu'il soit nommé nouveau gouverneur de la Banque du Canada, fonction qu'il occupera à compter du 1er février.

Permettez-moi de vous rappeler que nous sommes au pouvoir depuis maintenant 22 mois. Nous sommes un gouvernement minoritaire, comme vous le savez, et nous avons déposé deux budgets jusqu'à présent, chacun accompagné de deux projets de loi d'exécution du budget très détaillés.

Nous avons également présenté deux énoncés économiques en automne, lesquels ont modifié considérablement la fiscalité canadienne, et ce, sans toujours bénéficier de l'appui unanime. Il s'agit de réalisations remarquables pour un gouvernement minoritaire. En fait, il semblerait que depuis les gouvernements minoritaires de Pearson dans les années 1960, aucun parti au pouvoir n'a accompli autant en si peu de temps. Nous avons non seulement déposé des avis de motion de voies et moyens, mais également des projets de loi qui ont été adoptés. Les éléments des deux budgets sont devenus lois, et l'énoncé économique du 30 octobre est également sur le point d'être adopté.

Nous mettons l'accent sur quelques questions importantes. La première vise une réduction générale de l'impôt à long terme, surtout celui des sociétés. Cette mesure figurait dans l'énoncé économique du 30 octobre.

Ensuite, nous contribuons largement à rembourser la dette publique. De temps à autre, j'entends dire que nous engrangeons d'énormes surplus que nous devrions dépenser. On l'a d'ailleurs répété à la Chambre cet après-midi. Or, il s'agit d'une logique erronée. Nous avons des excédents de fonctionnement, mais également une énorme dette publique, accumulée depuis les années 1970 jusqu'au début des années 1990. Beaucoup de Canadiens oublient que, jusqu'à cette époque, il était de rigueur, au Canada, de ne pas enregistrer de déficit. Selon moi, qui suis un produit de cette génération de baby-boomers, il serait tout à fait malvenu et injuste de transmettre cette dette à la prochaine génération. Nous avons nous-mêmes accumulé cette dette et bénéficié de cet argent que nous n'avions pas amassé, mais bien emprunté.

Je prends très au sérieux la réduction de la dette publique, dette que nous avons maintenant diminuée de plus de 1 500 $ par habitant au Canada. Nous l'avons fait en moins de deux ans.

Les dépenses sont toujours un défi en raison des différentes pressions. Nous avons donc fait deux choses. Premièrement, nous avons ciblé nos dépenses, et n'avons pas tenté de plaire à tous. Nos forces armées étaient dans des conditions pitoyables et leur équipement était désuet, donc nous le renouvelons. Il s'agit d'un processus coûteux et à long terme, surtout lorsqu'il s'agit d'acheter des avions, des navires, et autres.

Ensuite, nous voulions appuyer directement les familles au Canada. Nous le faisons grâce à la prestation universelle pour la garde d'enfants de 100 $ par mois par enfant de moins de six ans. Nous avons également mis en œuvre d'autres initiatives, comme le crédit d'impôt pour la condition physique des enfants.

Quant à l'envers de la médaille — le contrôle du taux de croissance et des dépenses — le président du Conseil du Trésor et moi-même avons collaboré à l'élaboration d'un système de gestion des dépenses qui est maintenant opérationnel. Nous passons en revue tous les programmes et toutes les initiatives qui relèvent du gouvernement du Canada. Le « budget des services votés », qui fait rarement l'objet d'un examen, est maintenant à l'étude. Il nous faudra quatre ans pour évaluer chacun des programmes, mais nous avons tenu de longues séances cet automne. D'ailleurs, nous nous rencontrons également ce soir et demain matin.

Nous demandons à tous les ministères d'analyser les 5 p. 100 de leurs dépenses les moins prioritaires. Il ne s'agit pas d'un exercice de compression, mais bien de réattribution. Nous avons été conseillés par le secteur privé, par des présidents-directeurs généraux. Nous avons suivi leurs conseils sur la façon de procéder et d'avoir recours à des experts pour guider le gouvernement. Cet exercice est en cours et, bien qu'on n'en parle pas beaucoup, il s'agit d'un changement important dans la gestion des affaires gouvernementales qui nous permettra de mieux contrôler le taux de croissance et des dépenses. Comme vous le savez, nous avons à cœur de faire en sorte que ce taux demeure en deçà du taux de croissance de l'économie et du produit intérieur brut nominal, en moyenne, au cours du cycle budgétaire.

Nous tenons également à restaurer l'équilibre fiscal dans la fédération, tâche qui peut s'avérer difficile. Cependant, je suis heureux de constater que la plupart des provinces acceptent maintenant notre formule de financement prévisible fondée sur des principes. Mes collègues provinciaux me disent continuellement que la prévisibilité est capitale puisqu'elle permet aux provinces de planifier et donc de savoir à quoi s'attendre.

[Français]

Les éléments fondamentaux de notre économie sont solides.

[Traduction]

Une seule fois dans l'histoire de notre pays, nous avons pu bénéficier d'une plus longue période d'expansion économique que celle que nous connaissons actuellement; c'était juste après la Seconde Guerre mondiale. Notre budget est plus qu'équilibré et nous effectuons des paiements records pour rembourser la dette. L'investissement commercial est à la hausse pour la douzième année de suite. Le taux de chômage est le plus bas en 30 ans. Un nombre sans précédent de Canadiens et de Canadiennes travaillent et la mobilité de la main-d'œuvre au pays est la plus grande jamais enregistrée. Six cent cinquante-cinq mille nouveaux emplois ont été créés au cours des 22 derniers mois. Le nombre d'emplois et la croissance économique sont à la hausse dans presque toutes les provinces et régions. Le gouvernement fédéral accumule des surplus, comme chaque province et territoire, à l'exception de l'Île-du-Prince- Édouard.

[Français]

Même s'il est clair que le Canada a des assises financières solides, nous gardons à l'esprit les défis qui se présentent, les tensions mondiales et les difficultés nationales qui varient d'une région et d'un secteur à l'autre.

[Traduction]

Certaines de ces difficultés sont attribuables à la volatilité du dollar canadien, laquelle est préoccupante non seulement en chiffres absolus, mais également en raison de la vitesse de la dépréciation du dollar américain par rapport au nôtre. Cette situation s'est d'ailleurs accentuée cette année et nous nous inquiétons des conséquences plus lourdes pour certains secteurs de l'économie, notamment ceux de l'automobile, de l'agriculture, du tourisme et de la foresterie.

Nous constatons un ralentissement soutenu et important du marché immobilier aux États-Unis et en voyons les effets économiques néfastes. Certains pays essaient de gérer les turbulences actuelles sur le marché du crédit afin de maintenir le bon fonctionnement des marchés financiers et de limiter les répercussions sur leur économie, mais les difficultés persistent. Nous ne sommes pas encore tirés d'affaire. Je suis certain que le gouverneur en parlera demain.

Il faut également faire face à la concurrence, surtout celle de la Chine, du Brésil et de l'Inde. Les changements démographiques sont un autre problème : nous avons atteint un sommet et nous sommes maintenant sur la pente descendante. Nous verrons des pénuries de main-d'œuvre dans tout le Canada, moins de gens seront disponibles pour travailler et la population vieillira. D'ailleurs, nous sommes déjà confrontés à un manque de travailleurs qualifiés dans de nombreuses régions du Canada, les infrastructures sont désuètes et l'engorgement du réseau routier s'est accru dans les agglomérations.

Nous avons publié en octobre 2006 notre plan économique intitulé Avantage Canada. Je le recommande aux Canadiens qui se demandent quels sont les objectifs et les motivations du gouvernement en ce qui a trait aux politiques budgétaires et fiscales et aux infrastructures, entre autres. Le plan Avantage Canada, disponible sur le site web du ministère des Finances, établit nos objectifs économiques à moyen et long terme.

Sur le plan fiscal, nous voulons éliminer la dette nette totale du Canada d'ici 2021, soit en moins d'une génération. Nous allons continuer de réduire les taxes et les impôts. Nous voulons établir le taux d'imposition le plus bas des pays industrialisés et susciter de nouveaux investissements d'affaires d'ici 2012. Grâce à l'annonce faite le 30 octobre dernier, nous aurons le taux d'imposition des sociétés le plus bas du G7, qui regroupe les grands pays industrialisés. Il est de 15 p. 100 à l'échelle nationale. En Alberta, le taux est de 10 p. 100, ce qui nous permettra d'afficher un Canada dont l'impôt des sociétés est fixé à 25 p. 100. J'ai bon espoir que d'autres provinces vont suivre l'exemple de l'Alberta et abaisser leur taux d'imposition des sociétés jusqu'à la barre des 10 p. 100. J'espère qu'elles vont le faire d'ici 2012 pour que nous puissions projeter cette image favorable de notre pays.

Il y a d'autres avantages : l'Avantage infrastructurel, pour nous doter d'une infrastructure moderne, de calibre international, qui favorise la croissance économique, un environnement propre et la compétitivité internationale; l'Avantage du savoir, pour nous doter de la main-d'œuvre la mieux éduquée, la mieux qualifiée et la plus souple au monde; ainsi que l'Avantage entrepreneurial, pour réduire le fardeau réglementaire et la paperasserie inutiles et faire augmenter la concurrence sur le marché canadien.

[Français]

Sur le plan budgétaire, nous réduisons la dette nationale de plus de 37 milliards de dollars, c'est-à-dire 1 570 $ pour chaque homme, femme et enfant au Canada.

[Traduction]

Pour ce qui est de l'impôt, nous abaissons l'impôt pour tout le monde. Les 60 milliards de dollars en réductions annoncés le 30 octobre s'ajoutent à nos mesures précédentes pour totaliser à peine moins de 200 milliards de dollars en réductions d'impôt des particuliers et des sociétés cette année et au cours des cinq prochaines années.

J'ai mentionné les réductions d'impôt des sociétés. Bien sûr, vous êtes déjà bien au courant de la réduction de la taxe de consommation et de la TPS, qui atteindra deux points de pourcentage dès le 1er janvier 2008, d'ici moins de 30 jours.

