Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 6 - Témoignages du 31 janvier 2008
OTTAWA, le jeudi 31 janvier 2008
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 10 h 45 afin d'examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international et d'en faire rapport. Sujet : faillite et insolvabilité.
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je suis le sénateur David Angus et je suis de Montréal, au Québec. Je suis accompagné de notre estimé vice-président, le sénateur Goldstein, qui est lui aussi du Québec. À notre droite se trouve le sénateur Meighen, qui est originaire du Québec mais qui représente la belle et grande province de l'Ontario. À sa droite se trouve le sénateur Eyton, qui lui aussi représente l'Ontario. À ma gauche se trouve le sénateur Harb, ancien distingué député de la Chambre des communes qui représentait une circonscription d'Ottawa. Il participe activement aux travaux de notre comité. À sa gauche se trouve le sénateur Ringuette, qui est du Nouveau-Brunswick, et qui est parmi les derniers venus à notre comité.
Nous sommes télédiffusés sur la chaîne parlementaire, et nous sommes aussi diffusés sur le Web. Je tiens à bien insister auprès de tous nos auditeurs pour dire que la série d'audiences que nous entreprenons est plutôt extraordinaire. Je m'explique dans un moment.
Je vous souhaite la bienvenue à tous. Nous nous penchons sur la loi-cadre canadienne sur la faillite et l'insolvabilité. Cette loi a connu des réformes importantes au cours des 5 à 10 dernières années ainsi qu'un cheminement tortueux au Parlement. Il en est résulté un ensemble de textes législatifs assez alambiqués.
Nous estimons donc qu'il appartient à notre comité de contribuer à clarifier la loi afin de servir les milliers de parties intéressées au Canada. Il en va de l'intérêt, non pas seulement de ceux qui administrent et interprètent la loi ou statuent sur elle, mais aussi des nombreux citoyens, qu'il s'agisse de personnes morales ou physiques, qui peuvent à l'occasion avoir besoin de la protection qu'offrent nos lois sur la faillite aux particuliers ou aux sociétés qui auraient besoin de refinancer ou de restructurer leurs activités.
Au début du siècle, c'est-à-dire de 2000 à 2003, la question a fait l'objet d'une étude en profondeur dans tout le pays : elle a notamment été étudiée par le gouvernement et par diverses personnes, y compris notre comité, qui a réalisé une étude importante et qui, en 2003, a présenté un rapport au Parlement dans lequel il formulait quelque 63 recommandations. À l'époque, le vice-président du comité n'était pas encore membre du Sénat, mais il était un distingué praticien du droit de la faillite et de l'insolvabilité. Le comité a retenu ses services pendant une longue période de temps, et il nous a été utile dans nos délibérations grâce à ses conseils pratiques et à ses suggestions qui nous ont permis de formuler des recommandations en vue d'améliorer le nouveau cadre législatif que le gouvernement envisageait de mettre en place.
Il a fini par être nommé au Sénat, et c'est une chance pour nous, maintenant que nous allons enfin entreprendre cette étude spéciale qui se fait attendre depuis trop longtemps, de pouvoir compter sur l'apport du sénateur Goldstein à nos délibérations. Il a clairement fait savoir, bien entendu, qu'il est là uniquement en sa qualité de sénateur, mais il est rassurant de savoir qu'il a une connaissance aussi approfondie du sujet. Quand nous nous égarerons, je vous invite, sénateur Goldstein, à nous ramener sur la bonne voie.
En 2004, le projet de loi qui devait constituer la nouvelle loi-cadre a commencé à faire son chemin au Parlement. Il s'agissait du projet de loi C-55. Quand il a fini par arriver au comité compétent de la Chambre des communes, à savoir le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie, ce comité-là avait des contraintes qui l'ont empêché d'étudier en profondeur le projet de loi, mais il s'attendait à ce que notre comité ait par la suite l'occasion de l'étudier à fond.
Cependant, lorsque nous avons été appelés à examiner le projet de loi, le président du comité, qui était à l'époque le sénateur Grafstein, et moi-même, qui étais vice-président, avons eu l'impression qu'on nous demandait de ne prendre qu'un jour pour étudier le projet de loi. Les fonctionnaires des trois ministères concernés, le ministère du Travail, le ministère de l'Industrie et le ministère des Ressources naturelles, nous ont indiqué que, à leur connaissance à tout le moins, il y avait quelque 63 corrections qui devaient être apportées au projet de loi. Le projet de loi contenait toutefois d'autres dispositions qui étaient manifestement bonnes et dont le besoin était urgent. Nous en sommes donc arrivés à un compromis avec le ministre de l'Industrie d'alors, ainsi qu'avec le gouvernement et l'opposition, pour adopter le projet de loi sans en faire une étude approfondie, comme nous avons coutume de le faire, à condition qu'il soit adopté mais qu'il ne soit pas promulgué tant que nous n'aurions pas pu l'examiner en profondeur.
Ce projet de loi est devenu le chapitre 47 des Lois du Canada de 2005, et il n'a toujours pas été proclamé en vigueur. Depuis le début de la nouvelle législature, la trente-huitième — et nous sommes maintenant dans la deuxième session de cette législature —, un projet de loi a été présenté, le C-12. Ce projet de loi reprenait beaucoup des amendements du projet de loi C-55 qui l'avait précédé et faisait en sorte que la loi qui était devenue le chapitre 47 puisse plus aisément être mise en œuvre.
Ce projet de loi nous a été renvoyé vers le 12 décembre. Nous savions qu'il y avait une trentaine de témoins qui souhaitaient présenter leurs points de vue. Il y avait des bruits qui circulaient à ce moment-là, notamment au sujet du déclenchement des élections. Nous avons décidé de faire notre étude coûte que coûte. Nous n'allions pas la terminer avant Noël ni même en janvier. Nous nous sommes dit, en tant que comité, qu'il vaudrait mieux faire rapport du projet de loi au Sénat sans amendement. Nous avons annexé une série d'observations. Il est important de le souligner.
Je me reporte aux Journaux du Sénat et au hansard du 13 décembre. Au cas où ces documents aient été perdus de vue, et pour l'information du professeur Jacob Ziegel, de Toronto, qui a parlé de la façon dont nous avions étudié rapidement — trop rapidement, à son avis — le projet de loi, je vais lire quelques lignes de ces observations pour bien situer le contexte. Nous avons annexé à notre rapport sans amendement du projet de loi ce qui suit :
Nous faisons rapport sur le projet de loi C-12 sans avoir effectué l'examen approfondi habituel, comme ce fût le cas pour le projet de loi C-55, Loi édictant la Loi sur le Programme de protection des salariés et modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et d'autres lois en conséquence. Des groupes d'intéressés ont en effet indiqué que certains éléments du projet de loi devraient être mis en œuvre sans tarder afin de venir en aide aux travailleurs —
— nous faisons expressément référence ici aux dispositions de protection des salariés —
— qui n'ont pas reçu leur salaire ou leur paye de vacances.
Comme nous l'avons signalé dans le dix-septième rapport de la 38e législature, nous approuvons à l'unanimité la protection des travailleurs dont l'employeur a déclaré faillite. Dans le rapport de novembre 2005, nous indiquons que la protection de ces créanciers vulnérables s'imposait depuis longtemps. Plus de deux ans plus tard, nous continuons de croire qu'il s'agit d'une obligation impérative.
Le ministre du Travail est venu témoigner devant nous. Nous avons eu des rencontres avec le ministre de l'Industrie et le ministre des Ressources humaines ainsi qu'avec les fonctionnaires des deux ministères, et on nous a dit qu'on avait déjà repéré d'autres difficultés dans le projet de loi puisqu'il s'agit d'une loi cadre qui est intimement liée à la jurisprudence. Tous les jours, il se produit quelque chose dans le monde réel qui fait qu'on se rend compte que certaines dispositions du projet de loi ne sont pas aussi parfaites qu'elles devraient l'être. On continue à étudier la situation, et c'est ce qu'on nous a dit en comité.
Aussi, nous avons écrit ce qui suit :
Cela dit, nous sommes conscients que les groupes d'intéressés ont des réserves à l'égard de certaines dispositions du projet de loi C-12 et d'autres éléments du régime de la faillite et de l'insolvabilité. Dans son exposé au comité, le ministre du Travail a fait savoir que de nouvelles modifications au régime seraient peut-être apportées l'an prochain —
— et nous sommes maintenant en 2008 —
— Dans ce contexte, nous comptons continuer de travailler à cette importante loi-cadre et nous inviterons les intéressés à soumettre un mémoire au début de 2008.
C'est ce que nous avons fait.
Nous espérons que les recommandations faites à la suite de cette étude seront étudiées avec tout le sérieux voulu par le gouvernement fédéral.
Nous avons reçu des assurances de la part du gouvernement, des fonctionnaires et des représentants politiques que les recommandations sont en cours d'étude.
Dans cet esprit et compte tenu de ce qui avait été entendu — et même si nous ne sommes plus saisis du projet de loi, puisqu'il a reçu la sanction royale — nous espérons que le projet de loi C-12, le projet de loi C-55 et le chapitre 47 seront maintenant proclamés en vigueur dans les meilleurs délais. Cela ne nous pose aucun problème. C'est dans cet esprit que nous entreprenons maintenant notre étude.
[Français]
La Loi sur le programme de protection des salariés et le chapitre 47 des Loi du Canada 2005, le projet de loi C-12 était une réimpression du projet de loi C-62 proposé à la première cession de la trente-neuvième législature et adopté en troisième lecture par la Chambre des communes, le 14 juin 2007.
[Traduction]
Voilà où nous en sommes, mesdames et messieurs. J'espère vous avoir bien situés dans le contexte. J'espère être bien entendu et compris, non pas seulement par les groupes d'intéressés, mais aussi par les témoins, que je vais présenter dans un moment, et les fonctionnaires et les responsables gouvernementaux chargés d'appliquer la loi. Notre comité a hâte d'entreprendre ces audiences et de réaliser cette étude approfondie. Par ailleurs, nous sommes impatients que le projet de loi C-55 de la 38e législature et le projet de loi C-12 de l'actuelle législature soient promulgués et entrent en vigueur immédiatement.
Mes collègues sont aussi de cet avis. Il semble y avoir une certaine confusion. C'est pourquoi j'ai utilisé tout à l'heure le qualificatif « extraordinaire ». Il est important que cette information soit consignée au compte rendu.
Aujourd'hui, nous sommes ravis de recevoir trois témoins. Nous accueillons, de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l'aérospatiale, Louis Erlichman, qui est directeur de la recherche au Canada. Du Syndicat des Métallos, nous accueillons Shaheen Hirani, avocate, et Dennis Deveau, directeur législatif.
Avant que vous ne commenciez, je tiens à vous signaler l'arrivée d'un autre sénateur, qui est un ami et collègue, le sénateur Massicotte, qui est lui aussi du Québec mais qui a des liens étroits avec le Manitoba. Je vais vous présenter un autre sénateur qui arrivera sous peu. J'aurai quelque chose de spécial à dire au sujet du sénateur Fitzpatrick quand il arrivera.
Louis Erlichman, directeur de la recherche au Canada, Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l'aérospatiale : Je prends la parole ici au nom du vice-président pour le Canada, Dave Ritchie, qui ne pouvait pas être là. Notre syndicat représente plus de 50 000 travailleurs et travailleuses dans tout le Canada, que l'on retrouve dans une vaste multitude de secteurs de notre économie, tant au niveau fédéral que dans presque toutes les provinces.
Nous avons été invités à témoigner devant le comité pour lui présenter nos vues sur le projet de loi C-12. Nous sommes heureux que le comité sénatorial ait adopté rapidement le projet de loi C-12 sans tenir d'audiences exhaustives et que ce projet de loi important ait maintenant reçu la sanction royale.
Nous ne savons toujours pas ce qu'il en est exactement des modifications qui découleront du projet de loi C-12 et du projet de loi qui l'avait précédé, ni de ce qu'il reste encore à faire pour que les nouvelles dispositions visant à protéger les salariés soient pleinement en vigueur. Nous espérons que, grâce à votre encouragement, ce qui reste à faire du côté réglementaire et administratif pour ce qui est de la proclamation et d'autres éléments se fasse le plus rapidement possible. Nous sommes heureux de pouvoir vous présenter nos vues sur les prochaines étapes du processus visant à rendre le régime de la faillite et de l'insolvabilité plus équitable pour les travailleurs et travailleuses.
Ces dernières années, nous avons malheureusement vécu pas mal de fermetures et de licenciements, principalement, mais pas uniquement, dans le secteur manufacturier. En tant que syndicat international, nous avons eu à traiter de cas de faillites et de protection contre les créanciers tant au Canada qu'aux États-Unis. Malheureusement, il semble que la fermeture d'usines va se poursuivre au même rythme. La situation pourrait même empirer étant donné la valeur élevée du dollar, les prix élevés de l'énergie et la probabilité d'une récession aux États-Unis.
Dès qu'il y a des fermetures ou des licenciements importants, il en résulte des difficultés pour les travailleurs ainsi que pour leurs familles et leurs collectivités, notamment lorsqu'il s'agit d'une collectivité et que l'entreprise représente un grand nombre d'emplois. Nous avons constaté ces dernières années que, lorsque les travailleurs se retrouvent un emploi, c'est généralement un emploi moins bien rémunéré et qui ne leur procure pas les mêmes avantages sociaux.
Nous sommes extrêmement déçus du fait que tous les paliers de gouvernement ne prennent pas au sérieux la crise de l'emploi dans le secteur manufacturier. Nous avons un besoin urgent d'une stratégie pour composer avec la baisse catastrophique de l'emploi dans le secteur manufacturier. Ce qui pourrait notamment aider les travailleurs et leurs familles qui sont touchés par des fermetures ou par la faillite, ce serait qu'il y ait de plus en plus de bons emplois.
Les fermetures et les cas de faillite et d'insolvabilité sont une triste réalité pour le monde syndical. La menace implicite ou explicite d'une fermeture est souvent utilisée par les employeurs dans les négociations, même lorsque leur situation financière est loin d'être malsaine. Quand un employeur devient insolvable, le processus est dicté principalement par les créanciers et les dirigeants de l'entreprise, ce qui met les travailleurs dans une situation particulièrement vulnérable. Même s'ils sont ceux qui ont le plus à perdre lors d'une faillite, les travailleurs se voient généralement refuser toute information sur la situation financière. Bien souvent, ils ont droit à des mensonges. Les travailleurs ont généralement moins de marge de manœuvre et moins de possibilités que les autres créanciers et investisseurs, et pourtant ce sont ceux qui depuis toujours viennent au dernier rang lorsqu'il s'agit de répartir les éléments d'actif disponibles.
Le processus est particulièrement difficile pour les travailleurs non syndiqués, qui n'ont généralement pas les moyens d'obtenir ce qui leur est dû de par la loi. Le projet de loi C-12 constitue un pas important pour ce qui est de rendre le processus plus équitable pour les travailleurs et leurs familles.
Le Programme de protection des salariés qui assure une plus grande priorité aux gages impayés et aux cotisations de retraite et qui crée un fonds de protection constitue un progrès d'importance crucial. Il est maintenant important de faire plus encore. Nous devons élargir le Programme de protection des salariés, de manière à ce qu'il protège même les travailleurs ayant peu d'ancienneté, qui sont parmi les plus vulnérables.
La couverture actuelle d'environ 3 000 $ représente moins d'un mois de salaire au taux industriel moyen courant. Beaucoup d'employés et d'entreprises en difficultés financières ont des créances qui dépassent de beaucoup ce maximum, bien souvent parce qu'ils ont fait preuve d'une patience extraordinaire afin de permettre à l'entreprise de continuer à exercer son activité. Le montant maximal pourrait être rehaussé considérablement, de manière à atteindre peut-être l'équivalent de trois mois de salaire au taux industriel moyen, ce qui s'élève maintenant à quelque 10 000 $. Il devrait ensuite être indexé en fonction du salaire moyen afin de conserver sa valeur réelle.
