Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 3 - Témoignages du 6 décembre 2007


OTTAWA, le jeudi 6 décembre 2007

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 heures pour examiner, en vue d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. Aujourd'hui, notre comité, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, a le privilège d'accueillir à nouveau le gouverneur de la Banque du Canada et le sous- gouverneur.

Je vais présenter rapidement les membres du comité. Je suis le sénateur David Angus, du Québec, président du comité. Le sénateur Goldstein, qui est originaire du Québec lui aussi, en est le vice-président. Le sénateur Meighen est originaire de l'Ontario, et du Québec, alors que le sénateur Tkachuk nous vient de Saskatoon. Le sénateur Gustafson est originaire lui aussi de la Saskatchewan, le sénateur Segal vient de l'Ontario, et le sénateur Ringuette, du Nouveau- Brunswick. Aujourd'hui, nous avons une invitée au comité — je suis très heureux de la voir —, la présidente du Parti libéral du Canada, le sénateur Poulin, un de mes sénateurs préférés.

[Français]

Nous sommes très heureux de souhaiter la bienvenue au gouverneur de la Banque du Canada, M. David Dodge, ainsi qu'au premier sous-gouverneur, M. Paul Jenkins. Le gouverneur est ici pour nous présenter son récent rapport sur la politique monétaire et aussi d'autre chose de très important.

[Traduction]

La présente réunion a quelque chose de spécial. Nous sommes réunis ici physiquement, mais nous nous trouvons en même temps sur le web — ou, comme mon prédécesseur le sénateur Grafstein avait coutume de le dire, dans le « webland », partout dans le monde. Nous nous trouvons aussi à la chaîne CPAC, qui, je crois, si elle ne diffuse pas la réunion directement, le fait avec un très court retard.

Vous accueillir deux fois par année depuis sept ans au comité a été un privilège, monsieur Dodge. C'est une tradition qui ne remonte pas très loin dans le temps. Le sénateur Kirby m'a signalé que la pratique avait été adoptée durant son séjour comme président du comité — désormais, le gouverneur allait venir témoigner devant le Comté sénatorial permanent des banques et du commerce ainsi que devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes. C'est une expérience qui s'est révélée merveilleuse pour nous, particulièrement durant votre régime à vous. Je crois savoir que votre mandat de sept ans prendra fin le 31 janvier 2008.

Comme la une des journaux d'aujourd'hui nous le fait voir, votre période a été marquée par une remarquable gestion de la politique monétaire au Canada. Vous avez contenu l'inflation bien à l'intérieur des marges souhaitées, tel que convenu entre la banque et le gouvernement. Votre témoignage au comité s'est révélé particulièrement constructif. Il nous a aidé, nous, parlementaires, mais aussi les membres du grand public, à mieux comprendre certains des éléments complexes qui entrent dans la gestion de notre économie par la voie que constitue la politique monétaire et d'autres éléments qui relèvent de votre mandat à la Banque du Canada.

[Français]

Nous sommes privilégiés d'avoir pu échanger avec vous au cours des sept dernières années sur des questions financières si importantes.

[Traduction]

Peut-être aurait-il été fallacieux de croire que même vous, monsieur Dodge, vous vous en seriez tiré sans turbulence réelle pendant sept ans. Dans certains coins du monde, nous semblons nous approcher de ce que les milieux du monétarisme et des banques centrales perçoivent comme la tempête du siècle.

Ce sont des questions très complexes. Elles font intervenir, comme vous l'avez dit, des déséquilibres mondiaux, les effets variables de la dépréciation du dollar américain, le fait que cette dépréciation ait peut-être davantage de répercussions au Canada que chez d'autres partenaires commerciaux et bon nombre d'autres facteurs, dont vous et M. Jenkins saurez assurément nous faire part ce matin.

Les marchés financiers connaissent une période particulièrement délicate. Nous vous remercions tous les deux de venir nous parler avec la franchise qui vous caractérise toujours et, néanmoins, la réserve que connaissent si bien les ministres des Finances et dirigeants des banques centrales — et nous nous habituons progressivement à délaisser les grands adjectifs — monsieur le gouverneur, encore une fois, bienvenue.

[Français]

David A. Dodge, gouverneur de la Banque du Canada : Monsieur le président, tout d'abord, j'aimerais vous féliciter de votre nomination à titre de président de ce comité. Vous succédez à des personnes distinguées qui ont occupé ce fauteuil.

[Traduction]

La première fois où j'ai assisté aux travaux du comité remonte, je crois, en 1973. À l'époque, j'étais assis quelque part à l'arrière, à l'époque où M. Turner était ministre des Finances. Je crois que le sénateur Hayden présidait les travaux du comité à ce moment-là.

Je dois dire que j'ai apprécié au plus haut point l'occasion que j'ai eue de travailler avec le comité au cours des 35 dernières années. J'ai collaboré de façon très étroite avec le comité à l'époque où le sénateur van Roggen en faisait partie et où j'étais membre moi-même de l'Institut de recherche en politiques publiques, l'IRPP. À l'époque, nous travaillions tous à la préparation du rapport du comité sur la question du libre-échange. C'est probablement cela qui a déclenché à propos de cette question un débat qui s'est échelonné sur une dizaine d'années, sinon, tout au moins, c'était le coup d'envoi d'un débat qui a duré une dizaine d'années.

J'ai témoigné de nombreuses fois à l'époque où je travaillais au ministère des Finances, entre 1984 et 1997, en rapport avec une panoplie de questions. Les premières comparutions n'étaient pas très agréables, car nous traitions à l'époque d'une crise bancaire qui sévissait au pays, et vous vous préoccupiez de modifications des dispositions législatives régissant les établissements financiers et de la mise sur pied du bureau du surintendant. J'ai témoigné de nombreuses fois dans le cadre de travaux visant à examiner ce qui semblait être une série interminable de projets de loi fiscaux proposés durant cette période, puis il y a eu l'ALE, et ensuite, pour parler d'une époque plus récente au ministère des Finances, les mesures envisagées pour juguler la dette et le déficit durant les années 1990.

Voilà une expérience très longue et très fructueuse, et je dois dire que la qualité du travail accompli par le comité et la qualité des questions qu'il a su nous poser au fil de ce temps ont toujours été extraordinairement impressionnantes.

Depuis sept ans, nous apprécions, M. Jenkins et moi, les rencontres que nous avons avec vous deux fois l'an. Celles- ci nous ont apporté quelque chose d'extrêmement précieux, et j'espère que vous avez pu en tirer tout autant profit au comité.

Notre rencontre d'aujourd'hui a lieu au moment où nous venons tout juste de publier la dernière édition de la Revue du système financier — dont je vais distribuer des exemplaires. Évidemment, vous ne l'avez pas lu, car elle vient à peine d'être publiée il a une heure environ. Néanmoins, il s'y trouve quantités de renseignements et d'analyses à propos desquels vous allez soulever des questions, j'en suis sûr, pendant la discussion.

Si nous nous rencontrons deux fois par année, c'est en réalité pour discuter du Rapport sur la politique monétaire que nous publions et, même si nous sommes un peu en retard cette année, je veux quand même commencer par traiter de ce rapport et exposer les perspectives telles que nous les concevions en octobre, puis j'aborderai les événements survenus depuis et je donnerai l'évaluation que nous faisons actuellement des risques qui existent.

[Français]

Les prévisions formulées en octobre sont résumées dans les tableaux 1 à 3 du Rapport sur la politique monétaire. En octobre, la banque s'attendait à ce que la vive progression de l'économie mondiale se poursuive en 2008 et 2009, malgré une forte révision à la baisse du taux d'expansion prévu pour l'an prochain aux États-Unis. La projection concernant la croissance mondiale est résumée au tableau 1, qui se trouve à la page 25 de la version française du rapport, et à la page 23 de la version anglaise.

Au Canada, la banque entrevoyait un ralentissement de l'expansion économique au quatrième trimestre de cette année et durant la première moitié de 2008, suivi d'un certain renforcement. Comme vous pouvez le voir au tableau 2, à la page 27 de la version française et à la page 26 de la version anglaise, on s'attendait à ce que la vigueur de la demande intérieure finale se maintienne tout au long de la période de projection, mais que les exportations nettes soient sensiblement en baisse.

Ces prévisions tenaient compte du ralentissement de la croissance aux États-Unis et de l'appréciation du dollar canadien, dont on supposait qu'il se négocierait en moyenne à 0,98 $US durant la période de projection. La banque prévoyait que l'inflation culminerait au quatrième trimestre de cette année avant de revenir à la cible de 2 p. 100 vers le milieu de 2008, comme l'indique le tableau 3, à la page 30 de la version française et à la page 29 de la version anglaise.

Dans ce contexte, la banque a laissé inchangé le taux cible de financement à un jour à 4,5 p. 100 le 16 octobre, et estimait que les risques entourant les perspectives étaient relativement équilibrés, les risques à la baisse étant peut-être légèrement prépondérants.

[Traduction]

Je passerais maintenant à l'évolution de la situation depuis octobre. L'économie canadienne continue de fonctionner au-dessus de sa capacité de production. Étant donné le dynamisme de la demande intérieure et la faible croissance de la productivité, des risques à la hausse pèsent encore sur la projection de la banque relative à l'inflation.

En revanche, mesdames et messieurs, d'autres événements survenus depuis octobre donnent à penser que les risques à la baisse entourant la projection de la banque au sujet de l'inflation — dont il est question dans le rapport — ont augmenté. Les difficultés qu'éprouvent les marchés financiers mondiaux, liées à l'évaluation des produits structurés et aux pertes anticipées sur les prêts hypothécaires à risque aux États-Unis, se sont aggravées depuis la mi-octobre. Ces difficultés devraient persister plus longtemps qu'on ne l'avait d'abord prévu.

Dans ces circonstances, le coût du financement pour les banques s'est accru à l'échelle internationale et ici même au Canada, et les conditions du crédit se sont resserrées davantage. Les risques planant sur les perspectives d'évolution de la demande d'exportations canadiennes se sont accentués depuis octobre en raison de l'assombrissement des perspectives de l'économie américaine, en particulier dans le secteur du logement.

