Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 4 - Témoignages du 12 décembre 2007
OTTAWA, le mercredi 12 décembre 2007
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, se réunit aujourd'hui à 16:15 heures pour étudier le projet de loi.
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, mesdames et messieurs, et bienvenue au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.
[Français]
Aujourd'hui nous débutons notre étude du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi et des lois connexes.
[Traduction]
Je suis le sénateur David Angus, de la province de Québec. À ma droite se trouve le sénateur Yoine Goldstein, du Québec, qui est vice-président du comité. Le sénateur Michael Meighen est de l'Ontario et il a de solides racines au Québec. À ma gauche se trouve le sénateur Mac Harb, d'Ottawa. Le sénateur Massicotte est du Québec et a de solides racines au Manitoba.
Je m'excuse du petit nombre de sénateurs présents aujourd'hui, mais comme nous sommes à la veille du congé des Fêtes, il y a beaucoup d'activités en même temps. Le comité plénier se réunit en ce moment, et le comité des finances et le comité des affaires juridiques se réunissent aussi en même temps, et les sénateurs ne peuvent être partout à la fois.
[Français]
Comme je viens de le dire, on commence notre étude aujourd'hui du projet de loi C-10.
[Traduction]
À cet égard, je voudrais faire l'observation suivante. Des représentants du ministère qui parraine le projet de loi, le ministère des Finances, ainsi qu'un représentant du bureau du ministre, à savoir le ministre ou bien son secrétaire parlementaire, sont actuellement occupés à d'autres affaires, mais ils seront disponibles vers 17 heures.
Je veux m'assurer que les sénateurs sont d'accord. Nous avons vérifié les précédents, mais il n'y a pas synchronicité et je tiens à m'assurer que les sénateurs sont d'accord.
Je voudrais faire une déclaration personnelle aux termes du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs, auquel nous sommes tous astreints. J'ai adressé la lettre suivante au greffier du comité, avec copie conforme à M. Jean Fournier, qui est le conseiller sénatorial en éthique. Je lis :
Madame Gravelle :
Je déclare publiquement que je crois avoir un intérêt privé qui pourrait être touché ou pourrait donner l'impression d'être touché par les délibérations du Sénat et du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce relativement au projet de loi C-10.
Je ne vais pas entrer dans les détails du projet de loi, qui a été renvoyé au comité, lequel doit se réunir aujourd'hui et demain pour l'examiner.
La nature générale de cet intérêt est que je suis associé au bureau de Montréal du cabinet d'avocats Stikeman Elliott LLP, et un représentant de ce cabinet d'avocat, M. Charles Gagnon, qui est assis devant nous, présentera des instances à notre comité au nom de clients qui cherchent à obtenir des amendements au projet de loi.
Je tiens à préciser très clairement que je n'ai aucun intérêt personnel, passé, présent ou futur, dans les affaires dont s'occupe Stikeman Elliott relativement au projet de loi C-10, que je n'ai pas participé à l'examen de ces affaires et que je n'ai jamais traité d'affaires quelconques avec les clients en cause.
Je vous demanderais de déposer cette déclaration comme pièce jointe au compte rendu officiel des délibérations du comité sur le projet de loi C-10 et de prendre toute autre mesure que vous jugerez convenable à titre de greffier de notre comité. Je fais parvenir copie de ma déclaration à M. Jean Fournier, conseiller sénatorial en éthique.
Comme je l'ai dit, au lieu d'entendre le secrétaire parlementaire, Ted Menzies, et les fonctionnaires de Finances Canada, nous avons d'autres témoins qui ont manifesté leur intérêt et veulent s'adresser à notre comité au sujet de ce projet de loi. Chacun d'eux a remis un mémoire ou un document à l'appui de sa comparution.
Nous avons donc MM. Stewart Lewis, Paul Lebreux et Robin J. MacKnight, de la Society of Trust and Estate Practitioners, connue sous le sigle STEP.
Robin J. MacKnight, avocat, Society of Trust and Estate Practitioners (STEP) et directeur, STEP Canada : Monsieur le président, je suis l'un des administrateurs de STEP Canada. Monsieur le président, c'est un plaisir d'intervenir en premier, avant le ministère des Finances.
Je voudrais vous présenter M. Lebreux, ancien président de STEP Canada et membre du conseil mondial, et Stewart Lewis, qui est directeur général de STEP. Je suis ici à titre de membre du conseil d'administration de STEP Canada.
C'est la première fois que STEP comparaît devant le comité sénatorial, et cette première comparution s'explique uniquement par le fait que c'est la première fois que ce projet de loi est à l'étude au comité.
Nous voudrions traiter de la partie du projet de loi C-10 qui porte sur les entités de placement étrangères, que les fiscalistes désignent par le sigle EPE, et les fiducies non-résidentes, que l'on appelle les FNR. Ce sont les deux domaines dont nous voulons discuter.
Ces deux concepts ont été introduits pour la première fois dans le budget de février 1999 et il a fallu huit ans pour que cela aboutisse devant votre comité. Ce fut un cheminement long et tortueux. Il y a eu six versions différentes du projet de loi ou de l'avant-projet de loi. J'ai ici la version qui a été publiée l'année dernière. Heureusement, les dispositions traitant des EPE et des FNR ne représentent pas la totalité de ce livre, mais quand même une portion très importante.
C'est inutilement compliqué et, à notre avis, fondamentalement défectueux. Je voudrais faire remarquer qu'au cours des huit années qui se sont écoulées depuis, un certain nombre de changements ont été apportés aux règles fiscales canadiennes, à nos règles fiscales internationales, à nos politiques fiscales et à nos procédures administratives, et beaucoup de ces changements font en sorte qu'un bon nombre des règles ou propositions du projet de loi C-10 deviennent non pertinentes ou purement théoriques. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions sur ces points précis.
Pourquoi croyons-nous que ce projet de loi est mal conçu? Abstraction faite du langage compliqué, nous avons ici 150 pages de définitions compliquées, chacune ayant subi d'importantes modifications au cours des six ou huit dernières années. Nous avons un bon nombre de dispositions déterminatives et d'exceptions et nous avons en tout plus de 200 pages de notes explicatives.
Comme certains commentateurs l'ont fait observer, on dirait que le ministère des Finances a perdu tout intérêt ou a renoncé à se tenir à jour et au fait des amendements et des notes explicatives, car un certain nombre de changements qui ont été apportés au projet de loi ne sont pas pris en compte dans les notes explicatives. Par conséquent, les notes explicatives sur lesquelles nous comptons pour nous aider à comprendre et nous retrouver dans ces règles ne s'appliquent plus nécessairement au projet de loi dont la Chambre est saisie.
L'un des concepts fondamentaux de notre régime fiscal est que le revenu est imposé lorsqu'il est entre les mains des récipiendaires à titre de revenu gagné ou réalisé. Les nouvelles règles, en particulier les règles sur les FNR, accélèrent la remise de l'impôt en rendant le revenu imposable avant qu'il soit gagné ou réalisé, ce qui est un concept fondamentalement différent.
En outre, il existe un certain nombre d'exceptions aux règles sur les FNR dont peuvent se prévaloir ceux qui ont le courage de démêler ce fouillis inextricable et qui permettent de se soustraire à l'application des règles sur les FNR. Par conséquent, les quelques heureux élus ou courageux bûcheurs qui auront passé au travers de cette jungle trouveront le moyen de reporter ou d'éviter complètement le paiement de l'impôt. La raison d'être de ces règles était pourtant d'empêcher l'évitement fiscal et les irrégularités.
D'autre part, les règles sur les FNR imposent la responsabilité fiscale à une personne qui, dans bien des cas, n'a absolument pas le pouvoir de forcer la fiducie à payer l'impôt. On pourrait trouver des cas où un résident canadien est un disposant ou un bénéficiaire d'une fiducie non résidente et pourrait encourir le passif de cette fiducie même si celle-ci n'a aucun autre lien avec le Canada et n'a aucun revenu canadien. Nous sommes d'avis que c'est fondamentalement inacceptable.
L'un des commentaires que nous avons entendus est que seuls les gens ayant une valeur nette élevée utilisent les fiducies et que l'on peut donc se demander pourquoi le législateur se soucierait de protéger les intérêts financiers de ces personnes? C'est une observation valable, mais les fiducies ne sont pas seulement utilisées par des gens ayant une valeur nette élevée. Ceux qui ont beaucoup d'argent trouveront toujours le moyen d'embaucher de grands cabinets d'avocats, y compris certains cabinets bien connus de Montréal, pour trouver le moyen de contourner ces règles en toute légitimité. Nous nous préoccupons plutôt des gens qui n'ont pas accès à des conseillers juridiques aussi bien armés. De la façon dont ces règles sont conçues, beaucoup de Canadiens ordinaires, des gens de Weyburn, Estevan, Sault Ste. Marie et Longueuil, vont se faire prendre par ces règles, tout à fait par inadvertance. Ils ne s'apercevront même pas qu'ils sont pris. S'ils ont des conseillers professionnels chargés de remplir leur déclaration de revenu, ceux-ci ne sauront pas que leurs clients sont touchés, ne poseront donc pas les bonnes questions et, en conséquence, des gens se retrouveront par inadvertance en infraction de nos règles fiscales.
Le Canada a toujours eu une réputation enviable pour ce qui est de la conformité volontaire en matière de fiscalité. En fait, l'ARC indiquait dans un rapport publié il y a environ sept ans que notre taux de conformité était supérieur à 95 p. 100. Cela suppose que les gens peuvent comprendre le régime fiscal; qu'ils en comprennent les règles et qu'ils croient que celles-ci sont justes et applicables à tous. À notre avis, ces règles-ci ne respectent pas ces critères. Elles ne sont pas compréhensibles, même pour des fiscalistes chevronnés. On ne peut pas s'attendre à ce que les Canadiens ordinaires puissent les comprendre. Nous ne comprenons pas comment les gens pourraient respecter ces règles. Or s'ils sont incapables de les respecter, c'est une première fissure dans l'édifice de la conformité. La brèche pourrait ensuite s'élargir et les gens se retrouveront dans l'illégalité. S'ils se font prendre, ils se feront infliger des pénalités et de l'intérêt à cause de règles obscures dont ils ne savaient absolument rien. Ce n'est pas la bonne manière de gérer un régime fiscal. Si nous voulons nous assurer que notre régime fiscal soit juste et applicable à tous, nous devons d'abord nous assurer qu'il soit compréhensible pour tout le monde.
Heureusement, grâce à la baisse progressive des taux d'imposition au cours des dernières années et grâce à un certain nombre d'autres changements, le besoin pressant de déménager les revenus et les actifs à l'étranger s'est dissipé, ou tout au moins a sensiblement diminué. C'est l'une des nombreuses réalisations des gouvernements des dix dernières années en matière de politique publique, et cela ne se retrouvera pas dans ces nouvelles règles proposées.
À notre avis, il y a lieu de craindre que ces règles ne ternissent la réputation du Canada dans la communauté internationale.
Elles exposent un certain nombre de contribuables à l'imposition rétroactive. Elles exposent les entreprises canadiennes à des règles qui ne se retrouvent pas dans le régime fiscal d'autres pays. Le régime fiscal canadien risquerait d'être tourné en ridicule à l'occasion. Par exemple, j'attire l'attention des membres du comité sur un avertissement en matière d'imposition qui a été lancé par un cabinet d'avocats européen il y a deux semaines. Ce cabinet a conseillé aux fiduciaires internationaux de se retirer de toute fiducie ayant des liens quelconques avec le Canada, tant qu'ils n'auront pas tiré au clair les répercussions de ces règles parce qu'elles sont tellement lourdes et que les conséquences peuvent en être tellement dramatiques.
Le président : Monsieur MacKnight, vous nous invitez à prendre en considération cet avertissement en matière d'imposition. Avons-nous copie de ce document? Quand des témoins se reportent à un document, nous aimons bien habituellement qu'il soit déposé auprès du greffier.
M. MacKnight : Je vais en donner copie au greffier.
Le président : Pouvez-vous identifier le document?
M. MacKnight : Il émane du cabinet d'avocats Withers LLP.
Le sénateur Goldstein : Nous avons un avis juridique de ce cabinet, mais pas l'avertissement lui-même.
M. MacKnight : En conclusion, nous vous recommandons de renvoyer cette partie du projet de loi C-10, les propositions relatives aux FNR et aux EPE, au nouveau comité que le ministre des Finances a créé pour se pencher sur les règles fiscales internationales et la compétitivité internationale du Canada en matière de fiscalité. Ces règles existent sous forme de proposition depuis huit ans. Il subsiste un certain nombre de plaintes à leur sujet qui n'ont pas été réglées par le ministère des Finances. À notre avis, tout cela devrait être confié à un comité d'experts pour être examiné dans le cadre de l'étude générale du régime fiscal du Canada.
Le sénateur Meighen : Devrait-on renvoyer le projet de loi au complet ou seulement une partie?
M. MacKnight : Seulement la partie qui traite des fiducies non-résidentes et des entités de placement étrangères.
Le président : À votre avis, serait-il facile de scinder cette partie du reste du projet de loi?
M. MacKnight : Cela devrait l'être. Nous pourrions énumérer les articles pertinents du projet de loi.
Le président : Pourriez-vous nous en donner une liste?
M. MacKnight : Je ne les connais pas par coeur, mais je peux fournir ce renseignement au comité.
Le président : Veillons à ce que ce soit fait avant la fin de la séance.
D'après le résumé de votre documentation, vous semblez mécontent de ce projet de loi. Le Sénat est chargé de faire un second examen objectif du projet de loi et nous sommes donc très intéressés à connaître votre avis. Nous supposons, mais je voudrais que vous le confirmiez, que vous avez présenté des instances aux fonctionnaires et que votre position n'est donc pas nouvelle pour eux.
M. MacKnight : Non, ce ne sera pas nouveau pour eux. Nous avons dit tout à l'heure combien de mémoires nous avons déjà envoyés.
Paul Lebreux, ancien président du conseil, Society of Trust and Estate Practitioners (STEP) : Je pense que la Société des praticiens en fiducie et successions a envoyé sept mémoires depuis huit ans.
Le président : Votre organisation est-elle comme l'Association du Barreau; s'agit-il d'une section de cette organisation de juristes? Comparaissez-vous ici bénévolement? Êtes-vous payé ou bien êtes-vous motivé par le désir d'améliorer la législation canadienne?
M. MacKnight : Je pense que les réponses sont oui, oui, non et oui. STEP a été créée à l'origine en Angleterre, il y a 16 ans. Il y a neuf ans, une section de STEP a été créée au Canada. Nous fonctionnons dans notre pays depuis neuf ans. Au Canada, nous avons environ 1 900 membres — les avocats sont plus nombreux que les comptables, ce qui est étonnant, étant donné qu'il s'agit essentiellement d'une organisation qui s'occupe de fiducies fiscales —, mais nos membres sont pour la plupart des avocats, des comptables, des agents qui s'occupent des fiducies et des successions dans les institutions financières, des fiduciaires internationaux, des fiduciaires professionnels et des conseillers financiers. Parmi les avocats, on trouve des fiscalistes et des praticiens des fiducies et de la planification successorale. Les comptables ont les mêmes spécialités et les planificateurs financiers s'occupent de succession. Et puis il y a des gens qui s'occupent d'administrer les fiducies dans les institutions financières — ce sont des fiduciaires professionnels.
Le président : Pour être bien clair, vos critiques à l'endroit du projet de loi sont très tranchées. Le comité directeur a été quelque peu étonné et s'est demandé pourquoi, si la situation est aussi mauvaise que vous le dites, il n'y a pas eu davantage de témoins qui faisaient la queue pour comparaître devant nous, par exemple l'Association du Barreau, les associations de comptables et diverses autres organisations. Peut-être direz-vous qu'ils sont tous représentés par STEP. Si tel est le cas, cela pourrait expliquer pourquoi nous n'avons entendu personne de ces autres organisations.