La protection doit s'étendre aux indemnités de départ et de cessation d'emploi impayées. Ces sommes correspondent à l'engagement des travailleurs envers leur employeur, engagement qui bien souvent s'étend sur des dizaines d'années, et elles méritent la même priorité que les gages. Quand on omet les indemnités de départ du programme, ce sont les employés qui ont le plus d'ancienneté qui sont les plus pénalisés.
On reconnaît maintenant l'importance clé de la convention collective dans la protection des travailleurs vulnérables en cas de faillite. La convention collective ne peut pas être modifiée unilatéralement dans le cadre du processus prévu par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, ce qui assure aux travailleurs un certain pouvoir de négociation. Il n'en reste pas moins qu'ils sont soumis à des pressions considérables pour ce qui est de céder ou d'échanger leurs droits acquis.
Nous savons que certains groupes réclament que les syndics ou les tribunaux soient autorisés à abroger ou à récrire les conventions collectives dans le cadre du processus de restructuration. Nous vous incitons fortement à ne pas accéder à cette demande. Ce sont les travailleurs qui ont le plus à perdre lorsqu'une entreprise ferme ses portes. Dans un monde où prolifèrent ceux qui cherchent à s'approprier les avoirs privés pour ensuite les revendre, les travailleurs et leurs syndicats sont souvent les seuls à s'intéresser à la viabilité à long terme de l'entreprise. À maintes et maintes reprises, ils se sont montrés prêts à faire le nécessaire pour permettre à leurs entreprises et à leurs collectivités de se maintenir à flot. Nous avons eu à le faire bien des fois. Malheureusement, nous n'avons pas toujours l'occasion de faire le nécessaire pour empêcher qu'une entreprise ne ferme ses portes. On nous met devant le fait accompli.
Ce dont nous n'avons certainement pas besoin, c'est que les conditions de travail soient fixées par les syndics et les juges qui n'ont aucune compréhension ni aucune expérience du milieu de travail. Nous n'avons pas besoin de donner aux employeurs un pouvoir de négociation accru dans le processus d'insolvabilité pour ensuite miner les droits des travailleurs et leurs conventions collectives. Nous avons pu constater comme le régime américain, qui permet aux tribunaux d'abroger les conventions collectives dans l'état d'insolvabilité visé par le chapitre 11, met les travailleurs dans une situation encore plus désavantageuse. Au Canada, parce que nous avons un certain recours grâce à nos conventions collectives, nous avons pu maintenir nos régimes de retraite et négocier d'autres avantages qui sont refusés aux travailleurs américains qui se trouvent aux prises avec un tas de faillites.
Il y a d'autres façons de rendre le processus de faillite plus équitable pour les travailleurs vulnérables. Il faudrait notamment accorder la priorité au financement du déficit de capitalisation du régime de retraite en cas de liquidation. La perte des prestations de retraite qu'ils ont acquises touche le plus durement les retraités et les travailleurs qui ont le plus d'ancienneté et qui sont le moins en mesure de compenser cette perte de leur revenu de retraite.
Dans le même ordre d'idées, la Loi sur les normes de prestation de retraite, la LNPP, une loi fédérale, n'oblige pas à l'heure actuelle l'employeur solvable à financer un manque à gagner dans un régime de retraite auquel il a mis fin, alors que c'est une exigence en Ontario, au Québec et dans la plupart des autres provinces et territoires du Canada. On avait promis d'inclure cette exigence dans la réforme de la LNPP que prévoyait le projet de loi S-10, il y a maintenant 10 ans de cela, et l'exigence avait été incluse dans le projet de règlement publié en 2002, mais elle n'est jamais entrée en vigueur. Or, il suffirait de modifier le règlement par décret pour effectuer ce changement. Ni les gouvernements libéraux ni les gouvernements conservateurs n'ont fait quoi que ce soit pour apporter ce changement qui se fait attendre depuis trop longtemps. Nous vous incitons fortement à appuyer ce changement.
Il y aurait plusieurs autres façons de mieux garantir les prestations de retraite acquises : On pourrait notamment instituer un fonds fédéral garanti pour les prestations de retraite qui protégerait les pensions en cas d'insolvabilité de l'employeur.
Nous avons réalisé certains progrès pour ce qui est d'accroître la protection des travailleurs touchés par l'insolvabilité. Nous espérons que votre comité poursuivra les efforts afin d'accroître l'équité. Je vous remercie encore une fois de nous avoir donné l'occasion de vous présenter nos vues. Nous sommes impatients de répondre aux questions.
Le président : Merci, monsieur Erlichman.
J'ai remarqué l'arrivée de cet homme distingué qui est assis à côté du sénateur Meighen. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je voulais vous présenter un autre sénateur. Le sénateur Fitzpatrick est de l'Okanagan, en Colombie- Britannique. Malheureusement, il arrivera lundi à un âge qui l'empêchera de continuer à siéger au Sénat.
Il siège donc pour la dernière fois aujourd'hui à notre comité. Sénateur Fitzpatrick, je voulais simplement signaler ce départ. Je tiens par ailleurs à vous remercier de l'excellente contribution que vous avez apportée aux délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Vous êtes actuellement membre de notre comité de direction, comme vous l'avez été pour la durée de la présente législature. Votre sagesse, votre jugement équilibré et cette façon que vous avez d'aborder avec calme et compréhension les questions difficiles nous ont très bien servis.
Notre comité s'est rendu dans différentes localités du Canada et aussi des États-Unis; nous sommes notamment allés à Washington et à New York. La connaissance que vous avez du fonctionnement des marchés financiers sous divers régimes a également beaucoup apporté au travail de notre comité. Nous avons envers vous une énorme dette de reconnaissance. Vous allez nous manquer, sénateur Fitzpatrick. Il est intéressant que ce soit votre dernier jour ici aujourd'hui et que ce soit aujourd'hui que nous accueillons les éminents représentants de notre mouvement syndical canadien. Je suis sûr que vous aurez d'excellentes questions à leur poser.
Le sénateur Fitzpatrick : Merci de ces aimables propos. J'ai bien aimé siéger au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce sous la présidence du sénateur Angus, même s'il n'y a peu de temps qu'il occupe le fauteuil. Même si je pars, j'ai confiance que le comité va continuer à faire de belles choses sous son leadership, avec l'aide du sénateur Goldstein. Je puis donner aux témoins l'assurance que c'est un excellent comité. Je n'aurai peut-être pas beaucoup de questions à poser aujourd'hui parce que je n'ai pas fait mes devoirs, je dois l'avouer. C'est la première fois que je me présente à une réunion du comité sans avoir fait mes devoirs.
Cependant, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce est un comité sérieux et constructif. J'ai confiance en la présidence du sénateur Angus. Toutes les considérations sont soigneusement étudiées.
Merci beaucoup. Le comité va me manquer, vous allez tous me manquer et ma participation aux travaux du comité va également me manquer.
Dennis Deveau, directeur législatif, Syndicat des Métallos : Je suis en poste ici à Ottawa, si bien que je traite avec vous tous les jours.
Je remercie le comité de s'être attaqué avec diligence au projet de loi C-12 et de l'avoir fait passer à l'étape suivante aussi rapidement. D'après les discussions que j'ai eues avec divers sénateurs, il est clair que la partie du projet de loi qu'il était important d'adopter rapidement était celle concernant la protection des salariés. C'est un dossier sur lequel les Métallos et moi travaillons depuis un certain nombre d'années.
Nous sommes également ici aujourd'hui pour faire avancer les discussions sur d'autres questions, comme l'avait dit le ministre du Travail lorsqu'il a comparu devant le comité. Je vais demander à Mme Hirani de vous les présenter.
Le président : Merci beaucoup de ces aimables propos. Les dispositions sur la protection des salariés sont les plus importantes pour vous, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y avait pas d'autres raisons d'adopter rapidement le projet de loi. Il contenait bien d'autres dispositions qu'il était urgent d'adopter. Je sais que vous en êtes conscient.
Shaheen Hirani, avocate, Services juridiques du Syndicat des Métallos : Je vais en reparler dans mon exposé.
Comme vous l'avez indiqué, le Syndicat des Métallos est un syndicat international. Nous comptons plus de 280 000 membres au Canada. Nos membres travaillent dans divers secteurs de l'économie canadienne et dans toutes les régions du pays. Au cours de la dernière décennie, nos membres ont vu un nombre croissant de leurs employeurs demander la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ou la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Par souci de commodité, nous désignerions collectivement ces types de procédures par le terme insolvabilité. Comme l'a signalé M. Erlichman, l'insolvabilité a des répercussions dévastatrices sur nos membres et leurs familles, ainsi que sur les communautés dans lesquelles ils vivent. Malheureusement, nous pouvons prévoir que l'appréciation du dollar canadien par rapport à la devise américaine et la continuation des difficultés économiques aux États-Unis dans un avenir prévisible entraîneront encore plus de cas d'insolvabilité et de dévastation pour nos membres et nos communautés.
Le Syndicat des Métallos a vécu la difficile expérience de représenter des milliers de membres qui ont perdu leurs pensions garanties, leurs droits aux termes de la loi et de leurs conventions collectives, ainsi que leurs niveaux de vie, à la suite de cas d'insolvabilité. Nous avons appris que les lois canadiennes sur l'insolvabilité ne protégeaient guère les intérêts de nos membres : des vies ont ainsi été brisées.
La difficulté tient au fait que les travailleurs se trouvent dans une situation unique et qu'ils sont injustement lésés lorsque leur employeur fait faillite et demande la protection des lois sur la faillite. Les travailleuses et les travailleurs ne sont pas des créanciers typiques, ce que la loi doit reconnaître. Le Syndicat des Métallos a lancé sa campagne « Les travailleurs d'abord » en 2004 pour essayer de faire adopter des modifications aux lois afin de surmonter les obstacles auxquels se heurtaient les travailleurs dans les cas de faillite et d'insolvabilité.
Aux termes des lois canadiennes sur la faillite, les créanciers garantis, comme les banques et autres institutions de prêt, peuvent se protéger en prenant une participation de la société qui leur emprunte des fonds. Ils deviennent ainsi des créanciers garantis. Par le passé, ils se sont toujours trouvés en tête de file pour recouvrer leurs créances. Les travailleuses et travailleurs qui avaient droit à un salaire, à une indemnité de départ et de cessation d'emploi, à des indemnités de vacances et dont les régimes de retraite étaient insuffisamment capitalisés étaient des créanciers ordinaires qui pouvaient recevoir les montants qui leur étaient dus seulement une fois que les créanciers garantis avaient été satisfaits. Bien entendu, dans la plupart des cas de faillite, il restait rarement des fonds après la vente des biens du débiteur pour satisfaire les demandes de remboursement des créanciers ordinaires. Il ne restait donc rien pour les travailleurs.
Les travailleurs consacrent des années de travail à leurs employeurs en espérant qu'une fois leur emploi terminé, ils pourront profiter d'une retraite garantie et que leur employeur leur versera ce qui leur est dû aux termes de la loi. Il s'agit là d'une attente raisonnable, et les législateurs doivent veiller à ce qu'elle se réalise.
Nos efforts de lobbying se fondaient sur l'idée que les lois devaient être modifiées afin de mieux protéger les travailleurs. Nous avons soutenu l'argument que les travailleurs ne sont pas comme les banques et autres institutions de prêt. Les travailleurs n'investissent pas d'argent dans le lieu de travail. Ils y investissent leur vie. Le travailleur s'engage dans cet investissement dans des conditions totalement différentes de celles de la banque. La banque est en mesure d'évaluer et d'apprécier les risques de l'affaire et de négocier les conditions de son investissement en conséquence. Le travailleur qui cherche du travail n'a pas la possibilité au cours de son entrevue initiale d'évaluer si l'employeur pourrait faire faillite plus tard. Voilà pourquoi il n'est pas juste que les travailleurs soient traités comme de simples créanciers en cas de faillite ou d'insolvabilité.
En raison de nos efforts de lobbying, ainsi que du soutien et de la collaboration de nos alliés du NPD à la Chambre des communes, le projet de loi C-55 a été adopté le 5 novembre 2005. Le projet de loi C-62 avait remplacé le projet de loi C-55, mais il a expiré au Feuilleton. Le projet de loi S-47, qui l'a remplacé, a fait l'objet de nombreux débats, puis il a à son tour était remplacé par le projet de loi C-12, qui a finalement reçu la sanction royale le 14 décembre 20007.
Cependant, comme l'a expliqué le sénateur Angus, tant que la loi sous-jacente n'aura pas reçu la sanction royale et n'aura pas été mise en vigueur, toutes les modifications pour lesquelles nous avons milité ne se concrétiseront pas. Nous nous réjouissons d'avoir l'occasion de vous présenter nos commentaires et nos propositions sur les modifications futures à la Loi sur l'insolvabilité.
Nous nous présentons devant vous pour exprimer notre soutien à l'esprit du projet de loi C-12 qui, compte tenu des modifications apportées à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, représente de grands progrès dans la résolution de nos préoccupations au sujet de la position et des intérêts des travailleurs dans les cas d'insolvabilité. Le fait que la loi reconnaisse clairement le statut spécial des travailleurs dans les modifications apportées à la LFI et à la LACC nous encourage. Nous attendons ces modifications depuis longtemps et nous encourageons leur adoption sans plus tarder.
Nous remarquons que le projet de loi C-12 maintient les modifications apportées à la LACC et à la LFI, qui confirment que toute convention collective entre le syndicat et la compagnie reste en vigueur après le début de procédures d'insolvabilité. Il est approprié que la convention collective demeure en vigueur pour que les obligations négociées librement envers les employés continuent à être exécutoires grâce à ce mécanisme. Nous appuyons cette disposition, car elle précise et confirme l'état de la loi, telle que nous l'avons interprétée pendant de nombreuses années.
Cependant, nous savons également, d'après notre expérience devant les tribunaux, que le statut des conventions collectives aux termes de la LFI et de la LACC n'a cessé d'être menacé par les créanciers. Nous sommes heureux de voir que la modification des lois apporte de la certitude dans ces situations.
Nous remarquons que les dispositions du projet de loi C-12 permettent aux employeurs de demander que des modifications soient apportées à la convention collective. Une compagnie qui a demandé la protection aux termes de la LFI ou de la LACC peut demander une ordonnance de tribunal autorisant la compagnie à donner un préavis pour négocier des modifications à la convention collective. Par conséquent, les compagnies qui jugent nécessaire d'apporter des modifications à une convention collective pour parvenir à une restructuration concluante peuvent essayer d'obtenir ces modifications. Toutefois, il est important de souligner que le statut de la convention collective est protégé et reconnu en l'absence d'accord conclu sur des modifications à y apporter.
Nous avons des remarques d'ordre technique à faire au sujet du libellé de certaines dispositions du projet de loi C- 12. Nous remarquons que l'article 131 du projet de loi C-55, qui contient le nouveau paragraphe 33(8) de la LACC, confirme que la convention collective restera en vigueur, comme suit :
Il est entendu que toute convention collective, que la compagnie et l'agent négociateur n'ont pas convenu de réviser demeure en vigueur, et que les tribunaux ne peuvent en modifier les termes.
Dans les modifications à la LFI énoncées dans l'article 44 du projet de loi C-55, la phrase « et que les tribunaux ne peuvent en modifier les termes » semble avoir été omise par inadvertance.
Le président : À ce propos, avez-vous eu des discussions avec les fonctionnaires pour déterminer si l'omission a été faite par inadvertance ou si elle était délibérée? S'agissait-il simplement d'une erreur d'impression?
M. Deveau : Les fonctionnaires m'ont indiqué que l'intention était de traiter des deux.
Le président : L'intention était de conserver cet élément de phrase?
M. Deveau : Vous allez devoir en discuter vous-mêmes avec les fonctionnaires.
Le président : Nous le ferons, mais j'aimerais savoir ce que vous avez compris de cette affaire.
M. Deveau : Ce que j'ai compris, c'est que l'intention était effectivement de refléter les deux.
Le président : Cet élément de phrase est-il absent aussi bien de la version française que la version anglaise?
M. Deveau : Oui.
Le président : Merci.