Compte tenu de tous ces facteurs, la banque juge que la résultante des risques associés à la projection publiée en octobre au sujet de l'inflation jusqu'à la fin de 2009 s'inscrit maintenant en baisse. À la lumière de ce changement, la banque a décidé d'abaisser le taux cible du financement à un jour — soit à 4,25 p. 100 — à sa date d'annonce préétablie, mardi.

Pour sa prochaine décision concernant le taux directeur, en janvier, la banque analysera l'évolution économique et financière dans son ensemble ainsi que la résultante des risques. La mise à jour du Rapport sur la politique monétaire, qui paraîtra le 24 janvier, contiendra une projection actualisée complète sur l'économie et l'inflation.

Monsieur le président, nous serions maintenant très heureux, M. Jenkins et moi, de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Dodge. Avant de lancer la période de questions, je tiens à vous remercier particulièrement de la déclaration préliminaire que vous avez faite, à la fois sur le plan personnel, moi qui occupe le fauteuil depuis peu de temps, mais aussi, de manière générale, en songeant aux observations que vous avez faites à propos des expériences vécues avec notre comité — c'est réciproque. Ça a été une relation merveilleuse.

Au moment où j'ai pris la parole au début, je n'avais pas tout à fait compris qu'il vous reste encore beaucoup de travail à faire. Il y a non seulement les problèmes actuels, que vous avez maintenant décrits plus à fond, mais il y a aussi un autre taux à fixer le 22 janvier, je crois, ainsi que la mise à jour du Rapport sur la politique monétaire le 24 janvier. Ce sont des événements importants.

Chers collègues, sans plus tarder, je crois que le gouverneur et le premier sous-gouverneur sont prêts à répondre à nos questions.

Le sénateur Tkachuk : Bienvenue, monsieur Dodge. Je suis désolé de vous voir partir. Vous avez connu sept excellentes années. J'espère que vous allez profiter de votre semi-retraite... de fait, je ne crois pas que vous allez prendre votre retraite.

Monsieur le gouverneur, au moment où les sénateurs, moi-même y compris, se souciaient de l'effet de la faiblesse du dollar canadien sur notre productivité, de sorte que cette dernière paraissait élevée, mais, à mon avis, cela donnait un degré de compétitivité artificiellement gonflé... vous nous avez toujours dit, vous et les gouverneurs précédents de la banque — et votre successeur, M. Carney fera peut-être de même — que le cours des matières premières explique pour une grande part la faiblesse du dollar. Maintenant, nous entendons dire que c'est le déclin du dollar américain qui explique la force du dollar canadien. Qu'en est-il? Faut-il montrer du doigt le cours des matières premières, sinon s'agit-il du dollar américain sur le déclin, ou encore est-ce les deux?

M. Dodge : La réponse courte, c'est que les deux facteurs entrent en ligne de compte.

Monsieur le sénateur, le dollar canadien a touché le creux de la vague en 2003. À l'époque, il valait autour de 62 cents américains. Ce qui est arrivé depuis, c'est que les termes de l'échange se sont beaucoup améliorés pour nous, à raison d'environ 25 p. 100, entre le minimum et le maximum. Bien entendu, les termes avaient connu une baisse très importante au cours des sept années précédentes, à la suite de l'effondrement connu en Asie, en 1997. Nous avions ajouté à cela la dépréciation de la devise canadienne au cours de cette période de sept ans, qui reflétait aussi le déclin des termes de l'échange.

L'appréciation ou l'amélioration de nos termes d'échange au cours de la période commençant en 2002 se révèle très forte, et cela influe grandement sur le dollar canadien. Le dollar canadien subit cette influence. Loin de nous l'idée de dire que c'est la seule influence qui entre en ligne de compte, mais, de toute évidence, c'est un facteur clé.

L'évolution du cours du dollar canadien en fonction des événements dont il a été question s'inscrit tout à fait dans le mécanisme d'ajustement qui nous permet de contenir l'inflation et, de fait, de nous assurer de demeurer proches de la capacité, le plus proches de la capacité qu'il soit raisonnablement possible de le faire au pays.

En même temps, et cela vaut particulièrement pour les derniers temps, il y a eu une dépréciation marquée du dollar américain après pondération selon les échanges — dépréciation par rapport à l'Europe, à l'Australie et au Canada. De fait, par rapport à un certain nombre de pays émergents aussi. Cela s'inscrit également dans la tendance que nous observons quant à l'évolution du dollar canadien au cours de cette période.

La réponse courte à votre question, c'est que, comme je le disais au départ, les deux facteurs entrent en ligne de compte. Cependant, l'influence principale — et c'est certainement l'influence prépondérante au cours de la période en question — est l'appréciation de nos termes d'échange.

Le sénateur Tkachuk : Qu'entendez-vous par « termes de l'échange »?

Paul Jenkins, premier sous-gouverneur, Banque du Canada : Le graphique sur les termes de l'échange se trouve à la page 16 du Rapport sur la politique monétaire.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce que vous cherchez à nous perdre?

M. Jenkins : Non.

Le sénateur Tkachuk : Il y a toujours de nouveaux mots qui apparaissent. Je n'ai jamais entendu ce mot auparavant.

M. Jenkins : C'est pour illustrer à quel point il y a eu une forte augmentation en ce qui concerne les termes de l'échange. Comme le gouverneur l'a fait valoir, fin 2001 ou 2002, les termes de l'échange ont connu une ascension assez importante.

Les termes de l'échange correspondent au rapport entre prix que nous recevons pour les biens que nous vendons à l'étranger et le prix des biens que nous achetons à l'étranger. Le mouvement des termes tient justement pour une très grande part au mouvement du cours des matières premières.

Puis, il faut mener à bien la réflexion qui s'impose. Le cours des matières premières a connu une augmentation assez importante, étant donné surtout le dynamisme de la demande au sein de l'économie mondiale — songez à la Chine —, et, nous, nous vendons ces produits, dans le domaine de l'énergie et ailleurs. Le cours des exportations en question a connu une hausse assez importante. En même temps, le prix de bon nombre des produits que nous importons a baissé. Cela tient en partie au déclin des produits vendus par la Chine; cela tient en partie au fait que nous importons en bonnes quantités matériel et outillage; or, c'est un secteur qui a une tendance au déclin en ce moment.

Il y a deux prix qui se dirigent en chemins inverses. Les termes de l'échange illustrent ce rapport. Cela tient pour une grande part au fait que l'augmentation du prix des produits que nous vendons à l'étranger nous fait gagner beaucoup d'argent au Canada.

Le sénateur Tkachuk : Mais c'est une bonne chose, non?

M. Jenkins : C'est une bonne chose, oui.

Le sénateur Tkachuk : Dans mon coin du pays, dans l'Ouest canadien, personne ne se plaint de la vigueur du huard. Nos coûts d'intrant en agriculture sont moins élevés, notre essence est moins chère, notre engrais est moins cher. Notre matériel n'est pas encore aussi bon marché que nous le voudrions, mais, tout au moins, les prix chutent. Nos camionnettes d'une demi-tonne sont moins chères. Cela nous est très utile.

Cela m'inquiète un peu de savoir que nous avons rapidement suivi le mouvement, lorsque les États-Unis ont baissé leur taux d'intérêt — que nous avons baissé les nôtres en même temps, de sorte que notre dollar est tombé à 98 cents environ. Je ne sais plus à quoi ça se situe aujourd'hui. Est-ce que nous allons emboîter le pas aux Américains encore une fois?

M. Dodge : Premièrement, monsieur le sénateur, faisons très attention à ce qui se passe ici.

Nous venons de décrire les tendances. Comme je l'ai dit dans ce rapport, nous avons cru qu'à terme — dans la mesure où nous prendrons pour référence le prix à terme du pétrole, qui se situait autour de 80 $US le baril; et nous recensons tous nos produits — que ça allait probablement demeurer assez élevé. Nous avons pris pour hypothèse que, sur une certaine période, un dollar canadien dont la valeur se situe autour de 98 cents américains refléterait probablement les facteurs sous-jacents que nous avons observés ici au sein de l'économie canadienne. Les facteurs sous-jacents peuvent évoluer, mais tout au moins, nous avons pu faire des prévisions. Fixer cela à 98 cents peut paraître très précis. Je n'entendais pas être à ce point précis, mais disons qu'un dollar se situant entre 0,95 $ et 1,00 $US semblerait logique.

Depuis, bien entendu, il y a eu de la turbulence sur les marchés financiers et la volatilité extrême non seulement des taux d'intérêt et de tout le reste, mais aussi des marchés de devises. Le pic que nous avons constaté, qui se situait autour de 1,10 $US, a rapidement disparu. Ces derniers temps, nous transigeons à peu près dans la moyenne que nous jugions logique par rapport à la perspective que nous avions prévue dans notre rapport.

Il faut pouvoir distinguer clairement le genre de tendance qui paraît logique par rapport au cours des matières premières, à la productivité et ainsi de suite, ici même au Canada, et les mouvements qui représentent la turbulence sur les marchés qui, pour une grande part, ont donné lieu depuis à une correction.

Nous pouvons nous attendre à d'autre turbulence. Cela ne facilite la tâche à personne, et en particulier les exportateurs, mais il faut regarder au-delà et essayer de cerner les facteurs sous-jacents.

Le sénateur Tkachuk : Dans les publications financières, beaucoup d'encre a coulé au sujet de la productivité au Canada. J'ai toujours cru que la volonté de la banque d'avoir un dollar à ce point faible —, pour une raison ou une autre — et je ne sais si c'est vrai ou non — aurait un effet à long terme sur la productivité. Je me demande si la banque se sent en partie responsable de nos problèmes de productivité : nos exportateurs se sont habitués à la faiblesse du dollar, qui n'est en vérité qu'une autre forme de subvention.

Assumez-vous une part de responsabilité dans tout cela, oui ou non, ou pas du tout?

M. Dodge : Eh bien, la responsabilité au sujet de la productivité, à mon avis, est partagée dans l'ensemble de l'économie. Nous avons tous une responsabilité à cet égard. Étudions la question — et prenons deux périodes : de 1996 à 2002, puis de 2003 à ce jour.