Sur le plan de l'infrastructure, et l'on en parle beaucoup dans diverses régions du Canada, nous avons créé le plus grand programme d'infrastructure à l'échelle fédérale depuis la Seconde Guerre mondiale. Il s'agit d'une initiative historique, et nous faisons deux choses. Non seulement nous avons créé le fonds de 33 milliards de dollars dont mon collègue, Lawrence Cannon, est le ministre responsable, le Fonds Chantiers Canada, et dont une partie a déjà été dépensée cette année, mais nous créons un bureau des partenariats public-privé à l'échelle fédérale par le ministère des Finances. Ce bureau est bien près de devenir une réalité, et il a reçu 1,26 milliard de dollars dans le budget de cette année. Ce financement est important parce que c'est l'occasion de faire fructifier des coopérations de 33 milliards de dollars que nous avons avec les provinces, les municipalités, le secteur privé et les régimes de pensions afin de produire 100 milliards de dollars en infrastructures au Canada au cours des sept prochaines années. Ce programme est sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale au Canada. Je presse nos partenaires provinciaux et municipaux de la fédération à s'engager avec le gouvernement du Canada dans l'allocation et l'utilisation de ces fonds pour créer l'infrastructure nécessaire au Canada.

Au sujet des obstacles au commerce entre les provinces, dont j'ai dit que je parlerais et qui est un enjeu important, il faut bien dire que les Canadiens s'attendent à ce que les obstacles au commerce soient éliminés au sein du Canada, et c'est ce que j'entends partout dans mes voyages au Canada. Les gens sont étonnés d'entendre qu'il y a plus de barrières commerciales entre nos provinces qu'il n'y en a entre les États souverains de l'Union économique européenne. Ces obstacles nuisent à notre économie et perturbent, si j'ose dire, la fédération économique canadienne.

Nous en avons un grand exemple dans l'Ouest. La Colombie-Britannique et l'Alberta ont signé l'Entente sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre, qu'on appelle aussi la TIMLA. Je me suis rendu à Edmonton lundi pour m'entretenir avec les gens de la Chambre de commerce, et j'étais fier de leur dire combien nous estimons leur entente et combien nous croyons qu'il faut encourager les autres provinces à la signer.

Cette entente prévoit un mécanisme d'application, ce qui est remarquable. J'ai été ministre des Finances dans ma province. J'ai participé à une rencontre des signataires de l'Accord sur le commerce intérieur, où j'ai entendu qu'il y avait des provinces trouvées coupables de contravention à leurs obligations inter se, mais les sanctions qui leur étaient imposées étaient sans importance et il était temps pour tout le monde d'aller souper. Ce système est inefficace. Le système de la TILMA est efficace parce qu'il prévoit des pouvoirs d'application forts.

L'Alberta et la Colombie-Britannique viennent de créer entre elles la deuxième plus grande zone de libre-échange au Canada. Seule l'Ontario est plus vaste. Comme l'écrivait la Canada West Foundation dans son rapport annuel de 2006, l'essor des économies, la croissance des populations et l'intégration économique accrue découlant de cet accord ont donné à l'Ouest la puissance économique nécessaire pour consolider sa proéminence à l'échelle nationale.

L'Alberta et la Colombie-Britannique ont haussé la barre et établi une nouvelle norme, et j'encourage toutes les provinces à abattre les obstacles au commerce entre elles, afin d'accroître notre avantage concurrentiel dans le monde.

Sur l'organisme commun de réglementation des valeurs mobilières, je vais d'emblée dire deux choses. On propose l'établissement d'un organisme commun et non d'un organisme fédéral. La réglementation serait élaborée par les 14 gouvernements du Canada, soit les dix provinces, les trois territoires et le gouvernement du Canada. Ce modèle se fonde sur celui qu'a créé le comité de Purdy Crawford. Nos discussions sur le sujet avancent. Nous considérons la réglementation essentielle pour assurer un bon flux de capitaux dans le pays et pour que les Canadiens jouissent de possibilités accrues. À une réunion du G7, nous avons également défendu la reconnaissance mutuelle des organismes de réglementation des valeurs mobilières ou du libre-échange des valeurs mobilières, et la présentation du Canada a été accueillie positivement par nos collègues du G7. À leur demande, le Canada est en train de préparer une proposition dont les ministres des Finances du G7 discuteront à leur prochaine réunion sur le sujet. De plus, les ministres des Finances de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et d'autres pays avec qui j'ai parlé estiment que la reconnaissance mutuelle des organismes de réglementation des valeurs mobilières est à leur avantage et ils aimeraient faire avancer cette cause, tout comme les États-Unis.

Nous pouvons accomplir beaucoup, mais nous devons commencer par mettre de l'ordre chez nous. Si nous voulons favoriser la reconnaissance mutuelle internationale des organismes de réglementation des valeurs mobilières, nous devons nous rassembler et nous doter d'un système commun de réglementation des valeurs mobilières ici même, au Canada. La réglementation de nos marchés s'en trouverait plus responsable et plus transparente si nous créions un organisme de décision qui coordonnerait rapidement et équitablement les points de vue de tous les gouvernements. Il ne s'agit pas là de mettre sur pied un organisme de réglementation axé sur l'Ontario ou Toronto. C'est toujours une crainte dans certaines parties du Canada. En ce moment — et je le dis à mes homologues provinciaux, je vais le répéter au cours de la prochaine semaine quand les ministres des finances vont se réunir de nouveau à Ottawa et je vous le dis maintenant —, le système de réglementation des valeurs mobilières du Canada est dominé par l'Ontario. Environ 85 p. 100 de la réglementation actuelle vient de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, qui est régie par l'Assemblée législative de l'Ontario. Ceux qui sont en faveur d'une domination de l'Ontario devraient promouvoir le maintien du système actuel. Ceux qui veulent répartir les pouvoirs de réglementation des valeurs mobilières devraient appuyer la création d'un organisme commun de réglementation des valeurs mobilières au Canada.

Je vais également mentionner la protection des investisseurs et l'application de la réglementation. Le rapport de Nick Le Pan sur l'Équipe intégrée de la police des marchés financiers de la GRC, l'EIPMF, est sorti lundi dernier. Vous êtes probablement nombreux à avoir vu la manchette du Toronto Star de samedi sur l'application de la réglementation par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. Les ministres de la Justice provinciaux et fédéral ont d'ailleurs reçu un autre rapport à ce sujet à leur dernière rencontre, à Winnipeg. Cela nuit à l'image du Canada pour ce qui est de son aptitude à faire appliquer la réglementation et à régir efficacement ses propres valeurs mobilières. Honnêtement, les rapports sont unanimes : nous ne nous portons pas très bien, et selon certains rapports, cette situation cause un embarras au Canada sur la scène internationale.

Je vais maintenant ajouter quelques autres observations. Je ne crois pas que l'harmonisation des taxes de vente provinciales et de la TPS soit à votre programme, donc si vous ne voulez pas que j'en parle, je ne le ferai pas.

Le président : Rapidement.

[Français]

M. Flaherty : L'harmonisation de la taxe de vente est un domaine où nous pourrions améliorer grandement la compétitivité de l'impôt des sociétés. Les provinces qui appliquent une structure de taxe sur la valeur ajoutée, le Québec, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador, ont un taux beaucoup plus bas pour l'impôt sur les investissements des entreprises que les provinces ayant une taxe de vente au détail.

[Traduction]

Cette question est importante pour ce qui est du taux d'imposition des sociétés dans les administrations du Canada où la TPS et la TVP ne sont pas harmonisées, ce qui comprend l'Ontario, bien sûr. Les taxes de vente provinciales nuisent à la compétitivité des entreprises parce qu'elles s'appliquent à leurs produits, ce qui fait augmenter les coûts de production et porte entrave à l'investissement. Selon une analyse récente de l'Institut C.D. Howe, l'expérience d'harmonisation dans les trois provinces de l'Atlantique est positive. Dans ces provinces, l'investissement annuel dans la machinerie et l'équipement a augmenté de 12 p. 100 de plus que la tendance historique des années qui ont suivi la réforme de la taxe de vente, en 1997. L'harmonisation des taxes ferait réduire le taux effectif marginal d'imposition d'environ sept points.

Comme je l'ai dit cette année, notre gouvernement est prêt à travailler avec les cinq provinces qui ont toujours des taxes de vente provinciales pour les aider à faire la transition vers des taxes provinciales à valeur ajoutée harmonisées à la TPS.

Je vais clore le sujet afin de vous parler des marchés financiers. Comme vous le savez, autour du mois d'août, le marché américain des prêts hypothécaires à risque a évolué de manière préoccupante. Un vaste éventail de marchés financiers est touché par les problèmes de liquidités et de solvabilité des contreparties. Ces problèmes demeurent. La situation a des incidences importantes sur les marchés de capitaux et les économies du monde entier. Le Canada n'est pas à l'abri de ces perturbations et ne le sera pas dans l'avenir. Nos bases économiques sont solides, notre système financier est fort et nos institutions financières ont beaucoup de capitaux et sont bien réglementées, donc le Canada est en bonne posture. Cependant, cela ne signifie pas qu'il ne faut pas surveiller attentivement l'évolution de la situation et que nous sommes à l'abri des conséquences de cet état de choses.

Concernant les papiers commerciaux adossés à des actifs, les pourparlers de Montréal se poursuivent, avec pour objectif un accord d'ici le quatorzième jour du mois. Encore une fois, Purdy Crawford sert vaillamment notre pays.

Quand la situation s'est aggravée, en août, le ministère fédéral des Finances, la Société d'assurance-dépôts du Canada et la Banque du Canada se sont dépêchés de tout mettre en œuvre pour que les banques travaillent de concert avec les organismes gouvernementaux. Leur objectif était d'assurer que tout reste en ordre, et les pourparlers en vue d'un accord ont commencé à Montréal afin de préserver collectivement la valeur des papiers commerciaux adossés à des actifs.

Je parle depuis pas mal de temps. Y a-t-il autre chose que je dois vous dire avant d'écouter les honorables sénateurs? Il n'y a rien d'autre que je doive absolument dire. Je pense avoir souligné nos forces, nos défis et nos préoccupations actuels.

Le président : Merci, monsieur le ministre. Je sais que vous devez nous quitter à 17 h 15, mais j'espère que vous avez un peu de marge de manœuvre, parce que les sénateurs sont impatients de vous interroger et certains d'entre eux sont eux aussi limités par le temps.

Le sénateur Harb : Merci beaucoup, monsieur le ministre, de votre allocution. Parlons d'abord du commerce entre les provinces. Certains témoins qui ont comparu devant le comité ont dit qu'il y avait des problèmes, alors que d'autres ont dit qu'il n'y en avait pas. Les témoins étaient unanimes pour dire que l'entente sur le commerce, même si elle prévoit un mécanisme de règlement des litiges, pose deux problèmes. Premièrement, elle n'a pas de mordant, d'une certaine façon, parce que les parties ne peuvent pas prendre de mesures pour faire respecter une décision.