Mme Hirani : Comme les modifications à la LACC et à la LFI contiennent par ailleurs de nombreuses modifications parallèles, la suppression de cette disposition des modifications à la LFI semblerait découler d'une erreur au moment de la rédaction, et la chose devrait être précisée.
Nous réitérons notre soutien à l'objectif global du projet de loi, et nous appuyons ses dispositions particulières dans l'intérêt des travailleurs. En plus de la disposition dont je viens de parler, le Syndicat des Métallos appuie la création d'un programme de protection des salariés et l'établissement d'une « super-priorité » pour les salaires et les cotisations de retraite.
Le projet de loi C-55 prévoit un programme de protection des salariés pour assurer le paiement rapide d'un montant maximum de 3 000 $ aux travailleuses et travailleurs au moment de la faillite. Le programme s'applique aux travailleurs à qui est dû un salaire gagné au cours des six mois précédant une faillite ou une mise sous séquestre. Par salaire, on entend les gages, les commissions, la rémunération pour service rendu et l'indemnité de vacances mais pas l'indemnité de départ et de cessation d'emploi. Le Syndicat des Métallos appuie cette disposition, car elle assure le versement rapide de fonds dus aux travailleurs qui se trouvent confrontés à l'insolvabilité de leur employeur, et approuve les modifications techniques concernant la protection des salariés qui se trouvent dans le projet de loi C-12.
Nous désirons toutefois exprimer notre inquiétude au sujet d'une grave lacune que présente la loi. D'après notre expérience, le montant le plus important qui est dû aux travailleurs dans les cas d'insolvabilité est l'indemnité de départ et de cessation d'emploi, pas les gages. Il n'est pas logique que la loi protège certaines mais pas toutes les obligations d'un employeur envers ses employés au moment d'une cessation d'emploi. La loi serait plus juste envers les travailleurs si l'indemnité de départ et de cessation d'emploi était incluse dans les montants devant être versés aux termes du programme de protection des salariés.
Voici quelques exemples des répercussions de l'insolvabilité qui permettront de mieux comprendre la gravité du problème pour les travailleurs. À Lindsay, en Ontario, par exemple, la vie de près de 30 employés a été complètement bouleversée l'année dernière à cause de l'insolvabilité de leur employeur. Lindsay Electronics a déclaré faillite et a congédié ses employés sans leur verser d'indemnité de départ ou de cessation d'emploi. Le montant total dû aux employés dans cette situation d'insolvabilité s'élevait à quelque 600 000 $. L'employé moyen dans ce cas aurait dû recevoir une indemnité de départ d'environ 20 000 $, en raison des années de service, somme que les employés ne verront sans doute jamais malgré des décennies de dévouement à leur employeur.
Un autre cas étonnant s'est produit dans le nord-ouest de Toronto, en Ontario. Ontario Store Fixtures, fabricant d'accessoires fixes pour magasin, a congédié plus de mille employés, encore là, sans préavis ni indemnité de départ ou de cessation d'emploi. Dans ce cas-là, la somme due aux employés s'élevait à quelque 12 à 14 millions de dollars. Après de durs efforts de la part du syndicat, nous avons réussi à obtenir 20 cents pour chaque dollar pour une fraction seulement des travailleurs touchés par ce cas d'insolvabilité. Malheureusement, même ce piètre résultat n'est pas habituel, puisque dans la plupart des cas les employés ne récupèrent rien de leur employeur en faillite.
Il ne s'agit là que de quelques exemples des nombreux cas où l'insolvabilité de l'employeur entraîne des effets dévastateurs sur la vie économique de nos membres.
Tout comme le programme de protection des salariés, le projet de loi C-55 prévoit une « super-priorité » en créant un charge en faveur des travailleurs pour les gages, les salaires, les commissions ou la rémunération pour services rendus au cours des six mois précédant une faillite, jusqu'à un maximumde 2 000 $. Le Syndicat des Métallos appuie l'établissement d'une telle « super-priorité ».
Enfin, le Syndicat des Métallos appuie les modifications apportées à la LFI par le projet de loi C-55 qui créent une charge sur les actifs de la société débitrice afin de garantir certaines cotisations de retraite, et les dispositions parallèles de la LFI et de la LACC qui exigent une proposition ou un plan aux termes de l'une ou de l'autre loi pour assurer le paiement de certaines cotisations de retraite. La protection des droits à pension est un élément essentiel d'un système de faillite équitable.
En conclusion, nous avons appuyé l'adoption du projet de loi C-55 et sa promulgation rapide. Nous regrettons que le projet de loi C-55, qui a été adopté il y a presque deux ans, ne soit pas entré en vigueur plus tôt, mais nous ne nous opposons pas aux modifications apportées par le projet de loi C-12 relativement au programme de protection des salariés, à la super-priorité pour les salaires et à la protection des cotisations de retraite. Nous encourageons le comité à veiller à ce que l'intention de protéger l'intégrité des conventions collectives se reflète d'une manière équilibrée dans les lois.
Les modifications aux lois canadiennes sur la faillite et l'insolvabilité auraient dû être apportées depuis longtemps et nous demandons instamment que les lois définitives qui donneront lieu aux modifications soient adoptées et promulguées sans plus tarder. Je vous remercie d'avoir bien voulu nous écouter.
Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Le sénateur Meighen : Madame Hirani, je me demande si je pourrais tout d'abord vous demander des précisions au sujet de ce que vous avez dit. Vous ai-je bien entendu dire que, dans le deuxième exemple dans le cas de la deuxième fermeture d'entreprises dont vous avez parlé, le Syndicat des Métallos avait pu, grâce à ses efforts diligents, obtenir 20 cents pour chaque dollar pour une fraction des employés?
Mme Hirani : C'est juste.
Le sénateur Meighen : Comment se fait-il que vous l'ayez obtenu pour certains et pas pour tous? Qui l'a reçue et qui ne la recevra pas?
Mme Hirani : Je ne connais pas les détails de ce cas en particulier parce que je n'ai pas eu à m'en occuper personnellement, mais il y a divers services et diverses catégories d'employés qui ont eu droit à certaines sommes en vertu de la convention collective. Nous avons pu obtenir certaines sommes pour ces travailleurs-là, mais pas, par exemple, pour les salariés qui ne faisaient pas partie du syndicat.
Le sénateur Meighen : Ils n'ont pas eu le droit d'être considérés comme des créanciers non garantis relativement aux sommes qui leur étaient dues. Est-ce bien ce que vous êtes en train de dire?
Mme Hirani : Non, je dis qu'ils étaient des créanciers non garantis et que le système, tel qu'il existe à l'heure actuelle, maintient leur statut de créanciers non garantis. Cependant, au bout du compte, il n'y avait pas suffisamment d'argent pour qu'ils puissent obtenir la totalité des sommes qui leur étaient dues. Ce que nous avons réussi à obtenir pour certains de ces travailleurs, c'était 20 cents pour chaque dollar, si bien qu'ils ont reçu une fraction de ce qui leur était dû.
Le sénateur Meighen : Oui, je comprends qu'il s'agit d'une fraction, mais je n'arrive toujours pas à comprendre si c'est une partie de tous les employés qui ont pu profiter du règlement, si c'est seulement certains travailleurs qui ont reçu cette somme, alors que d'autres n'ont rien reçu.
Mme Hirani : Oui, c'est bien cela. Les personnes non syndiquées n'auraient rien reçu.
Le sénateur Meighen : Vers la fin de votre exposé, vous avez incité le comité à veiller à ce que les conventions collectives soient protégées, et ce, de façon équilibrée. Cette formulation est-elle différente du libellé du projet de loi en tant que tel dont vous avez parlé tout à l'heure, quand vous vous demandiez si un élément de phrase avait été omis par inadvertance ou à dessein? Est-ce là un commentaire que vous faites ou est-ce quelque chose de différent de ce qui se trouve dans le projet de loi?
Mme Hirani : Non, je voulais justement parler de cette omission.
Le sénateur Meighen : Si ce problème était réglé, pensez-vous que le projet de loi protégerait suffisamment les conventions collectives?
Mme Hirani : Oui.
Le sénateur Meighen : Je voudrais maintenant parler de l'indemnité de départ ou de cessation d'emploi. La loi sur la protection des salariés coûterait vraisemblablement au gouvernement fédéral — et, par conséquent, aux contribuables — 35 millions de dollars, dans un contexte économique normal, et elle pourrait coûter jusqu'à 50 millions de dollars si, par malheur, la situation économique empirait.
Monsieur Erlichman ou madame Hirani, avez-vous une idée du montant supplémentaire que cela pourrait nous coûter si nous incluions l'indemnité de départ et de cessation d'emploi?
M. Erlichman : Je ne le sais pas en fait. Vous pourriez essayer de réaliser une analyse, mais tout dépendra du contexte économique et du nombre de cas de faillites. Dans certains secteurs de compétences, l'indemnité de départ est prévue par la loi, alors que, dans d'autres, elle est négociée. Je le répète, vous pourrez faire le calcul, mais je soupçonne que le coût pourrait bien être plus élevé.
Le sénateur Meighen : Mme Hirani a dit que les sommes dues englobent plus que les gages non payés.
M. Erlichman : Nous avons peut-être un parti pris. Le plus souvent, les travailleurs syndiqués reçoivent les gages qui leur sont dus et le reste, mais ils ne reçoivent pas d'indemnités de départ. Je pense que les gestionnaires sont peut-être influencés par le fait que les administrateurs peuvent être tenus personnellement responsables des gages et de l'indemnité de vacances, si bien que ces sommes sont généralement versées.
Je soupçonne — et il est difficile pour nous de le savoir — que dans les milieux non syndiqués, dans des petites entreprises, on met simplement la clé dans la porte. Les gens se présentent au travail et constatent que la porte est fermée à clé, et ils n'arrivent même pas à retrouver ceux qui ont fermé l'entreprise.
Le président : Il n'y a pas de responsabilité des administrateurs et des dirigeants, pas d'assurance-responsabilité?
M. Erlichman : Parfois, ils n'arrivent même pas à les retrouver. Je soupçonne que c'est ce qui se passe dans le cas des gages et des indemnités de vacances dans les entreprises non syndiquées. Il se peut bien que les sommes versées au titre de l'indemnité de départ ou de cessation d'emploi dépassent le total des gages qui sont dus.
Le sénateur Eyton : J'ai une question complémentaire. Vous vous êtes dits satisfaits d'un certain nombre d'éléments qui sont protégés, et vous vous en réjouissez. Il s'agit des salaires, qui sont clairement inclus dans le contrat; des commissions, qui sont sans doute faciles à calculer aussi; de la rémunération pour services rendus, dont le montant est sans doute incertain, mais qui pourrait être calculé; et de l'indemnité de vacances, qui est elle aussi clairement incluse.
J'aurais pensé que l'indemnité de départ et de cessation d'emploi n'était pas aussi définie que ces autres éléments. Est-ce que je me trompe? J'aurais pensé que cette indemnité devrait faire l'objet de négociations et d'un règlement, sans que le montant ne soit certain. De par sa nature, je pense qu'elle est différente des salaires et des commissions, dont le montant est plus facile à calculer.
M. Erlichman : Dans certains secteurs de compétences, la loi prévoit l'obligation de verser une indemnité de départ et de cessation d'emploi.
Le sénateur Eyton : Dites-vous que le montant de cette indemnité est aussi sûr d'être inclus dans les calculs que les autres éléments?
Mme Hirani : Le montant n'est pas difficile à calculer. Il suffit d'avoir une liste du montant de la rémunération des employés pour déterminer quels étaient les gages qu'ils recevaient, leurs années de service et quel serait le montant de l'indemnité de départ à payer; il suffit de multiplier les gages par le nombre de semaines ou d'années de service. C'est un calcul qui doit être fait.
Le sénateur Eyton : Donnez-moi un exemple typique.
Mme Hirani : Dans la plupart des conventions collectives, par exemple, nous cherchons à négocier quelque chose de mieux que les normes minimales. La norme minimale pour l'indemnité de départ est d'une semaine par année de service. Dans certaines circonstances, nous aimerions que ce soit une semaine et demie ou deux semaines par année de service. Ainsi, un travailleur qui aurait travaillé pour une entreprise pendant 20 ans aurait droit à une indemnité de départ de 40 semaines. Pour calculer le montant, nous multiplions le montant de leurs gages par le nombre de semaines.
Le sénateur Eyton : C'est pourquoi le montant en cause peut être aussi considérable que le montant de tous les autres éléments pris ensemble.
Mme Hirani : C'est exact.
Le sénateur Meighen : Il y a d'autres collègues qui souhaitent poser des questions, alors je m'empresse d'en poser deux petites.
Tout d'abord, monsieur Erlichman ou madame Hirani, vous n'avez pas parlé des régimes enregistrés d'épargne- retraite, les REER, ni des régimes enregistrés d'épargne-études, les REEE. Je me souviens qu'il était question de ces deux points dans notre étude de 2003, mais je vous avoue que je ne me souviens pas quelle était la situation en ce qui concerne ces deux types de régimes, pour ce qui est de la faisabilité.
M. Erlichman : Je ne connais pas assez bien la loi. Vous parlez des montants qui ont été retenus mais qui n'ont pas été remis à l'agence?
Le sénateur Meighen : Oui.
M. Erlichman : Je ne suis pas sûr. Il y a une disposition relative aux cotisations de retraite qui ont été déduites ou qui sont impayées. Je crois que ces cotisations ont la priorité en vertu de la loi. Cependant, je ne sais pas certain s'il en est de même pour les retenues relatives aux REER et aux REEE. La situation devrait être la même, bien sûr. Les sommes retenues du chèque de paye devraient avoir une super-priorité si elles sont destinées au régime.
Le sénateur Meighen : Je sais qu'il y a bien des gens qui cotisent à ces deux types de régimes. Je me demandais quelle était la situation.
Enfin estimez-vous qu'il est important, voire impératif pour un débiteur de recevoir des conseils avant de faire une proposition ou avant d'être libéré de sa dette?
M. Erlichman : Pour ce qui est d'obliger un débiteur à demander des conseils, franchement, en tant que syndicat, dans bien des cas, nous sommes devant un fait accompli. Selon les travailleurs, quelqu'un en quelque part a pris la décision — dans certains cas, à l'échelle locale, mais aussi parfois sur un autre continent — de fermer les installations. Cette personne décidera peut-être de mettre l'entreprise en règlement judiciaire, ou peut-être pas.
Le sénateur Meighen : Vous avez des travailleurs — et certains employeurs comptent d'autres employés dans la même situation — qui se créent des problèmes en dépassant les limites autorisées de leur carte de crédit et ce genre de choses.
M. Erlichman : Faites-vous allusion ici aux faillites de particuliers?
Le sénateur Meighen : Oui, d'après vous, est-ce paternaliste, utile ou pas vraiment pertinent?
M. Erlichman : Je ne crois pas que nous nous soyons officiellement prononcés sur la question. Il s'agit là de quelque chose de personnel.
Le sénateur Meighen : La loi porte sur les faillites de particuliers. Or, à cet égard, certains ont proposé qu'avant l'annulation ou la présentation d'une proposition de consommateur, la partie concernée soit obligée de demander des conseils. Vous êtes-vous prononcés là-dessus?
M. Erlichman : Franchement, jamais.
Mme Hirani : J'ai mon idée sur la question, mais je ne pourrais pas en parler au nom de mon syndicat. Je n'en dirai pas plus.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd'hui. J'aimerais discuter avec vous de votre position, à laquelle je suis d'ailleurs assez favorable. J'aimerais cependant me faire l'avocat du diable afin d'en savoir un peu plus sur la question. Vous êtes d'avis qu'on ne devrait pas modifier les conventions collectives et qu'un juge ne devrait pas avoir le droit de le faire lorsqu'une entreprise donnée est en proie à des difficultés financières ou au bord de la faillite.
Je comprends vos arguments. Nous avons tous travaillé pour des entreprises et tenons tous à être rémunérés. Je peux voir aussi pourquoi, d'après vous, les banquiers, et surtout ceux qui peuvent en priorité engager un actif, sont probablement mieux renseignés que les employés et le reste. Toutefois, dans le cas d'une faillite, ce sont surtout les agents contractuels qui sont le plus touchés, c'est-à-dire les fournisseurs de biens, de services et de main-d'œuvre. En règle générale, ils ne sont pas très bien renseignés sur la situation et font leur travail sans savoir ce qui se passe. C'est le plus souvent eux qui perdent tout leur argent, tandis que les banquiers eux, bien au fait de la situation de l'entreprise, n'en perdent qu'une partie, mais enfin, votre position se défend.