Durant la première période, il y a eu effondrement de la demande mondiale de bon nombre des produits que nous exportons, qu'il s'agisse de métaux, d'énergie ou de je ne sais quoi encore, phénomène attribuable en grande partie au ralentissement très marqué de la croissance et de la demande en Asie. De ce fait, en termes généraux, les industries primaires au Canada — c'est-à-dire les gens, le capital financier et ainsi de suite — avaient libéré ces ressources. D'une certaine façon, le déclin du huard, qui a rendu plus attrayants l'emploi et la fabrication, a créé un effet d'engorgement dans ces secteurs, alors que l'emploi avait été réduit dans le secteur des ressources naturelles.

Il y a eu déplacement des ressources réelles du secteur primaire au secteur manufacturier. Cela convient tout à fait à la situation. Nous avons pu ainsi garder des taux d'emploi non pas brillants, mais quand même raisonnables au pays pendant cette période.

Depuis, c'est exactement l'inverse qui se produit. Nous sommes témoins d'une amélioration des marchés de matières premières et, comme le laissent voir les termes de l'échange, ce sont les fabricants qui écopent. Cela convient tout à fait à la situation au sens où, durant cette période, nous libérons des ressources dans le secteur manufacturier pour qu'elles puissent mieux servir et à plus grand profit ailleurs — et le profit dont je parle concerne la valeur de la production des individus et la valeur de production des entreprises — dans d'autres secteurs de l'économie. De fait, cela convient tout à fait à la situation.

De ce fait, au début, on a vu qu'il y avait une pression à la baisse sur la productivité dans le secteur manufacturier, comme on pourrait s'y attendre, parce que nous encouragions le phénomène. D'une certaine façon, le régime de prix encourageait les fabricants à engager un plus grand nombre de travailleurs, ce qui convenait à la situation. En ce moment, le régime de prix encourage les mêmes personnes à se défaire d'employés.

Il faut quand même un certain temps pour rajuster le tir. En partie au moins, la piètre productivité récente du secteur manufacturier, ou encore du secteur non primaire de l'économie, s'explique par le fait que nous sommes en train de rajuster le tir. Nous devons faire des investissements nouveaux et nous devons nous défaire d'une partie de la main- d'œuvre. Durant la période de rajustement, c'est l'histoire qui nous le dit, il y a un effet négatif du point de vue de la productivité.

Si vous regardez le secteur primaire, vous voyez que ce sont des facteurs totalement opposés qui s'appliquent. Quiconque exploite une mine le sait : à prix élevés faible teneur; autrement dit, la productivité de la main-d'œuvre dans le secteur primaire durant les périodes marquées par les prix élevés semble baisser, mais, encore une fois, c'est le cours naturel des choses.

Par ces remarques, je ne cherche nullement à donner à penser qu'il ne faudrait pas se soucier de la productivité. Nous devons tous nous soucier au plus haut point de notre bilan de productivité. Ce que je dis, c'est que le fonctionnement normal de l'économie — le déplacement des ressources réelles, des gens, du matériel et ainsi de suite entre les secteurs — n'a pas d'effets négatifs sur la productivité. Certes, l'effet à long terme sur la productivité dans le secteur autre que celui des ressources naturelles sera un accroissement, mais il faut passer au travers de périodes comme celles-ci.

Enfin, permettez-moi d'ajouter une mise en garde. Rien n'est plus difficile que la mesure de la productivité du point de vue du statisticien. Il faut toujours faire attention aux données chiffrées. Elles résultent de la division de deux nombres. Si vous faites varier ces nombres un peu au fil des révisions, le résultat du calcul de la productivité peut donner, lui, une grande variation.

Le sénateur Tkachuk : Nos fabricants ne devraient donc avoir aucun problème.

M. Dodge : Rajuster le tir est toujours difficile.

Le président : Mesdames et messieurs, les sénateurs, nous savons que les questions peuvent être longues, tout comme les réponses. Je vais demander aux gens de part et d'autres d'être brefs. J'ai permis au sénateur Tkachuk de creuser cette question non seulement parce que son nom était le premier de la liste, mais aussi parce qu'il a été si patient hier, au moment où le ministre des Finances était présent, et parce que la liste était très courte. Aujourd'hui, la liste est très longue. Je vous incite tous à garder cela à l'esprit.

Le sénateur Ringuette : Je dois dire que j'ai été heureuse de voir les taux d'intérêt passer de 4,5 à 4,25. Cela devrait être bon pour notre économie et notre dollar.

Nous entretenons d'étroites relations commerciales avec les Américains. Étant donné le fort déficit commercial des États-Unis, particulièrement face à la Chine — étant donné la politique monétaire inflexible de la Chine et étant donné que celle-ci a tant investi dans le budget de fonctionnement des États-Unis —, je ne peux m'empêcher de poser la question, et vous me corrigerez au besoin : dans quelle mesure la faiblesse du dollar américain est-elle une forme de médecine auto-administrée que les Américains choisissent pour essayer de battre en brèche leur déficit commercial et la dette qu'ils ont avec la Chine? Nous y sommes pour rien, mais nous subissons tout de même l'influence de la politique monétaire américaine, qui représente, en dernière analyse, une sorte de protectionnisme sous sa forme la plus complexe.

M. Dodge : Madame le sénateur, c'est extraordinairement bon comme question. Je vais essayer d'être bref et, en étant bref, je donnerai sans doute une réponse qui n'est pas entièrement satisfaisante.

Comme je l'ai dit au sénateur Tkachuk en répondant à sa question, si vous regardez ce qui influe sur le taux de change des monnaies canadienne et américaine, de notre côté, c'est l'amélioration des termes de l'échange, si bien que nous aurions pu nous attendre à beaucoup. Cependant, comme vous avez eu raison de le souligner, les États-Unis accusent un très fort déficit face au reste du monde. Les États-Unis, c'est le consommateur de dernier recours du monde entier. Le reste du monde, et particulièrement l'Asie — je ne veux pas parler uniquement de la Chine, parlons de l'Asie dans son ensemble — produit une épargne excessive au cours de cette période et se procure ainsi des dollars américains. Il s'agit là des déséquilibres mondiaux dont nous parlons depuis au moins deux ans et demi au comité.

La dépréciation de la devise américaine représente un élément de correction des déséquilibres en question. Si cette dépréciation devait avoir une portée plus large et toucher non plus seulement les monnaies à taux variables comme le dollar canadien, le dollar australien, l'euro, le réal brésilien, ou je ne sais pas quoi encore, ça convient tout à fait à la situation et ça fait partie du mécanisme d'ajustement — pas sur toute la ligne, mais une partie du mécanisme d'ajustement — qui a cours en ce moment.

En même temps, nous avons vraiment besoin de voir l'accroissement de la demande intérieure en Asie, en particulier la demande des ménages à l'égard de ses produits. Nous avons, M. Flaherty et moi-même, soulevé cette question au FMI. Nous revenons tout juste d'Afrique du Sud, où nous avons soulevé la question, à la réunion du G-20. C'est une question que soulèvent les responsables de nombreux pays, dont les Européens, les Sud-Africains, les Australiens et ainsi de suite.

Plus les pays asiatiques résistent à l'idée d'utiliser, du moins en partie, l'appréciation de la monnaie par rapport au dollar américain, plus le poids du rajustement se fait sentir du côté des monnaies à taux flottants — cela est tout à fait vrai, comme vous l'avez dit, madame le sénateur. Nous absorbons probablement une part un peu plus grande du rajustement qu'il ne conviendrait. Cependant, le rajustement lui-même par rapport aux États-Unis est tout à fait approprié, et il importe beaucoup aussi que les pays d'Asie — en particulier la Chine, mais aussi le Japon et plusieurs autres pays d'Asie, quoique pas l'Inde, mettons l'Inde de côté ici — en fassent davantage pour encourager la demande intérieure dans le cadre du processus de rajustement.

Le sénateur Ringuette : Je vous l'accorde. J'ai une brève question complémentaire. Nous allons étudier le cas de l'Asie dans son ensemble. Comme la richesse relative de ces consommateurs n'est pas très grande, il s'agit d'une très faible minorité, comment peut-on encourager la chose? C'est une grande variation, car la richesse est concentrée entre les mains d'une très faible minorité.

M. Dodge : C'est manifestement une question que les autorités chinoises doivent régler et, de fait, si on observe leurs intentions, on s'aperçoit qu'elles cheminent dans le bon sens. Évidemment, il n'y a pas en Chine de régime de sécurité sociale, de système de santé ou de système scolaire public, de sorte qu'il y a ces trois grands pays — que nous sommes habitués à prendre pour des piliers fondamentaux dans notre environnement très capitaliste, prétendument — il n'est donc pas étonnant que les ménages chinois et, dans une moindre mesure, les autres ménages asiatiques épargnent quelque peu par prudence. L'édification de ces infrastructures sociales est extraordinairement importante. Les Chinois admettent cela. On pourrait dire que leur budget ne reflète pas encore tout à fait cela.

Le sénateur Meighen : Je voudrais vous ramener, en prenant peut-être un chemin un peu indirect, à la question que soulevait le sénateur Tkachuk : la question de la productivité et des prix. Notre comité réalise en ce moment une étude sur les obstacles au commerce interprovincial. Ce qui est saisissant dans les témoignages que nous avons entendus jusqu'à maintenant, c'est que les gens qui viennent nous parler se situent à un extrême ou à l'autre. D'une part, on affirme que ce n'est pas du tout un problème grave, que c'est un effet naturel de notre fédération et qu'il ne faut pas tant s'en faire.

D'autre part, les gens prennent un point de vue différent, et c'est le cas du ministre des Finances, qui est venu témoigner hier. Aux yeux de ces gens, c'est un problème grave qui met en lumière des questions préoccupantes qui, à mon avis, relèvent de votre mandat en ce qui concerne la productivité et les prix et je ne sais quoi encore.

Pourriez-me donner votre avis sur l'effet des obstacles au commerce interprovincial sur ce secteur en vous en tenant à la question de la productivité si vous le préférez.