Deuxièmement, si une question est absente de l'entente, donc exclue, toutes les parties, collectivement, doivent s'entendre. Il y a lieu de se demander pourquoi. Chez les libéraux, nous avons participé à l'élaboration d'une partie de cette entente. Cependant, je me demande pourquoi ce n'est pas l'inverse, pourquoi tout n'est pas inclus à moins que la chose ne soit expressément exclue.

M. Flaherty : J'aimerais bien connaître les raisons pour lesquelles beaucoup de choses ont été faites par le passé et beaucoup ne l'ont pas été. Je ne le sais pas. J'ai le point de vue inhabituel de quelqu'un qui a été ministre des Finances provincial et qui est dorénavant ministre des Finances fédéral : ce système est inefficace.

Le sénateur Harb : Ma seconde question porte sur les fonds de couverture et les liquidités. Dans l'économie mondiale, de nos jours, les fonds de couverture migrent en masse, et il y a beaucoup de transactions. Dans quelle mesure vous ou votre ministère essayez-vous de lancer une quelconque discussion internationale sérieuse sur la question? Je sais que le G7 a pour mandat de se pencher sur ces questions, mais je pense qu'elles dépassent les limites du G7 seulement. On peut lire que les pays en développement et les pays les moins développés, ainsi que les banques, sont tous touchés. Croyez-vous que ce serait le bon moment de nous concentrer sur la question, peut-être par l'Organisation de coopération et de développement économiques, par exemple, pour créer une tribune internationale sur la question?

M. Flaherty : Les ministres des Finances du G7 ont discuté abondamment des fonds de couverture à leur réunion de Potsdam, en mai dernier, si je ne me trompe pas, et ils en ont discuté de nouveau au G20, au Cap, il y a deux semaines et demie, avec les ministres des Finances et les directeurs des banques centrales. Comme vous le savez, la chancelière Merkel, d'Allemagne, a exprimé publiquement son point de vue sur la désirabilité d'une réglementation des fonds de couverture. Il existe une certaine réglementation.

L'autre école de pensée, c'est de nous garder loin d'un milieu hautement réglementé, parce qu'on en a fait l'expérience avec la loi de Sarbanes-Oxley, entre autres, sans grand succès, si l'on peut dire, et parce que les investisseurs qui choisissent les fonds de couverture sont censés être avertis, expérimentés, de sorte qu'ils peuvent assumer leurs propres risques.

Nous n'avons encore rien conclu sur le débat entre ces deux points de vue. Il se poursuit. Il y a également toute la question du rôle que jouent les riches fonds souverains et les autres grands bassins de capitaux actifs à l'échelle mondiale, et nous en avons discuté à la fois au G7 et au G20, ainsi qu'au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale, avec les ministres des Finances. Vous ne serez pas surpris d'entendre que les pays qui ont beaucoup de riches fonds souverains ne sont favorables à aucun type d'ingérence et que ceux qui n'en ont pas autant estiment qu'il devrait peut-être y avoir une certaine forme d'ingérence.

Ce sont deux secteurs où les grands bassins de capitaux sont actifs. Comme l'information a été rendue publique, nous savons que certaines sociétés d'État investissent beaucoup dans des fonds de couverture.

Le sénateur Harb : Pour changer de sujet, qu'est-ce qui va empêcher le gouvernement d'établir un organisme national commun de réglementation des valeurs mobilières et de dire que les provinces qui veulent en faire partie sont les bienvenues, mais qu'il va procéder même s'il y en a qui ne sont pas d'accord.

M. Flaherty : Nous préférerions obtenir le consensus, monsieur le sénateur.

Le sénateur Meighen : Bienvenue, monsieur le ministre. Pouvez-vous me donner des munitions concrètes concernant les barrières commerciales internes? Les sénateurs qui siègent à ce comité ont entendu des témoignages, comme le sénateur Harb l'a mentionné, qui nous portent à croire qu'il y a des gens qui viennent de deux mondes différents.

D'un côté, par exemple, je regarde les témoignages que nous ont donnés la Fédération du travail de la Saskatchewan et le Syndicat national des employés généraux du secteur public, qui ont dit, en gros, qu'il n'y avait pas lieu de nous alarmer. Selon la Fédération du travail de la Saskatchewan, un dixième de pour cent du produit intérieur brut est touché par les barrières commerciales internes, et seulement dans quelques domaines. Vous avez dit que les syndicats et les travailleurs se mobilisent plus que jamais et que la situation économique semble mieux que jamais dans toutes les provinces et les régions. Ceux qui ne partagent pas votre point de vue se demandent quel est le problème.

Pourriez-vous éclairer ma lanterne? En quoi cela est-il important?

M. Flaherty : C'est important parce que notre économie pourrait être plus vigoureuse et connaître une plus forte croissance. Je pourrais vous citer quelques provinces où nous avons réalisé des progrès, mais ce ne serait pas équitable.

Le sénateur Ringuette : Monsieur le ministre, mes questions suivront l'ordre dans lequel vous avez présenté vos observations.

D'une part, vous avez parlé des dépenses budgétaires relativement à l'équipement militaire. D'autre part, vous n'avez pas mentionné que vous réduisiez les salaires et les revenus de nos soldats. Vous avez également fait état des problèmes graves que vit le secteur de la transformation des produits forestiers qui voit les emplois disparaître tous azimuts. Nous subissons ces pertes d'emploi depuis déjà 16 mois, mais votre budget ne fait aucunement référence à cette situation.

Notre séance d'aujourd'hui vise l'étude de deux questions spécifiques. L'une d'elles concerne les obstacles au commerce interprovincial. À cet égard, j'ai prêté une oreille attentive aux différents points de vue qui ont été exprimés devant nous, d'une extrémité à l'autre du spectre. Objectivement parlant, l'entente intervenue entre la Colombie- Britannique et l'Alberta pour l'élimination de ces obstacles interprovinciaux est, selon moi, une initiative louable. Il faut toutefois noter que c'est une initiative majeure du gouvernement fédéral qui a incité ces deux provinces à passer à l'action. En effet, le gouvernement fédéral a pavé la voie en injectant des millions et des millions de dollars dans l'Initiative de la porte Asie-Pacifique pour Vancouver.

Au cours des 12 derniers mois, une initiative semblable a été mise de l'avant en vue de créer une porte de l'Atlantique. Cet effort pourrait amener les provinces de l'Atlantique à supprimer les barrières commerciales à l'intérieur de la région. Votre gouvernement a-t-il l'intention d'offrir un tel incitatif aux provinces de l'Atlantique de manière à contribuer, à l'échelon fédéral, à l'élimination de ces obstacles? Allez-vous dire à ces provinces que vous allez les aider à établir une porte de l'Atlantique et qu'elles doivent assurément reconnaître que pour optimiser les efforts en ce sens, il leur faut entreprendre des pourparlers en vue de l'élimination des obstacles interprovinciaux?

M. Flaherty : Merci, sénateur. Ce terme « incitatifs » n'est-il pas merveilleux? On peut presque l'employer à toutes les sauces.

Par exemple, notre budget de cette année comportait des incitatifs pour que les provinces ayant encore un impôt sur le capital puissent s'en départir. Trois provinces — l'Ontario, le Québec et le Manitoba — ont profité de l'incitatif pour faire le nécessaire, ce qui est excellent. Comme vous le savez, nous avons aboli l'impôt sur le capital à l'échelon fédéral. On parle ici d'un impôt qui s'appliquait à toutes les entreprises, peu importe qu'elles réalisent des bénéfices ou non. Si nous voulons aider les entreprises canadiennes, cet impôt doit être éliminé dès que possible.

Les mesures incitatives peuvent aider. Cependant, pour ce qui est des portes d'entrée, il n'est pas question d'incitatifs; il s'agit plutôt de fonds destinés aux infrastructures dans le cadre des 33 milliards de dollars que j'ai mentionnés précédemment pour une période de sept ans. Nous irons de l'avant en investissant dans la porte de l'Atlantique. Encore là, il s'agit d'une porte d'entrée pour toute la région, et non pour une seule partie du Canada atlantique.

De la même manière, la Porte Asie-Pacifique n'est pas là uniquement pour Vancouver ou la Colombie-Britannique. Elle dessert également l'Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba. Elle est là pour tout le pays en facilitant les échanges commerciaux de l'Ouest vers l'Asie et inversement — non seulement au port de Vancouver, mais aussi à Prince Rubert et via le nouveau concept d'un port dans le Nord de l'Alberta, à titre de valeur ajoutée.

Ces projets de porte d'entrée ne concernent pas uniquement l'Est et l'Ouest du pays, mais aussi le Canada central — l'important corridor Québec-Ontario menant à Niagara et Windsor-Detroit. Nous parlons de « portes d'entrée », mais il s'agit en réalité de « voies commerciales » permettant à notre pays d'accroître de façon efficiente sa participation aux marchés mondiaux.

Le sénateur Ringuette : Si je comprends bien, vous me dites que vous allez effectivement investir une partie des fonds destinés aux infrastructures dans la porte de l'Atlantique. Est-ce exact?

M. Flaherty : Tout à fait.

Le sénateur Ringuette : Puis-je vous demander combien d'argent?

M. Flaherty : Vous pouvez me le demander, mais je n'ai pas la réponse. Pour les détails de ce genre, il faudra poser la question à mon collègue, Lawrence Cannon. Je ne saurais vous dire.

Le sénateur Ringuette : J'ai une brève question concernant votre exemple du RPC dans le contexte du choix entre organisme de réglementation commun ou non. Ce n'est pas l'exemple le mieux adapté, car le Québec administre son propre régime de retraite, contrairement aux autres provinces. J'ose espérer que ce ne sera pas le scénario utilisé lorsqu'il sera question de l'organisme unique ou commun de réglementation des valeurs mobilières.

Le sénateur Moore : Je n'avais jamais entendu parler avant aujourd'hui de la notion de fonds souverain. Pourriez- vous me donner un exemple d'un tel fonds? S'agit-il d'un fonds contrôlé par l'État ou est-ce une réserve d'argent privé?

M. Flaherty : C'est une question intéressante parce que certains pourraient prétendre que, d'un point de vue international, le Régime de pensions du Canada est un fonds souverain. Ce n'est malheureusement pas le cas, car son administration est indépendante du gouvernement.

Le sénateur Moore : S'agit-il de fonds contrôlés par l'État?