M. MacKnight : J'aimerais pouvoir dire qu'elles sont toutes regroupées dans STEP, mais ce serait grandement exagéré. Pour ce qui est de l'Association du Barreau, cela lui prend tellement de temps pour se décider à agir qu'il lui a été impossible de respecter l'échéance.
J'ignore pourquoi le comité conjoint de l'ICCA et de l'Association du Barreau canadien n'est pas présent. Ce comité a également présenté plusieurs mémoires au ministère des Finances. Je ne crois pas qu'il ait comparu devant l'un ou l'autre des comités de la Chambre des communes pendant le cheminement législatif de ce projet de loi. J'ignore pourquoi ses membres ne sont pas présents non plus devant ce comité-ci, aujourd'hui ou demain.
À vrai dire, nous avons rédigé notre mémoire en des termes plutôt carrés pour être certain d'attirer votre attention.
Le président : M. Gagnon est le prochain à prendre la parole. Son exposé est-il tout à fait séparé, ou bien complémentaire? Préféreriez-vous que nous vous posions des questions avant qu'il ne prenne la parole?
M. MacKnight : Non. M. Gagnon est lui aussi membre de STEP, à la section de Montréal, mais il a un exposé séparé. Il serait peut-être mieux de l'entendre d'abord, après quoi nous pourrions répondre aux questions ensemble.
Le président : On a laissé entendre qu'il y a eu des litiges en rapport avec ce projet de loi. Savez-vous si c'est le cas?
M. MacKnight : Pas à notre connaissance.
Charles C. Gagnon, avocat, Stikeman Elliott : Nous avons été parties dans des litiges.
Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas certain que nous comprenions tous la problématique. C'est un projet de loi très compliqué et j'aimerais bien qu'on en examine les aspects plus théoriques, si vous le voulez bien.
Le président : Ça va. Ces observations préliminaires vont nous aider tous.
Le sénateur Massicotte : Je pense que vous avez exposé directement vos préoccupations quant à ce projet de loi, mais vous avez posé au départ une hypothèse importante, à savoir que nous comprenons parfaitement le projet de loi, et je ne suis pas sûr que ce soit le cas. C'est très compliqué.
Nous convenons tous que si des Canadiens tirent profit d'une échappatoire ou bien manipulent la loi de manière à obtenir un meilleur traitement que d'autres Canadiens, il faut corriger la situation, et telle était justement l'intention de cette mesure. Jusqu'à maintenant, c'est facile. Évidemment, vous dites qu'en tentant d'atteindre cet objectif, on propose un projet de loi qui, comme vous l'avez dit tout à l'heure, complique énormément la question.
Aux États-Unis, on dit que dès qu'un Canadien est bénéficiaire d'une fiducie, celle-ci est considérée canadienne aux fins de l'impôt. Est-ce exact?
M. MacKnight : C'est exact.
Le sénateur Massicotte : Expliquez-nous le problème. Choisissez un exemple précis, de manière à capter notre attention et à nous montrer qu'il existe un grave problème.
M. MacKnight : Je reviens à votre première observation. Nous convenons avec vous que tout dispositif, qu'il s'agisse d'une fiducie ou d'une société, qui est utilisé de manière irrégulière pour éviter de payer de l'impôt ou en reporter le paiement, doit être éliminé. STEP et ses membres sont d'accord avec cette proposition. Nous ne sommes pas d'accord avec l'hypothèse sous-jacente à ce projet de loi, à savoir que toutes les fiducies sont mauvaises. Nous ne sommes pas d'accord non plus avec le concept voulant que, simplement parce qu'il existe un lien très indirect avec le Canada, une fiducie ou toute autre entité internationale doit automatiquement être assujettie aux règles fiscales canadiennes.
Nous croyons que dans certaines circonstances, des organisations internationales, sociétés ou fiducies, doivent effectivement être imposées au Canada sur leur revenu canadien.
Ce qui nous préoccupe dans ces règles, c'est qu'il peut exister une fiducie qui n'a qu'un lien accessoire avec le Canada, par exemple un disposant canadien. Prenons l'exemple d'un pêcheur de Nouvelle-Écosse qui a vendu ses permis de pêche et a pris sa retraite. Avec sa famille, il est allé s'installer aux États-Unis. Étant donné que l'un de ses enfants souffre d'une maladie dégénérative, il a créé une fiducie pour que son enfant ne manque de rien.
Le sénateur Massicotte : Est-ce une fiducie américaine?
M. MacKnight : Oui, c'est une fiducie américaine parce qu'ils ont déménagé aux États-Unis; cependant, ils sont revenus au Canada pour une raison précise, laissant la fiducie derrière eux. Cette fiducie est imposable au Canada, même si le bénéficiaire de la fiducie est aux États-Unis. La masse fiduciaire est aux États-Unis. L'intention de la fiducie était de subvenir aux besoins d'une personne aux États-Unis. Pourquoi cette fiducie devrait-elle être imposable au Canada?
Le sénateur Massicotte : Concentrez-vous sur les questions importantes, autrement vous allez nous perdre. D'après mon interprétation du projet de loi, si un Canadien contribue à une fiducie, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde, si ce Canadien a un lien quelconque, la fiducie est réputée être une entité canadienne et elle est imposée aux termes de la législation fiscale canadienne, quel que soit le bénéficiaire.
Je présume que l'intention du projet de loi en 1999 était de faire obstacle à la manoeuvre suivante : il y avait une méthode pour créer une fiducie à l'étranger, dans un pays où la loi était telle que l'intérêt n'était pas imposable et que les Canadiens n'étaient pas réputés toucher un revenu, et c'était une manière pour les Canadiens de mettre de l'argent de côté, de ne pas payer d'impôt et de transformer l'intérêt produit par le capital. Essentiellement, les gens reprenaient un jour leur argent et ne payaient jamais d'impôts. Je suppose que tel est le problème que vous essayez de corriger. Est- ce bien cela?
M. MacKnight : C'est bien cela. Les règles étaient conçues pour s'en prendre aux fiducies créées à des fins d'évitement fiscal. Nous disons que les fiducies créées uniquement à des fins d'évitement fiscal peuvent déjà être contestées. Il existe bien des manières d'en contester la validité aux termes de la loi actuelle et des règles existantes.
Le sénateur Massicotte : Vous dites que la législation actuelle ne permet pas de s'en prendre à ces dispositifs d'évitement fiscal?
M. MacKnight : Je pense que c'est le contraire. Il n'a pas été démontré que notre législation actuelle n'est pas satisfaisante.
Le sénateur Massicotte : Les gens du ministère des Finances sont assez brillants. Depuis 1999, ils ont fait un certain nombre d'interventions et ils se disent convaincus qu'il faut agir parce qu'ils ont fait de nombreuses tentatives pour trouver une solution au problème. Vous reconnaissez l'existence du problème, mais vous n'êtes pas d'accord avec la méthode proposée.
M. MacKnight : Je ne suis pas certain que nous reconnaissions même l'existence du problème. Nous reconnaissons qu'il y a des gens qui évitent de payer de l'impôt en faisant des transactions.
Le sénateur Massicotte : Vous convenez qu'il faut faire quelque chose.
M. MacKnight : Je ne suis pas sûr que nous soyons d'accord pour dire que les règles existantes ne peuvent pas être invoquées pour remédier à ce problème.
Le sénateur Massicotte : En êtes-vous sûr?
M. MacKnight : On n'a pas démontré que la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas satisfaisante.
Le sénateur Massicotte : Pourquoi Revenu Canada n'est-il pas intervenu énergiquement?
M. MacKnight : Je renvoie la question à nos collègues du ministère des Finances. J'ai hâte d'entendre une réponse à cette question parce que nous l'avons posée dans le passé et n'avons pas reçu de réponse.
Le sénateur Massicotte : Vous pensez que les règles sont satisfaisantes et que l'on s'attaque au problème à coups de masse. Par conséquent, vous trouvez que l'on impose tous les actifs étrangers au lieu de s'attaquer précisément au problème.
M. MacKnight : C'est exactement l'une de nos préoccupations.
Le président : C'est un projet de loi volumineux qui comporte de nombreux éléments. Or vous dirigez vos critiques vers les dispositions relatives aux entités de placement étrangères et aux fiducies non-résidentes, n'est-ce pas?
M. MacKnight : C'est exact. Nos observations visent uniquement ces éléments.
Le président : Quant à vous, le reste du projet de loi est acceptable.
M. MacKnight : Les autres dispositions ne nous tracassent pas autant.
Le sénateur Meighen : Vous avez posé la question que je voulais poser, mais je ne sais pas si cela concerne la moitié du projet de loi, le tiers ou un cinquième.
Le président : Je pense que c'est une partie importante du projet de loi.
M. MacKnight : C'est une partie importante du projet de loi.
Le président : Nous préparons la place de M. Gagnon. Est-ce que tout le monde est prêt à procéder?
M. Lebreux : En 1999, quand le budget a été présenté et que l'on a attiré l'attention des Canadiens sur cette question, on supposait au départ que quiconque avait une fiducie à l'étranger avait fait cela à des fins d'évitement fiscal ou d'évasion fiscale. Je pense que c'est ce qui a amené cette ébauche de projet de loi et tout ce mouvement au cours des huit dernières années. La réalité qui avait échappé aux autorités est qu'il existe un certain nombre de fiducies qui ont été créées pour des raisons très diverses; certaines par défaut, par exemple dans le cas de successions, et toutes ces fiducies sont englobées dans la même mesure. Voilà ce qui a créé le problème.
La Loi de l'impôt sur le revenu a été modifiée considérablement depuis dix ans pour s'attaquer à ce que l'on pourrait considérer comme des fiducies non-résidentes très agressives. Cependant, pour l'instant, on n'a pas encore légiféré à cet égard. Je pense que dans une grande mesure, si le projet de loi reste tel quel — à supposer qu'il soit adopté — la plupart de ces fiducies seraient bloquées. Nous n'avons pas le même secret qu'il y a 15 ans. Le Canada a fait un travail extraordinaire pour garantir qu'il y ait une plus grande circulation de l'information fiscale et beaucoup de ces structures ont disparu. Je ne crois pas que les mesures envisagées dans ce projet de loi soient adéquates et correspondent à la situation d'aujourd'hui.
[Français]
M. Gagnon : Je suis tout à fait d'accord avec les commentaires qui ont été faits par mes collègues de STEP.
Dans la mesure où vous décidez de ne pas référer cette législation au nouveau comité et de continuer l'étude de cette législation, j'aimerais attirer votre attention sur des points précis de la législation où des amendements sont nécessaires.
Comme c'était indiqué, lorsque les changements à la législation sur les entités de placement étrangères et les fiducies non résidentes ont été annoncés, en 1999, le seul but, tel qu'énoncé dans le budget, était d'éviter l'accumulation sans impôt de revenus dans des fiducies ou autres entités à l'étranger, principalement dans des paradis fiscaux. Le budget contenait cette référence très claire, dont l'extrait se trouve annexé à mes représentations où nous avons fait une référence très claire selon laquelle tout ce qu'on visait, c'était l'accumulation à l'intérieur de paradis fiscaux de revenus passifs.
Donc, depuis que le budget a été déposé, il y a huit ans, des modifications importantes ont été faites au but poursuivi par la législation, et ce, sans annonce détaillée du pourquoi des changements opérés par rapport à l'objet poursuivi initialement.
L'un des changements fondamentaux, qui ont été apportés, était d'assujettir les fiducies américaines à la nouvelle législation et ne pas donner l'exemption prévue dans le budget de 1999.
Un autre changement fondamental a été d'imposer le revenu étranger gagné par une fiducie étrangère et versé à des bénéficiaires non-résidents.
À mon avis, il s'agit de deux changements fondamentaux de politique fiscale qui ne sont aucunement justifiables. À ce sujet, j'aimerais qu'on prenne un peu de recul et qu'on regarde les principes fondamentaux qui sous-tendent notre régime d'imposition.
Au Canada, de manière générale, notre loi de l'impôt est basée sur l'imposition des résidents sur leurs revenus de source mondiale et l'imposition des non-résidents sur leurs revenus de source canadienne. Nulle part, dans notre loi de l'impôt, on impose des non-résidents sur des revenus de source étrangère. Si cette législation n'est pas modifiée, cela créera un précédent dangereux. Cela risque d'envenimer nos relations avec nos partenaires, parce que ces règles ne s'appliquent pas strictement aux paradis fiscaux, mais à toutes les juridictions.
Lorsque le gouvernement avait annoncé que ces règles ne devraient pas s'appliquer aux fiducies américaines, on a cru à un premier pas pour étendre l'exemption à d'autres pays que les États-Unis, un peu à la manière de certains autres pays industrialisés comme l'Australie, par exemple, doté d'une liste de pays où leurs règles un peu semblables ne s'appliquent pas. Le Canada apparaît d'ailleurs sur cette liste australienne.
Maintenant, on dirait que le ministère des Finances a fait marche arrière et, plutôt que d'encadrer adéquatement l'exception pour les fiducies américaines, devant la complexité de la tâche, ils ont tout simplement abandonné et décidé de ne plus faire bénéficier les fiducies américaines d'une exception, par conséquent de ne pas avoir à regarder les règles d'autres juridictions. Cela fait en sorte que, non seulement ces règles s'appliquent maintenant dans un contexte de paradis fiscaux comme elles devraient le faire, mais également aux fiducies établies dans toutes sortes de pays qui ont des taux d'impôts comparables ou même plus élevés que le Canada. Vis-à-vis de ces pays, si vous leur dites que l'entité est maintenant assujettie à l'impôt canadien, même s'il n'y a aucun bénéficiaire canadien, aucun actif au Canada, aucun revenu de source canadienne et aucun fiduciaire au Canada, vous pouvez comprendre que c'est perçu par nos partenaires comme étant complètement inacceptable.
À cet égard, nous avons été impliqués dans un cas où l'application potentielle de ces règles faisait en sorte qu'une fiducie était à la fois résidante au Canada et aux États-Unis. Le gouvernement canadien a catégoriquement refusé de négocier avec les Américains la double résidence de la fiducie, donc la résidence en vertu des anciennes règles et également de ces règles. La position canadienne de ne pas négocier a été communiquée aux Américains, qui ont envoyé la réponse dont je vous ai joint une copie en annexe de mes représentations, selon laquelle les Américains considèrent que la position canadienne est tout à fait inacceptable et va à l'encontre à la fois de la lettre de notre traité avec les États-Unis et de l'esprit du traité.
Il s'agissait d'un cas un peu prématuré, mais on peut imaginer qu'on va avoir des réactions semblables de nos autres partenaires commerciaux et de traités. Avoir une confrontation avec nos partenaires de traité n'est pas en soi mauvaise si on a des intérêts légitimes à le faire, mais ici, il faut se poser la question : est-ce que, oui ou non, on est légitimement en droit de taxer des entités étrangères établies dans des juridictions qui ont des impôts sur le revenu comparables avec le Canada et où il n'y a pas de bénéficiaire canadien et pas de revenu de source canadienne? Je pense que poser la question, c'est y répondre.
J'aimerais, avant de terminer, attirer votre attention sur des cas typiques de problèmes soulevés par ces nouvelles règles, pour illustrer encore mieux le non-sens de leur application, à moins que des changements ne soient effectués. À de nombreuses occasions, dans les derniers mois, des investisseurs institutionnels canadiens se sont vu refuser l'accès à des fonds d'investissement étrangers qui étaient structurés sous forme de fiducie, pour la seule et unique raison que les fonds d'investissement étrangers ne voulaient pas s'exposer à l'application de ces règles en acceptant les souscriptions des Canadiens. On se retrouve dans la situation où ces règles font en sorte que nos investisseurs, à la fois institutionnels et privés, n'ont pas accès aux investissements qu'ils perçoivent comme étant optimaux, pour la simple et unique raison que les entités étrangères ne veulent pas courir le risque d'être imposées au Canada sur l'ensemble de leurs revenus par l'application de ces règles.