M. Dodge : Je vais essayer d'être bref, puis je demanderais à M. Jenkins de réagir à cela aussi.

En périodes de rajustement, le rajustement est toujours difficile, les ressources réelles et les gens sont transférés d'une industrie à l'autre, d'un emploi à l'autre, d'une entreprise à l'autre — et, en particulier, le rajustement doit se faire d'une province à l'autre ou d'une région à l'autre. Tout obstacle qui existe fera qu'il sera plus difficile pour les gens de se réinstaller ailleurs et d'apporter leurs compétences dans une autre province. Tout obstacle existant aura un effet néfaste sur le processus de rajustement en question, qu'il rendra beaucoup plus difficile.

C'est particulièrement important en ce moment ou lorsque les termes de l'échange sont excellents, entre industries au Canada et entre les régions au sein du Canada.

C'est dans des périodes pareilles que les obstacles en question, de fait, créent les problèmes les plus graves, car ils compliquent le rajustement. Je ne vais pas chiffrer le phénomène, mais il importe d'y réfléchir dans une perspective dynamique et non seulement, si vous voulez, dans une perspective statique.

M. Jenkins a beaucoup étudié cette question.

M. Jenkins : À propos de ce qui a été dit, sénateur, c'est une question importante pour les raisons que le gouverneur Dodge a évoquées. Il suffit de se rappeler les dix ou 15 dernières années, ce qu'un économiste a appelé les « chocs » économiques qu'il a fallu subir au Canada. Songez donc à la crise asiatique, que nous avons mentionnée plus tôt, à l'éclatement de la bulle technologique et, pour prendre un exemple plus récent, à l'augmentation du cours des matières premières. Ces chocs vont continuer de se manifester; la question revient donc à savoir quelle est la faculté d'adaptation de votre économie.

La question de la souplesse importe. C'est ce qui permettra à l'économie de continuer à afficher un taux de plein emploi, plutôt qu'à passer par un rajustement plus laborieux. En présence de l'évolution des prix relatifs, des fluctuations, comme nous le disons, qu'il s'agisse de matières premières, de taux de change, de ces formes de chocs économiques auxquelles il faut s'adapter, il faut déterminer comment s'adapter au mieux. La souplesse et la mobilité des ressources d'une région à l'autre du pays importent. Plus votre économie est souple, plus vous êtes en mesure de maintenir la production et l'emploi de façon continue ou, comme le gouverneur l'a évoqué, dans une perspective dynamique.

Ce sont des questions importantes de ce point de vue-là. L'entente entre l'Alberta et la Colombie-Britannique constitue un exemple de ce qu'on peut faire pour améliorer la souplesse et la faculté d'adaptation de l'économie canadienne.

Le sénateur Meighen : À propos des obstacles à la productivité et à l'efficience, le Canada, comme vous le savez, présente une anomalie : ses marchés de valeurs mobilières font l'objet de plusieurs règlements. Encore une fois, le ministre des Finances a affirmé clairement qu'il est en faveur d'une autorité de réglementation commune; d'autres observateurs sont en faveur d'une seule et unique autorité de réglementation.

Quelle que soit la définition choisie, dans quelle mesure le Canada se pénalise-t-il lui-même en ayant une autorité de réglementation des valeurs mobilières à plusieurs niveaux?

M. Dodge : D'abord, disons que nous avons essayé d'approfondir quelque peu la question. Il serait très difficile pour nous de gérer précisément le coût de cet état de fait.

Ensuite, il est très important de prêter attention à la forme et non seulement au fond dans le cas de la réglementation. Ce qui importe c'est d'avoir une réglementation qui reprend les principes fondamentaux d'une bonne réglementation des valeurs mobilières, qui fait fonctionner les marchés et applique les principes fondamentaux dont il est question d'une manière assez souple — et non pas d'avoir une myriade de règles détaillées que les petites entreprises aussi bien que les grandes doivent supporter — et puis, comme la FSA au Royaume-Uni dans le cas de certains principes fondamentaux, les inscrire dans des lignes directrices très différentes selon qu'il s'agisse de la Banque Royale ou d'une petite société minière.

Il est extraordinairement important d'avoir ce degré de souplesse.

On ne veut pas surcharger le système de règlements, mais on veut que les principes fondamentaux s'appliquent à tous. Pour une bonne part, le débat devrait viser à savoir comment procéder à cet égard, plutôt qu'à savoir seulement s'il faut un seul ou encore plusieurs organismes.

Deuxième question incroyablement importante, et nous en avons déjà parlé ici, sénateur : il faut faire respecter les règles de base et faire en sorte que ce soit au vu et au su de tous, pour que le système inspire confiance à tout le monde. En ce moment, notre problème réside en partie dans la division du travail dans plusieurs commissions des valeurs mobilières, plusieurs bureaux de procureurs généraux provinciaux, au cabinet du ministre fédéral de la Justice et dans les divers services policiers au pays. Or, cela n'est pas propice à une application efficace des règles.

Enfin, bien entendu, il y a six ou sept ans, nous travaillions directement auprès des commissions de valeurs mobilières elles-mêmes. On trimait dur pour essayer d'en arriver à une loi universelle sur les valeurs mobilières, loi qui s'appliquerait également à tous. Le projet n'est pas tout à fait achevé.

Quelle que soit la forme d'organisation à laquelle vous avez affaire — et il convient que certains coins du pays se spécialisent peut-être dans certains aspects de la réglementation des valeurs mobilières —, il importe, d'une certaine façon, de tout relier et de faire le lien voulu avec le système d'exécution des règles, et d'assurer une bonne coordination. C'est ce dont nous avons parlé à la banque, plutôt que d'une forme particulière d'organisation ou de la structure qu'aurait une telle commission.

Nous savons qu'il existe une véritable expertise pour ce qui touche la réglementation des petites sociétés minières ou autres sociétés d'exploitation de ressources naturelles. Il existe une véritable expertise qui est concentrée à Calgary et à Vancouver. Il faut en tirer profit. Il existe une véritable expertise pour ce qui est de l'industrie financière, à Toronto. Il existe une véritable expertise concernant les produits dérivés et certains des produits plus structurés à Montréal. Il faut donc s'assurer de tirer profit de ces points forts, quelle que soit la façon de le formuler.

En dernier lieu, je voudrais aborder une question dont nous allons discuter plus tard, monsieur le président : notre réglementation sur les valeurs mobilières comporte un aspect très particulier — c'est vrai non seulement du Canada, mais c'est probablement un peu plus vrai dans le cas du Canada — nous réglementons à mort les valeurs mobilières conçues pour être vendues, ou qui pourraient l'être, à des individus ou encore, si vous le voulez, à des investisseurs relativement moins raffinés.

Il y a le marché dit dispensé, où les responsables de la réglementation des valeurs mobilières font cause commune. Il n'y a pas même un seul principe qui s'applique à ce marché, là où les investisseurs sont censés maîtriser la situation, ni encore un principe de transmission d'information sur les valeurs mobilières offertes. Ça paraît très irrégulier.

Pour l'avenir, quelle que soit la forme que prendra la Commission des valeurs mobilières, nous allons devoir réfléchir très longuement à l'idée d'appliquer ou non un principe fondamental régissant la divulgation de renseignements sur les valeurs mobilières destinées au marché dispensé.

Le sénateur Harb : Il y a deux jours de cela, la Banque du Canada a réduit le taux d'intérêt; le lendemain, la Banque d'Angleterre a réduit son taux d'intérêt. Aujourd'hui ou demain, il est probable qu'une autre banque, ailleurs en Europe, emboîte le pas. On pourrait croire que les banques communiquent entre elles, ce qui aurait du sens si on souhaite vraiment gérer correctement la situation mondiale.

Vous avez parlé des risques à la hausse et des risques à la baisse ayant cours depuis octobre, selon la banque, en ce qui concerne l'inflation prévue. À la fin, vous dites que, compte tenu de tous les facteurs en cause, c'est un risque à la baisse qui vous paraît logique. Dites-vous donc qu'il serait logique pour nous de réduire le taux d'intérêt?

Étant sceptique de nature, je dirais que c'est là, essentiellement, l'excuse globale que se donnent différentes banques pour agir ainsi et la raison réelle tient plutôt à ce qui se passe sur le marché en ce qui concerne les difficultés et les défis auxquels le marché financier fait face en ce moment. Vous y avez fait allusion en parlant du risque.

Nous semblons recevoir l'information à petites doses chaque jour. Une institution financière dira qu'elle a perdu quatre milliards de dollars un jour donné, et le lendemain, une autre institution financière parlera de pertes de l'ordre de trois milliards de dollars et ainsi de suite. Les membres de notre comité et, j'en suis sûr, bien des membres du grand public aimeraient savoir à quel point la situation est grave. Que savez-vous du degré de gravité de la situation et à quel moment le public en sera-t-il informé?

M. Dodge : Il est difficile de répondre à cette question. Je vais donc le faire en pièces détachées.

Il se passe certaines choses dont nous savons qu'elles sont tout à fait appropriées. D'autres choses surviennent en raison de l'incertitude. Il faut distinguer les deux.

Nous assistons à une réévaluation des primes de risque sur les marchés, ce qui est approprié. Depuis l'automne 2004, nous affirmons que, à notre avis, les écarts de crédit s'amenuisaient beaucoup et ne reflétaient plus très bien le risque. Il n'y a pas que nous à la Banque du Canada qui disons cela; c'est un thème courant dans les banques centrales. Aux réunions que nous tenons tous les deux mois à Bâle, en Suisse, la question est considérée comme une source de préoccupations. Au printemps dernier, au moment où les écarts en question ont commencé à s'élargir, nous avons cru que c'était une bonne chose. Il est tout à fait approprié qu'il y ait un certain élargissement des écarts en question, ce qui reflète mieux les risques sous-jacents.

Tout de même, le processus d'élargissement en question n'est pas très beau à voir, et on se demande toujours comment ça va se dérouler.

Pourquoi n'est-ce vraiment pas beau à voir cette fois-ci? Ce n'est pas beau à voir parce que, dans le monde entier, depuis dix ans, sous l'impulsion des marchés financiers de Londres et de New York, nous avons vu l'essor de titres hautement structurés adossés à des créances, qui font que la capacité pour un investisseur de saisir ce que représentent les actifs sous-jacents a diminué au fur et à mesure que les structures elles-mêmes se sont compliquées. Notamment, les agences de cotation n'ont pas pris pour règle de base de coter seulement les produits à propos desquels les renseignements sont publics.