Serge Dupont, sous-ministre adjoint, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : C'est exactement cela. Le ministre a raison. Il existe des fonds semblables dans certains pays exportateurs de pétrole. Il y en a aussi en Chine, bien évidemment, ainsi qu'en Russie.

Le sénateur Moore : En Arabie saoudite?

M. Dupont : Je crois bien que oui, comme dans d'autres pays dont le Koweït, Dubaï, la Chine et la Russie.

Le sénateur Moore : Et l'Alberta?

M. Flaherty : Certains classeraient le Fonds du patrimoine de l'Alberta parmi les fonds souverains.

Le sénateur Moore : Je vais poursuivre dans le sens de la question du sénateur Meighen. Nous avons entendu différentes projections quant aux gains de productivité possibles pour le Canada si les barrières interprovinciales étaient supprimées. Est-ce que vous établissez des modèles pour calculer ces possibilités?

Denis Gauthier, sous-ministre adjoint, Développement économique et finances intégrées, ministère des Finances Canada : On ne procède à aucune modélisation à proprement parler au sein du ministère, mais de nombreuses études ont été menées. Comme vous avez pu l'entendre, l'augmentation devrait se situer entre un quart et trois quarts de 1 p. 100 du PIB.

Le sénateur Moore : Est-ce que vous prenez le temps d'examiner les données commerciales et les améliorations possibles? Est-ce que vous jonglez avec ces chiffres?

M. Gauthier : On l'a déjà fait dans le passé, mais l'estimation des répercussions sur le commerce ne fait pas partie de nos activités courantes.

Le sénateur Moore : C'est une solution que vous préconisez; vous devez bien vous appuyer sur une certaine base pour affirmer que si nous faisons ceci, nous obtiendrons cela comme résultat. Comment pouvez-vous soutenir cette initiative si vous n'avez pas une petite idée des résultats en jeu?

M. Flaherty : Toutes les études montrent la même chose.

M. Gauthier : Oui, il n'y a pas beaucoup d'écart quant aux résultats calculés.

Le sénateur Moore : Vous dites que toutes les études montrent la même chose, mais certains témoins nous ont dit qu'il ne valait même pas la peine d'en parler; l'effet est minime, à peu près 1 p. 100.

M. Flaherty : Voulez-vous dire 1 p. 100 du PIB?

Le sénateur Moore : Non, plutôt un dixième de 1 p. 100 du PIB selon le témoignage de la Fédération du travail de la Saskatchewan. Le Centre canadien de politiques alternatives abondait dans le même sens. D'autres ont parlé d'une amélioration pouvant atteindre 5 milliards de dollars par année. Avez-vous examiné les estimations à ce sujet?

M. Gauthier : Il y a des estimations récentes d'Industrie Canada...

Le président : Je vous prie de m'excuser, mais j'ai omis de mentionner précédemment que nous accueillons deux cadres supérieurs du ministère des Finances qui accompagnent le ministre. Il s'agit de Serge Dupont, sous-ministre adjoint, Direction de la politique du secteur financier; et de Denis Gauthier, sous-ministre adjoint, Développement économique et finances intégrées. M. Gauthier est en train de répondre à la question du sénateur Moore.

M. Gauthier : Selon des estimations récentes effectuées par Industrie Canada et d'autres instances gouvernementales, le coût des barrières interprovinciales se chiffrerait à environ un quart de 1 p. 100 du PIB.

Le sénateur Moore : Quelle somme cela représente-t-il?

M. Gauthier : À peu près 3 milliards de dollars.

M. Flaherty : Il y en a aussi qui ont dit que l'Accord de libre-échange nord-américain ne nous procurerait aucun avantage économique. Il faut toujours évaluer la source de l'analyse.

Le sénateur Moore : Je sais, et j'avais cela en tête lorsque les témoins ont comparu devant nous. Ces estimations s'éloignaient tellement des autres points de vue que nous avions entendus.

Vous avez parlé dans vos observations du rétablissement de l'équilibre fiscal. Pour ce qui est du Transfert canadien en matière de programmes sociaux, surtout dans le contexte du financement de l'éducation, nous avons reçu Michael Baker, ministre néo-écossais des Finances, qui nous a indiqué que ma province de la Nouvelle-Écosse reçoit cette année 28 millions de dollars de moins que l'an dernier. Je crois que le budget prévoit que notre province touchera cette année 6,4 millions de dollars de plus, par rapport à l'ancienne formule, alors que l'augmentation sera de 344 millions de dollars pour l'Alberta. Ainsi, au bout de dix ans, nous aurons reçu 64 millions de dollars supplémentaires et l'Alberta aura obtenu 3,44 milliards de dollars de plus.

Aux vues de ces données, je me demande bien comment nous allons pouvoir soutenir la concurrence. Comment allons-nous réussir à garder chez nous les meilleurs parmi nos étudiants, nos enseignants, nos administrateurs et nos chercheurs? C'est une véritable bombe à retardement. Il doit y avoir une certaine forme d'équité ou d'équilibre dans le système. Nous ne pouvons pas tous déménager en Alberta pour nos études postsecondaires. Tout indique que la même situation va se répéter en matière de santé lorsque l'actuel accord de financement prendra fin le 1er avril 2014. Est-ce bien le cas? Je crois que le changement est prévu dans la loi. Avez-vous l'intention de mettre fin à ces iniquités et, le cas échéant, quelles mesures entendez-vous prendre pour ce faire?

M. Flaherty : Je n'ai pas en main toutes mes données concernant l'équilibre fiscal. Je peux toutefois vous assurer d'une chose : la Nouvelle-Écosse sera en meilleure posture cette année qu'elle ne l'était en vertu de l'ancien accord. Cela ne fait aucun doute. C'est un dossier dans lequel je me suis beaucoup investi et dont j'ai discuté avec la province de la Nouvelle-Écosse. J'ai eu des pourparlers à ce sujet avec mon ami, Michael Baker, le ministre provincial des Finances; avec Angus MacIsaac, le ministre des Finances assurant actuellement l'intérim; et avec le premier ministre de la Nouvelle-Écosse. Nous avons parlé de cette question pendant des heures. Nous avons consenti un effort supplémentaire en proposant des amendements aux accords que nous avons intégrés au projet de loi budgétaire de cet automne, dont l'étude progresse actuellement à la Chambre des communes et qui vous sera soumis sous peu. Nous l'avons fait pour apaiser les inquiétudes des Néo-Écossais qui craignaient de ne pas nécessairement sortir gagnants, tant avec l'ancien accord qu'avec la nouvelle formule de péréquation. C'est pourtant garanti.

Le sénateur Moore : Je ne parle pas de l'accord. C'est un dossier complètement différent. Je parle du financement de l'éducation postsecondaire dans ma province dans le cadre du Transfert canadien en matière de programmes sociaux. J'en ai discuté avec Michael Baker, que je connais personnellement, et il n'est pas du tout satisfait de ce transfert. Je peux vous assurer qu'il connaît les sommes en jeu parce que j'ai travaillé avec lui sur ce dossier. Ces chiffres sont dans le budget. C'est votre budget. Comment allons-nous mettre fin à cette iniquité dans le système?

M. Flaherty : Ce sera un plaisir pour moi de vous fournir ces chiffres. L'iniquité dont vous parlez n'en est pas vraiment une, c'est le simple résultat de l'adoption d'un mode de financement par habitant. Il va de soi qu'il y a longtemps qu'il n'est plus question de dire aux provinces qu'elles ne devraient pas toucher un financement au prorata de leur population pour l'éducation postsecondaire.

Le sénateur Moore : Il va de soi qu'il est encore question de fédéralisme inéquitable. On ne parle pas ici de fédéralisme de bilan ou de chiffrier. C'est une question de partage et d'équité.

M. Flaherty : Il est question d'étudiants et les étudiants sont des individus.

Le sénateur Moore : Pendant que des étudiants reçoivent leur éducation dans ma province, c'est l'Ontario qui obtient le financement.

M. Flaherty : Quand on parle de financement par habitant, on veut dire par étudiant. Ce n'est donc pas un financement par province.

Le sénateur Moore : Je sais ce que cela signifie.

M. Flaherty : Je ne crois pas que vous voudriez priver les étudiants de ce pays des avantages du financement au prorata de la population.

Le président : Sénateur Moore, c'est un sujet qui vous tient à cœur et c'est la même chose pour nous tous, mais ce n'est pas une question qui figure à l'ordre du jour de nos travaux.

Le sénateur Moore : Nous avons bien parlé de tous les autres sujets possibles.

Le président : Vos collègues ont également des questions à poser. Trois sénateurs ont exprimé le souhait d'intervenir. Il y a d'abord le sénateur Biron, qui a la main levée depuis un bon moment déjà, puis le sénateur Tkachuk et enfin le sénateur Goldstein, qui va fermer les livres. Est-ce que cela vous convient, monsieur le ministre?

M. Flaherty : Tout à fait.

Le sénateur Biron : Est-ce que les investisseurs avertis qui transigent avec les fonds de couverture sont beaucoup plus compétents que ceux qui ont créé le marché hypothécaire de deuxième catégorie?

[Français]

Ces fonds de couverture sont-ils suffisamment surveillés et réglementés ou croyez-vous que les lois du marché qui les contrôlent sont suffisantes? Et, comme les « sub-prime loan », présentent-ils des risques pour la stabilité économique canadienne et mondiale?

[Traduction]

M. Flaherty : Je crois que vous avez posé plusieurs questions à la fois. D'abord et avant tout, je dois préciser que ce sont les organismes provinciaux responsables des valeurs mobilières qui réglementent les fonds de couverture au pays actuellement, et non le gouvernement du Canada. Cela pourrait constituer un autre argument en faveur du concept d'organisme de réglementation commun pour les valeurs mobilières au pays. Tout dépend de la définition utilisée par chacun pour déterminer qui sont les investisseurs avertis. Est-ce que les fonds de couverture sont suivis ou réglementés de façon assez serrée? Vous avez parlé des fonds de couverture ainsi que des papiers commerciaux adossés à des actifs. Ce n'est pas à moi qu'il incombe de juger de la performance des organismes communs de réglementation des valeurs mobilières. Je peux vous dire que lorsque les problèmes ont commencé à se manifester au mois d'août, les investisseurs canadiens et étrangers ne se sont pas tournés vers les organismes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières. Ils se sont adressés au gouvernement du Canada, au ministère des Finances, à la Société d'assurance-dépôts du Canada et à la Banque du Canada pour qu'on les sorte de ce bourbier et qu'on règle la situation. De telles attentes m'amènent également à croire à la nécessité d'une approche coopérative pour la réglementation des valeurs mobilières au Canada.