Maintenant, si vous le permettez, comparons le niveau de connaissances de l'employé et celui des agents contractuels. Il arrive souvent qu'un employé se doute que quelque chose ne va pas dans son entreprise, surtout quand les cotisations aux régimes de retraite ont cessé. Une sonnette d'alarme se met alors à retentir, il soupçonne que tout ne tourne pas rond chez son employeur si ce dernier ne cotise plus aux retraites. Tout ce débat au sujet des faillites se fonde sur un souci d'équité. Au fond, ce que nous demandons alors, c'est qui doit avoir la priorité? Vous ne serez pas étonné d'apprendre que chacune des parties est persuadée que ses arguments sont plus probants que ceux des autres et qu'elle doit donc l'emporter. Il est donc problématique d'arriver à quelque chose d'équitable.
Je peux aussi comprendre qu'à vos yeux, ce qui se passe aux États-Unis, où des juges, des liquidateurs ou des séquestres prennent des décisions soit un contre-exemple car ces derniers compliquent probablement les choses. Toutefois, il y a parfois moyen de protéger les intérêts de toutes les parties lorsque chacune d'elles négocie de manière équitable; j'entends par là que tout le monde a à cœur de trouver une solution, de laisser survivre l'entreprise et de maintenir les emplois. Or, si le juge n'a pas le droit de tenir compte de votre convention ni de la modifier, et s'il ne réussit pas non plus à nous inciter à négocier, alors cela nuit probablement aux intérêts des autres intervenants, parce que vous rendez la survie de l'entreprise plus difficile.
J'aimerais donc que vous discutiez de cela avec moi. D'après vous, comment vos droits se comparent-ils à ceux des autres? Pourquoi un juge n'aurait-il pas le droit de mettre fin au contrat d'amendement quand il a déjà celui d'annuler tous les contrats d'approvisionnement, même ceux de crédit-bail et le reste. Ne comparez pas votre situation à celle des banquiers, qui ont accès à des renseignements privilégiés, mais plutôt à celle des quelques milliers d'agents contractuels qui d'habitude font affaire avec chaque compagnie.
Mme Hirani : On pourrait répondre de plus d'une manière à cela. Les conventions collectives sont des contrats négociés entre employés et employeurs. Contrairement aux autres contrats cependant, elles revêtent une importance particulière du fait qu'elles ont une incidence sur la subsistance même des travailleurs, ceux qui produisent le bien que vend l'entreprise. C'est nous qui créons les ressources, les recettes de l'entreprise. Pour cette seule raison, la convention mérite une reconnaissance spéciale.
En second lieu, toujours au sujet des conventions collectives, s'ils en ont le choix, les syndicats ne cherchent jamais à acculer l'employeur à la faillite. Ils ont toujours négocié des concessions le cas échéant afin de permettre à l'employeur de rester à flot. Il y va de leur intérêt car leurs membres, les travailleurs de l'employeur, peuvent ainsi conserver leur emploi. Je ne pense pas que vous trouverez de syndicat qui refuse de négocier ou de discuter dans le but de permettre à son entreprise de survivre. Ce n'est jamais le cas. De tous les créanciers de l'entreprise, le syndicat et les travailleurs ont probablement le plus à perdre, soit la viabilité et la survie de leur entreprise. À mon avis, c'est certainement une excellente raison de négocier. Je ne pense donc pas qu'il soit nécessaire de faire intervenir les tribunaux. Les syndicats négocient constamment de manière tout à fait volontaire. Ils n'ont pas besoin de directives de la part des tribunaux, ni de mesures exécutoires.
Le sénateur Massicotte : Permettez-moi d'aller plus loin. Vous avez un monopole. Vous fournissez les services et la main-d'œuvre, et il s'agit d'un monopole. L'agent contractuel a aussi signé un contrat avec l'employeur et détient lui aussi un monopole. Il a cependant le droit de mettre fin à son contrat quand il le veut et d'en chercher un autre, ce qui lui donne un rôle moins important par rapport à l'entreprise, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Ce qui me préoccupe moi, c'est ce monopole que vous détenez, tout en comprenant le traitement spécial dont vous bénéficiez puisqu'il est lié à la subsistance des gens.
Je me demande cependant pourquoi ne pas permettre qu'il y ait un tiers? Si vous détenez un monopole, atout non négligeable dans les négociations, je suis sûr que vous ne tenez pas à ce que l'entreprise fasse faillite. Sans demander quelqu'un d'autre — demandez un juge. Ce n'est pas un expert, il ne connaît pas bien l'entreprise. Si vous ne permettez à personne d'autre d'avoir un droit de regard sur le contrat ou un droit d'examen, ou même celui de vous inciter ou vous forcer à arriver à une entente, les négociations manqueront peut-être d'équité. Il se peut que vous remportiez une grande victoire, mais des milliers de gens, des contractuels vont probablement y perdre énormément à cause de votre position de force. Ne serait-il pas plus juste de donner le droit à un juge de dire que dans telle circonstance, nous sommes désolés, mais vous n'êtes pas juste à l'endroit des autres parties? Évidemment, vous êtes contre, mais vous pouvez sans doute comprendre mon argument.
M. Erlichman : Il me semble qu'il y a des solutions qui n'attendent que l'occasion de régler des problèmes. Nous étions à Air Canada. Pendant les 18 mois qu'ont duré les négociations prévues par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, tous les syndicats se sont prêtés à deux cycles successifs de négociations et ont fait d'importantes concessions. Toutefois, si la direction d'Air Canada avait eu le dernier, il y aurait eu encore d'autres cycles, mais ça n'a pas été imposé par le juge. Dans la majorité des cas, lorsque nous entendons dire qu'une usine va fermer, c'est nous qui allons voir les dirigeants pour leur demander ce que nous pouvons faire. On nous répond : n'y pensez pas; la décision est prise.
Vous ne trouverez pas d'exemples de travailleurs qui ferment l'usine, suppriment leurs emplois et, dans certains cas, détruisent leur propre collectivité. Oubliez les faillites, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et tout le reste. Nos deux syndicats ont été parties prenantes dans le cas de la mine de Flin Flon. L'employeur, Hudson Bay Mining and Smelting est une compagnie minière florissante, qui avait signé des ententes avec tout le monde. Elle est cependant revenue en nous disant avoir besoin d'une entente de 15 ans, sans quoi elle ne pouvait pas promettre de poursuivre ses activités. Elle a donc exercé des pressions incroyables, qui ont été rejetées deux ou trois fois. Enfin, les pressions exercées sur la collectivité ont été telles que les syndicats ont fini par accepter ces conditions. Ils ont tous été forcés d'adhérer à une entente de 15 ans qui excluait toute grève.
Cela s'est fait sans qu'on invoque même la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ou quelque chose du genre. Je comprends là où vous voulez en venir au sujet du besoin d'équilibre. Dans notre cas cependant, en tant que travailleurs et que syndicats, nous n'avons aucun poids autrement.
Le sénateur Massicotte : Vous affirmez qu'il n'y a pas de problème; jusqu'à maintenant, les choses ont bien fonctionné. Toutefois, je crois savoir qu'avant l'ajout de cet amendement, dicté surtout par les instances de l'Assemblée législative de l'Ontario, la loi actuelle n'établissait pas clairement si le juge avait le droit d'examiner la convention collective. C'était une zone d'ombre. C'est manifestement pour cela que vous avez réclamé cet amendement et probablement aussi que vous l'avez obtenu.
Cette zone d'ombre était peut-être à l'avantage de toutes les parties à la négociation, en ce sens que si l'une d'entre elles manquait d'équité et exagérait dans la recherche de ses intérêts, le juge profiterait peut-être de cette indétermination pour intervenir.
M. Erlichman : Franchement, si le juge Farley avait tenté d'imposer quelque chose dans le cadre des négociations avec Air Canada en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, tout se serait effondré, et je crois qu'il s'en rendait bien compte. Il a été assez intelligent pour s'en abstenir, car le syndicat aurait de toute manière fait appel aux tribunaux et à tout le reste pour contester sa décision.
Le président : Vous aviez déjà goûté à la médecine du juge Winkler.
M. Erlichman : Oui, c'est une autre façon de faire.
Le sénateur Fitzpatrick : Mes questions s'adressent à la fois à M. Erlichman et à Mme Hirani. Elles portent sur les cotisations aux régimes de retraite. D'abord, madame Hirani, je crois vous avoir entendu dire que vous représentez quelque 280 000 travailleurs. Je ne suis pas sûr du nombre de travailleurs que M. Erlichman représente.
J'essaie de chiffrer les cotisations aux régimes de retraite. Il s'agit notamment de régimes de retraite privés; non d'un programme gouvernemental. Aussi, ces régimes de retraite doivent certainement être assortis de conditions relatives aux cotisations, aux garanties exigées ainsi qu'à la transparence.
Pouvez-vous donc nous dire quelle a été l'incidence des régimes de retraite privés sur votre syndicat? J'entends par là dans quelle mesure ont-ils fait ressortir les problèmes relatifs au montant et à l'incertitude quant aux montants exigés et quant à ce qu'on a fait des cotisations, tout cela par un mécanisme de transparence que les syndicats sont censés avoir.
Mme Hirani : Ce dont M. Erlichman a parlé dans son exposé, c'était le problème de la sous-capitalisation des régimes de retraite et du passif découlant des régimes de retraite en vertu de la Loi sur les normes de prestations de pension, la LNPP. Ce qui nous préoccupe à cet égard, c'est le fait que les employeurs peuvent prendre un sorte de congé de paiement, s'abstenir de cotiser aux régimes, ce qui nous laisse avec des régimes gravement sous-capitalisés. Ensuite, lorsqu'il y a faillite ou insolvabilité, ces passifs découlant des régimes ne sont pas garantis, ce qui crée d'énormes risques. Qu'arrive-t-il alors aux retraites des travailleurs?
En Ontario, par exemple, on prévoit verser certaines prestations de retraite aux travailleurs à même un fonds des prestations de retraite des travailleurs, mais à part cela, ce genre de régime n'est guère protégé. Par conséquent, à mon avis, le problème tient au fait qu'on permet encore aux employeurs de sous-capitaliser les régimes de retraite et de les laisser dans une situation d'insolvabilité.
Le sénateur Fitzpatrick : Est-ce de la part de l'employeur?
Mme Hirani : C'est exact.
Le sénateur Fitzpatrick : Quelle est la responsabilité pour les cotisations des employés? Qu'arrive-t-il à cette partie du fonds?
M. Erlichman : La loi protège cette partie du fonds, les cotisations qui s'y trouvent actuellement. Toutefois, lorsqu'un régime de retraite à prestations déterminées prend fin et qu'il y a un manque à gagner, au fédéral, l'employeur n'est pas tenu de combler le manque à gagner, peu importe s'il est solvable.
Ainsi, si Air Canada, par exemple, avait pu mettre fin aux régimes de pension — ce que nous ne lui avons pas permis de faire — en 2003, en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ou non, leurs différents régimes de pension enregistrés auraient été sous-financés d'environ 1,5 milliard de dollars. Autrement dit, les prestations de retraite de leurs bénéficiaires, entre autres, auraient été réduites de 1,5 milliard de dollars.
En Ontario et au Québec, si l'entreprise est solvable, elle doit rembourser ces 1,5 milliard de dollars. Au fédéral, ce n'est pas le cas. Premièrement, nous soutenons que, évidemment, le Règlement sur les normes de prestations de pension devrait être modifié afin que les entreprises soient responsables si elles sont solvables.
Si l'entreprise est insolvable, nous souhaitons être reconnus dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité afin qu'une certaine priorité soit accordée à ce régime de pension.
Encore une fois, on voit que ce sont ceux qui ont investi le plus de temps, entre autres, qui subissent les pires impacts; ils ne sont pas en mesure de combler l'écart. Si les travailleurs sont prêts à prendre leur retraite et que leur pension est diminuée de moitié, ou à tout le moins de façon importante, que peuvent-ils faire?
Le sénateur Fitzpatrick : Il s'agit bien entendu d'une situation problématique, mais en général, les cotisations des employés sont-elles à l'abri?
M. Erlichman : Cela dépend de la situation, du financement du régime. Il y a quelques années, de nombreux régimes étaient très sous-capitalisés du point de vue des liquidations en raison des bas taux d'intérêt à long terme et de la dépréciation des marchés. Aujourd'hui, la situation s'est améliorée.
Cela dépend du régime. Dans certains cas, ça ne pose pas de problème, mais dans d'autres, il s'agit d'un problème grave. Nous demandons que les régimes soient pris en considération dans la législation sur la faillite.
Le sénateur Ringuette : Je crois comprendre qu'au cours des 18 derniers mois, nous avons perdu près de 130 000 emplois dans le secteur forestier. Certains d'entre eux s'expliquent par l'insolvabilité, alors que d'autres sont dus à la consolidation. Si les pertes d'emplois ne sont pas dues à l'insolvabilité, quels recours existe-t-il?
Par exemple, si une entreprise américaine possède une usine à Bathurst, au Nouveau-Brunswick, puis décide de la fermer, les employés ne peuvent pas faire appel au projet de loi C-12 parce qu'il ne porte que sur l'insolvabilité, et non sur la fermeture d'une usine. Il s'agit d'une entreprise étrangère. De quels types de recours les travailleurs dans une telle situation disposent-ils?
Mme Hirani : Parlez-vous d'un licenciement non rémunéré?
Le sénateur Ringuette : Oui, des salaires non versés, parce que le projet de loi C-12 ne porte que sur l'insolvabilité. Il ne mentionne pas les fermetures en tant que telles.
Mme Hirani : En général, les fermetures sont un problème qui touche les travailleurs non syndiqués, un problème qui s'aggrave sans cesse.
Le sénateur Ringuette : Je sais que les usines les plus grandes sont syndiquées. Quel est votre rôle? Du point de vue des syndicats, comment pouvez-vous vous attaquer à ce problème?
M. Erlichman : Nous tentons de négocier des bonifications pour les pensions, les licenciements ou le recyclage professionnel, par exemple. Bien entendu, au départ, nous tentons de garder l'usine ouverte, mais ensuite, nous tentons de négocier des bonifications. Dans certains cas, nous avons réussi. Mais ce n'est pas aussi positif que de conserver son emploi.
Le sénateur Ringuette : Même s'il n'y a plus d'entreprise qui fait des affaires au Canada?
M. Erlichman : Nous avons été en mesure de négocier des améliorations importantes du point de vue des licenciements, de la mise à niveau des pensions, et ainsi de suite. Nous sommes parfois en mesure de négocier et les propriétaires souhaitent que l'usine demeure ouverte pendant un certain temps. Il peut se passer différentes choses. C'est ce que nous faisons.
Mme Hirani : Comme M. Erlichman l'a dit, un syndicat peut négocier de différentes façons avec un employeur qui a l'intention de fermer une entreprise; il peut s'agir d'améliorations à la convention collective ou d'un accord sur la fermeture, par exemple. Il y a de nombreuses façons de négocier ce type de fermeture afin d'aider les travailleurs.
Le sénateur Ringuette : Il faut pour cela que l'entreprise soit en territoire canadien. Si ce n'est plus le cas, il n'y a aucun recours. Il n'y a plus d'activités et la convention collective n'est plus valable.
Mme Hirani : Il existe un certain nombre de recours juridiques.
Le sénateur Ringuette : Les employés doivent porter ce fardeau.
Mon autre question a trait à la question des indemnités de départ et de cessation d'emploi dont vous avez parlé ce matin. J'imagine un scénario où un employeur examine les dettes de l'entreprise et dit : « Oups. Il me reste quatre ou cinq mois avant de fermer. Je pourrais peut-être donner un avis de congédiement à mes employés les plus âgés ». Est-ce que cela s'est produit? Ça doit s'être produit, si vous avez soulevé la question de l'indemnité de départ et de cessation d'emploi, qui ne figure pas dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Il n'y a aucune façon de verser une indemnité, et il ne s'agit pas d'un salaire en tant que tel.