L'été dernier, personne ne connaissait la qualité de ces actifs. Au Canada, c'était par rapport au papier commercial adossé à des actifs non bancaire. Nous avons vu cela se produire aux États-Unis et au Royaume-Uni relativement aux VIS, les véhicules d'investissement structurés. C'était aussi le cas dans ces pays en ce qui concerne le papier commercial adossé à des actifs. Nous avons également vu cela se produire au chapitre des titres garantis par des créances.

À part ça, dans l'ensemble, les banques ont entretenu les liens nécessaires pour fournir des liquidités — des ententes quelconques selon lesquelles elles ont réinscrit ces actifs dans leurs livres. L'information fournie n'était pas très claire.

Enfin, théoriquement, nous avons atteint le niveau auquel les actifs financiers des banques ou les actifs de toute entreprise devaient se situer, c'est-à-dire ce qu'on appelle l'évaluation à la valeur du marché. Il n'y a pas de marché pour bon nombre de ces titres, point final. Certains de ces titres sont échangés sans être cotés, mais d'autres ne le sont pas du tout.

La situation n'est ni simple ni claire. J'ai énormément de respect pour des gens comme Jerry Corrigan à cet égard, mais je ne peux tout simplement pas admettre que des gens protestent en disant que tout le monde savait ce qu'ils achetaient; ce n'est pas vrai. Les gens ne savaient pas ce qu'ils achetaient, non pas parce qu'ils n'ont pas fait leur travail, mais bien parce qu'ils n'auraient pas pu, même s'ils l'avaient voulu, démêler tout cela.

Le problème qui se pose actuellement, c'est que les institutions financières doivent évaluer tous ces actifs à la valeur du marché, mais qu'il n'y a pas de marché. Elles doivent fixer la valeur de ces choses dont la valeur n'est pas déterminée par le marché immédiat. S'il fallait se fonder sur les valeurs du marché, ce serait comme une vente de liquidation, et les valeurs seraient de beaucoup inférieures à toute valeur à long terme.

Le vrai problème qui se pose en ce moment, c'est de savoir à combien vendre ces choses. Il y a des pertes sous- jacentes, mais c'est l'importance de ces pertes qui est difficile à déterminer.

Il est clair que, à long terme, le flux monétaire découlant d'une telle vente ne justifierait pas le prix de liquidation auquel les échanges se font. Tant que l'on va démêler tout ça et tant qu'il ne sera pas acquis qu'il est clairement souhaitable que tous les marchés soient plus transparents, il y aura beaucoup d'incertitude.

Tout en admettant que nous sommes aux prises avec un problème important, ces 30 milliards de dollars de papier commercial adossé à des actifs non bancaire, je dirais que, d'après ce que nous savons — et nous en savons pas mal —, le système bancaire canadien se porte très bien. Je pense que, de façon générale, on peut raisonnablement compter sur la fiabilité des rapports issus du système bancaire canadien.

Nous allons voir, en ce qui concerne certaines banques étrangères, comment les choses vont se placer lorsqu'elles arriveront à la clôture de leur exercice. La clôture de l'exercice est déjà effectuée pour ce qui est de nos banques, mais celle des banques étrangères reste à venir.

[Français]

Le sénateur Biron : Ma question reprend un peu celle du sénateur Harb. Hier, le Secrétariat du Trésor, aux États- Unis, a annoncé qu'il allait geler le taux des prêts à risque pour cinq ans. Cette mesure devrait aider la crise des papiers commerciaux.

La valeur boursière des banques au Canada a sensiblement baissé au cours des dernières semaines, en grande partie à cause de la crise des papiers commerciaux. Cette crise pourrait-elle entraîner une crise sur le marché des fonds de couverture et, par un effet domino, sur l'économie canadienne et mondiale?

M. Dodge : La situation financière partout dans le monde a certainement un effet sur l'économie mondiale. Le coût du crédit pour les entreprises et pour les ménages montera. Il y aura donc un resserrement du crédit. Ce resserrement ne sera pas nécessairement approprié, car il vient de l'incertitude, en raison du manque de transparence.

Au Canada, le problème existe avec le papier, qui est en ce moment gelé. Les investisseurs et les fournisseurs sont en discussion à Montréal présentement. Je dois toutefois souligner que les actifs, qui sont à la base de ces papiers, ne sont pas des actifs canadiens. Ce sont des actifs, pour la plupart, américains. Donc, l'effet de ce gel est bien différent ici par rapport aux États-Unis. Aux États-Unis, les effets sont réels. Le secteur du logement souffre vraiment et est lié aux problèmes de ces papiers.

Il est donc important qu'on en arrive à une résolution, ou du moins qu'on élabore les grandes lignes d'une résolution, le 14 septembre à Montréal. Les conséquences sont bien différentes pour le Canada, pour les États-Unis et pour l'Europe.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Merci, messieurs, de votre présence ici.

Dans le sommaire de votre Rapport sur la politique monétaire, au sujet des prévisions relatives à l'inflation, vous dites que, du côté positif, la demande, au sein de l'économie canadienne, pourrait demeurer supérieure à la normale pendant plus longtemps que prévu. Cela serait attribuable à deux choses : la forte croissance et les dépenses des ménages.

Vu la forte croissance et les dépenses des ménages, quelles sont les prévisions au chapitre des dettes des ménages, des dettes de cartes de crédit et du taux d'épargne?

M. Dodge : Nous parlons de cela dans le premier chapitre de la Revue du système financier. Il semble assez clair que deux choses se sont produites depuis notre dernière revue, il y a six mois. La demande de crédit des ménages a continué d'augmenter, et elle est passée de 10 à 12 p. 100. Le ratio d'endettement des ménages par rapport à leur revenu continue d'augmenter. Il est élevé, mais le ratio du service de la dette des ménages par rapport à leur revenu, qui a considérablement augmenté au cours des deux dernières années, pourrait encore être qualifié d'assez confortable. Ce qui est certain, c'est qu'il est passablement inférieur à ce dont nous avons été témoins au début des années 1990 et beaucoup moins élevé qu'en 1981-1982.

Je dirais que nous sommes encore raisonnablement à l'aise avec ces moyennes. La vraie question, c'est de savoir de quoi a l'air la queue de cette distribution. Y a-t-il des ménages qui font face à des risques réels? Nous essayons de faire cette analyse. Nous manquons cependant de données suffisamment précises. Je pense néanmoins que nous n'en sommes pas encore rendus au point où il faudrait sonner l'alarme.

M. Jenkins : Comme le gouverneur l'a mentionné, nous abordons les questions relatives aux bilans dont vous nous parlez dans la Revue du système financier.

Le sénateur Moore : Je vais y jeter un coup d'œil.

Qu'en est-il de l'épargne, gouverneur Dodge? Épargnons-nous plus qu'avant ou moins qu'avant; est-ce que nos dépenses sont à peu près les mêmes qu'avant?

M. Dodge : Nous évaluons le taux d'épargne en soustrayant la consommation actuelle du revenu actuel, le reste étant compté comme faisant partie des économies. Le taux d'épargne est toujours très faible.

Le sénateur Moore : Pouvez-vous mettre des chiffres là-dessus, ou encore des pourcentages? Quand vous dites que le taux d'épargne est faible, qu'est-ce que ça veut dire?

M. Dodge : Ça veut dire qu'il est faible par rapport à ce qu'il a été dans le passé.

M. Jenkins : Si, d'après les données sur les comptes nationaux que Statistique Canada publie, on compare le revenu aux dépenses, on constate que le taux d'épargne tourne autour de 1,5 p. 100.

Comme le gouverneur Dodge l'a laissé entendre, si on examine le bilan général du secteur des ménages, c'est-à-dire les actifs acquis — ce qui inclut le logement et les autres biens immobiliers, ainsi que les actifs financiers —, et qu'on le compare aux passifs qui y sont liés, on obtient la valeur réelle nette du secteur des ménages, qui a augmenté en moyenne de 5 p. 100 au cours des cinq à dix dernières années.

Nous pourrions vous fournir ces calculs, si vous le souhaitez. Ils illustrent les lacunes du calcul du taux d'épargne et la raison pour laquelle il faut vraiment examiner l'ensemble du bilan.

Le sénateur Moore : Merci.

Je veux aborder une question qui a déjà été soulevée par mes collègues. Dans votre rapport, vous parlez des marchés financiers et des pertes plus importantes que prévu au chapitre des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis. Freddie Mac et Fannie Mae n'ont-ils pas récemment émis beaucoup de titres, pour cinq milliards de dollars chacun?

M. Dodge : Je ne me rappelle pas le chiffre exact, mais oui, ils ont dû hausser leur capital.

M. Jenkins : Ils ont réduit les dividendes.

Le sénateur Moore : Vous dites que cela a mené à une incertitude, à l'échelle mondiale, autour de l'évaluation des produits structurés, c'est-à-dire de ces papiers commerciaux adossés à des actifs non bancaire.

J'ai lu les reportages tout récemment. C'est par rapport à nos banques à charte. Le 19 novembre, le Globe and Mail a publié un résumé là-dessus, qui, à mon avis, a été éclairant. N'oubliez pas que nous avons reçu les représentants des banques en juin. Ils nous ont dit qu'il n'y avait pas de problème, qu'il y a toutes sortes d'exploitants de fonds spéculatifs — 7 500 dans le monde —, et qu'ils ne traitent qu'avec 100, mais font preuve de diligence raisonnable et ont investi dans toutes ces choses. Il n'y a pas de problème.

Environ un mois plus tard — je pense que vous vous en souviendrez, monsieur le président — je ne sais plus les représentants de quelle entreprise sont venus témoigner ici, mais ils ont parlé de grosses pertes financières.

Le 19 novembre, pour en venir au résumé publié par le Globe and Mail, on parlait de la Banque de Montréal, 320 millions de dollars — les pertes annoncées pour le trimestre — la Banque Royale, 360 millions de dollars, la Banque Scotia, 190 millions de dollars et la CIBC, 463 millions de dollars. Cela fait 1,3 milliard de dollars, et, le jour suivant, la Banque nationale a annoncé une perte de 575 millions de dollars, pour un total de près de deux milliards de dollars pour le trimestre.