Le sénateur Tkachuk : Dans le budget fédéral de 2007, il était question de progrès et de main-d'œuvre spécialisée, de mobilité de cette main-d'œuvre et d'harmonisation de la réglementation. Puis, le discours du Trône indiquait que : « ... le Canada a encore beaucoup de chemin à faire pour établir le libre-échange entre les provinces. » Dans ce même discours du Trône, le gouvernement fédéral envisageait le recours à son pouvoir de réglementation des échanges et du commerce pour assurer un fonctionnement plus efficace de l'union économique.

C'est un commentaire qui a attiré mon attention, car il y avait longtemps qu'il n'avait pas été question de ce pouvoir de réglementation en matière commerciale. Je me demandais si vous pourriez nous en dire davantage sur la façon dont nous pourrions faire intervenir ce pouvoir de telle sorte que l'union économique fonctionne mieux.

M. Flaherty : Je ne veux pas m'engager dans un débat constitutionnel. Comme je l'ai indiqué précédemment, sénateur, je crois qu'on peut affirmer que l'instauration du pouvoir de réglementation des échanges et du commerce, tout comme celui relatif aux banques, montre bien que les Pères de la Confédération étaient d'avis, au moment de la création de notre pays, que le gouvernement fédéral du Canada devait prendre en charge certaines fonctions économiques nationales. Lorsqu'il s'agit de la libre circulation des biens et des services ainsi que des capitaux à l'intérieur du pays, comme c'est le cas pour le secteur bancaire, il m'apparaît incontestable, et bien des gens m'ont fait valoir cet argument dans toutes les régions du pays, que le gouvernement national doit avoir un rôle à jouer.

Le sénateur Tkachuk : Je suis d'accord. La semaine dernière à Winnipeg, le sénateur Harb et moi avons participé à une activité de la Chambre de commerce où il était question de commerce interprovincial et d'harmonisation des pouvoirs de réglementation. Il y a énormément de frustration qui émane des querelles interprovinciales dans bon nombre de ces dossiers, comme en témoignaient les interventions des représentants des camionneurs et des groupes d'agriculteurs également présents. J'ai toujours pensé que ce pouvoir fédéral en matière commerciale n'est pas suffisamment mis à contribution et que l'on pourrait se montrer plus incisif en l'utilisant de temps à autre pour s'assurer de bien défendre les intérêts des citoyens. J'estime important que le gouvernement fédéral se serve de ce levier à l'occasion.

M. Flaherty : Merci.

Le président : Était-ce une question?

Le sénateur Tkachuk : Il peut nous faire part de ses commentaires s'il le désire, ou bien réfléchir à la question.

M. Flaherty : Je trouve tout cela tout à fait édifiant. Je n'ai rien à ajouter.

Le président : Quelqu'un a suggéré que nous convoquions un ou deux experts constitutionnels pour parler de ce pouvoir de réglementation des échanges et du commerce avant de conclure notre étude sur les barrières interprovinciales. Croyez-vous qu'il s'agit d'une approche constructive, ou risquons-nous d'avoir seulement droit à de savants boniments?

M. Flaherty : Le débat constitutionnel au Canada suscite toujours des inquiétudes, mais la question est suffisamment importante pour qu'un examen de celle-ci sous tous les angles soit utile pour la population canadienne.

Le sénateur Goldstein : Merci, monsieur le ministre, d'avoir comparu devant nous, et merci aussi, MM. Gauthier et Dupont pour vos propos instructifs. J'ai une question précise à vous poser au sujet des produits à capital protégé. Le projet de règlement sur les produits à capital protégé, qui porte notamment sur la façon dont ils seraient traités, a été publié dans la Gazette du Canada le mois dernier. Je crois savoir que vous avez reçu des commentaires de diverses parties intéressées au sujet de ces produits, qui, comme vous le savez, traduisent la philosophie entourant les fonds de couverture. Seriez-vous prêt à nous transmettre les commentaires que vous avez reçus relativement à ce projet de règlement? Je vous pose cette question parce que ce règlement ne correspond pas à ce qu'il serait dans le cas de toute autre valeur mobilière, en ce sens qu'il n'exige pas le même niveau de détail que ce qui serait prévu pour une valeur mobilière, par exemple, faisant l'objet d'un prospectus. Le règlement va moins loin. Pouvez-vous nous faire part des commentaires que vous avez obtenus?

M. Flaherty : Voulez-vous dire maintenant ou plus tard?

Le sénateur Goldstein : Plus tard. Vous ne pouvez pas le faire maintenant.

M. Flaherty : Nous pouvons certes vous transmettre ces commentaires, selon les termes, bien entendu, de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le sénateur Goldstein : Merci.

Le président : Monsieur le ministre, je voudrais exercer un peu les prérogatives dont je dispose à titre de président. On nous a portés à croire que les répercussions de la baisse du dollar américain sont plus grandes au Canada que dans d'autres pays et que nous devons déployer beaucoup d'efforts pour nous adapter à ce déclin. Pouvez-vous commenter brièvement ces observations? Est-ce que ce problème vous préoccupe?

M. Flaherty : Certainement, et nous l'avons soulevé lors de rencontres internationales. Le Canada a absorbé le tiers de la dépréciation du dollar américain, et notre pays compte 33 millions d'habitants. L'autre tiers a été absorbé par l'Union européenne, dont la population est environ dix fois plus élevée que la nôtre. Nous avons fait les frais du déclin de façon disproportionnée. Les entreprises canadiennes ont fait preuve d'une très grande capacité d'adaptation, malgré la dépréciation rapide de la devise américaine. Nous avons assumé une part disproportionnée de la baisse parce que, si l'on tient compte de la pondération selon les échanges, la plupart de notre commerce s'effectue avec les États-Unis.

Le président : Après cette pondération, le pourcentage s'élève-t-il à 16 p. 100? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Dupont : Je ne sais pas à quel 16 p. 100 vous faites référence. Depuis janvier 2007, le dollar canadien s'est apprécié d'environ 15 p. 100 par rapport au billet vert. Le ministre a parlé de la part d'adaptation, si je peux m'exprimer ainsi, que le Canada a dû assumer comparativement à d'autres pays. Cette part s'établit à un tiers, après pondération selon les échanges.

Le président : C'est considérable.

M. Flaherty : C'est ce que j'ai fait valoir il y a deux semaines et demie lors de la rencontre des dirigeants des banques centrales et des ministres des Finances du G20 au Cap. Nous étions assis aux côtés de nos collègues de la Chine, puisque nous étions placés par ordre alphabétique : l'Argentine, le Canada, la Chine, et cetera.

Le président : Croyez-vous que leur monnaie est surévaluée?

M. Flaherty : Non, notre monnaie et celle d'autres pays comme l'Afrique du Sud, le Brésil, l'Australie et la Nouvelle- Zélande sont, en quelque sorte, touchées par ricochet par cette lutte entre le dollar américain et la devise chinoise, et celle d'autres pays asiatiques, surtout à cause de l'inflexibilité du cours de la monnaie chinoise. Nous soulevons ces questions lors des rencontres auxquelles nous assistons et nous espérons que cela favorisera une flexibilité accrue. Je n'en dirai pas plus.

Le président : Monsieur le ministre, nous vous remercions d'être venu. Nous aurions aimé pouvoir discuter avec vous pendant une autre heure. Cette séance a été excellente.

Comme je l'ai dit plus tôt, cette présente séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce porte notamment sur le projet de loi C-12, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la Loi sur le Programme de protection des salariés et le chapitre 47 des Lois du Canada (2005).

Le projet de loi C-12 reprend les termes du projet de loi C-62, présenté à la première session de cette 39e législature. Nous allons procéder à un second examen objectif des changements proposés qui, nous l'espérons, contribueront à améliorer le chapitre 47 à l'intention des parties concernées.

Messieurs, nous sommes ravis de vous recevoir en tant que représentants de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation, c'est-à-dire l'ACPIR. Nous accueillons Kevin Brennan, vice- président de cette association et vice-président directeur chez Ernst & Young Inc.; ainsi que Claude Gilbert, ancien président de l'ACPIR et vice-président directeur chez PricewaterhouseCoopers Inc.

Je crois savoir que vous prendrez tous les deux la parole. Nous vous souhaitons la bienvenue au comité.

Kevin Brennan, vice-président (ACPIR), vice-président directeur, Ernst & Young Inc., Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation : Honorables sénateurs, bonjour. Je suis ravi de témoigner devant votre comité au nom de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation, ou ACPIR, à propos de la législation fédérale en matière d'insolvabilité. Je suis vice-président de l'ACPIR, et se trouve à mes côtés aujourd'hui Claude Gilbert, notre président sortant.

L'ACPIR est un organisme national à but non lucratif qui représente les professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation. Nos 884 membres généraux ont la marque de certification CIRP, ce qui signifie « chartered insolvency and restructuring professional ». On l'obtient sur la base de ses études, de son expérience professionnelle et d'un permis de syndic de faillite.

[Français]

Claude Gilbert, ancien président du conseil (ACPIR), vice-président directeur, PricewaterhouseCoopers Inc., Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation (ACPIR) : Monsieur le président, au cours des six dernières années, notre association a collaboré de manière intense à la réforme de l'insolvabilité, allant de notre participation au Groupe de travail sur l'insolvabilité personnelle, à nos divers mémoires à ce comité, préalablement à la diffusion de votre rapport, Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau, en novembre 2003.

Lors du dépôt du projet de loi C-55, notre association a présenté des mémoires au sujet des dispositions traitant de l'insolvabilité, tant personnelle que commerciale, au Comité permanent de l'industrie de la Chambre des communes. En outre, plusieurs membres de l'ACPIR ont siégé au sein des divers groupes de travail sur la revue de la législation, conjointement avec l'Institut d'insolvabilité du Canada, et ont rencontré des membres du comité appartenant à tous les partis.

Par la suite, l'ACPIR a nommé des membres pour conseiller les fonctionnaires d'Industrie Canada et de Ressources Humaines et Développement Social au cours de la préparation d'un projet de loi modificatif, le projet de loi C-62, maintenant renuméroté C-12, qui vise à corriger les failles techniques du chapitre 47. Nous espérons que l'expertise de nos membres s'est avérée utile.