Mme Hirani : Je suis certaine que les employeurs usent de toutes sortes de stratégies pour éviter de verser aux travailleurs les montants auxquels ils ont droit. Pour ce qui est des recours des travailleurs, l'une des choses les plus importantes est de se doter d'une convention collective et tenter de la mettre en application. Nous sommes ici aujourd'hui pour parler de la deuxième chose, qui consiste à veiller à ce que la protection en cas de faillite accorde une plus grande priorité aux indemnités de départ et de cessation d'emploi en cas de faillite.
Le sénateur Ringuette : Vous avez donné deux exemples, dont les 1 000 travailleurs à Toronto. Étaient-ils syndiqués?
Mme Hirani : Oui, pour la plupart.
Le sénateur Ringuette : Malgré tout, les employés qui avaient droit à des indemnités de départ et de cessation d'emploi ne les ont pas obtenues, et ils étaient syndiqués. Vous avez parlé d'au moins 1 000 employés.
Mme Hirani : C'est exact.
Le sénateur Ringuette : Si vous parlez de la question des indemnités de départ et de cessation d'emploi, vous avez sans doute recueilli des statistiques au cours des années pour nous convaincre de l'importance d'inclure les indemnités de départ et de cessation d'emploi dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.
M. Erlichman : Honnêtement, je ne suis pas certain que nous ayons réellement accumulé ces statistiques. En général, nous nous penchons sur ces questions au fur et à mesure qu'elles surviennent. Lorsque nous négocions une bonne entente, nous tentons de la faire connaître aux gens; par contre, lorsque nous ne sommes pas en mesure de négocier une si bonne entente que ça, nous avons tendance à ne pas informer les gens autant que nous ne le pourrions. Il serait intéressant de savoir si ces renseignements sont recueillis ailleurs. Nous négocions des ententes de fermeture, entre autres, mais mon organisation ne dispose pas de statistiques.
Mme Hirani : Je suis certaine que l'on pourrait trouver de telles données; je peux tenter de vous fournir ces renseignements.
Le sénateur Ringuette : Je vous en serais reconnaissante, parce que j'aimerais voir des preuves irréfutables au sujet de la question que vous avez soulevée ce matin.
Mme Hirani : Vous aimeriez savoir quel est le montant de la dette envers les employés?
Le sénateur Ringuette : J'aimerais également savoir combien d'employés sont touchés par cette question.
Mme Hirani : Je peux faire ça.
Le président : Si vous pouviez envoyer ces renseignements à la greffière, elle pourrait par la suite les distribuer aux membres du comité. Ce serait utile. Merci.
Sénateur Goldstein, voulez-vous attendre d'avoir entendu tous les témoins avant de poser une question, ou souhaitez-vous poser des questions à ce groupe?
Le sénateur Goldstein : Il me reste trois minutes avec ce groupe. Peut-être que je pourrais poser des questions aux témoins immédiatement.
Le président : Si vous le faites en trois minutes, il se peut que nous recevions une demande pour l'Ordre du Canada. J'aimerais préciser un point aux fins du compte rendu. Vous nous parlez des métallos, mais dans votre lettre, madame Hirani, j'ai lu quelque chose de différent. Souhaitez-vous en parler aux fins du compte rendu? Les gens vont se demander s'il y a réellement 280 000 métallos au Canada.
Mme Hirani : Oui. Je peux vous donner le nom juridique complet de notre syndicat, qui a été modifié récemment. C'est le Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l'énergie, des services et industries connexes. C'est plutôt long. Nous nous appelons le Syndicat des Métallos.
Le président : Et les autres sont à l'aise avec cela?
Mme Hirani : Oui.
Le sénateur Goldstein : Merci d'être ici et de nous avoir instruits par vos exposés. J'ai une observation, et autant de questions que je pourrai poser en 60 secondes.
Madame Hirani, je vous ai entendu avec intérêt mentionner que vous attribuez l'existence du régime d'indemnisation des travailleurs à vos amis, les néo-démocrates. Je pense qu'il est important de souligner que le projet de loi C-55 a été déposé par le gouvernement libéral et que le projet de loi C-12 a été déposé par un gouvernement conservateur. Les deux projets de loi ont reçu le consentement et l'appui unanimes de tous les partis, sauf de la part de vos autres amis les bloquistes, qui ne nous ont pas étonnés en retardant l'adoption du projet de loi C- 12 pendant un moment. Cela dit, si vous souhaitez attribuer le mérite au NPD, on ne peut pas lui attribuer le mérite souvent, de sorte que nous sommes très heureux que vous attribuiez du mérite à ce parti.
Revenons à des questions plus sérieuses; dans les 60 dernières secondes qu'il me reste, j'aimerais revenir à des observations formulées par le sénateur Massicotte. Tous les contrats, y compris les baux de location, font l'objet d'une révision à l'heure actuelle dans le cadre d'une restructuration, sauf les contrats syndicaux. En 2003, le comité a recommandé que, dans certaines circonstances, les conventions collectives fassent également l'objet d'une révision. Voici les circonstances que nous avions prévues : si, de l'opinion d'un tribunal — et non d'un employeur —, une convention collective était formulée de telle sorte que si elle ne faisait pas l'objet de nouvelles négociations, le plan de restructuration ne fonctionnerait pas et, en vertu de ces circonstances seulement, elle pouvait être renégociée sous la supervision d'un juge. Compte tenu de cet avertissement, êtes-vous toujours contre un plan ou une loi qui permettrait la renégociation d'un contrat dans ces circonstances? Gardez en tête que la loi américaine permet la renégociation de contrats et que la main-d'œuvre n'a pas souffert de conséquences négatives, du moins selon les documents que j'ai lus.
M. Erlichman : Vous parlez de renégociation. Nous sommes et continuerons d'être en faveur de la négociation. En fait, rien n'empêche un juge d'ordonner de revenir en arrière. Ce qui nous préoccupe, c'est lorsque c'est forcé.
Je pense à un exemple où le syndicat ne voulait pas négocier et formuler des modifications à la convention collective, ce qui a fait couler l'entreprise. Je n'ai jamais vu un tel exemple. Je ne vois pas pourquoi il est nécessaire de donner à un juge le pouvoir extraordinaire de dire : « Voilà ce qui va tuer l'entreprise », alors que ce n'est jamais arrivé.
Mme Hirani : La réponse courte est non. Je ne pense pas que ce soit nécessaire du tout. Je pense que les conventions collectives n'ont pas à être piétinées par les juges. Je pense que la restructuration d'une entreprise ne doit pas nécessairement se faire au détriment des travailleurs. D'autres parties doivent y contribuer. Si un juge doit intervenir, je pense que cela ne doit pas modifier la convention collective, puisqu'il s'agit d'un contrat négocié librement.
Je veux revenir à ce que vous avez dit au sujet du NPD. C'est un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-281 déposé par l'honorable Pat Martin qui a mentionné cette question en premier. Je ne suis pas d'accord pour dire que cette question figurait au programme des libéraux et des conservateurs. C'est le NPD, avec l'aide des Métallos, qui a attiré l'attention sur cette question. Les néo-démocrates ont fait d'importants efforts pour appuyer et aider les travailleurs de ce mouvement.
Le sénateur Goldstein : C'est vrai que l'honorable Pat Martin a déposé ce projet de loi d'initiative parlementaire, après que nous lui eûmes dit de le faire. Notre comité avait tout d'abord déjà approuvé un plan d'assurance pour les travailleurs.
Cependant, comme je l'ai dit, si vous voulez attribuer le mérite aux néo-démocrates, c'est très bien.
Mme Hirani : Merci.
Le président : Je pense que cette question conclut cette partie de la réunion. Vous avez formulé et fait valoir les arguments que vous souhaitiez présenter. Je vous remercie tous. Vous avez déposé d'excellents documents et de très bons mémoires. Nous allons traiter la discussion sur les partis politiques comme une observation incidente, parce que notre comité se fait un devoir d'être objectif et non partisan.
Notre prochain groupe de témoins comprend des membres éminents et estimés du Congrès du travail du Canada. Nous recevons Ken Georgetti, le président, ainsi que Joel Davison Harden, représentant national (Recherche). Du Syndicat des travailleurs unis de l'automobile, nous recevons Lewis Gottheil, directeur, Services juridiques, ainsi que Paul Forder, directeur, Relations gouvernementales.
Merci d'être ici. Je pense que vous comprenez la nature complexe du projet de loi. C'est frustrant pour les membres du comité et les parlementaires en général, tout comme ça l'est pour vous. Les membres du comité ont pris des mesures toutes spéciales pour accélérer le processus. Toutefois, c'est comme ça.
Deux projets de loi ont passé par le processus et ont déjà obtenu la sanction royale. Il ne reste plus qu'à les proclamer. Ça a peut-être déjà été fait, mais notre message au gouvernement en demandait la proclamation. Les audiences visent à mettre au point ces projets de loi. Nous allons rédiger un nouveau rapport afin de compléter l'examen de ce projet de loi important réalisé par le gouvernement.
Ken Georgetti, président, Congrès du travail du Canada : Les projets de loi ont été proclamés le 14 décembre et nous attendons maintenant qu'ils soient publiés dans la Gazette du Canada.
Le président : Ont-ils reçu la proclamation également?
M. Georgetti : On nous a dit que oui, mais ils ne sont pas encore publiés dans la Gazette du Canada.
Nous pensons qu'il faut du temps pour entamer le processus. Cette semaine seulement, j'ai reçu deux appels téléphoniques et des messages électroniques de travailleurs qui se sont retrouvés dans cette situation et qui se demandaient s'il existait une protection.
Je commencerai par vous remercier, au nom des 3,2 millions de membres du Congrès du travail du Canada, de nous permettre de donner notre point de vue sur le projet de loi C-12 et les mesures qui, selon nous, rendront la législation sur la faillite plus équitable.
Je félicite et remercie le comité d'avoir contribué à l'adoption du projet de loi C-12 par le Parlement avant l'ajournement des Fêtes. Pour ce qui est de la proclamation, le plus tôt sera le mieux. Nous reconnaissons les efforts que vous avez faits pour accélérer l'adoption du projet de loi.
Les syndicats et les experts en faillite vous ont incités à adopter ce projet de loi avant d'envisager des mesures pour l'améliorer. Le projet de loi C-12 constituait la troisième tentative en deux ans pour rendre la législation sur la faillite plus équitable; vous avez, dans toute votre sagesse, vu que ce troisième effort aurait pu être sabordé par des élections fédérales imminentes et vous avez choisi d'agir plutôt que de retarder le processus davantage. Ce geste vous a demandé du courage et notre congrès, de même que tous nos membres et les travailleurs canadiens vous en félicitent.
Quelques personnes se sont plaintes du fait que le projet de loi C-12 n'est pas parfait. Je suis à Ottawa depuis dix ans et je peux vous dire qu'un projet de loi parfait survient aussi souvent que des REER exempts de commission ou des cigarettes légères; ça n'existe pas.
Vous avez fait le bon choix en adoptant ce projet de loi. Vous avez par la suite décidé de tenir des audiences, ce qui est aussi important. Notre mémoire énumère trois recommandations stratégiques à votre intention.
Premièrement, le mémoire propose de modifier le nouveau Programme de protection des salariés, ou PPS. Nous pensons que votre comité devrait recommander l'élimination de la disposition exigeant que la personne ait occupé son emploi pendant trois mois pour être accessible au Programme. Lorsque Davison Harden a réalisé des recherches pour nous, nous avons été étonnés d'apprendre que 7 p. 100 des travailleurs canadiens travaillent moins de trois mois au même endroit, à quelque moment que ce soit. Nous pensons que la durée de l'emploi ne devrait pas être importante.
Pour ce qui est du recouvrement des salaires et prestations perdus, je ne vois pas le lien entre la durée de l'emploi et la dette d'une personne envers une autre. Selon nous, les travailleurs dont la durée de l'emploi est la plus courte sont ceux qui ont besoin du plus de protection. C'est pour cette raison que ce type de discrimination au travail devrait être éliminé du Programme de protection des salariés.
Nous pensons également que les indemnités de départ devraient être couvertes par le Programme de protection des salariés et que la couverture devrait être augmentée pour dépasser sa limite actuelle de 2 000 $ ou de 3 000 $. Les travailleurs méritent de recevoir 100 p. 100 de leurs pertes pendant la période de trois mois que le Programme couvre avant la faillite. Rendons-nous à l'évidence; c'est leur argent. Ils l'ont mérité, ils ont travaillé pour le gagner et ils ont clairement besoin du gouvernement pour le récupérer. Ils sont vulnérables s'ils ne le reçoivent pas.
Notre mémoire ne parle pas des changements à apporter au Programme de protection des salariés. Il applaudit le rejet, dans le projet de loi C-12, du modèle américain de faillite des entreprises, selon lequel les accords sont souvent éviscérés par les juges et les administrateurs de faillites. Il demande également votre appui en vue d'élaborer une politique de promotion des bons emplois et de la sécurité des pensions.
Certains allégueront que ces questions vont au-delà de votre mandat. Nous sommes tout à fait en désaccord avec ces idées étroites. La promotion des bons emplois et de la sécurité des pensions diminuera le fardeau qui pèse sur la législation sur les faillites et le Programme de protection des salariés. Il est essentiel que vous appuyiez ces mesures pour aider les familles de travailleurs et ramener notre économie sur la bonne voie.
Cet argument n'est pas seulement vrai du point de vue empirique. Je ne veux pas que des êtres humains, les citoyens canadiens touchés par les faillites des entreprises, se perdent dans une pile de recherches denses. C'est pour cette raison que je vous parlerai, pendant le reste du temps qui m'est imparti, de Ray Bekaris.
Son histoire a été relatée dans un documentaire de la CBC diffusé le 15 novembre 2004. Ray et sa femme Marilyn vivent à Hamilton, en Ontario. Ray a travaillé pendant 27 ans pour Cold Metal Products, une entreprise d'acier laminé dont les clients incluent la Monnaie royale canadienne et d'autres importants fabricants de produits en métal.
Ray travaillait fort et se salissait pendant ses quarts de travail de 12 heures; lorsqu'il était un jeune homme, on lui avait dit qu'il serait récompensé par des salaires décents pendant toute sa vie ainsi qu'une bonne pension à sa retraite. En 2003, Cold Metal Products a fait faillite. Soudainement, 200 emplois bien rémunérés ont disparu.
Peu après la fermeture de l'usine, Ray et ses collègues de travail ont reçu un autre rude coup. Ils ont découvert que leur pension n'était financée qu'à moitié et que leurs prestations de retraite seraient réduites pendant les procédures de faillite de l'entreprise. Bon nombre de travailleurs ayant plusieurs années de service comme Ray s'attendaient à recevoir des pensions d'environ 2 000 $ par mois — 24 000 $ par année — mais n'ont reçu que la moitié de ce montant. Par conséquent, ils se sont vus forcés de trouver du travail ailleurs, à des salaires moindres. Après 27 ans de dur labeur, Ray, 61 ans, s'est vu forcé de reprendre les quarts de travail de 12 heures; il fabriquait des contenants d'œufs dans une usine différente.
Malheureusement, il n'est pas le seul dans cette situation. Depuis 2002, nous avons perdu plus de 300 000 emplois dans le secteur des ressources et le secteur manufacturier dont les travailleurs qui étaient en mesure de faire vivre leurs familles grâce à leur salaire se retrouvaient dans une situation où ils étaient à peine en mesure de subvenir à leurs besoins avec leur nouveau salaire. Dans la plupart des cas, les travailleurs et les retraités ont fait face à une réduction de leurs prestations de retraite et d'assurance santé en raison du sous-financement des employeurs. Parfois, ces prestations ont été perdues entièrement.