Monsieur Dodge, vous avez mentionné le fait que 30 milliards de dollars sont gelés. S'agit-il du papier non bancaire? Le risque lié à ces produits n'est-il que canadien?

M. Dodge : Que canadien, oui.

Le sénateur Moore : Je veux dire au Canada.

Le président : Petite précision : je pense que nous ne parlons pas seulement du papier commercial adossé à des actifs. Parlons-nous des produits structurés en général?

M. Dodge : La valeur nominale du papier commercial adossé à des actifs était de près de 40 milliards de dollars, dont une partie était composée de choses tout à faire ordinaires, mais le reste consistait en des produits hautement structurés. Il y a plus de 30 milliards de dollars de ces canalisateurs très structurés qui font l'objet de discussion à Montréal.

Le président : Y a-t-il dans ce cas également un effet de levier?

M. Dodge : Dans certains cas, oui, il y a un important effet de levier.

Le sénateur Moore : D'après ce que je me rappelle de votre témoignage du mois de mai, vous nous mettiez en garde au sujet de ces instruments fondés sur un effet de levier important et nous disiez que le crédit n'était pas aussi bien géré qu'il devrait l'être.

Nous avons une idée de la quantité, mais cela ne nous renseigne pas sur le fait que nos banques aient investi dans ce type de produits dans d'autres pays, n'est-ce pas? C'est ce que nous savons.

M. Dodge : Non, non.

Le sénateur Moore : Est-ce exact?

M. Dodge : Analysons ça. Ce que vous dites est tout à fait exact. Nous essayons de parler de tout ça — où est-ce que ça commence? Ça commence dans le bas de la page 13 du document intitulé Revue du système financier.

Tout d'abord, vous avez posé la question suivante : les pratiques de gestion du risque des banques canadiennes sont- elles valables, ou y a-t-il en quelque sorte du laisser-aller?

Même si vous gérez bien le risque, il est certain que vous allez faire des erreurs de temps à autre, ce qui signifie que le fait qu'une ou deux choses aille mal ne suppose pas nécessairement l'échec total. Vous devez vous attendre à ce que quelque chose aille mal à un moment donné; si ce n'était pas le cas, il n'y aurait aucun risque pour le système.

La question que pose le surintendant des institutions financières, c'est : de façon générale, les pratiques de gestion du risque en place sont-elles adéquates? Les conseils d'administration supervisent-ils ces pratiques de gestion du risque? Rien n'est parfait, mais, de façon générale, on peut dire que leurs pratiques de gestion du risque ont été raisonnablement bonnes.

La deuxième question est la suivante : cela signifie-t-il que les institutions financières ne sont elles-mêmes propriétaires d'aucun de ces actifs étrangers? La réponse, c'est non. Elles en ont. Elles subissent des pertes à ce chapitre, tout comme elles subissent des pertes lorsqu'une entreprise n'arrive pas à rembourser son prêt commercial.

La troisième question est un peu plus complexe. C'est la raison pour laquelle nous avons constaté partout dans le monde un gel du marché interbancaire, et ainsi de suite.

Le sénateur Moore : Vous en avez déjà parlé. Pour nous éclairer et pour éclairer les membres du public, lorsque vous dites « gel », que voulez-vous dire?

M. Dodge : Les banques ne sont plus disposées à se prêter de l'argent les unes aux autres. Normalement, les banques de partout dans le monde se financent régulièrement en empruntant de l'argent d'autres banques qui disposent de fonds excédentaires et qui les prêtent. Cela se produit régulièrement. C'est le cas ici aussi, quoique nos banques comptent beaucoup moins souvent sur le marché interbancaire que beaucoup de banques dont les activités sont axées sur les valeurs monétaires, entre autres New York et Londres.

Le sénateur Moore : Quel est le rapport entre le gel des prêts entre les banques et ces papiers commerciaux adossés à des actifs non bancaires?

M. Dodge : La question, puisque ce n'est pas très clair, c'est : qu'est-ce qui est détenu? Les gens ont peur que le risque soit trop grand pour leurs contreparties de la transaction. Ils ne savent pas à quoi s'en tenir, ils ont peur. C'est sûr que ce que nous appelons le risque de contrepartie a passablement augmenté. Il ne s'agit pas seulement du risque de contrepartie des banques; en ce qui concerne ces produits structurés, il y a d'autres gens qui font face à des risques.

Ce dont vous aurez entendu parler dans la presse, ce sont ce qu'on appelle les assureurs monogamme, qui fournissent une protection contre le défaut de paiement relatif à la partie prioritaire (triple A) de tranches de ces titres hautement structurés. Ils ont assuré beaucoup de ces titres, et on est inquiet de ce que certains de ces assureurs ne disposent pas d'un capital suffisant pour payer.

Le sénateur Moore : Ils ne vont pas leur donner d'argent, alors tout est gelé?

M. Dodge : Oui. À cause du manque de transparence, il est très difficile de tirer tout ça au clair.

Sénateur, j'aimerais préciser une dernière chose. Rappelez-vous la dernière grande crise du logement aux États-Unis — aujourd'hui, nous appelons ça une crise dans le domaine des prêts hypothécaires à risque; à l'époque, nous parlions d'une crise de S and L.

Le sénateur Moore : De quelle époque s'agit-il, monsieur?

M. Dodge : Il s'agit de 1990-1991. Il y avait une crise ou un problème qui touchait le marché des prêts hypothécaires aux États-Unis et qui était plus ou moins de la même ampleur que ce à quoi nous faisons face aujourd'hui, mais, à l'époque, cela n'a pas mené au gel de tous les autres marchés partout dans le monde, parce que nous savions où les problèmes se situaient. Les problèmes venaient des banques d'épargne immobilière, et les autorités américaines étaient en mesure de prendre les choses en main et de s'en occuper. Vous vous rappellerez qu'elles ont alors mis sur pied la Resolution Trust Corporation et ont progressivement réglé le problème, de façon que ce qui ressemblait à une série de pertes totalisant 300 ou 400 milliards de dollars a fini par être une perte de 100 millions de dollars. Je n'ai pas les chiffres précis là-dessus.

Le sénateur Moore : Elles ont réussi à prendre ça en main.

M. Dodge : C'est impossible aujourd'hui parce que les choses sont éparpillées. Les titres s'entremêlent. Le problème est beaucoup plus difficile à régler. Pour vulgariser, disons que ça a affecté toutes sortes de marchés où, en réalité, il n'y a pas réellement de problèmes liés au risque de crédit. Ainsi, le phénomène va être difficile à régler, et il va être très difficile pour le gouvernement américain, pour le trésor, de régler le problème de la même façon qu'auparavant, parce que, la dernière fois, les prêts figuraient encore dans les livres de banques d'épargne immobilière qui ont maintenant fait faillite. Dans le temps, si vous repreniez la direction de la banque d'épargne immobilière et la placiez sous tutelle administrative, vous pouviez traiter avec le propriétaire de la maison, n'est-ce pas?

Le sénateur Moore : Exactement.

M. Dodge : Aujourd'hui, tout est éparpillé. Impossible de régler le problème de cette façon.

M. Paulson doit régler un problème beaucoup plus complexe. Le Congrès américain doit régler un problème beaucoup plus complexe.

Le sénateur Moore : Nous en venons à la question de l'évaluation à la valeur du marché. Nos banques ont acheté et vendu des titres qui ne sont pas évalués à la valeur du marché, au bout du compte.

M. Dodge : Eh bien, ils ont évalué ces actifs, de leur mieux et du mieux que pouvaient le faire leurs comptables à ce moment. Il se peut que l'évaluation soit trop faible ou trop élevée — nous ne le savons tout simplement pas.

Le président : Gouverneur, je présume que nous allons pouvoir dépasser un peu 12 h 30?

M. Dodge : Oui.

Le président : Sénateur Segal, vous avez été très patient, alors prenez le temps qu'il vous faut pour poser vos questions.

Le sénateur Segal : Merci, monsieur le président. J'étais très content de voir le gouverneur commencer son exposé en parlant de ses débuts auprès de l'Institut de recherche en politiques publiques, sous le sénateur Van Roggen, dans une version antérieure du comité, qui, vous vous en souviendrez, était en avance sur son temps lorsqu'il a recommandé l'adoption de politiques de libre-échange.

Le gouverneur se rappellera que l'IRPP a également publié il y a quelques années un article de Tom Courchene, éminent économiste de la Saskatchewan qui travaille à l'Université Queen's et qui porte sur le fait que nous devons, en ce qui concerne l'autre partie du mandat de la banque — c'est-à-dire son rôle de modérateur des pressions à la hausse et à la baisse de notre devise —, d'envisager, comme nos amis européens l'ont fait, une zone monétaire plus vaste que celle que nous avons définie jusqu'à maintenant.

Ce que je me rappelle de la réaction du gouverneur à l'époque, c'est que nous n'envisagerions jamais une zone monétaire nord-américaine. Parallèlement — j'ai trouvé cela très encourageant —, je pense que la réponse qu'il a donnée au même genre de questions il y a deux ou trois ans, c'est-à-dire « pas dans un avenir prévisible », témoigne d'une évolution importante du point de vue du gouverneur sur le sujet.

Je pose la question, cependant, dans le contexte suivant : nous avons été témoins de la hausse de l'euro comme monnaie de référence, pour de bonnes raisons, et c'est tout à l'honneur de la Banque centrale européenne. Nous avons vu le dollar américain subir des pressions pour toutes sortes de raisons, dont le sénateur Ringuette en a énoncé quelques-unes. On a aussi parlé d'autres raisons aujourd'hui.

Assurément, le fait que le dollar américain doit permettre l'achat de grandes quantités d'énergie d'autres pays, notamment le Canada, est une autre source de pression sur cette monnaie. Nous savons qu'il y a des problèmes lorsque le dollar canadien atteint 62 cents US ou lorsqu'il atteint 1,07 $US. L'idée d'une sorte d'entente sur ces devises, cela me frappe du point de vue des manufacturiers, des exportateurs et des détaillants, devient de plus en plus intéressante au fur et à mesure que nous vivons ces soubresauts, malgré les efforts que la banque déploie pour les limiter.