Nous avons soumis récemment des mémoires sur certains aspects touchant l'insolvabilité personnelle et commerciale à votre comité. Kevin Brennan et moi allons nous concentrer aujourd'hui sur le mémoire traitant des aspects commerciaux.

Nos membres sont indépendants et constituent les professionnels qui, en bout de ligne, seront responsables de l'application de la législation fédérale en matière d'insolvabilité. Par conséquent, nous, qui les représentons, sommes bien placés pour recommander des mesures de réforme qui bénéficieront à la fois aux débiteurs, aux créanciers et au public en général. Nous sommes intéressés au plus haut point à mener ce processus de réforme de l'insolvabilité à bonne fin et le plus rapidement possible. La législation devant vous aujourd'hui met l'accent sur l'intention première des procédures d'insolvabilité, soit de maximiser le recouvrement pour les créanciers, tout en protégeant, dans la mesure du possible, l'entreprise et les emplois concernés.

En outre, la législation vise à accroître la protection accordée aux salariés concernant les montants de salaires et de pensions impayés. Finalement, elle rehausse la compétitivité économique du Canada.

L'ACPIR reconnaît l'importance de ces dispositions et est persuadée que le projet de loi modificatif C-12 améliore l'équité et l'efficacité du processus d'insolvabilité de notre pays. Nous remercions vivement tous les partis de leur appui grâce auquel cette législation a pu se rendre jusqu'ici.

[Traduction]

Le président : Avant que vous ne continuiez, monsieur Brennan, je tiens à souligner — ce que les témoins savent je crois — que le comité a la chance de bénéficier de l'expertise d'une personne qui l'a conseillé lorsqu'il a mené son étude sur ce projet de loi. L'industrie et les parties concernées connaissent bien le sénateur Goldstein. Il nous est d'une aide précieuse.

Vous parliez des professionnels qui, au bout du compte, sont responsables de l'administration de cette loi. Ces professionnels sont-ils les syndics de faillite?

M. Gilbert : Oui, environ 90 p. 100 des syndics de faillite au Canada sont membres de notre association. Nous comptons aussi d'autres types de membres, mais il reste que la plupart des syndics de faillite sont membres de l'ACPIR.

Le président : Très bien. C'est ce que le sénateur Goldstein m'avait appris, mais je croyais qu'il était important de le mentionner, car les syndics sont essentiellement les arbitres.

M. Brennan : Nous appuyons ce projet de loi. Toutefois, nous estimons que certains aspects mériteraient d'être étudiés davantage, comme nous l'indiquons dans notre mémoire. Nous estimons aussi qu'Industrie Canada et tous les professionnels de l'insolvabilité devraient faire une analyse plus poussée de certains amendements. Il importe d'établir s'il faudra apporter des amendements provisoires ou futurs si le projet de loi se révèle inopérant ou improductif.

Ceci dit, nous estimons que les améliorations au projet de loi devraient viser les points suivants : cette mesure devrait encourager le versement des paiements au régime de retraite à un coût normal par l'administrateur de l'insolvabilité une fois celui-ci retenu, au nom des anciens employés du débiteur insolvable retenu par l'administrateur pour qu'il exécute son mandat.

Pour atteindre cet objectif, il faut protéger davantage les spécialistes de l'insolvabilité contre les engagements des nouveaux employeurs. Il faudrait aussi favoriser la réussite des réorganisations en éliminant toute incertitude inutile quant à la nature et au statut des dettes envers la Couronne, notamment les incohérences entre la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. La loi devrait permettre aux entreprises créancières de maintenir avec la compagnie débitrice insolvable la fourniture mutuelle de biens et services une fois la procédure entamée. Pour ce faire, il faut que le créancier ne puisse plus obtenir une compensation à l'égard des créances antérieures au dépôt de la requête à même les obligations postérieures à ce dépôt. De telles créances pourraient indûment influer sur les liquidités du débiteur insolvable et sur sa capacité de se réorganiser.

La loi doit aussi encourager la réussite à long terme d'une entreprise réorganisée en autorisant un concordat à l'égard des créances qui pourraient être identifiables mais qui ne se sont pas cristallisées ou ne peuvent être quantifiées avant que le concordat ou l'arrangement soit ratifié par le tribunal. Par ailleurs, la loi doit encourager, ou du moins ne pas décourager, les personnes qualifiées à se joindre aux conseils d'administration des compagnies en déroute pour les orienter sur la voie parsemée d'écueils qui les attend. Pour ce faire, il faut éliminer ou atténuer leur exposition aux obligations et engagements au cas où la compagnie ferait faillite malgré leurs efforts.

[Français]

M. Gilbert : Nous vous recommandons avec instance une autre amélioration qui, tout en ne figurant pas dans notre mémoire écrit, s'inscrit dans le même thème. Il s'agirait de donner un nouveau titre à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et de l'appeler plutôt « Loi sur l'insolvabilité et la réorganisation du Canada ». Ce nouveau titre correspondrait davantage à la réorientation de la politique canadienne qui incite les entreprises et les individus à se restructurer et à se réhabiliter, plutôt qu'à opter pour la faillite.

L'ACPIR est fermement d'avis que la faillite devrait demeurer l'option de dernier recours. Nous croyons que le titre d'une loi devrait traduire fidèlement son intention. En renommant la LFI « Loi sur la faillite et la réorganisation du Canada », les entreprises et les individus en difficultés financières auraient davantage tendance à chercher de l'aide avant que la faillite ne devienne leur seule option. En outre, elle correspondrait mieux aux activités de nos membres, à titre de syndics et d'administrateurs de propositions, de séquestre intérimaire, de séquestre nommé en privé ou par le tribunal.

[Traduction]

M. Brennan : Merci de l'attention que vous avez portée à notre exposé formel. Mon collègue et moi-même nous tenons désormais à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le président : Votre exposé était excellent. C'est très bien que vous l'ayez fait dans les deux langues. Quand j'ai lu votre mémoire, j'ai eu un peu d'appréhension, mais j'ai trouvé que vous vous étiez exprimés clairement.

C'est un grand jour pour le Comité des banques. Nous avons effectué une longue étude sur la nécessité d'une réforme, qui s'est appuyée sur une étude menée au sein des parties concernées. Ensuite, nous avons procédé à l'étude du projet de loi C-55, mais au bout du compte, cette mesure législative, après avoir franchi toutes les étapes au Parlement, n'a pas été promulguée.

Vous êtes les premiers témoins que nous entendons au sujet de ce volumineux projet de loi. Si je vous ai bien compris, vous avez affirmé que vous appuyez cette mesure, mais selon vous un certain nombre d'amendements supplémentaires s'imposent.

Avant que nous commencions à vous poser des questions, j'aimerais savoir si vous nous demandez de faire rapport de ce projet de loi avec amendements ou bien d'en faire rapport sans amendements car vous trouvez qu'il s'agit d'une bonne mesure, que vous attendiez depuis longtemps, mais vous souhaitez que nous gardions en tête que certaines modifications permettraient de l'améliorer.

M. Brennan : C'est exact. Nous voulons que ce projet de loi soit adopté, et selon nous, il est de loin préférable qu'il soit adopté sans amendements plutôt que pas du tout. Il est certain que cette mesure législative rend le processus lié à l'insolvabilité plus équitable et plus efficace. Il contribue à créer un meilleur équilibre entre les droits des débiteurs et ceux des créanciers, et nous souhaitons qu'il soit adopté.

Le président : Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Biron : Vous avez mentionné que le nouveau titre devrait être « la Loi sur l'insolvabilité et la réorganisation du Canada » plutôt que « la Loi canadienne sur l'insolvabilité et la réorganisation ». Lorsque vous parlez de la réorganisation du Canada, je pense bien que le Parti québécois serait heureux d'en faire partie.

M. Gilbert : C'est une très bonne remarque, je ne l'avais pas noté parce que nous l'avions préparé en anglais en premier lieu puis nous avons joué un peu avec la version française. Effectivement, cela pourrait être « la Loi canadienne sur l'insolvabilité et la réorganisation »; cela sonnerait mieux que «... sur la réorganisation du Canada», effectivement.

[Traduction]

Le sénateur Harb : Votre organisme a-t-il participé aux consultations que le gouvernement a menées lorsqu'il a présenté ce projet de loi ou l'idée d'une telle mesure? Si c'est le cas, pourquoi n'a-t-il pas pris en considération vos recommandations? Ce serait extrêmement utile, monsieur le président, que les fonctionnaires visés soient présents pendant que les représentants de l'association commentent chacun des amendements qu'ils proposent. Nous pourrions à tout le moins obtenir une réaction à ces modifications grâce à leurs hochements de tête. Notre conclusion serait alors meilleure.

[Français]

M. Gilbert : J'étais président du conseil à ce moment-là, je ne le suis plus depuis le mois d'août, mais je peux répondre pour cette période. Pendant six ans nous avons réalisé des consultations, nous avons conseillé des gens. Deux de nos membres siégeaient au comité, qui conseillaient les fonctionnaires d'Industrie Canada sur la préparation du projet de loi dont nous parlons aujourd'hui. Les points que nous soulevons sont des points techniques, ce sont des choses que les projets de loi C-47 et C-12 n'ont pas faites. Ce sont davantage des omissions que des corrections à des choses qu'ils ont faites. Ce sont des choses qu'on souhaiterait améliorer pour l'équité et l'efficacité du système d'insolvabilité au Canada.

Un projet de loi évolue dans le temps, dépendamment des perspectives à travers le pays. Certains arrivent avec des points de nouvelles jurisprudences ou des problèmes qu'on vient de rencontrer, et ce sont peut-être des points qui ont été omis par inadvertance, qui sont plus techniques mais quand même importants, à l'exception d'un seul point que nous soulevons pour corriger une nouvelle disposition apportée par le projet de loi.

[Traduction]

Le président : Sénateur Harb, vous venez de faire valoir un point intéressant, et je tiens à dire aux fins du compte rendu que les représentants des ministères du Travail et de l'Industrie, qui ont comparu la semaine dernière, sont dans la salle. Ils sont très attentifs et je sais qu'ils prennent bonne note des suggestions.

Le sénateur Harb : Très bien.

On nous a dit qu'il valait mieux que le comité se dépêche d'adopter cette loi parce qu'elle contient de nombreuses mesures pressantes et que, d'une certaine façon, c'est la deuxième fois que nous subissons la pression. Nous savons tous qu'il y aura une révision bientôt, mais nous ne savons pas quand.

Le sénateur Goldstein : Dans cinq ans.