Après que les directeurs de l'entreprise et les créanciers riches se furent attaquer à la carcasse des employeurs en faillite, il ne reste pas suffisamment d'argent pour combler les pertes de salaire et de prestations de retraite des employés. Lorsque les banques et les riches prêteurs disent qu'ils assument tous les risques en cas de faillite, je veux que vous vous souveniez de Ray et Marilyn Bekaris. Pensez au risque auquel ils font face et aux conséquences qu'ils ont dû subir.
J'aimerais que vous appuyiez la création d'un fonds national garantissant les prestations de retraite pour aider les gens comme Ray et Marilyn ainsi que les dizaines de milliers de personnes qui se retrouvent dans leur situation. Nous aimerions que vous appuyiez l'établissement d'une politique active du marché du travail qui pourrait les aider à prendre leur retraite dignement, offrir de bons emplois à leurs enfants et à leurs petits-enfants et donner à ces familles l'appui et le respect qu'ils méritent, à titre de Canadiens.
Je veux que vous pensiez à ce que cela représente d'avoir besoin de soins médicaux essentiels et de voir les prestations de votre famille réduites. Malheureusement, cette situation survient chaque jour au pays. Je veux que vous pensiez aux répercussions de la crise actuelle que subit le secteur manufacturier sur ces collectivités canadiennes. Dans notre pays, d'un océan à l'autre, des gens souffrent. Non seulement les travailleurs perdent-ils leurs emplois, mais ceux qui vivent dans des villes mono-industrielles, perdent aussi leur bien principal, leur maison, qui n'a plus aucune valeur. Personne ne veut plus vivre dans ces villes parce qu'il n'y a pas d'emplois.
À moins que vous ne soyez influencés par ces soi-disant partisans du marché libre — ceux qui disent que le gouvernement ne devrait pas s'ingérer dans l'économie — je vous rappelle ce qui s'est passé en août dernier pendant la crise touchant les banquiers. Les 16 et 17 août derniers, la Banque du Canada a dépensé plus de 720 millions de dollars pour secourir ceux qui se trouvaient embourbés jusqu'au cou dans ce que l'on appelle les papiers commerciaux adossés à des actifs.
En dépit des prédictions selon lesquelles il n'y aurait pas de crise américaine du marché hypothécaire à risque, nous en avons ressenti les effets ici et nous continuons de le faire. Depuis, nous avons laissé dix banques, menées par Priddy Crawford, créer leur propre sortie de secours après avoir pris de mauvais risques avec l'argent des autres. Même les gouvernements ont déprécié d'énormes montants et perdu des actifs. Cet argent aurait pu être utilisé pour mettre des pensions et des prestations à l'abri. Il aurait pu permettre de construire des ponts et des hôpitaux ou de former des travailleurs dans de nouveaux domaines.
L'été dernier, il y a eu une réaction rapide à la crise des banques. Il est maintenant temps de voir le même engagement envers les familles de travailleurs. Il y a une crise. Nous perdons notre sécurité économique et notre classe moyenne parce que personne ne fait attention à notre économie. La prochaine fois où vous entendrez quelqu'un vous dire que c'est impossible, répondez-leur que si c'est assez bon pour les banques, c'est assez bon pour les citoyens canadiens qui ont travaillé pour gagner leur salaire.
Merci de nous avoir invités aujourd'hui. Encore une fois, je vous félicite d'avoir veillé à l'adoption du projet de loi C-12. Vous avez bien agi. Nous devons maintenant mettre à profit les initiatives positives du projet de loi C-12. Pour ce faire, il faut apporter des changements techniques, mais également des réformes visionnaires. Au XXIe siècle, à Ottawa, nous avons besoin d'une telle vision et je vous encourage à l'adopter.
Lewis Gottheil, directeur, Services juridiques, Syndicat des travailleurs unis de l'automobile (TCA-Canada) : Nous aussi vous remercions de nous avoir invités et de nous donner cette occasion de présenter nos mémoires. Comme nous l'avons mentionné dans notre mémoire, les TCA représentent 260 000 travailleurs partout au Canada, dans chaque province et territoire, et dans presque chaque secteur de l'économie privée. Nos 260 000 membres ne sont pas tous des travailleurs de l'automobile. Nous aimerions que ce soit le cas, mais malheureusement, ça ne l'est pas. Nous représentons des travailleurs d'une vaste gamme de secteurs.
Le président : À titre d'information pour nos téléspectateurs, le CTC est un organisme cadre qui compte quelques millions de membres.
M. Georgetti : Nous comptons 3,2 millions de membres, répartis dans 68 syndicats affiliés.
Le président : Est-ce que vos membres figurent dans ce total, avec les métallos, les machinistes et les travailleurs de l'aérospatiale?
M. Georgetti : Oui.
Le président : Nous notons que 50 000 membres de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, l'AIMTA, et 280 000 membres des Métallurgistes unis se tournent vers vous.
M. Gottheil : Nous formulons dans notre mémoire six points essentiels que je reprendrai dans mes remarques.
Premièrement, le projet de loi C-12 est un bon point de départ en vue d'une réforme des lois sur l'insolvabilité. Mais il faut réaliser plus de progrès pour les employés syndiqués et non du Canada. Deuxièmement, il faudrait améliorer le Programme de protection des salariés en élargissant la définition de « salaire » afin d'y inclure les indemnités de départ et de cessation d'emploi. Troisièmement, il faut réviser à la hausse le plafond de 3 000 $ sur les réclamations pour salaire impayé, au titre du Programme de protection des salariés. Je suggère que, quel que soit le montant chiffré qu'on choisira à l'avenir, il serait bon d'envisager la possibilité de le faire figurer dans les règlements, afin qu'il puisse être revu à la hausse de temps à autre, sans nécessairement s'adresser au Parlement à cet effet. Quant à la limite de 3 000 $, elle est manifestement insuffisante, selon nous.
Quatrièmement, la super priorité des réclamations salariales des travailleurs, à déduire de certains avoirs de la société en faillite, devrait inclure les indemnités de départ et de cessation d'emploi. Comme le fait le Programme de protection des salariés, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité devrait rendre obligatoire la création d'un programme d'assurance des prestations de retraite, qui contribuerait au financement des fonds de pension et remédierait aux lacunes, en cas d'insolvabilité ou de faillite.
Ce sont des points qui relèvent d'un même raisonnement, qu'il est bon d'énoncer et de répéter : selon nous, des travailleurs employés puis licenciés par un employeur insolvable sont mis dans une situation de vulnérabilité personnelle et humaine accrue, du fait de l'échec de l'entreprise ou des services sur le lieu de travail. J'oserais dire qu'ils sont plus vulnérables que des banquiers, des sociétés propriétaires d'immeubles ou d'autres fournisseurs et prêteurs institutionnels. En effet, un employé qui perd son emploi n'a généralement pas d'autre moyen de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille quand il ou elle n'a pas trouvé d'autre emploi. Qui plus est, cet autre emploi est souvent moins bien payé, et comporte moins d'avantages. Pour les travailleurs, c'est un nouveau départ sans ancienneté et, généralement, dans des conditions de travail inférieures à celles de l'emploi occupé auparavant. Pour les personnes à la retraite et sur le point de la prendre, la vulnérabilité est encore accrue parce que, à ce stade, il est beaucoup plus difficile de trouver un autre emploi.
Les prêteurs institutionnels et les autres sociétés offrent généralement des prêts plus diversifiés et leur clientèle est plus diverse. En principe, le fait qu'un client ayant contracté un prêt manque à ses engagements ne devrait pas avoir de répercussion significative sur les perspectives économiques de la banque ou du prêteur institutionnel à moyen ou long terme.
Qui plus est, dans le cadre des rapports établis avec l'employeur, le banquier ou le prêteur a les moyens d'analyser les risques liés au prêt en question, tandis que les travailleurs commencent à travailler quelque part et y restent peut-être de 5 à 15 ans. Après 15 ans d'emploi, il est inconcevable d'affirmer qu'un travailleur peut analyser ses chances de maintenir son emploi de la même façon qu'un prêteur peut analyser les risques associés à un prêt et en modifier les conditions avant de l'accorder. Un travailleur engage sa sueur, son effort et son dévouement à l'employeur. Un travailleur n'a pas la possibilité de répartir le risque ou d'avoir toute une gamme de liens d'emploi. Au mieux, un travailleur pourrait avoir un second emploi à temps partiel, à supposer qu'il n'ait pas de responsabilité familiale.
La relation d'emploi est conditionnelle en ce sens qu'elle n'est pas égale entre l'employeur et l'employé, parce que l'employé dépend de l'employeur. Les tribunaux et d'autres instances ont reconnu à plusieurs reprises le caractère inégal de ce rapport de forces, qui a de vraies répercussions. Même s'il existe dans les lieux de travail un syndicat qui peut négocier une convention collective, l'employeur conserve tout un ensemble de droits et de prérogatives, dont celui de choisir les produits qu'il produira, le lieu où ils seront conçus et produits, la façon dont ils seront vendus, leur commercialisation, et cetera. Ces facteurs clés montrent que le travailleur est dans une position vulnérable.
C'est l'application de ce principe qui nécessite, selon nous, des améliorations dans le Programme de protection des salariés, la super-priorité et la sécurité de la retraite.
Permettez-moi une parenthèse pour souligner, comme l'a fait M. Georgetti il y a un instant, combien le moment est bien choisi pour envisager ces améliorations urgentes. Nous estimons que le secteur manufacturier du Canada est en crise et que la crise est véritable. On ne s'en aperçoit peut-être pas dans le centre-ville de Toronto, si l'on travaille dans l'une des grandes tours, mais ailleurs à Toronto et partout au pays, dans les petites et moyennes entreprises, il existe vraiment une crise du secteur manufacturier, du fait de l'appréciation du dollar canadien et d'autres facteurs.
Prenez ce qui s'est passé la semaine dernière encore. Notre syndicat a affronté à Kitchener une situation terrible impliquant une société du nom de Ledco. Soixante employés travaillaient dans l'atelier, certains depuis 35 ou 40 ans. Le mercredi 24 janvier 2008, l'employeur leur a fermé ses portes. Notre syndicat a déposé une demande de déclaration de lock-out illégal auprès de la Commission des relations de travail de l'Ontario, la CRTO. Je parle de « lockout », parce que l'employeur a dit aux travailleurs, individuellement, lors d'une réunion avec un auditoire captif, que Ledco fermerait ses portes, sauf s'ils consentaient à certains changements. La demande de déclaration de grève illégale a été déposée auprès de la CRTO le 24 janvier. Trois heures plus tard, l'employeur a procédé à une cession des biens en vertu de la Loi sur la faillite, sans préavis au syndicat.
D'un coup, ces travailleurs dont certains avaient 35 ou 40 ans d'ancienneté, ont appris qu'ils étaient au chômage. On ne leur avait pas payé trois jours de salaire dus, vu comment tombait la période de paie, ils n'ont pas d'indemnité de départ ni de cessation d'emploi. Ils sont sans emploi à Kitchener et entièrement livrés à leurs propres moyens. Il est profondément anormal que des gens puissent consacrer 35 ans de leur vie à un emploi et voir leur avenir anéanti ainsi.
Quelqu'un qui a passé cinq ans dans la société trouvera peut-être un autre emploi, mais sans doute pas un emploi dans le secteur manufacturier rapportant de 20 $ à 25 $ de l'heure, comme celui chez Ledco. Une personne ayant 30 ans d'expérience aura du mal à trouver un emploi effectif. C'est pourquoi le moment est bien choisi et nous encourageons le comité à aller de l'avant parce que c'est maintenant que la crise se fait sentir.
J'aimerais faire une ou deux remarques spécifiques au sujet des indemnités de départ et de cessation d'emploi. Je souligne que les indemnités de départ sont un droit mérité, quelque chose que des travailleurs gagnent jour après jour, en faisant leur travail. Dans certaines circonstances, quand on met fin à leur emploi, la rémunération leur est fournie, pas comme pourboire ni bonus, mais en reconnaissance de leur contribution. Quand ces travailleurs quittent leur travail, ils perdent les prestations liées à l'ancienneté et au service; ils repartent à zéro dans une position subalterne. Quand ces travailleurs quittent leur emploi, ils perdent les avantages associés à l'ancienneté et aux années de service. Ils repartent au bas de l'échelle dans un poste subalterne sans prestations afférentes. C'est cette perte que reconnaissent les indemnités de départ.
D'autres pays d'Europe, par exemple, assimilent l'indemnité de départ et de fin d'emploi aux salaires devant être protégés et versés au moment de la déclaration d'insolvabilité. Par exemple, à la page 10 de notre mémoire, nous citons l'exemple de la France où un programme d'assurance garantie des salaires a été créé en 1973. Le programme couvre l'indemnité de préavis, l'équivalent de notre indemnité de fin d'emploi.
L'Organisation internationale du travail, l'OIT, a la convention sur la protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de leur employeur. La convention prévoit un statut privilégié pour l'indemnité de départ des travailleurs en cas d'insolvabilité. À la page 11 de notre mémoire, nous citons le cas d'autres pays d'Europe qui envisagent de traiter l'indemnité de départ et de fin d'emploi de la sorte.
Au Canada, nous réfléchissons encore à la question. Certes, les choses évoluent mais nous n'avons pas encore atteint l'objectif. Voilà pourquoi nous vous conseillons de regarder ce qui se passe dans des pays semblables au nôtre afin que nous puissions progresser dans la voie de la reconnaissance du droit des travailleurs à une protection de leur indemnité de départ et de fin d'emploi. Tout comme nous, ces pays industrialisés évoluent dans un contexte de concurrence économique mondiale et ont des rapports avec les banques et les institutions de prêts.
Aux pages 12 à 15 de notre mémoire, nous traitons des lacunes des fonds de pension ou de la sécurité du revenu de pension. En général, on s'accorde à dire que les prestations de pension sont une rémunération différée. Ce sont des prestations gagnées dans le présent mais versées dans l'avenir.
Je l'ai dit tout à l'heure mais il est bon de le répéter : personne n'est plus vulnérable qu'un travailleur à la retraite ou un travailleur près de la retraite qui, en raison de son âge ou de sa santé, a de la difficulté à trouver une autre source de revenu d'emploi.
Les travailleurs qui sont dans ce cas-là ont exécuté leur partie du contrat et tel que prévu par le contrat, ils s'attendent à être indemnisés plus tard. En cas d'insolvabilité, si un employeur ne peut pas respecter son engagement, selon moi, l'ensemble de la société canadienne doit intervenir pour prendre le relais de cet engagement rompu.
Cela pourrait être fiscalisé en ciblant la collectivité ou le secteur de l'économie intéressé qui verserait un impôt pour alimenter le fonds. En Ontario, la Loi sur les prestations de retraite prévoit un fonds de garantie des prestations de retraite, moyennant quoi certaines prestations limitées déterminées sont protégées jusqu'à trois ans avant l'insolvabilité. On financera les prestations déterminées disponibles.
La notion a cours au Canada actuellement. Les Canadiens à l'échelle du pays devraient y adhérer et les autorités provinciales apporter la coopération nécessaire car nous le devons bien aux retraités canadiens.
Le président : Merci de vos deux excellents exposés.
Le sénateur Ringuette : Je vous remercie pour le tableau qui figure à la page 11 de votre mémoire et qui fournit des chiffres sur les travailleurs qui ont moins de trois mois de service. Ces chiffres sont éloquents.
Quand les fonctionnaires ont témoigné devant le comité, ils ont dit que la limite de trois mois de service figurait dans le projet de loi pour enrayer la possibilité qu'un employeur embauche des membres de sa famille durant les quelques mois précédant la faillite afin de tirer partie des dispositions du projet de loi C-12. Toutefois, vu les chiffres que vous fournissez, vos arguments sont tout à fait fondés.
Autre question : les pensions. Je pense que le gouvernement fédéral dispose des moyens, non grâce à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité mais à la Loi sur l'Agence de revenu du Canada, d'imposer des sanctions lourdes à un employeur — une société — si quand il fait sa déclaration d'impôt, la réserve ne respecte pas les dispositions de la Loi de l'impôt ou n'est pas prévue dans ses états financiers.
Dans de tels cas, non seulement les employés sont désemparés et démunis financièrement, mais les gouvernements provincial et fédéral doivent éponger les revenus manquants et le manque à gagner fiscal. Dans votre analyse de la situation des pensions, avez-vous étudié cette possibilité?