Un autre exemple qui cause problème, c'est dans un contexte familial où des gens créent légitimement des fiducies dans le pays où le bénéficiaire réside. Par exemple, un Canadien dont tous les enfants habitent maintenant aux États- Unis et qui décide de créer une fiducie pour le bénéfice de ses enfants se retrouve lui-même assujetti à l'impôt au Canada sur les revenus de la fiducie, même s'il n'a aucun intérêt dans la fiducie et même si la fiducie paye ses impôts aux États-Unis — qui, comme on l'a indiqué plus tôt, connaissent maintenant des taux assez comparables à ceux qu'on retrouve au Canada étant donné nos baisses de taux au Canada. En fait, les taux américains risquent de remonter davantage que les taux canadiens dans le contexte actuel.
Dans de nombreux pays, côté européen ou ailleurs, les taux sont en fait plus élevés que les taux canadiens. En 1999, lorsque les règles ont été introduites, à l'occasion de la conférence annuelle de l'Association fiscale canadienne, j'avais posé la question à la personne qui avait rédigé les règles à l'époque, Simon Thorsteinssons, de savoir si l'exception américaine allait être étendue à d'autre pays sur la base de la considération que, si on acceptait de ne pas appliquer ces règles aux fiducies américaines, on devrait donner le même traitement à des fiducies d'autre pays qui ont un niveau d'imposition comparable. La réponse était qu'on allait prendre la question en délibéré et considérer effectivement que, sur une base de politique fiscale, si on allait exempter les États-Unis on devrait également exempter d'autres pays avec des niveaux d'imposition élevée. Devant la complexité de la tâche, comme je l'indiquais tout à l'heure, on a tout simplement laissé tomber.
La proposition, qui est faite dans mes représentations, c'est simplement de réintroduire l'exception pour les fiducies américaines et potentiellement regarder, sur une base juridiction par juridiction, d'autre pays qui pourraient plus tard être ajoutés; et, pour s'assurer qu'il n'y ait pas d'abus, de tout simplement prévoir que, dans la mesure où une fiducie veut se prévaloir d'une exception pour fiducie américaine ou fiducie d'un autre pays à taux d'imposition élevée, il y ait effectivement des impôts payés par la fiducie ou par ses bénéficiaires dans le pays en cause. Dans la mesure où des impôts sont payés dans le pays en cause à un niveau comparable au niveau canadien, je ne vois aucune justification possible pour maintenir l'application de ces règles à des pays semblables.
L'autre proposition qui est faite est de restreindre l'application de ces règles ou que ces règles ne s'appliquent pas dans un contexte où le revenu gagné dans une année est du revenu de source étrangère, et que ce revenu de source étrangère est payé dans l'année à un bénéficiaire qui est à l'étranger. Cette règle ne devrait pas s'appliquer dans un tel cas de figure simplement parce que, dans la mesure où le revenu a été gagné et distribué dans l'année à un non-résident, on a une certitude que le revenu ne reviendra pas à un Canadien, ce qui était la préoccupation du départ, c'est-à-dire ne pas permettre une accumulation sans impôt de profiter, en fin de compte, à un Canadien.
Il s'agit des deux points essentiels qui devraient être remédiés dans la législation, dans la mesure où vous décidez de ne pas la rejeter d'emblée.
Le président : Monsieur Gagnon, j'aimerais vous poser la même question qu'à M. MacKnight : est-ce que vous avez soulevé ces deux points primordiaux avec les fonctionnaires du ministère des Finances?
M. Gagnon : Effectivement, à l'occasion de la conférence annuelle de l'Association fiscal canadienne, j'étais la personne qui avait posé ces mêmes questions aux gens responsables à l'époque. Cela a été rejeté d'emblée; en fait, ils ont resserré les règles par la suite. L'imposition du revenu étranger remis à un bénéficiaire non-résident est arrivée subséquemment. Les règles ont muté au fil de ces huit ans, non pas pour faire des assouplissements, même s'il y en a eu quelques-uns, mais pour l'essentiel ces règles ont été resserrées, selon moi sans justification à l'intérieur du ministère des Finances.
Le président : Donc nous devons comprendre que, malgré vos efforts sérieux, les fonctionnaires en question n'ont montré aucun intérêt à discuter et à régler vos problèmes. Est-ce que j'ai bien compris? Car nous devons aborder nos questions en ayant bien compris cela.
M. Gagnon : Je crois qu'il n'y avait pas de mauvaise intention.
Je pense qu'il y a une certaine hantise, à l'intérieur du ministère des Finances, de créer quoi que ce soit dont les praticiens ou les contribuables pourraient abuser. Et plutôt que de créer des exceptions qui se justifient, on décide tout simplement de rejeter le concept d'emblée et de ne pas se lancer dans de la rédaction d'exceptions. Je pense que c'est cela.
Il y a un autre point qui est important, et le document est annexé à mes représentations;
L'Association du Barreau canadien et l'Institut Canadien des Comptables Agrées, par le biais de leur comité conjoint, ont fait plusieurs représentations au fil des années au ministère des Finances sur plusieurs des changements qui devraient être apportés à ces règles. On se pose la question sur l'absence du comité conjoint du CBA-CICA, hors de toute évidence, ils ont fait plusieurs représentations qui ont été, pour l'essentiel, ignorées par le ministère des Finances.
[Traduction]
Le président : Ils ont renoncé avant de venir à notre comité.
Honorables sénateurs, nous avons le dilemme suivant. Le secrétaire parlementaire, M. Menzies, est arrivé. Il peut seulement rester 30 minutes. Nous pourrions procéder de la manière suivante : on demanderait aux témoins de céder la place à M. Menzies qui ferait son exposé, et les fonctionnaires resteraient et feraient à leur tour leurs exposés après M. Menzies. Ensuite, on reviendrait sur toutes les questions que les témoins ont soulevées et M. Menzies aura la possibilité de répondre. Est-ce que tout le monde est d'accord avec cela? Dans l'affirmative, je demanderais aux fonctionnaires du ministère et à M. Menzies de bien vouloir prendre place à la table.
Mesdames et messieurs, j'ai omis de le dire tout à l'heure, mais je dois vous faire savoir à tous que nos travaux sont accessibles non seulement à ceux qui sont ici dans la salle, mais qu'ils sont aussi diffusés sur la toile et au réseau CPAC. Beaucoup de Canadiens intéressés suivent attentivement nos délibérations et je tiens à ce que vous en soyez conscients. À tous les auditeurs, je souhaite également la bienvenue.
Sans plus tarder, j'accueille Ted Menzies, de la circonscription de McLeod. Vous êtes le secrétaire parlementaire du ministre des Finances, M. James Flaherty. Nous sommes ravis de vous accueillir au comité, monsieur. Nous procédons aujourd'hui de manière peu orthodoxe à cause des nombreuses contraintes que nous avons à l'approche de Noël. Je sais que c'est votre troisième ou quatrième intervention devant des comités aujourd'hui et que vous remplacez le ministre des Finances à gauche et à droite. À l'origine, vous étiez censé constituer le premier groupe de témoins et présenter la position du gouvernement sur ce projet de loi; cependant, avec l'accord de tous et pour sauver du temps, nous avons commencé à 16 heures à entendre les témoins de deux organisations.
Avant de vous céder la parole, je pense qu'il est juste de vous avertir que ces témoins sont très critiques à l'endroit du projet de loi. Ce sont des gens très sérieux qui représentent une organisation mondiale appelée STEP, sigle de Society of Trust and Estate Practitioners. Il y a également ici un avocat qui est non seulement membre de cette société, mais aussi une personne qui représente à la fois des clients privés et l'Association du Barreau. Nous n'avons pas encore interrogé ces témoins, mais ils sont très critiques à l'égard du projet de loi. Vos fonctionnaires étaient dans la salle à ce moment- là et ont pu entendre ce témoignage. Plus tard, nous aurons l'occasion d'interroger ces premiers témoins ainsi que vos fonctionnaires. Si vous devez partir à 17 h 30, nous vous laissons le soin de décider si vous voulez avoir l'occasion de discuter des éléments controversés. Pourquoi ne pas commencer, monsieur Menzies, et l'on verra où cela nous mènera, compte tenu des contraintes.
Ted Menzies, député, secrétaire parlementaire du ministre des Finances : Merci, monsieur le président. Je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion de comparaître devant le comité. Premièrement, je vous demande de m'excuser si je dois partir à 17 h 30. La dernière fois que j'ai comparu devant un comité du Sénat, j'ai dû m'éclipser en vitesse à cause d'un vote d'urgence à la Chambre que j'ai d'ailleurs fini par rater. Vous savez que c'est de la folie ces jours-ci. Je suis conscient des difficultés et je vous félicite des efforts que vous faites pour tenir compte des contraintes d'aujourd'hui.
Nous avons ici des fonctionnaires qui seront en mesure de répondre en détail aux questions et je pense donc que mon absence après 17 h 30 ne nuira pas aux travaux des sénateurs. Nous avons ici des gens très compétents et capables de répondre à des questions difficiles.
Le président : Je sais que vous savez comment cela fonctionne ici. Cependant, j'insiste sur le fait que, contrairement à d'autres projets de loi pour lesquels vous avez comparu devant nous, il semble y avoir de très graves critiques à l'endroit de ce projet de loi-ci. En conséquence, il est bien possible qu'on en fasse rapport avec propositions d'amendement — qui sait? Je tiens à ce que vous soyez bien conscient de cette possibilité.
M. Menzies : Je comprends cela et c'est précisément la raison d'être des comités, c'est-à-dire de s'assurer d'avoir la meilleure mesure possible pour les Canadiens. Je respecte assurément cela. Je tiens à dire par ailleurs que ce projet de loi recueille beaucoup d'appuis. Je suis sûr que vous aurez aussi l'occasion d'entendre des témoins favorables au projet de loi. Si certains en critiquent certains éléments, n'oublions pas l'importance d'adopter ce projet de loi le plus rapidement possible. Nous attendons depuis longtemps que cela se fasse. Je vais faire rapidement mon allocution, après quoi nous répondrons aux questions.
Dans le projet de loi C-10, on propose de prendre des mesures portant sur l'imposition des fiducies non-résidentes et des entités de placement étrangères, et d'apporter des modifications d'ordre technique à la Loi de l'impôt sur le revenu. Je vais être bref afin de laisser du temps pour les questions que vous pouvez avoir au sujet de ce projet de loi.
Ce projet de loi fait partie des efforts déployés par notre gouvernement pour faciliter la mise en place d'un régime fiscal plus juste et plus compétitif. Comment nous y prenons-nous? Indéniablement, la baisse des impôts est un élément de la solution. Notre gouvernement a toujours eu la conviction que les Canadiens ont un fardeau fiscal excessif. Nous croyons qu'en abaissant les impôts, on allège le fardeau supporté par tous les contribuables, ce qui les encourage à travailler, à économiser et à investir. Des impôts plus bas aident aussi les entreprises et les entrepreneurs à assurer la croissance de leurs entreprises, ce qui encourage du même coup l'investissement au Canada, ce qui débouche sur une meilleure croissance économique et la création d'emplois.
En fait, Jack Mintz, professeur d'économie de l'entreprise à la Rotman School of Management, a fait observer que le Canada devrait éviter d'imposer un fardeau fiscal exagéré. Les taux d'imposition devraient être gardés raisonnablement bas pour encourager l'investissement et la création d'emplois.
Nous sommes extraordinairement fiers de la solide croissance de l'emploi qui se manifeste aujourd'hui au Canada. D'après Statistique Canada, 42 600 nouveaux emplois ont été créés le mois dernier. En dépit de ce que d'aucuns peuvent prétendre, se sont surtout des emplois de grande qualité. Comme le fait remarquer Jacqui Douglas, économiste à la TD Securities, la croissance de l'emploi provient essentiellement d'emplois à plein temps, par opposition aux emplois à temps partiel et surtout, le secteur privé a ajouté un nombre important d'emplois. En outre, depuis le début de l'année en cours, 388 000 emplois ont été créés au Canada, ce qui est un chiffre extraordinaire. Au cours des trois derniers mois, nous avons assisté à une croissance de l'emploi que l'on observe habituellement sur une année entière.
Nous avons l'intention de mettre en oeuvre des politiques qui continueront à préserver et à renforcer notre croissance économique. C'est pourquoi, depuis son arrivée au pouvoir, notre gouvernement a pris des mesures pour alléger le fardeau fiscal global qui pèse sur les Canadiens et les entreprises canadiennes, pour une baisse d'environ 190 milliards de dollars, ce qui amène les impôts à leur plus bas niveau en 50 ans. Dans l'énoncé économique de cet automne, nous avons pris des mesures pour honorer notre promesse électorale de réduire la TPS à 5 p. 100 — encore une baisse de taxe qui va bénéficier à tous les Canadiens.
Le président : Je ne veux pas vous interrompre, mais plusieurs de mes collègues m'ont fait passer des notes pour me dire, et je suis d'accord avec eux, que si ce que vous nous dites est intéressant, cela n'a rien à voir avec le projet de loi. Étant donné les contraintes de temps, si vous voulez poursuivre, très bien et vos propos seront consignés au compte rendu. Nous essayons de nous concentrer sur le noeud de l'affaire, notamment les fiducies non-résidentes et les entités de placement étrangères.
M. Menzies : J'étais disposé à faire une allocution, mais je peux en remettre le texte au comité, si vous le souhaitez.
Le président : Nous l'avons et nous l'intégrerons au compte rendu.
M. Menzies : Je vous encourage assurément à lire ces chiffres, parce qu'ils sont très importants et pertinents au projet de loi C-10. Cependant, vous préférez peut-être passer directement aux questions.
Le président : Si vous avez des observations qui portent directement sur le projet de loi, je n'ai pas d'objection à les entendre. Nous avons entendu la semaine dernière le ministre Flaherty.
M. Menzies : Très bien. J'essaie de confirmer les bonnes nouvelles que notre gouvernement nous apporte.
Le président : Nous sommes heureux de les entendre, mais nous devons passer au projet de loi.
M. Menzies : Je vais donc m'en tenir là, si vous souhaitez passer aux questions. Je tiens à m'assurer que vous lirez tous les bons arguments que nous avons apportés.
Le président : Il y a dans votre texte un passage, à partir de la page 5, qui porte sur les fiducies non-résidentes et les entités de placement étrangères.
Le sénateur Goldstein : Encore une fois, ce sont des principes avec lesquels nous sommes d'accord. Ce n'est pas contre les principes que nous en avons, mais plutôt les détails. Nous n'avons pas besoin d'être persuadés qu'il faut une fiscalité juste. Ce qui nous inquiète, c'est qu'on puisse viser par inadvertance des arrangements légitimes. Nous ne sommes pas experts en la matière, mais on nous dit que le projet de loi à l'étude, dans sa forme actuelle, risque justement de faire cela.
Ce qui est en cause, c'est moins de 50 articles du projet de loi, qui en renferme plus de 200. Il s'agit donc d'un quart du projet de loi seulement, et ce n'est même pas l'intégralité de ces 50 articles qui est visée. Nous essayons de cibler précisément le problème et je propose que nous acceptions votre offre d'interroger immédiatement vos fonctionnaires qui pourront nous parler des détails qui nous intéressent.