Le sénateur Harb : Dans cinq ans. Faudrait-il raidir notre position et prendre une décision, notamment insister pour que les amendements soient adoptés dès maintenant, au risque que le projet de loi soit mis en veilleuse jusqu'à ce que nous ayons reçu la réponse du gouvernement? Ou vaudrait-il mieux prendre note de vos recommandations et suggestions, les transmettre au gouvernement et l'aviser que la prochaine fois que cette loi est examinée, nous souhaitons faire en sorte que tous ces points soient pris en considération?

Quelle serait votre recommandation?

M. Brennan : Nous recommandons que le projet de loi soit adopté sans amendement si la proposition d'amendements en compromettait l'entrée en vigueur, quelle qu'en soit la raison. Les suggestions que nous faisons, bien que M. Gilbert ait indiqué qu'elles sont en grande partie de forme, sont importantes. On pourrait s'en charger à l'aide d'une série d'amendements soit dans cinq ans ou, de préférence, dans un délai plus court, bien qu'un autre projet de loi modifiant la loi puisse être déposé à la Chambre et renvoyé au comité.

À notre avis, le projet de loi à l'étude est bon. Il met beaucoup de choses en relief, ce qui est opportun, étant donné l'état de notre économie. Si l'on se fie aux articles parus dans le Globe and Mail de ce matin au sujet du resserrement mondial du crédit et des problèmes qui entourent la demande américaine de produits canadiens, beaucoup de facteurs militent en faveur de l'adoption immédiate du projet de loi et de son entrée en vigueur avant une aggravation de la situation. Le projet de loi comporte beaucoup de bonnes mesures, et nous souhaitons éviter qu'elles ne disparaissent dans la brume.

Le président : Sénateur Harb, vous n'étiez peut-être pas présent lorsque nous avons entendu les hauts fonctionnaires. Je crois que vous avez dû quitter la salle durant une partie de leurs témoignages, mais ils ont fait valoir que, puisqu'il s'agit d'une loi cadre — avec tous les importants éléments que comporte une pareille loi —, ils feront un examen permanent des amendements requis. Ils n'attendront pas la fin de la période quinquennale.

Si vous vous reportez au compte rendu, vous constaterez, je crois, que la volonté de déposer les amendements que nous n'aurons peut-être pas eu le temps de faire cette fois-ci à une date relativement rapprochée est là. Le ministre a même déclaré qu'il était ouvert à une pareille approche. Nous avons entendu deux témoignages — celui du ministre du Travail et celui du secrétaire parlementaire du ministre de l'Industrie — qui nous ont porté à croire que, si nous exigions une lettre du ministre ou que nous ajoutions des observations à cet effet dans notre rapport, l'idée serait bien accueillie.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Monsieur Gilbert, vous avez parlé de changer le titre afin de souligner l'aspect de réorganisation ou de redressement suite à une faillite. Je crois que nous partageons cet avis. Toutefois, les amendements proposés exigent que le tribunal considère le préjudice potentiel sur un créancier existant.

Monsieur Gilbert, pourriez-vous apporter une précision? À quel point le système devrait-il privilégier la réorganisation sur la liquidation? Dans le cas où cela porte préjudice à un créancier garanti ou sécurisé, le juge devrait- il favoriser le redressement en conséquence?

M. Gilbert : Ces questions sont tranchées en cour selon l'opinion des juges, qui évolue avec le temps. Le travail des juges consiste à atteindre un équilibre entre les intérêts des entreprises et des créanciers.

À mon avis, le système fonctionne bien. Le projet de loi, selon les circonstances, penche parfois du côté des débiteurs, parfois du côté des créanciers. Selon les cycles économiques, on a parfois l'impression que la faveur penche trop du côté des créanciers ou du côté des entreprises.

Encore une fois, à notre avis, le système fonctionne bien présentement, surtout suite aux modifications de 1992 et celles introduites par le projet de loi C-47, notamment la possibilité d'obtenir du financement intérimaire pour sauver les entreprises. Il est important de favoriser les entreprises à condition de s'assurer qu'il n'y ait pas d'abus. Sur ce point, la loi est bien équilibrée.

Nous estimons que les fonctionnaires d'Industrie Canada ont fait du bon travail, tant avec le projet de loi C-47 qu'avec le projet de loi C-12. Nous avons un très bon projet de loi, qui équilibre les intérêts des différentes parties en matière d'insolvabilité.

Le sénateur Massicotte : En 2003, les experts notaient souvent qu'il était plus facile, aux États-Unis qu'au Canada, pour un débiteur qui éprouvait des difficultés financières de se redresser. Les experts économiques ont également indiqué qu'il est important pour l'économie canadienne de permettre une réorganisation plutôt qu'une liquidation systématique.

Le projet de loi déjà amendé et celui proposé corrigent-ils cette lacune dans notre système?

M. Gilbert : Plusieurs concepts présentés ici se rapprochent du système américain. Si notre système n'est pas compétitif envers les grandes entreprises, elles vont chercher à se réorganiser aux États-Unis.

Plusieurs mesures du système favorisent un rapprochement avec le système américain. Toutefois, aux États-Unis, lorsqu'on penche trop d'un côté, il y a souvent des abus. Je n'ai pas noté ici les abus qui se produisent dans certaines réorganisations aux États-Unis. Les mesures contenues dans ce projet de loi font en sorte que notre système se rapproche davantage du système américain qu'auparavant.

Le sénateur Massicotte : En 2003, nous avons tenu un grand débat au sein du comité à savoir quoi faire avec les contrats syndicaux. Je remarque que votre rapport en fait également mention. En d'autres mots, vous semblez un peu déçu du fait que le projet de loi n'accorde pas l'autorité au tribunal de scinder ou renégocier les contrats syndicaux.

Nous avions recommandé d'accorder ce pouvoir à condition de remplir trois ou quatre critères. Évidemment, ce serait peut-être l'amendement principal que vous nous recommanderiez?

M. Gilbert : Le mémoire que nous avons déposé sur le projet de loi C-55 abordait trois questions importantes dont celle du renouvellement des conventions collectives. On croyait que les modifications du projet de loi C-55 n'allaient pas assez loin et que ce qui était proposé ne fonctionnerait pas en pratique.

Nous ne sommes pas là pour faire les lois. Certains ont des opinions contraires aux nôtres et avec lesquelles nous devrons vivre. On a prévu certaines dispositions relativement à un mécanisme d'arbitrage. Nous recommandons qu'Industrie Canada surveille, dans les prochains cas d'insolvabilité, comment le tout se déroule afin d'apporter des ajustements lors d'une prochaine révision ou avant si nécessaire.

Nous éprouvons de sérieuses réserves quant à la formule présentée dans le projet de loi C-55. Elle n'enlève rien au processus actuel et force les gens à négocier. Toutefois, s'ils ne négocient pas, rien ne se produit. Par conséquent, nous ne savons pas ce qui va arriver. C'est pourquoi il faudra surveiller les prochains cas de jurisprudence qui se présenteront après l'adoption du projet de loi C-12.

[Traduction]

M. Brennan : Si je peux ajouter un point en réponse à la question du sénateur Massicotte, le redressement d'une société peut s'avérer plus poussé que la réorganisation normale exigée par les processus prévus, que ce soit une proposition faite sous le régime de la loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ou de la section I. La réorganisation d'une société peut aussi se faire dans le cadre d'une mise sous séquestre ordonnée par la cour, auquel cas l'entreprise est vendue en tant qu'entreprise en exploitation. À notre avis, le projet de loi fait bien la promotion de cette solution également.

Une des principales raisons pour lesquelles on habiliterait les professionnels de l'insolvabilité à prendre part au processus de restructuration d'une organisation se trouve dans la protection des obligations de l'employeur successeur à laquelle ils ont droit autrement. Le projet de loi C-12 est bon à cet égard, sauf pour les dispositions relatives aux contributions au régime de pension. Les professionnels de l'insolvabilité seront désormais plus en mesure d'assumer ce rôle et de tenter de faire la réorganisation autrement que par certains moyens boiteux comme cela s'est déjà fait, soit par liquidation et par des arrangements avec les créanciers notamment. Nous estimons que le projet de loi en fait bien la promotion.

Le sénateur Massicotte : Ce que vous venez de dire me rappelle quelque chose. Manifestement, le projet de loi introduit des super-priorités — en d'autres mots, de nouveaux créanciers qui passeraient même avant les créanciers garantis. Cette disposition aura-t-elle un effet sur le financement de la nouvelle société, permettra-t-elle à des banquiers de dire qu'ils assument un risque additionnel qui n'existait pas auparavant et qu'ils ne souhaitent pas assumer? Nous souhaitons aider les entreprises à se restructurer, mais il ne faudrait pas pour autant les empêcher de trouver du financement et de prendre de l'expansion. La disposition affecterait-elle leurs possibilités de financement?

M. Brennan : Souvent, le coût a déjà été intégré comme facteur bien que, typiquement, lors d'une procédure dans laquelle un professionnel de l'insolvabilité intervient, une des premières choses qu'il fait est de payer les employés parce qu'il a de toute façon besoin de leur appui pour aller de l'avant. La plupart du temps, ce coût est déjà intégré.

Le sénateur Moore : Le premier point, à la page 5 de votre déclaration concernant les recommandations qu'il faudrait inclure dans la loi ou dans une loi subséquente, dit :

Elle devrait autoriser les sociétés à poursuivre l'approvisionnement, dans les deux sens, en biens et services avec l'entreprise débitrice après le début de la procédure. À cette fin, il faudrait enlever au créancier la possibilité d'exercer son droit à la compensation pour les créances existant avant le dépôt par rapport aux réclamations faites par la suite. Pareilles réclamations pourraient affecter indûment les liquidités du débiteur insolvable...

Cette recommandation signifie-t-elle que si j'approvisionne et continue d'approvisionner une société insolvable en produits — avant le dépôt de la demande de restructuration et au moment du dépôt — que je ne peux continuer de le faire? Ne puis-je, désormais, le faire?

M. Brennan : La recommandation vise certaines situations où les sociétés sont à la fois des fournisseurs et des clients, par exemple l'entreprise qui fournit des matières premières à un fabricant pour qu'il les transforme en produit fini, puis qui lui rachète ce produit. Elle est donc à la fois fournisseur et client. Les obligations de la sorte qui pourraient découler du dépôt de la demande pourraient être contrebalancées par les dettes en souffrance à l'égard de cette société qui existaient avant le début de la procédure.

Le sénateur Moore : Donc, cette recommandation viserait l'entreprise qui est à la fois fournisseur et client?