Je me demande, comme c'est probablement la dernière fois que vous témoignez devant le comité avant, non pas votre retraite, je l'espère, au nom des millions de Canadiens que vous avez si bien servi au fil des ans sous les gouvernements de toutes allégeances, mais bien une pause que vous allez consacrer à votre vie privée, si vous voudriez nous parler un peu de ces orientations stratégiques, vu que votre principal devoir a trait à la monnaie canadienne, à sa souveraineté et au seigneurage et à tous ces autres aspects très importants de notre souveraineté.

M. Dodge : C'est une question très large que vous me posez, sénateur.

Permettez-moi de revenir en arrière, cependant, et de répéter qu'il y a en réalité deux façons stables de s'occuper d'une devise. Il peut y avoir union monétaire à un bout du spectre et une variation libre de la valeur d'une devise à l'autre bout. Au milieu, il y a un fouillis qui peut être stable pendant une certaine période, puis devenir incroyablement instable.

En ce qui concerne l'union monétaire, j'ai dit que je ne l'envisage pas dans un avenir prévisible, surtout parce que l'union monétaire suit habituellement une union économique, et non l'inverse, selon la logique économique, mais pas nécessairement selon la logique politique — c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait des marchés fonctionnels, non pas simplement les marchés de capitaux transfrontaliers, mais aussi des marchés de biens et de services, et, en particulier, des marchés du travail fonctionnels. Lorsque ce n'est pas le cas, une union monétaire sans, si vous voulez, un seul marché de biens d'équipement et du travail est susceptible de connaître des difficultés. Lorsque je dis que je n'envisage pas ça dans un avenir prévisible, j'imagine que c'est simplement que je n'imagine pas que nous nous dotions d'un marché économique unifié qui nous permettrait de créer une union ou un marché monétaire unifié. C'est un peu comme ça que j'en arrive à cette conclusion à partir de principes de base. À vous de juger de notre capacité de réaliser une union sous ces autres aspects pour déterminer jusqu'où va cette période constituant un avenir prévisible.

Passons au problème le plus important, selon moi, dans l'immédiat. Au cours des six dernières semaines, nous avons été témoins de fluctuations exceptionnelles, extraordinaires — utilisez l'adjectif que vous voulez —, du dollar canadien. Nous n'avions jamais vu ce genre de fluctuations auparavant, c'est-à-dire les fluctuations de 3 et de 4 p. 100 de la valeur du dollar dans une journée ou dans une semaine. Il s'agit évidemment d'un marché qui, pendant une certaine période à tout le moins, ne fonctionnait pas très bien. Nous savons que tous les marchés peuvent connaître des fluctuations extrêmes. Celui du pétrole en constitue un très bon exemple. Dans le passé, cela nous préoccupait à la Banque du Canada, et nous avions l'habitude d'intervenir sur le marché pour essayer d'atténuer ces fluctuations démesurées.

À la fin des années 1990, nous avons commencé à douter sérieusement de l'utilité de ces interventions, alors nous avons cessé d'intervenir. Essentiellement, jusqu'à il y a quelques semaines, il faut dire que les marchés monétaires ont assez bien fonctionné. Nous allons devoir revenir sur cette période et analyser les événements — les événements qui ne ressemblent à rien à ce que nous avons connu auparavant. Nous allons devoir revenir en arrière et analyser ce qui s'est passé.

Enfin, vous avez parlé de mon bon ami Tom Courchene. Nous avons un instrument; nous pouvons donc avoir une cible. Notre cible est de maintenir l'inflation entre 1 et 3 p. 100. Si vous définissez une espèce de fourchette de valeur de la devise au sein de laquelle on vous donne une deuxième cible, et si nous connaissons d'importantes fluctuations au chapitre des échanges qui pousseront la devise vers le bas ou vers le haut de cette fourchette, si ça pousse la devise vers le bas de la fourchette, il faut resserrer à fond pour que le dollar se maintienne dans le haut de la fourchette. Cela peut être tout à fait inapproprié vu la situation économique et l'inflation au pays. En réalité, dans cette situation, nous pourrions amener l'inflation bien au dessous de zéro.

Si nous visions le haut de la fourchette, alors il faudrait que nous fournissions des liquidités en très grandes quantités, ce qui donnerait libre cours à l'inflation.

Impossible de se concentrer sur deux objectifs avec un seul instrument. De façon générale, nous nous sommes mis d'accord avec le gouvernement sur le fait que la principale chose à faire, c'est de maintenir la valeur de la devise au pays, pour vous et moi et pour tous les autres ménages.

Le sénateur Poulin : Lorsque le sénateur Fitzpatrick, qui est membre permanent du comité, m'a demandé de le remplacer aujourd'hui, je ne savais pas du tout que j'aurais l'honneur d'être l'un des sénateurs qui pourraient poser quelques questions au gouverneur sortant de la Banque du Canada, que je connais personnellement depuis de si nombreuses années.

Au début de la réunion, monsieur le président, vous nous avez rappelé que le gouverneur Dodge quitte ses fonctions le 31 janvier. Je voulais profiter de l'occasion, David, pour vous dire que le Canada a eu de la chance de vous avoir au sein de sa fonction publique. Vous avez extrêmement bien servi le pays, tant ici que sur la scène internationale. Vous avez mis les Canadiens en confiance et les avez informés, mais surtout, vous avez été utile aux Canadiens chez eux.

Je vous ai vu jouer plusieurs rôles. Je vous ai vu jouer le rôle de sous-ministre des Finances, celui de sous-ministre de la Santé, celui de gouverneur de la Banque du Canada, et je vous ai vu marcher tous les matins avec votre casquette et votre pipe.

Il y a trois choses qui ont toujours frappé les gens qui vous connaissent. La première, c'est l'équilibre dans votre façon d'aborder les différents problèmes, l'équilibre entre les questions économiques et sociales que vous avez maintenu dans votre façon de gérer vos dossiers. La deuxième, c'est le fait que vous prenez votre travail au sérieux, tout en vous prenant vous-même beaucoup moins au sérieux. La troisième, c'est que vous me faites vraiment penser à un bon joueur de tennis, et je me demande encore comment vous faites pour que tout ait l'air si facile.

J'ai bien une question générale à vous poser, gouverneur Dodge.

[Français]

Une des choses dont on a parlé aujourd'hui, qui est très sérieuse et sur laquelle vous avez apporté énormément d'informations, est le fait que le pays, en ce moment, est dans une période d'ajustement financier. Il va falloir s'assurer qu'il y ait assez de flexibilité pour qu'il y ait un déménagement de ressources, d'une part, et une diminution des barrières interprovinciales, d'autre part, si j'ai bien compris votre message.

Vous avez aussi parlé du dollar. Si j'ai bien compris en anglais, vous avez parlé du comportement assez inhabituel de girouette du dollar au cours des dernières six semaines. Quels seraient, selon vous, les principaux soucis de votre successeur et de quelle façon va-t-il pouvoir assurer le succès et la stabilité de notre adaptation à cet ajustement et aux dollars?

M. Dodge : Merci beaucoup, sénateur Poulin, de vos remarques. Cela a été un privilège de servir les Canadiens et quelques gouvernements du Canada. C'était presque toujours, pas tout le temps, une joie de le faire. C'était extrêmement intéressant et j'ai bien apprécié l'appui des gouvernements, des sénateurs et des membres de la Chambre des communes pendant que j'étais fonctionnaire et gouverneur de la Banque du Canada.

Le grand défi en ce moment est de restaurer la confiance en nos marchés financiers au Canada et partout dans le monde. C'est un défi au Canada, à l'intérieur de nos propres marchés, mais M. Carney a un rôle important à jouer dans les conseils internationaux, soit le Forum sur la stabilité financière et le FMI. Jusqu'ici, il est probable que nous, au Canada, soit le surintendant, le ministère des Finances et la Banque du Canada, ayons à gérer notre système d'une façon assez exemplaire. On peut donc jouer un rôle un peu plus large par rapport à la position du Canada dans les marchés internationaux.

C'est donc une tâche extrêmement importante. M. Carney a eu une formation à l'université et dans les marchés privés qui lui donne la possibilité de s'engager dans ce processus d'assainissement des marchés financiers. Il s'agit d'une première tâche. À partir de là, c'est toujours difficile de gérer la politique monétaire, mais il a une équipe formidable. Je suis absolument confiant que, pour les prochaines années, la politique monétaire sera bien gérée.

[Traduction]

Le sénateur Goldstein : Permettez-moi de vous féliciter moi aussi de votre excellent travail et de vous remercier de votre carrière extraordinaire et de l'engagement extraordinaire dont vous avez fait preuve envers les Canadiens. Nous vous en sommes tous très reconnaissants. Nous aimons à espérer que vous allez décider de revenir nous donner un coup de main dix jours après avoir quitté la vie publique.

J'aurais beaucoup de questions à poser, mais compte tenu du temps, je vais m'en tenir à deux points : premièrement, le ministre Flaherty nous a dit hier que le Canada avait absorbé une part disproportionnée de l'effet de la dévaluation de fait du dollar américain. Il a mis un chiffre sur cette part : 33 p. 100, comparativement à l'Union européenne, qui, avec dix fois notre population, a absorbé une plus petite part. L'Asie a absorbé une part encore plus petite, et, en fait, certaines économies de l'Asie en ont profité.

Avec le recul, y a-t-il quelque chose que le Canada aurait pu ou aurait dû faire pour réduire au minimum les effets négatifs de la dévaluation du dollar américain qui nous ont touché et qui vont continuer de le faire pendant un certain temps?

M. Dodge : Le calcul que le ministre nous a présenté est tout à fait exact, en ce sens que si vous prenez notre part des échanges avec les États-Unis, c'est-à-dire grosso modo 16 ou 17 p. 100 — une part qui n'est pas très différente de celle de la Chine ou de l'Union européenne — et que vous examinez l'ampleur de la fluctuation du dollar américain par rapport à notre monnaie, il est tout à fait juste de dire que le tiers de la correction réelle de la valeur du dollar américain vient du Canada.

Voilà des idées que nous avons exprimées avec force lorsque nous nous sommes réunis en Afrique du Sud à l'occasion du Sommet du G20. Je pense que nous ne devrions entretenir aucun doute au sujet du fait qu'une partie au moins de cette correction était tout à fait appropriée du point de vue du Canada, vu ce dont nous avons parlé au départ. Nous avions connu d'importantes améliorations au chapitre de nos échanges avec les États-Unis.