Le sénateur Harb : J'ai une question qui s'adresse aux fonctionnaires. Un élément traite de l'exposé de M. Menzies. Reprenons le scénario d'un citoyen canadien qui a des enfants qui résident aux États-Unis; ils ont donc le statut de non-résidents au Canada. Le parent établit une fiducie aux États-Unis pour ses enfants. Pourquoi le revenu provenant de cette fiducie devrait-il être imposable si les bénéficiaires du revenu en question sont les enfants qui, en fin de compte, habitent aux États-Unis? Je croyais que l'impôt sur le revenu étranger était perçu si le bénéficiaire du revenu en question était un résident canadien. Un Canadien qui touche un tel revenu provenant d'investissements ou d'autres sources de revenu à l'étranger est imposé en application du régime canadien de l'impôt sur le revenu. Est-ce qu'on essaie de faire ici tout et son contraire?
M. Menzies : Assurément, l'intention générale est de faire en sorte qu'il n'y ait ni double imposition ni évitement fiscal. Nous sommes rassurés quand nous savons que l'impôt est payé dans un pays ou dans l'autre. C'est pourquoi c'est une entente conjointe.
Il y a une exception pour les fiducies familiales de bonne foi pour personnes handicapées et à des fins caritatives.
Gérard Lalonde, directeur, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances Canada : C'est exact. L'alinéa a) de la définition de « fiducie étrangère exemptée » s'applique aux fiducies créées pour subvenir aux besoins d'un enfant handicapé. Une exemption est prévue pour de telles fiducies.
Le sénateur Harb : Il n'est pas question ici d'enfants handicapés; il s'agit plutôt d'enfants qui sont résidents des États-Unis. M. Gagnon va en prendre bonne note et, quand ce sera son tour de parole, il va réfuter ce que vous dites.
Je tiens à être bien clair. Je crois savoir que les tribunaux sont actuellement saisis d'un litige traitant justement d'un tel cas. Peut-être le greffier pourrait-il nous guider, car j'ai beaucoup de questions à poser et je tiens à m'assurer que ce que nous pourrions dire ici ne puisse être utilisé en cour, par M. Gagnon ou contre le ministère des Finances ou l'Agence du revenu du Canada.
Le président : Tout ce qui se dit ici constitue de l'information privilégiée et je ne pense pas que cela puisse être utilisé devant les tribunaux. J'ai demandé tout à l'heure s'il y avait des litiges et on m'a dit qu'il n'y en avait pas.
Le sénateur Harb : Je crois savoir qu'il y a un litige. Peut-être M. Gagnon pourrait-il nous le dire.
M. Gagnon : Il y a un litige concernant un cas de double résidence qui est en voie d'être résolu en application du traité.
Le président : Il ne porte pas sur les questions dont nous discutons ici.
M. Gagnon : Il porte sur ces questions.
Le sénateur Goldstein : Il traite seulement indirectement de ces questions.
M. Gagnon : Le litige porte sur l'article 94 et, si la mesure à l'étude est adoptée, cela deviendra pertinent. Cela met en cause les règles sur les fiducies non-résidentes. En un sens, cette mesure aurait une incidence sur le litige, mais seulement si elle prend force de loi.
Le sénateur Harb : Je tiens à m'assurer que mes observations ne porteront pas préjudice à l'une ou l'autre des parties au litige ou au ministère. Je demande conseil.
Honorables sénateurs, toute cette affaire tourne autour d'une question de confiance, à savoir que la position du gouvernement du Canada et de Revenu Canada est que nous voulons éviter la double imposition. M. Menzies en a parlé brièvement quand il a comparu devant nous la dernière fois. La position des autorités américaines est la suivante : nous avons expliqué tout cela aux Canadiens, les Canadiens ne nous écoutent pas et ils nous disent qu'ils ont fait cela pour telle ou telle raison.
Voici qu'on nous présente maintenant un scénario et qu'on nous dit que les Américains sont d'accord avec nous. Le gouvernement du Canada et ses organismes chargés du revenu sont dans l'erreur, tandis que nous avons raison. Ils comparaissent donc devant nous et nous demandent d'amender le projet de loi. Je suppose que le résultat d'un amendement quelconque pourrait éventuellement résoudre leur problème. Cela n'enlève rien au fait que leur poursuite devant les tribunaux touche au coeur même de ce qui est actuellement à l'étude au comité.
Je demande donc conseil car je me demande si nous devrions même tenir cette audience.
Le président : Vous soulevez assurément un point intéressant. Nous allons peut-être consulter à ce sujet le conseiller juridique du Sénat, M. Audcent.
Étant donné les observations formulées par mon collègue le sénateur Harb, les représentants du ministère des Finances voudront peut-être intervenir. Cette question s'adresse-t-elle à vous? Êtes-vous préoccupé par le litige? Je crois comprendre que nos délibérations sont privilégiées.
M. Lalonde : Pour ce qui est des litiges de manière générale, nous comparaissons régulièrement devant le comité relativement à des projets de loi qui visent à modifier la Loi de l'impôt sur le revenu, apportant souvent toute une liste de modifications à cette loi. Il est probable que, de temps à autre, certaines dispositions auxquelles on apporte des modifications sont en cause dans des litiges. Par conséquent, il est probable que la question a déjà été soulevée. Personnellement, je ne suis pas au courant de précédents. Que je sache, cette question n'a jamais été soulevée au comité. Je ne connais donc pas la réponse à votre question, mais j'incline à croire qu'il est improbable qu'une situation semblable ne se soit jamais produite lors de nos comparutions devant le comité.
Le président : Vous vous êtes accommodés de la situation.
M. Lalonde : Nous nous en sommes accommodés, oui.
Le sénateur Harb : Le témoin se sent donc à l'aise de répondre à cette question?
M. Lalonde : Oui, nous pouvons répondre à la question et nous sommes à l'aise avec cela. Il ne s'agit pas ici d'une personne handicapée. Ce sont des personnes non-résidentes, qui n'ont aucun handicap, dont le père a établi ce compte à leur intention. Pourquoi devraient-elles payer de l'impôt sur cet argent?
Le président : J'ai sur ma liste M. Brian Ernewein, M. Grant Nash et M. Gérard Lalonde.
M. Lalonde : Pour ce qui est de M. Ernewein, comme vous l'avez dit tout à l'heure, le Sénat s'occupe aujourd'hui d'un certain nombre de questions et il comparaît devant un autre comité.
Le sénateur Harb : Dans ce scénario, les enfants n'ont aucun handicap et ne résident pas au Canada. Ils sont aux États-Unis et la fiducie a été établie aux États-Unis à l'intention des enfants. Pourquoi devrions-nous leur réclamer de l'argent alors qu'ils sont non-résidents?
M. Lalonde : Pour préciser ma réponse de tout à l'heure, quand je parlais des enfants handicapés, je répondais à un échange entre vous-même et M. Menzies, en tenant compte des observations faites antérieurement au sujet d'une fiducie de Nouvelle-Écosse qui avait été créée pour un enfant handicapé. Certaines observations de M. Menzies traitaient de votre exemple et d'autres portaient sur l'autre exemple.
Quant à l'exemple d'un Canadien qui contribue à une fiducie dont les bénéficiaires sont des résidents des États-Unis, la question est de savoir pourquoi le Canada chercherait à imposer une telle fiducie.
Premièrement, il faut prendre du recul et voir sur quelle politique ces règles sont fondées. On a évoqué une exemption pour les fiducies américaines, et cela existe en effet. Dans le budget de 1999, on a dit que les fiducies américaines seraient exemptées de ces règles, étant entendu que les États-Unis ont un régime fiscal complet, assurément aussi compliqué et détaillé que le nôtre. Par conséquent, nous ne devrions pas appliquer ces règles aux fiducies en question.
Par ailleurs, il faut tenir compte de la raison d'être initiale de ces règles, à savoir qu'en matière d'imposition des fiducies, il faut savoir qu'une fiducie comporte généralement trois éléments clés. Il y a le contribuant qui verse de l'argent dans la fiducie; les bénéficiaires, qui ont le droit de toucher l'argent émanant de la fiducie; et bien sûr les fiduciaires, qui administrent la fiducie.
Historiquement, on a tenu compte de deux de ces éléments, les fiduciaires ou les bénéficiaires, pour déterminer l'incidence de l'imposition. Le problème auquel on s'est buté durant la préparation du budget de 1999 est que si l'on se fiait à l'existence ou la non-existence de bénéficiaires canadiens, on ouvrait la porte à la possibilité de manoeuvres de planification fiscale pour s'assurer que, bien que le revenu s'accumule dans les fiducies étrangères, il n'y avait aucun bénéficiaire canadien, ou tout au moins aucun bénéficiaire canadien laissant des traces sur papier. Par la suite, certains bénéficiaires canadiens se trouveraient mêlés à un ensemble complexe et c'est à ce moment-là que les capitaux seraient distribués par la fiducie.
Nous nous sommes dit que nous devrions peut-être revoir toute l'incidence de l'imposition des fiducies. Devrions- nous nous attarder seulement à l'existence de fiduciaires ou de bénéficiaires au Canada, ou bien devrions-nous tenir compte des contribuants au Canada?
Il n'est certainement pas absurde de vérifier s'il y a un cotisant canadien. S'il existe une entité canadienne, une personne ou une société, qui a la capacité de gagner un revenu d'investissement et de remettre ensuite ce revenu à un bénéficiaire, peut-être dans un autre pays comme les États-Unis, il est certain que si ce revenu est gagné par cette entité au Canada, il est imposable. S'il était accumulé dans une fiducie canadienne, il serait imposable au Canada.
Devrions-nous retirer ce revenu du cadre canadien simplement parce que les bénéficiaires ne résident pas actuellement au Canada? La décision prise dans le budget de 1999 était que non, que nous devrions vérifier s'il existe un contribuant canadien à la fiducie. En pareilles circonstances, nous jugeons que la fiducie est réputée résidente au Canada. De là découlent tous les cas d'imposition applicables à des entités résidentes au Canada.
Quelle est donc la politique expliquant qu'on puisse imposer une fiducie ayant un contribuant canadien et des bénéficiaires exclusivement américains? Au départ, nous avons posé comme règle, applicable aux fiducies étrangères n'importe où dans le monde, ce qui est un tour de phrase commode mais peut-être pas complètement exact, que l'on ne pouvait pas faire confiance aux fiducies. Nous ne pouvions pas garantir que la situation d'une fiducie à un moment donné correspondrait à sa situation le lendemain, l'année suivante ou dans dix ans. Par conséquent, ce n'est pas en établissant l'incidence de l'imposition à ce moment précis que l'on pouvait gérer de manière efficace le régime fiscal.
Au départ, au moment de l'annonce des règles prévues dans le budget de 1999, on pensait que l'on pouvait probablement exempter les fiducies américaines. Le Canada est juste à côté des États-Unis, nous avons beaucoup de migrations de part et d'autre de la frontière. Beaucoup de familles ont de la parenté dans le pays voisin. Ce pays a un régime fiscal qui est à maturité et qui, comme je le disais tout à l'heure, est certainement tout à fait aussi compliqué et détaillé que le nôtre. Cela semblait donc une bonne idée à ce moment-là d'exempter les fiducies américaines.
La même année, en novembre 1999, et avant qu'une ébauche quelconque du projet de loi ait été publiée, le gouvernement a annoncé qu'il n'allait pas donner suite à l'exemption des fiducies américaines. La raison en est que même si les États-Unis ont un régime fiscal très solide pour ce qui est des fiducies créées par leurs propres résidents, ce régime n'est pas tout à fait aussi solide dans le contexte des fiducies créées par des non-résidents.
Il est possible de manoeuvrer de telle sorte que les États-Unis n'imposeraient tout simplement pas le revenu d'une fiducie, même si elle a été créée aux États-Unis, en particulier si elle compte des bénéficiaires canadiens. On se retrouve donc à la case départ, dépendant de ce que cette fiducie qui est autrement résidente aux États-Unis a pu faire de ses propres investissements. Par conséquent, nous n'avons pas exempté les fiducies américaines, pas même dans la première version du projet de loi.
Comment pouvons-nous justifier d'imposer une fiducie américaine autrement résidente aux États-Unis et dont les bénéficiaires sont américains, mais qui comptent un contribuant canadien? Premièrement, la fiducie a un contribuant canadien — l'argent vient du Canada — et il n'est donc pas tout à fait déraisonnable que nous cherchions à l'imposer. Deuxièmement, on ne peut pas supposer tout simplement que l'existence d'une fiducie aux États-Unis suffit à nous protéger contre le fisc. Troisièmement, nous avons constaté que la situation pouvait changer et qu'elle changeait effectivement dans bien des cas, lorsqu'il n'y avait aucun bénéficiaire canadien, mais seulement des bénéficiaires qui ne résidaient pas au Canada. C'est dans la nature même des fiducies. Le fait qu'une fiducie en particulier ne compte que des bénéficiaires américains à un moment donné ne signifie pas que cette fiducie comptera par la suite des bénéficiaires américains ou seulement des bénéficiaires américains.
Le président : Avant que vous partiez pour le vote, je tiens à vous remercier d'être venu au comité. Nous savons que c'est une journée fort occupée pour vous. Vous avez une idée de ce qui se passe dans la salle. Nous ne préjugeons pas ce projet de loi; nous avons d'autres témoins à entendre. Nous entendrons de nouveau des fonctionnaires et nous avons d'autres témoins demain.
Le groupe STEP a laissé entendre que nous pouvions aller de l'avant et adopter ce projet de loi. Nous pourrions obtenir tout ce que vous qualifiez d'urgent, toutes les modifications, mais en retranchant — tout au moins temporairement, sous réserve d'y revenir par la suite — les éléments qui portent sur les FNR et les entités de placement étrangères, les EPE.
Nous n'en avons pas entendu suffisamment pour décider dans un sens ou dans l'autre. On nous a dit que cela pouvait se scinder facilement. Nous avons demandé à M. Nash ou à M. Lalonde si c'était logique de le faire.
Si vous voulez, nous vous offrons la possibilité de revenir demain matin. Nous siégeons à 10 h 45. Vous pourriez y réfléchir. C'est injuste de vous demander de prendre position aussi rapidement au nom du gouvernement.
M. Menzies : Je vous remercie pour votre indulgence. Je voudrais seulement dire que si l'on retranche quoi que ce soit de ce projet de loi ou si l'on y apporte un amendement, il sera renvoyé à la Chambre pour y être examiné. Cela ne pourra pas se faire avant janvier.
J'espère que vos autres témoins pourront dissiper les doutes et que nous pourrons adopter ce projet de loi. Nous croyons qu'il va assurément dans le sens de l'équité fiscale. Je me rends compte qu'il y a des gens qui trouvent peut-être que ce n'est pas juste. Nous avons mûrement réfléchi à la question; le dossier est à l'étude depuis 1999. Chacun a eu amplement la chance d'y réfléchir. Je vous encourage, à cause de tous les bons éléments qui se trouvent dans ce projet de loi, à l'adopter pour que nous puissions le mettre en place en 2008.
Le président : Ce que vous venez de dire est très utile et vous pourriez peut-être compléter vos observations de la manière suivante. Nous avons reçu des instances. Nous avons envoyé copie des mémoires au bureau du ministre. Ses collaborateurs — pas seulement les fonctionnaires, mais aussi des membres de son cabinet, dont certains sont ici présents, des fiscalistes et autres experts — ont réaffirmé, d'après ce que je crois comprendre, qu'ils sont au courant de ces critiques, mais qu'ils ne sont pas disposés à reculer ou à changer d'avis. Est-ce l'essence de votre témoignage?
M. Menzies : Je pense que ces gens-là sont très souples et très accommodants, mais peut-être pas au point que le voudraient les intervenants. À l'heure actuelle, nous espérons que vous entendrez des témoins qui vous indiqueront que, tout compte fait, ce projet de loi devrait être adopté tel quel, et je vous encourage à le faire. Je dois partir. Je vous souhaite à tous un joyeux Noël. Demain matin, je serai occupé à l'autre endroit, mais je vous remercie pour votre offre.