M. Brennan : C'est un domaine complexe de la loi, et pareille situation peut ne pas être anticipée.

Le sénateur Moore : Au bas de la page, on peut lire :

La loi devrait encourager ou, du moins, ne pas décourager les personnes compétentes à se joindre au conseil d'administration des entreprises en difficulté pour les aider à surmonter les nombreux obstacles qui les attendent. Elle peut le faire soit en éliminant ou en atténuant leur vulnérabilité aux obligations et responsabilités si, en dépit de leurs meilleurs efforts et de leurs meilleures intentions, l'entreprise fait faillite.

Cette recommandation m'a étonné. En d'autres mots, la personne qui s'engage à agir comme administrateur d'une société insolvable est personnellement responsable des obligations de l'entreprise insolvable si la restructuration échoue.

M. Brennan : La personne peut être responsable de certaines obligations, effectivement.

Le sénateur Moore : Quelles sont ces obligations? Sont-elles contractées par la société?

M. Brennan : Il est question essentiellement d'obligations comme les salaires, la rémunération et la paye de vacances.

Le sénateur Moore : Je l'ai affirmé la semaine dernière et je le répète : c'est un gros risque. Je conviens avec vous que, si l'on cherche à importer des têtes solides au conseil, s'ils estiment que l'entreprise vaut la peine d'être sauvée et qu'on souhaite faire appel à certaines personnes qui aideront à le faire, cette disposition les fera fuir.

M. Brennan : Nous aimerions que soit prévue une défense basée sur la diligence raisonnable.

Le sénateur Moore : Il faudrait prévoir quelque chose pour qu'on puisse faire appel à pareils talents. Ce ne sont pas eux qui ont rendu la société insolvable. Ils tentent plutôt de faire le ménage et de la remettre sur pied pour qu'elle puisse être vendue.

Le sénateur Massicotte : Quand je lis votre déclaration, je conviens probablement que les administrateurs devraient être mieux protégés. Cependant, la loi actuelle les protège déjà contre des obligations futures relatives à la faillite. Je suppose que cette protection est suffisante. Ce que vous proposez dans vos lettres, c'est de modifier la Loi sur la faillite à l'égard de la dette rétroactive à la date de faillite. Je suis probablement d'accord avec vous, mais cette façon de faire représente un moyen détourné de modifier la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, et je ne crois pas que ce soit là l'objet de cette loi. Il s'agit en réalité d'une loi de faillite et elle est bien, mais je crois que nous comprenons la raison pour laquelle vous faites la recommandation.

M. Brennan : Nous ne voyons pas cette recommandation sous l'angle d'une sûreté imposée par un tribunal sur les biens pour respecter les obligations existant avant le dépôt. Il s'agit plutôt de préciser la défense générale basée sur la diligence raisonnable ou, peut-être, une certaine défense basée sur la diligence raisonnable à l'égard des obligations existant avant la faillite. Quand quelqu'un est menacé de faillite et tente d'attirer certains talents pour aider à régler le problème, il lui serait difficile d'attirer une personne d'expérience qui a les qualités requises pour l'aider à diriger l'entreprise désormais sans gouvernail afin d'éviter la mise en faillite ou d'empêcher la faillite.

Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas sûr que pareille mesure a sa place dans cette loi.

Le sénateur Goldstein : Serait-il honnête de dire que les personnes qui se joignent au conseil d'administration afin d'aider à la restructuration de l'entreprise devraient assumer l'obligation de faire en sorte que certains genres limités d'obligations sont assumés? Je parle surtout de continuer à verser les salaires des employés et à faire les retenues à la source. Si une société est incapable de payer ses employés et de faire les retenues à la source, la restructuration ne sera pas très prometteuse. Votre suggestion de protéger les personnes qui se joignent au conseil d'administration n'est pas tout à fait essentielle. Je soumets la question à la réflexion. Je ne crois pas qu'il convienne d'en discuter ou d'en débattre, mais il faudrait la garder à l'esprit.

Le sénateur Moore : Ai-je bien compris qu'on laisse entendre que les nouveaux administrateurs seront par conséquent responsables des salaires et des avantages sociaux même si, en dépit de leurs meilleurs efforts, la société a été incapable de trouver l'argent pour les assumer? Sénateur Goldstein, êtes-vous en train de dire que, dans la demande présentée au tribunal, ils devront faire la preuve que la société peut ou ne peut pas les assumer? S'ils affirment qu'elle peut le faire et qu'en fin de compte, elle n'y arrive pas, sont-ils responsables?

Le sénateur Goldstein : La question est en grande partie théorique. Nous n'avons pas le temps de creuser la question mais, dans les faits, quand le tribunal examine une demande de restructuration déposée surtout sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, il exonère les administrateurs et le conseil des obligations engagées à partir de cette date. Cette protection est valable à moins que les administrateurs n'agissent de mauvaise foi. Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un problème grave. Il existe, mais il est sans gravité.

Le sénateur Tkachuk : Puisque votre association est ici, on me permettra peut-être de vous poser une question qui concerne davantage le principe. Il est question de restructuration, mais les entreprises font faillite à cause d'une mauvaise gestion, d'une mauvaise conjoncture économique, d'une concurrence accrue ou de produits inutiles — quoi qu'il en soit, c'est la catastrophe.

Ne serait-il pas plus efficace de ne pas procéder à toute cette restructuration? Des entreprises voient le jour pour sauver quelque chose qu'on devrait peut-être laisser mourir de sa belle mort. Serait-il plus efficace de laisser la société faire faillite, de disposer des actifs et de repartir de zéro? La nouvelle société n'a aucun des problèmes de l'ancienne. Elle a une nouvelle direction, un nouveau conseil d'administration. Pourquoi doter de nouveaux administrateurs une société qui va faire faillite? Aux États-Unis, les compagnies aériennes font faillite, puis profitent de tous les avantages des lois de restructuration et livrent concurrence aux autres compagnies aériennes. Elles renaissent de leurs cendres et refont faillite. En d'autres mots, on ne voit pas à la source fondamentale du problème. N'accorde-t-on pas trop d'importance à ces restructurations?

M. Gilbert : Il existe deux écoles de pensée à ce sujet. Certains estiment qu'on devrait laisser les sociétés en difficulté faire faillite et d'autres sociétés prendre en charge leurs actifs et les redéployer plus efficacement. En somme, on préconise de laisser le marché décider. Certains sociétés sont restructurées et d'autres, pas.

Dans le secteur du transport aérien et des télécommunications, les sociétés souvent se restructurent et abaissent leurs coûts, ce qui oblige d'autres sociétés à se restructurer. On voit constamment, dans d'autres secteurs, une société se restructurer sous la protection du tribunal, puis livrer une concurrence indue à d'autres sociétés qui n'ont pas eu l'avantage de pouvoir restructurer leur dette. L'objet est d'en arriver à un certain équilibre à la fin. C'est l'enjeu.

Le sénateur Tkachuk : Est-il prouvé que les sociétés restructurées jouissent de santé financière à long terme par rapport à celles qui sont vendues après la faillite et leur exploitation prise en charge par d'autres? Existe-t-il des études comparatives qui établissent que tous ces efforts sont sensés, sur le plan économique, ou qu'ils ont une valeur économique?

M. Gilbert : Il n'y a pas d'étude indépendante à cet égard. J'ai lu des articles et des papiers défendant les deux côtés de la médaille. Nous pourrions peut-être nous arrêter à cette question lors du prochain examen de la loi, mais les deux écoles de pensée ont cours. Certains soutiennent qu'on devrait laisser les sociétés faire faillite alors que d'autres croient qu'on devrait les sauver parce qu'on sauve ainsi des emplois et que, la plupart du temps, la restructuration est plus profitable aux créanciers que la faillite.

Le sénateur Tkachuk : Je l'ai entendu dire. Toutefois, les actifs demeurent des actifs. Soit qu'ils demeurent la propriété d'une société en faillite, soit qu'ils sont vendus à une autre société. Donc, des emplois sont créés dans la nouvelle société.

M. Gilbert : Quand l'exploitation d'une société cesse et qu'elle est liquidée, elle perd de la valeur parce qu'une certaine valeur est attribuée à une entreprise en exploitation. Quand elle fait faillite, cette valeur est perdue. Il faut du temps pour redéployer des actifs et, entre temps, bien des enjeux d'ordre financier ou social sont touchés.

Le sénateur Ringuette : Vous n'avez pas abordé la faillite personnelle dans la loi. En ce qui concerne votre association, quel est le poids des faillites personnelles par rapport à celui des faillites commerciales?

M. Gilbert : Chaque année, nous nous occupons de quelque 100 000 faillites personnelles, contre 8 000 faillites commerciales environ.

Le sénateur Ringuette : Quel est le processus suivi lors d'une faillite personnelle?

M. Gilbert : Notre association viendra témoigner à nouveau devant votre comité en février au sujet de l'insolvabilité des particuliers. Le mémoire présenté aujourd'hui traite uniquement des sociétés insolvables. Ce sont deux questions distinctes, et nos professionnels s'occupent uniquement de faillites commerciales. Par conséquent, nous ne sommes peut-être pas les plus compétents pour répondre à ces questions.

Le sénateur Ringuette : Je devrai donc attendre jusqu'en février pour avoir l'avis des experts. Je vous remercie.

Le sénateur Goldstein : Messieurs, je vous remercie d'être venus nous expliquer vos idées et d'avoir déposé ces documents. Je suis encouragé de vous entendre dire que vous préférez voir le projet de loi adopter plutôt que de courir le risque d'avoir à patienter encore quelques années avant d'avoir une loi à cet égard. Toutefois, nous sommes en mesure d'obliger les deux ministres et les deux ministères concernés à tenir promesse, de poursuivre le processus de modification immédiatement après l'adoption des projets de loi, avec la participation des intéressés habituels dont vous faites partie. La contribution de l'ACPIR a été d'une aide précieuse pour faire de la loi ce qu'elle est maintenant, et nous vous sommes reconnaissants de votre travail à cet égard.

Avez-vous élaboré ou prévoyez-vous élaborer un programme visant à éduquer vos membres quant au rôle des syndics en matière d'insolvabilité et de restructuration au Canada, afin de leur permettre d'appliquer les nouvelles dispositions sans plus tarder?

M. Brennan : En un mot, oui.

Le président : Messieurs, je vous remercie vivement. Vos exposés étaient clairs et vos suggestions visant à rendre la loi encore meilleure, très utiles.

La séance est levée.


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