M. Gottheil : Non, nous n'avons pas songé à des modifications aux dispositions législatives comme celles de la Loi sur l'Agence du revenu du Canada. Si j'ai bien compris votre argument, vous préconisez que l'employeur qui ne respecte pas les exigences fixées pour la réserve, de temps à autre...
Le sénateur Ringuette : Tous les ans.
M. Gottheil : Oui, ou en temps opportun. Vous préconisez que la Loi sur l'Agence du revenu du Canada par exemple prévoit une sanction dissuasive que risquerait un employeur et que cela permettrait d'alimenter le fonds.
Nous ne l'avons pas fait pour la raison suivante : De façon générale, la surveillance et la réglementation des régimes de pension de la plupart des employeurs au Canada sont de compétence provinciale. Par exemple, en Ontario, la Loi sur les prestations de pension dicte certaines règles sur la capitalisation, et cetera.
Ce que nous disons dans notre mémoire, et vous l'avez rappelé à juste titre, c'est que la question devrait être abordée sous deux angles en l'occurrence. Tout d'abord, il faut un système de surveillance et de réglementation musclé et strict. Toutefois, nous nous rendons bien compte que cet aspect relève de façon générale de la province. Nous devons veiller à ce que les rapports actuariels soient déposés en temps utile. En outre, s'il y a menace d'insolvabilité ou de difficulté chez un employeur, les rapports actuariels devant être fournis tous les trois ans le seraient annuellement. Il faut être plus vigilant.
Voici notre argument. Malheureusement, quand il y a insolvabilité, la loi fédérale intervient. Selon nous, les lois fédérales concernant l'insolvabilité devraient permettre au palier fédéral d'intervenir. Le Parlement affirmerait : « En cas de faillite, il existe désormais un fonds de garantie des prestations de retraite établi de façon générale pour que, en cas d'insolvabilité, les retraités puissent compter sur des sommes minimum, à défaut des prestations auxquelles ils ont droit. Nous devons cette garantie aux travailleurs et aux pensionnés canadiens, qu'ils habitent à Terre-Neuve-et- Labrador, dans le sud de l'Ontario, en Alberta ou ailleurs. »
Le modèle ontarien existe et il peut être adapté ailleurs. Il y a eu des cas effrayants, par exemple, à Amhersburg en Ontario, où les travailleurs d'une compagne appelée General Chemical ont perdu environ un tiers des prestations de pension qu'ils espéraient toucher. Nous comprenons bien que General Chemical est devenu insolvable mais nous posons la question : les travailleurs qui ont contribué à la prospérité de cette compagnie et de la collectivité ne méritent- ils pas un sort meilleur pendant leurs années de retraite?
Paul Forder, directeur, Relations gouvernementales, Syndicat des travailleurs canadiens de l'automobile (TCA-Canada) : Je voudrais ajouter quelque chose ici. Il est important de retenir cette notion pour les provinces qui n'ont pas assez de capitalisation, comme par exemple le Nouveau-Brunswick. Il y a le cas de Nackawic au Nouveau-Brunswick où près de 25 p. 100 de la population a été mise à pied quand une compagnie étrangère a déclaré faillite. La même chose est arrivée à General Chemical. Une compagnie étrangère basée aux États-Unis a déclaré faillite. Non seulement les travailleurs ont perdu 35 p. 100 de leur pension, comme l'a dit M. Gottheil, mais ils ont perdu tout la gamme d'avantages sociaux.
Imaginez ce scénario : Vous êtes chez vous et vous recevez un appel. J'espère que cela ne nous arrivera jamais mais au fur et à mesure que les baby-boomers vieilliront, cela se produira plus souvent. Toujours est-il que vous recevez un appel du foyer qui s'occupe de votre femme et on vous demande d'aller la chercher car vous avez perdu la couverture pour les soins dont elle bénéficiait. La compagnie s'est chargée d'aviser le foyer de la situation. Vous allez faire exécuter une ordonnance pour le cœur mais on vous la refuse car vous n'êtes plus couvert. Désormais, vous devrez verser 300 $ par mois d'une part et 500 $ d'autre part pour le même médicament. Tout cela vous arrive alors que vous vous attendiez à prendre une retraite sans souci après avoir travaillé 30 ou 40 ans et voilà qu'être privé de ces avantages est absolument dévastateur et cruel.
On doit vous féliciter d'ouvrir la voie à cet égard. C'est une question qui devrait être libre de toute partisanerie. Nous devons trouver la volonté politique de veiller à ce qu'aucun Canadien qui a travaillé ardument pendant longtemps n'ait besoin de souffrir l'indignité que représente la perte de ses prestations et de ses droits. Cette question dépasse votre propos mais si vous voulez réfléchir à ces questions, vous jugerez peut-être utile de parler à Harry Arthurs et aux membres de sa Commission d'experts sur les pensions car ils pourront vous relater toute une gamme de cas semblables.
Enfin, à Slater Steel, un travailleur a non seulement perdu 35 p. 100 de sa pension et tous ses avantages mais il a été victime d'un accident cérébrovasculaire. Il s'est présenté devant la Commission et a déclaré : « Il m'en coûte désormais 7 000 $ par année de médicaments. » Parmi les 700 victimes, certains ont vendu leur maison pour subvenir à leurs besoins étant donné la réduction de leur pension et la perte de leurs avantages sociaux. Vous faites donc quelque chose de louable et nous tenons à le saluer.
Nous pourrions vous donner quantité d'autres cas en temps opportun pour que vous compreniez mieux la gravité de cette crise qui touche toutes les provinces. Si on adopte une loi nationale pour garantir les pensions et les avantages, et si le financement adéquat est mis en place, ce sera innovateur pour que tous les travailleurs jouissent d'une plus grande sécurité, plus solide à l'avenir. La plupart des baby-boomers envisagent en ce moment le moment de leur retraite si bien qu'il est plus important que jamais que ce dossier soit examiné avec sérieux et qu'on légifère.
Le sénateur Ringuette : Vous avez fait allusion à Nackawic. Je suis du Nouveau-Brunswick et je me suis abstenue de parler de Nackawic dans les questions que j'ai adressées au témoin précédent. En l'occurrence, il s'agissait d'une entité américaine qui ne s'est pas déclarée insolvable. Elle a fermé ses portes. Aucun recours possible : le régime de pension avait disparu, les salaires aussi et les avantages également.
Si vous avez des ébauches de dispositions législatives concernant cette question des pensions, je serais heureuse que vous me les fassiez parvenir. Nous entrevoyons une conjoncture économique moins positive et les plus vulnérables de notre société doivent être protégés.
Le président : Les sénateurs voudront peut-être faire intervenir l'aspect financier lors de l'interrogation des témoins. Je me demande moi-même : « D'où cet argent vient-il? »
Le sénateur Meighen : C'est essentiellement où je veux en venir.
Puisque je suis ontarien, je devrais connaître la réponse mais j'aimerais savoir tout d'abord, monsieur Gottheil, à propos de cette protection qui existe en Ontario pour les pensions sous-financées, si elle est autofinancée? Est-ce semblable à ce qui existe dans l'industrie du voyage où quand un membre fait faillite et que les gens sont empêchés de voyager, et cetera.?
M. Gottheil : Je pourrai vérifier mais si je ne m'abuse, au moment de l'enregistrement ou de l'administration du régime, certaines sommes sont versées dans le fonds. Toutefois, je rappelle également que le fonds est garanti par le trésor public provincial.
Le sénateur Meighen : Et s'il n'y a pas assez pour couvrir la perte?
M. Gottheil : Le gouvernement a laissé savoir de façon générale que s'il y a des droits protégés par la loi, et si le régime a besoin d'être renfloué, il interviendra. Si le fonds est à sec, le gouvernement va intervenir pour garantir que les dispositions de la loi sont respectées. Il y a eu des situations graves, par exemple dans le secteur de l'acier. Mes amis des Métallos unis pourront vous parler plus abondamment des problèmes éprouvés par de gros employeurs dans ce secteur. Quoi qu'il en soit, les gouvernements de toutes allégeances devraient annoncer : « Nous respecterons ce financement ».
Le sénateur Meighen : La notion n'est pas nouvelle. Nous en avons déjà parlé. Peut-être qu'entre les attachés de recherche de la Bibliothèque du Parlement et vous-même, vous pourriez nous préparer un document pour nous renseigner afin que nous sachions exactement quelle est la situation en Ontario.
Ceci n'est pas une critique mais vous avez préconisé certaines améliorations souhaitables à la Loi sur le programme de protection des salariés. Toutes ces améliorations, et ce n'est pas étonnant, auraient un coût, que l'on choisisse d'inclure l'indemnité de départ et de cessation d'emploi, qu'on augmente le plafond à 3 000 $ en temps utile ou qu'on apporte les autres améliorations que vous suggérez.
En ce moment, en vertu de la Loi sur le programme de protection des salariés, on prévoit une dépense de 35 millions à 50 millions de dollars annuellement.
À propos de ce coût, j'ai une question en deux parties : Avez-vous évalué le coût supplémentaire de la mise en œuvre de vos suggestions? Souhaitez-vous que l'argent provienne du trésor public fédéral, comme c'est le cas actuellement? Dans la négative, si l'argent ne provient pas exclusivement du trésor public fédéral, avez-vous des suggestions quant à une autre provenance? On pourrait peut-être songer à l'enveloppe des utilisateurs, à une coassurance, que sais-je encore.
Je suis mal à l'aise quand je songe que l'argent pourrait provenir des contribuables ou des employeurs solvables. Au risque d'exagérer, je dirais qu'à certains égards, nous pénalisons ceux qui font ce qu'ils doivent faire : payer leurs impôts. Je sais bien qu'un travailleur mis à pied n'y est pour rien si bien qu'il ne devrait pas assumer le fardeau du coût. Toutefois, j'aimerais recueillir vos suggestions sur la façon de résoudre ce problème de coût.
M. Georgetti : Si je ne m'abuse, les sommes qui seront versées en vertu des dispositions de cette loi seront compensées car le gouvernement sera vigilant pour tenter de recouvrer certaines des sommes qu'il avait versées d'avance.
Le sénateur Meighen : Oui, en effet, le gouvernement espère jouir d'une super priorité limitée. On évalue cela à 50 p. 100 possiblement.
M. Georgetti : Alors, au lieu de coûter 30 millions de dollars, cela va coûter 15 millions de dollars. Sans vouloir banaliser ce coût, j'estime que 15 millions de dollars pour un gouvernement dont le budget est de taille ne représente pas beaucoup d'argent.
Deuxièmement, si le gouvernement le jugeait à propos, et il devrait le faire, il devrait insister pour que ces compagnies cotisent au fonds de faillite elles-mêmes et financent leur propre assurance, alors que le gouvernement s'occuperait de l'administration au nom des travailleurs. Je ne vois aucun inconvénient à une telle approche.
Il faudra nous résoudre à considérer cela comme une dépense en soi, car si un palier de gouvernement ne l'assume pas, ce sera un autre palier qui devra le faire, advenant que les travailleurs intéressés n'ont pas d'autres sources de revenu. Nous avons fait des sondages. Je suis prêt à en partager les résultats avec vous. Je n'ai pas les chiffres exacts mais il est étonnant de constater qu'un très grand nombre de Canadiens estiment qu'ils sont seulement à deux chèques de paye du seuil de la pauvreté. Cela signifie que notre taux d'épargne n'est pas très élevé.
Si les travailleurs de la population active perdent cet argent, le gouvernement provincial ou le gouvernement municipal, ou une autre caisse d'aide doit leur venir en aide de toute façon. C'est de l'argent bien dépensé que de verser aux travailleurs au moins les chèques de paye auxquels ils ont droit afin qu'ils puissent trouver un autre emploi.
On pourra peut-être s'étonner qu'on demande une indemnité de départ et une garantie de pension car le coût pourrait être astronomique en l'absence d'une loi adéquate sur le financement. Toutefois, le montant correspondant à l'indemnité de départ et à la caisse salariale est minuscule au regard des sommes que le gouvernement dépense pour d'autres programmes.
M. Gottheil : Je voudrais ajouter deux ou trois choses. Il s'agit d'argent ici et je voudrais apporter des précisions.
Je reprends l'exemple de l'Ontario. Au milieu des années 1990, le fonds de protection salariale ontarien versait 5 000 $ de réclamation au maximum. En outre, comme nous le disons à la page 8 de notre mémoire, l'idée d'un fonds de protection salariale est discutée depuis environ 30 ans. En 1975, la limite de réclamation proposée était de 2 000 $.
C'est ce que l'on proposait il y a 30 ans. Nous en parlons depuis ce moment-là et voilà que nous sommes en 2008. Manifestement, nous devrions être en mesure de mieux protéger les travailleurs. Je m'en tiendrai à cela et j'écouterai la question suivante.
Joel Davison Harden, représentant national (Recherche), Congrès du travail du Canada : Je vais ajouter quelque chose qui est le résultat de ma recherche car vous avez demandé des données pour les divers modèles. Certains autres pays ont des fonds de garantie de prestations de pension pour lesquels la cotisation de l'employeur est fonction de sa cote de crédit. En Suède, par exemple, une entreprise qui a un bon dossier pour ses cotisations de pension verse très peu à ce fonds contrairement à une entreprise qui est constamment en contravention. À mon avis, nos collègues de l'autre côté de la table ont soulevé un très bon argument tout à l'heure. En effet, pourquoi pénaliser des compagnies et des particuliers qui respectent leur part de l'entente? Il nous faut trouver une mesure qui serait une sorte de ceinture de sécurité pour les pensions. Toutefois, il est important que cette ceinture de sécurité pour les pensions s'adapte aux entreprises florissantes de même qu'aux entreprises défaillantes. Ainsi si vous avez là une orientation possible.
Le sénateur Ringuette : Je voudrais ajouter quelque chose en ce qui concerne les 55 millions de dollars par an du Programme de protection des salariés. Il faut se rappeler que cet argent, versé aux employés, à même ce fonds, n'est pas tiré de la caisse d'assurance-emploi. Cet argent provient du trésor public. Le régime d'assurance-emploi réalise de grosses épargnes à cet égard.
M. Forder : Le sénateur Meighen a parlé d'un copaiement. Si vous parlez à des victimes d'une insolvabilité, vous constaterez que le copaiement n'est pas réaliste. Les législateurs, grâce à la bonne volonté des politiques, peuvent amener les changements nécessaires.
En Ontario, autrefois il existait, en cas de faillite ou de fermeture d'entreprise, le devoir de négocier. Le gouvernement qui a succédé au gouvernement de Bob Rae en 1995 a supprimé cette obligation si bien que désormais l'employeur peut dire qu'il n'a pas à se soucier de ses travailleurs. À notre avis, c'est faire preuve d'irresponsabilité.
Chaque fois qu'il y avait une négociation, la somme de rajustement faisait l'objet d'un versement égal de la part du gouvernement. C'était un partenariat. Les gens voulaient s'assurer que quelqu'un s'occupait de ceux qu'on jetait à la rue. C'est ainsi qu'on devrait procéder, selon nous.
Il nous faut veiller à ce que tous les employeurs — nombreux sont des employeurs responsables mais d'autres le sont moins — aient l'obligation de négocier une entente en l'occurrence. Vous avez tout le pouvoir et l'influence nécessaires pour vous examiner ces questions.
Si vous voulez retenir le copaiement — c'est important — vous devriez envisager de modifier le RPC pour qu'il corresponde à 50 p. 100 du salaire industriel moyen avec le temps plutôt qu'à 25 p. 100. Cette augmentation calmerait grandement la situation et elle peut faire l'objet d'un copaiement. Les travailleurs n'y verront pas d'inconvénients parce qu'ils toucheront une pension en bout de ligne — avec la garantie que s'ils vont du Nouveau-Brunswick à Vancouver ou de Toronto à Terre-Neuve, il y aura toujours une pension en bout de ligne. Cette garantie est une chose qu'il ne faudra pas oublier dans vos délibérations à venir.