M. Lalonde : J'en arrivais aux derniers éléments de mon argumentation. Nous en étions venus à la conclusion que l'existence d'une fiducie aux États-Unis n'était pas suffisante pour exclure la possibilité de manoeuvres fiscales. Le fait qu'il n'existait que des bénéficiaires américains ne suffisait pas à exclure la possibilité d'évitement fiscal parce que les bénéficiaires peuvent changer. Par conséquent, il a été décidé de ne pas adopter l'exception envisagée même dans la première version du projet de loi. Au lieu de cela, on prévoit la possibilité pour une fiducie aux États-Unis ou n'importe où ailleurs de réclamer un crédit d'impôt à l'égard de tout impôt payé ailleurs. Par exemple, s'il est vrai que des impôts importants sont payés dans le pays étranger, il sera possible de réclamer au Canada un crédit applicable à l'impôt payé à l'étranger.
Nous avons eu il y a deux semaines une longue discussion avec M. Gagnon sur cette question précise. La question se posait de savoir si, au regard de la loi, le crédit d'impôt peut être applicable à des impôts étrangers payés en sus de 15 p. 100. C'est que, en général, le Canada accorde seulement un crédit de 15 p. 100 pour impôt étranger, applicable au revenu tiré d'un bien. C'est vrai; et il est vrai que cette question a été soulevée il y a quelques semaines. Cela peut indiquer l'une de deux choses. Cela peut indiquer que les pays où ces fiducies sont généralement établies n'exigent pas d'impôts supérieurs à 15 p. 100. Je n'affirmerai pas que c'est le cas, mais il est curieux que le mémoire de M. Gagnon soit le seul que nous ayons reçu sur cette question précise, et c'est peut-être parce qu'il a un crayon plus aiguisé que la moyenne.
Nous avons par ailleurs établi que dans le traité fiscal canado-américain, en particulier dans le nouveau protocole — bien que cela existait auparavant —, il y a possibilité pour le Canada et les États-Unis, aux termes des dispositions relatives à un accord mutuel, de se pencher sur deux éléments. Le premier est la double résidence; et l'autre est de savoir ce qu'on fait de la double imposition.
Sur la double résidence, l'objet de cette disposition est de s'assurer que le Canada ait le droit d'imposer ces fiducies et l'on résout le problème en offrant un crédit pour impôt étranger. C'est pourquoi l'Agence du revenu du Canada n'a pas accepté de renoncer à notre droit de résidence dans les exemples susmentionnés. L'ARC traite avec le fisc des États- Unis, nommément l'Internal Revenue Service ou IRS.
D'après notre expérience avec la politique du Trésor américain et en particulier durant les travaux préparatoires à l'accord sur le traité fiscal canado-américain et le cinquième protocole, ce problème n'a pas été soulevé. Il est certainement vrai que l'IRS a envoyé une lettre se disant déçu que le Canada n'ait pas accepté de renoncer à notre droit de prélever l'impôt en fonction du pays de résidence.
Il n'est pas tout à fait exact de dire que les Américains ont fait cela parce que, de toute évidence, ce ne sont pas tous les Américains qui ont soulevé la question et, en particulier, le département du Trésor n'a absolument pas soulevé la question durant les négociations du récent protocole aux termes du traité fiscal canado-américain.
Il reste donc une dernière question, à savoir si nous pouvons résoudre la double imposition en appliquant les procédures d'accord mutuel du traité fiscal. Nous sommes tout à fait disposés à entamer des négociations avec nos amis américains à cet égard. En outre, étant donné que cette question s'est seulement posée depuis deux ou trois semaines, nous sommes également tout à fait disposés, au niveau du ministère, à voir s'il y aurait moyen d'apporter des améliorations au régime fiscal dans son ensemble pour résoudre des situations où, dans des exemples de ce type, l'impôt étranger payé pourrait dépasser 15 p. 100.
Voilà donc tous les tenants et aboutissants de la problématique, en réponse à la question de savoir pourquoi nous avons décidé d'imposer une fiducie ayant un contribuant canadien et seulement des bénéficiaires américains.
Le sénateur Harb : À vous écouter, vous me faites l'impression d'un type qui n'arrive pas à s'endormir le soir parce qu'il s'inquiète à l'idée que quelqu'un d'autre, quelque part, est peut-être encore éveillé et en train de s'amuser.
Je suis quelque peu perplexe devant votre argument, quand vous dites que vous n'êtes pas certain que les Américains vont imposer la fiducie. Je vous invite à éclairer ma lanterne, si le département du Trésor a déjà adopté une position voulant qu'il soit contre cette mesure et si les fonctionnaires américains ne sont pas d'accord avec l'ARC et le gouvernement du Canada. Notre comité s'est penché récemment sur la problématique de la double imposition; en fait, le président de notre comité était même le parrain du projet de loi. Des fonctionnaires ont comparu devant le comité et tout le monde, sans exception, nous a dit qu'il n'y avait absolument aucun problème, que tout baignait dans l'huile.
Franchement, pour vous dire la vérité, je suis un peu étonné aujourd'hui de lire ce que je lis ici de la part du département du Trésor des États-Unis. Tout cela aurait dû être soulevé à ce moment-là. Au moins, notre comité serait allé au fond des choses dans le dossier de la double imposition et nous aurions pu entendre des fonctionnaires des deux parties. Nous aurions été en mesure d'avoir une discussion approfondie. Je crois savoir que si nous avons adopté le projet de loi, les Américains ne l'ont pas fait.
Quelqu'un comme M. Gagnon et d'autres, je le suppose, se tournera immédiatement vers le gouvernement des États- Unis pour dire que tout ceci est important, et l'on demandera au gouvernement américain de s'assurer que l'on tienne compte de ces préoccupations dans le dossier de la double imposition. En fait, nous sommes en train de créer d'autres problèmes.
Le président : Le projet de loi S-2 auquel vous faites allusion est encore à l'étude à la Chambre. Il n'a pas encore été adopté par la Chambre des communes et je pensais que vous alliez dire — j'aurais voulu que vous le fassiez, mais je vais vous le rappeler — que nous avons tous reçu une série de lettres dans lesquelles on affirme que le projet de loi S-2 pose de graves problèmes, alors qu'on nous avait dit qu'il n'y en avait pas. Vous en rappelez-vous?
Le sénateur Harb : Bien sûr, et j'ai effectivement reçu l'une de ces lettres.
En bout de ligne, nous devons établir un système rationnel. Je comprends que vous êtes chargé d'élaborer des lois fiscales et il arrive à l'occasion que certains se fassent piéger dans ce processus. Vous avez dit qu'il y a toujours un mécanisme pour régler les questions de ce genre et j'ai trouvé vos observations encourageantes.
Ma dernière question porte sur l'ampleur de ce phénomène des fiducies. Combien y a-t-il de ces fiducies? Vous devriez pouvoir le dire puisque vous les imposez. Combien y en a-t-il aux États-Unis et combien percevons-nous en impôts? Combien y en a-t-il ailleurs dans le monde?
M. Lalonde : Vous avez posé au moins trois questions, alors voyons si je peux m'en rappeler et y répondre dans l'ordre.
Sur la première question, quand vous dites que je n'arrive pas à dormir parce que je m'inquiète que quelqu'un d'autre s'amuse, quand on élabore un régime fiscal, il faut toujours être conscient de la capacité d'éviter les obstacles éventuels. La question n'est pas de savoir si l'on s'inquiète à l'idée que les États-Unis puissent imposer ou non une fiducie en particulier. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il existe des possibilités de planification permettant d'utiliser les fiducies américaines de manière à éviter de payer l'impôt au Canada et aux États-Unis, et nous avons déjà éprouvé ce problème auparavant.
Pourquoi créerions-nous délibérément un système qui réinventerait la roue en accordant une exemption totale pour toutes les fiducies américaines? Au lieu de cela, nous avons préféré perfectionner le système d'une manière différente, c'est-à-dire en imposant la fiducie et en accordant un crédit pour impôt étranger.
La deuxième question portait sur la déception causée par ce que l'on a décrit comme une lettre du Trésor américain traitant de cette question, l'auteur de la lettre se disant déçu que le Canada refuse de renoncer au droit de prélever l'impôt en fonction de la résidence d'une fiducie en particulier. Cette lettre émane du Internal Revenue Service.
Le président : Elle émane du Trésor.
M. Lalonde : Je ne peux pas lire ce que vous avez en main, mais vous avez dit que vous lisiez un document. Je pense que l'en-tête dit département du Trésor et, immédiatement en-dessous, Internal Revenue Service.
Or le Internal Revenue Service des États-Unis est l'organisation homologue de notre Agence du revenu du Canada. Ce sont les administrateurs. Il y a aussi la direction du Trésor américain qui s'occupe de l'élaboration des politiques, tout à fait comme Finances Canada. C'est cette direction qui négocie les traités fiscaux. Cette direction n'a exprimé absolument aucune préoccupation relativement à nos règles aux termes du projet de loi C-10 et des EPE et des FNR.
Le sénateur Harb : Je ne veux pas vous contredire, mais nous avons une lettre signée par Tina Byrd, qui est gestionnaire au service des traités fiscaux. Nous avons donc non seulement le sous-commissaire, qui s'occupe des grandes et moyennes sociétés internationales et de ce dossier des acquisitions, mais nous avons aussi une lettre signée par un gestionnaire du traité fiscal.
M. Lalonde : Le gestionnaire des traités fiscaux au Internal Revenue Service.
Le sénateur Harb : C'est le Trésor.
M. Lalonde : C'est une direction du département du Trésor, mais ce n'est pas la direction qui s'occupe des politiques; c'est la direction administrative. C'est comme si l'on recevait une lettre d'un fonctionnaire de l'Agence du revenu du Canada, par opposition à une lettre qui émanerait d'un fonctionnaire du ministère des Finances. L'un des services administre la loi; l'autre élabore la politique fiscale.
Le sénateur Harb : Quelle est l'envergure de la fiducie et combien percevez-vous en impôts sur cette fiducie aux États-Unis et ailleurs?
M. Lalonde : Je n'en ai pas la moindre idée pour cette fiducie en particulier. Premièrement, les renseignements sur les taux d'imposition sont confidentiels et je n'y ai pas accès.
Le sénateur Harb : Je ne parlais pas d'une fiducie en particulier, mais des fiducies en général. Combien percevons- nous en impôts des fiducies? Le savons-nous?
M. Lalonde : Je n'ai pas ces chiffres sous la main. On indiquait toutefois dans le budget de 1999, c'est-à-dire il y a quelque huit ans, que c'était devenu un problème important et grandissant relativement aux fiducies non-résidentes et aux entités de placement étrangères. C'était un problème qui atteignait ce que l'on pourrait appeler le « niveau du détail de la planification fiscale ».
[Français]
Le sénateur Biron : De quelle façon ces règlements sur les fiducies étrangères vont-ils affecter la Caisse de placement et les agences de placement canadiennes en général, qui administrent les fonds qui assurent les revenus de pension que les employés canadiens vont recevoir?
Si les fiducies américaines et d'autres pays refusent les placements de ces agences parce qu'elles seraient obligées de payer des impôts ici, quelle est l'importance, globalement, des fonds de ces compagnies, qui pourraient être affectés, et de quelle façon cela pourrait affecter leur rendement et la sécurité globale de leurs placements en général?
Avez-vous une idée des impacts que cela aura sur ces agences d'investissement?
[Traduction]
M. Lalonde : Pourquoi voudrions-nous appliquer ces règles, qui traitent de l'évitement fiscal et du report d'impôt dans le système canadien, quand le contribuable en cause est un important régime de retraite exonéré d'impôt?
Cette question a été soulevée il y a deux ou trois ans. À cette époque, l'argumentation présentée n'était pas très convaincante. Des instances ont récemment été faites par un important investisseur canadien dans le secteur des pensions. Je ne peux pas vous dire de quel investisseur il s'agit, mais je pense pouvoir vous en donner une idée générale. Nous leur avons posé la question : pourquoi sortez-vous tout à coup de votre manche un mémoire écrit? L'intervenant a répondu qu'à ce moment-là, on n'investissait pas beaucoup dans ce produit, mais qu'aujourd'hui, c'est un produit de plus en plus courant et désirable pour le secteur des pensions. Par conséquent, ils se sont adressés au ministère pour demander une exemption. Il y a toute une échelle à prendre en compte et il faut se demander si l'on exempterait seulement les plus grands régimes de retraite publics ou si l'on doit aller jusqu'aux REER et aux régimes de retraite de particuliers.
Cela peut-il toucher les administrateurs canadiens de grands régimes de retraite, comme vous l'avez décrit? Oui. Nous ne sommes certainement pas contre la suggestion. Je n'ai pas le ministre à mes côtés et seul celui-ci pourrait dire au comité si le ministère approuverait ou non une telle exception et à quel niveau il choisirait de l'appliquer. Nous sommes au courant de la question et nous l'examinons sérieusement.
[Français]
Le sénateur Biron : Est-ce qu'il y a d'autres pays qui agissent de la même façon que nous et qui taxent les fiducies de la façon dont on veut le faire?
[Traduction]
M. Lalonde : À ma connaissance, aucun autre pays n'a utilisé ce mécanisme. Je veux dire de tenir compte du contribuant à une fiducie, par opposition aux bénéficiaires ou aux fiduciaires, pour déterminer la résidence. Cependant, c'est l'un des trois éléments pour déterminer l'existence d'une fiducie.
[Français]
Le sénateur Biron : Est-il possible que, si nous agissons de cette façon, les autres pays agiront de la même façon? Quelles seraient les conséquences pour le Canada si tous les autres pays faisaient de même?
[Traduction]
M. Lalonde : Si je comprends bien votre question, vous demandez s'il est possible que d'autres pays examinent ce que nous avons fait et décident d'en faire autant? Cela aurait-il des conséquences négatives pour le Canada? Je ne le crois pas.
Au Canada, nous avons un régime fiscal relativement solide. Nous essayons de le rendre le plus juste possible pour les Canadiens. Quand on comble les brèches qui existent dans le système pour réduire au minimum les pertes de revenu, cela permet au gouvernement de réduire les taux d'imposition de manière générale. C'est ce que le gouvernement a fait.
Dans la mesure où d'autres pays cherchent un mécanisme semblable à celui du Canada, le crédit pour impôt étranger constitue une manière juste et équitable de régler ce problème.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Si je comprends bien l'exemple donné tantôt, vous voulez vous assurer que la taxation soit complète. Mais lorsque vous avez donné l'exemple d'une fiducie créée aux États-Unis, vous avez invoqué la raison d'être de son imposition en argumentant que c'est important, si un Canadien crée une fiducie et fait une contribution dans une fiducie américaine, de l'imposer au Canada. Mais si ce même Canadien avait donné un cadeau à ses petits- enfants ou à un particulier américain, il n'aurait subi aucune imposition. Est-ce exact?
[Traduction]
M. Lalonde : Vous avez demandé si l'on fait payer de l'impôt à un Canadien qui fait un don à ses petits-enfants aux États-Unis. La réponse est non.
Le sénateur Massicotte : N'est-il pas étrange que cela devienne lourd et compliqué s'il fait la même chose pour le même bénéficiaire, mais en passant par une fiducie? Pourquoi serait-ce traité différemment alors que l'intention est la même?
M. Lalonde : Dans le cas d'une fiducie, le bien n'a pas été remis au bénéficiaire. Si un Canadien donne un bien à une personne étrangère, celle-ci en devient propriétaire. Le problème d'une fiducie est qu'il n'est pas clair que le bien en question appartienne ou non au bénéficiaire. Quand vient le temps de déterminer où va le revenu découlant de ce bien, les bénéficiaires peuvent changer.