Il faut être un peu prudent lorsqu'on fait des calculs. Le calcul en question est tout à fait exact, mais cela ne signifie pas que nous n'aurions dû faire que 17 p. 100 de la correction parce que notre part des échanges avec les États-Unis est de 17 p. 100.

Il y a ensuite ces deux expressions intéressantes : « aurait dû » et « aurait pu ». Si nous laissons de côté la question du pic dans les fluctuations, qui a fait passer le dollar de 1 $ à 1,10 $ puis de nouveau à 1 $ en quelques semaines, alors la réponse, c'est que le passage, d'environ 60 cents à environ 90 cents, disons, correspond plus ou moins au mouvement de notre économie.

Le dollar a atteint une valeur un peu trop élevée à un moment donné; il a peut-être aussi atteint une valeur un peu trop faible à un autre moment. Il n'est pas évident — si l'on exclut cette douloureuse expérience du pic, il n'est pas évident qu'il y ait quoi que ce soit que nous « aurions dû » faire.

Penchons-nous sur ce que nous « aurions pu » faire. Il est tout à fait juste de dire que nous, à la banque, aurions pu intervenir et réduire les taux d'intérêt de façon spectaculaire, maintenir nos taux d'intérêt beaucoup plus bas que nous l'avons fait, mais l'inflation aurait alors été beaucoup plus importante qu'elle l'a été.

Si on envisage ce qui se serait réellement passé, les manufacturiers canadiens ne s'en seraient pas mieux tirés. Ils auraient dû payer des salaires plus élevés et des coûts de production plus élevés au pays. Le dollar aurait été plus faible, mais leur coût de production aurait été plus élevé. Nous aurions pu faire quelque chose, mais il ne fallait pas le faire, parce que cela n'aurait fait qu'engendrer un processus de rajustement plus coûteux que celui que nous suivons en ce moment — lequel est sans aucun doute difficile en raison de l'évolution rapide des prix de ce que nous produisons et de ce que d'autres gens produisent.

Ainsi, la réponse, c'est que nous pouvions faire quelque chose, mais que nous ne devions pas le faire.

En disant cela, j'ai évité une question à laquelle il va falloir répondre, c'est-à-dire la question de savoir pourquoi les marchés se sont emballés pendant cette période.

Le sénateur Goldstein : Ma deuxième question a trait à un document que vous avez joint à la Revue du système financier que nous avons reçu ce matin. Il s'agit d'un document qui porte sur la réforme du processus de cotation des titres. Il est concis, intelligible, même pour une personne ordinaire comme moi, et on y trouve un certain nombre de recommandations. L'une de celles qui ressortent davantage, peut-être, que les autres, c'est celle selon laquelle il faut encourager la concurrence au sein du secteur de la cotation des titres en définissant clairement les critères que les agences doivent respecter. Ces critères seraient établis par une commission des valeurs mobilières. C'est exactement ce que la Commission des valeurs mobilières des États-Unis, la SEC, a fait en juin.

Pensez-vous qu'il serait approprié que la banque ou un autre organisme définisse dès maintenant ces critères pour favoriser la naissance de nouvelles agences de cotations des titres, de façon que nous ne soyons plus limités par l'existence de deux grandes agences seulement?

M. Dodge : Je pense que c'est une question complexe. C'est la SEC qui s'occupe de cela aux États-Unis, et ces agences, si elles sont utiles à quoi que ce soit, sont des agences mondiales. Dans un sens, c'est une question qui, en réalité, se pose pour les deux principaux marchés financiers de Londres et de New York en ce qui concerne la façon dont les intervenants de ces marchés financiers voient le processus. Ce que nous essayons de faire, dans cet article, c'est de soulever toutes les questions importantes.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je dois ajouter que le ministère des Finances, le Bureau du surintendant des faillites et nous avons discuté avec les représentants des agences en question. À moins qu'elles ne commencent à marcher droit, elles vont faire faillite, alors elles sont tout à fait disposées à marcher droit et travaillent très fort pour y arriver.

Lorsque je dis « marcher droit », je veux dire que leurs cotes vont avoir de la valeur seulement dans la mesure où les gens comprennent ce qu'elles signifient. Les agences, et nous, assurément, pensons que les cotes n'ont pas été aussi claires qu'elles auraient dû l'être dans le passé.

Il est très important qu'il y ait un principe établi selon lequel toute l'information que les agences utilisent pour déterminer une cote devrait être rendue publique. C'est le cas lorsqu'elles effectuent leurs activités ordinaires de cotation des obligations de Bell Canada, du Canadien Pacifique, et ainsi de suite. Dans ces cas, tout est rendu public, sauf que l'agence évalue la gestion de l'entreprise. Néanmoins, tous les chiffres sont publiés. Tous les grands investisseurs éclairés peuvent faire leurs devoirs.

Le problème que posent ces titres hautement structurés, c'est que les agences disposaient d'information dont la confidentialité était garantie dans le cadre d'une entente. Une bonne partie du problème, dans le processus qui s'est déroulé à Montréal, a été d'obtenir ces données et de mettre un terme aux ententes de confidentialité qui étaient en place, de façon que les investisseurs puissent vraiment comprendre ce qui se cachait derrière les actifs qu'ils achetaient.

Nous blâmons encore beaucoup les investisseurs. Si vous ne savez pas ce que vous achetez, ne l'achetez pas, ou si vous l'achetez, ne soyez pas surpris si ça tourne mal. L'idée, c'est qu'ils n'auraient pas pu le savoir. Je pense qu'il y a quelques problèmes, mais que, dans l'ensemble, le marché exerce des pressions importantes. C'est toujours vrai qu'il faut utiliser le marché pour lui faire faire ce qu'il peut faire. Le marché exerce des pressions énormes sur les agences de cotation des titres pour qu'elles se mettent à marcher droit, si elles veulent continuer de faire des affaires.

Le sénateur Moore : Qui sont les gens qui avaient conclu des ententes de confidentialité afin de ne pas rendre publique l'information relative aux actifs?

M. Dodge : Les promoteurs des canalisateurs vous fournissent des renseignements.

Le sénateur Moore : Que voulez-vous dire par « promoteurs des canalisateurs »?

M. Dodge : Conventry en est un exemple.

Le sénateur Moore : Avec qui avaient-ils conclu une entente?

M. Dodge : DBRS n'autorisait pas la divulgation d'information, et, selon moi, c'est ce qui ne va pas.

Le président : Gouverneur, lorsque vous prendrez une retraite bien méritée, que vous serez en pantoufles dans votre chaise berçante, vous allez sans doute réfléchir un peu. Je ne peux pas m'empêcher de vous demander si vous avez déjà commencé à réfléchir, de façon subliminale, au moment de revenir sur votre carrière, à des choses que vous n'avez peut-être pas faites. C'est toujours plus clair après coup.

M. Dodge : Il y a toujours des leçons à tirer de l'expérience. Je tirerais probablement trois conclusions de ces 35 années qui pourraient intéresser le comité.

Premièrement, on n'a pas le choix : il faut procéder à des rajustements. Nous avons essayé de ne pas le faire dans les années 1970, et nous en avons payé le prix. Les rajustements sont toujours difficiles, mais nous avons prolongé le processus et l'avons rendu encore plus difficile. Nous avons connu des taux de chômage plus élevés et davantage de fluctuations économiques que ce qui était nécessaire. C'est la raison pour laquelle j'ai établi la distinction entre ce qu'il est possible de faire et ce qui est indiqué pour répondre à la question du sénateur Goldstein. C'est difficile parce que, à un moment précis, le processus de rajustement peut être douloureux, sur le plan financier, mais il devient encore plus douloureux si on essaie de l'éviter.

Deuxièmement, j'ai appris qu'il est très important que les gouvernements — et j'insiste sur « les » —, évitent de se mettre dans une situation où une très grande partie de leurs recettes fiscales doit être consacrée au service de la dette publique. Personne ne se réveille le matin avec l'envie de dire merci au premier ministre pour le service de la dette. Les gouvernements qui doivent le faire perdent rapidement la confiance de la population. Maintenir le ratio de la dette publique et du PIB ne signifie pas nécessairement ne jamais créer de déficit — j'insiste là-dessus —, mais cela suppose que nous cherchions à maintenir ce ratio bas, surtout à la lumière du fait qu'il y a de plus en plus de gens comme vous et moi, monsieur le président, qui n'ont plus beaucoup de cheveux, et que cela va être encore plus marqué dans les années 2020 et dans les années 2030, ce qui fait que c'est très important.

Troisièmement, nous avons appris, encore une fois à la dure, qu'il est important de maintenir la confiance de la population envers la valeur future de l'argent. La meilleure chose qu'une banque centrale puisse faire, c'est d'agir pour maintenir cette confiance, que le modèle précis ou les détails du régime de ciblage de l'inflation, que nous avons mis au point en 1990, soient exacts ou non. La banque et le gouvernement doivent se pencher sur la question de savoir si tout est exact dans le détail; cependant, l'impulsion de base est tout à fait juste, ce qui fait que les Canadiens peuvent vaquer à leurs occupations quotidiennes en n'ayant pas peur que leurs économies soient réduites à néant par l'inflation à un moment donné.

Voilà mes trois leçons.

Le président : Vous avez donné une réponse très profonde à une question que j'avais presque décidé de ne pas poser. Je suis vraiment content de l'avoir posée, finalement.

Monsieur Jenkins, gouverneur Dodge, ce fut une expérience extraordinaire de travailler avec vous. Gouverneur Dodge, nous vous souhaitons une retraite heureuse, peu importe comment vous choisirez d'occuper votre temps. Bonne chance, et mille mercis de nous avoir fait part de vos réflexions.

Lorsque nous lirons les parties de vos rapports portant sur la confiance des consommateurs, nous serons maintenant en mesure de comprendre ce que cela signifie. Je pense que les Canadiens sont en confiance grâce au grand leadership dont vous avez fait preuve à la Banque centrale. Félicitations et bonne chance.

M. Dodge : Merci, sénateurs. Merci à tous.

La séance est levée.


Haut de page