Le sénateur Meighen : Je déteste dire des lieux communs mais la vie n'est jamais sans risque pour personne et la vie n'est pas toujours juste. Peut-être, comme vous l'avez dit, monsieur Forder, la victime la plus directe d'une fermeture est-il le travailleur mais il y en a d'autres : les fournisseurs de l'entreprise, les dirigeants de la compagnie, qui ont fait de leur mieux mais qui face à l'évolution de la situation, indépendante de leur volonté, n'ont pas réussi à maintenir à flot la compagnie. Voilà pour mon commentaire.
M. Gottheil ou M. Georgetti a parlé de la limite de trois mois et du nombre de travailleurs qui ont fait partie de l'effectif pendant trois mois ou moins.
Le président : Sept pour cent.
Le sénateur Meighen : J'observe aussi que près de 47 p. 100 des travailleurs ont entre 15 et 24 ans. Il n'est pas étonnant que quelqu'un de 16 ans n'ait pas 15 années d'expérience de travail. Ça ne m'étonne pas beaucoup et je ne suis pas sûr que quelqu'un qui n'a passé là que trois mois ait droit à la même protection que celui qui a travaillé trois ans. Je ne suis pas aussi offensé que certains des autres témoins, semble-t-il, de voir cette limite. Que ce soit deux ou quatre mois, il doit y avoir une limite au lieu d'appliquer à tous la même règle.
M. Georgetti : S'il faut dire des lieux communs, je pourrais en dire autant à propos des prêts bancaires qui remontent à peine trois mois quand le débiteur fait faillite. Que vous soyez un banquier ou un travailleur, mettez-vous à la place de celui qui a l'obligation de vous payer. Pour moi, il n'y a aucune différence entre devoir de l'argent et devoir un salaire. Les deux devraient être traités de la même façon.
Dès que vous faites un emprunt à la banque, vous avez une dette. Dès que vous faites travailler quelqu'un, vous lui donnez un salaire. Il n'y a pas de différence. Si vous devez un salaire à quelqu'un et que vous avez une assurance pour le lui verser, quelle est l'importance de la durée de l'emploi?
J'ai entendu l'argument, qui peut certainement être tranché grâce à une enquête juricomptable sur les personnes qui ont été embauchées au cours des trois derniers mois. S'il se trouve qu'il s'agit dans tous les cas de membres de la famille, il y a un schéma qui apparaît. Par contre, quand 7 p. 100 de l'effectif, dans une loi qui est censée protéger les salaires des gens, se trouvent écartés uniquement à cause de la durée de leur emploi, c'est injuste. Si un salaire est dû aux travailleurs, il doit leur être payé et le fonds doit être conçu pour que ce soit possible — que ce soit pour une journée, une année ou 15 ans.
Le sénateur Meighen : Que répondez-vous à ceux qui ont des inquiétudes à propos des membres de la famille?
M. Georgetti : Lorsque les demandes sont présentées, on s'attendrait à ce que les administrateurs du programme examinent tout simplement qui a été embauché au cours des trois derniers mois. S'il y a eu une recrudescence d'embauche, il y a lieu de faire enquête. Je ne pense pas par contre qu'il faille éliminer 7 p. 100 de ceux qui sont là à cause d'un transfert d'emploi ou de quoi que ce soit d'autre, uniquement pour protéger une poignée d'employeurs qui essaient de frauder le système.
Le sénateur Goldstein : J'ai quelque chose de court à dire. Actuellement, la loi prévoit que ceux qui ne traitent pas d'une manière indépendante avec l'entreprise ou les membres de son conseil d'administration voient leurs prétentions pénalisées de manière générale. Je pense qu'il serait relativement facile d'appliquer ce concept aux salaires et de calmer ainsi les inquiétudes de madame le sénateur Ringuette.
Je n'aurai pas d'autres occasions d'intervenir aujourd'hui et c'est pourquoi je vais poser une autre question. Monsieur Harden, les chiffres que vous nous avez donnés datent de 2002 et de 2005. En avez-vous de plus récents?
M. Harden : Je suis en train de les rassembler et je les transmettrai au comité. Il s'agit de l'enquête annuelle sur la population active.
L'hypothèse retenue dans ces chiffres, dans cette documentation, est que ce problème est particulier aux jeunes travailleurs. Je signale aux sénateurs que plus on monte dans la pyramide des âges, plus on s'aperçoit que les travailleurs dans la trentaine et la quarantaine ont le même problème en ce qui concerne la durée d'emploi. Cela nous a ouvert les yeux à nous aussi.
Le sénateur Massicotte : Je vais me pencher de manière plus détaillée sur vos recommandations au sujet des obligations relatives à la retraite et analyser les mécanismes pour m'assurer de bien comprendre.
J'imagine que le déficit que vous voulez voir garanti — évidemment pas par l'employeur parce qu'il a disparu ou n'a plus suffisamment d'argent — ne provient pas du fait que l'employeur n'a pas fait ses contributions. Il s'agit plutôt d'une erreur dans le calcul de la contribution de l'employeur et de la cotisation de l'employé, soit à cause de l'effondrement du marché soit pour une autre raison. J'imagine que c'est cela qui explique en grande partie la situation. Ai-je raison?
M. Georgetti : Le sous-financement n'est pas forcément le résultat de malversations; on s'est peut-être trompé dans la formule de calcul ou on a peut-être procédé à un aménagement quelconque ou accepté une tolérance.
Le sénateur Massicotte : Ce n'est sans doute pas arrivé parce que la contribution mensuelle n'a pas été faite. En pareil cas, l'employé le saurait.
M. Georgetti : Cela arrive plus fréquemment en situation de faillite parce qu'avant la déclaration de faillite, il y a des tentatives pour réduire ou changer les hypothèses de retraite.
Le sénateur Massicotte : Cela peut se faire sur quelques mois et pas sur un an ou plus, puisque les rapports annuels le révéleraient.
M. Gottheil : Cela dépend de la province, s'il faut produire un rapport actuariel tous les trois ans. Le rapport est déposé; l'actuaire atteste le montant nécessaire à l'amortissement pendant la période nécessaire au financement du régime. Les travailleurs et les syndicats — s'il y en a un — n'ont pas forcément accès à la preuve que le chèque a été remis au fiduciaire de la caisse. Il peut y avoir une période de deux ans pendant laquelle l'employeur ne contribue pas et verse l'argent dans les opérations générales plutôt que dans la caisse de retraite. Prenez deux ans de sous-financement et ajoutez à cela la fluctuation des taux d'intérêt puis...
Le sénateur Massicotte : D'après ce que j'ai lu dans les articles, le sous-financement représente moins de 10 p. 100 des obligations sous-capitalisées découlant du régime de retraite au Canada. C'est une fraction minime du problème. Le gros problème, ce sont les hypothèses erronées ou un autre dérapage.
Je crois savoir que le cas est fréquent dans notre société et que beaucoup de gens en sont pénalisés. Une faillite est déclarée et le propriétaire se retrouve sans le sou. Dans le monde des retraites, ce n'est pas clair. Je comprends qu'en cas de déficit, l'employeur jouit d'une latitude raisonnable, en situation normale, et peut non seulement augmenter sa contribution mais aussi la cotisation des employés. Il y a une marge qui permet de faire payer tout le monde davantage pour combler le déficit. N'est-ce pas le cas?
M. Gottheil : Sauf votre respect, je ne le pense pas, sûrement pas en tout cas dans un régime à prestations déterminées. Dans un régime comme celui-là, l'employeur dit à l'agent de négociation et aux travailleurs que lorsque ceux-ci prendront leur retraite, tel montant mensuel...
Le sénateur Massicotte : Je parle du déficit.
M. Gottheil : Je vais vous décrire le régime. Le travailleur cotise X dollars par mois par année de service. Il reçoit cet argent lorsqu'il prend sa retraite. Dans ce contexte, le régime est conçu de telle façon que l'employeur doit le financer intégralement selon les conseils actuariels qu'il reçoit. Si la convention est rédigée de cette façon, l'employeur n'a pas le loisir de demander aux travailleurs de cotiser davantage. Dans une certaine mesure, il y a un risque ici. Les travailleurs ont négocié un taux particulier et accepté de gagner moins en échange de ce taux assuré.
Le sénateur Massicotte : J'ai été dans une situation où ce n'était pas le cas. Est-ce le cas où une convention collective existe? Évidemment, dans un tel cas, les deux parties négocient. Qu'en est-il des employés professionnels et des autres entreprises?
M. Gottheil : Lorsqu'il existe un régime à prestations déterminées, l'employeur ne peut pas trouver l'argent ailleurs. La loi oblige l'employeur, en fonction des conseils qu'il a reçus, à financer le régime de retraite au moment voulu de telle sorte que les employés, lorsqu'ils prennent leur retraite, touchent leurs prestations déterminées. Un régime contributif à prestations déterminées, c'est une dynamique entièrement différente.
Le sénateur Massicotte : Combien de temps l'employeur a-t-il pour éponger un déficit? Je crois que cela a changé récemment.
M. Harden : Ce pourrait être selon le constat d'insolvabilité ou sur une base annuelle.
M. Georgetti : Ça peut aller jusqu'à cinq ans. Tout dépend du constat de solvabilité. Peut-être que votre question est celle-ci : Est-ce que les deux parties peuvent hausser leurs cotisations afin d'acquitter leurs obligations? La réponse est oui, mais après une faillite, elles ne peuvent pas le faire.
Le sénateur Massicotte : J'essaie de savoir ce qui est juste. Quel montant allez-vous geler? Disons qu'on est d'accord avec vous et qu'il doit exister une protection quelconque. La question est de savoir alors quel montant doit être protégé? Si l'employeur a le droit d'attendre cinq ans, si le plein montant n'est pas dû et si l'employé a une part de responsabilité quelconque à l'égard de l'insuffisance de fonds, comment alors calcule-t-on ce montant?
M. Gottheil : En Ontario, si je me souviens bien, on précise la date à laquelle il faut examiner les prestations — X nombre de mois ou d'années — avant l'insolvabilité. Une prestation maximale est garantie, par exemple, 1 000, 1 500 $ ou davantage. Si je me souviens bien, le maximum aujourd'hui est de 1 000 $. Les actuaires et les autres parties se concertent et déterminent que les prestations garanties sont de XYZ il y a trois ans de cela, et si c'est plus que 1 000 $ par mois, ce n'est pas garanti. Chacun calcule alors qu'un certain montant doit être versé dans la cagnotte pour s'assurer que les prestations déterminées seront payées. Essentiellement, nous sommes d'avis que c'est un bon modèle. On peut se demander si le niveau de garantie — 1 000 ou 1 500 $ — est suffisant, et on peut discuter de la date où les prestations seront versées. Ce modèle existe pour tous les Canadiens.
Le sénateur Massicotte : Une question m'intéresse, vous dites que la responsabilité du manque à gagner incombe à l'employeur. Qu'arrive-t-il s'il y a un excédent dans le fonds? À qui appartient cet argent?
M. Gottheil : Vous trouverez la réponse à cette question dans les dispositions qui régissent le régime. Dans la plupart des cas, lorsque l'employeur crée le régime, il précise dans ces dispositions qu'il va garder cet argent en fiducie pour les bénéficiaires du régime. Quand les dispositions de la fiducie font mention de ce genre de choses, l'excédent est alors versé aux travailleurs.
Le sénateur Massicotte : Qu'arrive-t-il si on ne fait pas mention de ce genre de choses?
M. Gottheil : Si l'employeur se réserve le droit de reprendre l'argent, ou si les dispositions disent autre chose, l'employeur peut reprendre l'argent. Tout dépend du régime et des dispositions régissant la fiducie.
M. Georgetti : Nous avons eu de longues discussions avec des actuaires et d'autres dans le cadre du rapport de Harry Arthurs. Quand on parle de questions entourant le fonds de garantie des prestations de retraite et les excédents, la question de savoir à qui appartient l'excédent disparaît. S'il existe un fonds qui garantit les prestations de retraite, on ne s'interroge pas longuement sur les excédents ou sur la question de savoir à qui ils appartiennent parce qu'on est sûr de toucher ces prestations. Quant à savoir à qui appartient l'excédent, tout dépend de ce que dit le texte qui régit la fiducie.
Le sénateur Eyton : Pouvez-vous me dire quelles sont les tendances relativement au régime à prestation déterminée ou au régime contributif à prestation déterminée? Quelle est la position des syndicats face à ces deux approches?
M. Georgetti : Je crois que 85 p. 100 de tous les régimes de retraite enregistrés sont négociés par nos syndicats affiliés. De manière générale, nous encourageons cela. Pour répondre à votre question, nous pouvons vous donner le tableau récapitulatif. La tendance est celle-ci : les régimes à prestation déterminée sont moins populaires et les régimes contributifs à prestation déterminée sont plus populaires.
Le sénateur Eyton : Je songeais à cette situation à la suite des questions qu'a posées le sénateur Massicotte. Vous avez raison de vous soucier des manques à gagner, mais il est sûr qu'il pourrait y avoir manque à gagner si l'employeur n'est pas en mesure de s'approprier les excédents. Les syndicats disent alors : « Nous comprenons cela. Nous voulons que les prestations soient garanties, donc si vous mettez trop d'argent dans la caisse et qu'il y a un excédent, vous pouvez le prendre? Cette approche reflète-t-elle votre attitude?
M. Georgetti : Écoutez : lorsque l'économie a ralenti et que nous subissions des pressions énormes, très souvent, nous sommes allés à la table de négociation et nous avons accepté que l'employeur cotise moins au régime de retraite, en fonction des hypothèses actuarielles et des évaluations qu'on avait au moment où il y avait un excédent, pour employer à d'autres fins ce qui aurait été normalement des cotisations au régime de retraite, entre autres, pour que la compagnie reste à flot. Vous vous rappelez peut-être qu'il y a quelques années de cela, tout le monde disait que les caisses de retraite étaient finies parce que les évaluations étaient négatives. La situation s'est redressée, la plupart de ces régimes sont de retour et solvables.
Voici ce que nous pensons : si un employeur peut absolument garantir les prestations, je peux vous assurer que nous ne discuterons pas longtemps des excédents s'il finance intégralement le régime et qu'il y a un petit excédent, il peut le garder. Cependant, il ne peut pas garantir ces prestations. S'il éprouve des difficultés, s'il fait faillite au mauvais moment du cycle économique, nous allons perdre les prestations. Voilà pourquoi il nous faut ce genre de protection.
M. Gottheil : Dans une certaine mesure, la question des excédents est un faux débat. Nous sommes d'avis que l'argent qui est versé dans la caisse de retraite, c'est de l'argent auquel on a renoncé ou pour lequel on a négocié à la table de négociation. Cet argent qui va dans le fonds représente une rémunération qui n'est pas versée par chèque toutes les semaines mais plutôt versée dans un fonds. C'est l'argent des employés. Au moment de la négociation, on négocie le coût du régime en sachant cela, et ce qui advient de la caisse de retraite par la suite est fonction de divers facteurs. L'idée de base, c'est que cet argent appartient aux travailleurs.
Le sénateur Eyton : Il y aura des manques à gagner tant que vous adhérerez à ce point de vue.
M. Gotheil : Je ne vois pas pourquoi. Si les règlements indiquent clairement comment les déficits seront financés avec le temps, et s'il y a une surveillance réglementaire, je présume que les employeurs vont se conformer à la loi.
Le sénateur Eyton : Cette norme sera le minimum. L'idée sera d'éviter le surfinancement.
M. Gottheil : Il n'y a pas nécessairement un problème quand on évite le surfinancement. En fait, cela veut dire qu'on a plus d'argent pour payer les salaires aujourd'hui. Personne n'a un problème avec cela.
Le président : Merci.
Le sénateur Goldstein : Vos exposés étaient été très clairs et ont été très utiles. Nous vous savons gré d'avoir comparu aujourd'hui ainsi que de vos efforts pour nous expliquer cette situation. Merci.
Le président : Je veux moi aussi vous remercier et j'apprécie les commentaires que vous avez faits plus tôt à propos du travail du comité. J'espère que vous allez voir que nous vous écoutons, et que notre examen sera très complet.
La séance est levée.