C'est ce que nous avons constaté durant la période précédant le budget de 1999, alors que diverses techniques ont été utilisées en vue de camoufler les véritables bénéficiaires de ces fiducies. On pouvait indiquer que les bénéficiaires n'étaient pas canadiens et procéder ultérieurement à un changement. Dans certains cas, il y avait un contribuant canadien, un fiduciaire non-résident et, en coulisse, il y avait une autre personne, parfois qualifiée de protecteur. Ce protecteur intervient par la suite et donne des instructions au fiduciaire. Souvent, on demandait alors au fiduciaire d'introduire des bénéficiaires canadiens quelque part en aval. Tout cela est très difficile à suivre pour l'Agence du revenu du Canada.
Le sénateur Massicotte : Je comprends votre réponse, mais aucun autre pays n'a choisi cette méthode, et ils ont probablement tous les mêmes intérêts et objectifs que vous. Nous voulons rendre le régime fiscal simple et, quand je lis la modification proposée ici, tout cela semble très compliqué.
Les seuls qui en seront contents sont les gens qui font de l'argent en conseillant des clients. Cela va diminuer la productivité de notre pays. Qu'ont fait les autres pays? Pourquoi n'ont-ils pas adopté la méthode du marteau-pilon? Tous les pays doivent avoir le même problème.
Mon autre question porte sur la loi de mise en oeuvre du budget de 1999. On essayait de s'en prendre aux manigances faisant appel aux régimes fiscaux étrangers pour éviter la double imposition. Nous sommes tous conscients de l'existence de tels arrangements et nous devons trouver une solution.
Je crois savoir que les États-Unis imposent les fiducies tout comme nous. Si la fiducie et la distribution étaient imposées, on ne créerait pas une fiducie américaine pour éviter de payer de l'impôt. Il y a probablement une autre raison qui explique la création d'une fiducie américaine. Vous supposez que c'est pour éviter de payer de l'impôt, alors vous décidez de l'imposer. Si je place de l'argent en Allemagne ou en Angleterre, je suppose que c'est probablement pour de bonnes raisons, probablement pas pour éviter l'impôt, mais pour de bonnes raisons financières. Pourquoi supposez-vous que c'est pour l'évitement fiscal, peu importe dans quel pays l'argent est placé, et pourquoi ne pas procéder au moyen d'une exception?
M. Lalonde : Le problème est que vous supposez que les États-Unis imposent fortement ces fiducies, mais ce n'est pas toujours le cas, en particulier pour les fiducies créées par des non-résidents. Bien souvent, les États-Unis traitent une telle fiducie comme une entité intermédiaire et ne l'imposent pas du tout. Elle est alors considérée comme une source de revenu pour ceux à qui l'argent est distribué. En pareil cas, on peut avoir des situations où, en dépit de l'emplacement des fiduciaires de la fiducie — la fiducie elle-même peut être résidente aux États-Unis —, ce n'était pas une raison suffisante pour nous garantir que les États-Unis imposeraient la fiducie en question.
Lorsque les États-Unis imposent effectivement de telles fiducies, nous accordons un crédit pour impôt étranger, comme on l'a dit tout à l'heure.
Le sénateur Massicotte : Que font les autres pays? Si c'est une aussi bonne formule, pourquoi n'y a-t-il pas plus de gens qui font la queue pour l'appliquer?
M. Lalonde : Je ne connais pas la réponse à cette question. Je pourrais seulement faire des conjectures.
Le sénateur Meighen : Manifestement, c'est une affaire qu'il n'est pas facile d'examiner à fond durant une courte période. D'après votre propre témoignage, monsieur Lalonde, il semble que des questions soulevées au cours des dernières semaines n'ont pas donné lieu à un débat approfondi.
Le ministre lui-même a créé un comité d'experts pour étudier les questions de justice et d'équité en matière de règles applicables à l'impôt étranger. Cela ne représente-t-il pas un élément important de l'équation? Pourquoi ne pas l'inclure dans le projet de loi?
M. Lalonde : Votre question soulève un certain nombre de points intéressants. Dans les mémoires, on faisait remarquer que ce projet de loi a connu six versions différentes. Le ministère des Finances n'a pas à s'en excuser. Dans certains cas, des versions différentes sont dues aux changements de gouvernement, ce qui peut poser problème. Dans d'autres cas, nous avons eu des exemptions. Par exemple, au sujet des règles sur les EPE, nous avons eu une exception aux règles pour permettre l'option de calculer de manière très exacte quelle proportion du revenu de l'EPE représente la part d'un particulier. Était-ce compliqué? C'était très compliqué. Le ministre et le ministère sont tombés d'accord pour dire que cette option précise ne devait tout simplement pas être retenue, dans l'intérêt de la simplicité, et la version suivante était donc dépourvue de cette option. Divers secteurs de l'économie ont présenté des instances en disant : « Ces règles sont compliquées, mais nous les aimons et nous les voulons, et nous vous demandons donc de les rétablir. » Par conséquent, une nouvelle version des règles a été publiée à laquelle on avait ajouté cette mesure extraordinairement complexe qu'on nous avait réclamée.
Je reviens maintenant au mémoire que nous avons reçu ces dernières semaines et je vais soulever une question. Il s'agit d'un élément que nous croyons avoir bien en main, mais nous sommes disposés à voir s'il n'y aurait pas une meilleure manière de s'y prendre. Je veux parler du crédit pour impôt étranger dans le cas d'impôts supérieurs à 15 p. 100. Pour ce qui est de l'autre cas, celui des grandes caisses de retraite, des mémoires nous ont été présentés — j'ai bien dit que nous avions reçu il y a deux ou trois ans des instances de la part d'entités exemptées d'impôt, mais c'était sur une base informelle et les intervenants n'ont pas insisté très fort — on semblait à ce moment-là satisfait de notre réponse, à savoir que nous n'envisagions pas une exemption.
Le projet de loi dont votre comité est saisi est un excellent train de mesures en termes d'ampleur, de complexité, de la somme de travail qui y a été consacrée, et des diverses versions qui ont bénéficié de consultations, des versions qui ont d'ailleurs été critiquées parce qu'elles avaient été modifiées tellement souvent à la suite de cette consultation. Essentiellement, le projet de loi dont le comité est saisi devrait-il être renvoyé à la Chambre pour qu'on y apporte d'autres amendements? Devrait-on reconnaître que le gouvernement en place a longuement réfléchi à ces règles et a mené le dossier jusqu'au point où le gouvernement en est satisfait, dans la mesure où des questions sont posées durant l'examen du projet de loi dans le système parlementaire? Peut-être qu'à un moment donné, on jugera raisonnable d'établir une politique et de faire apporter des amendements par le comité de l'autre Chambre. Le gouvernement devrait-il retrancher cette partie du projet de loi et la renvoyer?
Je signale que ce projet de loi a vu son entrée en vigueur reportée deux fois déjà. Il avait été annoncé à l'origine pour 2001, ensuite 2003, puis 2007. À chaque fois, le gouvernement fédéral a renoncé à des revenus. Je pense que c'est important de s'en rappeler avant d'en arriver à une conclusion et de renvoyer ce projet de loi à l'autre Chambre pour y apporter des amendements non précisés, car nous ne savons pas avec certitude comment on le modifierait pour tenir compte, par exemple, de la question des grandes caisses de retraite, de la définition du mot « grande », et cetera. Il est certain qu'une exception généralisée pour toutes les fiducies américaines nous pose des problèmes que nous vous avons expliqués. Nous ne recommandons pas cela.
Non, nous ne recommandons pas que le projet de loi soit renvoyé à l'autre Chambre pour y subir des amendements.
Le sénateur Meighen : Je ne conteste pas que très peu de mesures législatives ont des chances d'être parfaites, en particulier une mesure aussi complexe et vaste que celle-ci. Notre comité a adopté diverses options à diverses reprises dans le passé, quand le ministre nous avait donné l'engagement de reporter la promulgation d'une partie du projet de loi en attendant que des problèmes soient résolus.
Serez-vous présent demain? Nous entendrons d'autres témoins demain matin.
M. Lalonde : Il n'est pas prévu que je comparaisse devant vous. Je voudrais revenir sur le fait de retarder la promulgation de diverses mesures législatives. Il arrive parfois qu'un projet de loi soit rédigé de manière que son entrée en vigueur soit prévue à une date qui sera fixée par décret. En général, les mesures législatives ne sont pas rédigées de cette manière et ce projet de loi ne l'est pas non plus. Les mesures prévues dans le projet de loi pour les EPE et les FNR doivent entrer en vigueur au cours des années d'imposition 2007 et suivantes.
Le sénateur Meighen : À ce propos, l'une des inquiétudes du groupe STEP est la possibilité de l'application rétroactive de cette mesure. Pour éviter de leur faire dire ce qu'ils n'ont pas dit, je vais vous lire un passage de leur mémoire :
On a repoussé plusieurs fois la date d'entrée en vigueur des règles depuis leur annonce. Selon les dernières nouvelles, elles sont supposées s'appliquer aux années d'imposition postérieures à 2006.
Toutefois, elles contiennent de nombreuses dispositions ayant un effet rétroactif et s'appliquant à des périodes où les premières ébauches des règles étaient encore en cours d'élaboration et où les contribuables n'auraient pu prévoir leur existence future. Autrement dit, on exige des contribuables qu'ils connaissent, comprennent et se conforment à des règles qui n'ont pas encore été finalisées. En outre, le projet de loi contient peu de dispositions d'antériorité. Cela veut dire que certaines transactions effectuées avant l'annonce pourraient aujourd'hui être contraires aux règles, alors qu'il n'y a pas eu de période de transition pour s'y conformer.
Avez-vous des observations?
M. Lalonde : Ces règles ont été proposées pour la première fois dans le budget de 1999. Quand on a changé la date d'entrée en vigueur pour éviter la rétroactivité jusqu'en 2003, dernière date d'entrée en vigueur annoncée, des contribuables ont présenté un certain nombre d'instances au ministère. Ils ont dit que, étant donné qu'ils se conformaient aux règles depuis 2003, ils aimeraient bien conserver ces règles et apporter des rajustements pour les années suivantes. Ils voulaient apporter un rajustement ultérieur dans la mesure où il y avait une différence quelconque entre le niveau d'imposition proposé par ce projet de loi et celui qui aurait été en vigueur en l'absence du projet de loi, et c'est ce que nous avons fait. Ces amendements ont été présentés au comité de l'autre Chambre et je pense qu'ils ont fait l'objet de certaines observations tout à l'heure au sujet des notes explicatives qui sont désuètes par rapport au projet de loi. Les notes explicatives sont évidemment rédigées avant le dépôt de la mesure à la Chambre, que ce soit au moyen d'un avis détaillé, d'une motion des voies et moyens ou d'un projet de loi. En conséquence, les notes explicatives ne tiennent pas compte d'amendements qui ont été apportés au comité de l'autre Chambre.
Le sénateur Meighen : Comme vous ne serez pas ici demain, monsieur Lalonde...
Le président : Il voudrait peut-être venir.
Le sénateur Meighen : Il n'est pas prévu qu'il soit présent.
M. Lalonde : Il n'est pas prévu que je sois présent. Cela ne veut pas dire que je ne peux pas ou que je ne veux pas venir.
Le sénateur Meighen : Nous vous offrirons peut-être une affectation plus intéressante que celle qui est prévue pour vous.
L'Association des conseillers en gestion de portefeuille du Canada comparaîtra devant nous demain et, s'il faut en croire le mémoire qui nous a été remis, cette association craint que des comptes exemptés d'impôt soient pénalisés par inadvertance en même temps que ceux qui cherchent à éviter de manière illégitime à payer leur juste part. Il est question de régimes de retraite, de REER, et cetera.
L'Association des conseillers en gestion de portefeuille du Canada craint d'être exposée à l'assujettissement à l'impôt à cet égard. Elle propose de modifier le projet de loi pour le mettre en phase avec les exemptions prévues pour les régimes enregistrés de retraite et autres contribuables exonérés. Est-ce que cela vous préoccupe?
M. Lalonde : C'est ce dont nous discutions tout à l'heure, à savoir s'il devrait y avoir une exemption pour les régimes de retraite enregistrés et, dans l'affirmative, si cette exemption devrait être accordée seulement pour les grands régimes publics ou bien si elle devrait s'appliquer à toute la chaîne, jusqu'au plus petit régime de retraite individuel.
Le sénateur Meighen : Vous n'avez pas entièrement rejeté cette possibilité.
M. Lalonde : Non. C'est une question qui a été portée à notre attention dans des mémoires écrits. Nous allons l'examiner. Nous n'avons pas encore adopté notre position là-dessus. Le mémoire de l'Association des conseillers en gestion de portefeuille du Canada ne nous a pas été présenté à nous, mais bien au comité. En fait, il reprend textuellement le mémoire que l'association avait présenté durant les consultations en vue du budget de 2008. On y recommandait au gouvernement qu'on envisage d'apporter des amendements en ce sens dans le contexte de l'étude des propositions devant être annoncées dans le budget de 2008. Cela m'incite à croire que, si l'association a le droit et le désir de soulever cette question auprès de votre comité, elle est également disposée, apparemment, à accepter la possibilité, d'après le mémoire remis durant les consultations précédant le budget de 2008, qu'une mesure en ce sens soit prise en considération dans ce contexte plutôt qu'ici.
Le président : Je sais que M. Lalonde donne tellement de bonnes réponses que vous lui avez tous posé vos questions, mais n'oubliez pas que d'autres témoins sont ici également et qu'ils veulent peut-être leur droit de réplique.
Si vous trouvez qu'on ne vous a pas posé assez de questions, étant donné qu'il nous reste seulement une quinzaine de minutes, je vais vous donner l'occasion de faire des suggestions ou de répliquer à des propos que vous avez entendus.
Le sénateur Goldstein : Je serai bref car je crois que nous avons un autre point à l'ordre du jour.
Je vais essayer de m'attarder uniquement à ce que M. Lalonde a dit. D'abord, je vous remercie pour votre franchise et pour l'habileté avec laquelle vous avez témoigné et répondu aux questions.
Il existe en français un proverbe qui dit : Qui trop embrasse mal étreint.
Je suppose que vous aurez compris, d'après la teneur des questions qu'on vous pose, que les membres de notre comité craignent que vous ayez par inadvertance, en essayant tout à fait légitimement d'aller chercher des revenus et d'éviter toute tentation d'évitement fiscal ...
Le président : Ou d'évasion.
Le sénateur Goldstein : Eh bien, l'évasion, c'est une autre histoire. En fait, vous essayez de fermer la porte à des manoeuvres compliquées de planification fiscale qui ont pour résultat d'éviter de payer de l'impôt, mais sans aller jusqu'à l'évasion fiscale, ce qui est tout autre chose.
Ce faisant, nous avons entendu des témoins et nous avons lu des documents de fiscalistes experts, notamment Thorsteinssons et d'autres, selon lesquels vous attrapez par inadvertance des arrangements qui sont autrement tout à fait légitimes pour les Canadiens qui veulent s'en prévaloir. Je suis sûr que vous ne voulez pas faire cela et je vous assure que nous ne le voulons pas non plus et nous sommes donc d'accord sur ce point.
À votre avis, quelles mesures le ministère pourrait-il retrancher pour éviter les problèmes de ce genre et rendre le projet de loi plus clair, pour éviter que nous nous retrouvions dans la situation où des gens estiment avoir été injustement imposés?
Je pense par exemple à la réponse que vous avez donnée à la question portant sur l'imposition de fiducies en territoire étranger, quand vous avez dit qu'il y aurait un crédit pour impôt étranger. C'est tout à fait vrai, mais nous savons par ailleurs que les crédits pour impôt étranger sont limités à 15 p. 100 et qu'au-dessus de ce pourcentage, pas un sou n'est crédité pour l'impôt canadien. Cela donne un résultat très injuste pour les contribuables canadiens. Je suis certain que vous ne voulez pas de cela et vous savez que nous ne le voulons pas non plus.
Comment vous y prendriez-vous et combien de temps vous faudrait-il à votre avis pour retrancher les dispositions voulues, pour éviter ces situations particulièrement inappropriées en changeant le libellé du projet de loi?
M. Lalonde : En bref, la réponse est que nous avons déjà, à mon avis, retranché de telles situations où il ne conviendrait pas d'appliquer ces règles. Nous avons exempté les fiducies étrangères qui sont essentiellement des fiducies commerciales. Nous avons des règles applicables en cas d'éclatement de mariage, lorsque des fiducies sont créées à cet égard. Nous avons des règles pour les personnes handicapées et les enfants. Vous avez absolument raison de dire que la Loi de l'impôt sur le revenu stipule que le crédit pour impôt étranger applicable à l'imposition de revenu tiré d'un bien est limité à 15 p. 100. Je tiens à m'assurer de bien préciser que cela ne s'applique pas dans le contexte du revenu tiré d'entreprises. Le traité canado-américain comprend des dispositions applicables aux cas de double imposition lorsque le crédit pour impôt étranger est insuffisant pour résoudre le problème de double imposition.
Nous voyons là une manière potentielle de régler cette question, mais comme je l'ai dit tout à l'heure, nous allons nous pencher sur la situation. La question ne s'est pas posée au cours des huit ans durant lesquels ce mécanisme a cheminé dans le système. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'exemption américaine a été retirée avant la première version du projet de loi, à l'occasion d'un communiqué publié le 30 novembre 1999.
L'affaire ne nous a certainement pas été présentée comme étant urgente, mais nous comprenons la situation. Je le répète, nous croyons qu'il existe un mécanisme qui pourrait très bien permettre de remédier au problème en application du traité et en recourant au mécanisme compétent. Je reconnais que c'est lourd et nous allons voir ce que l'on peut faire.
Quant à savoir combien de temps cela nous prendrait, je ne peux pas répondre à cette question. Cela n'est pas entièrement de notre ressort. Évidemment, nous avons un système parlementaire et un ministre des Finances. Le ministre des Finances décide quand, où et comment on annonce des mesures, à supposer que de telles mesures devaient lui être recommandées. Par conséquent, je ne peux pas répondre à cette deuxième partie de votre question.
Le sénateur Goldstein : Il semble bien que ce projet de loi s'applique aux fiducies discrétionnaires dont on ignore l'identité des bénéficiaires. De votre point de vue, vous voulez les imposer en posant l'hypothèse que l'un ou la totalité des bénéficiaires pourraient être Canadiens. Essentiellement, vous imposez les rentrées d'argent, mais il est bien possible que l'un ou plusieurs ou l'ensemble des bénéficiaires ne soient pas des contribuables canadiens, auquel cas vous aurez imposé un corpus à même lequel les bénéficiaires ne toucheront jamais un sou de revenu ou de capital. Cela ne vous semble-t-il pas injuste?
M. Lalonde : Si vous revenez aux trois éléments clés d'une fiducie — le contribuant, le bénéficiaire et les fiduciaires —, si nous ne sommes pas certains de l'identité des bénéficiaires, je pense qu'il est juste de se tourner vers le contribuant qui, s'il n'avait pas entreposé l'argent dans la fiducie, serait le contribuable. Il n'est pas injuste qu'un contribuant soit imposé sur les montants versés dans une fiducie. Il est certain que si l'argent avait été versé dans une fiducie canadienne, il serait imposable et, à nos yeux, l'existence d'une fiducie non-résidente, sachant que les bénéficiaires peuvent changer et changent effectivement de temps à autre, n'est pas suffisante pour nous convaincre que cette fiducie ne doit pas être imposable au Canada.
Le sénateur Goldstein : Votre approche est très différente de celle de beaucoup d'autres fiscalistes. Vous semblez aborder cela en appliquant la proposition voulant qu'une fiducie discrétionnaire, précisément parce que vous n'en connaissez pas le bénéficiaire ultime, doit être imposée à même le corpus ou les revenus qui sont entre les mains du disposant. Vous avez évoqué tout à l'heure la possibilité que la fiducie puisse avoir un protecteur, ce qui n'est pas nécessairement le cas, et que ce protecteur puisse savoir bien à l'avance, selon les instructions du disposant, qui seront ultimement les bénéficiaires.
Cette approche est fondée sur un certain nombre d'hypothèses de départ et je ne suis pas du tout certain que les Canadiens les accepteront avec joie. Vous pouvez sûrement trouver une manière quelconque d'imposer le bénéficiaire s'il se trouve que celui-ci est un contribuable canadien ou doit être considéré comme tel d'après vous. Je ne comprends tout simplement pas pourquoi vous imposez les rentrées d'argent alors que vous ne savez pas qui, en fin de compte, aura ce revenu. Je trouve cela très difficile à comprendre.
M. Lalonde : La réponse découle de l'histoire de ce dossier. Nous avions un régime fiscal dans lequel l'impôt était prélevé en fonction de la résidence des bénéficiaires, et il a été prouvé que ce régime fiscal avait des trous. En cherchant un mécanisme pour régler ce problème, on peut aboutir à la conclusion à laquelle nous en sommes venus, ou bien adopter une solution de rechange, qui est selon moi la meilleure, en posant qu'il y a trois éléments clés dans une fiducie. Il y a un contribuant, un bénéficiaire et un fiduciaire et quand on se demande lequel de ces trois devrait l'emporter, on a d'aussi bonnes raisons de se tourner vers le contribuant d'une fiducie que de choisir les fiduciaires ou encore les bénéficiaires.
Le sénateur Goldstein : C'est le jeu du chat et de la souris. Si l'on ne peut pas attraper les bénéficiaires, on s'en prend au disposant. Sauf votre respect, c'est une étrange manière d'administrer l'impôt.
Avez-vous eu l'occasion de lire la lettre du 15 novembre du département du Trésor? Je lis :
... Les représentants du gouvernement canadien... représentant l'autorité compétente de leur gouvernement en vertu de notre convention, ont estimé que la fiducie mentionnée en objet était canadienne aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, du fait qu'un résident canadien l'avait alimentée et que certains résidents canadiens pourraient à l'avenir en devenir bénéficiaires.
... Nous avons contesté cette position comme étant non conforme à l'esprit et à la lettre de notre convention fiscale. Nous avons transmis notre point de vue sur la question à notre propre Trésor...
Les représentants canadiens nous ont promis à la réunion du 11 juillet 2006 de nous remettre une lettre dans laquelle ils exprimeraient leur point de vue sur l'affaire; or nous n'avons encore reçu aucune lettre.
Le ministère n'est-il pas préoccupé parce que notre principal partenaire commercial, avec lequel nous avons signé notre plus importante convention fiscale, est préoccupé par des positions qui sont incompatibles avec l'esprit et la lettre du traité et par le fait qu'il n'a reçu aucune réponse alors même qu'un fonctionnaire canadien avait promis de répondre? Cela vous préoccupe-t-il?
M. Lalonde : J'ai lu la lettre. Je signale que la lettre émane du Internal Revenue Service, qui est la direction administrative. Dans la lettre, on indique que, du point de vue administratif, on n'aime pas la situation et que l'on va en saisir le département du Trésor des États-Unis pour qu'il soit au courant de la situation. Par conséquent, il est évident que les responsables de l'élaboration des politiques au département du Trésor des États-Unis étaient au courant de l'affaire. Or cette question n'a pas du tout été soulevée pendant les négociations qui ont débouché sur la conclusion du cinquième protocole dans le cadre du traité fiscal canado-américain. Cela m'amène à croire que les responsables des politiques aux États-Unis doivent également être conscients, comme nous le sommes, des difficultés pour ce qui est de traiter avec les fiducies non-résidentes et qu'ils ont décidé de ne pas aborder cette question auprès de nous.
Le sénateur Goldstein : Ils n'ont pas là-bas de lois équivalentes à celle que vous proposez. Ils ne voient pas de problème. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ils ne perçoivent aucun problème, pas plus que la France, ni d'ailleurs le Royaume-Uni, alors que nous, nous disons qu'il y a un problème.
M. Lalonde : Sauf le respect que je vous dois, votre argument était qu'une personne au Internal Revenue Service a écrit cette lettre pour dire que, de son point de vue, il n'est pas d'accord avec le fait que l'Agence du revenu du Canada refuse de renoncer à son droit d'imposer en fonction de la résidence dans le cas d'une fiducie qui est réputée résidente au Canada en application de ces règles. De plus, il a dit dans sa lettre qu'il va mettre au courant de la situation les responsables de l'élaboration des politiques au département du Trésor des États-Unis. Il l'a évidemment fait. Or les responsables des politiques au Trésor n'ont pas abordé cette question durant nos négociations avec eux sur le cinquième protocole dans le cadre du traité fiscal canado-américain.
Le sénateur Goldstein : Ce n'était pas mon argument, monsieur. Mon argument était que, que je sache, aucun pays civilisé au monde n'a une législation aussi lourde que celle que l'on propose relativement aux fiducies non-résidentes. Nous ne sommes pas le seul pays où des citoyens créent des fiducies; nous ne sommes pas le seul pays où il existe des fiducies non-résidentes que l'on cherche à imposer. Dans le passé, nous avons imposé les fiducies non-résidentes en application d'autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. La loi que vous proposez est tellement plus lourde que tout ce qui existe ailleurs dans l'hémisphère occidental, à ma connaissance, que cela nous fait paraître un peu trop gourmands, pour employer une expression populaire.
M. Lalonde : Je ne dirai pas si je suis d'accord ou en désaccord quand vous dites que cette taxe est plus lourde que tout ce qui existe dans l'hémisphère occidental. Chose certaine, c'est déjà assez difficile de me tenir au fait de l'évolution de la législation fiscale canadienne et d'essayer de me tenir au courant de ce qui se passe aux États-Unis que je ne vais pas chercher à apprendre ce qui se fait dans tous les autres pays du monde.
Je répète toutefois que le gouvernement qui était en place en 1999 a estimé que c'était un grave problème qui exigeait qu'on cherche sérieusement à le résoudre. Le gouvernement qui était en place en 2006 a trouvé que c'était un grave problème qui exigeait qu'on s'y attaque sérieusement. Nous avons maintenant élaboré une solution. Comme je l'ai dit, nous avons reçu ces dernières semaines quelques mémoires intéressants dans des circonstances qui ne permettaient pas vraiment de les insérer à ce moment-là dans le cheminement parlementaire du projet de loi.
Le ministère — je peux seulement parler au nom du ministère — ne recommande pas que ce projet de loi soit renvoyé à la Chambre pour y être réexaminé. Il est important de faire adopter ce projet de loi pour protéger l'assiette fiscale du Canada. Dans la mesure où d'autres éléments peuvent être pris en compte, par exemple dans le cadre des travaux préparatoires au budget de 2008, comme il en a été fait mention dans les mémoires de l'Association des conseillers en gestion de portefeuille du Canada, il est certain que le gouvernement est parfaitement disposé à se pencher sur la question.
Le sénateur Goldstein : Vous avez été d'une grande franchise. Merci.
Le sénateur Massicotte : Étant donné que l'entité étrangère, dans ce cas ou dans l'autre, sera traitée différemment ou réputée être un contribuable canadien aux fins de l'impôt, je me demande si les gestionnaires de fonds de placement vont se dire, par exemple : « Je ne veux pas de Canadiens dans mon fond. C'est trop compliqué. » Par conséquent, les caisses de retraite comme celle des enseignants de l'Ontario ou d'autres pourraient se dire : « Vous avez diminué l'éventail des investissements pour les Canadiens, à notre détriment. » Est-ce une possibilité?
M. Lalonde : Les règles sur les entités de placement étrangères, par opposition aux règles sur les fiducies non- résidentes, traitent cette situation de manière légèrement différente. On impute aux contribuables canadiens, d'une manière ou d'une autre, un rendement sur l'investissement placé dans l'entité de placement étrangère. Celle-ci est traitée de manière neutre, comme entre des investisseurs canadiens.
Le sénateur Massicotte : Devront-ils intervenir? Qu'en est-il des problèmes de fiducies? Faut-il conclure que les règles sur les fiducies ou les autres règles vont compliquer la vie de ces gens-là?
M. Lalonde : Dans le contexte des fiducies commerciales ordinaires, où il y a plus de 150 investisseurs, alors que nous avons une exemption...
Le sénateur Massicotte : Souvent, ce n'est pas le cas des placements privés. Les gens investissent beaucoup d'argent. Ce peut être la caisse des enseignants ou la caisse de dépôts. Cela leur causera-t-il des complications?
M. Lalonde : Je conviens que les grandes caisses de retraite posent un problème. Cette question a été portée à notre attention très récemment et, comme je l'ai dit, le ministère est disposé à examiner la question. Cela aurait-il des répercussions pour les grands investisseurs?
Le sénateur Massicotte : Les gestionnaires de fonds. Par exemple, notre président décide d'investir cinq millions de dollars dans un fonds de placement privé, ce qui lui en laisse seulement 150. Est-ce qu'on lui dira : « Monsieur le président, nous ne voulons pas de votre argent. Cela complique notre tâche. Nous ne voulons rien avoir à faire avec le régime fiscal canadien. » Serait-ce le cas?
M. Lalonde : Il est certain qu'une histoire a circulé — rien de péjoratif, mais ce message nous a été transmis dans des mémoires, comme je l'ai dit tout à l'heure, à propos de l'administrateur d'un très important régime canadien de pension dont je ne peux pas divulguer le nom. C'est une raison pour laquelle nous sommes disposés à nous pencher là-dessus.
Le sénateur Massicotte : Je pense que vous devriez le faire.
Le président : Êtes-vous sympathique à sa cause?
Le sénateur Massicotte : Pas seulement les grandes caisses de retraite, cela pourrait aussi s'appliquer à des particuliers qui ont des sommes importantes. Je pense qu'il est important que vous examiniez la question.
M. Lalonde : Nous allons le faire, au niveau des fonctionnaires. Pour répondre au président, ce n'est pas à moi de me dire sympathique ou antipathique à cette cause. Nous allons faire nos recommandations au ministre des Finances.
Le sénateur Massicotte : Êtes-vous sympathique à cette cause? Comprenez-vous l'inquiétude? Votre recommandation sera-t-elle positive?
M. Lalonde : Je suis prêt à formuler une recommandation au ministre, si jamais il nous demande si nous sommes disposés à examiner cette affaire.
Le sénateur Massicotte : On dirait que vous récitez la Loi de l'impôt sur le revenu.
J'ai entendu tout à l'heure quelqu'un dire que la loi existante est peut-être satisfaisante. La DGAE, c'est-à-dire la disposition générale anti-évitement, est applicable et beaucoup de modifications ont été apportées depuis 1999 et vous disposez de nombreux outils. Pourquoi n'en a-t-on pas testé l'application, s'il est évident qu'il y a là matière à évitement d'impôt? Je pensais que la DGAE était suffisante pour attraper ces gens-là. Avez-vous tenté de vous attaquer à ces gens-là et avez-vous échoué, d'où le besoin de cette loi très compliquée?
M. Lalonde : Je crois savoir que la DGAE a été appliquée à un certain nombre de ce que l'on appelle les fiducies conjugales des Barbades. Ces dossiers sont encore à l'étude, mais l'argument central est que durant la préparation du budget de 1999, c'est-à-dire à une époque où la DGAE était en place — la DGAE est entrée en vigueur le 13 septembre 1988 —, l'Agence du revenu du Canada n'était pas en mesure à ce moment-là de régler le problème. On constatait l'existence de manoeuvres généralisées d'évitement d'impôt. C'était un problème important pour le gouvernement de l'époque et ça l'est pour le gouvernement actuel.
On a dit tout à l'heure que, depuis cette époque et ces dernières années, les gouvernements successifs se sont affairés à réduire les taux d'imposition. Je pense que nous sommes tous convaincus que c'est une bonne chose. Mais on a également avancé que c'était une raison d'abandonner ces règles, étant donné que la baisse d'impôt réduirait la pression incitant les Canadiens à placer leurs économies à l'étranger.
Le sénateur Massicotte : Quelle est la réponse?
M. Lalonde : Je n'ai pas fini.
Le sénateur Massicotte : Si vous essayez de me perdre, vous faites du bon travail.
M. Lalonde : Ce qu'il y a, c'est que tant et aussi longtemps qu'il y a une différence dans le taux d'imposition, même si le taux est réduit, entre le taux et zéro, ou quel que soit le taux dans le pays étranger, il y aura toujours un incitatif, dès que le coût de conclure la transaction est inférieur aux économies d'impôt susceptibles d'être réalisées par la transaction.
Le sénateur Massicotte : Je pense que votre réponse, et je vais la paraphraser, est que nous ne pensons pas que les lois actuelles sont suffisantes pour mettre fin à l'évitement d'impôt généralisé dont nous présumons l'existence. Est-ce bien la réponse?
M. Lalonde : Sans vouloir anticiper sur l'aboutissement des affaires actuellement à l'étude relativement à l'application de la DGAE à des transactions en particulier, l'Agence du revenu du Canada est fermement convaincue d'avoir une cause solide relativement à l'application de la DGAE dans ces dossiers particuliers. La DGAE est appliquée au cas par cas en fonction des détails très précis dans chaque affaire.
Le sénateur Massicotte : Sous réserve de tout cela, la réponse est oui?
M. Lalonde : Sous réserve de tout cela, la réponse est oui. Nous croyons que les règles précédentes étaient insatisfaisantes pour régler la situation et c'est pourquoi les règles en question ont été proposées dans le budget de 1999 et c'est aussi pourquoi tous les gouvernements successifs continuent de les appliquer.
Le sénateur Massicotte : Nous avons entendu d'importants groupes professionnels comme l'Association canadienne d'études fiscales et l'Association des comptables agréés spécialisés en fiscalité. Sauf erreur, vous avez reconnu que ces groupes ont communiqué avec vous pour vous faire part de leurs objections aux versions antérieures. Est-il juste de dire aujourd'hui, en leur absence, qu'ils sont maintenant entièrement d'accord avec vos propositions?
M. Lalonde : Je voudrais bien dire oui. C'est un fait que des organisations comme le Comité mixte de l'Institut canadien des Comptables Agréés et de l'Association du Barreau Canadien nous ont présenté un certain nombre d'instances. Nous avons donné suite à certaines de leurs représentations, mais pas à toutes. De même, dans le cas d'autres organisations comme le Tax Executives Institute, nous avons donné suite à certaines de leurs instances, mais pas à toutes. Il est clair que, à titre de ministère responsable de l'élaboration de la politique fiscale et chargé de veiller à ce que le gouvernement du Canada réussisse à obtenir les revenus dont il a besoin, notre point de vue est peut-être différent de celui d'autres intervenants. Je ne veux pas leur faire dire qu'ils sont d'accord. Je dirai qu'ils doivent être dans une position telle qu'ils n'estiment pas qu'il est à leur avantage de venir présenter des instances au comité.
Le sénateur Massicotte : Vous ne laissez pas entendre que les gens ne sont pas ouverts. Vous ne laissez pas entendre qu'ils sont frustrés et qu'ils ont renoncé à se plaindre de leur situation.
M. Lalonde : Si vous connaissiez les représentants des groupes en question, vous sauriez qu'ils ne renoncent pas facilement.
Le président : Merci. Je dois tenir compte de l'heure, car nous avons dépassé le temps que nous avions. C'est une situation très compliquée. Je veux que chacun ait l'occasion d'intervenir. Sénateurs, j'espère qu'aucun d'entre vous ne va partir, parce que je voudrais traiter ensuite brièvement d'une question à huis clos. Peut-être les représentants de STEP ou M. Gagnon veulent-ils faire une observation.
M. Lebreux : Je voudrais faire deux brèves observations. Premièrement, certains commentaires étaient peut-être légèrement trompeurs. On se demandait si la nouvelle loi était nécessaire parce qu'il est possible qu'à un moment donné, un Canadien puisse devenir bénéficiaire d'une fiducie et toucher un avantage. Cela existe déjà dans la loi actuelle. De la manière dont la loi est rédigée, si un Canadien quelconque peut toucher un avantage, à un moment quelconque, que ce soit ou non aux termes de l'acte formaliste, la fiducie en question est touchée par la loi canadienne et imposée chez nous. C'est une modification de portée très générale qui est entrée en vigueur en 1998.
Deuxièmement, je crois devoir consigner au compte rendu une observation au nom du groupe STEP. À titre de président du comité technique, qui est à l'origine de la majorité de ces mémoires, j'ai présenté un certain nombre de mémoires au ministère des Finances. Nous avons travaillé en très étroite collaboration avec les gens du ministère et nous avons établi de très bonnes relations avec eux et nous espérons que cela va se poursuivre. On a donné suite à un certain nombre de nos instances. Des changements ont été apportés dont nous étions très contents.
La difficulté, quand on a affaire à un projet de loi dont le cheminement a duré huit ans et a connu un certain nombre de versions, c'est que l'on ne nous a évidemment pas donné satisfaction sur tous les plans, ce qui est normal, mais pour certaines de nos suggestions qui avaient donné lieu à des changements acceptables, on est maintenant revenu à des versions plus anciennes, ce qui nous ramène à la case départ. C'est peut-être la raison pour laquelle on ne présente pas tellement d'instances ici aujourd'hui, parce qu'un certain nombre d'entre elles ont déjà été faites. Je voudrais seulement ajouter, au nom de STEP, que nous avons établi de très bonnes relations de travail.
Pour reprendre l'analogie de la fête, nous avions le sentiment d'être au beau milieu d'une fête et de nous amuser ferme avec Finances Canada à mener la barque de ce projet de loi, pour nous faire dire tout à coup que la fête était terminée. C'est ce qui a donné lieu à notre inquiétude : nous estimons être seulement à mi-chemin du processus.
Du point de vue de STEP, nous gagnons notre vie à traiter avec des clients et avec des fiducies, et nous sommes catégoriquement en faveur de veiller à ce que les fiducies ne puissent être utilisées à des fins illégitimes. Nous croyons qu'il y a de nombreuses manières de protéger l'assiette fiscale du Canada et que l'on peut s'y prendre de bien meilleures façons, sans entraîner les mêmes répercussions.
Le sénateur Goldstein : Si l'on vous demandait de rédiger une page d'amendements, pensez-vous que cette unique page réglerait, de votre point de vue, les problèmes les plus graves?
M. Lebreux : Pour ce qui est des fiducies non-résidentes, nous pourrions le faire. Je crois que les règles sur l'investissement étranger sont extrêmement complexes et causent des problèmes, mais pour les fiducies non-résidentes, je pense que nous en serions capables.
Le président : L'avez-vous déjà fait?
M. Lebreux : Nous avons présenté un certain nombre de mémoires comportant un libellé précis.
Le président : Est-ce inclus dans les documents que vous avez remis? Si vous aviez quelque chose de ce genre, cela nous serait utile. Vous êtes ici présent depuis maintenant plusieurs heures et vous comprenez ce qui se passe.
M. Gagnon : Pour revenir à ce que disait le sénateur Goldstein, vous avez déjà dans mon mémoire deux amendements précis.
Je voudrais faire un commentaire au sujet des fiducies créées dans des pays où le taux d'impôt est élevé. Je n'ai rien entendu de la part du ministère des Finances qui justifierait d'imposer ces fiducies. Dans mon esprit, on vient d'amorcer une véritable machine infernale. On a décidé que ces fiducies sont réputées résidentes au Canada et qu'il faut donc les imposer, mais nous n'avons rien entendu aujourd'hui qui explique pourquoi il faut imposer les fiducies établies dans des pays où le taux d'impôt est élevé. Si l'on craint que ces fiducies ne paient pas leurs impôts dans le pays où le taux d'imposition est élevé, alors pourquoi ne pas tout simplement établir comme condition que l'impôt soit payé dans le pays où le taux est élevé? Si l'on en fait une condition, ce qui serait très facile à inscrire dans la loi, dans mon esprit, toute justification ou crainte ou tout ce que nous avons entendu aujourd'hui s'évanouit en fumée. Il ne reste plus rien. Il n'y a plus aucune justification de proposer une loi qui imposerait les fiducies dans tous les pays sans aucune distinction.
Pour revenir à la case départ, c'était une mesure conçue pour le problème des paradis fiscaux, et voici maintenant qu'on tente de justifier l'octroi d'un meilleur crédit pour impôt étranger pour les pays où le taux d'imposition est supérieur à 15 p. 100. Si l'on revient à la case départ, c'était une mesure conçue pour les paradis fiscaux et elle aurait dû le rester.
Je veux faire une autre brève observation. Pour être admissibles dans le cadre de la plupart des régimes fiscaux, y compris celui en vigueur aux États-Unis, les fiducies étrangères doivent être assujetties à l'impôt dans le pays étranger. C'est déjà une condition dans les traités et je crois donc qu'il n'y a même aucune crainte à ce sujet.
Enfin, dans notre traité avec les États-Unis, dans la mesure où le revenu de la fiducie est distribué à un bénéficiaire américain, le Canada, aux termes du paragraphe 22(2), a déjà renoncé au droit d'imposer le revenu. Ce qu'on nous a dit aujourd'hui ne correspond même pas à ce qui existe actuellement dans le traité. Si nous avons déjà renoncé au droit d'imposer le revenu qui est distribué à un bénéficiaire américain, lorsque la fiducie est établie pour des bénéficiaires américains, alors pourquoi la fiducie ne pourrait-elle pas accumuler le revenu pour ces bénéficiaires à des fins légitimes? L'analyse ne tient pas.
Le président : Voilà qui est très utile. Nous en avons pris bonne note.
M. MacKnight : Premièrement, pour revenir à la question du sénateur Massicotte au sujet du comité mixte, je peux vous assurer que ce comité n'a pas renoncé et n'est pas d'accord avec la mesure proposée.
Le sénateur Massicotte : J'ai compris cela.
M. MacKnight : Deuxièmement, pour répondre au commentaire du sénateur Goldstein sur la politique fiscale, cela me rappelle une observation faite il y a de nombreuses années par Bob Brown. Il a été président du conseil de Price Waterhouse pendant de nombreuses années et il a fréquemment conseillé le ministère des Finances.
Le président : Il a aussi été un témoin, même durant mes 15 années au Sénat.
M. MacKnight : Sa célèbre observation était qu'un régime fiscal doit être bâti comme un navire en bois; il doit pouvoir s'étendre et se contracter selon la température et, si l'on tente de le rendre trop étanche, il va couler.
Ce que nous avons dit au sujet de ces règles sur les EPE et les FNR, c'est que l'on tente de rendre le système étanche; et cela le rend lourd, dur à la manoeuvre et vulnérable au naufrage.
Le président : Un bâtiment innavigable.
M. MacKnight : Absolument. Je crois donc que nous devons reconsidérer la question. Enfin, sauf tout le respect que je dois à nos collègues du ministère des Finances — nous savons qu'ils font de leur mieux pour donner suite aux engagements qu'ils prennent envers les contribuables, à la fois par écrit et à des tribunes comme celle-ci — ils ont admis cet après-midi que ce projet de loi pose des problèmes. Nous avons signalé un certain nombre d'autres problèmes et nous sommes manifestement profondément en désaccord. Quoi qu'il en soit, pourquoi adopteriez-vous un projet de loi en sachant que des problèmes subsistent qui doivent être réglés — des problèmes que le ministère lui-même a admis être en train d'examiner?
Pour revenir à notre recommandation, je pense que vous devriez retrancher de ce projet de loi tout ce qui concerne les EPE et les FNR, renvoyer le tout au comité d'experts et adopter ensuite le reste du projet de loi qui, comme le secrétaire parlementaire l'a dit, renferme un certain nombre de propositions très importantes.
M. Lalonde : Nous avons dit à de nombreuses reprises pourquoi nous cherchons à imposer les fiducies américaines et je ne suis donc pas certain d'être d'accord avec la première observation.
Pour ce qui est de la deuxième, à savoir que tout le monde serait content si nous adoptions une règle voulant que tout cela ne s'appliquera pas si la fiducie paie l'impôt à un niveau comparable à celui en vigueur au Canada, je dirai que tel est exactement le résultat du crédit pour impôt étranger.
Enfin, sur la question de savoir pourquoi vous devriez adopter un projet de loi alors même que le ministère a fait savoir qu'il est au courant de l'existence de certains problèmes, premièrement, ces problèmes ont surgi vers la fin du processus, du moins de manière officielle, assurément. Deuxièmement, nous ne sommes pas nécessairement d'accord avec l'argument voulant qu'il existe absolument un problème quant à la limite de 15 p. 100 pour le crédit applicable à l'impôt sur le revenu tiré d'un bien. Nous n'avons entendu personne se plaindre d'avoir à payer pour une fiducie un impôt supérieur à ce seuil. J'ai dit par ailleurs qu'il existe actuellement dans le traité fiscal canado-américain des dispositions pour régler ce problème.
Pour ce qui est des grandes caisses de retraite, j'ai dit que nous sommes certainement disposés à examiner la question. En fait, les caisses de retraite elles-mêmes, ou tout au moins l'Association des conseillers en gestion de portefeuille du Canada, a fait savoir dans son mémoire prébudgétaire qu'elle recommandait au ministre des Finances de se pencher sur la question dans le contexte du budget de 2008.
Pourquoi adopter ce projet de loi aujourd'hui? Cela dépend du point de vue que vous adoptez, celui de l'industrie qui utilise les règles existantes dans toute la mesure du possible, ou bien le point de vue d'un gouvernement qui s'efforce de concevoir un système pour empêcher l'évitement fiscal. À chaque fois que ce projet de loi est présenté dans une nouvelle version et que son entrée en vigueur en est retardée d'autant, nous constatons des cas supplémentaires d'évitement.
C'est une mesure importante. Elle n'est pas de celles que vous devriez mettre de côté, à notre avis, sous prétexte qu'il y a un problème dont même le représentant ici présent a dit que nous devrions l'examiner dans le contexte du prochain budget.
Le président : À vous tous, je vous dis merci d'être venus. Sur un sujet aussi compliqué, nous avons eu une discussion très enrichissante. Je crois que chacun a eu la chance d'intervenir et a eu son mot à dire.
Je voudrais remercier aussi mes collègues du comité pour leur bon travail. Nous vivons tous des moments difficiles ici sur la colline. Il est près de 19 heures et nous sommes tous bien réveillés et concentrés et j'en suis donc très heureux.
Un dernier mot sur ce sujet : vous pouvez avoir l'assurance que nous allons réfléchir très sérieusement à ces questions. Vous êtes tous les bienvenus si vous voulez venir demain matin. Je sais que le ministère suit de près nos travaux; mais quant à vous, monsieur Lalonde, je tiens à vous féliciter particulièrement pour votre excellent travail. Je sais que vous êtes épuisé. Vous avez été très obligeant et vous avez fait du très bon travail et vous voudrez probablement être présent demain.
Sinon, je voudrais vous inciter à venir parce qu'il est très possible que de nouvelles questions surgissent, surtout si nous en arrivons à l'étude article par article. Nous vous donnerons alors l'occasion de parler. Je sais que vos collaborateurs seront peut-être présents aussi. C'est à vous d'en décider.
La séance se poursuit à huis clos.